courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

48
Drones le grand embouteillage (!4BD64F-eabacj!:N;k GAZA — À QUOI SERT CETTE GUERRE ? VOL MH 17 HARO SUR POUTINE ÉCONOMIE— LES FORÇATS ITALIENS DU WEB JAPON— VOYAGE DANS LE PORT DES MANGAS Alors que les vols commerciaux débutent en 2015 aux Etats-Unis, les accidents de drones se multiplient N° 1238 du 24 au 30 juillet 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

Upload: sa-ipm

Post on 01-Apr-2016

285 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Courrier International du 24 juillet 2014

TRANSCRIPT

Page 1: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Drones le grand embouteillage

����������� ������

GAZA —À QUOI SERT

CETTE GUERRE ?

VOL MH 17HARO SUR POUTINE

ÉCONOMIE— LES FORÇATS ITALIENS DU WEBJAPON— VOYAGE DANS LE PORT DES MANGAS

Alors que les vols commerciaux débutent en 2015 aux Etats-Unis,

les accidents de drones se multiplient

N° 1238 du 24 au 30 juillet 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

EDITION BELGIQUE�

Page 2: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

CASTILLEJOS, MEXIQUE

ÉDITORIALÉRIC CHOL

Sang pour sang innocentDes piles de corps ramassés

dans les champs ukrainiens, transportés dans des trains

prétendument réfrigérés. Des cadavres d’enfants extraits des décombres des maisons de Gaza. Et cette même odeur de mort sur les rives de la Méditerranée et dans la campagne ukrainienne. Ici les victimes des bombardements israéliens, là celles d’un missile de moins en moins mystérieux. Gaza, Donetsk : la géopolitique s’est soudainement réveillée, entre une Coupe du monde et un Tour de France, la mondialisation de l’horreur ignorant les congés payés, se moquant de la trêve estivale, faisant fi de l’identité, de l’âge ou du sexe des sacrifi és. Aucun lien, a priori, entre ces drames, si ce n’est l’engrenage de la violence, les peurs et les haines inextinguibles, les eff orts infructueux de la diplomatie pour calmer le jeu. Et, en bout de course, ces linceuls de fortune et les pleurs des familles endeuillées. Il existe pourtant bien une connexion entre 583 morts palestiniens (décompte au 22 juillet) et les dépouilles des 298 passagers du vol MH17 : ils sont “les innocents”, comme le titrait, le 20 juillet, The Independent. Des civils arrachés à la vie parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. A 10 000 mètres au-dessus d’une zone de guerre, dans une bande de terre contrôlée par le Hamas. Il y a pile un siècle, la Première Guerre mondiale débutait. En 1918, on comptera presque autant de victimes parmi les civils que chez les militaires. Cent ans plus tard, les civils sont toujours dans la ligne de mire.

En couverture :— Drones : Photomontage Courrier international (AP-Sipa, Gallery Stock)— Gaza : Photo Finbarr O’Reilly/Reuters — Poutine : Dessin de Pismestrovic, Autriche

p.28à la une

SUR NOTRE SITE

UKRAINE. Quelles sanctions après le crash de la Malaysia Airlines ?

MOYEN-ORIENT. Les suites de l’opération israélienne à Gaza.

SCIENCES. L’impact de la technologie (et des robots) sur la société. L’interview d’Andrew McAfee, chercheur au MIT.

Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

www.courrierinternational.com

Sommaire

Plus de 400  drones militaires améri-cains se sont écrasés depuis 2001, selon le Pentagone. Inquiétant pour The Washington Post, alors que les vols commerciaux de drones doivent débuter en 2015.

LE GRAND EMBOUTEILLAGE

DRONES

360°

Sakaiminato, le port des mangasUn lieu, un artiste (3/5) A la rencontre des créatures de Shigeri Mizuki, légende vivante du manga, qui peuplent cette ville japonaise.

p.8

Ukraine Haro sur Vladimir Poutine

Le président russe est mis en cause pour son soutien aux séparatistes qui auraient abattu le Boeing de la Malaysia Airlines. L’Occident ouvre enfi n les yeux, écrit le quotidien ukrainien Golos Oukraïny.

p.14

Gaza Israël a déjà perdup.36

Sciences. La voie de la fourmi

p.38

FOCUS

L’opération sans retenue de l’Etat hébreu contre des civils n’a fait qu’accroître la résistance palestinienne, estime le quotidien libanais Th e Daily Star.

DR

Page 3: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Sommaire Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Juillet 2014. Commission paritaire n° 0717c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie cen-trale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers ( japonais), Mikage Nagahama ( japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Hélène Rousselot (russe), Mélanie Liff schitz (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Alice Andersen, Jean-Baptiste Bor, Solène Coma, Sophie Courtois, Ndeye Diobaye, Rollo Gleeson, Thomas Gragnic, Marion Gronier, Mélanie Guéret, Carole Lembezat, Jean-Baptiste Luciani, Valentine Morizot, Lionel Pelisson, Corentin Pennarguear, Polina Petrouchina, Anne Lise Pitre, Alexane Pottier, Diana Prak, Joséphine Raynauld, Judith Sinnige, Leslie Talaga, Anne Thiaville, Wei Lan

Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Frédérique Froissart (16 52), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(responsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Véronique Saudemont (17 39), Kevin Jolivet (16 89)

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrier international.com. Les titres et les surtitres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine :

Amin (amin.org) Ramallah, en ligne. Ha’Aretz Tel-Aviv, quotidien. Corriere della Sera Milan, quotidien. The Daily Beast (thedailybeast.com) New York, en ligne. Daily Maverick (dailymaverick.co.za) Johannesburg, en ligne. The Daily Star Beyrouth, quotidien. The Daily Telegraph Londres, quotidien. Den Kiev, quotidien. The Economist Londres, hebdomadaire. L’Espresso Rome, hebdomadaire. Financial Times Londres, quotidien. Global Asia Séoul, trimestriel. Golos Oukraïny Kiev, quotidien. Kommersant Moscou, quotidien. Los Angeles Times Los Angeles, quotidien. Maariv Tel-Aviv, quotidien. La Nación Buenos Aires, quotidien. Nautilus New York, mensuel. New Statesman Londres, hebdomadaire. The New York Times New York, quotidien. Oukraïnsky Tyjden Kiev, hebdomadaire. The Palestine Chronicle (palestinechronicle.com), Washington,

en ligne. Prachatai English (prachatai.com) Bangkok, en ligne. Le Temps Genève, quotidien. Tokyo Shimbun Tokyo, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien. Yediot Aharonot Tel-Aviv, quotidien.

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici, la rubrique “Nos sources”).

7 jours dans le monde4. Diplomatie. Après l’Afrique, le dragon chinois vise l’Amérique latine

6. Portrait. James Harris Simons, le mathématicien philanthrope

7. L’odyssée vers l’Europe (3/4). Carte blanche à Giorgos Moutafi s

D’un continent à l’autre— EUROPE 8. Ukraine. Haro sur Poutine

— FRANCE 12. Sahel. La réponse militaire

ne suffi ra pas

— MOYEN-ORIENT16. Gaza. Israël a déjà perdu

18. Th éories du complot (3/4).

Le chaos vient de l’Occident

— AFRIQUE

20. Libye. Pour les trafi quants,

les aff aires prospèrent

— ASIE22. Th aïlande. La junte fait

le ménage

— BELGIQUE

24. Société. Décibels contre Roms

A la une28. Drones : le grand embouteillage

Transversales34. Economie. Les prolétaires 2.0.

36. Sciences. La voie de la fourmi

37. Signaux. La signalétique

du Mondial

360°38. Un lieu, un artiste (3/5)

Le port des mangas

42. Plein écran. Les nouveaux

joyaux de la Couronne

44. Tendances. Marijuana express

46. Histoire. Les maîtres

de la steppe

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

Abonnez-vous Le meilleur de la presse mondiale chaque jeudi chez vous !

TARIF ABONNEMENT + l’accès au site et à ses archives depuis 1997

Option 16 mois € au lieu de 101,40 €

Option 312 mois + 4 hors-série

€ au lieu de 223,10 €*

Option 212 mois € au lieu de 191,10 €

Je désire m’abonner : adresse mail: [email protected] ou par courrier à Courrier Internationnal - Service Abonnements - Rue des Francs 79 -

1040 Bruxelles ou par fax au 02/744.45.55. Je ne paie rien maintenant et j’attends votre bulletin de virement.Nom .................................................................................................... Prénom ........................................................................................................

Adresse........................................................................................................................................... N° ........................ Bte .......................................

CP ................................ Localité ........................................................ Tél .................................................................................................................

Gsm ..................................................................................................... E-mail ..........................................................................................................*prix de vente au numéro. Offre valable en Belgique jusqu’au 3 Les données fournies sont reprises dans la base de données du Courrier International dans le but de vous informer sur les produits et services. Elles peuvent être transmises à nos partenaires à des fins de prospection.

150 170

1 décembre 201 .

90

4

Courrier international – n° 1238 du 24 au 30 juillet 2014 3

Page 4: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

7 jours dansle monde.

↙ Dessin de Vlahovic, Serbie.

DIPLOMATIE

Après l’Afrique, le dragon chinois vise l’Amérique latineLe président Xi Jinping vient d’achever une tournée latino-américaine. Au-delà des intérêts économiques, le but de cette visite était avant tout politique.

—La Nación Buenos Aires

Lors de sa tournée en Amérique latine, le président chinois Xi

Jinping s’est vanté de la signa-ture de nouveaux accords com-merciaux et d’investissement qui, selon lui, vont permettre de renforcer les échanges de la Chine avec la région. Et plu-sieurs présidents latino-américains se sont félicités de ce qu’ils considèrent comme une excellente nouvelle dans un contexte de ralentissement économique dans leurs pays.

Pourtant, les derniers chiff res du commerce bilatéral esquissent un tout autre tableau, donnant à penser que le résultat le plus important de la tournée sud-américaine du Chinois n’est pas de nature économique, mais politique.

Les nouvelles statistiques montrent que si la Chine a bien détrôné les Etats-Unis de leur place de premier partenaire commercial de plusieurs pays sud-américains, les échanges bilatéraux entre Pékin et l’Amérique latine accusent aujourd’hui un ralentissement, après dix ans de croissance phénoménale. La Chine est passée en 2002 de 2,4 % du total mondial des exportations latino-américaines à 11,7 % en 2012, nous disent les chiff res du Fonds monétaire international (FMI). Cependant, cette part a stagné en 2013, pour s’établir à 11,6 %, et la plupart des économistes prévoient aujourd’hui une croissance nettement plus modeste que les années précédentes.

Cela s’explique en partie par le ralentissement de

la croissance économique chinoise elle-même, qui n’affi che plus les 10 % annuels qui furent la norme ces dix dernières années. On table pour cette année, et pour les suivantes, sur 7,5 % de croissance environ, ce qui signifi e que Pékin importera moins de minerais et autres matières premières.

De nombreux économistes doutent d’une nouvelle envo-lée des échanges bilatéraux car, si la Chine est devenue un partenaire clé pour l’Amé-rique latine, la réciproque n’est pas vraie.

Ainsi, comme j’ai pu le constater moi-même lors de plusieurs séjours en Chine, les élites chinoises, aussi bien dans les milieux d’affaires qu’en politique ou à l’uni-versité, connaissent très mal l’Amérique latine. R. Evan Ellis, auteur de plusieurs ouvrages sur les liens entre Chine et Amérique latine, m’a raconté cette anecdote édi-fi ante : le mois dernier, alors qu’il dispensait un cours dans une grande école de com-merce en Chine, il s’est rendu compte que, sur ses 36 étu-diants chinois, 6 tenaient Machu Picchu pour le père de l’indépendance bolivienne et 7 pensaient que Pancho Villa était l’actuel président du Mexique.

Plus révélateur encore, l’Etat chinois s’intéresse beaucoup plus à l’Afrique et à d’autres régions émergentes qu’à l’Amérique latine.

Lors de cette dernière tour-née, Xi Jinping a signé un accord avec le Brésil, la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud (soit l’intégralité des Brics),

visant à créer une Nouvelle Banque de développement pour les émergents. Le pré-sident chinois a également proposé de construire une ligne de chemin de fer trans-amazonienne qui relierait le Pérou au Brésil et a annoncé des dizaines d’autres inves-tissements et projets commerciaux.

Un événement de cette visite a moins retenu l’attention, mais pourrait se révéler déterminant à l’avenir : c’est la réunion qui a eu lieu au Brésil entre le président chinois et plusieurs de ses homologues latino-américains, pour préparer le premier sommet entre la Chine et l’ensemble des pays de la Communauté des Etats latino-américains et caribéens (Celac), qui se tiendra à Pékin fi n 2014.

Il me semble donc que la grande nouvelle qui ressort de la visite de Xi Jinping n’est pas économique (car ces accords peuvent aussi bien se concrétiser que rester lettre morte, étant donné le ralentissement de la croissance en Chine) mais politique. Pour la première fois, la Chine vient de passer d’un rapport bilatéral avec les pays latino-américains à une relation d’envergure régionale, comme elle le fait déjà avec l’Afrique. Et pour la première fois aussi, le président chinois s’est rendu dans des pays ennemis, ou peu amis, des Etats-Unis, nommément Cuba, le Venezuela et l’Argentine.

Il se peut que Xi Jinping, préoccupé par les négociations de Washington avec le Japon

Chiff res●●● Xi Jinping et la présidente argentine Cristina Kirchner ont signé une vingtaine d’accords bilatéraux pour plus de 7 milliards de dollars. Ces investissements étaient très attendus par l’Argentine, embourbée dans une grave crise fi nancière, précise le journal Clarín. Au Venezuela, la Chine a accordé plus de 5,7 milliards de dollars de crédit en échange de 100 000 barils de pétrole journaliers. Le quotidien Tal Cual rappelle que depuis que Hugo Chávez a ouvert la porte aux Chinois, il y a quinze ans, les deux pays comptent plus de 500 accords bilatéraux.

Retour à l’âge du carboneENVIRONNEMENT — L’Australie est le premier pays à supprimer un plan de taxation global du carbone : le 17 juillet, le Sénat a confi rmé la décision du gouver-nement du libéral Tony Abbott. Introduite en 2012, la taxe, qui faisait payer 23 dollars australiens (16 euros) chaque tonne de CO2 émise par les 348 plus grands émetteurs du pays, a permis de réduire les émissions de 1,5 % entre  2012 et  2013. Principale raison avancée pour justifi er cette suppression : la hausse vertigi-

neuse du prix de l’électricité, qui aurait subi le contrecoup de la taxe et de l’entrée en production de centrales électriques renouvelables. Un argument fallacieux,

rétorque The Monthly dans une grande enquête publiée dans

son numéro de juillet. Ce sont les entreprises de transport et de dis-tribution d’électricité qui ont le plus participé à cette infl ation et qui s’en sont mis plein les poches, affi rme le magazine.

20 mois ferme pour un bébéHONG KONG — Une femme de Chine continentale a été condam-née à une peine de vingt mois de prison ferme à Hong Kong pour avoir menti lors du contrôle du service hongkongais de l’im-migration sur son intention d’accoucher sur l’île, rapporte le Zhongguo Xinwen Wang. Si les accouchements pratiqués de l’autre côté de la frontière dans le seul but de bénéfi cier du droit du sol hongkongais sont fréquents, ils sont également vivement cri-tiqués par les insulaires. Ces der-niers considèrent que ce genre de situation est une source de tensions entre Hong Kong et la Chine continentale.

et les pays d’Asie du Sud-Est en vue de la création

d’un bloc économique transpacif ique, souhaite envoyer un message aux Etats-Unis, du genre : “Tu viens fricoter dans mon voisinage, je te rends la pareille.” Ou peut-être est-ce que la Chine cherche à s’assurer un accès durable aux matières premières latino-américaines. Mais quelle que soit l’explication, pas de doute : la Chine débarque en force en Amérique latine.

—Andrés OppenheimerPublié le 22 juillet

SAH

AR

BURH

AN

4.

Page 5: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

ILS PARLENTDE NOUS

ABDOU SEMMAR, rédacteur en chef d’Algérie-Focus

Gaza divise la FrancePourquoi le confl it israélo-palestinien suscite-t-il tant de passion en France ?La question palestinienne est une question fondamentale

de la conscience collective arabo-musulmane

depuis les années 1970. Ce qu’on appelle “la minorité visible”, l’immigration maghrébine, greff e

sur la question palestinienne ses propres

questions sociales et politiques. La communauté musulmane, ici en France, instrumentalise le confl it israélo-palestinien et transmet ainsi un message politique au reste du pays. La question est également instrumentalisée par les politiques. Le Front de gauche et le NPA espèrent ainsi récupérer l’électorat arabo-musulman, qui n’est pas assez écouté et qui a son mot à dire.

Les manifestations ont été dans un premier temps interdites. Qu’avez-vous pensé de cette décision ?Cette mesure n’aurait pas choqué si elle avait été prise à Alger ou en Corée du Nord. Elle a rappelé que la France, le pays des droits de l’homme, n’est peut-être pas le modèle démocratique qu’elle prétend être. Par ailleurs, plusieurs personnes présentes à la manifestation de Barbès ont dénoncé les méthodes de la police française, proches de celles de la police algérienne. Les manifestants auraient été contenus à Barbès, le quartier de Paris où l’on compte le plus grand nombre d’immigrés maghrébins. Certains manifestants ont eu le sentiment qu’on avait tenté de discréditer leur protestation.

Pourquoi les manifestations ont-elles dégénéré ?De nombreux Français ne savent rien de leurs concitoyens musulmans. Il y a une ségrégation sociale qui se développe d’une façon très choquante. II y a deux France : celle des policiers et des bobos, et la France des cités. Et quand ces deux France se rencontrent, c’est l’incompréhension et la bagarre.—

DR

LA PHOTO DE LA SEMAINE

Jokowi vainqueur

INDONÉSIE — Le 22 juillet, le gouverneur de Jakarta, Joko Widodo, a été déclaré vainqueur du scrutin présidentiel du 9 juillet dernier par la commission électorale indonésienne avec 53,15 % des voix. Pour l’hebdomadaire Tempo, ce fut la campagne électorale la plus dure de l’histoire du pays. Jokowi (le surnom donné par les Indonésiens à Joko Widodo) prêtera serment le 20 octobre prochain pour devenir le septième président de la république d’Indonésie. D’ici là, le président Yudhoyono continuera de gouverner. Son adversaire, Prabowo Subianto, obtient 46,85 % des suff rages. Ce dernier a annoncé qu’il rejetait le résultat des élections, prétextant des irrégularités. Tempo, pour sa part, appelle au calme.

Les négociations continuentÉTATS-UNIS - IRAN — A la veille de la date butoir initiale du 20 juillet, les pourpar-lers sur le programme nucléaire iranien ont été prolongés jusqu’au 24 novembre. The Washington Post et USA Today approuvent cette prolongation, tout en craignant que Téhéran ne soit pas prêt à céder sur l’enrichissement d’uranium. Pour The Wall Street Journal, prolonger les négociations est une erreur : “Sans faire de vraie concession, les mollahs ont reçu 2,8 milliards de dollars [d’allégement des sanctions] pour continuer à palabrer pendant encore quatre mois”, regrette le titre conservateur.

C’est le nombre de bébés nés en Grande-Bretagne en 2013, selon le Bureau des statistiques nationales, contre 729 674 en 2012. Il s’agit de la première baisse du taux de natalitédepuis 2001 et de la plus grosse depuis les années 1970, écrit The Economist. La baisse des allocations familiales, celle des salaires, la montée du chômage, la cherté de l’immobilier sont autant de facteurs évoqués pour expliquer la fi n du baby-boom britannique.

Il faut sauver le Gange

INDE — “Laissez respirer le Gange”, p la ide Down to E ar th en une de sa der-nière édition. Le bimensuel indien rappelle que la propreté du fleuve sacré

était l’un des thèmes de campagne du Premier ministre Narendra Modi, au pou-voir depuis le 26 mai. Quelque 36 grandes villes déversent leurs eaux usées direc-tement dans le fl euve, signale le jour-nal. Au total, 6 millions de mètres cubes d’eau usées s’y répandent chaque jour, charriant bactéries et parasites. Et les 764 grandes usines installées sur ses rives déversent quotidiennement 0,5 million de mètres cubes d’effl uents toxiques. Il faudra pourtant mettre fi n à l’asphyxie du Gange, écrit la revue. “Si nous ne le faisons pas, nous serons les grands per-dants – une génération qui aura perdu une chose aussi précieuse qu’un fl euve”, conclut Down to Earth.6

98        512

PATR

ICK

CH

APP

ATE

OSC

AR

SIA

GIA

N/G

ETTY

IMA

GES

/AFP

5

Page 6: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

7 JOURS Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

—The New York Times (extraits) New York

J ames H. Simons est un homme qui aime faire mentir les stéréotypes. Milliardaire, génie des mathématiques et grand inves-

tisseur, il est régulièrement cité en exemple pour sa générosité envers la recherche scienti-fique ou pour des programmes visant à intéres-ser les enfants aux mathématiques [il vient de donner 50 millions de dollars au laboratoire de Cold Spring Harbor, qui appliquera les modèles mathématiques dans la recherche contre les maladies graves].

Depuis son bureau, perché en haut d’un buil-ding de la 5e Avenue à New York, l’homme n’hé-site pourtant pas à parler de ses échecs.

Terriblement distrait, il a compris avec dou-leur qu’il était un très mauvais programmeur. “Je n’arrêtais pas d’oublier les lignes de code, se sou-vient-il. J’étais incapable d’écrire un programme, même si ma vie en dépendait.”

Sous ses bureaux, se trouve Math for America, une fondation qu’il a créée pour promouvoir l’enseignement des mathématiques à l’école publique. Non loin de là, sur Madison Square Park, le National Museum of Mathematics, ou MoMath, un centre éducatif qu’il a en partie financé, a accueilli près de 250 000 visiteurs depuis son inauguration, en 2012.

Simons, 76 ans, a le rire facile. Il dit s’être beau-coup “amusé” dans ses nombreuses carrières. Sa vie a connu d’incroyables revirements – avec notamment la mort de deux enfants adultes – qui semblent n’avoir qu’aiguisé sa curiosité pour les mystères de l’Univers. “Je ne peux pas m’en empê-cher”, dit-il à propos des programmes scienti-fiques qu’il finance. “C’est tellement excitant.”

Docteur en mathématiques à l’âge de 23 ans, Simons a travaillé au service de cryptanalyse de l’Agence nationale de sécurité (NSA) à 26 ans, dirigé un département universitaire de mathéma-tiques à 30 ans, remporté un premier prix de géo-métrie à 37 ans, fondé Renaissance Technologies – un des fonds d’investissement spéculatifs les plus profitables au monde – à 44 ans et s’est lancé dans les œuvres caritatives à 56 ans.

Cette année, il a été élu à l’Académie natio-nale des sciences, une organisation fondée par le Congrès sous la présidence d’Abraham Lincoln et dont la mission est de conseiller le gouver-nement fédéral.

Avec une fortune estimée à 12,5 milliards de dollars, Simons est aujourd’hui à la tête d’un empire ronronnant de passionnés de sciences. Il ne finance pas seulement des professeurs de mathématiques, mais aussi des centaines de

chercheurs dans le monde, alors que le gouver-nement réduit ses aides. Parmi ses sujets de pré-dilection figurent la génétique, les origines de la vie, les causes de l’autisme, les limites de l’infor-matique et des mathématiques, la physique et la structure de l’Univers à ses débuts.

Avec sa femme, Marilyn, présidente de la Simons Foundation et économiste réputée pour sa philanthropie, Simons a consacré plus de 1 milliard de dollars à des projets de très haut niveau ainsi qu’à des offres plus commerciales, comme le World Science Festival ou des conférences dans ses locaux de la 5e Avenue. A noter que ces locaux sont ouverts au public.

Une de ses grandes fiertés est encadrée sur un mur de son bureau : il s’agit des équations de Chern-Simons, fruit de son travail avec le célèbre géo-mètre Shiing-Shen Chern. Quarante ans plus tard, ces équa-tions structurent bon nombre d’as-pects les plus obscurs de la physique moderne,

notamment les théories sur les interactions des champs invisibles avec la matière, dont naissent toutes sortes de choses, des trous noirs à la théo-rie des supercordes.

En mocassins et pantalon brun, cet intellec-tuel touche-à-tout surprend par sa simplicité alors qu’il côtoie les plus grands scientifiques. Détendu, il parle sans se faire prier avec cet accent de Boston qui trahit ses origines géographiques.

A 14 ans, il travaille à l’inventaire d’un maga-sin pendant les vacances de Noël, mais sa dis-traction lui vaut rapidement d’être rétrogradé au balayage des sols. C’est avec incrédulité que son patron l’entend alors faire part de sa volonté d’étudier les mathématiques au Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Il y est toutefois admis après avoir reçu d’ex-cellentes notes au test d’entrée. Il obtient son diplôme en trois ans, puis son doctorat à l’uni-versité de Berkeley, en Californie, trois ans plus tard. C’est là qu’il fait la connaissance de Chern, prodige des mathématiques chinois.

Dans sa thèse de doctorat, Simons travaille sur les espaces courbes, un sujet exploité par Einstein dans sa théorie générale de la rela-tivité. De retour sur la côte Est, il enseigne les mathématiques au MIT, puis à Harvard. Il entre ensuite dans le monde ténébreux de l’espionnage. A Princeton, où il est officielle-ment employé par l’université, il travaille pour l’Institute for Defense Analyses, un sous-trai-tant de la NSA.

Ses travaux en cryptographie permettent à la NSA de casser plusieurs codes et d’identifier

de potentielles menaces militaires, mais c’est là que Simons échoue en tant que

programmeur.Au début des années 1980, il fonde [le

puissant fonds spéculatif] Renaissance Technologies [dont il est retraité depuis 2010]. Son approche mathématique de la finance bouleverse la perspec-tive des fonds d’investissements. Et l’homme “qui ne savait pas program-mer” embauche dans son entreprise de nombreux programmeurs, ainsi que des physiciens, des cryptographes, des spé-cialistes en linguistique et en informa-tique, et bien sûr des mathématiciens.

“Je n’étais pas le plus rapide, se sou-vient Simons. Je n’aurais pas réussi dans une Olympiade de mathématiques ou dans un concours. Mais j’aime bien réfléchir. Et réfléchir, penser aux choses, s’est révélé plutôt une bonne méthode.”

—William J. BroadPublié le 8 juillet

↓ James Harris Simons. Dessin de Mikel Casal, Espagne, pour Courrier international.

James Harris SimonsLe mathématicien philanthropeILS FONT L’ACTUALITÉ

Ce scientifique richissime, fondateur d’un important fonds d’investissement, consacre une partie de sa fortune à financer la recherche et à promouvoir les maths.

6.

Page 7: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

7 JOURS.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

LA PHOTO DE LA SEMAINE

Sur la routeL’ODYSSÉE VERS L’EUROPE (3/4). Refoulés à la frontière serbo-macédonienne, les réfugiés attendent dans les montagnes.

GIORGOS MOUTAFIS. Depuis sept ans, ce photographe grec documente les histoires des migrants en provenance du Sud vers “l’eldorado européen”. Des milliers de clandestins, venus d’Afghanistan, du Pakistan, du Maghreb, d’Afrique noire, tentent d’accéder à l’Europe de Schengen par la route des Balkans. Leur but : atteindre les centres d’accueil de Bosnie-Herzégovine ou du Monténégro en passant par la Serbie. Le nombre de réfugiés

transitant par l’ex-république yougoslave de Macédoine a augmenté avec l’intensification du conflit syrien. En 2013, 40 000 tentatives d’entrées clandestines dans l’UE ont été détectées dans l’ouest des Balkans, selon les données recueillies par Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’UE (rapport 2014 annuel d’analyse des risques) – soit 27 % de plus qu’en 2012.

L’auteur

↑ Lojane, Macédoine, le 28 octobre 2013. Chaque jour, plusieurs dizaines de migrants, comme ce jeune Afghan de 18 ans, tentent d’atteindre l’Europe par cette route. “En arrivant dans ce village à la frontière entre la Macédoine et la Serbie, j’ai croisé un groupe important de jeunes réfugiés qui se sont installés dans les montagnes. La plupart avaient essayé, en vain, de franchir la frontière pour entrer en Serbie et se faisaient ‘repousser’ par les autorités serbes. J’avais déjà croisé nombre d’entre eux lors d’un précédent voyage à la frontière gréco-macédonienne. Beaucoup avaient vécu des années en Grèce, mais la crise économique et le racisme les ont décidés à partir. Et ils se sont retrouvés coincés dans les Balkans.”

7

Page 8: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

—Golos Oukraïny Kiev

Le 17 juillet a été un jeudi noir, non seulement pour l’Ukraine, mais pour toute

la planète. Ce jour-là, au-dessus du territoire contrôlé par les ter-roristes, le Boeing 777-200 de la Malaysia Airlines, qui assurait le vol MH17 reliant Amsterdam à Kuala Lumpur, a été abattu. Deux cent quatre-vingt-dix-huit personnes se trouvaient à bord, des ressor-tissants de Malaisie, des Etats-Unis, des Pays-Bas, du Canada. Tous sont morts…

Selon un représentant du minis-tère de la Défense ukrainien, vers 16 h 20, heure locale, l’avion a dis-paru des écrans radar du centre de contrôle aérien régional de Dnipropetrovsk. A 16 h 45, la balise de détresse était repérée. Au même moment, l’appareil s’écrasait à trois kilomètres au sud du village de Hrabovo, dans la région de Donetsk.

Immédiatement après la catas-trophe, les terroristes confirmaient qu’un avion de ligne s’était bien écrasé. Sur sa page sur VKontakte, le réseau social russe, l’un des chefs des militants, Igor Guirkine, décla-rait : “Près de Torez, un An-26 a été abattu, il est tombé quelque part près de la mine Progress. On les avait aver-tis – ne volez pas dans ‘notre ciel’. Le ‘zinc’ s’est écrasé, aucune habi-tation civile n’a été affectée. Aucun blessé n’est à déplorer parmi la popu-lation civile.”

A ce moment-là, les terroristes étaient persuadés qu’ils venaient de détruire un avion de transport ukrainien Antonov An-26. “Dans leurs messages, ils disent avoir abattu l’appareil avec un missile sol-air Buk. Les militants se sont souvent vantés d’en détenir, et le 16 juillet nous avons constaté la présence de ce type d’arme dans la région où a été abattu le Boeing 777 malaisien”, analyse Dmitro Timtchouk, spé-cialiste et coordinateur du groupe Information Resistance, qui étudie

le développement de la situation militaire dans l’est du pays.

Il ne fait aucun doute que le tir a été effectué par des techniciens russes. Ils avaient pour mission de neutraliser le couloir aérien au-dessus des points de passage qu’empruntent les unités sépa-ratistes pour entrer en Ukraine depuis la Fédération de Russie. Or les militants locaux étaient inca-pables de s’acquitter de cette mis-sion. Le résultat a été désastreux. Au lieu de l’avion de transport des forces armées ukrainiennes qu’attendaient les séparatistes, c’est un avion de ligne qu’ils ont abattu. Sur le moment, les vidéos le prouvent, leur joie a été mani-feste quand ils ont cru avoir touché un An-26, nouvelle que les terro-ristes eux-mêmes se sont empres-sés de diffuser, et qui a été aussi allègrement et rapidement reprise par les médias russes.

Traces effacées. Le 18 juillet, sur Facebook, Anton Herachenko, conseiller auprès du ministre de l’Intérieur ukrainien, signa-lait que, à en croire les dernières informations dont il disposait, “le terroriste de niveau internatio-nal Strelkov, connu sous le nom de Guirkine, s’est rendu dans la soirée à Snijne [ville proche du site du crash] pour résoudre le problème du Boeing malaisien détruit et du système d’armes de type Buk qui a lancé le missile”. Toujours d’après Herachenko, il s’agissait de faire disparaître les traces risquant d’“incriminer Poutine et Strelkov”. “Selon des informations récentes transmises par nos services de ren-seignements, les boîtes noires récu-pérées par les terroristes sur place seront confiées à des agents du FSB au poste-frontière situé près de Louhansk.”

Par ailleurs, Arseny Avakov, ministre ukrainien de l’Inté-rieur, a déclaré que des unités spéciales du ministère avaient repéré, le 18 juillet à 4 h 50, un

L’explosion du Boeing de la Malaysia Airlines va-t-elle changer la donne dans la guerre qui secouait jusque-là le pays dans l’indifférence générale ? Pour la presse

occidentale, il n’y a qu’un responsable : le président russe, accusé de soutenir les séparatistes. A Moscou, on rejette la faute sur Kiev.

FOCUS

MH17 : l’Occident ouvre enfin les yeuxLe monde entier prend soudain conscience de la réalité du conflit dans l’est de l’Ukraine. Le drame du 17 Juillet aurait pu être évité, regrette le quotidien ukrainien Golos Oukraïny.

France. .......... 1Moyen-Orient . .... 1Afrique . ......... 2Asie ............. 2

d’uncontinentà l’autre.europe

Ukraine.Haro sur Poutine

↙ “Des indices ? — Pas encore.” Dessin de Peter Broelman, Australie.

8.

2402

Page 9: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

EUROPE.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

50 km

Mer d’Azov

RUSSIE

U K R A I N E

SOU

RCE

: CEN

TRE

D’A

NAL

YSE

ET D

’INFO

RMAT

ION

DU

CO

NSE

IL D

E SÉ

CU

RITÉ

NAT

ION

ALE

ET D

E D

ÉFEN

SE D

E L’

UKR

AIN

E

RÉGIONDE LOUHANSK

RÉGIONDE DONETSK

DonetskTorezTorez

Site du crashdu Boeing 777,

le 17 juillet 2014

Marioupol

Kramatorsk

Krasnodon

Slaviansk

Louhansk

Zone tenue par les rebelles prorusses...Déploiementdes prorusses

Offensivesukrainiennes

Positions frontalières à nouveausous contrôle ukrainien

Marine ukrainienne protégeant le port de Marioupol Sites des principaux affrontements entre prorusses et l’armée ukrainienne

... et territoires perdus par eux depuis le 18 juillet (hachuré blanc)

D é p l o i e m e n t d e s fo

r ce

s r

us

se

s

Situation dans l’est de l’Ukraine (au 21 juillet 2014) A défaut d’autre chose, la des-truction du MH17 aura au moins mis fi n au conte de fées préten-dant que “ce n’est pas une vraie guerre”, tant pour les Russes que pour l’Occident. Dans cette tragédie, cette non-guerre non conventionnelle a causé la mort de 298 personnes, des Européens pour beaucoup. Nous ne pouvons plus faire comme si cela n’exis-tait pas ou que cela ne concernait que les habitants de Donetsk. Et cela vaut aussi pour les Russes.

Cessez-le-feu. Sans ce récit de conte de fées, certaines choses vont devenir évidentes. Pour commencer, nous n’allons pas tarder à voir si l’Ouest en 2014 est aussi uni et décidé à mettre fi n au terrorisme qu’il l’était il y a vingt-six ans. Quand le gouver-nement libyen avait fait exploser le vol 103 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, en 1988, l’Occident avait fait cause com-mune et isolé le régime libyen. Sommes-nous capables d’en faire autant aujourd’hui ou sommes-nous trop nombreux à être tentés de ne voir là qu’un “accident tra-gique” et de rejeter les résultats de l’enquête, qui ne manque-ront pas de susciter la contro-verse, sous prétexte qu’ils seront “peu concluants” ? Il ne suffi t pas de déclarer, comme vient de le faire le président Obama, qu’il faut imposer un cessez-le-feu en Ukraine. Ce qu’il faut, c’est le retrait des mercenaires, des armes et du soutien russes. L’Ouest, et le monde entier, doit faire pression afi n que la souve-raineté de l’Etat ukrainien soit rétablie dans l’Est, au lieu de veil-ler une fois de plus à ce qu’un confl it soit perpétuellement gelé.

Et nous allons aussi décou-vrir quelque chose d’intéressant à propos du président russe. Pour l’heure, on ne voit aucune trace de stupeur ou de honte en Russie. Or, en réalité, cette tragédie off re à Vladimir Poutine l’occasion de se sortir de ce désordre désastreux dont il est l’auteur. Il tient là l’ex-cuse idéale pour dénoncer le mou-vement séparatiste et cesser de le soutenir. S’il refuse, alors nous sau-rons qu’il tient avant tout à ce que se poursuivent le chaos et le nihi-lisme qu’il a engendrés à Donetsk. Et nous pouvons être sûrs qu’il s’eff orcera de les exporter ailleurs. Si nous ne sommes pas prêts à y répondre, c’est ce qu’il fera.

—Anne ApplebaumPublié le 18 juillet

Dans cette situation ambi-guë et instable, les Russes, non sans cynisme, fournissent un f lot constant d’armes lourdes aux séparatistes : des mitrail-leuses, de l’artillerie, puis des chars, des véhicules blindés, et enfi n des missiles sol-air. Ces derniers jours, les forces sépa-ratistes se sont mises à utiliser ouvertement des missiles por-tatifs, et se sont vantées d’avoir abattu de gros avions de trans-port ukrainiens, manifestement avec l’aide de spécialistes russes. D’ailleurs, dans l’après-midi du 17 juillet, Strelkov aurait lui-même assuré sur Internet que ses hommes avaient descendu un nouvel appareil militaire, avant de s’apercevoir qu’il s’agissait en réalité du MH17. Son message a été supprimé. Fin juin, plusieurs médias russes ont également publié des clichés de missiles sol-air de type Buk, récupérés selon eux par les séparatistes – alors qu’il devait probablement s’agir de transferts directs depuis la Russie. Ces informations aussi ont depuis été supprimées.

C’est dans ce contexte qu’un missile sol-air a pris pour cible un avion de ligne : un environnement sans foi ni loi, où des combat-tants irréguliers ne sont peut-être pas les plus aptes à comprendre ce qui s’affi che sur leurs écrans

radar ; un mépris nihiliste pour la vie ainsi que pour les règles du droit international. A toutes fi ns utiles, précisons que dans l’est de l’Ukraine l’armée ukrainienne n’a pas déployé de missiles sol-air, puisque les séparatistes n’ont pas d’aviation.

Jusqu’à maintenant, ces méthodes inhabituelles ont bien fonctionné pour les Russes. Elles ont exaspéré et distrait les auto-rités ukrainiennes, tout en per-mettant aux gouvernements étrangers, et plus particulière-ment européens, de fermer les yeux. Car cette guerre n’en était pas une “vraie”, on pouvait y voir un confl it “local”, dont il était possible de “limiter” les dégâts. Un conflit qui pouvait ne pas être une priorité pour la poli-tique étrangère en Europe, ou ailleurs, en fait.

—The Washington Post Washington

Avant de revenir plus en détail sur le vol MH17 de la Malaysia Airlines,

il est essentiel de souligner clai-rement un point : cette catas-trophe est la conséquence de l’invasion russe dans l’est de l’Ukraine, une opération déli-bérément conçue pour semer le chaos sur les plans légal, poli-tique et militaire. Sans cela, un missile sol-air n’aurait pas été tiré sur un avion de ligne.

Depuis le début, le gouver-nement russe s’abstient de déployer des troupes régu-lières en Ukraine. Au lieu de cela, il envoie des mercenaires et des offi ciers de ses services de sécurité, comme Igor Strelkov – commandant en chef sur place à Donetsk et colonel des services de renseignements de l’armée russe qui a combattu lors des deux guerres en Tchétchénie – et Vladimir Antioufeev, “vice-Premier ministre” de Donetsk, qui, en janvier 1991, avait dirigé la tentative du KGB de renver-ser le gouvernement letton indépendantiste.

Hystérie. Avec l’aide de truands locaux, ces membres des services spéciaux russes ont assiégé des commissariats, des bâtiments administratifs et d’autres sym-boles de l’autorité politique pour saper la légitimité de l’Etat ukrai-nien. Ils ont bénéfi cié du soutien du gouvernement de Moscou et des médias contrôlés par l’Etat, qui ne cessent de dénigrer l’Ukraine et son gouvernement “nazi”. Depuis une quinzaine de jours, le traite-ment des événements en Ukraine dans les médias russes a franchi un nouveau seuil dans l’hystérie, avec la diff usion de fausses informa-tions sur la prétendue crucifi xion d’un enfant et un documentaire extraordinaire comparant les opé-rations de l’armée ukrainienne pour défendre son propre pays au génocide rwandais.

camion transportant un lance-missiles. “Le système d’armes tra-versait la ville de Krasnodon, en direction de la frontière avec la Russie. Sur la vidéo, on peut voir que deux missiles sont encore en place”, est-il affi rmé sur le site offi -ciel du ministère de l’Intérieur. “L’analyse de cette information, et d’autres, laisse à penser qu’il s’agit peut-être du système Buk impliqué dans la destruction de l’avion de ligne Amsterdam-Kuala Lumpur”, a ajouté le ministre.

Mais est-il possible d’enquêter en toute objectivité sur cette tra-gédie, quand le site de la catas-trophe est sous le contrôle des insurgés, et quand ils expliquent qu’ils vont transférer les boîtes noires à Moscou ? N’oublions pas que, dans le même temps, les terroristes ont annoncé qu’ils n’avaient pas l’intention de cesser le combat le temps que durera l’enquête sur la destruc-tion du Boeing. Le ministère des Situations d’urgence ukrainien avoue d’ailleurs que “le travail de recherche et d’analyse est compli-qué par la présence de séparatistes armés qui gênent le travail de nos équipes”. Autrement dit, les mili-tants, sur ordre de Moscou, font tout leur possible pour dissimu-ler les traces du crime.

Dmitro Timtchouk, d’Informa-tion Resistance, conclut : “Dans la

La fi n des contes de féesFace à la guerre, l’Occident ne peut plus échapper à ses responsabilités.

soirée du 18 juillet, il a été constaté que le système de missiles Buk qui avait probablement abattu l’avion de ligne était en cours de transfert vers la Russie. Peut-être s’y trouve-t-il déjà. Il ne reste plus qu’à ‘nettoyer’ le site du crash. Il faut savoir que les enregistreurs de bord ne pour-ront pas fournir toutes les informa-tions nécessaires. Pour comprendre comment l’avion a été détruit, il faut au moins pouvoir trouver les pièces qui ont été touchées. Mais si vous dissimulez l’arme du crime elle-même, le Buk, et les morceaux de l’avion concernés, l’enquête sera tuée dans l’œuf.”

—Olga VaoulinaPublié le 19 juillet

SOURCE

GOLOS OUKRAÏNYKiev, UkraineQuotidien, 170 000 ex.www.golos.com.uaLa “Voix de l’Ukraine”, lancée en 1991, est l’organe offi ciel de la Rada, le Parlement ukrainien. Egalement publié en russe, il se doit théoriquement de donner la parole à toutes les factions présentes à l’Assemblée. Depuis le début du confl it, il soutient ouvertement la politique du nouveau gouvernement.

“Nous ne pouvons plus faire comme si cela ne concernait que les habitants de Donetsk”

9

Page 10: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014EUROPE HARO SUR POUTINE.

A la uneÉMOTION ET COLÈRE“Une des catastrophes aériennes les plus graves de l’histoire néerlandaise”, titre le quotidien De Volkskrant au lendemain de la catastrophe. “Abattu en plein ciel”, écrit The Independent. Passé l’émotion, les tabloïds britanniques fustigent la Russie : “Le missile de Poutine” (The Sun), “Ça va lui coûter cher” (Daily Mail). Côté russe, les Izvestia accusent les contrôleurs aériens ukrainiens d’avoir détourné le vol de son cap et réclament une “commission d’enquête internationale”.

DE VOLKSKRANT DAILY MAILTHE INDEPENDENT THE SUN IZVESTIA

—The Daily Telegraph Londres

On ne devrait pas être sur-pris de voir Moscou rejeter catégoriquement l’accusa-

tion selon laquelle la Russie est responsable de la catastrophe de la Malaysia Airlines. Car la position par défaut du président Vladimir Poutine devant une vérité désagréable est de mentir effrontément. Souvenons-nous comment, alors même que les spetsnaz saccageaient la Crimée au début de l’année, Poutine a déclaré, pendant une conférence de presse, qu’il n’y avait pas de forces russes en Ukraine. Eh bien, aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation comparable, avec un président russe qui s’ef-force de rejeter la responsabilité du crash sur les autres.

Coutumier du fait. L’exemple le plus récent de la duplicité de Poutine remonte à la finale de la Coupe du monde au Brésil, avant laquelle il a eu un entre-tien privé avec la chancelière alle-mande, Angela Merkel, dans le but de tenter de la rassurer sur ses efforts pour parvenir à une

solution pacifique dans la crise ukrainienne. A d’autres, Vlad ! La réalité, plus effrayante, était que, juste au moment du coup d’envoi du match Allemagne-Argentine, une colonne de 150 blindés, com-prenant des chars et des lance-roquettes, faisait route vers Louhansk, à la frontière orien-tale de l’Ukraine, pour renforcer l’arsenal des rebelles prorusses en guerre contre le gouverne-ment ukrainien. Et il est très probable que le missile antiaé-rien qui a abattu le vol MH17 de la Malaysia Airlines se trouvait dans le lot.

Le dirigeant russe est cou-tumier du fait. C’est au cours de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Sotchi qu’il a ordonné l’invasion de la Crimée, provoquant un tollé internatio-nal. Et le voilà à présent qui cherche à rassurer Mme Merkel sur ses intentions pacifiques en Ukraine tout en donnant l’ordre

Comment réagir face à un menteur pathologique ?Vu du Royaume-Uni. En niant toute responsabilité russe dans la tragédie de la Malaysia Airlines, Vladimir Poutine fait encore une fois la preuve de sa remarquable duplicité.

– pratiquement au même moment – d’envahir son voisin méridio-nal. A la différence de Mme Merkel et de François Hollande, qui ont pris la tête des initiatives euro-péennes pour résoudre la crise ukrainienne, Washington avait décidé, avant même le terrible drame aérien, de ne plus tolé-rer d’actes d’agression de la Russie et avait unilatéralement imposé une nouvelle série de sanctions économiques envers elle. Ces mesures visaient délibé-rément certaines des plus grandes banques et entreprises du sec-teur énergétique du pays, dans l’espoir que le coût de l’implica-tion russe en Ukraine ramène le Kremlin à la raison.

La question des Mistral. Mais ces sanctions ne porteront leurs fruits que si Poutine comprend réellement l’effet dévastateur qu’elles peuvent avoir. Bon nombre d’oligarques russes, qui ont fait fortune en le soutenant, craignent naturellement pour leur avenir, mais Poutine ne semble pas trop inquiet. Comme me le confiait récemment un responsable occi-dental, “le président russe ne semble

pas comprendre sa propre économie”.Bien sûr, il pourrait y avoir une

autre explication à la décontrac-tion de Poutine face au nombre croissant de détracteurs aux-quels il se trouve confronté sur la scène internationale : sa convic-tion qu’il peut compter sur ses alliés européens. Alors qu’Obama a peu d’appréhension quant à l’impact que les nouvelles sanc-tions pourraient avoir sur Wall Street, de nombreux pays euro-péens redoutent d’irriter leur puissant voisin. L’Allemagne est fortement tributaire de la Russie pour ses ressources énergétiques

et la France, avec son écono-mie languissante, est prête à tout pour attirer des investisse-ments russes. D’ailleurs, Hollande aurait décidé d’honorer la vente à Moscou d’au moins un des deux porte-hélicoptères amphibies de type Mistral. L’annulation d’une commande de 1,2 milliard d’euros pourrait avoir des incidences financières désastreuses pour Paris, mais la vente de ces navires – dont l’un, avec un humour noir typiquement russe, a été baptisé Sevastopol [nom russe de la ville de Sébastopol] – mécontenterait Washington, dont des respon-sables maugréent déjà contre les “propos ambigus” de plusieurs diri-geants européens sur l’Ukraine.

Un désaccord diplomatique comme celui qui a opposé Washington et l’Europe à propos de l’Irak n’est certainement pas de mise, d’autant que Poutine, comme Saddam Hussein avant lui, ne serait que trop heureux d’exploiter toutes les divisions qui pourraient apparaître. En cette phase cruciale de la crise ukrai-nienne, l’Occident doit veiller à ne pas faire le jeu de Moscou.

—Con CoughlinPublié le 18 juillet

Klitchko“DES CASQUES BLEUS EN UKRAINE !” C’est l’appel que lance Vitali Klitchko, ex-champion du monde de boxe et nouveau maire de Kiev, dans les pages du tabloïd allemand Bild. Le crash du MH17 prouve que “les séparatistes sont vraiment cruels et barbares, écrit-il. Si personne ne fait rien, il y aura encore des centaines et des milliers de morts dans l’est de l’Ukraine. […] Il faut des casques bleus pour mettre fin à cette guerre et retrouver enfin un espoir de paix.”

Le président russe ne semble pas particulièrement inquiet

↙ Drame de l’avion malaisien. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

10.

Page 11: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

EUROPE.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

—Den Kiev

L ouhansk est dans le noir. Il n’y a plus d’éclairage,

plus de réseau, plus d’eau. Des efforts sont en cours pour tenter de rétablir ces services, mais il faut s’at-tendre à ce que les bandits, alors que sonne l’heure de leur repli, soient tentés de suivre les pré-ceptes de Goebbels, qui écrivait, alors que l’armée allemande quit-tait l’Ukraine, qu’il serait néces-saire d’empoisonner jusqu’au moindre puits.

La destruction a déjà commencé. Dans la ville, les propriétaires de café et de commerce qui refusent de payer tribut sont systématique-ment attaqués ; oui, Louhansk est en train d’être détruite. Lentement, mais aussi méthodiquement, et sciemment. De l’intérieur, à coups de mines, de missiles, d’obus. Louhansk est dépouillée, muse-lée, mise à genoux.

Louhansk, cité-prison, cité pri-sonnière. Tout d’abord de sa propre folie, puis des bandits, aux griffes desquels elle s’était si complaisam-ment abandonnée.

Le 17 juillet, nous avons tous subi un choc terrible. La région de Donetsk est soudain devenue célèbre dans le monde entier à cause d’un avion de ligne. Et cette fois ce sont des centaines d’inno-cents qui sont morts, dont beau-coup d’enfants. Les âmes de ces enfants sont le prix à payer pour que la communauté internationale comprenne enfin qu’elle doit s’oc-cuper de la situation. Oui, la com-munauté internationale, et pas seulement l’Ukraine, pas seule-ment le Donbass. Jusque-là, même à Kiev, il se trouvait encore des gens pour penser que le carnage dans le Donbass n’était le problème que de l’est du pays. Maintenant, il devient clair aux yeux de tous que la région est devenue la fosse sep-tique du terrorisme. Alors le monde

entier, lassé, commence à parler de la nécessité d’ouvrir des “pourpar-lers de paix avec les représentants des républiques populaires de Donetsk et Louhansk”. Qu’au moins tout cela vous le fasse comprendre, mes-sieurs les Européens : cette guerre est la vôtre, vous qui aimez tant le gaz, vous qui en dépendez tant.

A Louhansk se déroulent tous les jours de rudes batailles dans un environnement complexe, où notre armée se retrouve sou-vent sans aucun renfort, face à un ennemi qui l’attaque de toutes parts à l’aide de lance-roquettes multiples et de mortiers. Dans le sud et l’est de la région, on signale la présence d’un nombre considé-rable de “petits hommes verts” [surnom donné aux commandos armés sans insignes distinctifs, soupçonnés d’être des militaires russes, qui sont apparus d’abord en Crimée, puis dans le Donbass, où ils ont pris le contrôle des bâti-ments officiels].

De prétendues atrocités. Ces types-là sont ici pour apporter leur soutien opérationnel dans le domaine de la mort. Et c’est ce qu’ils font, allant jusqu’à abattre un avion civil, pour ensuite accu-ser Kiev. C’est Kiev le coupable, affirme le sinistre personnage à Moscou. Récemment, la pro-pagande a dépeint un tableau répugnant d’atrocités prétendu-ment commises par nos soldats contre des enfants à Slaviansk. Alors qu’en réalité ce sont les bandits prorusses qui ont tué 298 innocents, dont 80 enfants.

“Cette guerre est la vôtre, messieurs les Européens !”Vu de Kiev. Le crash du Boeing du vol MH17 n’est hélas que le dernier drame en date d’un conflit qui fait rage depuis des mois dans l’est du pays.

La veille encore, Poutine affir-mait que c’étaient les Etats-Unis qui étaient responsables du déclenchement de la guerre civile en Ukraine.

Le temps commence à manquer. Cela fait des mois que le monde entier s’abstient de réagir. Dans le Donbass, plus rien ou presque ne fonctionne. Les raffineries ont été incendiées, toutes les grandes entreprises stratégiques ont cessé

leurs activités, les infrastruc-tures sont endommagées, les centrales thermiques ne four-

nissent plus de courant. Cette région si fière de son importance industrielle va bientôt se trans-former en désert.

Terre brûlée. Le Donbass est aujourd’hui devenu une mala-

die infectieuse, qui fait que tous, bientôt, se détourneront de nous. L’habitant moyen de Berlin ou de Barcelone va-t-il se soucier de savoir qui a tort ou qui a raison dans notre conflit ? Non, il se dira simplement : ah, flûte, pas question que je prenne des risques. Quels investissements peut-on espérer à l’avenir quand nos avions dégrin-golent comme des oiseaux tués dans un ciel d’été ?

Notre terre brûlée, desséchée, nous sera abandonnée, et nous y vivrons comme dans une réserve indienne.

—Valentin TorbaPublié le 18 juillet

Bilan

UN CONFLIT DÉJÀ SANGLANTC’est au début d’avril 2014 que les combats éclatent dans le Donbass. Depuis, 30 000 soldats ukrainiens, avec des blindés, de l’artillerie et de l’aviation, repoussent peu à peu quelque 20 000 combattants prorusses, pourvus par la Russie en matériel lourd. Les affrontements auraient fait 300 morts côté ukrainien, environ 1 000 morts dans les rangs séparatistes, auxquels s’ajoutent au moins 550 civils tués et les 298 passagers du vol MH17. Quant aux réfugiés, ils seraient plus de 50 000 en Ukraine même et plus de 100 000 en Russie, selon des chiffres transmis par Moscou à l’UNHCR.

—Kommersant Moscou

M ême si l’enquête à pro-prement parler n’a pas encore commencé, les

deux camps du conflit ukrainien ont déjà tiré leurs conclusions concernant la tragédie de l’avion de la Malaysia Airlines. Le prési-dent ukrainien, Petro Porochenko, a qualifié l’événement d’acte ter-roriste et d’“agression extérieure à l’encontre de l’Ukraine”. Il a ensuite assuré qu’il ferait tout pour que les républiques populaires autopro-clamées de Donetsk et Louhansk soient reconnues comme des orga-nisations terroristes.

Machiavélique. Ces dernières, quant à elles, rejettent la faute sur leur adversaire. Ainsi, le vice-Premier ministre de la république populaire de Donetsk, Andreï Pourguine, explique : “Cette tra-gédie est le résultat d’un projet machia-vélique dont les auteurs pourraient être le pouvoir de Kiev, les généraux ukrainiens ‘va-t-en-guerre’ ou les dirigeants de la garde nationale et de Pravy Sektor. Le but de ce complot est évident, il s’agit de présenter à la com-munauté internationale les habitants

Les débris du Boeing retombent sur la RussieVu de Moscou. Le Kremlin est dénoncé par tous, alors que, pour les experts russes, ce sont peut-être les Ukrainiens les coupables.

du Donbass comme des criminels ne méritant aucune compassion.”

Le service de presse du Kremlin n’a pas souhaité commenter la déclaration du secrétaire d’Etat américain John Kerry [qui a accusé les séparatistes d’avoir tiré sur le MH17]. Le vice-président du Comité de la Douma pour les affaires étran-gères, Leonid Kalachnikov (Parti communiste), a estimé que la ver-sion rendue publique par Kerry était “celle des Ukrainiens” et que les Etats-Unis étaient trop pressés de “désigner un coupable”.

Sortie de crise. Angela Merkel a joint Vladimir Poutine au télé-phone le 20 juillet. Selon le ser-vice de presse du Kremlin, les deux chefs d’Etat se sont entendus sur “la nécessité pour toutes les par-ties du conflit ukrainien de créer les conditions nécessaires, en particu-lier de garantir la sécurité des techni-ciens”, pour “la mise en place d’une enquête internationale objective et indépendante”. Ils ont également réaffirmé “l’urgence de mettre un terme aux combats et de lancer un processus de négociation”.

L’expert militaire Alexandre Golts, rédacteur en chef adjoint de l’Ejednevny Journal, estime que “les conclusions des experts inter-nationaux qui désigneront les cou-pables dans la tragédie de l’avion de ligne malaisien pourraient inver-ser les rapports de forces dans la crise ukrainienne. Dans le cas où des preuves tangibles viendraient appuyer l’hypothèse américaine selon laquelle l’avion aurait été abattu par les séparatistes, la Russie serait contrainte de revivre la situation de septembre 1983 : l’URSS était deve-nue ‘l’empire du mal’ aux yeux de l’Occident après avoir abattu un Boeing sud-coréen. Dans ces cir-constances, la Russie aura du mal à convaincre la communauté inter-nationale de l’authenticité de sa ver-sion des faits.” Si à l’inverse, malgré les affirmations américaines, il s’avère que l’avion a été détruit par les forces antiaériennes ukrai-niennes, cela changera radicale-ment les relations entre Kiev et l’Occident, ajoute l’expert. “Dans l’hypothèse où cela arriverait, la sym-pathie qu’éprouvent les Occidentaux pour l’Ukraine depuis l’Euromaïdan serait réduite à néant, tandis que la Russie aurait enfin une chance de réaliser son scénario pour sortir l’Ukraine de la crise. Et l’Occident serait contraint de s’y plier.”

—Sergueï StrokanPublié le 21 juillet

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A lire également : “L’Allemagne est là pour nous”, entretien accordé au quotidien allemand Die Zeit par le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Pavlo Klimkine.

↘ Fabriqué en Ukraine. Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

11

Page 12: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

L’opération Barkhane élargit le déploiement militaire français au Sahel. Mais la prise en compte des logiques politiques et économiques de la région est essentielle pour sa réussite.

—Daily Maverick Johannesburg

La France a mis un terme à son opération militaire au Mali [le 14 juillet], pour-

tant cela ne veut pas dire que ses soldats quitteront bientôt le pays. En fait, l’opération Serval va être remplacée par une autre, bapti-sée Barkhane : plus vaste, plus énergique et plus audacieuse, elle incarne la nouvelle stratégie des Français pour débarrasser à jamais le Sahel du fléau de l’ex-trémisme islamiste. On ne peut que souhaiter bonne chance à

la France, en espérant qu’elle a conscience que les soldats et les drones ne pourront rien régler à eux seuls. Il y a une certaine poésie dans les noms choisis par l’armée française pour identi-fier ses opérations militaires. Les Américains ont tendance à incorporer leur propagande dans leurs noms de code (l’opération Enduring Freedom, ou “liberté immuable”, vous dit-elle quelque chose ?).La France est un peu plus subtile. Ces dernières années, il y a eu l’opération Serval au Mali, d’après le félin sauvage à la robe tachetée qui prospère dans les

Sahel. La réponse militaire ne suffira pas

france

hautes herbes des savanes de cer-taines parties de l’Afrique subsa-harienne, l’opération Sangaris, en référence aux délicats papillons aux ailes rouges que l’on trouve dans les forêts pluviales luxu-riantes de Centrafrique et, en Côte d’Ivoire, l’opération Licorne, animal poétique s’il en est, quel que soit le contexte.

La dernière aventure militaire de la France en Afrique ne fait pas exception à la règle. Habitants du Sahel, préparez-vous à l’arrivée de l’opération Barkhane, baptisée ainsi d’après le nom de dunes de sable en forme de croissant qui se déplacent au gré des vents puis-sants du désert. Elle aura pour mission peu enviable de com-battre les groupes djihadistes qui sévissent dans la région, des enne-mis qui ont trouvé refuge dans ces dunes au cœur des impitoyables déserts du nord et de l’ouest de l’Afrique et qui changeront cer-tainement aussi souvent de forme et de direction qu’elles.

Il s’agit d’une entreprise de taille, à tous points de vue. Elle mobilisera 3 000 soldats qui seront basés dans la capitale du Tchad, Ndjamena, mais seront déployés en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Ils seront sou-tenus par des hélicoptères et des avions de chasse et, plus inquié-tant, par des drones. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a décrit ce dispositif comme une offensive “contre-terroriste” destinée à empêcher les groupes djihadistes opérant dans la région de poursuivre leurs activités. “Le but, c’est d’empêcher que ce que j’appelle l’autoroute de tous les trafics ne devienne un lieu de passage permanent, de reconsti-tution des groupes djihadistes entre la Libye et l’océan Atlantique, ce qui entraînerait ensuite des conséquences graves pour notre sécurité, a expli-qué le ministre. C’est notre sécu-rité qui est en jeu”.

Trafics. Le Drian ne parle pas là seulement de l’extrémisme islamiste et du terrorisme. Il y a dans les déserts du Sahel et du Sahara, et dans leurs envi-rons, de vastes zones peu peu-plées qui échappent quasiment à tout contrôle et font d’excellents couloirs pour le trafic de drogue, d’êtres humains et d’armes [lire également le reportage en Libye p. 24]. Et lorsqu’un ministre fran-çais dit “notre sécurité”, il ne parle pas seulement de la sécurité de son pays. Du moins c’est ce que nous espérons (peut-être un peu naïvement). Divers groupes extrémistes, djihadistes et autres, ont eu un sérieux effet déstabili-sateur sur ce coin de la planète ces dernières années, plus parti-culièrement sur le Mali. En fait, l’opération Barkhane va rempla-cer l’opération Serval, le dis-positif d’intervention français

qui a empêché une coalition de groupes islamistes de s’emparer de Bamako, la capitale du Mali (une grande partie des soldats déployés au Mali pour l’opéra-tion Serval va rester sur place).

En d’autres termes, un peu de paix et de stabilité ne feraient pas de mal à la région. La question qui se pose est la suivante : une pré-sence militaire française accrue pourra-t-elle les lui apporter ?

“A mon avis, c’est une bonne nouvelle, opine John Stupart, rédacteur en chef du site African

↙ Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou.

Hollande réinstalle l’armée “française” d’Afrique●●● “La France part par la fenêtre et revient par la grande porte”, écrit Guinée Conakry Info. La formule résume à merveille le virage de la politique africaine française. Et la mini-tournée [du 17 au 19 juillet] (Côte d’Ivoire, Niger, Tchad) de François Hollande entérine ce changement radical. Le journaliste de rappeler que, “en 2008, le président Nicolas Sarkozy, professant la rupture avec ‘les relations patrimoniales entre la France et l’Afrique’, s’était engagé en faveur de la fermeture d’un certain nombre de bases françaises sur le continent. Mais, quelques mois plus tard, la même France a réalisé que, dans le contexte de la ruée effrénée vers l’Afrique, c’était certainement une erreur stratégique de se ‘désengager’. La première occasion de revenir par la grande porte a été offerte par la fameuse crise postélectorale ivoirienne. Depuis, les soldats y sont toujours.” Cette nouvelle armée “africaine” de la France, qui sera opérationnelle à partir du 1er août et dont la coordination sera assurée depuis le Tchad, est baptisée Barkhane.

La paix au Mali serait compromise si les Français n’en étaient pas les garants

12.

Page 13: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

FRANCE.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

N ° 1 1 0 - J u i l l e t - A o û t 2 0 1 4 - 5 €

DesignEntretien avecles CampanaToutes les tendances de Milan 2014

LifestyleDécoNos maisonsau bord de l’eauModeLe style gypsy

TripsUrban spiritPalerme l’antimoderneWeek-end artyÀ Venise pour laBiennale d’architecture

NOUVELLEMAQUETTENOUVELLEFORMULE

SPECIAL

ETE

PROBABLEMENTLE PLUS BEAU MAGAZINE DE DÉCO FRANCAIS

En vente en ce moment

Defence Review. Cette décision montre une compréhension plus objective des problèmes profonds dont souff re la région. Il n’y a pas seulement le Mali : les trafi cs de drogue, d’armes et d’êtres humains qui persistent dans toute la zone doivent aussi être éradiqués. Alors si l’opération Barkhane y parvient peu ou prou – car rien n’a été fait ou presque depuis 2011 et la chute de Khadafi  –, ce sera un progrès.”

Sentiment d’abandon. Pour mener cette mission à bien, la France devrait tirer une leçon ou deux de l’opération Serval. On lui reconnaît largement le mérite d’avoir empêché l’ef-fondrement complet de l’Etat malien et d’avoir porté un coup sérieux aux divers groupes isla-mistes qui opèrent dans le nord du Mali, mais les Français et le gouvernement malien nouvel-lement élu ont du mal à régler certains problèmes politiques, notamment les immenses inéga-lités de revenus et de développe-ment entre le nord et le sud du pays et le sentiment d’abandon politique éprouvé par certains groupes dans le Nord. Or ces pro-blèmes sont à l’origine de l’ins-tabilité et de l’attrait exercé par des groupes nationalistes rebelles, tels que le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), et des groupes islamistes, tels qu’Ansar Dine et Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Il y a une conscience claire que la paix fragile installée au Mali, régulièrement secouée par des explosions de violence entre le gouvernement et les rebelles du MNLA, pourrait être compro-mise si les Français n’en étaient pas les garants.

La leçon est simple : les drones et les balles ne résoudront pas à eux seuls le problème de l’isla-misme radical dans le Sahel et ne rendront pas la région moins attrayante pour les trafi quants. L’action militaire doit s’accompa-gner d’un eff ort réel pour déve-lopper les économies des pays concernés, agrandir l’espace poli-tique et instaurer des mécanismes permettant aux groupes margina-lisés d’exprimer leurs doléances et d’être entendus.

Personne n’a dit que ce sera facile. Mais chevaucher les vents du changement, qui ne cessent de prendre des formes diff érentes, ne l’est jamais.

—Simon AllisonPublié le 16 juillet

jusqu’à l’abandon, par manque de fonds. Elle est toutefois en train de refaire son apparition à Baltimore, une des villes de la côte Est les plus touchées par le phénomène de la délinquance juvénile, pour tenter de faire reculer les actes de vandalisme.

De l’autre côté de l’Atlantique, de nom-breuses villes françaises lui emboîtent le pas. Elles tentent de combattre la “culture de la rue” tant célébrée dans le rap français en entérinant le principe selon lequel la place des enfants et des pré-ados, la nuit, c’est à la maison. Sébastien Pietrasanta a été le premier maire socialiste à instaurer

le couvre-feu pour les moins de 18 ans, à Asnières-sur-Seine, aux portes de Paris, de concert avec son homologue communiste de la commune voisine de Gennevilliers. “Nous l’avons fait en 2011 dans un contexte particulier, un jeune avait été tué et il y avait eu des violences de rue. Je crois qu’il ne faut pas verser dans l’idéologie. On dit que le couvre-feu est une mesure de droite. Pourquoi ? C’est normal qu’un gosse traîne dans les rues après 10 heures du soir ? Je n’ai pas hésité à convoquer les parents pour leur dire deux mots.”

—Stefano Montefi oriPublié le 17 juillet

—Corriere della Sera Milan

Depuis le 16 juillet, les enfants âgés de moins de 13 ans surpris dans la rue à Suresnes (au nord-ouest

de Paris) entre 23 heures et 6 heures du matin doivent être interpellés, reconduits chez eux, où ils écopent d’une réprimande – et leurs parents d’une amende. Ainsi en a décidé le maire UMP de la ville, Christian Dupuy, après qu’une bande d’adolescents passionnés de pétards a fi ni par mettre le feu à une maison l’année dernière.

Avec l’été vient la saison des couvre-feux pour les petits Français. Le premier à l’avoir instauré cette année aura été le maire de Béziers, Robert Ménard, élu avec les voix du Front national. Quand il a pris son arrêté sur l’ordre public, Robert Ménard a été accusé de céder à un réfl exe autoritaire, d’inaugurer son mandat avec une mesure liberticide et répressive. “Balivernes que seuls peuvent croire quatre bobos parisiens”, a aussitôt réagi Ménard.

Le terme “bobo” revient presque quo-tidiennement dans la bouche des repré-sentants du Front national pour dénoncer l’hypocrisie et le conformisme politique-ment correct des élites parisiennes. Si la Ligue des droits de l’homme a dénoncé l’arrêté de Robert Ménard devant la jus-tice, des dizaines d’autres petites agglo-mérations – dirigées par des maires de droite, du centre ou même de gauche – ont adopté entre-temps des mesures du même ordre dans tout l’Hexagone. Maire adjoint centriste d’Orléans, Florent Montillot a instauré le couvre-feu pour les mineurs dès 2001.

Invention américaine. Le couvre-feu pour les enfants et les adolescents – la limite d’âge est variable, de 13 à 16 ans – fait partie de ces inventions américaines que les Français adorent détester mais qu’ils fi nissent par adopter, comme ils l’ont fait avec McDonald’s (dont la France est le deuxième marché mondial derrière les Etats-Unis). Etrennée voilà une ving-taine d’années, la politique du couvre-feu visant à réduire la délinquance juvénile est passée par plusieurs phases aux Etats-Unis, de l’enthousiasme initial à la désil-lusion, faute de résultats quantifi ables,

SOCIÉTÉ

Cette mesure que les Français adorent détesterL’instauration d’un couvre-feu pour les mineurs dans plusieurs municipalités a provoqué l’indignation. Qui fi nira évidemment par retomber.

↓ Dessin de Mix & Remix paru dans Le Matin Dimanche, Lausanne.

13

Page 14: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

D’UN CONTINENT À L’AUTRE

Gaza. Israël a déjà perdu

—The Daily Star (extraits) Beyrouth

Après chaque opération militaire israélienne qui coûte la vie à des cen-

taines de Palestiniens et détruit leurs infrastructures civiles, le Hamas, le Djihad islamique et autres groupes de résistance se regroupent, s’approvisionnent en matériel militaire, améliorent leurs compétences techniques et préparent leur prochain bras de fer avec Israël. C’est exac-tement le reflet de la politique israélienne à Gaza, dite “de la tondeuse à gazon”, c’est-à-dire qu’Israël doit intervenir réguliè-rement pour maintenir le statu quo, comme on doit tondre sa pelouse régulièrement, dès que l’herbe a repoussé.

La politique d’Israël qui consiste à utiliser la puissance militaire pour obtenir un calme permanent à la frontière sud est donc un échec. Car Israéliens et Palestiniens mènent une guerre sur trois fronts. Et le triomphe d’Israël à court terme semble pro-gressivement basculer à l’avan-tage des Palestiniens.

Les trois fronts sur lesquels évolue le conflit israélo-palesti-nien sont le front militaire, le front de la légitimité internationale et le front de l’identité nationale. Ces

soixante-cinq dernières années, Israël a réussi à tenir les deux pre-miers avec la création par la force de son Etat, puis en organisant sa défense et son élargissement tout en s’arrogeant un large sou-tien politique sur la scène inter-nationale. Désormais, ces deux fronts sont en train de reculer.

Le Hezbollah [milice libanaise proche de l’Iran] et le Hamas ont montré comment des groupes de résistance déterminés, ancrés dans un soutien nationaliste très fort, pouvaient peu à peu grigno-ter l’avantage technologique mili-taire dont Israël avait toujours bénéficié. Certes cette stratégie est insuffisante pour libérer l’en-semble de la Palestine ou mena-cer l’existence d’Israël, mais elle a réussi à modifier le rapport des forces et a permis sur le terrain de geler le statu quo.

Besoin de sécurité. Si Israël doit intervenir militairement à Gaza régulièrement sans pour autant réussir à faire revenir un calme permanent (comme l’Etat hébreu le faisait au Liban contre les groupes de résistance palesti-niens et libanais), cela veut dire que son ancienne supériorité mili-taire se résume désormais à cette stratégie de la tondeuse à gazon, une stratégie ou ni la pelouse ni la tondeuse ne l’emportent jamais.

Or cette stratégie n’est pas tenable (et encore moins justi-fiable d’un point de vue moral) à long terme pour Israël, qui a perdu du terrain sur les deux autres points. Sur le front internatio-nal, les brutalités répétées contre des Palestiniens (que ce soient les interventions militaires ou les arrestations massives de rou-tine, la colonisation, les assassi-nats, la proclamation de l’état de siège, la spoliation des réserves d’eau et autres punitions collec-tives) suscitent de plus en plus l’indignation de la communauté internationale, qui condamne la politique de colonisation tout en continuant à soutenir le besoin de sécurité de l’Etat hébreu au sein de ses frontières d’avant 1967.

Les sanctions explicites contre la politique de colonisation israé-lienne adoptées par l’Union euro-péenne et par de nombreux autres pays menacent de faire du pays une nouvelle Afrique du Sud : un Etat au ban de la communauté internationale.

Troisième front : l’identité natio-nale. C’est le front le plus complexe et le plus intangible, mais c’est sans doute celui qui a le plus d’impact à long terme. Il désigne le sentiment d’identité nationale des Israéliens et des Palestiniens, et leur volonté de continuer à se battre pour leurs droits et leur sécurité. Le problème

d’Israël, c’est que le pays n’a jamais vraiment compris à quel point l’in-tensité de la volonté individuelle et collective des Palestiniens de résister à cet exil permanent ou à l’oubli et de continuer à se battre pour la reconstitution nationale et la justice était tout aussi forte que la volonté des Juifs de faire face à l’antisémitisme occidental pen-dant des siècles pour finalement créer leur Etat sioniste en Palestine.

Les 750 000 réfugiés palesti-niens du conflit de 1947-1948, qui a vu la naissance de l’Etat d’Is-raël, sont aujourd’hui 4,5 millions en exil ou sous occupation israé-lienne et 4 autres millions dans le reste du monde. Et leur objec-tif est de se battre pour retrou-ver une vie normale, leur dignité et leur souveraineté nationale, et pour mettre fin à cette vulnérabi-lité permanente inhérente à leur statut de réfugiés.

Comme ce fut le cas pour la diaspora juive, les 8 millions de Palestiniens se réveillent chaque matin avec la conscience doulou-reuse de leur absence de droits et de leur vulnérabilité. Et ensuite ils reprennent le combat contre leurs ennemis sionistes en affir-mant la nature inviolable de leur identité palestinienne.

Les interventions militaires israéliennes comme celle en cours à Gaza font reculer Israël sur ces

trois fronts, parce qu’elles finissent par augmenter la résistance mili-taire palestinienne, accroître l’in-dignation internationale face à la sauvagerie militaire dispropor-tionnée d’Israël et, surtout, parce qu’elles participent à l’ancrage du nationalisme et de la volonté de justice chez les Palestiniens, et notamment chez les enfants de Gaza, dont le seul objectif en grandissant sera de vaincre le sio-nisme colonial.

—Rami G. KhouriPublié le 19 juillet

Les frappes militaires disproportionnées de Tsahal contre des civils ne font que renforcer la volonté des Palestiniens de défendre leurs droits, souligne ce journaliste palestinien.

Et le vent est en train de tourner, au détriment de l’Etat hébreu.FOCUS

moyen-orient

SOURCETHE DAILY STARBeyrouth, LibanQuotidien, 15 000 ex.www.dailystar.com.lb“L’Etoile quotidienne” est le premier quotidien anglophone du Liban. Fondé en 1952, il a dû interrompre sa parution durant la guerre civile. Il reparaît en novembre 1996. Indépendant et bien documenté, il devient rapidement un des titres incontournables de la presse libanaise. Disponible sur le web depuis 1997, la version électronique du Daily Star collectionne les récompenses.

14.

Page 15: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

MOYEN-ORIENT.

d’accumuler l’arsenal de missiles avec lequel il arrose Israël. Mais le nouveau président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, a déclaré une guerre totale aux Frères musulmans et interdit toute activité politique à la Confrérie et au Hamas. Des cen-taines de tunnels de contrebande ont été détruits entre la bande de Gaza et le Sinaï, pas tant pour satisfaire Israël que pour bloquer les infi ltrations d’armes et de ter-roristes entre la bande de Gaza et l’Egypte. Cette situation a mis fi n à l’approvisionnement militaire du Hamas et conduit à son asphyxie économique.

Privée de l’aide de l’Egypte et de l’Iran, l’administration du Hamas fonctionne désormais sans budget. Près de 40 000 fonctionnaires et membres des services de sécurité n’ont plus reçu de salaire

le régime de Moubarak, le trafi c d’armes entre le Sinaï et la bande de Gaza avait fi nalement attisé les tensions entre l’armée égyptienne et le gouvernement Morsi, avant de déboucher sur un coup d’Etat, en juillet 2013.

Ainsi, ce sont les huit mois écou-lés entre la tahdi’a décrétée par Morsi et le renversement de ce dernier qui ont permis au Hamas

—Yediot Aharonot (extraits) Tel-Aviv

L’opération Barrière protec-trice suscite beaucoup de frustration dans le monde

arabe, ce qui nous [les Israéliens] permet de voir en quoi le Moyen-Orient [arabe] reste profondé-ment divisé. Certes, la presse arabe insiste sur le nombre de “martyrs” de la bande de Gaza et condamne “le massacre israélien de civils palesti-niens”. Le monde arabe espère aussi que le coût du système Dôme de fer [le système de défense aérien mobile utilisé par l’Etat hébreu] provoquera une crise fi nancière en Israël. Mais de là à considérer que l’escalade en vaut la peine… Comme dans les crises en Syrie et en Irak, les réactions arabes se caracté-risent surtout par des échanges d’accusations. Certains éditoria-listes s’interrogent : “L’enlèvement et l’assassinat de trois colons adoles-cents étaient-ils nécessaires pour libé-rer les Territoires occupés ?” “Les tirs de roquettes à partir de Gaza ne four-nissent-ils pas à Israël un prétexte pour bombarder la bande de Gaza ?”

Si les Israéliens ont été surpris par l’ampleur de l’arsenal de mis-siles à longue portée et de roquettes dont disposait le Hamas, c’est égale-ment le cas de beaucoup d’observa-teurs arabes, convaincus jusque-là que le Hamas était défi nitivement isolé. Après tout, dans le contexte de la guerre civile syrienne, le Hamas n’avait-il pas rompu son alliance avec le régime baasiste [de Bachar El-Assad] et, par voie de conséquence, avec l’Iran ? Le renversement militaire égyptien de 2013 n’avait-il pas sonné la fi n du régime des Frères musulmans, auquel le Hamas est idéologique-ment et diplomatiquement lié ? Alors comment le Hamas a-t-il pu accumuler une telle quantité de missiles et augmenter leur portée ?

La tahdi’a (trêve) décrétée par le Hamas à la fi n de l’opération Pilier de défense, en novembre 2012, avait été parrainée par le président égyp-tien d’alors, Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans. Toléré par

Restaurer l’Autorité palestinienne à GazaIl ne faut pas épargner l’aile politique du Hamas, mais la remplacer, avec l’aide de l’Egypte, par le régime de Mahmoud Abbas, estime cet éditorialiste israélien.

ÉGYPTE

ISRAËL

SOU

RCE

: OC

HA

(WW

W.O

CH

AOPT

.ORG

)

8 km

Jabaliya

ChadjaiyaChadjaiya

BeitHanoun

DeirEl-

Balah

KhanYounès

Rafah

Rafah

Villede Gaza

Kerem Shalom

Soufra

KarniNahal Oz

Eretz

BANDE DE GAZA

Surveillancemaritime israélienne

Double zone tampon(650 m), où tout déplacement est réglementé par l’armée israélienne

Aéroport de Gaza,fermé depuis 2001

Zoneinterdite

Zoneinterdite

Limite de la zone de pêcheimposée par Israël

depuis 2009

M e rM é d i t e r r a n é e

3 milles(5,5 km)

Principaux checkpoints

Densité de population par quartier : Camps de réfugiés palestiniens

Au total,1,7 million

d’habitantssur 360 km2

6 708 hab./km2

4 4303 5432 7092 509

Environ 480 000 réfugiés vivent dans les 8 camps officiels depuis 1948-1949

Checkpoints secondaires

Un territoire surpeuplé et verrouillé

Témoignage

Que signifie un retour au “calme” ?Le témoignage de Robert Turner, le directeur du bureau de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens, à Gaza.Depuis mon bureau à Gaza, j’entends les frappes aériennes et les tirs de roquettes. Aujourd’hui tout le monde souhaite que les violences cessent, surtout pour les populations civiles de Gaza, les plus touchées par cette escalade. Mais quand je pense aux 17 000 personnes déplacées qui ont été accueillies dans nos écoles, et avec qui j’ai parlé hier, je me demande ce qu’elles souhaitent. Parce qu’elles ont déjà vécu tout cela. Pour la plupart d’entre eux, c’est même la troisième fois depuis 2009 ; et certains sont hébergés dans les mêmes salles de classe que la dernière fois. Si cet éventuel cessez-le-feu se termine de la même manière que les précédents, ce ne sera qu’un bref répit avant le retour de la violence. Que signifi e un retour au “calme” à Gaza ? Retour au blocus pour la huitième année. Retour au chômage et à des emplois non payés pour plus de la moitié de la population.

Retour au bouclage de Gaza sans aucun accès extérieur ni au commerce ni à l’emploi ou à l’éducation, c’est-à-dire aucun accès au reste du monde. Hier j’ai discuté avec un groupe de grands-mères qui se trouvaient parmi les réfugiés. Si l’une d’entre elles souhaitait étudier à l’université Birzeit, en Cisjordanie, ce serait impossible. Le gouvernement israélien n’a pas besoin de démontrer que cette grand-mère représente une menace pour la sécurité du pays, il a mis en place une interdiction totale pour les Gazaouis de venir étudier en Cisjordanie au nom de vagues raisons de sécurité. Et, pour ces mêmes raisons, la grande majorité de la population ne peut quitter cette portion de terre de 365 kilomètres carrés. Mais surtout les gens se demandent qui va gouverner Gaza. Et personne n’a la réponse à cette question. Pour les Gazaouis, un retour au calme est certes préférable aux violences actuelles, mais il ne peut pas durer. Il ne va pas durer.

—Robert Turner Amin (extraits) Ramallah

Publié le 16 juillet

→ 20

← A Chadjaiya, le 20 juillet, un blessé palestinien soutenu par un secouriste. Photo Finbarr O’Reilly/Reuters

15

Page 16: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014MOYEN-ORIENT FOCUS GAZA.

—Maariv Tel-Aviv

A lors que le gouverne-ment israélien n’était pas encore revenu sur

sa proposition de cessez-le-feu rejetée par le Hamas, le député Basel Ghattas pronon-çait à la tribune de la Knesset un discours “destiné à ce que les Israéliens connaissent les noms de chacun des civils tués dans la bande de Gaza”.

Jusqu’alors, la plupart des Israéliens n’avaient jamais entendu parler de Basel Ghattas, un député du Balad [Rassemblement national démocratique, parti nationa-liste arabe], le parti de Hanin Zoabi, mais la voix de Ghattas, tout extrémiste qu’elle est, n’est hélas pas une voix dans le désert.

Sa voix fait partie de ce chœur qui, depuis le début de

l’opération Barrière protectrice, nous interprète l’air familier du “nous sommes coupables”. Cet air, cela fait des décennies que le chœur d’extrême gauche nous le fait entendre, en sourdine la plupart du temps et à plein volume au début de chaque opération militaire.

Cette semaine, un de ces choristes a même ouvert une page Facebook qui met à jour quotidiennement le nombre de tués, leur nom et leur âge. Cette campagne moralisatrice et hypocrite a pour but d’impré-gner lentement la conscience de l’opinion publique et, plus dangereusement encore, la conscience de nos soldats.

Nous avons des chambres sécurisées, les Gazaouis n’en ont pas. Nous avons des blessés, eux ont des morts. C’est nous

qui sommes les plus forts, alors nous devons faire preuve d’empa-thie et surtout avoir honte. A côté de ce chœur, il existe heureuse-ment des personnalités publiques et des intellectuels sains d’esprit qui expliquent qu’ils ne veulent pas verser ce sang mais que c’est le Hamas qui porte la responsa-bilité des dévastations subies par la population de Gaza.

“Slikha she’nitzakhnou”, “Nous sommes désolés d’avoir gagné”, écrivait par boutade [le sati-riste] Ephraïm Kishon au lende-main de la guerre des Six-Jours [juin 1967]. Cette guerre-ci n’est pas encore gagnée que nous nous excusons déjà et que l’on nous somme de présenter nos excuses.

Je ne ressens aucune once de honte de disposer d’un abri anti-aérien sous mon immeuble de

sept étages, alors que les habitants de Gaza n’en ont pas. Je n’ai pas honte de bénéfi cier de

ce qui fait de mieux en matière de soins médicaux. Ni du fait que mes enfants sont élevés dans des conditions bien meilleures que celles de la bande de Gaza.

Nous, Israéliens, payons des impôts et élisons des gouver-nements qui se soucient de la sécurité personnelle de leurs concitoyens en leur off rant des abris et des chambres sécurisées contre les missiles. Les Gazaouis, eux, ont élu le Hamas.

Pas tous, c’est vrai. Tous les Gazaouis ne soutiennent pas le terrorisme. Ils n’ont pas tous

L’ennemi n’a ni nom ni histoireNous n’avons pas à nous excuser pour les torts infl igés à des extrémistes qui ne cessent de nous menacer, assure cette chroniqueuse israélienne dans un point de vue radical.

Vu d’Israël

depuis deux mois, suscitant des mouvements de protestation violents. A contrario, les fonction-naires de l’Autorité palestinienne [de Mahmoud Abbas], continuent, eux, de percevoir leur salaire, y compris ceux qui résident dans la bande de Gaza. En ce mois de ramadan, la crise économique n’a fait que s’aggraver. Le Qatar reste le seul pays disposé à transférer des fonds au Hamas, mais le sys-tème bancaire bloque le trans-fert de fonds à des organisations terroristes.

Acte de trahison. Les missiles de Gaza qui sont tombés aux alen-tours de Bethléem et Hébron n’ont peut-être pas été tirés acciden-tellement. En eff et, le président palestinien Mahmoud Abbas avait condamné l’enlèvement des trois adolescents israéliens tandis que les services de sécurité palestiniens ont coopéré avec l’armée israé-lienne, ce qui fut considéré par le Hamas comme un acte de trahi-son. En défi nitive, l’enlèvement et l’assassinat des adolescents ont abouti à la résiliation de l’accord de réconciliation palestinienne signé entre le Hamas et le Fatah en avril. Peut-être le Hamas espérait-il que cette opération [l’enlèvement], menée au cœur même de l’Auto-rité palestinienne, déclencherait une réaction en chaîne : une opéra-tion de Tsahal à grande échelle en Cisjordanie, des manifestations et de nombreuses victimes, et, enfi n, une troisième Intifada. Mais rien de tout cela ne s’est passé et il a opté pour un plan B.

Les tirs de missiles sur Israël visent à justifi er l’aide de l’Iran au Hamas et à empêcher le verse-ment de fonds à des organisations concurrentes, au premier rang des-quelles le Djihad islamique. Pour l’instant, le Hamas et le Djihad isla-mique coopèrent, mais ce dernier n’entend pas adhérer aux condi-tions fi xées par le Hamas pour un cessez-le-feu. De son côté, l’opinion publique israélienne en a assez du scénario répétitif de missiles tirés à partir du Sud et exige une solution à long terme : la démili-tarisation de la bande de Gaza en échange de l’arrêt des bombarde-ments israéliens. Pour y arriver, la réoccupation de Gaza par l’armée israélienne serait une option, mais elle risque d’être très coûteuse et sanglante.

L’autre option, plus durable et moins coûteuse pour Israël, devrait impliquer la mise à l’écart du Hamas des institutions de Gaza et,

via une implication égypto-saou-dienne, la restauration de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas sur ce territoire [dont elle est exclue depuis juin 2007]. Si elle n’est pas parfaite, cette option, bénéfi ciant en outre de garanties internatio-nales, serait en tout cas préfé-rable à une mise en danger des soldats de Tsahal qu’implique-rait un contrôle permanent sur une des zones les plus densément peuplées au monde.

Contrairement au Hamas, Abbas bénéfi cierait du soutien militaire égyptien et de l’aide économique de l’Arabie Saoudite et des pétro-monarchies. Le président palesti-nien serait en outre perçu comme celui qui a empêché Israël de recon-quérir Gaza et mis fi n aux bom-bardements israéliens.

Le monde arabe mène une guerre contre le terrorisme islamiste : Al-Sissi combat les Frères musul-mans tandis qu’en Libye, en Irak, au Yémen et en Syrie, les régimes aff rontent Al-Qaida et d’autres organisations du même accabit. Il est temps pour Abbas de rejoindre le mouvement.

—Yaron FriedmanPublié le 14 juillet

19 ←

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez notre dossier “Israël joue sa crédibilité” et l’actualité du confl it vue d’Europe (“Une guerre sans perspectives”), du Liban (“Humain, trop inhumain”).

UNE OFFENSIVE DES PLUS MEURTRIÈRES7  juillet — L’armée israélienne lance l’opération Barrière protectrice, en représaille aux tirs d’une centaine de roquettes de Gaza vers Israël. La plupart ont été interceptées par le système de défense Dôme de fer.17  juillet — Israël passe à l’off ensive terrestre après dix jours de raids aériens et l’échec de la médiation égyptienne en vue d’instaurer un cessez-le-feu, rejeté par le Hamas.22  juillet — On déplore la mort de 583 Palestiniens, en majorité des civils, dont plus de 140 dans la seule journée du 20 juillet, plus de 3 640 blessés et quelques 100 000 personnes déplacées. Côté israélien, 29 personnes, dont 27 militaires, sont mortes.

↓↘ Dessins de Castillejos, Mexique.

16.

Page 17: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

MOYEN-ORIENT.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

L’auteurSOFIA RON-MORIANée à Leningrad en 1967, Sofi a Ron-Moria a émigré en Israël en 1988 et habite la colonie de Kiryat Arba, près d’Hébron. Elle est chroniqueuse politique au quotidien de droite nationaliste religieux Makor Rishon, devenu propriétaire en 2012 de Maariv et qui gère son site Internet (nrg.co.il).

—The Palestine Chronicle (extraits) Washington

Chaque jour, le bilan ne cesse de s’alourdir à Gaza. La population, terrorisée, vit

dans la peur. Les images horribles de corps à moitié calcinés asso-ciées à l’incapacité d’échapper à ce châtiment brutal suscitent chez les populations la certitude d’une mort imminente. Et pour-tant le reste du monde continue de vaquer à ses occupations, à accep-ter que ces “bombardements” aient lieu régulièrement. Après tout, les Palestiniens ne sont que de minuscules créatures sous le pied d’un géant, rien que des ter-roristes à éradiquer.

Ceux qui sont tués ne sont jamais nommés. Ils ne sont que des chiffres qui figurent dans des communiqués où les mili-tants sont désignés par le reste du monde comme des assassins responsables de cette tuerie. Mais ces morts sont faits de chair et de sang, ils sont comme vous et moi. Ils avaient une vie, des rêves, ils riaient et pleuraient, grandissaient et aimaient, et laissent derrière eux des mères éplorées.

Et pourtant la folie destruc-trice de Nétanyahou poursuit ses ravages en toute impunité. Elle continue de frapper alors qu’il annexe la Palestine, impose un blocus à Gaza et un apartheid en Israël. Ainsi, le 7 juillet, pour punir un militant du Hamas, les Israéliens, sûrs de leur bon droit, ont décidé de mettre en œuvre cette punition collective cruelle et brutale. En 2009, 1 400 civils avaient été tués à Gaza par Israël, des milliers d’autres ont été estro-piés et blessés, des infrastructures et des bâtiments ont été dévas-tés sans aucune perspective de

reconstruction à cause du blocus. Ces destructions et ces morts auraient dû suffi re à apaiser les envies de vengeance pour toute une vie, et pourtant la vengeance n’a pas de fi n. Pour quel résul-tat ? Aucun. Sinon plus de haine et de division.

Le silence du reste du monde et les Etats-Unis qui soutiennent Israël en finançant cette opé-ration – 3,3 milliards de dollars [2,43 milliards d’euros] envoyés il y a à peine deux mois – ne m’ins-pirent que dégoût. Combien de temps encore les Etats-Unis vont-ils soutenir Israël ?

Tandis que les Israéliens prennent des selfies dans les abris, vont à la plage en bikini et mangent avec leur famille comme la plupart des gens normaux, les Palestiniens retirent leurs proches des décombres.

Les yeux du monde regardent sans ciller se multiplier les proces-sions de funérailles et les cohortes de réfugiés à Gaza. Quand il s’agit d’Israël et de la Palestine, la communauté interna-tionale parle beaucoup mais ne fait pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Les anciens opprimés sont désormais les oppresseurs. Le peuple israélien et son gouver-nement commettent des atrocités contre des gens sans défense qui sont privés, par les puissants de ce monde, des moyens de défense les plus élémentaires et se voient nier toute humanité ainsi que le droit d’exister.

Qui se lèvera pour imposer à Israël des sanctions et l’arrêt de toute aide matérielle, comme c’est le cas pour les autres pays qui violent le droit internatio-nal et les règles élémentaires de la morale ? Israël est un pays qui n’a que du mépris pour le droit

international. C’est un pays qui a envahi et violé les terres de ses voisins. Qui mobilise des tanks et des avions contre des civils désarmés. Un pays qui parque des gens dans des ghettos. Un pays qui, en attaquant les trans-ports civils dans les eaux inter-nationales, viole ouvertement les résolutions des Nations unies, sans

pour autant se voir reti-rer son adhésion. C’est un pays apparemment intouchable. Gaza n’est

plus une terre d’agriculteurs et de commerçants. C’est une terre d’existences dévastées, avec un taux de pauvreté supérieur à 70 %. Le siège de Gaza par Israël dure depuis plus de sept ans, malgré les condamnations internationales.

Le chagrin d’une mère palesti-nienne a-t-il moins de valeur que celui d’une autre mère ? Avec tout ce que les Juifs ont enduré dans leur histoire, pourquoi ne com-prennent-ils pas que ce sont eux les bourreaux aujourd’hui ? Ce sont eux qui infl igent les tour-ments sans apparemment mani-fester la moindre compassion pour leurs victimes.

Si je garde espoir, c’est que j’ai confi ance en ces autres Israéliens,

les plus sensés, et en ceux dans le monde entier qui cherchent à réveiller les consciences des puis-sants de ce monde. Eux seuls ont le pouvoir de changer la donne. Ils reconnaissent les souff rances des Palestiniens ordinaires, hommes, femmes et enfants, et ressentent toute l’absurdité de la situation. Ils savent que les droits et les liber-tés des Palestiniens passent par l’autodétermination. Parfois j’ai le sentiment que les lignes bougent et qu’un mouvement en faveur de la justice et de la reconnaissance des souff rances du peuple pales-tinien est en train de se lever. Et parfois, comme en ce moment, je désespère.

—Rana AbdullaPublié le 16 juillet

Si, les morts ont des nomsLes Palestiniens se voient nier toute humanité et ne sont considérés que comme des terroristes à éradiquer, s’indigne cette militante palestinienne.

L’auteurRANA ADBULLANée au Koweït de parents palestiniens originaires du village de Balaa, au nord de Tulkarem, en Cisjordanie, Rana Abdulla vit au Canada depuis les années 1980 et y travaille comme enseignante. C’est une fervente et inlassable militante pour les droits des réfugiés.

Vu de Palestine

célébré par des feux d’artifi ce l’enlèvement des trois garçons israéliens et l’annonce de leur assassinat. Pourtant, ils sont notre ennemi.

Durant la Seconde Guerre mondiale, tous les Allemands n’étaient pas nazis. Tous ne por-taient pas l’uniforme noir de la SS. Tous ne se réjouissaient pas de l’extermination des Juifs. Il semble même que tous ne parta-geaient pas le rêve des fondateurs du IIIe Reich de conquérir l’Eu-rope et le monde. Mais, quand Hitler a déclenché la guerre, même les citoyens allemands qui avaient préféré rester chez eux ont dû en payer le prix.

Je ne connais pas, et ne veux pas connaître, les noms de ceux qui, chez l’ennemi, ont été tués à la suite d’une opération militaire israélienne alors que mon pays est en guerre. Si on avait exigé des Britanniques, des Américains ou des Russes qu’ils connaissent et récitent les noms des civils allemands ou japonais tués dans les bombardements alliés, Hitler aurait été le grand vainqueur.

L’exigence eff rayante de n’éta-blir aucune distinction entre les victimes de notre peuple et celles de l’ennemi et de les pleu-rer toutes de la même manière ne peut que saper l’instinct de survie de notre nation combat-tante et l’ardeur au combat de nos soldats.

Tant que tonneront les canons, notre ennemi n’aura pas de nom et ses morts n’auront pas d’histoire individuelle. Nous ne sommes pas l’ONU et nous ne vivons pas en Suisse. Un pays pilonné n’a que faire de la sécurité et du calme des villes ennemies.

—Sofi a Ron-MoriaPublié le 16 juillet

17

Page 18: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

MOYEN-ORIENT

—The Economist (extraits) Londres

La situation au Moyen-Orient a rarement été plus confuse. Les nouveaux médias et les nouvelles libertés engendrent un

fl ux de plus en plus important d’informations et un plus large éventail d’opinions, même si les unes et les autres passent par les fi ltres plus changeants que jamais de l’hypocrisie, des pré-jugés, de la désinformation délibérée et de la propagande. Quel soulagement ce serait pour les peuples de la région s’il y avait une explica-tion générale à cette grande et urgente ques-tion : pourquoi un tel chaos ?

Beaucoup pensent que cette explication existe. Elle consiste à dire que les puissances occidentales, menées par les Etats-Unis, sont en train de réaliser leur vieil objectif de diviser et d’aff aiblir le monde arabo-musulman.

Selon cette théorie, la première phase de ce plan s’est déroulée en Irak, où les Américains ont atteint un double objectif : détruire une armée arabe puissante et déclencher une guerre civile, créant entre sunnites et chiites un confl it qui s’est élargi à toute la région. L’intervention occidentale a également divisé le Soudan, en donnant le jour, dans le Sud, à un Etat hostile au Nord arabe et musulman.

L’Egypte pour cible. La deuxième phase a été le fi nancement par les Occidentaux de mouvements révolutionnaires formés par des activistes en ligne, des ONG et des agitateurs militant pour les droits de l’homme dont les manœuvres ont contribué à étendre le “printemps arabe”. Au fur et à mesure que des régimes arabes étaient renversés, les puissances occidentales intervenaient pour amplifi er les désordres.

Le but ultime de cette manœuvre, selon les théoriciens du complot, est l’Egypte elle-même, l’Etat le plus peuplé, le plus stratégique et le plus infl uent sur le plan culturel du monde arabe. Après avoir fait chuter

le régime de Moubarak lors de la révolution de 2011, des agents occidentaux ont fomenté des troubles entre les musulmans et les chrétiens. Les Etats-Unis ont secrètement conclu une alliance avec les Frères musulmans dans l’espoir que, une fois au pouvoir, ces derniers soumettent l’armée égyptienne. De fait, l’idée des Américains était d’utiliser les Frères musulmans comme un fer de lance pour fragiliser les gouvernements de la région et y limiter le progrès intellectuel, scientifi que et économique.

Parmi les nombreux adeptes de cette vaste théorie du complot, les opinions varient, en particulier sur les motivations occidentales. Pour certains, elles se limitent manifestement à Israël. Mais pour d’autres, les Etats-Unis sont le principal conspirateur et leur objectif est de contrôler le monde. Cette théorie peut sembler ridiculement simple aux Occidentaux. Mais c’est par sa simplicité qu’elle séduit ceux qui vivent au milieu de ces terribles bouleversements politiques. Cette théorie des complots du Moyen-Orient m’a été racontée, dans ses grandes lignes ou en détail, par un large éventail d’Egyptiens, du chauff eur de taxi aux consultants fi nanciers grassement payés, des étudiants aux cadres touristiques et aux fonctionnaires.

—M. R.Publié le 12 novembre 2013

—Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

Aujourd’hui, la question qui préoccupe tous les Egyptiens n’est pas l’eff ondre-ment de l’économie, les atteintes massives

aux droits de l’homme, l’échec de la révolution, la recherche d’une stabilité et d’une sécurité dif-fi ciles à atteindre, mais celle de savoir si la mère du maréchal Abdelfattah Al-Sissi est juive.“Etrangement, les médias n’ont pas rencontré la mère de Sissi ni ses oncles maternels, mais seulement des

parents du côté paternel”, observe Saber Mashhour, auteur d’une vidéo consacrée à la question,

qui suggère la possibilité d’un complot du silence pour dissimuler les origines du

nouveau président de la République.La principale “preuve” est une coïn-cidence de lieu : Abdelfattah Al-Sissi est né et a grandi à El-Gamaliya, dans une ruelle située à l’extrémité du quartier juif de la vieille ville du Caire. “Le quartier juif n’était peuplé que de Juifs”, affi rme le narrateur, ce

qui est faux puisque El-Gamaliya a toujours été un quartier mixte, même

si les Juifs étaient majoritaires. “Sissi a été élevé parmi les Juifs, il a été élevé par des Juifs”,

souligne-t-il pour le cas où certains n’auraient pas compris où il voulait en venir.

ÉGYPTE

LE CHAOS VIENT DE L’OCCIDENT Par sa simplicité, la théorie du complot séduit les Arabes qui vivent au milieu des terribles bouleversements actuels.

“Au secours, Sissi est juif”Pour discréditer le président égyptien, qui a mené le coup d’Etat contre son prédécesseur islamiste, les Frères musulmans propagent la rumeur de sa judaïté.

↑ Le Caire, janvier 2013. Aff rontements entre manifestants et forces de sécurité. Photo Magali Corouge/Documentography

3/4

THÉORIES

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A lire également : l’article de The New Republic “Alaa Al-Aswany voit le sionisme partout”.

DUCOMPLOT

→ Dessin d’Aguilar paru dans La Vanguardia, Barcelone.

LA PRINCIPALE PREUVE EST

UNE COÏNCIDENCE DE LIEU

18.

Page 19: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

MOYEN-ORIENT.

a déjoué les plans juifs pour “contrôler l’Egypte”. Si ces idées saugrenues venaient de quelques citoyens lambda, elles seraient moins inquiétantes. Mais il semble que Mashhour travaille pour Al-Jazeera Mubasher Misr, la branche égyptienne interdite de la célèbre chaîne qatarie. En réalité, avec tous les griefs que les partisans de Morsi ont contre Sissi depuis qu’il a déclaré la guerre au terrorisme – qui est avant tout une purge sanglante contre les Frères musulmans –, pourquoi se focaliser sur ce genre de fi ction extravagante alors qu’il ne manque pas de faits accablants ?

C’est en partie parce que l’opinion publique n’a pas encore pris ses distances avec le maréchal en dépit des dispersions meurtrières des rassemble-ments pro-Morsi, de la mise hors la loi des Frères musulmans et des innombrables peines de mort prononcées contre leurs membres. La propaga-tion de la rumeur selon laquelle il serait juif et collaborerait avec les renseignements israéliens est peut-être une tentative ultime et désespérée pour le discréditer. De fait, en Egypte, on invoque régulièrement de prétendues allégeances à Israël – et surtout aux Etats-Unis – pour calomnier des opposants politiques.

Mais la diff usion de cette rumeur traduit aussi un mal plus profond. Depuis leur fondation, en 1928, les Frères musulmans ont presque toujours été un mouvement clandestin, plus ou moins per-sécuté par les dirigeants égyptiens depuis le roi Farouk, qui les a interdits en 1948 à la suite d’une série d’attentats à la bombe et de tentatives d’as-sassinat. Ce traitement a créé chez eux un senti-ment paranoïaque et une mentalité de victime.

Fondés en réaction au traumatisme causé chez les musulmans conservateurs par l’abolition du califat ottoman en 1924, les Frères musulmans ont ten-dance à voir les événements comme une confron-tation civilisationnelle entre un islam chancelant et une chrétienté renaissante et hégémonique.

Dans ce choc des titans, les Frères musulmans considèrent que les Juifs appartiennent au camp chrétien, même s’il s’agit d’une contre-vérité his-torique. “Le sionisme est perçu comme un élément du complot occidental contre les sociétés musulmanes, ce qui signifi e qu’Israël a une dimension contem-poraine qui n’est pas entièrement liée à sa judaïté”, observe Ofi r Winter, un universitaire israélien spécialiste de l’islamisme.

Même si Israël n’est considéré que comme le fantassin d’une nouvelle croisade, la vision que les Frères musulmans et les islamistes ont des Juifs n’est pas seulement sectaire mais aussi anti-sémite, poursuit Winter. “La perception des Juifs comme des ennemis éternels de l’islam, indépendam-ment du temps et du lieu, et des individus ayant des traits de caractère intrinsèquement – si ce n’est géné-tiquement – négatifs comme l’avarice, la méchan-ceté, la manipulation, etc., est très commune dans les écrits d’éminents islamistes”, observe l’universitaire.

—Khaled DiabPublié le 8 mai

Quel eff et ces années déterminantes passées dans ce quartier ont-elles eu sur le maréchal Sissi ? La vidéo explique que les Juifs, doués d’un for-midable esprit d’entreprise et voyant qu’il y avait là un créneau à saisir, ont importé “le sexe et la danse” en Egypte, alors qu’en réalité les Egyptiens ondulent des hanches depuis Hérodote.

Plus étrange encore, la vidéo prétend que le pré-sident égyptien le plus détesté en Israël, Gamal Abdel Nasser [1954-1970] – qui a lui aussi passé une partie de sa jeunesse à proximité du quar-tier juif du Caire –, était un ami d’enfance d’une grande figure de l’armée israélienne, Moshe Dayan. Et ces improbables copains auraient ourdi un improbable complot pour infl iger une raclée à l’Egypte en 1967 [la guerre des Six-Jours]. Peu importe que Dayan soit né et ait grandi dans ce qui était alors le nord de la Palestine et ne soit jamais entré en Egypte du vivant de Nasser, si ce n’est en conquérant !

Activité secondaire. Alors y a-t-il des gens qui croient à ce contresens historique criant ? A en juger par les 200 000 consultations de cette vidéo enregistrées en seulement deux semaines, il y en a manifestement un certain nombre – même s’il est limité compte tenu des 85 millions d’ha-bitants qu’abrite l’Egypte. La vidéo est particu-lièrement appréciée par les partisans islamistes de Mohamed Morsi, le président déchu, et par les Frères musulmans, qui l’ont diff usée sur leur site offi ciel et d’autres réseaux sociaux.

Mashhour, l’homme qui est derrière ce docu-mentaire, semble avoir les mêmes sympathies et il a développé une véritable activité secondaire en propageant des théories faisant état d’un complot contre Morsi et les Frères musulmans. Il n’est pas loin d’exprimer clairement ses allégeances quand il déclare, dans la vidéo, que les Juifs égyptiens n’ont jamais aimé l’Egypte – une thèse contraire à toutes les données historiques – et qu’ils détestent les Frères musulmans non pas parce qu’ils sont fanatiques, mais parce que le mouvement islamiste

Une pluie de conspirations●●● L’actuelle guerre en Irak, avec toutes ses absurdités, ne pouvait pas échapper aux tenants de la théorie du complot. Et c’est pourtant le site de l’opposition saoudienne Mirat Al-Jazira qui avance la thèse la plus hallucinante : la brusque invasion du territoire irakien par les combattants

de l’EIIL aurait été préparée par le régime saoudien en coordination avec le Mossad israélien et le soutien logistique d’offi ciers français.Au Moyen-Orient, plus la situation

se dégrade, plus on impute les échecs à un complot. Téhéran et Le Caire rivalisent d’inventivité en la matière. C’est ainsi que la chaîne de télévision iranienne Irinn a diff usé un court-métrage prouvant que le best-seller Harry

Potter “sert à diff user l’essence maléfi que du sionisme”. Lors des Jeux olympiques de Londres de 2012, l’agence iranienne Press TV a décelé dans le graphisme du logo des jeux le mot “Zion” (Sion), accusant les Juifs d’avoir mis la main sur les Jeux olympiques (voir ci-dessous). Quant à la télé égyptienne, elle a récemment affi rmé qu’en regardant attentivement un des épisodes des Simpson de 2001, on comprend que la guerre en Syrie et les “printemps arabes” sont le fruit d’une conspiration américaine. Une théorie reprise par le cheikh Al-Tayyib, recteur de la mosquée égyptienne Al-Azhar, qui, dans une interview à la chaîne Al-Hayat TV, a affi rmé que les “printemps arabes” étaient un complot occidental pour diviser les pays arabes. Depuis la destitution, en juillet 2013, du président islamiste Mohamed Morsi, les théories du complot juif connaissent un essor sans précédent. Les membres de chaque camp – les partisans de Sissi et ceux des Frères musulmans – s’accusent mutuellement d’être juifs et de mettre en œuvre les Protocoles des sages de Sion.

↑ Les Simpson, visionnaires ou complices ? Pour la télé égyptienne, la preuve que les Américainsont manipulé les révolutions arabes.Photo DR

EN 2001, UN ÉPISODE DES “S

IMPSON”

ANNONÇAIT LES “PRINTEMPS AR

ABES”

La semaine prochaine 4/4 :

L’homme qui a dupé les astrophysiciens

19

Page 20: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

Le Caire

MarsaMatrouh

Oasis de Siwa

Oasisd’Al-Farafra

Tobrouk

Les routes du trafic

Benghazi

Nil

SOUDAN

ÉGYPTE

LIBYE

500 km

Mer Méditerranée

Cyrénaïque Sinaï

D é s e r t d e L i b y e

CO

URR

IER

INTE

RNAT

ION

AL

Libye. Pour les trafiquants, les affaires prospèrentBédouins et Berbères sont les maîtres du désert qui s’étend entre la Libye et l’Egypte. Une aubaine pour établir un commerce illégal en toute impunité.

—The Daily Beast (extraits) New York

Des armes à feu, de la drogue, d’autres marchandises illicites et de l’ar-gent sont régulièrement acheminés

depuis la Libye vers les pays du Moyen-Orient, notamment à travers la frontière poreuse avec l’Egypte. Il y a longtemps que des groupes de Bédouins et de Berbères, qui dominent le secteur de la contrebande, tra-versent cette région frontalière chaotique dans une relative impunité. Mais le chan-gement qui s’est opéré dans la nature des marchandises, l’augmentation des sommes impliquées et le désordre postrévolution-naire qui règne dans toute l’Afrique du Nord ont fait monter les enjeux et offert une belle opportunité aux contrebandiers de Siwa, une oasis égyptienne digne de figurer sur une carte postale et située à 40 kilomètres de la frontière libyenne [Siwa abrite la seule population berbère d’Egypte].

“Les affaires vont bien, l’argent rentre, la vie est belle”, glousse Ali, un jeune membre du clan bédouin Ain Shafi. Il s’empê-chait autrefois de faire la contrebande de pièces de voitures de luxe et de cigarettes chinoises bon marché – des cigarettes sou-vent vendues comme des Marlboro, mais qui contiennent plus de goudron et qui ont un plus petit filtre – par crainte des auto-rités. Or celles-ci ont pratiquement dis-paru de la région en 2011 et avec elles les inhibitions d’Ali et de sa famille.

Le jeune homme cache difficilement sa joie lorsqu’il évoque ce changement de circonstances. L’accroissement de son revenu lui permettra de s’acheter un 4×4 – un véhicule très prisé – beaucoup plus rapidement qu’il ne le croyait. “Ceux qui ne possèdent pas de Land Cruiser sont des perdants”, affirme Ali sur un ton amusé. Au Caire, les autorités ne partagent évi-demment pas sa satisfaction. En effet, l’in-surrection islamiste dans la péninsule du Sinaï est en partie alimentée par l’afflux d’armes en provenance de la Libye, alors que le gouvernement central libyen, affai-bli, ne peut participer comme avant aux opérations transfrontalières.

Bandes rivales. L’armée égyptienne demeure toutefois un adversaire redoutable. Si l’on en croit le frère d’Ali, qui dit s’appe-ler Rustum, les soldats égyptiens auraient réussi à bloquer certaines filières de contre-bande. “On ne passe plus par la mer main-tenant. Il y a trop de bateaux”, déclare-t-il. Les contrebandiers transitaient souvent en effet par la Méditerranée pour ache-miner des marchandises de l’autre côté de la frontière depuis la ville portuaire de Tobrouk, dans l’est de la Libye.

D’ailleurs, le gouvernement intérimaire et les responsables de l’armée égyptiens insistent sur l’importance des efforts mis en œuvre pour résoudre le problème. “Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur

sept. Tous les jours, nous arrêtons [des contre-bandiers] et saisissons de grandes quantités de drogue”, affirme un membre haut placé du ministère de la Défense. Plus tôt cette année, des hélicoptères Apache de l’ar-mée égyptienne ont ouvert le feu sur des convois circulant dans les dunes monta-gneuses situées près de la frontière et qui refusaient de s’arrêter. Quelques personnes ont été tuées et un certain nombre de trafi-quants ont été suffisamment effrayés pour abandonner leur travail et opter pour un métier moins dangereux. Mais, depuis, les hélicoptères sont restés au sol et les résidents de Siwa ne peuvent qu’émettre des hypo-thèses quant aux raisons de cette inaction.

“Peut-être en ont-ils marre de se battre. Cela représente beaucoup d’argent pour l’armée”, suggère Abdalla Yosef, propriétaire d’une boutique d’artisanat située tout près de la magnifique forteresse de Siwa – un monu-ment millénaire en briques d’adobe – et à moins de 2 kilomètres de la base aérienne où sont stationnés plusieurs hélicoptères lourdement armés.

L’armée continue d’imaginer de nou-veaux obstacles, mais les trafiquants de Siwa trouvent toujours des solutions pour les éviter. Ainsi, les bandes rivales se regroupent souvent pour répartir les marchandises dans leurs cachettes respectives lors de la réception d’une cargaison importante d’armes. Et, lorsqu’un convoi militaire quitte la base pour aller patrouiller dans le désert, un complice stationné à proxi-mité avertit ses collègues d’une menace potentielle. “S’ils sont en 4×4, il est pratique-ment certain qu’ils se dirigent vers le désert”, explique Abdalla. L’an dernier, lorsque les soldats ont commencé à fouiller les maisons des résidents connus pour leurs activités de contrebande, des complices ont simple-ment déplacé les marchandises pour les cacher dans les cabanes que l’on trouve un peu partout dans les énormes plantations d’oliviers et de palmiers-dattiers de l’oasis.

Il est presque comique de constater la facilité avec laquelle les contrebandiers évitent les postes de contrôle, c’est-à-dire les quatre barrières installées sur la route reliant Siwa et Marsa Matrouh [ville côtière,

afrique↙ Dessin de Raymond Verdaguer, Etats-Unis.

20.

Page 21: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

à 300 kilomètres au nord-est de Siwa]. “Les trafi quants pénètrent dans le désert quelque 10 kilomètres avant le poste de contrôle et rejoignent la route un peu plus loin”, raconte Abdalla en riant. Et des véhicules sont parfois envoyés en mission de reconnais-sance pour prévenir les contrebandiers de la présence de barrages surprises. Pour les Ain Shafi , c’est un moyen effi cace d’ache-miner leurs marchandises vers Matrouh, où ils les remettent à d’autres organisa-tions (les deux frères insistent sur le fait qu’ils ne connaissent jamais la destination fi nale des marchandises).

Piètres résultats. L’armée n’a pourtant pas lésiné sur les moyens humains pour atteindre ses objectifs : on retrouve pas moins de neuf installations militaires dans la ville et aux alentours. Or, pour certains Bédouins de Siwa, les raisons des piètres résultats des mesures répressives mises en œuvre par le gouvernement central sont évidentes. “Notre société, c’est nous et les Bédouins. Les Egyptiens sont arrivés dans nos vies il y a vingt ans seulement. Nous ne les connaissons pas”, dit Ismail Snosy Gagy, qui travaille pour les Nations unies au Caire. Les Bédouins et les Berbères, habitués à vivre dans le désert, seraient bien placés pour aider l’armée à surveiller les frontières. “Nous connaissons cette région mieux que qui-conque”, précise Rustum pour expliquer la facilité avec laquelle il se déplace dans cet

environnement inhospitalier. Les autori-tés semblent une fois encore se tirer une balle dans le pied en refusant d’exploiter les forces des habitants de l’oasis. “Ils ne nous font pas confi ance parce que nous vivons près de la frontière”, dit Snosy Gagy. Les responsables militaires semblent croire qu’il n’est pas nécessaire de bien connaître le désert et affi rment que leurs hommes s’en sortent très bien. “Nous avons des GPS. Tous les véhicules en sont équipés”, insiste une source proche du ministère de la Défense. Pourtant, les nombreuses his-toires rapportées par les résidents de Siwa sur des soldats inconscients, abandonnant leur Jeep dans le sable, témoignent d’une tout autre réalité.

En fait, les autorités égyptiennes ont des raisons de douter de la loyauté des Berbères et des Bédouins. De nombreux habitants de Siwa s’identifi ent beaucoup plus à la Libye voisine – dont les chaînes de radio romantiques jouissent d’une certaine popularité – qu’à leur propre pays. Par ail-leurs, en raison des liens familiaux étroits qu’ils entretiennent avec les membres des tribus de la région, il est fort probable qu’ils continuent de considérer les frontières nationales comme des lignes arbitraires tracées sur une carte.

—Peter Schwartzstein*Publié le 16 juin

* Journaliste indépendant basé au Caire.

●●● Vingt-deux soldats ont été tués le 19 juillet en Egypte lors de l’attaque d’un point de contrôle militaire à Al-Farafra, oasis située dans une zone désertique proche de la frontière libyenne. Pour le gouvernement égyptien, ces agressions qui se multiplient à travers le pays, surtout dans la péninsule du Sinaï, à l’est, sont liées à la recrudescence du trafi c d’armes et de l’arrivée de djihadistes en provenance de la Libye, qui partage une frontière de plus de 1 000 km avec l’Egypte. Une frontière de plus en plus diffi cile à contrôler au regard du chaos sécuritaire et de la confusion politique qui règnent en Libye. Ainsi, le 20 juillet, “des

combats à l’arme lourde ont eu lieu à l’aéroport de Tripoli, mettant fi n à un cessez-le-feu qui aura duré deux jours”, déplore le Libya Herald. Depuis le 13 juillet l’aéroport de Tripoli est en eff et le théâtre de violents combats déclenchés par l’attaque menée par la Force de stabilité et de sécurité libyenne, une coalition d’islamistes et de milices de Misrata. Cette off ensive, baptisée Libya Dawn (“L’aube de la Libye”), vise les milices originaires de Zintan (une ville située dans l’ouest libyen), qui contrôlent l’aéroport depuis 2011 et sont alliées au général Hafter, dont les forces, soutenues par l’aviation, se battent depuis la mi-mai contre des rebelles islamistes

dans l’est du pays. Ces aff rontements s’inscrivent dans le cadre d’une lutte d’infl uence politique entre libéraux et islamistes. Ces tensions ont sapé la légitimité du Congrès général national (CGN, Parlement), qui compte 200 membres élus en juillet 2012. Le scrutin législatif du 25 juin, dont l’objectif était de départager ces forces par la voie des urnes, a recueilli un faible taux de participation, estimé à 42 %. Les résultats de ce scrutin ne sont pas encore connus. A noter que la journée du vote s’est terminée par l’assassinat de Salwa Bugaighis, une avocate et militante des droits de l’homme, tuée par balle chez elle à Benghazi.

Contexte

Les violences s’exportent en Egypte

Page 22: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

asie

—Global Asia Séoul

A peine Prayuth Chan-ocha, l’impérieux commandant en chef de l’armée, avait-il

pris le pouvoir, le 22 mai dernier aux alentours de 16 h 30, que les quatre chaînes de télévision en clair du pays, une chaîne d’Etat et 200 autres par satellite, cessaient d’émettre. Un écran fixe, orné des insignes des forces armées thaïlandaises, était la seule image à la disposition des téléspecta-teurs. Quant à la musique, c’était un mélange de chansons patrio-tiques et de marches militaires uti-lisé, pendant les années de guerre froide, pour laver le cerveau.

S’il a quelque peu relâché son étreinte sur la télévision depuis lors, le Conseil national pour la paix et le maintien de l’ordre (NCPO) – pour employer le nom que se donne la junte – continue d’utili-ser les chaînes de télévision à son profi t. Elles donnent un aperçu

de la manière dont les nouveaux hommes forts du royaume ont l’intention d’amener un pays de 67 millions d’âmes sur la voie de la guérison. Comme on pouvait s’y attendre, une censure draco-nienne est à l’œuvre pour veiller à ce que les antennes ne relaient que les bonnes nouvelles émanant de la junte. Mais il y a plus inquié-tant, une sorte d’innovation appor-tée au “manuel du petit putschiste thaïlandais”. En comparaison, le précédent coup d’Etat de sep-tembre 2006 semblerait presque anodin [depuis 1932, le royaume a connu douze coups d’Etat]. Chaque nuit, une voix maussade énumère les noms des gens tenus de se livrer d’eux-mêmes à la caserne militaire la plus proche le lendemain matin. Plus de 400 personnes ont ainsi

vu leur nom cité dans les trois semaines qui ont suivi le coup d’Etat. Le traitement qui leur est réservé varie, de la garde à vue de quelques heures à la détention à l’isolement pour une durée de un à cinq jours dans l’une des casernes militaires disséminées dans le pays.

La junte ne voit aucun mal dans cette démonstration de force orwellienne. Prayuth et ses hommes sont restés dans le ton lors de la divulgation de leur objec-tif : la réconciliation du pays. La première mesure pour aller dans ce sens consiste à s’attaquer aux individus qui nourrissent des opi-nions politiques divergentes dans ce pays profondément divisé et de les forcer à “calmer leurs ardeurs” en détention dans un camp militaire. Après quoi, ils doivent s’engager à tenir leur langue (aucune inter-view dans les médias) et à apporter leur pierre, comme le leur enjoint la junte, à la restauration de la paix et de l’unité du royaume – c’est

ce qui a été demandé à Yingluck Shinawatra [la Première ministre destituée par la Cour suprême. Elle vient d’être autorisée à quit-ter le pays].

Le message a été bien accueilli par ceux des Thaïlandais qui se sont félicités du coup d’Etat. La plu-part sont issus des élites cossues de Bangkok et de la classe dirigeante ultraconservatrice, dont l’armée a longtemps été le rempart. La déci-sion du général n’étonnera pas ceux qui sont au fait d’une particula-rité de la politique thaïlandaise : les forces armées jouissent du pri-vilège suprême de former un Etat dans l’Etat, et même de pouvoir résister à l’autorité d’un gouverne-ment civil élu. Résultat : les chefs de l’armée y sont habilités depuis toujours à faire le succès ou la ruine des gouvernements, entretenant par ricochet la vulnérabilité de la Thaïlande aux coups d’Etat.

Camps. Il n’est pas étonnant que le programme de Prayuth pour l’après-coup d’Etat – la réconci-liation au forceps – ait été consi-déré par le camp royaliste comme le prolongement des motivations du putsch de mai dernier. Sans l’intervention de l’armée, argue le NCPO, la Thaïlande aurait sombré dans la guerre civile.

A première vue, le général donne l’impression de savourer son nou-veau rôle. Il s’est assuré, par décret, que chacun des trois pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire – reposerait entre ses mains, faisant fi de la 18e Constitution. Cela lui a permis de mener à bien ce que le gouvernement provisoire de Yingluck Shinawatra n’avait pas été en mesure d’accomplir par des voies légales, par exemple de faire passer son budget 2014-2015. Les acteurs du commerce et les capi-taines d’industrie ont salué la stabi-lité off erte par le pouvoir militaire, à l’heure où la récession guettait.

Prayuth donne également d’autres motifs de satisfaction à la base ultraconservatrice du pays. En ne se hâtant pas, par exemple, de mettre en place un gouver-nement civil, contrairement à ce qu’avaient fait les précédents chefs de la junte. Si changement il y a, il devrait intervenir en sep-tembre, et les pays occidentaux qui ont condamné le coup d’Etat ne devraient pas changer leur fusil d’épaule pour autant.

Les principaux défi s de Prayuth sont ailleurs. Le plus impor-tant concerne les millions de Thaïlandais qui voyaient dans

les élections un moyen de choisir un gouvernement et de lui donner une légitimité. Une grande majo-rité d’entre eux ont accordé leurs suff rages au clan politique le plus infl uent du pays, les Shinawatra. Lequel est dirigé par le grand frère de Yingluck, le milliardaire Thaksin Shinawatra, qui fut deux fois Premier ministre et qui a été renversé par un coup d’Etat mili-taire en septembre 2006. Pour les convaincre, Prayuth a ressorti une vieille stratégie qui était en vogue pendant la guerre froide, à l’époque où l’armée thaïlandaise faisait la chasse aux communistes sur le ter-ritoire national. Un vestige de cette époque, le Commandement des opérations de sécurité intérieure (Isoc), a même été réquisitionné. Sa mission est de faire le ménage dans la classe dirigeante et dans les réseaux infl uents des principaux adversaires politiques de la junte, les “Thaksinistas”, surnom donné aux partisans du clan Shinawatra. Dans leurs rangs se trouvent les “chemises rouges”, un mouvement populaire qui est apparu deux ans après le coup d’Etat de 2006 et qui rencontre un franc succès dans les zones rurales du Nord et du Nord-Est. L’ordre du jour est désormais d’interpeller les chefs de fi le des-chemises rouges et de les obliger à fréquenter les “centres pour la réconciliation” dirigés par l’Isoc en province. Ces centres ont deux fonctions maîtresses : éradiquer l’infl uence de Thaksin et préparer le terrain à un modèle de “bonheur” et d’“unité” façonné par l’armée.

Cette approche musclée semble toutefois faire l’impasse sur l’évo-lution historique du pays depuis le milieu des années 1990. La junte a perdu de vue, par exemple, la Constitution adoptée en 1997, qui avait instauré un éventail de libertés politiques et civiles dont

Thaïlande. La junte fait le ménage

SOURCE

GLOBAL ASIASéoul, CoréeTrimestriel, 250 000 ex.www.globalasia.orgCréé en septembre 2006, ce périodique lancé par une fondation coréenne propose des articles de fond sur la région Asie-Pacifi que ainsi que des critiques d’ouvrages. Son site Internet donne accès à tous les articles publiés dans la version papier ainsi qu’aux archives.

↙ Dessin de Falco, Cuba.

Depuis le coup d’Etat de mai

dernier, les militaires tentent

de sortir la Th aïlande

de ses divisions par le biais d’une

grande campagne de réconciliation.

Et en faisant fi de deux décennies

d’avancées démocratiques.

Chaque soir, on cite à la télévision les noms des ennemis

22.

Page 23: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

ASIE.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

franceculture.fr

l’objectif était de redonner de l’au-tonomie aux citoyens de la marge, lesquels s’étaient jusqu’alors tou-jours pliés au diktat de la classe dirigeante ultraconservatrice de Bangkok. Cette nouvelle vague démocratique est apparue à une époque où les riziculteurs, qui composent le gros de l’électorat, se dépouillaient rapidement de leur image de paysans simples d’esprit pour cueillir les fruits de l’économie moderne et de la culture mondiale. Un anthropologue thaïlandais a défi ni ce changement comme l’es-sor d’une “classe moyenne rurale”.

Films gratuits. Ceux qui ont prospéré sous l’ancien régime ultraconservateur n’ont pas su encaisser ces bouleversements du paysage politique. La junte n’appa-raît plus comme le porte-drapeau d’une réconciliation placée sous le signe de l’équité et peine à masquer son vrai dessein. L’entreprise de Prayuth présente toutes les carac-téristiques d’un rejet de la diver-sité et du pluralisme politique qui avaient pris pied en Thaïlande ces vingt dernières années. Au-delà de la campagne visant à “rééduquer” les Thaksinistas, les Thaïlandais sont également nourris de force à l’ultrapatriotisme, à coup de fi lms gratuits, comme celui qui dépeint la vie du légendaire roi Naresuan V [qui étend le royaume du Siam] au XVIe siècle, ou de “concerts du bonheur” et leurs militaires chan-tants – les écoles et les universi-tés sont même tenues de remanier leurs programmes en vue de pro-mouvoir les vertus de la “thaïlan-dité” et de l’unifi cation.

La junte entend ainsi ressou-der une société thaïlandaise divi-sée, “donnant une nouvelle valeur à notre peuple”, avant de possibles élections législatives à la fi n 2015.

Il ne fait aucun doute que la quête du nirvana politique de Prayuth se trouverait facilitée si les citoyens thaïlandais accep-taient de leur plein gré un nouveau contrat social et se comportaient en bons petits soldats.

—Marwaan Macan-MarkarPublié dans le numéro d’été

—Prachatai English Bangkok

Resurgent Truth Thailand #1 [Retour de la vérité en Thaïlande, n° 1], une

vidéo de vingt minutes, circu-lait récemment sur les réseaux sociaux thaïlandais. “La junte a beau avoir lancé la campagne Resurgent Happiness [Retour du bonheur], les gens vivent dans la crainte”, assène un représentant du groupe à l’origine du court-métrage, qui rassemble des témoi-gnages d’activistes contre la junte. Pour des questions de sécurité, il sera désigné dans cet article sous le nom de Somchai. “La junte place une arme sur la tempe des gens et les force à sourire pour montrer leur bonheur. Certains sont peut-être vraiment heureux, mais d’autres ne peuvent de toute façon même pas dire qu’ils ne sont pas heureux”, explique-t-il.

Même si le fait de s’opposer au coup d’Etat fait courir un sérieux risque d’arrestation, les gens devraient au moins avoir accès à “une autre facette de la vérité”, estime Somchai. Au sujet des camps de réconciliation orga-nisés par la junte [voir ci-contre], “les auteurs du coup d’Etat essaient de mettre en avant le fait que les déte-nus sont très bien traités. Ce n’est pas la question. Le vrai sujet, c’est qu’il s’agit d’une violation des droits et des libertés des personnes. Certains sont accusés de choses plus graves. Des personnes ont été arrêtées parce qu’elles ne se sont pas présentées [aux autorités militaires]. Voilà ce que les auteurs du coup d’Etat veulent que les gens oublient.”

Dans la première vidéo de la série, le groupe donne la parole

aux activistes qui ont organisé des conférences pour protester contre les putschistes, à un avocat de Thai Lawyers for Human Rights [Avocats thaïlandais pour les droits de l’homme] ayant apporté une aide juridique aux victimes du coup d’Etat. La plupart d’entre eux racontent les raisons de leur impli-cation dans ces activités, et disent ce qu’ils pensent du “bonheur” imposé par la force par le géné-ral Prayuth, sur fond de Return Happiness to Thailand [Rendez le bonheur à la Thaïlande], l’hymne de la junte dont les paroles ont été écrites par le général Prayuth.

La vidéo a fait débat au sein de la société thaïlandaise. Sans sur-prise, et moins de vingt-quatre heures après sa publication, elle a été bloquée par le ministère de la Communication et de l’Infor-mation [MICT], ou “ministère des Technologies de censure sur Internet”, comme il est surnommé en Thaïlande. Ce blocage vient s’ajouter à celui de centaines de sites Internet.

Anonymat. Outre Resurgent Truth, un groupe qui s’intitule Reporters Without Censors [Reporters sans censeurs] tente d’agir clandestinement. Le groupe prône l’anonymat de ses membres pour permettre des reportages non censurés. Alors que Somchai explique que son mouvement “ne veut pas revendiquer que ses activités visent à s’opposer au coup d’Etat”, Reporters without Censors clame explicitement que sa mission est de défi er la junte par les repor-tages non censurés. “Notre but est de défi er leurs exigences, alors qu’ils veulent que nous restions dociles. Que nous ne croyions qu’eux. Que nous

Non au bonheur imposéDes groupes dissidents s’opposent à la propagande de la junte, mais la censure est féroce.

n’utilisions que les médias contrô-lés. Nous proposons une alterna-tive qui fait l’inverse de ce qui est ordonné, résume un représentant de Reporters Without Censors. La junte veut que tous les cerveaux des citoyens thaïlandais souff rent de malnutrition, pour qu’ils soient vides et disposés à se contenter de suivre les ordres.”

Le 24 juin, des offi ciers militaires se sont rendus dans un journal thaï et ont imposé à la rédaction de ne pas mentionner la création de l’as-sociation Free Thais for Human Rights and Democracy (FTHD, Thaïlandais libres pour les droits de l’homme et la démocratie), un groupe hostile au coup d’Etat en exil. En sa qualité de secré-taire général du NCPO, le géné-ral Udomdej Sitabutr a déclaré aux représentants des médias : “Vous devez être prudents dans l’exercice de votre jugement. Pour être franc, je pense que vous ne devriez pas mentionner [le FTHD]. Sinon, il y aura un problème.” Les mots du général, cités par le Post Today, refl ètent l’état d’esprit de la junte et celui du leader du coup d’Etat, le général Prayuth, selon lequel les diff érences et les confl its sont indésirables au sein de la société thaïlandaise. L’hymne de la junte traduit très bien cette idée :

“Nous tiendrons nos promesses. Donnez-nous du temps.

La terre sera alors aussi belle qu’elle l’était avant.

Nous serons honnêtes, vous devriez simplement nous faire confi ance et placer votre foi en nous.

La terre sera soulagée.Je veux te rendre le bonheur, à toi,

mon peuple.”Le bonheur est dans l’air en

Thaïlande. Mais sous la menace d’une arme, qui pourrait dire quoi que ce soit d’autre ? Seul le bonheur et le fait d’être d’accord ont droit de cité dans les médias, non la crainte et la désapprobation. Quand les gens vivent dans la peur, “dire la vérité est le moyen le plus simple et le plus durable de s’opposer au coup d’Etat”, conclut Somchai.

—Thaweeporn KummethaPublié le 2 juillet

“Succès”●●● “Le vert domine. Pas le vert de l’uniforme militaire, mais celui de la nature”, s’est réjouit dans le Bangkok Post Suriya Prasartbandit, gouverneur de Chiang Mai, annonçant que sa province ne connaissait plus de confl it lié à la couleur politique. Chiang Mai et le Nord-Est sont connus pour leur soutien aux chemises rouges, proche du clan Thaksin. Les eff orts de la junte pour parvenir à la réconciliation auraient donc porté leurs fruits. Mais le Bangkok Post cite un activiste affi rmant que la situation oblige les opposants à se taire. Par ailleurs, la junte annonce l’organisation à Bangkok d’un festival du bonheur jusqu’au 27 juillet avec une série de concerts gratuits en plein air et un concours du plus beau sourire.

Détenus ●●● Au moins 454 personnes ont été placées en détention à Bangkok depuis le 22 mai, et 57 en province. Au total, 178 personnes ont été offi ciellement arrêtées.

Sanctions●●● L’Union européenne a suspendu toutes les visites offi cielles et les discussions sur un accord commercial en attendant un retour aux institutions démocratiques. Mais les élections ne devraient pas avoir lieu avant octobre 2015. Les Etats-Unis, de leur côté, ont suspendu certains accords avec les forces armées.

23

Page 24: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Belgique.Décibels contre RomsLe bourgmestre de Landen pensait avoir trouvé une idée géniale pourfaire déguerpir les gens du voyage : les assourdir avec une sono.

—De Morgen Bruxelles

Difficile de qualifier d’idyl-lique cette zone indus-trielle des abords de Lan-

den [en Brabant flamand]. Unestation-service en construction,un car-wash et un entrepôt enpréfabriqué constituent lesprincipaux éléments de décor.C’est pourtant ici que 28 carava-nes sont venues se poser, trac-tées par des automobiles à fairepâlir le parking VIP du festivalTomorrowland.

Ils se qualifient de gitans etsont en route pour un rassem-blement évangéliste à Lommel.Les voitures sont de marque al-lemande et immatriculées enFrance. Une des Mercedes porteune plaque de garagiste. Tousséjournent sans autorisation surce terrain vague.

“Nous n’avions rien contre cesgens”, explique Bob Colsoul, filsde l’ex-pilote de rallyes et an-cien agriculteur Guy Colsoul.Guy Colsoul a une entreprisedans la zone industrielle et lescaravanes stationnent sur uneautre parcelle qui lui appartient.“Mais tout a commencé mardi der-nier. Ils sont devenus un peu tropnonchalants.” Il raconte que despeaux de chamois ont disparude son car-wash. Qu’il a réparéune de leurs voitures mais n’apas été payé. Qu’il a trouvé des

déchets derrière l’entreprise deson père. Et que des sacs d’or-dures ont été jetés dans les buis-sons. “Les conditions étaient clai-res : il fallait laisser l’endroit pro-pre. Donc ça s’arrête là.”

Dire Straits. En arrière-plande notre discussion, on entendles Kreuners chanter CouscousKreten. Le bourgmestre de cettecommune bizarre n’a rientrouvé de mieux que de faire ve-nir la boîte de nuit locale à côtédu campement. Il déclare avoirpuisé son inspiration auprès desAméricains.

Ceux-ci ont fait sortir le dic-tateur panaméen Manuel No-riega de sa tanière avec du VanHalen, torturé des suspects avecles Red Hot Chilli Peppers àGuantanamo et des prisonniersà Kaboul avec le hip-hop de Dr

Dre. A Landen, on a choisi duDire Straits. “Ils sont arrivés à 14dimanche”, poursuit Bob Col-soul. “Maintenant ils sont 28. Ilsvoulaient payer 200 euros et nousavons exigé 400. Ils ont acceptésans discuter. On aurait mieux faitde demander 4 000. Les clientsn’ont même plus accès au car-wash parce que le chemin est obs-trué.”

Les curieux sont maintenanten si grand nombre que la po-lice locale a placé des barrièresNadar. Des seniors en short,certains tenant leurs petits-en-fants par la main, viennent voirles Roms. “Tu trouves, ça nor-mal ? “, lâche une femme dontle bras est maintenu par uneattelle couleur chair. “Ne pastravailler et pouvoir tout se per-mettre !” Son amie, les yeuxsoulignés de khôl et des taches

de soleil plein le visage affirmebien fort qu’elle n’ose plus lais-ser sa voiture garée dans la rue.Jos Thijs, homme d’affaires etDJ au Gilio Light&Sound, a ins-tallé un véritable mur sonore àl’arrière de son petit camionblanc. Il tente de chasser lescampeurs avec des hits des an-nées 90. Le bourgmestre lepaie à l’heure. “Je ne m’arrêteraiqu’à sa demande. On peut enten-dre la sono jusqu’au centre deLanden.”

A la limite, les nuisances sontmoindres à l’intérieur du cam-pement. Le jukebox est trop loinet les caravanes font office demur antibruit. Un médecin ducoin vient vérifier si sa plaintepour tapage a été prise au sé-rieux. “Je remarque au moins qua-tre infractions.” Le volume estimmédiatement diminué.

“Pas des animaux”. Un peuplus tard, la Sabam fera savoirqu’elle compte présenter sanote. Si les enfants des voya-geurs dansent, leurs parentssont furieux. “Nous ne sommespas des animaux”, grommelle unhomme corpulent avec unegrosse bague blanche qui se pré-sente à nous comme le père Le-bec. Un pan de sa chemise s’estéchappé de son pantalon grisfoncé, laissant apparaître sonénorme ventre. “On avait undeal : 400 euros pour pouvoir res-ter jusqu’à vendredi. Nous ne som-mes que des passants. Nous n’al-lons pas brouter tout leur gazon.”La tension monte d’un cranlorsque la police demande unenégociation à huis clos.

Le bourgmestre Gino De-broux (SP.A) brille par son ab-sence. Une demi-heure plustard, les gitans viennent expli-quer qu’ils partiront jeudi etqu’ils pourront récupérer leurs400 euros. Gino Debroux réap-paraît alors devant l’Hôtel deVille et estime qu’il s’agit làd’une solution satisfaisantepour toutes les parties, estime.“J’ai rédigé une déclaration”,ajoute-t-il.

—Sofie VanlommelPublié le 17 juillet

↙ Loin de la colère de leursparents, ces trois jeunes fillesesquissent quelques pas dedanse. Photo Wouter Van Vooren

“Nous n’avons riencontre ces gens.Mais ils sontdevenus un peutrop nonchalants.”

“On avait un deal :400 euros pourpourvoir resterjusqu’ à vendredi”

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1238 du 24 au 30 juillet 201424.

Page 25: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

sera amené à travailler. Cela permet de sedécouvrir des compétences personnelles etde les traduire de manière intelligente surun curriculum vitae”, estime JorisPhillips, Strategic Account Manager auVDAB.

Festivals très prisés. Cette ten-dance est cependant moins marquéechez les jeunes de moins de 18 ans, se-lon Adecco. Ceux-là comparent avanttout les rémunérations avant de choi-sir. Les postes dans l’industrie sont re-lativement lucratifs, par exemple. Onretrouve ces jeunes de moins de 18 ansen quête d’argent de poche aussicomme réassortisseurs dans les super-marchés, ou encore dans divers com-merces et dans l’horeca. Les postesd’employés sont ceux qui rapportent lemoins. Les emplois dans le secteur dunettoyage sont peu prisés parce qu’ilssupposent souvent de travailler dansun environnement peu agréable. Parcontre, les places dans l’organisationde festivals sont très prisées.

L’offre de jobs de vacances a grossomodo conservé la même ampleur quel’année passée. ‘Le nombre d’heures ac-complies au cours des six premiers mois del’année est à peu près identique au chiffrede l’année passée. On peut encore trouverdes postes pour l’été à l’heure actuellemais, bien entendu, c’est plus facile danscertains secteurs que dans d’autres”, ditFilip De Pooter. Enfin, dernière ten-dance : les étudiants répartissent deplus en plus leurs jours de travail toutau long de l’année suite à l’introduc-tion récente de la règle des cinquantejours.

—Astrid DupuisPublié le 11 juillet

—De Standaard Bruxelles

I y a deux sortes d’étudiants. Lespremiers veulent avant tout ga-gner de l’argent sans se soucier de

la nature du travail effectué; les seconds,au contraire, cherchent un travail dans ladroite ligne de leur qualification et qui leurapportera une expérience utile pour leurvie professionnelle future”, résume FilipDe Pooter, du bureau d’intérim Adecco.Même si le premier groupe reste relati-vement plus nombreux que le second,de plus en plus d’étudiants souhaitenttrouver un travail en rapport avec l’ob-jet de leurs études.

Taux de chômage. “Les jeunes cher-chent à accumuler de l’expérience profes-sionnelle. C’est dû en grande partie à l’im-portant taux de chômage chez eux. Ils ontl’impression que faute de cette expériencede travail, ils vont avoir du mal à trouverun emploi fixe. On voit par exemple desétudiants en logistique qui cherchent untravail d’organisateur ou des étudiants engestion du personnel qui arrivent à trou-ver un job de vacances dans le domaine desressources humaines”, poursuit Filip DePooter. Chez le concurrent Randstad,on confirme la tendance. “Nous ne pou-vons pas encore donner de chiffres précismais nous constatons également cette évo-lution. Nous essayons de nous inscriredans ce mouvement en collaborant avec laKULeuven et en tentant de sensibiliser lesemployeurs”, précise Jan Denys.

Au VDAB [équivalent flamand du Fo-rem et d’Actiris], on se montre en toutcas satisfait de cette évolution. “Noustrouvons que c’est une bonne idée d’utiliserun job de vacances pour découvrir le typed’environnement de travail dans lequel on

EMPLOI

Un job de vacancespour mon CVLes jeunes travaillant pendant les vacances veulent désormaisaccumuler une expérience en rapport avec leur (futur) diplôme.

Contexte

Quel planstratégique ?●●● L’administration flamande avaitpromis cinq cents placessupplémentaires mais la promesse n’apas été tenue, il s’en faut de beaucoup.En trois ans, on en a royalement créédouze. C’est à cause de ce manquechronique d’emplacements que lesRoms ont envahi la zone industrielle deLanden, estime Wouter Van Bellingen,le directeur du Forum des minorités[Minderhedenforum]. “Pourtant, lesmoyens existent. Les communes quiaménagent ce genre d’aire destationnement sont intégralementremboursées.” La Flandre compte àl’heure actuelle quatre airesaccessibles aux hôtes de passage :Gand (25 emplacements), Courtrai(20), Anvers (17) et Huizingen (15). Atitre de comparaison, il y a près detrente caravanes à Landen. Les terrainsexistants sont surpeuplés et les autresgroupes ne trouvent nulle part oùséjourner de manière temporaire. Leproblème, c’est que l’administrationflamande dispose des moyens pourfinancer des nouveaux emplacementsmais n’a aucun pouvoir de contrainte,commente Jozef De Witte, directeur duCentre interfédéral pour l’Egalité desChances. “Et donc les communespréfèrent passer la patate chaude auvoisin.” Contrairement à la Wallonie, laFlandre reconnaît le droit à l’habitatnomade. Jozef De Witte : “si vousreconnaissez un droit, vous devezaussi, en tant que pouvoir public, faireen sorte que des installations existentpour permettre l’usage de ce droit.C’est comme si on disait : vous avezdroit à un enseignement mais nousn’avons pas l’intention de créer desécoles. Il serait grand temps que lespouvoirs publics osent faire un état deslieux. Où en sommes-nous, des annéesaprès l’élaboration de ce planstratégique ? La réponse est simple :nulle part.” Bien entendu, ce n’est pastrès vendeur pour un bourgmestre deconvaincre sa municipalité d’aménagerce genre de terrain. Ça demande ducourage politique, reconnaît Jozef DeWitte. “Mais comme bourgmestre, il nefaut pas non plus sous-estimer vosadministrés. Il ne faut pas faire deconcessions à des réactionsépidermiques. Au contraire, tout lemonde va davantage se crisper si lesTziganes n’ont nulle part où aller. Maisau lieu de prévoir des aires depassage, beaucoup de communes fontcomme si jamais personne n’allait seprésenter et agissent sous l’impulsionde la panique lorsqu’il est trop tard.”

Eline DelrueDe Morgen

Édito

Une tentativelégitime●●● Après Bruxelles, la Wallonie et laFédération Wallonie-Bruxelles, lafumée est devenue blanche, mardi, enFlandre, pour un gouvernement.Mieux : les fiançailles flamandes àpeine dévoilées, on nous annonçaitl’entrée prochaine en négociation destrois fiancés flamands (N-VA, CD&V etOpen VLD) avec leur uniqueprétendant francophone, le MR.Comme quoi, même en Belgique, toutpeut aller vite… Alors, opération“kamikaze” dans le chef de quatrepartis ancrés à droite ? Avec un nompareil, ladite opération est forcémentrisquée. Et en cas d’accord, CharlesMichel –qui, il y a peu, disait avecM.Reynders ne pas faire confiance à laN-VA– prendra la responsabilité de nepas apparaître (assez) légitime auxyeux de nombreux francophones. Maisaprès avoir été confronté au refusrapide et répété du CDH de ne pasenvisager une négociation avec lespartis de la droite flamande, leprésident du MR a pris sesresponsabilités avec un certaincourage. A lui de démontrer le bien-fondé d’un tel attelage et de rassurerles francophones quant à la parfaiteloyauté fédérale de ses partenairesflamands. Nous croyons à la nécessitéd’accélérer, voire d’ouvrir, un certainnombre de chantiers socio-économiques. Et ce, dans le respect dela concertation sociale et en exécutantloyalement la sixième réforme del’Etat. Pour l’heure, il ne s’agit que detester la faisabilité d’une coalition“suédoise” fondée sur des prioritéssocio-économiques. Cette tentative n’apas moins de légitimité que d’autresformules auxquelles on recourra, peut-être, ultérieurement. Mais autre chosesera de juger le contenu de l’accord.Une chose à la fois.

Pierre-François LovensLa Libre Belgique (extraits) Publié

le 23 juillet

↓ Dessin de Clou,paru dans La Libre Belgique.

BELGIQUECourrier international – n° 1238 du 24 au 30 juillet 2014 25

Page 26: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

Diplomatie. Catherine Ashton, l’éternelle absente

unioneuropéenne —The Daily Telegraph

Londres

A bsente. Et, même quand elle est présente, on a l’impres-sion qu’elle n’est pas là.” Tel

est le commentaire accablant d’un diplomate de haut rang à propos de la baronne Ashton d’Uphol-land. A la veille de la réunion du 16 juillet, où les dirigeants européens devaient désigner son successeur – qui prendra ses fonc-tions à la fi n du mois d’octobre –, beaucoup à Bruxelles évaluaient le bilan de la première ministre des Aff aires étrangères de l’UE.

Pour être honnête, les appré-ciations portées sur le mandat de lady Ashton à la tête de la diplo-matie européenne ne sont pas complètement négatives : elle a reçu de tièdes éloges pour son habile gestion des dossiers déli-cats du Kosovo et du programme nucléaire iranien. “Beaucoup de gens pensaient qu’avec elle on cour-rait à la catastrophe, au désastre, mais ces craintes ne se sont pas matérialisées et elle a fait preuve d’un degré de compétence inattendu dans sa conduite des négociations”, concède un autre diplomate de Bruxelles.

Il reste qu’un récent rapport des auditeurs de l’UE a criti-qué son Service européen pour l’action extérieure (SEAE) en le disant aff aibli par les confl its internes, les formalités adminis-

tratives et les absences de lady Ashton. L’un des

principaux problèmes en cause est que son poste cumule deux fonctions, celle de

ministre des Aff aires étrangères – ou haute représentante  – de l’UE et celle de vice-présidente de la Commission euro-péenne. La pre-mière requiert sa présence à Bruxelles et la seconde implique de nombreux dépla-cements à l’étran-ger, deux exigences inconciliables. Lady

Ashton a raté plus de deux tiers des réunions

de la Commission, ce qui a provoqué le mécontente-ment du gouvernement et fait craindre un déclin de l’infl uence britannique au cours de son mandat.

Son absence politique a été ressentie en Grande-Bretagne :

alors que le pays débat de l’op-portunité de quitter l’UE, Lady Ashton n’a pas fait une seule apparition à la télévision, à la radio ou dans les journaux pour défendre l’option du maintien. “Elle est de facto la ministre des Affaires étrangères de l’Europe. La Grande-Bretagne est favorable au rôle qu’elle joue, mais, alors que les Britanniques se demandent s’ils doivent rester ou partir, elle n’a pas réussi à remplir le vide existant”, observe un fonctionnaire.

Cette femme de 58 ans, ancien membre travailliste de la Chambre des lords, est connue pour son peu de goût pour les apparitions en public et sa susceptibilité envers la critique, une carence politique que la plupart attribuent au fait qu’elle n’a jamais dû se faire élire. Elle a été furieuse d’être tournée en ridicule par la presse après la diff usion sur Internet, il y a deux ans, d’un reportage où on la voit paniquer avec l’un de ses diplo-mates de haut rang avant une rencontre cruciale avec le prési-dent serbe, car aucun des deux ne savait à quoi il ressemblait.

L’ascension de lady Ashton a été fulgurante : un parcours de treize ans ponctué par une série de nominations qui l’ont conduite de la présidence de l’administration de la santé du Hertfordshire, en Angleterre, au poste de ministre des Aff aires étrangères de l’UE, en passant par la Chambre des lords et le Parti travailliste divisé par des confl its internes.

Lady Ashton est mariée à Peter Kellner, commentateur politique et président de l’institut de son-dage britannique YouGov. Elle a deux enfants et trois beaux-enfants. Grande amatrice de la série Docteur Who, elle a ins-tallé un Dalek grandeur nature dans le salon de sa maison de St Albans. Nul doute qu’elle n’aura pas à chercher un emploi de toute urgence : grâce à de géné-reuses “indemnités de transi-tion”, elle percevra 400 000 livres [505 000 euros] pendant trois ans pour ne rien faire, et cela aux frais du contribuable.

—Bruno Waterfi eldPublié le 16 juillet

→ Catherine Ashton.Dessin de Ferguson paru dans le Financial Times, Londres.

“Beaucoup de gens pensaient qu’avec elle on courrait à la catastrophe"

Le mandat de la haute représentante de l’Union pour les aff aires étrangères touche à sa fi n. Un bilan peu reluisant.

26.

Page 27: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

UNION EUROPÉENNE.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

—Der Spiegel Hambourg

Ils sont là, sur la côte libyenne, prêts à s’entasser dans des coques de noix dans l’espoir de pouvoir gagner l’autre

rive. L’Europe est leur terre promise. C’est là qu’ils tenteront leur chance, celle qu’on ne leur a pas donnée en Syrie, en Erythrée ou en Egypte. Depuis le début de l’année, plus de 60 000 d’entre eux ont déjà fait le voyage. Ils seraient entre 300 000 et 600 000 à attendre en Afrique du Nord de pouvoir traverser, selon l’estimation du ministère de l’Intérieur italien.

Un chiffre énorme, dix fois supérieur à celui de 2013. Tous les dirigeants poli-tiques européens savent ce qui les attend. Des camps surpeuplés, des regards tristes au journal télévisé, la compassion de l’opi-nion pour ces réfugiés qui ne tiennent pas forcément à rester en Italie mais qui ten-teront par exemple de gagner Berlin, où ils squatteront une école [des réfugiés ont occupé un établissement scolaire du quar-tier de Kreuzberg pendant un an et demi avant d’être délogés par la police].

En Allemagne, deux camps s’affrontent régulièrement face à ce type de crise huma-nitaire : d’un côté les idéalistes, pour qui “il faut venir en aide à ces pauvres gens”, de l’autre les fatalistes, pour qui “la barque est déjà pleine”. Les uns réclament davantage

↙ Dessin de Kountouris, Grèce.

de courage civique, les autres refusent le partage de la prospérité. Il est temps d’ap-porter des réponses qui aillent au-delà de ce clivage.

En vérité, il n’y a pas d’innocence pos-sible en matière de politique d’immigration. Dès qu’on se penche sur la question, on se heurte à un dilemme fondamental. Il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas éprouver de pitié à l’égard de ces gens qui ont quitté leur pays pour venir tenter leur chance en Europe. Cela dit, on ne peut pas davantage occulter les conséquences de ces vagues d’immigration massives qui influent sur les démocraties, comme on peut le constater aux Pays-Bas ou en France. Les dernières élections européennes ont montré l’adhé-sion que suscitent les partis nationalistes au cœur de la société lorsqu’ils attisent le ressentiment anti-immigrés.

L’Union européenne s’est dotée d’un imposant arsenal législatif en matière d’ac-cueil des réfugiés. Les enceintes grillagées de Ceuta et de Melilla sont désormais pour-vues de fil de fer barbelé. Frontex, la police des frontières, patrouille en Méditerranée. La répartition des tâches au sein de l’UE est politiquement inacceptable. On laisse le soin à l’Espagne, à l’Italie et à la Grèce d’héberger les réfugiés – ces derniers étant tenus de rester dans le pays où ils ont débar-qué. Pour ce faire, les pays du Sud touchent

quelques millions d’euros des pays du Nord, qui sortent gagnants de ce dispositif. La tragédie de 2013 près de Lampedusa, qui a vu la mort de 387 personnes par noyade, a marqué un changement. Aujourd’hui, les garde-côtes italiens et la marine italienne secourent au moins les passagers de ces passoires flottantes – en règle générale.

Nul ne peut nier que la politique de l’“Eu-rope forteresse” a échoué. Tant qu’il y aura des conflits armés, des guerres civiles et des Etats qui ne fonctionnent pas, des gens risqueront leur vie, se livreront au chan-tage des bandes de passeurs et braveront les barbelés.

Que faire ? La répartition des tâches entre le Nord et le Sud devrait être rem-placée par un régime de quotas. Ainsi, chaque pays saura combien de réfugiés il sera tenu d’accueillir. La clé de répartition devrait attribuer plus d’un sixième d’entre eux à l’Allemagne. Le président allemand, Joachim Gauck, a raison : l’Allemagne doit se montrer plus solidaire et accorder plus de droits aux réfugiés.

Nombre d’entre eux viennent pour des motifs économiques, et non politiques. C’est pourquoi ils ne peuvent pas bénéficier du droit d’asile. Au lieu de cela, il conviendrait de les intégrer dans un programme de tra-vail placé sous l’égide de l’Office fédéral de la migration et des réfugiés. Ceux qui veulent travailler doivent pouvoir le faire. Ceux qui ne veulent pas ne doivent pas être autori-sés à rester. Les Allemands devront faire des efforts pour s’adapter à cette nouvelle flexibilité. Mais le pays est en mesure d’ac-cueillir des étrangers, comme l’a prouvé la guerre des Balkans. L’expérience montre que la plupart des réfugiés ont soif de vivre et qu’ils sont prêts à saisir leur chance, à condition qu’on la leur donne.

Mais l’accueil des réfugiés ne fait pas tout. Le dilemme auquel se heurte toute poli-tique d’immigration appelle une stratégie à deux volets. L’UE doit coupler sa nouvelle approche de la question des réfugiés à un durcissement des contrôles aux frontières. Pour ce faire, il faut étoffer les moyens et les effectifs de Frontex afin que l’agence soit en mesure d’identifier les bandes de pas-seurs et de repérer les réfugiés. Car seules les admissions contrôlées sont acceptables. Les autres ne le sont pas.

Enfin, il est plus que temps que l’UE comble une lacune. Voilà plus de dix ans qu’elle est en pourparlers avec l’Afrique sur des accords de libre-échange. A long terme, c’est la signature de tels accords qui pour-rait bien constituer la meilleure des poli-tiques possibles en matière d’accueil des réfugiés. —

Publié le 7 juillet

Signer des accords de libre-échange avec l'Afrique serait la meilleure solution

IMMIGRATION

L’Europe forteresse a échouéPlus de 60 000 réfugiés ont débarqué en Europe ces six derniers mois et les naufrages se succèdent en Méditerranée. Il est temps de réviser la politique d’accueil et d’instaurer des quotas dans les pays membres.

—Die Tageszeitung (extraits) Berlin

Les étrangers expulsables ne peuvent pas être placés dans des établisse-ments pénitentiaires classiques mais

uniquement dans des structures spéciale-ment prévues à cet effet. Ainsi en a décidé la Cour de justice européenne le 17 juillet dernier à Luxembourg. Au cas où un Land ne serait pas équipé de telles structures, les personnes concernées doivent être trans-férées dans un autre Land. Les Länder qui mettent ces étrangers en prison aux côtés de prisonniers de droit commun enfreignent les directives européennes. Quand bien même ils auraient le consentement de l’individu.

A l’origine de cet arrêt de la Cour euro-péenne, il y avait trois affaires en cours, en Bavière, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et dans la Hesse. La Cour de cassation et le tribunal de grande instance de Munich avaient demandé à la Cour de justice euro-péenne de se pencher sur la question. Celle-ci vient de faire savoir que l’obligation de sépa-rer les “ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier” des détenus de droit commun s’appliquait sans exception et garantissait le respect des droits des étrangers.

L’association de défense des droits de l’homme Pro Asyl, le service des réfugiés des Jésuites et le diaconat ont salué cette décision et ont exigé l’arrêt immédiat de ce type d’incarcérations ainsi que la libération de toute personne concernée dans les meil-leurs délais. Ils ont également réclamé la révision en profondeur du régime de réten-tion administrative.

En Allemagne, la rétention administra-tive est du ressort des Länder. Selon Pro Asyl, huit Länder [sur seize] – dont, depuis peu, la Bavière – sont équipés de structures d’accueil adéquates. Dans sept autres, en revanche, les étrangers expulsables sont retenus dans des établissements péniten-tiaires conventionnels. Seule la Saxe les transfère dans d’autres Länder.

Sont soumises à la rétention adminis-trative les personnes qui attendent d’être expulsées après une entrée illégale sur le territoire ou après un rejet de leur demande de droit d’asile. —

Publié le 17 juillet

DROIT

Qui dit réfugié ne dit pas criminelUn arrêt de la Cour de justice européenne enjoint à l’Allemagne et à tous les Etats membres de ne pas détenir en prison les étrangers en instance d’expulsion.

27

Page 28: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

28. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

—The Washington Post (extraits)Washington

P lus de 400 drones militaires américains de grande taille se sont écrasés dans le monde depuis 2001. Une longue série d’accidents qui montre les dangers qu’il pourrait y avoir à ouvrir largement le ciel américain à ces machines. Les quelque 50 000 pages de

rapports d’enquête sur des accidents et autres documents qu’a pu se procurer The Washington Post en vertu du Freedom of Information Act [loi sur la liberté d’information, qui oblige les agences fédérales à divulguer des documents

Qu’il soient civils ou militaires, ces drôles d’engins volants ont déjà envahi notre ciel. Alors que les Etats-Unis ont prévu d’ouvrir leur espace aérien aux vols de drones commerciaux en 2015, leur multiplication inquiète. Car les accidents sont légion (lire ci-dessous) et la prolifération des drones militaires devient une préoccupation mondiale (p. 32). Sans parler des drones de loisir, qui font planer une menace sur notre vie privée (p. 33).—Service Amérique du Nord

à la une

à quiconque en fait la demande] montrent que, depuis qu’ont commencé les guerres d’Afgha-nistan et d’Irak, les drones militaires ont subi d’innombrables dysfonctionnements, s’écrasant au sol à cause de pannes mécaniques, d’erreurs humaines, de mauvaises conditions atmosphé-riques ou d’autres raisons.

A la suite d’une loi votée par le Congrès en 2012, les vols de drones commerciaux sont sup-posés devenir une réalité à grande échelle aux Etats-Unis à partir de l’année prochaine. Les vols de drones de la police ou de l’armée, qui ont déjà lieu en nombre limité, devraient se multi-plier. Les documents obtenus par The Washington Post mettent en doute les déclarations offi cielles assurant que les drones pourront survoler sans danger des zones habitées en utilisant le même espace aérien que les avions de transport de passagers. Des drones militaires se sont écra-sés sur des maisons, des fermes, des pistes d’at-terrissage, des autoroutes, des cours d’eau et, à une occasion, sur un avion de transport mili-taire C-130 Hercules. Ces accidents n’ont fait aucune victime, mais les documents montrent que de nombreuses catastrophes n’ont été évi-tées que de justesse.

“Je n’ai vu que des tentes, et j’ai eu peur d’avoir tué quelqu’un”, a déclaré aux enquêteurs le major Richard Wageman après un accident survenu en novembre 2008, où il avait perdu le contrôle d’un Predator qui était parti s’écraser sur une

Accidents en sérieDes documents du Pentagone montrent que les crashs de drones militaires américains sont fréquents. De quoi s’inquiéter, alors que les vols commerciaux doivent débuter bientôt.

→ De gauche à droite et de haut en bas : Drone abîmé en mer près des côtes philippines. Photo Reuters. Crash en Afghanistan en 2012. Photo Pajhwok Afghan News. Predator accidenté en 2013 dans le Nevada. Photo US Air Force. Predator écrasé en Afghanistan en 2012. Photo US Air Force. Reaper crashé en Californie en 2009. Photo US Air Force. Drone écrasé sur le toit d’une maison en Irak, en 2006. Photo US Marine Corps. Crash d’un drone de l’ONU en RDC. Photo RFI. Accident en Afghanistan. Photo Tactical Media Files.

DRONES LE GRAND

EMBOUTEILLAGE

Page 29: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 DRONES : LE GRAND EMBOUTEILLAGE. 29

base américaine en Afghanistan. “J’étais tétanisé, et je crois bien que j’ai lâché quelques jurons.” Les enquêteurs n’ont pas été en mesure d’établir la cause exacte de l’accident, mais ils ont affirmé que la force du vent et un virage un peu trop serré effectué par le pilote avaient pu jouer un rôle.

Crash à l’école. Plusieurs drones militaires ont disparu à jamais alors qu’ils volaient à leur alti-tude de croisière. En septembre 2009, un drone armé Reaper, d’une envergure d’une vingtaine de mètres, a foncé tout droit à travers le ciel afghan après que ses opérateurs en ont perdu le contrôle. Un chasseur américain l’a abattu alors qu’il approchait du Tadjikistan. Un Predator d’une valeur de 3,8 millions de dollars, trans-portant un missile Hellfire, s’est écrasé en jan-vier 2010 près de Kandahar car la pilote ne s’était pas rendu compte qu’elle le faisait voler à l’en-vers. La même année, un autre Predator armé s’est crashé dans la même région parce que son pilote à distance ne s’est pas aperçu qu’il avait pressé le mauvais bouton rouge sur son joystick, ce qui a précipité l’appareil en vrille.

Si la plupart des incidents ont eu lieu dans des zones de combat, plusieurs dizaines d’appareils ont été détruits aux Etats-Unis au cours de tests et de vols d’entraînement ayant mal tourné. En avril, un drone militaire de près de 200 kilos s’est écrasé près de l’aire de jeux d’une école primaire de Pennsylvanie quelques minutes à peine après la sortie des élèves. Dans l’Etat de New York, l’US Air Force n’a toujours pas retrouvé le Reaper qu’elle a perdu en novembre dernier, lorsque l’engin a plongé dans le lac Ontario. En juin 2012, un drone de surveillance de la

Réglementation●●● La régulation des drones civils est aujourd’hui une priorité aux Etats-Unis comme en Europe. Mais les problèmes sont de taille. Du côté américain, l’Agence fédérale de l’aviation civile (la Federal Aviation Administration, FAA) ne devrait pas être en mesure d’édicter des règles dès septembre 2015, comme l’imposait une loi du Congrès. Les obstacles sont si nombreux qu’il est impossible de savoir quand les drones pourront être intégrés en toute sécurité dans l’espace aérien américain, ni même s’ils le seront un jour, selon un récent audit du gouvernement relayé par The Washington Post. Cependant, la FAA devrait proposer dès cette année des règles pour les drones de petite taille (moins de 25 kilos) et pourrait autoriser l’usage de drones commerciaux au cas par cas dans certains secteurs. De l’autre côté de l’Atlantique, l’adoption de règles par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) pourrait prendre des années, la pression des industriels étant moins forte, affirme The Wall Street Journal. Il revient à chaque pays européen d’édicter des règles pour les drones de moins de 150 kilos.

→ 30

Contexte

Page 30: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

30. À LA UNE Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

Des tailles et des utilisations variées DRONES MILITAIRES

Global Hawk RQ-4

↑ Global Hawk RQ-4 Reconnaissance de haute altitudeAutonomie : 35 hVitesse : 574 km/h

← Predator MQ-1 Reconnaissance et attaque

Envergure : 39,9 m Poids : 15 tonnes

Predator MQ-1

Envergure : 17 m Poids : 1 tonne Autonomie : 40 h

Vitesse : 220 km/h

↓ Raven RQ-11B Reconnaissance tactiqueEnvergure : 1,4 mPoids : 1,9 kgAutonomie : 90 minVitesse : 80 km/h

Envergure : 72 cmPoids : 430 g

Wasp III

1,70 m

marine de type RQ-4, d’une envergure égale à celle d’un Boeing 757, a piqué droit sur le rivage du Maryland, où il a déclenché un feu de forêt en explosant.

Les responsables du ministère de la Défense se disent confi ants dans la fi abilité de leurs drones. La plupart des accidents, font-ils observer, se sont produits en zone de confl it, dans des cir-constances très dures que l’on ne risque guère de retrouver aux Etats-Unis. Les statistiques militaires montrent que l’immense majorité des vols se déroule sans problème et que la fré-quence des incidents a régulièrement diminué depuis une dizaine d’années. Les responsables offi ciels admettent toutefois que les drones ne seront jamais aussi sûrs que les avions commer-ciaux. “Voler est une activité intrinsèquement dan-gereuse”, observe Dyke Weatherington, à la tête de la direction de la guerre à distance [unmaned warfare] au Pentagone. “Je peux vous regarder droit dans les yeux et vous dire que, oui, le minis-tère de la Défense a un bilan de sécurité exception-nel dans ce domaine et que nous nous améliorons de jour en jour.”

Tous espionnés�? Les drones ont révolutionné la façon de faire la guerre. Aujourd’hui ils sont sur le point de bouleverser l’aviation civile. En vertu de la loi votée par le Congrès en 2012, la Federal Aviation Administration [FAA, agence fédérale de l’aviation civile] doit publier avant sep-tembre 2015 les réglementations qui accompagne-ront l’intégration de plus en plus large des drones à l’espace aérien civil. La demande pour ache-ter et faire voler des avions contrôlés à distance est énorme. Les agences de maintien de l’ordre, qui possèdent d’ores et déjà un petit nombre de drones équipés de caméras, devraient en acqué-rir plusieurs milliers ; les services de police les convoitent en tant qu’outil peu coûteux permettant d’assurer une surveillance d’une durée pouvant aller jusqu’à vingt-quatre heures sans interrup-tion. Pour les entreprises, les drones sont riches de possibilités pour traiter les cultures, trans-porter des marchandises, inspecter des biens immobiliers ou réaliser des fi lms. Des organes de presse ont demandé des licences de drones pour couvrir certains événements. Le direc-teur général d’Amazon, Jeff rey P. Bezos (par ail-leurs propriétaire du Washington Post), envisage

d’utiliser des drones pour livrer de petits colis directement au domicile des clients. L’armée pos-sède une dizaine de milliers de drones, depuis le Wasp de 430 grammes ou le Raven de 2 kilos jusqu’au Predator de 1 tonne et au Global Hawk de 15 tonnes. D’ici à 2017, les militaires prévoient de faire décoller des drones à partir d’au moins 110 bases réparties dans 39 Etats, ainsi qu’à Guam et à Porto Rico. Les industriels du drone, qui ont fait jouer leurs lobbys auprès du Congrès pour faire voter la nouvelle loi, prévoient 82 mil-liards de dollars de bénéfi ces et la création de 100 000 emplois d’ici à 2025.

Dans l’opinion publique, l’opposition s’est foca-lisée sur la sauvegarde des libertés civiles, mettant notamment en cause l’utilisation des drones pour aller espionner les gens jusque dans leur jardin. Il n’y a eu que très peu d’études sur la sûreté des avions télécommandés. Un rapport publié le 5 juin par la National Academy of Sciences concluait qu’il existait “de graves questions sans réponse” sur la façon d’intégrer sans danger les drones civils dans l’espace aérien national, et qualifi ait ce pro-blème de “défi critique et transversal”.

Personne ne possède une plus grande expé-rience des drones que l’armée américaine, qui a accumulé plus de 4 millions d’heures de vol. Mais le ministère de la Défense dissimule jalou-sement les détails de ses opérations de drones, y compris les causes, le moment et le lieu de la plupart des accidents. The Washington Post a déposé, dans le cadre du Freedom of Information Act, près d’une trentaine de demandes auprès de l’US Air Force, de la Navy, de l’armée de terre et des marines. L’armée nous a, en un an, fourni de façon intermittente des rapports d’enquête et d’autres documents qui concernaient au total 418 accidents majeurs de drones dans le monde entier, survenus entre septembre 2001 et la fi n de l’année 2013. Ce chiff re équivaut pratique-ment à celui des accidents graves de chasseurs et avions d’attaque de l’US Air Force au cours de la même période, alors que les drones ont eff ec-tué bien moins de vols et d’heures de vol. Alors que les militaires envoyaient sans interruption des drones au-dessus de l’Irak et de l’Afghanis-tan vers le milieu des années 2000, certains hauts gradés de l’US Air Force ont commencé à s’inquiéter des problèmes que pourrait poser un espace aérien de plus en plus congestionné.

Des offi ciers de l’US Air Force ont fait circu-ler des documents de briefi ng citant un géné-ral qui aurait déclaré : “Ce qui m’inquiète, c’est le jour où un drone fracassera le cockpit d’un C-130 bourré de soldats.”

Collision en plein ciel. Les craintes du général étaient fondées. Le 15 août 2011, un C-130 Hercules d’un poids frisant les 75 tonnes avait amorcé sa descente vers la base opérationnelle avancée de Sharana, dans l’est de l’Afgha-nistan. Soudain, à environ 500 mètres d’altitude, l’énorme appareil a percuté un objet volant de près de 200 kilos. “Bordel de merde !” a hurlé, d’après la transcription de l’enregis-treur du cockpit, le navigateur de l’Hercules. “On a été touché par un UAV !” Il s’agissait en eff et d’un UAV, ou Unmanned Aerial Vehicule [véhicule aérien sans pilote]. Contrôlé par une équipe de l’armée de terre stationnée au sol, un RQ-7B Shadow venait de s’écraser entre les deux moteurs de l’aile gauche de l’Hercules. Le kérosène s’est mis à jaillir de la brèche ouverte dans l’aile. L’équipage a stoppé un des moteurs et demandé par radio qu’on dégage la piste d’at-terrissage. Deux minutes plus tard, l’appareil se posait tandis qu’un nuage de fumée s’élevait de son fl anc gauche. “Y a un putain de trou dans l’appareil”, a observé le pilote, toujours selon l’enregistreur de vol. Il n’y a eu aucun blessé. Cinquante secondes plus tard, l’opérateur du drone, ignorant l’incident, a contacté par radio la tour de contrôle et avoué qu’il avait perdu la trace de son engin. “On a un, hum… un C-130 qui a percuté un UAV, a répliqué le contrôleur. Ça m’a tout l’air d’être le vôtre.”

La collision a pulvérisé le Shadow. Lorsque la nouvelle de l’accident s’est propagée, les mili-taires ont été un temps sur des charbons ardents. Si les enquêteurs parvenaient à la conclusion que l’équipe de contrôle du drone était respon-sable de l’accident, cela pouvait nuire aux pro-jets de faire voler des drones non seulement à

29 ←

“Voler est une activité intrinsèquement dangereuse”

The Washington Post a consacré une grande enquête aux problèmes de sécurité posés par les drones, dont nous reprenons ici le premier volet, centré sur les accidents militaires à travers le monde. Le second volet porte sur les crashs de drones de l’armée aux Etats-Unis. Le troisième concerne des cas de proximité dangereuse entre des avions civils et des drones volant en contravention des règles de la Federal Aviation Administration (FAA, l’agence américaine de l’aviation civile).

A la une

Page 31: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 DRONES : LE GRAND EMBOUTEILLAGE. 31

CO

URR

IER

INTE

RNAT

ION

AL

- SO

URC

ES :

CON

STRU

CTEU

RS

DRONES CIVILS

Envergure : 96 cmPoids : 700 gAutonomie : 50 minVitesse : 60 km/h

↓ eBee Cartographie agricole

↑ Prime Air Livraison (prototype)

← Hexo + Vidéo sportiveEnvergure : 62 cmPoids : 980 gAutonomie : 15 minVitesse : + de 70 km/h

l’étranger, mais aussi aux Etats-Unis. Les res-ponsables militaires ont précisé qu’il n’y avait eu qu’un seul autre cas de collision aérienne impli-quant un drone, il y a une dizaine d’années, cette fois avec un hélicoptère qui avait été percuté par un petit engin à lancement manuel opérant au-dessus de l’Irak.

Les accidents évités de justesse ont été plus fré-quents au sol. “Où est donc cette foutue piste ?” a crié le capitaine de l’US Air Force Matthew Scardaci lorsque son moteur est tombé en panne et juste avant que son Predator s’écrase sur la base aérienne de Kandahar, le 5 mai 2011. “Oh merde ! oh nom de Dieu ! qu’est-ce que c’est ?… Qu’est-ce que c’est que tout ce bordel que j’ai percuté ?” Il s’est avéré que c’était une rangée de containers vides. Là encore, il n’y a eu aucune victime. Dans l’est de l’Afghanistan, en six mois, deux Predator armés de missiles Hellfi re se sont écrasés à proximité de quartiers résidentiels de la ville de Jalalabad. Dans un de ces cas, le 20 août 2011, un drone “a commencé à piquer vers le sol” après la rupture d’une de ses hélices. “J’ai regardé en bas, et il y avait des mai-sons tout autour”, a raconté l’opéra-teur de la caméra aux enquêteurs. Le Predator s’est écrasé sur deux maisons afghanes et a déclenché un incendie. Pas de victime. L’armée a versé un dédom-magement aux propriétaires des maisons.

Dans les stations de contrôle à terre, les pilotes de drones sont entourés de volumineux classeurs contenant des check-lists qui doivent leur permettre de faire face à n’importe quel scé-nario. Reste que des erreurs sont toujours pos-sibles. L’une d’entre elles est fréquente : oublier d’activer le Stability Augmentation System, qui empêche le drone d’osciller ou de partir en vrille. Dans au moins 5 occurrences, les pilotes ne l’ont pas mis en marche ou l’ont accidentellement désactivé, puis ont observé, perplexes, l’avion amorcer un piqué fatal. Le 16 août 2010, ni le pilote ni l’opérateur caméra n’ont remarqué les lumières rouge vif qui sont apparues sur l’écran placé devant eux lorsque leur Predator a décollé de la base aérienne irakienne de Balad avec son stabilisateur éteint. “C’est fl ippant !” s’est exclamé l’opérateur caméra au moment où le drone s’écra-sait, creusant un trou de 1 mètre de profondeur à proximité de la piste. “Qu’est-ce qui s’est passé,

bordel ?” Les enquêteurs ont imputé l’accident au “manque d’attention” des pilotes. Dans 4 cas survenus entre 2009 et 2012, les responsables de l’US Air Force ont établi que les pilotes avaient fait preuve d’une négligence délibérée et les ont soumis à une enquête pour manquement à leur devoir. L’un avait envoyé involontairement un Predator droit dans une montagne afghane de plus de 3 000 mètres alors qu’on l’avait spécifi que-ment mis en garde contre le relief accidenté de la région. Les enquêteurs ont conclu que ce pilote inexpérimenté, impatient d’aider les troupes au sol et préoccupé par des nuages d’orage dans le

secteur, avait oublié la montagne qui se dressait devant l’appareil.

Les rapports d’enquête sur les acci-dents énumèrent une série de situations

critiques dans lesquelles les drones ont échappé à tout contrôle, au point que les

équipages ont dû recourir à des mesures extrêmes pour éviter une catastrophe. Les rap-

ports montrent qu’à 6 reprises entre 2006 et 2012 les pilotes ont délibérément dirigé

leur engin contre un fl anc de montagne après avoir constaté que le moteur fl anchait. Selon les consignes militaires, il était considéré comme plus prudent de percuter un sommet lointain plutôt que de courir le risque de voir le drone écraser quelqu’un en tentant un atterrissage d’urgence sur un aérodrome. “Il l’a pulvérisé”, a déclaré d’un ton approbateur un contrôleur de mission de l’US Air Force après qu’un pilote eut dirigé son Predator, dont l’un des moteurs était cassé, contre une montagne de l’est de l’Afgha-nistan le 26 octobre 2012. Dans plusieurs autres cas, des drones ont tout simplement disparu sans laisser de traces. Le ciel nocturne était parfaite-ment dégagé le 10 juillet 2011, et le vent faible, lorsque l’équipe qui contrôlait un Predator armé à une altitude de plus de 5 000 mètres au-dessus de l’Afghanistan a vu ses écrans devenir vides. Les liens satellites étaient interrompus. Malgré plusieurs heures de recherche, aucun radar n’a pu repérer l’avion. Une recherche aérienne s’est avérée tout aussi infructueuse.

Carcasse disloquée. Les plus gros drones sont équipés de transpondeurs qui indiquent leur position. Si le système électrique tombe en panne, les transpondeurs cessent naturel-lement de fonctionner : or, pour des raisons de poids, la plupart des modèles n’emportent aucun système de secours alimenté par bat-teries. C’est ainsi qu’a été perdu un Predator armé le 20 novembre 2009, disparu des écrans vingt minutes à peine après avoir décollé de la base de Kandahar. Les recherches se sont pour-suivies durant deux jours mais, aucune trace de l’appareil n’ayant été repérée, il a été déclaré perdu. Cinq semaines plus tard, des soldats sont tombés sur sa carcasse disloquée à une dizaine de kilomètres de la base. L’enquête a établi que le crash avait été provoqué par une “panne élec-trique catastrophique” déclenchée par un court-circuit sur un câble d’alternateur.

La foudre, les vents violents et le givre peuvent être extrêmement dangereux pour les drones. Le 13 décembre 2012, un hélicoptère sans pilote de la Navy tentait de se poser sur l’USS Robert G. Bradley, une frégate porte-missiles évoluant au

large de la Libye, lorsque le rotor de queue s’est brisé net à 5 mètres au-

dessus du pont d’envol. Des témoins ont vu un bloc de glace d’un bon demi-mètre de long se déta-cher de la queue de l’appareil ; les enquêteurs ont établi que les conditions glaciales régnant en alti-tude avaient provoqué l’accident. Heureusement pour l’équipage, le drone, un MQ-8B Fire Scout, a plongé dans la mer au dernier moment, man-quant d’un cheveu de percuter le navire.

Disparu en vol. Les drones dépendent de liaisons radio pour la navigation et le contrôle. Pilotes et opérateurs caméra transmettent leurs instructions au drone par l’intermédiaire d’une liaison de commande habituellement relayée par satellite. Les données concernant les mou-vements et les opérations internes de l’appa-reil sont envoyées à la base de contrôle par une liaison séparée. Ces liaisons peuvent être facile-ment interrompues par diff érentes interférences. En général, les blancs dans la transmission ne durent que quelques secondes et sont donc sans conséquences. Mais, par précaution, les drones sont programmés pour adopter un vol circu-laire jusqu’au rétablissement des liaisons. Dans le pire des scénarios, ils sont censés regagner automatiquement leur base de départ. Les don-nées montrent que cela n’est pas toujours le cas. Dans plus d’un quart des accidents étudiés par The Washington Post, les liaisons avaient été per-dues peu avant le moment du crash. Plusieurs pilotes ont déclaré aux enquêteurs qu’ils étaient tellement habitués aux coupures de liaisons qu’ils avaient tendance à ne plus s’en inquiéter, sauf si elles se prolongeaient plus de quelques minutes. “Je dirais qu’après l’intervalle habituel de trois à cinq minutes vous avez l’impression que l’avion a cessé de vous parler et qu’à partir de là personne ne peut être sûr de le retrouver”, a expli-qué un pilote de Predator à la suite d’un crash survenu en Afghanistan le 20 avril 2009. Moins d’un mois plus tard, alors qu’il menait depuis cinq heures une mission de surveillance au-dessus de l’Afghanistan, un Predator a perdu sa liaison satellite et disparu dans le ciel. Les enquêteurs n’ont jamais retrouvé sa carcasse et ont été incapables d’identifi er la cause de l’ac-cident ; il faisait beau et on n’a détecté aucun signe de problème mécanique ni d’erreur de la part de l’équipage.

Les connexions satellite peuvent être inter-rompues lorsqu’un drone eff ectue un virage trop serré ou perd trop rapidement de l’altitude. Des problèmes électriques au sol peuvent également perturber les liaisons radio. Le 21 juillet 2008, le chaos s’est emparé d’une station de contrôle au sol de l’US Air Force où des équipages contrô-laient simultanément trois Predator évoluant au-dessus de l’Afghanistan. L’alimentation élec-trique de la station est brutalement tombée en panne et tous les écrans sont devenus noirs. Au bout de quelques minutes, le courant a été réta-bli et les pilotes ont pu reprendre le contrôle de deux des Predators, qui, suivant leurs instruc-tions préprogrammées, volaient en cercle. Le troisième s’était volatilisé.

—Craig WhitlockPublié le 20 juin

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur “Drones�: le grand embouteillage” dans l’émission de William Leymergie, jeudi 24 juillet à 7 h 35 et 8 h 45

Page 32: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

32. À LA UNE Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

On a du mal à imaginer que les Etats-Unis pourraient accepter de voir un autre pays – fût-il un allié – bénéfi cier d’une telle latitude. Pour autant, ils seraient mal inspirés de s’en émouvoir. Imaginons que la Chine entreprenne d’éliminer des séparatistes ouïgours [minorité musulmane du Xinjiang] en Afghanistan ou plus loin. A quel titre les Etats-Unis protesteraient-ils ? Le même raisonnement s’applique à Vladimir Poutine s’il en venait à ordonner des frappes de drones dans l’est de l’Ukraine. Et ainsi de suite. La proliféra-tion des drones représente une menace réelle, qui pourrait bien s’inscrire dans la durée.

Dérogation. Le réfl exe des Etats-Unis est de revendiquer une dérogation en matière de drones. Comme ils l’ont fait avec la Cour pénale interna-tionale, dont les restrictions s’appliquent à tous les soldats, sauf aux Américains. Parce que le pays serait démocratique et “universel”, c’est à lui et à lui seul que l’on devrait faire confi ance pour piloter des drones.

Certes, la plupart des gens sont prêts à déclarer la main sur le cœur qu’ils feraient plus confi ance à Barack Obama en la matière qu’à Xi Jinping, à Vladimir Poutine ou à tel ou tel prince du Golfe. Hélas, ce type d’argument n’a aucune chance de prendre dans les régimes qui sont précisément les plus inquiétants.

Nous entrons dans une curieuse phase. A l’heure où d’autres pays se dotent de cette technologie, les Etats-Unis en établissent les règles. Obama va renforcer les fondements juridiques de l’em-ploi des drones avant de quitter ses fonctions. La gestion des drones contrôlés par la CIA [dans certaines régions du monde] devrait être trans-mise au Pentagone, moins cachottier. Obama devrait également instituer un comité indépen-dant chargé d’encadrer le recours aux drones par le président. Il pourrait même promettre de reconnaître l’existence de chaque frappe et d’en publier un compte rendu détaillé, en par-ticulier le nombre de victimes civiles. Reste à savoir si cela sera suffi sant pour refroidir l’ar-deur des autres pays.

—Edward LucePublié le 29 juin

—Financial Times (extraits) Londres

D ans un grand nombre de régions du globe, le drone Predator symbolise la puissance américaine : omniprésent, furtif, capable de frapper à tout moment. Il sillonne les ciels d’Asie centrale, d’Afrique du Nord, de la péninsule arabique – et de l’Irak.

D’autres pays possèdent des armes nucléaires et des porte-avions, mais aucun n’est capable de rivaliser avec l’ingéniosité létale des missiles amé-ricains Hellfi re [qui équipent les drones]. Il n’est guère étonnant que deux présidents américains – George W. Bush et Barack Obama – y aient eu si souvent recours. Mais le temps où les Etats-Unis avaient l’apanage des drones touche à sa fi n.

Menace. Le problème numéro  un de Barack Obama est leur prolifération à travers le monde. En eff et, contrairement aux armes nucléaires, aucun traité ne réglemente l’usage des drones militaires. Pendant près de dix ans, la CIA a pu frapper ses cibles en toute impu-nité ou presque, et nier l’existence même de ces frappes. De tous les partenaires des Etats-Unis, seul le Royaume-Uni a été jugé apte à recevoir des drones d’exportation. Mais d’autres pays, notamment l’Iran, dont les drones côtoient leurs pendants américains dans le ciel d’Irak, n’ont guère eu de mal à décrypter le fonctionnement des avions sans pilote américains. La Chine a même entrepris d’en exporter et, le mois der-nier, l’Arabie Saoudite est devenue son premier gros client. D’ici cinq ans, un grand nombre de pays – dont certains fort peu recommandables – posséderont à leur tour des drones militaires.

Ce qui ne va pas sans créer de problèmes à Obama et à son successeur, de quelque bord qu’il soit. Pour schématiser, les Etats-Unis n’ont d’autre choix que de tomber dans l’hypocrisie : faites ce que je dis, pas ce que je fais. Personne n’a envie de voir d’autres pays imiter l’Amérique. De nom-breuses voix, dont celle d’Obama lui-même, ont exhorté à la transparence au sujet de l’utilisation guerrière des drones militaires. Mais, à l’heure qu’il est, Obama peut ordonner des assassinats ciblés par drone interposé sans être tenu de les reconnaître ni de s’en expliquer. C’est ainsi que des centaines de terroristes ont été éliminés au Pakistan, au Yémen et ailleurs. Et des centaines de civils, voire des milliers, ont également été tués accidentellement à ces occasions.

Les engins militaires prolifèrentLongtemps, les Américains ont eu l’exclusivité des avions de combat sans pilote. Ceux-ci sont désormais entre toutes les mains.

—Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

E n juin, quelques fans des Los Angeles Kings fêtaient la victoire de leur équipe à la Stanley Cup [championnat nord-américain de hockey sur glace] quand ils ont remarqué un drone quadrirotor de la gamme Phantom qui sur-veillait la scène d’en haut. Furieux de cette

intrusion, ils l’ont fait tomber et l’ont réduit en miettes à coups de skateboards.

Les restes du drone attendent que son propriétaire vienne les récupérer à la salle des objets trouvés de la police municipale de Los Angeles [LAPD]. Si le propriétaire se présente, la police lui rendra son drone mais ne fera pas grand-chose de plus. Il n’est pas interdit de faire voler un drone dans l’espace public, a-t-elle conclu.

“Cet incident nous a ouvert les yeux. Il va vraiment falloir qu’on prête attention à ce genre de choses, confi e le commandant Andrew Smith, du LAPD. Cela va sans doute prendre une ampleur énorme.”

Techno

Petites leçons de politesse●●● Si l’on veut éviter les collisions en vol, il faut enseigner aux drones la politesse, affi rme le New Scientist. C’est justement l’objet des recherches menées par l’équipe de Sandor Veres à l’université de Sheffi eld (Royaume-Uni). Le système développé par les chercheurs combine deux actions : d’une part, des capteurs permettent aux robots de construire en temps réel une cartographie 3D de leur environnement et de se situer dans cet espace ; d’autre part, ils ont la capacité de communiquer directement entre eux et d’adapter leurs mouvements en fonction de ceux de leurs “pairs”. “L’objectif à terme est de développer une armée pour la recherche et le sauvetage. [Des contingents] capables de surveiller un périmètre, de décider quels sont les endroits à explorer en priorité et de coordonner effi cacement les actions des diff érentes équipes de drones en prenant les décisions collectivement”, indique le magazine scientifi que.

Un hobby envahissantA mesure que les drones de loisir se répandent, les craintes pour la vie privée se multiplient.

↑ “Maintenant je ne sors plus sans ma tapette à drones.” Dessin de Bob Englehart paru dans The Hartford Courant, Etats-Unis.

Page 33: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 DRONES : LE GRAND EMBOUTEILLAGE. 33

La multiplication de ces appareils sans pilote commence à faire débat. Ils servent en particulier à produire des vidéos : YouTube déborde de films montrant les sites du Yosemite [parc national californien], à tel point que les rangers ont publié en mai un communiqué interdisant les drones dans le parc. Un de ces appareils s’est récemment écrasé dans le Grand Canyon, à la stupéfaction des visiteurs qui admiraient le coucher de soleil.

Le service des parcs nationaux a annoncé en juin avoir l’intention d’interdire les vols de drone à basse altitude au-dessus des 340 000 kilomètres carrés qu’il gère, invoquant la sécurité des visiteurs et les effets sur la faune.

D’autres vidéos filmées par des drones, qui montrent des événements sportifs, des plages et même des contrôles d’alcoolémie ont également fait leur apparition sur la plateforme vidéo.

La Federal Aviation Administration [FAA, agence fédérale de l’aviation civile] a beau avoir toute une réglementation régissant l’usage des drones par les entreprises privées et les forces de l’ordre, l’utilisation du drone de loisir est peu réglementée.

D’après la FAA, il pourrait y avoir 7 500 drones civils de loisir en circulation d’ici cinq ans. L’agence espère élaborer des règles plus claires en la matière d’ici à 2015, mais certains experts jugent que c’est trop optimiste.

Daniel Saulmon, 42 ans, habitant de Torrance [dans le comté de Los Angeles], fait voler son drone dans la South Bay depuis deux mois. Il a créé un site web sur lequel il poste régulièrement des vidéos de contrôles d’alcoolémie qu’il dit destinées à identifier les abus de pouvoir des forces de l’ordre.

“Mon avocat m’a dit qu’il n’y avait pas vraiment de réglementation”, confie-t-il. La police de South Bay connaît bien ses vidéos. Saulmon a également fait voler son drone au-dessus des raffineries de pétrole de South Bay et le long de la jetée de Hermosa Beach. Il ne voit pas en quoi ses films constitueraient une violation de la vie privée.

La présence des drones provoque cependant parfois des réactions violentes.

“Une fois que les drones seront largement répandus dans notre société, cela va susciter beaucoup d’inquiétude. Ils sautent aux yeux et il est facile de voir les implications qu’ils peuvent avoir pour la vie privée”, déclare Jennifer Lynch, juriste et membre de l’Electronic Frontier Foundation [EFF, association de défense des libertés sur Internet].

Harcèlement. L’année dernière à Hermosa Beach, une dame, furieuse, s’est plainte auprès d’un maître-nageur sauveteur d’un drone en vol stationnaire qui prenait des photos d’elle et de sa fille en train de bronzer.

Dans le Connecticut, un homme qui faisait voler un drone au-dessus d’une plage s’est fait agresser par une femme qui l’accusait de prendre des photos d’elle.

Au mont Rushmore, un ranger a confisqué un drone qui tournait autour du monument et au-dessus de la tête des visiteurs.

En avril, des volontaires du Zion National Park, dans l’Utah, ont vu un drone tourner autour d’un troupeau de moutons, séparant les brebis des agneaux. “C’est du harcèlement”, souligne Jeffrey Olson, porte-parole du service des parcs nationaux.

Selon la FAA, l’usage récréatif des drones est autorisé tant que les pilotes ne sont pas trop téméraires. Les directives relatives aux aéromodèles, élaborées en 1981, recommandent de voler à une altitude sûre, à bonne distance des aéroports, et d’éviter les foules.

La police considère certaines activités comme illégales, par exemple la perturbation de la cir-culation des avions ou l’espionnage de ses voisins.

“Je dois juger au cas par cas”, confie le lieutenant Phil Smith, de l’unité aérienne de la police de Los Angeles.

—Joseph SernaPublié le 21 juin

Océans

Et maintenant ils nagent !Le futur terrain de chasse des drones, c’est l’océan. Mais là aussi on redoute les collisions.

●●● Ce mois-ci, sur le chantier naval Christensen, à Vancouver (près de Portland, aux Etats-Unis), la construction d’un nouveau trimaran a démarré. Sa particularité ? Il sera le premier navire robotisé autonome capable de repérer et de traquer les sous-marins qui s’aventurent là où ils ne devraient pas, indique le site américain Gizmag, dédié à l’innovation technologique. Cet équipement est un Anti-Submarine Warfare Continuous Trail Unmanned Vessel (Actuv), un prototype de bâtiment de surface anti-sous-marin (ASM), construit par l’entreprise d’ingénierie Leidos sous l’égide de la Darpa, l’agence de R&D militaire des Etats-Unis. “Le navire fera 40 mètres de long et patrouillera sur les mers pour repérer les sous-marins diesel électriques, silencieux, sans intervention humaine directe, une capacité qui le met à la pointe de la robotique navale”, écrivait en août 2013 Popular Mechanics. Comme pour ses homologues aériens, les avantages du drone marin sont multiples, souligne le magazine scientifique : “Un navire sans équipage peut rester en mer plus longtemps, pèse moins lourd et va plus vite qu’un bâtiment normal. Contrairement à un robot contrôlé à distance, un robot autonome n’est pas vulnérable au brouillage des communications et coûte moins cher à faire fonctionner parce qu’il ne nécessite de contrôle à distance que pour entrer et sortir d’un port.” Les militaires ne sont pas les seuls à regarder ces robots-navires de près, la marine marchande, elle aussi, est très intéressée par leurs qualités – et en premier lieu par les économies qu’ils sont censés générer. Des cargos automatisés pourraient donc croiser dans les eaux internationales. Le seul problème pour le moment, c’est qu’il n’y a pratiquement aucune réglementation concernant les navires sans pilote et la sécurité en mer. “Les robots navals doivent apprendre le Règlement international pour prévenir les abordages en mer (Ripam), un système de drapeaux et de signaux lumineux qui permet à un bateau de connaître la position et la direction d’un autre. Ce règlement a évidemment été écrit pour des êtres humains et fait appel aux vigies, aux radars et aux communications radio”, rappelle Popular Mechanics. Chad Hawthorne, qui supervise la section du raisonnement automatisé de l’université Johns Hopkins, plaide pour que les règles de sécurité soient réécrites de façon à tenir compte des technologies émergentes, et pas seulement des robots contrôlés à distance déjà existants. “Ne nous lions pas les mains”, insiste-t-il.

↓ Un autocollant de pare-choc imitant un permis de chasse antidrone.

CA

GLE

CA

RTO

ON

S

A la une

“25 raisons d’aimer les drones et 5 raisons de les craindre”. Popular Science fait dans la provoc et interpelle ses lecteurs. “On sait bien ce que vous pensez : aimer les drones, ces objets volants menaçants, ces tueurs invisibles ?” écrit le magazine de vulgarisation dans son numéro d’août 2014. Il met pourtant ces robots à l’honneur, avec en une un livreur de pizzas héliporté. “Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle, dans laquelle ils vont changer le monde et notre façon de l’appréhender.” Les drones vont rendre nos villes plus intelligentes, plus sûres, et aider à sauver la planète, avance Popular Science.

Page 34: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

34. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

sortaient dans le magazine.” Faisait-il autre chose, comme écrire des petites présen-tations des articles ? “Non. Je devais seule-ment remplir des champs avec les textes qu’on m’envoyait par courriel.” La rémunération ? “A l’heure, mais, comme j’étais le plus jeune, ils me demandaient de rester pour donner un coup de main avec les ordinateurs.”

Ça a duré huit mois. Puis il a décidé de se mettre à son compte. Le bureau, c’était à la maison : une chambre de 20 mètres carrés en banlieue qu’il partageait avec Matteo Toffalori, un garçon de 20 ans, lui aussi geek et aspirant graphiste free-lance. Sur son ordinateur, au pied du lit, il conce-vait des sites web et des prospectus pour des petites entreprises et des artistes émer-gents. L’argent ? Comme la majeure partie de ses collègues, chaque fois l’attendait un chemin de croix ponctué de factures réglées une fois le travail livré, payées générale-ment en retard, parfois au noir.

Mais en décembre quelque chose a changé. Il a fondé une famille. Et avec Matteo Toffalori il a créé Reactio, une société spé-cialisée dans les effets spéciaux et l’anima-tion 3D. “Il n’y a pas de métier plus gratifiant ni plus créatif, explique-t-il. Je passe des heures devant l’écran à déplacer des lignes, modifier des formes. La satisfaction dépend entièrement du résultat : si je peux être fier de mon travail, ça en vaut la peine. Mais, si je suis obligé de faire trente fois des modifications parce qu’‘ici, ça ne va pas’ et ‘refais-moi ça, là’, à la fin j’en ai la nausée.” Il y a quelques mois, une entre-prise lui a demandé d’effacer l’image d’une bouteille d’eau dans un film d’une heure et demie. Rétribution : 800 euros. “Un truc de fou ! Il fallait passer la gomme sur chaque image, il y en a vingt-cinq par seconde.” Au bout de trente-cinq jours il a déclaré for-fait. Il n’a pas touché un euro.

Les cols bleus du numérique savent qu’ils sont privilégiés par rapport au Cipputi du dessinateur Altan [un personnage de bande dessinée, ouvrier métallurgiste communiste]. “Les horaires de travail, en général, c’est toi qui les gères, explique Marco D. Plus tu tra-vailles pour de nouvelles entreprises, plus tu utilises des plateformes différentes, plus tu as de l’expérience et des compétences nouvelles.” Bref, ce n’est pas la pure répétitivité de la chaîne de montage. Il faut de la logique, du raisonnement, de l’inventivité. C’est aussi l’avis de Francesco Wil Grandis, auteur d’un témoignage publié sur le site Nomadi Digitali [Nomades numériques] : “J’ai vécu mon métier de programmeur sans stress.” Son patron, il l’a rencontré en ligne, sur une pla-teforme d’outsourcing – un espace virtuel où les entreprises peuvent chercher des pro-fessionnels du monde entier, et vice versa.

Sciences ........36Signaux .........37

Les prolétaires 2.0Emploi. Editeurs de contenu, monteurs, graphistes ou postproducteurs : ces métiers se résument souvent à des tâches aliénantes. En Italie, ces ouvriers du web sont déjà un demi-million.

—L’Espresso (extraits) Rome

Nous parlons d’ouvriers, mais d’ou-vriers numériques. Ces manœuvres qui entretiennent les sites web, suent

sang et eau pour que les films et les séries arrivent à temps dans nos salons, alimen-tent les flux de nos applications, les sites de streaming et les bases de données sur lesquelles reposent de nombreux services essentiels aujourd’hui. Aux Etats-Unis, cette armée compte déjà 4,7 millions de petits soldats. Selon les estimations du gouver-nement américain, ils seront 1,5 million de plus d’ici à 2022. En Italie, d’après le der-nier recensement de l’Institut national de statistique, qui date de 2011, la fabrique vir-tuelle compte 450 606 travailleurs.

Ces ouvriers 2.0 sont programmeurs, éditeurs de contenu, monteurs, chargés du buzz marketing [technique consistant à faire du bruit autour d’un événement], techniciens de postproduction, managers de médias sociaux, graphistes et spécia-listes des effets vidéo. Autant de mots qui inondent les pages d’offres d’emploi. Au point d’incarner l’espoir d’une génération entière de jeunes (et de moins jeunes), pour qui ces offres sont doublement allé-chantes : outre un salaire, elles promettent des métiers aussi créatifs et innovants que les technologies qu’ils requièrent.

Mais la promesse n’est pas entièrement tenue. Car, si les conditions de travail ne sont en rien comparables à celles de l’in-dustrie lourde, derrière ces sympathiques annonces se cachent souvent des tâches mécaniques et répétitives. En un mot : alié-nantes. Quant aux droits conquis par les syn-dicats, ils ne sont souvent que des reliques du passé. Les grouillots du Net se sont faits à l’idée de ne pas avoir d’horaires de travail, d’être rémunérés à la tâche, de trimer à la maison comme les couturières d’antan et d’accepter, dans les cas les plus extrêmes, des mini-activités virtuelles payées 2 dol-lars [1,5 euro] l’heure, quand ce n’est pas en bons d’achat à dépenser en ligne.

“C’est un Far West où les clients ont le pou-voir”, soupire Patrizia Tullini, professeure de droit du travail à l’université de Bologne. Ainsi, même si les sirènes des usines sont loin, si les bleus de travail ont disparu, si les grandes cheminées ne sont plus qu’un vieux souvenir, le secteur éthéré de l’in-formatique a d’un côté ses managers, ses créatifs, et de l’autre ses ouvriers. Comme ceux dont voici l’histoire.

Chemin de croix. Davide Rovere a 36 ans. Il commence à avoir quelques cheveux blancs, mais il porte encore des sweats à capuche et des jeans oversize. Il y a treize ans, il a obtenu son diplôme de design industriel à Trévise. Après avoir passé des entretiens pendant des mois, il est parti chercher l’herbe plus verte à Milan. Là, il a aussitôt trouvé son premier emploi dans une maison d’édition, comme éditeur web. Ça sonnait bien. “Je devais mettre en ligne les articles qui

trans-versales.

économie

↙ Dessin d’Ares, Cuba.

“Il y a peu de postes pour les vrais créatifs, et beaucoup pour la main-d’œuvre à faible valeur ajoutée”

Page 35: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 35

Avec son client américain, ils sont tombés d’accord du premier coup ; il a travaillé quatre ans pour la même entreprise : un bon salaire, la liberté, des commandes de plus en plus intéressantes. Un cas d’école.

Les métiers du numérique sont tentants pour plusieurs raisons. Parce qu’ils donnent l’impression d’être innovants. Parce qu’ils semblent faciles : la quasi-totalité des jeunes savent parfaitement se servir de Facebook, par exemple, pour rester en contact avec leurs amis. Alors pourquoi ne pas en faire un métier ? C’est ainsi que naissent des “éditeurs de médias sociaux”, dont la tâche consiste à alimenter les discussions en ligne sur un produit. Mais la compétition est rude. Avec des conséquences variées.

Imaginaire. La première, évidente, c’est la baisse des salaires. La deuxième, c’est le recul des garanties (le classique : “Ça ne te plaît pas ? Il y en a plein qui attendent dehors.”) Et la troisième : “Comme souvent ce travail n’est ni reconnu ni rémunéré à sa juste valeur, les gens en arrivent à penser que c’est normal d’être un peu exploité quand on fait un métier aussi innovant”, analyse Matteo Tarantino, jeune sociologue à l’Université catholique de Milan. “En réalité, ce sont des ouvriers, mais ni les entreprises ni eux-mêmes ne se défi nissent ainsi. Si l’imaginaire a changé, le fond capitalistique demeure : il y a peu de postes pour les vrais créatifs. Beaucoup pour la main-d’œuvre à faible valeur ajoutée.”

“Quand je dis quel métier j’exerce, on me répond tout de suite : super ! Et moi, embar-rassé, j’explique que, c’est sûr, je ne suis pas manœuvre, mais j’ai une activité avec zéro créativité, très répétitive.” Roberto est mon-teur dans une société qui importe des fi lms et des émissions de télévision, qu’elle sous-titre et qu’elle double. Son travail à lui, c’est de réceptionner chaque vidéo, de la répar-tir par petits bouts entre ses collègues, puis de tout remettre ensemble en contrô-lant toutes les images avant qu’elles n’arri-vent chez des millions de téléspectateurs.

En fait, son activité consiste à bouger les yeux et la souris : il regarde les vidéos au moins deux fois, les remanie, les répartit. Et puis de nouveau il fait des coupes, pia-note sur son clavier, sauvegarde, envoie. Une routine tout ce qu’il y a de plus méca-nique. “Mais je ne me plains pas, insiste-t-il, j’ai un supersalaire, un vrai contrat.” Dans son bureau sans fenêtre, l’unique lumière est celle des écrans. Il n’a pas tellement de contacts avec ses collègues. “Quand certains dessins animés arrivent, j’ai envie de me pendre : 130 épisodes de quarante minutes avec les chansons, les bonshommes qui dansent, les chorégraphies, et moi je dois regarder tout ça trois fois. Quand je ressors, je n’arrive plus à me sortir les musiques de la tête.” Reste que, dans son entreprise, il y a plus mal loti : “J’ai refusé de m’occuper des documentaires sur la chirurgie.”

Comme à l’usine, il existe des techniciens ultraspécialisés. Marco Perini, 33 ans, est l’un d’entre eux. Son travail consiste à faire

—Le Temps (extraits) Genève

Philippe Rey-Gorrez, fondateur et directeur de l’entreprise genevoise Teamwork, a une passion : les activités de groupe. Il off re à ses quelque 280

employés spécialistes de logiciels de gestion d’entre-prise et de gestion de fortune la possibilité de vivre des expériences plutôt originales hors des heures de bureau, “pour être ensemble et se sentir bien” : cours de cuisine, pièces de théâtre, voile, spéléologie, haute montagne.

Les escapades en altitude se sont transformées en véritable défi au long cours : gravir les quatre-vingt-deux 4 000-mètres des Alpes. L’aventure pren dra fi n cette année. Au total, une cinquantaine d’employés auront participé à ces sorties et 35, dont de parfaits débutants, auront gravi l’un des 4 000-mètres.

“L’alpinisme nécessite la maîtrise du risque, sans quoi on met l’autre en danger, et il implique un véritable dépassement de soi, rappelle Philippe Rey-Gorrez. Les gens apprennent à se connaître. On voit son collègue à la peine et on l’aide. C’est du team building (de la mise en équipe), mais pas dans un sens forcé, où l’on pousserait des employés à se placer dans l’inconfort. Car l’activité montagne est complètement libre. Nous faisons tout pour que les sorties se passent bien.”

Les participants suivent les informations relatives aux sorties sur le site collaboratif de l’entreprise, qui est géré par le guide. La question de la sécurité est abordée avec un maximum d’attention, même si le directeur sait, en bon montagnard, que le risque zéro n’existe pas et reconnaît qu’un accident aurait des conséquences importantes pour l’entreprise en termes humains, mais aussi d’image.

Les salariés ont enchaîné les sorties depuis 2010. Certains n’avaient aucune idée de cet environnement extrême. D’autres, plus aguerris, ont gravi des sommets diffi ciles (l’aiguille Verte) et une poignée, de très ardus (la traversée des Grandes Jorasses), avec, au besoin, deux jours de libres en pleine semaine pour coller à la météo, les entraînements ayant lieu le week-end. Le patron a parfois suivi les conseils d’un employé plus aguerri que lui. Cette asymétrie occasionnelle plaît à Philippe Rey-Gorrez, lui qui assure viser dans son entreprise “un maximum d’autonomie et un minimum de hiérarchie”.

—Stéphane HerzogPublié le 13 juin

A la une

Le 26 juin, l’hebdomadaire italien de centre gauche L’Espresso a consacré son dossier de une au prolétariat numérique.La couverture est inspirée d’une célèbre photo, Lunch atopa Skyscraper, qui montre des ouvriers assis sur une poutre métallique dominant New York. Mais, au lieu d’avoir leur déjeuner entre les mains, les personnages en bleu de travail ont ici des tablettes, des ordinateurs portables ou des téléphones mobiles.

ARCHIVES courrierinternational.com

A relire, dans CI n° 1181, du 20 juin 2013, “Free-lance : le nouveau prolétaire travaille de chez lui”. Un dossier consacré au développement via Internet d’un marché du travail mondialisé qui n’off re que des microjobs.

Encordés avec les collègues

LA VIE EN BOÎTE

que, dans une vidéo, on entende la voix et non les bruits, les parasites, tous ces sons que les micros captent inévitablement. On appelle ça la postproduction audio, ou encore le sound design. Si de nombreux métiers de l’univers numérique sont peu connus, le sien ne l’est pas du tout : “J’ai encore des clients qui me demandent : ‘Mais ça ne suffi t pas de monter le volume ?’”raconte-t-il en allumant une de ses vingt-cinq cigarettes quotidiennes. “Corriger le son, ça signifi e intervenir au moins quarante fois par minute d’enregistrement : baisser les pics, couvrir cer-tains sons, éliminer les bruits de fond, etc.”

“Sur le Net, tout doit sembler naturel, immé-diat, explique Ruggero Eugeni, professeur de sémiotique des médias. Nous devons avoir l’impression d’être des utilisateurs, pas des consommateurs. Mais, pour que cette rhé-torique tienne, il est fondamental que tout le travail qui se trouve derrière ne se remarque pas. Ceux qui produisent doivent devenir invi-sibles.” Des fantômes.

“La dernière fois qu’on m’a appelé pour une production, on m’a proposé 50 euros par épi-sode, soupire Marco Perini. Vu qu’il fallait quatre heures et demie de travail par épisode, j’ai refusé de continuer.” Un prix correct ? “Ce serait 350 euros. Heureusement, c’est ce que paient beaucoup de mes clients.” Notamment parce qu’il est considéré comme un bon pro-fessionnel : la School of Audio Engineering, la plus grande école du secteur en Italie, lui a proposé d’enseigner.

Aujourd’hui, l’avant-garde du travail numé-rique va bien plus loin. On parle de crowd-working – littéralement, travail de foule ; autrement dit, travail collaboratif. C’est une avant-garde qui a de solides bases en Italie aussi : 100 000 Italiens touchent un salaire grâce à un minijob virtuel. Il s’agit, par exemple, de regarder des centaines de vidéos pour censurer les images pédo-philes. Ou de commenter la page web d’un homme politique. Ou encore de contrôler des feuilles pleines de données. Tout cela pour des rétributions qui vont de 50 cents à quelques dollars l’heure. Le pionnier du secteur est Amazon, avec son Turc méca-nique [site web où des entreprises proposent des microtâches à des travailleurs qui se sont inscrits], mais les usines du genre sont nombreuses : CrowdFlower, un concurrent, se vante d’avoir 5 millions d’inscrits dans 280 pays. La dernière nouveauté concerne l’argent. Virtualisé, lui aussi : les travailleurs d’Amazon sont souvent payés non pas en dollars, mais en monnaie dématérialisée à dépenser sur la plateforme pour acheter livres, chaussures ou DVD.

Et, si les travailleurs jetables qui vivent aux Etats-Unis peuvent choisir entre rece-voir de l’argent ou un chèque-cadeau, les autres (à l’exception des Indiens) n’ont pas le choix : tout ce qu’ils ont gagné sera dépensé dans la boutique du patron. La promesse d’un avenir où même les salaires risquent de devenir virtuels.

—Francesca SironiPublié le 26 juin

TRANSVERSALES.

→ Dessin de Walenta, Pologne.

Page 36: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

TRANSVERSALES36. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

—Nautilus New York

Un soir de janvier 532, des troubles ont éclaté dans l’hippodrome de Constantinople. Dans ce champ

de courses de chars en forme de U, entouré de tribunes, deux groupes, les Verts et les Bleus – les ancêtres de nos hooligans –, en sont venus aux mains. Quand une partie des spectateurs a essayé de prendre la fuite, beaucoup se sont retrouvés piégés par la foule et, n’ayant pu atteindre les sorties, sont morts piétinés. Cet incident a marqué le début de la sédition Nika, qui a fait vacil-ler le trône de l’empereur romain d’Orient Justinien le Grand.

Quinze siècles plus tard, les choses n’ont pas vraiment changé. Il y a encore des

mouvements de panique empêchant la foule de s’échapper d’endroits clos. Depuis 2009, des stades au Maroc, en Côte d’Ivoire, en Thaïlande et en Egypte ont connu des tra-gédies de ce genre. Dans leur étude sur les mouvements de panique, le physicien et sociologue suisse Dirk Helbing et ses col-lègues concluent que “les contacts physiques au milieu d’une foule compacte finissent par produire des pressions dangereuses […] qui peuvent faire ployer des barrières métalliques ou renverser des murs en briques”.

Lorsqu’ils se sentent menacés, certains animaux se regroupent pour améliorer leurs chances de survie. En effet, “les prédateurs ont la capacité de se concentrer sur une seule proie”, fait observer Ralph Tollrian, qui enseigne en Allemagne et étudie l’effet de

SCIENCES

La voie de la fourmiComportement. En cas de panique, pour éviter la bousculade, il faut placer des obstacles sur le chemin des gens qui fuient. C’est ce que nous enseignent les fourmis.

confusion chez les prédateurs. “Lorsqu’ils tiennent une proie, ils ne peuvent pas en chas-ser une autre.” En présence d’un prédateur, les oiseaux et les poissons forment donc des groupes qui se déplacent de manière désor-donnée pour produire chez lui une “sur-charge cognitive”, explique Randy Olson, qui conçoit des modèles informatiques de comportement des prédateurs et des proies à l’université du Michigan. La surcharge cognitive est parfois si forte que le préda-teur peut même abandonner sa poursuite. “Un prédateur désorienté peut être frustré et cesser de chasser”, souligne Ralph Tollrian.

Les humains, eux aussi, ont développé une tendance à se regrouper face au danger. Selon Tollrian, cela présente beaucoup d’avantages, notamment sur un plan défen-sif (il est plus facile pour un groupe de repousser une menace) et sécuritaire (on peut se dissimuler au milieu d’une foule). Quand l’humanité a adopté un mode de vie agraire et urbain, les dangers ont changé de nature mais nos réponses sont restées les mêmes, fair remarquer Randolph Nesse, professeur de psychiatrie à l’université de l’Arizona qui étudie les origines évolution-naires de l’anxiété. “Nous continuons à avoir peur de choses qui étaient dangereuses pour nos ancêtres”, dit-il.

Quand on panique, les vieux instincts resurgissent. Dans une salle disposant de six sorties, la ligne de conduite la plus logique pour une foule devrait être de se répartir également entre les six. Or nous nous ruons sur une seule et finissons par nous blesser.

Même s’il nous est impossible de nous défaire de nos instincts, nous pouvons les maîtriser en comprenant mieux la nature des mouvements de panique. Comme il est difficile de les analyser chez les humains, les scientifiques se sont tournés vers un objet d’étude inattendu : les fourmis.

“Les humains et les fourmis sont des ani-maux très différents”, explique le physicien Ernesto Altshuler, de l’université de La Havane, à Cuba, qui a étudié comment les fourmis s’échappent dans des situations d’urgence. “Quand les humains sont pani-qués, ils agissent d’une façon très primaire et ressemblent un peu aux hyménoptères.” Dans un article paru en 2005, le scientifique décri-vait comment il avait placé des fourmis dans une boîte de Petri pourvue de deux sorties situées symétriquement de chaque côté de la boîte, et comment, lorsqu’il y avait intro-duit un liquide antifourmis, un plus grand nombre d’entre elles s’étaient précipitées vers l’une des deux sorties, reproduisant le comportement asymétrique des humains.

Cette expérience a clairement montré que les mouvements de panique sont les mêmes chez les fourmis et chez les êtres humains. La similitude va même au-delà. Nirajan Shiwakoti, qui étudie la dynamique des foules à l’université Monash, en Australie, a démontré en 2011 que les mathématiques servant à décrire la fuite de fourmis sont similaires à celles appliquées à la fuite d’êtres humains. “Les fourmis forment naturellement

des groupes et empruntent des trajectoires qui rappellent celles des mouvements de foule humains”, dit-il.

Shiwakoti en a déduit qu’il était pos-sible de concevoir un modèle animal, non pour les maladies humaines, mais pour la panique humaine. Il a entrepris de faire des expériences sur l’emplacement et la nature des sorties qui s’offraient aux fourmis et il a fait une découverte très intéressante. En entravant de manière ingénieuse le mou-vement des fourmis paniquées, on accé-lère leur fuite.

Shiwakoti a expérimenté différents scé-narios à l’aide d’une boîte de Petri carrée pourvue de deux sorties : l’une au milieu d’un côté et l’autre dans un coin. Il a constaté que l’issue du milieu – celle qui n’était obs-truée par aucun obstacle – était la moins “efficace”. Cette efficacité était mesurée en fonction du temps qu’il fallait aux fourmis pour atteindre la sortie. Il a fallu en moyenne 18 secondes à 50 fourmis pour atteindre la sortie du milieu. Lorsqu’une colonne a été placée devant cette sortie, cette durée est tombée à 14 secondes. Mais le meilleur temps a été obtenu avec la sortie du coin sans colonne : moins de 9,5 secondes.

“Quand il y a une issue au milieu d’un mur, on peut envisager de s’y rendre à partir de la gauche, de la droite et du centre”, explique Nirajan Shiwakoti. Les différents flux convergent vers la sortie, et chacun doit attendre son tour pour passer. Mais les individus [paniqués] sont impatients et commencent à pousser et à se bousculer.

Les colonnes, elles, contribuent à diri-ger les flux. “La colonne crée deux voies, l’une à gauche, l’autre à droite, et réduit les bous-culades à la sortie”, note le scientifique. Si la sortie du coin est si efficace, dit-il, c’est parce qu’elle a une capacité intrinsèque à diriger les flux. “Avec une sortie située dans un coin, les gens tendent à ne venir que de gauche et de droite, ce qui assure un mouve-ment plus uniforme.”

Nirajan Shiwakoti et son équipe ont essayé de placer des barrières devant les sorties du stade de football de Melbourne par les-quelles on accède à la gare. Les premiers résultats de l’expérience semblent promet-teurs. “En modifiant légèrement la configu-ration architecturale des gares ou des stades, on peut obtenir une énorme amélioration du taux d’évacuation”, indique-t-il. Cette leçon ne devrait guère nous surprendre. Voilà des millions d’années que les four-mis nous montrent comme résorber les embouteillages. Elles peuvent aussi nous enseigner la voie vers la sortie.

—Conor MyhrvoldPublié le 8 mai

Quand on panique, les vieux instincts resurgissent : on se regroupe face au danger

↙ Dessin de Marcos Chin paru dans Nautilus, New York.

Page 37: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 37

DANGER

JOUEURDÉLOYAL

DANGER

ARBITRESAVEUGLES

QUARANTAINE

MEMOÀ L’ENTRÉE

FERMÉ

ACCÈS

À LA COUPE

ACTEUR SURLE TERRAIN

BUTPROVIDENTIEL

ÉQUIPE ÉLIMINÉE

SILENCE

JOUER LA MONTRE

UTILISATION

TIRSAU BUT

DANGER

JAMES RODRIGUEZÀ L’APPROCHE

ARBITRE AUCARTON FACILE

Certains joueurs, comme le Néerlandais Robben face au Mexique, ont eu tendance à plonger

dans la surface pour obtenir un penalty.

Ce sont ceux qui parviennent à tromper l’arbitre en simulant des fautes (le Brésilien

Fred contre la Croatie), des blessures…

Marcher pour effectuer une remise en jeu, passer au gardien, conserver le ballon… tous

les moyens sont bons pour préserver le score.

Le gardien mexicain Memo Ochoa a été le héros de son équipe en multipliant les arrêts spectaculaires, notamment face au Brésil (1-1).

Le meneur de jeu colombien a semé la zizanie dans toutes les défenses adverses.

La tête basse, certaines “grandes” nations du foot (l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre…) ont dû

plier bagage dès la fin du premier tour.

C’est un peu la roulette russe. Plusieurs matchs se sont terminés aux penaltys. Terrible pour les vaincus

(le Chili, le Costa Rica, les Pays-Bas).

Les “dents de la mer”, selon un quotidien britannique. Allusion à Luis Suárez, l’attaquant

uruguayen, qui a mordu un adversaire.

Les polémiques sur l’arbitrage n’ont pas manqué pendant le Mondial (Brésil-Croatie,

Mexique-Cameroun…). Comme toujours.

Cette Coupe du monde restera comme l’une des plus ouvertes, même si, à la fin, c’est la meilleure

équipe (l’Allemagne, favorite) qui a gagné.

Contre le Brésil, l’arbitre algérien a oublié de siffler un penalty malgré une faute évidente du défenseur néerlandais Blind (”aveugle” en anglais) sur Oscar.

Tous ces buts marqués en fin de match, comme en finale (Allemagne-Argentine 1-0,

à la 113e minute de jeu).

signauxChaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

La signalétique du MondialLes grands (et les moins grands) moments de la Coupe du monde de football au Brésil résumés en 12 panneaux.

MARCELO DUHALDE. Ce graphiste chilien collabore régulièrement avec l’hebdomadaire Times of Oman, le plus ancien journal en langue anglaise du sultanat. Avant la Coupe du monde au Brésil, il a participé à la réalisation d’une incroyable infographie sous

la forme d’un ballon 3D pour présenter les 32 équipes en lice. Il a poursuivi ce travail tout au long de la compétition. La page ci-dessus fait partie d’une série de pages visuelles portant sur le Mondial et publiées entre le 12 juin et le 13 juillet.D

RL’auteur

Page 38: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

360°38. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

Un lieu, un artiste 3/5 Dans la ville de Sakaiminato, sur l’île de Honshu, on peut faire de drôles de rencontres. Des monstres et des personnages imaginaires sommeillent à chaque coin de rue, prêts à accoster le visiteur. Leur point commun : tous ont un jour été croqués par Shigeru Mizuki, légende vivante du manga.– Tokyo Shimbun, Tokyo

MAGAZINELes nouveaux joyaux de la Couronne Plein écran .. 42Marijuana express Tendances ................. 44Les Scythes, maîtres de la steppe Histoire .. 46360

Le port des mangas

SÉRIE D’ÉTÉ

Page 39: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

360°.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 39

↓ Protagonistes principaux de Kitaro le repoussant.A l'arrière-plan : un banc dans la Shigeru Mizuki Road, avec l'œil du père de Kitaro. Photo Puff yjet

Page 40: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Regarde, c’est Kitaro ! – Quel beau gosse !” Les voix joyeuses des touristes s’élèvent çà et là sur la Shigeru Mizuki Road, une avenue de Sakaiminato, dans la préfecture de Tottori [ouest de l’île de Honshu]. C’est ici que Shigeru Mizuki, le célèbre auteur de mangas, a passé

son enfance. Un musée est consacré au mangaka et toute la ville lui rend hommage.

Dans la journée, on croise des animateurs déguisés, incarnant des personnages de Mizuki comme Kitaro, le héros de Kitaro le repoussant [une série de mangas publiée en français aux éd. Cornelius]. Mais la nuit, les statues de yokai [des créatures fantastiques issues du folklore japo-nais et qui ont inspiré l’œuvre du mangaka] qui bordent l’avenue créent une atmosphère angoissante, et l’on en vient à se demander si de vrais monstres ne vont pas surgir.

Pour me rendre dans la ville portuaire, j’ai emprunté la ligne Sakai de la Japan Railways. Sur le quai de la station

Yonago [une autre ville de la préfecture de Tottori] m’attendaient de magnifi ques wagons décorés de per-sonnages tirés de Kitaro le repoussant. Occupé à regar-der à travers la vitre les petites villes qui défi laient sous mes yeux, je n’ai pas vu le temps passer et suis arrivé à la gare de Sakaiminato en moins d’une heure. En sor-tant de la gare, j’ai pris l’avenue d’en face. Je suis passé devant la multitude de statues de yokai en bronze qui la bordent, chacune de taille et de stature diff érentes, et j’ai eu l’étrange impression d’être accueilli par des créa-tures folkloriques. Il y en a 153 au total, et une myriade de boutiques et autres établissements sont dédiés à Mizuki, géant encore vivant du manga.

Le musée consacré à l’artiste présente ses mangas les plus célèbres, comme Mon copain le kappa [éd. Cornelius] ou Akuma-kun [“le petit diable”, inédit en français], et retrace son parcours depuis son enfance jusqu’à sa consécration en tant que mangaka. Les photos étant autorisées dans la salle d’exposition du premier étage et dans la cour, ce jour-là des visiteurs se prenaient en photo devant les silhouettes découpées de Kitaro et de Neko musume [la “fi lle-chat”, un autre personnage du même manga]. Des masques de peuples indigènes rapportés par Mizuki de ses voyages en Afrique et sur d’autres continents étaient également exposés, témoins de sa passion pour l’exploration et l’aventure.

Ce qui a particulièrement retenu mon attention dans l’exposition, ce sont les citations de Mizuki retrans-crites çà et là. J’ai été frappé par cette phrase : “Ceux qui n’utilisent pas leur sagesse mais cherchent à utiliser celle des autres ne seront jamais heureux.” Pendant la Seconde Guerre mondiale, le jeune Mizuki a perdu un bras et a risqué sa vie à plusieurs reprises. Mais ces expériences et la misère dans laquelle il a vécu après la guerre n’ont en rien entamé sa détermination. Il a fi ni par devenir le fondateur du genre des mangas de yokai.

Dans la ville, des personnages comme Kitaro, le salarié Yamada ou Nezumi otoko [l’“homme-rat”, tous extraits de Kitaro le repoussant] sont incarnés par des animateurs locaux. Lorsqu’on souhaite les prendre en photo, ils se

Portraits

Mi-monstres, mi-héros

La plupart des protagonistes de Kitaro le repoussant sont tirés

de contes populaires issus des quatre coins de l’archipel.

← KITAROKitaro, littéralement “l’enfant-démon”, est le héros incontesté de l’univers de Shigeru Mizuki. En japonais, son nom complet est Gegege no Kitaro – “Gegege” étant un clin d’œil au bégaiement dont l’auteur souff rait dans son

enfance et qui l’empêchait de prononcer son propre prénom, Shigeru. Ultime descendant de la tribu des morts-vivants,

Kitaro est sorti du ventre de sa mère alors que celle-ci était déjà morte de maladie. Le père a succombé comme la mère, mais a réussi à préserver son œil, appelé Medama Oyaji, pour accompagner Kitaro dans ses aventures. Borgne de naissance, Kitaro cache son œil manquant, le gauche, avec ses cheveux. Il porte des geta (tongs en bois) et un gilet magique. Une mèche se dresse au-dessus de sa tête lorsqu’il sent la présence d’un spectre maléfi que, qu’il combat grâce à ses pouvoirs magiques. Il lui arrive de punir les humains dans certains cas.

↙ NEZUMI OTOKOSi Kitaro est un héros vertueux combattant l’injustice, Nezumi otoko, mi-rat, mi-humain, est un personnage corrompu prêt à trahir son ami

Kitaro à la moindre occasion. Il ne possède pas de pouvoir spécial, ce qui le rend

systématiquement dépendant du garçon.

LE SALARIÉ YAMADA ↗Humble humain au caractère tranquille, il est souvent pris dans de terribles engrenages. Pour créer ce personnage, Mizuki s’est inspiré

d’un de ses anciens éditeurs, Shoichi Sakurai, qui s’était

démené pour publier ses œuvres coûte que coûte.

NEKO MUSUME ↓Mi-chatte, mi-humaine, Neko musume est secrètement amoureuse de Kitaro. Elle a le pouvoir de griff er et de mordre, et a du mal à se contenir à la vue d’un poisson

ou d’une souris.

prêtent volontiers au jeu et acceptent de poser en com-pagnie des visiteurs. Des yokai assoupis au bord de la route, fatigués sans doute d’amuser les touristes, off rent un spectacle attendrissant.

Dans cette ville de monstres, une nouvelle attrac-tion touristique a vu le jour en novembre 2004 : le pont d’Eshima Ohashi, surnommé “le pied au plancher”, qui relie la ville de Matsue, sur l’îlot d’Eshima, au port de Sakaiminato. Long de 1,4 kilomètre, il possède une travée principale

de 250 mètres et s’élève à 45 mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est le plus grand pont en béton précontraint du Japon et le troisième du monde. Son inclinaison atteint 6,1 degrés du côté de Matsue et 5,1 du côté de Sakaiminato. Numériquement parlant, la côte n’est pas très raide, mais, comme le pont est long, on a l’impression, en le regardant depuis Matsue, qu’il s’élance vers le ciel. Avec mon lourd sac à dos et mes deux appareils photo, j’avais le souffl e court, haletant comme si j’appuyais à fond sur l’accélérateur de mon cœur.

Apparue dans un spot télévisé pour une marque de voiture, cette côte commence aujourd’hui à être très connue, même si, dans la région, on ne fait pas encore beaucoup de publicité autour du pont. Quand j’ai demandé à Yasuji Fukutome, de l’offi ce de tourisme de Sakaiminato, si le pont allait devenir une attraction touristique majeure de la ville, il m’a répondu : “Ces der-nières années, le nombre de touristes qui viennent le voir a augmenté et on a l’intention de faire davantage de publicité, en particulier sur la page d’accueil de notre site Internet.”

Sakaiminato donne au visiteur un aperçu du parcours eff ectué par Shigeru Mizuki depuis son enfance. Le visiteur qui suit ses traces a l’impression qu’une aven-ture fantastique pourrait lui arriver à tout moment, comme dans les œuvres du mangaka. Moi-même, j’ai cru entendre la voix du maître chuchotant : “Profi tez bien de votre visite !”

—Tasuku KidoPublié le 27 juin

360°40. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

400 km

Sakaiminato

Matsue

Honshu

Hokkaido

ShikokuPRÉFECTUREDE TOTTORI

Tokyo

JAPON

Kyushu

MER DU JAPON(MER DE L’EST)

OCÉANPACIFIQUE

36° N(= lat.

Gibraltar)

CO

URR

IER

INTE

RNAT

ION

AL

DR

DR

DAV

ID P

ARK

ER/A

LAM

Y

Page 41: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

360°.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 41

Biographie

Un géantdu mangaNé en 1922 dans la région d’Osaka, Shigeru Mizuki grandit à Sakaiminato, dans la préfecture de Tottori. Son enfance est bercée par les histoires folkloriques que lui raconte une vieille dame, Fusa Keizan. Très tôt, il se prend de passion pour le dessin. A 20 ans, durant la Seconde Guerre mondiale, Mizuki est envoyé au front en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il perd son bras gauche lors d’un bombardement et contracte le paludisme. Après la défaite, il refuse de se donner la mort, contrairement aux ordres de l’état-major militaire de l’époque. Il rentre dans l’archipel et survit à la misère de l’après-guerre grâce à des petits boulots, avant de se lancer dans le kamishibai, un genre de théâtre ambulant où des conteurs font défi ler sur un castelet portatif des scènes peintes sur papier. En 1958, Mizuki publie son premier manga, Rocketman (inédit en français). Les premières années de sa carrière sont très diffi ciles. Ses œuvres, peuplées de monstres et hantées par la guerre, sont jugées trop sombres par le public. Il s’installe à Tokyo, dans l’arrondissement de Chofu et devient membre de l’équipe de Garo, la revue de mangas culte, dès le premier numéro. C’est dans ce magazine qu’est publiée, en 1960, la série Kitaro le repoussant, qui va faire la célébrité de Mizuki.Parmi ses œuvres les plus connues, on peut également mentionner Akuma-kun (“le petit diable”, inédit en français) et Mon copain le kappa (éd. Cornelius). Avec Kitaro le repoussant, elles ont déclenché au Japon un engouement pour les yokai. Dans NonNonBâ (éd. Cornélius, récompensé par le grand prix d’Angoulême en 2007), Mizuki rend hommage à Fusa, la vieille nourrice qui lui a donné la passion de ces créatures fantastiques. A 92 ans, Shigeru Mizuki n’a toujours pas rangé ses crayons.

Folklore

Tourisme

Gare aux “yokai” !Issus du shintoïsme et de la tradition orale, les contes et légendes évoquant des monstres yokai font partie intégrante de l’imaginaire populaire de l’archipel. Chaque région possède ses propres monstres, qui peuvent être plus ou moins maléfi ques. Il en existe de diff érents types : des objets anciens qui se dotent d’un esprit, comme le monstre-parapluie, très célèbre au Japon ; des monstres mi-humains, mi-animaux, tels

que les femmes-chats ; des esprits des lieux, comme le kappa, un diablotin anthropomorphe qui vit dans les rivières et les étangs. Farceur et lubrique, il détourne les fi lles du droit chemin. Déjà au xviie siècle, l’artiste Sekien Toriyama avait recensé les yokai en images. Cependant, ce n’est qu’avec le succès des mangas signés Mizuki que le terme yokai va se répandre, et Kitaro le repoussant est l’un des premiers mangas de yokai.

Destination Sakaiminato“Sakaiminato a commencé à se faire connaître en tant que pays natal de Shigeru Mizuki à partir de 1993. Initiés par les autorités locales, les projets touristiques de la ville ont été très médiatisés. L’inauguration en 2003 d’un musée ainsi que la diff usion en 2010 de la série Gegege no Nyobo ["la femme de Gegege"], qui retrace la vie de l’épouse du mangaka, ont contribué à multiplier le nombre de visiteurs, qui a atteint les 25 millions en 2014”, relate l’Asahi Shimbun. Bien que les œuvres de Shigeru Mizuki soient le principal atout du tourisme local, le port de Sakaiminato off re également d’excellents produits de la mer. On y déguste du thon rouge cru en été et des crabes de neige rouges en hiver.

↑ Statue du mangaka à l'ouvrage, accompagné de son héros fétiche, Kitaro. Photo DR

↓  Le train Kitaro, qui relie Yonago à Sakaiminato. Photo Tirol 28

↙  L'œil du père

de Kitaro. Photo Kumi

Retrouvez le volet n° 4 de notre série d'été la semaine

prochaine, "Vhils et la ville"

DR

Page 42: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

360°42. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

plein écran.

—New Statesman (extraits) Londres

Ils étaient tous là, en février, sur la scène du Palais des congrès de Liverpool. Tous ceux qui font la

renommée mondiale de la télévision bri-tannique. A l’occasion de la 38e édition du sommet de la BBC Worldwide, ces superstars ont été présentées à un parterre de 725 res-ponsables de chaînes de télévision venus du monde entier. A l’affiche de cet événe-ment promotionnel se trouvaient les trois présentateurs de Top Gear, le chercheur-journaliste David Attenborough, l’acteur Peter Capaldi, nouveau visage de Docteur Who, ainsi que les candidats de la version indienne de Danse avec les stars. Un message préenregistré de Benedict Cumberbatch, la star de Sherlock, a également été diffusé.

Ce triomphe romain des temps modernes était une démonstration impressionnante de la mainmise de la BBC sur les pro-grammes regardés aux quatre coins du globe. Aujourd’hui, les succès télévisuels se mesurent en “territoires” – c’est-à-dire au nombre de pays qui diffusent un pro-gramme – et en fonction du degré d’intérêt de la Chine, la nouvelle frontière à conqué-rir. Pour la minisérie Sherlock, nouvel éten-dard de la BBC, cela représente 200 pays [dont la France, France 3 ayant acheté les droits de cette transposition au xxie siècle des romans de Conan Doyle]. Ces pays sont tellement tombés sous le charme du détective que les Britanniques en voyage à l’étranger, comme notre Premier ministre [David Cameron] lors d’un récent dépla-cement en Chine, se trouvent assaillis de questions sur l’avenir télévisuel de Holmes et de Watson. Les chiffres d’audiences de Sherlock prennent une ampleur démesu-rée : en Chine, la plateforme de vidéos en ligne Youku Tudou [sur laquelle la série est visible, sous-titrée en chinois] affirme avoir enregistré 49 millions de visites pour le premier épisode de la saison 3.

Néanmoins, Sherlock n’est pas le plus grand succès britannique à l’heure actuelle. Non représentée à Liverpool car diffusée sur ITV1, une chaîne concurrente de la BBC, Downton Abbey passe certes aux Etats-Unis sur PBS, chaîne vénérable mais minuscule.

Cela n’a pas empêché la série [qui retrace le destin d’une famille de la noblesse bri-tannique et de ses domestiques, au début du xxe siècle] de devenir le programme bri-tannique le plus regardé de tous les temps outre-Atlantique. Sa popularité trouve un écho dans 250 pays, dont la Russie, la Corée du Sud et Dubaï [ainsi que la France, où la série est diffusée sur TMC]. Le public chinois, quant à lui, est évalué à 100 mil-lions de personnes par épisode.

Notons que c’est surtout le succès de nos séries dramatiques qui surprend, plus que celui de nos émissions. Notre domination

mondiale était déjà assurée en ce qui concerne les documen-

taires et les “formats” – ces émissions de divertissement ou d’information dont le prin-cipe peut être adapté en fonction des goûts et des préférences locales. D’ailleurs, malgré une forte concurrence des Pays-Bas et d’Is-raël, nous sommes actuellement à l’origine de plus de la moitié des formats diffusés à l’échelle mondiale, avec des programmes comme X-Factor (qui existe en 45 versions) et Danse avec les stars (50 déclinaisons), en passant par MasterChef (une quarantaine) et Qui veut gagner des millions ? (une bonne centaine, aux dernières nouvelles).

Mâle dominant. Loin devant tout le monde, Top Gear est le mâle dominant du divertis-sement documentaire. Avec 350 millions de téléspectateurs, l’émission [consacrée aux voitures et au sport automobile] est deve-nue une marque si influente qu’elle a même son propre PDG, Adam Waddell. “Les gens oublient que Top Gear était déjà populaire dans les années 1990, insiste-t-il. Je me sou-viens que le présentateur Jeremy Clarkson rap-pelait constamment à qui voulait l’entendre que c’était un aussi grand succès qu’Alerte à Malibu en termes d’Audimat mondial – bien que j’ignore sur quelles données il s’appuyait.”

Le plus étrange reste toutefois que les téléspectateurs continuent de préférer la version originale quand, pour les autres émissions, la plupart des pays privilégient généralement l’adaptation. Ainsi, si l’acteur qui double Jeremy Clarkson en Iran est devenu une célébrité nationale grâce à ce travail, personne ne semble avoir envie de le voir à l’écran. “Nous avons conçu des versions

Les nouveaux joyaux de la Couronne Les Chinois adorent Sherlock, les Américains raffolent de Downton Abbey, les Iraniens ne manqueraient pas un épisode de Top Gear… En ce début du xxie siècle, le Royaume-Uni s’est reconstitué un empire – télévisuel cette fois.

↑ Au Chili↑ En Israël, The Office se dit HaMisrad. Photo Yes Comedy

↑ Sur Ca(au centr

↑ Avec Steve Carell (à droite) en tête d’affiche, le remake américain a duré 9 saisons. Photo NBC

↑ Il se croyait cool, tous le détestaient. Le temps de deux saisons, dans The Offia dirigé le personnel administratif d’une usine de papier. Photo BBC Two

TÉLÉVISION

Page 43: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

360°.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 43

locales en Russie, en Australie, aux Etats-Unis, en Chine et en Corée du Sud, confirme Adam Waddell. Le résultat a été excellent dans cer-tains cas, mitigé dans d’autres. La plupart des pays se contentent finalement de diffuser la version britannique, sous-titrée ou dou-blée. En Australie, où l’original a un public fidèle, le format local a toujours été considéré comme accessoire.”

On peut ainsi en conclure que l’attrait exercé par Top Gear ne provient pas seu-lement de son format ou de son sujet, mais aussi des personnes qui la présentent. Adam Waddell en est convaincu. “Les présenta-teurs font preuve d’un certain autodénigre-ment, estime-t-il. Ils célèbrent autant les échecs que les succès, ce qui est à mon avis une vertu britannique.”

Parc à thème. Regardons maintenant le succès rencontré par des programmes plus récents, comme Call the Midwife [qui suit le parcours de jeunes sages-femmes dans les années 1950] ou Mr Selfridge [sur la genèse du grand magasin londonien Selfridge, à l’époque victorienne], tous deux diffusés dans plus de 150 pays. Voyons l’engouement pour les aventures de l’excentrique gent-leman voyageur Docteur Who, qui amène paix et fair-play à tout l’Univers. Soudain, nous avons la nette impression de revenir à nos gloires passées et à une époque où les Britanniques régnaient sur le monde et imposaient leur culture.

En décembre 2013, pourtant, le pays a été outré lorsque le journal chinois Global Times nous a qualifiés de “vieux pays euro-péen qui ne mérite un détour que pour le tou-risme ou les études”, mais il faut admettre que la place accordée à notre patrimoine dans nos programmes télévisés projette une image de parc à thème historique.

La question mérite donc d’être posée : cédons-nous aux attentes des publics étran-gers ou devenons-nous notre propre pas-tiche ? Tim Davie, PDG de BBC Worldwide, nuance cette alternative : “Je fais une dif-férence entre la culture et l’identité britan-niques d’une part et l’overdose de clichés d’autre part. Nous avons beaucoup évolué. A une époque, pour nos campagnes de pro-motion en Amérique, nous recourrions à des éléments aussi emblématiques que le chapeau melon ou Big Ben. Aujourd’hui, nous nous rendons compte qu’il existe aussi un grand intérêt pour une sensibilité britannique plus moderne, définie par notre sens de l’humour, notre excentricité et nos bons mots.”

A moins de ne produire des programmes si essentiellement britanniques que nul étranger ne puisse les décoder, un danger surgit toutefois : que les autres pays pillent nos productions pour les copier. The Office pourrait ainsi constituer un précédent. D’une part, si la série [qui suit le quotidien des employés d’une entreprise de vente de papier] est diffusée dans sa version origi-nale dans plus de 90 pays et déclinée en huit remakes, la version américaine a elle aussi rencontré un succès phénoménal. Et

d’autre part, force est de constater que la plupart des adaptations locales restent très fidèles au modèle de David Brent, [le personnage principal dans la version britannique] : son homologue chilien use des mêmes expressions sceptiques, le Français [incarné par François Berléand dans Le Bureau, sur Canal +]  joue comme lui avec sa cravate. Dans certaines ver-sions, il porte une mèche rabattue pour cacher sa calvitie, dans d’autres le format du faux documentaire a été abandonné, mais peu importe : pour comprendre pour-quoi les chaînes ont éprouvé le besoin de créer des versions de moindre qualité que la série originale, il suffit de jeter un œil aux chiffres d’audience. Downton Abbey et Top Gear exceptées, ce sont toujours les ver-sions locales qui ont les faveurs du public.

Snobisme. En fin de compte, c’est peut-être un autre de nos prétendus traits de carac-tère nationaux qui nous sauvera : le sno-bisme. En Chine, la télévision britannique est considérée comme une marque de luxe, au même titre que Burberry ou Dunhill. Selon Sohu, un fournisseur de services en ligne, “regarder la télévision britannique […] est interprété comme le signe d’une supériorité intellectuelle et d’un vaste éventail de connais-sances”. Cela est important pour nous en termes de culture et de valeurs, c’est-à-dire de soft power. Si le Global Times n’accorde pas beaucoup d’importance à ce facteur, c’est

A suivre

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A lire également : “Web-séries: Zephryn Taitte, star à mi-temps”. Le Financial Times brosse le portait de ce jeune acteur britannique, étoile montante de la fiction Internet.

Cet été, trois programmes so British font parler d’eux. Présentation.

“ALMOST ROYAL”“Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être cow-boy ? C’est de regarder Toy Story 1 ou le 2 ?” Georgie et Poppy Carlton, 50e et 51e dans la lignée des prétendants au trône d’Angleterre, ont leur façon bien à eux de découvrir l’Amérique. Les aventures américaines du couple phare d’Almost Royal ne sont pas sans rappeler celles d’un certain Borat. La série, produite par BBC America, crée la polémique outre-Atlantique. Elle est accusée de “se moquer de la nature crédule des Américains”, raconte le Los Angeles Times. Ses premiers épisodes, diffusés à partir de la mi-juin, ont rencontré un joli succès d’estime. Elle sera diffusée cet automne au Royaume-Uni.

“DAVID BECKHAM INTO THE UNKNOWN”David Beckham en road trip sur sa moto, de Rio au fin fond de la forêt amazonienne. Le documentaire sur l’ancien footballeur, produit par BBC One, a aussi été diffusé en pleine

Coupe du monde sur Globo TV, la principale chaîne de télévision brésilienne. Au pays du ballon rond, il a attiré plus de 60 millions de téléspectateurs. Le programme a déjà été vendu à 14 pays, dont la France (en exclusivité sur France Ô en septembre).

“THE REFUGEES”La série est une pionnière du genre : créée par des Espagnols, coproduite par BBC Worldwide et Atresmedia, elle est tournée cet été en Espagne, mais en anglais. The Refugees compte ainsi profiter du réseau de distribution de la BBC pour conquérir des parts de marché à l’étranger. Elle raconte l’histoire d’une petite communauté rurale alors que des millions de réfugiés venus du futur espèrent trouver un abri dans le présent.

, La Ofis n’a duré qu’une petite saison. Photo Canal 13

nal +, dans Le Bureau, c’est François Berléand re) qui prend la place du patron. Photo Canal +

toutefois une idée que le directeur général de la BBC, Tony Hall, défend depuis long-temps, tout comme John McVay, le PDG de Pact, l’organisation qui représente les socié-tés de production indépendantes. “Tout le monde cite en référence les Jeux olympiques [de Londres en 2012], explique-t-il, mais ce n’était qu’une bulle. Quand je discute avec des personnalités politiques qui souhaitent pro-mouvoir Londres auprès des Brésiliens, je leur fais valoir que c’est quelque chose que nous faisons déjà avec Sherlock. Il n’est pas néces-saire de dépenser 2 millions de livres dans une campagne de tourisme : le Brésil regarde nos programmes télévisés depuis dix ans, écoute notre musique et lit nos livres, car la pratique de l’anglais s’est beaucoup répandue.”

Depuis plusieurs décennies, la télévi-sion américaine nous donne un aperçu de ce qu’est la vie aux Etats-Unis au-delà de Hollywood et de New York. De la même manière, notre télévision introduira peut-être les téléspectateurs étrangers à une idée de la culture britannique qui va au-delà du tea time, du tweed et de quelques monuments. Il y a vingt ans, la britpop avait permis de dépoussiérer une image du Royaume-Uni qui datait des années 1960. Si la télévision vit à son tour une révolu-tion semblable à celle connue par la scène musicale, elle pourrait étendre son influence infiniment plus loin.

—James MeddPublié le 26 juin

ffice, Ricky Gervais (au centre)

Page 44: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

360°44. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

—The Economist Londres

D ans une autre vie, Evan Cox l iv ra it des

pizzas. Il y a dix-huit mois, il s’est retrouvé à court d’argent, mais pas d’idées. L’Etat de Washington était sur le point de léga-liser la vente de can-nabis et l’étudiant de Seattle a compris qu’il faudrait encore un certain temps avant que n’ouvrent les premières bou-tiques spécialisées dans la vente de marijuana. Il a donc monté Winterlife, un service de livraison à domicile.

Livrer de la dope, c’est comme livrer des pizzas. Mais en plus facile. “On n’a pas besoin de garder le produit au chaud, donc il n’est pas nécessaire de retourner à la base aussi souvent, fait valoir Evan. Les clients étudient le menu et choisissent dans la sélec-tion disponible quand on arrive.” Winterlife génère 1 million de dol-lars de revenus par mois [730 000 euros] et emploie cin-quante personnes. D’après son site Internet, il s’agit d’une “entreprise avec une conscience”. Elle a pris fait et cause pour les écureuils orphelins…

Evan Cox opère pourtant à la limite de la légalité. Même si l’achat de cannabis est autorisé dans l’Etat de Washington, les personnes qui en livrent restent passibles de sanctions, ce qui n’empêche pas Winterlife d’attirer de plus en plus de concurrents. La société est enregistrée au niveau de la mairie et de l’Etat de Washington, mais ne peut ouvrir de compte en banque en raison de la législation fédérale. C’est donc en espèces que, en avril, Winterlife a versé 167 000 dollars [123 000 euros] de taxes sur les ventes à l’administration fiscale de l’Etat de Washington.

Les services de livraison de drogue ont également du succès dans les Etats à la réglementation plus stricte. A New York, la vente est interdite mais la possession a été dépénalisée, et il existe plus d’une dizaine de services illégaux qui desservent Manhattan et Brooklyn. Il suffit d’être recommandé par un client, d’appeler un numéro et d’attendre une heure pour voir un jeune homme propre sur lui arriver, la plupart du temps en vélo, avec un sac à dos rempli de diverses variétés. Les livreurs ne trans-portent que de l’herbe et toujours moins de 25 grammes, de façon à ne risquer qu’une amende en cas d’interpel-lation. La police est au courant de leurs activités mais choisit de laisser faire.

Un paquet de 2,5 grammes coûte ainsi en général au moins 50  dollars

[37 euros]. C’est bien plus cher que dans la rue mais les risques d’agression sont réduits au minimum. Les adeptes de la fumette qui en ont les moyens sont ravis de payer davantage pour la sécurité et le côté pratique. La livraison à domicile marche moins bien pour les dro-gues dures, assure toutefois Peter Reuter, un écono-miste de l’université du Maryland, car le marché est plus petit et les charges criminelles bien plus importantes.

Même dans les Etats où les boutiques de cannabis sont autorisées, il existe des sociétés qui ne fonctionnent qu’avec le système de livraison. L’annuaire profession-nel Wheresweed.com regroupe des dizaines de sociétés spécialisées dans la livraison en Californie, dans l’Ore-gon et le Colorado. Plusieurs dispensaires de cannabis de San Diego, en Californie, se sont reconvertis en ser-vices de livraison quand le comté les a obligés à fermer leurs portes temporairement.

Pour Mark Kleiman, de l’université de Californie à Los Angeles, les autorités devraient encourager les ser-vices de livraison de marijuana plutôt que l’ouverture de magasins spécialisés. Ces derniers ont un impact néga-tif sur le voisinage, attirent les braqueurs, ainsi que des mineurs qui demandent aux passants adultes d’ache-ter pour eux. De plus, comme les boutiques d’alcool, ils ont un effet incitatif et dissuadent les consomma-teurs excessifs d’arrêter.—

Publié le 21 juin

tendances.

Marijuana expressAvec la vague de légalisation du cannabis aux Etats-Unis, les livreurs de drogue à domicile font fortune. Et l’herbe est devenue la nouvelle pizza.

↓ Dessin de Claudio Munoz paru dans The Economist, Londres.

Saut de puce fiscalARGENTINE — L’administration

argentine s’apprête à munir de puces électroniques toutes les vaches du pays d’ici à janvier 2015. Le but : “optimiser

les contrôles fiscaux”, rapporte Clarín. Le gouvernement cherche ainsi

à contrôler le déplacement des bovins en recueillant toutes les informations

nécessaires sur “leur naissance, leur parcours, leur mort,

leur transformation industrielle et leur commercialisation”. Jusqu’ici,

les vaches argentines n’étaient identifiées qu’à l’aide d’un badge

en plastique accroché à leur oreille, ce qui laissait les éleveurs plutôt libres

quant à la tenue de leurs comptes. Le quotidien argentin a calculé

qu’“avant la fin de l’année il faudra appliquer ces puces électroniques sur 51,4 millions de têtes de bétail”. Sans

que l’on sache comment pour l’instant.

La machine à émanciper

INDE — L’Inde se prépare à une révolution en cuisine avec l’arrivée sur le marché, l’année prochaine, du Rotimatic,

une machine à fabriquer des chapatis, des pains locaux réputés pour la difficulté

de leur confection. “Ce robot ménager, qui peut confectionner vingt chapatis

à la fois, a généré un grand intérêt en Inde mais aussi à l’étranger”, prévient

en effet The Times of India. Comme la machine à laver ou l’aspirateur avant

lui, le Rotimatic travaille à l’émancipation de la femme indienne, fait valoir Pranoti

Nagarkar, l’une de ses conceptrices. “Faire des chapatis est presque un art.

Malgré toute leur bonne volonté, les hommes n’ont pas les qualités pour le pratiquer. Ce sont donc les femmes,

qui ont appris la cuisine avec leurs mères, qui doivent effectuer cette tâche

ennuyeuse et répétitive.” Le carnet de commandes est déjà plein pour 2015.

K. B

OSS

EMEY

ER/B

ILD

ERBE

RG/A

FPD

R

Page 45: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

Petits vendeurs, grands formats. “L’atmosphère dans le triangle de Warwick est sauvage et chaotique, beaucoup de personnes ont peur d’y mettre les pieds, assure Faith47 au magazine Art South Africa. C’est pourtant un endroit avec un potentiel d’énergie

incroyable, qui atteint vraiment les gens de la rue.” Le street artist s’est appliqué à faire ressortir ce potentiel humain de Warwick, une zone commerciale au cœur de Durban, à l’occasion du 25e Congrès mondial d’architecture, qui se tiendra dans la ville sud-africaine début août. Faith47 a pour l’instant peint trois portraits géants des petits vendeurs de rue, “qui font vivre le quartier et l’Afrique du Sud”. Trois autres doivent être fi nalisés.

PHOTO

Pas de fumée sans briquetSINGAPOUR — Pour arrêter de fumer, on connaissait l’e-cigarette (ou vapoteuse), on aura maintenant l’e-briquet, déjà populaire à Singapour, selon Tech in Asia. Ce briquet électronique, nommé QuiBit et fabriqué par une entreprise américaine, calcule le nombre de cigarettes fumées, le temps entre chaque pause clope et peut même imposer un quota quotidien d’utilisations que l’utilisateur ne pourra pas dépasser – sous peine d’extinction du briquet. Toutes ces informations sont ensuite regroupées sur une application pour mobiles qui détaille à l’utilisateur et à ses proches l’ampleur de son addiction au tabac. D’après le site d’information, le système permettrait à ses utilisateurs de réduire leur consommation de 30 % en moyenne.

FAIT

H47

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez l’horoscope de Rob Brezsny, l’astrologue le plus original de la planète.

A méditer cette semaine : Invente-toi une identité secrète. Qui es-tu ? Qu’en fais-tu ?

Espionne-moi, mon amourROYAUME-UNI — Et si le secret de l’harmonie dans un couple, c’était de tout partager ? C’est l’idée des créateurs de mCouple, une application pour mobiles qui prend son envol outre-Manche et qui permet aux personnes en couple de suivre les moindres faits et gestes numériques de leur moitié. “L’application donne à votre partenaire l’accès à tous vos appels et messages ; il peut aussi vous localiser, peu importe où vous vous trouvez, à n’importe quel moment de la journée”, décrit The Independent. Un moyen certain de mettre fi n à une relation paisible, estime toutefois le quotidien britannique, ne serait-ce que “parce que le simple fait de demander à votre conjoint d’installer l’application vous fera sans doute passer pour un être étrange et malintentionné”.

BOLI

N

DR

360°.Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014 45

DES

SIN

DE

MIK

EL C

ASA

L

Page 46: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

360°46. Courrier international — no 1238 du 24 au 30 juillet 2014

— Oukraïnsky Tyjden Kiev

En 1918, le poète russe Alexandre Blok, dans Les Scythes, les revendiquait pour ancêtres : “Oui, nous sommes des Scythes,

des Asiatiques/Aux yeux de biais et insatiables !” [trad. anonyme parue dans La Revue de Genève n° 15, 1921]. De nos jours, le spécialiste ukrainien Valery Bebyk affi rme que Scythes et Sarmates sont tous ukrainiens, sous des noms diff érents. Alors, qui sont ces Scythes mystérieux – des Russes, des Ukrainiens ou des “Asiatiques aux yeux de biais” ? Rien de tout cela ne correspond à la réalité histo-rique, nous assure la science. “Scythe” était le nom que donnaient les Grecs à un peuple nomade ira-nien qui a dominé la steppe ukrainienne du viie au ive siècle av. J.-C.

C’est dans des sources assyriennes qu’il est fait mention d’eux pour la première fois, en 674 av. J.-C. A l’époque, le royaume d’Assyrie est vic-time des attaques sporadiques de cavaliers archers belliqueux qui viennent de déferler sur le Caucase, sous le commandement de leur souverain, Partatua. Par la suite, les Scythes s’al-lient aux Mèdes, en révolte contre les Assyriens, et participent au siège et à la destruction de la capitale assy-rienne, Ninive, en 612 av. J.-C. Installés dans la steppe du Kouban [dans le nord du Caucase], les Scythes s’implantent en Ukraine. La région est alors le théâtre d’un essor économique fulgurant. Après avoir fondé des comptoirs sur le littoral septentrional de la mer Noire à la fin du viie et au début du vie siècle av. J.-C., les Grecs établissent des contacts commer-ciaux étroits avec les Scythes. Le trafi c commer-cial gagne en importance au point que, durant le vie siècle, les Scythes déplacent leur centre de pou-voir du Caucase vers le cours inférieur du Dniepr. A la fi n du vie siècle, ils contrôlent solidement les axes commerciaux et la situation politique dans toute la région située au nord de la mer Noire.

Ayant repoussé une tentative d’invasion perse en 513 av. J.-C., les Scythes connaissent alors leur apogée, qui dure jusqu’au ive siècle av. J.-C. Pendant cette période, le commerce se développe avec les cités grecques sur la mer Noire. En échange de céréales et de bétail, les Grecs vendent aux Scythes de la vaisselle de luxe, des bijoux en or et en argent, et du vin. Dans les tumulus funéraires scythes éparpillés dans la steppe ukrainienne, on a retrouvé un grand nombre de bijoux fabri-qués par les artisans de cités grecques comme Olbia, Chersonèse ou Panticapée [aujourd’hui Kertch, en Crimée]. Les nobles scythes accumu-laient ces objets coûteux et prestigieux, qui les accompagnaient jusque dans la tombe. C’est à la fi n du ve siècle et au début du ive que sont érigés la plupart de ces kourganes, nom donné à ces sépultures d’une hauteur atteignant parfois une vingtaine de mètres.

Les Scythes prennent d’ailleurs une part active à la vie politique et aux aff rontements entre les comptoirs grecs de la mer Noire. Une partie de leur aristocratie s’hellénise ainsi progressive-ment. La culture scythe était jusque-là caracté-ristique du monde des nomades iranophones des immenses steppes eurasiennes, une culture qui s’était développée dans le courant du premier mil-lénaire avant notre ère de l’Altaï jusqu’aux rives

du Danube. Mais, peu à peu, la vibrante infl uence culturelle de la Grèce antique se fait sentir, en par-ticulier parmi les élites.

A l’origine pasteurs nomades, les Scythes sont toujours en mouvement, suivant leurs troupeaux de chevaux et de moutons. Les hommes vivent à cheval, les femmes et les enfants résidant dans des chariots à quatre, voire à six roues, proté-gés des intempéries par des chapiteaux de peau. L’hiver, ils mènent leur bétail jusqu’à l’embou-chure du Dniepr et la mer Noire, moins aff ectées par la neige. Ils passent l’été dans le Nord, dans la steppe, où se trouvent de l’eau et de l’herbe en abondance sous le soleil brûlant.

L’armée scythe se compose essentiellement de cavalerie légère. Les hommes sont équipés d’épées courtes, de haches et de lances. Leur arme favorite reste l’arc. L’arc courbe scythe est d’une grande puissance, capable d’atteindre une cible à 500 mètres. Les magnifi ques cavaliers archers scythes sont d’ailleurs réputés bien au-delà des limites de la steppe. Dans la lointaine Grèce,

quelques-uns sont même recrutés pour servir d’auxiliaires de police dans les rues d’Athènes. Sur le plan religieux, leurs croyances sont éga-

lement typiques des peuples indo-ira-niens. Leurs principales divinités sont

Tabiti, déesse du feu et du foyer, Papaios, dieu du ciel, et son épouse Apia, déesse de la terre.

Un rôle important est aussi dévolu à Oitosuros, dieu du soleil, et à Argimpasa, déesse de la ferti-lité et de la vie. Enfi n, on trouve dans les mythes scythes un équivalent de l’Héraclès grec et un dieu de la guerre semblable à Arès.

Au iiie siècle av. J.-C., les tumulus funéraires dis-paraissent dans la steppe. La population scythe se concentre dans les zones adaptées à l’agricul-ture et à l’élevage, sur le cours inférieur du Dniepr et du Danube, ainsi qu’en Crimée. Le géographe grec Strabon (64 av. J.-C. – 21 apr. J.-C.) donne à ces régions le nom de Scythie mineure, Scythia Minor. Les steppes abandonnées entre le Dniepr et le Don sont occupées par un nouveau peuple cavalier venu de l’est, les Sarmates.

La Scythie mineure, en Crimée, a pour capi-tale Néapolis, aujourd’hui dans les faubourgs de Simferopol. Elle existera jusqu’au ive siècle de notre ère, prise en étau entre la puissante infl uence poli-tique et militaire des Sarmates au nord et les colo-nies grecques du littoral. Au iiie siècle de notre ère, des vagues d’envahisseurs goths déferlent sur la Scythie depuis le Nord. A la fi n du ive siècle, rasée par les Huns, Néapolis disparaît, et avec elle les derniers vestiges du monde des Scythes.

—Leonid ZalizniakPublié le 5 mai

histoire.

Les maîtres de la steppeVIIe-IVe siècle av. J.-C. Ukraine

Qui étaient les Scythes ? Peuple de redoutables cavaliers archers,

ils ont fait une entrée fracassante dans l’Histoire il y a près de trois mille ans

et ont dominé les environs de la mer Noire pendant des siècles.

SOURCE

OUKRAÏNSKY TYJDENKiev, UkraineHebdomadaire, 30 700 ex.tyzhden.ua“La Semaine ukrainienne”, fondée en 2007, s’intéresse plus particulièrement aux questions de société et aux relations entre l’Ukraine et la Russie.

↙ A gauche, vue d’artiste d’un souverain scythe. Dessin d’Angus McBride. Ci-dessous, un cerf en or daté du VIIe-VIe siècle av. J.-C. Photo Akg-images/De Agostini Picture

Page 47: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

votre annonceEN DIRECT OU VIA UNE AGENCE

SUR

Page 48: Courrier 20140724 courrier full 20140730 125408

BON à renvoyer à Courrier International – service abonnements – rue des Francs 79 à 1040 Bruxelles ou par fax au 02/211.31.65 ou directement sur internet à l’adresse http://shop.lalibre.be/cisac

Oui, je désire profiter de votre off re d’abonnement au prix de 69€ pour 26 numéros. Je recevrai en cadeau le sac à dos en cuir.

Nom............................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Prénom .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Rue ........................................................................................................................................................................................................... .. .................................. N°....................................................... Bte .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

CP .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Localité.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

TVA (si facture) : BE0………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….………………......………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………

Tél ......................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Date de naissance……………………………/…………………………/……………… ...........................................................................................................................................................................

E-mail* ..........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………………………………………………………………………………………………………

Off re non cumulable pour un nouvel abonné (nouveau nom-nouvelle adresse) en Belgique jusqu’au 31/08/14. En cas de rupture de stock un cadeau équivalent ou de valeur supérieure sera proposé.

Ce sac à dos en cuir d’agneau souple et imperméable, est le partenaire idéal de vos déplacements : quotidiens, balade d’un week-end,… De couleur noir, il est équipé de nombreuses poches de rangement, d’un filet porte bouteille latérale, de bretelles réglables, d’une sangle clipable et d’une poignée renforcée. Dimensions : 38 x 28 x 12 cm.

N’attendez plus et recevez un superbe cadeau !

Votre cadeau

ABONNEZ-VOUS !

6 mois de Courrier international + un superbe sac à dos en cuir en cadeau pour 69€ seulement.

*Pour consulter la version numérique.

69€101,40€