dar el oued - le nom

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De quoi DAR EL OUED est le nom ? Published by Waldkhett source : http://darelouad.over-blog.com/2014/01/dar-el-oued-mokrisset-maroc.html Le hameau de Dar El Oued est niché dans les montagnes du Rif, au Nord du Maroc, entre les villes de Chefchaouen (Chaouen en marocain, Xauen en espagnol) et Ouezzan. L'expression arabe "Dar El Oued" signifie Maison de la Rivière (dar=maison - oued=rivière). Le terme "oued" est entré dans le vocabulaire français vers le milieu du XIXème siècle, après la conquête de l'Algérie par la France. Diverses transcriptions en caractères latins sont utilisées : Dar El Oued ou Dar El Ouad ou Dar El Wad (pour sacrifier au franglais) ou Darelouad ou Dareloued. Plusieurs villages dans le Maghreb (Afrique du Nord) portent ce nom. Bien qu'elle prête à confusion, nous transcrirons cette appellation de la manière la plus courante : "Dar El Oued". C'est celle utilisée dans les archives françaises depuis que ce hameau a fait parler de lui en France, dans la presse et dans les débats du Parlement français, durant ce qui a été improprement désigné par "Guerre du Rif". Avant l'Indépendance du Maroc et les diverses ré-organisations administratives du territoire, Dar El Oued était un des dchar (hameau) des Beni Chaïb, fraction de la grande et célèbre tribu rifaine de GHZAOUA. Comment ce petit hameau enclavé de moins de 100 habitants, perdu dans les montagnes du Rif, a-t- il fait parler de lui au début du XXème siècle en France, à Paris et même en province ? À cela plusieurs explications documentées (voir notes en bas de page) : Après la reddition en mai 1926 et l'exil de Mohamed Ben Abdelkrim (désigné à tort, même dans son pays, par Abdelkrim, le dénommé Abdelkrim étant son père), les tribus du nord et de l'est du Rif sont considérées par les Espagnols et les Français comme complètement soumises. Les journaux français, en juin 1926, signalent notamment que les Gueznaia (région de Taza, Rif oriental) ont rendu leurs fusils, que seule "la tribu non soumise" de Ghzaoua offre quelque résistance et que le "chef rifain Laboudi est assiégé avec 25 hommes à Dar El Oued" par des contingents ralliés à la France, alors que les bombardements de Ghzaoua continuent de plus belle. *1 Deux mois après, un avion bombardier a été abattu par les combattants et le pilote français a été pris vivant et gardé dans le hameau de Dar El Oued et cela a fait grand bruit en France. Les journaux français rapportent que "l'aviateur fait prisonnier à Dar el Oued serait toujours aux mains de Fkih Laboudi" (fkih ou fqih ou faqih = docte personne). Ce pilote, dénommé Singuerlin, sera échangé quelques semaines après par le Fkih Laaboudi contre une cinquantaine de prisonniers jbala. *2 La plupart des tribus rifaines se sont rendues après mai 1926, une fois Ben Abdelkrim vaincu et exilé. Mais les rifains résistent encore et se sont choisi de nouveaux chefs. Alors qu'en juin les Espagnols déclaraient toute la région sous leur protectorat soumise, voici que fin août ils doivent encore livrer bataille conjointement avec les Français, au sud, pour repousser les attaques "des contingents Jbala et Ghzaoua, irréductibles, qui, sous la conduite du Fkih Laboudi, ont occupé la région". Ce sont les indigènes qui deviennent l'occupant ! *3 Dar El Oued a vu émerger un homme exceptionnel et prestigieux qui a continué le combat de Ben Abdelkrim et résisté à la tête d'une poignée de pauvres et valeureux combattants, de la fraction de Beni Chaïb, de mai à septembre 1926. Dans les débats du Parlement français de l'époque, le Fkih Laaboudi a forcé le respect de ses ennemis qui le décrivent comme un

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Page 1: Dar El Oued - le nom

De quoi DAR EL OUED est le nom ? Published by Waldkhett

source : http://darelouad.over-blog.com/2014/01/dar-el-oued-mokrisset-maroc.html

Le hameau de Dar El Oued est niché dans les montagnes du Rif, au Nord du Maroc, entre les villes de Chefchaouen (Chaouen en marocain, Xauen en espagnol) et Ouezzan.

L'expression arabe "Dar El Oued" signifie Maison de la Rivière (dar=maison - oued=rivière). Le terme "oued" est entré dans le vocabulaire français vers le milieu du XIXème siècle, après la conquête de l'Algérie par la France.

Diverses transcriptions en caractères latins sont utilisées : Dar El Oued ou Dar El Ouad ou Dar El Wad (pour sacrifier au franglais) ou Darelouad ou Dareloued. Plusieurs villages dans le Maghreb (Afrique du Nord) portent ce nom.

Bien qu'elle prête à confusion, nous transcrirons cette appellation de la manière la plus courante : "Dar El Oued". C'est celle utilisée dans les archives françaises depuis que ce hameau a fait parler de lui en France, dans la presse et dans les débats du Parlement français, durant ce qui a été improprement désigné par "Guerre du Rif".

Avant l'Indépendance du Maroc et les diverses ré-organisations administratives du territoire, Dar El Oued était un des dchar (hameau) des Beni Chaïb, fraction de la grande et célèbre tribu rifaine de GHZAOUA.

Comment ce petit hameau enclavé de moins de 100 habitants, perdu dans les montagnes du Rif, a-t-il fait parler de lui au début du XXème siècle en France, à Paris et même en province ?

À cela plusieurs explications documentées (voir notes en bas de page) :

• Après la reddition en mai 1926 et l'exil de Mohamed Ben Abdelkrim (désigné à tort, même dans son pays, par Abdelkrim, le dénommé Abdelkrim étant son père), les tribus du nord et de l'est du Rif sont considérées par les Espagnols et les Français comme complètement soumises. Les journaux français, en juin 1926, signalent notamment que les Gueznaia (région de Taza, Rif oriental) ont rendu leurs fusils, que seule "la tribu non soumise" de Ghzaoua offre quelque résistance et que le "chef rifain Laboudi est assiégé avec 25 hommes à Dar El Oued" par des contingents ralliés à la France, alors que les bombardements de Ghzaoua continuent de plus belle. *1

• Deux mois après, un avion bombardier a été abattu par les combattants et le pilote français a été pris vivant et gardé dans le hameau de Dar El Oued et cela a fait grand bruit en France. Les journaux français rapportent que "l'aviateur fait prisonnier à Dar el Oued serait toujours aux mains de Fkih Laboudi" (fkih ou fqih ou faqih = docte personne). Ce pilote, dénommé Singuerlin, sera échangé quelques semaines après par le Fkih Laaboudi contre une cinquantaine de prisonniers jbala. *2

• La plupart des tribus rifaines se sont rendues après mai 1926, une fois Ben Abdelkrim vaincu et exilé. Mais les rifains résistent encore et se sont choisi de nouveaux chefs. Alors qu'en juin les Espagnols déclaraient toute la région sous leur protectorat soumise, voici que fin août ils doivent encore livrer bataille conjointement avec les Français, au sud, pour repousser les attaques "des contingents Jbala et Ghzaoua, irréductibles, qui, sous la conduite du Fkih Laboudi, ont occupé la région". Ce sont les indigènes qui deviennent l'occupant ! *3

• Dar El Oued a vu émerger un homme exceptionnel et prestigieux qui a continué le combat de Ben Abdelkrim et résisté à la tête d'une poignée de pauvres et valeureux combattants, de la fraction de Beni Chaïb, de mai à septembre 1926. Dans les débats du Parlement français de l'époque, le Fkih Laaboudi a forcé le respect de ses ennemis qui le décrivent comme un

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personnage "lettré, intelligent et jouissant d'une grande réputation". *4• Le Fkih Laaboudi de Dar El Oued était le khalifa (gouverneur) de Ben Abdelkrim dans la

Tribu de Ghzaoua et a su, grâce à son prestige intellectuel et moral, fédérer une grande partie des tribus Jbala pour résister, pendant plusieurs mois après la défaite de Ben Abdlekrim, à des Armées très puissantes et suréquipées qui n'hésitent pas à utiliser les armes les plus destructrices face à un ennemi affamé et sous-armé. *4

Le Rif est une petite et très pauvre région du Maroc, de quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés. Mais le microcosme parisien de l'époque en faisait un vrai pays et parlait de la guérilla qui s'y déroulait comme étant la Guerre du Rif. Qualifier de Guerre l'opposition et la révolte de quelques milliers de va-nu-pieds , c'est aller au secours du pot de fer contre le pot de terre. Mais c'est compréhensible quand on sait que les militaires savent faire une montagne d'un grain de sable pour obtenir carte blanche et le maximum de crédits, tout en grossissant d'autant leur gloriole.

Il faut rétablir la vérité historique du combat inégal qu'était la "Guerre du Rif", opposant un peuple pauvre et peu armé à deux Grandes Puissances Coloniales de l'époque : l'Espagne au Nord et la France au Sud. Pour battre cette bande de guerriers en guenilles, ces deux Grandes Puissances n'ont rien trouvé de mieux que d'envoyer à la tête de leurs armées un Maréchal Pétain, "héros" et "lion de Verdun", et un Généralissime Primo de Rivera, "vengeur" du non moins généralissime Silvestre humilié dans la bataille d'Anoual. On connait l’héroïsme exemplaire des Généraux quand la chair à canon est corvéable et conscriptible à merci et quand il faut un courage immense pour simplement aboyer des ordres ou appuyer sur un bouton.

Ces deux chefs d'armées et "sommités" militaires de l'époque, n'ont pu se défaire des pauvres tribus rifaines, même après la capitulation de Ben Abdelkrim, qu'en se coalisant et en utilisant la famine programmée et le gaz moutarde en plus des tapis de bombes conventionnelles et "légales" (respectueuses du droit du plus fort).

Le pilote Singuerlin a été retenu prisonnier (pas enfermé) à Dar El Oued , pendant quelques semaines. Il était logé chez le ferblantier du hameau, Maâllem (maître) Larbi, père du docte Fkih autodidacte Abdeslam Skhiri officiant actuellement à Tatoult, mais résidant toujours à Dar El Oued.

À sa libération par le Fkih Laaboudi, qui n'avait pas signé les Conventions de Genève, Singuerlin déclarera avoir été "bien traité et suffisamment nourri" par ce peuple de "sauvages" auquel Pétain le futur Collabo et Primo de Rivera le Dictateur, tous deux grands héros dans leur pays pour certains, sont venus apporter la "civilisation" . *5

Comme toute personne suffisamment nourrie, on est actuellement légitimement étonné que Singuerlin parle de nourriture à sa libération. Sans faire de rapprochement ni de comparaison entre un "prisonnier" "terminator" des rifains et les otages de nos actualités présentes, signalons que ces derniers ne parlent pas de nourriture à leur libération.

C'est en sachant que les armées espagnoles et françaises se sont attaqué aux civils en détruisant leurs récoltes et en affamant les tribus rifaines que la déclaration étonnante de Singuerlin au sujet de la nourriture prend toute sa signification. Dans ces années de famine, être "suffisamment nourri" était un privilège immense. Et Singuerlin, sachant de quoi il parle, n'a pas manqué de marquer sa reconnaissance en déclarant avoir été suffisamment nourri par les ennemis qu'il avait agressés et contribué à affamer.

Pour beaucoup de Jbala (habitants du Rif Occidental) la tribu de Ghzaoua fait partie d'un mythe fondateur. La célèbre chanson des Jbala (taqtoqa jabaliya) ne dit-elle pas :

"fin tartaq el baroud ? fel aqba de Ghzaoua !"

(où tonna la poudre ? dans les monts de Ghzaoua)

Actuellement rattaché à la commune et Caïdat de Mokrisset, autre agglomération des montagnes du Rif Occidental, distante de 10 km à vol d'oiseau, le hameau de Dar El Oued fait partie de la Région "Tanger-Tétouan" et se rattache depuis 2009 à la préfecture de Ouezzan, après avoir dépendu de

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celle de Chefchaouen.

En 1926, Mokrisset, actuellement plus connue et mieux dotée que Dar El Oued, n'était qu'un lieudit sans importance. Ce sont les Français qui, pour contrôler ces turbulents et irréductibles Jbala, en ont fait une caserne puis un village. Sous le protectorat français les administrateurs de ce type de place forte, aux côtés des forces militaires, se faisaient appeler, après la "pacification", "contrôleurs civils".

Même le prestigieux et immense savant sociologue et arabisant Jacques Berque n'a pas échappé à cette infamante appellation quand il administrait, en tant que civil, les tribus marocaines. Rendons hommage ici à cette grande et haute figure de la vraie science française qui dénonça, au dépens de sa carrière administrative, les dérives du protectorat en 1946 et quitta l'Administration française en 1953 quand la France destitua le sultan Mohamed V.

*1 - Le Petit Parisien 15 juin 1926 page 3 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k606512h/f3.image.langFR

*2 - L'Ouest Éclair 23 août 1926 page 3

*3 - L'Ouest Éclair 26 août 1926 page 2

*4 - Journal des Débats Politiques & Littéraires 27 août 1926 page 1 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4916126

*5 - Le Petit Parisien 4 septembre 1926 page 3 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k606593n/f3.image.langFR