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DAVID BENDAYAN:
SILENCE ET AVEU
DANS MITHRIDATE ET PHEDRE
DE RACINE
ABSTRACT
Dans une première partie, nous nous sommes attaché à montrer
que le thème du silence est lié étroitement à l'époque de Louis XIV.
Nous avons ainsi essayé de dégager les divers éléments socio-religieux
qui revalorisent le silence racinien et lui donnent toute sa signifi
cation.
Dans une seconde partie, nous avons voulu rattacher l'aveu à des
préoccupations surtout d'ordre psychologique et esthétique. C'est par
le respect des canons dramaturgiques et de l'étude humaine que l'aveu,
clé de voûte du théâtre racinien, rejoint la doctrine classique.
David BENDAYAN
SILENCE ET AVEU
DANS IfiTHRIDATE ET PHEDRE
DE RACINE
;:. @ David Bendayan 1971 ·1
Department of French Language and Literature
M. A.
TABLE DES MATIERES
AV.AN'T-PR.OPOS •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 6
PREMIERE PARTIE: La violence du silence.
l Effets du silence .............................. 10
II Causes du silence •••••••••••••••••••••••••••••• 15
III Vers une morale du silence ..................... 21
IV - Valeur du silence ••••••••••••••••••.••••••••••• 34
DEUXIEME PARTIE: L'aveu honteux".
l L'aveu et l'équilibre classique ................ 39
II Origines de l'aveu ••••••••••••••.•••••••••••••• 47
III Eléments moraux dans l'aveu •••••••••••••••••••• 57
IV - Forces de l'aveu ••..••......•.................. 69
CONCLUSION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 77
BIBLIOGRA.PHIE ••••••••••••••.•••••••••••••••.••••••.••••••• 82
ABREVIATIONS
Les textes ci tés sont ceux qui ont été publiés par R. Picard, --
dans la Collection de la Pléiade ( 2 vol., Gallimard, 1951 ).
Les abréviations suivantes ont été parfois utilisées:
A : Andromaque
Br: Britannicus
Bé: Bérénice
M Mithridate
l . Iphigénie . P Phtldre
AVANT-PROPOS
"Tu frémiras d'horreur si je romps le silence"
Phèdre (v. 238)
- 6 -
"Rompre le silence" par l'aveu, c'est lA sans doute
l'obssession qui tourmente les héros de Ph~dre. Cette expression
qui revient souvent sur les l~vres de ces personnages (1), revêt
une intensité accrue et toute particuli~re en raison de l'extr@me
réduction du vocabulaire racinien laquelle ne fait plus de doute.
Le pouvoir d'incantation de Ph~dre, la hantise de cette pro
messe du silence sont fort probablement i l'origine de notre travail
où nous avons tâché d'approfondir la nature réelle de ces deux formes
de langage, le silence et l'aveu, th~mes fondamentaux de la tragédie
racinienne que le génie de l'écrivain a réussi i concilier, i entre
m@ler et fondre miraculeuseJllent au sein d'une œuvre prestigieuse.
Soucieux de vouloir par notre étude exprimer le général,
dégager certaines lois ou vérités enchâssées dans la mati~re qui
consti tue l' œuvre d'art, nous avons cru pouvoir étendre et étayer
davantage nos interprétations i la faveur d'une piàce qui ne semble
plus faire de la part du public l'objet de la même sollicitude de
jadis, Mithridate.
1. Quatre fois dans Ph~dre (v. 238-526-1450-1617)
- 7 -
C'est là une des principales raisons qui ont dicté notre choix,
que nous pensons être de bon aloi, surtout si l'on tient compte, comme
le démontre si remarquablement l'étude de Ch. Mauron (1), du rale central
et déterminant que joue Mithridate dans l'évolution de l'oeuvre
racinienne.
Cheval de bataille de la critique moderne, cette œuvre ne cesse
de faire couler l'encre et de soulever des polémiques passionnées.
La critique phonologique, structurale ou sociologique se sont en effet
servies de leurs techniques différentes pour faire que nous retrouvions
chez Racine ce que demandent les angoisses de notre époque. Dàs lors,
certains dangers surgissent. Nos interprétations pénétrées, inconsciem
ment peut-~tre, de ces théories ne risquent-elles pas, en situant
l'écrivain dans une optique particuliàre, d'altérer la véritable valeur
de ce miracle de civilisation et au lieu d'enrichir le théâtre racinien
de le désintégrer plutôt? Conscient de ces périls, nous nous sommes
efforcé, dans la mesure du possible, de considérer et d'utiliser avec
prudence ces divers "mythes" pour nous fier davantage à la lecture du
texte qui, mIlS pour autant interdire les infomations capables d'éclai
rer l'oeuvre, diminue les risques d'appauvrissement et d'attribution de
significations ésotériques.
L'objectif de ce travail sera principalement de cerner l'essen
ce des th~mes du silence et de l'aveu dans la création racinienne et
d'ess~er de découvrir par la suite les divers rapports de cause à
effet qui peuvent lier ces deux aspects de la tragédie aux valeurs
1. Ch. Mauron, L'inconscient dans la vie et l'oeuvre de Racine.
-8-
socio-religieuses du Grand Siècle, de voir dans quelle mesure la loi
du silence et sa transgression par l'aveu sont des réa+ités contempo
raines, produits et reflets d'un certain mode de pensée. A cet effet,
nous recourrons souvent A la systématisation qui, quels que soient les
dangers qU'elle puisse entraîner, semble le seul moyen rigoureux pour
répondre A l'effort que nous avons poursuivi de dégager le sens caché
de cette création littéraire.
Soucieux d'éclairer ces tragédies situées hors du temps, car
les oeuvres vraiment grandes n'ont pas d'âge, nous avons eu recours A
de nombreuses références:. liées, directement ou non, A Racine. C'est
parce qU'il parait répondre aux exigences des écrivains de tout temps
que le théâtre racinien s'élève A la dignité d'oeuvre classique.
PREMIERE PARTIE
LA VIOLENCE DU SILENCE
nCet amour s'est longtemps accru dans le silence,
Que n'en puis-je! tes yeux marquer la violence. n
Mi thrida te ( v. 40-41 )
-10-
Chapitre premier
EFFETS DU SILENCE
Dans Antigone d'Anouilh, on trouve parmi les méditations du
choeur sur la nature de la tragédie ces réflexions si pénétrantes au
sujet du silence tragique: "les silences, tous les silences ( sont là ) •••
le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au
commencement quand les deux amants sont l'un en face de l'autre ••• , le
vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence ••• " Ce commen
taire rev@t chez Racine une signification toute particulière car son
théâtre est par excellence celui du silence: le vrai tragique est con
tenu, secret, C'est le silence des n deux ~nts " , d'Eriphile à l'as
pect d'Achille :
" Je le vis •••
Je sentis le reproche expirer dans ma bouche" (!.v.499),
celui de la mort, ce "bourreau" implacable qui interrompt brutalement les
derniers mots d'Hippolyte :
" QU'il lui rende ••• n (!.) v. 1568),
celui du 'Vainqueur", de Mithridate :
" J'expire environné d'ennemis que j'immole Il (~. v.1664) ,
mais c'est surtout le silence de la passion inavouable, de l'amour impos
sible,de celui de Néron dont la voix s'étrangle à la vue de Junie:
"J,tai voulu lui parler et ma voix s'est perdue" ( ~.Jv.396),
- Il -
du mutisme de Phèdre devant le fils de Thésée:
"Je ne pouvais parler" (P _, v_ 215 )
*
* * Ce mutisme est plus inquiétant et destructeur que les paroles
comme en témoignent les diverses manifestations et effets qui l'accom-
pagne nt inéluctablement. Le silence racinien, telle une maladie inopé-
rable, ronge le coeur, corrode le corps, bouleverse l'état mental,
bref, déséquilibre la personnalité. Ce silence exige en effet une
volonté supérieure pour étouffer ces cris qui jaillissent de l'âme:
les plaintes, les gémissements sont refoulés dans les profondeurs
abyssales de la conscience et cette impossibilité de recourir au
verbe plonge l'homme dans une angoisse perpétuelle qui le ravage
progressivement. Ainsi Monime avouera-t-elle à Phoedime tous les
efforts déployés pour cacher son amour:
"Hélas! si tu savais, pour garder le silence,
Combien ce triste coeur s'est fait de violence !
Quels assauts, quels combats j'ai tantôt soutenus 1" (!!., v. 411-13)
Le cas de Phèdre est bien caractéristique à cet égard. Le désir
s'enracinant dans s al corps, jette la femme de Thésée dans un état
fébrile, maladif, aggravé d'autant plus que son "silencs inhumain"
la consume lentement. Déjà Théramène accorde au silence de Phèdre - .
toute sa densité, son poids, son pouvoir dévastateur lorsqu'il dit:
"phèdre, atteinte d'un mal qU'elle s'obstine à taire" (f-, v. 45)
Oemone reprendra plus tard la même idée en évoquant tout ce que ce mutisme
- 12 -
a d'inexorable:
IIElle meurt dans mes bras d'un mal qU'elle me cache" <.~., v. 146)
Ainsi le silence qui emp~che la passion de se manifester extérieure
ment, repousse A l'intérieur du moi ces désirs, ces fantasmes, ce qui
a pour résultat de porter l'amour à son paroxysme et d'~tre à l'origine
de la névrose qui menace et qui pèse sur les âmes raciniennes.
*
* * C'est à partir de ces symptômes que Racine établit une loi p5,Ycho
logique régissant les rapports "silence-passion". Racine, dans sa pein
ture clinique de l'amour-maladie, nous montre conunent le mutisme, cette
volonté pour taire ses sentiments intérieurs, irrite et accroît la passion,
la porte à sa plus forte intensité laquelle finira par tendre plus que
jamais cette m~me volonté. Ceci a pour résultat de transformer le silence
en une arme agressive qui déclenchera la "grande tuerie Il finale. Ces héros
qui analysent avec tant de vigilance le coeur humain découvrent ces
rapports de cause à effet. Ainsi Xipharès s'exclame:
"Cet amour s'est longtemps accru dans le silence" (~., v. 40)
et Oenone dit A Phèdre:
"Ahl s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence
Qui de vos maux encore aigrit la violence." (P., v. 185-186)
Ces exemples témoignent de l'emprise fatale du silence, de sa violence
cruelle; loin d'~tre le baume qui adoucit les peines, qui apporte le calme
intérieur, le silence racinien est une source de tourment qui attise les
sens, excite le despotisme de posséder, d'absorber en soi autrui. Dante
- 13 -
reprendra. la même ïdée quand il écrira
ft Poca favella gran flamma seconda a (1)
( Parole rare nourrit grande flamme )
* * *
La violence du silence est telle que son agressivité s'exe~ce aussi
dramatiquement sur le monde extérieur, sur les créatures qui gravitent
autour des grandes silencieuses passionnées comme Monime ou Phèdre. Le
silence s'apparente à un attentat, à un acte de provocation ou de persé
cution car il baigne dans les soupçons, dans les ténèbres du mensonge.
L'interlocuteur, se heurtant à la barrière du silence qui masque la vraie
réalité des sentiments, cherche! discerner dans le discours d'autrui ce
qu'il y a d'inexprimable, d'inverbal.
Nous pouvons sorger à la scène où 1ft thridate soupçonne Monime d' in
fidélité et la presse d'avouer ses véritables penchants. Scène qui, sous
l'élégance majestueuse des personnages, sous le charme des harmoniques,
recèle une cruauté impitoyable due! la réserve de Momme. Silence éloquent
qui exprime des pensées et des sentiments enfouis dans le tréfonds de l'ime
et qui est pour Mithridate une source de douleurs que multiplie la jalousie
naissante. Cette jalousie déclanchée4par le froid laconisme de la princesse:
n Vous demeurez muette" (!,.) v. 581 )
anéantira le roi de Pont en lui faisant découvrir les abimes o~ il rencon-
trera son destin.
Le silence ninjuste" de Phêdre après les accusations portées par
Oenone entrainera aussi la mort, celle d'Hippolyte. En laissant planer
1. Dante: Paradiso (l, 34 )
-lb-
autour d'elle le myst~re ténébreux de son mutisme, en refusant de faire
éclater la vérité, la fille de Minos et de Pasiphaé prononce un verdict
de culpabilité A l'endroit du fils de l'Amazone et par lA son arr~t de
J1Drt. Oenone qui fait le jeu du diable a compris d'ailleurs tout le
parti qu'elle peut tirer de ce silence lorsqu'elle dit A sa maitresse:
u MOn z~le n'a besoin que de votre silence n ( f.,v. 894 ).
Thésée,enfin,dans son aveuglement s'écriera :
" Le silence de Phêdre épargnait le coupable ? Il ( f., v. 101.3 ).
D~s lors, les dés sont jetés.
* * *
Ainsi nous apercevons une autre facette du silence, celle du silence
politique, dénonciateur. Cette réserve verbale dirigée vers autrui est
tout aussi implaca~le que celle tournée vers soi car elle se tapit dans
"l'ombre du secret", dans le doute, dans l'indécision et par là persécute
l'innocence et déclanche des conflits catastrophiques.
- 15 _.
Chapitre II
CAUSES DU SILENCE
Essayons, après avoir remarqué la puissance dévastatrice du silence
chez Racine, d'en cerner la véritable nature. "Et que dit ce silence?" (1)
D'où vient-il? Comment expliquer sa force? Autant de questions épineuses
sur lesquelles nous tâcherons de faire la lumiêre A la faveur de la lecture
du texte. Cet essai d'éclaircissement s'établira sur trâis plans: le plan
individuel, le plan social et enfin le plan métaphysique. Trois plans,
bAtons-nous de le dire, non point parallêlement évoqués, mais solidement
intégrés dans une indivisible unité. Un seul silence A travers lequel
demeure en jeu le destin des personnages.
*
* * La premiêre raison serait donc intérieure, dictée par un ensemble de
facteurs psychologiques (qui témoignent d'une certaine morale collective
et contemporaine). C'est le sentiment de la "gloire", ce mot aux acceptions
si diverses qui vont de la réputation 1 l'honneur, qui semble ~tre une des
origines de cette réserve verbale. Toutes les créatures raciniennes se voient
condamnéees A se taire parce que leur amour, étant illégitime, porte atteinte
1. Bérénice (v. 627)
- 16 -
A la digni té J au devoir. Ti tus dira:
" Que sous de beaux noms cette gloire est cruelle 1 " (Bé. v. 499)
et cette pensée conditionne l'attitude de ces personnages qui, afin
d'acquérir cette gloire ou du moins de la préserver, n'ont d'autre recours
que le silence pour cacher leurs ambitions, déguiser leurs sentiments
réels et éviter la honte.
Monime! maintes reprises illustre par sa conduite ce qu'il peut
y avoir de cornélien dans son obstination à se murer dans le mutisme.
Nous pouvons déjà parler d'acte héroique si nous songeons au courage
nécessaire à cette princesse pour étouffer ses élans, pour bâillo~ïer
la parole aux dépens de son bonheur et ainsi accéder à cette "majesté"
empreinte de grandeur:
" Un rigoureux devoir me condamne au silence" (!:!.) v. 676)
et :
" Ma gloire me rappelle et m'entraine à l'autel,
Où je vais vous jurer un silence éternel" (!:!., v. 698-699)
Phàdre,de m~me)estime que sa gloire, sa dignité ne seront pas
souillées tant que la pensée coupable demeurera tapie au fond de l'âme,
tant que son "crime" ne sera pas divulgué. La fierté, la noblesse, le
"généreux" expliquent en partie son silence orgueilleux. Elle suscite
autour d'elle,par son secret insondabl~un halo poétique où se mêlent
la passion et l'honneur:
" Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire." (f.) v. 309)
Le silence ici s'identifie à celui de la mort, de la "nuit infernale",
A celui qui transfigure l'homme en héros mythique.
En somme, ce silence tout pénétré d'une aristocratie' de la vertJ1 (l),
1. Le caractàre héroique du théâtre racinien a été étudié par J. Vianey, Revue des Cours et des Conférences, 1913.
- 17 -
d'une éthique de dépassement, témoigne selon la juste formule de
La Bruyère de ce Il grand et merveilleux qui n'ont pas manqué" à la
tragédie racinienne. (1)
*
* * Une autre dimension du silence se retrouve sur le plan social.
Il s'agit de ne pas parler afin de sauvegarder l'ordre établi, de
préserver la structure des groupes fondés sur certains usages, certaines
idées traditionnelles, sur ce qU'on désigne sous le terme de "bienséances".
En d'autres termes, ces héros agissent en accord avec les moeurs de
l'époque en vue de faire triompher la société.
Le tragique contenu d' Hippolyte est très symptamatique à cet égard.
Le fils d'Antiope devant l'aveu terrible de sa belle-mère est foudroyé.
Néanmoins, il prend la résolution de faire le silence sur la confession
qu'il vient d'entendre, préparant ainsi son propre trépas:
" •••• qU'en un profond oubli
Cet horrible secret demeure enseveli" (E., v. 719-720)
Il est nécessaire de bien percevoir ici les motifs qui imposent ce silence:
uJe devrais faire ici parler la vérité,
Seigneur; mais je supprime un secret qui vous touche" (E., v. 1088-89)
et ce faisant il assume ses responsabilités devant l'ordre moral et pose
les principes de la vie sociale comme les valeurs fondamentales de la vie.
Cette crainte de violer la loi du silence qui ferait jaillir le désordre
et le scandale, va pousser Hippolyte avant de partir à s'assurer que la
pure Aricie ne dévoilera pas le secret qu'il lui impose:
1. La Bruyère: Les Carac~res ( l,54 )
- 18 -
n ••••• et que jamais une bouche si pure
Ne s'ouvre pour conter cette horrible aventure. ft (P. v. 1349-50)
Le silence semble ~tre le seul moyen pour préserver les valeurs
et les êtres, de là son caract~re tragique car ce moyen est illusoire.
C~est au nom de l'harmonie du monde que Monime et Xipharàs tairont leur
passion parce qu'ils n'oublient pas les" lois" qui régissent la société
et parce qU'ils savent qU'entre la vie et la mort il n'y a que le fragile
écran d'un mot :
" Quand mon père parait, je ne sais qu'obéir " ( !., v. )66 ) dit
Xipharès et Monime s'exclame :
" J'obéis ~ •• " (f., v. 584 )
Cette obéissance ,qui se manifeste dans toute sa rigueur iœxorable par
la concision verbale ,est l'effort déployé pour sauver le système social
et moral.
Le silence imposé par les convenances est le seul refuge inviolable
qui pro~ge la "coutume" comme dit Pascal. Transgresser les commandements
du silence, c'est se dresser en face du monde et "le changer de face" ,
ce que tous ces héros essaieront en vain d'éviter.
* * *
C'est enfin! un niveau supérieur, celui de la religion, que le
silence racinien semble prendre toute sa richesse et sa densité. C'est
en particulier dans Phèdre où les dieux sont présents partout, dans 11
amour comme dans la mort, que nous percevons l'angoisse obsédante de ces
créatures devant l'idée du péché. Elles croient, dans leur nperpétuelle
- 19 -
illusion", courir à leur salut en refoulant en eux cette notion aiguë
du péché. Comme les Anciens, Aricie, Hippolyte, Ph~dre: "ont le sentiment
de cette contagion à laquelle le nom seul du péché expose les l~vres qui
le prononcent (l).u Parler, c'est profaner. Le calvaire de Phlldre naît
de ce dilemme: dire ou ne pas dire. C'est là la question. Se taire est
pour Phlldre le seul moyen d'atteiadre la pureté qu'elle recherche passion
nément et dès lors il y aurait sacrU~ge à dévoiler sa passion coupable.
Ainsi se manif'este la Phàdre religieuse, qui met sa foi dans les dieux:
"Je meurs, pour ne pas faire un aveu si funeste." ( !., v. 226 )
D'où, une fonction mystique du silence en tant qu'incantation, que formule
magique pour conjurer le sort car "certaines syllabes portent en elles
le mal et la mort (1)."
Par delà ce sens aigu du péché, nous pouvons discerner un autre
sentiment religieux, celui de la honte, de la pudeur, sentiments que
nous trouvons en particulier chez Hippolyte. CODUlle le remarque avec
t.ant de justesse P. Bénichou, ce prince "pour qui l'amour est ••••
sujet d'anxiété et qui ne se livre qui avec remords (2)" garde et renàte
11 empreinte indélébile de la religion. Sa pureté un peu hautaine, son
inaccessibilité à l'amour:
"Pourriez-vous n'~tre plus ce superbe Hippolyte,
Implacable ennemi. des amoureuses lois" (P., v. 58-59 )
sont des traits caractéristiques de sa foi dans le surnaturel, dans une
certaine éthique métaphysique. Son cœur a été ému par Aricie et désor
mais sa seule défense est le silence:
"Vous périssez d'un mal que vous dissimulez" ( P., v. 136 )
1. P. Moreau, Racine, l'homme et l'œuvre, p. 151
2. P. Bénichou, Morales du grand si~cle, p. 225
- 20 -
ou son équivalent, la fui te:
uTh"' ~ j Il (p 138) eramene, e pars eee __ e, v.
car ce respect à l'égard des dieux, tout en grandissant, se nuance de
terreur, terreur du sacré, terreur de savoir que nulle parole ne tombe
dans le vide et que les puissances divines peU'l"ent parfois exaucer.
La pureté du coeur d'ltippolyte, sa crainte de l'iDnoceuce souillée,
éclateront de nouveau lorsqu'il exigera de son amante de ne pas
enfreindre la promesse du secret. Du reste, si la pure !ricie révél~t
un crime aussi noir, il Y aurai t blasph~me, d'autant plus que sa
confiance illusoire dans la justice divine rend inutile tout aveu:
"Sur l' équi té des Dieux osons nous confiera (P., v. 1351)
Ce silence donc, qui s'identifie à l'horreur sacrée, 1 l'angoisse
devant les forces capricieuses de l'au-delà7semble être pour ces
personnages voués A la mort le havre du repos, de la paix. Ne pas
parler est la formule sacramentelle pour ne pas éveiller ces dieux
ombrageux et vindicatifs, pour ne pas provoquer leur col~re incompré
hensible mais aussi pour se protéger du mal qu'ils portent en eux,
pour accéder à la lumière éternelle, celle qui émane du Dieu de Racine,
le Dieu caché.
* * *
Le silence où se murent ces héros appara.1t COIIIIIe la totalité,
la réunion de trois formes de silence parfaitement imbriquées dans
une vivante uni té. Silence en face de Dieu, en face du monde et en
face de soi-m~me, telles sont les diverses facettes où se projette
la tragédie.
- 21 -
Chapitre III
VERS UNE MORALE DU SILENCE
Nous avons jusqu'ici essayé d'analyser ces trois silences entre
lesquels se joue la tragédie; ! cet effet, nous nous sommes surtout
appuyé sur le texte, quant A son essence et sa portée. Par lA, nous
avons abouti.! des iôëes générales qu'il faut de toute évidence ratta
cher,! l'origine,! la critique littéraire traditionnelle. Or, ! nos
yeux, l'oeuvre racinienne, comme nous le montrent si remarquablement
les théories modemes, témoigne dans son ensemble d'une vision collec
tive du monde qui dépasse l'oeuvre d'art comme telle. Le théltre de
Racine, éclairé sous cet angle, présente alors un aspect nouveau, fort
intéressant à analyser.
Le silence, thème de base du schéma racinien, va ainsi se renouveler,
se structurer au sein d'une étude plus vaste, englobant des préoccupations
plus profondes et humaines. Aussi, nous allons tenter d'appliquer au silence
des méthodes d'invèstigation actuelle dans· l'espoir de mieux pénétrer le
mystère qui entoure ces créatures obsédées par la~haDt1se de se clo1trer
dans le mutisme.
* * *
- 22 -
La premi~re tentation est de concilier le silence avec l'idéologie
chrétienne et en particulier avec le mouvement janséniste. Né dans un
siècle chrétien et formé par Port-Ra,yal, Racine a été, consciemment ou
non, imprégné d'esprit chrétien. En conséquence, la modernisation de
ses personnages se manifeste en partie par des sentiments profondément
religieux. Les contemporains l'avaient déjà noté pour Phèdre (1).
De m~me Chateaubriand, dans son analyse des héroines raciniennes, fera
d'Andromaque une m~re chrétienne, d'Iphigénie une pure martyre et de
Phèdre une "chrétienne réprouvée. (2)" Nous sommes donc en droit de
replacer le silence dans un contexte religieux et d'essayer de l'expliquer
par l'inspiration chrétienne. Nous nous trouvons alors devant deux
courants théologiques complexes qui, issus d'idéologies complémentaires,
façonnent et enrichissent le silence racinien.
L'on connait l'influence fondamentale exercée par la Bible sur la
doctrine de Port-Royal et sur la vie de Racine. Nous ne saurions, lecteur
profane, oser cerner et préciser ces influences au sein d'une théologie
qui même aujourd'hui semble ésotérique aux yeux des historiens. Il n'en
reste pas moins qu'il suffit de lire les Pensées de Pascal, notamment
la section X traitant de la "Preuve des deux Testaments à la fois" et de
parcourir la littérature janséniste pour prendre conscience du raIe
crucial joué par les Ecritures dans la vie de Port-Royal.
Quant à savoir dans quelle mesure la Bible a pu nourrir et marquer
RaCine, il n'est que de lire "Les Hymnes et les Cantiques spirituels"
pour constater à quel point ces vers sont pénétrés de sagesse religieuse.
Comme écrit P. Moreau: "Il laissera dans ses papiers tou.te une série de
1.
2.
Voir Sainte Beuve, Port-Royal, VI, ll.
Chateaubriand, Le Génie du Christianisme, tr.oisième partie. (Hacfiettë, 1872, p. 208, 214 et 237)
- 23 -
réflexions sur les passages de la Bible et de l'Evangile où il enferme
les leçons de l'Ecriture qui se confondent avec celles de la vie (1) ".
Or, dans les deux Testaments l'idée du silenc~ revient réguli~rement,
tel un leit-motiv, de sorte que le silence finit par s'identifier à
Dieu. Le silence, c'est Dieu, c'est le lieu de rencontre de l'lme avec
Dieu, c'est le moyen privil~gié pour atteindre le salut. L'homme doit
se rassembler, se recueillir, et par l'arr~t de la pensée discursive
trouver le Seigneur.
Il est écrit dans la Bible:
"Le Seigneur n'est pa.s dans le bruit" ( l Rois 19, 11 )
"Que toute chair fasse silence devant l'Eternel" ( Zach. 2, 13 )
aCar c'est dans le calme et dans le silence que sera votre force,
dit le Seigneur." ( Is. 30, 15 )
"Il ne contestera point, il ne criera point
Et personne n'entendra sa voix dans les rues" ( Mat. 12, 19 )
Nous pourrions ainsi multiplier à l'envi les citations bibliques qui
illustrent les vertus du silence, conçu comme planche de salut qui
permet! l'Ame' de-s'élever jusqu'à entrer en communication avec Dieu.
A cet héritage judéo-chrétien va s'ajouter l'ascendant janséniste.
Le jansénisme croit avec ferveur dans les bienfaits du silence. Dans
une lettre de la m~re Angélique transcrite par Racine dans son Abrégé
de l'histoire de Port-Royal nous trouvons cette phrase-clé : "L'humilité
se conserve dans le silence (2) " et dans Les Louanges de Port-Royal
Racine écrit: "Saintes demeures du silence 0)" en éV9quant l'abbaye
des solitaires. L'homme de Port-Royal, jouet de la volonté divine,
1. Ch. Moreau, op. cit., p. 78 2. Citée par Ch. Moreau, op. cit., p. 162 3. Promenade de Port-Royal, Ode I.
- 24 -
ignorant tout sur la sentence qui a été prononcée à son endroit,
verdict d'ailleurs que rien ne pourrait rationnellement légitimer,
n'a comme autre alternative que trembler et se taire et se pénétrer
de la notion du péché sous le regard invisible et impitoyable de Dieu.
C'est peut-~tre dans Iphigénie que nous sentons le mieux ce frisson
de terreur qui saisit Agamemnon à l'idée de dévoiler la raison de son
mutisme et par là de décha1ner l'ire des dieux:
Iphigénie: "Seigneur, poursuivez.
Agamemnon: Je ne puis ••••
Les Dieux depuis un temps me sont cruels et sourds." (1., v. 572)
Le silence dês lors revêt un double aspect selon qU'il est d'ins-
piration biblique ou janséniste. Là, c'est un silence intérieur qui s'ac-
compagne de paix, de calme, de nostalgie. C'est le silence de David qui
chante:
"Mon ime est dans le calme et dans le silence
Comme un entant rassasié sur le sein de sa mère. 1I (Ps., 131, 2)
Ici, le refoulement de la parole intériorise une agitation verbale, un
bavardage continuel, une véritable temp@te de paroles comme nous le montre
l'angoisse pascalienne et "'anséniste. Or, c'est ce silence pénétré de
jansénisme qui nous parait le mieux convenir aux héros raciniens.
Silence dicté par la crainte d'un I1Dieu dur et implacable... un Dieu
qui ne connait ni pardon ni mansuétude, qui juge l'acte ••• et non
l'homme (1)." En effet, comme il a été illustré ci-dessus, la Bible bien
qu'ayant agi indiscutablement sur la formation religieuse de Racine, et
par là de ses tragédies, en particulier les dernières, ne semble pas,
1. L. Goldmann, Jean Racine, dramaturge, p. 19.
- 2, -
tout au moins en ce qui a trait au tb~me du silence 1 rejoindre la rigueur
et la violence du silence racinien.
Cette alliance du langage et de la religion donne une force nouvelle
au but moral qui est assigné A la tragédie. C'est grice au silence de
Phadre que le po~te pourra dans une large mesure étayer sa préface où
il indique avoir voulu : "reconcilier la tragédie avec quanti té de
personnes cé1~bres par leur piété et leur doctrine" car ce silence est
purificateur, expiatoire et ma,yen d'opérer la catharsis.
* * *
"Racine était encore à Port-Royal quand il subit, 1 distance, la Il
séduction du monde qui devait l'emporter (1). Or, ce "monde", c'est
celui de la Cour qui donne le ton A la "vil1e", A la France qui devient
selon le mot de Taine,ce qU'avait été l'Italie au Xvr&ne siac1e :
"la source des élégances, de l'agrément, des idé~s fines, du savoir
vivre." L'influence de Louis XIV sur la littérature de son temps est
certaine: chez tout écrivain classique, on 'sent l'instinct de la
grandeur, de la noblesse, de la dignité que porte la marque royale.
Racine, plus que tout autre écrivain, ,fut celui qui entra le plus en
avant dans la faveur du roi et par là celui qui subit le plus profon
dément 1'envoiltement de Versailles. Il va découvrir a1o.z:~ .. un univers
somptueux où la politesse devient une vertu essentielle, oa le cour
tisan s'attache A être "honn@te hOmBen , c'est-A-dire A posséder la
culture qu'il faut, les "clartés" nécessaires pour soutenir avec honneur
toute conversation, 1 ne jamais manquer au bon ton et en particulier
1. Ch. Moreau, op. cit., p. 28
- 26 -
A veiller dans ses paroles. n faut souligner l'importance de cette
derniêre exigeDCe relative 1 l'étiquette du langage. Cette société
raffinée issue de l'Hôtel. de Rambouillet puis de l'entourage de Madame,
possêde son éthique propre où la consigne du silence est la clé de voftte
de ce code aristocratique. L'on peut parler d'une morale mondaine où
le sUence courtois est une des lois fondamentales. Le courtisan de
Versailles obéit 1 cette regle afin d'endiguer et de contrÔler tout
excês verbal de Datura 1 offenser l'interlocuteur, d' éviter toute
maJ.adresse ou propos intempestif propre ! irriter et éloigner la
personne avec qui il converse.
A l'origine de cette attitude, il faut discerner, du moins en
partie, l'influence déterminante de le préciosité en tant que réaction
contre la liceDCe des .œurs et la grossi tireté des mailiàres. R. Bray
rend justice 1 la préciosité et met l'accent sur son action q~d il
formul.e : d La préciosité a précédé le classicisme proprement dit; ainsi
elle a pu l'aider 1 Daitre (1) d et M. Peyre souligne la persistance
du ft courant a précieux au sein de la grande génération classique:
b Il est trop clair que la préciosité ••• n'a pas été anéantie par les
railleries de 1!oliêre et nia jamais joui d'lm plus vif prestige qU'entre
1660 et 1700 (2) -.
Cette littérature précieuse ne cesse de praner les bienfaits du
sUence qui devient UDe .arque de bon goat, une exigence dictée par
la galanterie ( ou ca.me disait Madeleine de Scudéry n l'air galant " ).
Ainsi trouvons-nous par.! les conseils de la Carte de Tendre : ft si on
prenait un peu trop 1 gauche et qu'on alllt A Indiscrétion ••• on se
1. R. Bray" La Préciosité et les Précieux, de Thibaut de Champagne ! Jean Giraudoux" p. 227.
2. M. Peyre" Le ClassicisE français, p. 53. On assiste, ! notre époque, A une-véritable rihabil.itation de la préciosité d'apres les études de F. Baumal" Il. lIagendie, G. Mongrédien. ( voir Bibliographie)
- 27 -
trouverait à la Mer d'Inimitié Il et parmi les définitions données par
le Dictionnaire des Précieuses de Baudeau de Somaize : Il Le secret,
c'est le sceau de l'amitié Il.
Cette société mondaine ne s'est pas contentée de créer ou de
façonner un certain type d'homme, poli et délicat; elle a fourni
aussi à la littérature, des écrivains qui ont projeté dans leurs œuvres
une image vivante et expressive des moeurs qui régnaient alors. Ces
oeuvres témoignent de l'importance capitale accordée au silence, pierre
de touche du savoir-vivre, du bréviaire des mondanités. A cet égard,
La Princesse de Clêves, quintessence de ce genre de littérature, peint
avec une finesse psychologique exceptionnelle le rôle social du silence
dans la vie de cour. On peut parler en effet d'une véritable conspira
tion du silence pareille à celle qui mure les personnages de Mithridate.
La scêne du portrait dérobé est fort symptÔlBatique à ce sujet: :OMonsieur
de Nemours suggêre ou exige plutat avec grand tact que Madame de Clêves
se taise pour étouffer l'esclandre: Il Si vous avez vu ce que j'ai osé
faire, ayez la bonté de me laisser croire que vous l'ignorez, je n'ose
vous en demander davantage (1) Il. Ici)la litote s'harmonise avec le
laconisme des héros. La Bruyêre apporte dans ses réflexions sur " De la
société et de la conversation n un témoignage précieux sur son temps et
la place dominante réservée l la loi du silence. Il y écrit: Il Il n'y a
guère qU'une naissance honnête ou une bonne éducation qui rende les
hommes capables de secret (2) Il.
Ce qui précêde contribue à expliquer le réticence de ces héros,
1. Mme. de Lafayette, La Princesse de Clèves et autres nouvelles, Le Club du meilleur livre, 1957, p. 187
2. La Bruyère, op. cit., v. 79
- 28 -
tel Titus :
" Huet, chargé de soins, et les larmes aux yeux, Il ( Bé., v. 157 ) . .
et en particulier la réserve d'Hippolyte. Amant généreux, tendre,
brillant de vertus, ce prince galant incarne 1 la perfection le héros
chevaleresque et aristocratique qui domine la littérature depuis des
siècles, héros venant du fond du Moyen Age courtois et dont Tristan
est le représentant typique car il offre en exemple Il les usages de .
la courtoisie et les vertus requises au franc homme: honneur, fidélité, •••
parler avec mesure, ne bl&mer persoDIl8 i la lég~re (1) ", sentiments
caractéristiques de la cour bril1ante de Marie de Champagne et de
Catherine de Rambouillet. En refusant de parler, de dénoncer, le fils
d'Antiope ne fait que se conformer 1 une longue tradition morale et
sociale. Quand il s'écr1.e,désemparé :
" Approuvez le respect qui me ferme la bouche Il ( !., v. 1090 ) .
il obéit A un des principes fondamentaux du code courtois. De même,
Xiphârès est le plus accompli de ces cavaliers. Dévoué 1 son pays et
à son roi, le n triste cee ur ft brlUe d'un amour silencieux qu'il n'ose
avouer de peur de transgresser cette n étiquette de cœ ur n, selon
l'expression de R. Picard au sujet de Mithridate.
En conséquence, cet aspect du silence S'identifie à une convenance
sociale rigoureuse, 1 une théorie galante renouvelée des tradi tians
chevaleresques. Si les créatures raciniennes s'enveloppent d'un mutisme
opaque,c'est parce qU'el1es estiment qU'il donne de la considération,
de la dignité, qu'il est le miroir de la civilité, de la politesse, qu'il
1. 'l'ristan et Iseut, Le Livre de Poche, p. 25
- 29 -
qU'il est l'interpr~te fid~le d'une certaine tournure d'esprit, d'une
tendance psychologique faite de sobriété, de pudeur, de respect des
bienséances.
.. * *
Nous avons jusqu'ici essayé de démontrer que le silence racinien,
par-delà la tragédie en tant qU'oeuvre d'art, est déterminé par un
certain contexte historique où la religion et la société jouent un
r&le décisif. Il nous reste à parler d'un troisiàme personnage qui
lui aussi n'échappe pas à l'emprise de l'époque : l' homme tragique.
Hous tenons à signaler qu'il n'est pas dans nos intentions d'actualiser
le héros racinien, de l~i attribuer les angoisses existentielles de
notre civilisation en perpétuel devenir. Toutefois, nous estimons ~tre
en droit de nous pencher sur la psychologie racinienne pour tlcher d'y
déceler les rapports qu'unissent les conditions socio-religieuses et
l'individu du Grand Siècle. Cette partie,par la nature des probl~mes
qui y sont soulevés, se rattache étroitement, mais à l'état sous-jacent,
aux considérations historiques déjà évoquées. Il s'"'agit sensiblement de
la m8me question mais étudiée sous un angle différent, celui de la con
di tion humaine. Par là, nous croyons percevoir d'autres inquiétudes,
d'autres raisons propres à expliquer le silence chez Racine à l'aide de
cette nouvelle approche.
Derrière ce silence ~stique ou courtois, l'on sent quelque chose
- 30 -
de plus profond, de plus puissant, une forme d'expression toute particuliàre
que les exég~tes modernes ont découverte et mise en lumiàre. En vérité,
ce silence fi inhumain ft n'est-il pas un signe de révolte face 1 un Dieu
muet et face à un monde qui se tait devant le spectacle pathétique de
ft la misàre de l'homme" ? Comme le démontre magistralement L. Goldmann,
le héros racinien se caractérise par sa soif d'absolu, par son exigence
de dépassement total, par" sa morale de totalité ••• et de refus (1) fi.
Profondément marqué par l'idéologie sévère de Port-Royal, l'~tre racinien
ne peut supporter le compromis avilissant, la solution finale qui consiste
1 choisir. Dàs lors, ce silence où il s'enferme est le seul moyen pour
éviter l'option qui limite; comme dit Gide " choisir n'est pas tant élire
que repousser (2) If. Cette réticence verbale n'est-ce pas la négation d'un
univers où la vie n'est que duperiel
Abandonné par un ciel sourd 1 ses cris et A ses souffrances, perdu
dans un monde incompréhensible où Dieu est caché, toujours absent, l'homme
racinien répond au silence de la nature, fi au silence des eaux et de l'air
meurtriers Il comme écrira Rimbaud, ce grand silencieux (3), par le silence
de la parole. Son mutisme, pénétré de solitude, de dignité, de douleur, est
un acte d'accusation devant la persécution impitoyable dont il est objet.
Ph~dre, Q objet infortuné des vengeances célestes Q ( v. 677 ), damnée
par la vindicte des Dieux, désire mourir pour ne pas Q faire un aveu si
funeste n (v. 226 ). Réprouvée injustement par un Dieu cruel, elle lui
oppose le silence, un silence terrible qui aura raison d'elle car Q la
1. L. Goldmann, op. ci t., p. 21 2. A. Gide, Les nourritures terrestres , Livre quatriàme, I.
Le livre de poche, p. 65 3. A. Rimbaud, Illuminations, Angoisse.
- 31 -
fille de Minos et de Pasiphaé n mourra à la suite de son calvaire, -
le poison absorbé ne faisant que précipiter le dénouement fatal.
D'ailleurs, et ceci est significatif de sa prise de conscience tragique,
lorsqu'elle transgresse la loi du secret, ses paroles trahissent sa
révolte, son indignation devant un Dieu" spectateur", implacable qui
jette un regard indifférent sur le monde:
Il Implacable Vénus, suis-je assez confondue?
Tu. ne saurais plus loin pousser la cruauté Il ( !., v. 814 - 815 )
Au-delà du " sUence éternel de ces espaces infinis (1) ", l'homme . .
tragique se tait également parce qU'il se sent étranger dans un monde .
hostile. Enfermé dans une horrible solitude, opprimé par une société
close, il n'a d'autre recours que la réserve, le refoulement. A y bien
réfléchir, cette attitude restrictive s'explique par les conditions
historiques de l'époque: dans une société organisée et hiérarchisée,
ayant comme armature une religion officielle et une philosophie qui
donnait une explication cohérente de l'univers et de l'homme, le
sUence était de mise. Rompre le sUence, c'était contester le cérémonial
pompeux de la Cour, remettre en question la diplomatie subtile de
Louis XIV et par là porter atteinte à tout l'édifice social.
Le mutisme de Phèdre, c'est aussi le refus du dialogue avec un
monde qui ne saurait réaliser ses r~ves, c'est la cristallisation d'un
sentiment tragique devant les lois qui interdisent l'existence d'un
être probe et authentique. Au lever du rideau,. Ph~dre, qui se heurte
aux portes hermétiques de la réalité, voit dans son attitude négative
l'unique issue à sa situation dramatique. Nous assistons alors à l'af'fron-
1. Pascal, Pensées, 206. Nous suivrons le numérotage de l'édition Brunschvicg.
- 32 -
tement de deux univers antagonistes et inébranlables > baignant dans les
tén~bres opaques du silence.
D'apr~s ce qui précède, il ressort que le laconisme de ces person
nages porte la marque d'une pensée désenchantée que les épreuves et les
désillusions, l'hostilité de la nature indifférente, l'angoisse de la
solitude morale,ont milrie en la meurtrissant. Empreint de stoi"cisme, de
dignité dans la douleur, de fermeté devant les provocations, ce silence
s'apparente à celui de Vigny, de La mort du loup:
n Seul le silence est. grand, tout le reste est faiblesse ••••
••• souffre et meurs sans parler. "
Tout espoir, toute promesse étant voués à l'échec à cause de l'écart
immense entre le monde extérieur et le monde mental, celui-là ne corres
pondant en rien aux aspirations de l'be, puisque l'amour est une duperie
monstrueuse, la vie collective un n divertissement Il où chaque ~tre tient . .
jusqu'à la fin un m~me rôle et puisque Dieu est absent, la désillusion
de l'esprit contraint le héros racinien au silence pour affronter les
rigueurs de la Destinée et mourir" sans jeter un cri ".
*
* * Les considérations précédentes témoignent du rôle crucial du silence
1 l'époque du Roi-Soleil. Déterminé par des facteurs divers, d'ordre - >,
sociologique, cette réticence verbale est loin d'être un élément purement
littéraire ou esthétique mais une réalité contemporaine qt4 trouve sa
raison d'être dans un certain mode de pensée, dans certaines conditions
- 33 -
de vie aujourd'hui révolue. En effet, la preuve la plus évidente de
oette emprise aGcio-religieuse semble cGnstituer la comparaison des
sources avec l'oeuvre racinienne. Une étude poussée de la Phl!dre
d'Euriprde et de Racine suffirait à montrer que le thl!me du silence
est presque totalement absent dans la tragédie grecque, ou du moins
que seule l'idée de la réserve se retrouve à l' arril!re-plan, mais
jamais exprimée. Tandis que chez Racine, dans la scène de l'aveu de
Phèdre à sa nourrice, le mot silence revient quatre fois, abstraction
faite des périphrases, chez Euripide, que le poète français a pourtant
suivi de près, le terme n'est jamais employé (1). De là,la nécessité
d'intégrer cette force thématique dans un contexte historique déterminé
et détel'llj Dant.
1. Voir l'édition Weil des tragédies d'Euripide.
- 34 -
Chapitre IV.
VALEUR DU SILENCE
Epée pour parer les coups du sort, le silence est la seule
arme dont disposent les créatures désemparées pour se défendre
ou plus exactement pour tenter de se défendre. En effet, cette
arme se retourne souvent contre elles et dès lors se transforme
en une épée à deux tranchants les blessant plus qU'elles ne les
protège. Dans quelle mesure ce mutisme est-il efficace? Une
lecture approfondie de Racine nous fera assister à une découverte
qui remet en question la valeur du silence, valeur que nous avions
établie et qui faisait apparaitre le secret co~ un refuge invio-
1able, une puissance triomphante face aux pressions extérieures.
Il n'est pas difficile de constater que le silence est un mythe,
sa sagesse une chimère et sa portée une illusion vi te perdue.
- 35 -
L'auteur, en fin de compte, ne fait qu'illustrer" magistralement ce
lieu commun éternel, à savoir l'éloquence du silence.
* * *
"Débile jouet des forces inconscientes "dont on ne peut sonder la
profondeur ni percer les ténèbres de ses ab1mes (1)", de cet instinct
qui joue un raIe capital dans la psychologie naturaliste du XVIIe.
siac1e (2), l'homme est dupe de lui-m~me se figurant pouvoir, grâce
au mutisme, déguiser ses sentiments, se travestir aux yeux d'autrui
et par là atteindre le salut. A son insu, le masque tombe, la mise en
scène s'écroule et il reste là, nu, désarmé, sous le regard perçant
et surpris de l'interlocuteur.
C'est dans Mithridate que nous trouvons posé avec acuité le
problème de l'interprétation du silence. Telle Madame de Clèves "exposée
au milieu de la cour", Monime souffre de ne pouvoir réussir 1 voiler
sa passion. Hi thridate entrevoit la vérité car l'expression physique
ne correspond pas, ne colle pas aux paroles et aux moments du silence:
"VOUs demeurez muette; et loin de me parler,
Je vois, malgré vos soins, vos pleurs prêts à couler" (~.,v.S81~82)
Pharnace est conscient du danger que rev~t tout geste, tout mot involon
taire: le lapsus, l'acte manqué sont la clé pour pénétrer dans l'univers
heI'Blétique où vit chacun. A force de se taire et de s'épier, ces ~tres
finissent par se découvrir, ces découvertes étant leurs actes:
liMais en obéissant ne nous trahissons pas". (~.,v. 375)
1. La RoChefoucauld, Maximes, 563. Nous suivrons le numérotage de l'édition de la Pl~iade.
2. P. Bénichou a souligné (op. cit., p. 168-172) l'importance de ce thème dans la pensée du XVIIe. siècle •
• ," ."........... .-. ""', -···· ______ w •• _.~ ••• ~.,.,. ___ ._~_~ __ _
- 36 -
D~s Andromaque, Racine usera de ce th~me pour mettre en lumiàre l'im
puissance et le désarroi de ces créatures A dissimuler sous le silence
la vraie vie intérieure:
"Tout nous trahi t, la voix, le silence, les yeux", (!., v. 575)
L'étau se serre davantage: il faut désormais surveiller tout mouvement,
tout regard, tout souffle. L'atmosphàre devient irrespirable: la machine
tragique est bien montée.
Stérile parce qu'il ne parvient pas à sauvegarder les apparences,
le silence l'est davantage parce qU'il ne réussit gu~re A apporter
avec soi le calme, la quiétude dont nous parle la Bible, mais au
cQntraire la hantise du remords, l'agi ta tion inqui~te. Ces personnages
ont beau se taire, ils sont la proie des voix occultes qui obs~dent
la conscience. Phèdre s'exclame A l'endroit du fils de Thésée, en
mesurant brusquement les dimensions de sa nouvelle situation:
"Il se tairait en vain". (~., v. 849)
car le silence d'Hippolyte est "la plus grande persécution (1)" comme
écrit Pascal. Le silence attise les scrupules moraux, les regrets
lancinants et les tortures physiques. Et Phàdre entend les paroles
accusatrices qui viennent l'assaillir de toutes parts en transgressant
la consigne du silence.
'*
'* '* Ainsi, omniprésent, le silence racinien revêt une toute-puissance
1. Pensée 920.
- 37 -
illusoire: leurre amer, il cache, sous des dehors fallacieux, une
tyrannie funeste et préfigure le pessimisme profond, le thème central
de la désillusion, axiomes de la dramaturgie racinienne. Loin d'~tre
le havre invulnérable contre l'agression extérieure, s'ouvrant sur
la voie étroite du bonheur, il apparaît, à y bien regard~r, comme la
sourioière où ces créatures infortunées viennent se jeter imprudemment
pour y trouver le silence de l'au-delà.
DEUXIF.ME PARTIE
"L'AVEU HONTEUXn
"Et cet aveu honteux, où vous m'avez forcée,
Demeurera toujours présent à ma pensée".
Mithridate ( v. 1347-1348 )
- 39 -
Premier chapitre
L'AVEU ET L'EQUILIBRE CLASSIQUE
Racine a de toujours été considéré comme l'écrivain le plus
représentatif, le plus illustre du classicisme. Selon que l'époque
soit pro-classique ou anti-classique, la fortune du po~te a évolué
de mani~re différente. Ceci traduit l'accord parfait qui existe entre
l'idéal esthétique au XVIIe. si~cle et l'oeuvre racinienne, celle-ci
apparaissant comme la souveraine conqu@te, "le mod~le d'agrément et de
beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature ••• et la
chose qui nous platt (1)."
Les principes fondamentaux du classicisme ont été depuis longtemps
discutés et analysés ainsi que leur utilisation dans la dramaturgie
racinienne. Il n'est pas dans nos intentions de revenir sur ces platitudes
ou lieux communs si encombrants; par contre, nous voudrions montrer que
1. Pascal, op. cit., 32.
- 40 -
l'aveu, c'est-A-dire la rupture du silence par le recours au verbe,
est un des procédés techniques fondamentaux de l'esthétique racinienne
en ce sens qu'il met en lumière un des traits caractéristiques de
l'âme classique: la recherche de l'équilibre.
Cet équilibre fera l'objet de deux intérprétations, ou plutôt de
deux études, nullement distinctes mais, hâtQns-nous de le dire, complé
mentaires et voisines. Il y a d'abord l'équilibre interne qui est
construction architectonique par l'ordonnance harmonieuse de l'ensemble,
par la structure symétrique des divers éléments. Le mot "ordre ll semble
bien exprimer cette idée. M. Peyre écrit avec justesse:
"Pour la première fois, au XVIIe. siècle, l'esprit français (qui
avait· créé déjA bien des oeuvres magnifiquement ordonnées en architecture,
en peinture ••• ) comprit clairement la souveraine beauté de l'ordre. "La
beauté de l'ordre est plus aimable que toutes les beautés sensibles,"
écrira Malebranche (l)!'
Essayons donc de montrer comment ce thème de la confession, employé
avec tant de régularité et d'uniformité, contribue à donner à cette
oeuvre d'art son caractère architectural, A la fois solide et vaporeux,
sans négliger pour autant son importance psychologique ,
*
* * Le temps des aveux présente dans l'ensemble trois moments successifs
importants que nous tâcherons de dégager.
1. M. Peyre, op. cit., p. 127.
-41-
"Au commencement était la parole". L'exposition qui présente les
noeuds essentiels de l'action s'identifie à un long aveu, aveu qui
préfigure déjà le dénouement fatal, d'où son aspect prémonitoire et
tragique. Par les diverses révélations qu'elle apporte, par les
nombreux indices qu'elle renferme, la premi~re scène joue le rale
d'une pénible confidence.
Les expositions de Mithridate et de Ph~dre marquent à cet égard
un parallélisme surprenant qui témoigne à la fois d'une admirable
simplicité d'ensemble et d'une méticuleuse technique dramatique.
L'aveu de Xipharès et d'Hippolyte, adressé à un confident, dévoile
des secrets sensiblement analogues; dans les deux cas, nous apprenons
la disparition du père, l'amour malheureux des princes et enfin la
présence d'un personnage inquiétant, Pharnace et Phèdre, qui font
l'objet d'une description empreinte d'angoisse. En vérité, ces longues
tirades-confessions soulèvent plus de questions qu'elles n'en résolvent.
C'est là, peut-être, le trait principal de la scène d'ouverture: la loi
du silence n'est enfreinte qu'en partie. Il reste toujours d'autres
énigmes à éclaircir qui vont susciter le climat dramatique, fait de
curiosité et d'étrangeté:
Xipharès: "Ou Monime, à ma flamme elle-m~me contraire,
Condamnera l'aveu que je prétends lui faire". (~.,v.103-l04)
Théramène:"La charmante Arice a-t-elle su vous plaire?" (~.,v. 131)
Ainsi l'exposition, issue d'un aveu qui loin de régler le problème le
rend plus complexe et insoluble encore, va engendrer d'autres aveux
- 42 -
propres à construire et à structurer la tragédie.
*
*
Ces déclarations faites au lever du rideau préc~dent celles
entre les personnages intéressés, celles qui par leur intensité vont
précipiter vers la catastrophe le mouvement dramatique. Le théâtre
racinien se présente en effet comme une suite ininterrompue d'aveux.
L'aveu compose et organise ainsi la tragédie de Mithridate (qui en
comprend quatre en plus de l'exposition) et forme le contenu presque
intégral de l'acte II de Phèdre. Ces déclarations, incorporées au sein
de l'oeuvre, ont une tonalité bien particulière qui les différencie
de celles étudiées dans la premi~re sc~ne. Il s'agit de se livrer
soi-m~me sans condition, de faire triompher le secret qui étouffe
l' mne, d'exorciser les démons du silence, enchatnement d'aveux qui
aura pour aboutissement d'exaspérer l'amour-maladie par le désir et
la jalousie. Ainsi, chaque mot de la déclaration de Monime multiplie
la souffrance de Xipharès qui va chercher dans la mort l' issl1.e à ses
tourments:
"Cours par un prompt trépas abréger ton supplice" (~., v. 751)
De même Ph~dre, compromise par sa confession, voudra fuir dans
nIa nuit infernale" pour échapper aux dieux de la lumière:
"Mourons. De tant d'horreur qu'un trépas me délivre. n (~.,v.857)
Ces aveux sont donc l'indice et en même temps le principe de
- 43 -
l'abandon au désastre; ils marquent le moment où la passion éclate
et s'incarne dans l'irréfutable réalité des mots qui mettra en
mouvement le Destin: "Et le bruit de la mort de Thésée ••• donne lieu
à Phàdre de faire une déclaration d'amour qui devient une des
principales causes de son malheur." (Préface de Phèdre)
*
* *
Le dénouement s'accompagne souvent de tirades qui s'identifient
aux aveux. Dans Ph~dre en particulier le cycle infernal des aveux se
referme dans le silence de la mort: la boucle est bouclée.
Cette confession finale par laquelle le héros tente de trouver
la paix en brisant le mur qui l'isole d'autrui et en faisant éclater
la vérité, se retrouve dans d'autres pièces et revêt une uniformité
et une permanence telles,qu'elle s'imbrique dans la structure dramatique.
Ainsi Antiochus déclare ouvertement sa passion pour Bérénice:
"Il est temps que je vous éclaircisse.
Oui, Seigneur, j'ai toujours adoré Bérénice." ( Bé., v. 1443-1444)
et les derniers murmures de Mithridate prennent place dans ce concert
magnifiquement orchestré d'aveux : en chantant son destin et en exprimant
ses voeux, il s'abandonne dans son essence profonde à l'histoire et
acquiert une élévation morale jusque-là inaccessible.
Les aveux du dénouement valent en grande partie dans la mesure
où ils éclairent l'arrière-plan et les dessous de ceux de l'exposition:
-44-
ils étaient et expliquent les pressentiments funestes qui planaient
au lever du rideau et par là dénotent la savante structure cyclique
de la tragédie racinienne, véritable circuit fermé.
*
* * Nous entrevoyons déjà l'art dramatique de l'aveu auquel Racine
a recours pour rehausser l'intér@t dramatique. Phèdre est un modèle
précieux pour étudier et illustrer la technique de l'aveu dont le
mouvement se développe sous la forme de deux rythmes contraires:
il faut remarquer notamment le parallélisme frappant des déclarations
d'amour d'Hippolyte et de Phèdre qui semble reposer sur une sorte de
jeu arithmétique. Au premier acte, le descendant d'Antiope qui aime
d'un amour normal, mais dont il a le remords, avoue sa passion à
Théramène. Cette déclaration baigne dans une atmosphère d'héro'isme
soupirant et de galanterie précieuse:
"Aurais-je pour vainqueur da choisi:- Aricie?" (~., v. 102 )
Aussi, combien sommes-nous impressionnés quand Phèdre en délire
avouera sa passion incestueuse qui s'enveloppe dans les ténèbres
des enfers où elle ira expier son péché maudit:
"Tu vas ouir le comble des horreurs." (~ ., v. 261 )
De m~me au deuxième acte, Hippolyte accomplit une démarche identique
à celle de Phèdre tout à l'heure envers lui: il vient voir Aricie sous
un pretexte politique et en fait lui déclare son amour:
- 45 -
Hippolyte: IIJ' ai cru de votre sort devoir vous avertirll (~., v. 464)
Ph~dre: IIJe vous viens pour un fils expliquer mes alarmes" (!., v. 586)
Les deux révélations se superposent symétriquement mais, comme dans un
miroir, dans l'ordre inverse ce qui prouve la composition équilibrée,
quoique voilée, de l' œuvre de Racine.
*
* * A cet équilibre interne de l'aveu qui est ordre et symétrie,
s'associe avec un sens différent un équilibre qui est cohérence, unité
profonde. M. Peyre définit ainsi ce trait classique:
"Le classicisme est également équilibre, c' est-a-dire harmonieus_e_ _ ._--
synth~se entre des qualités en apparence tout opposées et cependant
complémentaires: logique, rigueur, netteté, virilité ferme d'une part;
et de l'autre charme qui fait appel aux~aisons de coeur", délicatesse
et subtilité, abandon retenu ••• (1)"
Au coeur de la tempête qui agi te ces créatures et qui déséquilibre
leur esprit, le discours demeure parfaitement structuré et clair. C'est
l'aveu qui traduit le mieux, semble-t-il, ce désaccord profond entre
la sérénité du langage et l'égarement de l'âme. L'analyse de la confession
de Phêdre a Hippolyte par D. Mornet montre bien à quel point IIcette folie
d'amour est une folie lucide (2) Il par l'ordonnance logique des arguments,
la construction géométrique du plan, le tout conforme aux rêgles de la
rhétorique et qui font de cette tirade un véritable plaidoyer où se
manifeste l'influence d'Antoine le Maitre.
1. M. Peyre, op. cit., p. 145. 2. D. Momet, Histoire de la clarté française, p. 194-195
- 46 -
Ainsi, le charme mélodieux des vers, la composition oratoire de
l'aveu recouvrent les fureurs de la passion, adoucissent la violence
de la parole et du silence. Le tissu verbal s'agite mais ne se déchire
pas.
* * *
La dramaturgie racinienne se développe donc sur un double registre
où les aveux, en se combinant selon des rythmes d'alternance et de
parallélisme très précis, ont pour effet de dégager fortement l'affron-
tement des forces du mal et du bien. L'art racinien procède, telle une
symphonie, par une série de mouvements qui s'élèvent et s'effacent tour
à tour et qui forment une mélodie tant8t houleuse et tantôt apaisée,
reflet de la dualité de l'écrivain à la fois féroce et tendre.
L'aveu constitue aussi la colonne qui supporte et révèle un édifice ..
où triomphent l'équilibre et la stabilité de la création artistique.
C'est dans ces confidences que se manifeste le génie de Racine, "le vrai
père du théâtre moderne (1)", qui réussit à concilier la peinture des
passions "telles qu'elles sont" avec la contrainte oratoire du style.
1. Citation de W. Frank, critique américain, rapportée par K. Peyre, op. cit., p. 129.
- 47 -
Chapitré II
ORIGINES DE L'AVEU
Il est incontestable que tout mot poss~de une portée inhérente
l sa signification et à sa valeur intrinsèque; parler, c'est s'engager,
admettre ou refuser une situation donnée, assumer des responsabilités
quel que soit l'enjeu.Le théitre racinien, théâtre du silence, de
l'inexprimable, est paradoxalement aussi le théatre de la parole,
étincelle qui met le feu aux poudres. R. Barthes, dans son étude br1l1ante
bien que parfois excessive sur Racine, a bien vu l'importance fondamentale
du langage à l'intérieur du microcosme tragique. Son analyse psychanalytique
sur le Logos et Praxis met en lumière la fonction réelle de la parole.
Nous lisons les remarques suivantes:
"Car la parole est un substitut de la vie: parler, c'est perdre
- 48 -
la vie, ••• par l'aveu, par la parole dénouée, C'est le principe même
de la vie qui semble sten aller; parler, ct est se répandre, c' est-à-clire
se châtrer (1)."
et plus loin:
"Qu'est-ce donc qui fait la Parole si terrible? C'est d'abord qu'elle
est un acte, le mot est puissant. Hais surtout c'est qu'elle est irréversible:
nulle parole ne peut se reprendre: livré au Logos, le temps ne peut se
remonter (2) Il
Le mérite de ces observations ne réside pas dans leur originalité.
A cet égard, oserons-nous le dire, ce sont des lieux communs presentés
sous un nouveau jour. L'irréversibilité du langage a de toujours fait
l'objet de commnentaires. Ainsi, Horace dit:
"Un mot lâché ne saurait revenir (3) n
Quant au caractère agressif' de la parole, nous verrons de plus près au
dernier chapitre que Fénelon avait déjà perçu cette relation parole-action.
De plus, nombreux sont .les écrivains qui ont fait état de la puissance
destructive du langage; Musset écrira:
"On a bouleversé la terre avec des mots (4)~
Le mérite fondamental des considérations de R. Barthes ; est, à nos yeux,
d'avoir balayé les mythes éternels sur le langage racinien (qui devient
alchimie verlainienne du Verbe, un je-ne-sais-quoi ••• ) pour en apporter
un éclairage nouveau, plus lucide et courageux, dégagé de tous les préjugés
1. R. Barthes, Sur Racine, p. 118.
2. Ibid, p. 119.
3. Horace, Art poétique, 390, traduction d'Abel Bourger.y.
4. A. de Musset, La. coupe et les lèvres, aéte l, sc. IV.
- 49 -
passés, et dont le ré sul tat est une interprétation choquante peut-être,
mais sQrement plus objective de l'essence de l'homme racinien.
Les héros raciniens sont fonci~rement conscients de cette omnipuis
sance de la parole et de ses effets mortels ce qui justifie, nous l'avons
vu, le mutisme opaque où ils se murent. Parler ou ne pas parler: telle
est l'angoissante question que se posent ces créatures, hésitant entre
l'expansion et le secret, et l'on songe au dilemme de la Princesse de
Clèves: IIElie croyait devoir parler et croyait ne devoir rien dire. (1) Il
De là, leur réticence douloureuse 1 recourir à l'aveu, cette incertitude
1 sortir du silence pour laisser échapper la déclaration d'amour, véritable
cancer tapi au fond de l'âme:
liEs quelle extrémité, Seigneur, suis-je réduiten • (!!., v. 1096) s'exclame
Monique. Et pourtant, en dépit de ces efforts héroïques pour observer la
loi du silence, celle-ci sera transgressée:
"Il faut parlern (l., v. 907).
Telle est la décision finale.
Jailli du silence, après de longs tourments intérieurs, l'aveu se
présente comme un des piliers de la tragédie racinienne. Tâchons d'examiner
dans quelles circonstances ces personnages viendront se jeter dans le
piège infernal que constitue la confession, essayons de distinguer les
diverses formes que revêt l'aveu à l'origine et dans son évolution. Il
va de soi qu'en tant que manifestation du moi, l'aveu met en jeu divers
facteurs complexes qui s' amalgament étroitement. Néanmoins, c'est la
1. Madame de Lafayette, op. cit., p. 178.
- 50 -
méthode déjà suivie pour définir les rapports du silence et de la pensée
que nous remettrons en application. Cette systématisation, toute hasardeuse
soit-elle, aura l'avantage de mettre en évidence les visages que peut
offrir l'aveu chez Racine.
*
* * Les tragédies étudiées illustrent bien une situation particulière
où l'aveu, imposé de l'extérieur, est le fruit de pressions ou de mensonges
qui visent à faire sortir du silence la personne intéressée. La jalousie
maladive de Mithridate, sa curiosité dévorante et son besoin impérieux de
violer l'âme de Monime conduisent le roi de Pont à tendre un piège dans
l'espoir d'arracher, grâce à la confession involontaire, la vérité, la
vraie vie cachée de Monime:
"Par un mensonge adroit tirons la vérité." ( ~., v. 1034 )
La déclaration est dès lors forcée et non voulue car la princesse se trahit .. -
malgré eile: bien que défiante au début, elle finit par avouer ses sentiments:
"Enfin ce Xipharès que vous voulez que j'aime ••• ft ( M., v. 1108 )
Le stratagème a fait naitre l'aveu, désormais la partie est jouée: cette
déclaration devient l'épée sanglante qui transpercera, après les mots,
le coeur de Mithridate.
L'aveu de Phèdre à Oenone présente dans son cheminement un parallé
lisme, une similitude structurale avec le précédent assez frappants. Ceci
confirme l'aspect technique de l'aveu dans la dramaturgie racinieIUle.
A l'origine de la confidence, nous retrouvons le même amour avide,
- 51 -
l'exigence absolue de capturer l'âme d'autrui; le besoin de connaître
le secret de la reine n'est qU'une conséquence du dévouement ancillaire
d'Oenone, de sa passion qui est auasi violente que celle de sa maîtresse.
Ces sentiments co~duisent la nourrice à tous les subterfuges, si vils
soient-ils, pour dérober le secret de Phadre. El1e use de supplications,
de menaces, d'arguments différents et convaincants:
avous offensez les Dieux auteurs de votre vie." ( ~., v. 197
"Hon âme chez les morts descendra la première." ( ~., v. 230
Oenone est comme dit Barthes: "l'accoucheuse, celle qui extrait le
langage de la cavité profonde où il est resserré (1)."
)
)
Ceci aura pour résultat de faire croitre la tension à son paroxysme,
d'augmenter le désarroi insoutenable de la reine d'Athanes qui, malade
et brisée, cède et parle:
"J'aime." (f., v. 262 ),
mot qui s'étire, se dilate jusqu'à remplir tout l'espace cosmique.
A :L'instar de celui de Monime, l'aveu de Phèdre est contraint de
l'extérieur, il est loin d'~tre spontané et voulu.
*
* * Si la curiosité jalouse m@lée à la passion est parfois l'élément
extérieur qui détermine l'aveu, c'est le triomphe de la passion sur la
raison qui est le plus souvent à l'origine de cet épanchement verbal.
D'extérieur, le ressort devient intérieur. P. Bénichou écrit avec just.esse:
1. R. Barthes, op. cit., p. 118.
- 52 -
"Le propre de la passion telle que la conçoit Racine est qu'elle tend à
posséder d'abord celui qui l'éprouve (1)." Le théâtre racinien offre
de nombreux exemples où le langage, sous l'emprise de l'amour, brise les
obstacles dressés par la "souveraine raison", se décha1ne et se noie dans
la confession. Racine, fidèle à l'idéologie janséniste, semble vouloir,
par la multiplicité des aveux, démontrer la faiblesse humaine et le carac
tère trompeur de l'intelligence. A la toute-puissance de la gloire et de
la volonté, à l'idéal héroïque cartésien, il substitue une vision pessi
miste et angoissée de 1 lhomme, jouet de l'amour sorcier, esclave de son
instinct monstrueux, victime des "puissances trompeuses". L'aveu, en
procédant d'une impulsion brutale que rien n'arrête, d1un mouvement inté
rieur autonome sur lequel la pensée n'a aucune prise - suivant la maxime
si expressive de La Rochefoucauld: "L'esprit est la dupe du coeur (2)11 -
est bien le témoignage irréfutable de la misère et de l'aveuglement de
l'homme, la négation de la morale glorieuse.
Hippolyte débute sa déclaration d'amour à Aricie en soulignant son
impuissance à freiner sa passion:
"Je vois que la raison cède à la violence". ( ~., v. 525 )
vers qui prend, au sein du rationalisme classique, des résonances étranges
et baroques et qui pourtant témoigne de cette part de lucidité, de
conscience de soi-m@me qui ne se sépare jamais de la pensée, qui l'éclaire
et la soutient, cODDlle le démontre llordonnance des idées.
*
* *
1. P. Bénichou, op. cit., p. 227
2. Maxime 102.
- 53 -
A ces deux formes d'aveux, il convient d'en ajouter une troisi~me
qui, par son caract~re particulier et complexe, se différencie subtilement
des catégories précédentes. Il s'agit de l'aveu de Ph~dre à Hippolyte
qui, au cours des si~cles, a fait l'objet de la sollicitude des exégètes
raciniens,et partant,de diverses intérprétations contradictoires et
enflammées. Les vues que nous comptons apporter s'inscrivent dans le
cadre de notre travail et se veulent liées à la nature de l'aveu dans
ses sources et son cheminement. Elles ne se proposent pas d'épuiser la
quintessence de cette déclaration d'amour qui par sa richesse et sa
profondeur psychologique est précisément intarissable.
Ce qui,à notre avis, distingue cette confidence des autres, ce qui
rend le langage inusité et les accents nouveaux et incompatibles avec
l'aveu traditionnel, ce sont les mobiles qui portent Phèdre à avouer sa
passion. Nous avons dit que l'aveu racinien, tout en offrant le spectacle
de l'abdication de l'intellect face à l'assaut des passions, n'est pas
exempt de lucidité et s'accompagne d'une introspection consciente qui
permet de descendre en soi-m~me et d'y voir clair, sans pour autant
juguler les forces du mal. Or, l'aveu de Ph~dre semble échapper au moi
vécu, au sentiment d'une prise de conscience réfléchie et se situer sur
un autre plan psychologique, à un autre niveau de comportement, celui de
l'inconscient. Cette déclaration est en effet liée à une forte puissance
émotive qui mène Phèdre à son insu et qui fait irruption dans le langage.
Pourquoi, objectera-t-on, faire intervenir l'inconscient plutat que
l'amour-maladie? C'est que la passion de la fille de Minos et de Pasiphaé
est trop infâme et indigne pour parvenir clairement et intégralement à la
- 54 -
conscience. Sans se rendre compt~ des désirs, "des tendances répréhensibles,
indécentes au point de vue éthique, esthétique et social" - comme écrira
Freud - gouvernent Ph~dre et se manifestent au dehors dans le langage.
La descendante du Soleil, torturée par les remords et la honte, brisée
par la maladie, essaie à chaque instant d' emp~cher cette confidence,
d'endiguer le flot verbal. Mais l'iœtinct est plus fort: chaque effort
pour le refouler, le rend plus agressif au point de finir par briser les
amarres et s'extérioriser:
" ••• ;le m'égare,
Seigneur; ma folle ardeur malgré moi se déclare." ( ~., v. 629-630 )
et:
"Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire?" ( !:.., v. 694 ) -Ce qui est rema.rqu~ble dans cette déclaration, c'est le contexte
d'actes manqués qui témoignent en faveur de cette conception freudienne
et qui, échappant des bas-fonds du moi, nous fait découvrir l'existence
énigmatique d'un monde ténébreux de pulsions instinctives. L'indice le
plus révélateur de la névrose où sombre l'esprit de Phèdre est le confusion
entre Thésée et Hippolyte, l'identification du passé et du présent grâce
à une analogie, à une sensation commune extra-temporelle qui dénote une
destructuration du temps et un obscurcissement de la conscience:
'!Je le vois, je lui parle ••• It ( !:.., v. 629 )
Ce phénom~ne reflète la fixation de cette passion avec son cortège de
fantasmes et d'images à l'état latent:
"Et Ph~dre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue." ( !:.., v. 661-662 )
- 55 -
En conséquence, nous cro,yons pouvoir soutenir que ce qui constitue
l'originalité de cet aveu célabre, c'est son essence même placée dans
les profondeurs abyssales de l'être. Nous avons déjà indiqué le rôle
central que joue l'inconscient dans la pensée janséniste. Nicole écri. vai t
déjà: "11 y a toujours un certain fond et une certaine racine qui nous
demeure inconnu et impénétrable toute notre vie. (1) Il
Certes, on nous reprochera de déformer la réalité en réduisant tout
à une conception purement psycbanalyt~que; on nous fera remarquer que
de temps à autre un éclair fulgurant de lucidité traverse cette nuit
opaque:
"Et sur quoi jugez-vous que j'en perds la mémoire,
Prince? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire?" (g., v. 666-667 )
Il n'en reste pas moins qu'adhérer à une opinion diamétralement opposée,
sans nuances, qui conçoit cet aveu comme un subterfuge machiavélique
tramé en toute connaissance de cause, est fort hasardeux. Affirmer avec
R. Pons que cette confession, que ce "délire n'est pas tout à fait vrai:
elle le joue Il revient à métaJaorphoser cette malheureuse créature en une
sorte de Célilène, ce qui est un affront impardonable (2)
* * *
Quelle que soit la cause déterainante de l'aveu, qui au fond n'est
qu'un des multiples visages que prend la fatalité protéiforme pour
procéder à ses tueries, le ~ constitue ici le moyen de se délivrer
de ce contenu obsédant de souvenirs et de désirs censurés, do servir
dl exutoire à 11 âme, dl exorciser les démons intérieurs, de cesser de
1. Nicole, Visionnaires, 7.
2. R. Pons, procès de l'amour, p. 33.
- 56 -
feindre:
"Oui, Prince, il n'est plus temps de le dissimuler." ( ~., v. 674 )
L'aveu est donc la clé de la ps.ychologie racinienne, le miroir fidèle
o~ se refl~te l'égarement de l'âme.
- 57 -
Chapitre III
ELEMENTS MORAUX DANS L ' AVEU
Nous souhaiterions ici esquisser certaines observations,
d'ordre moral, relatives à l'aveu. A cet effet, nous nous appuierons
sur les trois éléments fondamentaux qui, par leur force et leurs
implications, revalorisent la condition humaine du théâtre racinien.
Ces sentiments, à la base de l'être et de l'action, sont la honte, la
sincérité et la responsabilité. Etroitement liés à la mentalité socio
religieuse de l'époque, ils éclairent d'un jour nouveau la nature de
l'aveu.
*
* *
- 58 -
Nous avons déjà souligné le caractère fortement monolithique de
la société sous le Roi-5oleil où l'étau poli tique et religieux opprime
l' individu. Un des sentiments moraux qui affecte le plus l' homme du
Grand Siècle dans son comportement quotidien est celui que les Grecs
appelaient "aidos", ce qui signifie à la fois pudeur morale, honte et
aussi honneur. C'est cet élément affectif de la conscience humaine,
déformé par l' optique particuli~re qe la collectivité, qui loin d'être
purement spontané, implique un souci d'un certain ordre de choses dont
témoigne la consigne du silence. Avouer, c'est renoncer à l'ordre établi,
céder à une passion qui dégrade.
Le héros racinien se cramponne au silence qui appara1t comme la
supr~me galanterie. Selon une casuistique d'amour généralement admise
par les moeurs du temps et poussée aux derni~res limites par une
esthétique précieuse, par un "Jansénisme de l'amour" comme disait Ninon
de Lanclos, il est de bon ton de bannir toute déclaration passionnée de
nature à choquer les usages et le goot du public. C'est cette fidélité
aux bienséances, à la '~théorie des moeurs" comme l'on appelait alors cet
ensemble d'exigences intellectuel1es et morales, ~'li explique l'indécision
profonde d'Hippolyte à découvrir à Arièie ses sentiments cachés:
"Depuis pr~s de six mois, honteux, désespéré,
Portant partout le trait dont je suis déChiré," ( !., v. 539-540 )
et l'argumentation politique dont il use pour atténuer l'impact .de l'aveu.
D'ail1eurs, et ceci est très symptamatique, le fils d'Antiope termine sa
confidence par des propos qui s'adressent, au-delà d' Aricie, aux auditeurs,
- 59 -
aux mondains que pouvait étonner un amour exprimé 'en des tennes si
"farouches Il "qui peuvent sembler du dernier bourgeois:
IIPeut-être le récit d'un amour si sauvage
Vous fait, en m'écoutant, rougir de votre ouvrage.1I ( ~., v. 553-554 )
Le rapprochement avec l'aveu de Madame de Cl~ves se fait inévita
blement et naturellement. On sait les controverses sur la confidence de
la Princesse de Clèves qui allaient, pendant des années, agiter la presse
et les salqns littéraires au ?oint que Domeau de Visé dans le Mercure
Galant ( numéro d' àvril 1678 ) devai t ouvrir une enquête auprès de ses
lecteurs pour savoir si l'héroine a tort ou raison d'avouer sa passion
à son mari. Bussy-Rabutin, Madame de Sévigné, Fontenelle devaient prendre
part à la polémique et la plupart des correspondants répondirent néga
tivement.
L'aveu racinien, teinté de préciosité, de pudibonde galanterie, de
sentiments sophistiqués où la gloire et l'opprobe s'entremêlent, reflète
l'esprit de toute une époque et démontre à quel point le théâtre de
Racine, en dépit de ses profondes innovations, reste tributaire de la
tradition courtoise. Et,c'est peut-être là l'intérêt, littéraire de l'oeuvre:
mettre en lumière, à travers les métamorphoses de l'art, les divers courants
qui au cœur du XVIIe. si~cle ont coexisté, s'amalgamant et se combattant
tour à tour.
*
* *
- 60 -
Cette honte, d'inspiration esthétique, possade aussi un visage
plus austare. A l'arriare-plan, se dessine un tableau de forces, de
valeurs morales qui éclaire, sous un autre angle, la nature de l'aveu.
Sous la plume du poate revient souvent l'adjectif "honteux" pour
qualifier ces confidences. L'aveu est "hollteux" parce qu'il implique
la notion de faute dont la conscience n'arrive pas A se détacher.
Cette faute est d'avoir rompu le silence, ce silence qui est ~sticisme,
contrition, goüt du sacré et par là, sauvegarde de la pureté de "l'âme
généreuse." La honte qui impreigne chaque mot de l'aveu, combat et
anéantit cette innocence immaculée vers laquelle tendent les héros
raciniens, corrompt et souille cette nostalgie d'une condition humajne
exempte de péché. Nous retrouvons ici les inquiétudes port-royalistes
et en particulier cette adoration profonde de la purification du coeur
humain dont parle le Nouveau Testament:
"Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu Il (Mat th., V, 8)
Ce sentiment de honte accompagné d'une exigence de pureté se retrouve
déjA chez Monime, qui préfigure le personnage de Phadre. La tirade de
la princesse ( acte IV, sc Elne IV ) par laquelle elle réplique d'égale à
égal A Mithridate exprime bien les divers sentiments qui l'animent face
A l'indigne ruse qU'elle vient de découvrir. C'est la revendication de
la clarté de la conscience, de l'innocence vertueuse qui la font se raidir
devant la mort:
"Et cet aveu honteux, où vous m'avez forcée
Demeurera toujours présent à ma pensée." ( ~., v. 1347-1348 )
- 61 -
Phadre aura la m~me réaction que Monime: ap~s avoir fait l'aveu de
son amour A Hippolyte, elle cherchera dans la mort l'expiation A son
crime qui es~ de n'avoir pas respecté les lois divines et humaines.
Cette "crainte de la honte (1) " dont parle La Rochefoucauld semble . .
avoir hanté la civilisation du XVIIe. si~cle et se retrouve explicitement
dans la littérature comtemporaine. n suffit en particulier de parcourir
les nouvelles de Madae de Lafayette pour constater A quel point l' amoU!"
est s,ynonyme de honte et de trahison et sous quel paravent de platonisme
et de dévotion il se cache. La Comtesse de Tende renferme plusieurs
réflexions très révélatrices de ce mode de pensée:
"La honte et les malheurs d'une galanterie se presentèrent A son
esprit (2)"
nLa honte est la plus violente de toutes les passions (3)"
Au fond, dans le dilemme posé par l'aveu, l'on peut y voir la
lutte de la matière et de l'esprit qui est la base du christianisme.
C'est le combat de la chair trompée et de l'ime torturée, la bataille
inconnue que se livrent la chaste abnégation et la passion lascive.
La confidence est le point culminant où, tour à tour, les redoutables
antagonistes font éclater en paroles leur douleur et leur désirs, où
la sensualité sauvage meurt de soif:
"J'ai lan~, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes." <!~., v. 690)
et où la vertu exhale ses répugnances:
"Je m'abhorre encor plus que tu me détestes." (f., v. 678)
Th. Mau1nier a bien vu ce duel entre le divin et la sensualité lorsqu'il
1. Kaxime 213. 2. Madame de Lafayette, op. cit., p. 299 3. Ibid, p. 3ll.
- 62 -
écrit:
"En Ph~dre, les intentions surnaturelles sont m~lées aux tourments
du 00 eur et aux voluptés du corps de façon si intime que la part humaine
èt la part di vine Y' sont inséparables. Le dieu est ici conjuré avec
l'homme (1)."
*
* * L' autre probl~me posé par l'aveu est celui de la sincérité. Dans
quelle mesure ces confidences répondent ~ une exigence de vérité, ~
une morale intérieure qui honnit le mensonge et l' hypocrisie? C'est là
une question épineuse. La pre~~re remarque est que tous les aveux qui.
sont faits sont sinc~res en ce sens qu'ils traduisent avec authenticité
la réalité. En se confiant à autrui, Monime et Ph~dre ne dissimulent plus
leur passion et exposent au grand jour leurs sentiments, fussent-ils
cause de ravages. Ces pers~>nnages pourraient céler la cruelle vérité sous
de faux aveux. Ph~dre en particulier aurait pu, apr~s la mort d'Hippolyte,
garder le silence et ne rien déclarer, ou bien continuer à feindre, à
tenir son rale de femme outragée et jouer le jeu dl(enone. Et pourtant,
elle confessera son crime et mourra déshonorée de tous, surtout de Thésée
qui ne l'absoudra pas. Donc, l'aveu sinc~re n'est pas récompensé; c'est
au contraire, nous l'avons dit, le coup de pouce qui mettra en branlè la
machine tragique.
Pourquoi ne pas cacher la vérité et vivre dans le mensonge d'autant
plus que cette société monarchique, où tout est souplesse et diplomatie,
1. Th. Maulnier, Racine, p. 287.
- 63 -
semble praner les bienfaits de la dissimulation? Cette civilisation
qui a pour fondement le plaisir et l'accommodation doit, pour s'épanouir
dans l'ordre, se pr@ter ! une farce tragique: celle, selon les titres
donnés par Guerard ! une gravure de l'époque, du "carnaval perpétuel",
de la "mascarade universelle" (1)
La littérature contemporaine, notamment la littérature baroque,
braque ses lumières sur le narcissisme de ce monde factice, pris dans
son propre jeu, acteur et spectateur! la fois, aliéné par l'obssession
des apparences et déguisant son @tre véritable sous mille masques.
Pascal écrit: "L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et
hypocrisie" (2), ce qui est proche de la formule de La Rochefoucauld:
"Le monde n'est composé que de mines" (3). Madame de Chartres mettra
en lumière l'aspect artificiel de la Cour en disant: "Si vous jugez
sur les apparences en ce lieu-ci, vous serez' souvent trompée; ce qui
parait n'est presque jamais la vérité." (4)
Dans cet état de choses, nous pourrions qualifier les héros raciniens
d'anti-conformistes, voire d'insurgés, car, à l'encontre des moeurs de
l'époque, ils osent jeter bas le masque. Y a-t-il une signification à
ceci? En vérité:J nous pouvons rapprocher la droiture de ces personnages
de celle d'Alceste qui s'écrie avec véhémence:
Il Je veux qu'on soit sincère" ( Le Misanthrope, v. 35 )
1. On trouvera une réproduction de cette gravure dans Madame de Lafayette par elle-m'me ( éditions du Seuil )
2. Pascal, op. cit., 100.
3. Maxime 256. 4. Madame de Lafayette, op. cit., p. 144
- 64 -
ou de celle de la Princesse de Clèves qui s'était imposée "le devoir
de sincéri té Il • Or, ce qui caractérise cette franchise, c'est la force
héroique de ces créatures qui résistent aux pressions sociales et
poussent leur honn@teté jusqu'aux derni~res limites, non sans un peu
d'orgueil: "La sincérité est une ouverture d' esprit. On la trouve en
fort peu de gens (1) Il
N'y a-t-il pas 11 une certaine nostalgie de la vieille franchise,
des "vieux âges")comme dit Philinte,où n'existaient pas les servitudes
de Versailles? Ames faibles, cela est certain puisque la passion mène
1 son gré l'individu et soumet la raison; mais cette faiblesse n'est
pas exempte d'un certain courage moral, d'un souci constant de rectitude,
d'un besoin d'affirmer sa gloire. C'est par cet effort de sincérité que
l'apparence frauduleuse s'évanouit, que l'être et le parai tre parviennent
A se confondre. Il y a ,dans ces aveux raciniens, quelque chose de cornélien,
des reflets lointains émanant d'une société déjà disparue, celle de la
Fronde, mais qui vit encore dans la féodalité brisée, dans l'amertume
résignée de MOnime et de Phèdre.
*
* * L'aveu soul~ve le problmne délicat de la responsabilité. Ce sentiment
de la responsabilité intérieure et par suite morale, n'est pas un apport
extérieur et factice, un produit de spéculations étrang~res au contexte
racinien. Au contraire, la notion de responsabilité est un attribut essentiel
des héros raciniens qui s'exprime dans les dialogues et les remords. La
1. La. Rochefoucauld, maxime 62.
- 65 -
question est de savoir dans quelle mesure ces confessions engagent l~
responsabili té de l' individu, autrement dit, demandons-nous si ces
personnages, au moment d'avouer, se reconnaissent responsables de
l'acte qU'ils posent comme tel. Ess~ons de voir de pr~s, ! la lumi~re
du cas-Ph~dre, les interprétations qui peuvent être conçues.
Etre responsable d' 'an acte semble que ce soit s'en avouer l'auteur,
ce qui suppose deux conditions. La première est que le vrai responsable
doit être à la fois l'instigateur et l'exécutant matériel ( l'auteur
au sens du mot latin tlauctortl est synonyme d'instigateur) et la seconde
implique la notion d'indentité personnelle ou prise de conscience claire
et cohérente. Il nous semble que ces deux conditions "sine qua non"
n'étant pas satisfaites'dans le cas de Ph~dre, il y a lieu de parler
d'irresponsabilité et de non culpabilité à l'endroit de "la fille de
Minos et de Pasiphaé" <
Déjà Racine donne le ton lorsqu'il écrit dans sa Préface:
"Ph~dre n'est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente". Ce qui
atténue considérablement la responsabilité de Phèdre, ce sont les circons
tances particulièresdàns lesquelles l'aveu naît et évolue. Nous ne revien
drons pas sur ce qui a été dit au sujet de l'origine de ces confidences et
nous nous contenterons de souligner certains points préciS.
Si Phèdre est l'exécutante de la confession à Oenone, elle n'en
saurait être l'instigatrice. Profitant de la maladie de sa mdtresse,
la nourrice exerce de fortes pressions, des menaces, voire le chantage,
pour amener Ph~dre à révéler son secret. A bout de force et de nerfs,
- 66 -
cette derni~re romptle silence de plus en plus insupportable, mais d'une
façon telle qu'elle peut en refuser la responsabilité. En effet, c'est
Oenone qui nomme celui qui est la cause de tous les malheurs, Hippolyte:
"C'est toi qui l'as nommé." (f., v. 264)
Le fait que ce soit une autre personne qui prononce ce vom-tabou est
significatif: il semble délier Ph~dre de tout engagement et partant, à
le porter sur la nourrice. Al' arri~re-plan se dessine le pouvoir
mystique du mot, dépositaire des puissances maléfiques.
Enfin, l'autre facteur déterminant de cette irresponsabilité est
l'absence d'une conscience totale de soi, l'affaiblissement des activités
de synth~se. Mourante il la sui te d'un long calvaire physique et moral,
Phèdre sombre dans une névrose qui l'empêche de prendre une décision en
toute connaissance de cause. Cette perte de contact avec la réalité,
cette désagrégation de la personnalité font que l'aveu prenne place à
l'intérieur d'un monde de rêve. Phèdre s'évade· dans un idéalisme
désincarné où s'alt~re la notion de l'espace et du temps:
"Insensée, où suis-je et qu'ai-je dit?" (f., v. 179)
Dans cet état pathologique, elle ne peut prendre conscience de ce qui
l'entoure, de la situation où elle se trouve ce qui ôterait toute
responsabilité.
( Certes, la folie de Phèdre est une '!rolie luciden , nous l'avons dit.
Mais cette lucidité ne pourrait être complètement claire à cause de l'état
physique où se trouve la femme de Thésée:
"Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
- 67 -
Depuis que le sommeil n'est entré dans vos yeux,
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture. Il (f., v. 191-194)
Cet aveu de Phèdre, emporté par une sorte de délire, évoque
celui de Madame de Mortsauf qui, au plus dur de son agonie, révèle
tout: ses tourments, ses glissades, ses reprises, ses efforts
impuissants. Elle avoua au grand jour sa double vie et son double
jeu, ses convoitises qui n'ont cessé de fomenter dans son coeur:
"JI avais soif de toi ••• Tout a été mensonge dans ma vie, moi qui
n'ai pas vécu ••• (1)". Confession brutale qui ne pourrait en rien
altérer la pureté de l'âme de ce Il lys " et en particulier de sa ...:...
responsabili té. Telle Phèdre, émaciée, brülante de fièvre, égarée
de souffrance, comment ne pas l'absoudre?
Par conséquent, l'aveu qui naît d'un piège, comme celui de
Mithridate à Monime, remet en question la notion de responsabilité
et la conduite morale des personnages. N'ayant pas une idée claire
de l'acte posé et des obligations qui s'y rattachent, ces créatures
ne peuvent pas être incriminées par les conséquences fatales que leurs
paroles entrainent inéluctablement, à leur insu. La confession, toute
funeste soit-elle, ne paraît pas ~tre la preuve irréfutable pour juger,
condamner et couvrir dl infamie, mais au contraire, l'argument décisif
qui plaide en faveur de l'innocence souillée par des ruses perfides.
*
*
1. H. de Balzac, Le lys dans la vallée, Le livre de poche, p. 323.
- 68 -
Ces éléments moraux sont les grandes forces qui mettent le héros
racinien lien si tuation". Ces forces ne peuvent pas être considérées
comme de pures conventions théâtrales; elles forment l'essence même
du miscrocosme où évoluent les héros raciniens. C'est le jeu varié de
ces sentiments qui conf~re A ces personnages fictifs l'authenticité
d'ùne vie en profondeur, la dimension d'existence égale A celle d'un
être vrai, la complexité et la consistance de l'individuel.
- 69 -
Chapitre IV
LES FORCES DE L'AVEU
Le titre de cette partie peut paraitre paradoxal. Peut-on parler
de "forces de l'aveu" au sein d'une oeuvre théâtrale? Autrement dit,
mettre en regard l'aveu en tant que forme littéraire et le théâtre,
conçu comme acte de représentation, comme jeu, n'est-ce pas associer
deux éléme~ts incompatibles? Cette question ne se posait pas, ou du
moins revêtait une acuité moindre, lorsqu'il s'agissait d'étudier le
silence qui par son immatérialité, par les j eux de physionomie et les
gestes qU'il implique, par son caract~re incantatoire, devient un
élément inhérent au théâtre comme art où la littérature est en marge.
Par contre, l'aveu issu d'un texte, prenant forme et solidité grâce
à ce texte écrit, remet en question la définition du théâtre.
Nous n'aurions pas la prétention d'essayer de résoudre ce "paradoxe";
néanmoins, sans vouloir nous prononcer sur la primauté de la littérature
- 70 -
dans la genèse de l'oeuvre théâtrale, il nous parait excessif d'adhérer
par exemple! la conception d'un A. Artaud qui insiste sur l'élimination
de l'auteur pour susciter une sorte de mystique antique (1).
Ces remarques forcément brèves nous conduisent ! analyser la portée
de l'aveu, né d'un texte et qui s'épanouit en paroles pour fermer le
. cycle théâtral racinien en lui apportant sa consistance et son accom
plissement.
*
* *
Dans son Introduction Pastorale en forme de Dialogues sur le Système
de Jansénius (2), Fénelon met l'accent sur l'idée de lutte, de conflit
qui se re~rouve à l'intérieur de toute situation théâtrale. Il y écrit:
"Ce spectacle est une espèce de combat ••• telle est la force du dramatique".
Cette notation est précieuse car elle pose dans toute son acuité le
problène de la parole, de son caractère offensif, "agnostique" pour
reprendre le terme dIE. Souriau dans son excellent ouvrage: Les Grands
Problèmes de l'Esthétique Théâtrale ( ce mot provenant du grec, signifie
"combat", combat avec la mort). De là dérive la grande incantation de
l'aveu qui,' en tant que présence verbale, est l'Epreuve ( selon la
comédie de Marivaux), la tentative supr@me pour atteindre et capturer
l'bte d'autrui.
Le trait caractéristique des héros raciniens est, à nos yeux, leur
habilité, leur besoin de conquérir et de posséder. Pharnace et Xipharès
sont deux loups affamés l'un de puissance politique, l'autre de tendresse.
1. Voir Le Théâtre et son Double
2. Edition de 1823 des Oeuvres de Fénelon, tome XV, p. 126
- 71 -
Chaque personnage part à la recherche du Graal pour combler un vide,
quête douloureuse oa seule la désillusion l'attend. Menés par leur
désir, ces créatures doivent pour s'approcher de l'objet convoité,
sortir de l'ombre, celle du silence, du faux-semblant. Mais cet élan
dynamique qui fait du héros une force qui va, qui le dirige hors du
"no man' s land", 'IV~ rencontrer un obstacle, celui de la Destinée qui - -
oblige le héros à analyser la situation nouvelle en fonction de cet
ensemble de forces opposées. Il s'agit de trouver l'arme qui permettra
de neutraliser ces actions contraires. Or, l'arme de "combat" la plus
efficace, celle qui permet d'agir sur l'adversaire, c'est-à-dire sur
l'être aimé, c'est la parole et partant l'aveu. Le théâtre racinien
nous convie ainsi à ce spectacle prodigieux de la puissance du mot,
de l'es sence ; "agnos tique" de la confidence.
Se déclarer semble être la règle tragique, la condition indispensable
pour accéder à la possession d'autrui. Grâce à la valeur armée du mot,
le fait d'avouer rend complice et permet la connivence. L'aveu est le
filet tendu qui se referme sur autrui par la magie du langage parce que
chaque mot qu'il contient fait son chemin dans l'âme de l'interlocuteur,
chaque image évoquée verbalement s'imprime dans l' esprit et le bouleverse.
Racine nous fait ainsi assister, comme écrit justement E. Souriau, "au -
passage m~e d'une idée d'une conscience à une autre, au choc et à l'action
de la parole d'un homme sur un autre (1)." Il suffit de relever les
exclamations qui échappent aux divers personnages à la suite de l'aveu
qu'ils viennent d'entendre pour constater la puissance offensive de ces
déclarations, capables de casser le ressort de l'âme:
1. E. Souriau, op. cit., p'. 37
- 72 -
MOnime: "Vous t Il ( M., v. 171 ) . -
Phoedime: 110 Dieux t Il ( M., v. 391 )
Denone: "Grands Dieux t Il ( E,., v. 263 )
Hippolyte: "Dieux t Qu'est-ce que j'entends?1I ( E,., v. 663 )
Conscients de l'impact de la parole sur l'~tre humain, ces person
nages dans leur fol espoir d'absorber autrui, vont user de la confidence
pour parvenir à leur but. C'est ce qui explique la force thématique de
l'aveu au sein de la dramaturgie racinienne. On pourrait même parler de
loi de la psychologie racinienne, cette nécessité d'avoir recours à
l'aveu pour étancher cette soif insatiable de conqu~te. Pour que Xipharès
lui appartienne, Monime doit se déclarer à Phœdime, à Xipharès, à
Mithridate surtout. Il y a,dans cette arithmétique compliquée de sentiments
et de mots,des traces profondes d'un baroque tragique, d'une nouvelle
carte de Tendre au pays de la mort qui fait que l'aveu s'arme de griffes
capables de faire blessure, voire mê.me d'exécuter.
*
* * Si l'aveu agit sur autrui par la parole, il agit aussi sur le moi
intérieur en l'extériorisant et en le découvrant. C'est par l'aveu que
l'homme racinien se fait et atteint sa profondeur existentielle.
Miroir des mouvements de l'âme, la confession humanise le héros,
le dépouille de son auréole mythique et nous le rend familier et présent.
En dénudant l'âme, en reflétant, toutes digues rompues, les rêves, les
scrupules, les sophismes consolateurs tapis au fond de l'être, l'aveu
....... __ ...... _-_._._------_ .... -.. _ ... .
- 73 -
fai t que le personnage se retrouve en nous, communique avec nous et
passe dans notre vie. C'est là, la force intérieure de l'aveu. A cet
égard, la réflexion de Vauvenargues est fort pertinente: "(Les person
nages de Racine) se font connaitre parce qU'ils parlent.(l)"
Ces déclarations insoufflent dans ces fantômes la vie "la vraie
vie ••• la seule vie qui, en un sens, habite A chaque instant chez
tous les hommes aussi bien que chez l'artiste (2)" pour reprendre le
cri poussé par Proust. En effet, qui oserait nier la simplicité
humaine qui se dégage de ce vers, où s'exprime le déchirement de Monime:
"J'entends, vous gémissez; mais telle est ma misère." ~., v'. 699)
Cette force d'intériorité, cette puissance d'humanisation de la
confidence a aussi pour effet de revaloriser l'individu, de le réhabiliter.
Telle la confession religieuse qui purifie l'âme.selon la parole du
Christ: "Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et
retenus à ceux à qui vous les retiendrez" (Jean, XX, 23), liaveu
racinien, l'aveu des fautes, par la contrition qui l'accompagne, rachète
à nos yeux les créatures damnées. La confession de Phèdre revêt dès lors
le caractère d'une conversion, ,chaque parole semble faire reculer les
ténèbres de la mort, chaque mot prononcé innocente l'accusation et apporte
l'absolution de la réprouvée. Le sortilège de l'aveu est tel qU'il rend
l'action, le crime même, plus légitimes, moins infâmes par tous les
repentirs qui s'y expriment, par l'humiliation publique à laquelle elle
se plie, elle, la descendante de Zeus et d'Hélios, la reine d'Athènes:
IIJ' ai voulu, devant vous en exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts." (P., v. 1635-)6)
1. Vauvenargues, Réflexions critiques sur quelques poètes, V, VI.
2. M. Proust, Le Temps Retrouvé, Le Livre de Poche, p. 256.
- 74 -
L'aveu renferme, de par son essence même, cette force ~stique,
semblable à la grâce qui éclaire et guérit le pécheur. Monime, Phèdre
paraissent avoir "une grande joie et confiance en sortant de confession. (1)"
Chez la première, à travers les sanglots de l'âme, il Y a un sentiment
ineffable de montée spirituelle; chez la deuxième, c'est la clarté qui
dissipe la nuit des enfers, celle qui "éclaire les élus.(2)"
*
* * La dernière force de l'aveu, peut-être la plus importante, est
d'ordre esthétique. C'est par l'aveu que la tragédie racinienne se
métamorphose, par delà ses significations et son éloquence littéraire,
en un chant qui imprègne chaque cellule du microcosme.
L'aveu semble avoir été pour Racine ce que la poésie pure a été
pour Mallarmé ou la métaphore PQur Proust, c'est ·à-dire le moyen propre
à révéler l'existence d'un monde caché à l'image du Deus absconditus.
C'est dans ces confidences que sontenchâssés les plus beaux vers
raciniens, ces "talismans poétiques" dont parle l'abbé Brémond (3), qui
illuminent de leur pureté la réalité pour nous faire découvrir, et nous
y transporter, un autre monde plus vrai et plus consolateur. C'est parce
que ces vers émanent du plus profond du moi, parce qU'ils nous font
entendre la voix lointaine d'un Racine qui s'y livre, parce qu'ils
collent aux ondes de la conscience humaine, qU'ils ont ce pouvoir
d'incantation. Telle est l'harmonie de l'aveu de Xipharès à Monime:
1. Pascal, op.: cit., .530
2. Ibid, .578 3. H. Brémond, Valéry et Racine.
- 75 -
" ......... Avouez-le, Madame,
Je vous rappelle un songe effacé de votre be." (~., v. 20)-204)
ou de celui d'Hippolyte à Aricie:
" Dans le fond des forêts votre image me suit. 1I (~., v. 593)
que les exég~tes raciniens ont creusé pour en dégager la quintessence
poétique.
De plus, l'aveu étant théatral, ou fait pour être dit, possède,
pour reprendre le terme employé par E. Souriau, une fonction "vocale"
qui consiste à Il vol tiger dans l'espace (1)." La magie des vers, la
sonorité des mots baignent la tragédie racinienne dans un climat
mystique qui envolite et transporte le public. Ces aveux, dits par
l'acteur, passent, tel un courant éléctrique, dans la foule assemblée,
résonnent et vibrent dans l'âme. Alors que chez Corneille, c'est
l'éclat et le choc des ripostes, le dialogue impétueux, qui font que
le vers passe la rampe, chez Racine, c'est la douce perfection
esthétique qui se dégage de ces confidenees qui semble expliquer
ce phénom~ne de communion, de contagion théatraie entre l'oeuvre
et l' auditoire.
C'est dans ces déclarations d'amour que l'art du po~te atteint
ses sommets, c'est par la beauté stylistique des alexandrins que
la tragédie racinienne réussit, échappe aux lois de la contingence
et garde le contac t avec la réal! té spirituelle d'où elle est sorti e.
1. E. Souriau, op. cit., p. 41.
CONCLUSION
"Et l'espoir, malgré moi, s'est glissé dans mon coeur."
Phèdre (v. 768)
- 77 -
D'apras ce qUi préc~de, il ressort que les forces thématiques
de l'aveu et du silence répondent bien aux tendances de la génération
classique. Le règne de l'ordre individuel, social et religieux, avec
toutes les intrigues et les menées que l'absolutisme pouvait entra1ner,
se retrouve dans la soumission A la loi du silence. Se murer dans le
mutisme semble, de prime abord, le moyen idéal et la plus sûre garantie
pour sauver les apparences, pour préserver le repos d'une vie régie
par les moeurs de l'époque. L'aveu, en plus de s'insérer dans un certain
contexte littéraire par son adaptation aux canons classiques, se réduit
finalement à une confrontation avec le silence. Ce besoin impérieux de
se commettre pour se dépasser, pour se faire et s'insurger contre les
lois établies du groupe, nous am~ne à nous demander comment le poète
a pu, au sein d'une oeuvre d'art, concilier deux forces aussi antagonistes,
accorder deux lignes de conduite diam~tralement opposées d'une manière
si heureuse.
A y bien regarder, le théâtre .racinien aboutit à de nombreux aspects
contradictoires, à des antinomies à première vue incompatibles pour la
raison: cruauté et tendresse, gloire et instinct, simplicité et préciosité •••
- 18 -
Bref, cette oeuvre apparait sous divers angles comme le trait d'union
entre le baroque et le classicisme. Les critiques de la littérature ont
reconnu que l'on trouve dans le théâtre racinien des éléments qui
échappent à la doctrine classique. G. de Reynold écrit en faisant
~usion au caract~re baroque de la société louisquatorzienne: "son souffle
traverse tout le thé6.tre jusqu'à Racine." (1)
Il nous semble en effet, et tout au long de ce travail nous avons
souligné ceci, que voir dans la création racinienne l'illustration
parfaite de "la démolition du héros" selon le mot de P. Bénicbou et
adhérer à cette remarque du critique: "Racine détruit d'un trait ;de
plume toute cette construction ( l'amour chevaleresque) quand il écrit
dans sa préface d'Andromaque: Pyrrhus n'avait pas lu nos romans (2)n est,
à nos yeux,quelque peu excessif. Nous avons révélé souvent des traces
profondes de la littérature aristocratique, des reminiscences chevaleresques
remises en honneur par le baroque (3). C'est ce qui expliquerait cette
insistance obsédante des deux leitmotive qui circulent dans l'univers
racinien, car la littérature baroque métamorphose l'homme en un 3tre
double, plein de "contrariétés", comme 1'on di sai t alors. Tantôt silencieux,
tantôt loquace, le héros racinien témoigne du mouvement de la conscience
humaine, il éclaire par son "inconstance et sa bizarrerie (4)· la haine
implacable et l'amour dévorant, l'ambition sans limites et l'humilité
absolue.
R. Barthes a très bien discerné la complexité de Racine et l'hétéro-
génité du théâtre racinien: "Racine est certes un auteur très impur,
1. G. de Reynold, Le XVIIe Si~cle, p. 146 2. P. Bénichou, op. cit., p. 222 3. Voir l'ouvrage de P. Butler: Classicisme et baroque dans l'oeuvre de
Racine. 4. ~Pascal, op. cit., ll3.
- 79 -
baroque pourrait-on dire, •••• son oeuvre est âprement divisée,
esthétiquement irréconciliéej -loin d'~tre le so~t rayonnant d'un
art, elle est le type m@me d'une oeuvre-passage, où mort et naissance
luttent entre elles (1) ". Le silence et l'aveu, par leur caractàre
antithétique et par leur juxtaposition dans la tragédie, illustrent
ces considérations. Ils expriment le drame essentiel de la vie, où le
moi est formé d'une multiplicité de moi contradictoires, hétérogènes,
dépourvus de toute stabilité. Racine, croyons-nous, par delà l'idéologie
janséniste qui remet en cause la cohérence constante de la personnalité,
a reçu également de la littérature baroque cette vision chaotique de
la conscience humaine faite d'états successifs.
Ce "miracle" dont on parle pour qualifier l'art racinien provient
du génie du poète à communiquer les paroxysmes de l'émotion humaine.
Obéir à la consigne du silence, pour la transgresser ensuite, ce sont
là les effets de la nature humaine qui échappe à toute unité définie.
Cette incapacité à posséder tous ces moi, cette hantise des mille masques
qui couvrent un seul visage, font de la création racinienne cet interminable
poème de la désillusion.
Déjà la tirade de Petit-Jean dans Les Plaideurs posait le problème .0·
de la folie de l'espérance:
"Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera:
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera." ( v. 1 - 2 )
C'est la désillusion de ne plus pouvoir croire dans les @tres et les
choses, le désespoir de voir chaque r~ve broyé par le destin, le
1. R. Barthes, op. cit., p. 143
- 80 -
désenchantement de constater que le monde extérieur ne satisfait pas
au monde mental, l'am~re tristesse de constater que se taire ou parler
sont deux attitudes équivalentes puisque tout espoir, toute promesse
sont voués a l'échec. De là, qui peut le dire? le découragement de
l'esprit qui expliquerait le silence de Racine.
La feuille 81 a été o~is~.
BIBLIOGRAPHIE
...
- 83 -
l - OUVRAGES SUR RACINE
De l'immense bibliographie racinienne, nous ne citons que les
ouvrages les plus significatifs: ceux qui, de pr~s ou de loin, nous
ont aidé dans ce travail.
R. Barthes, Sur Racine, Seuil, 1963.
P. Butler, Classicisme et Baroque dans l'oeuvre de Racine, Nizet, 1959.
Ch. Dédéjean, Racine et sa Ph~dre, S.E.E.S., 1965.
J. Giraudoux, Racine, B. Grasset, 1930.
L. Goldmann, Jean Racine, dramaturge, L'Arche, 19,6.
P. Guiraud, Index du voc'abulaire de Racine, C. Klinschoieck.
Hubert, Essai d'exég~se racinienne, Bizet, 1965.
R. Jasinski, Vers le vrai Racine, A. Colin, 1958.
J. C. Lapp, Aspects ôt Racinian ,Tragedy, Toronto Press.
Th. Maulnier, Racine, Gallimard, 1936.
F. Mauriac, La vie de Jean Racine, Plon, 1928.
Ch. Mauron, L'inconscient dans la vie et l'oeuvre de Racine, Ophrys, 1957.
P. Moreau, Racine, l' homme et l'oeuvre, Boi vin, 1943.
D. Momet, Jean Racine, Aux Armes de France, 1944.
O. de Mourgues, Autonomie de RaCine, Corti, 1967
J. Pommier, Aspects de Racine, Nizet, 1954.
G. Truc, Jean Racine, Garnier, 1926.
E. Vinaver, L'action poétique dans le théâtre de Racine, Oxford, 1960 •
- 84 -
II - OUVRAGES DI ENSEMBLE SUR LE XVII~. SIECLE
A. Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe. siacle,
t. IV, Domat, 1954.
P. Bénichou, Morales du Grand Siacl.e, Idées, 1948.
R. Bray, La formation de la doctrine classique, Hachette, 1929.
G. Delassault, La pensée janséniste en dehors de Pascal, Buchet & Chantal .'
M. Magendie, La politesse mondaine et les théories de 11 honnêteté en France de 1600 à 1660, Alcan 1925, 2 vol.
G. Mongrédien, Les Précieux et les Précieuses, Mercure de France, 19.39.
G. Mongrédien, La vie littéraire au XVIIe. siacle, Hachette, 1948.
H. Peyre, Le Classicisme français, Editions de la Maison de France, 1942.
G. de Reynold, Le XVIIe. siècle, Editions de llArbre, Montréal, 1944. , . .
J. Schérer, La dramaturgie classique en FranCe, Nizet, 1950.
IIT - LECTURES COMPLEMENTAIRES
H. Gouhier,
J. Morel,
R. Pons,
E. Souriau,
Théi.tre et Existence, Plon, 19k2.
La tragédie, Collection U, 1964.
Procès de 11 amour, Casterman, 1955.
Les Grands Problèmes de l'Esthétique Théi.trale, C.D.U.,1958.
IV - OUVRAGES DI INFORMATION
G. Cé\YTou, Le français claSSique, Didier, 192.3.
A. Cioranescu, Bibliographie de la littérature française du XVIIe. siècle,
Centre National de la Recherche Scientifique, 1966.
O. Klapp, Bibliographie der Franzosinchen Litteraturwissenchaft,
V. Klostermann.