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REVUE ARCHÉOLOGIQUE PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE MM. G. PERROT ET S. REINAGH MEMBRES DE L/LNSTITUT SALOMON REINACH DE QUELQUES TEXTES GRECS ET LATINS récemment découverts en Egypte ERiNEST LEROUX, ÉDITEUR 28, RUE BONAPARTE (VI e ) PARIS Tous droits réservés. 1905

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Page 1: DE QUELQUES TEXTES GRECS ET LATINS · rature. Pour trouver des textes littéraires de quelque impor-tance, publiés d'après des papyrus égyptiens, il faut descendre jusqu'en 1838;

REVUE

ARCHÉOLOGIQUE P U B L I É E S O U S L A D I R E C T I O N

DE MM.

G . P E R R O T E T S . R E I N A G H

M E M B R E S D E L / L N S T I T U T

SALOMON R E I N A C H

DE QUELQUES TEXTES GRECS ET L A T I N S récemment découverts en Egypte

ERiNEST L E R O U X , É D I T E U R 2 8 , R U E B O N A P A R T E ( V I e )

P A R I S

T o u s d ro i t s r é se rvés .

1905

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L'Administration et le Bureau de la REVUE ARCHÉOLOGIQUE sont à la L I B R A I R I E E R N E S T L K R O U X , 28, rue Bonaparte, Paris.

C O N D I T I O N S D û L ' A B O N N E M E N T La Revue archéologique paraît par fascicules mensuels de 64 à 80 pages grand

in-8, qui forment à la fin de l'année deux volumes ornés de 24 planches et de nom-breuses gravures intercalées dans le texte.

N. b. — Tout ce qui est relatif à la rédaction doit être adressé à M. Salomon R E I N A C H , de l'Institut, au Musée de Saint-Germain-en-Lave (Seine-et-Oise), ou à M. G. P E R R O T , de l 'Institut, rue Cassini, 1, à Paris.

Les livres dont on désire qu'il soit rendu compte devront ôtre déposée au bureau de la Revue, 28 rue Bonaparte, à Paris, ou au Musée de Saint-Germain-en-Laye.

P R I X : Pour les départements. Un a n . . 32 fr . Pour l 'Etranger. Un an 33 fr .

Pour Par is . Un an 30 fr. Un numéro mensuel 3 f r .

On s'abonne également chez tous les libraires des Départements et de l'Etranger.

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|1904, II, p . 403-414]

DE QUELQUES TEXTES GRECS ET LATIN RÉCEMMENT DÉCOUVERTS EN EGYPTE1

MESSIEURS,

Dans une lecture faite aux cinq Académies le 7 octobre 1857, mon regretté maître Emile Egger prédisait que les papyrus d'Egypte nous rendraient plus de textes grecs inédits et dignes de voir le jour que les monastères de l'Orient et la villa du phi-losophe d'Herculanum2. A cette époque, les textes littéraires connus seulement par des papyrus égyptiens étaient encore en petit nombre : quatre discours d'Ilypéride, quelques fragments d'Alcman, de Sappho et d'Ibycos. Mais les trouvailles des quinze dernières années ont justifié, et au delà, les espérances d'Egger. Jamais, depuis la Renaissance, les amis de la littérature hellé-nique n'avaient été à pareille fête. De 1891 à 1900, les papyrus leur ont rendu la République des Athéniens d'Aristote, les Odes de Bacchylide, les Mimes d'Hérondas, deux autres discours d'Ilypé-ride, des fragments importants d'Euripide, de Ménandre, de Sap-pho, de Callimaque, un écrit historique sur le v° siècle et beaucoup de textes importants relatifs aux premiers temps du christianisme. Chaque année apporte un contingent de décou-vertes nouvelles et les documents recueillis jusqu'à ce jour sont loin encore d'avoir tous été déchiffrés et publiés.

Le début de ces fécondes recherches remonte seulement au dernier quart du xvm° siècle. En 1778, des fellahs exhumèrent près de Memphis une cinquantaine de rouleaux de papyrus

1. Lecture faite aux cinq Académies le mercredi 6 juillet 1904. 2. Egger, Mémoires d'histoire ancienne, p. 148.

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qu'ils offrirent vainement à un marchand européen. Ne pouvant les vendredis se décidèrent à les brûler, pour en savourer l'odeur aromatique. Un seul rouleau, échappé à ce désastre, fut acquis par le marchand, qui le céda au cardinal Etienne Borgia. Ce dernier, secrétaire du Collège de la Propagande, était en relation avec un jeune savant danois nommé Schow, auquel il confia le rouleau. Schow le déchiffra et en publia le contenu à Rome en 1778; c'était la première fois qu'un texte grec, lu sur un papyrus égyptien, trouvait un éditeur. La Charta Borgiana, comme on l'appelle, contient une liste de paysans soumis à la corvée en vue de travaux à exécuter sur les berges du Nil; c'est un de ces documents dont on possède aujourd'hui des milliers, qui sont i n t é r e s s a n t s pour l'histoire administrative et économique de l'Egypte, mais n'ajoutent rien à notre connaissance de la litté-rature. Pour trouver des textes littéraires de quelque impor-tance, publiés d'après des papyrus égyptiens, il faut descendre jusqu'en 1838; notre grand helléniste Letronne fit alors con-naître, d'après un papyrus du Musée Royal, plusieurs fragments inédits d'anciens poètes grecs.

Depuis cette époque jusqu'en 1877, on n'enregistre que des découvertes de papyrus littéraires isolés ou formant de petits lots, qui, des mains des marchands arabes, passaient dans les musées et les bibliothèques de l'Europe. En 1877, une énorme collection de papyrus fut déterrée à Arsinoé dans le Fayoum et acquise, en grande partie, par l'archiduc autrichien Rainer. Le bruit que fit cette trouvaille dans le monde savant et, bientôt après, la publication, due à M. Henri Weil, de quarante vers iné-dits d'Euripide lus sur un papyrus appartenant à Firmin Didot, stimulèrent le zèle des chercheurs. Mais c'est en 1889 seule-ment que M. Flinders Petrie donna l'exemple de fouilles régu-lières, instituées en vue de découvrir des papyrus. M. Petrie en recueillit un grand nombre qui avaient servi, au m® siècle avant notre ère, à fabriquer des cartonnages de momies. Ici encore, c'était Letronne qui avait ouvert la voie. En 1826, cet illustre savant avait découvert quelques fragments de papyrus dans le car-

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tonnage d'une momie de la collection Passalacqua de Trieste. Il écrivit alors à cet amateur, dans une lettre rendue publique : « Peut-être les voyageurs, examinant avec soin des enveloppes de ce genre, trouveront-ils des morceaux où au moins les lignes seront entières. Je ne croirai pas avoir perdu mon temps si ce que je viens de dire engage ceux qui exploitent à Thèbes une mine si féconde à faire quelque attention aux momies dont les enveloppes seraient formées avec des papyrus; car on ignorait jusqu'ici que les vieux papiers avaient quelquefois en Egypte cet emploi final. » Letronne ne fut pas écouté; c'est seulement en publiant les papyrus recueillis par M. Petrie dans des carton-nages de momies que leur éditeur anglais, M. Mahaffy, s'est souvenu de la lettre de Letronne à Passalacqua et a rendu un hommage mérité à la clairvoyance presque prophétique du sa-vant français.

Deux jeunes Anglais, élèves de l'Université d'Oxford, explo-rèrent à deux reprises, en 1897 et en 1903, les vastes accumula-tions de débris de tout genre qui couvrent le sol de l'ancienne ville d'Oxyrhynchus dans la Moyenne Egypte. Ils y trouvèrent des fragments de papyrus par dizaines de milliers, non plus dans des tombes ni dans des cartonnages de momies, mais mêlés à des tes-sons de poterie, à des débris d'objets domestiques, aux matériaux de construction de maisons et de cabanes éboulées. Le climat sec de l'Egypte est si clément aux produits de l'activité humaine que nombre de papyrus, jetés au rebut sans avoir été déchirés ou maculés, se retrouvent dans un état d'intégrité extraordi-naire. C'est toute une bibliothèque de petite ville que MM. Gren-fell et Hunt ont exhumée, bibliothèque où les documents d'inté-rêt individuel ou local sont naturellement en grande majorité, mais où les fragments littéraires ne font pas défaut. Parmi ces derniers, il y en a beaucoup qui offrent des textes déjà connus, en particulier d'Homère, qui était lu et transcrit dans les moin-dres bourgades de l'Egypte grecque; on est étonné de constater que, pour les hommes du ιιθ siècle après l'ère chrétienne, la littérature classique, dont on multipliait les copies ou les ex-

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traits, était, à peu de chose près, identique à celle que les savants byzantins ont transmise à ceux de la Renaissance. En plus que nous, ils lisaient surtout les lyriques grecs etMénandre, dont on a déjà recouvré de nombreux fragments et qui seront sans doute rendus, du moins en grande partie, à l'admiration des hellénistes du xxe siècle.

MM. Grenfell et Hunt ne se contentent pas de découvrir : ils publient, et ils publient fort bien ce qu'ils découvrent. Le quatrième volume des Oxyrhynchus Papyri vient de paraître et de nous apporter une nouvelle série de textes littéraires dont quelques-uns, pour leur importance exceptionnelle, méritent d'être brièvement résumés.

Je signalerai d'abord quatre-vingts vers, assez bien conservés, d'un poème inédit de Pindare. On y a reconnu un parlhénion, c'est-à-dire un chant exécuté par un chœur de jeunes filles; nous savions que Pindare avait écrit des parthenia, mais nous n'en possédions rien. Le nouveau poème a été composé en l'honneur d'Aeoladas, le père d'un Béotien connu, Pagondas, qui commanda les Thébains à la bataille de Delium en 424 avant J.-G. Yoici la traduction d'un passage bien conservé, où il semble possible de faire passer, même dans notre langue, quelque chose de cette poésie aux mots éclatants, à l'allure impétueuse et comme bondissante, qui faisait comparer la diction de Pindare à un torrent. C'est une jeune fille qui parle : « Retroussant vite mon péplos et portant dans mes mains délicates un brillant rameau de laurier, je vais chanter l'illustre maison d'Aeoladaset son fils Pagondas, ma tête virginale couronnée de guirlandes, et aux sons de la flûte de lotos j'imiterai le chant flatteur des Sirènes, ce chant qui calme les souffles soudains du Zéphyre et, lorsque le frisson de Borée court dans la tempête, apaise la fureur dé-chaînée des flots. »

On passe du sublime au comique en abordant le résumé en prose, dû à quelque grammairien anonyme, d'une pièce de Gra-tin us, ce poète qu'Horace citait, avec Eupolis et Aristophane, parmi les maîtres de la vieille comédie attique et dont il ne nous

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reste malheureusement que quelques lignes. Ce résumé nous fait connaître une comédie, représentée à Athènes vers 430, au début de la guerre du Péloponnèse, et où, comme l'indique le grammairien, Périclès était attaqué par voie d'allusion pour avoir déchaîné la guerre sur son pays. On connaissait le titre de la comédie, Dionysalexandros, mais on n'était même pas d'ac-cord sur la signification de ce mot composé, les uns songeant à Alexandre le Grand, ce qui obligeait d'attribuer la pièce à Cra-tinus le jeune, les autres au berger phrygien Paris, qui s'ap-pelait aussi Alexandre. Ces derniers, ou plutôt ce dernier — car l'hypothèse est due à un philologue allemand contemporain, M. Kock— avaient raison, comme on va le voir par l'analyse de la comédie.

Le chœur, composé de Satyres, entoure Dionysos sur le mont Ida et exerce sa verve railleuse aux dépens du dieu. Surviennent trois déesses, Héra, Athéna et Aphrodite, qui se disputent le cœur de Dionysos; c'est une parodie du célèbre jugement de Pâris. Héra promet à Dionysos une force invincible, Athéna, de nombreux succès à la guerre, Aphrodite, la beauté la plus accom-plie et l'amour de toutes les femmes. Dionysos donne la préfé-férence à Aphrodite. Là dessus, il part pourLacédémone, enlève la belle Hélène et revient avec elle sur le mont Ida. Mais Méné-las, privé de son épouse, a armé toute la Grèce pour la retrouver et Dionysos apprend bientôt que les Achéens, débarqués en Troade, battent et ravagent le pays. Il cherche alors refuge dans la maison de Pâris-Alexandre, après s'être transformé en bélier et avoir caché Hélène dans un panier. Un vers, qu'un scholiaste nous a conservé, prouve que Dionysos, sous les traits d'un bélier, arpentait la scène et répondait bê bê à toutes les questions qu'on lui posait. Mais Pâris-Alexandre a vite fait de découvrir les deux amoureux; il déclare qu'il va les conduire aux vaisseaux des Grecs afin d'obtenir la retraite des envahisseurs. Hélène se lamente et fait si bien que Paris, pris de pitié et d'a-mour, décide de la garder auprès de lui, de la prendre pour femme et de livrer Dionysos seul aux Achéens. Le dieu, résigné

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au sort qui l 'attend, se met en marche vers la flotte; les Satyres l'accompagnent et jurent qu'ils ne l'abandonneront pas dans son malheur.

Évidemment, Dionysalexandros, qui déchaîne la guerre sur l'Asie, c'est Périclès ; la belle Hélène, taeterrima belli causa, c'est Aspasie; et plus d'un spectateur ami de la paix devait applaudir quand Pâris se décidait à livrer le perturbateur aux Achéens, en comprenant qu'il s'agissait en réalité des Spartiates, d'autant mieux qu'Hélène avait régné à Sparte avec Ménélas.

Ainsi, les auteurs de la parodie fameuse qui a été jouée dans le monde entier depuis quarante ans et dont l'un est encore heu-reusement parmi nous, ont eu un précurseur à Athènes, il y a 2333 ans environ. Ceux qui ont blâmé nos spirituels contempo-rains d'avoir tourné en ridicule les poétiques légendes de la sainte Hellade, eussent été sans doute fort étonnés d'apprendre que ces blasphémateurs des héros d'Homère avaient été précédés, dans cette voie de la parodie, par un contemporain de Périclès et de Phidias, écrivant pour le public grec par excellence, celui d'Athènes —

La découverte de ce résumé donne à penser que la pièce de Cratinus était lue dans les écoles grecques de l'Égypte et autorise l'espoir que l'on en retrouvera quelque jour le texte. Cette Belle Hélène du vieux Cratinus devait être une bien amusante co-médie.

Un autre morceau considérable, mais qui présente de grandes obscurités, est extrait d'un dialogue philosophique qui pa-raît devoir être attribué à Aristote. Un personnage raconte qu'à l'époque où Pisistrate usurpa la tyrannie dans Athènes, il quitta cette ville et rejoignit Solon en lonie ; quelque temps après, à la demande de Pisistrate lui-même et docile aux con-seils de Solon, il retourna à Athènes et s'y établit. Plus loin, la conversation est engagée entre le narrateur principal, Pisistrate, Ariphron et Adimante; le sujet de l'entretien est l'histoire de Périandre, tyran de Corinthe. Il semble que l'ensemble du dialogue ait été une discussion sur la meilleure forme du gou-

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vernement. Il est intéressant de constater que, d'après la chro-nologie de l'auteur, Solon se serait rendu en Asie lors de l'usurpation de Pisistrate, c'est-à-dire en 560; cette année étant celle de l'avènement de Grésus au trône de Lydie, la conversa-tion de Grésus avec Solon, rapportée par Hérodote, ne peut plus être reléguée au rang des fables, du moins par les motifs de chronologie qu'ont invoqués les historiens de notre temps.

Les papyrus latins sont beaucoup plus rares que les papyrus grecs; ç'a donc été une surprise bien agréable pour MM. Grenfell et Hunt de retrouver, à Oxyrhynchus, des parties importantes d'un résumé des livres 37 à 40 et 48 à 55 de l'histoire de Tite-Live. Gomme nous avons conservé les livres 37 à 40, les résumés latins ne nous apprennent rien pour ces livres-là; mais il n'en est pas de même pour les livres suivants, connus seulement, jusqu'à ce jour, par une epitome tout à fait différente et qui ne relève ni les mêmes noms, ni les mêmes faits. Toute la chrono-logie, si obscure, des guerres de Rome contre Yiriathe est enfin fixée par les nouveaux fragments et plusieurs événements de l'histoire intérieure de Rome se trouvent datés pour la première fois avec précision. Un passage curieux concerne Mummius, le trop célèbre vainqueur de Corinthe : Signa statuas tabulas Co-rinthias L. Mummius distribuit circa oppida et Romam... Il manque les quatre premières lettres du mot suivant, qui se ter-mine par -vit. Je crois qu'il faut restituer orna,vit1 et traduire :

« L. Mummius distribua entre certaines villes italiennes des statues et des tableaux pris à Corinthe et il embellit Rome avec le reste. » Cette distribution des trésors d'art de Corinthe entre des cités provinciales est un renseignement nouveau et imprévu; il en résulte que Mummius n'était pas le barbare, insensible à la valeur des chefs-d'œuvre, que les rhéteurs anciens et mo-

1. Ce mot m'a été suggéré par M. G. Boissier, à la suite de la lecture du présent mémoire ; j'avais proposé d'abord ditavit. Ornavit est adopté par M. 0 . Rossbach (Philol. Wochenschrift, 1904, p. 1021); M. J . S. Reid (Classical Rev., 1904, p. 297) écrit replevit, d'après Pline, XXXIII, 36 : Mummius Achaia devicta replevit urbem.

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dernes nous ont dépeint, tantôt pour l'en blâmer, plus souvent pour exalter sa vertu.

La première campagne d'Oxyrhynchus, en 1897, a rendu au jour un petit recueil de discours ou sentences attribués à Jésus-Christ, qui ont éveillé, en Angleterre surtout, un intérêt extraor-dinaire1. Comme le manuscrit n'est pas postérieur à l'an 250 de notre ère, on tombait d'accord que ces phrases détachées remon-taient au moins au 11e siècle et qu'elles étaient peut-être plus anciennes encore. Les savants y trouvèrent, avec quelques élé-ments nouveaux, des passages plus nombreux qui concordent, d'une manière plus ou moins littérale, avec des paroles du Christ rapportées par les Evangiles canoniques ou dans les fragments des Évangiles hérétiques que nous ont conservés les Pères de l'Église. Aucun texte n'est absolument identique à celui d'un Évangile canonique. Deux opinions se produisirent et sont encore en pré-sence. Pour les uns, ces sentences étaient extraites d'un Évangile hérétique perdu — l'Evangile des Hébreux, suivant Mgr Batiffol, l'Évangile des Égyptiens, suivant M. Harnack. A en croire les partisans de la thèse opposée, il ne s'agissait pas d'extraits d'un Évangile perdu, mais d'un recueil de sentences et de réponses composé dès la fin du ier siècle et dérivant d'une très ancienne tradition écrite ou orale, où auraient également puisé les rédac-teurs de nos Évangiles canoniques.

La découverte, en 1903, d'une nouvelle collection de sen-tences de Jésus semble confirmer, dans une certaine mesure, la seconde opinion que nous indiquons. En effet, le nouveau papy-rus est intitulé comme il suit : « Voici les discours que Jésus, le Seigneur vivant, a tenus à [un tel, le nom manque] et à Tho-mas. » Ainsi, i lne peut s'agir d'extraits d'un Évangile, car s'il existait un Évangile apocryphe dit de Thomas, il n'y en avait point qui portât le nom de deux apôtres, dont Thomas aurait été le second. Il s'agit bien d'un recueil de paroles de Jésus conçu, des l'origine, comme un recueil et publié, nous ne savons pour-

1. Cf. Batiffol, Revue biblique, 1897, p. 501-515.

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quoi, sous la garantie de deux apôtres, qui auraient consigné et transmis ces enseignements.

Les paroles attribuées à Jésus dans ces fragments rappellent toutes, mais avec des variantes, des passages connus des Cano-niques et des Apocryphes. Voici des exemples de ces concor-dances. « Jésus dit : Quiconque écoutera ces paroles ne goûtera pas à la mort. » Une expression très semblable se trouve dans le quatrième Evangile : « Celui qui observera ma parole ne goû-tera jamais à la mort. » — « Jésus dit : Que celui qui cherche ne s'arrête pas avant qu'il ne trouve et lorsqu'il trouvera il sera étonné et s'étant étonné il régnera et ayant régné il trouvera la paix. » Clément d'Alexandrie cite ce dernier membre de phrase comme tiré de l'Évangile des Hébreux : « Il est écrit dans l'Évan-gile suivant les Hébreux : celui qui sera étonné régnera et celui qui régnera trouvera la paix. » Dans un autre passage, le même Père cite, avec quelques variantes, la phrase entière, mais sans indiquer sa source. Notons que Clément, lorsqu'il parle des Évangiles suivant les Hébreux ou suivant les Égyptiens, ne dit jamais que ce soient des livres supposés, des œuvres de faus-saires; il en interprète les doctrines comme s'il y reconnaissait des écrits autorisés, où se transmettait un enseignement authen-tique. — « Jésus dit : Tout ce qui n'est pas exposé à ta vue et tout ce qui est caché te sera révélé. Car il n'y a rien de caché qui ne deviendra manifeste, rien d'enseveli qui ne doive. point surgir. » Ici encore, il y a des passages parallèles dans Matthieu, dans Marc et dans Luc, mais sans qu'il y ait identité dans l 'ex-pression. Les nouveaux fragments, qui sont au nombre de cinq, dont un assez long, mais très mutilé, comportent tous la même observation.

Assurément, le problème n'est pas résolu et ce qu'on appelle la « question synoptique » n'est guère éclairée par la découverte des fragments d'un recueil de sentences que les auteurs de nos Évangiles ont pu connaître. Mais il en résulte une conséquence importante en ce qui concerne la théologie johannique. La critique du xixe siècle a généralement admis que notre qua-

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1. Cf. Michel Nicolas, Les Évangiles apocryphes, p. 119.

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trième Évangile est le reflet d'une philosophie postérieure à la première floraison du christianisme. Les sentences d'Oxyrhyn-chus, où les analogies avec l'Évangile de saint Jean sont nom-breuses, tendent à établir, au contraire, que les paroles prêtées par ce livre à Jésus dérivent du même fonds commun, écrit ou oral, dont les rédacteurs des Synoptiques se sont inspirés.

Mentionnons enfin, parmi les découvertes des deux savants anglais, celle d'un fragment d'Évangile encore complètement inconnu, dont plusieurs phrases se retrouvent à peu près dans les Synoptiques, mais où la suivante est nouvelle : « Les dis-ciples lui disent : Quand te manifesteras-tu à nous et quand te verrons-nous? Jésus répond : Quand vous serez dépouillés de vos vêtements et que vous n'aurez pas honte. »

Cette réponse est analogue à celle qu'un fragment de l'Évan-gile des Égyptiens, conservé par Clément Romain et Clément d'Alexandrie, prête à Jésus : « Le Seigneur, interrogé par Salomé quand arriverait son règne, répondit : « Quand vous foulerez aux pieds le vêtement de la pudeur, quand deux seront un, quand ce qui est extérieur sera semblable à ce qui est intérieur et que le mâle uni à la femelle ne sera ni mâle ni femelle1. »

Précisément parce que la même idée, plus développée, était exprimée par l'Évangile des Egyptiens, il n'est pas probable que le nouveau fragment appartienne au même livre; il faisait sans doute partie d'une composition différente, mais conçue dans le même esprit.

Quel était cet esprit? Là dessus, les théologiens n'ont pu se mettre d'accord. Pour les uns, l'Évangile des Égyptiens était imprégné d'idées juives, de la théosophie de Philon; les propos qui y étaient prêtés à Jésus, auxquels les œuvres de Philon fournissent des parallèles, exprimaient l'idée mystique que l'âme doit se dépouiller de son corps, assimilé à un vêtement, pour atteindre à la béatitude par la vision de Dieu. D'autres soutien-nent que la tendance de ces paroles est encratite, c'est-à-dire

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1. Michel Nicolas, op. laud., p. 119.

ascétique, et qu'il s'y trouve une condamnation du commerce des sexes, envisagé comme l'origine du péché et du sentiment de la pudeur. Le plus ancien auteur qui nous ait conservé le passage cité, Clément Romain, y voyait une simple exhortation à la sincérilé et à la bienfaisance : « Deux seront un, dit-il, lors-que nous serons véridiques les uns à l'égard des autres et qu'en deux corps il n'y aura qu'une âme, sans dissimulation et sans déguisement. Ce qui est extérieur, c'est le corps; ce qui est in-térieur, c'est l'âme. De même donc que votre corps paraît extérieurement, qu'ainsi votre âme se manifeste par ses bonnes œuvres1. » Cette explication toute morale est évidemment irre-cevable; mais on peut hésiter entre les deux explications mys-tiques. Le nouveau fragment semble plutôt en faveur de la seconde, car il est certain que ces mots : « quand vous serez nus et que vous n'aurez pas honte » sont une allusion au récit du péché originel dans la Genèse : « Et les yeux de tous deux fu-rent ouverts, et ils connurent qu'ils étaient nus; et ils cousirent ensemble des feuilles de figuier et s'en firent des ceintures. » Si la faute d'Adam a introduit dans le monde le péché et la pudeur, la pudeur n'aura plus de raison d'être quand la Rédemption aura effacé le péché.

On voit par ces quelques extraits, qu'il serait aisé de multiplier, quelle abondante moisson ont faite MM. Grenfell et Hunt dans les tertres abandonnés d'Oxyrhynchus. A un moment où l'esprit utilitaire de notre siècle tend à se détourner de l'étude de l 'an-tiquité, voici que le sol de l'Egypte fournit à cette étude, sous la forme de textes inédits, le plus efficace, le plus salutaire des stimulants. L'histoire profane et l'histoire des premiers temps du christianisme s'éclairent de lumières inattendues; des résultats crus acquis sont remis en question ; des problèmes mille fois agités, parfois abandonnés comme insolubles, reviennent, soute-nus par des données nouvelles, à l'ordre du jour. On ne peut que remercier les hommes auxquels nous devons des surprises si

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Angers. — lin p. .A. Burdin et Cie, 4, rue Garnier.

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instructives et souhaiter qu'en continuant leurs recherches et leurs publications, ils suscitent, sur cette inépuisable terre d'Egypte, beaucoup d'émules aussi laborieux et aussi instruits.

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E R N E S T L E R O U X , É D I T E U R 2 8 , R U E B O N A P A R T E , P A R I S , V I e

T R A I T É

DES MONNAIES GAULOISES Par Adrien BLANCHET

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A R C H I V E S M A R O C A I N E S

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I N V E N T A I R E S M O B I L I E R S E T E X T R A I T S

D E S C O M P T E S D E S D U C S D E B O U R G O G N E DE LA MAISON DE VALOIS (1363-1477) ,

recueillis et publiés par BERNARD P R O S T . 4 volumes i n - 8 .

TOME [. Philippe le Hardi ( 1 3 6 3 - 1 4 0 4 ) . — FASC. 1 . ( 1 3 6 3 - 7 1 ) . I n - 8 7 f r . 5 0 — F A S C . 2. ( 1 3 7 1 - 7 6 ) . In-8, 2 0 planches 1 2 fr . » — F A S C . 3. (1376-77). In -8 5 f r . »

C A T A L O G U E D E L A C O L L E C T I O N D E C L E R C Q PREMIÈRE S É R I E , publiée avec la collaboration de M . J . M E N A N T , de l ' Inst i tut .

In-folio, 2 volumes avec nombreuses planches 100 fr » DEUXIÈME S É R I E , publiée par les soins de l'Académie des Inscriptions et

Belles-Lettres. In- i° . Tome III en 2 fascicules. Les bronzes, par André DE R I D D E R . 2 vol. avec nombreuses planches 30 fr »

— Tome IV. Les marbres (sous presse).

C O N F É R E N C E S A U M U S É E G U I M E T en 1902-1903

Par L. DB MILLOUÉ. Préface par Ém. GUIMET. 2 vol. in-18. Chaque. . . 3 f r . 50 Bibl iothèque de vu lgar i sa t ion du Musée Guimet . Tomes XI I , XIV.

C O N F É R E N C E S A U M U S É E G U I M E T en 1903-1904

I . Par Maurice COURANT, Salomon REINACH, Emile CARTAILHAC, R . CAGNAT. I L Par G. LAFAYE, Philippe BERGER, Sylvain LÉVY, D. MENANT.

2 vol. in-18. Chaque 3 fr . 50 Bibl iothèque de vulgar i sa t ion du Musée ( iuimet . Tomes XV, XVI .

B U L L E T I N DB LA

SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES Ne 2. In-8 2 f r .

Page 16: DE QUELQUES TEXTES GRECS ET LATINS · rature. Pour trouver des textes littéraires de quelque impor-tance, publiés d'après des papyrus égyptiens, il faut descendre jusqu'en 1838;

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 28 , RUE BONAPARTE, 28

FONDATION EUGÈNE PIOT

M O N U M E N T S ET MÉMOIRES

PUBLIÉS

PAR L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

Sous la direction de MM. Georges PERROT et Robert de LASTEYR1E, membres de l'Institut

Avec le concours de M. Paul JAMOT, secrétaire de la rédact ion

PUBLICATION DE GRAND LUXE Illustrée de nombreux clichés dans le texte et de planches en héliogravure,

héliochromie et chromolithographie.

Prix de souscr ip t ion : Paris, 4 0 fr. ; Départements, 4 2 fr. ; ÉtraDger, 4 4 fr.

TOME DIXIÈME, aveo 21 planches. Max Collignon. Sculptures grecques trouvées à Tralles (Musée impérial otto-

man de Constantinople). Salomon Reinach. Vase doré à reliefs (Musée de Constantinople). E. Pottier. Note complémentaire sur Epilykos. P . H a r t w i g . Danaé dans le coffre, hydrie appartenant au Musée de

Boston. Joseph Bûche. Le Mars de Coligny (Musée de Lyon). Théodore Reinach. Note additionnelle sur le sarcophage de Sidamaria. André Michel. La Madone dite d'Anvillers (Musée Louvre). Georges Bénédite. Une nouvelle palette en schiste. P. Perdrizet et L. Chesnay. La métropole de Serrés. F. de Mély. Vases de Cana. Marcel Dieulafoy. La statuaire polychrome en Espagne du xn« au xv· siècle

(Aragon et Castille). Paul Leprieur. Le don Albert Bossy au Musée du Louvre. C a m i l l e B e n o i t . Le tableau de l'Invention de la Vraie Croix et l'École fran-

çaise du Nord dans la seconde moitié du xv" siècle.

TOME ONZIÈME, avec 41 planches. Salomon Reinach. Le manuscrit des Grandes Chroniques de l'Histoirede France

de la Bibliothèque de Philippe le Bon, à Saint-Pétersbourg.

Angers, imp A. Bur.liu et ( > , 4, rue (iarnicr.