de vie consacrÉe et les sociÉtÉs de vie apostolique À … · 2019-12-12 · depuis le concile...

CONGRÉGATIONPOUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉEET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE

À vin nouveauoutres neuves

Depuis le Concile Vatican IIla vie consacrée et les défis encore ouverts

O R I E N T A T I O N S

L I B R E R I A EDITRICEVATICANA

€ 00,00

À v

in n

ou

ve

au

ou

tre

s n

eu

ve

s

LEV

CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE

ANNÉE DE LA VIE CONSACRÉE

1. Réjouissez-vous2. Contemplez3. Scrutez4. Annoncez

DOCUMENTS

1. Lignes d’orientation pour la gestion des biens dans les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique2. À vin nouveau outres neuves. Orientations

COLLECTIONDOCUMENTSDU VATICAN

ANNUNCIATE - Francese 16 Settembre 2016 − 2ª BOZZA

PER VINO NUOVO OTRI NUOVI Francese 26 Maggio 2017 − 2ª BOZZA

Prima edizione Giugno 2017

Prima ristampa Luglio 2017

En couverture :

PAUL VERONESE, Les noces de Cana (1563), détailMusée du Louvre, Paris

© Copyright 2017 – Libreria Editrice Vaticana00120 Città del VaticanoTel. 06 69 88 10 32 – Fax 06 69 88 47 16www.libreriaeditricevaticana.vawww.vatican.va

ISBN 978-88-266-0009-3

PER VINO NUOVO OTRI NUOVI Francese – 1ª Ristampa 4 Luglio 2017 − 1ª BOZZA

Personne ne metdu vin nouveau dans de vieilles outres ;

car alors, le vin fera éclater les outres,et l’on perd à la fois le vin et les outres.

À vin nouveau, outres neuves.

(Mc 2,22)


INTRODUCTION

La Congrégation pour les Instituts de vieconsacrée et les Sociétés de vie apostolique acélébré, du 27 au 30 novembre 2014, l’Assem-blée plénière du Dicastère sur le thème :« Le vin nouveau dans des outres neuves. La vieconsacrée 50 ans après Lumen gentium et Per-fectae caritatis », qui a attiré l’attention sur lechemin effectué par la vie consacrée dans lapériode post-conciliaire, cherchant à y lire,en synthèse, les défis restés encore ouverts.

Ces Orientations sont le fruit de ce qui aémergé dans cette Assemblée plénière etdans la réflexion qui en a résulté, élaboréepar la suite dans les nombreuses rencontresqui ont vu converger à Rome, auprès duSiège de Pierre, pendant l’Année de la vieconsacrée, des hommes et des femmes consa-crés, venant de tous les coins du monde.

À partir du Concile Vatican II, le Magistèrede l’Église a continuellement accompagné lavie des personnes consacrées. En particulier,ce Dicastère a offert les grandes coordonnéesde référence et de valeur : les InstructionsPotissimum institutioni (1990), La vie fraternelle

7


en communauté (1994), Repartir du Christ(2002), Le service de l’autorité et l’obéissance. Fa-ciem tuam (2008) et Identité et mission du frèrereligieux dans l’Église (2015).

Les présentes Orientations se situent dans laligne d’un exercice de discernement évangéli-que, dans lequel on cherche à reconnaître– à la lumière de l’Esprit – cet « appel » queDieu fait résonner dans la situation histori-que même: « Aussi, en elle et par elle, Dieuappelle » 1 les hommes et les femmes consa-crés de notre temps, parce que « nous som-mes tous invités à accepter cet appel : sortirde son propre confort et avoir le courage derejoindre toutes les périphéries qui ont be-soin de la lumière de l’Évangile » 2.

C’est un exercice de discernement ecclé-sial à travers lequel les hommes et les femmesconsacrés sont appelés à entreprendre denouveaux passages afin que les idéaux et ladoctrine prennent chair dans la vie : systèmes,structures, diaconies, styles, relations et langa-ges. Le pape François souligne la nécessité decette vérification : « La réalité est supérieure àl’idée. […] La réalité est, tout simplement ;l’idée s’élabore. Entre les deux, il faut instau-

1 FRANÇOIS, Ex. ap. Evangelii gaudium (24 novembre2013), 154.

2 Ibid., 20.

8


rer un dialogue permanent, en évitant quel’idée finisse par être séparée de la réalité.Il est dangereux de vivre dans le règne de laseule parole, de l’image, du sophisme » 3.

Il peut arriver, même dans l’ample et richeprocessus d’adaptation et de rénovation réa-lisé dans la période post-conciliaire, que la vieconsacrée se trouve face à des défis encoreouverts qui doivent être affrontés « avec dé-termination et avec clairvoyance » 4.

Dans la perspective d’un exercice de dis-cernement, ces Orientations veulent lire despratiques inadéquates, indiquer des proces-sus bloqués, poser des questions concrètes,demander raison des structures de relation,de gouvernement, de formation sur le sou-tien réel apporté à la forme évangélique devie des personnes consacrées.

Des Orientations pour sonder avec parrhé-sie les outres adaptées à conserver les vinsnouveaux que l’Esprit continue de donner àson Église, exhortant à initier des change-ments par des actions concrètes à court et àlong terme.

3 Ibid., 231.4 Ibid., 58.

9


I.

À VIN NOUVEAU, OUTRES NEUVES

Le logion de Jésus

1. Une parole du Seigneur Jésus peutéclairer le chemin de la vie consacrée faceaux défis de notre temps et dans l’esprit durenouveau voulu par le Concile Vatican II : duvin nouveau dans des outres neuves (Mc 2,22).Cette phrase sapientielle du Seigneur est at-testée dans tous les synoptiques qui la rappor-tent dans le contexte de la phase initiale del’activité publique de Jésus. L’évangélisteMarc la situe juste au cœur des premièrescritiques provocatrices des pharisiens de Ca-pharnaüm devant la liberté et l’autonomiede l’agir de Jésus (Mc 2,18-22). Matthieurepousse un peu plus loin la reprise de celogion, comme pour sceller la dimensionprophétique de la centralité de la miséri-corde dans ses paroles et dans ses gestes(Mt 9, 16-17). Luc met cette provocationdans un contexte encore plus précis, en sou-lignant l’impossibilité de dialoguer avec lesvieilles mentalités (Lc 5,36-39). Cet évangé-

11

PER VINO NUOVO OTRI NUOVI Francese 5 Giugno 2017 − 3ª BOZZA

liste relève que le morceau de tissu est arra-ché à un vêtement neuf raffiné (pour Matthieu,en revanche, c’est une étoffe brute) pour lecoudre sur le vieux. Cette opération mala-droite provoque une double ruine (Lc 5,36)et il ajoute encore une autre phrase révéla-trice : Jamais celui qui a bu du vin vieux ne désiredu nouveau. Car il dit : “C’est le vieux qui est bon”(Lc 5,39).

Pour les trois évangélistes synoptiques, ilest important de souligner la nouveauté dustyle avec lequel le Seigneur Jésus, en révélantau monde le visage miséricordieux du Père,se situe à une distance critique par rapport ausimple maintien des schémas religieux habi-tuels. Pardonner les péchés et accueillir tou-tes les personnes dans leur mystère de souf-france et même d’errance, est une nouveautéradicale. Cette nouveauté déstabilise ceux quisont habitués à la simple répétition d’unschéma dans lequel tout est déjà prévu etcadré. Une telle attitude non seulement metdans l’embarras, mais devient d’emblée unmotif de refus. Le style avec lequel Jésus an-nonce le Royaume de Dieu se fonde sur laloi de la liberté (cf. Jc 2,12) qui permet unemanière nouvelle d’entrer en relation avecles personnes et avec les situations concrètes.Ce style a toute la couleur et la saveur d’unvin nouveau qui risque toutefois de faire écla-

12


ter les vieilles outres. L’image révèle clairementla nécessité pour les formes institutionnelles,religieuses et symboliques, de gagner tou-jours en souplesse. Sans la nécessaire sou-plesse, aucune forme institutionnelle, aussivénérable soit-elle, n’est en mesure de sup-porter les tensions de la vie ni ne peut répon-dre aux appels de l’histoire.

2. La comparaison employée par le Sei-gneur Jésus est aussi simple qu’exigeante.L’outre à laquelle se réfère la petite paraboleest un récipient fait de peaux souples qui sontencore capables de se dilater pour favoriser larespiration du vin nouveau en ébullitioncontinuelle. Si elle était, en revanche, sècheet rigide à cause de l’usure du temps, l’outren’aurait plus la souplesse nécessaire poursupporter la pression vive du vin nouveau.Ainsi elle ne pourrait qu’éclater en faisantperdre et le vin et l’outre. L’évangélisteJean utilisera la même métaphore du bon vin(Jn 2,10) servi aux noces de Cana pour indi-quer la nouveauté prophétique de l’annoncejoyeuse et pétillante de l’Évangile. Le bon vinet le vin nouveau deviennent ainsi le symbolede l’agir et de l’enseignement de Jésus qui nepeut être contenu dans les vieilles outres deschémas religieux séculaires incapables des’ouvrir à de nouvelles promesses. Quand

13


l’évangéliste Luc parle du vieux vin qui estbon (chrestòs), il se réfère certainement à l’at-tachement des pharisiens et des chefs dupeuple aux formes standardisées et rigidesdu passé. Mais ce n’est peut-être pas tout.Les chrétiens eux-mêmes de la seconde géné-ration doivent se confronter à la tendance àne pas s’ouvrir totalement à la nouveauté del’Évangile. Le risque de céder à la tentationde retourner au vieux style d’un mondefermé sur ses certitudes et ses habitudes rôdetoujours. D’emblée, est déjà présente, dansl’histoire de l’Église, la tentation de s’ajustertactiquement pour éviter les défis continuelsde la conversion du cœur.

La parole du Seigneur Jésus nous aide àsaisir le défi d’une nouveauté qui exige nonseulement un accueil mais aussi un discerne-ment. Il est nécessaire de créer des structuresqui soient vraiment aptes à conserver la ri-chesse innovatrice de l’Évangile pour qu’ellesoit vécue et mise au service de tous en enpréservant la qualité et la bonté. Il faut laisserfermenter le vin nouveau, quasi respirer dansl’outre, pour qu’il puisse arriver suffisam-ment à maturation et être enfin goûté etpartagé. Cela vaut aussi pour l’image du vête-ment et du rapiéçage : on ne peut déchirerun morceau de tissu d’un vêtement neufpour rapiécer un vêtement déjà usé. En fai-

14


sant ainsi, on crée une tension qui effilochele vieux de sorte que la nouvelle pièce, enréalité, ne sert à rien.

3. Le message de l’Évangile ne peut seréduire à quelque chose de purement socio-logique. Il s’agit, en revanche, d’une orienta-tion spirituelle qui demeure toujours nou-velle. Elle requiert une ouverture mentalepour imaginer des modalités de sequela, pro-phétique et charismatique, vécue dans desschémas adaptés et peut-être inédits. Touteune série de diaconies innovatrices, qui sontvécues en dehors des schémas déjà éprouvésdu passé, doivent nécessairement trouveraussi un accueil dans des structures institu-tionnelles nouvelles. Ces structures doiventêtre réellement à la hauteur des attentes etdes défis. Un renouvellement incapable detoucher et de changer les structures aussibien que le cœur, ne conduit pas à un chan-gement réel et durable. Il faut toujours gar-der à l’esprit le fait qu’un simple forçage,aussi généreux soit-il, peut mener au rejet.Le rejet comporte la perte de cette efferves-cence d’une nouveauté incontournable quidemande à être non seulement reconnuemais vécue jusqu’au bout et certainement passimplement supportée ou subie.

15


Si nous appliquons ce critère évangéliqueà ce qui a été vécu à l’intérieur de l’Églisedans ce moment de grâce que fut le ConcileVatican II, nous pouvons vraiment parler devin nouveau. Sous la conduite de l’Esprit-Saint, l’Église, vigne du Seigneur, a été capa-ble de vivre une vendange spirituelle renou-velée avec l’apport et la générosité de tous.Nous avons tous pu nous réjouir devant desexpériences vivantes de renouveau qui sesont exprimées dans de nouveaux parcourscatéchétiques, des modèles de sainteté et devie fraternelle renouvelés, des courants théo-logiques inédits, des formes impensées desolidarité et de diaconie, etc. Une véritablevendange que nous pouvons percevoir, avecdes sentiments de gratitude, abondante etjoyeuse. Néanmoins tous ces signes de renou-veau et ces formes de nouveauté cohabitent– et ceci est normal – avec de vieilles habitu-des sacralisées et sclérosées. Il s’agit d’habitu-des qui résistent, avec leur rigidité et leurincapacité, à s’adapter réellement à ce renou-veau toujours en devenir. De cette cohabita-tion de styles peuvent naître des conflits,parfois rudes. Des conflit naissent les accusa-tions mutuelles de ne pas être un vin exquis(Ct 7,10) mais de s’être gâté en vin capiteux(Ps 75,9). Jusqu’à ceux qui jugent les autrescomme des raisins verts (cf. Is 5,2) parce qu’ils

16


ne sont pas suffisamment fidèles à ce qui estétabli et éprouvé depuis toujours. Devanttout cela, il ne faut se laisser ni impression-ner, ni, encore moins, décourager. On nepeut mettre au point des structures adéquatespour un réel renouveau sans tenir compte delongs temps de transformation et d’inévita-bles incidents de parcours. Les changementsauthentiques et durables ne sont jamais auto-matiques.

Normalement, ils doivent faire face à touteune série de résistances et même de quelquemarche en arrière. Il faut reconnaître que cesrésistances ne sont pas toujours de la mau-vaise volonté ou de la mauvaise foi. Plus decinquante ans après la conclusion du ConcileVatican II, il faut prendre acte du fait que selaisser inquiéter et déstabiliser par les incita-tions vivifiantes de l’Esprit n’est jamais indo-lore. Cela vaut certainement aussi pour la vieconsacrée et ses saisons plus ou moins fécon-des en termes de réponse aux signes destemps et aux inspirations de l’Esprit Saint.

Le renouveau post-conciliaire

4. Pour regarder en avant et continuer demarcher dans l’esprit du Renouveau voulupar le Concile, un peu d’histoire peut éclaireret confirmer notre chemin à tous. Prendre

17


conscience de ce que nous avons vécu en cedemi-siècle devient encore plus nécessaire sinous voulons accueillir les encouragementsqui nous viennent des paroles et des gestes dupape François.

L’accomodata renovatio de la vie et de ladiscipline des instituts de vie consacrée « dansles exigences présentes » 1 a été une demandeexplicite du Concile Œcuménique Vatican II.Les Pères conciliaires avaient posé les basesthéologiques et ecclésiologiques de ce renou-veau, en particulier dans le chapitre VI de laConstitution dogmatique Lumen gentium 2.Dans le décret Perfectae caritatis, ils ont offertdes directives plus appropriées et des orienta-tions pratiques pour l’aggiornamento spirituel,ecclésial, charismatique et institutionnel de lavie consacrée dans l’Église. Parmi les autrestextes conciliaires, seuls la constitution Sacro-sanctum concilium et le décret Ad gentes indi-quaient quelques retombées pratiques d’unecertaine importance pour la vie religieuse.

Après un demi-siècle, nous pouvons recon-naître avec satisfaction que l’effet sur la vieconsacrée de l’esprit conciliaire a été particu-

1 CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II, Décret sur le re-nouveau de la vie religieuse Perfectae caritatis, 1.

2 Cf. CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II, Constitutiondogmatique sur l’Église Lumen gentium, 43-47.

18


lièrement riche. Le style de discernement col-lectif et d’attention exploratrice a généré desimpulsions et des méthodes de grande effica-cité dans l’aggiornamento. Le premier pas dece profond changement a concerné la ma-nière même dont la vie consacrée a dû secomprendre à nouveau elle-même. Dans lapériode préconciliaire, la vie religieuse, danstoutes ses manifestations et structures, repré-sentait la force compacte et opérationnellepour la vie et la mission d’une Église mili-tante qui se percevait en continuelle oppo-sition vis-à-vis du monde. Dans la nouvellesaison d’ouverture et de dialogue avec lemonde, la vie consacrée s’est sentie pousséeen première ligne pour explorer, au bénéficede tout le corps ecclésial, les composantesd’une nouvelle relation Église-monde. C’estlà l’un des thèmes d’inspiration et de trans-formation les plus forts voulus par le ConcileVatican II convoqué par saint Jean XXIII.Dans cette ligne de dialogue et d’accueil, lavie consacrée a, pas toujours mais générale-ment, embrassé généreusement les risques decette nouvelle aventure d’ouverture, d’écouteet de service. Pour que puisse réellement seconcrétiser un style de relation et de pré-sence au monde contemporain marqué par laconfiance, la vie consacrée a mis en jeu ses

19


multiples charismes et son patrimoine spiri-tuel, en s’exposant et en embrassant généreu-sement de nouveaux parcours.

5. En ces cinquante années qui nous sépa-rent de l’événement conciliaire, nous pou-vons prendre acte du fait que tous les institutsde vie consacrée ont engagé leurs meilleuresforces pour répondre aux sollicitations deVatican II. En particulier dans les trois pre-mières décennies après le Concile, l’effort derenouvellement a été généreux et créatif, sepoursuivant aussi dans les décennies suivan-tes bien qu’à un rythme ralenti et avec undynamisme un peu fatigué. Les textes norma-tifs et les formes institutionnelles ont été réé-laborés, d’abord en réponse aux encourage-ments venus du Concile, puis pour se confor-mer aux dispositions du nouveau Code de droitcanonique (1983). Un grand effort a étéconsenti par chaque famille religieuse dans larelecture et dans l’interprétation de l’« inspi-ration originelle des instituts » 3. Ce travailavait deux objectifs principaux : garder fidèle-ment « la pensée des fondateurs et leur pro-jet » 4 et « retrouver avec courage l’esprit en-


4 CIC, c. 578.

20


treprenant, l’inventivité et la sainteté des fon-dateurs et des fondatrices, en réponse aux“signes des temps” qui apparaissent dans lemonde actuel » 5.

Les résultats du grand effort de réélabora-tion de l’identité, du style de vie et de lamission ecclésiale qui en découle ont été ac-compagnés aussi par de courageuses et pa-tientes recherches de nouveaux parcours deformation, appropriés au caractère et au cha-risme de chaque famille religieuse. Dans lecadre des structures de gouvernement et dela gestion du patrimoine économique et desactivités, beaucoup a été fait pour s’adapteraux « conditions physiques et psychiques ac-tuelles des religieux […] aux besoins del’apostolat, aux exigences de la culture, auxconditions sociales et économiques » 6.

6. Après ce bref aperçu de l’histoire descinquante dernières années, nous pouvonsreconnaître avec humilité que la vie consa-crée s’est efforcée d’habiter les horizonsconciliaires avec une passion et une audaceexploratrice. Pour tout le chemin parcouru,

5 JEAN-PAUL II, Ex. ap. Vita consecrata (25 mars 1996),37.


21


nous ne pouvons que rendre grâce à Dieu, etles uns aux autres, d’un cœur sincère et vrai.

Sur ce chemin généreux et laborieux, ungrand soutien est venu du magistère suprêmedes papes de ces décennies. Avec des textes etdes interventions de diverses natures, ils ontrégulièrement aidé à consolider nos convic-tions, à discerner les nouveaux parcours, àorienter avec sagesse et sens ecclésial les nou-veaux choix de présence et de service, dansune écoute constante des appels de l’Esprit.Il faut considérer l’exceptionnelle valeurthéologique, ecclésiale et d’orientation del’exhortation apostolique post-synodale Vitaconsecrata (1996), où sont accueillis et confir-més les meilleurs fruits de l’aggiornamentopostconciliaire.

Vita consecrata, en particulier, éclaire lacontemplation et la référence au mystère dela Très Sainte Trinité, comme à sa source :« La vie consacrée est une annonce de ce quele Père accomplit par le Fils, dans l’Esprit, parson amour, sa bonté, sa beauté. En effet,“l’état religieux […] fait voir d’une manièreparticulière l’élévation du Royaume de Dieuau-dessus de toutes les choses terrestres et sesexigences les plus hautes ; il montre aussi àtous les hommes la grandeur suréminente dela puissance du Christ, qui exerce la royauté,et la puissance infinie de l’Esprit Saint qui

22


agit dans l’Église de façon admirable” […]Ainsi la vie consacrée devient-elle l’une destraces perceptibles laissées par la Trinité dansl’histoire, pour que les hommes puissentconnaître la fascination et la nostalgie de labeauté divine » 7. La vie consacrée devientaussi confessio trinitatis lorqu’elle relève le défide la vie fraternelle « en vertu de laquelle lespersonnes consacrées s’efforcent de vivredans le Christ avec un seul cœur et une seule âme(Ac 4, 32) » 8. Dans cette perspective trini-taire, apparaît le grand défi de l’unité et lanécessité de l’œcuménisme priant, témoinet martyre comme voie maîtresse pour leshommes et les femmes consacrés : « La prièredu Christ à son Père avant la Passion, pourque les disciples demeurent dans l’unité(cf. Jn 17,21-23), se prolonge dans la prière etdans l’action de l’Église. Comment ceux quisont appelés à la vie consacrée pourraient-ilsne pas se sentir concernés? » 9.

Par un accompagnement laborieux etsage, cette Congrégation a offert, de diver-ses manières – instructions, lettres, directives –et avec une vigilance périodique, des critères

7 JEAN-PAUL II, Ex. ap. post-synodale Vita consecrata(25 mars 1996), 20.

8 Ibid., 21.9 Ibid., 100.

23


d’orientation pour persévérer dans un aggior-namento conciliaire authentique et pour res-ter fidèles, avec un discernement unanime etune audace prophétique, à l’identité et à lafonction ecclésiale de la vie consacrée.

Mais cela ne signifie pas nier les fragilitéset les fatigues qui doivent être reconnues etnommées pour que le chemin entrepris nonseulement puisse continuer mais égalementse radicaliser davantage en termes de fidélitéet de créativité. De même il est nécessaire deregarder en face, avec réalisme, les nouvellessituations dans lesquelles la vie consacrée estappelée à se mesurer et à s’incarner.

Les nouveaux chemins interpellent

7. La riche multiplicité des diaconies exer-cées par la vie consacrée au cours des derniè-res décennies a subi un redimensionnementradical à cause de l’évolution sociale, écono-mique, politique, scientifique et technologi-que. Ainsi que l’intervention de l’État dansde nombreux secteurs historiquement typi-ques des œuvres des religieux. Tout ceci achangé la manière des religieux d’être enrelation avec le contexte dans lequel ils vi-vent, ainsi que leur manière habituelle de sesituer vis-à-vis des autres. Entretemps, des ur-gences nouvelles et inédites ont fait exploser

24


d’autres exigences jusque là restées sans ré-ponse et qui frappent à la porte de la fidélitécréative de la vie consacrée sous toutes sesformes.

Les nouvelles pauvretés interpellent laconscience de nombreux consacrés et sollici-tent les charismes historiques à de nouvellesformes de réponse généreuse devant les nou-velles situations et les nouveaux rejetés del’histoire. D’où la floraison des nouvellesformes de présence et de service dans lesmultiples périphéries existentielles. Il ne fautpas non plus oublier la prolifération d’initia-tives de bénévolat, où sont impliqués laïcs etreligieux, hommes et femmes, dans une sy-nergie riche de « nouveaux dynamismes apos-toliques » 10 au point de « rendre plus vigou-reuse la réponse aux grands défis de notretemps, grâce à l’apport concerté des diffé-rents dons » 11. Une telle symphonie se basesur la redécouverte de la racine baptismalecommune qui rapproche tous les disciples duChrist appelés à unir leurs forces et leur ima-gination pour rendre ce monde plus beau etvivable pour tous.

De nombreuses congrégations, spéciale-ment féminines, ont commencé en mettant

10 Ibid., 55.11 Ibid., 54.

25


au premier plan les fondations dans les jeunesÉglises et sont passées de situations presqueuniquement monoculturelles au défi du multi-culturalisme. Dans cet élan, se sont constituéesdes communautés internationales qui, pourcertains instituts, ont représenté la premièreexpérience courageuse de sortie de leursfrontières géographiques et culturelles. Desexpériences de diaconie et de présence dansdes contextes inconnus ou multireligieux ontété initiées ; de nouvelles communautés sesont insérées dans des environnements diffici-les, s’exposant souvent au risque de diversesformes de violences. Ces expériences ont ap-porté de grands changements à l’intérieur desfamilles religieuses, que ce soit comme ethosculturel à partager ou comme modèles d’Égli-se et styles de spiritualité innovateurs. Cetexode a naturellement mis en cause les sché-mas de formation traditionnels, inadéquatspour les nouvelles vocations et les nouveauxcontextes. Tout cela est certainement unegrande richesse mais également source de di-verses tensions qui sont parfois arrivées jus-qu’à la rupture, surtout dans les congréga-tions ayant moins d’expérience missionnaire.

8. L’évolution contemporaine de la so-ciété et des cultures, entrée dans des phasesde changements rapides et étendus, imprévi-

26


sibles et chaotiques, a aussi exposé continuel-lement la vie consacrée aux défis de s’ajuster.Ceci comporte et requiert constamment denouvelles réponses et s’ajoute à une crise devision historique et de profil charismatique.Le signe de cette crise est une fatigue évi-dente. Il faut reconnaître que, dans certainscas, il s’agit proprement d’une incapacité àpasser d’une administration ordinaire (mana-gement) à une direction qui soit à la hauteurde la nouvelle réalité dans laquelle il faut semettre sagement en jeu. Ce n’est pas unetâche facile de faire le saut d’une simple ad-ministration de réalités bien connues à unedirection vers des buts et des idéaux, avec uneconviction qui suscite une véritable confian-ce. Ceci implique de ne pas se contenter demettre au point des stratégies de simple sur-vie mais exige la liberté nécessaire pour lan-cer des processus, comme ne cesse de le rap-peler le pape François. Surtout, un ministèrede direction devient de plus en plus néces-saire, capable de solliciter une réelle synoda-lité qui alimente un dynamisme de synergie.C’est seulement dans cette communion d’in-tentions qu’il sera possible de gérer la transi-tion avec patience, sagesse et clairvoyance.

Avec le temps, certains nœuds sont deve-nus de plus en plus complexes et paralysantspour la vie consacrée et ses institutions. La si-

27


tuation de changement accéléré risque d’em-brouiller la vie consacrée, la contraignant àvivre d’urgences et non d’horizons. Parfois, ilsemble que la vie consacrée soit presque com-plètement repliée sur la gestion du quotidienou sur un exercice de simple survie. Cettemanière d’affronter la réalité est au détri-ment d’une vie pleine de sens et capable d’untémoignage prophétique.

La gestion continuelle des urgences tou-jours plus contraignantes consume plusd’énergie qu’on ne le pense. Malheureuse-ment, le risque est que l’on soit complète-ment absorbé à endiguer les problèmes plu-tôt qu’à imaginer des parcours. Dans cet ef-fort fébrile, on a presque l’impression quel’impulsion charismatique du Concile s’estaffaiblie. Il semble que le grand engagementau renouveau et à la créativité ait été récem-ment suivi d’une stagnation sans issue alorsque l’on est justement appelé à embrassergénéreusement de nouveaux exodes. Dans denombreux cas, la peur de l’avenir affaiblit etdévitalise ce ministère prophétique – sur le-quel insiste le pape François 12 – que la vieconsacrée est appelée à exercer dans l’Églisepour le bien de toute l’humanité.

12 FRANÇOIS, Lettre apostolique à tous les consacrés à l’oc-casion de l’Année de la vie consacrée (21 novembre 2014).

28


9. À ce point du chemin, il est salutaire etnécessaire de s’arrêter pour discerner la qua-lité et le degré de maturation du vin nouveauqui a été produit pendant la longue saison durenouveau post-conciliaire. Certaines ques-tions se posent. La première concerne l’har-monie et la cohérence entre les structures, lesorganismes, les rôles et les styles existant de-puis longtemps et ceux qui ont été introduitsces dernières années pour répondre à ce quia été dicté par le Concile 13. La secondepousse à évaluer si les éléments de médiation,qui sont aujourd’hui en exercice dans la vieconsacrée, sont adéquats pour accueillir lesnouveautés plus évidentes et pour soutenir– dans la métaphore du vin nouveau qui fer-mente et bouillonne – sa nécessaire transitionvers la pleine stabilité. Enfin, nous pouvonsnous demander si celui que nous goûtons etoffrons à boire est vraiment un vin nouveau,s’il a du corps et s’il est sain. Ou s’il s’agit, endépit de toutes les bonnes intentions et desefforts louables, d’un vin coupé d’eau pourcouvrir les conséquences acides d’une ven-dange mal faite et de vignes mal émondées?

On peut se poser ces questions avec simpli-cité et parrhésie, sans céder à des sentiments

13 Cf. CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II, Décret sur lerenouveau de la vie religieuse Perfectae caritatis, 2-4.

29


de culpabilité qui risquent de bloquer encoredavantage. Nous pouvons prendre un peu detemps pour regarder ensemble ce qui se pro-duit dans les outres de notre vie consacrée.Il s’agit de faire le point sur la qualité du vinnouveau et du bon vin et non de se culpabiliserou d’accuser. Ce vin, dont nous sommes lesgardiens aimants, nous sommes appelés à leservir pour la joie de tous et, d’une manièretoute particulière, pour les plus pauvres et lesplus petits.

Nous ne devons pas avoir peur de recon-naître honnêtement que, malgré toute unesérie de changements, le vieux schéma insti-tutionnel peine à céder le pas à des modèlesnouveaux avec détermination. Toute la cons-tellation de langages et de modèles, de va-leurs et de devoirs, de spiritualités et d’iden-tités ecclésiales auxquels nous sommes habi-tués n’a peut-être pas encore laissé place à laréception et à la stabilisation du nouveauparadigme né de l’inspiration et de la prati-que post-conciliaires. Nous vivons une phasede réélaboration nécessaire et patiente detout ce qui constitue le patrimoine et l’iden-tité de la vie consacrée dans l’Église et devantl’histoire. De même, nous devons indiquer etlire cette résistance tenace, restée longtempssous couvert et dont la réapparition explicite

30


dans de nombreux contextes est une réponsepossible à un sentiment de frustration à peinevoilé. Dans certaines réalités de la vie consa-crée, parfois même importantes du point devue numérique et des moyens à disposition,on est incapable d’accueillir les signes dunouveau : habitué au goût du vin vieux etrassuré par des modalités déjà expérimen-tées, on n’est réellement disponible qu’à deschangements sans importance en substance.

10. Après avoir présenté et partagé l’étatdans lequel se trouve la vie consacrée au mo-ment actuel, nous voulons présenter quel-ques incohérences et résistances. Ce type departage veut être offert avec vérité et loyauté.Nous ne pouvons plus renvoyer la tâche decomprendre ensemble où est le nœud à dé-faire pour sortir des paralysies et surmonter lapeur devant l’avenir. En plus de chercher ànommer ce qui bloque ce dynamisme decroissance et de renouveau, propre à la pro-phétie de la vie consacrée, il nous sembleopportun de donner quelques orientationspour ne pas rester emprisonnés par la peurou la paresse. En ce sens, nous chercherons àoffrir quelques suggestions à propos de par-cours de formation, les avertissements juridi-ques nécessaires pour avancer, quelques

31


conseils sur le ministère de l’autorité pourqu’il soit au service d’un style de vie frater-nelle dans une réelle communion. En outre,il nous semble nécessaire d’être particulière-ment attentifs à deux autres domaines sensi-bles pour la vie consacrée : la formation et lacommunion des biens.

Comme fondement de tout chemin, ilnous semble important de souligner le besoind’un nouvel élan de sainteté pour les hom-mes et femmes consacrés, impensable sans unsursaut de passion renouvelée pour l’Évangileau service du Royaume. L’Esprit du Ressus-cité, qui continue de parler à l’Église par sesinspirations, nous pousse sur ce chemin.

Le pape François nous confirme sur ceparcours : « À vin nouveau, outres neuves.La nouveauté de l’Évangile. Que nous ap-porte l’Évangile? Joie et nouveauté. À la nou-veauté, nouveauté ; à vin nouveau, outres neu-ves. Et ne pas avoir peur de changer les cho-ses selon la loi de l’Évangile. Et pour cela,l’Église nous demande, à nous tous, quelqueschangements. Elle nous demande de laisserde côté les structures caduques : elles ne ser-vent à rien! Et prendre des outres neuves,celles de l’Évangile. L’Évangile est nou-veauté ! L’Évangile est fête ! Et on ne peutpleinement vivre l’Évangile que dans uncœur joyeux et dans un cœur renouvelé.

32


Place à la loi des béatitudes, à la joie et à laliberté que la nouveauté de l’Évangile nousapporte. Que le Seigneur nous donne lagrâce de ne pas rester prisonniers, maisqu’il nous donne la grâce de la joie et de laliberté qui nous apporte la nouveauté del’Évangile » 14.

14 FRANÇOIS, Méditation du matin dans la chapelle de laMaison Sainte Marthe, Rome (5 septembre 2014).

33


II.

DÉFIS ENCORE OUVERTS

11. Ce que dit Jésus de la résistance auchangement – parce que le vieux est bon(cf. Lc 5,39) – est un phénomène que nousrencontrons dans tous les fonctionnementshumains et les systèmes culturels. Commel’enseigne l’Évangile avec la parabole dubon grain et de l’ivraie (Mt 13,25-30) et celledu filet plein de poissons bons et mauvais(Mt 13,47-48), souvent les œuvres bonnessont mélangées à d’autres moins bonnes.Si cela ne doit pas nous étonner, en mêmetemps cela doit nous garder continuellementvigilants pour reconnaître les limites et lesfragilités qui empêchent les processus né-cessaires à un témoignage authentique etcrédible.

Tout système stabilisé tend à résister auchangement et s’emploie à maintenir sa posi-tion, parfois en occultant les incohérences,en acceptant de rendre opaques le vieux et lenouveau, en niant la réalité et les frictions aunom d’une concorde fictive ou en allant jus-qu’à dissimuler ses propres finalités par des

35


ajustements de surface. Malheureusement,les exemples ne manquent pas où l’on ren-contre une adhésion purement formelle sansla nécessaire conversion du cœur.

Vocation et identité

12. Avec un sain réalisme, nous devonsrelever, en premier, la permanence d’unnombre élevé d’abandons de la vie religieuse.Il est important de mettre en lumière lescauses principales de ces abandons, survenusaprès les passages principaux du chemin deformation (profession, ordination) comme àun âge avancé. Un tel phénomène se pré-sente désormais dans tous les contextes cultu-rels et géographiques.

Il faut dire clairement qu’il ne s’agit pastoujours et seulement de crises affectives.Souvent, ces crises affectives sont le fruitd’une lointaine déception d’une vie de com-munauté sans authenticité. L’écart entre cequi est proposé au niveau des valeurs et cequi est vécu concrètement peut conduire jus-qu’à une crise de la foi. Le nombre excessifd’activités pressantes et exagérément urgen-tes risque de ne pas permettre une vie spiri-tuelle solide et capable de nourrir et de sou-tenir le désir de fidélité. Dans certains cas,l’isolement des plus jeunes dans des com-

36


munautés composées surtout de personnesâgées, qui ont des difficultés à entrer dans unstyle de spiritualité, de prière et d’activitéspastorales requis par la nouvelle évangélisa-tion, risque de miner l’espérance dans uneréelle promesse de vie. Cette frustration faitalors envisager l’abandon comme uniquevoie de sortie pour ne pas succomber.

Les recherches sociologiques ont montréqu’il ne manque pas chez les jeunes d’aspira-tions à des valeurs authentiques pour lesquel-les ils sont prêts à s’engager sérieusement.On rencontre chez les jeunes une disponibi-lité à la transcendance, une capacité de sepassionner pour des causes de solidarité, dejustice et de liberté. La vie religieuse, avec sesstyles standardisés – trop souvent hors de toutcontexte culturel – et le souci peut-être exces-sif pour la gestion des œuvres, risque de nepas saisir le désir plus profond des jeunes.Cela crée un vide qui rend toujours plus dif-ficile le renouvellement générationnel et troppénible le nécessaire dialogue intergénéra-tionnel.

Nous devons pour cela nous interrogersérieusement sur le système de formation.Certes, ces dernières années, nous avons ap-porté des changements, y compris positifs etdans la bonne direction. Mais cela s’est fait demanière discontinue et sans parvenir à modi-

37


fier les structures essentielles et porteuses dela formation. Il semble que, malgré tous lesefforts et l’engagement consentis dans la for-mation, on ne parvient pas à toucher le cœurdes personnes et à le transformer réellement.On a l’impression que la formation est plusinformative que performative. Le résultat estla permanence d’une fragilité des personnes,que ce soit dans leurs convictions existentiel-les ou dans leur parcours de foi. Cela conduità une aptitude psychologique et spirituelleminimale, avec pour conséquence une inca-pacité à vivre sa mission avec générosité et demanière courageuse en ce qui concerne ledialogue avec la culture et l’insertion socialeet ecclésiale.

13. La récente évolution de nombreuxinstituts a rendu plus aigu le problème del’intégration entre cultures différentes. Pourcertains instituts, se profile désormais unesituation de gestion difficile : d’un côté, desdizaines de membres âgés, liés aux traditionsculturelles et institutionnelles classiques etparfois installées et, de l’autre, un groupenombreux de membres jeunes – provenantde différentes cultures – qui frémissent, sesentent marginalisés et n’acceptent plus lesrôles subalternes. Le désir de prendre enmain la responsabilité pour sortir d’une situa-

38


tion de soumission, pourrait entraîner cer-tains groupes à des formes de pression dansles sièges décisionnels. De là émergent desexpériences de souffrance et de marginalisa-tion, d’incompréhension et d’excès qui ris-quent de mettre en cause le processus incon-tournable d’inculturation de l’Évangile.

Cette difficulté d’inculturation révèle plusprofondément la distance croissante entre unmode classique de penser à la vie consacréeet à ses formes standardisées et la manièredifférente dont elle est perçue et désirée dansdes contextes ecclésiaux et culturels émer-gents. Il faut prendre acte d’un processus dedésoccidentalisation, ou de dé-européisationde la vie consacrée qui semble aller de pairavec un processus massif de mondialisation.Il devient toujours plus clair que le plus im-portant n’est pas la conservation des formes,mais la disponibilité à repenser, dans unecontinuité créative, la vie consacrée en tantque mémoire évangélique d’un état perma-nent de conversion d’où jaillissent des intui-tions et des choix concrets.

Choix de formation

14. Dans ce domaine, les Instituts ont ac-compli des efforts remarquables, aidés encela par les initiatives des différentes Confé-

39


rences de Supérieurs majeurs (nationales etinternationales). En dépit de tout ce travail,on constate encore une faible intégration en-tre vision théologique et vision anthropologi-que dans la conception de la formation, dumodèle de formation et de la pédagogie édu-cative. Ce n’est pas simplement une questionthéorique, parce que ce manque d’intégra-tion ne permet pas de faire interagir et dialo-guer entre elles les deux composantes essen-tielles et indispensables d’un chemin decroissance : la dimension spirituelle et la di-mension humaine. On ne peut plus penserque ces deux dimensions procèdent de façonautonome sans être traitées dans une harmo-nieuse complémentarité.

Se soucier d’une croissance harmonieusedes dimensions à la fois spirituelle et hu-maine comporte une attention à l’anthropo-logie spécifique des différentes cultures et àla sensibilité des nouvelles générations, ense référant particulièrement aux nouveauxcontextes de vie. Seule une nouvelle compré-hension profonde de la symbolique qui tou-che vraiment le cœur des nouvelles généra-tions peut éviter le danger de se contenterd’une adhésion uniquement superficielle, detendance et même de mode, où la recherchede signes extérieurs semble donner la sécu-rité d’une identité. La nécessité d’un discer-

40


nement des motivations vocationnelles, avecune attention particulière aux différentes zo-nes culturelles et continentales, devient ur-gente 1.

15. Bien que tous les instituts se soientdotés, ces dernières années, de leur propreRatio formationis, les applications du parcoursde formation restent souvent improvisées etminimisées. Ceci se produit en particulierdans les instituts féminins, où les urgencesdes œuvres prévalent trop souvent sur unchemin de formation fécond, systématique etorganisé. La pression des œuvres et des enga-gements de plus en plus lourds pour la ges-tion de la vie courante des communautésrisque de créer une régression dommageablepar rapport aux chemins parcourus immédia-tement après le Concile.

Dans cette perspective, il faudrait éviterune fréquence discontinue à des cours dethéologie comme une fréquence exclusive àdes cours professionnels diplômants, en sau-vegardant les équilibres de la formation à lavie consacrée. En effet, l’un des risques est

1 Cf. CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-CREE ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE, Repartir duChrist. Un engagement renouvelé de la vie consacrée au troisièmemillénaire (19 mai 2002), 19.

41


que chacun se construise un monde à partdont les accès sont jalousement fermés àune quelconque demande de partage. Ainsi,dans un proche avenir, nous ne devrions pasavoir des jeunes consacrés seulement dotésde titres académiques mais aussi formés, ens’identifiant avec ses valeurs, à la vie de lasequela Christi.

16. Certains instituts manquent de sujetsadéquatement préparés à la tâche de forma-tion. C’est une carence assez répandue, enparticulier dans les petits Instituts qui ontétendu leur présence sur d’autres continents.Il faut garder continuellement à l’esprit le faitque la formation ne peut s’improviser maisqu’elle exige une préparation longue etcontinuelle. Sans une solide formation desformateurs, il ne serait pas possible d’avoir unaccompagnement réel et prometteur des plusjeunes de la part de frères et sœurs vraimentpréparés et fiables pour ce ministère. Pourqu’une formation soit efficace, il est néces-saire qu’elle soit basée sur une pédagogieétroitement personnelle et qu’elle ne se li-mite pas à une proposition égale pour tous devaleurs, de spiritualités, de temps, de styles etde modes. Nous sommes face au défi d’unepersonnalisation de la formation où l’on seréapproprie le modèle initiatique. L’initia-

42


tion exige le contact du maître avec le disci-ple, un cheminement côte à côte, dans laconfiance et dans l’espérance.

Dans ce contexte, on réaffirme la nécessitéde prêter une grande attention au choix desformateurs et des formatrices. Ils ont pourmission principale de transmettre aux per-sonnes qui leur sont confiées « la beauté de lasequela Christi et la valeur du charisme parlequel elle se réalise » 2. On requiert d’ellesprincipalement qu’elles soient « des person-nes confirmées sur le chemin de la recherchede Dieu » 3.

Trop souvent, les jeunes sont impliquésprématurément dans la gestion des activitésde manière si pesante et pressante que celarend très difficile la poursuite d’une forma-tion sérieuse. Celle-ci ne peut être confiéeuniquement à la personne chargée directe-ment de la formation des plus jeunes, commesi c’était son problème à elle, mais elle exigela collaboration et la présence harmonieuseet adéquate de toute la communauté, lieu oùest permise « l’initiation à l’effort et à la joiede la vie commune » 4. C’est dans la fraternité


3 Idem.4 Ibid., 67.

43


que l’on apprend à accueillir les autrescomme un don de Dieu, en acceptant leurscaractéristiques positives et en même tempsleurs différences et leurs limites. C’est dans lafraternité que l’on apprend à partager lesdons reçus pour l’édification de tous. C’estdans la fraternité que l’on apprend la dimen-sion missionnaire de la consécration 5.

En ce qui concerne la formation continue,il y a un risque que l’on en parle beaucoupmais que l’on en fasse peu. Il ne suffit pasd’organiser des cours d’information théori-que de théologie et de traiter des thèmes despiritualité, il est urgent de mettre au pointune culture de la formation permanente. De-vraient faire partie de cette culture non seu-lement l’énonciation de concepts théoriquesmais aussi la capacité de révision et de vérifi-cation du vécu concret dans les communau-tés. En outre, il ne faudrait pas confondre laformation permanente, comme occasion deréflexion et de révision, avec une sorte detourisme religieux qui se contente de revisi-ter les lieux d’origine de l’Institut. On ren-contre aussi le risque de reléguer les occa-sions de formation à des occasions spéciales(commémorations de souvenirs de l’Institut,

5 Cf. Idem.

44


célébrations pour les vingt-cinq ans ou lescinquante ans de profession), comme s’il n’yavait pas une exigence intrinsèque au dyna-misme de la fidélité dans les différentes sai-sons de la vie 6.

Il devient de plus en plus important d’in-clure dans la formation continue une sé-rieuse initiation au gouvernement. Cette tâ-che si fondamentale dans la vie des commu-nautés est parfois confiée à l’improviste etmise en œuvre de manière impropre et insuf-fisante.

Relation dans l’humanum

Réciprocité homme-femme

17. Nous sommes héritiers, dans les modè-les de vie, dans les structures d’organisationet de gouvernement, dans les langages etdans l’imaginaire collectif, d’une mentalitéqui mettait en avant de profondes différencesentre l’homme et la femme, au détriment deleur égale dignité. Dans l’Église aussi, et passeulement dans la société, de multiples préju-gés unilatéraux empêchaient de reconnaîtreles qualités du véritable génie féminin 7 et la

6 Cf. Ibid., 70-71.7 Cf. Ibid., 58.

45


contribution originale des femmes. Ce typede sous-évaluation a touché particulièrementles femmes consacrées, tenues en marge de lavie, de la pastorale et de la mission del’Église 8. Le renouveau post-conciliaire a vuémerger et se diffuser une valorisation crois-sante du rôle de la femme. Le XXème siècle aété appelé le « siècle de la femme », surtouten raison du réveil de la conscience fémininedans la culture moderne, reconnu il y a cin-quante ans par Jean XXIII comme l’un des« signes des temps » 9 les plus évidents.

Malgré cela, pendant encore longtemps, ily a eu une attitude de résistance dans lacommunauté ecclésiale et parfois aussi parmiles femmes consacrées elles-mêmes, à l’égardde cette nouvelle sensibilité. Une impulsionparticulière a été donnée récemment par lemagistère même qui a encouragé les femmesà cette prise de conscience de leur dignité. Ilfaut reconnaître en particulier le mérite despontifes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVIqui ont offert un magistère précieux sur cethème. Aujourd’hui, de nombreuses femmesconsacrées offrent une pensée positive qui

8 Cf. Ibid., 579 JEAN XXIII, Let. enc. Pacem in terris sur la paix entre

toutes les nations (11 avril 1963), 22.

46


aide le processus de croissance d’une visionbiblique de l’humanum vis-à-vis d’une sociétémarquée par des stéréotypes machistes dansles schémas mentaux et dans l’organisationsocio-politico-religieuse. Les femmes consa-crées accompagnent avec solidarité la souf-france des femmes qui, dans divers contextesmondiaux, subissent injustices et marginalisa-tion. Certaines d’entre elles apportent unecontribution précieuse en relisant la révéla-tion biblique avec des yeux de femme, pourdécouvrir de nouveaux horizons et de nou-veaux styles, pour vivre avec créativité le « cha-risme de la féminité » 10. Le but de ce travailde l’intelligence, éclairée par la foi et par lapassion ecclésiale, est de promouvoir des re-lations de fraternité et de “sororité” entrehommes et femmes consacrés à l’intérieur del’Église, pour devenir un modèle de durabi-lité anthropologique.

18. Malgré le chemin parcouru, il faut re-connaître que l’on n’a pas encore atteint unesynthèse équilibrée et une purification desschémas et des modèles hérités du passé.Des obstacles persistent encore dans les struc-tures et il reste pas mal de méfiance quand se

10 JEAN-PAUL II, Let. ap. Mulieris dignitatem (15 août1988), 66.

47


présente une occasion de donner aux fem-mes « des espaces de participation dans diverssecteurs et à tous les niveaux, y compris dansles processus d’élaboration des décisions, sur-tout pour ce qui les concerne » 11, dans l’Égli-se et dans la gestion concrète de la vie consa-crée. Les jeunes vocations qui apparaissentportent en elles une conscience féminine na-turellement prononcée. Malheureusement,elle n’est pas toujours reconnue et accueilliecomme une valeur. Les critiques à traverslesquelles se manifeste une certaine désap-probation viennent non seulement des autresfemmes consacrées mais aussi de certainshommes d’Église qui continuent de penseravec des schémas machistes et cléricaux.Nous sommes loin du message de libérationreçu du Christ, que l’Église « a la missionprophétique de […] répandre, en encoura-geant des états d’esprit et des conduitesconformes aux intentions du Seigneur » 12.Comme le répétait saint Jean-Paul II, etcomme le répète souvent aussi le pape Fran-çois, « il est légitime que la femme consacréeaspire à voir reconnaître plus clairement sonidentité, sa compétence, sa mission et sa res-


12 Ibid., 57.

48


ponsabilité, aussi bien dans la conscience ec-clésiale que dans la vie quotidienne » 13.

Dans les milieux de vie consacrée, il man-que une véritable maturation dans la récipro-cité entre homme et femme: une pédagogieadéquate pour les jeunes est urgente, pouratteindre un sain équilibre entre identité etaltérité ; ainsi qu’une aide adéquate pour lesplus âgés afin de les aider à reconnaître l’as-pect positif d’une réciprocité respectueuse etsereine. Nous pouvons parler de dissonancecognitive entre les religieux âgés et les jeunes.Pour les uns, les relations avec le féminin et lemasculin sont caractérisées par beaucoup deréserve, voire de phobie, pour les autres parl’ouverture, la spontanéité et le naturel.

Un autre aspect à relever est la faibles-se que l’on rencontre ad intra des Instituts,par rapport à ce processus anthropologico-culturel de véritable intégration et de com-plémentarité réciproque avec l’élément et lasensibilité féminins et masculins. Saint Jean-Paul II a reconnu comme légitime le désirdes consacrées d’avoir « des espaces de par-ticipation dans différents secteurs et à tousles niveaux » 14, mais de fait, dans la prati-que, nous en sommes encore loin. Et on

13 Idem.14 Ibid., 58.

49


court le risque d’appauvrir gravement l’Égliseelle-même, comme l’a dit le pape François :« Ne réduisons pas l’engagement des femmesdans l’Église, mais promouvons leur rôle actifdans la communauté ecclésiale. Si l’Égliseperd les femmes, dans sa dimension totale etréelle, elle risque la stérilité » 15.

Service de l’autorité

19. Le service de l’autorité ne reste pasétranger à la crise actuelle dans la vie consa-crée. Une première lecture de certaines situa-tions révèle la tendance à une centralisationverticale dans l’exercice de l’autorité, que cesoit au niveau local ou dans les sphères plushautes, outrepassant ainsi la nécessaire sub-sidiarité. Dans certains cas, l’insistance dequelques supérieurs, convaincus de répondre(de manière autonome) à leur conscience,sur le caractère personnel de leur autorité aupoint de rendre quasiment vaine la collabora-tion des Conseils, pourrait être suspecte.D’où une coresponsabilité faible ou ineffi-cace dans la pratique du gouvernement ou,selon le cas, l’absence de délégations oppor-tunes. Le gouvernement ne peut certes pas

15 FRANÇOIS, Discours à l’occasion de la rencontre avecl’épiscopat brésilien, Rio de Janeiro (27 juillet 2013).

50


se concentrer dans les mains d’un seul,contournant ainsi les interdictions canoni-ques 16. Il y a encore dans certains instituts dessupérieurs et des supérieures qui ne tiennentpas compte des décisions capitulaires.

Dans de nombreux cas, on confond lesniveaux général, provincial et local, parceque l’autonomie qui correspond à la subsidia-rité propre à chaque niveau n’est pas garan-tie. De cette façon, on ne favorise pas lacoresponsabilité qui admet des espaces dejuste autonomie. On observe aussi le phéno-mène de supérieurs qui ne sont préoccupésque de maintenir ce status quo, ce “on a tou-jours fait comme cela”. L’invitation du papeFrançois « à être audacieux et créatifs […]à repenser les objectifs, les structures, le styleet les méthodes » 17 vaut également pour lesorganismes et la pratique du gouvernement.

20. Devant de graves questions, ce n’estcertainement pas une pratique sage de recou-rir à des majorités préconstituées par l’auto-rité, en négligeant la force de conviction et lapersuasion, l’information correcte et honnê-te et la clarification des objections. Une pra-

16 Cf. CIC, c. 636.17 FRANÇOIS, Ex. ap. Evangelii gaudium (24 novembre

2013), 33.

51


tique du gouvernement réglée sur la logiquedes coalitions est encore moins acceptable,pire encore si elle est alimentée de préjugés :elle détruit la communion charismatique desinstituts et affecte négativement le sentimentd’appartenance. Saint Jean-Paul II n’a pashésité à rappeler l’antique sagesse de la tradi-tion monastique – « souvent le Seigneur ins-pire un meilleur avis à un plus jeune » (RegulaBenedicti, III, 3) – pour un exercice droit etconcret de la spiritualité de communion quiencourage et assure la participation effectivede tous 18.

Une autorité quelconque, fût-ce le fonda-teur, ne peut se sentir l’interprète exclusif ducharisme ni penser se soustraire aux normesdu droit universel de l’Église. Ces comporte-ments peuvent alimenter et manifester de laméfiance dans les autres composantes ecclé-siales 19, de la famille religieuse ou de la com-munauté de référence.

18 Cf. JEAN-PAUL II, Let. Ap. Novo Millennio ineunte(6 janvier 2001), 45 ; CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS

DE VIE CONSACREE ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE,Instruction Repartir du Christ. Un engagement renouvelé de lavie consacrée au troisième millénaire (19 mai 2002), 14.

19 Cf. CONGREGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CON-SACREE ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionLe service de l’autorité et l’obéissance. Faciem tuam, Domine,requiram (11 mai 2008), 13f.

52


Des épisodes et des situations de manipu-lation de la liberté et de la dignité des person-nes n’ont pas manqué ces dernières années –et en particulier dans les instituts de fonda-tion récente. Non seulement en les réduisantà une dépendance totale qui mortifiait la di-gnité et jusqu’aux droits humains fondamen-taux ; mais jusqu’à les pousser, par diversesimpostures et sous le prétexte de la fidélitéaux projets de Dieu à travers le charisme, àune soumission qui touchait aussi la sphèrede la moralité et jusqu’à l’intimité sexuelle.Au grand scandale de tous quand les faitsviennent à la lumière.

21. Dans le service quotidien de l’autorité,on peut éviter que la personne soit contrainteà demander des autorisations continuellespour le fonctionnement quotidien normal.Qui exerce le pouvoir ne doit pas encouragerdes attitudes infantiles qui peuvent mener àdes comportements déresponsabilisés. Cetteligne conduira difficilement les personnes àla maturité.

Malheureusement, il faut reconnaître quedes situations de ce genre sont plus fréquen-tes que ce que l’on est disposé à accepter età dénoncer, et davantage visibles dans lesinstituts féminins. C’est l’une des raisons qui

53


semble motiver de nombreux abandons.Pour quelques-uns, ils sont l’unique réponseà des situations devenues insupportables.

Toute demande d’abandon devrait êtreune occasion de s’interroger sérieusementsur les responsabilités de l’ensemble de lacommunauté et, en particulier, des supé-rieurs. Il faut dire clairement que l’autorita-risme nuit à la vitalité et à la fidélité desconsacrés ! Le Code affirme avec beaucoupde courage : « La vie fraternelle propre à cha-que Institut […] doit être réglée de façon àdevenir pour tous une aide réciproque pourque chacun réalise sa propre vocation » 20.

Par conséquent, qui exerce son ministèresans la patience de l’écoute et l’accueil de lacompréhension se met dans les conditionsd’un manque d’autorité à l’égard de sesconfrères et consœurs. En effet, « l’autoritédu supérieur doit se caractériser par l’espritdu Christ qui n’est pas venu pour être servimais pour servir » 21. Une attitude inspirée

20 CIC, c. 602 ; cf. CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II,Décret sur le renouveau de la vie religieuse Perfectae cari-tatis, 15.

21 Cf. CONGREGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CON-SACREE ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionLe service de l’autorité et l’obéissance. Faciem tuam, Domine,requiram (11 mai 2008), 14b.

54


de Jésus serviteur qui lave les pieds de sesdisciples pour qu’ils aient part à sa vie et à sonamour 22.

Modèles relationnels

22. En commentant les outres neuves dontparlait Jésus dans l’Évangile, il était dit que lasubstitution des outres n’advient pas par auto-matisme, mais qu’elle exige effort, habileté etdisponibilité au changement. Pour que celase produise, la généreuse disponibilité à re-noncer à toute forme de privilège est exigée.Il faut rappeler que personne, à commencerpar ceux qui sont constitués dans l’autorité,ne peut se considérer exempt d’une série derenoncements à des schémas parfois dépasséset dommageables. Aucun changement n’estpossible sans le renoncement à des schémasobsolètes 23 afin que puissent s’ouvrir de nou-veaux horizons et possibilités dans le gouver-nement, dans la vie commune, dans la ges-tion des biens et dans la mission. En aucunemanière on ne peut s’attarder dans une atti-tude qui ressemble davantage à de la mainte-

22 Cf. Ibid., 12.23 CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II, Décret sur le re-

nouveau de la vie religieuse Perfectae caritatis, 3.

55


nance qu’à une authentique requalificationdu style et des comportements.

Un indice révélateur de cette situationd’impasse est la centralisation persistante dupouvoir décisionnel et le manque d’alter-nance dans le gouvernement des communau-tés et des Instituts.

Avec une parrhésie évangélique, nous de-vons prendre conscience de ce que, dansquelques congrégations féminines, on seheurte au phénomène de perpétuation descharges. Certaines personnes restent dans legouvernement, bien qu’avec des fonctionsdifférentes, pendant trop d’années. Il seraitopportun de faire le nécessaire avec des dis-positions générales appropriées, pour atté-nuer les effets à moyen et long terme de lapratique répandue de cooptation aux rôlesde responsabilité de membres des précédentsgouvernements généraux. En d’autres ter-mes, des règles qui empêchent le maintiendes charges au-delà des échéances canoni-ques, sans permettre de recourir à des formu-les qui, en réalité, contournent ce que lesrègles cherchent à éviter.

23. Un autre point que nous ne pouvonsnous cacher est que, en ces décennies, lacléricalisation de la vie consacrée s’est inten-sifiée. Un des phénomènes les plus évidents

56


en est la crise numérique des instituts reli-gieux laïcs 24. Un autre phénomène est celuides religieux prêtres presque exclusivementconsacrés à la vie diocésaine et moins à la viecommunautaire, qui en est affaiblie.

Reste ouverte la réflexion théologique etecclésiologique sur la figure et la fonction dureligieux-prêtre surtout quand il accepte unservice pastoral.

En outre, il faudrait affronter le phéno-mène de religieux-prêtres accueillis bénévole-ment par l’évêque d’un diocèse sans le discer-nement adéquat et sans les nécessaires vérifi-cations. À l’inverse, il faut également veillersur la facilité de certains instituts religieux àaccueillir sans discernement adéquat desclercs séminaristes sortis des séminaires dio-césains ou d’autres instituts 25. Ces trois pointsne peuvent être en aucune manière négligés,entre autres pour éviter des problématiquesplus graves pour les personnes et pour lescommunautés.

24 Cf. CONGREGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-CREE ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE, Identité et mis-sion du frère religieux dans l’Église, LEV, Cité du Vatican2013.

25 Cf. CONGREGATION POUR LE CLERGÉ, Le don de lavocation presbytérale. Ratio fundamentalis institutionis sacerdo-talis (8 décembre 2016).

57


24. Obéissance et service de l’autorité de-meurent des questions hautement sensibles,parce que les cultures et les modèles ont subides transformations profondes, inédites et,par certains aspects, peut-être aussi déconcer-tantes au moins pour quelques-uns. Dans lecontexte dans lequel nous vivons, la termino-logie elle-même de supérieurs et de sujets n’estplus adéquate. Ce qui fonctionnait dans uncontexte relationnel de type pyramidal etautoritaire n’est plus ni désirable ni vivabledans la sensibilité de communion de notremanière de nous sentir et de nous vouloirÉglise. Il faut garder à l’esprit le fait quel’obéissance véritable ne peut se passer demettre à la première place l’obéissance àDieu, de l’autorité comme de celui qui obéit,et ne peut non plus se passer de la référenceà l’obéissance de Jésus, obéissance qui inclutson cri d’amour Mon Dieu, mon Dieu, pourquoim’as-tu abandonné? (Mt 27,46) et le silenced’amour du Père.

Le pape François adresse une invitationpressante demandant à « toutes les commu-nautés du monde un témoignage de commu-nion fraternelle qui devienne attrayant et lu-mineux. Que tous puissent admirer commentvous prenez soin les uns des autres, comment

58


vous vous encouragez mutuellement et com-ment vous vous accompagnez » 26.

Par conséquent, l’obéissance véritablen’exclut pas, au contraire elle requiert, quechacun manifeste sa conviction mûrie dans lediscernement, y compris lorsque cette convic-tion ne coïncide pas avec ce qui est demandépar le supérieur. Après quoi, si au nom de lacommunion un frère ou une sœur, mêmelorsqu’il voit des choses meilleures, obéitspontanément de sa propre volonté, alors ilmet en pratique l’obéissance caritative 27.

L’impression diffuse est que, assez sou-vent, dans le rapport supérieur-sujet, il man-que la base évangélique de la fraternité. Ondonne davantage d’importance à l’institutionqu’aux personnes qui la composent. Parmiles motifs principaux des abandons, d’aprèsl’expérience de notre Congrégation, on ob-serve non sans raison : l’affaiblissement de lavision de foi, les conflits dans la vie fraternelleet la vie de fraternité faible en humanité.

En réalité, la manière de guider la commu-nauté, de la part des supérieurs, est biendécrite par le Code comme la mise en œuvrede ce que dit Perfectae caritatis : « Les Supé-


27 Cf. FRANÇOIS D’ASSISE, Avis spirituels, III.6.

59


rieurs exerceront dans un esprit de service[…] ils gouvernent leurs sujets comme desenfants de Dieu et, pour promouvoir leurobéissance volontaire dans le respect de lapersonne humaine […] ils chercheront à édi-fier une communauté fraternelle dans leChrist, en laquelle Dieu soit cherché et aiméavant tout » 28.

25. Le rapport Supérieur-fondateur, dansles nouvelles fondations, mérite un relief etune considération particuliers. Tandis qu’ilfaut remercier l’Esprit Saint pour tant de cha-rismes qui rendent vivante la vie ecclésiale,nous ne pouvons pas nous cacher notre per-plexité devant des attitudes où l’on observesouvent une conception étroite de l’obéis-sance qui peut devenir dangereuse. Dans detels cas, on n’encourage pas la collaboration« avec une obéissance active et responsa-ble » 29, mais la suggestion infantile et unedépendance scrupuleuse. On peut ainsiléser la dignité de la personne au point del’humilier.

28 CIC, cc. 618-619 ; cf. CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATI-CAN II, Décret sur le renouveau de la vie religieuse Perfec-tae caritatis, 14.


60


Dans ces nouvelles expériences ou dansd’autres contextes, la distinction entre forexterne et for interne 30 n’est pas toujourscorrectement considérée ni adéquatementrespectée. La garantie sûre de cette distinc-tion évite une ingérence indue qui peut en-gendrer des situations de manque de libertéintérieure, de soumission psychologique quipourraient donner lieu à un certain contrôledes consciences. Il s’agit, dans ces cas commedans d’autres, de ne pas induire chez lesmembres une dépendance excessive qui peutrevêtir des formes de suggestion à la limite dela violence psychologique. Dans ce domaine,il est en outre nécessaire de séparer la figuredu Supérieur de celle du fondateur.

26. D’une vie communautaire nivelée quine laisse pas de place à l’originalité, à laresponsabilité et à des relations fraternellescordiales, découle un manque de partagedans la vie réelle. La compromission de tellesrelations est très évidente dans la manièreconcrète de vivre la communion évangéliquedes biens qui altère les rapports de fraternité.Le pape François avertit : « La crise financièreque nous traversons nous fait oublier qu’à

30 Le c. 630 accorde une attention particulière à cettematière.

61


son origine il y a une profonde crise anthro-pologique : la négation du primat de l’êtrehumain! » 31.

La vie consacrée a été capable, dans salongue histoire, de s’opposer prophétique-ment chaque fois que le pouvoir économiquea risqué d’humilier les personnes et surtoutles plus pauvres. Dans la situation mondialeactuelle de crise financière que nous rappellecontinuellement le pape François, les consa-crés sont appelés à être vraiment fidèles etcréatifs pour ne pas manquer à la prophétiede la vie commune à l’intérieur et de la soli-darité à l’extérieur, en particulier envers lespauvres et les plus fragiles.

Nous sommes passés d’une économie do-mestique à des processus administratifs et degestion qui échappent quasiment à notrecontrôle, qui soulignent notre précarité et,avant même, notre manque de préparation.Nous ne pouvons pas tarder à nous recentrersur la transparence en matière économiqueet financière comme premier pas pour nousréapproprier le sens évangélique authentiquede la communion réelle des biens à l’inté-rieur des communautés et de leur partageconcret avec celui qui vit à côté de nous.


62


27. Dans les communautés, que la distri-bution des biens soit toujours faite dans lerespect de la justice et de la coresponsabilité.Dans certains cas, on constate presque unrégime qui trahit les fondements incontour-nables de la vie en fraternité, tandis que« l’autorité est appelée à promouvoir la di-gnité de la personne » 32. On ne peut accepterun style de gestion où à l’autonomie écono-mique de quelques-uns correspond la dépen-dance d’autres, minant ainsi le sentimentd’appartenance réciproque et la garantied’équité même dans la reconnaissance de ladiversité des rôles et des services.

La réglementation sur le style de vie deshommes et femmes célibataires consacrés nedispense pas d’un discernement sérieux etcirconspect sur la pauvreté de l’institut com-me évaluation, action et témoignage spécifi-que dans l’Église et parmi le peuple de Dieu.

28. Les hommes et les femmes consacrés,enracinés dans la reconnaissance du primatde l’être par rapport à celui de l’avoir, del’éthique par rapport à celui de l’économie,

32 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-CRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionLe service de l’autorité et l’obéissance. Faciem tuam, Domine,requiram (11 mai 2008), 13c.

63


devraient assumer, comme âme de leur ac-tion, une éthique de la solidarité, du partage,évitant la gestion exclusive des ressources en-tre les mains d’un petit nombre.

Les gestions d’Institut ne sont pas en cir-cuit fermé sinon elles n’expriment pas la mar-que de l’ecclésialité. Les biens des institutssont des biens ecclésiaux et participent desmêmes finalités dans le mode évangélique dela promotion de la personne humaine, de lamission, du partage caritatif et solidaire avecle peuple de Dieu : en particulier, la sollici-tude et le souci des pauvres, vécus comme unengagement commun, sont capables de don-ner une nouvelle vitalité à l’institut.

Cette solidarité, vécue certainement à l’in-térieur de chaque institut et de chaque frater-nité, doit être aussi étendue à d’autres insti-tuts. Dans la Lettre apostolique à tous les consa-crés, le pape François invite à la « communionentre les membres des divers instituts » 33.Pourquoi ne pas aussi penser à une commu-nion effective dans le domaine économique,particulièrement avec ces Instituts qui traver-sent des situations de nécessité, en mettant

33 FRANÇOIS, Lettre apostolique à tous les consacrés àl’occasion de l’Année de la vie consacrée (21 novembre2014), II, 3.

64


en commun ses ressources? 34. Ce serait unbeau témoignage de communion au sein dela vie consacrée, un signe prophétique dansnotre société « dominée par une nouvelle ty-rannie, parfois virtuelle, qui impose, de ma-nière unilatérale et implacable, ses lois et sesrègles » 35, la tyrannie du pouvoir et de l’avoirqui « ne connaît pas de limites » 36.

34 Cf. CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-CRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, Lettre circu-laire Lignes d’orientation pour la gestion des biens dans lesInstituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique (2 août2014), 2.3.

35 Cf. FRANÇOIS, Ex. ap. Evangelii gaudium (24 novem-bre 2013), 56.

36 Idem.

65


III.

PRÉPARER DES OUTRES NEUVES

29. Jésus a souvent mis en garde ses disci-ples contre la tendance à rapporter le neufde l’annonce évangélique aux vieilles habi-tudes, avec le risque de le réduire à un ethosde pure répétition. Avec la parabole du vinnouveau, qui doit être mis dans des outresneuves, nous sommes appelés à nous laisserguider par la logique des béatitudes. Le dis-cours sur la montagne est la magna chartapour le chemin de tous les disciples : Vous avezappris qu’il a été dit... Eh bien ! Moi je vous dis(cf. Mt 5,21.27.33.38.43). Si c’est la direc-tion dans laquelle avancer, le Seigneur nousmet pourtant en garde contre tout dangerde régurgitation légaliste : Méfiez-vous de...(Mc 8,15 ; Mt 16,11 ; Lc 12,15).

L’ensemble des paroles et des gestes deJésus pousse continuellement à un processusd’ouverture infinie à la nouveauté du Royaume.Le premier pas de cette ouverture est le dis-cernement et le refus de tout ce qui est encontradiction avec les valeurs substantielles

67


de la fidélité à Dieu, qui se manifeste dans ladisponibilité au service : Parmi vous, il ne doitpas en être ainsi (cf. Mc 10,43). La vie deJésus-Christ est l’histoire d’une nouvelle prati-que dans laquelle s’enracine la vie nouvelle deses disciples appelés à être sensibles aux nou-velles logiques et aux nouvelles priorités sug-gérées par l’Évangile.

Fidélité dans l’Esprit

30. L’analyse des défis encore ouverts,présentée dans la première partie de cesOrientations, doit nous conduire à ce seuilévangélique, prêts à reconnaître les pointsproblématiques pour ouvrir de nouvelles pis-tes d’espérance pour tous. Nous pouvons paranalogie appliquer ce que recommande lepape François : « La pastorale en termes mis-sionnaires exige d’abandonner le confortablecritère pastoral du “on a toujours fait ainsi”.J’invite chacun à être audacieux et créatifdans ce devoir de repenser les objectifs, lesstructures, le style et les méthodes évangélisa-trices de leurs propres communautés » 1.

Il s’agit donc de découvrir les nouveauxparcours vers l’authenticité du témoignage


68


évangélique et charismatique de la vie con-sacrée ; de discerner, puis de lancer les pro-cessus nécessaire de purification et de gué-rison des ferments de la perversité et du vice(cf. 1Cor 5,8). Dans ce processus passionnantet exigeant, les inévitables tensions et souf-frances peuvent être le signal d’une nouvellegestation. En réalité, nous sommes déjà auseuil de nouvelles synthèses qui naîtrontavec des gémissements intérieurs et inexprimables(cf. Rm 8,23.26) et avec l’exercice patient dela fidélité créative 2.

31. Les sollicitations quotidiennes du pa-pe François à la joie de l’Évangile et sanshypocrisie stimulent à une simplification quiretrouve la foi des simples et l’audace dessaints. L’originalité évangélique (Mc 10,43)dont la vie consacrée veut être la prophé-tie incarnée passe à travers des attitudes etdes choix concrets : le primat du service(Mc 10,43-45) et le chemin constant vers lespauvres et la solidarité avec les plus petits(Lc 9,48), la promotion de la dignité de lapersonne quelle que soit la situation danslaquelle elle se retrouve à vivre et à souffrir

2 Cf. JEAN-PAUL II, Ex. ap. post-synodale Vita consecrata(25 mars 1996), 37.

69


(Mt 25,40) et la subsidiarité comme exercicede confiance réciproque et de généreuse col-laboration de tous et avec tous.

32. Pour être capable de répondre auxappels de l’Esprit et aux provocations de l’his-toire, il est bien de se souvenir que : « La vieconsacrée est placée au cœur même de l’Églisecomme un élément décisif pour sa mission,puisqu’elle “fait comprendre la nature intimede la vocation chrétienne” et la “tension detoute l’Église-Épouse vers l’union avec l’uni-que Époux” » 3. C’est pourquoi, sa nature entant que signe, qui connote la vie consacréesur le chemin historique du peuple de Dieu,la situe de manière privilégiée dans la lignede la prophétie évangélique. Cette ligne pro-phétique est le signe et le fruit de sa naturecharismatique qui la rend capable d’inventi-vité et d’originalité. Cela exige la disponibi-lité continuelle aux signaux qui viennent del’Esprit jusqu’à écouter le vent (cf. 1R 19,12).Seule cette attitude permet de reconnaître leschemins mystérieux de la grâce jusqu’à renaî-tre à une nouvelle espérance dans la fécon-dité de la Parole (cf. Jn 4,35).

3 Ibid., 3.

70


33. L’identité, dans toute sa portée, ne sepose pas comme un donné immobile et théo-rique, mais comme un processus partagé decroissance. Le fossé générationnel, l’incultu-ration, la multiculturalité et l’interculturalité,qui caractérisent de plus en plus les institutsde vie consacrée, peuvent devenir d’un lieude pénibilité celui du défi d’un véritable dia-logue communautaire dans la cordialité etdans la charité du Christ. Seulement ainsi,chacun se sentira impliqué et responsabledans le projet communautaire « de façon à deve-nir pour tous une aide réciproque pour quechacun réalise sa propre vocation » 4.

Ces nécessités requièrent une modifica-tion des structures, de sorte qu’elles soientpour tous un soutien dans une confiance re-nouvelée qui relance une fidélité dynamiqueet fraternelle.

Modèles de formation et formation desformateurs

34. Ces dernières années, le monde de laformation a connu une transformation pro-fonde des méthodes, langages, dynamiques,valeurs, finalités et étapes. Le pape Françoisa répété : « Il faut toujours penser dans le

4 CIC, c. 602.

71


peuple de Dieu, à l’intérieur […] Nous nedevons pas former des administrateurs, desgestionnaires, mais des pères, des frères,des compagnons de marche » 5, et encore :« La formation est une œuvre artisanale, etnon policière » 6.

L’adoption de leur propre Ratio formatio-nis, a engagé une bonne partie des instituts àrépondre aux nouvelles exigences. Cepen-dant, on observe un décalage de langage, dequalité et de sagesse mystagogique. Si l’encreest encore fraîche, la révision de ces prescrip-tions, recopiées l’une de l’autre, s’impose ce-pendant. Précisément parce que la questionde la formation est un aspect fondamentalpour l’avenir de la vie consacrée.

35. La formation continue, en particulier,nécessite un soin spécifique comme l’a souli-gné le pape dans son fameux dialogue avecles Supérieurs généraux.

a) La formation continue doit être orien-tée selon l’identité ecclésiale de la vie consa-crée. Il ne s’agit pas seulement de se mettre àjour sur les nouvelles théologies, sur les nor-

5 FRANÇOIS, Réveillez le monde. Entretien du pape Françoisavec les Supérieurs généraux, in La Civiltà Cattolica, 165(2014/I), 11.

6 Ibid., 10.

72


mes ecclésiales ou sur les nouvelles étudesrelatives à l’histoire et au charisme de l’Insti-tut. La tâche consiste à consolider, ou sou-vent aussi à retrouver sa place dans l’Église auservice de l’humanité. Souvent, ce travailcoïncide avec la classique seconde conversion,qui s’impose à des moments décisifs de la vie,comme l’âge du milieu de la vie, une situa-tion de crise ou encore le retrait de la vieactive, en raison de la maladie ou de la limited’âge 7.

b) Nous sommes tous convaincus que laformation doit durer toute la vie. Néanmoins,nous devons admettre qu’il n’existe pas en-core une culture de la formation continue.Cette carence est le fruit d’une mentalité par-tielle et réductrice quant à la formation conti-nue, de sorte que la sensibilité pour son im-portance est faible et que l’implication despersonnes est infime. Au niveau de la prati-que pédagogique, nous n’avons pas encoretrouvé d’itinéraires concrets, sur le plan indi-viduel et communautaire, qui en fassent unréel chemin de croissance dans la fidélitécréatrice avec des retombées appréciables etdurables dans la vie concrète.

7 Cf. JEAN-PAUL II, Ex. ap. post-synodale Vita consecrata(25 mars 1996), 70.

73


c) En particulier, on peine à accepterl’idée que la formation n’est vraiment conti-nue que lorsqu’elle est ordinaire et qu’elles’effectue dans la réalité de tous les jours.Il existe encore une interprétation faible ousociologique de la formation continue, liée àun simple devoir de mise à jour ou à l’exi-gence éventuelle d’une reprise spirituelle etnon d’une attitude continuelle d’écoute et departage d’appels, de problématiques et d’ho-rizons. Chacun est appelé à se laisser toucher,éduquer, provoquer, éclairer par la vie et parl’histoire, par ce qu’il annonce et célèbre, parles pauvres et par les exclus, par les procheset par ceux qui sont loin.

d) Il faut aussi clarifier le rôle de la forma-tion initiale. Elle ne peut se contenter deformer à la docilité et aux saines coutumeset traditions d’un groupe, mais elle doit ren-dre le jeune consacré réellement docibilis.Cela signifie former un cœur libre d’appren-dre de l’histoire de chaque jour, pendanttoute la vie, dans le style du Christ, pour semettre au service de tous.

e) De manière spéciale et en référence àce thème, une réflexion sur la dimensionstructurelle et institutionnelle de la for-mation permanente devient indispensable.De même qu’autrefois, après le Concile de

74


Trente, sont nés les séminaires et les noviciatspour la formation initiale, ainsi aujourd’huinous sommes appelés à réaliser des formeset des structures qui soutiennent le chemi-nement de tous les consacrés vers la progres-sive conformation aux sentiments du Fils(cf. Ph 2,5). Ce serait un signal institutionnelextrêmement éloquent.

36. Les Supérieurs sont appelés à être pro-ches des personnes consacrées dans toutes lesproblématiques qui concernent leur cheminau niveau personnel comme communautaire.C’est la tâche particulière des Supérieursd’accompagner, par un dialogue sincère etconstructif, ceux qui sont en formation ouqui rentrent, à titres divers, dans ces par-cours. Les difficultés qui sont apparues impo-sent que l’on encourage une vie fraternelleoù les éléments humanisants et évangéliquestrouvent un équilibre afin que chacun sesente coresponsable et en même temps soitreconnu indispensable pour la constructionde la fraternité. De fait, la fraternité est le lieud’une éminente formation continue.

37. De nouvelles compétences profession-nelles doivent être opportunément préparéesaussi dans la formation des formateurs encontextes multiculturels. « Les bonnes struc-

75


tures aident mais, seules, elles ne suffisentpas » 8. Les structures internationales ou inter-provinciales finalisées à la formation des can-didats comportent une introduction au rôlede formateurs/formatrices qui soient réelle-ment convaincus que « le christianisme n’apas un modèle culturel unique, mais “tout enrestant pleinement lui-même, dans l’absoluefidélité à l’annonce évangélique et à la tradi-tion ecclésiale, il revêtira aussi le visage desinnombrables cultures et des innombrablespeuples où il est accueilli et enraciné” » 9.Ceci comporte la capacité et l’humilité de nepas imposer un système culturel mais de fé-conder chaque culture avec la semence del’Évangile et de sa propre tradition charisma-tique en évitant soigneusement la « sacralisa-tion vaniteuse de sa propre culture » 10.

La synergie de nouveaux savoirs et compé-tences peut être utile à un accompagnementde formation dans un contexte multiculturelparticulier, pour dépasser des formes d’assi-milation et d’homologation qui, à la longue,réémergent – pendant l’itinéraire de forma-

8 BENOÎT XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007),25.


10 Ibid., 117.

76


tion et ailleurs – déclenchant des problémati-ques qui ont une incidence négative sur lesentiment d’appartenance à l’institut et sur lapersévérance dans la vocation à la sequelaChristi.

Vers des relations évangéliques

Réciprocité et processus multiculturels

38. Réfléchir sur la vie consacrée fémi-nine signifie s’interroger concrètement tantsur les institutions que sur les femmes consa-crées en tant qu’individus et que communau-tés, en tenant compte de la complexité denotre temps. Il faut prendre acte que, cesdernières années, en particulier depuis Mulie-ris dignitatem (1988), le Magistère a sollicité etaccompagné une vision respectueuse des pro-cessus culturels et ecclésiaux sur l’identitéféminine qui a des répercussions, de manièreévidente (ou parfois latente), dans le vécu desinstituts.

En particulier, les diversités culturellesobligent à un double cheminement d’enraci-nement dans l’appartenance à une culturepropre spécifique et la capacité d’en trans-cender les limites dans un souffle évangéli-que toujours plus ample. Avec la professionreligieuse, le consacré choisit de vivre une

77


médiation entre son inscription culturellespécifique et son aspiration à une vie évangé-lique qui, nécessairement, élargit ses hori-zons et approfondit sa sensibilité. Il devienturgent d’explorer cette fonction de média-tion sans qu’elle soit soumise aux particularis-mes de la diversité culturelle.

Dans cette perspective, apparaît commeévidente la nécessité d’une reconsidérationde la théologie de la vie consacrée dans seséléments constitutifs, en accueillant les de-mandes émergentes du monde féminin et enles raccordant au monde masculin. L’accentsur le spécifique ne doit pas supprimer l’ap-partenance à une commune humanité. Il de-vient donc important de se réapproprier desapproches interdisciplinaires, non seulementdans le domaine théologique mais aussi danscelui des sciences humaines dans leurs multi-ples articulations.

39. D’une manière particulière, une atten-tion urgente et spéciale doit se porter sur larécente internationalisation précipitée, sur-tout dans les instituts féminins, avec des solu-tions souvent improvisées et sans une pru-dente gradualité. Il faut prendre acte du faitque la dilatation géographique n’a pas étéaccompagnée par une révision adéquate desstyles et des structures, des schémas mentaux

78


et des connaissances culturelles qui permet-tent une réelle inculturation et intégration.En particulier, ce manque de renouvellementconcerne la valorisation de la façon de sesentir femme dans l’Église et dans la société,comme l’indique aussi le Magistère pontifi-cal. Le manque de prise de conscience ou,pire, le rejet de la question féminine entraîneune retombée négative avec de graves dom-mages pour les nouvelles générations de fem-mes. En effet, de nombreuses femmes, s’enremettant à l’institut pour être introduites etformées à la sequela Christi, se retrouvent obli-gées d’assumer des modèles de comporte-ment devenus obsolètes surtout en ce quiconcerne des rôles qui ont plus un goût de« servitude » que de service dans la libertéévangélique.

40. Les processus d’internationalisationdevraient engager tous les instituts (mascu-lins et féminins) à devenir des laboratoiresd’hospitalité solidaire où sensibilités et cultu-res différentes peuvent acquérir une force etdes significations non connues ailleurs etdonc hautement prophétiques. Cette hospita-lité solidaire se construit avec un vrai dialo-gue entre les cultures pour que tous puissentse convertir à l’Évangile sans renoncer à leur

79


propre particularité. L’objectif de la vieconsacrée ne sera pas de se maintenir commeun état permanent dans les cultures diversesqu’elle rencontrera, mais de maintenir per-manente la conversion évangélique au cœurde la construction progressive d’une réalitéhumaine interculturelle.

Parfois, une vision anthropologique et spi-rituelle faible et non acculturée de l’identitéféminine risque d’éteindre ou de blesser lavitalité des sodales présents dans les institutsde vie consacrée. Il y a encore beaucoup àfaire pour encourager des modèles commu-nautaires convenant à l’identité féminine desconsacrées. À ce propos, il faut renforcer lesstructures relationnelles de confrontation etde « sororité » entre les supérieures et lessœurs. Aucune sœur ne doit être reléguéedans un état de sujétion, ce qui, hélas, serencontre fréquemment. Cet état favorise desinfantilismes dangereux et pourrait empê-cher la maturation globale de la personne.

Que l’on veille à ce que l’écart entre lesconsacrées dont le service est l’autorité (auxdifférents niveaux) ou qui ont la charge del’administration des biens (aux différents ni-veaux) et les sœurs qui dépendent d’elles nedevienne pas source de souffrance en raisonde la disparité et de l’autoritarisme. Cela se

80


produit lorsque les premières développentune maturité et une vision, tandis que lesautres sont appauvries même des formes lesplus élémentaires de décision et de dévelop-pement des ressources personnelles et com-munautaires.

Service de l’autorité : modèles relationnels

41. Dans la vision plus ample de la vieconsacrée élaborée depuis le Concile, on estpassé de la centralité du rôle de l’autorité à lacentralité de la dynamique de la fraternité.C’est pourquoi l’autorité ne peut qu’être auservice de la communion: un vrai ministèrepour accompagner les frères et les sœurs versune fidélité consciente et responsable.

En effet, la confrontation entre frères ousœurs et l’écoute des personnes individuel-les deviennent un lieu incontournable pourun service de l’autorité qui soit évangélique.Le recours à des techniques managériales ouà l’application spiritualisante et paternalistede modalités considérées comme l’expres-sion de la « volonté de Dieu », sont réducteurspar rapport à un ministère appelé à seconfronter aux attentes d’autrui, à la réalitéquotidienne et aux valeurs vécues et parta-gées en communauté.

81


42. Dans le rapport Supérieur/sujet, le dé-fi est celui d’un partage responsable d’un pro-jet commun, dépassant la simple exécutiond’obéissances qui ne servent pas l’Évangilemais uniquement la nécessité de maintenir lasituation en cours ou de répondre aux urgen-ces de gestion en particulier économique.

Dans cette perspective, la requête que re-çoit ce Dicastère à l’occasion de l’approbationde Constitutions (réécriture et/ou amende-ments) peut être examinée, afin que l’on pro-cède à une reformulation de la terminologiejuridique en vigueur, quant aux termes de su-périeur et sujet. C’est ce que le décret conci-liaire Perfectae caritatis avait explicitement in-vité à faire lorsqu’il disait : « L’organisation dela vie, de la prière et de l’activité doit êtreconvenablement adaptée aux conditions phy-siques et psychiques actuelles des religieux etaussi, dans la mesure où le requiert le carac-tère de chaque institut, aux besoins de l’apos-tolat, aux exigences de la culture, aux condi-tions sociales et économiques » 11.

43. Il faut donc encourager un service del’autorité qui appelle à une collaboration et àune vision commune dans le style de la frater-


82


nité. Le Dicastère, en phase avec le cheminconciliaire, a émis en son temps l’InstructionLe service de l’autorité et l’obéissance. Faciem tuam,Domine, requiram, reconnaissant que « ce thè-me exige un effort particulier de réflexionsurtout en raison des changements survenusces dernières années au sein des instituts etdes communautés et aussi à la lumière despropositions contenues dans les plus récentsdocuments magistériels sur le renouveau dela vie consacrée » 12.

En effet, on ne peut pas ne pas être préoc-cupé – plus de cinquante ans après la clôturedu Concile – par la permanence de styles etde pratiques de gouvernement qui s’éloi-gnent de l’esprit de service, ou le contredi-sent, au point de dégénérer en formes d’au-toritarisme.

44. La légitime prérogative d’une autoritépersonnelle des supérieurs et des supérieu-res 13 est, dans certains cas, interprétée com-me une autorité privée à la limite d’un rôlemal compris, comme avertit le pape François :

12 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-CRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionLe service de l’autorité et l’obéissance. Faciem tuam, Domine,requiram (11 mai 2008), 3.

13 Cf. CIC, c. 618.

83


« Pensons aux dommages que causent au peu-ple de Dieu les hommes et les femmesd’Église qui sont carriéristes, arrivistes, quiutilisent le peuple, l’Église, leurs frères etsœurs – ceux qu’ils devraient servir – commeun tremplin pour leurs propres intérêts etleurs ambitions personnelles. Mais ceux-cifont beaucoup de tort à l’Église » 14. De plus,celui qui exerce le service de l’autorité doit segarder « de céder à la tentation de l’autosuf-fisance personnelle, à savoir de croire quetout dépend de lui ou d’elle » 15.

45. Une autorité autoréférentielle se sous-trait à la logique évangélique d’une responsa-bilité parmi les frères et les sœurs, minant eneux les certitudes de la foi qui doivent lesguider 16. S’ouvre ainsi un cercle vicieux quicompromet la vision de foi, présupposé sanséquivoque à la reconnaissance du rôle dessupérieurs. Cette reconnaissance ne se limite

14 FRANÇOIS, Discours aux participants à l’Assemblée pléniè-re de l’Union internationale des Supérieures générales (Rome,8 mai 2013), 2.

15 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-CRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionLe service de l’autorité et l’obéissance. Faciem tuam, Domine,requiram (11 mai 2008), 25a.

16 Cf. PAUL VI, Ex. ap. Evangelica testificatio (29 juin1971), 25.

84


pas à prendre acte de la personnalité du oude la titulaire de service, mais va bien au-delà.Il s’agit d’avoir confiance et de se faire mu-tuellement confiance et en vérité.

Dans les situations de conflits et de conten-tieux aussi, le recours à des formes d’autori-tarisme déclenche une spirale d’incompré-hensions et de déchirures qui, bien au-delàdes cas concrets, alimente dans l’institut dé-sorientation et méfiance ou encore de lour-des hypothèques sur l’avenir proche de l’ins-titut. Celui qui est appelé à un service del’autorité – dans n’importe quelle situation –ne peut manquer au sens de la responsabilitéqui comporte, avant tout, un sens équilibréde ses propres responsabilités à l’égard de sesfrères et sœurs. « Tout cela est rendu possibleà partir de la confiance dans la responsabilitédes frères, “suscitant leur obéissance volon-taire dans le respect de la personne hu-maine”, et à travers le dialogue en se souve-nant que l’adhésion doit être assumée “enesprit de foi et d’amour à la suite du Christobéissant” et non pour d’autres motifs » 17.

17 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-CRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionLe service de l’autorité et l’obéissance. Faciem tuam, Domine,requiram (11 mai 2008), 14b.

85


46. « Que les Supérieurs constitués pourun temps défini ne demeurent pas trop long-temps, sans interruption, dans des offices degouvernement » 18. La norme du Code est en-core en phase de réception ; il y a des varia-bles, importantes aussi, dans la pratique desinstituts. Les motivations habituellementadoptées pour proroger le mandat – outre lestermes prévus par le Droit propre – répon-dent à des situations d’urgence ou de carencede ressources, avec une référence spécifiqueaux communautés locales. L’influence destraditions propres à un institut a contribué àstabiliser une certaine mentalité qui, de fait,fait obstacle à la rotation. On finit ainsi partransformer un rôle de service en une rentede situation. Dans cette perspective, les règlesdéterminées par le Droit propre, si elles sontinadéquates, doivent être revues ; si elles sontclaires dans la direction qu’elles donnent,elles doivent être respectées.

Un examen attentif du ralentissementdans le remplacement des Supérieur(e)s sem-ble indiquer davantage la préoccupation d’as-surer une continuité de la gestion des œuvreset moins d’attention aux exigences de l’ani-mation religieuse et apostolique des commu-

18 CIC, c. 624 § 2.

86


nautés. En outre, dans un cadre d’évaluationdes communautés, la présence de frères etsœurs des dernières générations pose lesconditions d’un changement générationnel.Le retard dans la rotation pourrait être com-pris comme un manque de confiance dansleurs capacités et possibilités au point decréer un vide qui risque de se révéler, par lasuite, impossible à combler.

47. Nous devons tous nous souvenir de cequ’a dit le pape François à ce sujet : « Et dansla vie consacrée aussi on vit la rencontre en-tre les jeunes et les personnes âgées, entreobservance et prophétie. Ne les voyons pascomme deux réalités opposées ! Cela fait dubien aux personnes âgées de communiquerla sagesse aux jeunes : et cela fait du bien auxjeunes de recueillir ce patrimoine d’expé-rience et de sagesse, et de le porter de l’avant,non pour le conserver dans un musée, maispour le porter de l’avant en affrontant lesdéfis que la vie nous présente, le porter del’avant pour le bien des familles religieusesrespectives et de toute l’Église » 19.

19 FRANÇOIS, Homélie de la Fête de la Présentation duSeigneur pour la XVIIIème Journée mondiale de la vieconsacrée, Rome (2 février 2014).

87


Service de l’autorité : chapitres et conseils

48. Dans ce travail continuel de discerne-ment et de renouvellement, les « Chapitresgénéraux ou particuliers (ou les réunionsanalogues) revêtent une importance spé-ciale ; dans de tels cadres, chaque institut estappelé à élire les Supérieurs ou les Supérieu-res, suivant les normes fixées par les Consti-tutions, et à discerner, à la lumière de l’Es-prit, les modalités qui conviennent pourconserver et actualiser, dans les différentessituations historiques et culturelles, son cha-risme et son patrimoine spirituel propres » 20.En outre, le Chapitre « doit être composé detelle sorte que, représentant l’institut toutentier, il soit un vrai signe de son unité dansla charité » 21.

La réflexion sur la représentation capitu-laire part de son horizon le plus authentique :l’unité dans la charité. Les règles et les pro-cédures pour élire les sœurs et les frères auxChapitres – en particulier au niveau général –ne peuvent pas ne pas prendre en compte lenouveau cadre culturel et générationnel quicompose aujourd’hui le visage de nombreux


21 CIC, c. 631 § 1.

88


instituts de vie consacrée et sociétés de vieapostolique. La dimension multiculturelledoit s’exprimer de manière juste et équili-brée dans la composition capitulaire.

49. Le problème devient évident lorsqueles règles et les procédures se révèlent inadé-quates ou obsolètes, résultant dans un désé-quilibre représentatif avec le risque d’exposerla composition capitulaire à des hégémoniesculturelles impropres ou à des cadres généra-tionnels restreints. Pour éviter ces distorsions,il est nécessaire d’engager progressivement lareprésentation de sœurs-frères appartenant àdes zones culturelles différentes. Il s’agit defaire confiance à ceux qui, considérés dansnos milieux comme trop jeunes, auraientdans d’autres cadres – civils et culturels –les capacités requises pour exercer des res-ponsabilités importantes en raison de leurscompétences. Les procédures devraient ga-gner en souplesse pour garantir une repré-sentation plus ample et prévoyante afin degarantir la construction d’un avenir souhaita-ble et vivable.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement lacorrection des procédures et la docilité intel-ligente aux choix de méthode, mais il s’agitde « faire la lumière autant que possible sur la

89


volonté du Christ pour le chemin de la com-munauté » – écrit la Règle de Taizé – dans unesprit de recherche purifié par le seul désirde discerner le dessein de Dieu.

50. La volonté de chaque membre duChapitre, ouverte à l’Esprit, doit accompa-gner toutes les décisions au sein de l’assem-blée ; elle ne dédaigne pas l’échange decontributions et de points de vue qui, bienque différents, concourent à la recherche dela vérité. De cette façon, la tension vers l’una-nimité et la possibilité de l’atteindre ne sontpas des buts utopiques mais au contraire ex-priment le fruit le plus clair de l’écoute et dela disponibilité commune à l’Esprit.

Il ne serait pas prudent de reléguer lediscernement à l’intérieur des horizons pri-vés des membres du Chapitre, comme sicelui-ci était une entreprise de solitaires.Il s’agit de « prendre contact avec le passagede l’Esprit » et cela signifie « écouter ce queDieu est en train de nous dire à l’intérieur denos situations » d’institut. Le discernement« ne s’arrête pas à la description des situa-tions, des problématiques […] va toujoursau-delà et réussit à voir derrière chaque vi-sage, chaque histoire, chaque situation, une

90


opportunité, une possibilité » 22. Le Chapitregénéral, il est bon de ne pas l’oublier, est lelieu de l’obéissance personnelle et unanime àl’Esprit Saint ; cette écoute docile s’invoqueen pliant l’intelligence, le cœur et les genouxdans la prière. Dans une telle conversion,chaque membre du Chapitre, au moment dela décision, agit en conscience et juge, à lalumière reçue de l’Esprit Saint, le bien del’institut dans l’Église. Une telle attituded’obéissance priante lie comme une cons-tante l’histoire des Chapitres généraux qui,non sans raison, commençaient le jour de laPentecôte.

51. L’événement capitulaire comporte, enoutre, l’élection du Supérieur ou de la Supé-rieure général(e). Ces dernières années, unecertaine tendance au recours à la postulationa été constatée. Cette institution est régléepar les canons 180-183 du Code de Droit cano-nique. On s’oriente vers celle-ci dans les casoù quelque empêchement fait obstacle àl’élection canonique de la même personneou dans les cas de dérogation des conditionsrequises personnelles inhérentes au rôle, dé-

22 FRANÇOIS, Discours à l’occasion du Congrès ecclésial dudiocèse de Rome (16 juin 2016).

91


terminées dans le droit universel ou propre,comme par exemple : l’âge, les années deprofession 23, ou de relative incompatibilité derôle 24. Le cas le plus fréquent est l’empêche-ment d’une nouvelle élection (ou une recon-firmation) du Supérieur général ou de laSupérieure générale après l’accomplissementde la durée des mandats prévus par les Cons-titutions. Le cas d’espèce évoqué présentedes connotations de complexité de contexte(instituts), situations personnelles (les candi-dats ayant déjà un rôle) et notamment lescontingences qui orientent vers la demandede postulation au Dicastère compétent. Quel-ques indications doivent être soulignées.

Ce n’est pas la meilleure prémisse d’undiscernement électif que de considérer com-me acquise la postulation comme si, a prio-ri, les alternatives possibles étaient exclues.La majorité requise est d’ « au moins les deuxtiers des votes » 25. Cette disposition canoni-que veut encourager l’engagement à discer-ner auparavant l’opportunité de recourir à lapostulation. La coresponsabilité exercée demanière collégiale comporte aussi la respon-sabilité d’explorer des solutions alternatives.

23 Cf. CIC, c. 623.24 Cf. CIC, c. 152.25 Cf. CIC, c. 181 § 1.

92


La pratique dans quelques instituts a intro-duit la modalité de consultations informellespréliminaires. L’orientation suggérée devraitéviter la formation de majorités préconstrui-tes. Autrement, le pas vers une postulationescomptée est court.

52. Les Chapitres généraux élisent d’ordi-naire, outre le Modérateur suprême 26, leConseil qui est l’organe de collaborationau gouvernement de l’institut. À chaqueconseiller est « demandée une participationconvaincue et personnelle à la vie et à lamission » 27 de l’institut, « participation quipermet l’exercice du dialogue et du discer-nement » 28, dans un esprit de sincérité 29 etde loyauté, « de façon à ce que le Seigneurqui illumine et qui guide soit constammentprésent » 30.

26 Cf. CIC, c. 625 § 1.27 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-

CRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionRepartir du Christ. Un engagement renouvelé de la vie consacréeau troisième millénaire (19 mai 2002), 14.

28 Idem.29 Cf. CIC, c. 127 § 3.30 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSA-

CRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, InstructionRepartir du Christ. Un engagement renouvelé de la vie consacréeau troisième millénaire (19 mai 2002), 14.

93


Les inévitables malaises et incompréhen-sions, s’ils ne sont pas affrontés à temps, peu-vent compromettre la volonté d’entente et lacapacité de convergence à l’intérieur duConseil. Un organisme de collaboration augouvernement, en veillant au bien communde l’institut, assume l’engagement de veiller àson propre fonctionnement, sans négliger lesmoyens d’accompagnement (spirituels, pro-fessionnels et de formation spécifique) quifournissent les prémisses d’un discernementéclairé. En effet, le Conseil ne doit pas, enpremier lieu, s’occuper de son image maissurtout se préoccuper de sa crédibilité entant qu’organe de collaboration au gouverne-ment de l’institut.

53. La nouvelle géographie de la présencede la vie consacrée dans l’Église est en trainde redessiner de nouveaux équilibres cultu-rels dans la vie et dans le gouvernement desinstituts 31. La composition internationale duChapitre exprime habituellement aussi uneconfiguration multiculturelle du Conseil.L’expérience de nombreux instituts de vieconsacrée et sociétés de vie apostolique adéjà mûri une longue tradition à ce propos.

31 Cf. Ibid., 17.

94


Les instituts plus récents sont en phase d’ap-prentissage pour arriver à exprimer « dansl’unité catholique les attentes des divers peu-ples et des diverses cultures » 32. Il s’agit d’unchemin exigeant qui « nécessite purificationet maturation » 33.

Les récents processus d’internationalisa-tion sont des laboratoires ouverts à un avenirqui ne s’improvise pas en ce qui est de laformation à des rôles de responsabilité et, enparticulier, pour assumer le rôle de Con-seiller. Le renouvellement générationnel etculturel ne devrait pas prêter le flanc à dessituations qui peuvent compromettre les dy-namiques internes au discernement du Con-seil et, indirectement, du bon gouvernementde l’institut.

Donnons quelques exemples de situationsproblématiques : sujets idoines, mais pas en-core suffisamment préparés ou prématuré-ment candidats ; religieux cooptés plus pourdes logiques de répartition culturelle quepour la valorisation de leur expérience et/ouleur compétence personnelle ; et notammentles choix obligés en l’absence d’alternatives.



95


54. L’insertion de frères/sœurs d’autrescultures et générations ne change certes pasle rôle traditionnel du Conseil, mais cela in-flue sur la perception du rôle et sur la moda-lité de son interaction à l’intérieur et en de-hors du Conseil. L’apport d’autres pointsde vue (analyse/évaluation des problèmes)élargit l’horizon de compréhension des réa-lités de l’institut : plus à partir des périphé-ries que du centre. Cultures et renouvelle-ment générationnel – conjugaison déjà en soicomplexe – devraient favoriser un nouvelélan pour aborder un avenir durable dansl’institut.

L’initiation à un rôle de responsabilités’inscrit dans l’expérience. Si l’expérience estun processus quotidien d’apprentissage, l’ap-prentissage doit être soutenu par une forma-tion spécifique. Dans le cas contraire, l’expé-rience n’est pas pleinement valorisée en vuede l’efficacité du rôle lui-même et de sonintégration dans les dynamiques du Conseil.Il s’agit, dans ce cas, de redécouvrir ou derepenser des orientations mûries dans la tra-dition de gouvernement des instituts de vieconsacrée et des sociétés de vie apostoliquequi, en investissant dans le présent, préparaitl’avenir, non sans la nécessaire vérificationdans le temps. L’avenir proche ne peut res-

96


treindre l’horizon : les nouveaux professiona-lismes (savoirs et compétences) peuvent ap-porter des contributions pour élargir nos ho-rizons, mais surtout pour ne pas rester auxmarges du futur, prisonniers de vues courtesqui, à la longue, immobilisent le chemind’ensemble.

97


CONCLUSION

55. Dans la vigne du Seigneur, en ces dé-cennies de mise à jour conciliaire, les hom-mes et les femmes consacrés ont travaillé avecun engagement généreux et avec audace.C’est maintenant le temps de la vendange etdu vin nouveau, à presser avec joie à partir desraisins et à recueillir avec diligence dans desoutres adaptées, jusqu’à ce que le bouillonne-ment typique des temps de maturation sédi-mente et laisse la place à une nouvelle stabi-lité. Le vin nouveau et les outres neuves sontensemble à notre disposition, réalisés avecnotre collaboration selon les charismes et lescirconstances ecclésiales et sociales, sous laconduite de l’Esprit et des responsables del’Église. Le temps est venu de garder la nou-veauté dans la créativité, pour qu’elle con-serve le goût véritable de la fécondité béniepar Dieu.

Le vin nouveau exige la capacité d’allerau-delà des modèles hérités, pour apprécierles nouveautés suscitées par l’Esprit, les ac-cueillir avec gratitude et les garder jusqu’à lapleine fermentation au-delà de leur caractère

99


provisoire. Le vêtement nouveau dont parle Jé-sus dans la même page de l’Évangile a étéconfectionné à travers les diverses phases demise à jour et c’est l’heure de le porter avecjoie, parmi le peuple des croyants.

56. Vin nouveau, outres neuves et vêtementnouveau indiquent une saison de maturité etd’accomplissement qui ne peut être mise enpéril par des rapprochements imprudents oudes compromis tactiques : le vieux et le nou-veau ne doivent pas être mélangés parce quechacun appartient à une saison qui lui estpropre, est le fruit de temps et d’un art diffé-rents et doit être conservé dans sa pureté.

Que le Maître de la vigne, qui a renduféconde l’œuvre de nos mains et guidé leschemins de l’aggiornamento, concède de savoirgarder avec les moyens adéquats et une pa-tiente vigilance la nouveauté qui nous a étéconfiée, sans crainte et avec un élan évangé-lique renouvelé.

57. Sainte Marie, Femme du vin nouveau,garde en nous le désir d’avancer dans l’obéis-sance à la nouveauté de l’Esprit, en recon-naissant le signe de Sa présence dans le vinnouveau, fruit de vendanges et de nouvellessaisons.

100


Rends-nous dociles à sa grâce et actifs àpréparer des outres qui puissent contenir etnon disperser le jus bouillonnant de la vigne.Rends nos pas fermes dans le mystère de lacroix que l’Esprit demande pour toute créa-tion nouvelle.

Enseigne-nous à faire ce que le Christ, tonFils, nous dira (cf. Jn 2,5) pour nous asseoirchaque jour à sa table : c’est Lui le vin nou-veau par lequel nous rendons grâce, nousrecevons et donnons la bénédiction.

Nourris en nous l’espérance, dans l’at-tente du jour où nous boirons le fruit nou-veau de la vigne avec le Christ, dans leRoyaume du Père (cf. Mt 26,29).

Le Saint-Père a approuvé la publicationdes présentes Orientations

au cours de l’audience du 3 janvier 2017

Cité du Vatican, 6 janvier 2017Épiphanie du Seigneur

João Braz Card. de AvizPréfet

✠ José Rodríguez Carballo, O.F.M.Archevêque Secrétaire

101


SOMMAIRE

Introduction . . . . . . . . . . . . 7

I. À vin nouveau, outres neuves . . . . . 11

Le logion de Jésus . . . . . . . . . 11

Le renouveau post-conciliaire . . . . . 17

Les nouveaux chemins interpellent . . . 24

II. Défis encore ouverts . . . . . . . . 35

Vocation et identité . . . . . . . . 36

Choix de formation . . . . . . . . 39

Relation dans l’humanum . . . . . . 45Réciprocité homme-femme . . . . . . . 45Service de l’autorité . . . . . . . . 50Modèles relationnels . . . . . . . . 55

III. Préparer des outres neuves . . . . . . 67

Fidélité dans l’Esprit . . . . . . . . 68

Modèles de formation et formation des for-mateurs . . . . . . . . . . . 71

Vers des relations évangéliques . . . . 77Réciprocité et processus multiculturels . . . 77Service de l’autorité : modèles relationnels . . 81Service de l’autorité : chapitres et conseils . . 88

Conclusion . . . . . . . . . . . . . 99

103


D PRINT − ROMA


de vie consacrÉe et les sociÉtÉs de vie apostolique À … · 2019-12-12 · depuis le concile...

Documents