decoux anne-sophie
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1
La notion d’action Mémoire
Sous la direction de Monsieur le Professeur Guillaume
WICKER
2011
DECOUX Anne-Sophie
Faculté de droit, Montesquieu, Bordeaux IV
Master II droit privé approfondi, mention droit civil
2
REMERCIEMENTSREMERCIEMENTSREMERCIEMENTSREMERCIEMENTS
Je tiens à remercier l’ensemble du corps professoral du Master II Droit privé
approfondi, mention droit civil pour les enseignements dispensés durant cette année
universitaire. Il ne me semble pas qu’il y ait des cloisons étanches entre les diverses matières
constituant notre Droit et c’est certainement cet aspect qui permet de faire un mémoire
riche en réflexion.
Je tiens à remercier plus particulièrement mon maitre de mémoire,
Monsieur le Professeur Guillaume Wicker, pour son aide, son soutien mais aussi sa patience
durant nos nombreux rendez-vous. J’ai apprécié la marge de liberté qu’il m’a laissée face à
un tel sujet qu’est le mien, liberté qui n’aura qu’aiguisé mon souhait de poursuivre
l’aventure de la recherche.
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SOMMAIRESOMMAIRESOMMAIRESOMMAIRE
PREMIERE PARTIE : L’OBJET DE L’ACTION EN EXECUTION D’UN DROIT
TITRE 1 : La dualité d’objets de l’action en exécution d’un droit
CHAPITRE 1 : L’objet non judiciaire de l’action entre les parties
SECTION 1 : L’inclusion de l’action dans le droit
SECTION 2 : Les moyens offerts par l’action sans le juge
CHAPITRE 2 : L’objet judiciaire de l’action : l’accès au juge
SECTION 1 : Le droit de recourir au juge
SECTION 2 : La distinction entre action en justice et accès au juge
TITRE 2 : L’action, manifestation du caractère contraignant du droit
CHAPITRE 1 : L’action générée par les liens d’obligations constitutifs du droit
SECTION 1 : Analyse critique des conceptions de l’action
SECTION 2 : L’apport de l’analyse dualiste de l’obligation à la notion d’action
CHAPITRE 2 : La justification des actions préventives par l’analyse de l’élément
haftung
SECTION 1 : Le rattachement des actions préventives aux actions en
exécution d’un droit
SECTION 2 : Le lien de connexité entre contrainte et droit de ne pas rester
dans l’incertitude
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SECONDE PARTIE : L’OBJET DE L’ACTION EN CONSTATATION OU EN CONSTITUTION DE SITUATION
JURIDIQUE
TITRE 1 : La constatation d’une situation juridique par l’action en justice
CHAPITRE 1 : L’action, moyen de consolidation d’une situation juridique par sa
constatation judiciaire
SECTION 1 : Nature de la consolidation des situations juridiques à opérer
SECTION 2 : L’objet de l’action, reflet des sources des situations juridiques
CHAPITRE 2 : L’action, moyen de constatation d’un fait juridique par le juge
SECTION 1 : La distinction entre fait juridique et droit
SECTION 2 : L’action, moyen de production de conséquences juridiques
TITRE 2 : La constitution d’une situation juridique par l’action
CHAPITRE 1 : L’obligation naturelle, entre constitution non judiciaire et constatation
judiciaire
SECTION 1 : La constitution d’une obligation civile par l’action entre les
parties
SECTION 2 : La constatation finale de l’obligation naturelle par l’action en
justice
CHAPITRE 2 : La constitution d’une situation juridique par l’action en justice
SECTION 1 : Analyse des actions en justice constitutives de droits
SECTION 2 : L’action en constitution de droit, manifestation de la liberté
d’agir
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LISTE DES ABREVIATIONSLISTE DES ABREVIATIONSLISTE DES ABREVIATIONSLISTE DES ABREVIATIONS
Actu. Actualités
AJ Actualité jurisprudentielle du Recueil Dalloz
Al. Alinéa
Art. Article
Ass. Plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation
Bibl. Bibliographie
Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation
C. Code
Cass. Cour de cassation
C. civ. Code civil Dalloz
Ch. Chambre
Ch. Mixte Chambre mixte de la Cour de cassation
Ch. Réunies Chambres réunies de la Cour de cassation
Civ. Chambre civile de la Cour de cassation
Comm. Commentaire
Concl. Conclusions
C. pr. Civ. Code de procédure civile Dalloz
D. Recueil Dalloz
GAJC Grands arrêts de la jurisprudence civile, par F. Terré et Y. Lequette (Dalloz)
Ibid. Au même endroit
6
Infra Ci-dessous
LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence
NCPC Nouveau code de procédure civile (devenu code de procédure civile-L. n°
2007-1787 du 20 déc. 2007, art. 26-III)
Obs. Observations
Op. cit. Opus précité
p. Page
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil Dalloz
Supra Ci-dessus
t. Tome
th. Thèse
V. Voir
7
INTRODUCTIONINTRODUCTIONINTRODUCTIONINTRODUCTION
Georges Wiederkehr a pu noter s’agissant du code de procédure civile qu’il
est « gênant qu’un même terme ne recouvre pas exactement le même sens selon l’article du
code où on le trouve, de sorte qu’on finit par ne plus savoir ce qu’il signifie vraiment ».1 A ce
propos, il a pris l’exemple du terme « litige » ou « prétention ». A notre tour de proposer un
nouvel exemple de terme relativement ambigüe, terme qui va nous occuper plus
longuement et plus profondément, ce terme ce sera celui d’action.
Il est particulièrement difficile de se livrer à donner une définition de la
notion d’action dès l’introduction et ce pour deux raisons majeures.
La notion d’action en droit recouvre des réalités diverses et variées. On
pense bien sûr à l’action en justice mais aussi à toutes les sortes d’actions qui existent dans
notre système juridique. Ainsi vont nous venir à l’esprit l’action oblique, l’action paulienne,
l’action directe, l’action en responsabilité, l’action de in rem verso ou encore l’action
publique, l’action syndicale, l’action collective… On le comprend si on veut être exhaustif sur
la définition de la notion d’action, on se heurtera forcément à un moment donné, à une
sorte de listing qui nous apporte peu d’éléments de fond sur la notion d’action elle-même.
A cela s’ajoute une seconde justification et pas des moindres, il serait tout à
fait incohérent de se livrer en introduction à une définition des termes du sujet tout
simplement car c’est là que se trouve tout le sujet de recherche. En effet avec un sujet
comme la notion d’action il faut s’atteler à étudier plus en profondeur ce que recouvre
effectivement cette notion. On ne peut donc pas commencer par une définition que nous
n’avons pas encore en mains à ce stade. Cela étant et eu égard à la largesse de ce que peut
recouvrir la notion d’action, il ne faut pas avoir la prétention de croire qu’à la fin des
développements qui suivront, tout aura été dit sur la notion d’action. En effet il s’agit ici de
dégrossir au maximum la matière afin d’aboutir à une réflexion plus poussée sur la notion
d’action, sur ce qu’elle recouvre, sur son utilité, en somme ce qu’est véritablement une
action. L’aspect pratique de l’action ne sera pas approfondi dans ces propos car par l’aspect
1 G. WIEDERKEHR. Le Nouveau Code de Procédure Civile : la réforme permanente. In droit et actualité : études
offertes à J. BEGUIN, Litec 2005, Paris, p. 787 à 798.
8
pratique on entend s’atteler à une véritable étude de terrain. Or avant de se pencher sur le
quelconque intérêt pratique d’une notion, il est nécessaire de la définir ce qui va nous
occuper ici longuement et le manque de temps oblige, l’intérêt pratique ne sera pas étudié
outre mesure et laissé dans le flot de nos réflexions futures. C’est donc sur l’objet de l’action
que nous allons nous pencher dans les développements qui suivront, plus particulièrement
sur l’objet de l’action en droit civil.
Un bref rappel historique sur la notion d’action parait nécessaire car il faut
bien reconnaitre que la notion d’action ne date pas d’aujourd’hui et qu’elle a derrière elle un
certain vécu ce qui ne nous empêche pas d’ailleurs et bien au contraire de nous y pencher
encore de nos jours.
Les Romains ne distinguaient pas le droit réel, jus in re et le droit personnel,
jus in personam mais se concentraient sur les actions et parlaient d’actio in rem et d’actio in
personam. L’action constituait donc la base du système juridique de l’époque ce qui révèle
d’ailleurs son importance pratique. Les actions étaient classées par catégorie qu’on appelait
legis actiones et qui correspondaient à des procédures formalistes ayant chacune un
caractère et une réglementation propres. Les situations de fait prises en compte par ces
actions étaient étroitement définies. Cela avait pour conséquence que la personne ne
rentrant pas dans l’une de ces catégories de fait se trouvait dépourvue d’action. Bien après
sous l’influence de Gaius ces personnes dépourvues de recours, ont pu agir selon des rites
dans les cas où la loi sanctionnait leur prétention mais sans préciser qu’il fallait agir selon les
règles d’une action déjà déterminée. Les juristes face à ce nouveau moyen offert aux
plaideurs en ont conclu que par l’action ainsi exercée, naissait un droit. L’évolution la plus
marquante dans les temps qui suivirent se produisit sous la période classique avec la
procédure formulaire beaucoup plus souple car elle avait une portée générale et était
accessible quelque soit la situation en cause. A coté le prêteur a accueilli des actions
nouvelles où le droit civil restait totalement silencieux. Cela pouvait être des situations
voisines de celles prévues légalement, c’était le cas avec les actions fictices où l’action avait
pour rôle de créer le droit passé sous silence par la loi. Les actions in factum étaient elles
aussi des actions prétoriennes où le prêteur ne se référait qu’aux faits qu’on lui présentait.
Par conséquent dans ces hypothèses, le prêteur n’appliquait pas le droit car parfois il faisait
totalement défaut, au contraire le prêteur par ces actions tendait à créer le droit. C’était
9
donc une sorte d’appel au législateur pour qu’il intervienne et reconnaisse en conséquence
des droits subjectifs là où ils manquaient dans la pratique. Ces droits une fois reconnus
seront appelés droits prétoriens en référence à leur origine. Durant la période formulaire il y
avait donc un premier secteur dit de droit consolidé où le droit substantiel était
préalablement reconnu par la loi et constituait l’élément moteur de l’action et un secteur où
la place était laissée à l’action et à son rôle créateur dans la reconnaissance de nouveaux
droits substantiels. Au Bas Empire la situation change du tout au tout le juge ne pouvant
accueillir une prétention que s’il existait un texte de loi à son appui. Le droit objectif était la
seule base de la règle de droit. On avait donc ici un renversement complet de situations où
l’action n’avait plus aucun rôle créateur. La période franque et la période mérovingienne
étaient dominées par la coutume et son imprécision. Le procès quant à lui était guidé par
l’administration de la preuve. La période carolingienne ne connut pas de changements
significatifs. Le véritable changement se produisit aux XII e et XIII e siècles. Le juge avait des
pouvoirs très étendus et était maitre du procès, c’était un professionnel qualifié avec une
formation rigoureuse. La procédure était entièrement écrite et le système de preuves fut
entièrement rationnalisé et très encadré. Le droit substantiel était au premier plan car le
contentieux judiciaire était entièrement régis par le droit objectif ; l’action n’avait donc
aucun pouvoir créateur. Petit à petit le droit romain est réapparu pour prendre une
importance incontestable au XIV e siècle. A terme le droit romain va permettre à notre
système juridique de devenir plus subjectif et de s’intéresser d’avantage à la volonté des
personnes.2 La notion d’action a donc subi d’incontestables modifications, modifications qui
ont bien sûr influé sur la signification que pouvait avoir l’action.
L’étape qui nous concerne plus particulièrement désormais est l’insertion de
l’action dans notre code de procédure civile. Le code de procédure civile fut composé à
partir de quatre décrets : le décret du 9 septembre 19713, le décret du 20 juillet 1972
4, le
décret du 28 août 19725 et le décret du 17 décembre 1973
6. Ces quatre décrets ont formé
les deux premiers livres du code mais en laissant le second incomplet. L’achèvement se
2 P. HEBRAUD. Observations sur l’évolution des rapports entre le droit et l’action dans la formation et le
développement des systèmes juridiques, in Mélanges Raynaud, 1985, p.237. 3 Décret du 9 septembre 1971, n°71-740.
4 Décret du 20 juillet 1972, n°72-684.
5 Décret du 28 août 1972, n°72-788.
6 Décret du 17 décembre 1973, n°73-1122.
10
produisit par la suite avec les décrets du 7 novembre 19797, du 12 mai 1981
8, et du 30 juillet
19869. C’est le décret du 5 décembre 1975 qui a rassemblé les quatre premiers décrets pour
en faire un code. Il faut noter que par la suite, des réformes du droit substantiel ont conduit
à une adaptation de certaines dispositions du code de procédure civile.10
On remarque
d’emblée que matière procédurale et matière substantielle ne constituent pas des sphères
hermétiques mais au contraire influent l’une sur l’autre pour se compléter et s’articuler.
Pourtant un courant de pensée qui s’est développé surtout à l’étranger au
milieu du XIX e siècle a eu une conception très stricte de l’action en séparant le droit
substantiel et le contentieux s’y afférant. L’action serait donc une prérogative légale toujours
identique quelque soit le droit substantiel à l’origine du litige. Le droit français a quant à lui
toujours maintenu un certain lien entre la procédure et le droit dont il est question. Selon
Pierre Hébraud, « la séparation rigoureuse et absolue de la procédure et du fond du droit
conduit à une conception du procès vide de matière concrète, à moins qu’en ramenant sa
matière à l’activité du juge on en fasse le cœur du phénomène contentieux. »11
.
Pour ne pas aller à l’encontre de tous les codes formels d’une bonne
introduction, nous pouvons nous pencher sur quelques définitions rapides de l’action qui ne
sont pas sans importance. Dans le langage courant12
, l’action renvoie tout d’abord à ce que
fait quelqu’un et ce par quoi il réalise une intention ou une impulsion. Ainsi selon Gide, « les
actions les plus décisives de notre vie sont le plus souvent des actions inconsidérées » ou
pour Montesquieu, « la plupart des hommes sont plus capables de grandes actions que de
bonnes. » L’action peut aussi renvoyer au fait de produire un effet, à la manière d’agir sur
quelqu’un ou sur quelque chose. L’action se rattache ici à l’influence, à l’intervention. Enfin
l’action peut être définie comme l’exercice de la faculté d’agir par opposition à la pensée et
aux paroles, c’est un déplacement d’énergie en vue d’une fin. On pense ici à l’activité, à
l’effort ou encore au travail. Avec ces quelques propos, on voit d’emblée que l’action prend
un caractère actif et non pas simplement passif. Cela étant lorsqu’on pense à l’action, il est
7 Décret du 7 novembre 1979, n°79-941 : dispositions relatives à la Cour de cassation.
8 Décret du 12 mai 1981, n°81-500 : livre troisième et livre quatrième.
9 Décret du 30 juillet 1986, n°86-951 : articles 1304 à 1327 du CPC.
10 A titre d’exemple on peut citer le décret n°87-578 du 22 juillet 1987 pris en application de la loi n°87-570 du
même jour relative à l’autorité parentale. 11
P. HEBRAUD. Op cit., p. 238. 12
Le Petit Robert de la langue française 2011. Cf. action, p. 29.
11
légitime de penser à la notion de relation entre les personnes ce qui ne semble pas ressortir
de ces définitions. En effet on peut agir seul mais aussi à plusieurs, on peut agir à l’encontre
de quelqu’un ou de quelque chose, on peut agir dans un intérêt commun mais aussi dans un
intérêt particulier et ces divers intérêts peuvent prendre différentes formes et par
conséquent modifier le sens qu’on peut donner à l’action.
Pour finir sur une note plus juridique, il faut citer l’article 30 du code de
procédure civile selon lequel « l’action est le droit pour l’auteur d’une prétention, d’être
entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l’adversaire,
l’action est le droit de discuter le bien fondé de cette prétention. »13
Avec une telle
définition, l’action revêt un caractère différent. En effet l’action n’est ici conçue que dans le
cadre d’un rapport entre deux personnes. Le demandeur et le défendeur entrent en relation
et ne paraissent pas autonomes l’un de l’autre car la prétention du demandeur trouve sa
réponse dans la discussion du défendeur. Il y a donc une véritable communication entre ces
personnes qui sont en quelques sortes liées par l’action. Reste à savoir si elles sont liées par
la même action ou si chacune d’elles dispose de sa propre action qui ne se confond pas avec
celle de son adversaire. Il faut bien noter que le Code procédure civile ne donne aucune
indication et donc nous ne sera d’aucune aide quant à l’objet de l’action et c’est
certainement pour cette raison que la notion d’action a nourri de longs débats doctrinaux.
A travers deux définitions seulement, l’action soulève des questions quant à
sa nature à tel point qu’on pourrait se demander s’il ne serait pas plus juste de parler des
actions plutôt que de l’action. Ce constat on le retrouve si on se penche sur ce qui a été écrit
sur la notion d’action telle que nous la connaissons selon l’article 30 du code de procédure
civile. En effet à la lecture de ces écrits on ne peut que constater des points de vue différents
selon les auteurs ce qui pourrait nous faire dire qu’il n’y a peut être pas qu’une seule sorte
d’action.
Pour Monique Bandrac14
, l’action en justice est un droit fondamental. Ce
n’est pas une liberté du fait de son contenu étroit mais c’est un droit fondamental qui
s’accompagne de limites et c’est un droit sous contrôle du Conseil constitutionnel et de la
Cour européenne des droits de l’homme parce qu’il est fondamental.
13
Article 30 du Code de procédure civile, Dalloz 2010. 14
M. BANDRAC. L’action en justice, droit fondamental, in Mélanges Roger Perrot, 1996, p.1 à 16.
12
Pour Pierre Hébraud15
, il existe des relations étroites entre procédure et
droit substantiel et ces relations étroites se retrouvent entre droit subjectif et action. A titre
d’exemple on comprend que lorsqu’on va en justice dans le cas où il est porté atteinte à
notre droit de propriété, il y a bien une articulation entre le droit de propriété dont on est
titulaire et le fait qu’on aille devant le juge afin qu’il soit effectivement respecté. Mais cela
ne veut bien sûr pas dire que l’action, ici le fait de demander au juge qu’il se prononce sur le
fond de la prétention, se confond et est seulement la manifestation du droit de propriété.
Pour Georges Wierderkehr16
qui a analysé en profondeur l’article 30 du
code de procédure civile, il ressortirait de cet article non pas une définition mais deux
définitions de l’action en justice : celle de l’auteur d’une prétention et celle de son
adversaire. Ainsi du côté du demandeur, l’objet de l’action serait constitué par la prétention.
Il s’agirait du même rapport qui existe entre obligation et prestation : l’action a pour objet
un procès mais le procès lui-même ne peut se concevoir sans un objet qui est la prétention.
En la liant à la prétention, la définition donne à l’action un caractère concret. La prétention
consistera le plus souvent à se prévaloir d’un droit subjectif mais ce ne sera pas toujours le
cas. Cette précision est importante et il faut la garder à l’esprit car nous allons y revenir plus
en profondeur. En effet on peut dès lors apercevoir avec cette analyse de la prétention,
qu’elle peut avoir un objet différent selon les cas où on est en présence d’un droit subjectif
sur le fondement duquel on entend agir ou lorsqu’on agit en vue de reconnaitre une
situation juridique. Selon l’hypothèse où l’on se trouve, il y aura forcément un impact sur la
notion d’action. On aperçoit donc déjà une dualité dans l’objet de l’action. Du côté du
défendeur, l’action serait le droit de discuter le bien fondé de cette prétention. On retrouve
ici l’élément de relation que sous entend la notion d’action.
Pour Motulsky17
, lui a un avis très tranché sur la question, l’action n’est ni
plus ni moins qu’un droit subjectif. Loic Cadiet18
va dans le même sens en qualifiant l’action
de droit subjectif processuel pour le distinguer du droit subjectif substantiel.
15
P. HEBRAUD. Op. cit., p. 237. 16
G. WIEDERKEHR. La notion d’action en justice selon l’article 30 du nouveau Code de procédure civile, in
Mélanges P. HEBRAUD, p. 949. 17
H. MOTULSKY. Principes d’une réalisation méthodique du droit privé : la théorie des éléments générateurs
des droits subjectifs. Thèse Lyon, 1947, Paris, Dalloz 1991. 18
L. CADIET, E. JEULAND. Droit judiciaire privé, 6e édition, p. 211 s.
13
On trouve d’autres auteurs qui se situent à contre courant de l’article 30 du
code de procédure civile. C’est le cas de Serge Guinchard et Vizioz19
pour qui l’action est un
pouvoir légal de s’adresser à la justice pour obtenir le respect de la loi, c’est un pouvoir à
caractère impersonnel, objectif et permanent.
Enfin pour certains auteurs comme Jacques Héron et Martin20
, la notion
d’action est tout simplement inutile car elle se confond avec les notions de demande et de
défense.
Il faut noter que tous ces auteurs traitent ici de la nature de l’action et non
de son objet. Ce sont deux questions bien distinctes mais il est vrai que la nature d’une
notion est liée à son objet donc l’étude de la nature de l’action peut révéler des
caractéristiques importantes quant à son objet. Cela étant c’est peut être prendre la
question dans un sens peu pédagogique. En effet comment traiter de la nature d’une notion
sans avoir préalablement défini l’objet de cette même notion ? Dans l’esprit de ces auteurs
l’objet de l’action ne revêtait certainement qu’une importance moindre par rapport à la
nature juridique de l’action qui a fait débat. Mais c’est peut être aussi pour cette raison que
l’étude de l’objet de l’action a été délaissée alors qu’elle mérite certainement qu’on s’y
penche, cette étude étant plus que nécessaire pour ensuite se poser la question de la nature
juridique de l’action.
Quoiqu’il en soit droit subjectif, pouvoir légal, droit fondamental, obligation
ou rien qui n’existe véritablement, voilà le panel de ce qui a pu être écrit sur la notion
d’action ou plus précisément sur sa nature. Il semble cependant qu’il ne soit pas opportun
de se prononcer dès à présent sur la nature juridique de l’action car il faut d’abord savoir ce
qu’elle recouvre. De plus et on a pu l’apercevoir rapidement, il n’est pas sûr qu’il faille se
prononcer en faveur d’une seule et unique nature juridique car il n’y a peut être pas qu’une
seule définition de l’action en fonction de son objet. Cela étant ce n’est pas parce que
l’action peut avoir différents objets que sa nature juridique a vocation elle aussi à être
plurielle. Les auteurs cités ont eu le mérite de balayer plusieurs aspects de la notion d’action
ce qui nous sera fort utile pour étudier et l’objet de l’action et les manifestations de cet
objet tout en gardant à l’esprit que cet objet n’est certainement pas unique.
19
S. GUINCHARD, J. VINCENT. Procédure Civile, 27e édition, Précis Dalloz, p. 109.
20 J. HERON, T. LE BARS. Droit judiciaire privé, 3
e édition, p. 51 s.
14
Cette pluralité sous tendue par la notion d’action se dégage clairement des
écrits de Paul Roubier21
. Ce dernier fait une distinction entre les droits subjectifs et les
situations juridiques. Ainsi concernant les droits subjectifs, le droit concédé aux particuliers
comporte du fait de son existence, le pouvoir d’agir en justice pour sa protection. Cela étant
Paul Roubier note que le droit objectif peut protéger tel ou tel bien par des moyens ne
consistant pas dans la création d’un droit. Ainsi c’est par le canal de l’action en
responsabilité que la loi aboutit à donner une protection de cette nature puisque les
atteintes portées injustement à la personne d’autrui peuvent entrainer la réparation du
dommage physique ou moral qui aura été causé. On retrouve donc cette dualité sous tendue
par la notion d’action : action en présence d’un droit subjectif qui lui précède et action en
l’absence de droit subjectif aboutissant à la création de situations juridiques.
Il est certain que face à un tel sujet qu’est celui de la notion d’action, les
intérêts ne manquent pas. En effet cette notion est relativement mal définie et ce
certainement à cause de son ampleur. Il est donc intéressant d’en tracer les contours afin de
mieux la comprendre. La notion d’action est un sujet qu’on pourrait qualifié d’indémodable
car depuis son insertion dans le code de procédure civile, elle a fait couler beaucoup d’encre
et il est toujours intéressant de se pencher sur de tels sujets quelques années plus tard, avec
d’avantage de recul. De plus de nos jours on voit de nouvelles notions apparaitre comme par
exemple la notion d’action de groupe ou class action22
. Or avant d’étudier les manifestations
particulières de l’action il faut connaitre l’objet de l’action de manière générale, lui donner
une définition concrète pour la rendre applicable à des cas particuliers. Sans une étude
approfondie de l’objet de l’action, il parait impossible de cerner ses manifestations
particulières. Bien sûr ces particularités vont pouvoir nous aider dans certains cas, à enrichir
la notion d’action pour mieux comprendre son objet mais il s’agira dans les développements
qui suivront de se pencher sur la notion d’action en tant que telle car c’est de cette façon
que dans un premier temps, on pourra en identifier les objets et dans un second temps
classer les manifestations particulières de l’action selon ces objets préalablement identifiés.
Nous l’avons déjà aperçu, l’étude de l’objet de l’action ne va certainement
pas se faire de manière linéaire. En effet s’il est incontestable que l’action elle-même existe
21
P. ROUBIER. Droits subjectifs et situations juridiques. Editions Dalloz 2005, Paris, p. 67. 22
G. CORNU. Dictionnaire de Vocabulaire juridique. Association H. CAPITANT. 7e édition. Cf. action collective,
p.21.
15
dans notre système juridique et ce depuis bien longtemps, on a aussi pu s’apercevoir qu’on
n’utilisait pas l’action dans une seule et unique fin. Les Romains l’avaient bien senti car si on
se trouve fréquemment dans le cas où on entend agir relativement à l’existence d’un droit
dont nous sommes déjà titulaire, il arrive qu’il faille agir alors qu’aucun droit préalable
n’existe de manière certaine mais bien au contraire qu’on entende par l’action, constituer un
droit ou le constater de manière certaine. Or agir sur le fondement d’un droit que nous
avons déjà et agir dans l’attente de la reconnaissance d’une situation juridique recouvrent
des hypothèses bien différentes car on sent déjà que ces deux types d’actions n’ont
certainement pas le même objet. On comprend qu’il est pourtant nécessaire de classer ces
actions justement parce qu’elles n’auront pas le même objet et tout l’intérêt est bien de
savoir quels sont donc ces fameux objets a priori si distincts.
Tous ces intérêts nous conduisent naturellement à nous demander s’il n’y
aurait pas une dualité de la notion d’action, dualité engendrait par les différents objets de
l’action elle-même ?
Il semble que la réponse à cette question soit incontestablement positive.
Lorsqu’on se penche sur la notion d’action et qu’on veut en étudier l’objet, deux grandes
catégories se distinguent de manière redondante pour former deux types d’actions chacune
ayant un objet propre. L’objet de l’action en exécution d’un droit (première partie) se
distingue nettement de l’objet de l’action en constatation ou en constitution d’un droit
(seconde partie).
16
PREMIERE PARTIEPREMIERE PARTIEPREMIERE PARTIEPREMIERE PARTIE : L’OBJET DE L’ACTION EN EXECUTION : L’OBJET DE L’ACTION EN EXECUTION : L’OBJET DE L’ACTION EN EXECUTION : L’OBJET DE L’ACTION EN EXECUTION
D’UN DROITD’UN DROITD’UN DROITD’UN DROIT
Lorsqu’on parle d’action en exécution d’un droit cela sous entend que le droit
en question existe déjà. Il va donc s’agir de se concentrer sur l’action qui permet d’exécuter
un droit dont une personne est déjà titulaire avant d’agir.
Par le mot droit on entend ici parler des droits subjectifs dont tous sujets de droits
est titulaire. Le Droit objectif est souvent opposé aux droits subjectifs. Le Droit objectif est
défini comme l’ensemble des règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui
s’imposent aux membres de la société23
. C’est donc le corpus de règles qui constitue notre
ordre juridique. A coté du Droit objectif, existent des droits subjectifs. Carbonnier a pu noter
que le droit objectif reconnait aux individus des prérogatives, des aires d’action, des sphères
d’activité, dont ils vont jouir sous la protection de l’Etat : ce sont les droits individuels, les
droits subjectifs, les droits de la personne que l’on appelle justement sujet de droit24
. Il est
difficile de donner une définition tranchée des droits subjectifs. Pour certains comme
Windscheid25
, le droit subjectif est un pouvoir de volonté encadré par le Droit objectif. Pour
Ihering26
c’est un intérêt protégé et l’intérêt passerait au rang de droit subjectif qu’au
moment où il est garanti par une action en justice. Pour Michoud27
c’est un pouvoir de
volonté qui se dédouble en la liberté d’exercice et la libre défense de ce droit. Enfin et sans
être exhaustif, Dabin28
quant à lui estime que le droit subjectif se traduit comme un avoir,
tous droits subjectifs supposent un bien ou une valeur lié au sujet par un lien
d’appartenance et parce que la chose appartient au sujet, il a pouvoir sur elle et en a la
maitrise. Quoiqu’il en soit le point commun de toutes ces définitions est qu’il existe un lien
étroit entre le sujet et ses droits subjectifs, les droits subjectifs dépendent du sujet de droits.
A ce titre le sujet de droit va pouvoir se servir des droits subjectifs qu’il a à disposition, dans
son patrimoine et c’est justement ces droits qui vont nous intéresser ici afin d’étudier leur
exécution qui peut être plus ou moins paisible.
23
G.CORNU. Op. cit. Cf. droit, p. 328. 24
J.CARBONNIER. Droit civil, tome 1. Paris PUF. 2004, n° 161, p. 311. 25
J. DABIN. Droit subjectif. Editions Dalloz 2008, Paris, p. 56 et s. 26
Ibid., p. 65 et s. 27
Ibid., p. 72 et s. 28
Ibid., p. 80 et s.
17
La question est donc d’analyser ce lien de connexité qui existe entre le droit et
l’action permettant d’exécuter ce même droit. En effet l’action a forcément un but et ce but
dans les développements qui nous concerne est relatif à l’exécution du droit. On aperçoit
d’ores et déjà que droit et action sont intimement liés au point que s’agissant de l’origine de
l’action, on puisse dire qu’elle se trouve naturellement dans le droit lui-même. Cette origine
de l’action sera la même qu’on se penche sur l’objet non judiciaire de l’action ou sur son
objet judiciaire. En effet dans l’hypothèse de l’exécution d’un droit, une dualité d’objets de
l’action va se faire jour pour se traduire par deux étapes successives dans la mise en œuvre
de l’action (titre 1).
Mais si l’action en exécution d’un droit trouve son origine dans ce fameux droit, c’est
parce qu’elle a un rôle à jouer au profit de ce dernier. Ce rôle se traduit tout simplement par
la défense du droit dont on est titulaire. C’est l’aspect protection du droit qui apparait avec
l’action en exécution car s’il y a action c’est que par hypothèse, cette exécution ne s’est pas
faite d’elle-même, de manière spontanée. Il faut donc veiller à ce que cette exécution se
mette en œuvre et c’est bien la protéger que d’avoir une action à son soutien. Cela étant on
va s’apercevoir que l’objet de l’action va au-delà de cet aspect de protection du droit pour se
révéler être la manifestation du caractère contraignant du droit qui veut s’exécuter (titre 2).
18
TITRE 1 : LA DUALITE D’OBJETS DE L’ACTION EN EXECUTION D’UN DROIT
L’exécution d’un droit a une caractéristique essentielle s’agissant de l’action qui s’y
réfère. En effet cette exécution va pouvoir se mettre en œuvre de deux façons différentes.
Dans un premier temps la partie qui souhaite voir son droit s’exécuter, va pouvoir
naturellement s’adresser à la partie adverse. Ainsi une première sorte d’action va se faire
jour par le seul fait de s’adresser à la personne tenue envers nous d’une prestation. L’objet
de l’action sera donc ici non judiciaire en ce qu’il a vocation à se mettre en œuvre
directement entre les parties (chapitre 1).
Cela étant cette action qui aura lieu entre les parties peut se révéler être insuffisante.
Après tout la partie adverse peut refuser de faire droit à la demande du titulaire du droit
dont il est question. Il a donc fallu créer une étape supplémentaire dans le processus de mise
en œuvre de l’action afin que le titulaire du droit ne se retrouve pas totalement démuni.
Cette étape correspondra à ce qu’on nous appellerons l’accès au juge. En effet le titulaire du
droit après s’être adressé à la partie adverse qui a refusé d’exécuter l’obligation à laquelle
elle était tenue, va saisir le juge afin d’obtenir cette même exécution. On l’aura compris
l’objet de l’action sera ici judiciaire en ce que cette action a vocation à se mettre en œuvre
devant le juge (chapitre 2).
CHAPITRE 1 : L’OBJET NON JUDICIAIRE DE L’ACTION ENTRE LES PARTIES
Il s’agit ici de se pencher sur l’origine de l’action entre les parties. L’action a un objet
et cet objet passe par l’existence d’un droit dont nous sommes préalablement à toutes
actions, titulaires. De ce postulat vont découler plusieurs conséquences car après tout si on
est titulaire d’un droit nous pouvons légitimement penser que c’est au minimum pour en
user et cette utilisation ne se fait pas en autarcie mais va pouvoir concerner d’autres sujets
de droits. Nous verrons donc que l’objet non judiciaire de l’action est intimement lié au fait
que nous soyons d’abord titulaire de droits, en somme que l’action est incluse dans le droit
lui même (section 1).
Après avoir identifié l’action issue du droit qui se met en œuvre entre les parties,
nous allons nous apercevoir en conséquence, que des moyens sont mis à la disposition du
19
titulaire de droit afin d’agir sur le fondement de ce droit qu’il entend légitimement voir
s’exécuter et ce sans qu’il ait besoin d’user de moyens judiciaires (section 2).
SECTION 1 : L’inclusion de l’action dans le droit
L’objet non judiciaire de l’action entre les parties va trouver son origine dans les
droits dont nous sommes titulaires, droits qu’on entend voir s’exécuter par l’exercice de
l’action. L’action en exécution d’un droit n’est donc pas autonome de ce droit (§1). Cette
absence d’autonomie s’explique tout simplement par le fait que l’action en exécution
constitue l’expression de l’effet obligatoire du droit (§2).
§ 1) L’absence d’autonomie de l’action par rapport au droit
De prime abord il peut paraitre relativement étrange que l’action soit incluse dans le
droit lui-même. En effet en la reliant ainsi au droit, l’action perdrait de son autonomie et
semblerait se réduire à une simple manifestation des droits subjectifs dont nous sommes
titulaires. Cela étant ce n’est pas parce que l’action va trouver son origine dans le droit,
qu’elle se réduira à ce droit, elle va au contraire aller au-delà du droit afin qu’il s’exécute. Il
n’en reste pas moins que l’action n’est pas autonome du droit, ce n’en est qu’une facette.
L’action va permettre au droit de se mettre en mouvement et de sortir de son état statique ;
c’est une manifestation concrète de nos droits subjectifs.
Il faut le rappeler nous sommes ici dans l’hypothèse où le droit préexiste à l’action.
Tous sujets de droits par cette qualité, est titulaire de droits et ces droits vont trouver leur
première concrétisation par les notions de jouissance et d’exercice.
La capacité de jouissance29
correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou être
tenu d’obligations. Avoir la capacité juridique et donc être personne juridique sous entend
qu’il faille être sujet de droits donc qu’il faille être apte à être titulaire de droits et
d’obligations. Ce qui est certain, c’est que nous sommes tous potentiellement titulaires de
droits et ce dès la naissance. Cela a naturellement pour conséquence que les droits et
obligations se rattachant à un sujet ont vocation à intégrer son patrimoine.
29
G. CORNU. Op. cit., cf. capacité de jouissance, p. 129.
20
La capacité d’exercice30
ne se confond pas avec la capacité de jouissance car elle n’est
pas aussi étendue que cette dernière. En effet, nous l’avons dit, nous sommes tous
potentiellement sujets de droits. La capacité d’exercice elle, est relative à l’étendue des
droits susceptibles d’être exercés. La capacité d’exercice est l’aptitude à exercer par soi
même, les droits et obligations dont un sujet de droits est titulaire. On peut donc être
personne juridique en étant dépourvu de capacité d’exercice. Cela étant la capacité est de
droit tandis que l’incapacité est l’exception. La personne juridique a la capacité de jouissance
et la capacité d’exercice jusqu’à preuve contraire. Il faut noter que les développements qui
vont suivre vont rester sur le principe de la capacité d’exercice et laisser l’incapacité et donc
la notion de représentation de coté faute de temps.
C’est notamment grâce à la capacité d’exercice qui va se matérialiser par des
prérogatives accordées au titulaire de droits, que nous allons pouvoir identifier l’origine de
l’action. Nous allons partir du postulat qu’étant titulaires de droits, nous en avons
naturellement la jouissance et l’exercice. Ainsi nous sommes tous titulaires de droits comme
par exemple le droit de propriété31
. Ces droits nous en sommes titulaires en tant que sujets
de droits et ils existent sans que le juge ait besoin d’intervenir pour nous dire que ces droits
sont bien les nôtres.
De ces droits on va en tirer un certain nombre de prérogatives et ce sont ces
prérogatives qui vont permettre à tous sujets de droits de pouvoir les exercer. Sous le terme
prérogative il faut ici entendre l’attribut d’un droit en tant que pouvoirs exclusifs et moyens
d’action qui appartiennent au titulaire de ce droit et dont l’ensemble correspond au contenu
même de ce droit32
. On voit dès lors apparaitre un lien d’appartenance entre le droit et le
fait de l’exercer. A ce stade le droit contient en lui-même assez de puissance pour s’auto
suffire, il contient en lui-même les outils nécessaires à son existence statique et concrète. La
prérogative est donc directement issue du droit. Ainsi le titulaire de droits pourra décider de
ne pas exercer son droit ou au contraire il pourra vouloir le mettre en œuvre et ce sera grâce
à la prérogative d’exercice qui est attachée à son droit. En usant de son droit, le titulaire
30
G. CORNU. Op. cit., cf. capacité d’exercice, p. 130. 31
Article 544 du code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus
absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » 32
G. CORNU. Op. cit., cf. prérogative, p. 695.
21
décide simplement d’activer la prérogative d’exercice qui lui est offerte par le seul fait que le
droit lui appartienne.
Le fait d’être titulaire d’un droit puis de l’exercer informe autrui que nous sommes
bien titulaires de ce droit, droit qu’il a le devoir de respecter. Le droit a donc un certain
pouvoir car du fait de son existence, autrui sait qu’il se trouve en position de soumission face
à ce droit. L’existence du droit n’a pas besoin d’être reconnue par une quelconque formalité,
l’octroi de droits subjectifs se fait en amont par le droit objectif ou encore par la voie
contractuelle. C’est pour cette raison que le seul fait d’être titulaire d’un droit d’abord et de
l’exercer ensuite, contient la menace pour autrui d’une sanction en cas de manquement à
son devoir de respecter ce droit ou de contribuer à son exécution lorsqu’il y est tenu.
Ainsi lorsque le titulaire d’un droit s’adressera à la partie adverse, par exemple dans
le cadre d’un droit de créance, le titulaire du droit va d’abord demander à la partie adverse,
le paiement de la dette. On voit bien à travers cet exemple que le droit de créance contient
la sanction potentielle d’un manquement du débiteur et ce sans aller devant le juge. En effet
le débiteur sait pertinemment que s’il ne paie pas, il s’expose à des poursuites en justice
dont son créancier sera naturellement le demandeur. Or le fait d’exercer son droit c’est déjà
agir. Lorsqu’on met en œuvre son droit de créance, on agit bien à l’encontre de la partie
adverse par le seul fait de lui demander le paiement de la dette ; plus simplement on
actionne son débiteur.
On aperçoit d’emblée le premier aspect de la notion d’action. Il n’est pas forcément
nécessaire de se trouver face à une action en justice pour pouvoir parler d’action. L’action ne
sous entend pas le juge dans le cas de l’action en exécution d’un droit. Ainsi dans notre
propos il est question d’une action particulière, action à l’encontre de la partie adverse
concernée et action qui se manifeste seulement par l’exercice de ce droit. C’est parce qu’on
est titulaire de droits qu’on peut agir dans le cadre des actions en exécution d’un droit car
cette exécution est naturelle et inhérente au droit. En effet si des droits subjectifs sont
reconnus aux personnes juridiques, c’est dans leur intérêt donc on comprend mal que
l’exécution de ces droits ne soit pas naturelle, pourquoi reconnaitre des droits subjectifs
pour qu’ils restent statiques et qu’ils ne soient pas à la disposition de leurs titulaires ? C’est
le propre du droit subjectif que de pouvoir s’exécuter et trouver ses manifestations entre
22
personnes juridiques. C’est donc une première forme d’action que de pouvoir s’adresser à
autrui relativement à l’exécution de l’un de nos droits subjectifs.
Cette relation qui s’instaure grâce aux droits subjectifs dont nous sommes titulaires,
relation avec autrui trouve son origine dans la titularité du droit lui-même. Cependant cette
relation ainsi exprimée pourrait nous faire penser à une autre notion que celle d’action car
entre deux ou plusieurs personnes titulaires de droits ou d’obligations, on entend souvent
parler d’opposabilité. Or nous allons voir que l’action telle que nous venons de la présenter
est tout simplement l’expression de l’effet obligatoire du droit qu’on entend voir s’exécuter.
§ 2) L’action, expression de l’effet obligatoire du droit
De prime abord lorsqu’on envisage l’action issue du droit qui a vocation à s’exécuter
entre les parties, il parait aisé de faire un lien avec la notion d’opposabilité du droit. Il est
donc nécessaire de confronter l’opposabilité et l’action telle que nous venons de l’exposer
afin de voir en quoi l’action issue du droit n’est que l’expression de l’effet obligatoire du
droit.
L’opposabilité est l’aptitude d’un droit, d’un acte conventionnel ou judiciaire, d’une
situation de droit ou de fait, à faire sentir ses effets à l’égard des tiers. Les tiers visés ici sont
toutes personnes qui ne sont ni titulaires du droit en question, ni parties à l’acte concerné, ni
ayant cause ou créanciers de ces parties, ni concernées en premier par la situation. Les tiers
ne sont pas soumis aux obligations directement nées de ces éléments mais ils sont forcés à
reconnaitre l’existence de faits, de droits et d’actes dits opposables, à les respecter comme
des éléments de l’ordre juridique et à en subir les effets, sous réserve de leur opposition
lorsque la loi leur en ouvre le droit.33
A la lecture de cette définition il ressort que l’opposabilité concerne les tiers non pas
les parties c'est-à-dire les personnes qui ont contracté ensemble. Les parties elles, sont
concernées par le principe de la relativité des contrats. C’est ce qui ressort de l’article 1165
33
G. CORNU. Op. cit., cf. opposabilité, p. 625.
23
du code civil34
qui signifie que le contrat n’a pas d’effets obligatoires à l’égard de tout le
monde, erga omnes, mais seulement dans les relations de chaque partie avec l’autre.
Il est donc important de noter qu’entre les parties, on ne peut pas parler
d’opposabilité. Comme a pu le noter Robert Wintgen dans sa thèse35
, la notion
d’opposabilité est souvent utilisée pour désigner les effets obligatoires d’un acte à l’égard
des parties. Ainsi par exemple, la Cour de cassation énonce sous le visa de l’article 1147 du
code civil36
, qu’une promesse de vente rédigée par un avocat et qui mettait une obligation
de séquestre à sa charge « lui était nécessairement opposable, de telle sorte qu’il lui
appartenait en vertu de son devoir de conseil, de prendre toutes mesures utiles pour en
assurer l’efficacité »37
. Or en l’espèce, étaient en cause les effets obligatoires nés du contrat
non pas l’opposabilité.
Les parties sont donc liées par le contrat qui servira de base à l’exécution des droits
et obligations nés de ce même contrat. La notion d’opposabilité n’a aucune utilité entre
elles. Cependant pour que la partie respecte ses engagements, la partie adverse va pouvoir
la solliciter sur le fondement des droits qu’elle aura acquis du contrat. Plutôt que de dire que
c’est le contrat qui fonde la relation entre les parties, il serait plus juste de dire que ce sont
les droits issus de ce contrat qui vont permettre d’agir sur leur fondement.
On se retrouve à nouveau face à des droits qui auront pour titulaire l’une ou l’autre
des parties. Or ces droits ont bien eux aussi, vocation à être exécutés, c’est d’ailleurs
certainement le but du contrat. On va donc retrouver exactement le même schéma que celui
que nous avons présenté dans nos développements précédents ; une des parties va aller voir
son cocontractant et lui demander qu’il exécute ce qui a été convenu, elle va agir à son
encontre. Il est clair qu’on ne peut pas expliquer cette action par la notion d’opposabilité car
comme nous l’avons vu l’opposabilité n’a pas vocation à trouver sa place entre les parties
contrairement à ce que pourrait nous laisser penser certaines décisions de la Haute Cour.
34
Article 1165 du code civil : « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent
point aux tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. » 35
R. WINTGEN. Etude critique de la notion d’opposabilité : les effets du contrat à l’égard des tiers en droit
français et en droit allemand. LGDJ. Paris, 2004, p. 2 et s. 36
Article 1147 du code civil : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts,
soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne
justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait
aucune mauvaise foi de sa part. » 37
Cass. Civ. I. 8 juillet 1994, Bull n°238.
24
C’est bien la notion d’action entre les parties qui va permettre l’exécution des droits
concernés et l’objet de cette action est bien l’exécution de ces mêmes droits. Le fait qu’une
partie puisse agir directement contre son adversaire constitue l’expression de l’effet
obligatoire du droit.
La même analyse peut être appliquée aux ayant cause qui ne sont pas parties au
contrat mais qui ne sont pas non plus des tiers véritables tout simplement parce qu’ils tirent
leurs droits des droits d’une des parties. Les héritiers et légataires universels succèdent aux
droits et obligations nés du contrat auquel le de cujus était partie38
. Cela a naturellement
pour conséquence qu’ils pourront agir à l’encontre du contractant qui pourtant avait
contracté avec le de cujus. Ce sont en effet les droits qui sont ainsi transmis et donc du
même coup, les prérogatives afférentes à ces droits dont la prérogative d’exercice qui
permettent d’agir en exécution. Prenons à titre exemple le droit au bail concernant
l’habitation familiale, droit qui existe entre époux. Même si le logement familial avait été
pris à bail avant le mariage par l’un des époux et que ce logement s’est trouvé être par la
suite la résidence familiale, si l’époux bailleur décède, l’épouse aura droit à la continuité du
bail pendant un an39
. Le preneur quant à lui n’avait pas contracté avec l’épouse. Pourtant
l’épouse va pouvoir bénéficier des prérogatives afférentes au droit qu’elle a reçu et donc
pouvoir agir à l’encontre du propriétaire si celui-ci se montre récalcitrant. L’action sera
toujours l’expression de l’effet obligatoire du droit au bail.
Concernant maintenant les tiers penitus extranei, profondément extérieurs et
entièrement étrangers à la conclusion du contrat, eux vont être soumis à la notion
d’opposabilité. Le principe est l’effet relatif du contrat en ce qu’il génère des créances et des
obligations mais il faut apporter une limite à ce principe qui se trouve être le respect des
droits acquis en vertu du contrat. Les tiers doivent donc respecter les droits
contractuellement acquis par d’autres. D’un contrat peut naitre une personne morale qui
une fois immatriculée, s’impose à tous. Les tiers sont donc tenus de respecter cette
38
Exceptionnellement certains contrats ne se transmettent pas avec la mort de l’un des contractants soit en
vertu d’une clause expresse, article 1870 al 2, soit à cause de la nature propre du contrat comme par exemple
la rente viagère. 39
Article 1751 du code civil « En cas de décès d’un des époux, le conjoint survivant co-titulaire du bail dispose
d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément » et article 215 al 3 : « Les époux ne peuvent
l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni les meubles meublants
dont il est garni. Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation… »
25
personne juridique ainsi née. Dans le cadre d’un droit de créance contractuellement acquis,
les tiers pourront engager leur responsabilité s’ils y portent atteinte en mettant obstacle à
l’exécution des engagements de l’autre partie.40
C’est donc ici que la notion d’opposabilité
trouve à s’appliquer.
Quoiqu’il en soit, on retrouve dans tous les cas la notion d’action. Peut être d’ailleurs
que l’opposabilité pourrait s’expliquer par l’action, par la possibilité d’agir, car si cette
possibilité est naturelle et automatique lorsqu’on entend agir en exécution d’un droit, cette
possibilité d’agir, on le verra, existe aussi lorsqu’on entend faire constater voire constituer
une situation juridique nouvelle. Or lorsqu’on parle de l’opposabilité d’un droit cela signifie
que ce droit existe et qu’il doit être respecté, l’opposabilité indiquant juste qu’il y a une
possibilité d’agir contre la personne qui n’aura pas respecté ce droit. L’opposabilité serait
donc un reflet du caractère obligatoire du droit à l’égard des tiers. Il n’y a que l’action qui
change d’objet dans ce cas pour ne plus être une action exécution d’un droit mais une action
en constatation du droit à réparation, action rendue possible par l’inobservation de
l’opposabilité d’un droit.
On voit donc que l’objet même de l’action se trouve être dans le droit. C’est parce
qu’il y a droit qu’il y a action entre les parties dans un premier temps. Nous verrons par la
suite que c’est aussi parce qu’il y a droit préalable, qu’est ouverte la possibilité d’accéder au
juge. Avant de voir comment l’action issue du droit permet l’accès au juge, il faut étudier
quels sont les moyens offerts au titulaire de droits pour agir à l’encontre de la partie adverse
mais ce bien sûr, sans recourir au juge. En effet il est désormais admis que tous droits
subjectifs s’accompagnent naturellement d’une action en justice et on essaie ici de
démontrer que préalablement, tous droits subjectifs s’accompagnent naturellement d’une
action dont l’objet est non judicaire, action entre les parties. Pour que cette dernière puisse
se mettre en mouvement, il parait nécessaire que le titulaire de droits dispose de moyens
pour faire respecter l’exécution de son droit.
40
Il s’agira là d’une action en responsabilité qui ne sera pas une action en exécution d’un droit mais une action
en constatation d’un droit à savoir le droit à réparation. Cette catégorie d’actions sera étudiée en seconde
partie.
26
SECTION 2 : Les moyens offerts par l’action sans le juge
Il ne s’agit pas ici d’analyser les moyens offerts par l’action issue du droit c'est-à-dire
ce que traduisent ces moyens, ce qu’ils manifestent, car cette analyse trouvera sa place dans
un développement postérieur.
Il s’agit ici de montrer que le titulaire d’un droit subjectif lorsqu’il agit dans le cadre
de son droit, dispose de moyens autre que celui de saisir le juge. Ces moyens donnent force
à l’action du titulaire du droit au point qu’on puisse faire de cette action, une notion
autonome de celle d’action en justice. En effet on voit mal comment une action assortie de
moyens spécifiques aux mains de son titulaire, ne pourrait pas être une action autonome
voire indépendante de l’action consistant elle, à aller trouver le juge. Afin de garantir
l’exécution de son droit sans aller voir le juge, le titulaire va pouvoir adopter une attitude
préventive.
Ainsi si on se trouve dans le cadre d’un contrat, les parties auront pu prévoir une
astreinte en cas de manquement à l’obligation prévue41
. La notion de comminatoire a toute
sa place dans les moyens offerts par l’action issue du droit. Un contrat, une clause, une
stipulation comminatoire contient la menace d’une sanction civile, pénale ou disciplinaire en
cas d’inexécution d’une obligation42
. Cette menace, le titulaire du droit pourra lui-même la
mettre en œuvre car elle est attachée à son droit. Ainsi la mise en demeure43
contient elle, la
menace d’une action en justice. La clause pénale44
fait partie des clauses comminatoires en
vertu de laquelle un contractant s’engage en cas d’inexécution de son obligation ou en cas
de retard dans l’exécution de son obligation, à verser à l’autre, à titre de dommages et
intérêts, une somme forfaitaire, en général très supérieure au montant du préjudice
réellement subi par le créancier. Les parties disposent donc de moyens pour se prémunir
d’une éventuelle inexécution. Tous ces outils sont offerts aux parties en tant que titulaire de
droits car il faut bien reconnaitre que s’il n’y avait pas de droits subjectifs antérieurement
reconnus, aucun des moyens que nous venons d’exposer ne serait ni utiles et ni nécessaires
car il n’y aurait tout simplement pas lieu à exécution.
41
G.CORNU. Op. cit., cf. astreinte, p. 86. 42
Ibid., cf. comminatoire, p. 175. 43
Ibid., cf. mise en demeure, p. 284. 44
Article 1229 alinéa 1 du Code civil : « La clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le
créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale. »
27
Plus généralement les voies de droit45
vont trouver leur place dans le cadre de
l’action issue du droit. Les voies de droit sont des moyens offerts par la loi aux citoyens, de
faire reconnaitre et respecter leurs droits ou de défendre leurs intérêts. L’action en justice
fait bien sûr partie de cette catégorie mais il est important de noter qu’il n’y a pas qu’elle. Le
recours administratif est une voie de droit qui n’a pas vocation à s’exercer
systématiquement devant le juge.
Les voies d’exécution46
sont des moyens par lesquels une personne peut, avec le
concours de l’autorité publique, obtenir l’exécution forcée des engagements pris envers lui,
spécialement contraindre celui qui s’est engagé dans certaines formes, à satisfaire à ses
obligations. Ainsi la saisie mobilière permettra bien d’agir à l’encontre de la partie
récalcitrante sans avoir recours au juge, l’huissier de justice étant chargé de sa mise en
œuvre.
Le titulaire de droits dispose donc de moyens du fait de l’existence de son droit afin
de le faire respecter et ces moyens ne se traduisent pas forcément par l’accès au juge. C’est
ce qui nous fait dire que le titulaire de droits dispose de deux sortes d’actions, actions toutes
deux attachées à l’existence de ce droit. La première action nous venons de la voir et elle est
intimement attachée à la prérogative d’exercice, c’est l’action du titulaire du droit
directement à l’encontre d’autrui. Cette action a donc un objet non judiciaire. Cela étant et
toujours dans le cadre de l’action en exécution d’un droit, l’objet de l’action va être
susceptible de revêtir un caractère cette fois ci, judiciaire. C’est la seconde étape de l’action
en exécution d’un droit qu’il s’agit d’étudier c'est-à-dire l’accès au juge.
45
G. CORNU. Op. cit., cf. voies de droit, p. 953. 46
Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution.
28
CHAPITRE 2 : L’OBJET JUDICIAIRE DE L’ACTION : L’ACCES AU JUGE
Nous l’avons vu avant de se présenter devant le juge, le titulaire de droits doit
préalablement user des prérogatives afférentes à son droit pour en obtenir l’exécution et ce
sans aller dans un tribunal.
Cela étant si la première forme d’action suffisait, à savoir l’action entre les seules
parties, le mot contentieux ne ferait plus partie de notre vocabulaire. Bien souvent la
menace d’une action en justice ne suffit pas à obtenir une quelconque exécution. Il a donc
fallu créer une étape supplémentaire dans le processus de mise en œuvre du droit pour en
obtenir son exécution et cette étape correspond à l’accès au juge. L’objet de l’action sera
donc cette fois ci judiciaire.
Cette étape correspondant au droit de recourir au juge, trouve également son origine
dans le droit subjectif lui-même (section 1). C’est pour cette raison qu’on ne peut pas faire
de cette action, une action totalement autonome du droit préexistant à tel point qu’on
pourrait se demander s’il est bien correct de parler d’action en justice en tant que tel. En
effet il semble que dans cette hypothèse, les notions d’action en justice et d’accès au juge se
confondent. Il y a donc une distinction à opérer entre ces deux notions car l’accès au juge est
seulement une forme d’action en justice et cette dernière ne sera pas autonome du droit
substantiel. L’action en justice est une catégorie visant à regrouper plusieurs formes
d’actions qui ont vocation à s’exercer devant le juge mais ces différentes formes d’actions se
distinguent entre elles (section 2).
SECTION 1 : Le droit de recourir au juge
On retrouve la même question préliminaire que celle que nous avons eu face à
l’action entre les parties, à savoir qu’elle est l’origine du recours au juge.
Nous l’avons vu le fait de pouvoir agir directement à l’encontre de la partie adverse
tire son origine du droit lui-même. Dans le cadre du recours au juge, il convient d’opter pour
la même réponse. En effet dans cette hypothèse, l’action correspondra au droit dans sa
forme offensive car elle constituera la dernière étape pour en obtenir l’exécution, la
première forme d’action entre les parties ayant par hypothèse échouée.
29
Il est désormais acquis que le droit s’accompagne tout naturellement d’une action en
justice au profit de son titulaire. Le droit rappelons le, préexiste à l’action et c’est parce qu’il
y a droit dont nous sommes titulaire antérieurement à l’action qu’est offerte la possibilité
d’agir. On est ici au stade où la partie adverse ne s’est pas contentée de la menace qui pesait
sur elle, menace qui s’est manifestée lorsque le titulaire du droit l’a tout simplement
sollicitée. Cette menace a pu être d’autant plus flagrante lorsque le titulaire du droit se sera
servi des moyens attachés à son droit, par exemple en mettant en demeure la partie adverse
de s’exécuter. La conséquence est qu’ayant activé la partie adverse dans un premier temps
et ce sans succès, le titulaire du droit va se tourner vers le juge. Nous sommes ici dans la
situation où le titulaire du droit va dire, et reprenons l’exemple du droit de créance, je suis
allé vers mon débiteur qui m’a refusé le paiement de la dette, je viens donc devant le juge
pour obtenir ce même paiement. Il y a donc une suite logique dans l’action du créancier. Il va
d’abord aller voir son débiteur pour obtenir le remboursement d’un prêt qu’il lui aura par
exemple accordé, le débiteur ne réagissant pas à cette première demande, le créancier va le
mettre en demeure de s’acquitter de sa dette. Le débiteur ne s’exécute toujours pas alors
qu’avec la mise en demeure il sait pertinemment qu’il s’expose à des poursuites judiciaires.
Le créancier va donc concrétiser cette mise en demeure en saisissant le juge.
Ce déroulement de l’action de la part du créancier a bien pour origine son droit de
créance. Sans lui il n’aurait rien à demander à la partie adverse et il n’aurait rien non plus à
demander au juge car il faut bien comprendre que la relation principale se noue toujours
entre les mêmes parties, le juge étant en quelques sortes un tiers extérieur chargé
d’ordonner en dernier recours, l’exécution du droit en lui conférant l’autorité de la chose
jugée.
Si l’action du créancier contre le débiteur se rattache à la prérogative d’exercice
découlant de son droit de créance, l’action qu’il opère en s’adressant au juge correspond à
ce qu’on pourrait appeler la prérogative offensive. C’est une prérogative distincte de la
prérogative d’exercice en ce qu’elle n’a pas vocation à se mettre en œuvre dans le même
cadre, l’action n’a plus lieu directement entre les parties mais devant le juge.
Ainsi en schématisant le droit subjectif se dédoublerait en deux prérogatives
principales s’agissant de l’action : la prérogative d’exercice d’une part et la prérogative
30
offensive d’autre part, chacune correspondant à une action spécifique. Il y a donc un
cheminement de degrés dans l’action dont dispose le titulaire de droits. De plus ces
prérogatives sont naturellement rattachées au droit. Point n’est besoin de les solliciter à un
tiers extérieur puisqu’elles constituent des attributs entrant dans la définition même du
droit. Ces prérogatives ne sont que des outils destinés à concrétiser la mise en œuvre
pratique et non plus seulement théorique des droits dont nous sommes titulaires.
Cette particularité, on l’aperçoit clairement dans l’analyse que Jean Dabin a fait du
droit subjectif.47
Pour lui, un droit subjectif se distingue par l’appartenance et la maitrise
qu’a le titulaire sur son droit. L’appartenance est à la base, il y a action car le droit en
question est notre et la maitrise suit naturellement car c’est toujours le titulaire du droit qui
va décider de l’orientation qu’il donne à la mise en œuvre de son droit. Qu’il s’agisse de la
prérogative d’exercice ou qu’il s’agisse de la prérogative offensive, elles se rattachent toutes
les deux à la maitrise qu’on a sur nos droits subjectifs. Sans cette maitrise les deux
prérogatives relatives à l’action ne pourraient pas exister. Elles sont tout simplement la
traduction concrète de la maitrise du droit subjectif. « L’appartenance est un attribut de la
chose alors que la maitrise est un attribut du sujet et les deux sont inséparables. »48
L’objet même des deux sortes d’actions exposées n’est envisageable et
compréhensible qu’à partir du droit subjectif dont il tire son origine. C’est pour cette raison
tenant à l’origine de l’action qui conduit le titulaire de droits à s’adresser au juge qu’on peut
parler d’un simple accès au juge. En effet dans l’hypothèse de l’action en exécution d’un
droit ce qu’on entendra par action en justice, ce sera tout simplement le fait de pouvoir
s’adresser au juge.
SECTION 2 : La distinction opérée entre action en justice et accès au juge
Il faut bien comprendre que le terme d’action en justice tend à regrouper toutes les
actions qui se mettent en œuvre devant le juge. A l’intérieur de cette catégorie formée par
les actions en justice, existent des subdivisions correspondant chacune à des actions
particulières. Une de ces subdivisions sera constituée par l’action en exécution d’un droit
47
J. DABIN. Op. cit., p. 80 et s. 48
Ibid., p. 87.
31
dans son objet judiciaire. Les autres subdivisions de la catégorie des actions en justice seront
étudiées en seconde partie.
Pour l’heure nous sommes toujours dans le cadre de l’étude de l’objet de l’action en
exécution d’un droit. Ce droit constitue la pierre angulaire de notre raisonnement lorsqu’on
veut comprendre comment s’articule l’action et donc comment se concrétise son objet.
Nous allons donc dans un premier temps voir en quoi les notions d’action en justice et
d’accès au juge se distinguent, en somme quelle est la nature de cette distinction (§1) pour
ensuite en déduire les conséquences que cela va apporter s’agissant de la nature du
jugement rendu dans le cadre de l’accès au juge (§2).
§1) Nature de la distinction entre action en justice et accès au juge
Dans l’exemple que nous avons pris dans nos développements précédents, le
créancier qui n’a pas obtenu le paiement de la part de son débiteur et ce alors même qu’il l’a
activé voire menacé par différentes voies, ce créancier décidera de mettre sa menace à
exécution et donc d’aller trouver le juge. En conséquence on pourrait dire que le titulaire du
droit de créance va exercer une action en justice. Ce n’est pas totalement faux dans un sens
courant, pourtant si on analyse plus précisément ce qu’est la prérogative offensive, cette
terminologie peut paraitre inadaptée.
En effet et on l’aura compris à ce stade, on est ici face à un droit qui existe
antérieurement à l’action. C’est grâce à la prérogative offensive découlant de ce droit que
nous allons pouvoir aller devant le juge. La base du raisonnement tient donc à ce fameux
droit car tout ce que nous avons pu voir jusqu’à présent découle de ce droit. Le fait d’aller
devant le juge ne se détache toujours pas du droit subjectif car c’est grâce à lui qu’on
dispose de la prérogative offensive permettant de s’adresser au juge. En somme il ne s’agit
que d’un accès au juge. Pourquoi utiliser la notion d’action en justice alors que nous pouvons
en arriver au même résultat, à savoir trouver le juge, en raisonnant à partir du droit
subjectif ? La notion d’action en justice se confond dans cette hypothèse avec la notion
d’accès au juge. Cette confusion est engendrée par l’objet même de l’action. L’objet de
l’action en exécution d’un droit ne change pas de nature qu’on l’étudie dans un premier
temps entre les parties ou qu’on l’étudie dans un second temps lorsque le titulaire du droit
demandera toujours la même chose en sollicitant l’intervention du juge. Cet objet c’est de
32
mettre en œuvre le droit qui a vocation à s’exécuter mais aussi protéger ce droit qui
s’exécute naturellement. En somme il y a deux versants de l’objet de l’action en exécution
d’un droit, un objet non judiciaire qui a vocation à se mettre en œuvre directement entre les
parties, et un objet judiciaire qui lui trouvera concrétisation par l’accès au système judiciaire.
Cela étant cela ne veut pas dire qu’il y ait une confusion totale entre le droit subjectif
et le fait d’accéder au juge. Du droit subjectif ressortent deux prérogatives, l’une s’exerçant
directement contre la partie adverse et l’autre s’exerçant toujours face à la partie adverse
mais devant et à l’aide du juge. Rajouter la notion d’action en justice dans ce cas pourrait
conduire à nier ce qui ressort du droit lui-même, à nier les prérogatives attachées à ce droit
qui à elles seules conduisent à la mise en œuvre du droit. L’action en justice ici ne doit pas
être entendue comme une notion autonome mais comme un accès au juge découlant des
droits dont nous sommes titulaires. Ce raisonnement parait logique, d’autant plus logique
nous le verrons, qu’il est totalement inapplicable lorsque nous sommes face à l’action en
constatation ou en constitution de droit. Dans cette hypothèse ce sera l’action elle-même
qui créera la situation juridique. Dans notre cas présent où le droit existe de manière
concrète et certaine avant l’action, on peut reprendre l’expression selon laquelle le droit est
sur le pied de guerre. Le droit sur le pied de guerre correspond tout simplement à la
prérogative offensive, à l’accès au juge.
La notion d’action en justice en tant que concept autonome s’efface devant l’ampleur
du droit subjectif. Lorsqu’il y a un droit antérieur qu’on entend exécuter, la situation
juridique est pré constituée et ce avant tout litige. On attend juste du juge qu’il entende
faire respecter cette exécution en l’imposant. L’accès au juge découle naturellement de
l’existence de droits subjectifs et obéit à des règles particulières qu’au point de vue de la
procédure, en tant qu’acte de procédure, comme demande en justice. Selon Jacques Héron
l’action n’est pas un droit virtuel, distinct des demandes et des défenses49
. Selon lui parler
d’action revient à désigner les actes processuels que sont les demandes et les défenses. Or
avec l’analyse que nous venons de faire on ne peut pas dire que l’action dans le sens d’accès
au juge se réduise aux demandes et aux défenses, ce serait vider l’action de son contenu. En
effet l’action est un aspect de la mise en œuvre du droit lorsqu’on se réfère à l’action en
exécution d’un droit donc réduire l’action aux actes de procédure revient à nier l’objet de
49
J. HERON, T. LE BARS. Op. cit., p. 47 s.
33
l’action. L’action ne peut donc pas être un simple contenant où ranger les conditions de
recevabilité des demandes et des défenses. L’action n’est pas une simple notion procédurale
car elle est la manifestation du contenu substantiel du droit lorsqu’on entend l’exécuter.
Cette relation existant entre le droit subjectif et l’accès au juge a été aperçu par
Ihering50
. En effet Ihering dans ses propos a toujours indiqué l’élément de protection
juridique s’agissant de la définition du droit subjectif. C’est ce qui lui faisait dire que d’un
point de vue du droit objectif juridique, cette protection devient un élément indispensable,
mission de garantie de l’Etat. Dabin a repris ce raisonnement pour conclure que sur le plan
du droit positif, le droit subjectif complet est celui qui est assuré par la société sinon le droit
manque et il n’existe que sur le plan moral51
. Un droit qui n’existe que sur le plan moral perd
de sa puissance car il ne sera pas reconnu en tant que tel par l’ordre juridique. Avec ces
développements on comprend aisément que l’action ne peut pas se réduire aux demandes
et aux défenses car ces deux notions procédurales ne permettent pas de saisir les différents
objets que peut avoir l’action ni de comprendre sa mise en œuvre. L’action en justice est
donc un contenant où sont rangés plusieurs types d’actions. S’agissant de l’action en
exécution d’un droit, on parlera d’accès au juge pour désigner l’action en justice qui s’y
réfère. Seul le terme d’accès au juge permet de rendre compte et de l’origine et de l’objet de
l’action en exécution d’un droit. Lorsqu’on étudiera les actions en constatation et en
constitution de situations juridiques, l’action en justice qu’on entendra désigner ne sera pas
la même. Il y aura là, place à un concept autonome de tout droit préexistant, concept
matérialisé par une subdivision différente au sein des actions en justice.
Corrélativement à ces subdivisions des actions en justice, les jugements rendus ne
seront pas de même type selon l’action qu’on entend exercer. Nous n’aurons pas l’occasion
de revenir sur tous ces jugements mais nous allons ici nous attarder plus spécifiquement aux
caractères de celui qui est rendu dans le cadre de l’action en exécution d’un droit.
50
IHERING. L’esprit du droit romain, traduction de Meulenaere, 3e édition, tome IV, § 70, p. 328.
51 J. DABIN. Op. cit., p. 97 et s.
34
§2) L’impact de la distinction sur la nature du jugement rendu
Si une distinction peut être faite entre les notions d’action en justice et d’accès au
juge cette dernière en tant que subdivision de la première, il y aura forcément une
conséquence sur la nature du jugement qui sera rendu. Il s’agit ici de s’attarder plus
précisément sur la nature du jugement qui sera rendu dans le cadre de l’accès au juge.
En accédant au juge, le titulaire du droit entend naturellement qu’un acte
juridictionnel soit rendu, cet acte juridictionnel permettant de contraindre à l’exécution du
droit ou de l’obligation qui est en cause. En effet c’est bien l’objet de l’action que de parvenir
à l’exécution qui ne s’est pas faite entre les parties.
D’un point de vue matériel, un acte juridictionnel s’entend de tout acte, quelque en
soit l’auteur, par lequel une autorité compétente procède à une vérification de légalité sur
un acte juridique ou matériel. D’un point de vue formel, cette qualification est réservée aux
actes matériellement juridictionnels émanant d’une juridiction, d’un juge.52
Le titulaire du droit en accédant au juge attend donc que ce dernier rende sa décision
qui se matérialisera par un acte juridictionnel qui possède l’autorité de la chose jugée, la
force exécutoire. Le plus souvent un acte juridictionnel a un caractère déclaratif c'est-à-dire
qu’il constate un fait préexistant ou reconnait au profit d’un plaideur, l’existence d’un droit
au moment de l’ouverture du procès, par exemple un droit de créance. Ce jugement
consolide la situation juridique antérieure qui sort du doute et ses effets remontent
logiquement au jour de l’assignation. A l’opposé, le jugement est dit constitutif lorsqu’au lieu
de reconnaitre simplement une situation juridique antérieure à l’instance, il crée une
situation juridique nouvelle. Ses effets partent alors du jour où il a été prononcé. On peut
citer le jugement de divorce, le jugement d’adoption, le jugement prononçant le
redressement ou la liquidation judiciaire d’une entreprise, les décisions en matière de
nationalité etc.53
S’agissant de l’accès au juge tel que nous l’avons présenté précédemment, cet accès
au juge est rendu possible parce qu’existe préalablement un droit. C’est d’ailleurs sur le
fondement de ce droit que son titulaire entend agir étant donné qu’il en cherche l’exécution.
52
Lexique des termes juridiques. 18e édition Dalloz, 2011, cf. acte juridictionnel.
53 J. HERON. Op. cit., p. 259.
35
Le jugement rendu ne pourra donc pas être dit constitutif. En effet par l’acte juridictionnel
qu’il rendra, le juge ne créera aucune situation juridique nouvelle. La situation juridique dans
le cadre de l’action en exécution d’un droit est préétablie, elle existe déjà dans
l’ordonnancement juridique et ce bien avant d’accéder au juge. L’office du juge dans cette
hypothèse, n’est donc pas de créer une situation juridique.
Le jugement rendu dans le cadre d’une action en exécution d’un droit a-t-il alors un
caractère déclaratif ? Le jugement rendu ne va pas constater un fait préexistant tel un lien
de filiation54
. En effet il ne s’agit pas de se prévaloir d’un fait mais d’un droit, droit dont on
attend qu’il s’exécute et dont l’existence est certaine. Dans ce sens donc le jugement ne
peut pas être qualifié de déclaratif.
Cela étant le jugement déclaratif est aussi celui qui va reconnaitre au profit d’un
plaideur, l’existence d’un droit au moment de l’ouverture du procès. Le juge va donc
seulement reconnaitre l’existence d’un droit. Cela ne veut pas dire qu’avant d’accéder au
juge, le titulaire était dépourvu du droit dont il est question sinon on l’aura compris, il
n’aurait pas pu agir car c’est justement grâce à son droit qu’il le peut. Simplement c’est le
juge qui va à son tour constater l’existence de ce droit afin qu’il s’exécute. Le juge va alors
donner force exécutoire à une situation juridique qui existait déjà antérieurement. C’est bien
en cela que c’est la dernière étape de l’action issue du droit. Cette dernière action, l’accès au
juge, va permettre au plaideur de renforcer son droit. Le jugement ne va pas reconnaitre un
fait préexistant mais une situation juridique antérieure et c’est en cela qu’il sera déclaratif.
Le jugement sera bien sûr qualifié de déclaratif lorsqu’il reconnaitra un fait
préexistant mais on ne sera plus ici dans le cadre d’une action en exécution d’un droit, on se
trouvera face à une action en constatation d’un fait existant antérieurement à l’action ce qui
nous occupera dans une seconde partie. L’aspect déclaratif du jugement contient par
conséquent deux versants.
On pourrait donc dire que dans le cadre de l’action en exécution d’un droit et plus
précisément lorsqu’on se situe à la dernière étape, à savoir l’accès au juge, l’office du juge
est en quelque sorte réduite à une simple homologation. En effet dans le cadre d’un droit de
créance, le juge va seulement entériner l’existence de ce droit à son niveau non plus au
54
Ce type d’actions sera développé en seconde partie.
36
niveau des parties. L’objet de l’action quant à lui ne s’en trouve pas modifié, il s’agit toujours
d’obtenir l’exécution du droit en question.
Cependant il est important de noter que l’homologation opérée par le juge peut avoir
deux natures. D’une part, le juge peut constater, reconnaitre un droit qui existait
antérieurement et c’est l’hypothèse qui nous intéresse ici mais d’autre part, le juge peut
aussi constater un fait préexistant pour lui donner force juridique et ce n’est pas le cas de
l’action en exécution. Le jugement rendu dans ce dernier cas ira au-delà de la simple
constatation car il permettra de donner force juridique à un fait qui avant d’être présenté au
juge ne faisait pas parti de l’ordre juridique. Il y aura donc une constatation pour ensuite
parvenir à une reconnaissance juridique d’un fait qui s’en trouvera consolidé et modifié.
Concernant le jugement déclaratif rendu dans le cadre de l’accès au juge en vue de
l’exécution d’un droit, on ne peut qu’approuver l’opinion de Jacques Héron qui estime que
« l’acte juridictionnel est l’acte émanant d’un juge qui, à l’issue d’une procédure, procède à
une constatation lui permettant de trancher un litige par sa décision. »55
L’action réalise donc la garantie du droit subjectif et c’est une sanction nécessaire.
Dabin concluait en précisant que la protection suit le droit et engendre un droit nouveau
différent du droit protégé, à savoir le droit d’action qui suppose l’intérêt à agir56
. Si l’action
correspond au droit sur le pied de guerre, elle ne se confond pas avec ce droit, elle y puise
simplement son origine. Là où nous pourrions émettre une réserve, c’est sur la naissance
d’un droit nouveau constitué par le droit d’agir. Ce droit découlerait lui-même d’un autre
droit à savoir le droit subjectif mais cet enchainement on pourrait peut être le comprendre
sans pour autant l’analyser comme un droit d’agir.57
C’est ce que nous allons voir en tentant d’analyser désormais, les manifestations de
l’action ou plutôt devrait on dire des actions que nous avons vu jusqu’à présent. C’est par la
concrétisation de l’objet de l’action que nous pourrons voir si oui ou non l’action est un droit
en tant que tel.
55
J. HERON. Op. cit., p. 260. 56
J. DABIN. Op. cit., p. 102 et s. 57
Cet aspect mériterait des développements plus poussés. Il faut noter que dans cette hypothèse de la
naissance d’un droit nouveau constituait par le droit d’agir a fait l’objet de nombreux écrits. Voir en ce sens :
CHIOVENDA. Principi di diritto processuale, 3e édition, 1912, p. 29 et s. (Les deux droits seraint coexistants et
entièrement indépendants l’un de l’autre.)
37
C’est s’éloigner quelque peu de l’objet de l’action mais cela va permettre
indirectement de mieux le cerner et le circonscrire. En effet il va maintenant s’agir de savoir
à quoi correspond l’objet de l’action dans sa signification c'est-à-dire quel est son rôle par
rapport au droit subjectif pré existant.
Grâce à l’analyse des deux grandes prérogatives qui nous intéressent, la prérogative
d’exercice et la prérogative offensive, on va pouvoir comprendre leur nature et la façon dont
elles relient le titulaire de droits à la partie adverse que ce soit avec ou sans le juge. C’est
ainsi que l’action va se révéler être la manifestation du caractère contraignant du droit sur le
fondement duquel on entend agir.
38
TITRE 2 : L’ACTION, MANIFESTATION DU CARACTERE CONTRAIGNANT DU DROIT
Il va ici s’agir de pousser la réflexion opérée quant à l’objet de l’action en exécution
d’un droit. En effet si on a pu identifier deux types d’actions, leur objet quant à lui revêt une
certaine unité ; là où l’objet diffère ce n’est que parce que dans un premier temps il sera non
judiciaire alors qu’ensuite il deviendra judicaire en ce que l’action se déroulera devant le
juge. Dans tous les cas que le titulaire de droits agisse à l’encontre d’autrui sans le juge ou
qu’il soit contraint d’accéder au juge afin d’obtenir ce qui lui est du, c’est toujours dans le
but de forcer l’exécution de son droit ou de faire respecter cette exécution.
Cela étant on pourrait se demander comment ce but est susceptible d’être atteint. La
réponse la plus évidente consisterait à dire que c’est justement le fait d’être titulaire de
droits subjectifs qui engendre la possibilité d’agir relativement à leur exécution. Seulement
on aperçoit d’emblée que si le titulaire de droits bénéficie d’actions relatives à ces derniers,
il va être en quelques sortes en position de domination par rapport à autrui. Cette
domination est bien sûr réciproque même si elle n’a pas vocation à jouer dans les mêmes cas
car si le titulaire de droits se trouve face à autrui, ce autrui sera lui aussi titulaire de droits
qui d’ailleurs ne seront pas forcément les mêmes. Quoiqu’il en soit cette position de
supériorité du titulaire de droits face à autrui est indéniable, d’autant plus indéniable que ce
titulaire dispose de moyens non négligeables pour arriver à ses fins.
L’objet de l’action revêt alors une dimension tout à fait particulière car c’est lui qui va
traduire la relation qui unit autrui au titulaire de droits. C’est par cet objet tenant à
l’exécution d’un droit que les deux parties entrent en relation et c’est aussi par l’objet de
l’action que l’on va pouvoir comprendre quelle est la nature de la relation qui les unit. On va
alors retrouver deux notions qui permettent de saisir l’échange qui s’opère entre les parties,
ce sont les notions de devoir et d’engagement. Nous allons donc dans un premier temps voir
qu’existe entre les parties des liens d’obligations qui trouvent leur origine dans le droit qu’on
entend exercer. Ce sont ces liens d’obligations qui vont naturellement engendrés l’action
(chapitre 1). L’élément haftung de l’obligation tel qu’il ressort de l’analyse dualiste de celle ci
va se révéler être un élément moteur de la signification de l’action entre les parties. En effet
par cette notion d’engagement, de contrainte, nous allons pouvoir constater que les actions
préventives ont toute leur place parmi les actions en exécution d’un droit ce qui de prime
39
abord pourrait paraitre contradictoire et contestable. Pourtant nous en arriverons à ce
constat en étudiant plus précisément les actions préventives qui trouvent leur justification
par l’analyse de l’élément haftung (chapitre 2).
CHAPITRE 1 : L’ACTION GENEREE PAR LES LIENS D’OBLIGATION CONSTITUTIFS DU DROIT
Afin de voir comment ces liens d’obligations constitutifs du droit vont pouvoir
générer l’action, il est nécessaire de s’atteler à une analyse critique des conceptions de
l’action (section 1). C’est ce qui nous permettra de comprendre pourquoi il y a un lien à faire
avec l’obligation s’agissant de l’action en exécution d’un droit même si on sent déjà que le
caractère contraignant du droit sur le fondement duquel on entend agir matérialisé par
l’action, va naturellement nous conduire vers la notion d’obligation. Il sera intéressant de
revenir ici sur l’apport de l’analyse dualiste de l’obligation à la notion d’action (section 2).
SECTION 1 : Analyse critique des conceptions de l’action
Comme nous avons pu l’apercevoir en introduction, bon nombre d’auteurs se sont
penchés sur la question de la nature juridique de l’action. Sans être exhaustif, certains
auteurs ont cru reconnaitre dans l’action, un droit fondamental (§1), d’autres ont voulu la
placer entre le droit substantiel et le droit procédural (§2) alors que certains estiment que
l’action n’a vocation à rejoindre aucune catégorie juridique existante (§3).
§1) L’action en justice, droit fondamental
Ainsi Monique Bandrac a pu se demander si les conditions qui font naitre une telle
situation qu’est celle de pouvoir agir, sont ou non l’expression d’une liberté d’agir en justice
qui pourrait être comparée en tant que liberté fondamentale à d’autres libertés de même
sorte58
. Monique Bandrac a pu préciser que celui dont la prétention peut faire l’objet d’une
demande recevable, le titulaire de l’action, jouit d’un pouvoir d’agir analysé comme le
pouvoir d’accomplir un acte juridique à savoir la demande. C’est cette demande qui obligera
le juge à se prononcer sur le fond de la prétention. On voit par là le contenu étroit que
donne Monique Bandrac à l’action. C’est d’ailleurs ce qui lui a fait conclure que le fait de
pouvoir agir se rattachait d’avantage à un droit qu’à une liberté. Ce qui pourrait nous
étonner dans les développements de cet auteur, c’est qu’elle ne fait pas une référence
58
M. BANDRAC. L’action en justice, droit fondamental, in Mélanges Roger Perrot, Dalloz, 1996, p.1 à 16.
40
importante aux droits subjectifs dont nous sommes titulaires préalablement au fait d’aller en
justice. Il est vrai que peu sont les auteurs qui ont analysé l’action en la dédoublant selon
son objet : l’action en exécution d’un droit d’une part et l’action en constatation ou en
constitution de droit d’autre part. Cela a pour conséquence de détacher complètement le
droit subjectif de la possibilité d’agir. Or comme on a pu le voir dans le cas de l’action en
exécution d’un droit, c’est bien parce qu’il y a un droit subjectif à la base que son titulaire
peut s’adresser au juge. Dans les propos de Monique Bandrac, on aurait plutôt deux droits
en présence, le droit subjectif et le droit d’agir, tous deux autonomes l’un de l’autre pour ne
pas dire complètement indépendants.
En précisant que le titulaire de l’action jouit d’un pouvoir d’agir analysé comme le
pouvoir d’accomplir la demande, Monique Bandrac n’explique pas quelle est l’origine de ce
pouvoir d’agir. On comprend donc relativement mal comment et par quels moyens le
titulaire de droit peut précisément agir. De plus Monique Bandrac n’explique pas la relation
qui unit le demandeur au défendeur. Le titulaire du droit par l’action, demanderait au juge
d’exercer sa juridiction, l’action serait pouvoir de contraindre le juge à se prononcer. S’il est
indéniable que le demandeur en s’adressant au juge lorsque sa demande remplit pleinement
les conditions de recevabilité édictées par le code de procédure civile, attend du juge qu’il se
prononce, la première personne qu’il contraint, c’est le défendeur. En effet c’est le
défendeur qui sera soumis à la demande de son adversaire et c’est bien le défendeur qui
devra au final, exécuter l’obligation en cause non pas le juge. Le juge quant à lui par son
jugement, reconnait la situation juridique pour lui donner l’autorité de la chose jugée, il n’est
donc pas à proprement parler débiteur.
Monique Bandrac note qu’on présente souvent le droit d’agir en justice conféré aux
particuliers comme la contre partie du principe qui veut que nul ne puisse se faire justice à
soi même. Cela étant lorsqu’on se situe dans le cadre d’une action en exécution d’un droit, le
droit d’agir qui est en cause, c’est la prérogative offensive qui est la contre partie du fait que
nous soyons d’abord titulaires de droits. Le fait d’être titulaire de droits subjectifs et le fait
de pouvoir agir sur leurs fondements sont inséparables. Si des droits subjectifs nous sont
reconnus ce n’est pas pour qu’ils restent statiques dans notre patrimoine mais bien pour
qu’ils se mettent en œuvre dans notre intérêt.
41
En somme pour cet auteur, le droit d’agir en justice est celui d’obtenir un jugement
sur le fond d’une prétention. Il semble pourtant que s’agissant de l’action en exécution d’un
droit, il faille opérer une distinction entre la possibilité d’agir d’une part, et les conditions à
remplir pour que la demande soit déclarée recevable d’autre part. Ce sont deux questions
tout à fait différentes. Lorsqu’on envisage la possibilité d’agir, il faut entendre traiter de son
origine, comment est ce que l’action est envisageable et sur quel fondement. C’est cette
question que nous avons tenté de traiter dans nos développements précédents, en donnant
comme origine à l’action en exécution, le droit subjectif lui-même, origine qui ne sera pas la
même en cas d’action en constatation ou en constitution de droit. Les conditions de
recevabilité quant à elles, relèvent du domaine réservé à la procédure, il s’agit ici de voir
comment l’action se met concrètement en œuvre devant une juridiction. C’est là que
trouvent leur place les notions d’intérêt, de capacité et de délai. Ainsi une fois qu’on a vu
comment le titulaire du droit peut agir, on vérifiera qu’il remplit les conditions nécessaires à
la recevabilité de sa demande.
D’autres auteurs comme Pierre Hébraud, ont envisagé l’action de manière différente
en faisant le lien entre droit substantiel et procédure ce qui semble indispensable pour
comprendre la relation qui se noue entre les parties.
§2) L’action en justice entre droit substantiel et droit procédural
Pierre Hébraud a une vision différente de l’action en justice59
. Il faut noter que dans
de tels écrits il est seulement question de l’action en justice donc ce qui correspond pour
nous à l’accès au juge non pas à la première sorte d’action qui s’opère directement entre les
parties. Peu d’écrits ont envisagé cette hypothèse mais les analyses de l’action en justice
nous le verrons contribuent aussi à cette action car après les tout les deux actions ont le
même objet, la différence entre les deux ne tenant qu’à leur mise en œuvre pratique.
Pierre Hébraud commence donc son étude en précisant que le droit de provoquer
l’intervention du juge a une existence, un contenu, une nature différente des droits
substantiels qui vont être débattus en justice. Il précise ensuite qu’en poussant l’analyse
jusqu’à son extrême, l’action serait une prérogative légale toujours identique à elle-même,
59
P. HEBRAUD. Op. cit., Observations sur l’évolution des rapports entre le droit et l’action dans la formation et
le développement des systèmes juridiques.
42
indifférente à la nature ou au contenu des droits qui seront débattus. Cette analyse poussée
à l’extrême ne peut pas correspondre à la réalité. En effet la prérogative consistant à pouvoir
saisir le juge n’est pas identique dans tous les cas mais varie au contraire selon l’objet de
l’action. Dans le cadre de l’action en exécution d’un droit, la prérogative concernée sera la
prérogative offensive attachée au droit subjectif qu’on entend faire respecter. Au contraire
dans le cadre de l’action en constatation ou en constitution de droit, la prérogative
concernée ne pourra en aucun cas correspondre à la prérogative offensive car on n’entend
pas ici agir sur le fondement d’un droit que l’on a déjà mais au contraire on agit pour faire
reconnaitre une situation juridique nouvelle. Il s’agira donc d’une prérogative d’une toute
autre nature que nous examinerons lorsqu’on envisagera l’action en constatation ou en
constitution de droit.
Pour cet auteur, il est indispensable de ne pas se limiter au déroulement formel de la
procédure mais l’expliquer par l’analyse des problèmes de droit substantiel que pose la
situation litigieuse qui forme la matière dont se nourrit le procès. Pierre Hébraud insiste
donc sur la relation qui existe entre action et droit subjectif ce qui semble indispensable
pour saisir tous les tenants et aboutissants de l’action en exécution d’un droit.
L’apport majeur des écrits de Pierre Hébraud tient à ce que l’auteur a pu se
demander si l’action tend à la consécration d’un droit ou si c’est le recours à la justice,
l’exercice d’une action, qui par son aboutissement consacre un droit. Il s’est demandé si le
droit constituait toujours la base ou si l’action n’avait pas dans certains cas, un rôle
générateur. L’auteur a ici pointé un problème important tenant à la dualité de la notion
d’action. Si dans l’hypothèse qui nous occupe pour le moment le droit est toujours à la base
de l’action, nous verrons dans la seconde partie que l’action peut revêtir dans certains cas,
un rôle créateur de droit.
La notion d’action est une notion ambivalente et ne revêt pas une unité s’agissant de
sa définition. Il est indispensable de catégoriser l’action selon son objet et c’est ce que Pierre
Hébraud a tenté de mettre en lumière.
Concernant l’action en exécution d’un droit on peut reprendre l’expression de
l’auteur selon laquelle « les rapports entre droit substantiel et procédure se projettent au
travers des rapports entre la notion de droit subjectif, élément fondamental du premier et la
43
notion d’action, base de la mise en œuvre de la seconde ». C’est parce qu’il y a action
possible et donc préalablement identifiée dans son existence que le procès pourra se mettre
en mouvement. Le recours au juge a pour but la protection des droits subjectifs, il est donc
impossible de déconnecter les deux, ils s’articulent.60
Il est regrettable que cet éminent auteur lorsqu’il a rédigé cet article n’ait pas eu le
temps d’aller au-delà de la première sous partie. La partie qu’il n’a pas pu traiter voulait
répondre à la question de savoir s’il n’y aurait pas une place, dans des domaines ou des cas
particuliers, pour l’existence d’une action douée d’un rôle premier, d’une fonction
génératrice. Nous tenterons d’apporter quelques amorces de réponses à cette question en
seconde partie, sans avoir la prétention de dire qu’elles seront à la hauteur de la pensée de
cet auteur.
Georges Wiederkehr a lui aussi analysé l’action en justice pour en souligner un autre
aspect. En effet selon cet auteur c’est l’action elle-même qui revêtirait les caractéristiques
d’une obligation, obligation si particulière qu’elle ne rentrerait dans aucune catégorie
juridique existante.
§3) L’action en justice, une notion en dehors de toute catégorie juridique
Pour Georges Wierderkehr l’action est faculté de contraindre le juge61
. L’objet de
l’action du coté du demandeur serait constitué par la prétention et il existerait autant
d’actions qu’il existe de prétentions. L’action ne serait pas directement liée à la prétention
mais à la possibilité d’une prétention62
. L’action ne serait pas un droit subjectif quelconque
mais une véritable obligation dont le plaideur est créancier et le juge débiteur. Georges
Wiederkehr insiste sur la notion de contrainte que traduit l’action et cette contrainte trouve
sa source dans un lien d’obligation. Cependant si le créancier sera évidemment le
demandeur, le débiteur ne sera pas forcément le juge car dans un premier temps l’action se
met en œuvre sans le juge et même lorsque le titulaire accède au juge, c’est toujours à
l’encontre de la partie adverse, c’est donc elle le premier débiteur qu’on contraint. Le juge
60
J. RIVERO. La pensée du doyen Maurice Hauriou et son influence, Annales de la Faculté de droit de Toulouse,
1968, p.158. 61
G. WIEDERKEHR. La notion d’action en justice selon l’article 30 du nouveau code de procédure civile. In
Mélanges Pierre Hébraud, p.949. 62
G. WIEDERKEHR. Une notion controversée : l’action en justice. In etudes offertes au Doyen PH. SIMLER, Paris,
Dalloz, Litec..DL 2006.
44
quant à lui, lorsqu’il se trouve face à une demande recevable, a le devoir de se prononcer sur
le fond de celle-ci. La véritable contrainte exercée par le demandeur n’est pas dirigée contre
le juge mais contre la partie adverse car l’action constitue la manifestation du caractère
contraignant du droit subjectif sur le fondement duquel il entend agir.
Georges Wierderkehr conclut en précisant qu’il y a une ressemblance avec
l’obligation mais que ce n’en est pas vraiment une car l’éventuel défendeur tant qu’une
demande n’est pas présentée contre lui ne doit encore aucune prestation au titre de
l’action. Mais si on se replace du coté de la première forme d’action donc avant même
d’accéder au juge, la demande est déjà née et par hypothèse bien avant d’être devant le
juge. Lorsque le titulaire du droit qui est en cause s’adresse à la partie adverse pour qu’elle
s’exécute, il met en œuvre la prérogative d’exercice attachée à son droit. Or cette mise en
œuvre se traduit bien par une demande, il sollicite le concours de la partie averse. Georges
Wierderkehr entend par demande la notion procédurale, la demande en tant qu’acte de
procédure mais la demande relative aux droits subjectifs, la demande d’exécution du droit
est présente bien avant le procès car c’est en réponse à cette demande infructueuse que le
titulaire du droit subjectif concerné va s’adresser au juge. Il y a donc déjà un lien d’obligation
mais ce lien d’obligation ressort naturellement du droit substantiel. Ce lien d’obligation unit
non pas le demandeur au juge mais le demandeur au défendeur, le juge quant à lui en
statuant, ne fait que remplir sa fonction juridictionnelle.
Nous allons voir qu’on retrouve les caractéristiques de ce lien d’obligation et dans
l’action entre les parties et dans l’action correspondant à l’accès au juge sans pour autant
que ce lien d’obligation change de nature. Ce sont ces liens d’obligations qui vont conduire à
la naissance de la faculté d’agir. L’apport de l’analyse dualiste de l’obligation à la notion
d’action va permettre de comprendre comment on en arrive à une telle situation.
SECTION 2 : L’apport de l’analyse dualiste de l’obligation à la notion d’action
Nous sommes donc dans l’hypothèse où nous sommes titulaires d’un droit qu’on
entend faire respecter, défendre ou faire valoir dans son exécution. Rappelons que de ce
droit paraissent ressortir deux prérogatives essentielles, la prérogative d’exercice qui
s’exécute entre les parties et la prérogative offensive qui correspond à l’accès au juge c'est-
à-dire le prolongement du droit devant le juge et toujours face à la partie récalcitrante. Dans
45
les deux cas il y a toujours les deux mêmes personnes qui sont concernées principalement, à
savoir le titulaire du droit et autrui, devant le juge on dirait le demandeur et le défendeur. Or
il semble qu’une notion permette de bien comprendre la nature de la relation qui lie ces
parties, cette notion c’est celle d’obligation. Il s’agit ici de retenir l’obligation selon l’analyse
dualiste qui en a été faite en droit allemand. Selon cette analyse, l’obligation est composée
de deux éléments. Tout d’abord l’obligation est formée par le devoir schuld qui va être
complété par la notion d’engagement haftung.63
§ 1) Le devoir, schuld et l’action
L’élément devoir est donc un des éléments moteur qui compose l’obligation. Le
devoir juridique est un rapport en vertu duquel une personne, le débiteur est tenue d’une
prestation envers une autre, le créancier. Ainsi les personnes sont tenues vis-à-vis du
titulaire de droits, d’une prestation envers lui, à savoir au minimum respecter ce droit voire
l’exécuter et ce sera le cas du droit de créance. L’objet du devoir est constitué par ce que
doit la partie qui s’oblige. Le droit de réclamer la prestation en doctrine allemande
correspond à la prétention. Sous le terme de prétention sont regroupés tous les droits
subjectifs qui ont pour objet le fait de pouvoir exiger une action matérielle ou juridique. Or
le titulaire d’un droit lorsqu’il demande à la partie adverse, par exemple le paiement si on
reprend le cas du droit de créance, que fait il si ce n’est d’exiger une action matérielle, le
paiement, à son débiteur ? On est bien dans le cadre d’une prétention. On retrouve la même
transposition lorsque le créancier va accéder au juge. En effet il exige toujours la même
chose, le paiement, action matérielle mais il exige en plus du juge une action juridique qui se
matérialisera par la décision qu’il rendra.
Ainsi le concept de prétention désigne à la fois une position juridique de droit
matériel et son prolongement procédural. La position juridique de droit matériel correspond
à la mise en œuvre de la prérogative d’exercice et son prolongement procédural correspond
à l’accès au juge. C’est ce qui faisait dire à Windscheid que le droit subjectif est l’élément
primaire, sa mise en œuvre procédurale, l’élément secondaire64
. Le procès en lui-même
n’est ni plus ni moins que l’étape finale. Or la prétention constitue tout simplement la mise
63
S. PRIGENT. Le dualisme dans l’obligation. RTD Civ., 2008, p. 401. 64
B. WINDSCHEID. Die actio des römischen Zivilrechts vom standpunkt des heutigen Rechts, Düsseldorf, 1856,
reprint Scientia verlag, Aalen, 1969, p. 221 s.
46
en œuvre des liens d’obligations qui constituent le droit dont il est question. C’est par la
prétention que naitra la possibilité d’agir, on ne se détache toujours pas du droit substantiel.
Le lien de droit qui constitue l’obligation est la réunion du droit du créancier et du
devoir du débiteur. Il s’agit d’une relation entre deux volontés avec au centre, la prestation
comme objet de l’obligation.
Windscheid et Savigny65
ont une conception volontariste de l’obligation car selon eux
dans l’obligation « comme dans tous rapport de droit en général, l’état normal et naturel
consiste dans la reconnaissance et l’exécution volontaire du droit, tandis que la lutte contre
une résistance injuste, l’action, ne peut être considérée que comme le redressement d’un
état anormal ». En filigrane, on voit bien se dégager les deux formes d’actions possibles
relativement à l’exécution d’un droit. La première forme d’action correspond à la demande
du créancier envers son débiteur et qui devrait conduire à une exécution volontaire66
, la
seconde forme d’action correspondant à l’accès au juge qui a pour but de contre carrer la
résistance du débiteur et donc d’obtenir le redressement de l’inexécution.
Pour Brinz, le contenu de l’obligation ne peut être entendu que comme la soumission
de la volonté d’autrui67
. Cela étant cet aspect, nous pouvons aisément le retrouver dans
l’analyse de Windscheid et Savigny car la soumission de la volonté d’autrui vient compléter
l’inexécution de l’obligation en cause. En effet par son inexécution, autrui va se trouver en
position d’infériorité car le créancier aura lui des moyens d’obtenir ce qui lui est du, par
exemple en usant de sa prérogative offensive pour accéder au juge et cela, seul le créancier
peut le faire, le débiteur ne disposant pas d’une telle prérogative, il est en position de
soumission68
.
Selon Derrupé, on ne saurait confondre «le droit du créancier à la prestation avec les
moyens juridiques mis à sa disposition pour en assurer la réalisation ou la protection. Ces
moyens, dans la mesure où ils manifestent la reconnaissance légale du pouvoir d’exiger,
65
Synthèse opérée par J. PELET. La théorie dualiste de l’obligation et son application au droit suisse, th., Impr.
C. PACHE, Lausanne, 1937, p. 37 à 44. 66
Selon E. PUTMAN, La formation des créances, th. Aix-Marseille, dactyl., 1987, t. II, n°554, p. 599 s. « la
première étape est que le créancier ait le droit de réclamer son paiement. » 67
Pour un exposé de sa doctrine en français : cf. F.K. COMPARATO, Essai d’analyse dualiste de l’obligation en
droit privé, th. Paris, Dalloz, 1964, n°3, p. 5 s. 68
Sauf bien sûr à ce qu’un contrat synallagmatique les lie et que le débiteur devienne à son tour créancier en
raison d’un manquement de la partie adverse.
47
consacrent le droit à la prestation, mais ils ne sont pas le droit à la prestation ; ils constituent
des pouvoirs destinés à garantir le pouvoir d’exiger, donc le droit à la prestation ; mais ils ont
selon leur objet, des caractères propres. »69
Il y a donc bien une distinction fondamentale à
opérer entre le droit lui-même et les prérogatives qui ressortent de ce droit, qui peuvent à
elles seules, entrainer la mise en œuvre concrète du droit. Les deux prérogatives ont
cependant le même objet, elles visent à l’exécution du droit et manifestent le pouvoir
d’exiger mais elles ont des caractères propres quant à leur mise en œuvre, la prérogative
d’exercice agissant directement entre les parties, la prérogative offensive ayant vocation à
se mettre en œuvre devant le juge.
Nous voyons donc ici que le but est de garantir le pouvoir d’exiger, ce qui veut bien
dire qu’il préexiste, qu’il est contenu dans le droit lui-même. L’action est tout simplement
générée par les liens d’obligations constitutifs du droit.
S’agissant maintenant du second élément, haftung formant l’obligation, retrouve-t-
on cette notion d’engagement lorsque le titulaire d’un droit s’adresse d’abord à la partie
adverse puis accède au juge en vue de l’exécution de son droit ?
§ 2) L’engagement, haftung et l’action
F.K. Comparato a pu écrire que la notion d’engagement rend compte de la nature de
la relation de contrainte et de responsabilité qui existe entre deux sujets personnes
juridiques, relation mise en lumière par Brinz.70
Il y a une double fonction de l’engagement au sein de l’obligation. D’une part
l’engagement conforte le rapport de créance et de dette en donnant dans un premier temps
au créancier, un droit de contrôle qui sera afférant à la prérogative d’exercice et dans un
second temps, le droit d’obtenir l’exécution forcée qui se matérialisera pour nous, par la
prérogative offensive. L’engagement est donc la sanction du devoir dans l’obligation.
Du point de vue de la personne tenue de respecter le droit d’autrui, la relation
d’engagement est une situation de responsabilité, haftung, c’est une situation de garantie.
Du point de vue du titulaire du droit en question, la relation d’engagement se traduit par un
69
J. DERRUPE. La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et des droits de
créance, th. Toulouse, Dalloz, 1952, préf. J. MAURY, n°334, p. 383. 70
F. K. COMPARATO, Essai d’analyse dualiste de l’obligation, op. cit., p. 19.
48
pouvoir de contrainte. Nous sommes donc face à un véritable pouvoir, c’est ce que nous
avons pu noter en commençant nos propos lorsqu’on indique que le droit subjectif contient
en lui-même la menace de la sanction pour la partie adverse. On entend ici le pouvoir en
tant que véritable prérogative juridique car ce pouvoir n’est rendu possible que parce
qu’existe un droit sur le fondement duquel on entend agir. Le pouvoir ici, désigne donc un
attribut inhérent au droit subjectif.
L’engagement, haftung permet de bien comprendre la notion de contrainte qui se
manifeste par l’exercice de l’action, contrainte que l’action tient de l’existence du droit
subjectif. L’avantage de la notion de contrainte est que ce n’est pas une notion purement
juridique. Dans un sens courant, la contrainte correspond à l’action de contraindre, de forcer
quelqu’un à agir contre sa volonté, à l’entraver dans sa liberté d’action71
. Sans aller jusqu’à la
violence, la contrainte permet d’agir sur un individu ; ce premier sens de la contrainte, on le
retrouve lorsque le titulaire du droit s’adresse directement à autrui. Il exige d’autrui soit que
son droit soit correctement exécuté soit que l’exécution de son droit demeure paisible. Si on
prend l’exemple de l’action en dénonciation de nouvel œuvre, le possesseur ou le détenteur
d’un fonds va demander au propriétaire du fonds voisin de cesser les travaux qu’il effectue
car leur achèvement créera un trouble pour le possesseur ou le détenteur concerné72
. Le
seul fait de demander à autrui la cessation du chantier est déjà une contrainte. S’il ne le fait
pas, il sait qu’il s’expose à des poursuites en justice. L’action du demandeur est bien la
manifestation du caractère contraignant de son droit de propriété.
Au-delà de ce sens courant, la contrainte revêt aussi une dimension juridique73
. La
contrainte signifie que la personne est tenue en vertu d’un droit, elle est légalement obligée
et ce avant même la mise en œuvre matérielle de la contrainte, mise en œuvre
correspondant dans notre hypothèse à l’accès au juge. De plus lorsqu’on parle de contrainte
en droit, on observe un renvoi quasi systématique à la notion d’obligation, d’effets
obligatoires. Ainsi la contrainte oblige juridiquement, elle a pour les sujets de droits le
caractère d’une obligation en tant que pièce de l’ordre juridique, du droit objectif.
71
Le Petit Robert de la langue française 2011, cf. contrainte. 72
G. CORNU. Op. cit., cf. dénonciation de nouvel œuvre, p. 288. 73
G. CORNU. Op. cit., cf. contrainte, p. 227.
49
La notion de contrainte donne force aux droits subjectifs et cette force se réalise par
l’exercice de l’action. C’est grâce aux liens d’obligations formant le droit qu’on veut défendre
que l’action voit le jour pour être la manifestation du caractère contraignant du droit. Les
droits subjectifs contiennent en eux-mêmes cet aspect de la contrainte ; de manière virtuelle
d’abord la contrainte prend l’aspect d’une menace et de manière concrète ensuite la
contrainte se matérialise par l’accès au juge. Carbonnier traduit bien cette notion en
expliquant que « si la dette n’est pas volontairement payée, le créancier va pouvoir passer à
l’attaque sur le patrimoine, sinon sur la personne du débiteur ; il mettra en acte ce qui
n’était jusqu’ici qu’un assujettissement virtuel : maintenant l’obligation n’est plus simple
rapport d’obligation, elle est pouvoir agressif de contrainte. » 74
Il faut noter que l’engagement reste celui de la personne en ce qu’il joue directement
sur son patrimoine mais aussi directement contre le débiteur lorsque le créancier agit à son
encontre dans le cadre de la prérogative d’exercice, en lui demandant le paiement. C’est
toujours la personne même qui reste enchainée ou engagée, la réalisation de cet
engagement consiste désormais dans une mainmise non plus sur la personnalité entière,
mais seulement sur un attribut de celle-ci, à savoir sa capacité d’acquérir. L’action a donc
une dimension personnelle non négligeable et n’a pas vocation à être une notion purement
procédurale en ce qu’elle lie directement le demandeur au défendeur.
On le voit clairement, qu’il s’agisse de l’élément devoir ou de l’élément engagement,
les deux sont identifiables dans l’action en ce qu’ils la génèrent. L’action en étant la
manifestation du caractère contraignant du droit va lier les parties dans un lien d’obligation
attaché au droit subjectif.
Le lien d’obligation qui unit les parties dans la mise en œuvre de l’action va permettre
de comprendre une autre manifestation attachée à celle ci. On l’a vu, si l’action constitue la
manifestation du caractère contraignant du droit, l’action constitue aussi, dans une certaine
mesure, la manifestation du droit de ne pas rester dans l’incertitude. Cette manifestation, on
ne peut la comprendre qu’en se penchant sur les caractéristiques d’actions particulières. Ce
n’est qu’à travers l’analyse d’actions spécifiques que cette manifestation de l’action nous
apparaitra. Cette manifestation de l’action constituée par le droit de ne pas rester dans
74
CARBONNIER. Op. cit., Droit civil, tome 2, p. 2530 s.
50
l’incertitude va trouver son fondement dans le lien d’obligation qui lie les parties, plus
précisément, dans la notion d’engagement, haftung. Il va donc s’agir d’étudier plus en
profondeur ce que recouvre l’élément haftung de l’obligation au sein des actions
préventives. C’est en effet par l’analyse de l’élément haftung que l’on pourra justifier
l’appartenance des actions préventives aux actions en exécution.
CHAPITRE 2 : LA JUSTIFICATION DES ACTIONS PREVENTIVES PAR L’ANALYSE DE L’ELEMENT
HAFTUNG
Il va ici s’agir d’approfondir la catégorie d’actions que constituent les actions
préventives. Elles méritent d’être étudiées à part car leur objet est sensiblement différent de
celui que nous avons pu voir jusqu’à présent à savoir l’exécution d’un droit. Cela étant, nous
allons voir dans un premier temps, pourquoi elles ont vocation à être classées parmi les
actions en exécution d’un droit (Section 1). Comme toutes les actions en exécution d’un
droit, les actions préventives manifestent elles aussi, le caractère contraignant du droit sur le
fondement duquel on entend agir. En plus de cette caractéristique, nous allons voir à travers
cette catégorie d’actions, qu’existe un lien de connexité entre cette première manifestation
du droit qu’est la contrainte et une seconde manifestation constituée par le droit de ne pas
rester dans l’incertitude (Section 2).
SECTION 1 : Le rattachement des actions préventives aux actions en exécution d’un
droit
Si les actions préventives ont un objet particulier, il n’en reste pas moins que cet
objet tient toujours à l’exécution d’un droit. En effet les actions préventives sont là pour
prévenir une exécution qui serait malmenée dans l’avenir ou qui se fait attendre. C’est donc
en cela qu’elles ont toujours trait à l’exécution d’un droit.
Les actions préventives sont définies comme étant une catégorie d’actions dont ils
existent des applications spécifiques comme la réintégrante, ou encore les actions a
futures75
, en dehors desquelles l’existence d’un droit d’agir dépend, cas par cas, du point de
savoir si l’auteur de la prétention justifie d’un intérêt né et actuel. Par exemple pour déclarer
75
A titre indicatif, les actions in futurum permettent à tout intéressé de faire administrer une preuve en justice
avant tout procès ou de faire ordonner une mesure d’instruction s’il existe un motif légitime de conserver ou
d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (NCPC, article 145.) ou encore de faire
trancher à titre principal une contestation relative à une preuve littérale.
51
recevable la demande tendant à prévenir un dommage éventuel, il faut, mais il suffit, de
constater que la menace imminente de ce dommage fait naitre un intérêt à agir.
Dans les manuels de droit judiciaire privé, les actions préventives sont généralement
étudiées dans les développements relatifs à l’exigence d’un intérêt né et actuel. Ces actions
sont donc mises à part alors qu’il ne semble pas qu’elles se détachent des actions en
exécution d’un droit.
Traditionnellement, les actions préventives sont classées en trois catégories.76
On
trouve d’abord l’action provocatoire encore appelée action de jactance, par laquelle il est
possible de forcer une personne qui se prétend titulaire d’un droit, à le faire valoir
immédiatement sous peine de le perdre ; ensuite l’action interrogatoire par laquelle il est
possible de forcer une personne disposant d’un délai, à exercer immédiatement son option,
et enfin l’action déclaratoire par laquelle il est possible de faire constater l’existence ou
l’inexistence d’un droit en dehors d’une contestation actuelle.
Le point commun qui existe entre l’action interrogatoire et l’action provocatoire, est
que toutes deux se caractérisent par la possibilité pour une personne de contraindre une
autre personne, à faire valoir immédiatement son droit.77
Il s’agit ici d’une exécution qui se
fait attendre.
En droit français ces actions n’ont jamais été admises de façon générale mais ce n’est
pas pour autant qu’elles sont inexistantes. Ainsi l’article 1844-12 du Code civil dispose
qu’ « en cas de nullité d’une société ou d’actes ou délibérations postérieures à sa
constitution, fondée sur un vice du consentement ou l’incapacité d’un associé, et lorsque la
régularisation peut intervenir, toute personne y ayant intérêt, peut mettre en demeure celui
qui est susceptible de l’opérer, soit de régulariser, soit d’agir en nullité dans un délai de six
mois à peine de forclusion. » On voit à travers cette application que l’action préventive
contient en elle-même la notion de contrainte. C’est donc déjà un point commun avec les
actions en exécution d’un droit.
Si l’action déclaratoire a été mise à part, c’est justement parce que pour bon nombre
d’auteurs, elle ne correspondrait pas à une action en exécution. Pourtant son objet tient
76
J. HERON. Op. cit., p. 63. 77
Ibid., p. 63.
52
bien à l’exécution d’un droit ; ce qui va changer la donne, c’est seulement le moment où
l’action va être exercée. Le reste ne change pas, les parties sont en effet unies par un lien
d’obligation qui trouve son origine dans le droit dont l’exécution est attendue. Jacques
Héron a très bien illustré cette nuance tenant au moment où l’action est exercée et ce
s’agissant du droit de créance.78
Ainsi dans l’action dite normale, si un contractant n’exécute
pas la prestation promise alors même que la partie adverse le lui a demandé, cette partie va
aller trouver le juge pour qu’il ordonne l’exécution de la prestation promise conformément à
l’article 1134 du Code civil.79
Dans l’action déclaratoire, on se trouvera dans le cas où
l’exécution de la prestation est soumise à un terme qui n’est pas encore échu. Néanmoins
l’action est possible pour faire dire à l’avance, que le jour où le terme sera arrivé, le
demandeur aura le droit d’obtenir l’exécution de la prestation.
Ainsi c’est bien parce qu’à l’origine il y a un droit de créance, que la possibilité d’agir
existe. L’action déclaratoire trouve donc elle aussi son origine dans le droit qui est
antérieurement reconnu. En effet seule l’exigibilité du droit est en cause. Il n’en reste pas
moins que les parties sont entrées dans un lien d’obligation : le cocontractant s’est engagé à
exécuter la prestation convenue mais en amont, l’autre partie va le contraindre à aller
devant le juge pour que ce dernier reconnaisse que le jour où le terme arrivera, la prestation
sera due. Ce n’est donc que prévenir la future exécution en lui donnant force exécutoire à
l’avance.
On retrouve les caractéristiques de l’office du juge lorsqu’il est face à une action en
exécution d’un droit. En effet ce dernier va d’avantage homologuer une situation juridique
que trancher un litige ou créer une situation juridique nouvelle. Le juge va simplement
déclarer que le terme arrivé, l’exécution sera de droit.
La caractéristique essentielle des actions préventives est qu’en plus de manifester le
caractère contraignant du droit dont il est question, elles vont permettre au titulaire du droit
de ne pas rester dans un état d’incertitude.
78
J. HERON. Op. cit., p. 64. 79
Article 1134 du Code civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
53
SECTION 2 : Le lien de connexité entre contrainte et droit de ne pas rester dans
l’incertitude
Afin d’illustrer le lien de connexité existant entre les notions de contrainte et de droit
de ne pas rester dans l’incertitude, il convient d’examiner plus précisément ce qu’est une
action interrogatoire. En effet c’est en partant de cette action spécifique que le lien qui
existe entre l’élément haftung de l’obligation et le droit de ne pas rester dans l’incertitude,
va être mis en lumière. Il n’en reste pas moins que le droit de ne pas rester dans l’incertitude
est inhérent à tous droit et a vocation a trouvé sa place dans chacune des actions qui
constituent la catégorie des actions en exécution d’un droit. Cela étant c’est dans l’action
interrogatoire que le droit de ne pas rester dans l’incertitude prend une place
prépondérante et est la plus significative.
L’action interrogatoire est définie comme l’action visant à mettre le défendeur en
demeure de prendre parti immédiatement alors que la loi lui concède un délai, soit pour
exercer une option soit pour élever une prétention80
. Dans la première hypothèse, on pense
bien sûr à la situation de l’héritier qui doit prendre parti s’agissant d’une succession et qui va
être contraint d’opter alors même que le délai qui lui est accordé pour ce faire n’est pas
écoulé. Dans la seconde hypothèse, on pense au cas de l’incapable qui a cinq ans pour
demander la nullité d’un engagement mais qui va être contraint d’agir avant l’expiration de
ce délai.
Autrement dit pour Loïc Cadiet81
, l’action interrogatoire serait l’action qui a pour
objet de contraindre une personne qui dispose d’une faculté d’option, soit de déclarer si elle
entend ou non user d’un droit, soit d’opter entre plusieurs parties qui s’offrent à elles dans
l’exercice de son droit. C’est bien le cas de l’action dirigée contre l’héritier, pour le forcer à
déclarer s’il accepte ou renonce à une succession avant l’expiration du délai qui lui est
reconnu par la loi pour prendre sa décision.
En définitive, il s’agit toujours de contraindre autrui à faire valoir immédiatement un
droit dont il est déjà titulaire. Le droit existe déjà et ce avant même la mise en œuvre de
l’action. Etant donné que le droit existe préalablement à l’action, on va retrouver la
80
G. CORNU. Op. cit., cf. action interrogatoire, p. 22. 81
L. CADIET. Op. cit., n° 354, p. 237.
54
manifestation du caractère contraignant de ce même droit par l’exercice de l’action. En effet
lorsqu’une personne demande à une autre d’opter entre plusieurs parties qui s’offrent à
elles, elle entend bien le contraindre à se prononcer en faveur de l’une ou l’autre branche de
l’option.
La caractéristique de l’action interrogatoire est qu’on va activer autrui alors même
qu’il dispose d’un délai par hypothèse non écoulé, pour prendre sa décision. On le contraint
alors même qu’il dispose encore d’un certain temps pour se prononcer. Pourquoi alors le
forcer à prendre sa décision avant l’écoulement total du délai qui lui est imparti ? On
imagine aisément que la partie qui contraint son adversaire à opter, a un intérêt à agir, elle
doit elle-même être titulaire d’un droit, droit certainement conditionné par la décision que
prendra la personne qui se trouve être en face d’elle. Or si on lui accorde la possibilité d’agir
ainsi, c’est certainement pour lui permettre de sortir de l’incertitude dans laquelle elle se
trouve car tant que la personne ne se sera pas prononcée, son adversaire sera lui même
paralysé dans l’exécution de son droit, exécution qui dépend du choix de la personne qui n’a
pas encore opté. Or cette mise en œuvre du droit de ne pas rester dans l’incertitude, est liée
à l’élément haftung de l’obligation qui lie les deux parties ; on contraint la partie adverse
pour pouvoir être en position d’exercer son propre droit.
Comme nous l’avons vu, la notion d’engagement rend compte de la contrainte et de
la situation de responsabilité nées de l’obligation. Dans l’action interrogatoire, une des
parties va contraindre l’autre à se prononcer dans le but de ne pas rester dans l’incertitude
s’agissant de l’exécution de son propre droit. L’exercice de la contrainte est le moyen
permettant de sortir du doute.
Dans les autres actions en exécution d’un droit, le droit de ne pas rester dans
l’incertitude apparait en toile de fond s’agissant de l’accès au juge et de l’action qui a eu lieu
préalablement de manière directe entre les parties. En effet si le titulaire de droit demande
à son adversaire de s’exécuter, c’est que ce dernier ne l’a pas fait spontanément. Le titulaire
du droit est donc dans une situation d’incertitude : la partie adverse va-t-elle s’exécuter ou
non ? Le même raisonnement s’applique lorsque le titulaire de droit va s’adresser au juge.
En effet le titulaire de droit va justement accéder au juge car il est dans l’incertitude : son
adversaire ne s’est toujours pas exécuté, va-t-il le faire, va-t-il persévérer dans son
55
inexécution ? Le titulaire du droit en allant devant le juge veut sortir de cette incertitude en
attendant du juge qu’il ordonne cette exécution. S’il n’était pas aller voir le juge, il serait
resté dans l’incertitude à moins que son adversaire se soit enfin manifesté. En somme en
contraignant son adversaire à se présenter devant le juge, il entend sortir d’une situation de
doutes qui s’est installée suite à l’inexécution de la prestation qui lui était due.
La seule différence lorsqu’on se place du coté de l’action interrogatoire est que ce
droit de ne pas rester dans l’incertitude est mis au premier plan. L’objet de l’action tiendra
toujours à l’exécution d’un droit car si on veut qu’autrui se prononce c’est dans le but
d’exercer son propre droit, dans le but de donner une direction certaine à l’exécution du
droit sinon on ne voit pas l’intérêt de le contraindre à se prononcer. C’est donc pour cette
raison qu’on fournit les moyens au titulaire de droits, de sortir de l’incertitude. C’est encore
une prérogative afférente au droit qu’il entend exécuter car sans ce droit, il ne disposerait
pas du moyen de forcer autrui à se prononcer. On en revient toujours au droit subjectif
qu’on entend faire valoir.
Ce qui reste atypique avec l’action interrogatoire, c’est le fait de pouvoir agir contre
autrui alors même que ce dernier dispose d’un délai pour se prononcer, délai qui n’est pas
arrivé à son terme. Si un délai est imparti cela sous entend qu’être dans l’incertitude
pendant un certain temps n’est pas dommageable. On aurait donc avec l’action
interrogatoire, une situation tout à fait atypique où la notion d’incertitude est directement
prise en compte par le droit.
Le fait d’avoir fixé un délai quant à l’exercice de l’option répond à un souci de
prévention. En effet s’agissant d’une succession, il n’est jamais bon de laisser le doute planer
car dans la plupart des cas, plusieurs personnes sont concernées par cette succession. De
plus ces personnes ont des droits qui s’imbriquent, la personne qui renonce verra sa part
augmenter la quotité disponible revenant à d’autres. Si la loi a assigné un délai c’est donc
pour contraindre les héritiers à se prononcer. Cela étant on sent bien que cette situation
d’incertitude est peu propice au règlement successoral. La loi donne donc les moyens à ceux
par exemple qui auront déjà opté avant l’expiration du délai, de forcer les autres à en faire
de même. La notion de contrainte, haftung, prend donc ici tout son sens car c’est par cette
notion de contrainte qu’on offre les moyens aux personnes intéressées de sortir de
56
l’incertitude. La contrainte peut se révéler être à la fois moyen curatif mais aussi moyen
préventif.
Conclusion intermédiaire
L’action en exécution d’un droit est relativement complexe. En effet la notion
d’action dans cette hypothèse, est plurale. On trouve d’abord l’action sans le juge avec pour
principaux acteurs, le titulaire d’un droit et autrui, la partie adverse. L’accès au juge
constituera la seconde étape, étape qui peut ne pas avoir lieu car après tout la première
action aura pu suffire, la partie adverse ayant répondu favorablement au titulaire du droit.
L’action en exécution d’un droit est d’autant plus atypique qu’elle implique une
chronologie. Le titulaire du droit ne va pas d’abord s’adresser au juge pour obtenir ce qui lui
est du. Il devra d’abord s’adresser à la partie adverse et on le comprend aisément ne serait
ce que si on songe à l’engorgement chronique de nos tribunaux mais aussi et bien sûr à la
bonne vie en société. Il ne sera pas opportun de pouvoir accéder au juge pour qu’il tranche
alors même que le titulaire de droit ne se sera pas manifesté à la partie adverse qui aurait
très bien pu faire droit à sa demande. Il n’y aurait dans ce cas aucun litige à trancher étant
donné que la partie adverse n’aura jamais été sollicitée, ce n’est que si elle a pu s’exprimer
et donc refuser de faire droit à la demande de son adversaire qu’elle pourra se voir conduire
devant le juge.
L’objet de l’action en exécution d’un droit tient tout simplement à son appellation. Le
but poursuivi lorsqu’on exerce une telle action tiendra toujours à l’exécution d’un droit
qu’on se trouve devant le juge ou non. Cet objet est quant à lui unique concernant les deux
sortes d’actions que nous avons pu étudier car si on peut parler d’action dans les deux cas
c’est justement grâce à cette unicité d’objet. Il va pouvoir cependant revêtir deux formes,
une forme non judiciaire et une forme judiciaire. Cet objet, on l’aura compris, est en relation
étroite avec le droit subjectif dont il est question. C’est grâce au droit subjectif que l’action
se trouve être la manifestation du caractère contraignant de ce même droit. Ce caractère
contraignant s’explique et se comprend par la notion d’obligation qui unit étroitement le
titulaire du droit et la partie adverse. Par la notion d’obligation on peut rendre à l’action
interrogatoire toute sa signification et s’il ne s’agit pas d’une action en justice contrairement
à ce que pourrait nous laisser croire les classifications opérées, il s’agit d’une véritable action
57
en exécution car il y a toujours un droit préexistant et c’est par ce droit qu’il y a action
possible.
L’existence d’un droit antérieur tout du moins s’agissant d’une existence certaine et
incontestée, on ne la retrouve pas lorsqu’on étudie l’action en constatation ou en
constitution de situations juridiques. En effet l’objet de l’action sera ici tout à fait différent
car il va tenir à constater voire constituer une situation juridique. Il va donc falloir trouver
une autre source à l’action afin de comprendre au mieux sa mise en œuvre.
On le comprend aisément, on ne va pas être confrontés aux mêmes difficultés mais
après tout c’est tout là tout l’intérêt de la recherche.
Il va donc falloir partir de l’action cette fois ci et non plus d’un droit pré existant étant
donné qu’il n’y en a pas véritablement pour pouvoir en arriver à l’étude de l’objet de telles
actions que sont les actions en constatation ou en constitution de situations juridiques.
Cette étude sera certainement moins aboutie que l’étude de l’objet de l’action en exécution
d’un droit, eu égard à sa diversité et ses difficultés d’application. Il n’en reste pas moins que
certains traits fondamentaux peuvent être amorcés afin de dégrossir au maximum la
matière. Un point spécifique sera ici mis de coté à savoir celui de la manifestation de
l’action. La nature juridique de telles actions demande une réflexion plus poussée qui faute
de temps ne trouvera pas entièrement sa place dans ces propos. Nous tenterons cependant
de faire une ébauche de réflexion à ce sujet mais il faut garder à l’esprit que cette réflexion
ne sera pas totalement aboutie.
Quoiqu’il en soit avant de parler de nature juridique quelconque, il faut d’abord
savoir ce que recouvre les actions en constatation ou en constitution de situations
juridiques, quel est leur objet et c’est cet aspect qui désormais va nous occuper.
58
SECONDE PARTIESECONDE PARTIESECONDE PARTIESECONDE PARTIE :::: L’OL’OL’OL’OBJET DE L’ACTION EN BJET DE L’ACTION EN BJET DE L’ACTION EN BJET DE L’ACTION EN
CONSTATATION OU EN CONSTITCONSTATATION OU EN CONSTITCONSTATATION OU EN CONSTITCONSTATATION OU EN CONSTITUTION DE SITUATIONS UTION DE SITUATIONS UTION DE SITUATIONS UTION DE SITUATIONS
JURIDIQUESJURIDIQUESJURIDIQUESJURIDIQUES
Il faut maintenant laisser de coté l’hypothèse où les droits dont nous sommes
titulaires vont servir de base à l’action qu’on entend exercer. En effet il va s’agir désormais
de partir de l’action elle-même comme référence à nos propos. C’est dans les
développements qui vont suivre que la notion d’action en justice va revêtir toute son
importance en tant que notion indépendante. C’est à travers les actions en constatation et
en constitution de situations juridiques que nous allons découvrir une nouvelle subdivision
des actions en justice.
Si on prend un dictionnaire de vocabulaire juridique, l’action en justice dans un sens
courant, est définie comme la sanction d’un droit subjectif, comme une voie de droit ouverte
pour la protection judiciaire d’un droit ou d’un intérêt légitime. C’est en ce sens que l’on
peut dire que tous droit est muni d’une action. L’action en justice est une garantie
potentielle comprise dans le patrimoine d’un individu et c’est ce qui ressort de l’article 1166
du Code civil qui fait référence aux droits et actions.82
Cette définition, on le sent bien,
correspond tout simplement à la notion d’accès au juge que nous avons étudié
précédemment ce qui illustre d’ailleurs bien la confusion qui s’opère entre l’accès au juge et
l’action en justice. Dans cette définition de l’action en justice, seule l’action fondée sur les
droits subjectifs dont nous sommes titulaires est abordée. Or cette définition ne peut pas
correspondre à l’action en constatation ou en constitution de situation juridique étant
donné que s’agissant de ces actions, on ne peut pas partir d’un droit subjectif
antérieurement établi de manière certaine pour en arriver à l’action.
Dans un sens précis, l’action en justice correspondrait au droit d’agir en justice, droit
ouvert à certaines conditions comme celles de l’intérêt, de la qualité, droit pour l’auteur
d’une prétention, d’être entendu et jugé sur le fond de celle-ci, sans que cette prétention
puisse être écartée comme irrecevable, le juge étant tenu de la déclarer bien ou mal
fondée.83
Elle désigne aussi en ce sens, le droit pour l’adversaire de la prétention d’en
82
Gérard Cornu. Op. cit., cf. action en justice, p. 21. 83
C’est ce qui ressort de l’article 30 alinéa 1 du Code de procédure civile.
59
discuter le bien fondé.84
En ce sens l’action ne se confond ni avec le droit substantiel déduit
en justice comme par exemple le droit de propriété ni avec la demande en justice opérée par
l’assignation.85
Avec ce second sens on ne trouve plus la référence systématique à
l’existence d’un droit subjectif comme fondement à l’action. Cette définition reprend
clairement l’article 30 du Code de procédure civile. Il faut d’ailleurs noter que cet article ne
fait aucune allusion à une quelconque présence obligatoire d’un droit subjectif sur le
fondement duquel on entendrait agir pour pouvoir parler d’action. Le Code de procédure
civile lui-même admettrait donc que l’action ne sous entende pas obligatoirement un droit
subjectif préalable pour pouvoir agir ; elle aurait vocation à recouvrir des hypothèses
beaucoup plus larges.
En effet il existe des actions en justice qui vont permettre la consolidation d’une
situation juridique. Fort de cette constatation, on pourrait nous répondre que dans la
première partie l’action que nous avons étudiée tendait seulement à constater un droit qui
ne s’exécute pas pour justement ordonner son exécution. Seulement lorsqu’on a étudié
l’action en exécution d’un droit, le droit en question existait de manière certaine et ce avant
même la mise en œuvre de l’action. Ici ce ne sera pas le cas. Il y aura ce qu’on pourrait
appeler un embryon de situation juridique qui trouvera sa concrétisation par l’action en
justice. Il y aura donc constatation d’une situation juridique par l’action en justice (titre 1).
L’action en justice en ce qu’elle va constater cette situation va lui donner force obligatoire
pour la reconnaitre pleinement comme faisant partie de l’ordre juridique. A coté, l’action en
justice peut aller au-delà en constituant elle-même des situations juridiques (titre 2). Dans
cette hypothèse l’action aura tout simplement un rôle créateur de droit. A ces deux
hypothèses correspondent donc deux objets différents qu’il convient maintenant d’étudier.
Le point commun de ces deux types d’actions est que l’action en justice va revêtir un rôle
moteur dont l’action en exécution d’un droit ne dispose pas. En effet il va ici s’agir d’aller au-
delà de la simple constatation d’un droit sur lequel ne pesait aucun doute s’agissant de son
existence et non pas de son exécution. Ici et dans les deux cas, ce sera l’existence de la
situation juridique qui sera en cause. Il ne s’agira donc plus d’enregistrer une situation mais
de la découvrir ce qui rend la notion d’action d’autant plus riche.
84
C’est ce qui ressort de l’article 30 alinéa 2 du Code de procédure civile. 85
Gérard Cornu. Op. cit., cf. action en justice, p. 21.
60
TITRE 1 : LA CONSTATATION D’UNE SITUATION JURIDIQUE PAR L’ACTION EN JUSTICE
Le terme de constatation sous entend qu’il existe déjà une situation juridique à la
base et ce avant même l’exercice d’une action en justice. Cela étant, cette situation juridique
n’est pas encore pleinement établie si bien qu’on ne peut pas ici parler de droit préexistant
servant de base à l’action. En effet l’action va revêtir un rôle moteur pour consolider et
donner force à une situation qui sans l’action en justice demeurerait à l’état de germe sans
véritablement accéder à l’ordre juridique. On ne peut donc pas partir de l’existence de cette
situation juridique car c’est justement son existence qui est cause, pour expliquer l’action en
justice, pour en extirper son objet. C’est l’action elle-même qui va avoir pour objet de
consolider une situation juridique contrairement à ce qu’on a pu voir en première partie où
l’action tenait et son origine et son objet du droit subjectif.
De plus il convient de noter qu’étant donné qu’on ne se basera pas sur l’existence
d’un droit subjectif pour agir afin d’expliquer l’action en constatation, cette action va
pouvoir prendre en compte les simples faits juridiques. Ainsi par l’exercice de l’action, une
simple situation de fait va pouvoir produire des effets juridiques, effets qu’elle n’aurait pu en
aucun cas produire sans l’exercice de l’action en justice.
Nous allons donc d’abord étudier l’action en tant que moyen de consolidation d’une
situation juridique par sa constatation judiciaire (chapitre 1) afin d’en dégager son objet puis
nous nous attèlerons à voir si cet objet est le même s’agissant cette fois, de l’action en tant
que moyen de constatation d’un fait juridique par le juge (chapitre 2).
61
CHAPITRE 1 : L’ACTION, MOYEN DE CONSOLIDATION D’UNE SITUATION JURIDIQUE PAR SA
CONSTATATION JUDICIAIRE
Le mot consolider renvoie ici à une opération particulière. Il s’agit en effet de rendre
plus solide une situation jusqu’alors relativement incertaine quant à son appartenance à
l’ordre juridique. Le mot consolider renvoie aux expressions telles que fortifier, stabiliser,
renforcer.86
Au-delà d’une simple confirmation il va donc s’agir ici par l’exercice de l’action en
justice, d’accorder à une situation juridique toute sa force obligatoire en reconnaissant
préalablement son existence dans l’ordre juridique. Ce n’est que de cette façon qu’elle sera
vouée à produire des effets juridiques.
Afin de saisir précisément l’objet de l’action en constatation d’une situation juridique,
il est nécessaire de voir pourquoi justement, cette consolidation est nécessaire (section 1).
C’est bien en répondant à la question de savoir pourquoi il y a lieu à une constatation
judiciaire afin de consolider une situation que l’on pourra connaitre l’objet d’une telle action.
Après avoir répondu à cette question nous verrons en quoi l’objet de l’action en constatation
d’une situation juridique se trouve être le reflet des sources de ces situations juridiques en
question (section 2).
SECTION 1 : Nature de la consolidation juridique à opérer
Il y a des cas où une personne va se trouver devant le juge alors même qu’elle
n’entend pas agir sur le fondement de l’un de ses droits subjectifs, droits dont elle est bien
sûr titulaire. En effet s’il fallait pour pouvoir agir en justice avoir toujours un droit subjectif
sur le fondement duquel on entend agir, l’article 30 du Code procédure civile l’aurait élevé
au rang des conditions de validité de l’action. Or on l’a vu en propos liminaires, ce n’est pas
le cas. Ce constat a pu être fait par certains auteurs comme Pierre Julien et Natalie
Fricero.87
Ces auteurs ont pu noter que si l’action est distincte du droit, il reste que le
contentieux civile suppose que le demandeur prétende être titulaire d’un droit ou
bénéficiaire d’une situation juridique. Ils poursuivent en précisant que traditionnellement la
demande n’était recevable que si le demandeur invoquait un droit. Or cette condition doit
être nuancée car l’existence de l’action ne dépend pas de l’existence d’un droit (ainsi le
86
C’est ce qui ressort de la définition du verbe consolider telle qu’elle est présentée par le dictionnaire le Petit
Robert 2011. 87
P. JULIEN et N. FRICERO. Droit judiciaire privé, 3e
édition, LGDJ.
62
demandeur peut être débouté au fond et avoir exercé une action recevable) et la demande
est recevable même si son auteur n’invoque pas un droit subjectif au sens classique du
terme mais une situation juridique.
Il va donc s’agir dans un premier temps de définir ce que sont ces situations
juridiques afin de voir en quoi elles se différencient des droits (§1). Nous verrons ensuite
comment on parvient à consolider ces situations par leur constatation judiciaire (§2).
§1) Définition des situations juridiques
Lorsqu’on ouvre des manuels d’introduction au droit, on remarque que les notions
sont souvent catégorisées. Ainsi le contrat se distingue de la convention, le droit personnel
se distingue du réel, les meubles se distinguent des immeubles…Il en va de même s’agissant
des situations juridiques. En effet une distinction est opérée entre les situations juridiques
objectives et les situations juridiques subjectives.
Lorsqu’on cherche une définition de la situation juridique en générale il est précisé
qu’on oppose souvent le droit objectif aux droits subjectifs. Cela étant, il est plus juste
d’opposer la règle de droit générale et abstraite aux situations juridiques individuelles et
concrètes. Ainsi, on parle de situations juridiques pour exprimer la situation dans laquelle se
trouve une personne vis-à-vis des autres sujets de droits, sur le fondement des règles de
droit. C’est alors qu’un fait comme un accident, un état comme celui d’époux ou d’enfant,
un acte juridique comme la vente ou la donation, favorisent la naissance d’un faisceau de
droits et de devoirs, de prérogatives et de charges au profit ou à l’encontre de la personne.88
C’est ensuite qu’on distingue les situations juridiques objectives et les situations juridiques
subjectives.
Selon l’école civiliste, une situation juridique possède un caractère objectif toutes les
fois qu’elle confère à ceux qui en sont investis, davantage de devoirs que de droits. Ainsi en
va-t-il pour la situation résultant du mariage, d’une filiation, d’une incapacité. Ces situations
seraient plus présentes en droit pénal et en droit public qu’en droit privé ou qu’en droit
commercial. Selon l’école publiciste cette fois et plus particulièrement dans l’analyse du
doyen Duguit, une situation juridique objective est une situation juridique procédant
88
Lexique des termes juridiques 2011, cf. Situation juridique, p. 747 et 748.
63
directement de la norme juridique légale ou réglementaire, soit après intervention d’un acte
condition. Ces situations juridiques sont générales quant à leur titulaire et permanentes. On
les rencontre aussi bien en droit public (situation de l’électeur) qu’en droit privé (situation
de l’époux).89
Les situations juridiques subjectives quant à elles et selon l’école civiliste, sont des
situations d’où découlent pour leurs bénéficiaires, des prérogatives qui sont à leur avantage
et auxquelles ils peuvent en principe renoncer. Ces situations sont établies soit par un acte
volontaire comme un contrat soit par la loi comme l’usufruit légal ou certains droits de
l’héritier. Les situations subjectives correspondent aux droits réels, aux droits de créance,
aux droits d’entreprise et de clientèle, aux droits universels portant sur l’ensemble d’un
patrimoine, à certains droits extrapatrimoniaux tels que le droit de réponse ou le droit moral
sur une œuvre. Selon l’école publiciste et toujours dans l’analyse du doyen Duguit, ce sont
des situations procédant d’un acte à portée individuelle, qui peut être aussi bien un acte
unilatéral qu’un contrat. Ces situations sont spéciales quant à leurs titulaires et en règle
générale, temporaires. Après exécution des devoirs ou des droits qu’elles renferment, elles
auraient vocation à disparaitre. Duguit pour illustrer ses propos, prend l’exemple du
bénéficiaire d’un permis de construire.
On le voit donc, situations juridiques objectives et situations juridiques subjectives
recouvrent des réalités différentes. Si on raisonne selon l’analyse civiliste, on peut noter que
les situations juridiques subjectives ne vont pas ici nous intéresser. En effet elles
correspondent tout simplement aux droits subjectifs dont nous sommes titulaires et l’action
attachée à l’exécution de tels droits a déjà été étudiée. Ce qui va nous occuper ce sont donc
les situations juridiques objectives en ce qu’elles procurent davantage de devoirs que de
droits contrairement aux situations juridiques subjectives. Ces situations sont donc
reconnues par le droit en ce qu’elles trouvent leur origine dans le droit objectif mais
certaines de leurs conséquences elles, ne pourront voir le jour que par le biais d’une action
en justice. L’action en justice ne va donc pas appréhender la situation dans son ensemble.
Elle va par contre permettre aux bénéficiaires de ces situations juridiques de tirer des
conséquences dont l’existence ne peut être appréhendée par le droit que par le biais de
l’action. Par commodité de langage nous dirons que c’est la situation juridique qui sera
89
L. DUGUIT. Le traité de droit constitutionnel, 3e édition, tome I, Paris, 1927.
64
consolidée dans les propos qui vont suivre mais il faudra entendre par là qu’il s’agit des
conséquences juridiques de ces situations. Après avoir défini les situations juridiques qui
vont nous occuper, il est temps de savoir comment et pourquoi elles ont vocation à être
constatées afin d’aboutir à leurs consolidations.
§2) La consolidation d’une situation juridique par sa constatation judiciaire
De prime abord on pourrait se demander quelles peuvent bien être ces situations qui
méritent d’être consolidées par leur constatation judiciaire.
L’exemple le plus typique semble être celui de l’action en nullité. Dans ce cas, ce
qu’on cherche à obtenir c’est l’annulation du contrat pour dol par exemple.90
La personne
qui cherche à obtenir cette annulation ne va pas se prévaloir d’un droit subjectif dont elle
est titulaire. Elle va tout simplement poursuivre la nullité du contrat sur le fondement de ce
même contrat : le contrat est vicié, il n’est pas valable, il n’a donc pas lieu d’exister. Il n’est
donc nullement question de l’exécution d’un quelconque droit subjectif mais de constater
par l’exercice de l’action, qu’il y a une situation juridique à consolider. L’exécution n’est pas
ici en cause puisque on se place au moment de la conclusion du contrat. De plus, s’il y a dol,
il n’y a par conséquent, pas lieu à exécution.
Le droit en cause n’est pas un droit antérieur auquel l’action viendrait servir de
sanction, le droit qui en cause ici c’est le droit d’agir en justice. Le droit d’agir en justice est
en rapport avec la situation juridique préexistante, si on reprend le cas de l’action en nullité,
la situation juridique est constituée par le contrat, plus précisément par les conditions de
validité du contrat. La personne ne va pas agir sur le fondement des obligations nées du
contrat car on en reviendrait alors à l’accès au juge inhérent à tous droit. Le contrat vicié
forme une situation juridique. Il y a donc bien en germe, une situation qui mérite d’être
consolidée, cette situation est constituée par le contrat vicié qui doit être reconnu comme
tel par le droit afin qu’il prenne les mesures nécessaires. Par l’action en justice, le contrat
sera annulé et le vice sera juridiquement reconnu. Sans l’action en justice, le partenaire
contractuel à l’origine du vice pourrait demander à ce que le contrat continue de produire
90
Article 1116 du Code Civil : «Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres
pratiquées par l’une de parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas
contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé. »
65
ses effets ce qui mettrait la victime du dol dans une situation impossible car elle ne croyait
pas avoir conclu ce contrat là.
Les situations qui vont être en cause dans le cadre de ces actions en constatation, ne
relèvent plus de l’existence de droits mais de l’existence de devoirs. Nous entendons par
devoir, la norme comportementale générale, d’ordre moral et social qui s’impose à tous.91
La
notion de devoir est ici plus large que celle d’obligation et excède la sphère contractuelle. Le
respect d’un devoir juridique peut être obtenu par le bénéficiaire à l’aide d’une action en
justice qui viendra la consolider.92
L’objet de l’action en constatation d’une situation juridique est de consolider cette
situation qu’on pourrait qualifier d’inachevée. C’est bien par l’action en justice qu’on pourra
en arriver à un tel résultat. Tant que le vice d’un contrat n’aura pas été constaté par
l’exercice de l’action en justice, le contrat restera vicié et ne sera susceptible d’aucune
annulation. Par là, l’action en justice remplit un double rôle. Elle va d’abord constater la
situation juridique imparfaite puis une fois cette constatation faite, elle va la consolider en
lui faisant produire les conséquences juridiques qui lui sont attachées, pour reprendre notre
exemple, l’annulation.
Cet objet si particulier de l’action en constatation d’une situation juridique s’explique
par les sources de ces mêmes situations. En effet ces situations trouvent leur origine dans
des situations particulières et c’est par ces situations particulières que l’objet de l’action les
constatant afin de les consolider s’explique.
SECTION 2 : L’objet de l’action, reflet des sources des situations juridiques
Comme l’a justement remarqué Paul Roubier, les devoirs concernés par les situations
juridiques vont trouver leur source dans deux types de situations, les situations
réactionnelles et les situations institutionnelles. C’est grâce aux sources de ces situations
qu’on peut véritablement découvrir l’objet de l’action en justice qui s’y réfère.
Les situations réactionnelles correspondent à la réaction de l’ordre public à
l’encontre d’un fait ou d’un acte dont les conséquences juridiques n’ont pas été réellement
91
Gérard Cornu. Op. cit., cf. devoir, p. 302. 92
C’est ce qui ressort de la définition du dictionnaire de vocabulaire juridique, Gérard Cornu.
66
voulues par leur auteur. Paul Roubier donne à titre d’exemple, l’action en responsabilité
pour les délits et quasi délits, l’action en nullité ou encore l’action en rescision pour
lésion.93
Dans ce type d’actions, on n’entend pas agir sur le fondement d’un droit subjectif
mais sur le fondement du bénéfice d’une situation juridique. Prenons l’exemple de l’action
en responsabilité, plus précisément de l’action en responsabilité du fait des choses.94
On le
sait, le principe de la responsabilité du fait des choses inanimées trouve son fondement dans
la notion de garde, indépendamment du caractère intrinsèque de la chose et de toute faute
personnelle du gardien.95
Ainsi la victime du fait de la chose va se prévaloir du dommage
qu’elle a subi non d’un droit. Le dommage subi constituera la situation juridique mais sans
l’action en justice le dommage ne pourra pas trouver réparation certaine. L’action en
responsabilité va donc permettre de constater qu’il y a bien eu dommage pour en tirer les
conséquences qui s’imposent à savoir la réparation. L’action en justice commence bien par
constater la situation pour la consolider ensuite en lui faisant produire des effets. C’est par
elle que le droit à réparation va se concrétiser.
Les situations institutionnelles ont trait à des situations juridiques préétablies mais
dont les conséquences juridiques sont fixées par la loi. Ici les intéressés ne pourront s’en
dégager par voie de simple renonciation. Ce sera le cas du mariage, de la tutelle ou encore
de l’autorité parentale96
. Il ne s’agit pas ici de droits mais de situations juridiques. En effet on
ne peut pas dire qu’on a des droits sur son conjoint, sur le tutélaire ou encore sur son
enfant. Dans ces cas on le comprend, on a bien des situations juridiques reconnues en tant
que telles par le droit. Seulement il arrive que ces situations se voient être modifiées et pour
que ces modifications soient prises en compte d’un point de vue juridique, il sera nécessaire
d’exercer une action en justice.
A titre d’illustration, prenons le cas du mariage. Si les époux se séparent sans
divorcer, le Droit97
lui, les considère toujours comme étant mariés. Pourtant dans les faits on
a bien deux personnes séparées qui n’entendent plus ni cohabiter, ni même rester dans les
93
P. ROUBIER. Op. cit., p. 73 et s. 94
Article 1384 du Code civil : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre
fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on
a sous sa garde. » 95
Cass, Ch. Réun., 13 février 1930, Jand’heur. 96
P. ROUBIER. Op. cit., p. 75 et s. 97
On entend par là le droit objectif en tant qu’ensemble de normes.
67
liens du mariage. L’action en justice tendant au divorce va venir consolider la situation
juridique qu’est le mariage rompu en le constatant judiciairement. Ce n’est que par ce biais
que la situation aura force exécutoire en droit. En effet le temps n’est pas encore venu du
divorce sans le juge. On comprend aisément cette situation si on se penche sur les droits des
tiers. Les tiers ont en face d’eux des époux et ils ne sont pas censés savoir que ces époux
sont séparés si rien dans l’ordre juridique ne leur prouve le contraire.
L’action en justice a donc ici un objet bien particulier, celui de consolider en
reconnaissant une situation juridique entre deux eaux. Cette consolidation d’une situation
juridique est la conséquence de la concession d’une action en justice. A la base de cette
action on a non plus un droit mais un fait, un acte ou un état dont la loi permet de tirer des
conséquences juridiques, conséquences juridiques rendues possibles par un seul canal, celui
de l’action en justice. Les sujets de droit auront la possibilité d’agir qu’à une seule condition
à savoir qu’une action en justice leur soit accordée par le Droit car c’est le résultat de la
concession d’une action qui permet la constatation puis la consolidation d’une situation.
Au plan pénal, on a une très belle illustration de ce type d’action, c’est l’action du
Ministère Public. La loi accorde une action en justice au Ministère Public pour qu’il rétablisse
l’ordre, qu’il sanctionne les manquements aux devoirs édicté par la loi. On ne peut en aucun
cas dire que lorsque le Parquet intervient, il agit sur le fondement de l’un de ses droits
subjectifs. Il agit en réaction à des devoirs qui n’ont pas été respectés et qui lui incombe de
redresser.
Au plan civil, l’action en nullité n’est ni plus ni moins que la sanction du devoir de
vérifier les conditions de validité d’un contrat98
. L’action de in rem verso est la sanction du
devoir de ne pas s’enrichir sans cause99
. Dans toutes ces hypothèses l’action en justice ne
sera envisageable que parce que la loi reconnait la possibilité d’agir aux sujets de droits.
La notion d’action en justice prend donc ici tout son sens étant donné qu’elle est
totalement autonome. Elle ne dépend pas d’un quelconque droit antérieur étant donné qu’il
98
C’est la sanction de l’article 1108 du Code Civil qui précise que : «Quatre conditions sont essentielles pour la
validité d’une convention : le consentement de la partie qui s’oblige ; sa capacité de contracter ; un objet
certain qui forme la matière de l’engagement ; une cause licite dans l’obligation. » 99
Civ. 2 mars 1915 : GAJC, 11e édition, n°228 : « L’action de in rem verso ne doit être admise que dans les cas
où le patrimoine d’une personne se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d’une autre
personne… »
68
n’y en a pas. C’est pour cette raison qu’il a fallu trouver un concept assez fort pour donner
l’occasion aux sujets de droits de pouvoir se défendre sans qu’un de leurs droits ne soit en
cause. Ce concept on l’aura compris, c’est celui d’action en justice. L’action en justice est
donc une prérogative juridique qui lorsqu’elle ne se confond pas avec le droit, quand elle est
indépendante d’un droit antérieur, doit être analysée comme une prérogative totalement
distincte.
L’existence de cette prérogative s’agissant de l’action en constatation d’une situation
juridique, ressort de l’origine des situations qui méritent d’être consolidées. En effet les
devoirs juridiques dont il est question ont vocation à être respectés tout autant que les
droits subjectifs. Si l’ordre public réagit en créant des situations juridiques, c’est bien qu’il y a
là terrain à être connu par le Droit. C’est pour cette raison qu’il semble naturel de les
constater lorsqu’elles se modifient et ce dans le but de les consolider.
L’action en constatation de situations juridiques va se révéler être plurielle. En effet
son objet est de constater une situation qui comme nous l’avons vu est imparfaite d’un point
de vue juridique. L’action en justice lui permet donc d’obtenir une pleine reconnaissance. Or
si l’action en justice a vocation à appréhender une situation juridique, elle a aussi vocation à
appréhender des faits juridiques ce qui n’est pas le cas de l’action en exécution de droit
étudiée en première partie. En effet cette dernière ne se préoccupe que des droits dont
nous sommes titulaires et n’a donc pas pour objet de se préoccuper de ce qui relève du fait ;
c’est donc une particularité attachée aux actions en constatation.
CHAPITRE 2 : L’ACTION, MOYEN DE CONSTATATION D’UN FAIT JURIDIQUE PAR LE JUGE
L’action en constatation a un champ d’application beaucoup plus large que celui de
l’action en exécution d’un droit car comme nous avons pu le remarquer cette dernière ne
s’intéresse pas aux faits qui pourraient servir de fondement à l’action. Pourtant ces faits vont
pouvoir produire des effets juridiques qu’on ne peut pas ignorer.
Nous allons donc d’abord nous attarder sur la notion de fait juridique afin de voir ce
qu’elle recouvre, car il faut bien voir en quoi cette notion se distingue de celle de droit pour
identifier l’objet de l’action en constatation d’un fait juridique (section 1). Nous verrons
ensuite comment cette action a vocation à se mettre en œuvre à travers des exemples
69
concrets de situations factuelles. A travers ces exemples, nous verrons que l’action va se
révéler être le moyen de production de conséquences juridiques (section 2).
SECTION 1 : La distinction entre fait juridique et droit
Dans un sens large, la notion de fait recouvre tout ce qui arrive, tout ce qui se
produit, tout événement qu’il s’agisse d’un phénomène physique, social ou encore
individuel. Spécifiquement, le terme de fait est utilisé en matière de responsabilité pour
désigner le comportement, qu’il s’agisse d’une action ou d’une omission de l’homme de son
fait personnel ou du fait d’autrui, l’action de l’animal ou l’intervention d’une chose100
. Le fait
même personnel ne doit pas être confondu avec la faute puisqu’il faut une qualification pour
le retenir comme fautif et qu’un fait brut, tenant à l’existence d’un certain comportement
patent mais non fautif, suffit parfois à engager la responsabilité. Ce sera le cas avec la
responsabilité du fait d’autrui.101
Avec cette définition du fait au sens large, on voit que cette notion revêt un champ
d’application particulièrement étendu. En effet tout agissement quelconque peut entrer
dans cette catégorie ce qui élargit d’autant plus la notion d’action s’y afférant.
Plus particulièrement, le fait juridique quant à lui correspond à un fait quelconque
qu’il s’agisse d’un agissement intentionnel ou non de l’homme, d’un événement social, d’un
phénomène de la nature ou d’un fait matériel, auquel la loi attache une conséquence
juridique comme par exemple l’acquisition d’un droit ou la création d’une obligation,
conséquence qui n’a pas été nécessairement recherchée par l’auteur du fait. Par exemple le
délit oblige son auteur à réparer le dommage causé, la possession d’un immeuble pendant
trente ans fait acquérir la propriété, une force majeure exonère le débiteur.102
La notion de fait est donc beaucoup plus large que celle de droit. Cela étant parce
que le Droit a vocation à appréhender à certains égards le fait juridique, il faut savoir de
quelle façon cette conséquence va se produire. Dans les exemples que nous venons de citer,
l’action en justice va jouer un rôle moteur. En effet par la notion d’action en justice, un fait
constitutif d’un délit va pouvoir produire des conséquences juridiques et ces conséquences
100
C’est ainsi qu’on parle de responsabilité du fait des choses : article 1384 du Code Civil et de responsabilité
du fait des animaux : article 1385 du Code Civil. 101
Gérard Cornu. Op. cit., cf. fait, p. 393. 102
Ibid., cf. fait juridique, p. 394.
70
juridiques ne sont rendues possibles que par l’exercice de l’action. Ainsi sans l’action en
justice, le dommage résultant du délit ne trouvera pas réparation car il ne sera pas constaté
comme tel par le Droit. L’action va permettre de constater qu’il y a bien eu dommage causé
par un fait, puis va consolider cette situation en octroyant la réparation due. Le droit à
réparation de la victime ne verra sa mise en œuvre juridique reconnu que par un seul
moyen, celui de l’action en justice. Avant l’exercice de l’action, ce droit à réparation ne
produit encore aucun effet ; il existe seulement à l’état statique.
Il faut bien comprendre que dans ces hypothèses, c’est l’action qui va permettre de
faire produire des conséquences juridiques. Il ne s’agit donc pas de partir du fait pour
expliquer l’action mais partir de l’action pour expliquer les conséquences juridiques qu’on
entend attacher à un fait. C’est ce que nous allons maintenant tenter d’illustrer plus
concrètement.
SECTION 2 : L’action en justice, moyen de production de conséquences juridiques
L’action en justice va aller au-delà de la simple constatation d’une situation juridique
pour consacrer des conséquences à un fait qui sans l’action demeurerait au moins pour
partie, en dehors du droit.
La loi ou même le juge vont estimer, par souci d’équité, qu’un fait va pouvoir
produire des conséquences juridiques. On pourrait parler d’une sorte de rectification a
posteriori, opérée ainsi par le législateur ou le juge. En effet c’est bien après que le fait ait
produit ses effets qu’une personne va se retrouver être titulaire d’une action en justice
relativement à ce fait.
Prenons l’exemple du concubinage. Le concubinage est une union de fait tenant à
l’existence d’une vie commune stable et continue entre deux personnes de sexe différent ou
de même sexe, formant un couple et un ménage.103
Cette définition ressort de l’article 515-8
alinéa 1 du Code civil, définition faut il le rappeler issue de la loi du 15 novembre 1999. Dans
la définition que nous venons de donner, il est précisé que c’est une union libre à laquelle le
droit attache diverses conséquences comme par exemple le droit à réparation en cas de
décès du concubin ou encore la perte du droit à pension alimentaire. Ces conséquences sont
103
Gérard Cornu. Op. cit., cf. concubinage, p.197.
71
rendues possibles compte tenu de l’apparence, du concubinage notoire, de la stabilité et de
la durée de la relation. On a donc bien à la base de cette union, une situation de pur fait.
L’article 515-8 du Code civil quant à lui se contente de donner une définition complètement
indicative de cette forme de couple, sans lui conférer de conséquences juridiques
particulières. D’ailleurs c’est le seul article ayant trait au concubinage ce qui montre bien que
cette situation n’a pas vocation à être totalement appréhendée par le Droit.
Pourtant et cela apparait bien dans la définition que nous avons donné du
concubinage, la loi y attache diverses conséquences. Or ces conséquences c’est précisément
l’action en justice qui va permettre de les consacrer. Sans l’action en justice, on imagine mal
comment un concubin pourrait réclamer un quelconque droit à réparation en cas de décès
de son compagnon.
Le concubinage est une situation de fait, il faut donc un outil assez puissant pour que
ce fait produise des conséquences en droit. Cet outil, c’est tout simplement l’action en
justice. Cette action en justice est tout à fait indispensable car elle va consacrer de véritables
conséquences juridiques. L’action en justice est d’autant plus indispensable car existe « le
fait fait pourrait on dire et le fait droit »104
La frontière entre les deux est bien souvent difficile à tracer. En effet il est parfois
délicat de se livrer à une appréciation sur le fait qui ne devrait pas être pris en compte par le
Droit et le fait qui mériterait la protection juridique.
Il est intéressant de noter que parfois c’est la loi elle même qui va se servir d’une
situation de fait pour palier une insuffisance pratique. C’est bien le cas concernant justement
le domicile du mineur. Il est de principe que la résidence familiale est au lieu que les époux
choisissent d’un commun accord et l’enfant non émancipé y a son domicile légal. A défaut
d’accord entre les époux, l’enfant est domicilié chez celui des parents avec lequel il réside.105
Il y a donc dans cette seconde alternative, la prise en compte d’un élément de fait. Mais
cette situation de fait a un rôle car elle permet de palier le cas où on ne se trouve pas dans le
cadre de la situation de droit. Cela démontre bien que le fait n’est pas totalement absent du
Droit. C’est en partant de ce fait qu’on pourra identifier le domicile du mineur.
104
Expression empruntée à J. HAUSER. Domicile du mineur : du fait et du droit, RTD Civ 1992, p.48. 105
C’est ce qui ressort de l’article 108-2 du Code Civil.
72
En consacrant une action en justice à l’appui d’une situation de fait, on retrouve une
manifestation de la prise en compte du fait par le droit. L’action en justice revêt alors un
caractère particulier. On ne peut plus parler d’accès au juge ici car on n’a pas de droit
antérieur préétabli, on a une situation de fait. Par sa qualification de situation de fait, on ne
retrouve en elle aucun moyen d’accéder directement à la justice. Dans la première
hypothèse où on a un droit antérieur, c’est de ce droit que l’accès au juge ressort et ce de
manière naturelle, par la mise en œuvre des prérogatives attachées à ce droit mais dans
l’hypothèse qui nous occupe maintenant, de la situation de fait, du droit ne peut pas en
ressortir naturellement. Il faut donc une intervention extérieure pour pouvoir attribuer au
fait, la possibilité de produire des conséquences juridiques. Ce n’est que par cette
intervention extérieure qui se manifestera par l’octroi d’une action en justice, qu’on pourra
en arriver à la production de droit.
On voit bien avec ces propos à quel point l’action en justice est une notion
fondamentale et on voit que l’action en justice étudiée sous cet aspect ne correspond pas à
l’accès au juge précédemment étudié dans le cadre de l’action en exécution d’un droit. Ce
serait dénaturer le rôle moteur de l’action en justice en tant que notion autonome, que
d’utiliser cette même terminologie s’agissant de l’accès au juge qui lui n’a besoin d’aucune
intervention extérieure pour pouvoir exister étant donné qu’il ressort des droits qu’on
allègue et sur le fondement desquels on entend agir.
Cette affirmation du rôle primordiale de l’action en justice ressort de manière tout à
fait évidente si on étudie les actions d’état.
L’action d’état est définie comme l’action tendant à établir ou à modifier l’état d’une
personne. Ce sera le cas de l’action en réclamation d’état, de l’action en contestation d’état,
de l’action en recherche de paternité ou de maternité naturelle, de l’action en nullité de
mariage ou encore de l’action en révocation d’adoption.106
Attardons nous plus précisément sur l’action en réclamation d’état. L’enfant qui ne
possède aucun état, ou qui en possède un mais non corroboré par un titre conforme, peut
agir en justice pour faire constater la filiation légitime qu’il prétend la sienne.107
On voit
106
Gérard Cornu. Op. cit., cf. action d’état, p.21. 107
C’est ce qui ressort de l’article 323 du Code Civil.
73
souvent écrit que c’est l’action d’état par excellence.108
Dans cette action c’est donc la vérité
de la filiation qui est enjeu. Dans ce type d’action la possession d’état est souvent en cause.
En effet la possession d’état prouve toute la filiation comme le titre. Cela étant c’est une
présomption qui n’est pas irréfragable dès lors qu’elle est isolée du titre.109
Ainsi l’individu
qui a une possession d’état sans avoir de titre peut se contenter de sa possession d’état mais
il n’y est pas tenu et c’est en cela qu’il peut rechercher en justice une autre filiation, qu’il
prétend être véritablement la sienne. Une situation juridique sera ainsi constatée par
l’action en justice ce qui lui permettra de produire des conséquences juridiques nouvelles. Il
s’agira bien d’une constatation car cette filiation existe en tant que fait, avant l’exercice de
l’action, ce n’est pas elle qui fait naitre le lien de filiation en tant que tel. L’action par contre,
permet à cette filiation de produire les conséquences juridiques qui lui sont attachées
comme par exemple l’octroi d’aliments.
108
J. CARBONNIER. Droit civil tome 1. Cf. les preuves contentieuses de la filiation légitime, n°481, p.1024. 109
C’est ce qui ressort de l’article 322 du Code Civil pris a contrario.
74
L’action en justice a donc un premier objet tout à fait atypique. En effet comme on a
pu le voir, l’action en justice va permettre de constater un certain nombre de situations
juridiques. Cela étant elle ne va pas s’arrêter à ce stade. L’action en justice dans cette
hypothèse va agir à deux niveaux. Elle va d’abord commencer par constater qu’il y a une
situation juridique, que cette situation soit constitutive d’un fait ou d’un acte, pour ensuite
et ce dans un second temps, opérer une consolidation de cette situation. Cette consolidation
pourra être de plusieurs natures eu égard à chaque type de situation. Dans la plupart des cas
elle va surtout permettre de faire produire des conséquences juridiques à la situation
juridique en cause.
L’action en constatation d’une situation juridique en vue de sa consolidation a un
champ d’application très étendue. Comme on a pu le voir, grâce à cette action, on va
pouvoir s’intéresser à la notion de fait pour l’appréhender juridiquement. L’action
conservera ici toujours son objet à savoir celui de constater pour consolider. Il faut
cependant noter qu’avec le fait l’action prend une dimension relativement créatrice. En effet
même si l’action ne crée pas en tant que telle la situation juridique, elle va permettre de lui
faire produire des conséquences qui elles n’existaient pas avant sa mise en œuvre.
Cet aspect créateur, on ne le retrouve à aucun moment lorsqu’on envisage l’action en
exécution d’un droit. S’agissant de ces dernières, l’office du juge est en relation étroite avec
le droit qu’il s’agit d’exécuter. En effet le juge lorsqu’il se trouve face à de telles actions, voit
son terrain de travail considérablement réduit ; il ne doit s’atteler qu’au droit dont il est
question, qu’à la mise en œuvre de ce droit.
Cet aspect créateur va se révéler être d’une toute autre nature s’agissant des actions
en constitution de situations juridiques. En effet il ne s’agira plus ici d’un simple aspect mais
ce sera tout simplement l’objet de l’action que de constituer une situation juridique. L’action
prend ici toute sa force créatrice.
Il s’agit donc maintenant de se pencher plus particulièrement sur ces actions qui ont
vocation à constituer des situations juridiques car on le sent déjà leur objet diffère de celui
que nous venons d’étudier s’agissant des actions en constatation de situations juridiques.
75
TITRE 2 : LA CONSTITUTION D’UNE SITUATION JURIDIQUE PAR L’ACTION
L’action va prendre une dimension tout à fait particulière dans les propos qui vont
suivre. En effet il ne va plus s’agir de voir en quoi l’action peut constater une situation
juridique en vue de sa consolidation mais en quoi l’action revêt un caractère créateur de
droit. C’est donc à un tout autre objet que nous allons faire référence maintenant.
Il faut noter que l’action en justice en ce qu’elle constitue une situation juridique va
trouver des développements moins aboutis que ceux que nous avons pu faire jusqu’à
présent. En effet il semble que l’objet d’une telle action demande une réflexion plus
approfondie qui faute de temps n’aura pas vu son terme dans ces propos. Pourquoi alors
envisager cette action dès maintenant si ce n’est pas pour lui apporter des réponses claires
et exhaustives ? Nous envisagerons cette action tout simplement parce que la passer
totalement sous silence serait occulter une partie non sans importance du sujet que nous
tentons de traiter à savoir l’objet de l’action. Cet aspect créateur de l’action est d’autant plus
intéressant qu’on trouve peu de développements le concernant, l’aborder s’impose donc ici.
Si nous tenons à envisager l’action constitutive de droits c’est aussi pour montrer à quel
point l’action ne revêt pas une unité notionnelle. En effet en étudiant ce type d’actions nous
allons nous rendre compte qu’elles sont totalement différentes des actions en exécution
d’un droit que nous avons pu voir en première partie. L’action ne va plus se contenter
d’homologuer mais au contraire va s’atteler à créer.
Cet aspect créateur de droit nous allons tenter de l’identifier à travers un exemple
concret qu’est celui de l’obligation naturelle. En effet l’obligation naturelle va se trouver au
confluent de deux actions, celle en constatation de droit et celle en constitution de droit
(chapitre 1). Il semble pourtant qu’on puisse la ranger dans la catégorie d’actions en
constitution de droit et nous tenterons d’expliquer pourquoi. Nous nous pencherons ensuite
sur l’action en justice constitutive de droit (chapitre 2). En effet l’action relative à l’obligation
naturelle prend un aspect créateur dans son versant action entre les parties et c’est pour
cette raison qu’il nous parait intéressant de lui consacrer des développements spécifiques. Il
n’en reste pas moins que l’action en justice peut elle aussi revêtir cet objet.
76
CHAPITRE 1 : L’OBLIGATION NATURELLE ENTRE CONSTITUTION NON JUDICIAIRE ET
CONSTATATION JUDICIAIRE
Si on peut se permettre de douter quant à l’objet de l’action visant à appréhender
l’obligation naturelle, c’est qu’il semble que cette action ait tout simplement un double
objet. En effet on va retrouver la notion de constatation de la situation formant l’obligation
naturelle qui se sera transformée en obligation civile. Ici l’action en justice aura donc pour
objet de constater une telle transformation, ni plus, ni moins (section 2). Cependant l’action
va jouer aussi un autre rôle consistant cette fois ci à créer une nouvelle situation. Il semble
que ce soit cet aspect qui prévale lorsqu’on envisage l’obligation naturelle car l’action entre
les parties va en quelques sortes transformer un droit virtuel en un droit concret au point
qu’on ne parlera plus d’obligation naturelle mais d’obligation civile (section 1).
SECTION 1 : La constitution d’une obligation civile par l’action entre les parties
Il faut d’abord revenir sur la définition de l’obligation naturelle afin de comprendre
en quoi elle recouvre une situation si atypique qu’elle pose le problème de l’objet de l’action
s’y afférant (§1). Nous verrons ensuite la première étape de l’action relative à l’obligation
naturelle, action qui aura là pour objet de constituer une nouvelle situation juridique qu’est
l’obligation civile (§2).
§1) Définition de l’obligation naturelle
L’obligation naturelle est traditionnellement distinguée de l’obligation civile dont
l’exécution forcée peut être exigée en justice.110
L’obligation naturelle, a contrario, est l’obligation dont l’exécution forcée ne peut
être exigée en justice mais dont l’exécution volontaire ne donne pas lieu à répétition en tant
qu’elle est l’accomplissement d’un devoir moral.111
Avec cette définition, on remarque qu’on en revient à l’action entre les parties. Si
l’action entre les parties a vocation à s’exercer s’agissant de l’action en exécution d’un droit,
elle va aussi s’exercer dans le cadre de l’action en constitution de l’obligation civile. Ici et
contrairement à l’action en exécution d’un droit, la demande ne va pas porter sur un droit.
110
Gérard Cornu. Op. cit., cf. Obligation civile, p. 155. 111
Ibid. cf. obligation naturelle, p. 597.
77
Ainsi il y a obligation naturelle chaque fois qu’une personne s’oblige envers une autre ou lui
verse une somme d’argent non sous l’impulsion d’une intention libérale, mais afin de remplir
un devoir impérieux de conscience et d’honneur.112
Il va donc s’agir d’un accord entre
plusieurs personnes et non de droits reconnus ainsi par la loi. Si une personne refuse de
passer un tel accord, rien ne pourra l’y contraindre à part sa conscience. Ainsi l’obligation
apparait comme un lien de droit existant spécialement entre deux personnes, en vertu
duquel l’une doit faire quelque chose pour l’autre. Avec l’obligation naturelle il ne s’agit pas
d’un lien de droit unissant deux personnes, mais d’un devoir de conscience qui s’exerce de
manière spontanée. Il n’y a donc pas de liste a priori des obligations naturelles.
L’explication la plus classique du mécanisme de l’obligation naturelle est
procédurale.113
Ainsi la créance civile équivaudrait à l’addition droit + action alors que la
créance naturelle équivaudrait à la soustraction droit – action. Cette explication ne parait
pourtant pas satisfaisante. En effet il existe des droits qui sont démunis d’actions et qui ne
sont pas pour autant des obligations naturelles. Carbonnier prend l’exemple des grosses
réparations à la charge à la charge du nu propriétaire ou encore des primes d’assurance sur
la vie114
. De plus il s’agit là d’un droit bien particulier au point qu’on ne le traite pas de la
même façon que les autres.
En effet il semblerait que l’obligation naturelle soit un droit dépourvu d’action. C’est
ce qui ressort de la définition que nous avons donné en commençant ces propos. Cela étant
cette affirmation est à relativiser.
Tout d’abord dire que l’obligation naturelle est un droit sans action est en partie vrai.
Pour preuve l’obligation naturelle n’a pas vocation à subir une exécution forcée.
L’explication tiendrait au fait que l’obligation naturelle est un devoir moral montant à la vie
juridique.115
Le terme de devoir semble en effet plus approprié que celui de droit lorsqu’on
fait référence à l’obligation naturelle. Il ne faut pas oublier que l’obligation naturelle nait
parce qu’une personne décide par exemple de verser une somme d’argent à une autre.
L’obligation naturelle ne trouve donc pas son origine dans un droit mais dans un devoir et
112
Civ. 1ère
, 16 juillet 1987 : Bull. civ. I, n°224 ; RTD civ. 1988. 133, obs. Mestre (engagement précis
d’hébergement gratuit.) 113
J. CARBONNIER. Droit Civil tome 2, n°924 p.1924. 114
A titre d’exemple, cf. article L. 132-20 du Code des assurances. 115
Règle Morale de Ripert, n° 186
78
c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle trouve sa place dans les développements qui nous
occupent en seconde partie. Là où nous pourrions donc être d’accord sur le fait que
l’obligation naturelle ne s’accompagne pas d’une action, c’est quant à son exécution.
L’obligation naturelle n’est pas susceptible d’exécution forcée, c’est chose certaine. Cela
étant il n’existe pas que l’action en exécution d’un droit. D’autres types d’actions existent,
pour preuve l’action en constatation d’une situation juridique ou encore l’action en
constitution de droit. Donc dire que l’obligation naturelle ne s’accompagne d’aucune action
semble relativement critiquable pour ne pas dire faux.
Revenons sur l’action entre les parties qui a vocation à se mettre en œuvre en
présence d’une obligation naturelle. On peut bien ici parler de parties car une personne
s’engage envers une autre. Ces deux personnes sont donc liées entre elles, par une
obligation particulière certes, mais par une obligation tout de même. Le créancier d’une
obligation naturelle va donc pouvoir demander au débiteur de lui verser la somme convenue
si celui-ci après une première exécution ne l’a pas réitéré. Ce que ne pourra pas faire le
bénéficiaire de l’obligation naturelle, c’est forcée cette personne à bien vouloir s’exécuter.
Après tout cette solution peut paraitre logique, le bénéficiaire de l’obligation naturelle n’est
pas titulaire d’un droit comme les autres, il est en quelques sortes soumis au bon vouloir du
débiteur : c’est lui qui décide si oui ou non il s’engage à verser une somme d’argent à une
autre personne et cette décision n’appartient qu’à lui.
Par contre une fois que la personne aura décidé de s’exécuter, son action va
transformer l’obligation naturelle en obligation civile. C’est à partir de ce moment précis que
l’obligation naturelle va véritablement entrer dans le monde juridique.
§2) La transformation de l’obligation naturelle en obligation civile
L’obligation naturelle est tout à fait atypique en ce sens qu’elle a vocation à muer
selon les actions qu’elle subit. La première transformation qu’elle va subir va se produire
entre les parties elles mêmes.
En effet et comme nous avons pu le voir dans la définition de l’obligation naturelle,
celle-ci trouve son origine dans la volonté d’une personne. Ainsi il n’existe pas entre les
frères et sœurs, d’obligation alimentaire. Cela étant si un frère décide de venir en aide à sa
79
sœur parce que celle-ci est dans le besoin, en lui versant par exemple une pension tous les
mois, ce geste de générosité va se transformer en obligation civile. La sœur sera donc en
position de demander la continuation des paiements si jamais le frère venait à les cesser.
Autant la sœur ne peut pas forcer son frère à lui venir en aide, autant si celui-ci décide
d’intervenir, il va véritablement s’engager envers elle au point qu’elle disposera de moyens
non négligeables pour l’y contraindre.
A travers cet exemple on voit bien que l’obligation naturelle se transforme en
obligation civile du seul fait de la volonté d’une personne. C’est donc encore un argument
pour dire que l’obligation naturelle s’accompagne d’une action car elle trouve son origine
dans l’action d’une personne. L’obligation naturelle n’a pas vocation à naitre dans le cadre
d’une action en justice mais dans le cadre d’une action entre les parties. Ce constat ressort
clairement dans les arrêts de la Cour de cassation. Ainsi dans une affaire en date du 3
octobre 2006116
, un enfant avait engagé une action en recherche de paternité naturelle à
l’encontre de M.E. A la suite d’un accord entre les parties, il s’était toutefois désisté de son
action, le père prétendu s’étant engagé à lui verser, « à titre de subsides », une somme de
3000 F mensuelle jusqu’à la fin de ses études. Cependant les paiements avaient cessé avant
la fin de l’accord ce qui conduit de nouveau l’enfant à saisir la justice pour voir condamner
M.E à reprendre ses versements mensuels et subsidiairement à agir en recherche de
paternité. La Cour d’appel va qualifier l’action d’action à fin de subsides et la déclarer dès
lors irrecevable faute d’avoir observé le délai prévu et par ailleurs, estimer que l’accord
litigieux n’était pas une véritable transaction. La Cour de cassation ne va pas adopter cette
position en déclarant « qu’en statuant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée, si en
s’engageant volontairement à verser à l’enfant, une somme mensuelle jusqu’à la fin de ses
études, M.E n’avait pas voulu exécuter un devoir de conscience et n’avait pas ainsi
transformé une obligation naturelle en une obligation civile. » Avec cet attendu, la Cour de
cassation souligne le fait que c’est bien M.E qui par son comportement a entendu
transformer une obligation naturelle en obligation civile. Par là il a donc fait naitre un lien de
droit entre l’enfant et lui.
L’action visant à transformer l’obligation naturelle en obligation civile a donc un objet
spécifique. Cet objet c’est tout simplement de constituer une obligation civile. En effet sans
116
Civ. 1ère
, 3 octobre 2006, AJ fam. 2006. 418, obs. F.Chénedé.
80
cette transformation l’obligation naturelle n’aurait produit aucune conséquence juridique.
Selon l’article 1235 alinéa 2 du Code civil « la répétition n’est pas admise à l’égard des
obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. » Une fois donc que la
personne se sera engagée dans les liens de l’obligation naturelle, elle ne pourra pas ensuite
demander la répétition de l’indu. Par son action elle s’est engagée juridiquement et étant
donné qu’il s’agit d’un devoir moral qu’elle a entendu exécuter elle ne pourra plus après
coup, demander le remboursement des sommes ainsi versées.
Ce devoir ainsi mis à exécution va pouvoir être ensuite constaté en justice. C’est donc
une seconde étape que l’obligation naturelle est appelé à franchir. Après la constitution
vient la constatation mais cette fois ci par l’action en justice. On retrouve ainsi le mécanisme
que nous avons étudié précédemment où l’action en justice va avoir pour objet de constater
l’obligation civile ainsi née par l’action entre les parties.
SECTION 2 : La constatation finale de l’obligation naturelle par l’action en justice
Ce n’est pas parce que le bénéficiaire d’une obligation naturelle est privé d’une
action en exécution forcée qu’il ne peut pas pour autant se prévaloir de cette obligation. En
effet le juge devra parfois constater qu’il y a une obligation naturelle transformée en
obligation civile pour pouvoir rendre sa décision.
C’est ce qui s’est produit dans des affaires ayant donné lieu à deux arrêts de la Cour
de cassation en date du 23 mai 2006 et du 21 novembre 2006117
.
Dans l’affaire du 21 novembre 2006, deux chirurgiens avaient conclu un contrat
d’association pour une durée de cinq ans qui précisait que leurs honoraires seraient partagés
entre eux à parts égales. Or l’un d’eux avait une activité bien moins importante que l’autre
ce qui l’a conduit à adresser à son confrère un chèque en restitution partielle. Il conforta
ensuite sa démarche en écrivant qu’en raison d’une activité trop asymétrique, il s’engageait
à ne conserver que les sommes correspondant aux actes réalisés par lui et à reverser à son
confrère, la totalité des honoraires trop perçues. Par la suite il cessa tout de même ses
remboursements et assigna son confrère en répétition de l’indu. Les juges du fond firent
droit à sa demande. La Haute Cour quant à elle censure pour violation des articles 1134 et
117
Civ. 1ère
, 23 mai 2006, n° 04-19.099, D. 2006.1561 ; Civ. 1ère
, 21 novembre 2006, n° 04-16.370.
81
1235 du code civil : « en statuant ainsi sans tenir compte de la manifestation expresse de
volonté de A de prendre engagement de restitution d’honoraires à l’égard de B, suivis de
plusieurs remboursements alors qu’il n’était plus tenu par la convention d’association
initiale, ce qui suffisait à établir l’existence d’une obligation naturelle qui s’est muée en
obligation civile, la Cour d’appel a violé les textes susvisés. »
La Cour de cassation reproche précisément aux juges du fond de ne pas avoir
constaté qu’il existait une obligation naturelle entre les parties. C’est bien la preuve que
l’action en constatation est ouverte aux bénéficiaires d’une obligation naturelle et donc qu’il
est pour partie faux d’affirmer qu’à l’obligation naturelle n’est attachée aucune action.
Il est vrai que la facette la plus marquante de l’action s’agissant de l’obligation
naturelle est celle qui se met en place entre les parties car il y a là une véritable création de
droit. C’est parce qu’une personne s’exécute que l’obligation naturelle va se transformée en
obligation civile et donc va être reconnue comme telle par l’ordre juridique. Ce n’est
qu’après cette transformation que l’exécution forcée sera envisageable et on comprend bien
qu’à ce stade on en reviendra naturellement à l’action étudiée en première partie relative à
l’exécution d’une prestation.
En somme nous pourrions dire que l’obligation naturelle a cette caractéristique
qu’est celle de pouvoir passer par toutes les actions que nous avons envisagées. En effet on
va d’abord trouver l’action entre les parties qui va permettre à l’obligation naturelle de muer
en obligation civile. Nous trouverons ensuite l’action en constatation d’une situation
juridique lorsqu’on voudra reconnaitre cette obligation afin de lui faire produire les
conséquences attachées aux obligations civiles. Enfin nous trouverons l’action en exécution
d’un droit si le débiteur a cessé tous paiement alors qu’il s’y était engagé pour une certaine
durée. Il faut donc bien réfléchir avant de s’engager dans les liens d’une obligation naturelle
car il est fort probable qu’on puisse le regretter.
Si l’action entre les parties peut constituer une situation juridique, l’action en justice
n’est pas en reste et revêt aussi dans certains cas, un rôle créateur de droit. Après avoir
étudié cette hypothèse particulière qu’est l’obligation naturelle, nous allons nous attarder
maintenant sur la constitution d’une situation juridique par l’action en justice, en rappelant
82
qu’il ne s’agit pas d’être exhaustif et que cet aspect mériterait l’attention de recherches
futures.
CHAPITRE 2 : LA CONSTITUTION D’UNE SITUATION JURIDIQUE PAR L’ACTION EN JUSTICE
Il va s’agir ici de voir en quoi l’action en justice a vocation à revêtir un caractère
créateur de droit. C’est l’aspect que voulait envisager Pierre Hébraud118
dans son article,
aspect qu’il n’a hélas pas eu le temps de traiter.
En effet il convient de se demander si l’action en justice a seulement pour objet de
constater une situation juridique ou si elle n’a pas dans certaines hypothèses un objet
tendant à créer une situation juridique qui jusque là n’existait pas. C’est désormais ce que
nous allons tenter de démontrer même si il faut avouer que sur ce point, tout le travail de
recherche reste encore à faire.
Nous allons chercher dans un premier temps à trouver des actions qui rempliraient ce
rôle créateur et à expliquer leur mise en œuvre (section 1). Ce n’est qu’à partir d’actions
concrètes qu’on pourra en venir à des considérations plus générales car il faut bien noter
que l’action en constitution de droit même si elle existe, n’est pas la plus courante. Dans un
second temps nous allons nous atteler à expliquer ce que manifeste ce type d’action pour le
titulaire qui entend l’exercer, et ce à l’aide de la notion de liberté (section 2).
SECTION 1 : Analyse des actions en justice constitutives de droits
Il convient de définir ce qu’on entend par action constitutive de droit (§1) avant de
voir quelles hypothèses pratiques elle peut recouvrir (§2).
§1) Définition de l’action en justice constitutive de droit
L’objet d’une telle action en justice ne peut pas être d’exécuter ni même constater un
droit ou une situation juridique. L’action va aller au-delà du seul établissement d’une
situation juridique donnée, elle va permettre la naissance d’une situation jusqu’alors
inexistante.
118
P. HEBRAUD. Op. cit. Observations sur l’évolution des rapports entre le droit et l’action dans la formation
des systèmes juridiques.
83
Une action constitutive s’entend d’une action qui va créer un nouvel état de droit ou
qui va établir une situation juridique nouvelle. Ainsi certains actes vont être dits constitutifs.
Ce sera le cas par exemple du mandat. Selon l’article 1984 du Code civil « le mandat ou
procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire
quelque chose pour le mandant en son nom. Le contrat de mandat ne se forme qu’avec
l’acceptation du mandataire. » Par cet acte on entend bien créer une nouvelle situation, car
normalement c’est au mandataire que revient le pouvoir de passer ses propres actes en son
propre nom. Avec le mandat on constitue une nouvelle situation où une autre personne se
chargera de passer les actes normalement accomplis par le mandataire. C’est une situation
juridique qui voit le jour ainsi.
Ce n’est pas rare que des actes aient pour objet de faire naitre un droit
particulièrement un droit réel. On va par conséquent parler d’acte constitutif d’hypothèque,
d’acte constitutif d’usufruit ou encore d’acte constitutif de gage. Par ces actes un droit
nouveau entre dans l’ordre juridique et sans ces actes de tels droits n’auraient pas existé. Si
donc des actes peuvent constituer de nouvelles situations on ne voit pas pourquoi l’action
n’aurait pas un tel pouvoir. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la définition donnée à l’adjectif
constitutif par Cornu.119
Dans cette définition il précise que des actes peuvent être
constitutifs mais aussi certains jugements. Ainsi lorsque le jugement, au lieu de reconnaitre
simplement une situation juridique antérieure à l’instance, crée une situation juridique
nouvelle, il est dit constitutif. Ses effets partent alors du jour où il a été prononcé étant
donné que c’est lui qui crée la situation juridique.
S’il existe des jugements constitutifs c’est bien qu’à l’origine il existe des actions
permettant la constitution de situations juridiques. Nous allons maintenant prendre
quelques exemples concrets d’actions constitutives de droit afin de voir comment elles ont
vocation à se mettre en œuvre.
§2) Hypothèses pratiques d’actions constitutives de droits
Nous allons ici nous pencher plus particulièrement sur certaines actions constitutives
de droits afin de voir exactement comment ce type d’action se met en œuvre.
119
G. CORNU. Op. cit., cf. constitutif, p. 220.
84
L’action constitutive d’une situation juridique nouvelle par excellence semble être
celle rattachée à l’adoption. L’adoption est définie comme l’action d’adopter une
personne120
. Il s’agit de la création, par jugement, d’un lien de filiation d’origine
exclusivement volontaire, entre deux personnes qui, normalement, sont physiologiquement
étrangères. Ainsi selon l’article 353 du Code civil « l’adoption est prononcée à la requête de
l’adoptant par le tribunal de grande instance qui vérifie dans un délai de six mois à compter
de la saisine du tribunal, si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme
à l’intérêt de l’enfant ».
On comprend aisément que l’adoption ne peut être prononcée que dans le cadre
d’une action en justice eu égard aux intérêts qui sont enjeu. Sans l’action en justice aucune
adoption n’est envisageable. C’est donc par l’action en justice qu’un lien de filiation va être
crée. L’action en justice revêt alors un rôle créateur de droit dans cette hypothèse et l’objet
de l’action tend bien à constituer une nouvelle situation. C’est ainsi que l’on dira à propos du
jugement rendu, qu’il sera constitutif car il n’a pas vocation à constater une situation
antérieure mais à en créer une nouvelle.
Nous pourrions ranger dans la catégorie des actions constitutives de droits, l’action à
fin de subsides. De prime abord il pourrait paraitre contestable que l’action à fin de subsides
trouve sa place dans ces développements car elle parait d’avantage se rattacher aux actions
en constatation d’une situation juridique. Pourtant nous ne le pensons pas.
Les subsides sont une forme de secours en général se traduisant par aide financière
apportée à une personne en vue de subvenir à son existence. Les subsides répondent à la
même fonction que les aliments auxquels ils empruntent le plus souvent leur forme à savoir
une pension en argent. Ils se distinguent des aliments en ce que leur octroi n’est pas
l’exécution d’un devoir de la famille mais le substitut de celui-ci.121
L’action à fin de subsides quant à elle est le droit, pour tout enfant naturel dont la
filiation paternelle n’est pas établie, de réclamer en justice des subsides à celui qui a eu des
relations avec sa mère pendant la période légale de la conception sur la seule preuve de
120
G. CORNU. Op. cit., cf. adoption, p. 32. 121
Ibid., cf. subside, p. 876.
85
celles-ci et donc sans à avoir à établir la paternité naturelle du défendeur, et ce à la
différence de l’action en recherche de paternité naturelle.122
L’action en recherche de paternité en tant qu’action d’état trouve sa place dans les
actions en constatation d’une situation juridique non pas au sein des actions en constitution
d’une situation juridique nouvelle. Les deux actions ne doivent pas être confondues. En effet
à la différence de l’action en recherche de paternité naturelle qui tend à établir l’existence
d’un lien de filiation entre l’enfant et le père prétendu, l’action à fins de subsides est fondée
sur une simple possibilité de paternité de celui ou de ceux qui ont eu des rapports intimes
avec la mère pendant la période légale de la conception.123
Il ne s’agit donc pas de constater une situation lorsqu’on envisage l’action à fin de
subsides. On ne cherche pas à reconnaitre un quelconque lien de filiation, l’enfant cherchera
à obtenir des subsides. Or lorsque l’enfant obtient gain de cause, l’action a ainsi crée une
situation juridique nouvelle. En effet avant l’action, l’enfant ne recevait par hypothèse
aucune aide matérielle de la part de son prétendu père sinon on voit mal pourquoi il agirait
ainsi à son encontre. L’enfant cherche donc à obtenir qu’on lui reconnaisse un droit : celui de
se voir attribuer des subsides. S’il obtient gain de cause cet enfant va se trouver dans une
situation qui n’existait pas avant qu’il exerce l’action à fin de subsides : il va toucher une
pension. L’action en justice a donc par là crée une nouvelle situation juridique et n’a pas
constaté un lien de filiation. En effet l’action à fin de subsides n’implique aucunement la
preuve de la paternité du défendeur, l’action suppose seulement celle de l’existence,
pendant la période de conception, de relations intimes rendant possible cette paternité124
.
Fort de ces constatations, on pourrait nous répondre que le jugement de divorce
tend lui aussi à créer une nouvelle situation juridique. Pourtant il s’agit d’une simple action
en constatation d’une situation juridique. On ne peut pas nier que le jugement établit une
nouvelle situation à savoir celle d’époux divorcés. Cela étant il ne crée pas une telle
situation. Comme on l’a vu l’action va ici avoir un autre objet, celui de constater que les
époux sont séparés et qu’ils n’entendent plus par là remplir les obligations nées du mariage,
122
C’est ce qui ressort de l’article 342 du Code civil. 123
La Cour de cassation elle-même met l’accent sur la distinction entre l’action en reconnaissance de paternité
naturelle et l’action à fins de subsides. Cf. en ce sens : Civ. 1ère
, 17 juillet 1979 : D.1980. 185 (2ème
espèce), note
Massip. 124
C’est ce qui ressort d’un arrêt de la Haute Cour : Civ. 1ère
, 21 octobre 1980 : Gaz. Pal. 1981. 2. 475, J.M.
86
pour ensuite consolider cette situation qui existait déjà avant l’action. La consolidation sera
de nature juridique car elle va permettre d’être face à deux personnes divorcées au lieu de
deux personnes séparées dans les faits. L’action ne crée pas une nouvelle situation, elle ne
fait que la consolider juridiquement et c’est en cela qu’on ne peut pas ranger l’action en
divorce dans les actions en constitution de droits. Si on dit que le jugement de divorce est
constitutif c’est uniquement pour faire référence à son application dans le temps. Le divorce
en tant que séparation juridique produira ses effets juridiques à compter du jour du
jugement. La séparation entre les époux elle, a eu lieu avant.125
A travers les exemples que nous avons pu donner nous pouvons voir que l’action
revêt un caractère créateur de droit. Ce caractère est d’autant plus important que ce n’est
que par l’exercice de l’action en justice que la situation juridique sera susceptible de voir le
jour. Nous n’avons pas été exhaustifs sur la question mais nous nous sommes contentés de
quelques exemples flagrants pour illustrer ces propos. Ce type d’actions mériterait des
développements bien plus approfondis eu égard à l’importance de l’existence de telles
actions dans notre système juridique. Avant de conclure définitivement, il est intéressant de
nous attarder quelques instants sur ce que manifestent les actions en justice en tant que
moyen de constitution de droits, pour les personnes entendant agir dans ce cadre. En effet il
faut bien comprendre ce que ces actions manifestent pour les personnes qui entendent agir
sur leurs fondements. L’action en exécution d’un droit se trouvait être la manifestation du
caractère contraignant du droit. S’agissant des actions en constitution de droit, il semblerait
qu’elles soient tout simplement la manifestation de la liberté d’agir.
SECTION 2 : L’action en constitution de droit, manifestation de la liberté d’agir
Dans le cadre de l’action en exécution d’un droit, nous avons vu que c’est parce
qu’un droit préexiste qu’est offerte la possibilité d’agir. Or dans le cadre de l’action en
constitution de droit et même aussi dans le cadre de l’action en constatation d’une situation
juridique, on peut se demander sur quel fondement une personne peut exercer de telles
actions. Ce ne sera certainement pas sur le fondement d’un droit antérieur car dans ce type
d’actions ce droit n’existe tout simplement pas.
125
J. Héron a ainsi pu écrire que « la distinction des jugements constitutifs et déclaratifs intéresse seulement
la date à laquelle se produisent les effets substantiels du jugement. » Op. cit., n°328, p. 260.
87
On n’entend pas ici trancher la question de manière radicale mais tenter d’apporter
quelques propositions sur cet aspect à l’aide de la notion de liberté. En effet il faut ici tenter
de trouver une notion indépendante qui explique le fait qu’une personne puisse faire
constater ou constituer une situation juridique. Ce qui est certain c’est que cette notion va
devoir se rattacher à la personne car c’est bien elle qui pourra agir, il faut donc trouver une
prérogative attachée à la personne et non à ses droits car ils ne seront d’aucune utilité pour
envisager les actions en constatation et constitution de droits.
Nous pourrions d’abord nous demander s’il ne s’agirait pas ainsi d’une faculté pour la
personne de pouvoir s’adresser au juge afin d’obtenir la constatation d’une situation
juridique dont elle se prétend bénéficiaire ou la constitution d’un droit qu’elle entend
obtenir.
Selon Roubier126
la faculté est une sorte de possibilité légale d’option en vue de la
création d’une situation juridique. Entre les différents termes de l’option, l’intéressé a la
latitude de choisir, et c’est cela qu’exprimerait le terme de faculté. Cette possibilité d’option
trouverait son origine soit dans la loi soit dans un contrat. Toujours selon cet auteur, les
facultés sont des prérogatives conditionnées et elles se situent dans le domaine de la
création des situations juridiques et non de leurs effets.127
Si on confronte cette définition aux actions en constitution de droit, on remarque
que ces actions ont bien vocation à se placer dans le domaine de la création de situations
juridiques. Cela étant l’action en constatation de droit elle, se rattache d’avantage aux effets
des situations juridiques étant donné qu’elle a justement pour objet de faire produire des
conséquences juridiques à une situation qui était jusque là en germe.
Quant à l’argument selon lequel les facultés sont des prérogatives conditionnées, il
faut reconnaitre qu’il s’agisse des actions en constatation ou en constitution de droits, elles
sont nécessairement enfermées dans des conditions. Cela se comprend aisément, tout le
monde ne peut pas accéder à la justice sous prétexte de vouloir se voir reconnaitre de
nouveaux droits ou encore faire produire des conséquences juridiques à n’importe quelle
situation dont il se prétend bénéficiaire. C’est pour cette raison que s’agissant des actions en
126
P. ROUBIER. Op. cit., p.163. 127
Ibid., p. 167.
88
constitution ou en constatation de situations juridiques, il s’agira d’actions attitrées. Les
actions attitrées sont des actions en justice dans lesquelles le droit d’agir n’est pas ouvert à
tout intéressé mais réservé que la loi qualifie à cet effet, de telle sorte qu’en ces cas la
demande n’est recevable que si elle émane d’une personne qui justifie de la qualité à
laquelle est attaché le droit d’agir, également nommée sujet attitré ou titulaire de l’action.
On comprend bien que seuls les époux pourront agir en divorce ou encore que seul l’enfant
ou son représentant, pourra agir en vue de voir reconnaitre son lien de filiation. Le fait de
pouvoir agir en justice est donc conditionné par la qualité pour agir.
Mais ne peut on pas aller plus loin et envisager ces actions comme une
manifestation de liberté de la part de leurs titulaires ?
La liberté en générale est définie comme la situation garantie par le droit dans
laquelle chacun est maitre de soi même et exerce comme il le veut toutes ses facultés128
.
Une liberté dans un sens particulier est définie comme l’exercice sans entrave garanti
par le Droit, de telle faculté ou de telle activité. On peut citer à titre d’exemple, la liberté de
la presse ou encore la liberté d’association129
.
Dabin lui part du principe que tout ce qui n’est défendu est permis. A partir de là il
estime que l’acte qui n’est pas défendu est donc légal car il est accompli en vertu d’un droit
légal non défini à savoir la liberté130
. La liberté serait donc un droit légal mais non défini. Est-
ce que le droit d’agir en justice est défini ? Il semble que cette question trouve sa réponse
dans l’article 30 du Code de procédure civile. C’est une définition certes relativement vague
mais cela semble logique eu égard à tout ce que nous avons pu dire jusqu’à présent
s’agissant de l’objet de l’action. Il aurait été peu heureux de vouloir en faire une définition
exhaustive car on aurait eu du mal à englober touts les formes d’actions qui peuvent exister
et toutes les actions que nous avons présenté n’entrent pas en contradiction avec l’article 30
du Code de procédure civile. Au contraire elles viennent le préciser, seule l’action entre les
parties a vocation à être mise de coté car elle n’a pas vocation à se mettre en œuvre devant
le juge donc par conséquent elle ne peut pas être régie par le Code de procédure civile.
128
C’est ce qui ressort du préambule de la Constitution de 1958. 129
G. CORNU. Cf. liberté, p. 537. 130
J. DABIN. Le droit subjectif, éditions Dalloz 2008, p. 301.
89
L’article 30 ne donne donc pas une définition précise de l’action, il se contente d’exposer un
droit légal qu’est le droit d’agir en justice.
Pour Roubier, et il reprend là l’idée de Josserand131
, la liberté est la souche commune
de tous les droits car tous les droits ont pour but de procurer à leurs titulaires une certaine
sécurité, et cette sécurité juridique suppose un minimum de liberté civile et politique pour
les particuliers comme condition d’existence. Roubier finit en concluant que « la liberté
juridique, dont le domaine d’élection se situe principalement dans le droit privé, consiste
dans la liberté d’accession aux situations juridiques. Et, pour en donner une définition
complète, nous dirons que, lorsqu’on oppose la liberté aux droits au sens propre du mot, il
s’agit d’une prérogative qui ouvre à son bénéficiaire, s’il le désire, un accès inconditionné
aux situations juridiques, qui se placent dans le cadre de cette liberté. »132
Là où nous
pourrions émettre une réserve c’est s’agissant de l’accès inconditionné aux situations
juridiques. Comme nous venons de le voir le fait de pouvoir agir doit répondre à des
conditions qu’on ne peut pas ignorer alors dire qu’il ouvre un accès inconditionné aux
situations juridiques parait excessif. Une alternative parait cependant envisageable. En effet
si on admet qu’une liberté est susceptible d’abus le fait de pouvoir agir pourrait
éventuellement être assimilé à une liberté et Roubier lui-même précise bien que l’accès
inconditionné aux situations juridiques doit rester dans le cadre de la liberté envisagée. Ce
n’est donc pas parce qu’on parle de liberté que celle-ci a vocation à ne pas trouver de
limites. Cela étant Roubier considère que la liberté n’est pas susceptible d’abus mais d’excès.
Or si on se penche sur la définition de l’abus, on s’aperçoit que l’abus lui-même comprend
l’excès. Ainsi l’abus serait un usage excessif d’une prérogative juridique, une action
consistant pour le titulaire d’un droit, d’un pouvoir, d’une fonction, à sortir dans l’exercice
qu’il en fait, des normes qui en gouvernent l’usage licite.133
De ce point de vue on peut donc
avancer l’idée selon laquelle la possibilité d’agir en justice offerte aux individus est une
manifestation de la liberté d’agir ou de ne pas agir. Rien ne contraint un individu qui a subi
un dommage à se présenter devant le juge si telle n’est pas son intention. La liberté d’agir
trouve ses limites dans l’abus.
131
JOSSERAND. De l’esprit des droits et de leur relativité, 2e édition, Paris, 1939, n°203, p. 275.
132 P. ROUBIER. Op. cit., p. 147.
133 G. CORNU. Op. cit., cf. abus, p.6.
90
Selon Dabin, lorsque le législateur confère telle liberté, il affirme du même coup la
licéité de l’usage de cette liberté, et le droit d’en user. Ainsi selon lui la liberté correspond au
droit d’accomplir tous actes quelconques, positifs ou négatifs, matériels ou juridiques, non
défendus par la loi.134
Qu’il s’agisse des libertés particulières ou de la liberté en général
Dabin note que l’abus est toujours possible lorsque l’usage du droit a lieu dans des
conditions qui le rendent immoral135
. C’est donc conférer des limites à la liberté elle-même
car s’agissant de l’exercice de cette liberté, il y aura toujours une place à l’abus ; l’exercice
d’une liberté répond donc à un usage discrétionnaire tant que cet usage n’est pas abusif.
La possibilité d’agir en justice est-elle quant à elle susceptible d’abus ? Il semble que
la réponse soit positive. Roubier a bien souligné que l’exercice des voies de droit est abusif
lorsque l’acte réalisé ne correspond pas à un intérêt personnel avouable mais à une pensée
de vexation et de dommage pour autrui.136
L’abus de droit est donc une faute qui consiste à
exercer son droit sans intérêt pour soi même et dans le seul dessein de nuire à autrui, ou,
suivant un autre critère, à l’exercer en méconnaissance de ses devoirs sociaux.
Le fait de pouvoir agir en justice pourrait donc correspondre à une liberté
particulière, cette liberté étant celle d’agir ou de ne pas agir en justice.
134
J. DABIN. Op. cit., p. 276. 135
Ibid., p. 301. 136
P. ROUBIER. Op. cit., p. 326 et s.
91
CONCLUSIONCONCLUSIONCONCLUSIONCONCLUSION
La notion d’action en droit ne recouvre pas un seul et même sens au point qu’on
puisse parler des actions. Il serait faux de croire que l’action en justice revêt elle aussi une
seule et une unique signification. Cette pluralité sous entendue par la notion d’action en fait
sa richesse mais il faut reconnaitre que pour saisir l’ampleur de la définition de l’action, il est
nécessaire de la décortiquer, de la catégoriser selon son objet.
Ainsi nous avons commencé notre étude par l’action en exécution d’un droit. Cette
action est en quelques sortes la plus simple à saisir étant donné qu’elle ressort des droits
dont nous sommes titulaires en tant que personnes juridiques, en tant que sujets de droits.
L’action en exécution sera susceptible de franchir deux étapes. La première est celle qui aura
vocation à s’exercer directement entre les parties. Cette étape trouve son origine dans la
prérogative d’exercice afférente à touts droits137
. C’est donc de manière naturelle et logique
que le titulaire du droit dont il s’agit s’adressera à la partie concernée en vue d’obtenir
l’exécution de ce droit. Pour ce faire, le titulaire du droit disposera de moyens non
judiciaires, moyens qu’il aura pu prévoir de manière anticipée par la voie contractuelle ou
encore moyens curatifs par les voies d’exécution. Seulement parfois il faut bien reconnaitre
que cette première étape ne suffit pas et que le titulaire du droit doive se tourner vers un
autre moyen, cette fois ci judiciaire. La seconde étape de l’action se mettra alors en œuvre,
cette étape correspond tout simplement à l’accès au juge. L’accès au juge trouve toujours
son origine dans le droit subjectif qu’on entend exécuter au point qu’on ne puisse pas parler
d’autonomie entre les deux. L’accès au juge se matérialise par la prérogative qu’on a pu
qualifier de prérogative offensive. En effet ici le titulaire du droit franchit une étape
supplémentaire en accédant à la justice. Il y a donc déjà là une dualité de l’objet de l’action
en ce qu’elle s’exerce d’abord entre les parties puis ensuite devant le juge. Le but de l’action
quant à lui, ne change pas, il s’agira toujours d’obtenir l’exécution du droit subjectif sur le
fondement duquel on entend agir.
C’est un premier schéma de l’action, une première catégorie d’actions qui existe dans
notre système juridique. Cette catégorie correspond donc à ce qu’on pourrait appeler les
137
Comme nous l’avons dit précédemment nous restons ici sur le principe de la capacité d’exercice, l’étude de
l’incapacité et donc de l’action en représentation n’a pu trouver sa place dans ces propos mais elle est bien sûr
envisageable à l’aide, nous le pensons, de la notion de pouvoir.
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actions en exécution d’un droit. Ce droit préexiste à l’action et c’est de lui que les deux
formes d’actions tirent leur origine.
On se trouve donc dans une situation tout à fait différente lorsqu’on n’entend plus
agir sur le fondement d’un droit qu’on a déjà. Ici et on le comprend aisément, une autre
catégorie d’actions est nécessaire.
Il va donc arriver qu’on se retrouve face à une situation juridique dont les contours
demeurent incertains. L’action va donc avoir pour rôle de délimiter ces contours en
constatant l’existence de cette situation d’un point de vue juridique tout simplement pour la
consolider. L’action revêt alors un tout autre objet ce qui constituera une deuxième
catégorie d’actions à savoir les actions en constatation d’une situation juridique. L’avantage
de ces actions est qu’elles ne dépendent pas de l’existence d’un droit antérieurement
acquis, elles tendent en effet à faire reconnaitre une situation dans l’ordre juridique. Elles
vont donc pouvoir s’intéresser aux faits et pouvoir les comprendre dans leur champ
d’application. Ici l’action sera le résultat d’une concession opérée par la loi ; c’est parce que
la loi aura reconnu dans tel cas la possibilité d’agir, que l’action sera envisageable. Il s’agit
donc d’une origine totalement distincte de celle des actions en exécution d’un droit.
On peut identifier une troisième catégorie d’actions correspondant aux actions en
constitution d’une situation juridique. Ces actions ont une ressemblance avec les actions en
constatation d’une situation juridique en ce que toutes deux revêtent un rôle relativement
créateur de droit. Dans le cas des actions en constatation d’une situation juridique ce rôle
sera moindre mais on peut tout le même l’apercevoir. En effet, lorsque le juge constate une
situation, il va ensuite la consolider par la décision qu’il rendre car il fera produire des
conséquences juridiques à sa constatation, c’est d’ailleurs en cela qu’on peut parler d’une
consolidation. Lorsque le juge se trouve dans le cadre d’une action en exécution d’un droit,
cet aspect créateur ne se retrouve pas ; il homologue en quelques sortes une situation
certaine en lui donnant force exécutoire. A l’inverse lorsqu’il s’agit d’une action en
constitution d’une situation juridique, c’est l’exercice de l’action qui va permettre la création
d’une situation qui n’existait pas jusqu’à alors. Même si l’aspect créateur de l’action se
retrouve de façon moindre s’agissant de l’action en constatation d’une situation juridique, il
93
n’en reste pas moins qu’on l’aperçoit dans le rôle du juge, c’est donc pour cette raison qu’on
peut les rassembler.
La notion d’action recouvre donc des hypothèses très diverses. On parle souvent
d’action en justice alors que l’action n’a pas forcément vocation à s’exercer devant le juge
comme nous le démontre l’existence de l’action entre les parties. Derrière la notion d’action
en justice il faut bien comprendre qu’on entend regrouper toutes les actions qui ont
vocation à s’exercer devant le juge. Cela étant la notion d’action en justice ainsi définie est
très vague. C’est donc pour cette raison qu’il faut distinguer l’accès au juge de l’action en
justice en tant que notion autonome. L’accès au juge, nous l’avons vu, aura vocation à
trouver sa place chaque fois qu’il s’agira de l’exécution d’un droit subjectif antérieurement
reconnu à la personne qui entend agir sur son fondement. L’autre aspect de l’action en
justice a vocation à s’exercer toujours devant le juge mais cherchera à constater ou à
constituer une situation juridique nouvelle qui n’existe donc pas auparavant. Il y a par
conséquent une dualité notionnelle de l’action, dualité engendrée par l’objet de l’action lui-
même.
S’il existe une dualité notionnelle de l’action en justice, on pourrait se demander si
cette dualité se retrouve s’agissant cette fois ci de la nature juridique de l’action en justice.
Nous n’avons pu approfondir ce point qu’est la véritable nature de l’action qu’à travers
l’action en exécution d’un droit. On a vu que l’action consistait ici en la manifestation du
caractère contraignant du droit qu’on entend voir exercer et donc qu’elle revêtait par là les
traits d’une relation d’obligation entre les parties. Dans le cas des actions en constatation ou
en constitution de situations juridiques, ce ne peut pas être le cas. S’il y a manifestation d’un
quelconque caractère contraignant ce ne peut pas être celui du droit étant donné qu’il n’y
en a pas. Cet aspect serait donc à approfondir dans le cadre de recherches futures car on
sent bien que même dans le cadre des actions en constatation ou en constitution d’une
situation juridique, la notion de contrainte ressort. Après tout il s’agit toujours d’actions
engageant un demandeur et un défendeur : la victime d’un dommage et celui qui l’a
engendré, un enfant et un père potentiel…Or ces parties sont bien liées entre elles et on
pourrait avancer qu’elles sont liées par une obligation car celui qui cause un dommage doit
le réparer, le père probable s’il a eu des relations avec la mère dans les délais prévus, doit
des subsides à l’enfant. On ne peut donc pas nier cette relation qui unit les parties entre
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elles. Dans l’action en exécution ce sont les liens d’obligation constitutifs du droit qui faisait
naitre l’action. Dans les actions en constatation et en constitution de situation juridiques, il
s’agira bien sûr d’un autre fondement.
Par conséquent il serait peut être hâtif de croire que les actions une fois catégoriser
comme nous l’avons fait, n’ont aucun point commun. Ce qu’on peut affirmer de manière
certaine c’est que s’il existe un point commun entre ces différentes actions, ce ne sera pas
relativement à leurs objets. Par contre ce sera peut être du coté du titulaire de l’action qu’il
faudra se pencher.
La personne qui entend agir dans le cadre d’une action en exécution d’un droit ou
d’une action en constatation d’une situation juridique ou d’une action en constitution de
droit, que fait-elle ? Dans la première hypothèse, le demandeur va se prévaloir d’un droit,
par exemple son droit de propriété. Dans la deuxième hypothèse, le demandeur va se
prévaloir d’une situation qu’il veut qu’on constate. Enfin dans la troisième hypothèse, le
demandeur va se prévaloir de la possibilité que la loi lui reconnait en lui octoyant le droit
d’agir dans telle situation en vue de la constitution d’une situation juridique nouvelle. Ici le
demandeur estime qu’il remplit les conditions nécessaires pour agir et donc qu’il se trouve
dans la situation édictée par la loi. Il se prévaut donc aussi d’une situation mais cette
situation n’existera que si le juge la constitue à son profit.
Par conséquent l’action ne serait-elle pas le droit de se prévaloir d’une situation
juridique avérée ou alléguée ? Avec cette définition on recouvre toutes les catégories
d’actions qu’elles aient traits à une situation juridique établie ou incertaine. Reste à savoir
quelle est la véritable nature de ce droit, s’agit-il d’une nature unique commune à toutes les
actions ou à chaque action y a-t-il une nature particulière ? C’est sur cette question que nous
allons terminer nos propos, la réponse méritant certainement qu’on lui consacre un
nouveau sujet de mémoire.
95
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TABLE DES MATIERESTABLE DES MATIERESTABLE DES MATIERESTABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS………………………………………………………………………………………………………….…………….. p. 1
SOMMAIRE………………………………………………………………………………………………………………………………….. p. 2
LISTE DES ABREVIATIONS……………………………………………………………………………………………………………. p. 4
INTRODUCTION ………………………………………………………………………………………………………………………….. p. 6
PREMIERE PARTIE : L’OBJET DE L’ACTION EN EXECUTION D’UN DROIT …………………………………….. p. 15
TITRE 1 : La dualité d’objets de l’action en exécution d’un droit ………………………………………........... p. 17
CHAPITRE 1 : L’objet non judiciaire de l’action entre les parties
SECTION 1 : L’inclusion de l’action dans le droit ............................................................................. p. 18
§1) L’absence d’autonomie de l’action par rapport au droit
§2) L’action, expression de l’effet obligatoire du droit
SECTION 2 : Les moyens offerts par l’action sans le juge ...................................................... .......... p. 25
CHAPITRE 2 : L’objet judiciaire de l’action : l’accès au juge
SECTION 1 : Le droit de recourir au juge ............................................................................. ........... p. 27
SECTION 2 : La distinction entre action en justice et accès au juge…………………………………….……….. p. 29
§1) Nature de la distinction proposée
§2) L’impact de la distinction sur la nature du jugement rendu
TITRE 2 : L’action, manifestation du caractère contraignant du droit ……………………………..………….. p. 37
CHAPITRE 1 : L’action générée par les liens d’obligations constitutifs du droit
SECTION 1 : Analyse critique des conceptions de l’action …………………………………………….……..……… p. 38
§1) L’action en justice, droit fondamental
§2) L’action en justice entre droit procédural et droit substantiel
§3) L’action en justice, une notion en dehors de toute catégorie juridique
SECTION 2 : L’apport de l’analyse dualiste de l’obligation à la notion d’action …………………………… p. 43
§1) Le devoir, schuld et l’action
§2) L’engagement, haftung et l’action
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CHAPITRE 2 : La justification des actions préventives par l’analyse de l’élément haftung
SECTION 1 : Le rattachement des actions préventives aux actions en exécution d’un droit…………. p. 49
SECTION 2 : Le lien de connexité entre contrainte et droit de ne pas rester dans l’incertitude……. p. 52
SECONDE PARTIE : L’OBJET DE L’ACTION EN CONSTATATION OU EN CONSTITUTION DE
SITUATIONJURIDIQUE
TITRE 1 : La constatation d’une situation juridique par l’action en justice………………………..…….…… p. 59
CHAPITRE 1 : L’action, moyen de consolidation d’une situation juridique par sa constatation judiciaire
SECTION 1 : Nature de la consolidation juridique à opérer…………………………………….…….……………. p. 60
§1) Définition des situations juridiques
§2) La consolidation d’une situation juridique par sa constatation judiciaire
SECTION 2 : L’objet de l’action, reflet des sources des situations juridiques……………………….….…… p. 64
CHAPITRE 2 : L’action, moyen de constatation d’un fait juridique par le juge
SECTION 1 : La distinction entre fait juridique et droit………………………………………..…….………..………. p. 68
SECTION 2 : L’action, moyen de production de conséquences juridiques…………………………..….……. p. 69
TITRE 2 : La constitution de situation juridique par l’action…………………………………………………………. p. 74
CHAPITRE 1 : L’obligation naturelle, entre constitution non judiciaire et constatation judiciaire
SECTION 1 : La constitution d’une obligation civile par l’action entre les parties……………...…...…… p. 75
§1) Définition de l’obligation naturelle
§2) La transformation de l’obligation naturelle en obligation civile
SECTION 2 : La constatation finale de l’obligation naturelle par l’action en justice……………………... p. 79
CHAPITRE 2 : La constitution d’une situation juridique par l’action en justice
SECTION 1 : Analyse des actions en justice constitutives de droits………………………..……….…………… p. 81
§1) Définition de l’action en justice constitutive de droit
§2) Hypothèses pratiques d’actions constitutives de droits
SECTION 2 : L’action en constitution de droit, manifestation de la liberté d’agir……………………...… p. 85
CONCLUSION……………………………………………………………………………………………………………….……..……... p. 90
BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………………………………..…..……..…….. p. 94