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  • 8/18/2019 Del Bart

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    Le transfert des registres dans les usages écrits et oraux du

    français

    ou

    Quand l’écrit se fait oral ou l'oral écrit, des bénéfices en chiasme

    pour le FLM et le FLE

    (version provisoire)

    L'acte d'écrire représente une des activités les plus complexes qui soient.

    Les francophones et les non francophones sont logés face à l'écrit à des enseignes

    très similaires. Autrement dit, pour les francophones natifs aussi le français écritest une langue étrangère.

    Concrètement, sans aller jusqu'à faire, à l'exemple de certains auteurs, deux

    langues diff érentes du français oral et du français écrit, on ne saurait nier que le

    passage du code oral au code écrit constitue une difficulté majeure.

    La transition laisse de nombreuses traces. Je prendrai pour exemples des

    passages de copies de mes étudiants francophones de souche, inscrits qui plus est

    dans une filière de langues et littératures françaises. Il s'agit de copies de

    dissertations, un genre certes parmi les plus contraints, mais les étudiants sont

    informés des exigences de l'exercice, tant structurelles que stylistiques. Leur

    rédaction a fait l'objet en outre d'une relecture distanciée, j'entends par là que j'ai

    fait relire la copie de chaque étudiant par un de ses condisciples, qui annotait sur

    une feuille à part les points faibles ou les erreurs et en avisait l’auteur. Les textes

    ont ensuite été repris à domicile et retravaillés. Malgré tout ce travail de relecture,

    on relève encore dans certaines copies beaucoup de négligences ou d'écarts par

    rapport à la norme écrite standard et une production de textes relevant plutôt d'un

    écrit informel, assez éloigné   de la langue soutenue attendue dans l'exercice

    scolaire contraint qu'est la dissertation, dont un des objectifs est précisément de

    vérifier la capacité des étudiants à montrer leur compétence, intellectuelle certes,

    mais aussi langagière.

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    Voici un échantillon de ces écarts. D’abord du point de vue lexical (les

    italiques repèrent le phénomène) :(1) Et c'est à ce moment-là que les écrivains flanchent  et modifient quelque peu la

    réalité. (copie 15/2/2008)

    (2) Personne ne devrait se permettre de mettre tous les écrivains « dans le même

    sac », vu qu'en tant qu'êtres humains chacun est unique et diff érent. (copie

    6/12/2007)

    (3) Que serait devenu le Salammbô de Flaubert sans son voyage de jeunesse qu'il a

    entrepris é tant jeune? (copie 15/2/2008)

    (4) Le lecteur adopte le rôle de témoin, confident ou juge des faits relatés et  fait 

    confiance à l'auteur au niveau de la véracité des faits. (copie 6/12/2007)

    Puis du point de vue morphologique (la sélection d'une forme inaccoutumée

    entra î ne des bévues essentiellement orthographiques, il faut le reconna î tre) :

    (5) « Romanciers » n'eut-il pas é t é  plus clair et plus précis ? (copie 15/02/2008)

    (6) Bien que nous avons constat é  que l'autobiographie a évolué vers des romans de

    fictions tels que l'auto-fiction, elle a,également,pu évoluer vers de vrais récits

    autobiographiques. (6/12/2007)

    (7) Il faut du courage pour se mettre à nu, se dévoiler, ne fusse qu'une partie de son

    passé. (copie 6/12/2007)

    Du point de vue syntaxique maintenant (des ruptures de constructions, des

    maladresses dans la récupération réf érentielle des pronoms, des phrases

    incomplètes...) :

    (8) C'est gr âce à ses professeurs et de son excellence à l'étude qu'il va se détacher de

    celle qu'il appelait « maman fléau » et écrire. (copie 25/04/2008)(9) De plus les autobiographies d'écrivains n'ont pas toujours pour but de transmettre

    le vrai, mot pour mot, mais de jouer avec son lecteur sur base de son vécu. (copie 6 / 

    12/2008)

    (10) Par son irrespect des règles propres à la théorisation de l'autobiographie qui

    prend comme modèle « Les confessions » de Rousseau qui n'étaient pas à l'époque

    déterminé   par des normes. On pourrait se demander si l'autobiographie ne

    s'apparente pas plutôt à l'autofiction. (copie 15/02/2008)

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    Les étudiants FLE ont – ou ont eu – en général moins de contacts avec la

    langue orale spontanée. Les dialogues présents dans les manuels que l'on demandeparfois encore aux étudiants de mémoriser comme dans la vieille tradition des

    méthodes audio-visuelles sont d'une oralité   factice et ne sont en fait que

    préparatoires à   la ma î trise de structures syntaxiques écrites. Pour les étudiants

    FLE, on a dès lors une situation inverse qui se profile, avec la pratique d'un oral

    trop écrit. Les résultats des recherches Lancom et Elicop menées à l'initiative de la

    KU Leuven en Belgique flamande le confirment. Les professeurs de FLE, tout

    comme les élèves, ressentent le besoin d'être confrontés à  la réelle variété  desproductions orales en français. Un tout récent ouvrage édité par Chantal Parpette

    et Anne-Marie Mochet (2008) pose bien le problème de la description des usages

    oraux, de leur enseignement et de leur évaluation en classe de FLE. Françoise

    Gadet notamment y reprend en deux images le rapport au style des non-natifs : il

    sont emprisonnés dans une espèce de dilemme qui consiste pour eux à  parler

    « comme un livre » ou « faire le caméléon » (p. 20).

    Le premier rôle a l'inconvénient de condamner le non-natif à être le seul à parler

    d'une manière qui, comme le formulait Martinon en 1927, « n'est compliment que

    dans la bouche des ignorants » (i.e., ceux qui négligent la diff érence, pourtant

    importante dans une langue de littératie, entre oral et écrit). Et il risque toujours de

    trahir l'origine livresque de son savoir, comme ce professeur britannique de français,

    locuteur absolument remarquable, dont la perfection a fini par buter; certes une seule

    fois en une heure de conf érence, mais c'était sur un point de style. Employant

    l'expression familière partie de jambes en l'air , il a fait la liaison entre  jambes et en

    l'air , liaison recherchée qui trahissait à   coup sûr l'origine livresque de saconnaissance, car elle est tout à fait déplacée dans une expression aussi ordinaire.

    Quant au second pôle, il faut que l'apprenant, comme l'enseignant qui enseignerait le

    style, soient bien conscients du risque d'impair social, pragmatique ou interactionnel.

    Car, les formes ordinaires, familières ou populaires étant acquises par les natifs dans

    des pratiques sociales réitérées, et toujours contextualisées, ils sont eux-mêmes

    souvent incapables d'en formuler abstraitement les règles d'emploi, les contraintes

    ou les choix préf érentiels. Et le non-natif risque d'appara î tre au mieux comme un

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    caméléon, au pire comme un singe savant, parce que quel que soit ses efforts, il est

    toujours guetté par le décalage ou le faux-pas.

    Notre communication se propose à  partir de là  de se centrer sur une des

    questions soulevées par les organisateurs du colloque : de quelle manière certaines

    structures grammaticales s’utilisent-elles à l'oral et à l'écrit ? Le biais choisi est

    celui de l’interrogation, assurément, comme le dit encore Françoise Gadet, « une

    zone-vedette des travaux variationnistes sur le style », mais l'interrogation nous

    conduira aussi aux frontières du discours rapporté.

    Voici en tout état de cause quelques-uns des exemples qui seront proposés àl’attention des auditeurs et commentés par nous.

    (11)  Est-ce que  ces académiciens se croient-ils toujours au 17e  siècle ? (copie du

    9/11/1999)

    (12) Paul Valéry aborde le problème de la création littéraire et dans quelle mesure

    celle-ci est-elle originale.(copie du 15/02/1999)

    (13) Ce point de vue nous amène à  nous demander pourquoi relit-on certaines

    œuvres. (copie 10/11/2000)

    (14) Demandons nous pourquoi les é crivains content-ils leur existence au public,

    est-ce pour relancer leur carrière, pour se mettre en lumière, pour appeler au secours,

    pour exorciser une douleur ? ou... Et pourquoi les lisons nous ?

    (15 On devrait alors se demander si toutes les autobiographies d'écrivains sont des

    projets de vérité pour la postérité et se rapprochent de la réalité ou, au contraire, est-

    ce qu'elles basculent inévitablement dans la fiction. (copie 13 f évrier 2008)

    (16) Quitter la ville présente une pauvreté si désolante que se pose la question quel

    charme caché pourrait bien dévoiler ce livre (copie janvier 2008)

    (17) Dans le roman La disparition de la langue française, Assia Djebar se demande

    quelle langue parle un homme qui rentre en Algérie après avoir passé vingt ans à

    Paris. Il parle arabe ou français ? (TFE, 2007).

    (18) Premièrement on peut se poser la question ou ce n’était plus intéressant quand

    on a invité autres partis politiques, wallons et flamands, pour traiter le sujet de cette

    conf érence. (.…) Deuxièmement on peut se poser la question ou la conf érence a

    répondu sur la question « Quel avenir pour la Belgique ? » Ou on n’est pas resté trop

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    dans l’histoire et très peu dans l’avenir ? (copie d'un apprenant ERASMUS UCL,

    niveau C1)

    (19) Comment une « mauvaise » chose peut être utile ?

    Des constats croisés posés sur les productions d'étudiants FLM et FLE, on

    peut retirer des bénéfices en chiasme, qui se résumeraient grossièrement à plus

    d'oralité en FLE et plus d'écriture en FLM. Plus finement, je dirais que l'accent

    doit être mis dans l'apprentissage sur la distinction des registres en FLE et sur le

    retour à une pratique du registre soutenu en FLM. On a sans doute un peu trop

    pris au mot Raymond Queneau quand il demandait plus de place pour l'oral à

    l'écrit. Nous confronterons son opinion avec celle de linguistes comme Hagège

    (l'école ne doit pas laisser aux commerçants, aux publicistes la langue attractive et

    se concentrer sur une exploitation très formelle du français) et terminerons,

    revenant des linguistes aux écrivains — et nommément à un écrivain « du FLE »

    — en assortissant l’image du caméléon empruntée à  Gadet des propos que

    Romain Gary a tenus dans La nuit sera calme : « Il y avait une fois un caméléon,

    on l'a mis sur du vert et il est devenu vert, on l'a mis sur du bleu et il est devenubleu, on l'a mis sur du chocolat et il est devenu chocolat et puis on l'a mis sur un

    plaid écossais et le caméléon a éclaté. »

    Bibliographie

    CHEVALIER, J.-Cl ., 1969, « Registres et niveaux de langue : les problèmesposés par l’enseignement des structures interrogatives »,  Le français dans lemonde, n°69, p. 34-41.DABENE, M., 1990, Des é crits (extra)ordinaires, LIDIL,n°3, PUG, 1990.

    FLAMENT-BOISTRANCOURT, D. & CORNETTE, G. (1999), "Bon français ouvrai français ? Une étude de l'acte de question menée à  partir d'un extrait ducorpus LANCOM : Les scènes du baby-sitting", in Travaux de Linguistique, Vol.38, pp. 119-152

    GADET, Fr., LUREAU, S. (dir.), 1983,  Norme(s) et pratique(s) de l’oral, Le

     français aujourd’hui, n°101.GADET, Françoise, 1989, Le français ordinaire, Paris, Armand Colin.GUEUNIER, Nicole, 1975, « Les niveaux de langue en milieu scolaire » ,  Le

     français dans le monde, n°112, p. 6-12.

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    HAGÈGE, Claude, 1987, Le français et les siècles, Paris, Odile Jacob.PARPETTE, Chantal, MOCHET, Marie-Anne (eds), 2008,  L'oral en

    repr é sentation(s). Dé crire, enseigner, é valuer , Cortil-Wodon, E.M.E.RABATEL, A. (dir.), 2004,  Effacement é nonciatif et discours rapport é s,

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    ROSS, John, 1976, « L’étude des variétés et l’enseignement de la langue »,  Le français dans le monde, n°126, p. 18-21.

    TERRY, Robert M., 1970, Contemporary French Interrogative Structures,

    Québec, Éditions Cosmos.WILMET, Marc, 2007, Grammaire r é nové e du français, Bruxelles, De Boeck.

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