démocratie et écologie d. bourg/université de lausanne
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Démocratie et écologie
D. Bourg/Université de Lausanne
Introduction
• Démocratie : institution de l’influence des citoyens sur la décision publique
• Présuppose que le dessein des politiques publiques soit l’amélioration du bien-être général
• Légitimité : chacun est la seule source de connaissance possible quant à son degré de bien-être
• Le citoyen est donc le juge (ultime) des politiques publiques• Or, un un schème idéal qui ne fonctionne pas avec les
questions d’environnement, et tout particulièrement d’environnement global
Biais cognitif et représentation morale des problèmes écologiques
Qu’est-ce qui nous fait réagir ?
•1) Une menace évidente, présente et concrète, relativement soudaine (non progressive), tel un mammouth chargeant un chasseur-cueilleur.•Or, abstraction, éloignement spatial et temporel des dommages environnementaux ; causalités multiples et diffuses ; médiations scientifiques.•Sciences du diagnostics : nos prothèses sensorielles•On ne descend pas dans la rue pour le climat (Moscovici)
Au rebours du bien-être et de l’individu source de connaissance
Biais cognitif et représentation morale des problèmes écologiques
• 2) Nécessité de se justifier quand nous infligeons de façon évidente un dommage à autrui
• Le fondement de nos obligations : la règle d’or, son universalité, son périmètre
• La Fontaine, saint François et les Fioretti, Gandhi, la psychologie sociale
• La règle d’or ne fonctionne pas avec l’environnement : dommages abstraits et lointains, causalité hypothétique.
• Pas de morts immédiats dans le sillage de nos voitures ; le principe de non nuisance en défaut.
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• Constat : responsabilité des démocraties ; Bush Rio 92 : American way of life non négociable, Copenhague, campagne USA 2012, globalisation et économie néolibérale, etc. GB/USA : 50 % GES accumulés en 1p80
• Pourquoi ?
1) Globalisation :- L’humanité est devenue une force géologique (Vernadsky) ;
gravats/forces de l’érosion ; perturbation des grands cycles biogéochimiques (eau-35 %, azote-300%, soufre-300 % ; cycle carbone (atmosphère 40 % CO2 +), etc. ; surfaces artificialisées : 43 %.
- L’Anthropocène après l’holocène.
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• Nous avons transformé: • Pédosphère (engrais, pesticides, métaux lourds, sols acidifiés,
compactés, salinisés, érodés, déforestés au Sud et désertifiés) • Lithosphère (partie superficielle : mines, aménagement surface)• Hydrosphère (barrages, irrigations avec pompage des aquifères,
suppression des zones humides et mangroves).• Atmosphère (pluies acides, pollution villes et régions entières ; 40 %
de dioxyde de carbone en plus, 20 % de protroxyde d’azote et double de méthane ; ozone) en plus
• Biosphère, au sens restreint (biomasse planétaire réduite en quantité et en qualité ; antibiotiques et socle bactérien du vivant)
• Biosphère au sens global (enveloppe de viabilité qui entoure la Terre et qui comprend les basses couches de l’atmosphère, l’hydrosphère et la couche superficielle de la lithosphère, dont la pédosphère ; McNeill).
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• En revanche les institutions démocratiques sont nécessairement territoriales et la mission des élus d’un territoire est d’en défondre les intérêts contre d’autres.
• Voir par exemple l’échec du projet d’instauration par l’adminisrtration Obama d’un marché carbone aux USA ; échec par les sénateurs démocrates des Etats charbonniers.
• L’espace des dégradations du système biosphère, au moins transfrontalier si ce n’est résolument global, n’est pas celui de la démocratie, par essence territorial.
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 2) Invisibilité :
Les problèmes traditionnels étaient accessibles aux sens
(déforestation, érosion, pestilence, rouissage, etc.)
Ne le sont ni la modification de la composition chimique de
l’atmosphère, ni la déplétion de la couche d’ozone, ni
l’appauvrissement génétique des populations, ni la
disparition de la micro-faune des sols, ni les perturbateurs
endocriniens, ni la pollution nucléaire, etc.
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 2) Invisibilité :
• La différence avec le sentiment de bien-être est évidente : dans un cas je
suis la source de connaissance, dans l’autre l’appréhension du réel
échappe à mes capacités sensorielles, et je suis obligé de recourir à des
médiations scientifiques
• Je ne suis plus capable d’être spontanément le juge de mes propres
intérêts, ni de ceux de mes proches, ni des dégâts aux tiers auxquels je
contribue (exemple plutonium/poche, exemple axes de
circulations/exposition enfants ; paysans des grands deltas salinisés).
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 3) Imprévisibilité :
Exemple des CFC découverts en 1928, utilisés massivement à
compter années 1950, découverte années 70-80 que leur
neutralité chimique et leur stabilité en fait de redoutables gaz à
effet de serre et des destructeurs de l’ozone stratosphérique
Peut être généralisé : impossible de connaitre par avance les effets
de l’interaction d’un type de molécule avec le milieu dans toutes
les circonstances possibles ; on les découvre nécessairement
après coup
Paul Crutzen et bromure au lieu de chlore
Au moins six millions de produits chimiques connus ; 1000/an
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 3) Imprévisibilité :• La théorie politique classique prête aux élus une sagesse plus
grande qu’aux électeurs. • Or, en matière d’environnement, cela ne marche pas non plus,
les élus ne jouissent d’aucun avantage vis-à-vis des autres citoyens.
• Si gouverner, c’est prévoir, il n’y a pas alors de gouvernement possible des effets à moyen et long terme de nos technologies, lesquelles peuvent susciter des effets délétères imprévisibles. On peut au mieux chercher à en réduire la possibilité
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 4) Inertie/irréversibilité :
Exemples :
- Accroissement du mercure dans lacs suédois 25 ans après son
interdiction dans industrie papetière
- Destruction frayères et effets quatre ans après
- Le climat d’aujourd’hui : nos émissions d’il y a 50 ans.
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
Climat :
Sur la totalité des gaz à effet de serre accumulés, 75% exerceront
leurs effets directs (montée de la température moyenne des terres
et des mers, élévation du niveau des mers, changement du régime
des pluies et événements extrêmes plus extrêmes et plus
nombreux) durant 1'800 ans, suivis des effets directs des 25%
restants qui continueront pendant encore 3'200 ans (5'000 ans en
tout avec une température de plus de 5°C au moins), puis un lent
decrescendo .
-Reconstitution biodiversité/millions d’années
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 4) Inertie/irréversibilité :
C’est ici le rapport au temps qui est en cause. Le temps de la
démocratie est par excellence le présent. Or, le jeu
inertie/irréversibilité ouvre des fenêtres d’opportunité qui
nous contraignent à l’action préventive, à l’anticipation,
bien avant que les dommages ne deviennent sensibles. Il
convient donc de consentir à des actions qui peuvent être
douloureuses pour des bénéfices futurs éloignés. Là encore le
principe même du gouvernement représentatif, conçu
pour coller aux intérêts présents, semble contreproductif.
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 5) Flux versus pollutions :
• La pollution : 1 seul aspect, réduit, des problèmes
• Ni dioxyde de carbone, ni azote, ni usage des ressources, etc. ne sont des polluants : la source de nos problèmes : l’augmentation des flux de matières et d’énergie qui provoquent deux fronts environnementaux : déplétion ressources/dégradation système biosphère
• Pollutions/produire mieux, flux/consommer moins
Les 5 caractéristiques des problèmes d’environnement contemporains
• 5) Flux versus pollutions :• Ici la contradiction entre le principe du gouvernement
représentatif et les exigences écologiques est frontale. Ces dernières exigeraient de renoncer à ce pourquoi le gouvernement représentatif a été conçu : permettre la maximisation de nos intérêts conçue comme l’accroissement indéfini de notre richesse matérielle.
• Cahier des charges des démocraties représentatives est en effet de produire et de consommer toujours plus.
Conclusion intermédiaire
•Nous ne parvenons :
-Ni à nous représenter moralement les problèmes environnementaux : caractère contre-intuitif, trop abstraits et distants (on le les expérimente pas)/pas de sentiment d’obligation ; hors du cercle de la règle d’or
-Ni à les représenter politiquement
Littérature verte et représentation
Quatre postures :
•1) Chercher à améliorer le système représentatif existant, en restant dans le cadre des grands Etats ; •2) Recourir à la démocratie participative et délibérative ou encore à de petits Etats ; •3) Adjoindre au système représentatif d’autres institutions, à proprement parler non représentatives.•4) Tabler sur un effondrement et penser l’après
Littérature verte et représentation
1) Chercher à améliorer le système représentatif existant, en restant dans le cadre des grands Etats :
• Robyn Eckersley (2004) et de sa « démocratie des affectés » par les risques environnementaux, qui suggère d’élargir la sphère de la représentation (au-delà des frontières politiques et du genre humain) et de mobiliser différents instruments relatifs au risque comme les études d’impact, le principe de précaution ou une agence ad hoc.
• Andrew Dobson (1996) et Kristian Ekeli (2005) proposent quant à eux de réserver des sièges à des représentants des générations futures. Avant eux Robert Goodin (1996) s’était contenté de l’espoir de voir un nombre suffisant d’électeurs s’identifier à la cause et aux intérêts de la nature.
Littérature verte et représentation
• Bruno Latour (1999) a évoqué la création d’un parlement des choses permettant aux représentants des hommes et à ceux des non-humains de s’entendre, sans qu’il soit aisé d’en imaginer une authentique transposition institutionnelle
2) Recourir à la démocratie participative et délibérative ou encore à de petits Etats :
• Ulrich Beck (1986) est l’un des tout premiers à avoir énoncé la thèse selon laquelle la production du politique désertait, sous les espèces de la « subpolitique », les arènes traditionnelles au profit de réseaux de discussion plus informels des questions scientifiques et techniques, embrassant la démocratie participative.
Littérature verte et représentation
• Pour dépasser les limites propres à la démocratie représentative John Dryzek parle d’une « démocratie sans frontières », à divers sens du terme (Dryzek, 2005 ; Baber, etc.).
• D’autres encore, dans la même perspective, soulignent le rôle des ONGE (Jamison, Bourg-Whiteside).
• Il est encore une autre façon de regarder au-delà des grandes démocraties et de leurs mécanismes représentatifs, c’est celle de William Ophuls (1977 et 2011) pour qui seuls de petits Etats inspirés des principes politiques de Jefferson et de Rousseau, constituant des « sociétés frugales et fraternelles », peuvent concilier durabilité et souveraineté populaire (fondement chez Ostrom). Question de l’effondrement préalable des sociétés actuelles.
Littérature verte et représentation
3) Adjoindre au système représentatif d’autres institutions, à proprement parler non représentatives :•Bourg-Whiteside, (Rosanvallon) : tout en préservant le gouvernement représentatif, lui adjoindre des institutions non représentatives, ayant spécifiquement en charge les enjeux de long terme, et au premier chef une troisième chambre disposant d’un droit de veto, composée notamment d’experts reconnus pour leurs compétences et leur engagement associatif en faveur du long-terme.
Littérature verte et représentation
Au préalable revigorer la démocratie représentative :
•Revigorer la démocratie représentative : statut de l’élu, dose de proportionnelle, PM chef de l’exécutif responsable devant parlement•Renforcer le droit de l’environnement : procureur général de la santé et de l’environnement, principe de non régression, Cour constitutionnelle•Renforcer la participation citoyenne : le Collège de la participation•Quels dispositifs non représentatifs nouveau :
– Troisième chambre– Collège du futur– Présidence du long terme
Littérature verte et représentation
• Différence entre démocratie écologique et environnementale
• Concevoir la démocratie écologique comme une dialectique dynamique institutions/ethos
4) Question de l’effondrement (expérience de l’effondrement) : • enfin, troisième angle d’approche, les dégradations de la
biosphère, l’épuisement en cours de nombre de ressources, le basculement des écosystèmes rendu possible tant par leur degré d’artificialisation que par le changement climatique, augurent en effet d’effondrements possibles de l’organisation économique et politique de nos sociétés et de l’avènement d’une société post-industrielle.
Jouer sur le tableau des institutions et celui des expérimentations
• Un thème présent d’ailleurs très précocement dans la littérature écologique (voir Ch. Fourier - De la détérioration matérielle de la planète, 1847 - et ici Huzar ou Perkins Marsh au 19ème siècle ; (Weber), Meadows, 1972, Heilbroner, 1974, Illich, 1973).
• Impossibilité de connaître l’avenir
• Jouer sur les deux tableaux et assigner à la démocratie écologique la tâche de reconnaître juridiquement, voire de faciliter, les expérimentations éco-sociales locales.
• Conçues comme des expérimentations en vue soit de la refonte à venir de la société, soit vouées à s’étendre au sein de cette société
Pour un droit à l’expérimentation sociale locale
Re-penser la liberté à partir de la trilogie suivante :
•Genres de vie/purement collectif et structurel•Modes de vie/inséparablement collectif et individuel ; moteur du changement structurel (capabilités collectives)•Styles de vie/purement individuel et en rapport au marché
Pour un droit à une auto-organisation territoriale dérogatoire, à l’expression d’une liberté en termes de modes de vie, fondée sur des droits dérogatoires ou spécifiques et des monnaies complémentaires.