des outils pour que les Élèves soient capables de traiter et d'enregistrer des mots nouveaux

34
Des outils pour que les élèves soient capables de traiter et d’ « enregistrer » les mots nouveaux… D’après un article d’Ophélie Tremblay, librement adapté et amplifié, paru dans Didactique du lexique, De Boeck, 2004 Dans les numéros 23, 26, 28, 30, nous avons abordé l’enseignement du vocabulaire sous différents aspects. Dans la foulée, voici 4 activités reprenant quelques-unes des notions étudiées. Ces notions devraient aider l’enseignant à enseigner « souvent et un peu » le vocabulaire, comme le propose Jean Kattus ci-dessus. Comment les mots sont-ils stockés dans notre mémoire ? Ophélie Tremblay, universitaire québécoise, propose de doter les enfants de notions métalinguistiques pour qu’ils soient en mesure de traiter les mots qu’ils sont amenés à rencontrer et ainsi d’organiser leur stock mental. Dans cette perspective, elle a testé quelques activités auprès d’élèves du cycle primaire (5e et 6e années), afin d’évaluer la réceptivité des enfants face à un tel enseignement lexical. Ces activités nous ont paru intéressantes, dans la mesure où elles sensibilisent l’élève aux principes de classement de notre lexique mental et sont de ce fait susceptibles de faire de lui un « petit linguiste », un observateur attentif de la langue, suffisamment outillé pour interpréter et ordonner seul ses découvertes lexicales, et se constituer ainsi, progressivement, un réseau de mots fonctionnel. Jugez-en plutôt : Activité 1, portant sur la notion de champs lexicaux et de familles de mots Une liste de mots est donnée aux élèves : AFFECTION, AIMER, AMOUR, AMOUREUX, APPRÉCIER, CHAGRIN, COLÈRE, EFFRAYER, FRAYEUR, FUREUR, FURIEUX, JOIE, JOYEUX, MALHEUREUX, PANIQUE, PEINE, PEUR, PEUREUX, APEURER, TERREUR, TRISTE, TRISTESSE. Il leur est demandé de trouver un point commun entre tous ces termes, puis de former des sous-ensembles de mots et de justifier ces regroupements. Ainsi, à travers le dialogue qui s’engage entre élèves et enseignants, sont mises au jour les notions de familles de mots

Upload: ditullio

Post on 30-Jan-2016

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Des outils pour que les élèves soient capables de traiter et d’ « enregistrer » les mots nouveaux…D’après un article d’Ophélie Tremblay, librement adapté et amplifié, paru dans Didactique du lexique, De Boeck, 2004

Dans les numéros 23, 26, 28, 30, nous avons abordé l’enseignement du vocabulaire sous différents aspects. Dans la foulée, voici 4 activités reprenant quelques-unes des notions étudiées. Ces notions devraient aider l’enseignant à enseigner « souvent et un peu » le vocabulaire, comme le propose Jean Kattus ci-dessus.

Comment les mots sont-ils stockés dans notre mémoire ?

Ophélie Tremblay, universitaire québécoise, propose de doter les enfants de notions métalinguistiques pour qu’ils soient en mesure de traiter les mots qu’ils sont amenés à rencontrer et ainsi d’organiser leur stock mental. Dans cette perspective, elle a testé quelques activités auprès d’élèves du cycle primaire (5e et 6e années), afin d’évaluer la réceptivité des enfants face à un tel enseignement lexical.

Ces activités nous ont paru intéressantes, dans la mesure où elles sensibilisent l’élève aux principes de classement de notre lexique mental et sont de ce fait susceptibles de faire de lui un « petit linguiste », un observateur attentif de la langue, suffisamment outillé pour interpréter et ordonner seul ses découvertes lexicales, et se constituer ainsi, progressivement, un réseau de mots fonctionnel.

Jugez-en plutôt :

Activité 1, portant sur la notion de champs lexicaux et de familles de mots

Une liste de mots est donnée aux élèves :

AFFECTION, AIMER, AMOUR, AMOUREUX, APPRÉCIER, CHAGRIN, COLÈRE, EFFRAYER, FRAYEUR, FUREUR, FURIEUX, JOIE, JOYEUX, MALHEUREUX, PANIQUE, PEINE, PEUR, PEUREUX, APEURER, TERREUR, TRISTE, TRISTESSE.

Il leur est demandé de trouver un point commun entre tous ces termes, puis de former des sous-ensembles de mots et de justifier ces regroupements.

Ainsi, à travers le dialogue qui s’engage entre élèves et enseignants, sont mises au jour les notions de familles de mots (ensembles de mots unis par un lien étymologique ; qui ont un radical commun), de champs lexicaux (ensembles de mots – qui peuvent être de différentes natures ! - qui partagent un trait sémantique commun ou, en d’autres termes, qui se rapportent à un même domaine de sens).

Activité 2, portant sur la notion de polysémie

Au cycle primaire, il a été demandé aux enfants si MARCHER voulait dire la même chose dans chacune de ces phrases et ensuite d’en expliquer les différents sens au moyen d’un synonyme :

1. Je MARCHE en montagne tous les week-ends avec mes parents.

2. Cette machine à laver est toute rouillée… Elle MARCHE encore ?

3. Les affaires MARCHENT bien pour ce chocolatier : la fête de Pâques arrive dans quelques jours.

4. Mon petit frère MARCHE toujours quand je lui raconte des histoires.

Page 2: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Les enfants se sont ainsi familiarisés avec les notions de polysémie et de synonymie. Ils ont également compris, grâce au questionnement de l’enseignant, ce que sont les sens figuré et propre d’un mot.

Adaptons cet exercice à un public du premier cycle secondaire.

Soit le terme RAPPORT, apparaissant dans les phrases suivantes :

1. Nous avons acquis un immeuble de RAPPORT. Je pense qu’il s’agit d’une bonne affaire : il est bien situé !

2. Ma belle-mère et moi entretenons d’excellents RAPPORTS !

3. Je souhaite avoir votre RAPPORT sur mon bureau dès votre retour de Londres !

4. Je te conseille cette voiture : elle est d’un excellent RAPPORT qualité-prix.

5. Nous n’avons encore établi aucun RAPPORT entre ces deux évènements.

Le questionnement suivant est adressé aux élèves : « S’agit-il du même nom dans chacune de ces phrases ? Sinon, en quoi ces noms se distinguent-ils ? Y a-t-il, parmi ces différentes acceptions du mot RAPPORT, certaines qui paraissent plus voisines que d’autres ? Pourriez-vous expliquer au moyen d’une paraphrase chacun des sens de RAPPORT, ou remplacer RAPPORT, dans chaque phrase, par un synonyme convenable ? » Au terme de ce cheminement, l’élève aura acquis les notions de polysémie et de paraphrase/synonymie.

Activité 3 : les actants sémantiques ou les « participants » du sens

Avant d’entamer l’activité, on explique aux élèves que certaines unités lexicales requièrent des « participants humains ou non humains », un peu comme une action au théâtre nécessite des comédiens et des accessoires.

Les élèves doivent ensuite rédiger un texte à l’aide de lexies données. Par exemple :

PRÊTER, EMPRUNTER, ACCEPTER, REMERCIER, OMETTRE (OUBLIER), RENDRE, ACCUSER, VOLER, EXPLIQUER, PARDONNER

Une des copies est ensuite analysée avec la classe. L’analyse porte sur l’actualisation, dans le texte, des actants requis pour chaque action. Le verbe PRÊTER requiert par exemple trois actants : « Une personne (A1) prête un objet (A2) à une autre personne (A3). » L’enseignant précisera que ces actants ne peuvent en principe être oubliés dans un texte écrit ou oral et qu’ils y sont présents sous forme de noms ou de pronoms.

Il s’agit d’une activité « rentable » sur le plan des compétences scripturales, dans la mesure où dans de nombreux cas, les élèves omettent d’adjoindre à des verbes certains compléments considérés pourtant comme essentiels dans l’usage. Un travail précoce mené sur la notion d’actants sémantiques serait de nature à prévenir ce type de maladresses.

Activité 4 : la notion de collocation

On trouve sur Internet quantités de messages courts qui permettent la découverte de cette notion. Il suffit notamment de sélectionner une « dépêche » (le style journalistique foisonne d’expressions stéréotypées ou semi-idiomatiques) et de la présenter aux élèves sous une forme lacunaire.

Vous trouverez ci-dessous plusieurs extraits dont certains verbes ont été effacés. Aux élèves de les rétablir.

Page 3: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

1. L'alerte régionale au tsunami mercredi après un violent séisme en Indonésie a été _________________, annonce le Centre de surveillance des tsunamis dans le Pacifique. Le séisme d'une magnitude de 7,6 sur l'échelle de Richter s'est produit au large de Padang, sur la côte occidentale de l'île de Sumatra, où des habitations et des ponts ont été endommagés.

2. Comment __________________ une relation fusionnelle d'un mari avec sa mère ? 3. Alors qu'on vous incite souvent à l'achat avec de belles promesses, il est bien plus difficile

de _____________________________ son abonnement haut débit ou sa police d'assurance.

4. Comme nous n’acquittions plus nos factures, on nous ______________ l’électricité.

Les élèves, après une réflexion orientée par l’enseignant, devraient parvenir à cette conclusion : pour un même sens (en l’occurrence « finir, cesser, terminer, mettre fin à »), il existe plusieurs verbes disponibles. Néanmoins, l’usage privilégie certaines associations. On pourra alors leur parler de collocations. Ces collocations sont composées d’une base choisie librement et d’un élément collocatif imposé par la base. Ainsi, dans « poser une question », « question » est la base tandis que « poser » est le collocatif. Les collocatifs sont très souvent des verbes supports, mais il peut également s’agir d’adjectifs (« une peur bleue, une colère noire, une haine farouche, une attention soutenue… »), ou encore de noms (« il pleut des cordes, un accès de colère… »).

On pourra donc proposer à l’élève de relever les différents collocatifs qui pourraient accompagner un nom donné (pour COLÈRE : PIQUER, NOIRE, FORMIDABLE, APAISER, DÉCLENCHER, TREMBLER DE…), de classer ces collocatifs en fonction de leur sens, puis de rédiger un texte dans lequel ils seraient naturellement incités à recourir à ces expressions (« Racontez votre dernière colère. »).

Du reste, le Petit Robert propose pour chaque mot de nombreux collocatifs, auxquels nos élèves sont trop peu attentifs : on mènera utilement cette activité avec des dictionnaires.

Conclusion

Les programmes nous demandent d’amener les élèves à acquérir des savoirs qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie. Ces quelques exercices ont pour but de fournir aux élèves des notions qui leur permettent de relier le lexique découvert à celui qu’ils possèdent déjà et partant d’édifier progressivement dans leur mémoire des réseaux cohérents, dont les différents éléments (les mots) seraient facilement accessibles à partir d’autres mots-stimuli. Mais pour que ces notions deviennent opérationnelles et qu’elles ne s’oublient pas, il convient, pour l’enseignant, de saisir les occasions qui s’offrent à lui d’y recourir… Concrètement, pour un mot nouveau découvert dans un texte, on peut demander aux élèves de citer : des synonymes, des mots de la même famille étymologique, des mots faisant partie du même champ lexical, des collocatifs, ou s’il s’agit d’un verbe ou d’un nom dérivé d’un verbe, ses actants.

Pierre-Yves DUCHÂTEAU

(A la page suivante, vous trouverez ces activités rassemblées en un document à distribuer aux élèves. Avant de l’imprimer, aérez-en la mise en pages et effacez pour chaque activité les notions à mettre au jour.)

Page 4: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Quelques outils pour relier les mots que je découvre à ceux que je connais déjà.

Activité 1

AFFECTION, AIMER, AMOUR, AMOUREUX, APPRÉCIER, CHAGRIN, COLÈRE, EFFRAYER, FRAYEUR, FUREUR, FURIEUX, JOIE, JOYEUX, MALHEUREUX, PANIQUE, PEINE, PEUR, PEUREUX, APEURER, TERREUR, TRISTE, TRISTESSE.1. Quel est le point commun entre tous ces termes ?2. Pouvez-vous grouper les mots de cette liste en sous-ensembles de mots et justifier ces

regroupements ? (Notions à acquérir : champ sémantique et famille de mots.)Activité 21. Remplacez dans chacune de ces phrases le mot MARCHE par un autre mot de sens voisin.Je MARCHE en montagne tous les week-ends avec mes parents.Cette machine à laver est toute rouillée… Elle MARCHE encore ?Les affaires MARCHENT bien pour le chocolatier : la fête de Pâques arrive dans quelques jours.Mon petit frère MARCHE toujours quand je lui raconte des histoires.2. Expliquez le sens qu’a le mot RAPPORT dans chacune des phrases suivantes. Si c’est

possible, remplacez-le, dans chaque phrase, par un mot de même sens.Nous avons acquis un immeuble de RAPPORT. Je pense qu’il s’agit d’une bonne affaire : il est bien situé !Ma belle-mère et moi entretenons d’excellents RAPPORTS !Je souhaite avoir votre RAPPORT sur mon bureau dès votre retour de Londres !Je te conseille cette voiture : elle est d’un excellent RAPPORT qualité-prix.Nous n’avons encore établi aucun RAPPORT entre ces deux évènements. (Notions à acquérir : la polysémie et la synonymie ; le sens propre et le sens figuré.)Activité 3 PRÊTER, EMPRUNTER, ACCEPTER, REMERCIER, OMETTRE (OUBLIER), RENDRE, ACCUSER, VOLER, EXPLIQUER, PARDONNERCertains mots requièrent des « participants », un peu comme une action au théâtre nécessite des comédiens et des accessoires. Imaginez une petite histoire dans laquelle vous utiliserez ces mots. Pensez aux personnes et aux objets qui interviendront dans votre histoire.Une des copies est ensuite analysée avec la classe. L’analyse porte sur l’actualisation, dans le texte, des actants requis pour chaque action. Le verbe PRÊTER requiert par exemple trois actants : « Une personne (A1) prête un objet (A2) à une autre personne (A3). » (Notion à acquérir : les actants.)Activité 4 : la notion de collocation1. L'alerte régionale au tsunami mercredi après un violent séisme en Indonésie a été _________________,

annonce le Centre de surveillance des tsunamis dans le Pacifique. Le séisme d'une magnitude de 7,6 sur l'échelle de Richter s'est produit au large de Padang, sur la côte occidentale de l'île de Sumatra, où des habitations et des ponts ont été endommagés.

2. Comment __________________ une relation fusionnelle d'un mari avec sa mère ? 3. Alors qu'on vous incite souvent à l'achat avec de belles promesses, il est bien plus difficile de

_____________________________ son abonnement haut débit ou sa police d'assurance. 4. Comme nous ne payions plus nos factures, on nous ______________ l’électricité.1. Complétez ces phrases à l’aide des verbes qui conviennent. Propositions (facultatives) : résilier,

mettre fin à, couper, lever.2. Quel est le rapport entre tous ces mots ?3. Et s’ils ont le même sens, pourquoi ne conviennent-ils pas tous pour les quatre phrases ? (Notion à acquérir : la collocation.)

Page 5: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Apprendre à définir un mot… Pourquoi ? Quand ? Comment ?

Sources : POLGUÈRE, Lexicologie et sémantique lexicale. Presses de l’Université de Montréal, 2003 ; PICOCHE, ROLLAND, Dictionnaire du français usuel. De Boeck, 2002.

Pourquoi apprendre à définir des mots ?

Parce qu’une définition, complète et sérieusement menée, idéalement par l’élève lui-même, nous parait doublement bénéfique :

Telle qu’elle est présentée dans cet article, une définition doit comporter des indications précises sur les contraintes sémantiques et syntaxiques que le mot défini impose à son entourage, sur ce que l’on appelle, en jargon de lexicologue, sa combinatoire. De tels renseignements font partie de la signification du mot et s’avèrent précieux pour l’usager, dans la mesure où ils l’aident à effectuer des agencements de mots syntaxiquement et sémantiquement corrects.

Dans les copies d’élèves et d’étudiants, il arrive que des erreurs soient dues à une méconnaissance ou à une simple négligence de la valence des verbes. Parfois, ce sont des compléments essentiels que nos étudiants omettent, comme dans cette phrase extraite d’un rapport : « J’ai dû demander deux fois pour être sûre de bien comprendre. » Qu’est-ce qui est demandé ? A qui cela est-il demandé ? Qui ou qu’est-ce qui est « bien » compris ? Bien sûr, le contexte de cette phrase suffisait à lever ces doutes, mais le travail demandé requérait un écrit standard et, par conséquent, un respect ordinaire de cette contrainte qui veut que l’on exprime, pour des raisons de clarté, les compléments essentiels d’un verbe. L’exercice que nous proposons a notamment pour but de pallier cette lacune : l’élève est en effet invité à décrire précisément, en recourant à la notion d’actants, l’entourage sémantico-syntaxique des mots à définir.

Notre mémoire stocke le lexique sous forme de réseaux sémantiques (champs lexicaux) ou formels (familles de mots). Or, définir un mot, c’est le paraphraser en recourant à des mots de sens voisin, mais également le distinguer de ses voisins ! L’art de la définition nous contraint donc à explorer des champs lexicaux avec rigueur, et cette pratique est de nature à consolider dans notre esprit les liens qui font du lexique un tout organique dont les parties - des mots ou des groupes de mots - sont facilement déstockables/accessibles aux moments opportuns.

Quels mots définir ?

En priorité des verbes : ils sont les noyaux de la phrase et en déterminent la physionomie globale. On choisira des verbes dont la combinatoire n’est pas toujours maitrisée par les élèves ; des verbes qu’ils utilisent peu ou pas, parce qu’ils ne savent pas trop comment les utiliser : « solliciter », « susciter », « révéler », « associer », « confondre », « se familiariser », « décréter », « dévisager », « témoigner », « pallier », etc.

Page 6: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Quand ?

Deux heures en début d’année peuvent être consacrées à l’apprentissage de la méthode. Par la suite, on recourra à une procédure simplifiée (en brulant les étapes intermédiaires) pour chaque verbe nouveau ou mal employé.

Comment définir des mots ?

Voici une méthode très ancienne, dont les fondements remontent à Aristote, et qui présente l’avantage d’être simple et rigoureuse. Il s’agit de la définition dite analytique ou définition par sens générique et différences spécifiques. On pourrait la décomposer en cinq étapes successives, que nous allons illustrer en définissant progressivement les verbes «dévisager1» et « révéler » :

1. Analyse d’un exemple et repérage des actants du mot à définir.

Nous avons écrit plus haut que nous nous intéresserions en priorité aux verbes. Or, les verbes sont des prédicats sémantiques, c’est-à-dire qu’ils impliquent au moins un actant2. Dans la phrase « l’éducation des enfants, ça me concerne », le verbe « concerner » requiert deux actants : un sujet, qu’on pourrait qualifier d’abstrait (« l’éducation des enfants »), et un complément essentiel direct qui, dans le cas de « concerner », est humain (« me »).

Après avoir expliqué la notion d’actant aux élèves, nous leur fournissons des phrases dans lesquelles on trouve le mot à définir. Les élèves soulignent les actants et déterminent leur rôle par rapport à l’action exprimée par le verbe. Ils parviennent à une espèce d’exemple schématique (cf. ci-dessous), que nous allons paraphraser au cours des étapes suivantes.

Dévisager Révéler

« Arrête de me dévisager comme ça ! Ça me gêne. »

« Pendant toute l’heure, Jean n’a pas cessé de dévisager Lucie ! »

 A1 dévisage A2.

« Pierre a enfin révélé à ses amis qu’il allait se marier ! »

« La Wikimedia Foundation a révélé fin janvier sa sélection de photos pour l'année 2007. »

« Dany Boon révèle le prénom de sa fillette. »

A1 révèle A2 à A33.

1 Il s’agit d’un exemple donné par Alain Polguère, cité plus haut. Nous en avons modifié la présentation à des fins pédagogiques.2. Un actant est un être ou une chose qui participent à une action. Par opposition aux prédicats sémantiques, les objets sémantiques dénotent des entités qui n’impliquent intrinsèquement aucun actant (« tomate », « Zola », « sable »…) 3 On précisera aux élèves qu’un actant peut être simplement sous-entendu. Cela arrive souvent dans les titres d’articles de presse, l’actant omis étant explicité par la suite, dans le chapeau ou le corps de l’article.

Page 7: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

2. Identification du sens générique du mot ou de sa paraphrase approximative minimale.

Dans cet exemple schématique, les élèves tâchent de remplacer le verbe à définir par une paraphrase simple, en recourant à un verbe de sens voisin ou plus général (un hyperonyme). Cette paraphrase sera affinée ultérieurement.

Dévisager Révéler

A1 dévisage A2. = A1 regarde A2 d’une certaine manière.

A1 révèle A2 à A3. = A1 apprend/fait connaitre A2 à A3.

3. Caractérisation sémantique des actants.

Il s’agit ici de répondre à ces questions, que l’on pourra modifier en fonction des termes à définir.

1. « Qu’est-ce qui/Qui est-ce qui peut dévisager/révéler ? »

2. « Qu’est-ce qui/Qui est-ce qui peut être dévisagé/révélé ? »

3. « A qui peut-on révéler quelque chose ? »

Dévisager Révéler

 Quelques exemples, fournis par l’enseignant ou par les élèves eux-mêmes4, montreront que A1 peut être soit un individu, soit un animal, mais apparemment pas un objet, et que A2 ne peut être qu’un individu :

« Le voisin me dévisageait d’un air mauvais. »

# « Le chien du voisin me dévisageait d’un air mauvais.5 »

# « La caméra nous dévisageait. »

« Marie dévisageait le voisin. »

# « Marie dévisageait le chien du voisin. »

#  « Marie dévisageait ma nouvelle voiture. »

Notre définition s’affine : nous sommes en mesure d’en caractériser les actants.

A1 dévisage A2 = un individu ou un animal (A1) regarde un individu (A2) d’une certaine façon.

# « Le chien nous a révélé son secret. »

« Ce journal révèle chaque jour des informations croustillantes à ses lecteurs. »

# « Jacques a révélé à son chien où se trouvent les boites de nourriture. »

« Jacques a révélé à son frère où il cache ses cigarettes. »

# « Jacques a révélé sa voiture/sa nouvelle femme à son frère. »

A la différence de « dévisager », « révéler » semble ne pas accepter d’A1 animal. Par ailleurs, « révéler » s’accommode plus facilement d’un A1 objet (« Ce journal révèle… ») à condition que cet objet relaie une action humaine (c’est le journaliste qui s’exprime à travers son journal). A2, ce qui est révélé, ne peut apparemment être un objet ou un humain, mais plutôt une information, un fait. A3 est un humain : on ne peut révéler quoi que ce soit à un animal ou à un objet, sauf si l’on recherche des effets de style. Ainsi :

A1 révèle A2 à A3 = Un individu ou un objet (A1) apprend/fait connaitre une information (A2) à un individu (A3).

4. … ou par Google !5. Le symbole # placé en début de phrase signale que ce qui suit est sémantiquement incohérent.

Page 8: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

4. Identification des différences spécifiques.

Dévisager Révéler

 Notre définition n’est pas encore suffisamment précise. Le champ lexical de « regarder » comporte de nombreux termes (« scruter », « examiner », « fixer », « observer») dont il convient de distinguer « dévisager », sans quoi notre définition serait trop vague puisqu’elle correspondrait à des termes non exactement synonymes.Contentons-nous, dans le cadre de ce texte, de différencier « dévisager » de « scruter » : tous deux signifient « regarder très attentivement », trait que nous ajouterons à notre paraphrase, mais ils ne sont pas pour autant synonymes.Voyons maintenant, toujours à l’aide d’exemples, ce qui les distingue.1. Nous avons dit au point précédent que « dévisager »

n’acceptait comme sujet qu’un individu ou un animal et comme complément essentiel direct qu’un individu. « Scruter » n’est pas aussi sélectif :

« La caméra me scrutait de pied en cap. »« Nous scrutions la montagne à la recherche d’un refuge. »2. Par ailleurs, il n’est pas possible de dévisager

quelqu’un des pieds à la tête. Lorsqu’on dévisage quelqu’un, le regard est fixé sur le visage de la personne observée.

« Je scrutais son corps à la recherche de tiques… »# « Je dévisageais son corps… »3. Enfin, le fait de dévisager quelqu’un ne découle pas

nécessairement de l’intention de repérer, de trouver quelque chose, au contraire de « scruter ». Ce trait demeurera donc absent de notre paraphrase.

« Je scrutais le ciel, espérant voir apparaitre l’hélico tant attendu. »« Ils dévisagèrent le nouveau avec curiosité. »A ce stade, nous sommes en mesure d’apporter une touche finale à notre définition :

A1 dévisage A2 = Un individu ou un animal (A1) regarde très attentivement le visage d’un individu (A2).

« Divulguer » et « dévoiler », synonymes signalés dans le DFU6, peuvent-ils se substituer à « révéler » ? Essayons !

« Ce journal révèle/divulgue/dévoile chaque jour des informations croustillantes à ses lecteurs. »

« Ma sœur m’a révélé/*divulgué/*dévoilé7 qu’elle allait se marier ! »

« La Wikimedia Foundation a révélé/dévoilé/divulgué fin janvier sa sélection de photos pour l'année 2007. »

D’un point de vue sémantique, ces verbes semblent, jusqu’à preuve du contraire et malgré des associations privilégiées par l’usage, équivalents. Ils se distinguent des verbes « apprendre/faire connaitre » par le trait suivant : l’information était ignorée par A3 et ne lui est pas anodine.

Du point de vue de leur combinatoire, nous constatons que « révéler » accepte comme A2 une phrase enchâssée, ce qui n’est pas le cas des deux autres verbes. Cette propriété de « révéler » devrait figurer dans notre définition :

A1 révèle A2 à A3 = Un individu ou un objet (A1) apprend/fait connaitre à un individu (A3) une information (A2 = groupe nominal ou phrase enchâssée) jusque-là tenue secrète et qui revêt pour A3 une certaine importance.

6 Dictionnaire du français usuel7. Le symbole * signale une incohérence syntaxique.

Page 9: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

5. Validation de la définition.

Le fameux test de la substitution en contexte (une phrase quelconque obtenue par exemple à l’aide d’une recherche sur internet) nous permettra de vérifier la validité de notre paraphrase :

Dévisager Révéler

 « Le flic dévisagea gravement la jeune fille, et celle-ci baissa la tête. »

→ « Le flic (A1= individu) regarda très attentivement le visage de la jeune fille (A2=individu)…»

Notre paraphrase est valide → TB !

« Elle m’a révélé qu’elle était enceinte ! »

→ « Elle (A1= individu) m’(A3 = individu) a appris qu’elle était enceinte (A2 = information qu’A3 ignorait, exprimée sous la forme d’une P enchâssée) ! »

Notre paraphrase est valide → TB !

N’oublions pas de signaler aux élèves que notre paraphrase est valide jusqu’à preuve du contraire ! La langue évolue, l’usage varie selon les régions, les milieux socioprofessionnels… Notre paraphrase est dès lors ouverte, susceptible d’amendements, mais toujours après un réel examen critique.

D’autre part, le danger duquel nous devrons nous garder consiste à élaborer des définitions trop restrictives, ajoutant des spécificités que l’usage n’atteste pas ou contredit…

Remarques

1. Nous aurions pu aller plus loin et, pourquoi pas, comparer « dévisager » avec d’autres termes inclus dans son champ lexical. Cela nous aurait menés à une définition encore plus fine. Toutefois, le résultat obtenu est plus satisfaisant que celui auquel parvient le Petit Robert pour le même mot. Selon le Robert, « dévisager » signifie « regarder quelqu’un avec attention, avec insistance ». Notre définition donne à l’apprenant davantage d’informations sur ce mot, notamment sur son entourage sémantico-syntaxique et donc sur la façon de l’employer dans une phrase.

2. Une paraphrase correspond à une signification particulière. « Révéler » a d’autres acceptions, pour chacune desquelles nous pourrions élaborer une définition.

Page 10: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

6. Exercice :

Définissez le terme « remédier » en vous aidant de cet exemple : « Je ne sais pas comment nous allons remédier à cette panne de chauffage ! ».

1. Donnez pour « remédier » un exemple schématique (actants + verbes conjugué).

2. Dans cet exemple schématique, remplacez « remédier » par une paraphrase approximative.

3. Dites si les actants sont des individus (humains), des animaux, des objets ou des faits concrets, des réalités abstraites, etc.

4. Différencier « remédier » de « pallier » à l’aide des exemples suivants.

« Nous allons remédier à ton petit problème de surpoids. »

« Nous allons pallier ton petit problème de surpoids. »

« Le CV anonyme ne palliera pas les problèmes de discrimination à l’embauche. »

« Le CV anonyme ne remédiera pas aux problèmes de discrimination à l’embauche. »

5. Validez votre définition en la substituant à « remédier » dans la phrase suivante :

« Avec ce nouveau médicament, nous voulons remédier aux petites pertes de mémoire que nous connaissons tous à partir de 60 ans. »

Tentative de correction :

1. « A1 remédie à A2. »

2. « A1 remédie à A2 » = « A1 apporte une solution à A2 »

3. « A1 remédie à A2 » = « Un individu A1 apporte une solution à un fait concret A2. »

4. « Pallier » requiert un cdv ; « remédier » requiert un cdi. A la réflexion, « remédier » semble pouvoir s’accommoder d’un sujet non humain (« Ce petit vélo remédiera à nos problèmes de déplacement. »). Dès lors,

« A1 remédie à A2 » = « Un individu ou un objet A1 apporte/constitue une solution à un fait concret A2. »

5. « Avec ce nouveau médicament, nous (A1 humain) voulons apporter une solution aux petites pertes de mémoire que nous connaissons tous à partir de 60 ans (A2 fait concret). »

Pierre-Yves DUCHÂTEAU

Page 11: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Segments préconstruits : enseigner le vocabulaire

L’enseignement du vocabulaire…Et si l’on attirait l’attention de l’élève sur les « segments préconstruits » ?Sources :MEL’CUK, CLAS, POLGUÈRE, Introduction à la lexicologie explicative et combinatoire, Duculot, 1995.Jean-François LE NY, Comment l’esprit produit du sens ? Paris, Odile Jacob, 2005

Rapide introduction

On ne niera pas que la richesse des connaissances lexicales d’un individu (de vingt mille à cent mille mots ?) a une incidence directe sur son fonctionnement cognitif, que l’on appelle plus communément « intelligence » : les mots véhiculent en effet des concepts qui permettent de se représenter le monde, de le décrire, de l’expliquer et de le comprendre, d’agir dessus en pensée et en actes, de l’imaginer meilleur qu’il n’est ou tel qu’il ne devrait pas être, de le recréer…

De même, il est fortement probable que l’équilibre affectif d’un individu est lié à sa capacité à verbaliser – et de cette manière à réguler – ses affects. Ainsi, l’enseignant qui se soucie d’étendre le vocabulaire de ses élèves contribue certainement à leur épanouissement psychique et, du même coup, pour une part sans doute importante, au bien-être de tous.

Mais comment s’y prendre pour enrichir efficacement le vocabulaire des élèves ?

Dans la continuité d’un article portant sur la manière de définir utilement un mot et paru dans le numéro d’avril 2010, je souhaiterais à présent suggérer une piste didactique qui me semble encore peu exploitée et dont l’objectif est d’augmenter rationnellement le lexique mental des élèves afin de leur donner les moyens de recourir correctement et « aisément » aux mots qui y sont stockés.

Qu’est-ce que le lexique mental ?

Le lexique mental n’est pas une simple accumulation de mots ; c’est un système d’unités reliées entre elles selon :

des relations morphologiques entre « inducteur » et « associé », qui ne mènent pas nécessairement à la constitution de familles de mots (exemple : château→chapeau, mots étymologiquement non apparentés),

des relations sémantiques : hyponyme vers hyperonyme (cheval→animal) ou l’inverse (animal→ cheval) ; ou d’un concept à un autre de même niveau (cerise→fraise) : on parle dans ce cas de co-hyponymie ; des associations qui vont d’un objet à l’un de ses attributs (rhinocéros→corne) ou dans le sens inverse (corne→vache), etc.,

des relations  syntagmatiques  (un cheval→vapeur, il pleut→des cordes).

Page 12: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Qu’est-ce qu’un segment préconstruit ?

De nombreux ouvrages proposent des activités portant sur les relations morphologiques et sémantiques qui structurent notre lexique mental ; je voudrais attirer l’attention du lecteur sur le troisième de ces principes de stockage des mots dans la mémoire, sans doute l’un des moins travaillés dans l’enseignement : la contigüité syntagmatique.

Considérons les maladresses suivantes, lues dans des productions d’élèves ou d’étudiants :

1. Le romancier pousse une analyse approfondie des personnages, ce qui facilite la compréhension du lecteur.

2. L’enseignante demande aux élèves des questions de compréhension.

3. (…) ce qui rend les objectifs plus difficiles à mener étant donné la grande timidité d’un des apprenants.

4. Dans ce texte, l’auteur nous fournit ses impressions sur le système carcéral belge.

5. Elle a suivi son stage dans l’enseignement général.

La connaissance des règles grammaticales fondamentales du français n’est ici pas en cause ; c’est plutôt dans la maitrise des « segments préconstruits » du français que le bât blesse.

Lorsque nous parlons, a fortiori lorsque nous produisons des énoncés longs et complexes, nous ne passons pas notre temps à choisir des mots isolés puis à les combiner selon des règles syntaxiques. Notre mémoire de travail, de faible empan (7 à 10 mots), ne supporterait pas un tel effort cognitif. En réalité, pour produire en un temps limité de longs énoncés, nous puisons dans un stock de segments préconstruits (énoncés institutionnalisés, formules ritualisées, locutions, expressions semi-idiomatiques…), ou autrement dit, d’associations « privilégiées » de mots.

Quelques exemples ? Pour exprimer l’intensité d’une action, on choisira l’expression qui convient en fonction des « affinités sémantiques » du verbe que l’on souhaite caractériser : dormir profondément, courir ventre à terre, marcher d’un bon pas, pleuvoir des cordes, vivre intensément, etc. Pour exprimer le fait de subir quelque chose, des verbes s’imposent en fonction de ce qui est subi : avoir froid, éprouver du regret, prendre un coup de vieux, recevoir un coup de poing, etc.

Qu’il s’agisse de ce que les linguistes appellent « collocations » (expressions dans lesquelles le choix d’un élément dit collocatif est imposé par le choix d’une base, cette dernière étant choisie librement, comme poser une question, encaisser des coups, une défaite amère) ou de locutions (constituées d’éléments dont le sens ne se retrouve pas dans la locution, comme casser les pieds, passer à tabac, tirer les vers du nez…), ces énoncés stéréotypés dont nos discours regorgent devraient nous amener à reconsidérer quelque peu les mécanismes de la production langagière : là où les distributionnalistes pensaient que la production langagière était avant tout une affaire de libre choix d’unités combinées ensuite selon des règles syntagmatiques, on est tenté d’affirmer que ces combinaisons sont déjà constituées au moment où s’effectue le choix d’un mot. En d’autres termes, les mots ne sont pas seulement stockés dans des paradigmes, mais au sein de syntagmes plus ou moins longs.

« L’image d’une langue au niveau lexico-syntaxique, ce sont des tables où les propriétés formelles de chaque élément doivent être enregistrées telles quelles. C’est beaucoup plus une taxonomie qu’un système (…) Tout doit être appris, enregistré, beaucoup plus directement qu’on ne le pensait. Tout est beaucoup moins médiatisé par la syntaxe qu’on ne le croyait  » (M. Gross, 1985, cité par Marie-Françoise Chanfrault dans un article paru dans Didactique du lexique, De Boeck, 2004).

Page 13: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Comment faire découvrir ces segments préconstruits ?

Comme activité de découverte des segments préconstruits, je propose simplement ceci  : l’enseignant recherche sur Internet un texte riche en énoncés plus ou moins idiomatiques. Il ampute ensuite chacun de ces énoncés d’un mot et présente à ses élèves le texte sous une forme lacunaire. Ces mots effacés pourront être, dans un premier temps du moins, donnés dans le désordre au bas du texte.

Les ados et l’autorité parentale

Même si de tout petits bouts sont très vite capables de ________ du fil à retordre à leurs parents, on ne s'avance pas en disant que l'adolescence est une période ________ en matière d'autorité. Aussi redoutable que les crises financières ou politiques, les crises d'adolescence constituent généralement le point ________ de la contestation de l'autorité parentale. Bien sûr, chaque ado ne se transforme pas en incontrôlable tornade, mais la période demeure  une épreuve particulière pour les parents, bien obligés de ________ à flot l'embarcation familiale. Les ados ne raffolent pas de l'autorité et n'ont pas leur ________ pour faire ________ leurs parents en bourrique, ce n'est un secret pour personne. Heureusement, qui mieux qu'un parent connait son enfant ?  Tentez différentes approches pour vous comprendre mutuellement, pour ________ un dialogue et  ________ les conflits ; bref, ________ votre autorité sans être autoritaire, et de préférence 'en front commun'. Plus facile à écrire qu'à faire ! Mais le jeu en vaut assurément ________, les échanges parents/ados ne peuvent se résumer à un obscur rapport de force. En essayant de sortir d'une logique d'opposition pure et simple, vous réaliserez que les jeunes sont parfaitement capables de comprendre la nécessité d'________ des règles, qu'elles soient tacites ou explicites… pour peu qu'on leur en explique la raison. En creusant un peu, vous serez peut-être surpris de constater combien nos ados peuvent être vieux jeu, ________ certaines règles familiales, voire même réactionnaires. Un adolescent réac', plus qu'une drôle d'oxymore, c'est aussi une réalité !

http://leligueur.citoyenparent.be/rubrique/pour-les-jeunes/

Mots à placer : donner, cruciale, à cheval sur, maintenir, exercez, tourner, établir, établir, désamorcer, la chandelle, culminant, pareil.

Lors de la correction de l’exercice, l’enseignant attirera indirectement l’attention de l’élève sur des segments tels que désamorcer un conflit, établir des règles, donner du fil à retordre, un point culminant, etc. au moyen de questions de ce type :

1. Désamorcer est un mot relativement récent qui a d’abord signifié « enlever l’amorce d’une arme », c’est-à-dire la « matière explosive ». Retrouve-t-on ce sens dans l’expression désamorcer un conflit ? (Il arrive souvent que dans des collocations, l’élément collocatif perde son sens propre – ou son sens plein – pour endosser un sens figuré ou dérivé.)

2. Pour le verbe établir tel qu’il est utilisé dans ce texte, le dictionnaire renseigne comme synonymes « fonder », « instituer ». Comparez ces énoncés et dites quels sont ceux qui vous paraissent les plus usuels :

Page 14: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Etablir des règlesInstituer des règlesFonder des règles

Etablir un dialogueFonder un dialogueInstituer un dialogue

Fonder un partiInstituer un partiEtablir un parti

(L’usage privilégie naturellement certaines combinaisons de termes au détriment d’autres.)

Afin que l’élève mémorise en douceur ces segments, on peut lui demander de réagir à ce texte en lui adressant la consigne suivante : « Comment exercerez-vous votre autorité envers vos enfants lorsque vous serez parents ? ». Il ne me parait pas nécessaire de le contraindre à utiliser les segments sur lesquels portait l’exercice de repérage ; on peut parier sur le fait que les élèves, après les avoir commentés à l’initiative du professeur, y recourront spontanément. L’objectif d’une telle activité devrait être avant tout de sensibiliser l’élève aux combinaisons privilégiées par l’usage, dans le but de faciliter l’expression orale ou écrite, mais non d’imposer exclusivement ces combinaisons à sa mémoire : la pensée requiert sans doute son lot de tournures stéréotypées pour s’exprimer avec force et aisance, mais ses nuances s’accommodent parfois assez mal de ces figements déterminés par l’usage…

En guise de conclusion, et pour illustrer la pertinence de ce qui précède, je voudrais faire remarquer qu’aucun des mots figurant dans l’exercice précédent n’est traité dans le livre « 800 mots pour réussir», paru chez Belin en 1998. Remarque anecdotique ? En partie oui, mais en partie seulement. Prenons l’exemple suivant, extrait de ce livre : (…) Horace laisse éclater sa fureur.  Cet exemple a pour fonction d’illustrer le sens du mot fureur (= « colère s’exprimant avec une très grande violence »). L’objectif de l’ouvrage est en effet de faire comprendre le sens de 800 mots jugés courants et nécessaires à la réussite scolaire de l’enfant. Or, le problème pour l’enfant ne se limite pas à comprendre le sens des mots ; il consiste également à les utiliser correctement dans des énoncés et donc à les insérer dans des combinaisons entérinées par l’usage et dont le sens est immédiatement perçu par l’interlocuteur, comme, pour revenir à fureur, laisser éclater sa fureur, une fureur noire, faire fureur, être en fureur, etc. D’où la nécessité de présenter les mots étudiés dans des phrases courantes et pas seulement exemplatives.

Pierre-Yves DUCHÂTEAU

Page 15: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

L’utilisation du DFU, le Dictionnaire du français usuel, en classe de français D’après un article éponyme de Jacqueline PICOCHE et de Sébastien SOUHAITÉ paru dans Didactique du lexique, De Boeck, 2004.

Dictionnaire du français usuel, par Jacqueline PICOCHE et Jean-Claude ROLLAND, édité par De Boeck/Duculot en 2002.

Présentation et structure du DFU

Le DFU est un dictionnaire pédagogique et non un dictionnaire de consultation courante. Le lexique « utile » du français (soit 15000 mots) y est présenté sous 442 entrées, soit 442 termes « hyperfréquents » autour desquels se constituent des champs sémantiques. Cela signifie bien sûr que l’ouvrage est pourvu d’un index alphabétique qui renseigne sur les différentes localisations de chacun des 15000 mots.

Dans l’exemple qui suit, c’est au mot RAISON que s’agglomèrent des termes sémantiquement ou morphologiquement apparentés, figurant en lettres capitales dans l’article (ANALYSER, CAUSE, EFFET, RAISONNER…).

Si l’on recherche le sens du mot RAISONNEMENT, c’est à l’article RAISON qu’on en trouvera l’explication ou l’illustration les plus complètes. C’est d’ailleurs ce que nous indiquent les capitales grasses. Les capitales maigres signalent que le mot est expliqué dans l’ouvrage, mais sous une autre entrée.

Chaque acception, précédée d’un chiffre romain, est présentée dans une phrase exemplative. Les définitions sont redondantes, formulées en termes courants, assorties de nombreux exemples et de locutions (signalées par un ¶).

Précisons enfin que les A sont les actants, c’est-à-dire les éléments qui jouent un rôle nécessaire dans le fait auquel le mot renvoie. LIRE, par exemple, requiert ordinairement un A1 humain et un A2 non humain (Le comédien Jacques Ballot A1 lira des poèmes de Villon A2). Le numéro attribué à l’actant reste toujours le même, quelles que soient les modifications subies par la phrase de base (Des poèmes de Villon A2 seront lus par le comédien Jacques Ballot A1). Même s’il devient le noyau d’une structure nominale, le verbe devenu nom conserve ses actants ([J’ai beaucoup apprécié] la lecture de ces poèmes A2 par Ballot A1 !)

RAISONI. L'homme est un animal doué de raison.1. A1 humain est ¶ doué de raison. Syn. de ¶ bon SENS; c'est un ¶ animal RAISONNABLE par NATURE, ce qui devient manifeste quand il sort de la petite enfance et qu'il atteint l'¶ âge de raison (7 ans): il est capable de RAISONNER, de faire un RAISONNEMENT, c'est-à-dire d'ANALYSER et d'EXPLIQUER une situation en termes de CAUSES et

Page 16: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

d'EFFETS; de prévoir les CONSÉQUENCES de ses actes et d'agir en conséquence; de saisir des RAPPORTS constants entre différents A abstraits.2. A1 raisonne. Considérant un fait, il en DÉDUIT la CAUSE ou en INDUIT les conséquences. De la manière dont

l'accident s'est produit, je déduis que le matériel était mal entretenu. - Du fait que le matériel est mal entretenu j'induis qu'il pourrait y avoir un accident. - Sherlock Holmes, dans ses enquêtes, procédait plutôt par DÉDUCTION que par INDUCTION.

Considérant un ensemble de faits, il en ¶ tire une CONCLUSION. Il fait une chaleur étouffante, les nuages s'accumulent; j'en CONCLUS qu'il va y avoir de l'orage. La CONCLUSION d'un discours est le moment FINAL, où la personne qui parle fait la SYNTHÈSE de tout ce qu'elle a dit, et où tout s'explique.

3. A1 raisonne et communique ses raisonnements. Il fait COMPRENDRE son raisonnement à un A2 humain pour l'amener à reconnaitre une certaine VÉRITÉ

et l'en CONVAINCRE. Il DÉMONTRE une vérité, en fait une DÉMONSTRATION (voir l'article MONTRER); il ÉTAYE ses

OPINIONS, les ÉTABLIT, il les FONDE SOLIDEMENT, et, dans une DISCUSSION, JUSTIFIE ce qu'il affirme, en INVOQUANT des ARGUMENTS solides: des éléments de preuve, lui permettant de RÉFUTER ceux de l'adversaire. - A1 ARGUMENTE contre A2; sa thèse est bien ARGUMENTÉE; son ARGUMENTATION est solide. - Un ¶ argument MASSUE assomme le contradicteur et le laisse sans réplique.

Il PROUVE ce qu'il dit par des PREUVES de nature logique ou ¶ par l'absurde, ou en apportant, ¶ preuves en main, des ¶ preuves matérielles, véritablement PROBANTES de la RÉALITE d'un FAIT. - A1 est heureux de dire à son interlocuteur: La preuve, c'est cela! et déçu si A2 reste dans le DOUTE et lui répond: ¶ Ce n'est pas prouvé, ¶ Ça reste à prouver, ¶ Qu'est-ce que ça prouve?

Emplois affaiblis: A1 ¶ fait preuve de A3, une qualité, un sentiment. Dans des circonstances difficiles, Jean a fait preuve de courage, il a prouvé son courage. - Il donne à Sylvie des preuves d'affection.

4. La LOGIQUE est la science qui traite de la validité des raisonnements, et des critères de vérité des propositions. Un LOGICIEN est un spécialiste de cette science.

A1 raisonne LOGIQUEMENT, fait un raisonnement LOGIQUE si ses idées s'ENCHAINENT sans se CONTREDIRE et forment un tout COHÉRENT; leur COHÉRENCE est un bon signe d'un raisonnement juste. Après avoir rassemblé et interprété tous les éléments de son enquête, ¶ en bonne logique, Sherlock Holmes doit conclure que le criminel est le concierge.

Ce qui est logique est normal. Si les chemins de fer sont en grève, que fais-tu? Je prends ma voiture, c'est logique!

Le raisonnement, la conduite de A1 est ILLOGIQUE, comporte des éléments CONTRADICTOIRES, qui engendrent des INCOHÉRENCES. - Le récit INCOHÉRENT du témoin laisse penser qu'il ment. - Tu sais que les chemins de fer sont en grève et tu restes sur le quai à attendre le train? Ce n'est pas logique!

5. A1 est philosophe. Il pense que la raison est le seul moyen d'accéder à la vérité: c'est un RATIONALISTE (nom); il est rationaliste (adj.); il professe le RATIONALISME; il oppose la raison à la FOI qu'il refuse. Il est cartésien s'il a un esprit clair, méthodique, logique, comme le philosophe Descartes.6. Emploi péjoratif. A1 prend plaisir à enchainer des raisonnements sans les contrôler par l'EXPÉRIENCE; il discute pour le plaisir de discuter les ordres ou les conseils qu'on lui donne: c'est un RAISONNEUR; il RATIOCINE.II. Jean a raison d'accepter le poste qu'on lui propose.A1 a raison / tort de A2 inf.1. A1 ¶ a raison. Ayant un problème à résoudre ou une décision à prendre, il raisonne sur les conséquences possibles de cette décision, ¶ pèse le pour et le contre et adopte, après réflexion, la solution la plus simple, la plus efficace, la plus avantageuse; c'est une décision RAISONNABLE. Il agit RAISONNABLEMENT. La solution qu'il a trouvée est RATIONNELLE, parce qu'il a un esprit RATIONNEL et que chez lui la raison l'emporte sur l'affectivité. On peut faire un ¶ mariage de raison sans amour, mais il arrive qu'un mariage d'amour soit aussi un mariage

raisonnable. - ¶ À tort ou à raison, Jean a refusé le poste qu'on lui offrait: moi qui parle, je ne le juge pas. - Marc lui ¶ donne raison, Luc lui ¶ donne tort: Marc juge qu'¶ il a raison, Luc qu'¶ il a tort de l'avoir refusé.

Dans une discussion, A1 ¶ a raison de son adversaire A2: il vient à bout de ses objections, il en triomphe. Par extension, A1 ¶ a raison de A2 humain dans un combat quelconque (par ex. de boxe) ou de A2 abstrait (une difficulté) ou concret (une masse d'objets à traiter): il en vient à bout.

2. A1 a TORT. Si A1 a commis une ¶ faute de raisonnement, ou laissé ses PASSIONS (amour fou, haine, désir de vengeance) ¶ l'emporter sur sa raison, dans le cas où s'agit d'une démonstration, il ¶ se TROMPE; dans le cas où il s'agit d'une décision, sa décision est DÉRAISONNABLE.

Page 17: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Il DÉRAISONNE si ce qu'il dit ou pense est ABERRANT, ABSURDE, si c'est une ABSURDITÉ, une ABERRATION, si cela ¶ ne tient pas debout, ¶ n'a ni rime ni raison.

A1 boit ¶ plus que de raison. - A1 ¶ ne veut pas entendre raison. - A2 humain raisonne A1 humain: il essaie de lui ¶ faire entendre raison. S'il y réussit, A2 humain ¶ ramène A1 à la raison.

A1 devient FOU: il ¶ perd la raison, il ¶ n'a plus toute sa raison.III. J'ai des raisons de penser qu'Alice remportera le match.A1 a des raisons pour A2 inf.1. A1 a des raisons de ou au moins ¶ une bonne raison pour A2 inf. Ce sont les MOBILES qui le poussent à agir, ou les MOTIFS qu'il a de penser ou de faire A2; il est MOTIVÉ pour faire A2. C'est ¶ à cause de ces raisons qu'il fait ou pense A2. Pour quelle raison refuses-tu d'embaucher Éric? -

¶ J'ai mes raisons (que je ne juge pas utile de te dire). - C'est ¶ pour une raison valable, ¶ avec raison, ¶ à juste raison, ¶ non sans raison que Marc refuse d'embaucher Éric. - Jean discute avec Marc: C'est vrai, Éric sort de prison mais ¶ ce n'est pas une raison pour ne pas l'embaucher; il a été victime d'une erreur judiciaire. - ¶ Raison de plus, tu répareras une injustice en l'embauchant. - Marc ¶ se rend aux raisons de Jean: il se laisse CONVAINCRE par Jean.

La ¶ raison d'être, la ¶ raison de vivre d'un compositeur, c'est la musique. - Quand on n'obtient pas ce qu'on désire, il faut ¶ se faire une raison: accepter la situation, en considérant ses quelques aspects positifs.

PR. La raison du plus fort est toujours la meilleure: dans un conflit, le plus fort fait toujours triompher son point de vue sur celui du plus faible, et il en profite!

2. La raison de A2 abstrait est sa CAUSE. Pour quelle raison Alice remportera-t-elle le match? - ¶ En raison de son bon entrainement et de sa forme physique. - Beaucoup de nos actions s'expliquent par des raisons d'intérêt partisan, ou d'intérêt personnel, ou pour ¶ des raisons de famille. - Certains invoquent ¶ la raison d'État pour expliquer la conduite apparemment condamnable d'hommes politiques: l'intérêt de l'État, qui, pensent-ils, transcende le droit.

Pourquoi utiliser le DFU ?

Cette organisation sémantique du lexique me parait pertinente, dans la mesure où l’élève peut mobiliser rapidement le vocabulaire utile à la compréhension ou à la production d’un texte portant sur un thème particulier.Dans le même ordre d’idées, il est fort probable que de tels groupements constituent une aide précieuse à la mise en mots d’idées et à leur développement. Notre expérience de producteur de messages de tout type nous enseigne en effet que certaines de nos idées n’auraient jamais éclos si elles n’avaient été précédées des mots qui les ont suscitées. En d’autres termes, il n’est pas toujours aisé de déterminer si ce sont les idées qui précèdent les mots ou l’inverse, et on peut raisonnablement penser que le fait de fournir des mots ou des locutions couvrant de nombreux aspects d’une même notion peut donner lieu à des idées mieux développées ou même originales.

On trouve dans le DFU de nombreux segments préconstruits (des associations privilégiées de mots, des locutions plus ou moins idiomatiques, précédées du signe ¶)8. En outre, le DFU nous donne de nombreux renseignements sur les actants des termes qui en ont besoin pour s’actualiser dans un discours (manger est l’un de ces termes, qui ne pourraient être utilisés sans sujet ou sans objet, ses actants, fussent-ils implicites)9. Ces locutions et indications sur la structure actancielle composent ce que l’on pourrait appeler le mode d’emploi du mot, nécessaire dès qu’il s’agit de produire du discours. Exemples :

le mot ARGUMENT se manipule plus aisément en contexte dès lors que l’on sait que des ARGUMENTS, cela s’INVOQUE, se REFUTE,

de même qu’une OPINION, cela peut s’ETAYER, l’on dit ordinairement TIRER une CONCLUSION,

8 Voir numéro 26 de D’un prof… à l’autre (septembre 2010)9 Voir numéro 23 de D’un prof… à l’autre (mai 2010)

Page 18: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

CONVAINCRE n’est pas un verbe courant pour des adolescents de 12 ans : il n’est pas inutile de leur signaler que c’est un actant humain A1 qui convainc un autre actant humain A2 de quelque chose A3…

Utiliser le DFU pour expliquer et produire des textes

Dans les programmes de français, l’étude du vocabulaire doit être mise au service du développement de compétences communicationnelles portant sur la compréhension et la production de textes oraux ou écrits. Les activités proposées ci-dessous sont conformes à cet esprit : l’élève prend conscience que l’étude systématique de réseaux lexicaux peut donner lieu à des interprétations assez fines de textes littéraires ou autres. Le vocabulaire acquis par la lecture du DFU permet non seulement de mieux comprendre le texte, mais aussi de formuler adéquatement des commentaires à son propos.

Ces activités de compréhension seront idéalement suivies d’activités d’expression écrite : par ce biais, l’élève se rendra compte qu’une approche structurée du vocabulaire peut aider au développement des idées ainsi qu’à leur mise en mots.

Les exercices proposés aux points 1 et 2 ont été imaginés par Jacqueline PICOCHE et Sébastien SOUHAITÉ. Ils ont fait l’objet d’une légère adaptation pour mieux convenir à l’âge de nos élèves.

1. Comprendre et expliquer

Les élèves ont sous les yeux l’article RAISON du DFU ainsi que le texte suivant :

Le Loup et l’Agneau

Un agneau se désaltéraitDans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait.

"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.

-Sire, répond l'agneau, que Votre MajestéNe se mette pas en colère ;

Mais plutôt qu'elle considèreQue je me vas désaltérant

Dans le courant,Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;

Et que par conséquent, en aucune façon,Je ne puis troubler sa boisson.

- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,Et je sais que de moi tu médis l'an passé.

- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?Reprit l'agneau ; je tète encor ma mère

- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :

Page 19: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Car vous ne m'épargnez guère,Vous, vos bergers et vos chiens.

On me l'a dit : il faut que je me venge."Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte et puis le mange,Sans autre forme de procès.

Jean DE LA FONTAINE

Après que sens global de la fable a été construit par les élèves, l’enseignant leur adresse les questions suivantes :

1. D’après l’article RAISON (partie I), en quoi peut-on dire que l’agneau de la fable est un animal doué de raison ?

2. L’agneau utilise des arguments. Cherchez dans le paragraphe I.3 le sens de ce mot. Que signifie invoquer des arguments ? Peut-on dire que le loup réfute ceux de l’agneau ? Pourquoi ?

3. Après avoir lu la partie II, vous direz pourquoi on pourrait affirmer que l’agneau a raison de se défendre mais que, finalement, c’est le loup qui a eu raison de l’agneau. Quel est le sens de ces expressions ?

4. D’après le paragraphe II.2, qu’est-ce qui permet d’affirmer que le loup a tort ? Comment peut-on qualifier ses propos ?

5. Cherchez dans le paragraphe III.2 les synonymes de raison et employez-les dans une phrase qui éclaire leur sens. Cherchez ensuite dans ce paragraphe la signification du premier vers de la fable.

(D’après une activité imaginée par Jacqueline PICOCHE et Sébastien SOUHAITÉ)

2. Ecrire et parler : autre proposition

Si les élèves disposent du DFU ou du cédérom qui accompagne la version papier, vous pouvez les lancer dans une recherche plus complexe. Vous resterez disponible lors de ce travail de recherche, car l’organisation de l’ouvrage est inhabituelle et pourrait décourager les élèves. Partez de ce document, que vous faites lire silencieusement :

Isa, 17 ans« Mes parents ne se fâchent presque jamais. Lorsqu'ils le font, c'est généralement pour des « bons » trucs, donc c'est justifié. »

Yohan, 18 ans« Tant que je décroche un diplôme et que je ne ramène pas la police à la maison, je dirais qu'il n'y a pas de problème avec mes parents. D'ailleurs, de ce côté-là, je suis plutôt d'accord avec eux, leur but est que je puisse avancer dans la vie, et c'est le mien aussi, évidemment. Mais à part ça, on se dispute souvent pour des petites choses.  Presque tout le temps, même, mais

Page 20: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

comme dans beaucoup de familles, je suppose. (◊◊◊) Je sais très bien avec quels sujets je peux les rendre fous, comme la clope, les sorties, les copains qu'ils n'aiment pas, etc. »

Marielle, 18 ans« Moi, je n'ai pas de problème particulier avec mes parents. Et en y réfléchissant un peu, je dirais que c'est surtout eux qui n'en ont pas avec moi. Je suis plutôt raisonnable en général, je n'ai pas de mauvais points, ils apprécient mes fréquentations, etc. Mais quand je vois les parents de certains autres jeunes, je me dis qu'ils devraient recevoir des cours d'éducation. Il y a des ados qui se permettent vraiment n'importe quoi et leurs parents ne font rien, je trouve ça dingue ! Quand j'aurai des enfants, ils comprendront bien vite qui décide à la maison. »

Aurélie, 16 ans« Avec mon père, on ne peut pas vraiment parler d'autorité parentale. S'il y a un problème, il nous le dit et on le règle, c'est tout. Il n'y a pas de « lois » à la maison, si on doit respecter quelque chose, c'est que c'est logique. Pas besoin d'établir de règles, puisque de toute façon, on ne les transgresse pas. Quand on était plus petits, on avait des règles bien définies, des tâches assignées à la maison, mais en grandissant c'est vraiment devenu inutile. Le seul truc, c'est que je ne peux pas utiliser le PC après 22 heures. Sinon, je peux sortir quand je veux, rentrer plus tard à la maison, etc. Il faudrait vraiment que je braque une banque pour qu'il ait une réaction… Si je faisais une fugue, je suis sûre que le jour où je reviendrais à la maison, il rigolerait de moi plutôt que de m'engueuler. Quand je ne suis vraiment pas motivée pour aller à l'école - heureusement, ça n'arrive qu'une fois par an -, je sèche les cours et il me laisse faire. Quand je ramène un mauvais bulletin, il ne m'engueule pas. Il comprend ! Comme il a quitté l'école à 16 ans pour s'engager dans l'armée, il n'a pas grand-chose à me dire au niveau des études. Je suppose qu'il crie sur ses hommes, mais en tout cas pas sur nous. (…) »

http://leligueur.citoyenparent.be/rubrique/pour-les-jeunes/

Vous adressez ensuite ces questions et consignes à vos élèves :

1. Quel est le sujet commun de tous ces témoignages ?

2. Ces témoignages sont-ils spontanés (de l’oral transcrit) ou plutôt réfléchis et rédigés ? Quels sont les mots ou les tournures qui vous permettent de répondre à cette question ?3. Pourriez-vous formuler la question qui est adressée à ces quatre adolescents ? Vous disposez à cette fin de 2 minutes.

4. Je vais vous demander maintenant de répondre à cette question par écrit et clairement, comme si vous interveniez par exemple sur un forum de discussions. Votre réponse comptera une dizaine de lignes et pourra être assortie d’exemples concrets. Mais avant de faire ce travail, nous allons établir l’inventaire des mots et expressions qui nous seront utiles.

5. Pour élaborer cet inventaire, vous allez utiliser le DFU. Comme vous le savez, le DFU n’est pas un dictionnaire ordinaire. (Rappel :) Le DFU rassemble de nombreux termes plus ou moins courants autour de termes « hyperfréquents ». Il vous permet donc d’accéder à des mots et expressions plus spécifiques en partant de mots que vous connaissez bien. Par exemple, le mot marcher vous donnera accès à randonnée ou encore à balade… Ces « hyperfréquents » sont classés par ordre alphabétique : on les retrouve donc très facilement. (Fin du rappel.) Maintenant, ensemble, citons les « hyperfréquents » en rapport avec le sujet abordé dans ces textes.

Page 21: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

Par la suite, après avoir constitué des banques de mots à l’aide du DFU, les élèves rédigent un texte que l’enseignant corrige formativement (simples soulignements), que l’élève récrit et enfin, que l’enseignant corrige certificativement.

Voici, en guise de conclusion, quelques pistes concernant cette activité :

Consigne 3

La question adressée aux adolescents cités dans le document pourrait être la suivante : Vos parents sont-ils trop autoritaires vis-à-vis de vous ? Pensez-vous qu’ils aient raison ?

Cette question pourrait être amplifiée ainsi : Serez-vous plus/moins autoritaires avec vos propres enfants ? Que pensez-vous de ce proverbe : « Qui aime bien châtie bien. » L’autorité peut-elle se concevoir sans menace ni sanction ?

Consigne 5

Voici quelques « hyperfréquents », à partir desquels les élèves rechercheront des termes plus particuliers : accord, autorité, règle, enfant, maitre, etc. Les banques de mots constituées individuellement pourraient être mises en commun au sein de sous-groupes de deux ou trois : l’échange serait enrichissant, mais prendrait plus de temps.

Enfin, avant d’entamer le travail d’écriture, les élèves pourraient dans un premier temps faire part de leur expérience de l’autorité et des opinions qu’ils se sont faites sur ce sujet : cette discussion sera courte et collective, et inspirera sans doute les moins inspirés.

Pierre-Yves DUCHÂTEAU

Page 22: Des Outils Pour Que Les Élèves Soient Capables de Traiter Et d'Enregistrer Des Mots Nouveaux

PETITES CURIOSITÉS.

1.  Le plus long palindrome de la langue française est « ressasser »On peut donc le dire dans les deux sens.  2.  Le mot « triomphe » ne rime avec aucun nom commun de la langue françaisePareil pour le mot « belge ». Une certaine forme de vengeance, sans doute. 3.  « Squelette » est le seul mot masculin qui se finit en « ette »La honte. 4.  « Institutionnalisation » est le plus long lipogramme en « e »C’est-à-dire qu’il ne comporte aucun « e ». Ni aucun « w », mais la chose est déjà nettement moins remarquable. 5.  L’anagramme de « guérison » est « soigneur »Et vice et versa. 6.  « Où » est le seul mot contenant un « u » avec un accent graveIl a aussi une touche de clavier à lui tout seul. 7.  Le mot « simple » ne rime avec aucun autre mot.Tout comme « triomphe », « quatorze », « quinze », « pauvre », « meurtre », « monstre », « belge », « goinfre » ou « larve ». 8.  « Endolori » est l’anagramme de son antonyme « indolore »Ce qui est paradoxal. 9.  « Délice », « amour » et « orgue » ont la particularité d’être de genre masculin et deviennent féminin à la forme plurielleToutefois, peu sont ceux qui acceptent l’amour au pluriel. C’est ainsi. 10.     « Oiseaux » est, avec 7 lettres, le plus long mot dont on ne prononce aucune des lettres : [o], [i], [s], [e], [a], [u], [x]« Oiseau » est aussi le plus petit mot de langue française contenant toutes les voyelles. Et ouais.