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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 1 UNIVERSITE PAUL CEZANNE – AIX-MARSEILLE FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises Mémoire présenté par Alexis Lemarié –septembre 2007 Directeur de mémoire : M. Christian Scapel

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 1

UNIVERSITE PAUL CEZANNE – AIX-MARSEILLE FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE

CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS

La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises

Mémoire présenté par Alexis Lemarié –septembre 2007 Directeur de mémoire : M. Christian Scapel

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Ô combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune ! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !

Victor Hugo in Oceano Nox

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Sommaire

- Introduction - Chapitre 1er La force majeure en matière de responsabilité

contractuelle - Section 1ère Qualification de la force majeure en matière contractuelle Sous-section 1 Force majeure et notions proches Sous-section 2 Les critères de qualification de la force majeure -Section 2nde Effets de la force majeure en matière contractuelle Sous-section 1 Fondements théoriques des effets de la force majeure Sous-section 2 Effets pratiques de la force majeure

- Chapitre 2nd La force majeure en droit du contrat de transport maritime

- Section 1ère Force majeure et cas exceptés

Sous-section préliminaire Précisions théoriques relatives aux rapports entre force majeure et cas exceptés Sous-section 1 Les cas exceptés ne présentant pas les caractères de la force majeure Sous-section 2nde Les cas exceptés devant présenter les caractéristiques de la force majeure - Section 2 La force majeure in nominem Sous-section 1ère Les diverses applications de la force majeure Sous-section 2nde Particularisme de la force majeure en droit du contrat de transport maritime

de marchandises ?

- Conclusion

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Introduction

Le droit régit des situations à la variété infinie au moyen de règles nécessairement limitées ; il

est dès lors exercice délicat usant, en France, de règles souples et générales. Si sa légitimité

première provient de son origine -le parlement- il ne peut s’affranchir totalement, sauf à

perdre celle-ci, de la notion d’équité.

La notion de force majeure découle de cette dernière1 autant que de la conscience des limites

de la puissance humaine. Elle admet que l’Homme ne puisse être comptable de situations

auxquelles, malgré ses efforts, il n’a pu obvier. Ce faisant elle introduit un certain fatalisme

dans un système juridique de responsabilité fondé sur la faute, elle-même basée sur l’idée que

l’Homme est responsable de ses actes parce que libre : « la responsabilité est liée à la liberté,

l’une sert de fondement à l’autre. »2

Se trouvant contraint par une « force majeure » il perd sa liberté et n’est donc plus

responsable. Cette conception originelle se trouve néanmoins atténuée par le déclin de la

notion de responsabilité au profit de la « solidarité collective ». Ce n’est plus tant la

responsabilité qui est recherchée qu’une indemnisation, passant ainsi au plan juridique d’une

responsabilité subjective à une responsabilité objectivée. Cette nouvelle conception

correspond à l’application de la théorie du risque développée au début du 20ème siècle3 qui

veut, selon les termes employés par Josserand que « lorsqu’on crée un risque, on doit, si ce

risque vient à se réaliser, en subir les coups ».

Dans cette conception ce n’est donc plus tant la « responsabilité » qui est en jeu que la

possibilité d’imputer la réparation du dommage. Partant, la force majeure elle même peut être

écartée par la loi (Cf. loi du 25 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, dite « loi

Badinter »), voire par une convention par laquelle les parties peuvent définir tant les

1 Cf. l’étude sociologique menée au sein de l’université de Tours et consacrée au sentiment de responsabilité citée in Antonmattei. 2 Introduction historique au droit des obligations, Jean Louis Gazzaniga, PUF 1992. 3 Cf. p. 263 et suivantes de « Introduction historique au droit des obligations », Jean Louis Gazzaniga, PUF 1992.

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caractères de ce qui sera considéré comme évènement de force majeure que les conséquences

attachés à celle-ci.

La force majeure n’en reste pas moins une notion, essentielle en matière de responsabilité,

non définie par les textes : « la force majeure est un concept de notre droit dont l’importance

apparaît comme inversement proportionnelle à sa précision »4. Concept juridique, elle

correspond ainsi à la volonté de Portalis de créer un droit flexible pouvant s’adapter aux

évolutions temporelles et politiques : « L’office des lois est de fixer, par de grandes vues, les

maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de

descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est au

magistrat et aux jurisconsultes, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger

l’application »5.

Si l’idée de force majeure semble immuable6, ses caractères sont atteints d’une grande

mutabilité7. Ceci explique que sa définition ne soit pas des plus aisées : si la réunion des trois

critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité de l’évènement est traditionnellement

considérée comme la caractérisant, il est relativement fréquent qu’elle soit admise en

l’absence de certains de ces critères. Il semble que le point d’ancrage le plus sûr de cette

notion réside dans son effet : elle est « une cause exonératoire de responsabilité civile

lorsqu’elle a seule fait obstacle à l’exécution du contrat (article 1148 du Code civil) ou, en

matière délictuelle, contribué à la réalisation du dommage »8. Ainsi, en matière contractuelle,

la force majeure contraint à l’inexécution et « en excuse » le débiteur9.

Cette difficulté à définir la notion de force majeure ne fait, en réalité, que dévoiler son

caractère de « concept ». En effet, la force majeure est une « représentation générale et

abstraite des objets » qui ne peut être déterminée « qu’en fonction du droit positif et des

réalités sociales », réalités mouvantes10. Plus précisément, la notion de force majeure est un

4 J-Y Cholet, note sous TI St Denis, 25 août 1983, D 1985, p.26. 5 Discours préliminaire prononcé par Portalis devant le CE lors de la présentation du Code civil in « Naissance du Code civil », présentation de François Ewald, Flammarion, 2004. 6 Apparaissant ainsi appartenir au monde des idées cher à Aristote ! 7 Pour reprendre l’opposition relevée dans sa thèse par P-H Antonmattei, p.9 et suivantes. 8 Guide du langage juridique, 2ème édition, S. Bissardon, collection Objectif droit, Litec, 2005. 9 Cécile Chabas in « L’inexécution licite du contrat », thèse préfacée par J. Ghestin, avant propos de D. Mazeaud, LGDJ, 2002, n°2, p.3. 10 Théorie générale du droit, 4ème édition, J-L Bergel, Dalloz 2003, n°181 et suivants, p.211 et suivantes.

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« concept soupape »11, une notion à « contenu variable »12, relativement indéterminé afin de

laisser au juge une certaine latitude dans son application.

Concept du droit civil, la force majeure a vocation à intervenir dans toutes matières, droit

maritime compris. Ce droit, celui des activités que la mer détermine13, connaît toutefois un

certain particularisme dû à trois causes principales :

- Tout d’abord son objet même : élément mobile et changeant, la mer si elle ne peut

être considérée comme totalement hostile à l’homme doit au moins être reconnue

comme milieu non naturel. Les activités ayant pour cadre la mer connaissent, ainsi,

des risques particuliers. Si les progrès techniques ont indubitablement permis de

réduire ces dangers, ils n’en restent pas moins plus prégnants qu’ailleurs. Ces risques

propres au milieu maritime paraissent, intuitivement, devoir influer sur la notion de

force majeure. Le milieu étant plus hostile il devrait, logiquement, modifier la

perception de ce qu’est un évènement de force majeure et les circonstances

constitutives d’une force majeure devraient dès lors se trouver modifiées. Au-delà de

la logique, quelle est l’influence réelle de ce particularisme « maritime » sur la notion

de force majeure ?

- Ensuite, par la tradition de solidarité qui règne chez les « gens de mer ». Or, la force

majeure est toujours présentée comme exonérant un débiteur de son obligation.

Exonérant l’un, le droit, en ne prévoyant aucun mécanisme de solidarité, fait reposer le

risque sur l’autre ! Cette équité à « sens unique » est-elle conforme à la philosophie du

droit maritime ?

- Enfin, par son caractère international : les mers servent fréquemment de liaison

entre différents pays. Ces étendues d’eau connaissent ainsi des souverainetés diverses

aux frontières immatérielles et mettent très fréquemment en contact des personnes,

lieux et meubles dont les nationalités sont différentes. Le droit maritime est donc par

essence international, caractère encore renforcé par la mondialisation. A cet

11 Expression de P. Roubier in « Théorie générale du droit », JL Bergel. 12 Expression de Ch. Perelman in « Théorie générale du droit », JL Bergel. 13P. Bonassies et Ch. Scapel.

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internationalisme du droit maritime correspond le caractère universel de la force

majeure. Présente à Athènes ou Rome, cette notion se retrouve aussi bien dans les

systèmes romano-germanistes, que dans ceux des pays de common law, de droit

socialiste ou de droit à caractère religieux –ce qui donne à penser que cette notion

correspond à un certain « droit naturel ». Retrouver l’idée de force majeure (à travers

des vocables parfois différents) ne signifie pas nécessairement retrouver les caractères

du concept, ce qui pose la question de savoir comment la notion de force majeure est

appliquée par les juridictions françaises dans le cadre de contrats de transports

maritime internationaux de marchandises.

Ce particularisme du milieu maritime, et du droit afférent : un droit original mais

« dominé »14, est doublé d’un particularisme lié au contrat considéré : celui de transport de

marchandises, que l’on peut définir comme « la convention par laquelle une personne, le

transporteur, s’oblige moyennant rémunération, à déplacer une marchandise d’un lieu à un

autre »15. De contrat spécial, le contrat de transport, lorsqu’il est maritime (c'est-à-dire

effectué par voie maritime) et concerne des marchandises, devient « très spécial », selon les

termes du professeur Delebecque.

Le contrat de transport maritime de marchandises est ainsi, pour l’essentiel, soumis à un

régime largement homogène constitué de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924,

éventuellement modifiée par les protocoles de 1968 et 1979, et de la loi française du 18 juin

1966.

Le régime particulier déterminé par ces textes instaure une responsabilité de plein droit : dès

lors que les marchandises transportées subissent un dommage pendant le transport, la

responsabilité du transporteur est présumée engagée. Cette présomption reste toutefois simple

et le transporteur peut l’écarter en prouvant que le dommage est survenu dans des conditions

correspondant à l’un des cas exceptés expressément prévus par le texte applicable16.

14 P. Bonassies in « Evolutions et perspectives du droit maritime français », AFCM 2000, Le droit maritime français de l’an 2000. 15 Définition donnée par les professeurs Delebecque et Germain in Droit commercial, tome 2, 17ème édition, LGDJ, 2004, n°2700, p.698. 16 L’ayant droit marchandise pourra alors opposer la faute éventuelle du transporteur -à condition de la prouver- afin de voir cette exonération de responsabilité réduite en proportion de la faute commise.

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Il est donc possible, de même que pour les autres cas de responsabilité de plein droit, d’établir

que l’on n’est pas responsable. A la démonstration d’un cas de force majeure est ici substituée

la démonstration d’un cas excepté. Si la « technique » est différente, la finalité est identique :

exonérer le débiteur de la responsabilité découlant de l’inexécution de l’une de ses

obligations.

Le doyen Carbonnier a ainsi considéré que l’énumération des cas exceptés réalisée à l’article

38 de la loi du 18 juin 1966 s’apparentait à un « catalogue des forces majeures »17, soulignant

par là même la proximité des deux notions.

Visant notamment cette loi, les professeurs Viney et Jourdain considèrent que « parfois, la loi

se contente de mentionner certains faits comme cause d’exonération sans préciser si la force

majeure est écartée ou au moins si la liste des faits visés est limitative. Il faut semble-t-il en

déduire d’une part que la force majeure n’est pas écartée et peut toujours être invoquée

comme cause d’exonération, d’autre part que les circonstances énumérées n’ont pas à

présenter les caractères de la force majeure. C’est d’ailleurs en ce sens que s’est prononcée la

jurisprudence [Cass. Com 20 février 1990] à propos de l’application de l’article 4-2-g de la

Convention de Bruxelles du 24 août 1924 »18.

S’il semble que, contrairement à cette assertion, la notion française de force majeure soit

écartée par la Convention de Bruxelles et par la loi du 18 juin 1966, on peut s’interroger quant

à l’utilité de caractériser les éléments constitutifs de la force majeure pour reconnaître

l’existence d’un cas excepté. Les juges, de manière consciente ou non, ne cherchent ils pas à

vérifier que le cas excepté présente ces caractères ? Si tel est bien le cas, comment

l’expliquer ? Recherche d’équité ? Force de l’habitude ?

La volonté clairement exprimée du Doyen Rodière, principal acteur de la réforme du droit

maritime dans les années 60, était de calquer le régime français sur les textes internationaux

afin d’obtenir une réglementation aussi homogène que possible. Fut ainsi repris la méthode

d’énumération exhaustive des cas exceptés dégageant le transporteur de sa responsabilité,

avec toutefois une différence quant aux nombres de cas exceptés reconnus. S’il n’y a là, a

priori, que différence de méthodes, se pose la question de savoir si les juges tranchent de

17 Carbonnier, n°162, p.309. 18 Viney et Jourdain, n°404.1, p.287.

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manière identique suivant que le texte applicable soit la Convention de Bruxelles ou la loi

française. Et, pour le cas où les solutions adoptées seraient différentes, d’en comprendre les

raisons tant explicites qu’implicites.

Mais, si la Convention de Bruxelles et la loi du 18 juin 1966 régissent une grande majorité des

contrats de transport maritime de marchandises, il reste des contrats échappant à leur champ

d’application. Ces derniers se trouvent dès lors régis par le droit commun et, potentiellement,

par le droit commun français… la notion de force majeure trouvant ainsi à s’appliquer in

nominem. Le particularisme de la matière influe-t’il sur les caractères de celle-ci ?

Echappe aussi à la réglementation issue des lois de 1966 et de la Convention de Bruxelles de

1924, les questions de responsabilité délictuelle pouvant naître lors de l’exécution du contrat

de transport. Bien que la force majeure s’applique tant aux responsabilités délictuelle que

contractuelle, nous écarterons cet aspect de nos investigations afin de nous consacrer aux

relations contractuelles au contrat de transport.

De même n’étudierons-nous pas en détail la réglementation issue des Règles de Hambourg eu

égard au peu d’importance pratique de celles-ci (situation qui devrait se renforcer avec

l’entrée en vigueur de la convention CNUDCI actuellement en cours de rédaction).

L’étude de la force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises

nécessite de s’entendre sur les termes du sujet. Si la notion de « contrat de transport maritime

de marchandise » ne pose pas de problèmes particuliers19, celle de force majeure est bien plus

incertaine. La difficulté à définir cette notion, principalement liée aux divergences

jurisprudentielles et doctrinales, impose de consacrer un premier développement à la force

majeure en matière contractuelle (partie 1ère). L’objet autant que référent de notre étude ainsi

défini, nous pourrons étudier son application en matière de contrat de transport maritime de

marchandises (partie 2nde)20.

19 Bien qu’il en existe à la marge ! 20 Si cette présentation peut paraître surprenante, elle nous semble justifiée par l’impossibilité d’étudier une notion aussi floue que celle de force majeure sans avoir essayé, au préalable, d’en cerner les contours.

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-

Chapitre 1er La force majeure en matière contractuelle

Si les incertitudes semblent principalement concerner la notion de force majeure en elle-

même, c'est-à-dire les éléments nécessaires à sa qualification (Section 1ère), les effets de celle-

ci (Section 2nde) ne sont pas exempts d’interrogations.

Section 1ère Qualification de la force majeure en matière contractuelle

La notion de force majeure est proche d’autres notions dont il convient de la distinguer (sous-

section 1ère), avant d’étudier les critères nécessaires à sa qualification (sous-section 2nde).

Ss. 1ère Force majeure et notions proches

Si les rapports entre force majeure et cas fortuit focalisèrent tout d’abord l’attention de la

doctrine (sous-section 1ère), les interrogations actuelles portent plutôt sur les rapports de la

force majeure et des causes étrangères (sous-section 2nde).

I- Force majeure et cas fortuit

Force majeure et cas fortuit sont elles des notions équivalentes ? La distinction opérée par le

droit romain (A), qui semblait obsolète après avoir fait débat, pourrait retrouver une certaine

actualité avec l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile (B).

A/ Une distinction opérée par le droit romain

Le droit romain connaissait une gradation de la faute à l’origine d’une inexécution

contractuelle allant du dol, faute la plus grave, aux cas fortuit et force majeure, notions

distinctes.

- Le cas fortuit (casus) était un évènement imprévu mais non irrésistible. La prévision

du fait aurait ainsi permis d’en éviter les conséquences.

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- La force majeure (vis maior), au contraire, était un évènement irrésistible même dans

l’hypothèse où il eût été prévisible.

A cette distinction conceptuelle correspondaient des effets différents :

- La force majeure exonérait toujours le débiteur de son obligation lorsqu’elle portait

sur un corps certain, contrairement au cas où elle portait sur une chose de genre

(origine de l’adage « Genera non pereunt », aujourd’hui encore utilisé).

- Le cas fortuit, s’il entraînait la destruction d’un corps certain, exonérait également le

débiteur de sa responsabilité. Cette règle connaissait néanmoins des exceptions, cas

dans lesquels le débiteur prenait le risque à sa charge (par convention spéciale ou pour

certains contrats).

Des traces de cette distinction originelle, encore en vigueur au Moyen Age, sont décelables

dans le Code civil de 1804 qui mentionnent successivement ces deux notions aux articles

1148 et 1348, et se contente de se référer au cas fortuit en ses articles 1722 et 1882.

B/ Une distinction révolue puis réactivée ?

Le Code Napoléon est plus qu’ambigu sur la question : en plus de mentionner

successivement, et à plusieurs reprises, les notions de force majeure et cas fortuit, il utilise

aussi les termes « évènement casuel imprévu » (art 1306) et « cause étrangère » (art 1147),

tout en semblant attacher les mêmes effets à ces quatre notions.

Cette imprécision entraîna, dans le première moitié du 20ème siècle, de nombreuses

controverses doctrinales21 entre les tenants de la distinction des notions de cas fortuit et de

force majeure22 (position doctrinale au sein de laquelle tous n’étaient pas d’accord) et ceux

qui considéraient que ces deux vocables recouvraient une même notion23.

21 Pour un aperçu plus complet de celles-ci cf. mémoire de Melle Landon « La force majeure en droit maritime » CDMT 87. 22 Notamment Beudant, Radouant (« Du cas fortuit et de la force majeure », thèse Paris 1920), Colin, Capitant et Juliot de la Morandière. 23 Parmi lesquels Josserand, Tunc, Bonnecase, Planiol ou Ripert.

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Les premiers appuyaient leur analyse sur un double distinction : quant à l’origine du

dommage, le cas de force majeure étant extérieur alors que le cas fortuit était un obstacle

interne, et quant au caractère principal de ces deux faits, le cas de force majeure étant

essentiellement insurmontable et le cas fortuit principalement imprévisible –reprenant ainsi la

distinction romaine.

La seconde école, celle de l’unité de ces notions, l’a aujourd’hui emportée. Le vocable de

force majeure a largement englobé celui de cas fortuit, ce qui s’explique probablement par la

prédominance du caractère d’irrésistibilité au détriment de celui d’imprévisibilité24 (cf. infra).

Ainsi, messieurs Marty et Raynaud considéraient en 1988 qu’ « il est difficile d’attacher à ces

différences de terminologie de véritable différences de régime. On comprend donc que

l’accord se soit pratiquement fait dans la doctrine récente pour renoncer à établir une

distinction générale entre cas fortuit et force majeure qui ont un même effet exonérateur » 25.

Dix ans plus tard la pertinence de ces propos est confirmée par les professeurs Mazeaud et

Chabas qui estiment qu’ « un évènement de force majeure est un évènement anonyme,

imprévisible et irrésistible. On le désigne également sous le nom de cas fortuit. Dans le

langage juridique moderne, les deux expressions sont synonymes. Les rédacteurs de l’article

1148 les ont employées concurremment comme telles, et les tribunaux recourent

indifféremment à l’une ou à l’autre » 26.

L’assimilation des deux notions est telle que les ouvrages les plus récents passent sous silence

cette divergence doctrinale : le professeur Bénabent se contente ainsi de préciser « notion de

force majeure –que le code vise aussi volontiers sous l’appellation de cas fortuit » ; les

professeurs Viney et Jourdain27 considérant quant à eux que « bien qu’elle soit synonyme de

« cas fortuit » […] elle (l’expression force majeure) évoque plus directement la force

supérieure à celle de l’homme».

24 « La chance et le droit », thèse de A. Bénabent, LGDJ 1973. 25 Marty et Raynaud, n°552, p.694. 26 Mazeaud par Chabas, n°573, p.663. 27 Viney et Jourdain, n°392, p.264 et s.

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De même, nombre de sommaires d’ouvrages récents renvoient-ils pour la notion de « cas

fortuit » à celle de « force majeure », passant ainsi sous silence une controverse doctrinale

apparemment caduque.

L’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile, en mentionnant les deux notions

ne risque-t’il pas de réactiver la controverse ?

Si, par définition, le devenir d’un avant-projet de réforme n’est pas certain, son origine

prestigieuse devrait lui assurer, a minima, un succès d’estime propre à influencer les avis

doctrinaux et le droit positif.

Il dispose ainsi en son article 1349, le premier relatif aux causes d’exonération, que :

« La responsabilité n’est pas engagée lorsque le dommage est dû à une cause étrangère

présentant les caractères de la force majeure.

La cause étrangère peut provenir d’un cas fortuit, du fait de la victime ou du fait d’un tiers

dont le défendeur n’a pas à répondre.

La force majeure consiste en un évènement irrésistible que l’agent ne pouvait prévoir ou dont

on ne pouvait éviter les effets par des mesures appropriées ».

Ce projet distingue donc la force majeure, qu’il définit, et le cas fortuit qui ne semble être

qu’un « phénomène naturel ou évènement anonyme »28, présentant potentiellement les

caractères d’un cas de force majeure.

C’est ainsi un retour linguistique au droit romain qui est effectué ! Linguistique seulement car,

à bien lire le projet de réforme, le cas fortuit n’est qu’une des différentes causes étrangères

envisagées.

Lorsque la qualification de force majeure est juridique et entraîne l’application d’un régime

juridique particulier, le cas fortuit ne semble être qu’un phénomène physique participant de la

diversité des causes étrangères -cette dernière notion entraînant l’application d’un régime

juridique distinct de celui de la force majeure.

28 Selon la définition donnée par les professeurs Viney et Jourdain (participants à l’élaboration de l’avant-projet de réforme) lorsqu’ils entendent distinguer force majeure et cas fortuit -Viney et Jourdain, n° 395, p.269.

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Le fond du droit ne serait donc pas modifié et cette distinction sémantique paraît tout à fait

justifiée.

Si celle-ci devait réactiver une controverse oubliée, les auteurs de manuels de droit civil

devraient veiller à ne plus employer indistinctement un terme pour un autre. Mais, la lecture

de ceux-ci amène à constater qu’après avoir professé que force majeure et cas fortuit sont

synonymes, une majorité d’auteurs s’abstient d’utiliser une notion pour l’autre.

L’avant-projet de réforme semble dévoiler au grand jour une distinction qui, malgré les

apparences, est actuellement effectuée par les auteurs… louons leur sagesse et gageons que

les affres d’une nouvelle controverse doctrinale (source d’insécurité juridique) seront évités.

Si la distinction entre cas fortuit et force majeure apparaît, actuellement, implicite, celle des

notions de force majeure et cause étrangère est aussi claire qu’explicite.

II- Les relations entre force majeure et cause étrangère

La cause étrangère est « un évènement dont la personne à laquelle la responsabilité d’un

dommage est imputée cherche à se prévaloir pour démontrer que le fait qui lui est reproché

n’est pas la seule cause ni même peut-être la cause principale du préjudice invoqué »29. Son

caractère principal est donc de briser le lien de causalité entre les actes du défendeur et le

dommage subi par une autre en démontrant que la cause du dommage est « étrangère », soit

extérieur, aux agissements du défendeur, ainsi que des personnes ou biens dont il répond.

Cette notion est donc très large, et de ce fait généreuse. Elle vise tous les éléments ou facteurs

sur lesquels le défendeur n’a pas de prise –tel que le cas fortuit de l’avant-projet de réforme.

Elle se révèle aussi plus « malléable » que celle de « force majeure », c'est-à-dire plus

accueillante. En effet, son caractère principal est « l’extériorité », lorsque la force majeure

nécessite la réunion de critères distincts ou complémentaires (irrésistibilité, voire

imprévisibilité), qui se révèlent plus difficiles à établir.

29 Viney et Jourdain, n°383, p.251.

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Notion moins précise, la cause étrangère engendre aussi des conséquences plus variées,

notamment en ce que l’exonération engendrée par la preuve d’une cause étrangère peut n’être

que partielle (ce qui n’est pas le cas de la force majeure selon une majorité de la doctrine –cf

infra).

Comme le soulignent les professeurs Carbonnier30, Fabre-Magnan31 ou Bénabent32, chacune

des notions mentionnées évoquent un caractère particulier : la « cause étrangère » :

l’extériorité, le « cas fortuit » : l’imprévisibilité et la « force majeure » : l’irrésistibilité.

Chaque expression, employée pour désigner des réalités souvent très proches les unes des

autres, met ainsi en exergue l’un des caractères traditionnellement exigé par la jurisprudence

pour qualifier un évènement de cas de force majeure.

30 Carbonnier, n°162, p.308. 31 Fabre-Magnan, n°270, p.736. 32 Bénabent, n°332, p.252.

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Ss. 2nde Les critères de qualification de la force majeure

Que l’on considère les vocables de « force majeure », « cas fortuit » ou « cause étrangère »,

force est de constater que le Code civil n’en donne aucune définition. Ceci s’explique par la

volonté des rédacteurs du Code civil de rédiger un « Code ouvert », selon J.L. Halpérin

« Convaincus que les détails devaient être l’œuvre des jurisconsultes, les rédacteurs du Code

civil ont laissé une assez large carrière à l’interprétation jurisprudentielle »33; idée que l’on

retrouve dans le discours de présentation du Code civil prononcé par Portalis.34

La définition des critères de qualification d’un évènement en cas de force majeure a ainsi été

l’œuvre de la jurisprudence, influencée par la doctrine. De manière traditionnelle trois critères

furent ainsi dégagés. Si leur réunion semble devoir entraîner une qualification incontestable

de l’évènement en cas de force majeure, la réunion de deux de ceux-ci, ou même parfois la

présence de l’unique critère d’irrésistibilité35, peut s’avérer suffisante pour engendrer une

qualification aux conséquences importantes.

La détermination des critères nécessaires à la qualification de force majeure n’est donc pas

évidente, mais la complexité réside aussi, si ce n’est surtout, dans l’appréhension de chacun

d’entre eux. En effet, suivant que l’on opte pour une appréciation in abstracto ou in concreto

la définition du critère se trouve bouleversée.

De plus, si chaque critère doit en principe faire l’objet d’une qualification autonome, ils ne

sont pas totalement indépendants. Ainsi, un évènement imprévisible sera plus difficilement

résistible qu’un évènement annoncé.

Nous étudierons donc chacun de ces trois critères en nous attachant à la manière dont ils sont

appréciés, en commençant par l’irrésistibilité (I) qui « dans l’océan de controverses que

suscite la qualification de force majeure […] semble être un îlot de certitudes »36, avant de

nous intéresser aux critères d’imprévisibilité (II) et d’extériorité (III).

33 « Le Code civil », JL Halpérin, 2ème édition, Dalloz, Connaissance du droit, 2003. 34 Cf. introduction. . 35 En ce sens : Cass. Civ. 1ère 9 mars 1994, Com 1er octobre 1997, 16 mars 1999, Civ. 1ère 6 novembre 2002. 36 Antonmattéi, n°77, p.58.

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I- L’irrésistibilité –« A l’impossible nul n’est tenu »

Plus que dans la définition (A), la difficulté réside, pour le caractère irrésistible, dans son

appréciation (B).

A / Définition de l’irrésistibilité

Est irrésistible l’évènement contre lequel le débiteur ne peut rien faire lorsqu’il se produit,

celui qu’il ne peut combattre et qui rend impossible l’exécution de l’obligation contractuelle37.

Cette définition abstraite ne prend tout son sens qu’à travers l’appréciation de la capacité du

débiteur à résister à un évènement.

Celle-ci paraît résulter de la conjonction de deux facteurs :

- les caractéristiques de l’évènement en tant que tel,

- la capacité de résistance du débiteur.

La jurisprudence française a toujours opté pour une appréciation relativiste de la force

majeure, c'est-à-dire prenant en compte les circonstances de temps, de lieu, économiques…

par opposition à une appréciation « absolue » qui considère que certains faits sont par eux

mêmes des cas de force majeure38. Si cette dernière solution présente les avantages de

simplicité et sécurité juridiques, l’appréciation « relative » des caractéristiques de l’évènement

pourrait sembler relativement aisée dès lors qu’elle dépend de faits objectifs le plus souvent

quantifiables, par exemple des vents d’une force déterminée, une décision d’une autorité

imposant une quarantaine, un glissement de terrain d’une surface donnée…

S’il est effectivement des cas dans lesquels les faits sont ainsi établis, la réalité n’est pas

toujours aussi univoque. Peut ainsi se poser la question de savoir à quel moment précis une

tempête est devenue irrésistible. Puisque, si le navire a sombré avant cet instant, n’est pas en

cause un évènement de force majeure.

L’appréciation de la capacité de résistance du débiteur est, quant à elle, systématiquement

délicate et dépend largement du référent servant à la mesurer.

37 D’après Jourdain, « Les principes de la responsabilité civile », 5ème édition, Dalloz, 2000. 38 Viney et Jourdain, n°398, p.274.

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En matière contractuelle l’irrésistibilité n’est plus caractérisée par l’impossibilité absolue

d’exécuter, contrairement à ce que considéraient les professeurs Mazeaud et Chabas39. Cette

impossibilité doit cependant être définitive pour jouer pleinement : si elle n’est que

temporaire40 elle n’entraînera que la suspension de l’exécution du contrat41. Cette solution,

que le bon sens autant que l’équité approuvent, interroge tout de même quant au caractère

« irrésistible ». Admettre une irrésistibilité temporaire est, a minima, très souple.

Il semble, en réalité, qu’il n’existe pas d’irrésistibilité temporaire puisque l’écoulement

du temps rend résistible l’évènement. La modulation de l’effet attaché à cette « force

majeure temporaire » (formule quasiment antinomique), rend toutefois cette solution

particulièrement adaptée42.

Ne se pose au final qu’une question : n’ayant pas réellement les caractères d’un cas de force

majeure (il n’est même pas réellement irrésistible) et n’en produisant pas les effets

traditionnels [il y a suspension du contrat43 et non résolution (ou caducité cf. infra)] peut-on

parler de cas de force majeure, même temporaire ?

Nous ne sommes pas persuadés qu’une rigueur, toute juridique, sa satisfasse de cette notion.

Pourtant, force est de constater qu’elle n’est pas contestée. Elle présente, en outre, le mérite

d’être appliquée « dans la plupart des Etats européens ainsi que dans la Convention de Vienne

de 1980 »44. Nous ne pousserons donc pas plus loin la critique d’une notion acceptée par tous

et dont les effets paraissent satisfaisants.

39 Mazeaud par Chabas, n°576, p.665. 40 Il est toutefois notable que « dans bien des situations, la détermination de la durée de l’impossibilité est malaisée : d’un côté, l’obstacle que l’on croyait définitif disparaît (l’interdiction est levée contre toutes attentes) ; de l’autre l’obstacle provisoire se prolonge (la maladie du cocontractant s’aggrave) ou s’éternise (le malade décède. » Yves-Marie Laithier, dans sa thèse « Etude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat », préface de Horatia Muir Watt, LGDJ, 2004, n°241 et suivants, p.326 et suivantes. 41 Civ. 15 février 1888, Req. 12 décembre 1922, Cass. Civ.1ère 24 février 1981, Cass. Com. 27 mars 1990, Cass. Civ. 3ème 22 février 2006. 42 Cf. sur ce point « La suspension du contrat a exécution successive », J-F Artz, Dalloz 1979, chronique XV qui écrit notamment que « tant que subsiste une chance de survie du contrat, sa suspension apparaît préférable à sa disparition pure et simple ». 43 Sur les interrogations relatives au fondement juridique de cet effet, cf. l’article de J-F Artz précité. 44 Christophe Radé in « Les concepts contractuels français à l’heure des principes du droit européen des contrats », sous la direction de Pauline Rémy-Corlay et Dominique Fenouillet, Dalloz, 2003.

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De même le caractère irrésistible signifie que tout moyen permettant d’atteindre un même

résultat doit être mis en œuvre : il n’existe pas de « force majeure financière »45, ni de force

majeure concernant la disparition des choses de genre qui, en vertu de l’adage latin « genera

non pereunt », ne périssent pas46.

Le rejet de la « force majeure financière », fondé sur le principe de la force obligatoire du

contrat (art 1134 alinéa 1er), fait l’économie de la notion de bonne foi (art 1134 alinéa 3) qui

voudrait qu’un bouleversement de l’économie du contrat entraîne une discussion quant à ses

conditions d’exécution. Si elle apparaît cohérente avec le rejet de la théorie de l’imprévision47,

elle semble faire primer un principe juridique sur un autre, tout aussi légitime, et sur le

principe de réalité48. Quitte à faire primer un principe sur un autre, ce qui apparaît inévitable

face à une telle confrontation, nous préférerions que celui de bonne foi l’emporte, au profit du

réalisme économique, en veillant ainsi à faire respecter l’impératif représenté par le concept

de l’équilibre contractuel49.

Nous souscrivons ainsi entièrement aux propos du professeur Pascal Ancel lorsqu’il écrit

« Christophe Jamin a montré en d’autres lieux, à propos du problème de l’imprévision, que,

dans l’article 1134, l’alinéa 1 ne pouvait être lu indépendamment de l’alinéa 3, il ne peut pas

l’être non plus sans le complément de l’article 1135. La bonne foi du premier, l’équité visée

par le second peuvent alors être comprises comme des éléments permettant de déterminer le

contenu exact de la norme contractuelle ; ces notions ouvrent au juge le pouvoir, sans

aucunement violer le principe de la force obligatoire de cette norme, de s’écarter d’une

application stricte, mécanique, de ce qui a été voulu par les parties »50.

Nous ferons d’ailleurs remarquer qu’il est, en pratique, abscons d’obliger un contractant à

exécuter un contrat qui le ruine : cette solution rigoriste n’aura aucun avenir puisqu’il va

mener à la faillite de l’une des parties, c'est-à-dire à la fin du contrat. Cela n’est bénéfique ni

au créancier, ni au débiteur, ni à la société. Si la parole donnée engage, il faut se conduire en

45 Selon l’expression des professeurs Malaurie et Aynès ; Cass. Civ. 4 août 1915, Civ. 5 décembre 1927, Com 12 novembre 1969, Com. 4 janvier 1980, Soc. 20 février 1996, Civ.1ère 16 novembre 2004. 46 Cf. notamment Cass. Com. 4 janvier 1980, Soc. 19 décembre 1990, CA Paris 19 avril 1991. 47 Cass. Civ. 6 mars 1876, affaire du « Canal de Craponne », puis Civ. 2 décembre 1947 ou Soc. 12 mai 1965. 48 Le doyen Carbonnier souligne que cette solution est « marqué(e) par un libéralisme économique qui ne s’interdisait pas de paraître impitoyable » -Carbonnier, n° 166, p.313. 49 Cf. « L’équilibre contractuel », thèse de L. Fin-Langer, LGDJ 2002. 50 « La force obligatoire, jusqu’où faut il la défendre », article de P. Ancel in La nouvelle crise du contrat, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Dalloz, 2003, p.163 et s.

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adultes responsables : le bouleversement des conditions d’exécution d’un contrat doit

connaître des effets juridiques adaptés permettant sa continuation à des conditions acceptables

par chacun des cocontractants.

Disant cela nous ne voulons aucunement remettre en cause la force obligatoire du contrat qui

interdit, avec la bonne foi, que le contrat soit renégocié pour tout évènement imprévu. Si

l’exécution d’un contrat s’avère plus onéreuse que prévue pour le débiteur en raison d’un

évènement imprévisible et irrésistible, il doit, sauf à engager sa responsabilité contractuelle,

exécuter son obligation. La jurisprudence tranche en ce sens.51

Un même évènement menant à la ruine l’un des cocontractants doit, à notre sens, être qualifié

de force majeure : il échappe aux capacités humaines de résistance.

Enfin, le fait que l’exécution du contrat soit devenue sans intérêt pour l’une des parties n’est

pas non plus un cas de force majeure puisque l’exécution reste possible (ex : com 23 janvier

1968). Cette solution est bonne : si l’équité ne doit mener à la ruine, elle ne doit pas non plus

rendre le contrat trop fragile.

B/ Une appréciation in abstracto contestable

Le professeur Tunc soulignait que la force majeure n’est pas la vis maxima, mais bien la vis

maior, concept moins exigeant52. Cette idée est reprise par les professeurs Malaurie, Aynès et

Stoffel-Munck qui considèrent qu’il n’est pas attendu du débiteur d’être un surhomme, ce que

le doyen Carbonnier exprime en ces termes : « philosophiquement, c’est la conception relative

qui a raison : l’absolu n’est pas de ce monde »53.

Le débiteur ne doit donc résister que dans la mesure du possible, tout au moins depuis

que la Cour de cassation a « humanisé les standards en adjoignant l’adverbe « normalement »

51 Ex : le transporteur maritime qui s’est engagée à emmener des pèlerins en Terre sainte ne peut invoquer la grève des marins dès lors qu’il pouvait recourir à un transport aérien pour exécuter son obligation (à des conditions plus onéreuses) –Cass. Civ. 1ère 8 décembre 1998. Mais aussi Civ. 4 août 1915, 17 novembre 1925, Com. 18 janvier 1950, Soc. 8 mars 1972. 52 « Force majeure et absence de faute contractuelle », RT, 1945. 53 Carbonnier, n°165, p.312. Le « Doyen maritime » partageait d’ailleurs cette vision : il préconisait d’entendre imprévisibilité et insurmontabilité de façon humaine et non absolue –Traité, t. II, n°630, p.271.

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aux mots d’imprévisibilité et d’irrésistibilité »54. Est alors posée la question de savoir si l’on

doit apprécier le possible en fonction de l’homme raisonnable, du fameux « bon père de

famille » -ici mué en « débiteur normalement diligent »- c'est-à-dire in abstracto ou en prenant

en compte les caractéristiques propres au débiteur, c'est-à-dire in concreto.

Il est généralement considéré que l’appréciation in abstracto rend les décisions plus

prévisibles, au bénéfice de la sécurité juridique, dès lors qu’elle doit (en principe) donner une

même solution pour deux situations identiques quelque soit le débiteur.

Mais, à cet égard une remarque doit être faite : le créancier contracte avec un débiteur donné,

jamais avec le débiteur moyen ! Il prend donc en considération les caractéristiques de celui-ci

qui peuvent être moins bonnes ou meilleures que celles du cocontractant normalement

diligent. En général le prix de la prestation s’en trouve affecté. Celui-ci, qui constitue la

contrepartie la plus fréquente dans le cadre d’un contrat synallagmatique, correspond tout à la

fois au contenu de l’obligation et à la personnalité du débiteur.

Or, de ces deux notions découle la diligence due et attendue. Si les débiteurs offrent leur

service pour un prix différent c’est, souvent, que la qualité de ceux-ci n’est pas en tout point

égale (tous les professionnels ne sont pas aussi compétents). De même, est-il fréquent qu’un

débiteur propose un service similaire pour un prix plus ou moins élevé en fonction de la

qualité du service rendu, c'est-à-dire de la diligence que le créancier est en droit d’exiger.

Finalement, ce qui singularise la situation contractuelle réside dans la liberté de choix de

son cocontractant. L’appréciation de la résistibilité des évènements doit nécessairement

s’en trouver affectée.

Ainsi, l’affréteur de l’Erika ne devait-il pas s’attendre, payant un fret deux fois

inférieur à celui du marché, à se voir offert un navire en très bon état et réellement « apte à

affronter les périls de la mer ». Certes, le navire était classé et la navigabilité est une condition

essentielle dans le cadre d’un affrètement. Pour autant, un certain réalisme incite à considérer

que, le plus souvent, « on en a pour son argent ». En payant peu, un créancier ne peut

s’attendre à beaucoup en retour, l’économie est sur ce point implacable.

54 « Le fait du créancier contractuel », thèse de Christophe André, LGDJ, 2002, n°481, p.145 mentionnant à l’appui de cette assertion plusieurs arrêts : Cass. Civ.2ème 25 janvier 1956, 29 juin 1966, 6 juillet 1977 & 21 janvier 1981.

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Surtout, en cas d’évènement imprévu (sans même parler ici de cas de force majeure) tel qu’un

retard ou la nécessité de réaliser une escale imprévue, les obligations du transporteur à l’égard

du passager seront différentes. Certes la loi impose un certain standard de prise en charge des

passagers dans de telles situations. Dépendra cependant du prix acquitté la qualité des

prestations offertes : il est peu probable que le passager « low cost » ait accès au même salon

privé que le passager de la classe affaire. Il est aussi vraisemblable que le confort de l’hôtel ou

la qualité du restaurant proposés par la compagnie aérienne seraient quelque peu différents.

Le créancier, suivant la personne avec laquelle il a contracté et suivant la contrepartie versée

(le plus souvent un prix) va donc pouvoir s’attendre à une capacité de résistance plus ou

moins grande de son débiteur. On retrouve ici la notion de « degré de diligence » que le

professeur Stoffel-Munck mentionne à propos de l’imprévisibilité en matière contractuelle (cf.

infra).

Sauf à considérer le cas du débiteur « moyen » correspondant en tout point au référent, la

solution engendrée par une conception abstraite sera injustifiée :

- Si le créancier choisit un débiteur dont il est en droit d’attendre un niveau d’excellence

(au regard de sa réputation, du prix facturé ou des dires de celui-ci) il risque de se

trouver lésé55 par un niveau d’exigence moyen des juges à l’égard du débiteur.

- Au contraire, en choisissant un débiteur offrant ses services à moindre coût le

créancier privilégie le prix à la qualité. Partant, il n’est en droit d’attendre de son

débiteur qu’une résistance inférieure à celle du débiteur moyen. Ce dernier risque donc

de se trouver lésé par une appréciation abstraite du caractère résistible.

Pour autant, la jurisprudence semble privilégier une appréciation in abstracto de

l’irrésistibilité et recherche si un individu moyen placé dans les mêmes circonstances aurait

pu normalement y résister56. Cette conception, parfaitement justifiée en matière délictuelle,

est à nos yeux injustifiée en matière contractuelle de part le choix d’un cocontractant et de

toutes ses caractéristiques.

55 Dans le sens commun de ce terme et non dans son acception juridique. 56 Cependant « plus rarement, les tribunaux sont plus indulgents et font état de considérations personnelles au débiteur afin de juger l’évènement » in Malaurie, Aynès, Stoffel-Munck.

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A nos yeux, l’importance de la prévision en matière contractuelle (spécificité que l’on

retrouve notamment en matière de réparation des préjudices subis –art 1150 du Code civil :

« Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu

prévoir lors du contrat […] ») justifierait une appréciation in concreto.

Le caractère irrésistible est la condition sine qua non de la qualification de force majeure :

malgré les controverses jurisprudentielles aucun arrêt n’a, à ce jour et à notre connaissance,

fait l’économie de ce critère pour qualifier un cas de force majeure57 –contrairement à celui

d’imprévisibilité.

II- L’imprévisibilité –« Un homme avisé en vaut deux »

Sauf à dire qu’est imprévisible ce qui ne peut être prévu, la définition de cette notion nécessite

de s’intéresser à la manière dont elle est appréciée (A). La doctrine n’en reste pas moins

hostile à ce critère (B).

A/ Appréciation de l’imprévisibilité

Une appréciation adéquate de cette notion semble délicate tant l’excès est aisé : il est tentant

de considérer que tout évènement, dès lors qu’il n’est pas nouveau, était prévisible58 ou, a

contrario, qu’il est impossible de tout prévoir. Le danger réside d’ailleurs tout autant dans une

appréciation trop abstraite de la notion de prévisibilité, tendance à laquelle la jurisprudence

succomba selon Radouant qui écrit, en 1920, « en réalité ce n’est pas la prévisibilité que l’on

envisage, mais la probabilité »59.

La jurisprudence a opté, depuis, pour une appréciation in abstracto « raisonnée »

consistant à estimer qu’un évènement est imprévisible dès lors qu’il n’y avait « aucune raison

57 Cf. arrêts de la Cour de cassation supra, note 15. 58 Ainsi la Cour de cassation refusait elle, dans un premier temps de reconnaître la grève comme un cas de force majeure en considérant qu’une grève est toujours prévisible dans une entreprise -Civ. 1ère 7 mars 1966. Fut aussi avancée l’idée selon laquelle la souscription d’une assurance pour un type de dommages démontrait son caractère prévisible –conception aujourd’hui abandonnée. 59 In « Du cas fortuit et de la force majeure », thèse, Paris, 1920.

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particulière pour un homme raisonnablement avisé de penser qu’il se produirait »60. Ce n’est

donc pas une prévisibilité abstraite et générale, pour chaque type d’évènements, mais bien par

rapport à « l’homme normalement attentif et prévoyant placé dans les mêmes

circonstances »61.

Au crédit de l’arrêt d’Assemblée Plénière du 14 avril 2006 doit être porté la confirmation

d’une jurisprudence constante : en matière contractuelle l’imprévisibilité s’apprécie lors de la

conclusion du contrat62. Ce rappel est particulièrement bienvenu car, comme le souligne une

doctrine importante63, si un évènement était prévisible lors de la conclusion du contrat il est

entré dans la sphère contractuelle et les contractants devaient en tenir compte lors de la

définition des obligations de chacun.

Les effets sur le contrat de la survenue de cet évènement imprévisible lors de sa conclusion

dépendent du « degré de diligence »64 attendu du débiteur. Celui-ci sera normal faute de

stipulation précise, accru si l’obligation est de résultat, et pourra être modulé par les clauses

contractuelles.

Cette notion de « degré de diligence attendu » est particulièrement importante, elle

s’attache au caractère imprévisible et non pas imprévu de l’évènement. La comparaison

de ces deux termes souligne le caractère intrinsèquement abstrait de la notion :

- Si le terme employé avait été « imprévu » eut été en cause la force obligatoire du

contrat et le rejet de la théorie de l’imprévision aurait trouvé à s’appliquer. Il eut alors

fallu s’intéresser aux prévisions concrètes des parties.

- Par contre l’emploi du terme « imprévisible » s’attache clairement a ce qui aurait dû

être prévu, et non ce qui a été réellement envisagé.

60 Civ. 21 janvier 1918, Civ. 1ère 7 mars 1966. 61 Les principes de la responsabilité civile, 5ème édition, Patrice Jourdain, Dalloz, 2000, p.86. 62 Cass. Civ.1ère 7 mars 1966, Com 21 novembre 1967, Chambre mixte 4 février 1983, 3ème espèce, Civ.1ère 18 mai 1989, Com 3 octobre 1989, Civ.1ère 4 février 1997. 63 Les professeurs Stoffel-Munck, Jourdain, Carbonnier, Terré, Simler, Lequette, Larroumet et Sériaux notamment. 64 Selon l’expression du professeur Stoffel-Munck, note JCP édition générale, 2006, I, 1646.

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L’évaluation de l’ampleur de ce qui devait être prévu par le débiteur correspond, en

réalité, au degré de diligence attendu du débiteur. Les professeurs Viney et Jourdain

écrivent ainsi que « l’imprévisibilité n’est autre, finalement, que l’absence de faute dans la

prévision de la cause étrangère : l’évènement imprévisible est celui que l’agent n’est pas en

faute de ne pas avoir prévu »65.

L’appréciation de la prévisibilité lors de la conclusion du contrat correspond donc à la force

obligatoire du contrat, aux suites normales du contrat66 et au principe de bonne foi : comment

se prévaloir de la survenance d’un élément dont on devait avoir conscience lors de la

conclusion du contrat ? Cela reviendrait à se prévaloir de sa faute pour s’exonérer de sa

responsabilité ! L’imprévisibilité n’est donc qu’ « un critère d’attribution des risques »67.

De ce que la prévisibilité d’un évènement est appréciée lors de la conclusion du contrat il ne

faudrait toutefois pas tirer de conclusions excessives : si un évènement devient prévisible

entre la conclusion et l’exécution de son obligation par le débiteur, celui-ci ne devrait pouvoir

s’abriter derrière l’imprévisibilité lors de la conclusion du contrat. Le risque lié à une

conception trop manichéenne de ce principe est d’autant plus grand que le contrat produit ses

effets sur une période longue.

Là encore, le principe de bonne foi doit prendre le relais et venir tempérer une appréciation

qui risquerait d’être trop rigoriste pour régir une réalité nuancée : la prévisibilité d’un

évènement lors de la conclusion du contrat le fait entrer dans la sphère contractuelle (art 1134

al 1er du Code civil). Si un évènement devient prévisible en cours d’exécution le débiteur doit

prendre toutes les mesures pour en prévenir la survenance et les conséquences fâcheuses, la

bonne foi et les suites normales du contrat l’imposent (art 1134 al3 et 1135 du Code civil).

L’appréciation de l’imprévisibilité en matière contractuelle, pour laquelle nous tenons, n’a

plus grand-chose à voir avec la notion d’impossibilité d’exécution… le critère

d’imprévisibilité est-il bien adapté à la caractérisation de la force majeure en matière

contractuelle ? Avec d’autres, plus nombreux et surtout plus savants, nous en doutons.

65 Viney et Jourdain, n°399, p.279. 66 C'est-à-dire « à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature » pour reprendre les termes exacts de l’article 1135 du Code civil. 67 Antonmattei, n°74, p.56.

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B/ Un critère controversé

L’imprévisibilité est la condition la plus controversée tant au plan doctrinal que

jurisprudentiel. Ce critère a successivement été abandonné par la 1ère chambre civile68, suivie

da la chambre commerciale69, de la chambre sociale70 et enfin de la chambre criminelle71. Au

final, et avant l’arrêt d’Assemblée Plénière du 14 avril 2006, seule la 2ème chambre civile72

continuait à se référer à cette notion pour caractériser un évènement de « force majeure ».

A cet égard, les arrêts d’Assemblée plénière du 14 avril 2006 ont été considérés par la

doctrine comme particulièrement obscurs : s’ils constatent la présence des critères

d’imprévisibilité et d’irrésistibilité ils n’imposeraient pas pour autant la réunion de ces deux

critères. Il ne fait donc pas de doute qu’un évènement imprévisible et irrésistible soit un cas de

force majeure… mais pour un évènement irrésistible et prévisible, qu’en est -il ?

Dans un communiqué rédigé par la Cour de cassation au sujet de cet arrêt, celle-ci précise que

la condition de prévisibilité est toujours exigée. S’il on peut s’interroger sur la portée de ce

communiqué73, il doit toutefois être remarqué que les différents commentateurs furent

quelque peu partiaux dans leur exégèse de ces arrêts.

Certes, les deux arrêts de la Cour de cassation semblent caractériser un cas de force majeure

en présence d’un évènement imprévisible et irrésistible sans préciser que la réunion de ces

deux critères est consubstantielle à la notion de force majeure. Pour autant, le fait que ces

deux arrêts soient rendus le même jour par la formation la plus solennelle de la plus haute

juridiction de l’ordre judiciaire, et que celle-ci vienne ensuite rédiger un communiqué

explicite, laisse à penser que ces deux arrêts n’avaient pas pour vocation unique de confirmer

une solution jurisprudentielle acquise.

68 Cass. Civ.1ère : 9 mars 1994, 17 novembre 1999, 6 novembre 2002. 69 Cass. Com. 1er octobre 1997, 16 mars 1999, 29 mai 2001, 26 juin 2001. 70 Cass. Soc. 12 février 2003. 71 Cass. Crim. 15 novembre 2005. 72 Cass. Civ.2ème 13 juillet 2000, 11 janvier 2001, 12 décembre 2002, 23 janvier 2003 (2 arrêts). 73 « Sources du droit en droit interne », Pascale Deumier et Rafael Encinas de Munagorri, RTD civ. juillet/septembre 2006, p.510 et suivantes.

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Bien que leur formulation soit maladroite, il semble que la volonté de la Cour de cassation de

trancher une controverse doctrinale est suffisamment claire pour ne pas prétendre que les

décisions ne posent pas une solution certaine… tout au moins formellement, comme le

soulignent les professeurs Jacques et Brun.74

S’il faut sans doute critiquer ces décisions, il paraît difficile de s’abriter derrière leur

formulation approximative pour en contester la portée : la confirmation de l’exigence du

critère d’imprévisibilité comme participant de la notion de force majeure. Reste à savoir,

notamment en raison de l’opposition d’une grande majorité de la doctrine, quel sort sera

réservé à cette solution de principe.

Nombreux sont les auteurs considérant que l’imprévisibilité n’est qu’un « indice »75 du

caractère irrésistible, qu’elle ne prend son sens qu’en ce qu’elle facilite ou rend plus difficile

la résistance à l’évènement.

Nous partageons cet avis, en effet l’appréciation du caractère irrésistible devrait, a minima,

être modulée en fonction de la possibilité de l’anticiper :

- Si l’évènement était prévisible, c'est-à-dire que dans le contrat considéré le débiteur

(avec ses compétences propres et suivant la diligence à laquelle il s’est obligé) devait

le prévoir, l’appréciation devra alors être plus stricte. En effet la bonne foi

contractuelle, autant que son engagement initial, lui impose de prendre les dispositions

pour parer à cet évènement.

- S’il n’était pas prévisible, c'est-à-dire que dans le contrat considéré le débiteur (avec

ses compétences propres et suivant la diligence à laquelle il s’est obligé) n’avait pas à

le prévoir, le juge devra être plus indulgent. L’effet de surprise venant alors réduire la

capacité de résistance que le créancier pouvait attendre du débiteur (à qui il n’est pas

demandé d’être un surhomme).

74 Ph. Brun et Ph. Jacques « Responsabilité, panorama 2006 », revue Lamy, supplément au n°35, février 2007. 75 Terme utilisé par le professeur Antonmattei dans sa thèse, auquel se sont ralliés les professeurs Viney, Jourdain, Brun ou Moury (dans son article « Force majeure : éloge de la sobriété », RTD 2004, p.477).

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Mais, à vrai dire, une solution encore plus convaincante, proposée par le professeur

Antonmattei dans sa thèse et aujourd’hui soutenue par nombre d’auteurs, consisterait à

remplacer le critère de l’irrésistibilité par celui de l’inévitabilité76 pour obtenir une nouvelle

trilogie : irrésistibilité, inévitabilité et impossibilité d’exécution.

Est inévitable un évènement qui, même prévu, n’aurait pu être empêché ni ses conséquences

éludées (par exemple : glissement de terrain, fait du prince, tsunami, ouragans saisonniers ou

autre évènement naturel d’une violence exceptionnelle). Dans ce cas le fait que toutes les

précautions possibles77 aient été prises par le débiteur pour éviter l’évènement de force

majeure et ses conséquences ou, à tout le moins et faute de mieux, en réduire les effets

dommageables, caractériserait le critère d’irrésistibilité.

Il est un fait, encore démontré en ce mois d’août 2007 par le tremblement de terre survenu au

Pérou ou par l’ouragan Dean, qu’un évènement prévu peut être totalement irrésistible. Le

caractère inévitable de l’évènement rend sa prévision largement inutile.

Cette substitution de critère serait avant tout sémantique car, comme le démontre le professeur

Antonmattei, ce critère semble déjà être appliqué de manière implicite78 ou explicite, par

exemple à travers la formule « l’irrésistibilité de l’évènement est à elle seule constitutive de la

force majeure lorsque sa prévision ne saurait permettre d’en empêcher les effets, sous réserve

que le débiteur ait pris toutes les mesures requises pour éviter la réalisation de

l’évènement »79.

Au final, le caractère imprévisible reste donc contesté. Si l’Assemblée Plénière a tenté de lui

redonner ses lettres de noblesse, il est fort probable que, influencés par les critiques de la

doctrine, les juges du fond et certaines chambres de la Cour de cassation continuent à

s’abstenir d’exiger ce critère pour caractériser la force majeure.

76 Critère connu du droit espagnol (art 1105 du Code civil) et de la CMR (art 17 §2), et auquel se réfère l’avant-projet de réforme de la responsabilité (art 1349 du Code civil envisagé) –cf. supra. La jurisprudence le caractérise d’ailleurs parfois –Cf. infra, note 59. 77 Devant, à notre sens, être là aussi appréciées in concreto c'est-à-dire en fonction des compétences du débiteur et de la diligence à laquelle il s’est obligé. 78 A bien y regarder il semble ainsi que l’exonération de responsabilité pour maladie réalisée par l’arrêt d’Assemblée Plénière du 14 avril 2006, corresponde plus à une inévitabilité de la maladie qu’à un caractère réellement imprévisible de celle-ci. 79 Cass. Com. 1er octobre 1997 et, avec des motifs semblables : Civ. 1ère 7 mars 1966, Civ. 1ère 9 mars 1994, Com. 30 juin 2004.

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Plus qu’un critère autonome l’imprévisibilité devrait être considéré comme modulant la

notion d’irrésistibilité. Le professeur Fabre-Magnan80 considère même que pour la doctrine

et la jurisprudence les critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité tendent à ne plus faire

qu’un, le second critère étant celui de l’extériorité.

III- L’extériorité

Le critère d’extériorité est « probablement celui qui suscite le plus grand nombre

d’interrogations, celui qu’il convient d’isoler car il est, d’une certaine façon et plus que

d’autres, symbolique de toute l’évolution suivie par les mécanismes de responsabilité

civile »81 ! Si une doctrine majoritaire considère qu’il n’est pas consubstantiel à la notion de

force majeure (B), sa définition (A) semble en elle-même problématique.

A/ Définition

Si les auteurs s’accordent pour qualifier d’extérieur au débiteur ce qui est étranger à sa

personne ou aux biens et/ ou personnes dont il doit répondre, se pose la question de savoir si

l’extériorité doit être entendue au sens physique ou moral. Les professeurs Malaurie, Aynès et

Stoffel-Munck considèrent, en outre, que cette notion « flottante » « doit être appréciée non en

fonction de critères exclusivement juridiques, mais des relations effectives entre le débiteur et

la « cause » du dommage »82. A ces divergences doctrinales correspond une jurisprudence qui

n’est pas réellement homogène sur ce point83.

La notion d’extériorité ne visait, dans un premier temps, que « la responsabilité du fait des

choses en matière délictuelle afin que le gardien n’échappe pas à la construction que la

jurisprudence élevait à son encontre »84. Elle exprimait ainsi l’idée que la défaillance d’un

80 Fabre-Magnan, n° 270, p.736. 81 Isabelle Guyot, « Le caractère extérieur de la force majeure », RRJ 2002-1, p.216. 82 Malaurie, Aynès, Stoffel-Munck, n°956, p.502. 83 Cf. par exemple les arrêts relatifs à la grève –infra, note 66. 84Ph. Brun et Jacques « Responsabilité, panorama 2006 », revue Lamy, supplément au n°35, février 2007.

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objet nécessaire à la réalisation de son obligation ne pouvait être invoquée par le débiteur.

C'est-à-dire qu’un évènement ne peut être libératoire qu’à condition de se produire en dehors

de la sphère dont le débiteur doit répondre (cf. supra les développements relatifs à

l’imprévisibilité).

Ce n’est donc, dans cette conception, que « l’expression d’une garantie » et la « traduction,

en négatif, et au regard des caractères de la force majeure, de l’existence positive des diverses

responsabilités (délictuelle ou contractuelle) du fait d’autrui et du fait des choses » pour

reprendre les propos du conseiller rapporteur Petit lors des arrêts d’Assemblée Plénière du 14

avril 2006.

Cette règle paraît de bon sens, ainsi un transporteur routier ne peut invoquer la défaillance de

la motorisation de son tracteur pour dégager sa responsabilité (seul le transporteur maritime le

peut, mais sous conditions comme nous le verrons). Là encore, la détermination des limites

de l’obligation contractuelle du créancier paraît primordiale : est extérieur, en tant que

critère de la force majeure, ce qui n’est pas inclus dans celles-ci.

Les professeurs Viney et Jourdain écrivent, ainsi, à propos de la notion de cause étrangère qu’

« elle signifie tout simplement que le défendeur ne peut invoquer, pour échapper à sa

responsabilité ni un fait qu’il aurait lui même provoqué ou à l’origine duquel il serait, ni un

fait dont une règle juridique quelconque lui impose précisément de garantir les conséquences

dommageables pour les tiers »85.

Ils s’accordent ainsi avec les professeurs Jacques et Yvonne Flour, Aubert et Savaux qui

considèrent avec sagesse que si la nécessité de ce caractère est contestée « elle s’impose

cependant, en ce sens qu’il paraît inconcevable que le débiteur puisse revendiquer

l’exonération de sa responsabilité en considération d’un évènement qui lui serait

personnellement imputable »86.

85 Viney et Jourdain . 86Flour, Aubert, Flour et Savaux, n°211, p.158.

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En réalité, l’idée que l’évènement doit être extérieur au débiteur paraît redondante soit par

rapport à son caractère irrésistible soit par rapport à la notion de bonne foi :

- Soit le débiteur a la capacité d’empêcher la survenance de l’évènement, auquel cas

celui n’est de toute évidence pas irrésistible. Et, en plus de ne pouvoir invoquer la

force majeure, le débiteur serait de mauvaise foi dans le cadre de l’exécution du

contrat.

- Soit le débiteur ne dispose pas du pouvoir d’influer sur la survenance de l’évènement

et ce dernier ne pourra être réellement considéré comme non extérieur : seul

l’apparence des choses le rend « intérieur »87. Le fait que l’évènement soit ou non

extérieur n’influera donc pas sur la problématique principale de la force majeure : cet

évènement entraîne-t’il une impossibilité d’exécuter dont le débiteur n’est pas

comptable?

Si ce fait est inclus dans « la sphère dont le débiteur doit répondre »88 il devra en

supporter les conséquences.

Par contre, si ce fait n’est pas inclus dans cette sphère, on retrouve le critère principal :

celui du caractère irrésistible de l’évènement, le critère d’extériorité (de même que

celui d’imprévisibilité) venant uniquement faciliter la preuve de ce critère essentiel.

Selon le professeur Brun, si l’extériorité est considérée dans sa dimension

psychologique elle se rattache en fait au caractère évitable de l’évènement89. Pour

prendre l’exemple de la maladie : certes l’évènement n’est pas extérieur, pour autant il

échappe au pouvoir du débiteur. Il y a là, à notre sens, un évènement dépassant les

forces de l’homme ; il serait inique de considérer comme une faute contractuelle la

maladie du débiteur90 (sauf bien sûr à ce que celui-ci s’expose en petite tenue aux 4

vents dans l’espoir de ne pas exécuter ses obligations… cas peu fréquent !).

87 Nous adoptons, ici, l’appréciation psychologique. 88 Carbonnier, n°162, p.308. 89 Recueil Dalloz 2006, n°28, p.1934, « Panorama ». 90 Voir cependant la note de David Noguero qui considère que la maladie ne devrait pas être considérée comme un cas de force majeure –Recueil Dalloz, 2006, n°23, p.1566 et suivantes.

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Au demeurant, il est le plus souvent enseigné que l’extériorité n’est pas requise en matière

contractuelle, solution que l’on retrouve à travers l’acceptation jurisprudentielle, dans certains

cas, de la grève91, de la maladie92 ou du chômage93 comme cas de force majeure pour le

débiteur.

La jurisprudence, elle-même, « manifeste en effet depuis longtemps une rigueur teintée

d’incertitudes à l’égard du caractère extérieur, principalement en matière contractuelle »94.

Ainsi « on peut dire qu’en matière contractuelle, la jurisprudence dominante fond la condition

d’extériorité dans celle d’irrésistibilité »95.

Si la définition de l’extériorité se conçoit aisément, la pratique semble indiquer que cette

notion n’est que redondance. D’où la sévère critique d’une doctrine majoritaire à son endroit.

B/ Une notion controversée

Si ce n’est le professeur Fabre-Magnan, qui considère l’extériorité comme une « condition

autonome de la qualification de la force majeure»96 ou le professeur Tunc pour qui

« l’extériorité de la cause du dommage par rapport à la chose constitue le seul vrai critère de

la force majeure, les prétendus caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité n’ayant aucune

valeur propre »97, peu d’auteurs font grand cas de ce critère.

Le professeur Larroumet écrit ainsi « En réalité, si l’extériorité ne révèle pas à elle seule

l’impossibilité d’exécuter, elle est souvent un élément de cette impossibilité », avant de

considérer que cette condition ne s’impose pas nécessairement dans les « situations

marginales »98 telles que la maladie ou le chômage.

91 Cass. Soc. 12 mars 1959, chambre mixte 4 décembre 1981 « Paquebot France », CA Paris 11 juillet 1991 et 29 janvier 1997. 92 Cass. Soc. 18 janvier 1967, Civ. 1ère. 10 février 1998, AP 14 avril 2006. 93 Cass. Civ.3ème 14 mai 1969, 19 avril 1972, 10 avril 1975, Soc. 12 octobre 1983. 94 Isabelle Guyot, « Le caractère extérieur de la force majeure », RRJ 2002-1, p.215. 95 Bénabent, n°335, p.254. 96 Fabre-Magnan, n°270, p.738. 97 Mais ce à propos de la responsabilité délictuelle in « Force majeure et responsabilité délictuelle », RTD civ. 1946, p.199. 98Larroumet, n°725, p.785.

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Le professeur Le Tourneau, tout comme le professeur Antonmattéi99, considère que le critère

de l’extériorité n’est pas inhérent à la notion de force majeure. Ce dernier considère ainsi que

la recherche de l’extériorité se confond avec celle du caractère inévitable (Cf. paragraphe

précédent, nos explications relatives à la définition de l’extériorité).

Le professeur Jourdain, quant à lui, considère qu’il n’est pas possible d’attribuer à l’extériorité

une portée générale, sauf à la réduire à l’extériorité par rapport à la volonté de l’agent, c'est-à-

dire que l’évènement ne doit pas être imputable au défendeur ou à une personne dont les

intérêts sont étroitement liés. Dire cela revient à se référer au caractère extérieur à la sphère

dont le débiteur doit répondre et au caractère résistible.

Enfin, les professeurs Viney et Jourdain expliquent que les controverses doctrinales, autant

que les divergences jurisprudentielles, proviennent de deux causes :

- Une conception inexacte de la notion d’extériorité, qui devrait uniquement se référer à

la sphère dont doit répondre le débiteur.

- Une absence de distinction dans l’appréciation du caractère «extérieur » suivant que

soit en cause le fait personnel, le fait des choses ou d’autrui.

Il nous semble, finalement, que les deux conceptions : matérielle et psychologique sont

également fondées et devraient trouver à s’appliquer. Après avoir vérifié que l’évènement

considéré est en dehors de la sphère dont le débiteur doit répondre (extériorité

matérielle), il convient de vérifier que le débiteur ne pouvait en prévenir la survenance

(extériorité psychologique, qui n’est autre que le caractère irrésistible).

Ce critère, majoritairement décrié par la doctrine, ne fait plus guère l’objet de caractérisation

dans les arrêts de la Cour de cassation. L’arrêt d’Assemblée Plénière de la Cour de cassation

du 14 avril 2006 ne déroge d’ailleurs pas à cette généralité : elle ne le mentionne pas et si elle

le prend en compte, c’est de la manière la plus restrictive, c'est-à-dire psychologique. En effet,

une maladie ne peut être considérée extérieure au plan matériel100.

99 « En toute hypothèse l’extériorité n’est pas un critère inhérent à la Force majeure », in « Ouragan sur la force majeure », JCP 1996, édition générale, I, 3907, n°6. 100 Cf. cependant : Isabelle Guyot, « Le caractère extérieur de la force majeure », RRJ 2002-1, p.215, qui explique que l’on subit la maladie.

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Reste néanmoins, que le communiqué accompagnant les arrêts du 14 février 2006, en ce qu’il

ce réfère à la trilogie classique, suscite un certain trouble. Comment expliquer que le

communiqué réaffirme que la force majeure est caractérisée par la trilogie classique

« irrésistibilité, imprévisibilité et extériorité » lorsque les arrêts ne mentionnent pas le

caractère extérieur ?

L’acception de l’extériorité en son sens psychologique nous semble la seule acceptable. Or,

elle revient à vider le critère de toute utilité.

Finalement des incertitudes subsistent autour des critères nécessaires à caractériser un cas de

force majeure, incertitudes que l’arrêt d’Assemblée Plénière du 14 avril 2006 ne semble pas

résoudre.101Quelques certitudes peuvent toutefois être dégagées :

- Un évènement irrésistible, imprévisible et extérieur est un cas de force majeure,

- Il est quasi certain qu’un évènement irrésistible et imprévisible serait aussi considéré

cas de force majeure,

- Par contre n’est pas un évènement de force majeure celui qui n’est qu’extérieur ou

uniquement imprévisible.

Cet état de la jurisprudence est critiqué à raison par une doctrine largement majoritaire.

Comme nombre d’auteurs, nous considérons que le critère essentiel doit être l’irrésistibilité, le

critère d’imprévisibilité et, dans une moindre mesure celui d’extériorité, n’agissant que

comme indices de celle-ci.

Dans notre opinion, la spécificité de la matière contractuelle devrait commander une

appréciation in concreto de chacun de ces critères, laissant une grande place à la

détermination des évènements devant être inclus dans le domaine de diligence auquel s’oblige

le débiteur. La question de l’appréciation, plus encore que celle des critères, nous semble

déterminante.

101 Cf. Cass. Civ. 1ère, 30 mai 2006 et Ph. Brun et Jacques « Responsabilité, panorama 2006 », revue Lamy, supplément au n°35, février 2007.

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Face à ces critiques doctrinales se dresse la jurisprudence relative à la question, et « le moins

qu’on puisse dire c’est que la matière est subtile et nuancée. Un examen exhaustif des

décisions judiciaires justifierait sans doute un jugement plus sévère, en faisant apparaître bien

des contradictions. Bien malin qui peut prédire la qualification du juge ! Compte tenu de

l’effet attaché à la force majeure, une telle solution est assurément regrettable »102.

102 Flour, Aubert, Flour et Savaux, n°213, p.160.

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Section 2nde Effets de la force majeure en matière contractuelle

Il semble, à première vue, que les effets « pratiques » de la force majeure ne sont pas

discutés : elle entraîne l’exonération de responsabilité du débiteur de l’obligation contractuelle

dont elle empêche l’exécution (Sous-section 2). L’explication de cette conséquence reste

néanmoins sujette à controverses et interrogations, ce qui impose de s’attacher aux aspects

théoriques des effets de la force majeure (Sous-section 1ère).

Ss. 1ère Fondements théoriques des effets de la force majeure

Les effets d’un cas de force majeure sont dépendants de deux grands débats doctrinaux : le

premier la dépasse, c’est celui de la causalité (I), alors que le second lui est propre : quels sont

les fondements de l’exonération de responsabilité qu’elle engendre (II) ?

I- Force majeure et causalité

Un dommage, ou une inexécution en matière contractuelle, est quasi systématiquement la

résultante de plusieurs causes parmi lesquelles il convient d’ « opérer un tri […] afin d’isoler

celui qui, rationnellement, a contribué effectivement à la réalisation du dommage »103. La

question, d’importance en matière judiciaire, n’est pas aisée. Le professeur Durry a même pu

considérer que ce problème, « fascinant mais insoluble », « était une énigme de notre

droit »104. A cet égard deux grandes théories s’affrontent. Après les avoir présentées (A), nous

tenterons de synthétiser l’état du droit positif (B).

103 Droit des obligations, Responsabilité civile, Délit et quasi délit, 3ème édition, Ph. Delebecque et F-J Pansier, Litec, 2006, n°136, p.93. 104 Durry, Rev. Trim., 1977, p.326 cité in. Bénabent, n°556, p.383.

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A/ Les théories de la causalité

S’il est fréquent de ne répertorier que deux théories de la causalité, c’est que les juristes

omettent fréquemment la théorie de la causalité efficiente. Cette théorie, fondée sur le sens

commun, considère que la cause d’un dommage est l’évènement l’ayant produit au sens

mécanique, physique. La simplicité de cette théorie explique qu’elle soit rarement présentée :

elle n’est utile qu’en l’absence de difficultés… ce qui la distingue peu de l’inutilité!

Pour les cas plus complexes, fréquents et sources de toutes les interrogations, deux théories

ont été proposées :

- La théorie de l’équivalence des conditions, du professeur Von Buri, retient comme

cause du préjudice tous les éléments, toutes les conditions nécessaires, sans lesquels

celui-ci ne se serait pas produit. Chaque évènement est donc soumis au « but-for

test »105, c'est-à-dire la question de savoir si le dommage se serait produit sans

l’évènement considéré. Sont retenues toutes les causes ayant rendu possible la

survenance du dommage.

La définition du lien de causalité ainsi donnée est assez souple, ce qui conduit, en

général, à admettre un grand nombre de causes pour un dommage unique. Elle procède

d’une conception mécaniste, fondée sur la stricte réalité physique.

- La théorie de la causalité adéquate, mise au point par les professeurs Von Kries et

Rümelin, considère comme fait causal ceux qui entraînent normalement, c'est-à-dire

de façon prévisible et habituelle, ce type de dommage. Sont ainsi écartés les

évènements qui n’ont contribué au dommage qu’à travers le concours de circonstances

extraordinaires.

L’application de cette théorie permet, en général, de retenir un nombre de causes plus

faible. Elle procède d’une conception plus abstraite de la causalité, fondée sur la

prévision et non sur la stricte réalité ; partant, le jugement moral est plus présent.

Pour illustrer chacune de ces théories prenons l’exemple d’une personne oubliant ses clés sur

son bateau à moteur, qui est ensuite volé et impliqué dans un abordage.

105 Expression de droit anglais, mentionnée in Fabre-Magnan, n°268, p.729.

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Selon la théorie de l’équivalence des conditions, l’oubli des clés est l’une des conditions de

réalisation du dommage. C’est donc l’une de ses causes. Par contre, de manière abstraite, un

oubli de clé est sans rapport prévisible avec un abordage, ce n’est donc pas l’une des causes

du dommage.

Les professeurs Viney et Jourdain considèrent que ces deux théories sont complémentaires.

Remarquant qu’il est courant qu’un même fait produise des effets très différents, ils préfèrent,

pour définir la nature du lien unissant le fait envisagé au dommage, la théorie de l’équivalence

des conditions, c'est-à-dire une approche concrète. Par contre, quant à la preuve des causes du

dommage, les mêmes auteurs tiennent pour l’utilisation de la théorie de la causalité adéquate,

celle-ci venant « au secours de la victime ». Ils considèrent en effet que, face aux incertitudes

relatives aux conditions nécessaires à la survenance du dommage, il est légitime de recourir à

la notion de probabilité ou de « prévisibilité objective ».106

Ces théories, au final peu précises, laissent aux juges une certaine marge d’appréciation.

B/ Le droit positif

Si les juges relèvent plus ou moins largement le lien de causalité, ils s’abstiennent d’en

donner une définition précise, c'est-à-dire de se référer à l’une ou l’autre de ces

théories107, et gardent ainsi une grande latitude quant à leur appréciation de la causalité.

Les auteurs décèlent, à travers l’étude de la casuistique judiciaire, une prédominance de

la causalité adéquate, tout en soulignant que « le tri se fait ainsi souvent par une appréciation

morale de la gravité respective des différentes fautes ayant rendu possible le dommage »108.

Le corollaire inévitable réside dans la contradiction flagrante de certains arrêts. Il fut ainsi

considéré que le suicide d’un adolescent en rentrant chez lui, juste après avoir été humilié par

le gérant d’un magasin dans lequel il avait chapardé, était sans lien de causalité avec la

réprimande car « normalement » celle-ci n’aurait pas du entraîner une telle conséquence.

106Viney et Jourdain, n°345 et suivants, p.191 et suivantes. 107 Cependant : référence à la théorie de l’équivalence des causes : civ. 2ème 27 mars 2003. 108 Fabre-Magnan, n°268, p.732.

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Il fut, par contre, considéré que la chute d’un bagage mal fixé sur le toit d’une voiture ayant

effrayé un cheval qui, s’étant échappé, causa des dommages à des tiers, était l’une des causes

des dommages109 !

La sécurité juridique110 ne gagne certainement pas à ce que des décisions aussi

contradictoires soient rendues. Il paraîtrait donc souhaitable d’adopter l’une ou l’autre de

ces théories ou, solution meilleure à notre sens, de suivre la proposition des professeurs Viney

et Jourdain consistant à appliquer chacune de ces théories à des considérations distinctes : la

causalité adéquate permettant de faciliter la preuve de part les présomptions de fait qu’elle

pose et la théorie de l’équivalence des conditions permettant de considérer de manière

concrète les évènements.

La causalité ainsi (succintement) présentée, se pose la question de la justification de

l’exonération de responsabilité engendrée par la force majeure.

II- Fondement de l’exonération de responsabilité du débiteur

Si deux théories, absence de lien de causalité entre les faits du débiteur et le dommage ou

absence de faute de ce dernier (A), semblent s’opposer, elles peuvent être conciliées (B).

A/ Absence de lien de causalité ou absence de faute ?

A première vue les auteurs paraissent s’accorder sur l’effet de la force majeure : elle

exonère le débiteur de sa responsabilité liée à l’inexécution de son obligation

contractuelle. Celui-ci n’aura donc pas à verser de dommages-intérêts en vu de réparer un

préjudice. Première faille à cette présentation monolithique : dans l’hypothèse où la force

majeure interviendrait après que le débiteur ait été mis en demeure, il serait tout de même

redevable de dommages-intérêts (article 1302 du Code civil), c'est-à-dire responsable de

l’inexécution (Cf. infra.).

109 Arrêts de la 2ème chambre civile du 20 juin 1985 et du 24 mai 1971, cités in Bénabent, n° 558, p.384. 110 Récemment reconnu comme un principe général du droit –CE Assemblée 24 mars 2006.

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Peut être notée, aussi, la remise en cause –non suivie d’effets- de cette présentation par le

professeur Le Tourneau qui écrit « Logiquement, la force majeure ne devrait pas être

considérée comme une cause exonératoire de la défaillance contractuelle, car en réalité elle

constitue un cas d’extinction de l’obligation préexistante (et donc de l’obligation aux

dommages et intérêts) ; […] Mais, puisque le régime de la défaillance contractuelle a été

contaminé par celui de la responsabilité délictuelle, il est devenu habituel d’analyser la force

majeure comme une circonstance exonérant un débiteur contractuel (même si une certaine

spécificité est reconnue) »111.

Mais, la principale controverse doctrinale provient de l’explication de cette exonération de

responsabilité.

Certains (les professeurs Fabre-Magnan, Le Tourneau, Malinvaud, Mazeaud et Chabas

notamment) expliquent l’exonération par la théorie de la causalité en considérant que

l’existence de la force majeure, de par ses caractères imprévisible (ou inévitable) et

irrésistible, démontre l’absence de lien de causalité entre le fait du débiteur et l’inexécution :

« la raison en est non pas qu’elle fait disparaître la faute du débiteur, mais qu’elle démontre

que cette faute ne peut être la cause du préjudice »112.

La force majeure viendrait donc annihiler le lien de cause à effet qui aurait pu exister entre le

fait du débiteur et l’inexécution.

Pour d’autres113, la force majeure serait une preuve renforcée de l’absence de faute, « La

force majeure présente donc bien la combinaison d’un évènement cause du dommage et de

l’absence de faute du débiteur »114.

Ainsi, le professeur Sériaux considère-t’il que la théorie de l’absence de lien de causalité entre

la faute et le dommage « revient en effet à reconnaître que si faute il y a eu, celle-ci n’a pas eu

de conséquences dommageables. Ce qui conduit logiquement à dire que le dommage

111 In Le Tourneau, n°1802-1, p.483. Cette formule semble, de manière sibylline, marquer la prise de position de l’auteur en faveur de la caducité du contrat (par opposition à la résolution –cf. infra). 112 In Larroumet, n° 728, p.791. 113 Notamment le professeur Viney dans son ouvrage « Traité de droit civil, la responsabilité : conditions », 1982, n°383 et suivants. 114 A. Sériaux, n°110, p.85.

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s’explique par autre chose qu’une faute du transporteur ; ou encore, que le dommage est

survenu sans la faute du transporteur »115.

Cette démonstration n’est toutefois pas convaincante116. Une faute peut être commise

sans pour autant entraîner de dommages (par exemple lorsqu’un navire de plaisance entre

dans le port à une vitesse supérieure à celle autorisée, sans pour autant qu’un préjudice en

résulte ou, en matière contractuelle, lorsqu’un garagiste répare une voiture d’une certaine

manière alors que le propriétaire lui a demandé de réaliser la réparation différemment, sans

pour autant que le résultat de la réparation soit différent). Il est une chose de dire qu’une

inexécution s’explique par autre chose qu’une faute du débiteur et une autre de dire que

ce débiteur n’a pas commis de faute.

Ces théories ne semblent toutefois pas nécessairement inconciliables.

B/ Des théories conciliables

Les professeurs Viney et Jourdain, ainsi que le professeur Antonmattei dans sa thèse, tiennent

pour un fondement de l’exonération de la force majeure combinant les deux explications, « la

« cause étrangère » démontrant, à la fois, que le défendeur n’a joué qu’un rôle très accessoire

dans la réalisation du dommage et que son attitude n’est en rien critiquable ». Ils considèrent

ainsi que :

- La notion de force majeure écarte nécessairement celle de faute car « les standards de

qualification permettent en effet de débusquer tout comportement fautif dans

l’apparition et dans le déroulement du fait perturbateur »117. Néanmoins, peut coexister

un fait générateur de responsabilité distinct de la notion de force majeure (notamment

dans le temps –cf. infra). Est ainsi adoptée partiellement la théorie selon laquelle il n’y

a pas de faute. 115 A. Sériaux, n°113, p.87-reprenant ainsi le raisonnement de Radouant qui considérait que « la responsabilité, qu’elle soit contractuelle ou délictuelle, est fondée sur la faute ; la force majeure consistant dans l’absence de faute, il est naturel que son effet soit de supprimer la responsabilité » in note sous Cass. Civ. 2ème 13 mars 1957, Dalloz 1958, p.73. 116 Le professeur Delebecque estime ainsi que « L’imprévisibilité ne semble plus déterminante, tant et si bien que la force majeure ne se réduit pas à une simple absence de faute », in « Les nouveaux rôles de la force majeure », Répertoire Defrénois, 1999, p.370. 117Antonmattei, n°203, p.147.

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- Par la preuve du caractère insurmontable (intrinsèque à la notion de force majeure) le

débiteur démontre le caractère « passif » de son fait, c'est-à-dire que celui-ci, qui a

matériellement participé à la réalisation du dommage, n’est devenu dommageable que

« sous l’influence déterminante de la cause étrangère » 118.

La question de l’analyse de l’importance en terme de responsabilité de cette faute du

débiteur sera, dès lors, déterminée par la théorie de la causalité adoptée.

La théorie de la causalité adéquate, à laquelle la jurisprudence se rallie parfois, permettrait

alors de considérer que la faute du débiteur n’étant pas la cause déterminante et active, elle se

trouve absorbée par la force majeure. Cette dernière est dès lors considérée comme « cause

exclusive du préjudice selon une formule désormais classique »119. Le professeur

Antonmattéi, suivant en cela le professeur Viney, considère que « le bon sens impose de

privilégier les thèses de la causalité adéquate »120.

A contrario, l’application de la théorie de l’équivalence des conditions, généralement choisie

par la jurisprudence (cf. supra), fait que la faute du débiteur pourra être considérée comme

« condition nécessaire » et, de ce fait, entraîner une responsabilité partielle du débiteur.

Le caractère généralement admis par la jurisprudence d’exonération totale de la responsabilité

du débiteur (Cf. infra) indique clairement qu’en la matière c’est bien la théorie de la causalité

adéquate qui est appliquée. Cette solution se comprend eût égard aux caractères que présente

la force majeure : étant irrésistible et imprévisible ou inévitable, la faute du débiteur sera

facilement considérée comme « quantité négligeable », allant même jusqu’à ôter au fait

du débiteur son caractère fautif.

Nous montrerons toutefois (sous-section suivante) que le refus de cette responsabilité partielle

est fondé sur l’absence de distinction des différents moments auxquels peut intervenir la faute

du débiteur. Certes, force majeure et faute sont deux termes antinomiques et ne peuvent être

118 Viney et Jourdain, n°403, p.284. 119 Antonmattei, n°201, p.145. 120 Antonmattei, n°204, p.148.

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employés concomitamment pour qualifier un même évènement. Par contre, il nous semble

que ces deux qualificatifs peuvent co-exister à des moments différents, voire dans une même

temporalité pour des faits distincts.

Ss. 2nde Effets pratiques de la force majeure

Selon une majorité de la doctrine, les caractères de la force majeure devraient interdire que

celle-ci puisse être considérée comme un cas d’exonération partielle ; il convient toutefois de

se pencher sur cette délicate question (I) avant de s’intéresser aux effets de la force majeure

sur le contrat et les obligations en découlant (II).

I- Force majeure et exonération

L’effet principal et non discuté de la force majeure réside dans l’exonération de responsabilité

dont bénéficie le débiteur. N’étant pas responsable de l’inexécution celui-ci n’aura pas à

verser de dommages et intérêts au créancier (art 1148 du Code civil).

Il existe toutefois une exception : dans l’hypothèse où le débiteur d’une obligation de

livraison est mis en demeure de livrer, il sera redevable de dommages et intérêts en cas

d’inexécution de son obligation quand bien même celle-ci serait due à un cas de force majeure

(art 1138 du Code civil).

Il y a là une sorte de peine privée reposant sur la volonté d’inciter le débiteur à livrer en

temps et en heure, mais aussi sur l’idée que la faute du débiteur doit entraîner comme

conséquence qu’il supporte les risques liés à la force majeure. Sa faute l’oblige !

Une explication causale, plus juridique, ne paraît pas pleinement satisfaisante. Certes, la faute

initiale du débiteur rend possible la survenance du cas de force majeure. Sans elle, le bien

n’aurait pas subi la force majeure, elle peut donc apparaître comme la cause adéquate ou tout

au moins une cause ayant participé à la survenance du dommage. Mais la théorie de la

causalité adéquate n’est pas ici totalement respectée : il est impensable que de façon générale

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l’absence de livraison soit une cause normale, habituelle, de la perte du bien121. La théorie de

l’équivalence ne donne pas plus une explication satisfaisante : l’absence de livraison n’est que

l’une des causes du dommage, elle ne devrait donc pas entraîner une exonération totale.

Mais plus que la question de l’exonération (solution acquise dont seuls les fondements sont

contestés), c’est celle de son caractère partiel qui suscite la controverse122.

Nombre d’auteurs estiment que la qualification de force majeure entraîne

nécessairement une causalité exclusive, qu’elle ne peut qu’être la cause adéquate du

dommage ou de l’inexécution. Les professeurs Flour, Aubert et Savaux considèrent ainsi que

« l’existence d’un tel évènement exclut toute responsabilité du fait personnel. S’il y a eu force

majeure, il n’a pas pu y avoir faute- comme elle exclut d’ailleurs la responsabilité du fait des

choses »123.

De même le professeur Le Tourneau considère t’il que « force majeure et responsabilité sont

des termes antinomiques et inconciliables »124 parce qu’un résultat ne peut être imputé à faute

qu’à celui qui avait le pouvoir de l’empêcher.

Est ainsi avancée l’idée selon laquelle le caractère irrésistible de l’évènement de force

majeure exclut toute autre cause au dommage.

Nous pouvons toutefois noter qu’il y a « souvent lieu à ambiguïté faute d’opérer une

distinction selon le stade auquel intervient la force majeure »125. Certes les conséquences d’un

évènement de force majeure, par hypothèse irrésistible, ne peuvent être évitées. Pour autant,

celui-ci peut n’être que pour partie cause du préjudice.

121 L’article 1302 alinéa 2 du Code civil vient d’ailleurs battre en brèche cette hypothèse en disposant que « Lors même que le débiteur est en demeure, et s’il n’est pas chargé des cas fortuits, l’obligation est éteinte dans le cas où la chose fut également périe chez le créancier si elle lui eût été livrée ». 122 Question qui nous intéresse particulièrement de part la possibilité, lorsque la preuve de l’un des cas exceptés de la Convention de Bruxelles de 1924 ou de la loi française du 16 juin 1966 est rapportée, pour l’ayant-droit marchandise de prouver que le transporteur a commis une faute et, ainsi d’obtenir que l’exonération de responsabilité ne soit que partielle. 123 In « Droit civil. 2. Le fait juridique », Armand Colin, 2005, n°275, p.297 124 In Le Tourneau, n°1803, p.483. 125 In Bénabent n°562, p.387, à propos des divers cas de responsabilité délictuelle – l’auteur considérant qu’il faut distinguer la force majeure survenant au stade de l’acte fautif et la force majeure survenant après une faute.

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- Le débiteur peut ainsi commettre une faute postérieure à l’évènement de force majeure

venant aggraver les conséquences de celui-ci, comme l’a admis un arrêt récent de la

2ème chambre civile de la Cour de cassation126 : « la faute (postérieure) engage la

responsabilité de son auteur malgré la force majeure »127. Nous noterons cependant

que dans l’espèce considérée, la faute postérieure du débiteur de l’obligation de

déblaiement (constituée par son abstention), joue un effet extinctif quant aux effets de

la force majeure, venant ainsi les « éclipser ». Comme l’a souligné Sébastien

Beaugendre il y a là confusion entre les effets de l’inexécution d’une obligation

(devant entraîner une exécution forcée ou l’allocation de dommages et intérêts) et les

conséquences attachées à un cas de force majeure.

Prenons l’exemple d’une tempête venant endommager par mouille une cargaison lors de son

transport. Si les 2/3 de la cargaison sont affectés, il reste possible de sauver les marchandises

restées saines grâce à la dissociation des deux parties de la marchandise. Cependant, si lors de

la réalisation de cette opération, le transporteur commet une faute entraînant la destruction de

la marchandise restée saine, sa faute postérieure au cas de force majeure aura contribué au

dommage.

- Le débiteur peut aussi commettre une faute antérieure à la force majeure. Il faudra

donc rechercher ce qui se serait produit en l’absence de faute (supputation le plus

souvent aléatoire128). Par exemple, pour le cas où une toiture affectée de malfaçon qui

s’effondre au cours d’un ouragan qualifié de force majeure. Soit une toiture

parfaitement réalisée aurait subi le même sort, auquel cas la faute du constructeur ne

présente aucun lien de causalité avec le dommage. Soit le dommage aurait été évité et

la faute du constructeur sera responsable pour partie ou en totalité du dommage,

suivant que l’on opte pour la théorie de la causalité adéquate ou de l’équivalence des

conditions.

Il paraît donc possible de considérer qu’un cas de force majeure ne soit à l’origine que d’une

partie de l’inexécution contractuelle en cas de succession temporelle de causes, à tout le

126 Cass. Civ.2ème 5 février 2004. 127 Note de Sébastien Beaugendre, « Voile sur la force majeure », Dalloz 2004, p.2520. Cf. aussi la note approbative sur ce point du professeur Jourdain in RTD civ. 2004, p.740. 128 Cependant, « il n’est pas exclu que le calcul d’une causalité partielle puisse être scientifiquement établi » selon les professeurs Terré, Simler et Lequette -n°799, p.771.

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moins lorsque la faute du débiteur est postérieure à la force majeure. Le professeur Starck

défendait ainsi que « si la faute ou le fait ont simplement aggravé un dommage qui se serait

produit de toute façon par suite d’un évènement de force majeure (par exemple, l’absence

d’extincteurs ou le retard dans l’appel des pompiers permettant à un incendie ayant pour

origine la force majeure de détruire complètement un immeuble qui aurait pu être sauvé en

partie), le juge devrait rechercher quelle eût été l’importance du sinistre si le fait ou la faute

n’eût pas eu lieu et ne laisser à la charge du défendeur que la partie du dommage qui lui est

attribuée, c'est-à-dire l’aggravation »129. De même le Doyen Rodière considérait-il qu’ « on

conçoit le jeu par contre le jeu successif et cumulatif de deux causes dont l’une est une faute

du débiteur, l’autre un évènement qui ne lui est pas imputable (expression que l’auteur

assimilait à la force majeure –cf. infra). Cette solution a été donnée avec netteté par la Cour de

cassation dans le fameux arrêt du Lamoricière. Elle doit être reconnue comme une donnée

générale de notre droit positif moderne »130.

- Pour considérer le cas d’une force majeure concomitante à une faute du débiteur :

pourrait-on estimer que cette dernière participe à l’inexécution ? Une doctrine

majoritaire considère, tout en la critiquant, que cette solution avait été admise par la

jurisprudence dans l’affaire du Paquebot Lamoricière. En l’espèce, ce paquebot fut

confronté à une tempête qui entraîna sa perte. La chambre commerciale de la Cour de

cassation, dans un arrêt du 19 juin 1951, estima que la perte était due pour 4/5 à la

tempête et pour 1/5 à la mauvaise qualité du charbon, admettant ainsi qu’un

évènement de force majeure puisse n’avoir qu’un effet d’exonération partielle131. Cette

solution aurait ensuite été confirmée par le Cour de cassation dans un arrêt

« Houillères des bassins du nord et du Pas-de-Calais »132.

129 B. Starck, « La pluralité des causes de dommage et la responsabilité civile (La vie brève d’une fausse équation : causalité partielle = responsabilité partielle)», JCP 1970, I, 2339. 130 Rodière, T. II, n°630, p.272 –on peut toutefois s’interroger quant à la chronologie ainsi dégagée. 131 Les professeurs Viney et Jourdain soulignent toutefois que dans les attendus de principe de ces 2 arrêts, la chambre commerciale qualifie la tempête de « cause étrangère » et non de force majeure ; ce dont ils déduisent que la Cour de cassation n’a jamais admis qu’un cas de force majeure entraîne une exonération partielle. Cette position, qui va à l’encontre de la doctrine majoritaire, paraît sémantiquement juste. Nous noterons cependant que les Cours d’appel dont les arrêts étaient contestés qualifiaient cette tempête de « force majeure ». La Cour de cassation a-t-elle procédé à une requalification sans le préciser ? On peut le penser. 132 Cass. Civ.2ème 13 mars 1957, arrêt suscitant les mêmes réserves de la part des professeurs Viney et Jourdain. Dans ce cas le pourvoi ne contestait pas la qualification de force majeure. Si, comme le soulignent les professeurs Viney et Jourdain, les caractères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité n’étaient pas caractérisés ceci s’explique sans doute par la « mutabilité du concept de force majeure ».

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Il semble néanmoins que la doctrine s’accorde sur la caducité de ces solutions, reléguant au

rang historique cette causalité partielle de la force majeure, en considérant que désormais

« l’existence d’un cas de force majeure entraîne en principe la disqualification de la faute »133.

Si nous admettons clairement que les caractéristiques propres à la notion de force

majeure rendent cette notion exclusive de toute faute du débiteur procédant du même

évènement, il nous semble qu’une faute du débiteur distincte peut, elle aussi, contribuer

à déterminer l’évènement ou à en déterminer les circonstances. (cf. supra l’exemple

donné par le professeur Starck).

Une solution jurisprudentielle semble toutefois permettre une alternative entre le

« tout » et le « rien », cette « rigoureuse alternative »134, que pose le rejet de la « force

majeure partielle » : le recours à la notion de perte de chance, qui conduit au même

résultat.

La notion de perte de chance, qui a pour vocation d’évaluer un dommage dont l’étendue est

incertaine, a ainsi pu être dénaturée afin d’être appliquée au cas où le lien de causalité est

incertain. Il y a là glissement de la notion vers la causalité permettant d’allouer une réparation

partielle du dommage. La Cour de cassation, après avoir semblé rejeter cette application en

énonçant que « la notion de perte de chance ne concerne que l’évaluation du préjudice »135, a

utilisé, à de nombreuses reprises, cette notion de la sorte dans des arrêts postérieurs136. « Ainsi

l’on dirait aujourd’hui que la mauvaise qualité du charbon du Lamoricière lui a fait perdre une

chance de résister à la tempête »137.

S’il y a incontestablement dénaturation de la notion de perte de chance, cette application

permet des solutions moins manichéennes. Admettant les incertitudes auxquelles la

causalité peut donner lieu (elles sont légion, nous l’avons vu) elle paraît plus réaliste.

133 Fabre-Magnan, n°270, p.739. 134 Christophe André, dans sa thèse « Le fait du créancier contractuel », préface de Geneviève Viney, LGDJ, 2002, n°480, p.144. 135 Cass. Civ.1ère 17 novembre 1982. 136 Cass. Civ. 1ère 8 janvier 1985, 12 novembre 1985, 18 janvier 1989, 30 octobre 1995, 6 octobre 1998, 10 juillet 2002. 137 Bénabent, n°563, p.388.

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Là encore, les propos du doyen Carbonnier reviennent en mémoire « philosophiquement,

c’est la conception relative qui a raison : l’absolu n’est pas de ce monde ». Préférons donc une

appréciation de la part de responsabilité de chacun teintée d’arbitraire et d’incertitudes, aux

conceptions absolutistes qui paraissent encore moins justifiées.

Quelque soit l’importance de l’exonération, totale ou partielle, celle-ci fait exception à

l’obligation, pour le débiteur n’exécutant pas son obligation, d’acquitter des dommages et

intérêts. La sanction étant écartée, reste à déterminer le devenir des rapports entre les parties,

c'est-à-dire du contrat et des obligations qu’il contient ; en effet : « une chose est de

déterminer dans quelle mesure l’inexécution de l’obligation d’un des cocontractants par suite

d’un cas fortuit ou de force majeure rejaillit sur l’obligation de l’autre contractant, autre chose

est de se prononcer sur le sort du contrat »138.

II- Sort du contrat et des obligations

La force majeure affecte matériellement l’exécution du contrat, ce qui se traduit au plan

juridique (A). Le sort des obligations qu’il contient est régi pas la théorie des risques (B).

A/ Le sort du contrat

Le sort du contrat sera différent suivant que la force majeure est temporaire ou définitive.

-Si le cas de force majeure est temporaire, « on pourra admettre que le contrat est

seulement suspendu »139. Cette institution, qu’il paraît discutable de rattacher à la notion de

force majeure eut égard au caractère irrésistible (cf. infra nos réticences à l’égard de cette

notion et les difficultés qu’elle pose en matière d’évaluation de la durée d’inexécution), n’est

138 Propos des professeurs Weill et Terré in « Droit civil, les obligations », 4ème édition, Dalloz 1986, n°486, p.506. 139 Malinvaud, n°702, p.430.

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appliquée qu’ « épisodiquement »140 : « la jurisprudence entérine cette solution quoique les

juges du fond restent partagés sur la question »141.

L’exécution a donc vocation à reprendre une fois l’impossibilité d’exécution achevée, à la

condition, toutefois, qu’elle présente encore un intérêt pour le créancier.

Les effets attachés à la force majeure temporaire paraissent donc singuliers, renforçant encore

les interrogations quant à la qualification adoptée à l’égard de cette solution.

-Si le cas de force majeure est définitif, le contrat ne peut plus être exécuté. Les auteurs,

qui s’accordent sur l’effet, n’expliquent pas celui-ci de la même façon : lorsque la doctrine

« classique », à laquelle adhère le professeur Malinvaud, considère que le contrat est résolu,

les professeurs Antonmattéi, Delebecque et Pansier, participant d’un courant de pensée plus

récent, estiment que le contrat est « frappé de caducité ».

Une jurisprudence séculaire et maintes fois réitérée142 se fonde sur l’article 1184 du

Code civil pour expliquer le sort réservé au contrat : sa résolution.

A première vue, la résolution paraît effectivement être le terme adapté pour désigner les effets

de la force majeure sur le contrat. En effet la résolution est « la sanction consistant dans

l’effacement rétroactif des obligations nées d’un contrat synallagmatique, lorsque l’une des

parties n’exécute pas ses prestations »143. Or, nous l’avons vu, la force majeure rend

l’exécution de l’obligation du débiteur impossible.

Cependant, une première objection se fait jour quant au fondement de la résolution : en

principe celle-ci vient sanctionner une inexécution fautive. Si la doctrine critique cette

approximation le professeur Malinvaud considère que « la querelle est plus terminologique

140 Selon l’expression employée par les professeurs Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck. Notamment : Req. 12 décembre 1922, Cass. Civ.1ère 24 février 1981, Cass. Com. 27 mars 1990, Cass. Civ. 3ème 22 février 2006. 141 Droit des obligations. « Contrat et quasi-contrat », PH. Delebecque et J-F Pansier, 4ème édition, Litec 2007, n°436, p.224. 142 Notamment Cass. Civ. 3 août 1875, 20 mars 1877, 14 avril 1891, 4 juin 1907, 5 mai 1920, Civ. 1ère 27 février 1967, Civ. 3ème 6 janvier 1969, Civ. 1ère 2 juin 1982 et 12 mars 1985. 143 Définition issue du « Lexique des termes juridiques », 15ème édition, Dalloz, 2005.

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que réelle car elle est sans influence sur les solutions : simplement les auteurs parlent de la

théorie des risques là où la jurisprudence parle de résolution »144.

Peut être ajouté à cette critique que le caractère rétroactif des effets de la résolution n’est pas

toujours appliqué par les juges, ceux-ci ne faisant parfois produire à la résolution que les

effets de la résiliation145 : c'est-à-dire un effet rétroactif depuis la date de l’inexécution.

Une autre objection fondamentale à l’application du mécanisme de la résolution tient à son

caractère judiciaire146qui implique, pour reprendre les termes du professeur Larroumet, « une

action en justice avec tous les aléas et les lenteurs inhérentes à une telle voie de droit »147.

Les tenants de la caducité du contrat se fondent sur chacune des difficultés que

l’application de la résolution au contrat dont l’exécution est affectée d’un cas de force

majeure engendre, pour critiquer celle-ci et, finalement, emporter l’adhésion.

L’argument le plus fort à cet égard réside sans doute dans le caractère fautif sur lequel se

fonde l’article 1184 du Code civil pour décider de la résolution du contrat. En effet la caducité

« constitue une inefficacité « de droit » qui emporte extinction anticipée d’un acte juridique

« en vigueur ». Elle provient d’un « fait non fautif » s’analysant en une « disparition » ou en

une « défaillance » d’un élément essentiel, nécessaire à sa survie »148.

La caducité vient ainsi sanctionner un « évènement, indépendant de la volonté de l’auteur de

l’acte, faisant disparaître un élément fondamental du contrat, tel que l’objet ou la cause de

l’obligation »149. Or, un cas de force majeure fait bien disparaître un élément fondamental du

contrat : empêchant l’exécution d’une obligation, il prive d’objet l’obligation qui en est la

contrepartie. C’est ainsi la cause du contrat, l’intérêt de l’acte juridique pour son auteur, qui

disparaît en cours d’exécution de celui-ci.

144 Malinvaud, n°500, p.316. 145 Notamment : Cass. Civ. 3ème 30 avril 2000. 146 Bénabent, Carbonnier, Capitant, Larroumet, Malaurie et Aynès, Marty et Raynaud, Mousseron, Starck, Laurent et Boyer. 147 Larroumet, n°712, p.764. 148 Rana Chaaban dans sa thèse « La caducité des actes juridiques. Etude de droit civil », préface de Yves Lequette, LGDJ 2005, n°30, p.20. 149 Malaurie, Aynès, Stoffel-Munck, n°668, p.324.

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Le professeur Le Tourneau reconnaît ainsi, à propos de la force majeure, qu’ « en réalité elle

constitue un cas d’extinction de l’obligation préexistante »150.

La caducité du contrat conduirait alors, selon certains, à une extinction « de plein droit sans

manifestation de volonté d’une partie, ni décision de justice »151, évitant ainsi l’intervention

judiciaire tant décriée par la doctrine la plus autorisée comme étant source d’insécurité

juridique, eût égard notamment à la flexibilité de l’appréciation des juges autant que des effets

attachés à cette résolution.

Le mécanisme décrivant le mieux le sort réservé au contrat est donc, sans conteste, la

caducité. Si Rana Chaaban estime que « l’évolution du droit semble permettre, sans

difficulté, la reconnaissance de la caducité rétroactive »152, nous ferons remarquer

qu’évolution du droit et évolution jurisprudentielle ne sont pas nécessairement

concomitantes…

B/ Le sort des obligations : la théorie des risques

Dans un contrat unilatéral, lorsque l’obligation fait l’objet d’une impossibilité d’exécution, le

débiteur est libéré par la suite de la force majeure, solution résultant des articles 1148 et 1302

du Code civil. Le créancier n’obtiendra donc pas ce qui lui était dû : le risque pèse ainsi sur

lui.

Le contrat unilatéral « ne faisant naître des obligations qu’à la charge d’une seule partie »153,

il semble logique de considérer que le risque pèse sur le créancier. Sauf à demander au

débiteur d’acquitter des dommages et intérêts, ce qui est par hypothèse écarté en présence

d’un cas de force majeure, on ne peut envisager d’alternative154.

150In Le Tourneau, n°1802-1, p.483. 151 Le professeur Mousseron, in « Technique contractuelle », n°1284 cité par P-H Antonmattei qui considère, quant à lui que « l’automaticité de l’extinction doit à nouveau être tempéré. Si, certes, l’intervention judiciaire n’est pas obligatoire, le rupture reste conditionnée à un contrat de caducité » n°236, p.170. 152 Dans sa thèse « La caducité des actes juridiques. Etude de droit civil », préface de Yves Lequette, LGDJ 2005, n°454, p.393. 153 « Lexique des termes juridiques », 15ème édition, Dalloz, 2005. 154 L’exécution forcée étant, par hypothèse là encore, impossible.

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Dans le cadre d’un contrat synallagmatique, la force majeure, en exonérant de sa

responsabilité le débiteur155 empêché d’exécuter l’obligation dont il est tenu, semble faire

reposer le risque de cet évènement irrésistible et imprévisible (ou inévitable) sur le créancier.

Or, ce dernier n’est, par hypothèse, pas plus responsable que le débiteur. Pas plus que lui il

n’était en mesure d’obvier à cet évènement et à ses conséquences, pas plus que lui il ne

pouvait lui résister.

Sauf à décider que le risque est supporté par les deux parties, il convient de sacrifier

l’une au profit de l’autre… la question, n’étant pas réglée par le Code civil, a nécessité

réflexion et donné lieu à la « théorie des risques ».

Le Code civil ne mentionne pas de règle générale visant à régler cette question, il ne comporte

que des solutions particulières relatives à des contrats spéciaux : de bail, de société, de vente

ou d’entreprise.

Ainsi l’article 1722 décide-t’il que la destruction de la chose louée, résultant d’un cas fortuit,

dispense le locataire de payer un loyer ; l’article 1790 envisage le contrat d’entreprise dans

lequel la matière à façonner est fournie à l’ouvrier : si cette chose disparaît par cas fortuit,

mettant l’ouvrier dans l’impossibilité de terminer le travail promis, aucun salaire ne lui est

dû ; l’article 1788 dispose, de même, que, pour le cas où l’ouvrier fournit la matière et si la

chose périt avant d’être livrée, la perte est pour l’ouvrier, à moins que le maître ne fut en

demeure de recevoir la chose.

Au final toutes ces questions particulières sont réglées de la même façon : le débiteur

supporte le risque, respectant ainsi l’adage latin « res perit debitori ». « Il est donc

probable que les rédacteurs du Code civil ont fait application d’une règle générale, qu’ils

n’ont formulée nulle part : les risques sont pour le débiteur de l’obligation dont la force

majeure a rendu l’exécution impossible ; l’autre partie est dispensée d’exécuter sa propre

obligation »156.

L’application de cette règle, qui a valeur de principe157 tout en étant supplétive de volonté, ne

paraît ni totalement aberrante, ni totalement satisfaisante. Sauf à partager le risque entre les 155 Même s’il peut être en même temps créancier on le qualifie ici de débiteur en considération de l’obligation considérée (celle inexécutée en raison de la force majeure). 156. Mazeaud par Chabas, n°1108, p.1163. 157 Reconnu implicitement par la Cour de cassation – Civ. 14 avril 1891.

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deux parties ou à le faire supporter par une communauté plus ou moins étendue (pouvant aller

d’un type de professionnels déterminés à l’ensemble de la Nation), il fallait faire reposer

celui-ci sur l’une d’entre elles. Au plan de l’équité il paraît aussi injuste de faire reposer

ce risque sur le débiteur mis dans l’impossibilité d’exécuter que sur son créancier, tout

aussi impuissant.

On peut tout de même s’interroger sur la question de savoir, d’autant plus que le droit français

est réputé favorable aux débiteurs, si le fait de faire reposer le risque sur le débiteur n’est pas,

plus ou moins consciemment, une réminiscence de l’idée selon laquelle le débiteur était la

seule personne à pouvoir éviter cette situation et que finalement l’exécution était peut-être,

même de façon infime, exécutable. Ainsi, cette solution peut paraître affaiblir le constat dont

elle est issue : l’impossibilité absolue d’exécuter.

Il convient donc de s’interroger sur son fondement juridique, afin de comprendre la cause de

cette solution, qui n’est autre que le choix du sacrifice d’une personne au profit d’une autre.

La théorie de la cause est parfois avancée comme justification de cette solution : « les

obligations réciproques des parties dans les contrats synallagmatiques se servant

réciproquement de cause, quand l’une disparaît par impossibilité fortuite d’exécution, l’autre

s’éteint également faute de cause »158.

Les professeurs Mazeaud et Chabas, quant à eux, rejettent cette explication causale en

considérant que la cause n’intervient qu’au stade de la formation du contrat, et considèrent

que cette solution repose sur la volonté présumée des parties. « Celles-ci sont convenues

tacitement que, si l’une ne peut remplir son obligation par suite d’une force majeure, l’autre

sera libérée »159.

Cette critique ne paraît toutefois pas emporter l’adhésion : tout d’abord parce qu’il est

toujours délicat de déterminer la volonté tacite des parties, surtout lorsque cela est réalisé a

priori et de façon générale. En outre, parce qu’il ne semble pas que la cause dusse être

cantonnée à la formation du contrat. La caducité ne vient-elle pas sanctionner la disparition

158 Terré, Simler, Lequette, n°667, p.657. 159 Mazeaud par Chabas, n°1109, p.1163.

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d’un élément nécessaire à la validité du contrat ? La cause résidant, dans un contrat

synallagmatique, dans l’existence d’obligations réciproques, il paraît logique de

considérer que l’inexécution de l’une d’entre elles prive de cause le contrat.

Les professeurs Ripert et Boulanger ont vu comme justification à cette solution le principe de

bonne foi et de justice commutative, explication qui semble avoir été abandonnée par la

doctrine actuelle.

Le Doyen Carbonnier mentionne aussi le développement de l’idée selon laquelle dans les

contrats déséquilibrés la partie forte aurait vocation à assumer les risques, sur le modèle de

l’article L. 731-1 du code du travail qui oblige les entreprises du bâtiment à indemniser leurs

salariés en cas d’arrêt de travail occasionné par des intempéries.

Si cette solution paraît équitable, mettant en œuvre le principe de solidarité à l’égard de la

partie la plus faible, elle semble difficile à justifier juridiquement. De ce fait, elle ne semble

pouvoir faire l’objet que de législation particulière et non d’un principe général venant se

substituer au principe actuel : « res perit debitori ».

Le principe « res perit debitori » connaît toutefois une exception de taille pour les

contrats translatifs de propriété, spécialement le contrat de vente, dans lequel le

transfert de propriété a lieu solo consensu et immédiatement.

Dans le cadre de ces contrats le risque pèse sur le propriétaire, c’est l’application du principe

« res perit domino ». En pratique, le plus souvent, le principe du transfert solo consensu fait

que l’acheteur est propriétaire d’une marchandise avant d’entrer en possession de celle-ci.

Ainsi, si la chose devant être livrée vient à disparaître, en raison d’une force majeure, après

que les parties se soient mises d’accord sur la chose et le prix, l’acheteur en supporte les

risques. C'est-à-dire que la solution est inverse à celle qui aurait découlé du principe selon

lequel le créancier de l’obligation inexécutée en raison d’un cas de force majeure, supporte les

risques.

Quant à expliquer cette solution diamétralement opposée à la précédente, force est de

constater que la tâche est rude. En effet, cette solution ne produit d’effets réels que pendant la

période qui voit la possession et la propriété séparée :

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 55

- Avant que la vente ne soit formée il n’y a pas de contrat (sauf à envisager le cas de

contrats préparatoires tels que des promesses de vente), seul le propriétaire est donc

susceptible de supporter le risque.

- Sitôt le contrat exécuté, la solution est identique : seul l’acheteur, qui dispose de la

propriété et de la possession, peut supporter le risque.

Dès lors, pourquoi adopter une solution différente du principe selon lequel le débiteur

supporte le risque ? Nous ne percevons, à la vérité, aucune raison qui vienne singulariser de

telle manière les contrats entraînant transfert de propriété qu’elle dût faire supporter les

risques au créancier.

L’explication tient sans doute à ce que le point de vue adopté n’est plus celui du risque

dans le cadre d’un contrat, mais celui du risque lié à la propriété.

Cette règle n’est toutefois pas systématique :

- elle ne joue que lorsque le contrat concerne un bien individualisé : corps certain ou

chose de genre individualisée. En effet, s’il s’agit d’une chose de genre,

l’individualisation conditionne le transfert de propriété.

- La clause de réserve de propriété peut faire échec à ce principe : le vendeur restant

propriétaire de la chose jusqu’au complet paiement du prix il assume les risques liés à

celle-ci (sauf clause contraire).

- Lorsqu’une mise en demeure de livrer la chose est faite à l’encontre du vendeur, c’est

ce dernier qui assume les risques liés à la chose.

Au final, les risques pèsent le plus souvent sur le débiteur. S’il est aussi des cas dans lesquels

ils pèsent sur le créancier (en tant que tel ou comme propriétaire), ceux-ci semblent trop

anecdotiques pour pouvoir être considérés comme venant équilibrer la situation entre

créanciers et débiteurs. Ce d’autant plus que les sujets de droit ne sont pas très enclin à

considérer le système juridique dans sa globalité : le jugeant à l’aune de leur propre

expérience, il est à craindre qu’ils ne le trouvent injuste.

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Nous partageons d’ailleurs cet avis (que nous leur supposons, il est vrai) : la force majeure

imposant une impossibilité absolue dont aucune des deux parties n’est responsable, le

risque devrait être supporté solidairement. Les parties ayant décidé de contracter

ensemble elles devraient toutes deux accepter une part du risque… le contrat serait alors

formé « pour le meilleur et pour le pire » !

Les prévisions contractuelles ne sont-elles pas, tel un lander, soumises à la pression de flots

imprévisibles ? De même que la législation des Pays-Bas impose que le dommage causé par le

percement d’une digue, effectué afin de diminuer la pression sur le reste des infrastructures

retenant la mer, soit supporté par l’ensemble de la communauté administrative qui bénéficie

de ce sacrifice imposé, l’évènement de force majeure devrait être supporté par l’ensemble des

parties.

La force majeure en sus de son effet exonératoire, le plus connu car le plus conforme à sa

nature, produit donc un effet libératoire. Ces notions ayant été présentées -longuement eu

égard à la complexité de la matière et aux interrogations qu’elle suscite- nous voici prêt à

analyser le jeu de cette notion en droit du contrat de transport maritime de marchandises.

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Chapitre 2nd Force majeure et contrat de transport maritime

de marchandises

Au plan international, le droit commun du transport maritime est constitué par la Convention

de Bruxelles du 25 août 1924160. L’importance de ce texte qui connu un grand succès161 a

poussé le législateur français à s’en inspirer, avec l’intention clairement affichée d’obtenir un

régime du contrat de transport maritime homogène.

Une première loi fut ainsi adoptée le 2 avril 1936. Mais la transposition n’était pas fidèle,

quant au point qui nous intéresse notamment. Cette loi prévoyait dans son article 4-3 que le

transporteur serait exonéré de sa responsabilité pour le cas où le dommage soit dû à « un fait

constituant un cas fortuit ou de force majeure ».

L’incompatibilité de l’objectif affiché, introduire dans la loi française les principes acceptés

sur le plan international par la ratification de la Convention de Bruxelles de 1924, et du

résultat, une référence à la notion de force majeure inconnue du texte international, ne pouvait

qu’entraîner une controverse doctrinale162.

Cette loi du 2 avril 1936, « insuffisamment fidèle au texte » et « dont le texte aussi était

imparfait »163, fut remplacée par celle du 18 juin 1966164 qui met le droit français en harmonie

avec le droit international.

160 Dont la dénomination exacte est « Convention pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement ». 161 Signée en 1924 par 10 Etats représentant 2/3 du tonnage mondial. Cependant « Sa ratification et son entrée en vigueur se révélèrent néanmoins laborieuses. En effet, la convention n’est entrée en vigueur que le 2 juin 1931 ». Bonassies et Scapel, n°889, p.573. 162 Cf. sur ce point le mémoire de Melle Landon, et, notamment, Paul Scapel, « La nouvelle législation sur les transports de marchandises par mer », recueil Sirey, Paul Scapel, « Traité théorique et pratique sur les transports par mer, terre, air et eau », LGDJ 1958, p.25 et s. ; les articles de Paul Bertrand de la Grassière « Le force majeure et le cas fortuit en face de la loi du 2 avril 1936 sur le transport des marchandises par mer » DMF 58, p.383 et s. ; Pierre Lureau « Le cas de force majeure et la loi du 3 avril 1936 », DMF 49, p.179 et s. 163 Bonassies et Scapel, n°894, p.575. 164 Loi n° 66-420 « sur les contrats d’affrètement et de transports maritimes », complétée par le décret n° 66-1078 du 31 décembre 1966 portant le même nom.

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A cette occasion la notion de force majeure disparue au profit de cas exceptés dont la

démonstration vient exonérer le transporteur de sa responsabilité –sauf à démontrer une faute

de sa part (cf. infra quant au degré de responsabilité que cette faute réintroduit).

Si le nombre de cas exceptés répertoriés par la loi française est largement inférieur à celui de

la Convention de Bruxelles (9 au lieu de 18), le résultat pratique reste sensiblement le même.

En effet, l’article 27 (d) vise de manière générale « les faits constituant un évènement non

imputable au transporteur », notion englobant les cas exceptés de la Convention non énumérés

par le texte national.

Cette périphrase, plus large que la notion de « force majeure », ne doit pas dissimuler

l’importance de la modification ainsi opérée165 : hormis pour ce dernier cas excepté,

l’exonération de responsabilité résulte de la preuve de l’existence d’un fait donné (dont

l’énumération est limitative) et de son lien de causalité avec le dommage ; et non plus d’une

appréciation des caractères de l’évènement invoqué.

Ce passage de la force majeure à la technique des cas exceptés, comme source d’exonération

de responsabilité, semble, prima facie, exclure la première notion.

Pour autant, le Doyen Rodière « est resté fidèle à l’esprit de la loi de 1936 et (il) a interprété

l’expression de la loi de 1966 comme étant équivalente à l’expression très différente figurant

à l’article 4, 3° de la loi de 1936 « Faits constituants un cas fortuit ou de force majeure »166.

En outre, la référence à la force majeure dans les ouvrages francophones est récurrente. Le

professeur Pineau, qui enseigne au Canada, écrit ainsi à propos des « causes étrangères

diverses » (en visant nommément l’acte de Dieu, les faits de guerre, le fait d’ennemis publics,

le fait du Prince) que « ces situations énumérées par le législateur pourraient être traduites

simplement par « cas de force majeure […] il (le transporteur) sera libéré dans la mesure

toutefois où le dit évènement revêt les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité »167.

165 R. Rodière et E. du Pontavice considèrent ainsi que « l’énoncé de ce cas excepté constitue une des rares disparités (et elle est en même temps de taille) entre la Convention de Bruxelles et la loi de 1966 », n°369, p.348. 166 R. Rodière et E. du Pontavice, n°369, p.348. 167 « Le contrat de transport terrestre, maritime, aérien », Jean Pineau, Les éditions Thémis, 86, n°173, p.207.

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De même le professeur Putzeys, qui enseigne le droit belge, écrit-il : « Dans les règles de La

Haye cette technique a été accentuée par l’énumération des causes étrangères constitutives de

plein droit de cas fortuit ou de force majeure, mais dont les tribunaux apprécient

souverainement le caractère raisonnable »168.

Si la lecture des ouvrages français impose un même constat : la question des rapports entre

force majeure et cas exceptés est systématiquement évoquée -de manière incidente- à travers

l’étude des différents cas exceptés; la jurisprudence française subit la même influence : «le

droit des transports maritimes ne connaît pas, à proprement parler, la notion de force majeure

[…]. Pour les tribunaux, en tout cas, la force majeure reste la référence, la cause

d’exonération type »169. Nous étudierons donc ces rapports afin de déterminer ce qu’ils sont

ou devraient être (section 1ère).

Toutefois, si le droit issu de la Convention de Bruxelles de 1924 et de la loi du 18 juin 1966

constitue le « droit commun » du transport maritime, il ne s’applique pas pour autant à tous

les contrats de transport. Se pose alors la question de savoir, pour le reliquat des contrats de

transport échappant à la technique des cas exceptés et soumis au droit contractuel français, si

la notion de force majeure connaît un particularisme « maritime » (section 2nde).

168 « Droit des transports et droit maritime » par Jacques Putzeys avec la collaboration scientifique de Marie-Ange Rosseels, Bruylant Bruxelles, 1993, n°378, p.216. 169 P. Bonassies et Ph. Delebesque, DMF 07, HS n° 90, p.68.

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Section 1ère Force majeure et cas exceptés

Comme nous l’avons vu au chapitre 1er la qualification de force majeure est sujette à moult

interrogations. Il semble, de ce fait, difficile d’énumérer les critères nécessaires à celle-ci.

Face à cette difficulté, nous nous réfèrerons à la notion minimale de force majeure en matière

contractuelle, celle d’un évènement irrésistible et imprévisible lors de la conclusion du contrat

de transport170. Pour autant, nous utiliserons, si nécessaire, les « indices » d’imprévisibilité et

d’extériorité.

A cette difficulté due à la flexibilité de la notion de force majeure s’ajoute celle résultant

de la différence des techniques d’appréciation propres à chaque notion. Lorsque la

qualification des cas exceptés se veut objective, celle de force majeure nécessite la

réunion de divers critères appréciés a posteriori.

Ainsi, l’incendie est considéré dans la Convention de 1924 comme cause d’exonération de par

cette qualification, ce qui peut porter le débat sur la question de savoir ce qu’est un incendie,

de définir le cas excepté. Par contre, en « droit commun français », la qualification d’incendie

est sans conséquences juridiques, seule la question de savoir si l’évènement était irrésistible

et imprévu emporte exonération de responsabilité.

Malgré ces difficultés, il semble possible de considérer qu’un certain nombre de cas exceptés

ne peuvent être qualifiés de cas de force majeure. Ils viennent ainsi, avec les cas exceptés dont

l’appréciation jurisprudentielle ou théorique se détache clairement de la notion de force

majeure, former un ensemble de cas exceptés ne présentant pas les caractères de la force

majeure (sous-section 1ère). Par contre, d’autres cas exceptés, à travers l’application qui en est

faite par les juges français, présentent, a minima fréquemment, les caractères de la force

majeure (sous-section 2nde).

Avant cette étude nous apporterons certaines précisions théoriques sur les rapports entre cas

exceptés et force majeure (sous-section préliminaire).

170 Cf. supra (chapitre 1er, section 1ère) pour une analyse de la pertinence de ces critères.

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Ss. préliminaire Précisions théoriques relatives aux rapports entre cas

exceptés et force majeure

Selon les professeurs Rémond-Gouilloud171, Du Pontavice et Cordier172, les cas exceptés

n’auraient pas réellement d’effet exonératoire, ils se contenteraient de faire tomber la

présomption d responsabilité pesant sur le transporteur maritime. Cette analyse se comprend

eu égard au fait que la faute du transporteur puisse réintroduire sa responsabilité : il n’y a pas

exonération définitive.

Pour autant, l’effet exonératoire du cas excepté est, à notre sens, indubitable : si les ayant-

droits marchandise ne prouvent pas de faute du transporteur, ce dernier se trouve exonéré, par

la preuve du cas excepté et de son lien de causalité avec le dommage, de toute responsabilité.

Certes la faute peut venir remettre en cause l’effet exonérateur du cas excepté, mais

fondamentalement, et pour s’en tenir à l’effet strict du cas excepté, il engendre

exonération de responsabilité.

Cet effet du cas excepté constitue son principal point commun avec la notion de force

majeure. Après avoir étudié plus avant l’importance de la notion de faute en matière de cas

exceptés -dans une perspective de comparaison avec la notion de force majeure- (I), nous

nous intéresserons à leurs effets (II).

I- La notion de faute du transporteur

La première question consiste à déterminer le rôle de la faute par rapport aux cas exceptés

(A). Nous verrons ensuite le sort particulier réservé à la faute du préposé (B).

171 Cf. « Le contrat de transport », Dalloz 1993, p.62 : « Car le « cas excepté » maritime ne vaut pas exonération : il fait seulement tomber la présomption pesant sur le transporteur, sans le libérer, le chargeur conservant la faculté d’établir sa faute ». 172 Du Pontavice et Cordier, « La preuve du cas excepté n’entraîne pas l’irresponsabilité à proprement parler, mais elle oblige le cocontractant du transporteur à prouver la faute de celui-ci », p.115.

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A/ Rôle de la faute par rapport au cas excepté

Nous l’avons vu, en droit commun l’éventuelle faute du débiteur est privée d’effets par la

qualification de force majeure. La situation est bien distincte avec la technique des cas

exceptés puisque cette notion peut « cohabiter » avec celle de faute du transporteur.

Si « une fois que le débiteur a prouvé l’existence d’un cas excepté, et celle du lien de causalité

entre le dommage et le cas excepté, il n’a pas à faire la preuve de l’absence de faute de sa

part »173, en pratique cette preuve est très fréquente.

La faute du transporteur réintroduisant sa responsabilité, celui-ci aura tendance à prouver –

avant même que l’ayant-droit marchandises invoque sa faute- qu’il n’a commis aucune faute.

L’absence de faute s’analyse ainsi comme une « condition supplémentaire d’exonération »,

elle est « condition exceptionnelle d’exonération pour cas exceptés nommés » (innavigabilité

et vice caché) et « condition systématique d’exonération pour cas exceptés innomés »174.

Dès lors, une question s’impose : celle des rapports entre cette absence de faute et force

majeure. Si en droit commun ces notions ne peuvent être considérées comme synonyme (cf.

supra), leur proximité semble accrue lorsque sont en jeu des cas exceptés.

Ceci tient à l’importance de la diligence requise du transporteur qui s’impose que celui-ci

prévoit les évènements pouvant rendre l’exécution de ses obligations difficiles et fasse son

possible pour résister aux conséquences des évènements s’opposant à l’exécution de ses

obligations.

Ainsi, afin de démontrer qu’il n’a pas commis de faute le transporteur prouvera que le

dommage était pour lui imprévisible et irrésistible, c'est-à-dire qu’il constituait un cas

de force majeure.

173 P. Bonassies in DMF 93, p.141, note approbative au sujet de l’arrêt CA Aix-en-Provence, 13 septembre 1989, « Tolga ». Dans le même sens : CA Rouen 30 juin 1972. 174 Selon les expressions de A. Sériaux dans sa thèse, p.55 et s.

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Si cette preuve n’est pas exigée par le texte, elle assure au transporteur une exonération totale

de responsabilité. De ce fait, le plus souvent, en prouvant qu’il n’a pas commis de faute, le

transporteur caractérisera un cas de force majeure.

A cette particularité liée au contrat de transport s’en ajoute une autre due au droit maritime : le

fait de son préposé ou du navire, dans certaines hypothèses, exonèrera le transporteur de sa

responsabilité.

B/ Le fait du préposé ou du navire

Le cas excepté d’incendie (dans la Convention de Bruxelles) prévoit spécifiquement que seule

la faute personnelle du transporteur réintroduit sa responsabilité. La faute de son préposé est

donc sans effet sur sa responsabilité. Mieux, en prouvant qu’elle est à l’origine du dommage

le transporteur se trouve exonéré de sa responsabilité.

Le mécanisme est d’ailleurs identique lorsque le transporteur se prévaut de la faute nautique

de son capitaine : elle exclut sa responsabilité.

Or, la jurisprudence relative à la responsabilité contractuelle du fait de son préposé est sans

appel : le débiteur ne peut invoquer la faute de son préposé. En application de l’article 1384

alinéa 5, « le commettant ne peut s’exonérer en prouvant que le fait du préposé a été pour lui

imprévisible et irrésistible, car il s’agit de son préposé, celui qui le représente ». Il ne peut pas

non plus s’exonérer en prouvant « qu’il n’a commis aucune faute ou en raison d’une cause

étrangère ».175

La question n’est donc pas de savoir si la faute du préposé peut constituer ou non un cas de

force majeure pour le commettant : il y a là responsabilité de plein droit176, sauf à démontrer

l’existence d’une cause exonératoire en la personne même du préposé –par exemple un cas de

force majeure.

175 Delebecque et Pansier, « Responsabilité civile, délit et quasi délit », n°199, p.143. 176 Dont le fondement est discuté par la doctrine, cf. Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck, n°1005, p.540.

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Si le particularisme du droit du transport maritime est sur ce point indéniable,

pareillement le fait du navire – dû à son vice caché ou à son innavigabilité- peut parfois être

invoqué en tant que cas excepté, après que le transporteur ait prouvé qu’il a accompli les

diligences requises.

Or, en droit commun le régime de la responsabilité contractuelle du fait des choses institue

une « présomption de responsabilité et non pas de faute, c'est-à-dire que le gardien ne peut pas

s’exonérer en démontrant qu’il n’a pas commis de faute, qu’il s’est comporté en homme

prudent et diligent, en modèle des « pères de famille » (Cass. ch. Réunies, 13 février 1930,

Jand’heur). Seule la cause étrangère peut avoir cet effet »177.

Et ce régime s’applique à toutes sortes de choses, notamment aux moyens de transport tels

qu’un train178, un avion179 ou un navire180.

Là encore le particularisme du droit maritime est certain : il permet d’invoquer un

défaut du bien que le transporteur a sous sa garde, ce qui est impossible « en droit

commun ».

Reste à déterminer, lorsque la faute du transporteur est admise, les effets qu’elle produit.

II- Effets de la faute du transporteur

Dans une optique de comparaison des cas exceptés et de la force majeure, deux questions

principales se posent quant aux effets de cette faute : peut elle réintroduire une part de

responsabilité du transporteur (A) ? Quelles conséquences sont attachées à l’ignorance de la

cause du dommage (B), qui est, notamment, absence de preuve d’une faute causale imputable

au transporteur ?

177 Le Tourneau, n°7693, p.1371 et s. 178 Cass. Civ. 2ème 11 janvier 2001. 179 Cass. Civ. 2ème 20 juin 1973, CA Paris 19 novembre 1993. 180 Cass. Ch. Mixte 4 décembre 1981 « France », Civ. 2ème 10 juin 2004, CA Paris 13 juin 1978.

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A/ Faute du transporteur et exonération partielle

Comme nous l’avons vu, une doctrine majoritaire estime en droit commun que la force

majeure, de par ses caractéristiques, ne peut emporter qu’une exonération de responsabilité

totale. Nous estimons, suivant en cela les professeurs Starck et Bénabent, qu’il est trop rapide

de rejeter sans distinction (quant à la temporalité des évènements notamment) toute notion

d’exonération partielle. Il paraît donc intéressant d’étudier la question de savoir si cette

exonération partielle est reconnue en application de la Convention de Bruxelles de 1924 et de

la loi française du 18 juin 1966.

Tant la Convention de Bruxelles que la loi française de 1966 prévoient la possibilité pour

l’ayant-droit, après que le transporteur ait démontré qu’un cas excepté a causé le dommage,

de démontrer qu’une faute du transporteur a contribué à la réalisation du dommage. Il va de

soit que cette faute ne doit pas être une faute dont le transporteur est exonéré, c'est-à-dire une

faute correspondant à l’un des cas exceptés (tel que la faute nautique).

Le particularisme de la technique des cas exceptés ne pouvait donc que renouveler la question

de l’exonération partielle.

Deux conceptions existent : la première, « objective ou causale, conduit à retenir en principe

que le transporteur, une fois exonéré, doit le demeurer et que si une faute est prouvée contre

lui, l’on doit aboutir à une réintroduction partielle de responsabilité. » « La combinaison de la

vertu exonératoire de l’un et l’effet responsabilisant de l’autre doit conduire logiquement à un

partage de responsabilité ou, plus exactement, à une exonération partielle du transporteur ».

Selon la seconde conception, « il est toutefois conforme (à la conception subjective)

d’admettre, à titre d’exception, la réintroduction totale de la responsabilité du transporteur.

Ceci doit advenir lorsque le cas excepté a été matériellement la conséquence d’une faute du

transporteur. Ainsi pour l’incendie, s’il s’avère que celui-ci est dû à une négligence fautive du

transporteur »181.

181 A. Sériaux, n°174, p.133 et s. –pour les conceptions subjective et objective.

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Comme le souligne le professeur Delebecque « la difficulté principale est de faire la juste

étiologie des dommages. Le problème se pose en cas de cumul de fautes »182.

Une solution a été proposée à cet égard par le professeur Sériaux dans sa thèse « La faute du

transporteur »183. Elle est d’ailleurs reprise par la doctrine la plus autorisée184 et semble avoir

été consacrée à de nombreuses occasions par la jurisprudence185. Elle distingue deux types de

cas exceptés :

- ceux qui relèvent « de la sphère de diligence » du créancier de responsabilité –

chargeur ou ayant-droit marchandises- (par exemple : le vice de la marchandise ou

l’insuffisance d’emballage),

- ceux qui échappent à cette sphère de diligence (le fait du Prince, faits de guerre ou

d’ennemis publics, les périls de la mer, restriction de quarantaine).

Alors que pour les premiers, la faute distincte du transporteur ayant participé à la survenance

du dommage engendre une exonération partielle de responsabilité (il y a « faute contre

faute »186), dans le second cas la responsabilité du transporteur fautif est entière (il y a « faute

contre absence de faute ») car l’on retrouve le principe de responsabilité de plein droit du

transporteur.

Est ainsi admise une causalité partielle pour le cas où le dommage résulte à la fois d’un cas

excepté, appartenant à la sphère de diligence du chargeur, et d’une faute du transporteur.

Un problème peut aussi se poser dans l’hypothèse « où le dommage résulte de deux causes

successives, l’une qui exonère le transporteur, l’autre engageant sa responsabilité- étant

souligné par le juge, point essentiel, qu’il était possible d’identifier le dommage résultant de la

première cause, et celui résultant de la seconde (avec, évidemment, le facteur d’incertitude qui

182 Ph. Delebecque in « Le droit international des transports maritimes », Centre d’étude et de recherche de droit international et de relations internationales, Martin Nijhoff Publishers, 2001 183 « La faute du transporteur », Alain Sériaux, 2ème édition, préface de P. Bonassies, Economica, 1998. 184 Bonassies et Scapel, Delebecque, la « doctrine nantaise » i.e : Hesse, Beurier, Chaumette, Tassel, Mesnard, Rezenthel… 185 Cass. Com « Atlantic Island » 7 juillet 1998, CA Rouen 8 décembre 1998 « Diego et Aquitania », CAMP sentence 971, 24 octobre 1997, Cass. 26 octobre 1996 « World Navigator », 186 P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 1998 HS n°2, n°111, p.72 et s.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 67

affecte toute analyse de causalité- mais le juge est là pour résoudre l’incertitude)»187. Cette

difficulté est tranchée par une exonération partielle de la responsabilité du transporteur188.

La technique des cas exceptés connaît donc, sous certaines conditions, une exonération

partielle de responsabilité du transporteur.

Si la doctrine (ultra) majoritaire devrait pouvoir s’appuyer sur ce constat pour dénier aux cas

exceptés susceptibles d’aboutir à un partage de responsabilité, il nous semble que ce constat

est sans incidence sur cette qualification.

Par contre, la responsabilité totale du transporteur, engendrée par la coexistence de sa faute et

d’un cas excepté ne relevant pas de la sphère de diligence du chargeur, est contraire aux effets

de la force majeure (qui sont inverses, la faute du débiteur se trouvant privée d’effets).

B/ Effets de la cause inconnue

La question de définir qui supporte le risque de l’absence de détermination de la cause du

dommage revient, in fine, à celle du risque de la preuve, c'est-à-dire de sa charge.

Le transporteur supporte une obligation de résultat dont il peut s’exonérer en prouvant tout à

la fois l’existence d’un cas excepté et du lien de causalité liant celui-ci au dommage. Dès lors

il supportera le risque lié à l’absence de preuve de la cause du dommage.

Une spécificité, de taille, s’attache toutefois à ces cas exceptés : la preuve de ceux-ci est

parfois suffisante. Ainsi, la destruction des marchandises par un incendie dont on ne connaît

pas la cause exonèrera le transporteur. De même, lorsque est appliquée la théorie de

l’innavigabilité soudaine alors que les juges ne connaissent pas la cause du naufrage189.

187 P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 2001, HS n°5, n°92, p.71 et s. –confirmant l’analyse relative à l’exonération partielle que nous avons mené dans la 2nde section du chapitre 1er. 188 Cass. Com. 19 juillet 2001 « Lloyd Pacifico », CA Aix 23 septembre 1999, « Ville d’Aurore », TC Paris 13 janvier 1984 « Meltemi II ». 189 Cass. Com. 27 juin 1995 « Arno », 13 juin 1989 « Scopi », CA Paris 29 novembre 1978 « Maori » ou Sentence de la CAMP 24 novembre 1997.

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Il en va différemment en matière de force majeure : cette excuse étant invoquée par le

débiteur qui n’a pas exécuté, il devra en rapporter la preuve, faute de quoi l’inexécution sera

considérée fautive (sauf si d’autres causes viennent la justifier).

Finalement, les cas exceptés connaissent un certain particularisme par rapport à la force

majeure (faute du préposé, exonération partielle et risque de la preuve –notamment), qui ne

doit pas cacher les points communs à ces deux notions (l’absence de faute stricte n’est pas

nécessaire à la qualification de cas excepté et tous les deux ont un effet exonératoire).

Le particularisme propre à chaque cas excepté, qui engendre des appréciations

jurisprudentielle et théorique distinctes, impose de les étudier individuellement (en prenant

comme base la Convention de Bruxelles, mais sans nous interdire de réunir certains cas

exceptés lorsqu’un même raisonnement doit leur être appliqué).

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Ss. 1ère Les cas exceptés ne présentant pas les caractères de la force majeure

La nature de certains cas exceptés leur dénie le caractère de force majeure (A). Pour d’autres,

seule l’application jurisprudentielle190 fait que ces évènements, bien que pouvant

potentiellement être des cas de force majeure, n’en présentent pas, en pratique et le plus

souvent, les caractères. A cette analyse casuistique, nous ajouterons une analyse théorique

afin d’envisager aussi les cas exceptés qui ne devraient pas être qualifiés de force majeure

(B).

I- Les cas exceptés ne pouvant constituer des cas de force majeure

A/ L’innavigabilité et le vice caché du navire

L’innavigabilité du navire « s’entend au sens large, et comprend tout ce qui est nécessaire au

navire pour remplir sa mission. Elle s’apprécie191 compte tenu du voyage à effectuer et des

marchandises à transporter »192. Le « vice caché échappant à une diligence (ou un examen)

raisonnable » est aussi prévu en tant que cas excepté par la Convention de Bruxelles de 1924

et par la loi de 1966. C’est un défaut indécelable lors des divers contrôles techniques opérés

sur le navire, qui se révèle lors de l’utilisation de celui-ci en le rendant inapte à l’usage

attendu193.

« Sans aucunement se confondre, innavigabilité et vice caché sont deux notions voisines, et

qui souvent se superposent »194 : toutes deux concernent une tare affectant le navire dont le

transporteur peut se prévaloir après avoir démontré qu’il a été raisonnablement diligent.

La preuve de l’innavigabilité du navire ou de son vice caché, si elle s’accompagne de celle

d’une diligence raisonnable pour mettre le navire en état de navigabilité, exonère le

190 Nous reconnaissons ainsi, à la suite du Doyen Carbonnier, la valeur d’autorité à la jurisprudence et même celle de source de droit à la suite des Doyens Vedel et Marty. 191 Quant à l’appréciation par la jurisprudence cf. Sériaux, n°73 et s. Cf. aussi l’article du Commandant Figuière « Le Code ISM et la notion de navigabilité », Revue Scapel 2005, p.93 et s. 192 M. Rémond-Gouilloud n°581, p.375. 193 D’après A. Bénabent « Droit civil, les contrats spéciaux civils et commerciaux », 7ème édition, Montchrestien, 2006, n°222, p.154. 194 P. Bonassies et Ch. Scapel, n° 1092, p.698.

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transporteur de sa responsabilité195… la situation est ainsi paradoxale : suivant son origine

l’innavigabilité et le vice caché constituent une faute du transporteur ou une cause

d’exonération de sa responsabilité.

Cet effet est, en outre, totalement exorbitant du droit commun (cf. supra). De plus

l’innavigabilité et le vice caché du navire ne semblent pouvoir être qualifiés de force majeure

en raison du caractère extérieur… que nous avons pourtant critiqué ! En réalité, il est un fait

que si le critère d’extériorité n’est « qu’un indice de l’irrésistibilité » de l’évènement, la

jurisprudence français ne reconnaît pas au débiteur la possibilité de s’exonérer de sa

responsabilité par la démonstration d’une défaillance du matériel nécessaire à l’exécution de

son obligation, d’un objet dont il a la garde.

Autant que la référence à l’extériorité (qu’il faut aussi envisager comme critère de

l’irrésistibilité), le caractère de force majeure est écarté en raison de ce que l’objet

nécessaire à l’exécution de son obligation par le débiteur entre dans la sphère de la

diligence contractuelle à laquelle il s’oblige.

Ainsi, le transporteur routier ne peut s’exonérer de sa responsabilité en arguant d’un défaut de

son camion. Il en va de même quelque soit ce défaut : le vice caché est pareillement concerné.

Le défaut de l’objet nécessaire à l’exécution de l’obligation ne peut donc être invoqué par le

débiteur en droit commun pour s’exonérer de sa responsabilité contractuelle. En outre, les

juges refuseraient vraisemblablement de le qualifier de force majeure.

Les cas exceptés d’innavigabilité et de vice caché ne peuvent donc pas être qualifiés de

force majeure.

En droit commun le même article du Code civil, 1384, fonde le refus d’une exonération en

vertu de la faute de ses préposés.

195 Pour une application récente refusant l’exonération due à l’innavigabilité en raison de l’absence de preuve de la diligence raisonnable : CA Versailles, 20 décembre 2001, 12ème chambre, section 2 « Navire Fort Fleur d’épée ».

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B/ La faute nautique du capitaine, pilote ou d’autres préposés du transporteur

La convention de Bruxelles prévoit que le transporteur peut s’exonérer de sa responsabilité

s’il prouve que le dommage résulte « des actes, négligence ou défaut du capitaine, marin,

pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou l’administration du navire », ce

que la loi de 1966 traduit par la notion de « faute nautique ».

Cette institution est aujourd’hui largement décriée et les tribunaux français, conscients de

l’absence de fondements actuels de cette règle –« d’un autre âge »196, l’appliquent de manière

très stricte197.

La distinction des fautes nautiques, exonératrices de responsabilité pour le transporteur, des

autres fautes commises par les préposés, qualifiées de « commerciales », n’est pas des plus

évidentes. Si « la nature de la faute importe seule ici, non sa gravité »198, la détermination

pratique de cette « nature » est source de bien des difficultés. Son fondement a ainsi changé

dans le temps : après s’être intéressés à la destination de l’acte fautif, les juges optent

désormais pour le critère de la sécurité du navire. Ce dernier critère, parfois difficile à utiliser,

empêche toute généralisation de la matière199.

Or, nous l’avons vu, la faute du préposé ne peut exonérer le commettant en droit

commun. Au demeurant, elle ne serait sans doute pas qualifiée de force majeure.

C/ La saisie judiciaire du navire en raison du non paiement d’une dette par le

transporteur

Par définition, et sauf à considérer le cas exceptionnel d’une saisie abusive, une saisie

judiciaire résulte du défaut de paiement d’une dette.

196 P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF HS n°10, juin 2006, p.60. 197 Cf. notamment : CA Bordeaux 31 mai 2005 « Heidberg », et a contrario (mais ici la faute nautique était incontestable) : CA Aix 14 mai 2004 « Al Hoceima », DMF 2005, p.322 et s. 198 M. Rémond-Gouilloud, n°582, p.376. 199 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1098 et s. p.703 et s.

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Or, la seule explication pouvant rendre ce défaut de paiement irrésistible tiendrait à

l’impossibilité financière à laquelle se trouverait confrontée le débiteur. La force majeure

financière n’existant pas, une telle saisie judiciaire ne peut être qualifiée de force

majeure.

Doit toutefois être mentionné le cas où un créancier viendrait saisir un navire pour une dette

du propriétaire ou de l’armateur du navire alors que celui-ci n’est pas le transporteur. Il

semble que dans ce cas il soit envisageable de considérer que cette saisie puisse être, pour le

transporteur, un cas de force majeure. Nous laisserons néanmoins de côté cette hypothèse à ce

stade de notre développement.

D/ La freinte de route

Aussi dénommé « déchets de route»200, c’est « le fait pour une marchandise de prendre du

poids ou du volume du fait de la dessiccation, évaporation ou dispersion due à sa nature »201.

Comme le souligne le professeur Rémond-Gouilloud « la freinte de route ne libère pas le

transporteur : n’étant pas responsable il n’a pas à être libéré »202.

Il est d’ailleurs surprenant que cette conséquence normale du transport soit visée comme

exception à la responsabilité du transporteur. Il y a sans doute là volonté d’éviter des actions

dilatoires.

La freinte de route ne peut pas être un cas de force majeure au regard des critères caractérisant

cette notion : si elle est irrésistible elle n’a rien d’imprévu, elle ne correspond donc pas à la

qualification de force majeure.

Mais, surtout, la freinte de route étant « naturelle » elle est étrangère à l’idée qui sous-

tend la notion de force majeure : celle d’un évènement rendant l’exécution d’une

obligation impossible.

200 R. Rodière et E. Du Pontavice, n°373, p.352. 201 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1087, p.692. 202 Rémond-Gouillou, n°588, p.381.

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E/ Vice caché ou vice propre de la marchandise

Le vice « caché » ou « propre » de la marchandise tient à une tare l’affectant et expliquant sa

détérioration. Cette situation est donc très proche de la freinte de route, puisqu’il n’y a pas à

proprement parler mauvaise exécution du transporteur –la raison de la dégradation de

l’état des marchandises n’étant pas imputable au transporteur, les remarques préalablement

avancées trouvent ici aussi à s’appliquer.

Une distinction, par rapport à la freinte de route, doit toutefois être opérée : la dégradation

étant due à un défaut de la marchandise il est possible de s’interroger sur la portée juridique

de la signature du connaissement par le transporteur –mais tel n’est pas l’objet du présent

travail.

En tout état de cause, les notions de vice caché, vice propre ne correspondent pas à la

notion de force majeure.

F/ The « catch all clause »

La convention de Bruxelles, en son (q) du §2 de l’article 4, prévoit que le transporteur ne sera

pas responsable des dommages ayant « toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la

faute du transporteur ou du fait ou de la faute des agents ou préposés du transporteur ». Une

clause tout aussi « fourre-tout » figure à l’article 27 de la loi française de 1966. Elle a

toutefois une vocation beaucoup plus large puisqu’elle fut conçue pour se substituer à tous les

cas exceptés non énumérés par la loi française.

Nous nous intéresserons donc seulement à la « catch all clause » internationale et à la clause

« fourre-tout » française employée dans le même dessein. Or, « Eu égard au vaste champ des

exonérations incluses dans les cas exceptés visés par la paragraphe 2 de l’article 4 de la

Convention, le cas visé à la lettre (q) de ce texte n’occupe qu’une place réduite »203.

203 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1080, p.689. Cf. aussi Cass. Com. 14 février 1989 « Sunny Arabella », pour un rejet de ce cas excepté aussi surprenant que celui de « faits d’ennemis publics ».

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Nonobstant la rareté de l’utilisation de ce cas excepté, il est possible de considérer avec

certitude qu’il n’est pas exigé que le dommage résulte d’un cas de force majeure.

Ainsi, dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 28 mars 2001204, il n’est pas précisé la

raison de la condensation ayant endommagé les marchandises. Si la notion d’absence de faute

du transporteur et de ses substitués (discutable en l’espèce) a sans doute fondé la solution

(mais « le lecteur eût aimé que la Cour le dit expressément »205), elle ne signifie pas force

majeure.

De même, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 22 novembre 1996 n’a il pas qualifié la

falsification du connaissement de force majeure, ni fait référence aux caractères propres à

cette notion.

Pareillement, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt « Butterfly » du

21 février 1984, s’est elle contentée de considérer que l’avarie par décongélation « avait pour

cause un fait non imputable au transporteur ».

Et la jurisprudence ne s’y trompe pas : n’est exigée que l’absence de lien de causalité entre les

faits du transporteur et de ses préposés et le dommage. Exiger la preuve d’un cas de force

majeure, dont on sait qu’il ne se confond pas avec l’absence de faute, serait ajouter à la loi.

Si ces cas exceptés ne peuvent présenter les caractères de la force majeure, d’autres le

pourraient mais, en pratique, cela n’est pas exigé.

II- Les cas exceptés ne présentant pas, en pratique, les caractères de la force

majeure

A/ L’incendie

L’incendie, « feu anormal, destructeur et dangereux, causant des dommages d’importance

appréciable », est assez largement interprété -ce qui correspond à la volonté du Doyen

204 BTL 2001, p.643 ; DMF 2002 HS n°6, n°95, p.74. 205 P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 2002 HS n°6, n°95, p.74.

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Rodière qui considérait qu’ « il faut étendre la solution des choses endommagées par

l’incendie à celles qui l’ont été par les effets ou les conséquences de l’incendie, ainsi par la

fumée qui s’en est dégagée ou par l’eau jetée pour l’éteindre »206. Fut ainsi admis comme

entrant dans le cas excepté d’incendie les dommages (maturation) subis par une marchandise

qui se trouvait dans une cale dont le système de ventilation a été stoppé du fait de

l’incendie207.

« L’incendie constitue toujours, à bord du navire, un évènement d’une particulière gravité. La

lutte par les seuls moyens du bord est difficile »208… assertion dont la validité fut

particulièrement démontrée par l’incendie du Hyundaï Fortune209. Un incendie peut donc se

révéler élément irrésistible… caractère qui ne fera que s’accentuer au fur et à mesure de son

développement. En outre, un incendie sera imprévu lors de la conclusion du contrat de

transport dès lors que le transporteur aura exercé les diligences normales relatives à la lutte

contre ce genre d’évènements.

L’incendie peut donc présenter les caractères de la force majeure. Cette qualification, non

exigée par les textes français et international, est elle relevée par les juges ?

Si l’on en croit Melle Landon, en 1987 il était possible de considérer que, « les juges exigent

souvent les caractères de la force majeure. Lorsque le navire était équipé convenablement

pour lutter contre l’incendie, que les certificats de la Lloyd attestaient de la validité de

l’équipement, et que les pompiers ont mis plus de 2 heures à en venir à bout, l’incendie est un

cas de force majeure insurmontable ». A l’appui de ces dires, notre prédécesseur citait les

sentences arbitrales du 16 janvier 1981 et du 18 octobre 1983.

L’incendie est une cause exonératoire de responsabilité pour le transporteur, sauf dans le cas

où le chargeur démontrerait qu’il a commis une faute (or, « dans le plus grand nombre de cas

les tribunaux relèvent une telle faute »210). De ce fait, l’incendie d’origine inconnue est

206 Rodière, Traité, t. II « Affrètement et transports », 1968, n°627, p.269. 207 CA Paris 9 mars 1977. 208 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1091, p.697. 209 Cf. sur ce point www.meretmarine.com –articles des 22 et 28 mars 2006, aussi (nombreuses photos) www.afcan.org. 210 P. Bonassies et Ph. Delebecque DMF, 2003, HS n°7, n°83, p.70 –ainsi CA Rouen 17 janvier 2002.

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libératoire pour le transporteur211. Il y a là une distinction essentielle par rapport à la

force majeure : celle-ci doit nécessairement être prouvée.

Les professeurs Bonassies et Scapel, dans l’ouvrage de droit maritime le plus récent,

considèrent qu’il n’est sans doute pas nécessaire de prouver que le fait non imputable était

extérieur, imprévisible et irrésistible « pour les cas exceptés spécifiques visés par la loi de

1966 (incendie, grève, sauvetage)»212.

La lecture des arrêts et jugements ayant eut à se prononcer sur l’existence d’un incendie en

tant que cas excepté est toutefois sans appel : pas un, à notre connaissance, ne se réfère à cette

notion. Cet état de la jurisprudence s’explique sans doute par le fait qu’il est expressément

prévu que la faute du transporteur le prive du bénéfice de ce cas excepté.

Ainsi, les décisions judiciaires constatant que le dommage est dû à un incendie et que le

transporteur n’a pas commis de faute, avec éventuellement le constat de ce que la cause de

l’incendie est inconnue, il est vraisemblable que les juges ne ressentent pas la nécessité de

justifier plus avant leurs décisions. Si le cas excepté d’incendie est rejeté c’est qu’il est lié à

une faute du transporteur (qui, si elle ne l’évince pas, s’accommode mal d’un cas de force

majeure), et s’il est reconnu c’est que l’évènement est, a minima, très proche de

constituer un cas de force majeure.

Cette constatation jointe à celle selon laquelle l’incendie d’origine indéterminée est

exonératoire de responsabilité pour le transporteur permet de considérer que ce cas excepté

n’a pas à présenter les caractères de la force majeure pour être exonératoire de

responsabilité, tant au plan théorique que jurisprudentiel.

B/ La faute du chargeur

211 CA Rouen 12 juillet 1957, TC Marseille 4 mars 1959, TC Paris 25 juin 1975, CA Aix-en-Provence 16 juillet 1977. Sébastien Beuzit, dans son mémoire « L’incendie à bord du navire marchand » (CDMT 2003) remarque ainsi qu’ « il est toutefois fréquent que la cause de l’incendie ne puisse être clairement identifiée par les experts. L’incendie à bord est en effet à ce point destructeur qu’il est toujours extrêmement difficile, voire même impossible, de déterminer son origine exacte. Ainsi la cause de l’incendie demeure souvent inconnue ». 212 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1073, p.685.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 77

Le (i) du 2nde paragraphe de l’article 4 de la Convention de Bruxelles de 1924 vise «un acte ou

omission du chargeur ou propriétaire des marchandises, de son agent ou de son représentant »,

le (n) vise « les insuffisances d’emballage » et le (o) « les insuffisances ou imperfection de

marques ». Ces trois cas exceptés distincts sont réunis dans la loi française en un seul qui vise

les « fautes du chargeur, notamment dans l’emballage, le conditionnement ou le marquage des

marchandises ».

La faute du chargeur, certainement l’un des cas exceptés les plus sollicités –notamment quant

à l’emballage défectueux de la marchandise- correspond au fait du tiers –ici le cocontractant.

La jurisprudence n’exige pas que la faute commise par le chargeur (celle du destinataire

n’est pas reconnue) présente les caractères de la force majeure213. Cela se comprend

aisément : la faute du chargeur ou de ses substituées suffit à dégager la responsabilité du

transporteur. La faute de son cocontractant l’exonère de sa responsabilité sans qu’il soit

nécessaire que celle-ci soit irrésistible et imprévisible.

Considérer la question autrement serait imposer au transporteur de veiller à ce que ses

cocontractants agissent au mieux de leurs intérêts ! Cependant cela ne signifie pas que le

transporteur ne dusse pas veiller dans une certaine mesure aux intérêts du chargeur : cela fait

partie de sa mission214. Il doit ainsi déceler, s’il en a les moyens, les erreurs manifestes

pouvant être contenues dans les instructions de chargement215 et, de façon plus générale,

apporter tout le soin nécessaire à la marchandise sans que le chargeur ait à lui indiquer toutes

les précautions à prendre216.

D’ailleurs, « cette exonération semble entendue moins comme un cas excepté en faveur du

transporteur que comme une sanction du chargeur et ce, à chaque étape de la préparation des

marchandises en vue du transport maritime. Ces causes d’exonération ne sont pas

213 Récemment, et parmi un florilège d’arrêts, Cass. Com 22 janvier 2002, CA Aix 2 décembre 2004, 7 septembre 2001 « Kamakura », 29 juin 2000, CA Versailles 5 avril 2001, 30 mars 2000, CA Paris 19 février 2003. 214 CA Aix-en-Provence 14 février 1984, DMF 1985, p.542 –pour un chargement de riz opéré sous une pluie battante. 215 CA Versailles, 29 juin 1999 « CMA-CGM c/ SCAC ». 216 CA Rouen, 22 septembre 1998 « Tamatave », DMF 1991, p.114- un logo signifiant une interdiction de gerbage est suffisant pour que l’emploi de cette méthode de chargement soit fautif pour le transporteur.

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particulières. En droit commun de la responsabilité contractuelle, en effet, les fautes du

cocontractant libèrent le débiteur d’une obligation contractuelle »217.

La faute du chargeur suffit donc à exonérer le transporteur sans que la jurisprudence ne se

réfère à la notion de force majeure.

C/ Le fait d’ennemis publics

Le terme d’ennemis publics « prête à discussion », il paraît toutefois indiscutable que son rejet

fondé sur la souveraineté s’exerçant sur les eaux dans lesquelles se déroulèrent les

évènements est infondé218.

La loi française englobe ce cas excepté dans la notion d’évènement non imputable. De ce fait

la démonstration des caractères irrésistible et imprévisible devrait emporter reconnaissance de

ce cas excepté219, sans toutefois que cela soit indispensable.

La jurisprudence considère d’ailleurs que le caractère prévisible d’une attaque ou d’un vol

s’oppose à la reconnaissance de ce cas excepté220. Cela n’équivaut pas nécessairement à ce

que la force majeure soit exigée pour que ce cas excepté soit reconnu, cette exigence

correspondant, en réalité, à celle d’absence de faute du transporteur.

Il semble donc que le fait d’ennemis publics, s’il peut être un cas de force majeure, ne

nécessite pas d’être qualifié comme tel pour être reconnu.

La réflexion incite d’ailleurs à considérer qu’il n’est pas souhaitable d’exiger de cet

évènement qu’il soit un cas de force majeure. De par la violence, non nécessairement

extériorisée, que cette qualification sous-entend il faut nécessairement considérer l’évènement

irrésistible. Il serait impensable de distinguer suivant la violence dont ces « ennemis publics »

ont fait preuve car il vaut mieux ignorer l’importance de celle-ci et que tous les marins soient

vivants, plutôt que de prendre le risque de violences aux conséquences trop prévisibles.

217 « 40 ans d’application des cas exceptés de responsabilité des Règles de La Haye-Visby », DMF 2005, p. 908 et suivantes. 218 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1077, p.687 et DMF 1989, p.419 note de P. Bonassies à propos de l’arrêt Cass. 14 février 1989 « Sunny Arabella ». Une étude accessible sur le site de l’OMI (www.imo.org) nous apprend que 86,5% des attaques de navires entre 1995 et 2000 eurent lieu dans les eaux territoriales ou des ports, démontrant encore un peu plus le caractère aberrant de la solution adoptée par la Cour de cassation. Cf. aussi, sur l’état actuel de la piraterie le site www.arte.tv.fr. 219 Dans ce sens : P. Bonassies et Ch. Scapel n° 1077, p.687. 220 TC Marseille 18 décembre 1998 « Tiger Force », CA Paris 7 octobre 1986.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 79

Toute la question devrait donc porter sur le caractère prévisible de ces faits. Or, pour prendre

l’exemple de la piraterie –qui semble le plus adapté à ce cas excepté- passer par certaines

régions (détroit de Malacca ou mer de Chine méridionale notamment) rend les attaques de

pirates prévisibles… mais non évitables ! En outre, les chargeurs et destinataires savent

pertinemment que le navire, donc la cargaison, court ce risque.

Contractant en connaissance de cause ils acceptent cet aléa et sont, de notre point de

vue, de mauvaise foi à se plaindre de ces faits d’ « ennemis publics ».

Il pourrait être opposé à cet argument celui selon lequel, le plus souvent, ce sont les assureurs

qui agissent contre le transporteur. Certes ! Mais le fondement n’est rien d’autre qu’une

subrogation. Refuser aux ayant-droits marchandises une action contre le transporteur

permettrait d’interdire cette action aux assureurs.

Nous en convenons, les primes d’assurance s’en trouveraient augmentées… mais l’argument

n’est pas juridique. De plus, il n’est pas suffisant pour justifier la situation actuelle.

Finalement, si le cas excepté du fait d’ennemis publics, tel qu’appliqué par la jurisprudence,

n’exige pas de présenter les caractères de la force majeure, cette solution ne peut être

qu’approuvée.

D/ Emeutes ou troubles civils et faits de guerre

Les « faits de guerre » sont visés par le (e) du §2 de l’article 4 de la Convention de Bruxelles

lorsque les émeutes et troubles civils sont visés par le (k) du même paragraphe.

La guerre est « un conflit armé entre deux Etats, chacun des belligérants cherchant à

soumettre son ou ses adversaires à sa volonté par la force »221, les émeutes et troubles civils se

distinguent par les personnes qu’ils opposent : plus que deux Etats, par le truchement de deux

armées, ce sont les citoyens ou des milices qui prennent les armes et s’affrontent.

221 G. Cornu « Vocabulaire juridique », PUF Quadrige, 2004.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 80

Au plan de l’exécution du contrat de transport maritime l’effet reste la même : dans une

situation de violence, celle-ci peut se trouver interrompue.

« Tels qu’énoncés dans la Convention ils n’ont pas besoin de revêtir les caractéristiques de la

force majeure pour exonérer le transporteur maritime »222. Puisqu’il n’existe pas, à notre

connaissance, d’arrêt récent à propos du cas excepté d’émeutes, troubles civils ou faits de

guerre, une même solution serait sans doute appliquée aujourd’hui.

Finalement, il ne semble pas exiger que les troubles civils ou guerres soient des cas de

force majeure. Au demeurant, cette solution est toute à fait justifié juridiquement : les cas

exceptés de la Convention de Bruxelles sont étrangers à cette notion.

E/ Périls de la mer et Convention de Bruxelles de 1924 : non à la force majeure !

Les « périls de la mer » forment la cause d’inexécution du contrat de transport de

marchandises la plus évidente, celle qui vient en premier à l’esprit223. Elle est d’ailleurs la

plus ancienne puisqu’elle était déjà présente à l’article 11 des Rôles d’Oléron.

La première question tient sans doute à la définition de « périls de la mer », trop souvent

appelés « fortune de mer »224. Ceux-ci sont traditionnellement définis comme étant « un

concours de circonstances dans laquelle entrent en cause la force du vent, l’état de la mer et la

hauteur des vagues »225. Critères auxquels le professeur Tetley adjoint très justement ceux du

lieu et de l’époque de l’année, de la prévisibilité, de la durée et des dommages causés aux

navires se trouvant à proximité226.

222 « 40 ans d’application des cas exceptés de responsabilité des Règles de La Haye-Visby », DMF 2005, p. 908 et suivantes. 223 La tempête, péril de la mer « par excellence » –selon Tetley, étant le péril de la mer le plus souvent invoqué nous le prendrons comme base pour notre réflexion. Il semble, cependant, que les tribunaux sont moins sévères dans l’appréciation des autres périls de la mer –cf. Bonassies, DMF 1989, p.159 à propos de CA Aix 1er février 1986. 224 Terme employé à l’article 46 du décret qui dispose qu’ « il n’est dû aucun fret pour les marchandises perdues par fortune de mer ou par suite de la négligence du transporteur ». La fortune de mer est un terme initialement utilisé pour désigner le patrimoine de mer -Cf. le mémoire de Jean Frédéric Joary « La fortune de mer », CDMT 2003. Aussi, à propos du prêt à la grosse aventure, qui est à l’origine du patrimoine de mer, Lévy et Castaldo, « Histoire du droit civil », Précis Dalloz, 1ère édition, 2002, n°455, p.674. 225 Y. Poupard, DMF 1984, p.424. 226 Tetley, chapitre 18, page 437-438.

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En common law, diverses définitions furent proposées: M. Hough, dans l’affaire Rosalia, les

définit comme « something so catastrophic as to triumph over those safeguards by which

skillfull and vigilant seamen usually bring ship and cargo in safety”, definition qui influença

longtemps les juridictions amérciaines. Plus récemment, le professeur Tetley considérait les

périls de la mer comme étant “some catastrophic force or even that would not be expected in

the area of the voyage, at that time of the year and that could not be reasonably guarded

against”227.

Les périls de la mer font l’objet d’un cas spécifique distinct dans le cadre de la Convention de

Bruxelles de 1924, contrairement à la loi française de 1966 qui les inclut dans le cas excepté

général de « faits constituant un évènement non imputable au transporteur ».

Ainsi, si la Convention de Bruxelles s’en tient à la méthode classique du cas excepté, qui

définit a priori un évènement comme étant exonératoire de responsabilité, la loi française

diffère sur ce point. Elle nécessite, par hypothèse, de démontrer que le fait est « non

imputable », c'est-à-dire d’apprécier a posteriori ses caractères. Les textes imposent donc des

techniques distinctes et donnent lieu à des solutions différentes au plan des rapports avec la

force majeure –nous étudierons donc l’appréhension de ce cas excepté par la loi de 1966

ultérieurement228.

Comme souligné par les étudiants du Master droit des espaces et des activités maritimes de

l’Université de Bretagne occidentale, « Le juge adopte deux solutions une fois que le

préalable de la due diligence et le lien de causalité sont établis. Soit il applique à la lettre la

Convention et considère que l’exonération de responsabilité prévue pour pertes ou dommages

résultant ou provenant des périls, dangers ou accidents de mer, n’est pas subordonnée à la

preuve que ces circonstances aient le caractère insurmontable et imprévisible de la force

majeure229. Soit, il interprète la Convention à la lumière de son droit maritime interne. Les

227 Tetley, chapter 18, p.432. 228 Il eût été concevable de traiter la question des périls de la mer d’un seul tenant. Néanmoins, la différence textuelle, autant que jurisprudentielle, et la longueur des développements nous incitèrent à préférer cette dichotomie. En outre, si ce n’est surtout, la jurisprudence exige, le plus souvent, que le péril de la mer soit un cas de force majeure dans le cadre de la loi de 1966, ce qui distingue le droit national de l’application faite par la juge national de la Convention de Bruxelles. 229 Notamment Cass. Com 29 avril 2002, 7 décembre 1999, CA Aix 19 janvier 2001, 17 février 1994, 23 février 1993, CA Rouen 24 février 2000, 10 novembre 1999.

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juges français ont dans ce cas tendance à exiger que les caractères de la force majeure soient

réunis230. Les décisions dans ce sens sont nombreuses ».231

Si la matière recèle de très nombreux arrêts dont l’unité de vue est parfois discutable, une

doctrine majoritaire considère de manière générale que « cette notion de fortune de mer

retenue par la Convention est plus large que celle de force majeure : elle s’entend de

tout évènement anormalement pénible. Il n’y a pas lieu d’exiger du transporteur que

l’évènement qu’il allègue pour s’exonérer présente un caractère imprévisible et insurmontable

dès lors qu’aucune faute n’est démontrée contre lui ou ses préposés »232.

Cette considération paraît, à la vérité, devoir emporter l’adhésion pour plusieurs raisons :

- Tout d’abord, la Convention de Bruxelles de 1924 juxtapose à cette notion de périls de

la mer celle d’ « act of god », soulignant ainsi le caractère plus habituel, plus normal

même, des périls de la mer. L’acte de Dieu paraît être l’évènement imprévisible et

irrésistible, celui contre lequel l’humain ne peut rien (en filigrane : car il résulte de la

volonté divine).

- Ensuite les termes mêmes de « périls de la mer » indiquent que ceux-ci ont un

caractère habituel, sont inhérents au milieu maritime. S’ils peuvent être

particulièrement grands (d’où le fait que le transporteur ne puisse en répondre) il n’est

pas exigé qu’ils soient irrésistibles.

- En outre, la Convention de Bruxelles de 1924 ne fait aucune référence à la notion de

force majeure, rien ne présente les « périls, dangers et autres accidents de la mer ou

d’autres eaux navigables » comme devant revêtir les aspects de la force majeure233.

230 Notamment Com 7 juillet 1998, 1er décembre 1992, CA Aix30 octobre 1997, 1er février 1986, 27 février 1985, 9 mai 1973, 20 décembre 1972, CA Paris 13 octobre 1986, 2 février 1971, CA Bordeaux 26 janvier 1972. 231 « Regards sur la jurisprudence. 40 ans d’application des cas exceptés de responsabilité des Règles de La Haye-Visby », DMF 2005, p.908 et s. Le professeur Rémond-Gouilloud remarquait déjà cette tendance en 1993 lorsqu’elle écrit « La pratique a du mal à s’accommoder de cette disparité entre régime interne et international : périodiquement la jurisprudence est conduite a rappeler que la fortune de mer visée par la convention doit s’apprécier moins sévèrement que la force majeure française » -n°585, p.379. 232 Lamy Transport 2007, n°623, p.364. Dans le même sens R. Rodière et E. du Pontavice, n°369, p.350 ; M. Rémond-Gouilloud, n°585, p.378, P. Bonassies (DMF 1992, 154), Y. Tassel (DMF 1993, note sous Cass. Com. 1er décembre 1992, « Houtmangracht », p.44 et s.), A. Vialard (DMF 2001, note sous CA Aix 19 janvier 2001 « Ras Mohamed », p.820 et s.). 233 Avis partagé par Rodière et Du Pontavice (Droit maritime, 11ème édition, Dalloz 1991, p.288), A. Vialard, DMF 2001, p.820 et s. Toutefois, la Cour Suprême canadienne en juge autrement : exigeant que les périls de la mer soient irrésistibles et imprévisibles -cf. les divers arrêts cités à l’appui de cette assertion par le professeur Pineau, n°172, p.206.

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- Enfin, nous savons que la Convention de Bruxelles et un texte de compromis basé sur

l’idée de partage des risques entre transporteur et ayant-droit marchandises. Il semble

ainsi que les risques de la mer dépassant une diligence raisonnable aient été considérés

comme devant être supportés par les ayant-droit marchandises. La jurisprudence, sur

la base de ce texte, se fonde d’ailleurs fréquemment, lorsqu’elle n’exige pas que

l’évènement présente les caractères de la force majeure, sur le caractère « anormal »

des périls234. Ainsi, les périls normaux relèveraient de la diligence du transporteur

(à travers les notions de navigabilité et d’absence de faute) alors que les

conséquences des périls anormaux seraient, quant aux dommages subis par la

marchandise, supportés par les intérêts cargaison.

Cependant, l’analyse des définitions données par les auteurs outre-atlantique et outre-manche

souligne l’importance de la référence à la normalité, à ce qui est prévisible (« usually »,

« expected in the area »235).

Le caractère de prévisibilité des périls de la mer paraît ainsi primordial dans les conceptions

anglaise et américaine, plus encore que celui d’irrésistibilité. L’analyse semble toutefois

relativement concrète : si elle ne prend pas en compte les caractéristiques du transporteur et la

diligence à laquelle il s’est obligé (cf. supra) elle prend en compte ce à quoi l’on peut

s’attendre en un lieu donné et à une période donnée236. Ainsi fut il admis à plusieurs reprises

comme péril de la mer une vague particulièrement forte (sans parler de vague scélérate) qui

avait défié les prévisions du Capitaine237 -analyse particulièrement concrète.

En outre, le caractère irrésistible paraît aussi avoir sa place : si le péril était résistible et que le

transporteur n’y a pas résisté sa faute est caractérisée. Le péril ne peut donc être qu’irrésistible

234 Notamment : CA Aix 19 janvier 2001 « Ras Mohamed », CA Versailles 30 mars 2000, CA Paris 13 mai 1988 « Ange Atlantic » ; de même, en application des règles de Hambourg : TC Marseille 5 octobre 2004 « Cap Canaille » 235 Comme le souligne le professeur Hassania Cherkaoui dans son article « Le péril de mer, notion maritime de la force majeure », DMF 1991, p.211 et s. 236 Nous noterons d’ailleurs, avec les professeurs Cherkaoui et Tassel, que la référence à la force du vent est sur ce point trop rapide : les circonstances locales rencontrées par le navire peuvent être très différentes de ce qui est annoncé et relevé sur zone. Néanmoins, cette approximation donne une idée (au risque cependant d’induire en erreur) des conditions de mer. 237 Sentence arbitrale n°1077 de la CAMP du 18 novembre 2002, à propos d’une « lame traversière qui avait brutalement couchée le navire », CA Aix 27 février 1985 « Liberté », à propos d’une lame particulièrement forte qui avait déclenché un coup de roulis de l’ordre de 40°.

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–le respect du texte international imposera toutefois une conception moins stricte de ce

critère.

Finalement, si les tribunaux français exigent parfois que le cas excepté de périls de la

mer soit un cas de force majeure, la lecture de la Convention de Bruxelles n’impose pas

une telle condition. Il y a donc « dénaturation du texte ».

Comme nous l’avons souligné, le transporteur en prouvant qu’il n’a commis aucune faute,

établit fréquemment que le cas excepté est un cas de force majeure. En outre, cette

qualification inutile en droit, semble renforcer la légitimité de la décision rendue (« qui peut le

plus peut le moins).

Ces deux raisons, jointes au poids des habitudes et concepts français expliquent,

vraisemblablement, que la force majeure soit parfois caractérisée par les juges lorsque cela

constitue une erreur de droit –sans importance quand le cas excepté est admis, elle peut

s’avérer dommageable lorsque le bénéfice du cas excepté est refusé.

En dehors de la question de savoir si celle-ci est justifiée par l’adéquation de la notion de

force majeure à celle de périls de la mer (cf. infra), se pose la question de savoir si celle-ci

permet une « homogénéisation » des solutions, c'est-à-dire de déterminer si la loi française de

1966, en elle-même et telle qu’appliquée par les tribunaux, impose que l’évènement de mer

soit un cas de force majeure (cf. infra).

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 85

Ss. 2nde Les cas exceptés devant présenter les caractéristiques de la

force majeure

Nous le concédons d’emblée : nous jouons sur le double sens du verbe « devoir » pour

agglomérer dans cette sous-section les cas exceptés « devant » être cas de force majeure selon

la jurisprudence (I) –aucun systématisme ne semble exister en la matière- et ceux « devant »,

selon nous cette fois, présenter ces caractères (II).

I- Cas exceptés dont la jurisprudence exige les caractères de la force majeure

A/ Périls de la mer et loi française du 18 juin 1966 : oui à la force majeure !

Le Doyen Rodière a pu considérer que la périphrase « faits constituant un évènement non

imputable » renvoyait à la force majeure238. Etant l’instigateur principal de la réforme du droit

maritime on ne peut douter de cette volonté. Néanmoins, force est de constater que

l’expression est source d’ambiguïté : n’est elle pas plus proche de la notion de cause

étrangère, notion plus accueillante ne nécessitant pas la preuve du caractère d’irrésistibilité ?

Ainsi, un fait non imputable au transporteur peut s’entendre de la faute d’un tiers, sans que

celle-ci ne présente nécessairement les caractères de la force majeure.

Il est toutefois notable que cette expression, en matière de périls de la mer, se réfère le

plus souvent à la notion de force majeure. En effet, il est difficilement concevable qu’un

échouement, abordage d’un iceberg, présence de rats dans la tuyauterie du navire ou, « péril

par excellence », le mauvais temps239 soit causé par un tiers (l’acte de Dieu étant un cas

excepté distinct !). Reste toutefois l’abordage fautif par un autre navire… malgré tout, et eu

égard au fait que ce sont quasi-systématiquement des tempêtes qui sont invoquées comme

238 Rodière, traité, t. II « Affrètements et transports » n°630 ; de même le professeur Rémond-Gouilloud considère que « le droit français, plus sévère, exige en outre que l’évènement en cause n’ait été pour lui ni prévisible ni surmontable, c'est-à-dire qu’il soit constitutif de force majeure : la formule légale se ramène à la cause étrangère de droit commun », n°585, p.378. 239 Pour reprendre la liste du professeur Tetley - chapter 18, p.435.

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périls de la mer240, l’assimilation de ce fait non imputable à la force majeure, en la matière,

nous paraît une approximation très acceptable.

Il est, en outre, avancé que le fait d’exiger que le fait non imputable présente les caractères de

la force majeure contrevient à la volonté d’homogénéisation des régimes international et

français. Or cette homogénéité ne semble mise en danger qu’au niveau international (c’est

déjà beaucoup, nous en convenons). En effet, nous l’avons vu, le cas excepté de périls de la

mer visé par la Convention de Bruxelles de 1924 est, très fréquemment, interprété par les

juges français comme nécessitant la démonstration d’un cas de force majeure.

Qu’en est il en jurisprudence quant à la reconnaissance des périls de la mer dans le cadre de la

loi française?

Il semble possible de considérer, avec une doctrine autorisée, que « quand le transporteur,

pour un transport soumis à la loi de 1966, invoque un fait extérieur (grève ou péril de la mer

par exemple), il doit prouver que ce fait ne lui est pas imputable, étant pour lui non seulement

extérieur mais aussi imprévisible et insurmontable ».241

La question se pose alors de déterminer si cette solution, la référence à la force majeure, est

justifiée. Le professeur Tassel fait d’ailleurs remarquer que la jurisprudence

« bienveillante », c'est-à-dire n’exigeant pas la preuve de ce que le péril de la mer soit un

cas de force majeure, est sans doute choquante « à en croire le nombre d’arrêts qui, en

sens contraire » exigent que le dommage soit du à un cas de force majeure242.

Nous l’avons dit, la lecture de la loi dans la perspective de la volonté de ses rédacteurs n’est

pas d’un grand secours.

L’opportunité semble, dès lors, devoir justifier un choix. Au-delà de l’argument selon lequel

l’homogénéité des régimes national et international est souhaitable, se pose la question de

savoir si la notion de force majeure est adaptée à la notion de périls de la mer.

240 Nous raisonnerons donc principalement à partir de celles-ci. 241 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1073, p.685. Cf. notamment, 29 avril 1990 « Al Hoceima », CA Paris 2 mars 1988 « Rhône », TC Marseille 1988 « Nausicaa ». 242 Y. Tassel, note sous Com 1er décembre 1992, « Houtmangracht », DMF 1993, p.45 et s.

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Tout d’abord, les navires sont prévus pour affronter des tempêtes virulentes, ainsi que

l’exprima le Tribunal de Commerce de Marseille dans un jugement du 3 mars 1995 « le

mauvais temps et la tempête sont des éléments prévisibles en matière maritime. Les navires

sont construits et doivent être gouvernés pour y faire face »243.

L’aptitude à affronter les périls de la mer est même intrinsèque à la notion de navire244 : elle

participe de la distinction entre ce qui est ou n’est pas un navire. Il est donc impensable de

considérer que toute tempête est exonératoire de responsabilité pour le transporteur.

Dès lors, l’idée de force majeure, si ce n’est ses critères, paraît particulièrement

adaptée : le transporteur doit assumer les risques dont sa diligence peut empêcher la

réalisation. Par contre, pour les risques qui ne pourront jamais être totalement écartés, les

ayant-droits marchandises doivent accepter d’en supporter les conséquences. Est ainsi à

nouveau présente (cf. supra) l’idée que le risque doit être supporté par le transporteur lorsqu’il

est « normal », et par les intérêts cargaison lorsqu’il est « anormal ».

Si le contrat de transport maritime de marchandises n’est pas un contrat aléatoire, il est

certain que ses caractéristiques le rendent plus aléatoire que d’autres (contrats de

transport notamment). Les chargeurs et destinataires ne peuvent l’ignorer et doivent même

l’accepter, idée que le professeur Sériaux défend à propos du vice propre de la marchandise

lorsqu’il écrit « l’expéditeur (ou le chargeur) a choisi un mode de transport en tenant compte

de la nature de la marchandise ; c’est à lui d’endosser les conséquences éventuellement fastes

de son choix »245.

Se pose donc la question de l’adéquation des critères de la force majeure avec le traitement

devant être réservé aux périls de la mer –dont nous rappellerons qu’ils sont appliqués par la

Cour suprême du Canada (cf. supra).

243 TC Marseille, 3 mars 1995 « Navire Jolly Grigio », DMF 1996, p.250. 244 Si la notion de navire n’est pas définie par la loi du 18 juin 1966, l’article 21 prévoit l’obligation pour le transporteur de mettre son navire « en état de navigabilité ». 245 A. Sériaux, n°200, p.154.

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- Quant au caractère imprévisible : il est désormais rare que des conditions de mer difficiles

ne soient pas prévues par les bulletins météorologiques246. Dès lors, et sauf pour le navire à se

trouver en pleine mer, et suffisamment loin de tout abri pour ne pas avoir le temps de s’y

réfugier, l’évènement ne sera pas imprévisible ou réellement irrésistible (puisqu’il aurait pu

être évité).

Les professeurs Cherkaoui et Tassel considèrent que la prévisibilité est un critère inopérant au

regard des progrès de la météorologie et de son caractère général et abstrait (opposé aux

variations ponctuelles et locales). Il nous semble, au contraire, que les conditions plus

difficiles que prévues redonnent du sens au critère d’imprévisibilité. Le transporteur doit

vérifier les prévisions météorologiques avant de partir, mais, par la suite, l’évolution de

celles-ci peut être imprévue. Sont ainsi conciliés l’exigence d’une certaine sévérité à l’égard

du transporteur et d’une certaine mansuétude face aux évènements qu’il ne pouvait prévoir.

La référence générale et abstraite à la période de l’année et aux eaux traversées paraît

être un élément essentiel, mais insuffisant car trop abstrait, à l’appréciation de cette

prévisibilité. Il doit être complété par une appréciation concrète des périls réellement

rencontrés lors du voyage afin de déterminer leur caractère imprévisible, mais aussi

irrésistible.

- Quant au caractère irrésistible : les professeurs Tassel et Cherkaoui considèrent qu’il devrait

être apprécié par rapport aux dommages subis247. Or ceci, à notre sens, revient à n’exiger du

transporteur qu’une absence de faute. Si le dommage était résistible c’est nécessairement

qu’en ne résistant pas le transporteur a commis une faute. Partant, cette conception vide de

son sens le principal critère de la force majeure.

Pour nous, l’irrésistibilité est particulièrement adaptée. Si le navire peut éviter la tempête ou

en atténuer les effets en changeant de route celle-ci devient résistible. Certes, cela risque de

faire perdre du temps au transporteur. Néanmoins, il doit prendre soin de la cargaison et ne

246 Le Commandant Figuière (Revue Scapel 2003) fait toutefois remarquer que les prévisions ne sont, à l’heure actuelle, fiables qu’à cinq jours. La prévisibilité lors de l’appareillage est donc toute relative. Cependant, après avoir appareillé, le navire continue à recevoir les bulletins météorologiques lui permettant, le cas échéant, de se dérouter. 247 Yves Tassel, note sous Cass. Com. 1er décembre 1992, « Houtmangracht », DMF 1993, p.44 et s.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 89

peut donc s’abriter derrière le gain manqué. Ce d’autant plus que le retard est traité de façon

compréhensive en matière maritime (cf. infra).

La résistibilité paraît cruciale en ce qu’elle distinguera les périls normaux (auxquels on

peut résister, éventuellement en les évitant) des périls anormaux (irrésistibles,

éventuellement car inévitables). Si le transporteur, alors qu’il peut faire autrement, décide de

prendre le risque de continuer sa route malgré les conditions difficiles annoncées, il doit

supporter le risque lié à ce choix : il devient anormal puisque non imposé.

Les jurisprudences anglaise et américaine statuent d’ailleurs en ce sens : elles exigent que le

dommage ait été insurmontable. Là encore, nous tenons pour une appréciation in concreto,

c'est-à-dire à « partir de « ce » navire et « cette » marchandise dans de « telles » conditions248.

Reste toutefois à déterminer le seuil de violence des éléments à partir duquel le

transporteur ne devrait plus être tenu pour responsable. De celui-ci dépendra

l’adéquation pratique de la notion de force majeure.

D’un côté, il semble possible de considérer qu’une appréciation stricte de ce qui est constitutif

d’un péril de la mer soit souhaitable eu égard aux améliorations de la construction navale, de

la météorologie et des communications avec la terre et les navires, de ce que le choix de faire

reposer le risque des périls de la mer doit sans doute beaucoup au rapport de force qui existait

en 1924, à la fréquence des tempêtes et autres périls de la mer dont une utilisation abusive

serait inéquitable.

D’un autre côté, une appréciation plus souple permettrait de répartir les risques entre les

parties (dès lors que le navire souffre déjà des périls de la mer), elle correspond aussi au fait

que le chargeur ne peut ignorer que le transport maritime est plus périlleux qu’un autre.

Cependant, cette répartition des risques existe déjà à travers le cas excepté de faute

nautique ou l’application des avaries communes. De plus, si le chargeur ne peut ignorer les

risques inhérents au transport maritime, il convient de réduire ceux-ci autant que possible. A

cet égard, une certaine sévérité à l’égard des transporteurs est sans doute le moyen le plus

248 Yves Tassel, note sous Cass. Com. 1er décembre 1992, « Houtmangracht », DMF 1993, p.44 et s.

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efficace : l’argent n’est il pas « le nerf de la guerre », bien plus que le sentiment de

culpabilité ?

Au final, il nous semble qu’une appréciation stricte, par le biais de la force majeure, doit

prévaloir. D’ailleurs, la jurisprudence ne s’est pas trompée : « elle est très exigeante et

ses appréciations font que ce cas excepté est exceptionnel »249. L’équité l’impose.

La force majeure telle qu’appliquée par la jurisprudence paraît, dès lors une bonne solution250-

qui présente l’inconvénient, nous en convenons, de ne pas s’accorder avec l’application qui

devrait être faite du cas excepté de périls de la mer prévu par la Convention de Bruxelles de

1924.

On peut dès lors se demander s’il ne serait pas plus judicieux, tout en conservant la sévérité

actuelle à l’endroit des transporteurs, de se contenter d’être stricte dans l’appréciation de

l’éventuelle faute du transporteur : eu égard à la proximité de la notion d’absence de faute

avec celle de force majeure en matière de transport maritime, les solutions pratiques seraient

peu différentes et l’homogénéité (par rapport à la Convention de Bruxelles telle qu’elle

devrait être appliquée) assurée.

B/ La grève, le lock out et les arrêts de travail

Sur ce point, l’avis de la doctrine est clair et uniforme :

Selon le Doyen Rodière « c’est donc une erreur que de requérir de la grève qu’elle réponde à

la définition de la force majeure »251

Pour Martine Rémond-Gouilloud le transporteur n’est pas « obligé d’établir que le conflit

revêtait pour lui les caractères de la force majeure »252

249 P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 2004, HS n°8, n°90, p.81. 250 Antoine Vialard considère ainsi que «quoique de bonne technique juridique (l’exonération, dérogatoire au droit commun, doit être d’interprétation stricte), cette interprétation du droit interne détruit l’harmonisation recherchée au plan international » in « Droit maritime », PUF 1997, n°488, p.417. Contra : Yves Tassel pour qui c’est un « contresens » - DMF 1993, p.44 et s. 251 Rodière, t. II, n°633, p.274. 252 M. Rémond-Gouilloud, n°586, p.379.

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Emmanuel du Pontavice et le Doyen Rodière considèrent qu’« ici on s’éloigne du droit

commun. La grève n’est pas nécessairement un évènement de force majeure, alors que la loi

maritime ne distingue pas. La cause exonératoire se caractérise ici non par les traits généraux

de la force majeure, mais par la nature et l’origine de l’évènement »253.

Plus récemment, les professeurs Bonassies et Scapel ont estimé que « les termes utilisés par la

législateur impliquent clairement que, même pour les transports soumis au droit français, le

transporteur –à l’inverse de ce qui est en droit commun- n’a pas à faire la preuve que la grève

ou le lock out répond aux exigences de la force majeure »254.

Le transporteur doit toutefois démontrer que l’évènement invoqué est la cause du dommage et

qu’il n’a pas commis de faute, que la difficulté sociale n’était pas prévisible255 ou qu’il en est

pas la cause –en cas de lock out notamment256.

Pourtant, un arrêt récent de la Cour d’appel de Rouen, « Blackfriar bridge » du 24 novembre

2005, a toutefois caractérisé le caractère de force majeure de la grève des dockers du port de

Fort de France. La commentatrice, Claire Humann, note d’ailleurs que cet arrêt correspond à

la jurisprudence contemporaine majoritaire257.

Cette analyse est d’ailleurs confirmée par les étudiants de l’université de Brest qui, en 2004,

estimaient que « la formulation de la Convention de Bruxelles de 1924 a été intégralement

reproduite par la loi française. Or, les juridictions françaises interprètent différemment des

deux textes. Sur le fondement de la loi française et postérieurement à une décision de

première instance de 1984, isolée, l’ensemble des décisions émanant des Cours d’appel et de

la Cour de cassation exige que soient constatés les caractères imprévisible et insurmontable de

la grève, faisant ainsi coïncider ce cas excepté avec le cas exonératoire de la force majeure de

la responsabilité civile contractuelle. »258 Avant de noter qu’un arrêt récent (CA Aix-en-

253 R. Rodière et E. du Pontavice, n°370, p.350. 254 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1079, p.688. 255 CA Versailles, 8 avril 2004. Confirmant cette assertion : CCass. 25 février 2004, CA Versailles 4 et 29 avril 2004. 256 CA Paris 3 mai 1995. 257 DMF 2006, p.511, citant à l’appui de cette assertion les arrêts suivants : Cass. Com. 19 mars 2002, CA Versailles 8 avril 2004 et CA Aix 28 mai 1991. 258 « Regards sur la jurisprudence. 40 ans d’application des cas exceptés de responsabilité des Règles de La Haye-Visby », DMF 2005, p.908 et s.

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Provence, 12 novembre 1998 « Ile Maurice ») exigea que la grève, pour être exonératoire, soit

inopinée.

Finalement, la jurisprudence contemporaine exige, à tort selon la doctrine, que la grève

soit un cas de force majeure.

II- Cas exceptés devant, au plan théorique, présenter les caractères de la force

majeure

A/ L’act of God

Cette ancienne notion de common law, qui semble n’avoir jamais été utilisée dans le cadre du

transport maritime, « n’a fait l’objet d’aucune définition précise ». « Il est sûr que, du point de

vue du droit français le caractère divin de l’acte de Dieu, s’il s’en trouvait, en fait

nécessairement un évènement de force majeure, non imputable au transporteur »259.

Si le Doyen Rodière donnait comme exemple la foudre260, on pourrait aussi songer à « un

ouragan, un tremblement de terre, une irruption volcanique »261 ou aux vagues scélérates

-(freak waves). L’impossibilité actuelle d’en prévoir la survenance, la difficulté d’en

expliquer l’existence, la violence et le caractère erratique semble donner à cet évènement un

caractère divin, en ce sens qu’elles échappent à l’entendement humain262.

Ces vagues monstrueuses sont, de toute évidence, des cas de force majeure : leur prévision est

à ce jour impossible. De plus, celles-ci paraissent irrésistibles autant qu’inévitables : quant

bien même le capitaine aurait pu apercevoir un tel phénomène sur sa route, il n’aurait pas le

temps de modifier sa trajectoire afin de présenter sa poupe ou sa proue au mur d’eau.

259 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1075, p.686-687. 260 Rodière, Traité, t. II « Affrètements et transports » n°760. 261 Sériaux, n°161, p.125 262 Cf. www.ifremer.fr et le dossier afférent, ainsi que l’article passionnant du Capitaine Figuière « Les vagues monstrueuses (freak waves) in Revue Scapel, 2003, p.160 et s.

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A notre sens, l’act of God devrait nécessairement présenter les caractères d’un cas de

force majeure263. Les tribunaux français passeraient d’ailleurs sans doute par ce biais

pour justifier une solution inconnue du droit français et aux accents peu laïques !

Ainsi, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 29 avril 1986 « Thallasani-Kyra »

a-t-elle estimé « l’acte de Dieu étant une notion anglo-saxonne de force majeure résultant

d’une cause naturelle »264.

B/ Le fait du Prince et la quarantaine

Le (g) de l’art 4 §2 de la Convention de Bruxelles vise l’« arrêt ou contrainte de prince,

autorité ou peuple ou saisie judiciaire ». Nous laisserons de côté la notion de saisie judiciaire

(qui peut ou non présenter les caractères de force majeure –cf. supra & infra) et ajouterons le

(h), qui vise la quarantaine, pour nous intéresser à ce que nous dénommerons « le fait du

Prince ».

Une décision étatique est par essence irrésistible puisque le capitaine du navire ne peut s’y

soustraire265. La seule réelle question porte donc, pour déterminer si elle constitue ou non un

cas de force majeure, sur sa prévisibilité. Cette dernière notion doit, dans l’analyse de

l’existence de ce cas excepté, être appréciée en prenant en compte les prévisions lors de la

conclusion du contrat, ainsi que la possibilité pour le Capitaine d’éviter le prononcé de ces

décisions étatiques.

Ainsi, « les tribunaux se montrent ici vigilants. Ils scrutent les données de fait de façon à

déterminer si le transporteur n’était pas en mesure de connaître et de prévoir ce type de risque

et, en ce cas, le privent du bénéfice du cas excepté »266.

263 Opinion partagée par le professeur Sériaux qui souligne que la jurisprudence américaine (non maritime) a jugé dans ce sens –Cour de New-York, 21 juin 1963 –cf. Sériaux, n°161, p.125. 264 DMF 1987, p. 661 et s. –nous noterons au passage la résurgence des Anglo-saxons dont le professeur Bonassies nous a assuré que le dernier s’était éteint en 1066 ! 265 Ce qui fut explicitement reconnu par l’arrêt de la CA Paris du 20 mars 2002 « Vosa-carrier », DMF 2004, p.150. 266 P. Bonassies et Ch. Scapel, n° 1078, 688 –se référant aux arrêts : CA Paris 15 janvier 1997 et CA Rouen 23 mai 2001.

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Dire cela c’est admettre que les tribunaux vérifient si le fait du Prince était bien un cas

de force majeure, évènement imprévisible et irrésistible. Faute d’imprévisibilité il y aura

faute du transporteur emportant sa responsabilité totale267.

Ceci se comprend aisément dans ce cas précis : seul le choix de décharger dans un port ou de

naviguer dans certaines eaux engendre la décision de l’autorité. Ainsi, à propos d’un arrêt de

la Cour d’appel de Paris dans lequel était invoqué le fait du Prince qui avait retenu pendant

plusieurs semaines un navire dans un port algérien, les commentateurs considèrent ils qu’

« alors même que les cas exceptés de la Convention de 1924 n’ont pas à satisfaire aux

conditions exigées d’un cas de force majeure, en l’espèce c’est en pleine connaissance de

cause, fautivement, que le transporteur s’était « jeté dans les bras » des autorités

algériennes »268.

Si les arrêts sont peu nombreux en la matière269, il convient de s’intéresser à trois d’entre eux.

Tout d’abord, l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 1990 qui insiste sur le fait que le

fait du Prince visé par la Convention de Bruxelles de 1924 n’a pas à présenter les

caractéristiques de la force majeure pour être exonératoire. Certes, mais il les présentera

nécessairement sauf a être fautif pour le transporteur, c'est-à-dire à n’être d’aucune utilité pour

le transporteur.

Ensuite, deux arrêts de Cours d’appel270 concernant un même navire, le « Vosa-Carrier »,

rendus dans deux affaires distinctes, ont récemment admis le fait du Prince sans qualifier

celui-ci de cas de force majeure. Le commentateur du second, François Le Louer, va même

jusqu’à considérer que « la Cour n’utilise pas à juste raison le terme « imprévisible », le cas

excepté de fait du Prince ne revêtant pas les caractères de la force majeure ». Le caractère

« exceptionnel » qui résulte de ce que « aucun acte de ce type ne s’est produit dans la région

concernée, alors qu’ils se sont multipliés après » est par contre approuvé… si ce n’est la

différence littéraire, il nous semble que c’est bien le caractère « raisonnablement

imprévisible » qui est caractérisé, c'est-à-dire la force majeure.

267 Cf. Par exemple Cass. Com. 7 juillet 1998 « Atlantic Island » ou CAMP 24 octobre 1997. 268 P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 98, HS n°2, n°113, p.73 et s. 269 Cf. pour une énumération de ceux-ci DMF 2002, p.53, note de A. Vialard. 270 CA Rouen 23 mai 2001, DMF 2002, p. 44 et s. , CA Paris 20 mars 2002, DMF 2004, p. 150 et s.

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Finalement, si le fait du Prince n’a pas à présenter les caractères de la force majeure, il

ne pourra être admis qu’à cette condition (implicitement reconnue) qui, de par la nature

de ce cas excepté, se réduit au caractère imprévisible ou, mieux, inévitable.

C/ Le sauvetage

Ce cas excepté –qu’il conviendrait de dénommer « assistance » et non par ce terme

« franglais »271- n’ayant, à notre connaissance, jamais été invoqué, nous raisonnerons de

façon abstraite.

Si l’imprévisibilité de celui-ci ne semble pas faire de doutes, sauf à apprécier la prévisibilité

en fonction de statistiques –tendance abandonnée aujourd’hui (cf. supra)-, le caractère

irrésistible paraît, quant à lui, se prêter au débat.

Le capitaine décidant de se porter au secours de personnes ou de biens (navire notamment) en

détresse, il pourrait être opposé qu’il n’y a pas irrésistibilité. Le point d’achoppement réside,

en réalité, sur la notion de contrainte morale272 : celle-ci peut elle justifier la qualification

d’irrésistibilité ? Est-elle à ce point puissante ?

A cette question il faut répondre sans ambages : oui. Et ce d’autant plus que la non-assistance

à personne en danger est une infraction connue de nombreux droits (c’est une infraction du

Code pénal mais aussi du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande –art 85. Mais

271 Cf. M. Rémond-Gouilloud, n°591 et 349 et s. Le professeur Chauveau souligne, quant à lui, que l’emploi du terme assistance est meilleure car distincte de la notion de sauvetage qui s’applique aux épaves –n°810. 272 La contrainte morale externe qui peut consister « soit en des menaces, soit en une provocation émanant d’un tiers » est ainsi reconnu en droit pénal, contrairement à la contrainte morale interne « c'est-à-dire ayant sa source dans la personne même de l’auteur et résultant, soit de l’émotion provoquée chez lui par un évènement extérieur, soit de ses passions, soit de ses convictions ». Solutions fondés sur l’article 122 du Code pénal qui dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister » -B. Bouloc, « Droit pénal général » 20ème édition, Précis Dalloz, 2007. En droit civil, la jurisprudence est pareillement rétive à l’admission d’une contrainte. Toutefois un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 30 mai 2000 a rattaché la notion de contrainte économique à celle de violence (comme vice du consentement). De même la CA d’Aix-en-Provence a admis par un arrêt du 19 février 1988 que la nécessité et la dépendance économique étaient équipollentes à une violence morale. Enfin, en droit maritime, un arrêt de la chambre des requêtes du 27 avril 1887 un contrat de remorquage aux conditions abusives a été annulé car imposé par la crainte d’un mal considérable (cette difficulté propre a l’assistance est désormais régie par l’article 15 de la loi du 7 juillet 1967). La contrainte morale fait donc, dans le droit positif, l’objet d’une acceptation plus que prudente.

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encore, parce que la tradition maritime impose cette solidarité273, que « les vies valent plus

que les profits » 274! « L’assistance aux personnes est un devoir absolu à la mer et l’on ne

conçoit pas quelque discussion que ce soit sur ce point. On peut hésiter pour ce qui est d’une

assistance aux seuls biens »275.

S’il est effectivement possible de s’interroger sur le bien-fondé de ce cas excepté quand il finit

par sacrifier les intérêts matériels de son cocontractant au profit de ceux d’un tiers276, il

semble que la contrainte morale disparaît concernant des biens, entraînant avec elle la force

majeure.

Bien que n’ayant jamais été appliqué il semble inévitable (voire irrésistible) que le

sauvetage de personnes présente les caractéristiques de la force majeure…

contrairement au sauvetage concernant uniquement des biens –situation sans doute moins

fréquente.

D/ Certaines saisies judiciaires

Les saisies judiciaires connaissent un double régime277 en droit maritime qui présente une

particularité essentielle : la possibilité pour le créancier de saisir un navire n’appartenant pas à

son débiteur.

Ainsi le transporteur pourra-t-il voir le navire utilisé pour le transport saisi sans être débiteur à

l’égard du créancier ! Si la saisie est par essence, puisque décision judiciaire, irrésistible une

fois prononcée, elle sera probablement dans ce cas imprévisible.

273 Antoine Vialard écrit ainsi à propos de l’assistance et du sauvetage « C’est là une conséquence de l’idée de solidarité maritime : le transporteur, en portant secours,doit se dérouter et expose son navire et sa cargaison à des risques d’avaries », in « Droit maritime », PUF 1997, n° 489, p.418. 274 Pour reprendre un célèbre slogan politique qui nous paraît, dans ce cas précis, exprimer avec force et malice une idée qui sous-tend cette solution. 275 P. Bonassies et Ch. Scapel, n°1090, p.696. 276 Nous considérons toutefois ce cas excepté bienvenu. Certes le transporteur prend des risques, mais c’est autant pour la bonne cause qu’à son corps défendant. Il est aussi probable que rares seront les capitaines s’aventurant de manière périlleuse pour sauver des biens. Incitant à la solidarité, ce cas excepté mérite d’être approuvé. La solution adoptée par la Convention de Hambourg paraît, ainsi, remarquable : toute assistance pour sauver des vies humaines vaut exonération, mais concernant les biens elle n’aura cet effet qu’à la condition d’être « raisonnable ». 277 Cf. P. Bonassies et Ch. Scapel, n°589, p.387 et s.

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Le cas général de la saisie abusive, dès lors que ce caractères est nécessairement reconnue a

posteriori, pourra lui aussi présenter les caractères de la force majeure.

Enfin, le transporteur n’étant pas nécessairement propriétaire du navire utilisé, une saisie peut

aussi lui être imposée sans qu’il ait pu la prévoir (il est peu probable qu’il ait affrété un navire

en sachant que ce dernier risquait d’être saisi). Ici, sa faute pourrait toutefois être caractérisée

en l’absence de vigilance à l’égard de la situation financière de son fréteur.

Au final, certaines saisies imprévisibles pour le débiteur pourraient donc être

considérées cas de force majeure pour le transporteur.

Si l’exécution des contrats de transport maritime de marchandises donne lieu au plus grand

nombre de litiges278, il ne faut pas pour autant négliger la place que la force majeure occupe

« in nominem » dans le cadre de la conclusion de ces contrats ou dans le cadre des contrats

non soumis à ces deux textes.

278 Cette considération explique à titre principal la disparité dans la longueur des développements relatifs à chacune de ces deux questions. L’explication subsidiaire tient à la nécessité d’étudier un à un, au risque d’être rébarbatif, chaque cas excepté.

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Section 2nde La force majeure in nominem

La technique des cas exceptés, à l’importance primordiale en droit du contrat de transport

maritime de marchandises, ne régit pas toutes les questions de responsabilité. Dès lors, la

notion de force majeure retrouve à la marge droit de citer.

Nous étudierons279 donc les divers cas dans lesquels la force majeure est amenée à intervenir

(sous-section 1ère), avant de nous interroger sur un éventuel particularisme de celle-ci en

matière maritime (sous-section 2nde).

Sous-section 1ère Les diverses applications de la force majeure L’existence de la force majeure peut résulter de deux situations distinctes : une référence

expresse d’un texte régissant le transport maritime (I) ou en vertu du droit commun (II).

I- Applications en vertu d’un texte « maritime »

Si la Convention de Bruxelles ne renvoie pas à la notion de force majeure, propre au droit

français, le décret du 31 décembre 1966 opère plusieurs renvois à cette notion. L’article 31 du

décret mentionne expressément la notion de force majeure (A), lorsque d’autres articles se

contentent, en ne l’excluant pas, de permettre le recours à cette notion (B).

A/ L’article 31 du décret relatif au départ du navire

L’article 31 du décret du 31 décembre 1966 dispose que « le contrat est résolu si, par cas de

force majeure, le départ du navire qui devait effectuer le transport est empêché ou retardé

d’une manière telle que le transport ne puisse plus se faire utilement pour le chargeur et sans

risque d’engager sa responsabilité pour le transporteur. En ce cas la résolution a lieu sans

dommages et intérêts ».

279 Brièvement, eu égard à la longueur de nos développements précédents et au peu de jurisprudence relative à ces questions.

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En matière de retard au départ280, est ainsi instituée une obligation de résultat : seule la

démonstration d’un cas de force majeure exonère le transporteur de sa responsabilité

découlant d’une mauvaise exécution du contrat.

Cette utilisation de la notion de force majeure est classique, elle correspond exactement au

droit commun :

- Quant à son effet principal : l’absence de dommages et intérêts,

- quant à son effet sur la contrat : sa résolution (appliquée par la jurisprudence, bien que

cela soit contestable –Cf. supra),

- quant à la reconnaissance de la « force majeure temporaire » (Cf. supra nos réserves à

l’égard de cette expression).

Il semble toutefois qu’existe, à première vue et à la marge, des différences :

- La résolution ici mentionnée est distincte de celle de l’article 1184 du Code civil –

fondement textuel des solutions jurisprudentielles- en ce qu’elle ne suppose pas de

faute, n’est pas demandée en justice et ne peut être assortie de dommages et intérêts281.

Toutefois les pratiques se rejoignent puisque la jurisprudence : bien que se fondant

implicitement sur l’article 1184 du Code civil pour résoudre les contrats dont

l’exécution était affectée par un cas de force majeure, la jurisprudence écarte les

notions de faute, la nécessité de passer par le juge ou d’acquitter des dommages et

intérêts. La différence apparente n’est donc pas effective.

- La force majeure temporaire produit ici un effet résolutoire et non de suspension du

contrat282. Mais, là encore, la divergence est apparente : la suspension est subordonnée

à ce que l’exécution tardive du contrat reste intéressante pour le créancier. Or, il est

expressément prévu que la condition de cette résolution sera « que le transport ne

puisse plus se faire utilement pour le chargeur et sans risque d’engager sa 280 Qu’il faut distinguer du retard à l’arrivée –cf. infra. 281 Rodière, t.II, n°421 cité par E. Du Pontavice et P. Cordier, « Transports et affrètements maritimes », p.58. 282 J-F Artz, dans son article « La suspension du contrat a exécution successive », Dalloz 1979, chronique XV, met ainsi en exergue la controverse doctrinale, relative à l’explication des effets de la suspension du contrat en cas de force majeure temporaire, entre les tenants de la résolution et ceux de l’exception d’inexécution –aucune de ces deux théories n’apparaissant pleinement satisfaisante.

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responsabilité pour le transporteur ». Ainsi, de même qu’en droit commun, le contrat

ne sera pas suspendu mais résolu dès lors que la suspension n’est pas utile au

créancier.

Au final si ces dispositions sont plus développées qu’en droit commun, elles produisent

les mêmes effets. Elles ne règlent cependant pas la question du devenir des obligations

réciproques.

Le droit commun, c'est-à-dire la théorie des risques, devrait donc être appliqué : le chargeur

sera relevé de son obligation de payer le fret (cf. supra, chapitre 1er).

Reste toutefois le problème de la clause de « fret acquis en toutes circonstances » -qui est très

souvent stipulée dans les connaissements. Celle-ci ne fait que répartir les risques et doit donc

être en principe valable283 dès lors que cet article n’est pas mentionné comme étant d’ordre

public284. Nous noterons cependant que son opposabilité au chargeur dépendra de son

acceptation par celui-ci.

Unique référence explicite à la notion de force majeure en matière de contrat de transport,

l’article 31 du décret de 1966 n’est pas le seul cas dans lequel cette notion peut trouver à

s’appliquer.

B/ Articles permettant le recours à la force majeure

Plusieurs articles semblent permettre le recours à la notion de force majeure. Certains sont

relatifs au fret acquitté par le chargeur (1) et d’autres à la responsabilité du chargeur (2).

1- Obligation au fret et frais de transbordement et force majeure

- L’article 46 du décret dispose qu’ « il n’est dû aucun fret pour les marchandises perdues par

fortune de mer ou par suite de la négligence du transporteur à satisfaire aux obligations des 283 Rodière, Traité, t. II, n°435 ; Du Pontavice et Cordier p.99 e –et sauf dans le cas ou la perte est due à une faute lourde ou au dol (droit commun) ou si le transporteur a manqué à l’une de ses obligations essentielles, telle que de mettre son navire en état de navigabilité (ex : CA Paris 6 novembre 1976). 284 Vialard, « Droit maritime », n°469, p.403.

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articles 21 et 22 de la loi sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes et de l’article

38 ci-dessus ».

Cet article met aux risques du transporteur les « marchandises (c'est-à-dire le fret) perdues par

fortune de mer »285 ou par sa faute. Ce n’est là, en réalité, que l’application de la théorie des

risques qui prévaut en droit commun, ou celle d’exception d’inexécution : ayant mal exécuté

de façon fautive, le transporteur ne peut demander au chargeur l’exécution de l’obligation

réciproque.

Deux remarques paraissent toutefois s’imposer :

Selon les professeurs Du Pontavice et Cordier286 la notion de perte des marchandises

est restrictive puisqu’elle écarte celle d’avaries. Pour cette dernière il semble, puisqu’elle

n’est pas visée par cette disposition, que le fret sera dû. Il n’y a, alors, opposition au droit

commun qu’à première vue : si les marchandises sont seulement abîmées c’est que l’essentiel

du contrat –le transport- a été réalisé287, justifiant ainsi le paiement du fret. La question de la

responsabilité relative à ces dommages est disjointe et sera réglée par application des cas

exceptés prévus par la loi du 18 juin 1966.

Le professeur Vialard, quant à lui, considère que « inexplicablement, compte tenu de la lettre

du texte, certains auteurs restreignent cette cause de résolution du contrat à la seule hypothèse

de perte de la marchandise »288, sans toutefois avancer aucun argument à l’appui de cette

position. Il semble d’ailleurs que « la lettre du texte », sur laquelle il s’appuie, soit quelque

peu obscure.

Les termes de « marchandises perdues » pouvant s’entendre de manière restrictive comme de

celles que l’on a égarées, ou de manière plus large comme de celles égarées et avariées, il ne

semble pas que l’exégèse du texte permette de trancher le débat. Par contre, l’explication

donnée par les professeurs Du Pontavice et Cordier relative à l’exécution de l’essentiel du

contrat » paraît tout à fait convaincante. Il nous semble ainsi que l’interprétation du texte

donnée par ces auteurs est la plus pertinente.

285 Sauf en cas de déclaration d’avaries communes : art 45 du décret –cf. Vialard « Droit maritime », PUF 1997 n°469, p.403 pour les interrogations relatives à cet article. 286 Du Pontavice et Cordier, p.99. 287 Dès lors « l’inexécution n’est pas assez grave pour entraîner la résolution du contrat » -Du Pontavice et Cordier, « Transports et affrètements maritimes », p.99. 288 Vialard, « Droit maritime », PUF, 1997, n°469, p.403.

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La notion de fortune de mer, critiquable en soit, révèle ici son caractère imprécis qui

est source de controverses doctrinales. En effet, le doyen Rodière considérait que cette

formule visait tous les cas exceptés énumérés à l’article 27 de la loi du 18 juin 1966289.

Cette position, contestée290, semble contestable. Comment imaginer que les cas exceptés liés à

une faute du chargeur ou à l’état de la marchandise puissent justifier que celui-ci ne s’acquitte

pas de son obligation principale, payer le fret ?

Ensuite, comme le soulignent les professeurs Du Pontavice et Cordier, cet article vient

remplacer l’article 302 ancien du Code de commerce selon lequel « il n’est dû aucun fret pour

les marchandises perdues par naufrage ou échouement, pillées par les pirates ou prises par les

ennemis ». Les circonstances ainsi visées sont bien plus réduites, et tendent à faire considérer

que ne sont visés par cette notion de fortune de mer que les périls de la mer.

Enfin, cette interprétation plus stricte de la notion de fortune de mer que celle proposée par le

Doyen Rodière, correspond au point de vue des auteurs anglais tels que Carver et Bartle291.

Elle doit selon nous être préférée.

- L’article 47 du décret dispose que « en cas de transbordement sur un autre navire en

application de l’article 40 ci-dessus, les frais de transbordement et le fret dû pour achever le

déplacement de la marchandise sont à la charge de la marchandise lorsque l’interruption était

due à des cas d’exonération de responsabilité énumérés à l’article 27 de la loi sur les contrats

d’affrètements et de transport maritimes ».

Ainsi, lorsqu’un cas excepté- potentiellement un cas de force majeure- rend l’exécution du

contrat plus onéreuse, la marchandise supporte le surcoût, c'est-à-dire le risque. La solution se

trouve, alors, inverse à celle du droit commun qui veut que le risque repose sur le débiteur.

Cette exception au droit commun semble injustifiée au niveau juridique : seuls les contrats

translatifs de propriété échappent à la règle « res perit debitori ». Elle paraît d’ailleurs tout

autant infondée au plan pratique : pour quelle raison un évènement échappant au contrôle des

289 Rodière, t. II, n°433. 290 E. Du Pontavice et P. Cordier, « Transports et affrètements maritimes », p.98 et s. 291 E. Du Pontavice et P. Cordier, « Transports et affrètements maritimes », p.98 et 99.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 103

deux parties devrait-il être supporté par une seule d’entre-elles ? Il nous semble, là encore,

que la solidarité devrait s’imposer, le contrat étant conclu « pour le meilleur et pour le pire »

(cf. infra).

La jurisprudence se montre d’ailleurs particulièrement stricte dans l’acceptation des cas

exceptés dans ce contexte : le Lamy transport 2007, relève ainsi qu’aucune des décisions qui

leurs sont parvenues n’ont admis l’existence d’un cas excepté292. Il est notable que ces arrêts

se réfèrent à plusieurs reprises à la notion de force majeure. L’équité serait-elle à l’origine de

la rigueur de ces solutions pour les transporteurs ?

2- Responsabilité du chargeur et force majeure

- Du point de vue de la responsabilité du chargeur la force majeure peut trouver matière à

application à travers l’article 25 de la loi du 18 juin 1966 qui stipule que « le chargeur est

responsable des dommages causés au navire ou autres marchandises par sa faute ou par le vice

propre de la marchandise ».

Ainsi, le chargeur ne sera pas responsable du dommage causé par sa marchandise en raison

d’un cas de force majeure. Toutefois, deux cas spécifiques étant mentionnés, la preuve de ce

que le dommage n’est pas du à sa faute ou au vice de la marchandise suffira à dégager sa

responsabilité.

Dès lors, il n’est pas nécessaire au chargeur de rapporter une preuve si lourde. La force

majeure n’est donc pas, sur ce point, écartée par la théorie mais l’est par la pratique.

- L’article 43 du décret prévoit que « le chargeur qui ne présente pas sa marchandise en temps

et lieu, conformément à l’article 39 ci-dessus, paiera une indemnité correspondant au

préjudice subi par le transporteur, et au plus égale au montant du fret convenu ».

292 Cf Lamy Transport 2007, Tome 2, n° 654 et les arrêts cités :

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 104

Se pose alors la question de savoir si la force majeure peut trouver à s’appliquer : d’un côté il

n’est fait aucune référence à une quelconque possibilité d’exonération. Mais, d’un autre côté,

l’existence de causes exonératoires de responsabilité n’est pas écartée, ni la responsabilité

qualifiée d’objective. De plus, le professeur Vialard considère qu’ « il semble, en outre, que la

résolution du contrat puisse être obtenue »293, c'est-à-dire qu’il estime que le texte ne doit pas

être interprété trop strictement. Il est aussi notable que la résolution est le caractère attaché par

la jurisprudence et la doctrine « classique » au sort du contrat en cas de force majeure

empêchant son exécution. Le professeur Vialard ne donnant aucune explication quant à cette

possibilité de résolution, il ne nous est toutefois pas possible d’établir un lien certain entre

l’effet et une cause envisageable.

Finalement, la force majeure empêchant le chargeur de présenter les marchandises en temps et

en heure devrait l’exonérer de toute responsabilité : une lecture ouverte de cet article, fondée

sur la généralité de l’excuse de force majeure et l’équité, nous paraît préférable.

Les textes régissant le contrat de transport maritime de marchandises ne connaissent donc

qu’une occurrence du terme force majeure. Les autres références, à travers les articles 43, 46

et 47 du décret ou 25 de la loi de 1966, ne la visent qu’implicitement.

L’application en tant que telle de la force majeure en droit du contrat de transport maritime de

marchandises relèvera donc rarement du droit du contrat de transport maritime. Le droit

commun paraît toutefois permettre qu’elle s’applique.

II- Une application en vertu du droit commun

L’application du droit commun, opportunité d’existence de la force majeure, peut résulter de

deux circonstances : soit de ce que certains contrats échappent au champ d’application

impératif de la Convention de Bruxelles ou de la loi de 1966, (A), soit car ces deux textes ne

régissent pas toutes les questions relatives à la responsabilité du transporteur (B).

293 Vialard, « Droit maritime », n°475, p.407.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 105

A/ Les contrats échappant au « droit commun » du transport maritime

La Convention de Bruxelles exclut de son champ d’application :

- les contrats de transport non formalisés par « un connaissement ou par tout document

similaire formant titre pour le transport des marchandises par mer294 (article 1 b)),

- le transport d’animaux vivants et le transport en pontée lorsque celle-ci est déclarée295

(article 1 c)),

- le transport de cargaisons exceptionnelles (article 6)296,

- le transport entre deux Etats n’ayant pas ratifiés la Convention –sauf clause Paramount

(article 10)297.

Le contrat de transport de marchandises ainsi exclu du champ d’application de la Convention

de Bruxelles pourra, suivant la loi d’autonomie choisie par les parties ou la loi applicable

désignée par la Convention de Rome298, être régi par le droit français, c'est-à-dire la loi du 18

juin 1966.

En outre, certaines questions (le retard principalement) n’étant pas réglées par la Convention

de Bruxelles, le droit français trouvera, potentiellement, matière à déployer ses effets –soit à

travers la loi du 18 juin 1966, soit à travers le droit commun.

Concernant la loi du 18 juin 1966, l’article 30 prévoit que « par dérogation à l’article

précédent, toutes clauses relatives à la responsabilité ou à la réparation sont autorisées dans

les transports d’animaux vivants et dans les transports de marchandises chargées sur le pont

conformément à l’article 22 sauf en ce qui concerne les conteneurs chargés à bord de navires

munis d’installation appropriées pour ce type de transport ».

294 L’expression « document similaire » doit « être entendue largement et appliquée à tout le moins à tout écrit par lequel le transporteur s’engage à transporter la marchandise –Bonassies et Scapel, n°905, p.582. Elle a ainsi été appliquée à l’ordre de mise à quai ou à la lettre de voiture. Il est donc rare qu’un transport ne soit pas soumis à la Convention de Bruxelles pour cette raison. 295 S’il existe actuellement des doutes quant aux conditions de validité de cette déclaration de chargement en pontée (ainsi qu’à l’opposabilité de celle-ci au destinataire), il semble que cette disposition ne soit pas réellement adaptée au transport en conteneurs. 296 « L’article 6 semble avoir été très peu utilisé par la pratique, et l’on ne peut guère citer de décision le mettant en œuvre » -Bonassies et Scapel, n°924, p.596. 297 Or ce texte a été ratifié par plus de 100 Etats, parmi lesquels figurent toutes les grandes puissances maritimes. En outre, les connaissements prévoient fréquemment des clauses Paramount. 298 Qui, sous peu, sera remplacée par un règlement européen –cf. P. Lagarde, Rev. Cri. DIP 2006, n°2.

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Dès lors, des clauses relatives à la force majeure pourront librement être stipulées. Le fait que

les contrats de transport soient quasi systématiquement rédigés par les transporteurs maritimes

fait que, en général, des exonérations de responsabilité larges sont instituées. Ainsi, la

démonstration d’un cas de force majeure n’est pas nécessaire au transporteur pour s’exonérer

de sa responsabilité.

Finalement, en pratique peu de contrats échappent aux Convention de Bruxelles de 1924

et loi française de 1966. Si la notion de force majeure existe en droit maritime, c’est avant

tout en raison des carences de ce « droit commun maritime».

B/ La question échappant au droit commun maritime : le retard

Ni la Convention de Bruxelles, ni la loi française ne prévoit de dispositions propres au retard

–ce que la doctrine contemporaine regrette299. Concernant le régime au quel sont soumis les

retards en matière de transport maritime, deux distinctions doivent être opérées :

- Tout d’abord suivant que le transport est régi par la Convention de Bruxelles de 1924 telle

que modifiée par le protocole de 1968 ou par la loi française de 1966. En effet, la Convention

en considérant que « toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport

exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité par perte ou dommage concernant des

marchandises […] sera nulle, non avenue et sans effet » (art 3 §8) interdit les clauses

exonératoires de responsabilité et soumet le transporteur au jeu des cas exceptés300.

Par contre, la loi française (art 27) qui ne prévoit la responsabilité du transporteur que pour les

« pertes ou dommages subis par la marchandise » n’a pas vocation à régir le retard en tant que

tel, c'est-à-dire lorsqu’il n’entraîne pas une perte ou un dommage matériel.

299 J.B. Racine considère que l’indulgence dont bénéficient les transporteurs doit cesser –RTD com, « Le retard dans le transport maritime de marchandises », 2003, p.223 et s. ; de même le professeur Delebecque estime à propos du retard que « le droit classique l’ignore, du moins l’intègre au nombre des impondérables du transport maritime. D’où des règles très favorables au transporteur. Il serait peut-être temps, compte tenu de la vitesse de rotation des navires, de reconnaître clairement que le retard est une source comme une autre de responsabilité, mais commandant une limitation propre de réparation à calculer en fonction du fret » -« Le droit maritime français à l’aube du 21ème siècle » in « le droit privé à la fin du 20ème siècle -études offertes à Pierre Catala », Litec 2001. 300 CA Lyon 31 octobre 1980 et Cass. Com. 29 mai 1990.

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- Ensuite, suivant la nature du dommage causé par le retard –uniquement sous l’empire de la

loi de 1966. « Lorsque le préjudice résultant du retard s’analyse en dommages subis par la

marchandise (avaries à une marchandise fragile), la responsabilité du transporteur ne présente

aucune spécificité. C’est le régime impératif de droit commun de la Convention ou de la loi

française de 1966 qui s’applique »301. La difficulté réside donc dans la réparation « pour un

gain manqué, pour une perte temporaire de jouissance de la marchandise attendue, pour les

frais supplémentaires engagés à la livraison, bref pour tous les préjudices économiques dont il

pourrait faire état »302.

Pour le retard comme cause de dommage en tant que telle, la question est régie par les articles

1147 et suivants du Code civil303. Dès lors, le retard déraisonnable304 causant un préjudice

prévisible à l’ayant-droit marchandises obligera le transporteur à réparer l’entier préjudice.

L’ayant-droit marchandises ne bénéficiant pas d’une présomption de responsabilité du

transporteur, il ne pourra se voir opposer des cas exceptés : seule la force majeure pourra

exonérer ce dernier de sa responsabilité.

Du moins en théorie car, comme le note M. Racine « il existe dans le connaissement de

nombreuses clauses relatives au retard tendant à réduire voire à supprimer la responsabilité du

transporteur. Ces clauses sont de plusieurs sortes. Tout d’abord le connaissement peut

contenir une clause selon laquelle le transporteur n’assume pas l’obligation d’acheminer a

marchandise dans un délai déterminé […]. Ensuite, une clause limitative de responsabilité

peut être stipulée. Il en existe de plusieurs sortes […]. Enfin, certaines clauses jouent

indirectement sur le délai d’acheminement»305. Ainsi « à lire le connaissement, il semble que

le destinataire reçoive la marchandise quand il plaît au transporteur »306.

301 Bonassies et Scapel, n°1070, p.681 et s. Ex : Cass. Com. 19 mars 2002 « Kwang Tung ». Si J.B. Racine a pensé pouvoir se fonder sur l’article 32 de la loi du 18 juin 1966 pour remettre en cause cette solution, l’analyse n’emporte pas la conviction (contrairement à sa critique de cet état de fait) –cf. RTD Com. 2003, « Le retard dans le transport maritime de marchandises », n°18 et s. p.230 et s. 302 Delebecque, note sous Cass. Com. 19 mars 2002, DMF 2004, p.363 et s. 303 Conformément à l’avis du Doyen Rodière –Traité, T. II, n°608, p.248-249. J.B. Racine fait toutefois remarquer que « généralement, pour les décisions des juges du fond aucun texte n’est cité », n°23, p.232. 304 Sur ce point cf. note de Pestel-Debord sous CA Paris, 24 mars 2004, DMF, note de Delebecque sous Cass. Com 19 mars 2002, DMF 2004 ou l’article de M. Racine. 305 In RTD Com. 2003, « Le retard dans le transport maritime de marchandises », n°63, p.246 & 247. 306 Ripert, « Droit maritime », n°1561, p.473.

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Se pose toutefois la question de la validité de ces clauses. Si celles-ci sont en principe licites,

la faute lourde ou le dol du transporteur les rendent inefficaces307.

Or, à y bien réfléchir, il semble que lorsque le retard est retenu en l’absence de délai stipulé,

c'est-à-dire par rapport au délai de transport raisonnable, il y aura quasi systématiquement

faute lourde. En effet « ne pas transporter ou ne pas transporter dans un délai raisonnable

revient au même. Ainsi, le transporteur qui ne prend pas en charge l’obligation de transporter

dans un délai raisonnable se décharge t-il en réalité de l’obligation de transporter la

marchandise. Autrement dit, l’obligation de transporter dans un délai raisonnable peut être

considérée comme essentielle »308. Or, toujours selon le même auteur, « le caractère

déraisonnable du retard fait non seulement présumer une faute du transporteur mais aussi

devrait faire présumer une faute lourde rendant inefficaces les clauses exonératoires ou

limitatives de responsabilité ».

Nous noterons toutefois que la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation refuse de

considérer qu’une faute atteignant une obligation essentielle du contrat est en elle-même, de

façon objective, une faute lourde309. Ce qualificatif, nécessairement subjectif, ne pourra donc

être utilisé qu’aux vues de la gravité des fautes du transporteur.

Il n’en reste pas moins que l’inefficacité de ces clauses, moins fréquentes qu’on aurait pu le

penser (l’espérer ?), opère un retour à la notion de force majeure comme cause d’exonération

de responsabilité.

Le droit commun trouvant ainsi à s’appliquer se pose la question, eu égard aux distinctions

probatoires en découlant, de l’étendue de l’obligation du transporteur maritime quant à la

célérité du déplacement : obligation de moyens, moyens renforcés ou de résultat ?

La doctrine est sur ce point partagée : les professeurs Du Pontavice et Cordier estiment qu’il y

a obligation de résultat : les ayant-droits marchandises n’ont qu’à établir le retard. D’autres, 307 Cf. par exemple CA Paris 21 janvier 1998, BTL 1998.435. 308 J.B. Racine, RTD Com « Le retard dans le transport de marchandises », n°66 et s. p.248 et s. Si pour nous « ne pas transporter et ne pas transporter dans un délai raisonnable » sont deux choses que l’on ne peut assimiler, la conclusion selon laquelle l’obligation de transporter dans un délai raisonnable est essentielle nous paraît tout à fait justifiée. 309 Cass. Chambre mixte 10 mai 2005, puis Com. 30 mai 2006 et 13 juin 2006.

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les professeurs Rémond-Gouilloud, Vialard et Racine, considèrent que l’obligation est de

moyens : il faut prouver la faute du transporteur à l’origine du retard.

La jurisprudence310 semble donner raison à ces derniers, ce qui est logique en raison du

caractère aléatoire du contrat de transport maritime sur ce point. Il semble, d’ailleurs, que

cette obligation soit « de moyens renforcés » à en croire M. Racine311 et que, dès lors, « la

preuve du caractère déraisonnable du retard fait, en réalité, présumer la faute du

transporteur »312.

Le transporteur maritime devra donc, pour s’exonérer de sa responsabilité prouver qu’il a mis

en œuvre tout ce qui était en son pouvoir pour éviter le retard313. Il lui est donc possible de

prouver que le retard fut causé par une cause étrangère (article 1147 du Code civil) –et

potentiellement un cas de force majeure- mais cela n’est pas nécessaire pour obtenir

exonération de responsabilité.

Ainsi, si la force majeure est la cause d’exonération par excellence en matière de retard,

il ne sera pas nécessaire au transporteur de passer par une preuve aussi exigeante pour

être exonéré de sa responsabilité.

Les diverses, bien que rares, applications de la force majeure révèlent-elles des différences par

rapport à l’application qui en est faite en « droit commun » ?

310 CA Rouen 13 octobre 1988 (DMF 1990. 36) 27 juin 1985 (DMF 1987.41). 311 Contra : Vialard, « Droit maritime », PUF, 1997 selon qui « l’obligation du transporteur quant au délai d’acheminement est là encore une obligation de moyens, mais une vraie cette fois-ci : sa responsabilité ne peut être dégagée que moyennant la preuve d’une faute de diligence » -n°457, p.396. 312 RTD Com « Le retard dans le transport de marchandises », n°46. p.240 et s. 313 Par exemple : CA Paris 3 novembre 1987, BTL 1988, p.45.

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Ss. 2nde Particularisme de la force majeure en droit du contrat de

transport maritime de marchandises ?

Si, suite à l’arrêt d’Assemblée Plénière du 14 avril 2006, Marie Tilche prônait « une

spécificité transport » de la notion de force majeure, ce désir ne semble –à la lecture de

l’article- concerner que le transport routier. A la vérité, la notion de force majeure « in

nominem » est tellement marginale en droit du transport maritime, qu’elle ne suscite pas un

intérêt démesuré de la doctrine.

- Concernant le départ du navire, si les effets de la force majeure peuvent paraître à première

vue particuliers, l’analyse révèle qu’ils correspondent en tout point à ceux que la

jurisprudence fait produire à la force majeure.

Cependant, la présence très fréquente d’une clause de « fret acquis à tout évènement »,

exploitation de la possibilité de prévoir contractuellement les conséquences juridiques de la

force majeure, réintroduit un certain particularisme dans la pratique maritime.

- Concernant le fret et les frais de transbordement, il semble qu’en présence d’un cas excepté

le risque soit supporté par les intérêts cargaison, c'est-à-dire le créancier.

Cette dérogation à la théorie des risques appliquée en droit commun, en sus d’être à nos yeux

injustifiée, exprime un certain particularisme du droit du transport maritime. Il semble

envisageable de considérer que celui-ci exprime la solidarité propre au droit maritime : le

transporteur exposant des frais de son côté, ceux relatifs à la marchandise seront supportés par

les personnes y ayant intérêt.

- Concernant l’obligation pour le chargeur de présenter ses marchandises en temps et en

heure, aucun particularisme n’existe. Ceci s’explique sans doute par le fait que cette

obligation de présentation ressortit avant tout de la phase antérieure au transport maritime. Par

hypothèse, si le chargeur est en retard, la cause ne trouve pas son origine dans le transport

maritime considéré.

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Pour les applications « in nominem » de la force majeure, le particularisme semble donc

peu prononcé. Il tient sans doute principalement à la pratique : soit parce que celle-ci

prévoit directement des règles exorbitantes du droit commun, soit en ce que la norme

maritime trouve son origine dans la pratique.

De manière plus générale, si particularisme il devait y avoir, celui-ci toucherait sans doute au

caractère imprévisible des dommages subis par la marchandise. En effet, le transport maritime

est, plus que les autres, soumis aux aléas naturels propres au milieu maritime que la

longueur, géographique autant que temporelle, rend particulièrement prégnants.

D’un point de vue abstrait, les évènements imprévisibles et irrésistibles sont donc nombreux

en la matière. Ils sont aussi (toujours de manière abstraite) inévitables : à ce jour il n’existe

pas de techniques permettant de contenir les courroux d’Eole et Poséidon.

Le caractère aléatoire –qui se réduit et ne doit pas non plus être surévalué314- nous semble

ainsi établi. En général, il s’accompagne d’une obligation de moyens. Or, à notre sens celle-ci

doit être, en matière de retard, de résultat. Une telle solution incitera nécessairement les

transporteurs à la plus grande diligence.

Comme le soulignait le Doyen Ripert « le désir d’une arrivée rapide et à jour fixe a dû

évidemment être ressentie de tout temps, mais il est devenu aujourd’hui plus pressant à cause

de la rapidité et de la complexité du commerce juridique »315.

Est déjà accordée au transporteur maritime une certaine flexibilité à travers la notion de

« délai raisonnable », estimer au surplus qu’il lui suffit de prouver qu’il a fait son

possible pour ne pas livrer les marchandises en retard constitue une faveur injustifiée.

Seule la preuve d’un cas de force majeure devrait pouvoir l’exonérer de sa responsabilité (qui

pourrait être limitée –cf. Delebecque in « Le droit privé français à la fin du 21ème siècle »).

314 Cf. Bonassies et Scapel, n°9, p.9. 315 G. Ripert, « Droit maritime », n°1560, p.473.

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Finalement, si le particularisme de la notion de force majeure est difficilement décelable c’est

que celle-ci est appliquée de façon suffisamment variable (en droit commun) pour qu’il ne

soit pas nécessaire de rajouter un particularisme propre au droit maritime.

De plus, comme nous avons pu le voir à propos des périls de la mer, ses critères (quelque soit

la combinaison adoptée), là encore grâce à leur flexibilité, saisissent de manière adéquate les

évènements auxquels la matière maritime peut donner lieu.

Le particularisme de la notion de force majeure en droit du contrat de transport maritime de

marchandises est donc ténu. La solidarité propre à ce droit permettrait pourtant, selon nous et

plus que dans les autres branches du droit, de mieux répartir le fardeau des évènements qui

s’imposent au débiteur.

La solidarité du droit maritime pourrait ainsi, trouver dans cette notion un terrain

propice au développement de ses effets.

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Conclusion

La notion de force majeure semble rétive à la conclusion : bien que de brillantes thèses

et excellents points de vue doctrinaux lui aient été consacrés, il semble que les questions

relatives à cette notion persistent. Appartenant au monde des idées la force majeure serait-elle

condamnée à connaître les affres de la réalité ?

A propos de la force majeure en matière de responsabilité contractuelle il semble

possible de considérer, avec la doctrine majoritaire, que le triptyque qualificatif traditionnel a

vécu. La réunion de ces critères, inadaptée, semble d’ailleurs être le plus souvent écartée de

manière explicite ou implicite. Il y a là l’une des particularités de cette notion : le décalage.

Décalage entre les critères professés et ceux appliqués, parfois au niveau même d’un arrêt qui

semble se fonder sur l’inévitabilité sans s’y référer expressément. Décalage aussi entre la

doctrine et la jurisprudence. Décalage enfin, au sein d’une jurisprudence qui peine à trouver

sa cohérence ; constat que l’intervention de l’Assemblée Plénière il y a plus d’un an ne

semble pas à même de renverser.

De ces controverses stimulantes découle une insécurité juridique patente. A l’heure où cette

notion, fraîchement reconnue principe général du droit316, devient exigence de plus en plus

pressante317, le constat est donc sévère.

A cette interrogation (visible) relative aux critères devrait selon nous être adjointe une remise

en cause de l’appréciation de la force majeure en matière contractuelle318. L’importance de la

prévisibilité en la matière, la différence essentielle consistant dans le choix d’un cocontractant

déterminé proposant une contrepartie particulière, impose de prendre en compte ces données

que le créancier lui même a considérées lors de la conclusion du contrat.

316 CE Assemblée, 24 mars 2006. Notion qui est aussi sous-jacente dans nombre de décisions du Conseil constitutionnel (bien que non explicitement reconnue par les textes formant le « bloc de constitutionnalité »). 317 Cf. « Les revirements de jurisprudence –rapport remis à M. le premier président Guy Canivet », sous la direction de Nicolas Molfessis. 318 Ainsi, cette notion perdrait une certaine unité suivant le régime de responsabilité auquel elle s’appliquerait.

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De manière plus générale, l’analyse montre que si les critères de qualification de la force

majeure sont importants, l’appréciation n’en est pas moins essentielle : l’idée selon laquelle

prendre une assurance pour parer à un éventuel évènement le rendrait nécessairement

prévisible, aujourd’hui abandonnée, illustre bien la puissance de l’incidence de cette

appréciation.

De ce point de vue l’adoption d’une conception relativiste, saluée par une doctrine très

autorisée319, ne peut qu’être approuvée.

Les interrogations suscitées par la notion de force majeure sont d’autant plus gênantes

que ses effets sont puissants. Sur ce point, toutefois, une certaine cohérence de la

jurisprudence et de la doctrine se fait jour.

La question du degré d’exonération est ainsi pour une doctrine ultra-majoritaire tranchée : les

caractères de la force majeure, au premier rang desquels l’irrésistibilité, imposent une

exonération totale de responsabilité pour le débiteur.

Pour notre part, il nous semble qu’une distinction fondamentale devrait être exercée suivant le

moment d’intervention du cas de force majeure et de la faute du débiteur : en l’absence de

concomitance de leur survenue, la faute du débiteur nous semble pouvoir aggraver les effets

d’un cas de force majeure. Quant à la simultanéité d’un cas de force majeure et d’une faute du

débiteur, l’exonération intégrale de responsabilité nous paraît une solution trop absolue pour

être conforme à la réalité.

Si une étiologie des causes ayant participé au dommage serait sans doute frappée d’un certain

arbitraire, celui-ci nous semble préférable car plus proche de la réalité, à la solution générale

et indiscutable selon laquelle la faute du débiteur serait nécessairement quantité négligeable

face à la force majeure, cause unique de l’inexécution.

319 Les Doyens Carbonnier ou Rodière, les professeurs Malaurie, Aynès et Stoffel Munck notamment.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 115

La question du risque est elle aussi régie de façon certaine : en application de l’adage « res

perit debitori », redécouvert à partir de solutions éparses du Code civil, le risque pèse sur le

débiteur.

Cette solution ne nous semble pas plus fondée. En notre opinion, le contrat induit une certaine

solidarité entre les parties qui s’oppose à ce que l’une soit sacrifiée au profit de l’autre.

L’essence même de la force majeure tient à l’impossibilité d’exécution non fautive qu’elle

engendre. Dès lors, il est nécessairement arbitraire de faire supporter le risque par l’une

d’entre elles.

Une certaine solidarité devrait donc être instituée320. A cet égard, différents niveaux peuvent

être envisagés, mais le plus simple reste sans doute celui du contrat, qui serait alors formé

« pour le meilleur et pour le pire ».

Enfin, quant aux effets pour l’avenir, la jurisprudence se fonde sur l’article 1184 alinéa 3,

c'est-à-dire la résolution. Celle-ci étant la sanction d’une faute, produisant un effet rétroactif et

devant être judiciaire, paraît pourtant largement inadaptée. Il semble en réalité, que la caducité

soit l’effet le plus adapté… reste, pour la doctrine, à convaincre les juges.

En tant que telle, la notion de force majeure ne joue que rarement en matière de contrat

de transport maritime. Le retard, au départ ou à l’arrivée du navire, semble être son domaine

d’expression privilégiée. Or, cette mauvaise exécution contractuelle, largement ignorée lors

de la rédaction de la Convention de Bruxelles de 1924 et de la loi française du 18 juin 1966,

semble aujourd’hui une question importante.

Si une certaine flexibilité doit être admise eu égard aux impondérables auxquels ce transport,

plus que tout autre, se trouve soumis, il ne peut plus justifier une absence de responsabilité : le

retard, en tant que tel, peut engendrer de graves préjudices. De ce fait, il est concevable que la

notion de force majeure trouve, à l’avenir, à s’appliquer plus fréquemment.

320 Nous en convenons, notre opinion se rapproche ainsi beaucoup plus de celle des solidaristes que de toute autre. Nous noterons d’ailleurs que l’importance de la notion de solidarité en droit maritime s’accommoderait sans doute très bien de cette solution.

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Lorsqu’elle est appliquée « in nominem », la force majeure ne semble pas présenter de réel

particularisme maritime. La flexibilité de la notion et le caractère général de ses critères, en

résumé le fait que la force majeure soit un concept, explique cette situation.

Mais la réelle question en droit du contrat de transport maritime de marchandises tient aux

rapports de la force majeure et des cas exceptés.

Ces derniers, caractéristiques du contrat de transport (la technique est répandue dans les

divers modes de transport) autant que du droit maritime (à travers les différents cas

envisagés), ne présentent pas, a priori, de liens avec la notion de force majeure.

Mieux : ils devraient l’exclure, étant technique concurrente d’exonération de responsabilité –

ce que la Cour de cassation a pu affirmer sans ambages321.

Cette question n’aurait donc dû se poser que pour deux cas exceptés :

- les « faits constituant un évènement non imputable au transporteur » de l’article 27 de

la loi française,

- et « l’autre cause » de l’article 4 (q) de la Convention de Bruxelles de 1924.

Or, la lecture des ouvrages francophones autant que l’analyse de la jurisprudence impose un

constat : la référence à la force majeure, ou à ses critères, est très fréquente –sauf bien sûr

dans le cas où la nature du cas excepté est incompatible avec cette qualification.

Un parallèle mathématique est concevable : force majeure et cas exceptés sont deux

ensembles distincts, provenant d’origines différentes, qui sont sécants. Ainsi, certains cas

exceptés peuvent être des cas de force majeure et réciproquement.

L’analyse individuelle de chaque cas excepté démontre une dichotomie entre les cas exceptés

ne présentant pas les caractères de la force majeure, que ce soit au plan théorique ou pratique,

et ceux qui doivent les présenter.

321 Chambre commerciale, 20 février 1990.

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Les solutions ne sont donc pas homogènes, ce qui pose problème et nécessite de s’interroger

de façon plus générale sur le bien fondé de la recherche des critères de la force majeure pour

la reconnaissance d’un cas excepté.

- D’un côté, ni la Convention de Bruxelles, ni la loi du 18 juin 1966 ne font référence à la

force majeure. Lorsque les juges caractérisent cette notion ils ajoutent donc à la loi, ce qui est

contestable au plan juridique. En outre, ce faisant, c’est l’homogénéité du régime de la

responsabilité du transporteur maritime de marchandises qui est mise à mal… mais existe-t-

elle encore ? Le nombre de textes, ainsi que leurs différentes versions, régissant la matière

(sans même considérer la probable entrée en vigueur d’une Convention CNUDCI dans un

avenir proche) incite à ne pas surévaluer cette réalité.

- D’un autre côté, l’application des critères de la force majeure permet une certaine

homogénéisation du droit du contrat de transport maritime. Or, si l’on peut tenir pour que le

particularisme de celui-ci ne disparaisse pas322, force est de constater que les exigences

économiques semblent difficilement s’accommoder de certaines particularités de ce droit. De

plus, la souplesse des critères de la force majeure lui permet d’être très adaptée à nombre de

situations, dont celles rencontrées en matière de transport maritime de marchandises.

La force majeure présente, en outre, la caractéristique d’être plus stricte que les cas exceptés à

l’égard du transporteur. Or, de manière générale, cette rigueur, réclamée par les chargeurs,

semblerait aujourd’hui justifiée. L’innavigabilité, le vice caché du navire ou la faute nautique

ne devraient plus engendrer d’exonération de responsabilité pour le transporteur.

L’exonération de responsabilité devrait aussi être cantonnée aux périls de la mer les plus

exceptionnels, aux grèves, émeutes ou guerres inévitables, aux faits du Prince et quarantaines

imprévisibles.

La Convention de Bruxelles, qui est le fondement réel de ce droit commun maritime, fut

fondée sur un compromis entre des intérêts antagonistes. Elle est avant tout la résultante

(adéquate par bien des aspects comme en témoigne sa longévité) d’un rapport de force. Ce

rapport de force a changé, les aléas de la navigation se sont amenuisés… en un mot : la

Convention CNUDCI sera la bienvenue.

322 Cf. pour un exposé du particularisme maritime et de son avenir : P. Bonassies et Ch. Scapel, n°3 et s., p.4 et s.

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Enfin, se pose la question de savoir pour quelle raison les juges se réfèrent à cette notion de

force majeure quand le texte n’en fait pas mention. Le poids de l’habitude n’y est sans doute

pas étranger mais, à notre sens, c’est avant tout la volonté de justifier au plan de l’équité le

rejet ou l’admission d’un cas excepté qui guide, peut être inconsciemment, les magistrats. Il y

a là, sans doute, justification de l’adéquation de cette notion avec celle, plus générale et pour

nous essentielle, d’équité323.

Finalement, la notion de force majeure nous paraît devoir venir doubler celle des cas exceptés.

Si nous allons contre une lecture stricte du texte et risquons de remettre en cause une certaine

homogénéité internationale (qui est toute relative) au profit de l’homogénéité interne, c’est

que nous considérons que le penchant des juges sera toujours, même de façon implicite, de se

référer à cette notion en raison de l’équité qu’elle engendre.

Les aléas maritimes étant moins grands324, les capacités de communication –c'est-à-dire de

prévision- étant incomparables avec celles existant en 1924, une sévérité accrue doit présider

à la reconnaissance des cas exceptés. La force majeure, tout au moins l’idée qui la fonde,

nous paraît particulièrement adaptée à cette fin.

323 Cf. Y. Tassel -note sous Com 1er décembre 1992, « Houtmangracht », DMF 1993, p.45 et s. –qui estime que la fréquence de la référence à la notion de force majeure en matière de périls de la mer, résulte sans doute de ce qu’en juger autrement serait choquant. 324 Le professeur Pineau écrit ainsi « compte tenu de l’évolution de la technique, des progrès accomplis par les services météorologiques, les dangers de la mer ne sont plus ce qu’ils étaient jadis », n°172, p.206. Dans le même sens, mais relevant qu’il n’en resta pas moins « que des sinistres importants restent possibles à la mer », P. Bonassies et Ch. Scapel, n°9, p.9.

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Table des matières

- Sommaire p.2

- Introduction p.3 - Chapitre 1er La force majeure en matière de responsabilité contractuelle p.9 - Section 1ère Qualification de la force majeure en matière contractuelle p.9 - Sous-section 1 Force majeure et notions proches p.9

I- Force majeure et cas fortuit p.9 A/ Une distinction opérée par le droit romain p.9 B/ Une distinction révolue puis réactivée ? p.10

II- Les relations entre force majeure et cause étrangère p.13

- Sous-section 2 Les critères de qualification de la force majeure p.15

I- L’irrésistibilité- « A l’impossible nul n’est tenu » p.16 A/ Définition de l’irrésistibilité p.16 B/ Une appréciation in abstracto contestable p.19

II- L’imprévisibilité –« Un homme avisé en vaut deux » p.22 A/ Appréciation de l’imprévisibilité p.22 B/ Un critère controversé p.25

III- L’extériorité p.28 A/ Définition p.28 B/ Une notion controversée p.31 -Section 2nde Effets de la force majeure en matière contractuelle p.35 Sous-section 1 Fondements théoriques des effets de la force majeure p.35

I- Force majeure et causalité p.35 A/ Les théories de la causalité p.36 B/ Le droit positif p.37

II- Fondement de l’exonération de responsabilité du débiteur p.38 A/ Absence de lien de causalité ou absence de faute ? p.38 B/ Des théories conciliables p.40

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Sous-section 2 Effets pratiques de la force majeure p.42

I- Force majeure et exonération p.42 II- Sort du contrat et des obligations p.47

A/ Le sort du contrat p.47 B/ Le sort des obligations : la théorie des risques p.50 - Chapitre 2nd Force majeure et contrat de transport maritime de marchandises p.56 - Section 1ère Force majeure et cas exceptés p.59

Sous-section préliminaire Précisions théoriques relatives aux rapports entre force majeure et cas exceptés p.60

I- La notion de faute du transporteur p.60 A/ Rôle de la faute par rapport au cas excepté p.61 B/ Le fait du préposé ou du navire p.62

II- Effets de la faute du transporteur p.63 A/ Faute du transporteur et exonération partielle p.64 B/ Effets de la cause inconnue p.66 Sous-section 1 Les cas exceptés ne présentant pas les caractères de la force majeure p.68

I- Les cas exceptés ne pouvant constituer des cas de force majeure p.68 A/ L’innavigabilité et le vice caché p.68 B/La faute nautique du capitaine, pilote ou d’autres préposés du transporteur p.70 C/ La saisie judiciaire du navire en raison du non-paiement d’une dette par le transporteur p.70 D/ La freinte de route p.71 E/ Vice caché ou vice propre de la marchandise p.72 F/ The « catch all clause » p.72

II- Les cas exceptés ne présentant pas, en pratique, les caractères de la force majeure p.73 A/ L’incendie p.73 B/ La faute du chargeur p.75 C/ Le fait d’ennemis publics p.77 D/ Emeutes ou troubles civils et faits de guerre p.78 E/ Périls de la mer et Convention de Bruxelles de 1924 : non à la force majeure ! p.79

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Sous-section 2nde Les cas exceptés devant présenter les caractéristiques de la force majeure p.84

I- Cas exceptés dont la jurisprudence exige les caractères de la force majeure p.84 A/ Périls de la mer et loi française du 18 juin 1966 : oui à la force majeure ! p.84 B/ La grève, le lock out et les arrêts de travail p.89

II- Les cas exceptés devant, au plan théorique, présenter les caractères de la force majeure p.91

A/ L’act of God p.91 B/ Le fait du Prince et la quarantaine p.92 C/ Le sauvetage p.94 D/ Certaines saisies judiciaires p.95 - Section 2 La force majeure in nominem p.97 Sous-section 1ère Les diverses applications de la force majeure p.97

I- Applications en vertu d’un texte « maritime » p.97 A/ L’article 31 du décret relatif au départ du navire p.97 B/ Articles permettant le recours à la force majeure p.99

1- Obligation au fret et frai de transbordement et force majeure p.99 2- Responsabilité du chargeur et force majeure p.102

II- Une application en vertu du droit commun p.103

A/ Les contrats échappant au « droit commun » du transport maritime p.104 B/ La question échappant au « droit commun » maritime : le retard p.105 Sous-section 2nde Particularisme de la force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises ? p.109

- Conclusion p.112 - Sources p.118

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Sources :

Les noms d’auteurs suivis d’un astérisque signalent les ouvrages cités d’après le seul nom

de leur(s) auteur(s).

• Ouvrages de droit civil

- Bénabent* A. Droit civil, Les obligations, 10ème édition, Montchrestien 2005

- Cabrillac* R. « Droit des obligations », 7ème édition, Cours Dalloz, 2006.

-Carbonnier* J. « Droit civil », Tome 4 Les Obligations, 22ème édition refondue, PUF 2000.

- Delebecque Ph. et Germain « Droit commercial » Tome 2, 17ème édition, LGDJ, 2004.

- Delebecque Ph. et Pansier F-J. « Droit des obligations », Responsabilité civile, Délit et quasi

délit, 3ème édition, Litec, 2006.

- Delebecque Ph. et Pansier F-J. « Droit des obligations. Contrat et quasi-contrat », 4ème

édition, Litec 2007.

- Fabre-Magnan* M. « Les obligations », PUF droit, 2004.

- Flour, Aubert et E. Savaux*, « Droit civil, Les obligations, 3. Le rapport d’obligation », 4ème

édition, Sirey université, 2006.

- Flour, Aubert et Savaux* Droit civil « Les obligations », 2.Le fait juridique, 11ème édition, ,

Armand Colin, 2005.

- Jourdain P. « Les principes de la responsabilité civile », 5ème édition, Dalloz 2000.

- Larroumet*, Droit civil, Tome 3 « Les obligations, le contrat », 4ème édition, Economica,

1998.

- Le Tourneau* Ph. « Droit de la responsabilité et des contrats », Dalloz action 2006/2007.

- Malaurie, Aynès L. Stoffel-Munck* Droit civil « Les obligations », 2ème édition, Defrénois,

2005.

- Malinvaud* Ph. « Droit des obligations », 9ème édition, Litec, 2005.

- Marty G. et Raynaud P.* « Droit civil, Les obligations », Tome 1 « Les sources », 2ème

édition, Sirey 1988.

- Mazeaud* (Henri, Léon et Jean), Leçons de droit civil, Tome II, 1er volume « Obligations,

théorie générale », 9ème édition par François Chabas*, Montchrestien 1998.

- Terré, Simler et Lequette* Droit civil, Les obligations, 9ème édition, Précis Dalloz, 2005.

- Viney G. et Jourdain* P. Traité de droit civil « La responsabilité civile », 3ème édition,

LGDJ, octobre 2006.

- Weill et Terré in « Droit civil, les obligations », 4ème édition, Dalloz 1986.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 123

• Articles de droit civil

- Ancel P. « La force obligatoire du contrat, jusqu’où faut il la défendre ? » in La nouvelle

crise du contrat, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Dalloz 2003, p.163 et s.

- Antonmattéi P-H. « Ouragan sur la force majeure », JCP édition générale, 1996.I.3907.

- Artz J-F « La suspension du contrat a exécution successive », Dalloz 1979, chronique XV. - Beaugendre S. « Voile sur la force majeure », Dalloz 2004, p.2520 (note sous l’arrêt de la

2ème civ. du 5 février 2004).

- Delebecque Ph. « Les nouveaux rôles de la force majeure », Répertoire Defrénois, 1999.

- Deumier P. et Encinas de Munagorri R. « Sources du droit en droit interne », RTD civ.

juillet/septembre 2006, p.510 et suivantes.

- Guyot I. « Le caractère extérieur de la force majeure », RRJ 2002-1

-Jacques Ph. et Brun Ph. « Responsabilité, panorama 2006 », revue Lamy, supplément au

n°35, février 2007.

- Moury, « Force majeure : éloge de la sobriété », RTD 2004.

- Radé Ch. « La force majeure » in « Les concepts contractuels français à l’heure des

principes du droit européen des contrats », sous la direction de Pauline Rémy-Corlay et

Dominique Fenouillet, Dalloz, 2003 –p.201 et s.

- Starck B. « La pluralité des causes de dommage et la responsabilité civile (vie brève d’une

fausse équation : causalité partielle = responsabilité partielle)», JCP 1970, I, 2339.

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• Manuels de droit maritime :

- Bonassies P. et Scapel* Ch. « Traité de droit maritime », LGDJ 2006.

- Chauveau « Traité de droit maritime », librairies techniques, librairie de la Cour de

cassation, 1958.

- Du Pontavice E. et Cordier* « Transports et affrètements maritimes »,2ème édition, Delmas

1990.

- Paulin Ch. « Droit des transports », Litec 2005.

- Pineau* « Le contrat de transport terrestre, maritime, aérien », Les éditions Thémis, 86.

- Putzeys* avec la collaboration scientifique de Marie-Ange Rosseels, « Droit des transports

et droit maritime » par Bruylant Bruxelles, 1993.

- Rémond-Gouilloud* M. « Droit maritime »,1ère et 2ème édition, 1988 et 1993.

- Rémond-Gouilloud M. « Le contrat de transport », Dalloz, 1993.

- Ripert G. « Droit maritime », Tome II « Crédit maritime – fortune de mer- transports

maritimes », 3ème édition, Rousseau et Cie éditeurs –collection Thaller, 1929.

- Ripert G. mis à jour par R. Rodière « Droit maritime », librairie Dalloz, 1963.

- Rodière R. « Traité général de droit maritime par Affrètements et transports », Tome II

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- Rodière* R., du Pontavice E. « Droit maritime », 12ème édition, précis Dalloz, 1997.

- Scapel P. « Traité théorique et pratique sur les transports par mer-terre-eau-air-air-fer »,

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- Scapel P. « La nouvelle législation sur les transports de marchandises par mer », librairie du

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- Tetley W. “Marine cargo claims” 3rd edition, International shipping publications.

- Vialard A. “Droit maritime”, PUF

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 125

• Articles de droit maritime :

- Bonassies P. « La responsabilité du transporteur maritime dans les règles de La Haye et dans

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- Cherkaoui H. « Le péril de mer, notion maritime de la force majeure », DMF 1991, p.211 et

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- Delebecque Ph. « Bilan de recherches » in « Le droit international des transports

maritimes », Centre d’étude et de recherche de droit international et de relations

internationales, Académie de droit international de La Haye, Martinus Hijhoff publishers,

2001.

- Delebecque Ph. « Le droit maritime à l’aube du 21ème siècle » in « Le droit privé à la fin du

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- Delebecque Ph. « Droit maritime et régime général des obligations », DMF 2005, p.785 et s.

numéro spécial en l’honneur d’Antoine Vialard.

- Figuière G. « Les vagues monstrueuses (freak waves) », revue Scapel, 2003, p.160 et s.

- Racine J.B « Le retard dans le transport maritime de marchandises », RTD Com. 2008,

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- Tilche Marie « Force majeure –Pour une spécificité transport ? » BTL 2006.494.

- « Regards sur la jurisprudence. 40 ans d’application des cas exceptés de responsabilité des

Règles de La Haye-Visby », DMF 2005, p.908 et s.

- Etudes offertes à René Rodière, Dalloz, 1981.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 126

• Thèses et mémoires de droits civil et maritime

- André Ch. « Le fait du créancier contractuel », préface de Geneviève Viney, LGDJ, 2002.

- Antonmattei P-H. Contribution à l’étude de la FM, th. Montpellier, LGDJ, 1992

- Beuzit, mémoire « L’incendie à bord du navire marchand » mémoire CDMT 2003.

- Chaaban R. dans sa thèse « La caducité des actes juridiques. Etude de droit civil », préface

de Yves Lequette, LGDJ 2005, n°30, p.20.

- Chabas « L’inexécution licite du contrat », préface de J. Ghestin et avant propos de D.

Mazeaud ; LGDJ 2002.

- Fin-Langer L. « L’équilibre contractuel », thèse, LGDJ 2002.

- Joary « La fortune de mer », mémoire CDMT 2003.

- Laithier Y-M. « Etude comparative des sanctions de l’inexécution », préface de G. Viney,

LGDJ 2004.

- Radouant « Du cas fortuit et de la force majeure », Thèse, Paris, 1920.

- Sériaux A. « La faute du transporteur », 2ème édition, préface de Pierre Bonassies,

Economica, 1998.

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La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemarié CDMT 2007 127

• Ouvrages divers :

- Bouloc, « Droit pénal général » 20ème édition, Précis Dalloz, 2007.

- Ewald, « Naissance du Code civil, extraits choisi et présentés par », Flammarion 2004.

- Gazzaniga « Introduction historique au droit des obligations », PUF 1992.

- Lévy J-Ph et Castaldo A. « Histoire du droit civil », 1ère édition, Précis Dalloz, 2002.

- Jamin et Mazeaud (sous la direction de) « La nouvelle crise du contrat », Dalloz, 2003

- « Lexique des termes juridiques », 15ème édition, Dalloz, 2005.

• Sites internet

- www.academiedemarine.com

- www.afcan.org

- www.arte.tv.fr

- www.imo.org

- www.ifremer.fr

- www.meretmarine.com

-