dilemmes et enjeux des privatisations des entreprises ... · conseil de modernisation des...
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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
DILEMMES ET ENJEUX DES PRIVATISATIONS DES ENTREPRISES PUBLIQUES POUR L'ÉTAT HAITIEN
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN SCIENCE POLITIQUE
PAR HADLAIRE ÉTIENNE
MARS 2010
UNIVERSlTÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Service des bibliothèques
Avertissement
La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser Lin travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 -Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des ètudes de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»
REM ERCI EMENTS
En tout premIer lieu, je tiens à adresser mes plus vifs remerciements à mon directeur,
Monsieur Daniel Holly, professeur de sciences politiques à l'Université du Québec à
Montréal, d'avoir initialement cru en mon projet et de m'avoir soutenu tout au long de mes
études de maîtrise. Sans la qualité de ses réflexions, ses nombreuses relectures et la finesse de
ses suggestions, ce mémoire n'aurait jamais vu le jour. Qu'il trouve ici l'expression de ma plus
sincère gratitude
Je désire particulièrement remercier tout mon entourage amical universitaire, dont les
membres se reconnaîtront, pour tous les bons moments passés ensemble, pour leur aide
morale et pour leur encouragement.
Je voudrais également remercier les membres de ma famille, et plus particulièrement ma
mère, à qui je dois tout.
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS ii
TABLE DES MATIÈRES iii
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES v
RÉSUMÉ vi
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1: L'ENTREPRISE D'ÉTAT DANS LES PAYS DU TIERS-MONDE ET EN HAITI: CONTEXTE HISTORIQUE ET ENJEUX 12
1.1. L'entreprise d'État: un héritage des stratégies de développement des institutions de Brettons Wood 12
1.1.1 Les organisations internationales: Un rôle central 13 1.1.2. La Banque Mondiale et l'essor des entreprises publiques dans le tiers-monde 16
1.2. L'entreprise publique dans la théorie économique 2\ 1.2.1. L'entreprise d'État selon différents auteurs 22
IJ. L'essor des entreprises d'État en Haïti 25 IJ.I. Contexte général de l'économie haïtienne 26
lJ.2. L'entreprise d'État en Haïti 30
1.3.3. Les entreprises d'État en Haïti: un outil au service du pouvoir politique........ J4
CHAPITRE ,,: LE TEMPS DES PRIVATISATIONS NÉOLlBÉRALISME ET AJUSTEMENT STRUCTUREL. 39
2.1. La fin d'une époque 39 2.1.1. Un surendettement porteur des plus grands malheurs .40
2.1.2. L'ajustement structurel comme réponse 44
2.2. La global isation .45
2.2.1. Un nouvel ordre économique mondial.. .45
2.3. Des États (les PVD) dans le maelstrom de la mondial isation 49 2.3.1. Le mécanisme de réduction de la taille de l'État: privatisation et désétatisation 50
IV
2.4. Des fondements théoriques révélateurs .53 2.4.1. La privatisation dans la théorie économique .53
2.4.2. L'inflexion du discours et de la stratégie de la Banque mondiale et du
FMI 55
2.5. Objectifs des privatisations des entreprises d'État... 56
2.6. Statistiques descriptives et analyse de la performance des entreprises privatisées 63
2.7. Les méthodes de privatisation 70
CHAPITRE Ill: DILEMMES ET ENJEUX DES PRIVATISATIONS DES ENTREPRISES PUBLIQUES POUR L'ÉTAT HAÏTIEN 74
3.1. Portrait général de l'économie haïtienne 74 3.1.1. Une crise économique aigüe 74
3.1.2. Une rigueur budgétaire imposée 77
3.2. Une dépendance financière écrasante: Le poids des organisations internationales et des autres intervenants 80
3.2.1. Organisations multilatérales et bilatérales et les privatisations en Haïti: une position unanime mais nuancée 82
3.2.2. Des gouvernements hésitants 83
3.2.3. Un cadre législatif explicite 88
3.2.3.1 Impacts et principaux points saillants de la loi sur la
modern isation 88
3.3. Des conséquences significatives 90
3.3.1. Une action déterminante 90
3.3 .2. Des privatisations révélatrices et problématiques 92
3.3.3. Un processus de privatisation imprégné d'un manque de transparence 98
3.4. L'aven ir incertain des autres entreprises d'État en Haïti 103
3.4.1. Une stratégie d'affaiblissement... 103
CONCLUSiON 112
BIBLIOGRAPHIE 116
ANNEXE 1 122
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES
APN ACOI BIRD BM BRH CARICOM CCI CINA CMEP ENAOL FESTREDH
FMI IDE ISI MINUSTAH MPCE OCDE ONG PAPDA PED PYD SEM SFI UNCTNC
USAlD
USD USN
Autorité Portuaire Nationale Agence canadienne de développement international Banque internationale pour la reconstruction et le développement Banque Mondiale Banque de République d'Haïti Communauté caribéenne Cadre de coopération intérimaire Cimenterie Nationale Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques Entreprise Nationale des Oléagineux Fédération des Syndicats des Travailleurs et des Travailleuses de l'Électricité d'Haïti Fonds Monétaire Intemational Investissement direct à l'étranger Industrialisation par Substitution des Importations Mission des Nations Unies pOLir la stabilisation en Haïti Ministère de la Planification et de la Coopération externe Organisation de coopération et de développement économiques Organisation Non Gouvernementale Plate-forme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement alternatif
Pays en développement Pays en voie de développement Société d'Économie Mixte Société Financière Internationale Centre des Nations Unies sur les sociétés transnationales
United States Agency for International Development
Usine Sucrière de Darbonne Usine sucrière du Nord
RÉSUMÉ
Le présent mémoire dresse un portrait sur les privatisations des entreprises d'État en Haïti dans le but de cerner les di lemmes et les enjeux derrière cette pol itique. Il nous est apparu nécessaire de replacer le traitement de cette importante question dans son contexte international pour en saisir toute la dimension et faire émerger les enjeux derrière cette politique. Notre quête de sens nous a conduit à accorder une place centrale dans notre étude aux Organisations internationales, particulièrement aux Organisations de Bretton Woods, notamment à La Banque mondiale. Nous avons ainsi été amené à constater que ces dernières ont exercé et exercent encore aujourd'hui une énorme influence dans la régulation de l'économie mondiale.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons pu faire valoir qu'en matière de développement économique, par deux fois depuis la fin du second conflit mondial du XXe siècle, la BM a tracé des stratégies à l'intention des PVD. Menacée de toute part après 1945, la Banque adopte une stratégie de développement axée sur l'approche développementa\iste et l'impose aux pays de la périphérie. L'État devient le centre d'impulsion du développement économique. Le rôle de l'entreprise publique y est central.
À l'aube des années 90, à la suite d'une succession de crises, crise financière, crise de dette des PVD, entre autres, et la décomposition de l'ordre mondial dominé par deux pôles, l'État n'est plus considéré comme le centre d'impulsion du développement économique. Le nouveau mot d'ordre général est le désengagement de l'État. La redéfinition du rôle de ce dernier sera faite en fonction d'un ordre économique mondial globalisé et du renforcement souhaité du système économique mondial. Ce nouveau rôle sera synonyme d'exclusion et de marginalisation pour les PVD. C'est dans ce cadre de globalisation que s'inscrit la privatisation des entreprises d'État, une politique qui favorise largement les grands intérêts privés et contribue du même coup, vu sa généralisation à travers le monde, la reproduction du système international.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que cette mutation est teintée de dogmatisme idéologique, une orientation nettement visible quand on se penche sur les privatisations prônées par la BM. Ce dogmatisme, nous l'avons montré à l'œuvre dans le cas des privatisations d'entreprises publiques haïtiennes.
En effet, notre analyse des privatisations en Haïti a fait ressortir certaines situations où les autorités de la Banque n'ont pas du tout tenu compte de la situation objective de ces entreprises, une situation, selon les avis d'experts indépendants et de certains responsables haïtiens, marquée par la rentabilité prouvée dans le passé et les réelles possibilités de les rentabiliser moyennant certaines réformes. La Banque a persisté, par dogmatisme, croyonsnous, dans sa détermination. Ce dogmatisme révèle également l'insensibilité des responsables de la Banque pour les impacts sociaux négatifs bien réels des privatisations, comme l'analyse peut le constater dans le cas d'Haïti.
Mots-clé: Haïti, organisation internationale, globalisation, privatisation, désétatisation, développementaliste, Crise de la dette, ajustement structurel, néo-libéralisme.
Introduction
L'objet de ce mémoire est l'étude des privatisations des entreprises d'État en Haïti.
Depuis 1986, les institutions internationales et les pays donateurs préconisent cette mesure
dans les politiques d'ajustement structurel pour ce pays. Notre objectif est de cerner les
dilemmes et les enjeux que représentent ces privatisations.
Un des principaux éléments qui a brusquement mis fin à la dictature duvaliériste est
la sévère crise économique qui sévissait depuis plusieurs années en Haïti. Principalement
causée par l'effondrement du prix des matières premières sur les marchés mondiaux, cette
crise s'est traduite en Haïti par un creusement important du déficit budgétaire de l'État et une
hausse vertigineuse du taux d'inflation. Les entreprises d'État subissent les contrecoups de la
chute de la dictature: diminution de leurs recettes, dégradation de leurs programmes
d'entretien et désertion de nombreux employés et cadres nommés par le système clientéliste
du régime déchu.
Tous ces événements amènent les institutions internationales et les pays donateurs
impliqués en Haïti à élaborer un premier programme. Ce dernier est destiné à stabiliser les
finances publiques, à améliorer les services à la population et à soutenir un programme de
rétablissement économique. De ce fait, le gouvernement haïtien est contraint de procéder à la
fermeture de l'entreprise Nationale des Oléagineux (ENAOL) et de l'usine Sucrière de
Darbonne, toutes deux aux prises avec d'importants problèmes de déficit budgétaire. L'État
s'engage également à ne pas créer de nouvelles entreprises'. Cet accord est la prémisse d'une
longue série d'études et de rapports qui vont tous dans la même direction: la majorité des
entreprises d'État haïtiennes doivent être privatisées.
De 1986 à 1994, l'instabilité politique est énorme en Haïti. Durant cette période, le
processus de privatisation est mis au rancart. Ce n'est que le 22 aoüt 1994 que ce projet refait
surface. Le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide, alors en exil, publie un document
1 DELINCE, Kern. L'insuffisance de développement en Haiii : Blocages et solutions, Pegasus books, Plantation, Floride, USA. 2000, p-167.
2
intitulé « Stratégie de Reconstruction Sociale et Économique ». Le document stipule que le
contrôle de l'État sur les entreprises publiques de production et de biens et services
importants pour l'économie s'avère une catastrophe aux niveaux économique et social. La
consolidation d'un ordre social réellement démocratique eXige que le gouvernement se
débarrasse de ses biens2.
Quelques semaines plus tard, alors que le président de la République est toujours en
exil aux États-Unis, ses représentants signent les Accords de Paris qui spécifient que les
entreprises publiques haïtiennes doivent être restructurées, voire privatisées. Cependant, une
fois rentré d'exil, durant le reste de son administration, le Président Aristide ne fait pas
progresser le dossier de la privatisation estimant qu'il « vaut mieux perdre avec le peuple que
gagner sans le peuple» 1. Le retournement du président Aristide entre sa période d'exil et la
fin de son mandat s'explique sans doute « en partie par les circonstances difficiles qui
entouraient les opérations du gouvernement en exil. En effet, celui-ci était complètement
dépendant du bon vouloir de Washington dont les intérêts pour les privatisations étaient
clairs. Il semble donc qu'Aristide ait pris l'engagement de privatiser dans le but de garantir
son retour au pays»4.
Aristide remet donc le dossier inchangé à la nouvelle administration du président
Préva!. Contrairement au gouvernement d'Aristide, Préval, vainqueur des élections de 1995
est plus favorable à l'apport de capital privé dans les entreprises publiques. Le gouvernement
Préval est forcé de faire avancer le dossier à la suite des nombreuses pressions des
organisations internationales qui exigent des gestes concrets en ce qui à trait aux politiques de
privatisation. Le gouvernement réussit à faire adopter une loi sur la « Modernisation des
Entreprises Publiques », par une majorité suffisante dans les deux chambres législatives.
L'article 8 de la loi sur la modernisation précise les modalités de l'opération:
l'Exécutif peut procéder à la modernisation des entreprises publiques selon trois options
2 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Privatisation des entreprises d'État en Haïti dans Rapport de mission. Centre canadien d'étude et de coopération internationale », Montréal, 1998, p-7.
3 Le Nouvelliste Édition du 24 août 1995. http://www.lenouvelliste.com/archives/index.php 4 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Op. cil, p-8.
3
différentes.
La première option est un contrat de gestion qui maintient l'ensemble de l'entreprise
entre les mains de l'État, mais permet à une firme privée de la gérer pour le gouvernement
moyennant des frais de gestion. La deuxième option prévue par la loi (décrite à l'article 10)
est la concession. Concept qui consiste en une forme de location de l'entreprise à un
exploitant privé. Ce dernier devient responsable de l'ensemble « des opérations de l'entreprise
en échange du paiement d'un loyer au gouvernement (redevance locative) et de la réalisation
d'investissements déterminés dans le contrat de location. Les profits reviendront à l'entreprise
locataire et non au gouvernement »5. La dernière option est la modernisation par
capitalisation. Elle implique que l'État peut s'associer à des investisseurs privés pour créer une
nouvelle entreprise dite « Société d'économie mixte» (SEM) qui comprend le capital de
l'entreprise publique, tel qu'il existe au moment de la privatisation et le capital apporté par les
partenaires privés. Ceci conduit à une privatisation partielle ou quasi totale selon l'apport de
capital privé investi6.
La politique de privatisation du président Préval lui vaut une vive contestation des
membres de son propre palii. « Qualifié de traître et ses Ministres, de vendeurs de Patrie )/,
le Président Préval est contraint de mettre le processus de privatisation en suspens, ce qui
provoque le gel de l'aide promis à l'État haïtien par les bailleurs de fonds. La mise en
application des politiques de privatisation est, rappelons-le, en effet une condition
incontournable de tout déblocage de fonds d'aide économique. Cette situation perdure
jusqu'à la fin du mandat du Président Préval et tout au long du deuxième mandat d'Aristide
( 1997-2004).
Le processus de privatisation ne reprend qu'en mars 2004 avec le gouvernement
intérimaire mis en place par la communauté internationale, et ce, à la suite du départ forcé du
5 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Op.cit.,p-13. 6 Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CM EP). Possihilités économiques el
privatisation, Editions La Ruche, Port-au-Prince Haïti 1996. p-6ü. 7 Société Financière International. La SFI prête assistance à la privatisation en HaUi. Communiqué de
presse No 95/75,14 février 1995, p-1.
4
président Aristide. Sous la direction du premier ministre Gérard Latortue et du président
Boniface Alexandre, ce gouvernement remet le processus sur les rails en signant différents
programmes selon les termes du « Cadre de coopération intérimaire» (CCI), intervenu avec
les principaux bailleurs de fonds en Haïti. Le gouvernement intérimaire entame le processus
de privatisation de l'Électricité d'Haïti (EDH), privatisation qui est posée comme une
condition incontournable par l'USAID pour le déblocage des sommes nécessaires afin
d'atténuer le problème d'approvisionnement de l'électricité dans le pays.
La conséquence de l'alignement sur la volonté de l'USAID est la signature de contrats
d'approvisionnement avec la compagnie française Alsthom et la compagnie SOGENER pour
la fourniture d'électricité à la capitale Port-au-Prince. Le montant du contrat s'élève à 6
mi Ilions de dollars américains par mois. Au même moment, nous assistons à une baisse
significative de la production d'électricité des centrales de l'État. Les raisons évoquées par la
direction et le gouvernement intérimaire pour expliquer cette situation sont: le bris de
matériel, l'assèchement des cours d'eau (causé par le déboisement massif) nécessaires au
fonctionnement des barrages hydro-é lectriques et la piètre gestion. En ce qui concerne le
réseau de l'entreprise Teleco (compagnie de téléphone de l'État), le régime intérimaire
déréglemente, par l'entremise du Conseil national des télécommunications8, le réseau de la
téléphonie (propriété de la Téléco) en octroyant des droits de partage de celui-ci à trois
compagnies américaines, soit: Comcel, Haitel et Digicel.
Problématig ue
Si la privatisation des entreprises publiques des pays du tiers-monde représente
aujourd'hui un enjeu stratégique pour une grande partie des secteurs dominants du système
international, il n'en a pas toujours été ainsi. De 1945 à 1980, en effet « le développement
des entreprises d'État faisait partie intégrante des stratégies de développement des institutions
de Bretton Woods »9. L'État devient ainsi le centre d'impulsion de développement
R Organisme public chargé d'établir des normes et de veiller à leurs mise en application, dans le secteur qui touche la téléphonie en Haïti
9 y A Y A, Sanni. L'économie politique de la privatisation et de la désétatisation, Montréal: Université du Québec à Montréal, 2004, p-22.
5
économique et prend en charge l'élaboration et la conduite des grands projets industriels pour
réaliser le développement économique.
Ce mode de régulation obéit à la logique du capital, car
« les propriétaires des moyens de production répugnent à investir leurs profits dans des secteurs dont la rentabilité est lente, aléatoire et médiocre, et ils confient à l'État le soin de financer, d'entretenir et de faire fonctionner les grandes infrastructures dont ils sont les premiers bénéficiaires: principalement les réseaux de télécommunication, d'électricité, de distribution d'eau, toutes des artères essentielles de l'industrie et du commerce »10.
Pour le secteur privé, l'équation est simple le développement des infrastructures publiques
nécessite des investissements financiers colossaux qui ne rapportent en fin de compte que de
maigres bénéfices. Ce qui va à l'encontre de leur objectif visé, soit la maximisation des
profits.
L'État des pays en développement est encouragé à posséder des entreprises publiques
dans le but d'attirer des investissements étrangers et ainsi de promouvoir le développement
économique. « L'intervention de l'État dans les pays en voie de développement apparaissait
comme une évidente nécessité. Face à l'urgence des situations de sous-développement, seule
une action énergique des pouvoirs publics semblait capable de créer les conditions favorables
au décollage économique» Il. Comme le rappelle Lecallo, « l'entreprise parapublique
constitue une structure privi légiée d' accuei 1 pour les prêts des organ ismes financiers
internationaux (... ) dans les pays en voie de développement »12.
Haïti s'engage alors dans cette vOie. Dans cette perspective. l'État haïtien se dote
d'entreprises d'État financées en grande partie par l'extérieur. Les organisations bilatérales et
mu Iti latérales soutiennent financièrement et techn iquement la grande majorité des entreprises
d'État haïtiennes. Cette politique change sous l'impact d'une série d'évènements: crises
économiques successives, crise de la dette, démantèlement du bloc socialiste et triomphe du
néo-libéralisme dans les instances internationales.
10 SELYS, Gérard. Privé du public: à qui profitent les privatisations?, Bruxelles: EPO, 1995, p-14. Il VAY A, Sanni. Op. cil, p-59. 12 LECALLO, Denis. Le rôle et lefonctionnement des entreprises parapubliques dans les pays en voie de développement: Algérie, Côte d'Ivoire, Sénégal. Thèse de doctorat, Université de Paris, P-18.
6
Dans les années 80, les instances internationales deviennent des lieux de promotion
avec des conditions favorables à la globalisation du capital. D'après René Passet, les
initiateurs de ce courant sont « les nouveaux arbitres dont la logique détermine les
ajustements à tous les niveaux du système économique international »". Des programmes
d'ajustement structurel sont imposés par la Banque Mondiale et le FM! qui « entendent
plonger les PYD dans la mondialisation des échanges sous la contrainte de la compétitivité.
Pour ce faire, ils mettent au centre et comme condition de la relance économique, une
redéfinition du rôle et de la place de l'État. »14.
La nouvelle stratégie est essentiellement axée sur le désengagement de l'État. Un
désengagement qui s'opère autour de deux concepts clés, soit: la désétatisation '5 et la
privatisation 16. La désétatisation, « c'est modern iser l 'économ ie nationale en transférant au
secteur privé la responsabilité des investissements nécessaires à son expansion »17. La
privatisation au sens large est définie « comme étant le transfert, en partie ou en totalité, des
activités d'une entreprise préalablement publique, au secteur privé »18. La privatisation est
« une réforme adoptée par les gouvernements, soit par adhésion à certains principes
politiques, soit encore pour obéir aux prescriptions des programmes d'ajustements structurels
»19. Comme le précise Yaya, « les concepts de désétatisation et privatisation peuvent
s'inscrire dans l'optique d'une vision d'alliance stratégique, de complémentarité et de
partenariat ( ... ) contribuant ainsi à la concrétisation de la politique de désengagement de
l'État»20. Un désengagement qui réd uit les institutions pol itiqucs nationales « à la fonction
d'agent d'exécutions chargés d'assurer la rentabilité du capital international et d'en couvrir
13 PASSET, René. L'illusion néo-libérale, Paris: Flammarion, 2001, p-I 14. 14 CAMPBELL, Bonnie. ReconcepLualisaLion de l'ÉLaL au Sud, dans Mondialisation des échanges et fonctions de l'État. Édition Mondialisation et droit international, p.16S. 15 Pour Tittenbnm désétatiser c'est contribuer à réduire la dette publique; contribuer à modemisation du parc industriel des entreprises; pennettre à l'administration publique de concentrer ses efforts dans les activités où la présence de l'Étatest fondamentale. 16 Selon Bizaget, la privatisation au sens large traduit l'idée d'un certain désengagement de l'État dont, selon les thèse néo-libérales, le trop grand dirigisme freine, consciemment ou inconsciemment, l'initiative et perturbe les lois du marché. 17 WRIGHT, v. Chacun privaLise à sa manière, dans « Les privatisations en Europe Programmes et Problème ». VicenL, Actes Sud, Hubert Nyssen Éditeur, p.9-S0. 18 y AYA, Sanni. Op. cil, p-71. 19 Monier Françoise, « Pénurie d'eau: Quelles solutions pour l'Afrique », l'express du 14/02/2002. 20 YA YA, Sanni. Op. cil, p-66.
7
·1es risques»21 .
Les entreprises publiques haïtiennes et des PVD, d'abord considérées comme un gage
de prospérité économique, sont dorénavant perçues par leurs propres développeurs
intellectuels et financiers comme une cause impol1ante du sous-développement. Les bailleurs
de fonds impliqués en Haïti jugent que le gouvernement doit rapidement se départir de ses
entreprises au profit du secteur privé plus apte, selon eux, à les diriger.
Dès les années 80, l'État haïtien est tenu de se défaire de ses entreprises d'État,
conditionnellement au décaissement des fonds prévu au titre de l'aide à Haïti. Notons que les
raisons évoquées par les institutions bi latérales et multi latérales pour justifier l'application de
pol itiques d'ajustement structurel sont l'état déficitaire des finances publ iques et le niveau
d'endettement considérable du pays. La corruption général isée et les déficits budgéta ires
accumulés par les entreprises d'État y jouent un rôle considérable. Dans le cadre de notre
réflexion, nous ne nions pas ces problèmes.
Ce qui pose problème, c'est que les politiques de privatisation préconisées
unilatéralement par les bailleurs de fonds sont présentées comme l'unique option pour
remédier au déficit budgétaire de l'État haïtien. Or, le dernier rapport de la Banque Mondiale
atteste que la dette extérieure d'Haïti s'élève à 1,2 milliard de dollars américains, soit 28% de
son PIB. Ce qui n'est pas excessif, sachant que pour la République dominicaine et la
Jamaïque, la propol1ion de la dette publique extérieure par rappol1 au PIB est respectivement
de 54% et 64%22. Comme le souligne Charles Cadet: « Disons le franchement pour éviter
toute confusion à ce sujet, il n'y a pas de crise d'endettement en Haïti. Cette mise en garde est
nécessaire parce qu'il existe une tentation très for1e (... ) à forcer ['économie haïtienne à
rentrer dans le schéma latino-américain »21.
Pour ce qu i est de la situation déficitaire des finances et de la mauvaise gestion des
21 PASSET, René. Op.cit, p-114. 22 FMI. L 'endellement extérieur total des pays en voie de développement. Dans: www.imf.org 23 CADET, Charles L. Crise, paupérisation et marginalisation dans l'Haili contemporaine, Édition
UNICEF, 1996, p-55.
8
entreprises d'État, plusieurs auteurs, tels que F. Doura, P-Y. Crémieux, K. Delince et
C. Cadet sont unanimes pour dire que les sept entreprises d'État visées par les privatisations
peuvent représenter une source importante de revenus pour l'État haïtien24 pourvu que la
corruption soit enrayée, que la direction de ses entreprises reste apolitique et que le
mécanisme de gestion s'inspire de celui des entreprises privées (Doura, Cremieux, Delince et
Cadet). Les études qui corroborent cette position sont nombreuses.
D'après un rapport de la BM (Rapport de la SFI, mars 1995) portant sur la Teleco, le
bon fonctionnement de l'organisation nécessite l'investissement de 200 millions de dollars
américains sur une période de quatre ans. Ce qui pour Pierre-Yves Crémieux n'est pas
impossible: « dans le contexte de profits déjà de l'ordre de 65 millions de dollars par an
[écrit-il] il est clair que, compte tenu de la dimension des profits réalisés, l'entreprise est en
mesure d'autofinancer aisément une partie substantielle de ces investissements »25. De plus,
la Plate-forme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement alternatif(PAPDA) atteste que
« le potentiel de croissance de l'entreprise est énorme avec moins de 30% de la demande
solvable satisfaite actuellement. ( ... ) il existe plus de 130 000 foyers qui sont sur une 1iste
d'attente. Si la TELECO parvient à satisfaire cette demande, elle dégagera, même si les tarifs
payés par les abonnés sont réduits de moitié, des revenus de l'ordre de 221 millions $US
l'an»26.
On pourrait multiplier les exemples à partir de la prise en compte d'autres rapports et
études poriant sur chacune des sept entreprises publiques haïtiennes soumises au processus de
privatisation. Retenons que pour un certain nombre d'auteurs qu'il s'agisse de la Teleco, de
l'EDH, de la CAMEP, de la BNC, de la BPH, des Autorités Portuaires ou Aéroportuaires
Nationales, il serait plus avantageux pour l'État haïtien de garder ces entreprises au lieu de les
léguer au secteur privé. Car, contrairement à l'État, le secteur privé « n'a pas une logique du
bien collectif, mais une logique de suraccumulation du capital au profit de son État d'origine
24 DOURA, Fred. Économie d'Haïti: dépendance, crise et développement, dans Volume /-2-3, Montréal: Éditions DAM, 2003.
25CRÉMIEUX Pierre-Yves. Op.ciL, P-16. 26 Consei 1de Modernisation des Entreprises Publiques (CM EP). Possibilités économiques et
privatisation, Editions La Ruche, Port-au-Prince Haïti 1996, p-36.
9
27 » .
Pour les dirigeants haïtiens, l'enjeu des privatisations est de taille. Car « les
privatisations sont reliées directement à l'obtention de nouveaux prêts de la part des
institutions multilatérales »28. Les pays réfractaires sont placés sur une liste noire. Le crédit à
court terme est bloqué, provoquant du même coup le gel du commerce international. Scénario
dont l'État haïtien en a fait la désolante expérience. De ce fait, de 1997 à 2004,« n'ayant pas
respecté ses engagements pris avec les bailleurs de fonds, ces derniers ont gelé l'aide
économique et ont retiré leurs appuis au gouvernement haïtien »29. Partisan de la mise en
appl ication du processus de privatisation au début de son mandat, le Président Préval change
son fusil d'épaule sous les pressions constantes des membres de son propre parti.
Dans le cadre de ce mémoire, nous pensons que le processus de privatisation des
entreprises d' ÉtaeO en Haïti poursuit la même logique qui a mené à leur création: L'État doit
s'ajuster au diktat des organisations bilatérales et multilatérales afin d'obtenir les fonds
nécessaires à sa survie.
Élément clé des politiques d'ajustement structurel, la privatisation des entreprises
27 OOU RA, Fred. Op. cit, p- 125. 28 CHOSSUOOVSKY, Michel. La mondialisation de la pauvreté: la conséquence des réformes du FMI et de la Banque Mondiale, Montréal: Écosociété, 1998, p-54. 29 Banque Mondiale. « Country assistance strategy of the World Bank group for the Republ ic of Haiti »,
World Bank, August 13, 1996, p-19. 30 Selon Keynes l'État ( ... ) doit devenir le centre d'impulsion et de régulation des activités économiques globales. Ainsi, par le biais d'entreprises publiques, l'État entend assurer à la fois le dynamisme économique de la croissance à long terme et la stabilité de J'économie à court terme. Toujours selon l'auteur les entreprises publiques constituent un levier efficace de la conduite de la politique macroéconomique des gouvernements; elles jouent les rôles palliatifs des carences du secteur privé dans certains domaines de l'activité économique.
O'après l'analyse marxiste il convient de dévaloriser le capital, et l'une des formes de dévalorisation du capital est l'intervention de l'État au moyen d'investissements publics, lesquels ne peuvent être réalisés que par le biais d'entreprises publiques.
Pour La théorie de Pareto, fondateur de l'École de Lausanne avec Walras, établit qu'il y a des branches de l'activité économique dans lesquelles, par la nature même des choses, la libre concurrence n'existe pas, ou, du moins, où elle n'est que très imparfaite. On peut les appeler des quasi-monopoles. Refuser l'intervention de l'État dans ces quasi-monopoles au nom de la règle abstraite du laisser-faire, du laissez-passer, c'est simplement se livrer à des spéculations métaphysiques.
10
d'État « s'inscrit dans un processus continu d'appropriation de l'espace mondial par des
capitaux avides d'en exploiter les disparités »31 . Ce processus favorise largement les grands
intérêts privés et contribue, du même coup, à la reproduction du système international.
L'organisation internationale concourt ainsi à la création de conditions favorables à
l'accumulation internationale du capital, au profit du centre et à la reproduction du système
international32 .
C'est dans cette optique que Bonnie Campbell affirme que le nouveau rôle attribué à
l'État est le fruit de la mond ial isation: « la désétatisation est imposée par la norme de
compétitivité internationale; la création de nouvelles fonctions étatiques par la compétition
internationale; l'internationalisation et la dispersion des lieux de décision. »31
Les privatisations cherchent-elles vraiment à assainir les finances publiques ou est-ce plutât
un processus qui vise à affaiblir le pouvoir d'intervention de l'État haïtien dans sa sphère
économique? Quelle est la capacité de résistance de l'État haïtien [ace aux Po/iticlues de
privatisation préconisées par les bailleurs de fonds internationaux? Le processus de
privatisation est-il inévitable? Ji qui profitera une privatisation inévitable?
Hypothèse: Nous croyons, et c'est là notre hypothèse que les privatisations des entreprises
d'État en Haïti reflètent la prépondérance des organisations économiques internationales dans
les affaires haïtiennes. Leur intervention en Haïti vise le resserrement de l'insertion de
j'économie haïtienne dans J'économie mondiale. Cette politique qui ne concerne pas
uniquement Haïti est indissociable des objectifs globaux qui font de ces organisations des
instruments d'appui à l'accumulation du capital.
Méthodologie
Le travail qui suit repose essentiellement sur une analyse documentaire. Le travail
sera divisé en trois parties. Le premier chapitre soulèvera la question du statut des entreprises
31 ADDA Jacques. La mondialisation de l'économie, Paris: La découverte, 2004 p-118. n ADDA Jacques. Op.cit, p.23 33 CAMPBELL, Bonnie.. Reconceptualisation de l'État au Sud, dans « Mondialisation des échanges et
fonctions de l'État». Bruxelles, Éd ition Mondia lisation et droit international, 1997, p-168.
Il
dans les pays du tiers-monde et en Haïti. Le deuxième chapitre discutera des changements de
l'ordre mondial et des conséquences entraînées en ce qui a trait à l'avenir des entreprises
publiques des PYD. Finalement, le troisième chapitre fera le point sur l'enjeu des
privatisations des entreprises publiques pour l'État haïtien et les dilemmes posés à la société
haïtienne.
Chapitre 1: L'entreprise d'État dans les pays du tiers-monde et en Haïti: contexte
historique et enjeux
L'interdépendance et la hiérarchisation de l'économie mondiale font en sorte que
l'économie haïtienne, pauvre et fortement dépendante est inévitablement assujettie aux
directives des organisations internationales. Quelques décennies plus tard, le développement
des entreprises d'État haïtiennes jusqu'à leur privatisation est lié directement au contexte
mondial. Les autorités du pays n'ont pu que suivre la tendance généralisée et adopter un
modèle de développement standardisé pour l'ensemble des PVD. Par conséquent, il est
indispensable de tenir compte de l'ensemble des pays de la périphérie afin d'éclairer le cas
particulier d'Haïti.
Ce chapitre propose d'abord d'exposer les mutations du système international depuis
la Seconde Guerre mondiale et leurs influences sur le développement des entreprises
publiques dans les PVD. Ensuite suivra une analyse des différentes théories qui se sont
penchées sur le rôle économique de l'État. Pour finir, nous dégagerons le lien direct entre le
mode de régulation étatique institué par les organisations internationales pour les PVD et
l'émergence des entreprises publiques haïtiennes.
1.1. L'entreprise d'État: un héritage des stratégies de développement des institutions de Brettons Wood
Si la privatisation des entreprises publiques est devenue aujourd'hui une condition pour tout
déblocage de fonds par les bailleurs de fonds internationaux, il est important de constater que cela n'a
pas toujours été le cas. De 1945 à 1980, « le développement des entreprises d'État faisait partie
intégrante des stratégies de développement des institutions de Brettons Woods». Aussi, pour
comprendre l'enjeu des privatisations, il est primordial de connaître le contexte dans lequel les
entreprises d'État ont émergé. Ce sera l'objectif du point suivant.
13
1.1.1 Les organisations internationales: un rôle central
Pour Pierre Rosanvallon, dans son livre La crise de l'Élal providence, le développement
des entreprises d'État dans les pays capitalistes développés, l'un des points centraux de l'État
providence, s'est déroulé sous les auspices de l'équation keynésienne. Cette dernière est fondée sur le
principe de la correspondance globale entre les impératifs de la croissance économique et les
exigences d'une plus grande équité sociale dans le cadre d'un État économiquement et socialement
actif. L'État doit stimuler ces deux fonctions, soit directement à travers les dépenses publiques et la
création d'entreprises publiques, soit indirectement par le biais de politiques fiscales et de crédit. À ce
sujet, il faut rappeler que Keynes développe sa théorie dans le contexte de la crise économique des
années 1930.
La crise plonge les pays dans un marasme économique et un chômage sans précédent. Afin
de remédier à la situation, Keynes élabore une théorie du retour au plein emploi. La création
d'entreprises publiques fait partie des solutions les plus importantes de Keynes. Leur contribution à la
résorption du chômage augmentait le nombre de travailleurs permettant ainsi de combler l'o~jectif
central d'une politique de plein emploi et d'augmenter l'indice du taux de consommation.
Pour Keynes, l'entreprise d'État est un instrument pour compenser la défaillance de
l'initiative privée. Mais, afin d'assurer leur développement, des institutions régulatrices doivent être
mises sur pied pour instaurer la « politique la plus avantageuse qui, par l'entremise d'institutions
bancaires internationales, puisse accorder des prêts à un taux d'intérêt par rapport à la courbe de
l'efficacité marginale du capital »34. L'État doit intervenir par le biais de la politique et de la
détermination du k'lUX d'intérêt pour régler le niveau adéquat de plein emploi et la propension à
consommer. Néanmoins, l'État doit également stimuler le taux d'investissement sur son territoire.
Keynes accorde un rôle important à la dépense publique, c'est-à-dire aux grands travaux dont le
financement peut être assuré soit par l'emprunt public, soit par le déficit budgétaire. Toutefois:
« (...) l'État ne doit pas intervenir sur le marché à travers les entreprises publiques et les investissements publics comme un secouriste lorsqu'il ya des problèmes; il doit plutôt devenir le centre d'impulsion et de régulation des activités économiques globales. Ainsi, par le biais d'entreprises
34 ROSANVALLON, Pierre. La crise de l'État providence, Paris: Éditions du Seuil, 1984, p-52.
14
publiques, J'État entend assurer à la fois le dynamisme économique de la croissance à long terme et la stabilité de l'économie à court terme »35.
L'entreprise publique est, dans cette perspective, un outil de politique économique. En outre,
l'État doit s'efforcer, d'une part, de contrôler l'inflation, d'assurer une politique de revenus et de
préserver l'équilibre de la balance des paiements par le canal des prix que pratiquent les entreprises
publiques et les salaires qu'elles versent aux employés. D'autre part, il doit s'efforcer de garantir la
croissance, d'assurer une politique de désenclavement, de stimuler le développement et de favoriser
la naissance d'activités connexes autour des grands pôles du secteur économique. Ainsi, les
entreprises publiques constituent un levier efficace de la conduite de la politique macroéconomique
des gouvernements; elles jouent les rôles de palliatifs des carences du secteur privé dans certains
domaines de l'activité économique.
Conçues comme un mécanisme anti-crise, les thèses de Keynes sont perçues comme une
bouée de sauvetage dans un système mondial en crise profonde. C'est l'ensemble de la structure du
système capitaliste mondial qui est menacée par le début de la guerre froide, la guerre de Corée,
l'affaiblissement économique des grandes puissances européennes, la constitution de systèmes
d'alliances géostratégiques dans un conte>,..ie de bipolarité et de course aux armements. Cette période
marque également le début d'une revendication des colonies pour la décolonisation. Ces derniers
développements, ajoutés à l'existence d'un bloc de pays socialistes, sont la manifestation des forces
antagonistes à l'ordre mondial capitaliste, forces qu'il fallait contenir afin d'éviter la déstabilisation du
système. D'où l'intérêt porté au développement des pays du Sud, tout en maintenant la hiérarchisation
du système mondial.
Jacques Adda, auteur, précise en effet que ce système est polarisé. D'un côté, il y a la triade,
soit les États-Unis, l'Europe et le Japon, considérée comme le centre et qui accapare la majeure partie
des matières premières, contrôle le système financier international, a sur son sol les grands
propriétaires des moyens de production et sont les principaux pourvoyeurs de fonds dans le monde.
Et de J'autre côté, il y a la périphérie subordonnée àce centre.
Schématiquement, nous pouvons représenter ce système international, de la manière
,5 ROSANV ALLON, Pierre. Op. cil., p. 52.
15
suivante: « l'État providence ou la sociale-démocratie dans les pays du Nord, et les projets et
programmes de développement dans le Sud »36. Dans les deux cas, la croissance économique
dépendait de l'action d'un État interventionniste investi d'une fonction de redistribution et de
planification. La reproduction du système mondial dépendait de la capacité d'un tel mécanisme de
régulation à assurer cette reproduction. Dans ce mode de régulation étatique, le rôle attribué aux États
du tiers-monde est axé autour de trois orientations:
« L'intervention indirecte: qui se traduit par la mise en œuvre des instruments traditionnels de politiques économiques dans le but d'organiser, de déréglementer et d'inciter l'activité économique.
L'intervention directe: c'est le contrôle direct des forces productives par l'État de manière à exercer pleinement les fonctions incombant à tout propriétaire de moyens de production. Ce mode d'action étatique est légitimé très souvent par le faible dynamisme que peut montrer le secteur privé et son désintérêt pour des secteurs économiques considérés comme stratégiques pour le développement économique national.
La planification économique: c'est la forme d'intervention la plus achevée ayant le développement pour objectif global. Elle englobe les deux premières formes, mais la plupart du temps elle ne va pas au-delà d'un type de planification dite indicative. »37
C'est cette contrainte qui promeut aux premières lignes les organisations internationales.
Leur rôle prend alors toute son importance. La Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire
international (FMI), sont les plus directement concernés. Ces organisations, en plus de canaliser vers
les PVD des ressources en provenance des pays développés, doivent concourir à créer des conditions
favorables à l'accumulation internationale du capital et à assurer du même coup la reproduction du
système international. Notons également le fait que les PVD bénéficient de leurs aides techniques et
de leurs conseils pour l'élaboration de politiques de développement.
L'assistance de la BM et du FMI s'est surtout concentrée sur le financement de prqjets
d'aménagement et de réformes stt1Jcturelles à long terme, et ce, selon les termes de leurs statuts qui les
invitent à créer des conditions favorables à l'accumulation internationale du capital et à ériger un «
État périphérique fort », vu le rôle central de cet État dans la régulation de la sphère
économique. Il est le centre d'impulsion du développement économique.
16 RIST, Gilbert. Le développement: Histoire d'une croyance occidentale, Paris: Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1996, p-354. 17 CADET, Charles L. Op.cit, p-45.
16
Les actions des organisations multilatérales consistent à financer des projets
d'investissements productifs dont la rentabilité, privée ou sociale, semble assurée à long
terme, ou encore à concourir à la restructuration et à la modernisation de secteurs entiers
d'activités tels que l'agriculture, l'énergie ou les communications. Les institutions qui la
gèrent (Nations Unies, Banque mondiale, Fonds européen de développement, etc.) n'ont en
principe d'autre objectif que le développement des pays récepteurs de l'aide. Pourtant, le
renforcement de l'emprise du système capitaliste dans les PVD, par ces instances
internationales, est au cœur de leurs interventions. Elles visent « essentiellement deux
résultats: favoriser l'accumulation du capital au profit du centre et assurer le maintien ou la
reproduction d'un tel système dans les relations internationales. L'organisation devra donc
concourir à créer ces conditions »38.
Comme le souligne Denis Lecallo, « l'entreprise parapublique constitue une structure
privilégiée d'accueil pour les prêts des organismes financiers internationaux (... ) dans les
pays en voie de développement »J9. Notons, toutefois que généralement la conception, la
construction et l'entretien des infrastructures étaient confiés à des entreprises des pays
donateurs. Ce qui ne permettait pas aux États bénéficiaires d'utiliser d'autres stratégies que
celles prescrites et instituées par les institutions internationales. L'État haïtien, comme on le
sait, a dû se plier aux exigences des donateurs.
1.1.2. La Banque Mondiale et l'essor des entreprises publiques dans le tiers-monde
Jusqu'à la fin des années 70, les banques privées et la BM, poursuivaient le même objectif
stratégique: favoriser le développement des pays du tiers-monde alliés aux puissances occidentales
afin qu'il constitue un rempart contre le communisme.
38 HOLLY, Daniel. Les Nations Unies et la mondialisation, Paris: L'Harmattan, 2003, p-21. 39LECALLO, Denis. Le rôle et le fonctionnement des entreprises parapubliques dans les pays en voie
de développement: Algérie, Côte d'Ivoire, Sénégal. Thèse de doctorat, Université de Paris, P-18.
17
Tableau 1
Prêts accordés par la BM aux pays de l'Amérique latine et des Cara',bes en miUions de dollars
américains
1965- 197069 74 1975 1977 1978 1979 1980 1981
Alimentation en eau 8,1 62,1 42 61,5 149,5 169,8 316 346,5 ÉnerQie (électricité) 180,6 213,8 47,5 351 398 346 708 698 Industrie 4,4 67,4 145 241 85 185.5 87.5 255 Télécommunication 12,8 28,2 41 53 22 Budget pour les entreprises publiques 205,9 371,5 275,5 653,5 685,5 515,8 1046 1299,5 Représentation en % du budget accordé aux entreprises publiques sur le budget total de la BM 59% 46,60% 22,26% 41,62% 37% 22% 42% 41% Budget total 351 796,6 1215 1570,1 1855,9 2336,6 2445,7 3153,2
(source: Banque mondiale, Rapports annuels 1965-1982)
Sous la présidence de M. Robert McNamara (1968-1981), la BM prête des sommes
importantes aux pays du Sud, sommes qui servent en grande partie à financer « des enb'eprises
industrielles et commerciales, des fermes d'État, des entreprises portuaires et aéroportuaires, des
banques, des compagnies d'assurance, des entreprises de télécommunication, dans le secteur de
l'énergie, de transports ferroviaires et fluviaux »40, Les données du tableau 1sont explicites. De 1965
à 1981, les financements des entreprises publiques dans les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes
représentaient une part importante du budget total de la BM, mis à part les années 1975 et 1979. Au
cours de cette période, le budget alloué aux entreprises publiques n'a jamais été en dessous de 41 %,
ce qui démontre l'importance qu'avait les entreprises publiques aux yeux de la banque. Les
institutions bilatérales et multilatérales mèneront à cette fin une politique active de prêts à faible taux
d'intérêt, généralement autour de 1 à 2%. Donc d'un côté, s'endetter pour les pays du Sud était
devenu peu risqué, d'autant plus que leurs revenus d'exportation croissaient, ce qui leur permettait de
rembourser sans trop de difficultés les intérêts et le capital. D'un autre côté, pour les acteurs
économiques des pays du Nord, cet endettement représente un nouveau marché pour leur
40 DOU RA, Fred. Économie d'Haïti: dépendance. crise et développement, dans Volume 1, Montréal: Éditions DAM, 2003, p-71.
18
production. Les données indiquant clairement cette orientation des prêts de la BM ne manquent pas.
On relève ainsi dans les Rapports annuels de la Banque les informations (résumées) suivantes:
-Le gouvernement colombien a bénéficié de 480 millions de dollars américains par la BM pour la
construction de deux barrages hydro-électriques (l'une pour la capitale Bogota et l'autre à la ville de
Medellîn) et l'électrification de certaines régions rurales.
- Au Brésil, la BM a financé 98 millions de dollars américains pour une fonderie d'aluminium et un
autre 320 millions américains a été accordé pour son industrie national de sidérurgie, la Companhia
Siderurgica National, (<to help finance equipment purchases thought international competitive biding
the Inter-American Oevelopment Bank (lOB) and the World Bank are providing $ 320 millions US$,
40 % by IDB and 60 % by the World Bank»41.
- le Pakistan a bénéficié de 55 millions de dollars américains pour la construction d'une usine d'urée,
nécessaire pour la fabrication d'engrais azoté, dans la province du Pendjab. L'Inde a également reçu
du financement pour une usine d'engrais de 250 millions US$.
- 40 millions US$ ont été accordés à la Roumanie pOlir la construction d'une usine de fabrication de
tuyaux.
- Au Bangladesh, le gouvernement a bénéficié de 75 millions US$ de l'IDA pour l'achat de
composants industriels, de produits chimiques et de pièces de rechange pour ces usines d'État.
- 85 mi Il ions US$ à la Turquie pour une usine céréalière.
- 360 millions US$ ont été accordés à la chine par la BIRO, pour l'entreprise de transport ferroviaire
afin d'agrandir ces capacités de transport.
- La Thaïlande a reçu 90 millions de dollars américains de financement de la BM pour son entreprise
publique de téléphonie, pour la construction de 140000 lignes supplémentaires.
- En 1973, un montant de 82 millions US$ a été débloqué pour l'entreprise publique de téléphonie
d'Iran, pour l'extension de ces lignes dans 66 provinces.
Ces prêts ne sont pas sans retombées positives pour l'économie des pays développés. En
effet:, l'aide ainsi appottée entre autres, « est constituée souvent d'une part considérable de
coopération technique servant à payer des salaires exorbitants, allant de plus de 25 à 50% de l'aide, à
41 World Bank. Annuel report, The World Bank, Washington, D.C, 1960-82.
19
des techniciens des pays donateur »42. On relève également que sous la rubrique Hors projets, la BM
accordait du financement aux états pour l'importation d'équipements industriels et de pièces de
rechange, essentiellement en provenance de l'occident. Les exemples de telles situations abondent.
Ainsi, en 1977, le Bangladesh a eu un prêt de la BM de 75 millions de dollars américains, pour
l'achat de composantes industrielles, de matières premières et de pièces détachées, ceci afin
d'augmenter la production industrielle de jute et de coton. Cette même année, l'Égypte a bénéficié de
70 millions de dollars américains pour l'achat et l'importation de pièces de rechange et d'équipement
afin de combler les besoins courants des secteurs industriels publics en matière première. Les
exemples de situations semblables qui concernent un grand nombre de pays abondent. 1\ suffit de
consulter les Rapports annuels d~ la BM pour s'en convaincre.4~
Cependant, il ne faut pas se leurrer, les développements industriels à la périphérie du système
mondial sont dus également à l'initiative des dirigeants de ces pays. En effet, à cette époque, les États
périphériques ont en pratique une véritable politique industrielle. Celle-ci a pris la forme de la
propriété publique pour de nombreuses firmes dans des secteurs aussi variés que les chemins de fer,
l'électricité, les banques, les mines, les assurances, le transpolt aérien, les télécommunications, etc. De
plus, l'État s'est acquis des palticipations dans de nombreuses sociétés privées. Tout cela
correspondait à la volonté de construire une industrie nationale indépendante. C'est dans cette foulée
que de nombreux PED ont adopté comme modèle de développement « l'industrialisation par
substitution d'importations. Il s'agissait de profiter du marché créé par les importations de produits
industriels pour développer, avec l'aide de l'État, une production intérieure se substituant aux
importations44 ». L'idée à la base de cette stratégie est de développer les industries orientées vers le
marché intérieur pour remplacer progressivement les importations par des productions nationales, et
ce, afin de réduire la dépendance vis-à-vis du centre qui lui fournit les biens manufacturés et qui sont
les principaux acheteurs de ses produits primaires.
Des perspectives économiques intéressantes portent à ce moment-là cette volonté
d'industrialisation. À l'aube des années 1960, les perspectives économiques sont relativement
favorables, pour la plupart des pays du tiers-monde, palticulièrement de 1965 à 1980, la croissance
42 DOU RA, Fred. Op. cit, p-183. 43 Banque Mondiale, Rapport annuel 1965-1981, The World Bank, Washington D.C.,1965-1981. 44 CROZET, Yves. L'économie mondiale: de 1945 à /10S jours, Paris: Hachette, 1993, p- 65.
20
annuelle moyenne en volume du PŒ s'est élevée à 6% en Amérique latine, 7,3% en Asie de l'Est:,
6,7% au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et même 4,2% en Afrique subsaharienne. La maîtrise
de certains mécanismes économiques pousse à un certain optimisme. La notion de «décollage
économique, popularisée par W. Rostow, est transposée des pays industrialisés aux jeunes nations,
qui envisagent, pour la plupart, la constitution de pôles de croissance industrielle publ ique45 ».
Toujours est-il que cette politique de soutien à la constitution d'un système
d'entreprise publique des organisations économiques internationales concordait à l'époque
avec la logique du capital. Comme l'explique Gérard Selys dans Privé de puNie,
«les propriétaires des moyens de production répugnent à investir leurs profits dans des secteurs dont la rentabilité est lente, aléatoire et médiocre, et ils confient à l'État le soin de financer, d'entretenir et de faire fonctionner les grandes infrastructures dont ils sont les premiers bénéficiaires: principalement les réseaux de télécommunication, d'électricité, de distribution d'eau, toutes des artères essentielles de l'industrie et du commerce»46.
Pour le secteur privé, l'équation est simple: le développement des entreprises
publiques nécessite des investissements financiers colossaux qui ne rapportent en fin de
compte que de maigres bénéfices. Les coûts reliés à la construction d'infrastruchlres pour le
secteur public ne rentrent pas dans la logique du capital privé, car « contrairement à ce qu'ils
affirment, les propriétaires privés des moyens de production craignent prendre des risques. Surtout
lorsqu'il s'agit de mettTe en œuvre de nouvelles technologies requérant d'importants investissements
de lancement47 . »
Bernard Contamina abonde dans le même sens. Selon ce dernier, les investisseurs privés
étrangers à cette époque priorisaient l'État comme partenaire direct du capital. Cette alliance est
« la résultante d'une interaction permanente de stratégies croisées entre acteurs de la sphère économique et dirigeants du champ politico-étatique. Les agents économiques privés, qu'ils soient nationaux ou étrangers, ont contribué à l'extension de la sphère publique; ils ont appelé l'État et surent tirer profit de sa présence. Leur souci de limiter leurs risques financiers a entraîné un engagement massif de la puissance publique sous des formes très variées: accès facilité au foncier, réalisation d'équipement d'accueil, octroi de fournitures,
45 PASSET, René. L'illusion néo-libérale, Paris: Flammarion, 200 l, p-82. 46 SELYS, Gérard. Privé du public: à qui profitent les privatisations 7, Bruxelles: EPO, 1995, p-14. 47 Ibid., p-15.
21
réglementations fiscales et douanières spéciales, formation de la main-d'œuvre, construction de logements, etc.»48.
Finalement, la création d'entreprises d'État dans les PVD, s'inscrit dans le cadre d'une
stratégie globale. L'existence d'un secteur d'entreprises publiques traduit la volonté des PVD d'attirer
les capitaux étrangers et de créer des emplois. Par ailleurs, elles permettaient aussi, d'une part, de
maintenir les dirigeants aux pouvoirs par l'entremise du système de clientélisme et, d'autre part, de
leur permettre de bénéficier des profits engendrés par les entreprises. Comme nous l'avons constaté,
les organisations internationales perçoivent de leur côté, l'entreprise publique comme un outil idéal
d'accueil pour les prêts et une ressource profitable pour les économies des pays occidentaux puisque
ces derniers sont en charge de la construction et de l'entretien des entreprises publiques.
Cette pratique développementaliste a des fondements théoriques. Elle s'appuie, en effet, sur
les apports de toute une série d'économistes intéressés à définir le rôle, incontournable pour certains,
de l'État dans l'économie.
1.2. L'entreprise publique dans la théorie économique
L'apport des différentes théories sur le rôle de l'État dans l'économie est fondamental dans
le cadre de notre analyse. Celles-ci sont la matrice des différents modes de régulation étatique
institués par les protagonistes du système international. En ce qui a trait aux entreprises d'État, fer de
lance de l'interventionnisme étatique, deux approches se distinguent. La première affirme que « l'État
intervient dans le jeu économique afin de réguler les ratés et les imperfections de la main invisible du
marché »49. La seconde approche - le libéralisme- perçoit l'interventionnisme d'État comme nuisible
et inutile dans une économie nationale5o . Les pages suivantes présenteront succinctement ces deux
approches. L'une de ces dernières, suite à une série de revirements dans le contexte mondial,
triomphera après les années 80.
48 CONTAMIN, Bernard. La bataille des entreprises publiques en Côte-d'Ivoire, édition Karthala, Paris, page 82.
49 YAYA, Sanni. Op. ci!., page 41. 50 ROSANVALLON, Pierre. Op.cit, p.63 .
22
1.2.1. L'entreprise d'État selon différents auteurs
La première approche est constituée d'un ensemble de thèses représentées par WilfTied
Frederico Samaso Marquis de Pareto, Léon Marie Esprit Walras, Karl Marx et Keynes, qui jugent
nécessaire l'intervention de l'État dans le champ économique. Le rôle de l'État à travers les
entreprises publiques est primordial dans la consolidation et le bon fonctionnement des institutions
politicoéconomiques et dans la régulation de l'économie en corTigeant les ratés et les imperfections
du secteur privé. Ainsi, pour ces auteurs, l'État a une existence sociale autonome au-dessus de celle
des individus. En tant que représentant de la volonté générale, il détient un pouvoir de contrainte sur
les citoyens. Les individus conçoivent la vie sociale comme une harmonie dont l'État est la synthèse
et le garant, parce qu'il assure la compatibilité des plans publics et privés. L'État détermine, compte
tenu de ses fonctions tutélaires, les services publics qui permettent d'assurer à la fois la satisfaction
des intérêts particuliers et la maximisation de J'intérêt collectif. Les services publics sont attribués
gratuitement ou contre paiement d'un tarif subventionné, et leur financement est assuré par les
contribuables par l'entremise de la budgétisation, indépendamment de l'utilisation effective qu'ils
peuvent faire des services publics.
Pour Pareto, fondateur de l'École de Lausanne avec Walras, il existe des branches
de l'activité économique dans lesquelles, par la nature même des choses, la libre concurrence n'existe
pas, ou du moins, elle n'est que très imparfaite. On peut les appeler des quasi-monopoles. Refuser
l'intervention de l'État dans ces quasi-monopoles au nom de la règle abstraite du laissez-faire, du
laissez-passer, c'est simplement se livrer à des spéculations métaphysiques. Refuser cette intervention
en invoquant le maximum d'offi·es limitées produites par la libre concurrence, c'est oublier les
conditions essentielles qui sont requises pour que la libre concurrence existe.
Pour Pareto, l'intervention de l'État se fait à travers les entreprises publiques et non par la
réglementation pour pallier aux insuffisances du marché. Néanmoins, il tente de délimiter les
branches d'activités de l'interventionnisme étatique. Généralement, pour l'auteur, ce n'est pas par
l'action directe d'une entreprise publique que l'État peut intervenir pour atténuer les inconvénients
que présentent les monopoles et les quasi-monopoles. Ce n'est que par une action indirecte, en
s'efforçant de mettre les monopoleurs dans la condition où ils se trouveraient sous un régime de libre
concurrence.
23
En ce qui concerne J'approche marxiste, pour gommer la contradiction entre le phénomène
de suraccumulation et celui de dévalorisation, l'État doit par la création d'entreprises publiques et
d'investissements publics intervenir dans le jeu économique. D'après l'analyse marxiste, « il convient
de dévaloriser le capital, et l'une des formes de dévalorisation du capital est l'intervention de l'État au
moyen d'investissements publics, lesquels ne peuvent être réalisés que par le biais d'entreprises 51 pu bl 'lques» .
De son côté, avec pour toile de fond la crise des années 1930, l'un des objectifs de la théorie
keynésienne est d'affinner, contre le modèle du marché autorégulateur, l'existence et la nécessité
d'une politique économique. Si l'enjeu de la croissance passe par la relance de la demande effective,
le rôle de toute politique économique est d'en stimuler les composantes: la consommation et
l'investissement.
La théorie de la régulation s'est également intéressée au statut el au rôle de l'entreprise
publique. Elle est une approche considérée comme un keynésianisme repensé. Pour les
régulationnistes, l'entreprise publique est avant tout un instrument dont l'État dispose pour pallier aux
défaillances du marché. Celle-ci est créée en vue de faire face à une situation d'insuffisance du
marché: inadéquation géographique de l'offre par rapport à la demande, tarification au-dessus du
coût marginal, etc. L'État doit se charger non seulement de la conjoncture économique, mais aussi et
principalement d'une grande partie de l'ajustement de l'offre et de la demande. En fait, la régulation
de l'économie par recours aux entreprises publiques s'impose parce qu'elle permet non seulement de
mobiliser les ressources locales pour le plus grand nombre, d'assurer des services de proximité à
moindre coût (à travers des fonnes d'organisations non capitalistes) qui répondent à ce besoin, de
valoriser le savoir-faire des personnes et du travail, mais encore parce qu'elle apporte un plus à la
collectivité, même si cette plus-value ne se traduit pas toujours en tennes financiers.
Pour ce qui est de la théorie libérale, elle est fondée sur la dénonciation d'un rôle trop
actif de l'État et sur la valorisation des vertus régulatrices du marché. Selon M. Rosanvallon,
les tenants du libéralisme ne nient pas la défaillance du marché. Ils soutiennent, cependant
que celui-ci constitue le meilleur ou le moins pire des modes de régulation. Ainsi, le marché
51 YA VA, Sanni. Op.ciL., p. 48.
24
fonctionne comme principe d'autorégulation de la sphère économique étant donné « qu'il
existe un tel ordre naturel que l'intervention de l'État est inutile et nuisible »52. Selon le point
de vue de William Simon, l'État doit donc se cantonner à maintenir cet ordre et à conserver
les libertés sur lesquelles il se fonde.
Pour ce dernier, un mInlmUm d'intervention de l'État est évidemment nécessaire
pour protéger une société, particulièrement de toutes les formes d'agressions physiques et de
fraudes dans le domaine économique et, habituellement, pour protéger la liberté et les droits
constitutionnels du citoyen. Toutefois, le plus important pour les tenants du libéralisme est
que la supériorité des forces du marché sur tout autre mode de régulation est indiscutable,
seul le marché permet de concrétiser les intérêts individuels et collectifs d'un peuple. L'idée
de la primauté du marché dans l'économie a surtout été défendue par Hayek qui voit « le
capitalisme comme un ordre spontané qui se régule tout seul par l'intermédiaire du système
de prix ( ... ) les prix et notamment les salaires doivent être totalement flexibles »51. Selon lui,
l'interventionnisme étatique brise les bases de productivité et étouffe l'initiative: « L'ennemi
ontologique est l'État, c'est-à-dire le détournement par la contrainte de la liberté pour
imposer à une société des objectifs qui ne sont pas ceux des individus »54.
Les théoriciens de l'École libérale critiquent l'implication directe de l'État dans certains
secteurs de J'économie à travers les entreprises publiques. Dans l'économie, l'État aurait d'abord,
occupé une place qui revient légitimement aux secteurs privés. De plus, fort de sa position et de sa
capacité à l'occasion de contoumer les règles normales de l'économie, il fait une concurrence
déloyale aux entreprises privées, en plus d'engager des fonds publics dans les opérations souvent
rUIneuses.
La position néo-libérale est claire: « l'entreprise privée peut faire mieux et l'État doit se
retirer de ce type d'initiative »55. Car l'État est, plus précisément les entreprises publiques, une grosse
machine bureaucratique au fonctionnement lourd et lent. Les organisations publiques ont une
52 ROSANV ALLON, Pierre. Op. cil. , p. 63. 51 tbfd., p.61. 54tbfd., p.61. 55 YAYA, Sanni. Op.cit., p.63.
25
structure trop rigide avec des règles de fonctionnement insoutenables pour les cadres.
Conséquemment, ils sont souvent obligés d'adopter des attitudes contre-productives et à transformer
leur organisation en une espèce de forteresse où chacun entend être maître chez soi et à défendre ses
positions contre les ennemis externes et les rivaux internes. De plus, les programmes et politiques mis
en œuvre par l'État et appliqués à travers les entreprises publiques sont généralement perçus comme
inefficaces et générateurs d'effets pervers. Bref, l'État pour l'école néo-libérale est trop coûteux, trop
contraignant, peu performant et en partie responsable du déclin économique.
Donc, en résumé, les dissensions entre les deux écoles sont profondes. La première perçoit
l'intervention de l'État dans la sphère économique comme étant primordiale afin d'assurer à un
maximum de personnes des services publics, tels que l'électricité, l'eau et la téléphonie, et ce, à un
coût minimum. De plus, l'entreprise publique permet de dynamiser le marché du travail et garantit
une certaine indépendance par l'État dans des secteurs clés comme l'énergie, l'agro-alimentaire, les
cimenteries, etc.
La deuxième école, de son côté, croit que le secteur privé est mieux placé pour gérer une
entreprise, car contrairement aux monopoles d'État, la compétitivité l'oblige d'user de stratégies
astucieuses afin de maximiser les profits d'une entreprise, dont une partie ira gonfler les caisses de
l'État grâce aux impositions fiscales. D'une part, la corruption et le népotisme qui caractérisent les
entreprises publiques empêchent une gestion efficace. Contrairement aux structures rigides de l'État
causées par la lourdeur bureaucratique, les marges de manœuvre du secteur privé sont plus flexibles
en ce qui a trait aux salaires et prix, ce qu i le rend davantage producti f.
Au rréalable, le premier courant théorique triomphe dans les stratégies des organisations
internationales. Les années 80 signalent [a fin de leur hégémonie.
1.3. L'essor des entreprises d'État en Haïti
C'est dans le contexte des années 70 que les entreprises publiques haïtiennes prennent leur essor.
Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, il serait important de brosser un tableau de la situation
26
économique et politique haïtienne.
1.3.1. Contexte général de l'économie haïtienne
La stratégie de développement des entreprises d'État haïtiennes est mise en place au fort de
la domination de l'approche développementaliste dans les instances internationales. Cette stratégie
concrétisée après l'entrée en fonction de Jean-Claude Duvalier est indissociable du mouvement de
reproduction de l'État haïtien. Élaborée en très grande partie avec la participation active des
organisations bilatérales et multilatérales, elle cherche, entre autres choses, à promouvoir la confiance
des intérêts privés, notamment ceux d'origines étrangères. Cette orientation tradu it le désir de
légitimation du régime duvaliériste auprès de la communauté internationale et SUltOut des États-Unis;
car les rapports de l'État haïtien avec ces derniers s'étaient longuement envenimés durant la
présidence de François Duvalier.
Partiellement appuyé par la communauté internationale au début de son mandat de
1957 à 1961, François Duvalier perd tout appui financier dès qu'il tente de contrôler l'aide
étrangère au développement. II désirait d'abord canaliser les montants accordés vers des
projets jugés plus bénéfiques pour Haïti que ceux prescrits par les bailleurs de fonds. Ces
politiques allaient à l'encontre de la stratégie globale de développement des États-Unis pour
les pays du tiers-monde.
En effet, l'amendement Dirken, voté en 1961 par le Congrès américain, stipulait que
« l'aide américaine sera retirée à tout pays qui ne remplirait pas ses obligations à l'égard des
firmes américaines ou des intérêts américains» 56. Toutefois, il est impol1ant de citer que « ce
que les États-Unis veulent C... ) le droit de superviser l'affectation aux différentes tâches des
projets »57. Cette position américaine est reprise par les instances internationales, ce qui ne
fait pas l'affaire du gouvernement haïtien. De plus, il n'est pas surprenant qu'« Haïti a
regimbé lorsqu'on lui a présenté des projets spécifiques et un plan à long terme »58. C'est
56 DIEDRrCH, Bernard; BURT, AI. Papa Doc et les Tontons macoute: La vérité sur Haïti. Paris: Albin Michel, 1971, p.148.
57 Ibid., p.148. 5R Ibid., p.18!.
27
dans ce contexte que de 1962 à 1971, l'aide tant multilatérale que bilatérale est suspendue
dans sa quasi-totalité. Les seuls programmes d'aide qui subsistent concernent la lutte contre
la malaria et la distribution de vivres aux plus démunis 59. Tel que le démontre le tableau 2,
les organisations multilatérales n'ont versé aucun montant au gouvernement haïtien pour la
période de 1962 à 1973. Ce n'est qu'à partir de 1974 que les transferts ont repris, et ce, de
manière constante et nettement progressive.
Tableau 2
Transfert net des organisations multilatérales en millions de dollars américains 19621969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982
0 0 0 0 0 10,1 11.3 21.5 45,2 44,7 35 40 32.6 43.9 (source: International Moneta!)' Fund, International flnancial statistics 1962-1983)
La légitimation du pouvoir de Jean-Claude Duvalier est indissociable d'une politique
d'ouverture aux intérêts étrangers sur fond de libéralisme économique. Il s'agissait non seulement
d'assurer une bonne entente entre le capital privé et l'État, mais aussi d'établir une étroite
collaboration entre les pmties. Dans cette perspective, de nombreux avantages sont accordés
aux
« entreprises transnationales tels que : le rapatriement incontrôlé des
profits, la franchise douanière pour les matières premières et les
machines importées, l'exemption fiscale sur les bénéfices pendant cinq
ans à Port-au-Prince, pendant huit ans si les entreprises sont localisées
dans Je parc industriel de la capitale, et pendant quinze ans pour celles
qui s'établissent en province»6o.
De plus, ces entreprises sont exonérées des droits d'exportation sur les produits finis
et semi-finis, sur la taxe consulaire et la taxe sur le chiffre d'affaires, etc. Ceci n'est pas sans
59 Ces évènements illustrent bien les propos d'Holly, puisque d'après ce dernier, « l'État récipiendaire de l'aide doit non seulement promettre d'obtempérer et de modifier sa politique économique selon les recommandations qui lui sont faites ( ... ) tout refus et toute déviation sont automatiquement sanctionnés et cet État devient l'objet du boycottage de plus en plus intolérable des agences dispensatrices de l'aide internationale. Cette capacité de décider de sanctions et surtout de les appliquer en font les pièces maîtresses du système ( ... ), en ce qui a trait à sa contribution à J'accumulation internationale. HOLLY, Daniel. Op. cil. pp. 26-27. 60 DOURA, Fred. Économie d'Haïti: dépendance, crise et développement, dans Volume /-2-3, Montréal: Éditions DAM, 2003.
28
conséquence sur l'économie haïtienne.
Certes, Haïti connaît à cette époque un certain décollage économique, car de 1974 à
1980, son PIB croit en moyenne de 5% par année. Ainsi, la valeur de ses exportations passe
de 232 millions de gourdes en 1972 à 1,9 milliard de gourdes en 1980. Le nombre
d'entreprises étrangères présent sur son sol est passé de 13 en 1970 à plus de 200 en 1980.
Cependant, cette croissance de l'économie a été loin d'être bénéfique pour les finances
publiques haïtiennes. Les privilèges fiscaux accordés aux multinationales privent le
gouvernement haïtien de recettes indispensables pour financer les investissements publics
qui permettraient de réaliser une croissance économique plus grande. Dans j'enclave de la
sous-traitance, après de nombreuses années de fonctionnement, les avantages sont très
faibles par rapport aux coûts de l'abandon des recettes fiscales par l'État haïtien aux firmes
transnationales.
En outre, un document de la USAID note que pour l'exercice fiscal 1971 à 1975, le
déficit budgétaire de J'État haïtien est passé de 47 millions à 191 millions de gourdes. La part
des revenus de l'État sur le PI B est passée de 12% à 9%. Parallèlement, le pourcentage de
contribution des revenus nets sur le budget de l'État est passé de 86% en 1971 à 74% en
197561 • Les revenus des taxes sur les biens importés sont passés de 41,7 millions à
35 millions de gourdes, tandis que pour la période fiscale de 1970-1971, les biens importés
ont bondi de 296 millions de gourdes à 681 millions de gourdes pour la période de 1974
1975. Ces résultats démontrent déjà clairement que les stratégies de développement instituées
ont réduit le poids économique de l'État haïtien.
D'autre part, la faiblesse de l'État haïtien oblige ce dernier à adopter des politiques
économiques qui ont eu des effets néfastes dans la quête d'un réel développement. Comme René
Dumont le souligne dans L'Afrique noir est mal partie, celui qui prête « peut poser des
conditions politiques; ses arrière-pensées ne coïncident pas forcément avec les nécessités du
61 USAI D. Develapmenl assistance pragram : FY 1979 USAI D-Haiti, Department of State, June 1977, p-14.
29
développement et les seuls intérêts du pays bénéficiaire »62. Depuis l'intervention militaire
américaine de 1915 en Haïti, l'ascension et le maintien d'un gouvernement au pouvoir
reposent, dans une très large mesure, sur le soutien de Washington, ce qui, pour l'auteur Kern
Delince, conduit l'État haïtien à adopter des orientations trop conformes aux besoins et aux
intérêts des États-Unis. Le choix de l'État haïtien de se doter d'entreprises publiques ne
relève pas d'une politique socialisante ou nationaliste, mais plutôt des directives des
organisations internationales largement dominées par les États-Unis61 . Depuis son
indépendance, les puissances dominantes ont placé l'État haïtien en position de subordination
en lui conférant les étapes de production les moins valorisantes, sans effet d'entraînement
interne et le menant à l'extraversion ainsi qu'à la désarticulation de son économie. Cela crée,
selon André Corten, « l'effet de la transnationalisation »64 de l'économie haïtienne.
Nous observons cette transnational isation sous différentes fOîmes. C'est notamment
le cas dans les implantations des zones franches dédiées aux industries d'assemblage où le
salaire quotidien était fixé en 1972 à 1 dollars américain par jour. Pour les femmes, il était à
0,72 $ américain par jour, dont 45 % des travai lieurs étaient des femmes. Incontestablement
un facteur d'attraction pour les entreprises étrangères, ces salaires étaient à peine suffisants
pour faire vivre un individu. Notons également que ces entreprises étaient toutes exemptes
des lois de l'impôt sur le revenu; donc sur chaque dollar investi, 0,85 $ de profit retournaient
dans le pays d'origine. Un autre exemple est le café, première culture d'exportation, où les
cultivateurs, selon A. Corten, effectuaient un travail gratuit ou plutôt s'endettaient dans la
culture de ce produit:
«pour une gourde de café expolié, le paysan reçoit 40 centimes, les intermédiaires prélèvent 30 centimes et l'État haïtien 30 centimes de taxes. Mais le paysan toujours endetté doit rembourser des intérêts usuraires aux intermédiaires, ce qui réduit considérablement leur part jusqu'à 20 centimes. Or le paysan est le seul à avoir produit le café par son propre travail dans le . d' 65Jar Ill» .
62 DUMONT, René. L'Afrique noire est mal partie, Paris, p-99. 63 DELINCE, Kern. Op.cit, p.J76. 64 CORTEN, André. L 'Étatjaible: Haiii et République Dominicaine, Montréal, CIDIHCA, 1989, p
178. 65/bid, p-4.1
30
La subsistance des paysans est assurée dans la production de vivres pour leur propre compte,
qu'il produise dans le petit lopin de terre qui leur est accordé.
1.3.2. L'entreprise d'État en Haïti
Suite au choix du gouvernement haïtien de renoncer aux contraintes fiscales sur les
investissements étrangers et d'abandonner toute tentative d'encadrer l'orientation des aides
économiques, de 1971 à 1982, l'État haïtien a bénéficié de 438 millions de dollars américains
de prêts bilatéraux (80% américains) et multilatéraux. L'échéance moyenne de ces prêts était
de 37 ans et le taux d'intérêt moyen de 1,4 %. Une partie significative de ces montants a servi
à la création et au développement des entreprises publiques de l'État haïtien. D'après les
données disponibles de la BM, dans Haïti Public expenditure review, de 1978 à 1985 les
entreprises publiques haïtiennes ont bénéficié environ d'apports de plus de 780 millions de
gourdes de la part des organ isations mu Iti latérales et bi latérales. Cependant, il est clair, à
partir des données du tableau 3, que ]'EDH et le Port d'Haïti ont été nettement favorisés par
rapport aux autres entreprises. Cette préférence marquée s'expl ique par l'arrivée à la fin des
années 70, d'industries d'assemblage pour la plupart d'origine américaine. L'électricité
produite à 47% par l'EDH est en effet absorbée par le secteur industriel.
Tableau 3 Financement extérieur (en millions de gourdes)
Port Ciment Teleco EDH CAMEP Minoterie d'Haïti d'Haïti USN/USND
1978 7,5 92 33 75 1979 0,1 85.5 1980 4,8 51 55 1981 13,8 26 13,8 47 1,3 - -
1982 -0,1 19,6 -2 -31,5 -1983 -0,4 106,7 -1,3 60,3 35,5 1984 31 -0,1 -26,2 -2,3 2,5 1985 22 -6,8 -2,4 -37,2 -2,4 -12,4 -6,8 (source: Banque Mondiale dans Haiti Public espenditure review)
Selon le modèle imposé par l'extérieur, toute une série d'entreprises publiques
financées en grande partie par les organisations internationales voit le jour à cette époque.
31
Cependant, il est important de spécifier, qu'aucune des entreprises d'État haïtiennes,
contrairement à certains PYD n'ont été créés dans le cadre de l'ISI. En effet,
« l'État haïtien n'a jamais vraiment planifié de politique d'industrialisation. Il n'a jamais défini d'objectifs ni pris de moyens pour rendre l'industrie haïtienne compétitive. Aucune politique industrielle n'a été vraiment mise en chantier par l'État haïtien. Les pouvoirs publics n'ont quasiment rien fait pour augmenter la capacité de production du pays de manière à répondre aux besolns. de son propre marc h'e»66 .
Certes, l'État haïtien a aidé certaines entreprises issues de l'ISI à se développer, et ce,
par l'entremise de politique fiscale avantageuse et la mise à disposition de terrains, etc., ce qui
donne généralement une aide très minime. C'est plutôt, « l'initiative du secteur privé et du
secteur externe, qui a commencé en Haïti le processus d'industrialisation par substitution
d'importation, reposant sur la création des industries légères de transformation de certains
biens et services (bien de consommation et montage) toutefois sur une faible échelle »67, on
estime ainsi à environ 250 à 300 les entreprises créées.
Sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, l'État se fait producteur en
s'engageant dans une politique d'acquisition d'entreprises industrielles existantes ou de
création d'entreprises. Une trentaine d'entreprises d'importance variable sont alors propriétés
publiques. Elles se répaJtissent en quatre groupes.
- Le premier groupe comprend une huilerie végétale (l'Entreprise nationale des oléagineux),
une cimenterie (Ciment d'Haïti), deux sucrières (l'Usine sucrière du Nord et l'Usine sucrière
nationale de Darbonne) et une minoterie (La Minoterie d'Haïti);
- Le deuxième groupe est constitué d'entreprises qui fournissent des services d'utilité
publique dans le secteur des télécommunications (Téléco), de l'électricité (l'EDH) et des
services pOltuaires (l'Autorité portuaire nationale);
- Le troisième groupe rassemble des institutions financières et d'assurances telles que la
Banque Nationale de créd it, la Banque Nationale de développement agricole et industriel,
66 DOURA, Fred. Op.cil, p-120. 67 Ibid, p-121
32
l'Office national d'assurance et l'Office d'accident du travail et des maladies;
- Le quatrième groupe d'entreprises étatiques comporte une douzaine d'unités dont les plus
importantes sont la Radio d'Haïti, la Télévision d'Haïti et une compagnie aérienne (Air
Haïti).
L'Électricité d'Haïti (EOH) est créée en 1971, lors de la construction du barrage de
Péligre dans le Plateau Central. Elle dépend d'un conseil de direction dont le ministre des
Travaux publics est le président. L'EOH dispose de sept centrales hydroélectriques d'une
capacité de 62 MW et de vingt-six centrales thermiques au diesel d'une puissance de 156
MW. La clientèle est divisée de la façon suivante: 47% pour le secteur industriel et
commercial, 39% pour le secteur résidentiel et 12% pour le secteur public.
Quant à la Minoterie d'Haïti, au Ciment d'Haïti, à l'Entreprise nationale des
oléagineux (ENAOL) et à l'Usine sucrière du Nord (USN), elles sont créées sous forme
d'entreprises privées ou mixtes que l'État finit par nationaliser. Tous les prix pratiqués par
ces entreprises sont contrôlés par l'État et les entreprises exonérées d'impôts jusqu'en 1985.
Depuis 1986, elles sont toutes soumises aux impôts.
L'ENAOL avait le monopole du broyage des graines oléagineuses, du commerce de
l'huile semi-raffinée et de l'exportation de dérivés des farines. Elle perd son monopole en
matière d'huile végétale en avril 1986.
Le Ciment d'Haïti est créé en 1951 par l'État haïtien en partenariat avec une
entreprise française (Lambert Frère). En 1983, le gouvernement haïtien achète les parts de
son partenaire et détient 88 % de la compagnie. Les actions restantes sont détenues par un
conglomérat qui regroupe des Français, des Vénézuéliens et des Suisses. Le Ciment d'Haïti
détenait le monopole de fait de la production et du commerce du ciment. À partir des
matériaux du pays, il produisait entre 250 mille et 450 mille tonnes de ciment par an.
La Teleco détient le monopole de la fourniture, de l'exploitation et de la gestion du
33
réseau public des télécommunications au niveau national et international, ainsi que des
sel'V ices de téléphon ie et de télex. La majeure partie de ses actions est de 1968 à 1971 entre
les mains de capitaux étrangers. Elle est gérée de 1971 à 1972 par la compagnie de téléphone
Continentale. Puis, à partir de 1973, l'État haïtien, à travers divers prêts provenant de
l'extérieur, acquiert 97% de l'entreprise des télécommunications, les 3% restant appartenant à
des actionnaires privés.
La Minoterie, entreprise privée de production de farine blé, est acquise par l'État
haïtien en 1982. Elle a le monopole des importations, ainsi que de la production de blé et de
farine. Elle produit entre 135 et 150 mille tonnes de farine par an. Cependant, 100% de sa
matière première étaient importée.
L'Autorité Portuaire Nationale (APN) est une entreprise publique qui constitue une
source importante de revenus pour l'État haïtien. Cette entreprise, autonome de l'État, assure
la gestion et l'exploitation des ports en concertation avec les douanes dans le contrôle des
échanges de marchandises avec l'étranger. Elle offre de nombreux services, dont la
manutention, l'entreposage et la sécurité des marchandises. L'administration générale des
douanes s'occupe de prélever les taxes et les autres tarifs douaniers.
Du côté des institutions financières, la Banque Nationale de crédit (BNC) a été créée
le 17 août 1979. Elle détenait en moyenne 8% des parts de marché au niveau de l'actif, 3%
pour les prêts bruts, 7% des parts de marché pour les dépôts en dollars totaux en gourdes et
1,54% pour les dépôts en dollars américains.
Fondée en 1955, la Banque populaire haïtienne (BPH) est l'ancienne Banque
Populaire Colombo Haïtienne. Devenue propriété de l'État haïtien en 1973, elle détient près
de 4% des dépôts du système bancaire avec 4 succursales à POli-ali-Prince et dans ses
environs. La BPH détenait 2,35% des palis de marché au niveau des actifs totaux, 3,02%
pour les prêts bruts, 2,25% pour les dépôts totaux et 1,26% des palis de marché pour les
dépôts en dollars américains.
34
1.3.3. Les entreprises d'État en Haïti: un outil au service du pouvoir politique
L'ensemble des entreprises publiques haïtiennes n'a jamais été réellement un
instrument capable de compenser les défaillances de l'initiative privée. Principalement
développées sous l'ère de Duvalier fils, leurs principales fonctions, dans la perspective des
organisations internationales, étaient de contri buer à l' équi 1ibre budgétaire de l'État. Elles
étaient considérées comme un outi 1attrayant pour le capital international. Cependant, pour le
régime duvaliériste, les entreprises étaient vues comme un moyen de consolidation du
système clientéliste. Les pages suivantes établiront la vérité de cette appréciation.
Kern Delince n'a pas tort quand il avance que les entreprises du secteur étatique
servaient a priori « les intérêts d'une couche privilégiée, hétérogène du point de vue social et
le plus souvent proche du pouvoim68 . «Habituellement le gestionnaire de l'entreprise est
nommé par la politique: c'est pourquoi la fidélité et la conformité aux choix politiques du
pouvoir comptent plus pour sa carrière future que son efficacité de gestionnaire)/)~. Les
entreprises d'État haïtiennes étaient gérées comme un réservoir de relations et de loyauté envers le
régime.
Fait plus révélateur encore: le ratio employé/service rendu a été gonflé par le régime
favorisant ainsi la corruption. Sur la base des données budgétaires de 1984 à 1986, Cadet indique
que la fonction publique haïtienne comptait en fait 32400 employés, mais on dénombrait en réalité
57 000 personnes sur les listes de paye. On devine assez bien où allaient les salaires des quelques 24
000 soi-disant fonctionnaires. Par exemple, la Teleco avait 50 agents pour 1 000 lignes, alors
que dans les autres pays de la Caraïbe, le ratio était de 16 à 26 agents pour 1000 lignes70 .
D'après Fred Doura, cet écart s'explique par
« l'existence généralisée d'employés improductifs. Nous constatons que très souvent un salaire budgétisé est utilisé pour payer deux ou plusieurs employés, en raison de leur contact politique, qui en général ne sont pas censés travailler ou même se présenter ». Selon l'auteur, « l'effectif global de chacune des entreprises [publiques] dépassait 1 000 personnes alors qu'elle aurait pu fonctionner avec moins de la moitié de leurs employés et dans certains cas
68 DELINCE, Kern. Op. cil, 69 DOURA, Fred. Op.cil, p.295. 70 Ibid, p.292.
35
avec moins d'un tiers »71.
D'autres systèmes de corruption existaient favorisant ainsi le paiement de salaires à des
employés fictifs ou versés directement à des proches du pouvoir politique.
Dans l'idéologie de la croissance, Bonnie Campbell atteste que cette approche libérale
préconisée par les organisations internationales, qu'elle qualifie d'idéologique, joue un rôle
déterminant comme instrument de maintien des groupes dirigeants. Ainsi,
« cette idéologie présente la croissance de l'emploi comme une fin, mais en même temps, elle sert à masquer, et finalement devient le moyen principal pour justifier la domination des groupes dirigeants et la perpétuation du statu quo. Dans ces conditions, les instruments pour l'édification de l'idéologie dominante seront fournis par les économistes et les planificateurs intemationaux »72.
Le cas d'Haïti sous la dictature duvaliériste illustre cette position. Les organisations
internationales se sont tournées vers l'État, par l'entrem ise de ces entreprises publ iques, afin
de donner un élan à une économie mal en point. Malgré les nombreux avantages donnés par
le gouvernement haïtien, l'effet «boomerang» escompté a plutôt été décevant. Le secteur
privé externe n'ayant contribué, entre 1977 et 1981, que pour un montant « d'entrées nettes de
capitaux ( ... ) de seulement 259 millions de gourdes >/'. Ce qui est très peu. Pour pallier aux
insuffisances dues à cet état de choses, le gouvernement haïtien, « sous l'influence principale
de la coopération internationale»74, pratiqua une pol itique d'expansion du secteur publ ic et
d'augmentation du nombre d'employés. Les organisations internationales ont appuyé le
deuxième plan quinquennal, celui de 1976-1981, du gouvernement haïtien qui prévoyait
l'utilisation des entreprises d'État afin de créer un certain dynamisme dans l'économie
haïtienne. La croissance annuelle moyenne du nombre de fonctionnaires est passée à 5,5 %
pour atteindre en 1985, 10 000 employés, soit 13 % de l'investissement global. Ce
mouvement d'expansion de la fonction publique est accompagné d'une augmentation
régulière du salaire moyen des fonctionnaires dans le but d'attirer « la main-d'œuvre de la
diaspora haïtienne habituée à percevoir des salaires élevés et qui peut ne pas être intéressée à
71 DOURA, Fred. Op.cit, p-298. 72 CAMPBELL, Bonnie. L'idéologie de la croissance dans Revue canadienne des études africaines,
p.213. 73 Ibid., p-16. 74 CADET, Charles L. Op.cit, p-I22.
36
revenir si les salaires intérieurs sont totalement non concurrentiels »75.
C'est au cours de cette période qu'un certain nombre de professionnels haïtiens
œuvrant à l'étranger « vont amorcer un mouvement de retour au pays tandis que des cadres
formés sur place seront envoyés dans les écoles supérieures et universités étrangères pour
parfaire leur formation technique. Mais, compte tenu de la faible capacité d'absorption du
secteur privé, ce sont les structures étatiques qui vont intégrer la très grande majorité de ces
cadres techniques »76. On doit en convenir, ce mode de reproduction étatique ne pouvait créer
une quelconque dynamique de développement.
L'initiative a certes eu, tel que démontré antérieurement, des résultats palpables au
début de sa mise en application, mais avec les années, les effets escomptés ne se sont pas
matérialisés compte tenu du clientélisme politique en vigueur.
En général jusqu'en 1985, malgré les problèmes liés à la corruption et aux nombreux
cas de népotisme, les entreprises publiques occupaient une place spéciale dans l'économie
haïtienne. Une part croissante des ressources de l'État provient des excédents d'exploitation
des entreprises publiques qui représentaient en moyenne de 3 à 4 % du PIB. Ces entreprises
représentent 10% du total de l'épargne nationale. Contrairement aux discours critiques des
institutions bilatérales et multilatérales sur la précarité économique d'Haïti et la
responsabilité des entreprises d'État dans cette débâcle, le tableau 4 démontre globalement
que les huit (8) grandes entreprises publiques ont toujours dégagé, entre 1981 et 1986, une
épargne courante et même croissante.
75 CADET, Charles L. Op. cil" p-I22. 76 Ibid., p-122.
37
Tableau 4
Revenu net (en millions de gourdes)
Port Ciment Teleco EDH CAMEP Minoterie d'Haïti d'Haïti USN ENAOL Total
1981 42 44,6 -0,8 -0,5 11,7 - - - 97,2 1982 59 28,3 1,3 42,5 15 - - - 146,1 1983 88 0,9 0,6 79,5 20,1 - - - 189,1 1984 86 56,5 1,4 79 27,8 17,3 -2,1 19 257,1 1985 104 56,5 1,1 68,9 1,1 22,1 56,5 310,2 1986 93 63 3 29 56,4 - - - -
(source: Banque Mondiale dans Haiti Public e~penditure review)
-Le Ciment d'Haïti produisait entre 250 000 à 450000 tonnes de ciment par an à partir des matériaux
du pays. Cette entreprise a toujours été rentable jusqu'en 1990. Elle a tTansféré au tTésor public,
durant les années 80 jusqu'à l'exercice de 1990, soit environ 42% de ses bénéfices.
- La Minoterie produisait entre 135 000 et 150000 tonnes de farine par an. Bien qu'HaXti ne produit
pas de blé, 100% de la matière première utilisée étant importée, elle est toujours demeurée rentable
jusqu'à sa fermeture en 1992. Durant la décennie 1980-1990,90% de ses bénéfices étaient transférés
au trésor public
- L'Autorité Portuaire Nationale (APN) et J'Autorité Aéroportuaire Nationale (AAN) ont été
rentables et ont transféré près de 40% de leurs bénéfices à l'État durant la décennie 1980-1990.
Notons que le personnel de l'APN était d'environ 200 employés.
- Quant à la Teleco, elle est l'une des principales sources de devises du pays (tableau 4), dont plus de
16 millions de dollars ont été transférés en moyenne par année à l'État. Elle fournit de l'emploi à plus
de 2 500 personnes.
- L'entreprise CAMEP, ne dégageait qu'en moyenne, avant 1986, que d'infimes profits. Elle
employait environ 600 personnes. Cette entreprise fournit de l'eau à 46% de la population urbaine et
à 54% de la population rurale. Les tarifs urbains varient selon la zone et le prestataire. La
gamme des prix varie entre 1 $ par mois dans les quartiers pauvres à 7,30 US$ par mois dans
38
les quartiers riches. En mi lieu rural, le tarifforfaitaire varie entre 20 gourdes (0,5 US$) et 100
gourdes ( 2,50 US$) par mois.
Comme nous avons pu le constater dans ce chapitre, le système capitaliste international peut
faire preuve d'un formidable sens d'adaptation quand il s'agit de maintenir sa prédominance à
l'échelle mondiale. En effet, dominées par l'approche développementaliste après la Seconde Guerre
mondiale, les organisations internationales ont dü mettre au rancart l'influence des ténors du
libéralisme des politiques économiques, et ce, afin de maintenir un statu quo dans un monde divisé
entre deux pôles. Donc, le système économique international était défini « dans le cadre d'un
système interétatique hiérarchisé, sans que J'autonomie des politiques économiques ne soit remise en
cause »77. Comme Edgar Morin le dit si bien, « les interrelations les plus stables supposent que les
forces qui leur sont antagonistes y soient à la fois maintenues, neutralisées et surmontées »78. C'est
dans cet ordre, tel que Morin le prédit, que le cours des évènements se déroulera. De ce fait, afin
d'atténuer toute tentative de basculement vers le bloc socialiste, les organisations multilatérales et
bi latérales ont pris tous les moyens à leur disposition pour consolider le pouvoir économique étatique
des PYD. Les entreprises d'État étaient la pierre angulaire de cette consolidation. Or, comme nous
allons le voir dans le chapitre 2, depuis les années 80, c'est « une économie mondialisée qui se met en
place (... ) qui tend à faire éclater les cadres nationaux de régulation (... ) une revanche des marchés
sur l'État, qui marque la fin de l'ère keynésienne »79.
ADDA Jacques. Op.cil, p-4 78 MORIN, Edgar. L'organisation, dans « La méthode ». La nature de la nature, Paris, Seuil, 1977, p
118. 79 ADDA, Jacques. Op.cit, p-4.
77
Chapitre II : Le temps des privatisations néolibéralismes et ajustement structurel
Historiquement, les pays dominés ont été l'objet de politique d'encadrement des
organisations internationales, particulièrement dans le domaine de l'économie politique, que les
dirigeants des PVD ont pu difficilement écarté. Effectivement, dans la majorité des cas, les États visés
n'avaient d'autres choix que de s'y conformer. Cette constatation est valable pour toute la période de
l'après-guerre de 1945 à aujourd'hui, tel que mentionné au premier chapitre. Les développements
internationaux de l'économie mondiale depuis les années 70, sans contredit, annoncent une mutation
internationale. En effet, l'accumulation du capital dans sa dynamique bouleverse les rapports
internationaux à un point tel que s'impose de plus en plus l'idée de la nécessité de réguler le système
mondial de façon à aligner le comportement des états sur les exigences de ce nouveau stade du
capitalisme mondial. Ces développements sont connus sous le nom de mondialisation, à dominance
des idées néolibérales. II n'y a pas d'États qui ne soient pas affectés par ces développements,
spécialement les PVD. Ce chapitre propose dans un premier temps de retracer cette mutation et ses
impacts. Puis, nous analyserons, à partir de différents courants théoriques, les politiques d'ajustement
structurel, cette politique d'alignement sur la norme mondiale imposée aux PVD. En dernier lieu,
divers points de vue d'auteurs qui se sont penchés sur ces concepts seront également exposés.
2.1. La fin d'une époque
Si, « de 1945 à 1980, le développement des entreprises d'État faisait partie intégrante
des stratégies de développement des institutions de Bretton Woods »80, depuis les années 80,
les PVD sont forcés de s'en départir au profit du capital privé national et international. C'est
la fin d'une époque. Comment en est-on arrivé là? Ce changement est dû à une série
d'évènements internationaux qui ont dégénéré en une crise financière globale, annonciatrice
d'un réaménagement des relations économ iques internationales. Les pages su ivantes
exposeront les caractéristiques et les impacts de cette crise, particulièrement sur les PYD,
d'une part, et la montée des institutions de Bretton Woods dans le réaménagement de
80 YAYA, Sanni. L'économie politique de la privatisation et de la désétatisation, Montréal: Université du Québec à Montréal, 2004, p-58.
40
l'insertion des PYD dans l'économie mondiale, d'autre part.
2.1.1. Un surendettement porteur des plus grands malheurs
L'endettement des PYD consécutif à l'adoption de l'approche développementaliste est
une caractéristique majeure de la conjoncture. Les revenus générés par le modèle économique
préconisé sont progressivement devenus insuffisants pour financer les importations devenues
de plus en plus nécessaires à cause du phénomène d'urbanisation et de modernisation. L'écal1
entre les deux a été progressivement financé par l'endettement.
L'Industrialisation par Substitution des Importations (lS!) pratiquée par nombre de
PYD et les importants investissements requis sont à l'origine de cet endettement. Le mode de
financement de cette stratégie dépendait des devises gagnées par les exportations de produits
primaires qui servaient alors à payer des moyens de productions importées pour équiper les
industries ainsi créées. Les deux chocs pétroliers des années 70 n'an-angent pas les choses. Les
hausses des prix du baril de pétrole ont des conséquences désastreuses pour les PYD, mais surtout
elles plongeront l'ensemble de l'économie mondiale dans une récession. Une économie mondiale qui,
d'ailleurs, a été durement éprouvée en J971 par l'effondrement du système monétaire de
Bretton Woods, le Gold Exchange Standard, fondé sur la convertibilité du dollar américain en or
(1 dollar = 1135e d'once d'or). Cette convertibilité a engendré, pour les États-Unis, une inflation et une
montée fulgurante du déficit de la balance des paiements. Le système monétaire mondial perd donc
son point d'ancrage, puisque l'ensemble des monnaies étant défini par rapport à la monnaie
américaine et les transactions intemationales étant libellées en dollars. Tous les pays étaient
également tenus d'avoir des réserves de dollars dans les coffres de leurs banques centrales. Comme
aucune monnaie n'est en mesure de se substituer au dollar, la plupart des monnaies des pays les plus
riches (deutsche mark, franc français, etc.) en ont subi les effets et, de ce fait, se sont dépréciées.
Avec les hausses du prix du baril de pétrole, tous ces éléments, ont en effet, provoqué une
montée en flèche du taux de chômage, de l'inflation et une chute du pouvoir d'achat des
consommateurs des pays riches et développés. Cette défaillance des principaux indices économiques
mondiaux a causé une réduction considérable de la demande des matières premières dans le monde.
41
D'où une dégringolade de la valeur des matières premières sur les marchés mondiaux et une chute des
revenus d'exportation des PVD. Avec les baisses constantes des revenus d'exportation dont dépendait
l'ISI, cette stratégie alourdit davantage ('endettement qui, à la fin des années 70, deviendra
insupportable.
C'est notamment vrai pour les pays de l'Amérique latine où le service de la dette absorbait
plus d'un tiers des recettes d'exportation. Les tableaux 5 et 6 montrent que les sept plus grands pays
de la région soit l'Argentine, la Colombie, le Brésil, le Chili, le Mexique, le Pérou et le Venezuela ont
payé, entre 1970 et 1980, environ 2 130 millions de dollars américains au titre du service de la dette
extérieure. En 1980, ce montant atteint 24 255 millions de dollars américains. Or, les entrées nettes de
capitaux n'ont pas pu soutenir un rythme aussi élevé de croissance du service de la dette. En effelle
paiement au titre du service de la dette représentait, entre 1977 et 1980, pour l'ensemble des sept
pays, environ 108% des entrées nettes de capitaux; de 1981 à 1983, le coefficient passe à 150% à la
suite de l'augmentation des taux d'intérêt. Prises de panique, les banques ont réagi à la crise
mexicaine en suspendant leur financement vers l'ensemble des PVD.
Tableau 5
Entrées de capitaux et services de la dette extérieure de 1977 à 1980 en millions de dollars
américains
Paiement du service
Montant dela total des dette
Groupes de Capitaux Capitaux capitaux publique PSDP/MTC pays privés publics (MTC) (PSDP) (%) Argentine 8461 -266 8195 6606 81 Brésil 17250 10069 27319 21 893 80 Chili 5039 286 5325 4734 89 Colombie 585 877 17588 1 866 128 Mexique 15950 1 638 1 462 27610 157 Pérou 701 1 760 1 760 3822 155 Venezuela 3959 3978 -3978 6089 77
Total 51 945 18342 70287 72620 108 (source: CADET, Charles L. Crise, paupérisation et marginalisation dans l 'RaUi contemporaine. Édition UNICEF. 1996, p.149)
42
Tableau 6 Entrée de capitaux et services de la dette extérieure de 1981 à 1983 en millions de dollars
,. • 81 amencams
Paiement du service
Montant dela total des dette
Groupes de Capitaux Capitaux capitaux publique PSDP/MTC pays privés publics (MTC) (PSDP) (%) Argentine -1 131 3973 2842 6845 241 Brésil 11 650 13283 24933 26153 105 Chili 2521 1 020 3541 3582 101 Colombie 3226 1 334 4560 2450 54 Mexique 12 182 7416 19598 27723 141 Pérou 456 2140 2596 4 175 161 Venezuela -6064 1 022 -5042 8404 -167 Total 22840 30188 53028 79332 150
(source: CADET, Charles, OpClt., p.149)
La situation de plus en plus précaire de l'économie des États-Unis n'est pas sans incidence
sur la capacité d'emprunt des PYD. Conrrontés à une forte croissance de l'inflation (croissance des
prix à la consommation de 13,5 % en 1981), ainsi qu'à une érosion importante de la valeur du dollar
entre 1972 et 1978, le dollar perd 43 % de sa valeur. Faisant de la lutte contre l'inflation sa priorité,
l'administration du président Jimmy Carter contracte l'offre de crédit et laisse les taux d'intérêt se
déterminer librement sur le marché. II s'ensuit que le taux d'intérêt bancaire moyen de base aux États
Unis passe de 6,8 % en 1977 à 18,9 % en 1981. Les taux d'intérêt des banques européennes suivront,
et friseront les 20 % au début de J980. À cela, il faut ajouter la dette américaine qui passe de 322
milliards de dollars américains en 1970 à 906 milliards de dollars américains en 1980 « Le solde des
échanges courants des États-Unis s'est dégradé de 170 milliards de dollarsaméricains, passant d'une
position d'équilibre à un déficit de 3,5 % du PIB américain. Cumulé, le besoin de financement
extérieur des États-Unis s'est élevé au cours de cette période à 600 milliards de dollars, soit un chiffi'e
équivalent à la total ité de la dette extérieure de l'Amérique latine et de l'Arrique en 1987»82.
81 Ibid., p-149. 82 ADDA Jacques. Op. cil, p. 73.
43
Une telle mobilisation de l'épargne internationale entraîne nécessairement une contraction
de la demande nette de capitaux des autres nations. Elle s'est opérée sous la contrainte des pays
surendettés, désormais exclus des marchés internationaux des capitaux, qui n'eurent d'autres
alternatives que de résorber, en un temps record, leurs déficits courants8:1. Étant donné que la
domination des fonds d'origines privées excède celle des fonds d'origines d'organismes multilatéraux
(tels que le FMI ou la Banque mondiale) et que les États-Unis avaient un grand besoin de liquidités
pour combler leur déficit budgétaire provoqué par la hausse des combustibles, cet amalgame
provoque une flambée spéculative des taux d'intérêt. D'où cette augmentation brusque des taux sur
les marchés américains alors que les capitaux variables représentent une part significative des
emprunts contractés par les PVD. En 1987, par exemple, cette part était de 84%, 67.5% et 79%
respectivement, pour l'Argentine, le Brésil et le Mexique.
Les conséquences de cette accumulation de facteurs ont mené à l'incapacité de plusieurs
PVD d'assurer le service de leur dette extérieure. Le Mexique est suivi par de nombreux autres pays,
provoquant un affolement général au sein du système financier international. Les risques de Krach
bancaire en cas de défaillance de ces débiteurs sont réels: « l'exposition (encours des prêts) sur les
pays du tiers-monde représentant en 1982, pour les banques des États-Unis, environ deux fois leur
capital, et 2,8 fois pour les neuf plus grandes banques des États-Unis. L'encours des grandes banques
américaines sur cinq pays seulement (Argentine, Brésil, Venezuela et Chili) représentait en moyenne
1,5 fois leur capital et jusqu'à 2,6 fois pour celtaines »84. Les créances bancaires pour les pays
d'Amérique latine atteignaient 200 milliards de dollars américains à elles seules, alors que, « la
totalité des fonds propres des cent premières banques mondiales s'élevait à la même date à 150
milliards de dollars »85. Il n'est pas étonnant, dès lors, qu'il y ait contraction générale du crédit et une
crise bancaire mondiale. Afin d'éviter que la situation s'envenime davantage, les organisations
internationales ne tarderont pas à répondre. Il fallait intervenir et tenter d'empêcher l'effondrement
annoncé du système bancaire international. Les institutions financières internationales, le FM 1 en
particulier, seront appelées à la rescousse et chargées « de mettre au pas» les PVD.
83 ADDA Jacques. Op.cil, p-73. 84 Ibid., p-47. ss ADDA Jacques. Op.cil, p-65.
44
2.1.2. L'ajustement structurel comme réponse
Pour parer au risque de déstabi 1isation du système financier international sous l'effet
de la crise de la dette, des programmes d'ajustement structurel sont mis en place par la
Banque Mond iale et le FM 1. La stratégie est, dans cette conjoncture de crise de la dette, de
s'assurer que les nations endettées continuent à pourvoir le service de la dette, et, pour cela, la
Banque mondiale et le FMI les obligent à réorienter leur politique macroéconomique
conformément aux exigences des créanciers internationaux. Les mesures envisagées à cet
effet concernent à la fois la balance des paiements, la situation monétaire interne et plus
particulièrement, celle des finances publ iques. Parmi les moyens imposés à cette fin, relevons
les suivantes:
-En matière de paiements extérieurs, il est prévu de limiter les importations en fonction de la
solvabilité des pays importateurs et de promouvoir les exportations (censées constituer le moteur de
la croissance économique générale).
- Au plan monétaire, il est demandé aux autorités monétaires des PVD de dévaluer leur monnaie et de
continuer d'assurer le service de la dette.
En outre, en matière budgétaire, les dirigeants doivent accroître les revenus (amélioration de la
fiscalité), réduire les dépenses courantes (dépenses du personnel, en abaissant à la fois les salaires et
l'emploi; dépenses de fonctionnement; subventions de consommation aux biens essentiels), choisir
avec discernement les investissements en priorisant les secteurs et les activités susceptibles de générer
des revenus en devises contribuant en cela à la reprise du service de la dette; privatiser les entreprises
d'État non rentables; introduire une austérité financière des entreprises publ iques stratégiques.
Libéralisation des échanges: baisse des tarifs douaniers et des protections non tarifaires.
Suppression des barrières à l'investissement direct étranger et des formes de discrimination à
l'encontre des entreprises étrangères.
Suppression des obstacles aux entrées de nouvelles entreprises et à la concurrence.
Réorienter les dépenses publiques vers des secteurs susceptibles d'améliorer la redistribution
des revenus (notamment la santé, l'éducation et les infrastructures).
Le crédit interne sera limité et encadré pour éviter toute autre source de pressions
inflationnistes.
45
Si nous sortons du cadre officiel du discours institutionnel, nous verrons que les politiques
d'ajustement structurel initiés au début des années 80 ne sont que la première phase d'une stratégie,
dont la prochaine phase ira au-delà d'une simple restructuration macro-économique. Sujet qui sera
d'ailleurs l'objet des sous-chapitres suivants. Elles sont l'expression des décisions des hautes sphères
politiques nationales et internationales déterminées à « plonger ces pays dans la mondialisation des
échanges sous la contrainte de la compétitivité. Pour ce faire, ils mettent au centTe et comme
condition de la relance économique, une redéfinition du rôle et de la place de l'État »86. En somme, il
apparaît, à l'analyse, que les politiques d'ajustement structurel sont directement liées au mouvement
de globalisation du capital en cours à l'époque et dont l'un des effets sur les PYD sera de les
soumettre encore davantage aux pressions d'institutions internationales plus que jamais déterminées
à mettre ces pays en ajustement structurel. Que pouvons-nous en dire? Ce sera l'objet de la
prochaine subdivision.
2.2. La globalisation
Le premier moment des politiques d'ajustement structurel avait pour but de sauver le
système financier international de la débâcle. Avec la liberté recouvrée par le capital privé et
sa capacité de peser sur la définition des politiques économiques mondiales, une deuxième
phase des politiques d'ajustement structurel succède à la première. Cette fois-ci, l'objectif
stratégique sera l'intensification de la globalisation. Les prochains développements tenteront,
dans un premier temps, d'expliquer les contextes qui ont favorisé l'essor de la globalisation.
Nous analyserons ensuite les liens qui existent entre la globalisation et les politiques
d'aj ustement structurel.
2.2.1. Un nouvel ol"dl"e économique mondial
Nouvelle phase du capitalisme, d'après Sébastien Santander la globalisation Cl, en fait, été
promue par les politiques de déréglementation des systèmes nationaux de contrôle des changes et de
déréglementation du système financier et bancaire lancée, au début des années 80 par les États-Unis
et la Grande-Bretagne.
86 CAMPBELL, Bonnie. Reconceptuafisation de l'État au Sud, dans « Mondialisation des échanges et fonctions de l'État ». Édition Mondial isation et droit international, p-165.
46
La perte, par l'écrasante majorité des économies des pays capitalistes, d'une large partie de leur capacité à mener un développement partiellement autocentré et indépendant, la disparition d'une certaine spécificité des marchés nationaux et l'effondrement de la possibilité pour beaucoup d'États de mener des politiques propres ne sont pas une conséquence mécanique de la globalisation intervenant en tant que processus extérieur toujours plus contraignant pour imposer à chaque pays, à ces parties et à ses gouvernements une ligne de conduite donnée. Sans l'intervention politique active des gouvernements Thatcher et Reagan, puis de l'ensemble des gouvernements qui ont accepté de déréglementer, et sans la mise en œuvre des politiques de déréglementation, de privatisation et de libéralisation des échanges, le capital financier international et les grands groupes multinationaux n'auraient pas pu faire sauter si vite et si radicalement les entraves et les fi'eins à leur liberté de se déployer comme ils l'entendent et d'exploiter les ressources économiques humaines et naturelles là où cela leur convient. 87
À l'époque, le gouvernement américain décide « de laisser filer le taux du dollar de façon à
mettre en œuvre une sorte de dumping qui soulagerait le déficit de leur balance commerciale »88.
Cette politique enclenchée par Ronald Reagan et suivie par Margareth Thatcher prendra par la suite «
une ampleur insoupçonnée et s'imposa partout comme la nouvelle orthodoxie »89. Toutes les
monnaies, sans exception, en subissent le contrecoup. Les gouvernements américains et britanniques,
ont ainsi ouvert la voie à un contrôle des monnaies par les marchés mondiaux. Désormais, les
marchés pourront encaisser les profits flllanciers issus de la spéculation sur les monnaies dans le
monde, Les monnaies étant « devenues des el1jeux de spéculation, l'État n'a plus la maîtrise d'un de
ces «fondamentaux» censés orienter la politique économique»90.
D'une part, les gouvernements Reagan et Thatcher ont libéralisé leurs échanges avec les
autres nations par l'entremise d'accords bilatéraux prévoyant des baisses des tarifs douaniers, des
protections non tarifaires et la suppression des barrières à l'investissement direct. Cette libéralisation
renforce la domination des multinationales du Centre à l'échelle mondiale créant ainsi une
domination que Chesnais appelle l'oligopole mondial. Les relations économiques interétatiques
sont aujourd'hui dominées par l'oligopole mondial, l'espace mondial « se forme sur la base
de l'expansion mondiale des grands groupes, de leurs investissements croisés intratriadiques
et de la concentration internationale résultant des acqu isitions et fusions qu'ils effectuent à
87 CHESNAIS, Francois, Op.cil, p-23 8X Ibid, p-21. 89 Ibid, p.359. 90 Ibid, p.366.
47
cet effet »91.
Désonnais, c'est entre elles que les entreprises s'organisent à l'échelle mondiale. Comme l'écrit l'OCDE:
« les sociétés ne se contentent plus, comme par le passé, d'exporter leurs produits et de se doter d'installations à l'étranger: elles ont entrepris de tisser des réseaux internationaux complexes de recherche, de production et d'infonnation. Les liens d'interdépendance existent parallèlement aux échanges et aux investissements étrangers, témoignant de la mondialisation croissante des activités (...) »92.
La multiplication des fusions d'entreprises géantes a fait émerger, à côté des nations et par
dessus elles, de nouveaux centres décisionnels qui tentent d'imposer leurs lois. Alors que nous
pensons toujours en tennes de nations, les échanges internationaux se réorganisent en dehors d'elles,
autour de grands pôles privés. Ironiquement, comme Firouzeh Nahavandi Je souligne dans
Globalisation et néolibéralisme dans le tiers-monde, au début du processus de la
globalisation, les investisseurs privés faisaient pression sur les pouvoirs publics pour obtenir
des concessions. Aujourd'hui, dans un contexte de globalisation en plein essor, ce sont les
politiques qui se rendent à Davos pour attirer les investisseurs dans leur pays. Cela s'explique
par le fait que le champ des conflits internationaux est progressivement devenu celui du
partage des ressources matérielles qui fournissent aux gouvernements les moyens de garantir
la prospérité économique et la cohésion de leur État. C'est pourquoi les gouvernements
négocient avec les entreprises transnationales et créent les conditions favorables à leur
déploiement, ce qui engendre la dépendance de toutes les économies nationales vis-à-vis le
marché mondial. Ces entreprises ont ainsi acquis un rôle considérable et influent aussi bien
sur la politique intérieure des États que sur la dynamique des relations internationales9:1.
La globalisation connaît une accélération grâce à l'essoufflement des forces antagonistes au
système capitaliste. Les limites rencontrées par le système soviétique ont poussé certains pays
socialistes à se rapprocher d'une régulation économique faisant partiellement appel à des mécanismes
empruntés aux économies de marché privé. Ce fut le cas en Hongrie, mais aussi en Chine qui, au
91 CHESNAIS, Francois. Op. cil, P-25. 92 PASSET, René. Op. cil, p- 114. 9:1 NAHAVANDI, Firouzeh. Op.cil, pp 39-40.
48
début des années 80, ont eu recours à des capitaux extérieurs privés et ont assoupli certaines
restrictions du droit des citoyens aux commerces privés. Dans le but d'accélérer leur croissance
économique, d'autres pays socialistes vont emboîter le pas.
Les organisations internationales, poussées par les pays développés, ont vu dans ce qui
semble être les prémisses d'une désintégration du système socialiste, l'occasion de resserrer leur
gestion des économies nationales. Après coup, le statu quo n'avait plus sa raison d'être. Les
politiques d'ajustement structurel s'avèrent alors un parfait outil pour restructurer les économies des
pays du bloc soviétique et pour maintenir les États périphériques dans le carcan de la dépendance
économique. Jacques Adda n'ajoute-t-il pas avec raison que ces politiques permettent d'accentuer la
subordination des pays sous-développés aux intérêts des principaux pays industrialisés. Ce nouveau
courant dans les stratégies de développement « est l'expression directe de la décomposition
de l'ordre international dominé entre deux pôles et du rééquilibrage des rapports de forces »94
Globalisation du capital, politique d'ajustement structurel et effritement du pouvOir
d'intervention de l'État dans son économie: ces éléments ne représentent que la partie structurelle du
problème auquel l'État fait face. Si les nouveaux penseurs du système économique international ont
pu évincer aussi vite l'État providence en tant que modèle à suivre pour tous les États capitalistes,
c'est dû, entre autres, à la crise idéologique confrontée par ce dernier. Rosanvallon a donc raison
quand il écrit que
« l'État-providence n'avait de sens que dans le contexte d'un espace social relativement homogène et qui pouvait être appréhendé globalement dans cet espace social relativement unifié. C'est la forme et la configuration de l'espace social lui-même qui constitue l'objet central de la régulation. C'est le socle sociologique du modèle keynésien qui s'est fissuré. Celui-ci était fondé sur une représentation bipolaire du social, appréhendé en termes de classes. De nouveaux champs de conflictualité sociale non réductibles au seul affrontement traditionnel de classe pour ceux qui en étaient les acteurs sont apparus : rapports hommes/femmes, dirigeants/dirigés, États/régions, etc. Ni l'État providence, ni la négociation collective ne constituaient des instruments de régulation adéquats de ces phénomènes, l'émergence de nouveaux mouvements sociaux qui stnlctureraient un espace néo-keynésien remplissant des fonctions équivalentes à celles du syndicalisme dans l'espace keynésien classique. La démarche est parallèle à celle
94 ADDA, Jacques. Op. cil. , p-I 18.
49
des promoteurs du modèle autogestionnaire, mais la perspective est quelque peu différente. Cependant, de nouveaux mouvements sociaux ont émergé; ces derniers pensaient essentiellement à une correction du modèle keynésien par le développement de technologies sociales et politiques plus décentralisées et autonomes ».
Donc, les formes classiques de l'espace économique auquel correspond à la fois
négociation collective et l'État providence sont devenues caduques. L'État ne représente plus
cette entité collective, idéale pour certains ou utopique pour d'autres, dans laquelle l'individu
conçoit la vie sociale comme une harmonie dont l'État est la synthèse et le garant. Aujourd'hui,
ces formes classiques sont remplacées par la segmentation du marché du travail et le développement
de l'économie souterraine. Au niveau social, les idéaux dominants sont les phénomènes de retrait
social, de recherches d'alternatives individuelles et d'amélioration de sa condition personnelle.
Il ne fait aucun doute que les politiques d'ajustement structurel sont la concrétisation d'un
nouveau cycle dans les stratégies de développement des organisations internationales pour les pays en
développement. L'objectif devient alors de resserrer leur insertion dans l'économie mondiale
en les alignant sur les nouvelles normes en opération dans l'économie mondiale où les grands
pôles privés sont « les nouveaux arbitres dont la logique détermine les ajustements à tous les
niveaux du système économique international »95.
2.3. Des États (les PVD) dans le maelstrom de la mondialisation
La redéfinition du rôle de l'État en fonction d'un ordre économique globalisé et le
renforcement du système économique mondial, telles sont les grandes lignes d'une politique
que les ténors du néo-libéralisme entendent imposer à tous les États sans distinction.
Cependant, comme le souligne Firouzeh Nahavandi, il était nécessaire que cette stratégie soit
préalablement légitimée. Ce sera le rôle des institutions telles que la BM, le FMI, l'OMC,
l'OCDE. Ces dernières seront «les garantes du projet politique néolibéral qu'elles diffusent
dans les quatre coins de la planète pour légitimer l'ordre économique globalisé »% Aux fins
de notre mémoire, c'est la situation des PYD qui nous intéresse. Nous verrons, dans les pages
95 PASSET, René. L'iLlusion néo-libérale, Paris: Flammarion, 2001, p-114. 96 NAHAVANDI, Firouzeh. Op. cil, pp 39-40.
50
suivantes, le nouveau rôle attribué aux PVD et les mécanismes utilisés pour imposer le
nouveau modèle. Ensuite, nous exposerons les justifications et les objectifs des privatisations.
2.3.1. Le mécanisme de réduction de la taille de l'État: privatisation et
désétatisation
La stratégie « nouvelle» de développement privi légiée par les institutions
internationales est essentiellement axée sur le désengagement de l'État, un désengagement
qui est synonyme de désétatisation97 et de privatisation9R. Désétatisation, « c'est moderniser
l'économie nationale en transférant au secteur privé la responsabi 1ité des investissements
nécessaires à son expansion »99. La privatisation en est une expression. Au sens large, elle
est « le transfert, en partie ou en totalité, des activités d'une entreprise préalablement
publique, au secteur privé »100. Elle est essentiellement le moyen le plus utilisé et le plus
visible de la désétatisation. En général, elle est « une réforme adoptée par les gouvernements,
soit par adhésion à certains principes pol itiques, soit pour augmenter les recettes de l'État,
soit encore pour obéir aux prescriptions des programmes d'ajustements structurels» 101. Yaya
n'a donc pas tort de préciser que « les concepts de désétatisation et privatisation peuvent
s'inscrire dans l'optique d'une vision d'alliance stratégique, de complémentarité et de
p3l1enariat ( ... ) contribuant ainsi à la concrétisation de la politique de désengagement de
l'État» 102. Ce désengagement rédu it les institutions pol itiques nationales « à la fonction
d'agent d'exécution chargées d'assurer la rentabilité du capital international et d'en couvrir · 1es f1sques» 103 .
C'est dans cette même optique que Bonnie Campbell peut affirmer que le nouveau
97 Pow' Tittenbnm désétatisé c'est contribuer à réduire la dette publique; contribuerà la modemisation du parc industriel des entreprises; permettre à l'administration publ ique de concentIer ses efforts dans les activités où la présence de l'État est fondamentale. 98 Selon Bizaget, « La privatisation au sens large traduit l'idée d'un certain désengagement de l'État dont, selon les thèses néo-libérales, le trop grand dirigisme freine, consciemment ou inconsciemment, l'initiative et perturbe les lois du marché. 99 Wright, V. Chacun privatise à sa manière, dans « Les privatisations en Europe Programmes et Problème ». Vicent, Actes Sud, Hubert Nyssen Éditeur, p.9-50. 100 YAYA, Sanni. Op.cil, p-71. 101 Monier Françoise, Pénurie d'eau: Quelles solutions pour l'Afrique, l'express du J4/02/2002. 102 YA VA, Sanni. Op. cil, p-66. 103 PASSET, René. Op.cit, p-114.
51
rôle attribué à l'État est le fruit de la mondialisation: « la désétatisation est imposée par la
norme de compétitivité internationale; la création de nouvelle fonction étatique par la
compétition internationale; l'international isation et la dispersion des 1ieux de décision ».104 11
ya mieux.
Ce nouveau rôle attribué à l'État, il est fondamental de le noter, est porteur d'un
phénomène d'exclusion, « exclusion au sens de marginalisation dans les flux mondiaux
d'échanges, d'investissements et financements, dont l'un des symptômes est la dépendance à
l'égard de l'aide internationale» \05. L'adaptation à cette global isation a eu tendance à
marginaliser davantage les PYD. Ces pays ont été marqués, dans les années 1980, par un très
fort recul des IDE et des transferts de technologie, ainsi que par un début d'exclusion du
système des échanges de produits de base l06 . Utilisant les données d'un rapport du Centre des
Nations Unies sur les sociétés transnationales (UNCTNC), Chesnais montre qu'entre 1980 et
1988, « le montant de j'investissement direct étranger réalisé à l'intérieur de la Triade a
presque triplé, passant de 142 milliards de dollars américains »\07 Parallèlement, comme le
graphique ci-dessous le démontre, il y a une diminution constante de la part des pays en
développement dans le stock mondial de l'IDE. En effet,
« en termes de flux, la part des pays en développement est tombée aux niveaux les plus bas connus depuis des décennies à la fin des années 1980 : 18,6% du total des flux d'IDE en 1985-1989 et même 16,9 en 1988-1989. Au début des années 1990, ces pourcentages se sont accrus pour atteindre environ 22%, mais ce sont des parts d'un ensemble en croissance ralentie dont la remontée est due à la récession dans les pays de l'OCDE et à un ralentissement provisoire des acquisitions/fusions. Dix pays, situés pour l'essentiel en Asie du Sud-Est (y compris la Chine), ont reçu la plus large
. d .. 108partie e cet IIlVestlssement » .
Le tableau ci-dessous l'établit clairement.
104 CAMPBELL, Bonnie. Op. cil, p-168. \05 Ibid., p-6. 106 CHESNA1S, Francois. Op.cit, P-27. 107 Ibid., p-27. lOS Ibib, P-49.
52
Pays d'accueil des stocks d'investissements directs mondiaux
Pays en développement
(Source: CH ESNAIS, François, Op. cil., p.49)
Cette marginalisation est encore plus perceptible au niveau de la concentration
technologique. Le graphique suivant est éloquent. La majorité des pays dans le monde est
exclue des accords de coopération technologique entre firmes et de transfert de technologie.
la concentration des flux technologiques (en pourcentage du nombre (Otal SLiI" la période 1980-1990)
(Source: CHESNAIS, François, Op.cil.,p.49)
D'autre part, l'oligopole mondial, par l'entremise de la délocalisation, met en
53
concurrence l'offre de force de travail d'un pays de la périphérie à un autre, ce qUI en
l'occurrence accentue le mouvement de polarisation des PYD. En effet, le travail humain « a
plus que jamais le statut de marchandise, dont la valeur marchande a été dévalorisée de
surcroît par le progrès technique et qui a vu la capacité de négociation de ses détenteurs
diminuer toujours plus face aux entreprises susceptibles d'en acheter l'usage »109.
Les privatisations traduisent bien l'emprise des idées néolibérales sur la conception
générale de la gestion de l'économie mondiale à l'ère de la globalisation. Aussi, n'est-il pas
sans intérêt de s'y arrêter.
2.4. Des fondements théodgues révélateurs
Yu la richesse de la production théorique, et sans préjuger de la valeur intrinsèque
d'autres théories, nous nous limiterons à la présentation schématique de deux courants
théoriques qu i nous paraissent refléter la pensée dom inante en matière de privatisation.
2.4.1. La privatisation dans la théorie économique
Pour ce qui est de la justification théorique des privatisations, nous retiendrons deux
courants théoriques, soient ceux de l'efficience-x et du « public choice ». En ce qui a trait à la
théorie de l'efficience-x, selon Yaya, elle a été développée par Harvey Leibenstein sur la base
de recherches empiriques. Celui-ci conclut que deux entreprises, l'une publique et l'autre
privée,
« disposant de la même composition de main-d'œuvre (facteur travail) et de la même technologie (facteur capital) peuvent parvenir à des performances inégales en termes de productivité des hommes et de quai ité des outputs obtenus. Il précise qu'il existe un facteur-x, différent des facteurs de production traditionnels (travail et capital) qui explique l'efficience oul'inefficience des firmes »110.
Pour Leibenstein, l'un des premiers facteurs de l'inefficience des entreprises publiques est
l'absence de pressions externes, puisque ces entreprises sont souvent en situation de
109 CHESNAIS, Francois. Op.cil, p-30. 110 y AYA, Sanni. Op. cil, p-96.
54
monopole, ce qui tend à favoriser une vie tranquille. L'auteur souligne aussi que la mauvaise
performance des entreprises d'État tient entre autres à son immortalité c'est-à-dire que la
politique financière et monétaire de l'État est suffisamment exubérante pour limiter la
probabi 1ité de fai Il ite. Les dirigeants de ces entreprises développeront, dans parei Ile situation,
une aversion pour le risque, une faible propension à l'innovation, et enfin, une mentalité
proche de celle observée dans les bureaux non marchands.
Quasiment inexistant dans les entreprises d'État, le risque de faill ite d'une entreprise
est une réalité avec laquelle le secteur privé doit compter. Ce dernier doit non seulement gérer
avec efficacité pour assurer la survie de l'entreprise, mais aussi s'assurer de sa productivité,
sa rentabilité et sa solvabilité. Elle ne peut pas faire des choix doctrinaux et politiques. De
plus, il existe, dans le secteur privé, des mesures disciplinaires émanant des marchés
boursiers qui obligent les gestionnaires à rendre des comptes.
Pour certains économistes comme James Buchanan et Robert Tollison dans Theoryof
Public Choice : Political application of Economics, la principale cause de l' inefficience des
entreprises publiques provient des groupes d'intérêts et des jeux politiques caractéristiques
des administrations publiques. Initiateurs de la théorie des choix publics, ces auteurs
affirment que le processus décisionnel des administrateurs est basé non pas dans l'intérêt de
la société, mais plutôt dans leurs propres intérêts. Selon eux, tous les hommes politiques et
dirigeants d'entreprises publiques puisent leurs motivations dans le goût du prestige et de la
quête du pouvoir. On comprend alors d l'interférence fréquente des élus politiques dans la
gestion publ ique pour accorder des avantages et des bénéfices à des groupes précis en vue
d'assurer leur réélection.
Afin de remédier à la situation, la privatisation serait la solution miracle, car cela
contribuerait, selon Harvey Leibenstein, à réduire de manière substantielle les mauvaises
influences politiques et, par conséquent, à permettre aux entreprises de renouer avec la
performance et la compétitivité. La privatisation
« devrait conduire à l'abandon des attitudes de type bureaucratiques (vie tranquille, insouciance, aversion pour le risque, faible propension à l'innovation et à la recherche systématique de l'efficience) forcer
55
l'émulation interne et conduire à la productivité pour la survie de l'entreprise. La privatisation améliorerait également la structure organ isationnelle des entreprises publiques» III.
2.4.2. L'inflexion du discours et de la stratégie de la Banque mondiale et du FMI
Afin de mieux cerner l'objectif réel des privatisations, il est indispensable d'analyser le
discours de la SM et du FMl pour faire ressortir les points saillants. On ne s'étonnera pas d'y retrouver
les mêmes thèmes vus dans la section précédente. En effet, pour la SM et le FMI, les problèmes les
plus importants des entreprises publiques sont le déficit budgétaire et l'endettement occasionnés par
les pertes financières des dites entreprises. Le monopole dont jouissent les entreprises d'État dans
certains secteurs empêche toute concurrence du secteur privé. Par la même occasion, la qualité et
l'efficacité des services en général en souffraient. En outre, selon ces deux organisations, le manque
de ressources et la gestion inefficace de nombreuses entreprises publiques ont aggravé les problèmes
de gestion, renforçant ainsi l'inefficacité de celles-ci.
À ceci, il faudrait ajouter la mauvaise gouvernance et leurs incidences négatives sur le
recours à de nouvelles technologies susceptibles de permettre la maximisation des profits.
Il n'est pas surprenant, dès lors, que, pour la BM et FMI, la privatisation des entreprises
d'État soit devenue une condition nécessaire à la reprise d'une croissance durable et au maintien de la
stabilité économique. Selon cette optique, cette politique a d'autres retombées. Elle devrait:
«(... ) contribuer à réduire la dette publique; permettre la reprise des investissements dans les entreprises et activités qui ont été nationalisées; contribuer à la modernisation du parc industriel des entreprises, en augmentant notamment leur compétitivité et en renforçant leur capacité entrepreneuriale dans les différents secteurs de l'économie; permettre à l'administration publique de concentrer ses efforts dans les activités où la présence de J'État est fondamentale ».112
En résumé, pour la SM et le FMI, la plupart des pays en voie de développement seraient
111 YAYA, Sanni. Op. cil. , p-98. 112 Conseil de Modemisation des Entreprises Publiques (CMEP). Possibilités économiques et
privatisation, Editions La Ruche, Port-au-Prince Haïti 1996, p-30.
56
plus prospères si l'État concentrait ses énergies sur la mise en œuvre des services publics essentiels.
Cela dit, pour les deux institutions onusiennes, la privatisation redresserait le déséquilibre des
finances publiques notamment en réduisant considérablement les dépenses prises en charge par le
budget de l'État pour les entreprises publiques. Ce qui permettrait à l'État, via la réduction du déficit
du secteur public, de mieux assumer ses responsabilités dans les domaines de l'éducation, de la
formation, de la santé et des infrastructures, en plus de se consacrer davantage au remboursement de
la dette publique.
Les privatisations devraient pennettre de soutenir une vivacité sur le plan conclllTentiel du
marché intérieur, et du même coup, d'attirer des capitaux nationaux et internationaux dans
l'économie et de réduire la dépendance aux importations par l'amélioration de la productivité et de la
qualité des biens et services fournis par les entreprises privatisées.
Aussi, la privatisation, idéalement, propulserait un certain dynamisme du marché financier
et, peut-être le développement de l'actionnariat populaire, notamment par l'introduction à la bourse
des sociétés nouvellement privatisées.
Sur le plan administratif, il s'agit d'alléger l'État des gestions inefficientes et gourmandes des
cadres de la fonction publique, pour les remplacer par une gestion plus compétente et professionnelle.
L'encouragement d'un esprit d'entreprise et d'une culture de gestion des risques commerciaux et
financiers des affaires pelmet d'importer des solutions et des technologies de pointe.
2.5. Objectifs des privatisations des entreprises d'État
Nous ne saurions nier l'appolt du secteur privé à la croissance économique ne serait
ce qu'au titre de sa capacité de gérer sainement une entreprise. Néanmoins, notons que les
théoriciens de l'Efficience-X ou du « public choice» ne font pas grand cas des objectifs réels
des privatisations pour les acteurs du système économique mondial. C'est pourtant un aspect
important du processus qu'il est fondamental d'explorer puisque susceptible de nous
57
permettre de répondre à une question, à savoir: Pourquoi privatiser est-il devenu un enjeu
stratégique pour les principaux protagonistes du système international?
Pour la BM et le FMI, il s'agit, vu le nombre restreint d'entrepreneurs dans les PVD, d'attirer
suffisamment de capitaux externes pour mener à bien les modernisations et les développements
nécessaires. Dans leur optique, cela permet à l'État d'augmenter ses recettes fiscales tout en assurant
de nouvelles entrées de devises. Ont-ils raison? Des considérations inavouées seraient-elles den-ière
cette position? C'est ce que pense Michalet. En effet, pour ce dernier la vente d'une entreprise d'État
est un enjeu stratégique majeur, car elle a pour fonction d'intégrer les nations dans le processus de
globalisation. L'acquisition d'une entreprise publique, pour une multinationale, n'a pas pour unique
but l'augmentation du capital argent, mais aussi d'acquérir la force du capital. L'acheteur pouvant
aussi intervenir à tous les niveaux économiques du territoire en tant que propriétaire des moyens de
production, alors que le vendeur (l'État) affronte l'acheteur de son travail en tant que force d'autrui.
C'est ce rapport qui permet de transformer un capital argent en fonction de la force du capital. Voilà
qui confirme notre hypothèse à l'effet que ce qui est activement recherché par les privatisations
d'entreprises publiques, c'est bien le resserrement de l'insertion des économies des PVD dans
l'économie mondiale.
Pour Gérard Selys, dans Privé du public.' à qui profitent les privatisations? les
privatisations sont la conséquence, dès les années 70, d'une exacerbation de la concurrence
entre les pays de la Triade: les États-Unis, le Japon et l'Europe, vu les difficultés de conquérir
de nouveaux marchés_ C'est alors que l'Occident, désespérément à la recherche de nouveaux
secteurs de croissance, découvre qu'il existe des marchés à pOltée de main: les entreprises et
les services publics de tous les États sans distinction. En effet, les privatisations ont été
enclenchées dans les pays du centre bien avant qu'elles soient imposées aux PVD. Aux États
Unis, les privatisations ont d'abord concerné un certain nombre de services municipaux dès le
début des années 60: enlèvement des ordures ménagères, transport urbain, installations
sportives, voiries, pompiers, etc. Elles ont pris ensuite la forme de dénational isation en
Grande-Bretagne de façon systématique et de désétatisation en France. «Non seulement la
privatisation permettra de réduire les tarifs internationaux (en relevant les tarifs locaux),
comme l'exigent les industriels et autres opérateurs boursiers et financiers, mais elle
58
permettra, en outre, à ceux-ci de faire main basse sur un secteur en pleine expansion, chose
rare» 113
Le mécanisme de cette main basse sur les appareils productifs des PVD est connu.
Aux États-Unis, Edwin 1. Feulner, directeur de la Heritage Foundation, remet un ouvrage de
1 000 pages à la Maison-Blanche au lendemain de l'élection de Ronald Reagan. Cet ouvrage,
Mandate for Leadership, préconise l'utilisation de l'aide extérieure américaine pour
contraindre les PVD à vendre leurs entreprises et leurs services publics. En 1985, la USAID
crée un centre pour la privatisation auquel succède, en 1990, un groupe de privatisation
internationale qui a pour fonction la privatisation du secteur public des pays d'Europe
Centrale et d'Europe Orientale. Au même moment, naissent et prospèrent des firmes de
consultants chargés de sous-évaluer les entreprises et les services publics à vendre dans le
monde. Pour ce faire, le FMI, la BM, la USAID, le Fonds Européen de Développement et
d'autres organismes sont donc chargés de faire entendre raison aux dirigeants des pays visés
par cette politique. Forts de leur pouvoir de persuasion et de l'appui de l'ensemble des pays
développés à économie de marché, ils ont beau jeu d'imposer leur politique aux PVD.
À ce titre, Daniel Holly a raison lorsqu'il soutient que « dans les relations entre les
pays industrialisés du Centre et ceux de la périphérie dépendante et sous développée ( ... ) ces
sociétés dépendantes et sous-développées subissent l'hégémonie du centre développé et
voient leur liberté d'action limitée, à des choix définis par le système, sous peine d'encourir
les sanctions de ces derniers» 114. On constate, en effet, que les pays qui refusent d'adopter les
recommandations du FMI éprouvent de graves difficultés à rééchelonner leur dette. De plus,
reconnaissons-le, le FMI dispose de moyens qui peuvent perturber sérieusement une
économie nationale. Les pays réfractaires sont placés sur une liste noire; le crédit à court
terme est bloqué, provoquant du même coup le gel du commerce international. Ce pouvoir de
dissuasion des institutions internationales, selon Anne Cécile Robel1, place un grand nombre
de PV 0 sous leur tutelle. Les cand idats aux fonctions suprêmes et les dirigeants actuels
passent tous par la case des bailleurs de fonds, dont ils doivent s'assurer le soutien ou la
113 SELYS, Gérard. Op.cit, p-13. Il'1 HOLLY, Daniel. Les Nations Unies et la mondialisation, Paris: L'Harmattan, 2003, p-19.
59
neutralité. La légitimité et la représentativité des élites proviennent moins de la population
que des organismes internationaux. Lors d'un débat au Parlement, un ministre sénégalais a
ainsi pu faire taire l'opposition par cette simple phrase: « Les bailleurs de fonds sont
d'accord »1Jj.
De fait, les politiques de privatisation exigées dans les politiques d'ajustement
structurel sont directement liées à J'exécution des obligations découlant du service de la dette.
«De 1992 à J 998, les pays du tiers-monde on dû vendre l'équivalent de 61,6 milliards de dollars de biens publics. Selon les recherches commentées par Paul Mosley, directeur de J'Institut de la politique de développement à l'Université de Manchester en Grande-Bretagne, jusqu'au début de 1986, seulement 13% des prêts d'ajustement structurel accordés par la BM à 21 pays moins avancés étaient expressément subordonnés à des cond itions imposant la cession d'entreprises publiques. Au début de 1992, toutefois, les propres chiffres de la Banque indiquaient que trois prêts d'ajustement structurel sur quatre étaient spécifiquement assortis de conditions exigeant la cession d'actifs
116 pu bl ' ICS»
Comme le démontre le tableau 7, de 1965 à 1980, l'apport de la BM aux
financements des entreprises d'alimentation en eau, d'électricité, d'industrie et de
télécommunication, qui sont pour la plupart des entreprises publiques, représentait en
moyenne 40 % de leurs budgets totaux. À partir de 1981 jusqu'en 1993, cet apport chute à
20,75 %. De 1994 à 2005, il ne représente plus que 10,75 %, de ce chiffre. Mieux, ce montant
va plutôt, dans la plupart des cas, à la gestion. Il est important de mentionner que, depuis
1994, le secteur de l'énergie a été fusionné avec le secteur des mines, l'eau avec la protection
de l'inondation et la télécommunication avec l'information. Par conséquent, il est désormais
difficile de déterminer la contribution exacte de la BM aux entreprises publiques. Cependant,
il n'en reste pas moins que leurs financements sont en chute libre pour se concentrer sur
d'autres secteurs devenus prioritaires aux yeux de la banque. Fait révélateur, depuis J994, de
nouveaux secteurs ont été rajoutés au budget de la BM, soit commerce et intégration, finance
et développement du secteur privé et gestion économique. Ces trois secteurs représentent en
115 ROBERT, Anne-Cécile. Rêve d'une « seconde indépendance sur le continent africain, dans « Du cauchemar à l'espoir ?», Le Monde diplomatique. P-13. 116 SELYS, Gérard. Op.cil,P-21.
60
moyenne 33,6 % du budget total et sont tous reliés directement à la libéralisation et la
déréglementation des économies des nationales concernées.
Tableau 7
Budget de la BM par secteur d'activité en pourcentage
Alimentation en eau Énergie (électricité) Industrie Télécommunication
196569 2
51 1,20 3,60
197074
7,80 26,80 8,50 3,50
197580
7,20 19 6
1,30
198185 6 17 3
0.4
198589 3 13 6
0,20
198790 3
11 9
0,20
199193
4,75 10,75 5,25
0
199397
199800
200103
200405
Commerce et intéÇJration Finance et développement du secteur privé Gestion économique Eau, assainissement et protection contre les inondations Énergie et mines 1nformation et communication Industrie et commerce Total 57,8% 46,6% 33,5% 26,4% 22,2% 23,2%
(source: Banque mondiale, Rapports annuels 1965-2006) 20,75%
2,30
25
8,40
11 5
0
3 54,7%
2,5
24
12
5,1
0
43,6%
2,3
18
10
3,60
0
1,50 35,4%
3,5
21
9,1
7 3,3
0,3
44,2%
1
De 1988 à 1992, les pays du tiers-monde ont vendu leurs entreprises d'État pOLir
l'équivalent de 61,6 milliards de dollars américains 117.
Fait notable, la majorité des entreprises d'État, dans les États périphériques vendues sont,
reprises par des firmes étrangères occidentales et non locales. On calcule que 86% des entreprises
publiques des États périphériques sont passées aux mains d'entreprises privées occidentales. Cette
117 SELYS, Gérard. Op.cit. p-19.
61
situation s'explique par la domination des firmes multinationales. Sur les 100 plus grandes firmes
transnationales dans le monde, 52 sont américaines, 12 japonaises et 32 européennes 118. Un tiers du
montant total mondial de l'IDE est concentré entre leurs mains. Ils possèdent entre autres des actifs
d'une valeur cumulée de l'ordre de 3.2 trillions de dollars américains. Un article de la revue Haifi en
marche, «Privatization: What the Haitian People Can Expect», affirme que pour la seule
année de 1991, la moitié des Il milliards de dollars d'investissements directs en Amérique
latine de la part de multinationales américaines est allée à l'achat d'entreprises d'État"'>.
Charles-Albert Michalet, dans Le capitalisme mondial, voit dans les privatisations,
une manière de fournir au capital occidental « des occasions inégalées d'intégrer les États
périphériques dans leurs réseaux globaux à un prix dérisoire l20 » et ce, grâce en partie à la
corruption. Mieux, un rapport de Transparency intemational, intitulé « Enforcement of the OECD
convention on Combating Bridery of Foreign Public Officiais », avance que plus de la moitié des
34 pays signataires de la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents
publics étrangers dans les transactions commerciales internationales n'appliquent pas les
dispositions de la Convention et ne respectent pas leurs engagements. Pour les auteurs de ce
rapport, une trentaine d'entreprises provenant toutes des plus grands pays industrialisés ont
versé des pots-de-vi n à des gouvernements extérieurs. Les fi 1iales des mu ltinationa les sont
également impliquées dans ces activités. Ce rapport cible aussi la pratique des contrats
officiels de type gré à gré, reconnus peu transparents. Ce type de contrats entre le secteur
privé international et les gouvernements est une garantie de discrétion, notamment vis-à-vis
des regards extérieurs, et permet « la fourniture de documents officiels attestant la légalité des
transactions ou au contraire, en aidant à dissimuler des opérations illicites l21 . »
Pour Michel Chossudovsky, de nombreux pays débiteurs sont ainsi simultanément incités
à mettre leurs sociétés d'État aux enchères. II s'agit « d'une véritable recolonisation permettant à
l'Occident de racheter les pays à rabais 122 » : cette avalanche de ventes fait chuter les prix à leur
118 CHESNAIS, Francois. Op.cil,p-47. 119 Haïti Info,. PrivaLizalion: Whallhe HaiLian People Can Expecl, Vol. 3, no. 10, 25 February 1995 120 M[CHALET Charles-Albert. Le capilalisme mondial, Presses universitaires de France, Paris, 1998.
p-164. 121 Ibid., p. 151. 122 CHOSSUDOVSKY, Michel. Op. cil, p-55.
62
plus bas niveau. Le capital international obtient ainsi le contrôle ou la propriété des entreprises
d'État les plus rentables à un prix dérisoire, en ne faisant pratiquement aucun investissement
réel. En liquidant ainsi les entreprises publiques, on augmente certes la production intérieure
brute, mais on n'augmente pas pour autant la richesse de la nation. Cette richesse apparente
se trouve amoindrie par le transfert des bénéfices réalisés vers les pays étrangers. Michalet
explique que:
« les institutions de Bretton Woods exigent le débauchage massif de salaires et la fermeture des entreprises d'État malades. Le vocabulaire de l'orthodoxie économique est volontiers médical: les sociétés d'État «souffrantes» sont soumises à un programme d'assainissement sous la surveillance de la Banque mondiale, phase préalable à la privatisation dans le cadre de la renégociation de la dette extérieure. Tout comme dans les procédures de faillite, les sociétés d'État saines d'Argentine et du Venezuela, par exemple, compagnies aériennes et de télécommunications incluses, furent achetées à un bon prix, non par des entreprises privées, mais par des sociétés d'État européennes .»m
Les privatisations des sociétés nationales africaines de coton sont la parfaite
démonstration de cette politique, on ne peut plus néfaste. Selon Olivier Plot, dans Paris brade
le coton subsaharien, la Compagnie française pour le développement des fibres textiles
(CFDT), une société publique dont l'État français est actionnaire majoritaire, jouit depuis la
fin de l'époque coloniale, d'un quasi-monopole dans le rachat de la totalité des récoltes des
pays de l'Afrique francophone. Elle a bénéficié de tous les rachats des entreprises étatiques
cotonnières et à renforcé sa position en acquérant une participation majoritaire dans de
nombreuses entreprises. Ainsi, 52 % de la Société de développement des fibres textiles
(Sodefitex) au Sénégal, 51 % de la Société cotonnière du Gourma (Socoma) au Burkina Faso,
60 % de la Gambia cotton Company (Gamcot) en Gambie, 90 % de Hasy Malagasy
(Hasyma) à Madagascar, 60 % de la Société méditerranéenne du coton (Somecoton) en
Algérie, pour ne citer qu'elles, passent sous son contrôle. Il faut reconnaître que tous ces
rachats sont pOUliant en profonde contradiction avec l'idéologie dominante des organisations
internationales qui préconise l'achat d'une entreprise publique par le secteur privé et non le
contraire. De plus, fait surprenant et révélateur, Je processus qui a accompagné les ventes des
entreprises cotonnières s'est déroulé sous l'œil vigilant des organisations internationales et
selon les normes habituelles soit, les audits financiers, les appels d'offres, etc.
123 Ibid, p-28.
63
2.6. Statistiques descriptives et analyse de la performance des entreprises rH"ivatisées
Comme nous avons pu le constater, les pol itiques de privatisation sont l'objet d'une
forte contestation dans le mi 1ieu académ ique. Fait intéressant, des études scientifiques et de
nombreux cas d'échecs de privatisation leur donneront raison.
Cependant, bien que les entreprises d'État poursuivent des objectifs différents de ceux
du secteur privé et parfois incompatibles avec la rentabilité, il n'en demeure pas moins que la
grande majorité des entreprises publiques dans les PVD ont échoué dans leurs efforts à
générer des profits qu i puissent être réi nvestis dans la collectivité. Elles con tri buent ainsi à
creuser davantage le déficit budgétaire des gouvernements concernés. Les tensions sur les
finances publiques de ces pays, dues aux énormes déficits budgétaires, compromettent
considérablement les politiques de développement des gouvernements. Il est clair que cette
situation ne peut pas perdurer. Mais la privatisation des entreprises publiques est-elle
vraiment la solution?
Les privatisations, certes, peuvent parfois favoriser un regalll de l'économ ie et
constituer dans certaines conditions un effet d'entrainement pour la dynamisation du secteur
privé et par conséquent, stimuler l'économie. C'est notamment le cas des pays développés où
certaines privatisations se sont soldées par des succès financiers. Le cas de Pétro-Canada en
est un exemple, né des efforts du gouvernement canadien de nationaliser le commerce du
pétrole pendant les années 1980, afin d'avoir une part de contrôle sur les prix pratiqués par
l'industrie. Cependant, après l'arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur du premier
ministre Brian Mulroney, celui-ci s'empresse, à partir de 1991, de privatiser graduellement
l'entreprise, aux prises pendant plusieurs années avec un lourd déficit. Aujourd'hui cette
entreprise, en 2008 a réalisé des revenus de 18 milliards de dollars américains et a augmenté
considérablement sa part de marché. Du même coup, le gouvernement fédéral, par l'entremise
de ses impositions fiscales et des 15 % de parts qu'il possède dans l'entreprise, a engrangé
d'énormes profits. Il y a également, les cas d'Air Canada et de Telus (entreprise de téléphonie
cellulaire propriété du gouvernement albertain) qui, une fois privatisées, ont connu une
hausse marquée de leurs chiffres d'affaires et de leurs parts de marché.
64
Malheureusement, les privatisations dans les PVD sont loin d'avoir connues de telles
réussites. Comme le souligne Sanni Yaya, les privatisations ont été abordées avec
empressement et sans véritable planification dans un cadre macro et micro-économique de
développement, et sans une prise en compte des capacités réelles d'absorption du secteur
privé. En raison du manque de ressources financières, les PVD ont peu de marge de
manœuvre face aux exigences des bailleurs de fonds. Leur seule alternative est la
privatisation qui devrait leur permettre de bénéficier de nouveaux rééchelonnements de leurs
dettes ou de nouvelles aides financières. Les organisations internationales ont privilégié une
approche à court terme.
Njoya Ibrahim, dans Les entreprises nouvellement privatisées en Afrique, indique que
d'une pari, ces entreprises réalisent des investissements peu import~nts et souffrent d'une
absence de planification stratégique à long terme et que, d'autre part, les résultats enregistrés
par les entreprises privatisées restent très limités, à l'égard de l'importance et de l'envergure
des problèmes économiques immédiats et des objectifs à moyens et longs termes, relatifs à
une structuration adéquate des apparei Is de production des dites entreprises.
Une étude réalisée par Sanni Yaya sur le sujet permettra d'étayer les propos
précédents. L'auteur, dans son étude, a procédé à l'échanti 1I0nnage de 51 entreprises, toutes
situées en Afrique occidentale, triées de la façon suivante: un premier groupe est constitué de
l'ensemble des secteurs primaires (activités productrices de matières premières non
transformées, soit l'agriculture, la sylviculture, la pêche, la foresterie et l'exploitation minière)
et secondaires (industrie, bâtiment, travaux publics, et l'ensemble des activités consistant en
une transformation plus ou moins élaborée de produits matériels et immatériels), et un
deuxième groupe comporte les entreprises évoluant dans le secteur tertiaire (commerce,
banque, assurances, transport, services aux paIiiculiers et aux ménages et les activités de
pointe).
Ce nombre élevé d'entreprises incluses dans l'échanti lIon augmente considérablement
le degré de représentativité et, par conséquent les résultats qui découlent de cette étude sont,
sans aucun doute, très représentatifs de la situation qui prévaut dans la grande majorité des
65
pays périphériques.
Afin d'évaluer les performances des entreprises privatisées en termes de rentabi 1ité,
l'auteur a vérifié, au moyen d'outils de mesure des variables, 3 hypothèses présentées dans le
tableau 8. Ce sont des hypothèses qui sont généralement défendues par les auteurs en faveur
des privatisations.
Tableau 8
Principales hypothèses à vérifier Indicateurs Outils de Résultats prévisionnels de mesure des performance variables
(ROS) HI. L'entreprise privatisée est plus rentable que Rendement sur l'entreprise publique parce que le propriétaire privé, ventes = Profits ROSap> ROSav pouvant faci lement vendre ou échanger ses droits de nets/ ventes propriété, se préoccupe davantage de préserver voire d'augmenter sa qualité ou la performance de son bien (Ehrlich, Gallais Hammonnd & Lutter, 1990). Par ailleurs, la privatisation est un moyen de transformer l'entreprise Rentabilité (ROA) publique en situation sous optimale en une entreprise plus Rendement sur ROAap> ROAav rentable (Boycko, M., Shleifer, A. & Vishny, R. W., 1996 actifs = Profits ; Attiat, F. O. & Hartle, K., 1991) nets/ Actif total
(ROE) Rendement sur capitaux propres ROEap> ROEav = Profits nets/ avoirs des actionnaires
H2. Une fois privatisées, les entreprises ont généralement tendance à augmenter leur degré d'efficacité. De même, l'entreprise étant désormais exposée au risque de fai Il ite, SALEFF (sales sa gestion devrait être plus efficace. Ainsi, les nouveaux Efficacité efficiency) = propriétaires privés sont plus stimulés par la maximisation Ventes net / actif SALEFFap> SALEFFav du profit que les gouvernements ne le sont (Barberis, total net Boycko, Shleifer et Tsukanova, 1996). Les nouveaux managers sont en outre sélectionnés selon leur habileté à accroître l'efficacité de l'entreprise.
66
H3. Si la privatisation s'accompagne d'une Investissement CESA (dépenses déréglementation ou d'une ouverture du marché (ce qui d'investissement) CESAap > C ESAav est généralement le cas), les entreprises nouvellement = Capital/vente privatisées devront augmenter leurs dépenses et d'investissement pour se développer et rester CETA (dépenses compétitives. La hausse des investissements devrait d'investissement) permettre de relancer la production à un niveau supérieur = Capital/total CETAap > CETAav à celui observé quand l'entreprise était sous le contrôle de des actifs l'Etat (Plane, 1999 ; Perotti & Guney, 1998).
(source: YAYA, Sann!. L'économie politique de la privatisation et de la désétatisation, Montréal: Université du Québec à Montréal, 2004, p- 175)
Sur la base des « hypothèses à vérifier» du tableau 8, les résultats du test de
significativité, illustrés au tableau 9, indiquent d'une part que de façon globale, « les
entreprises n'ont pu améliorer leur performance en termes de rentabilité, la moyenne des
divers ratios (ROS, ROA) étant demeurée négative, même après la privatisation» 124. D'autre
part, les résultats démontrent que 50.98 % et 47.06 % des 51 entreprises sont parvenues à
amél iorer leur performance en termes de rendement sur les capitaux propres (ROE), et ce,
pour une augmentation moyenne de 0.002 %. Ce résultat indique que « l'amélioration de la
rentabilité cumulée (ROS, ROA et ROE) des entreprises demeurent relativement faible après
leur cession au secteur privé »125. Toujours au tableau 9, l'indicateur d'efficacité qui est
mesuré par le rapport entre la vente et l'actif total net ( Sales Efficiency) indique une
augmentation moyenne dans la période post-privatisation de 0.04%. L'amélioration de ce
ratio durant cette période est observée dans 56,86% des 51 entreprises, « là encore, il faut
préciser que le rapport des ventes sur les actifs totaux n'est pas significatif tel que démontré
par le test de significativité ( ... ) puisque les différences entre les valeurs ex ante (avant
privatisation) et post privatisation ne sont pas assez importantes et révèlent une fois encore,
que les effets de la privatisation sur l'efficacité des entreprises privatisées de notre écl1anti lion
sont relativement faibles »126.
124 YAYA, Sanni. Op. cil, p-I7I. 125 Ibid., p-171. 126 Y AY A, Sanni. Op.cit, 171.
67
Tableau 9 (source: YAYA, Sanni. L'économie politique de la privatisation et de la désétatisation, Montréal: Université du Québec à Montréal, 2004, p- 191)
Variables Moyenne Moyenne Vuiation Nombre % d'entreprises Test-t de Avant après moyenne d'entreprises respectant la significativité
(Médiane) (médiane) (médian ne) prévision bilatérale Rendement sur 0.1071 0,1472 51 50.98% 0.203 les ventes (ROS) 0.040
(0.0841 ) (0.1144) (0.0303) Rendement sur 0,0456 0.0983 0.0527 51 47.06% 0.105 les actifs (ROA)
(0.0399) (0.03337) (-0.0002) Rendement sur 0,13) 5 O. J595 0.028 5\ 54.90% 0.\65 les capitaux propres (ROE)
(0.1298) (0.\318) (0.002)
Sales Efficiency 0,4073 0.4316 0.0243 51 56.86% 0.562 (efficaci té)
(0.3895) (0.3997) (0.0102) Dépense en investissement Capital 0,0539 0,0782 0.0243 51 41.18% 0,020 expenditures divided by sales
(0.0252) (0.0646) (0.0122) Capital 0,0316 0.0554 0.0238 51 52.94% 0,242 expenditures divided by Total Assets
(0.0252) (0.0274) (0.0022)
Les résultats préalablement obtenus dans le cadre de cette étude nous démontrent
clairement que les multinationales étrangères, malgré tous leurs moyens financiers et le
soutien massif dont elles bénéficient de la part des grandes instances internationales, ont
échoué jusqu'à maintenant, dans leurs tentatives de prouver qu'ils pouvaient faire mieux que
les entreprises publiques. D'autres constats ressortent également des politiques de
privatisation menées jusqu'à maintenant dans les PVD. C'est notamment le cas en ce qui
concerne les impacts directs sur les populations. La mauvaise redistribution des richesses
provenant des privatisations par les monopoles privés étrangers, la privatisation de certains
68
secteurs vitaux et stratégiques de J'économie nationale, la distribution équitable des revenus et
la capacité de la population à absorber les hausses de coûts, qui sont monnaie courante, sont
autant de difficultés et de problèmes que posent les privatisations. Les cas de nationalisation
d'entreprises du secteur privé des services publics vitaux tels que l'électricité et l'eau
abondent. En voici quelques exemples:
- Au Mali, suite à la vente des entreprises d'électricité et d'eau du Mali au groupe
français Bouygues, à la fin des années 90, les tarifs de ces deux secteurs ont bondi de 60%,
entre 1998 et 2002, en raison, selon la multinationale, des coûts reliés à la construction de
nouvelles infrastructures. Une hausse fulgurante des mauvais payeurs s'en est suivie, mais
surtout, la colère populaire a commencé à se faire entendre sur cette hausse de prix. Par
conséquent, le gouvernement malien s'est vu obligé de contracter un prêt de II millions
d'euros auprès des institutions internationales afin que Bouygues puisse baisser les tarifs de
10% en 2003. En 2007, le gouvernement malien décide de renationaliser l'entreprise d'eau et
d'électricité, ce « qui n'a pas plu au FMI. Début novembre, une délégation de Washington
s'est rendue à Bamako pour exiger des explications »127.
- Le même scénario s'est déroulé en Guinée aussi. En 1989, la multinationale
française Vivendi achète l'organisme d'Étal qui s'occupe de la gestion de l'eau. Au début de
l'acquisition, le prix du mètre cube était de 0.12 cent américain. Cependant, suite à des
investissements dans le réseau, Vivendi décide d'augmenter le prix à 0.83 cent américain le
mètre cube. Afin de combler cette hausse, la BM décide pendant un certain temps d'accorder
des prêts à l'État guinéen afin que celui-ci puisse subventionner cette hausse. Après quatre
années, la BM décide de mettre fin au financement du secteur. Une fois le bail arrivé à
échéance, en 1999, le gouvernement guinéen décide de ne plus renouveler la concession
accordée à Vivendi et opte plutôt pour une nationalisation de son secteur d'eau.
- En Bolivie, le 13 janvier 2005, suite à une mobilisation massive des habitants de la
ville d'El Alto, le président bolivien, fort d'un décret adopté par les députés, décide de mettre
127 PEREZ, Benito. Le Mali reprend à Bouygues le contrôle de l'eau et de l'énergie ,Planète Bleue.info, dimanche 13 novembre 2005, htt :f/eau.a inc.oro/s i . h '?article 422#.
69
fin à la concession de 30 ans accordée à la compagnie française Suez des Eaux. En raison que
la filiale de cette dernière Aguas Del 1Iiimani n'avait pas suffisamment investie dans le
réseau. De plus, au début du contrat, les tarifs ont augmenté de 19 %. Le coût du
raccordement a, quant à lui, augmenté de 33%. Alors que la loi bolivienne interdit la
dollarisation des tarifs, l'entreprise a tout de même indexé les tarifs en dollars l28 .
- Au Tchad, la société tchadienne d'électricité et de l'eau (STEE) à été privatisée et
c'est Vivendi qui a eu le contrôle pour 30 ans. L'agence française de développement et la BM
ont débloqué respectivement 4.5 et 8.8 millions de dollars américains pour mener à bien le
processus de privatisation. Sauf que Vivendi, qui avait consenti à geler les prix, s'est
rapidement plaint des infrastructures insuffisantes et a donc demandé davantage d'aides
financières au gouvernement pour développer les infrastructures, et ce, à partir des profits
dégagés pal" la raffi nerie de pétrole Farcha, une propriété de l'État. Ce que le gouvernement
tchadien a refusé en août 2004. Vivendi décide de mettre fin au contrat. Parallèlement, le
groupe a décidé également de mettre un terme au contrat qu'elle a signé avec Porto-Rico et
les Philippines pour les mêmes raisons que celles du Tchad. Une nouvelle tendance se
dessine. Selon Anne-Valerie Hoh dans le Monde diplomatique, les multinationales comme
Vivendi, Saur, Bouygues et Veolia, qui sont de moins en moins attirés dans les secteurs de
l'électricité et de l'eau dans les PVD, « un mouvement général de retrait des sociétés,
multinationales, issues des pays en développement s'entame au profit de l'Europe, des États
Unis el des grands pays émergents d'Asie, l'Inde et la Chine» 129.
- D'autres cas de renationalisation ont été répertoriés, tels que les cas du Venezuela,
de l'Argentine, de J'Équateur du Mozambique, du Gabon, etc. Donc, il est clair que les
secteurs de l'électricité et de l'eau ayant fait l'objet de privatisation ont, dans la majorité des
cas, abouti à de cuisants échecs puisque le secteur privé a démonté, malgré les soutiens
128 CADMT, Comité pour l'annulation de la dette du Tiers-monde. Sous la pression populaire, le président bolivien metfin à la présence de Suez en Bolivie, http://www.cadtm.org/Sous-Ia-pressionpopulaire-le 129 Le monde diplomatique. « L'Afrique n'est plus l'eldorado des entreprises française», février 2006.
p-2.
70
financiers massifs des organisations internationales, son incapacité de maintenir des pnx
abordables pour la majorité des populations desservies.
Les chapitres précédents nous ont montré que le développement des entreprises
publiques, tout comme leurs privatisations, en dehors du rapport de force entre les PVD et
les bailleurs de fonds, contribuent au maintien système. Dominé par les propriétaires des
moyens de production, ce système évolue et change, on pourrait presque dire selon les
exigences de l'accumulation du capital. Comme nous l'avons vu, les privatisations des
entreprises publiques sont loin d'être une panacée pour les PVD en général et Haïti, en
particulier. Mais, avant d'aborder la discussion du cas patticulier d'Haïti, il n'est pas sans
intérêt de présenter rapidement les divers modes de privatisation.
2.7. Les méthodes de privatisation
Privatiser n'est pas uniquement, du mOins théoriquement, relié à la vente d'une
entreprise d'État au secteur privé. En fait, il existe plusieurs méthodes de privatisation. Le
choix varie en fonction du pays, de la nature de la transaction, du secteur d'activité visé, des
objectifs poursuivis, de la taille de l'entreprise, de la situation générale de celle-ci et de l'état
de l'économie. Parmi les formes courantes de privatisation uti 1isées, nous distinguons
généralement la restitution, la vente directe et les émissions d'actions, le rachat de
l'entreprise par ses cadres et salariés et la privatisation en masse.
La restitution est une méthode de privatisation qui consiste pour l'État à restituer à
une société privée qui en était le propriétaire, des actifs qu'il s'est appropriés à la suite d'une
action considérée comme injuste, par exemple une saisie non compensée.
L'objectif visé par les ventes directes et les cessions d'actions, est de vendre les
actifs de l'État à des investisseurs externes, ceux-ci devenant ainsi actionnaire majoritaire.
Cela peut se faire soit par appel d'offres ou par des négociations directes. Les gouvernements
71
attendent de cette initiative trois types de gains: des revenus pour l'État, l'apport rapide de
compétences extérieures et la probabilité d'une gestion extérieure plus efficace. Cette
technique est généralement utilisée pour les entreprises où la structure financière
déséquilibrée et le redressement nécessitent des moyens importants. 110
Les investissements privés en expansion ou réhabilitation permettent d'injecter du
capital privé dans l'entreprise et d'améliorer sa production et sa productivité sans mettre à
contribution les ressources publiques. Ils conduisent naturellement à diluer la part de l'État et
donc à partiellement privatiser l'entreprise. Ceci suppose que l'entreprise a été préalablement
convertie, au besoin, en société anonyme mixte. III
Les ventes d'actifs de gré à gré permettent de transférer au privé la partie exploitable
de l'entreprise, sans vendre l'entreprise elle-même. Le nouvel acquéreur n'a pas à hériter de
la dette et de plus, cela lui permet d'acquérir la partie la plus rentable de l'entreprise soit la
machinerie, les profits engendrés par la vente du profit final, le réseau de distribution et de
transformation. m
Le contrat de concession du type Build, Own and Tranfert (BOT) confie à un groupe
privé la construction ou l'exploitation d'une entreprise publique, sur une période déterminée
et selon des conditions établies entre les deux parties, et ce, dépendamment des risques que
représentent le projet. Dans certains cas, cette entreprise privée peut être amenée à financer à
100% la modernisation ou la construction, s'il y a lieu, de l'entreprise. Dans d'autres cas, on
peut assister à un partage équitable des coûts. Autrement dit, après une certaine période,
généralement entre 25 et 30 ans, l'État devient acquéreur à 100%. Ce type de contrat est
largement utilisé pour les entreprises nécessitant d'importants moyens financiers, comme les
entreprises de production électrique, de minerai, etc. et est uti lisé la où règne une forte
croissance économique soutenue et étalée sur plusieurs années. m
1.10 YAYA, Sanni. Op.cit, p-85. 131 Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP). Possibilités économiques et
privatisation, Editions La Ruche, Port-au-Prince Haïti 1996., p-64. 132 Ibid, p-64. 133 Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP). Op. cil, p-63.
72
La vente publique d'actions, comme son nom l'indique, est la vente d'actions
consiste à vendre les actions d'une entreprise publique à la population. Ce type de
privatisation se fait en général pour des entreprises profitables, dont l'information financière
est disponible et fiable. JJ4
Le rachat de l'entreprise par ses cadres et salariés confère à cette approche l'avantage
d'être réalisable et politiquement populaire. Elle est en outre rapide et facile à appliquer. Un
rachat bien structuré peut générer des résultats bénéfiques, comme ce fut le cas au Brésil et au
Pérou où les employés de plusieurs usines de transformation étatique ont racheté les
entreprises, car les motivations des salariés et des propriétaires étaient les mêmes. Ce mode
de privatisation concerne les entreprises de taille réduite, généralement viables, ne faisant pas
appel à des processus technologiques complexes et dont la valeur du patrimoine foncier et
immobilier est modeste. Néanmoins, selon Yaya, l'expérience montre que ces rachats
présentent de sérieux inconvénients. Les actions des entreprises gérées par leur personnel
montrent qu'il leur arrive d'accorder des hausses excessives de salaires, de maintenir un
niveau d'emploi trop élevé et de ne pas suffisamment investir. 115
En revanche, la privatisation en masse est la distribution par l'État, généralement
gratuitement ou par le versement d'une somme modique, de coupons qui peuvent être utilisés
pour acheter des actions dans des entreprises. La privatisation par émission de coupons est
l'un des moyens de résoudre le problème de la pénurie de capitaux intérieurs. l,ô
Au-delà des méthodes de privatisations énumérées précédemment, d'autres méthodes
subsistent. En voici quelques-unes:
Les fidéicommis: ils se réfèrent aux privatisations effectuées par transfert des actions d'une
entreprise publique à un mandataire chargé de leur revente, à une date ultérieure ou une
période donnée, au public ou à certains segments du public.
134 Ibid, p-63. 135 YA YA, Sanni. Op. Cil, p-85. 136 Ibid, p-86.
73
L'introduction en bourse: elle consiste à vendre des actions en partie ou en totalité, à des
particu 1iers ou des institutions financières; les titres peuvent être ensu ite négociés sur le
marché des valeurs mobilières.
Les liquidations: l'État vend l'ensemble des actifs de l'entreprise, ce qui lui permet de régler
les impayés après quoi, l'entreprise cesse toute activité.
Les sociétés en participation: il s'agit d'une entreprise détenue conjointement par les secteurs
privés et publics, établie dans le but de mener à bien un projet qui bénéficie aux deux parties.
Le contrat de gestion: au terme d'un tel contrat, une entreprise privée est désignée par l'État
pour fournir des services de gestion souvent à un prix forfaitaire.
Le contrat bail: c'est un accord écrit par lequel le propriétaire d'un bien permet à un locataire
d'utiliser ce bien contre paiement d'un loyer pendant une période donnée.
Chapitre III : Dilemmes et enjeux des privatisations des entreprises publiques pour
l'État haïtien
En référence des éléments soulevés au chapitre 2, le sort des entreprises publiques haïtiennes
semble, à première vue, totalement prévisible. D'un côté, nous avons les organisations
internationales, fortes de leurs mandats de garants de la globalisation du capital et de l'autre côté,
l'État haïtien dépourvu de richesses stratégiques, et d'institutions fiables et solides, et de ce fait
grandement dépendant de l'aide économique extérieure. Ce rapport de force inégal présage une
privatisation inéluctable de toutes les entreprises publiques dans ce pays. Ce chapitre propose
d'analyser l'enjeu et les dilemmes des privatisations des entreprises publiques pour l'État haïtien et
les perspectives d'avenir pour celles-ci dans un système international globalisé. Cependant avant
d'aborder le sujet, nous brosserons un tableau général de l'économie haïtienne et de son influence
dans le processus de privatisation.
3.1. Portrait général de l'économie haïtienne
3.1.1. Une crise économique aigüe
Les développements précédents l'ont montré clairement, l'échiquier international
connaît de profonds changements marqués par: des crises économiques, la fin de la
bipolarité, la crise de la dette, la fin de l'approche développementaliste, la domination de
l'idéologie néo-libérale dans les instances internationales, les politiques d'ajustement
structurel et l'affaiblissement du rôle de ['État dans ['économie. Ces développements auront
des répercussions directes sur l'État haïtien, entre autres, selon Corten, à cause de l'effet de
transnationalisation de J'économie haïtienne, ce qui place cette dernière dans une grande
vulnérabilité face aux soubresauts de J'économie mondiale. À la même époque, Haïti traverse
une crise économique importante. Dans le cas d'Haïti, J'endettement n'est aucunement à l'origine de
la crise:
« il n'y a pas de crise d'endettement en Haïti. Cette mise en garde est nécessaire parce qu'il existe une tentation très forte (... ) à forcer l'économie
75
haïtienne à rentrer dans le schéma latino-américain (... ) la dette extérieure rapportée au montant total des entrées de capitaux donne pour le début des années 1980, un taux de 29% pour Haïti à côté des 108%, 162% et 88% respectivement pour les 7 grands pays latino-américains (l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Mexique, le Pérou et le Venezuela), la Jamaïque et la République Dominicaine )}137.
La dette totale d'Haïti, en ]982, s'élève à 396 millions de dollars américains, soit un ratio
de service de la dette de Il,2%. Notons que pour la République Dominicaine et la Jamaïque, la
proportion de celle-ci par rapport au PIB, à la même époque, est respectivement de J8,2% et
26,7%138.
Cette crise économique est due à la chute du pnx des matières premières sur les
marchés mondiaux. Et, compte tenu de la forte dépendance de l'économie haïtienne, les
conséquences directes et indirectes se font sentir immédiatement. La récession mondiale de
1980-82 s'est accompagnée d'une perte de marchés pour les produits d'exportation d'Haïti.
En effet, alors que durant la période 1976-80 les exportations des produits manufacturés ont
été multipliées par J.04 ; durant celle de 1981-85 le coefficient multiplicateur est tombé à
I.JI. Pour les produits traditionnels d'exportation comme le café, le cacao et le sucre, les
distorsions ont été plus importantes. Par exemple, uniquement pour le café le prix a chuté de
JJ % en 1981 par rapport à 1980. D'autre part, l'augmentation des coûts de production
affecte la compétitivité du secteur agricole au bénéfice des produits importés. La hausse de la
contrebande et du coefficient d'importation y contribue certainement:
« Ce nouveau paramètre va mettre sérieusement en difficulté les paysans travaillant dans la production alimentaire. Le maïs, le haricot et surtout le riz importé sauvagement de Miami ont fait une concurrence déloyale aux substituts locaux dont la faible compétitivité est apparue au grand. Ne pouvant soutenir cette concurrence certains producteurs ont dû abandonner la production rizicole pour se reconvertir ai lieurs ou pour rentrer de façon plus nette dans un processus de paupérisation en prenant la route de Portau-Prince)} 139 .
Mais, plus significative est la chute du taux de croIssance de la production
137 ibid, p-56. 138 CADET, Charles L. Op. cil, p-56. '39 ibid, p-27.
76
industrielle et agricole d'environ 30% pour le marché externe durant la période 198\-\985, et
de 30% à 40% pour le marché interne. De plus, de nombreuses usines et atel iers fermeront
leurs portes, entraînant ainsi d'importantes pelies d'emploi. Des 250 usines produisant pour
J'exportation en Haïti vers la fin des années 80, il en reste moins de 50 aujourd'hui. Entre 50
000 et 60 000 ouvriers perdront leur emploi dans ce secteur. Les exportations haïtiennes de
textile vers les États-U nis tombent de 65%. En 1981, le PIB global accuse une chute
d'environ 3 % et de cette dernière date à 1985 la stagnation sera la règle avec un taux moyen
de décroissance de -0,5 %. D'autres facteurs enveniment la crise. Notons à ce sujet le passage
du cyclone Allen en 1981, qui laisse derrière lui des dégâts considérables tant au niveau des
infrastructures que de la production agricole.
Hormis, les questions liées à la contrebande et aux importations, l'agriculture
haïtienne connait une crise structurelle également. Elle souffre, entre autres,
« de l'absence de technologie appropriée, du manque de formation de la main-d'œuvre (80 % des producteurs sont analphabètes), de la faiblesse des investissements, d'une mauvaise répartition des terres, des problèmes de circulation des entrants et des produits, de la faible rémunération des travailleurs, d'une érosion généralisée des sols et enfin de la domination du marché international» 140.
Il n'est pas surprenant, dès lors, que l'agriculture soit incapable de répondre nourrir
adéquatement à la satisfaction des besoins alimentaires de la population: «Haïti ne produit
que 50 % de ses produits alimentaires »141.
Le secteur touristique n'échappe pas non plus à la crise. Durement touché par la
conjoncture économique difficile, il sera « victime de l'image négative d'Haïti à l'étranger
(sida, insalubrité, bidonvilisation de la capitale et la dégradation de l'infrastructure touristique
et d'hôtellerie ( pénurie de chambres ...) »142. D'autre part, il yale contexte politIque qui ne
favorise pas les activités touristiques (insécurité, instabilité politique). Depuis la fin de la
dictature en 1986, une succession de régimes, militaires pour la plupart, prennent le pouvoir
laissant derrière eux dilapidation des ressources de l'État, désintégration des institutions
140 DOURA, Fred. Op.cil, p-32. 141 Ibid., p-33 142 CA DET, Charles L. Op. cil, p-56.
77
étatiques, et émergence d'un narco-État. Voilà qUI ouvre la vOIe à une intervention des
organisations financières internationales.
3.1.2. Une rigueur budgétaire imposée
Dans l'ensemble, cette situation entraîne pour l'État haïtien, en termes
macroéconomiques, un creusement accru du déficit budgétaire, une dévaluation de la
monnaie et une hausse vertigineuse du taux d'inflation. Cette détérioration catastrophique
pousse les institutions internationales et les pays donateurs impl iqués en Haïti à élaborer, en
1987, un premier programme pour stabiliser les finances publiques, améliorer les services à la
population, et surtout mettre en application un plan de rétablissement économique.
Conformément à un accord intervenu avec les bailleurs de fonds, le gouvernement
haïtien, à partir de 1987, élimine les taxes à l'exportation sur le café, le cacao, le sisal et les
huiles essentielles, décrète l'abolition des monopoles et des privilèges accordés à la Minoterie
et au Ciment d'Haïti, et procède à la privatisation de l'entreprise Nationale des Oléagineux
(ENAOL) et de l'usine Sucrière de Darbonne, toutes deux aux prises avec d'importants
problèmes de déficit budgétaire causés en grande partie par la chute de prix des matières
premières. L'Usine sucrière de Darbonne est cédée à lin regroupement de producteurs de
sucre pour une somme nominale. Faute de soutien financier pour l'entretien de la machinerie,
l'entreprise est contrainte de fermer ses portes. L'ENAOL de son côté, ne se limite
désormais, qu'à la location de ces six réservoirs d'huile à une compagnie nommée: l 'U\'Îne à
mantèque, une filiale de Standard Fruit & Steamship Co. of Haiti (la famille Brandt, parmi
les plus riches d'Haïti, en est le propriétaire) pour la modique somme de 17400 dollars
américains par année. L'État haïtien s'engage également à ne plus créer de nouvelles
entreprises industrielles et commerciales l43 • Les experts de la BM croyaient que: « With
reforms, a sustained real rate of economic growth of about 3-4 percent a year is feasible for
the rest of the 1980s, and would lay the basis for faster expansion in the 1990s» 144.
14.1 DELlNCE, Kern, L'insuffisance de développement en Haïti. Blocages et solutions, Pegasus books, Plantation, Floride, USA. 2000, p.167.
144 BM. Haïti public expenditure review volume Il appendices, World Bank, Washington, D.C, 1986, p- XIII.
78
Malheureusement, cela ne s'avère pas. Comme nous le verrons plus loin, l'économie haïtienne
se dégradera davantage au cours des années suivantes.
Cet accord est la prémisse d'une longue série d'études et de rapports, tous dans le
même sens: renforcer l'insertion de l'économie haïtienne dans l'économie mondiale, la
privatisation des entreprises d'État y jouant un rôle de premier ordre, vu qu'elle permet un
désengagement de l'État au profit du secteur privé provenant en grande partie des pays
développés à économie de marché.
Or, à l'exception d'un nombre limité d'entreprises publiques, soit l'Entreprise
Nationale des Oléagineux (ENAOL), les usines Sucrière Nationale de Darbonne et du Nord,
les principales entreprises d'État haïtiennes ont été peu touchées par la crise économique.
Malgré la corruption généralisée, la mauvaise gestion et une administration politisée, la
Teleco, l'EDH, la Minoterie, la CAMEP, l'APN, l'AAN et le Ciment d'Haïti ont toujours
maintenu, depuis leur création, des profits nets stables pour certaines et en augmentation pour
d'autres, et ce, jusqu'en 1991 (tableau 2). Cependant, ces faits n'ont pas eu d'effet sur la
conviction des bailleurs de fonds, que les entreprises publiques haïtiennes doivent
impérativement être vendues au secteur privé.
Ironiquement, la BM et le FMI avaient approuvé le Plan quinquennal de 1986-1991
soumis par le gouvernement de Jean-Claude avant sa chute. En gros, ce plan préconisait le
maintien du caractère public de toutes les entreprises publiques à vocation industrielle ou
commerciale. La BM conseille même à l'État haïtien, en 1985, d'investir dans la construction
d'une nouvelle centrale hydro-électrique: « its investment program, centering on the
construction of the Artibonite 4C hydro project, is reasonable and well-balanced, and should
not prove difficult to finance»145. Un budget a même été alloué à cet effet. Or, selon Kern
Delince,
« le changement de régime politique intervenu au début de J986 conduit à un revirement subit de la politique nationale à l'égard de la planification et
145 World Bank. Public expenditure review, dans « A world bank country study ». The Wold Bank, Washington, D.C., USA, p. XVII.
79
des entreprises publiques. Présenté au nouveau gouvernement provisoire par la BM et le FMI, un programme d'ajustement et de redressement intérimaire se substitue au Plan quinquennal de 1986-1991, abandonné sans avoir connu un commencement d'exécution»146.
Comment expliquer ce revirement des bailleurs de fonds? La réponse se trouve sans
doute dans le fait que le régime de Duvalier jouissait du soutien inconditionnel des États
Unis. Car tout au long de son mandat Jean-Claude Duvalier contrairement à son père, était
considéré comme un bon élève de la pax Americana
« imposé à l'ensemble de l'Amérique latine et plus particulièrement aux pays du bassin des Caraïbes. Cet ordre nouveau a pour objet fondamental la sauvegarde des intérêts politiques, économiques et stratégiques des États-Unis ( ... ) elle se fonde d'une part sur l'alliance avec les forces traditionnelles et conservatrices (h iérarchie pol itique, force armée et patronat), d'autre part sur l'opposition systématique aux courants national istes et progressistes» 147.
Surtout dans une région où les idées socialistes et les remises en question de l'hégémonie
américaine étaient vives à l'époque, comme en témoigne les développements suivants: forte
popularité de la théologie de la libération dans les masses populaires, prise du pouvoir des
sandinistes au Nicaragua, intervention militaire des États-Unis en 1983 sur l'île de la Grenade
pour mettre fin au régime pro-cubain, etc. Les privatisations, surtout intégrées, depuis 1982,
dans la plupart des programmes d'appui des budgets pour beaucoup de PVD surtout ceux de
l'Amérique latine, n'ont été imposées à l'État haïtien qu'après le départ de Duval ier en 1986.
Donc, bien qu'Haïti n'entre pas dans le schéma type des pays aux prises avec des problèmes
de surendettement, que la majorité de ses entreprises publ iques étaient en général profitables en plus
d'être un outil économique important de la politique économique de l'État, la faiblesse généralisée
de l'État haïtien oblige celui-ci à se plier aux politiques de privatisation prônées par les
bailleurs de fonds internationaux pour obtenir les fonds nécessaires à son développement.
146 DELINCE, Kern. Op. cil, p.23 147 Ibid, p.176
80
3.2. Une dépendance financière écrasante: Le poids des organisations internationales et
des autres intervenants
Pour la classe dirigeante haïtienne, l'enjeu des privatisations est de taille, car Haïti
répond aux caractéristiques d'un État faible. En effet, d'après les données de 2008, l'aide
extérieure à Haïti représente 87% du budget de fonctionnement de l'État. Quant au budget
d'investissement, Fred Doura estime que 95.6% sont financés par l'aide externe, dont 51 %
seraient des dons, le reste étant constitué du crédit concessionnel. Ce qui signifie que la part
du financement local représente un peu moins de 5% des programmes d'investissement
public du pays. Cette carence de l'épargne nationale est l'une des causes du degré de
dépendance de l'économie haïtienne de l'épargne étrangère, une situation incapable de
générer un développement économique endogène. Et l'économiste Charles Bettelheim, a
raison d'écrire ce qui suit:
« un pseudo-développement économique qui s'appuiera principalement sur le financement extérieur serait bâti sur du sable et l'activité économique qui en résulterait risquerait à tout instant de s'arrêter, si devait s'arrêter le financement extérieur sur lequel ce pseudo-développement reposerait. Un tel pseudo-développement ne pourrait que masquer la réalité qui serait celle du maintien de la dépendance sous une autre forme» 148.
De plus, ces transferts de capitaux en Haïti font augmenter la dette extérieure,
sans qu'aucun actif correspondant ne soit acquis par le pays. En Haïti, non seulement le
financement étranger n'a pas pour vocation le développement mais, même en supposant
que cette aide serve à l'investissement, de nombreuses études au niveau mondial ont
montré que le taux de croissance qui serait atteint alors serait de moins de 2 %, donc
faible. Il s'ensuit que leur contribution à la croissance de l'économie est loin d'être
significative. Fred Doura n'a pas tort quand il écrit que:
« tant que les pouvoirs publ ics et/ou une classe d'entrepreneurs nationaux n'utilisent pas ces apports de capitaux étrangers pour des investissements productifs à long terme (irrigation, énergies électrique ou solaire, télécommunications, industries ou dans de nouvelles technologies etc.), pour le rétablissement des grands équilibres macroéconomiques, malgré
148 DOU RA, Fred. Économie d'Haïti: dépendance, crise et développement, dans Volume /-2-3, Montréal: Éditions DAM, 2003, P-280.
81
les contraintes des politiques d'ajustement structurel imposées à Haïti, on ne créera pas les conditions d'un développement économique durable et autoen tretenu »149.
D'autre part, comme le souligne Corten, dans son ouvrage L'État faible.' Haïti et
République dominicaine, outre la transnationalisation de l'agriculture, il y a une
prédominance de « l'effet de la transnationalisation des fonctions étatiques »150. Puisque, les
actions du gouvernement sont déterminées selon les offres de prêts et de dons de la
communauté internationale qui reste attachée à son propre agenda. Toujours selon l'auteur, la
corruption généralisée qui règne dans l'appareil étatique place Haïti parmi « l'un des pays les
plus quadrillés par l'aide étrangère (... ) 12% du budget annuel moyen est ainsi détourné». La
BMo a rapporté en avril 1986, que le gouvernement haïtien aurait émis 57 000 chèques de
salaires alors que le nombre d'employés publics est de 32500. De plus, l'auteur souligne
également que \7% des dépenses totales du trésor public n'étaient pas identifiées. II s'ensuit
une mainmise quasi-totale des organismes extérieurs . Ces derniers sont amenés « à se
substituer aux instances gouvernementales »151. De ce fait, plus du quart de l'aide extérieure
était canalisée par les ONG. L'USAID et l'ACDI « redéploient ( ... ) leur aide bilatérale à
travers ces organisations »152.
Selon un document du ministère de la Planification et de la Coopération externe
(M PCE) 415 ONG sont légalement reconnues. Sauveur Pierre Étienne, pour sa part, dans son
1ivre Haiti l'invasion des ONG, en recèle plutôt 800. Par son laxisme et sa corruption
profondément ancrée, l'État haïtien ne fait plus figure d'interlocuteur valable auprès des
organisations internationales. C'est, en effet, à travers des interventions de groupes et
d'individus près du peuple que les organisations internationales définissent les besoins
nécessaires. Cependant, pour Fred Doura
« l'aide des ONG ne sert qu'à soulager la pauvreté suscitée par les politiques néolibérales et l'incurie des oligarchies en Haïti. La quasi-totalité des ONG,
149 Ibid., p- 281. 150 CORTEN, André. L 'Étatfaible : Haili el République Dominicaine, Montréal, CIDIHCA, 1989, p
178. 151 Ibid. p-176 152 Ibid. p-176.
82
dont en moyenne 80% des ressources financières proviennent des financements publics, sont non seulement sources de corruption, mais surtout des structures que se sont données les pays industrialisés du centre et les organisations internationales pour donner un visage humain aux politiques d'ajustement structurel imposées aux PYD»151.
Il est évident que l'État haïtien, fortement dépendant de l'aide èxtérieure et aux prises
avec une crise économique, est dans l'impossibilité de résister aux pressions poussant à la
privatisation et aux directives de la BM et du FMI. Il faut se rappeler à ce titre le rôle de la
BM en la matière. Pour cette dernière, « les privatisations sont reliées directement à
l'obtention de nouveaux prêts de la part des institutions multilatérales »154. L'exigence
d'alignement sur la donne mondiale est au cœur de cette politique.
En effet, selon les politiques en vigueur à la BM, les pays réfractaires sont placés sur
une liste noire; le crédit à court terme est bloqué, provoquant du même coup le gel du
commerce international. Quelle est la position des bai lieurs de fonds sur cette importante
question des privatisations? Quelle est la position des gouvernements haïtiens? Tels sont les
points qui seront discutés dans les pages qui suivent.
3.2.1. Organisations multilatérales et bilatérales et les privatisations en Haïti: une
position unanime, mais nuancée.
En ce qui a trait aux organisations bilatérales et multilatérales impliquées dans le
dossier des privatisations en Haïti, leurs approches diffèrent certes les unes des autres, mais
au bout du compte, le diagnostic est le même: rentables ou non, les entreprises publiques
haïtiennes doivent être privatisées. Le Département d'État américain, la USAID et la BM, les
entités les plus impl iquées dans le processus, sont les plus favorables aux privatisations. La
position de la BM est sans équivoque: l'ensemble des neuf entreprises publiques doit être
privatisé. La position de la BM s'appuie en grande partie sur un rapport de la Société
153 DOU RA, Fred. Op. cil, p. J 90 154 CHOSSUDOVSKY, Michel. La mondialisa/ion de la pauvre/é: la conséquence des réformes du
FMI el de la Banque Mondiale, Montréal: Écosociété, 1998, p-54.
83
Financière Internationale (SFI), qui recommande la privatisation totale de toutes les
entreprises, sauf dans les cas d'interdiction par la constitution.
En revanche, le FMI et le Département d'État américain ont une position plus souple.
Ainsi, pour le FMI, le processus de privatisation est considéré comme une série d'étapes
désirables et recommandées, mais non impératives pour le déblocage des prêts. Cette
souplesse s'explique par le cadre d'intervention du FMI qui se limite à la politique monétaire.
Quant aux représentants du Département du trésor américain, ils affirment que,
malgré leurs préférences pour une privatisation complète des entreprises publiques
haïtiennes, « la clé du succès de l'opération de privatisation étant le support popu laire, toute
décision soutenue par la population haïtienne sera préférable à une décision imposée de
l'extérieur »155 Toujours selon le gouvernement américain, les privatisations vont permettre
d'augmenter les recettes fiscales de l'État haïtien grâce à la perception des impôts aux
entreprises. Cependant, il affirme que la faiblesse actuelle des institutions haïtiennes rend
cette stratégie vaine. L'instauration de la démocratie et des pressions judicieuses pour
conduire les entreprises à payer leurs impôts sont alors posées comme des étapes obligatoires
au succès des privatisations. Ainsi, le Département du trésor américain propose une stratégie,
exigée dans le passé par le FMI, consistant à dénoncer via les journaux toutes entreprises qui
ne se seraient pas acquittées de leurs obligations fiscales.
3.2.2. Des gouvernements hésitants.
Le processus de privatisation entrepris en 1986 est interrompu à partir de 1987,
principalement à cause de l'instabilité politique du pays (quatre coups d'État militaires en
cinq ans). Ce n'est qu'en 1994, sept ans plus tard, que le projet refait surface. Le
gouvernement constitutionnel de Jean-Bertrand Aristide, alors en exil, conclut le 26 août
1994 à Paris, avec Le club d'aide à Haïti (chapeauté par la Banque Inter-américaine de
développement qui réunit les principaux bailleurs de fonds pour Haïti), un accord intitulé:
Emergency Economic Recovery Plan (EERP), mieux connu sous les Accords de Paris. Aux
155 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Op.cil, P-8.
84
termes de cet accord, assorti d'une promesse d'aide de 1 milliard de dollars américains sur 4
ans, le gouvernement haïtien s'engage à mettre en application une série de mesures allant de
réformes fiscales et monétaires jusqu'à la réduction des effectifs de la fonction publique et la
privatisation des entreprises d'État. Le document stipule que « le contrôle de l'État sur les
entreprises publiques de production de biens et services importants pour l'économie s'avère
une catastrophe aux niveaux économique et social pour le pays. La consolidation d'un ordre
social réellement démocratique exige que le gouvernement se débarrasse de ses biens »156.
Quelques semaines plus tard, alors qu'Aristide est toujours en exil aux États-Unis,
ses représentants signent les Accords de Paris. Cependant, ces promesses ne seront pas
tenues, car Aristide, durant son bref retour au pouvoir ne respecte pas sa parole. Aucune
privatisation n'a lieu. Dans une entrevue donnée en ce sens en juillet 2005 à la journaliste
Naomi Klein, de l'hebdomadaire The nation, Aristide, corroborant son action, affirme, de son
exil Afrique du Sud, avoir « refusé le troc odieux de vente d'entreprises d'État qui allait
enrichir une oligarchie affairiste et accentuer la paupérisation de la vaste majorité du peuple
haïtien» 157.
Le retournement d'Aristide entre sa période d'exil et la fin de son mandat s'explique
sans doute, selon Crémieux, « en partie par les circonstances difficiles qui entouraient les
opérations du gouvernement en exil. En effet, celui-ci était complètement dépendant du bon
vouloir de Washington dont les intérêts pour les privatisations étaient clairs. Il semble donc
qu'Aristide ait pris l'engagement de privatiser dans le but de garantir son retour au pays» 158
Selon les experts de la BM, dans La Stratégie de reconstruction sociale et
économique, deux éléments ont fait échouer le processus: le premier est que les
privatisations n'ont jamais été une priorité pour Aristide à son retour d'exil, le deuxième, est
la campagne médiatique menée par certains secteurs (organisations populaires, médias,
groupes religieux) en Haïti, secteurs critiques de la BM qui lui reprochent d'avoir poussé trop
vite l'État haïtien aux politiques d'ajustement structurel. Dès lors, les bai lieurs de fonds ont
156 CRÉM 1EUX Pierre-Yves. Privatisation des entreprises d'État en Haïti, dans « Rapport de mission Centre canadien d'étude et de coopération internationale» , Montréal, J 998, p-7
157 KLEIN, Naomi. Aristide in exile, dans «The nation», Août 2005. 158 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Op.cil, p-8
85
gelé l'aide économique (sur le 1 milliard de dollars promis, 600 millions avaient déjà été
débloqués) et ont retiré leur appui au gouvernement d'Aristide, qui à la suite des sanctions,
déclare qu'il « vaut mieux perdre avec le peuple que gagner sans le peuple» 159.
En 1995, un nouvel accord est signé avec ce même gouvernement, en vue, selon la
BM, de dégeler l'aide au développement et de renouer les relations avec l'État haïtien. Cet
accord, signé à Paris en janvier 1995, conduit à l'adoption d'un programme de redressement
économique. 2.5 milliards de dollars US$ sont alors promis pour la mise en application de ce
programme, dont 950 millions de dollars US$ seront décaissés sur une période de trois ans,
soit de 1995 à 1998 et le solde, soit 1,7 milliard de dollars US pour la période de 1998 à
2000. Cette fois-ci, selon les recommandations des bailleurs de fonds, un organe spécial «
l'Unité de démocratisation des entreprises publiques (UDEP) » est créé en 1995 par le
gouvernement et sera financé et consei lié par les organisations internationa les. Le but de cet
organisme est d'enclencher les privatisations de neuf entreprises d'État visées par les
bailleurs de fonds, soit: la CAMEP, la Teleco, l'EDH, la Minoterie d'Haïti, le Ciment
d'Haïti, l'APN et l'AAN. Cependant, rien de significatif n'en sort selon l'USAID. Le
Strategie plan for Haïti 1999-2004,de l'USAID le note en affirmant que l'UDEP n'a rapporté
rien de concret, excepté un ensemble d'études diagnostiques des entreprises publiques
programmées pour les privatisations. Voilà qui confirme pour la BM, le manque de volonté
du gouvernement Aristide de procéder aux privatisations et aux réformes de la fonction
publiquel6o . Les bailleurs de fonds sont inébranlables: l'interruption de l'appui financier au
budget de fonctionnement et au budget d'investissement du gouvernement est maintenue
jusqu'à l'élection de René Préval à la Présidence d'Haïti en 1995.
C'est la nouvelle administration du président René Préval qui hérite du dossier.
Contrairement au gouvernement précédent, le nouveau président est favorable aux
privatisations. Il est plus enclin à se plier aux exigences des organisations internationales.
Incapable de résister aux pressions des bailleurs de fonds, « le gouvernement Préval est forcé
de faire avancer le dossier suite aux nombreuses pressions des organisations internationales
159 Le Nouvelliste Édition du 24 août 1995. http://www.lenouvelliste.com/archives/index.php 160 FMI. Haiti country assistance evaluation, 2005, p.14
86
qui exigent des gestes concrets en ce qui a trait aux politiques de privatisation» 161. Aussi, en
octobre 1996, un accord est conclu avec ces derniers. Le gouvernement s'engage alors à: 1)
réduire les tarifs douaniers pour les entreprises étrangères; 2) réduire la taille de la fonction
publique; 3) privatiser les entreprises publiques; 4) accorder des avantages fiscaux au capital
privé, un l'exonérant, par exemple, d'impôts pendant trois ans; 5) créer des zones industrielles
enclavées '62 . En matière de privatisation, et cela est significatif, la première action du
gouvernement est de faire adopter en un temps record une loi sur la « Modernisation des
Entreprises publiques» par les deux chambres législatives.
Cette loi, qui fera l'objet d'une analyse plus poussée plus loin, est une loi-cadre qui
laisse beaucoup de latitude à l'exécutif, mais qui parallèlement, répond surtout aux exigences
du FMI et de la BM.
La décision du président Préval suscite une vive contestation des membres de son
propre parti, soit le parti Lavalas. 11 est «qualifié de traître et ses ministres, de vendeurs de
Patrie»163. Notons que celui qui était à la tête de ce groupe n'était nul autre que Jean-Bertrand
Aristide lui-même: « protests against the associated austerity measures continued, however.
One of the most vocal cri tics of proposed economic austerity program was former President
Aristide» 164 . Vu la fidél ité du parti Lavalas à son chef fondateur Aristide, le Président Préva 1
est contraint de retarder le processus de privatisation, provoquant automatiquement le gel des
aides promis au gouvernement, dans le cadre du Programme d'ajustement structurel signé en
1996. Il est important de se rappeler que la mise en appl ication des pol itiques de privatisation
est une condition incontournable de tout déblocage de l'aide économique. Cette situation
perdure jusqu'à la fin du mandat du Président Préval et tout au long du deuxième mandat
d'Aristide (2001-2004).
Le processus de privatisation est alors mis sur en veilleuse pendant près de 10 ans. Ce
161 CRÉMIEUX, Pierre-Yves. Op.cit.p-7. 162 Ibid. , p-7. 163 Société Financière International. La SFI prête assistance à la privatisation en Haïti. Communiqué de presse No 95175,14 février 1995, p-1. 164 Congressional Research Service. Haiti : Developments and us. PoUcy since 1991 and current
Congressional concerns, CRS Report for Congress. June 2 2005.
87
n'est qu'en mars 2004 que celui-ci redémarre avec le gouvernement intérimaire mis en place
par la communauté internationale à la suite du départ forcé du président Aristide au mois de
février de la même année. En effet, conséquence de la chute précipitée de ce dernier, une
Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) est mise sur pied.
Dans le cadre de cette mission, plus de 10000 casques bleus et policiers sont déployés. Un
représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU y est en permanence et la MINUSTAI-I
possède un bureau au sein même du parlement. La BM, le FMI, l'USAID ont tous ouvert des
bureaux permanents. Sous la direction du premier ministre Gérard Latortue et du président
Boniface Alexandre, ce gouvernement remet le processus sur les rails dans le « Cadre de
coopération intérimaire» (CCI), un accord signé avec les principaux bailleurs de fonds en
Haïti. Différents programmes de gestion et d'audit financier, étapes préalables à toute
privatisation, sont convenus entre les parties.
L'un des principaux accords signés fut le Program of the International Development
Association to the republic of Haiti for an economic governance rejàrm operation avec la
BM. Aux termes de cet accord, le gouvernement haïtien s'engage à améliorer la gestion de la
Teleco, en transférant sa gestion au secteur privé. Les efforts du gouvernement viseront
également à renforcer les secteurs de l'électricité et des télécommunications avec
l'environnement, ce qui selon le rapport, permettra d'attirer les investissements du capital
privé dans ces secteurs, facilitant d'autant la privatisation de ces entreprises '65 .
En outre, le gouvernement prévoit procéder à la signature de contrats avec des
sociétés d'audit et de consultants internationaux en matière de gestion, pour la réalisation des
audits financiers, des revues de gestion et la préparation des contrats de gestion pour les
principales entreprises publiques suivantes: l'EDH, la Teleco, la CAMEP, l'APN et l'AAN.
Il en a résu Ité, entre autres choses, la réadaptation de la comptabi 1ité de la Teleco, les offres
pour l'audit et pour la gestion financière de la CAMEP (financée par la BID), l'appel d'offres
pour l'audit de l'APN (financé par la BM), et l'offre pour le pré-audit de l'EDH (financée par
l'Union européenne).
165 Banque Mond iale. Program ofthe international development association to the republic ofHaiti for an economic governance r(!form operation, World Bank, Washington, D.C, 2007
88
3.2.3. Un cadre législatif explicite
La loi sur la Modernisation, adoptée pendant la présidence de René Préval, fixe les
modalités des politiques à mettre en œuvre. Le rôle de cette loi sera déterminant, étant donné
la marge de manœuvre limitée de l'État haïtien face aux forces du capital d'un côté et aux
dictats des pourvoyeurs de fonds étrangers de l'autre. La loi lui donnera-t-elle une plus
grande marge de manœuvre? C'est ce que nous tenterons de déterminer dans les pages qui
suivent.
3.2.3.1 Impacts et principaux points saillants de la loi sur la modernisation
L'examen attentif des articles de la loi sur la Modernisation, fait ressortir plusieurs
points. Selon l'article 2, c'est le CMEP qui gère le processus de modernisation, choisit
l'option de modernisation à retenir (gestion, concession, capitalisation), veille aux intérêts de
l'État haïtien et à l'application de la loi. Le CMEP peut procéder à la privatisation des
entreprises publiques selon trois options différentes.
La première option est un contrat de gestion qui maintient la propriété de l'entreprise
entre les mains de l'État, mais permet à une firme privée de la gérer pour le gouvernement
moyennant des frais de gestion. Dans ce cas, l'article 12 prévoit que le choix de la firme
privée de gérance se fera suite à un appel d'offres international. La deuxième option prévue
par la loi (l'article 10) est la concession. Il s'agit en fait d'une forme de location de l'entreprise
à un exploitant privé. Ce dernier devient responsable de l'ensemble « des opérations de
l'entreprise en échange du paiement d'un loyer au gouvernement (redevance locative) et de la
réalisation d'investissements déterminés dans le contrat de location. Les profits reviendront à , . 1 • 166
l entrepnse ocatalre et non au gouvernement» .
La dernière option est la modernisation par capitalisation. Elle implique que l'État
IGG CRÉMIEUX, Pierre-Yves. Op.cit.,p-13.
89
s'associe à des investisseurs privés pour créer une nouvelle entreprise dite Société d'économie
mixte (SEM) qui associe l'État haïtien et des partenaires privés. Il s'agit en fait d'une
privatisation partielle ou quasi totale selon l'apport de capital privé investi 167. En effet,
l'article 27 prévoit que l'État peut détenir plus de 50 % et pas moins de 20 % du capital de la
société d'économie mixte. Pour Crémieux, on peut donc déjà imaginer un État minoritaire
avec un ou des partenaires privés qui ont de fait un contrôle sur 80% des actions de
l'entreprise. De plus, l'article 27.2 prévoit qu'une portion ne dépassant pas 50 % des actions
détenues par l'État dans les SEM pourra être concédée à des petits porteurs. Ceci pourrait
donc conduire à une SEM avec un actionnaire privé principal ayant 80 % des actions, des
petits porteurs (qui peuvent évidemment vendre par la suite à l'actionnaire privé principal
s'ils le désirent puisque la loi ne prévoit pas que ces actions soient non transférables) qui
détiennent 10% des actions (la moitié des 20 % originalement détenus par le gouvernement)
et enfin JO % détenus par le gouvernement lui-même. On a alors un scénario qui conduit
pratiquement à une privatisation pure et simple de l'entreprise publ ique.
Par contre, il y a dans la loi un effort très important pour assurer l'intégrité des
comptes des entreprises une fois privatisées. Les articles 7, 14, 16, 21, 22, 23, 24 et 25
im posent des contrôles par des experts indépendants, un engagement financier clair et garanti
par des fonds mobilisables, une utilisation judicieuse des bénéfices, un contrôle sur le
transfert des actions, la publ ication de rapports annuels, et un rapport des dépôts effectués qui
sera transmis non seulement au CMEP mais aussi à la Chambre, au Sénat et au Ministre de
l'Intérieur.
Cependant, une faille importante est le manque de contrôle direct des parlementaires
sur le processus, En effet, bien que la loi impose un contrôle par le CMEP assez considérable,
le Parlement est pratiquement exclu du processus. Évidemment, le CMEP pourra toujours
être appelé devant le Parlement pour justifier ses choix. Cependant, la caractéristique de cette
loi est qu'elle
« concentre pratiquement tous les pouvoirs entre les mains du CMEP qui est nommé par l'Exécutifet n'a que peu de comptes à rendre à la Chambre et au
167 Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP). Possibilités économiques et privatisation, Editions La Ruche, Port-au-Prince Haïti 1996, p-GQ,
90
Sénat. Enfin, elle n'impose aucune obligation de divulguer les informations relatives au fonctionnement des entreprises. Vu l'importance de la transparence pour éviter le développement de la corruption, cette lacune de loi est probablement son grand défaut »168.
Une autre lacune rejaillie de cette loi, et non la moindre, à savoir que celle-ci ne définit pas
sur qu'elle base une entreprise publique doit être privatisée, omission qui ouvre la voie à
d'autres privatisations.
3.3. Des conséquences significatives.
Les développements précédents mettent en évidence le poids des organisations
internationales dans le processus de privatisation des entreprises publiques haïtiennes. Les
pressions des grandes institutions économiques internationales contraignent l'État haïtien à
s'aligner sur la tendance mondiale et encadreront son action en matière de privatisation.
Lorsque nous examinons de près le déroulement du processus de privatisation en Haïti, celui
ci est à l'image de cette contrainte. Ce processus a été fortement marqué par le jeu de la
domination entre, d'un côté l'immense pouvoir des organisations internationales, et, de
l'autre, un État haïtien contraint d'obtempérer malgré l'attitude ambivalente et les résistances
des dirigeants haïtiens, confrontés à des sanctions économiques. Il n'est pas exagéré dès lors
d'avancer que les meneurs du jeu sont bien les intervenants étrangers, malgré les dispositions
de la loi.
Donc, la question, à savoir, est-ce que J'État haïtien a ou non le choix de privatiser ne
se pose pratiquement plus. La question plutôt est de savoir qui a le pouvoir de choisir l'une
ou l'autre des options énumérées dans la loi.
3.3.1. Une action déterminante
La loi est claire à ce sujet, c'est au CMEP que revient ce choix, d'autant plus que son
pouvoir de décision est légitimé par la communauté internationale, étant donné qu'il est,
168 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Op.cit., p 14.
91
selon le document Country assistance strategy of the World Bank group for the Republic of
Haiti, conseillé techniquement par la BIRD et entièrement financé par le Canadian
International Development Agency CClDA). Toutefois, bien que ces articles limitent en
théorie les détournements de fonds et favorisent un fonctionnement transparent des
entreprises privatisées, il faut réaliser que l'État haïtien n'a tout simplement pas une fonction
publique adéquate. Ces institutions publiques du pays sont gangrenées par la corruption, en
plus d'être sous-équipées, sous-payées et incompétentes.
De plus, la grande dépendance de ce pays de l'extérieur 1imite considérablement le
pouvoir du gouvernement face à des mu ltinationales dont les avoirs, en général, dépassent le
PIB national. Parallèlement, il faut aussi prendre en compte le pouvoir de persuasion des pays
d'origine de ces multinationales dont la plupart sont des pays pourvoyeurs de fonds à Haïti. Il
faut noter à ce sujet, « la situation délicate du gouvernement haïtien qui est soumis à des
pressions importantes des pays donateurs pour qui l'identité nationale de l'entreprise retenue
prime sur les considérations d'efficience économique qui devraient être les seules
déterm inantes du choix de la firme de gestion» 169.170
Il y a également le risque que des actions contre une entreprise fautive poussent au gel
des activités ou même à la fermeture de cette dernière, ce qui aura que très peu d'incidences
pour elle au plan financier, car la majeure partie du temps, les entreprises d'État achetées sont
transformées automatiquement en filiale. Cette stratégie visant essentiellement à limiter les
risques financiers et logistiques pour les multinationales. Cela dit, la transformation en filiale
fait en sorte que la production lourde et en haute teneur technologique, qui nécessite des
investissements financiers importants, est maintenue aux endroits stratégiquement choisis par
la multinationale.
En effet, les expériences de la Minoterie et du Ciment d'Haïti, les deux seules
169 CRÉM 1EUX, Pierre-Yves. Op.cit, p-I O. 170 Ainsi, à la suite d'un pré-audit réalisé par une firme internationale, le gouvernement haïtien a conclu qu'il faut confier la gestion d'Électricité d'Haïti à Électricité de France (EDF) ou Hydro-Québec International (HQ!), une décision qui provoque une vive contestation de la part de représentants du US Treasury Department. Lors d'une visite officielle, ces derniers ont protesté auprès du pouvoir haïtien, car ils considèrent que l'américaine Florida Power est une alternative plus intéressante.
92
entreprises ayant fait l'objet de privatisation démontrent amplement l'énorme influence des
organisations internationales et des autres intervenants dans le processus de vente des deux
entreprises. En outre, ces ventes n'ont pas été réal isées pour répondre aux problèmes
spécifiques d'Haïti, notamment la réduction ou du moins contenir la paupérisation et la
misère de la population, qui ne cesse de s'accentuer. C'est plutôt l'alignement de ce pays sur
les exigences de la mondialisation qui est recherché.
3.3.2. Des privatisations révélatrices et problématiques
Le cas de la Minoterie est intéressant. La rentabi 1ité de cette entreprise d'État,
productrice de farine, est indéniable de 1982 et 1991. Elle devient déficitaire à la suite de
l'embargo de 1991 à 1994, ce qui l'oblige à fermer ses portes. Condition au déblocage des
fonds nécessaires au budget de fonctionnement de l'État par les organisations internationales,
l'entreprise est vendue en juin 1997, à la suite d'appel d'offres organisé par la SFI, à trois
consortiums: 46.66 % à deux multinationales américaines, la Continental Grain Company (un
géant agroalimentaire présent dans J7 pays avec 16 milliards de dollars d'actif et un profit net
de 342 millions de dollars américains) et Seaboard Corporation (dont le chiffre d'affaires est
de 2,6 milliards de dollars américains) et 23.33 % à la SNI Minoterie S.A ( une filiale de la
banque haïtienne UNIBANK). Les trois sociétés ont versé une somme de 9 millions de
dollars américains, un montant inférieur à l'évaluation de la SM. Le rapport, Country
assistance strategy of the World Bank group for the Republic of Haili 1996, l'avait malgré sa
fermeture évalué à 16.4 millions de dollars américains. Le reste des actions, soit 30 %, sont
revenues à l'État haïtien. Aux niveaux fiscal et financier, la vente de la Minoterie, a été en
général une réussite. En effet, le nouveau consortium a versé en impôt à l'État haïtien: 341
735 US$ en 1999, 824 407 US$ en 2000 et 748 167 US$ en 2001. Au niveau financier, le
succès est encore plus perceptible, puisque la compagnie a dégagé des revenus nets de l'ordre
de 2348000 millions de dollars américains en 2000 et de 2038000 millions de dollars
américains en 2001.
93
Cependant, ce succès apparent est loin de faire l'unanimité. Pour un auteur comme
Crémieux, la vente de cette entreprise est une mauvaise nouvelle pour le peuple haïtien. En
règle générale, affirme-t-il « peu d'économistes seraient prêts à défendre la nécessité de la
production de la farine par l'État. Cependant, la situation présente d'Haïti est particulière.
La farine est un produit de toute première nécessité dont le contrôle assure un
pouvoir important dans un pays dont l'État est faible ». L'État perd ainsi un outil
d'intervention de première impol1ance pour une population qui vit en général avec moins de
1 dollar par jour. Désormais, ce sont les lois du marché et les marges de profits des nouveaux
propriétaires qui influenceront les prix de la farine donc l'accessibilité au produit. En effet,
selon les données de la Banque de République d'Haïti (BRH) une livre de farine qui se
vendait en 1997 à 4.11 gourdes, se vend en septembre 2007 à 19.92 gourdes soit 5 fois le
prix. Toujours selon la même institution, entre avril 2007 et avril 2008, le prix de la farine a
augmenté de 60 %. Actionnaire minoritaire dans l'entreprise, l'État haïtien ne peut dicter à
l'entreprise les prix, une entreprise qui selon le rapport de 2007 du CM EP détient 72 % des
parts du marché. L'État haïtien, afin de contrer ces hausses et celle d'autres produits
alimentaires, opte également pour l'annulation des tarifs douaniers sur les produits tels que la
farine, les œufs, les bananes, petit mil, le lait et l'huile.
Ces hausses de prix sont un échec pour la lutte contre la pauvreté, que les
privatisations, selon la BM et le FMI, étaient sensées faciliter. Puisque, s'en est suivi un
décalage énorme entre la situation économique de la population et la hausse de prix. Chaque
hausse de prix des produits alimentaires est durement ressentie par la population, puisque la
part de la nourriture dans le budget d'une famille pauvre en Haïti est de 80%. Le PNB par
habitant, notons-le, était de 490 $ en 200 1, de 390 $ en 2003, de 400 $ en 2005 et de 480 $ en
2006 171. De 2000 à 2006, il a régressé de 2 %, tandis que pendant la même période, les prix
de la farine ont grimpé de 500 %. L'accessibilité à un maximum de citoyens aux produits
alimentaires, déjà précaire, vis-à-vis de ces données devient un objectif éloigné.
171 Banque Mondiale. Haiti Public expenditure management and Financial Accountability Review, dans « Document of the World Bank », Washington, D.C, 2007.
94
Et fait important, l'entreprise a été vendue alors qu'elle était fermée, donc au plus bas
de sa valeur réelle, bien que dans le passé, elle ait démontré que, lorsque bien administrée,
elle peut générer d'importants bénéfices. De fait, « pendant l'année 1991 et après
l'application d'un plan de redressement, la Minoterie a réalisé un profit total de plus de cinq
millions de gourdes entre avril et septembre 1991, date du coup d'État. II est cependant
indiscutable que l'entreprise peut être profitable comme le montre l'année 1986-1987,
pendant laquelle des profits de 233 millions de gourdes furent réalisés »172. Parallèlement, un
plan avait été soumis au gouvernement un an avant la privatisation par l'Association
Nationale des Agro-Professionnels Haïtiens (ANDAH) qui avait estimé que des
investissements importants seraient nécessaires pour sa réouverture et sa modernisation.
L'État haïtien a vendu l'entreprise sans avoir tenté sa réouverture ni appliqué un plan de
redressement qui avait pourtant déjà porté ses fruits dans un passé proche. En outre, il a dû
prendre à sa charge la totalité de la dette de la Minoterie aux créanciers internationaux qui
s'élève à 52 millions de dollars américai ns l7:1. Il a même dû débloquer, au total, 31 millions
de gourdes en frais d'indemnisation pour les 780 travailleurs de la Minoterie mis à pied par le
nouvel acquéreur, soit 65% du nombre total d'employés.
L'augmentation de la production nationale est un thème central en Haïti, sauf qu'en
vendant la Minoterie, l'État ne pourra plus uti 1iser celle-ci pour relancer certains produ its du
terroir national. Par exemple, l'une des principales associations représentant les agriculteurs
haïtiens a fait, en 2007, la demande suivante: « nous demandons aux Moulins d'Haïti (dont
l'État est actionnaire à 30 %) de mettre en place un moulin capable de produire une farine
mélangée (entre la farine de blé et la farine de tubercules produites par les paysans) afin de
diminuer le niveau d'importation de blé, augmenter les revenus des producteurs paysans et
aussi valoriser la production nationale »174. Pour des raisons de rentabilité, exigée par les
actionnaires, la compagnie n'a pas répondu à cette demande, et ce, malgré qu'elle dégage
d'importants profits.
172 CRÉMIEUX, Pierre-Yves. Op.cit.,p-23 173 DüURA, Fred. Op. Cil, P- 304 174 PAPDA. Commenl enflnir avec le régime des renies en Haiti ?, Port-au-Prince, Il septembre 2006
95
Toutefois, la ventè de la Minoterie n'est pas uniquement entourée d'éléments
négatifs, plusieurs aspects positifs ressortent de cette vente. Entre autres, le fait que 70 % de
l'actionnariat est contrôlé par trois consortiums privés indépendants, cela a pour effet
d'augmenter la détermination des dirigeants à vouloir maximiser les profits. On peut noter
aussi que la venue de ces entreprises privées a apporté avec elle un niveau de compétences,
de savoir et d'expertise. Des aptitudes, plutôt rares chez les entrepreneurs haïtiens. Nous
parlons ici de l'organisation moderne du travail, de l'optimisation des performances en
générale et de l'application de nouvelles méthodes de gestion qui ont porté fruit. Au niveau
des profitabilités et des redevances versées à l'État, la vente de la Minoterie a été un franc
succès. En effet, de l'avis de la DGI, Les Moulins d'Haïti ont versé à l'État haïtien en 2008
plus 9,6 millions de dollars américains, en dividendes et impositions fiscaux.
L'autre cas de privatisation intéressant est celui de Ciment d'Haïti vendu en 1999,
suite à un appel d'offres organisé par l'une des filiales de la BM el à un consortium haitiano
suisso-colombien pour la somme de 15.6 millions de dollars américains. La nouvelle société,
dénommée La Cimenterie Nationale Sem (CrNA), détient 65% des actions de l'entreprise et
l'État haïtien 3S %. Comme ce fut le cas de la Minoterie, la cimenterie a été vendue depuis sa
fermeture en 1993, à cause de l'embargo économique, soit au moment où son profil financier
était à son plus bas, et que le gouvernement était incapable d'appliquer un plan réouverture et
de redressement.
Il faut noter qu'un plan de redressement avait été mis en œuvre en 1991 à un moment
où l'entreprise connaissait de sérieux problèmes financiers. ri en avait résulté
• « une réduction des pertes entre février et avri 1 1991 de 4.5 mi Il ions de gourdes à \.8 million de gourdes pour ensuite révéler un profit de 100 000 gourdes en mai. Il faut donc se méfier des évaluations très négatives de la SFI (qui est évidemment très favorable aux privatisations) qui rapportent par exemple que la cimenterie d'Haïti aurait perdu 8 millions $US, mais sans indiquer quand ces pertes ont eu lieu et ce qui s'est passé en 1991 pendant la seule période de gestion par un gouvernement démocratique, sans le handicap de 4 années d'embargo »175
175 CRÉMIEUX, Pierre-Yves. Op.cit., p -24
96
Selon l'auteur, la même SFI, dans un autre rapport avait conclu que 1 million aurait
été nécessaire pour permettre la réouverture de l'entreprise et 3 millions de dollars pour la
redémarrer.
L'entreprise une fois privatisée, 437 employés sont mis à pied par les nouveaux
propriétaires, contraignant l'État haïtien à débourser 23 millions de gourdes en frais
d'indemnité, ce qui représente un peu plus d'un an de salaire. De plus, la vente de la
cimenterie n'a amélioré en rien la lutte contre la pauvreté du peuple haïtien, car un sac de
ciment qui se vendait 73 gourdes en I997 se vend en 2007 à 265 gourdes, soit environ 4 fois . 176
1e priX .
Fait intéressant au plus haut point de vue de notre argumentation, la vente de la
Minoterie et du Ciment d'Haïti affaiblit le pouvoir régalien de l'État, puisque ce sont deux
secteurs clé dont l'État haïtien a perdu le contrôle. En effet, la vente du Ciment d'Haïti lui
enlève ses capacités de dynamiser le secteur de la construction et de permettre à un maximum
de personnes, dans un pays où les logements sociaux sont inexistants, de se construire un
endroit pour habiter. C'était là l'avis de plusieurs experts pour qui:
« une façon de subventionner la construction sans aller à l'encontre des promesses faites au FMI dans le cadre de l'ajustement structurel serait de maintenir le statut au moins partiellement public de l'entreprise pour vendre du ciment au gouvernement à bon marché. Ceci va à l'encontre du reste du plan de restructuration, mais nous paraît indispensable étant donné le besoin important de reconstruction et les conditions financières draconiennes imposées par le FMI concernant le budget de l'État et qui incluent l'interdiction de subventionner la production des entreprises publiques ou quelque autre support que ce soit de la part du gouvernement »177.
Aujourd'hui, en matière de construction des infrastructures publiques, l'État se voit
désormais dans l'obligation de payer le ciment au prix du marché, tandis que dans le passé, il
l'obtenait à des prix préférentiels, un même raisonnement s'applique à la Minoterie, l'État ne
pouvant plus subventionner la farine.
176 Banque de la république d'Haïti (BRH). Bulletin statistique oclobre-décembre 2007, Port-au-Prince, Haïti.
177 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Op.cit., p -25.
97
Une étude, Mise en valeur du potentiel cimentier national, financée par la
Communauté caribéenne (Caricom) en 2006 et commandée par le Ministère des Travaux
publics transports communications d'Haïti, précise que les prix du ciment vendus en Haïti
sont trop élevés. En effet, en 2006 un sac de ciment de 42.5 kg en République dominicaine se
vend à 2 US$, tandis qu'en Haïti, il se vend à 6,12 US$. Aussi, cette étude relève que, depuis
l'achat du Ciment d'Haïti, 90 % de la matière première est dorénavant importée, « pour une
production de 240 000 tonnes/an, la CINA (Cimenterie Nationale) importe le clinker (85%)
de la Colombie, exploite le calcaire (10 %) du gisement de Fond Mombin et importe le gypse
(5%) de la Martinique )}178. Une situation qui, selon les auteurs du rapport, nuit
considérablement au développement économique du pays, puisqu'une étude du Bureau
d'études Suisse, Prospecting engineering gestion, entreprise pour le compte du Ciment
d'Haïti, au temps où l'État était encore propriétaire, des gisements importants de cl inker et de
gypse existent en Haïti, notamment dans les régions de Fond parisien, Cap-Haïtien, Gros
Morne, Port de Paix, Jacmel, Les Cayes, Gonaïves et de Hinche. Malgré cela et en dépit du
fait que l'État haïtien possède 35% des parts dans l'entreprise, il n'est même pas en mesure de
convaincre la CI NA (qui occupe la plus grosse part du marché) d'exploiter ces gisements
contribuant ainsi à faire baisser les prix. Ce n'est que par l'entremise d'un projet financé par la
CARICOM qu'il espère attirer des investissements en partenariat avec le secteur privé pour le
développement de 12 mini-cimenteries afin d'exploiter les gisements inexploités, mais
également, provoquer
« la diminution du prix du ciment et la mise à la disposition du consommateur d'un mortier de maçonnerie présentant un excellent rapport qualité/prix; la promotion d'un revêtement routier durable en adoquin ou en béton, peu coûteux en devises et dont la construction promet la création de nombreux emplois rémunérateurs et distributeurs de revenus dans l' économ ie nationale)} 179.
On comprend bien que parler de lutte pour la réduction de la pauvreté est, dans cette
perspective une aberration, les prix du ciment et de la farine ayant augmenté de 500% pour la
farine et de 370% pour le ciment en 7 ans, tandis que la situation économique de la vaste
majorité de la population est demeurée très précaire. Selon des données de 2007,
178 Ministère des Travaux publics transports communications d'Haïti, Mise en valeur du potentiel cimentier national. Port-aLI-Prince, Haïti, juin 2006, p-l.
179 Ibid, p-3.
98
« 56% de la population haïtienne, soit 4.4 millions d'habitants sur un total de 8.1 millions, vivait en dessous de la ligne de pauvreté extrême dei US$ PPA par personne et par jour. Sur 10 personnes, environ 7.6 étaient considérées pauvres, ne disposant pas 2 USS PPA. Les 40% les plus pauvres de la population n'ont accès qu'à seulement 5.9% du revenu total, traduisant une forte concentration de la population dans les couches à faibles revenus, tandis que les 20% les plus nantis captent 68%» 180.
On ne peut ignorer que 1 217 travailleurs ont été mis à pied suite aux deux
privatisations. Ces travailleurs ont été compensés certes, mais par contre, une fois les
montants versés arrivés à échéance que vont devenir tous ces travailleurs qualifiés dans un
pays où le taux de chômage avoisine les 70% et dont le nombre d'entreprises sur son sol est
marginal. « l'emploi dans le secteur privé formel serait, d'après l'USA 1D et de la BIO, de 100
000 personnes» 181.
Cependant, au risque de nous répéter, on ne saurait ignorer les résultats positifs
obtenus à la suite de la vente de ces entreprises, notamment au niveau fiscal. Plus important
encore, la réussite financière de ces entreprises étrangères, démystifie le mythe qu'Haïti n'est
pas un endroit propice pour l'investissement étranger. Ce qui est un élément majeur pour les
bailleurs de fonds qui misent sur l'apport des investisseurs étrangers afin d'améliorer
l'économie du pays.
Nous espérons que les éléments mis en relief montrent bien que les privatisations
n'ont pas été construites pour répondre aux problèmes spécifiques d'Haïti.
3.3.3. Un processus de privatisation imprégné d'un manque de transparence
Le dossier des privatisations des entreprises publiques en Haïti, laisse vOir un
manque flagrant de transparence. Nombreux sont ceux qui, en effet dénoncent un déficit
important des informations liées aux privatisations en Haïti. Qu'il s'agisse des coüts sociaux
liés au processus (licenciement d'employés par exemple) ou des coûts économiques, les
données s'y rapportant sont inexistantes ou très fragmentaires.
I~O République d' Haïti. Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté, Port-au-Prince, Haïti (2008-2010) 181 Ibid., p-125.
99
Cette absence d'information concerne, entre autres, la non-divulgation par les
organisations internationales du nombre d'employés mis à pied et des coûts sociaux qui y
sont rattachés. Rien n'a filtré, non plus, sur les solutions retenues eu égard aux responsabilités
respectives des parties concernées vis-à-vis de la dette de l'entreprise publique une fois
privatisée. Ainsi, l'État haïtien a dû rembourser la totalité de la dette de la Minoterie après la
vente de cette dernière à un consortium privé américain.
L'examen des rapports produits par la SM, le FMI, l'USAID et le PENUD, traitant
des politiques de privatisation, révèle que les coûts économiques engendrés par les
privatisations ne sont que brièvement abordés par ces organ isations. Il est fondamenta \, pour
bien apprécier cette situation, de se rappeler que le capital privé extérieur n'a d'autre objectif
que son profit et non l'enrichissement de l'État d'accueil. En d'autres termes, en procédant à
la vente des entreprises publiques, on augmente certes la production intérieure brute, mais on
n'augmente pas pour autant la richesse de la nation. Cette richesse apparente se trouve
amoindrie par le transfert des bénéfices réalisés vers les pays étrangers. La maximisation des
profits recherchés par les nouveaux propriétaires est le mécanisme généralement utilisé à cet
effet:
« les privatisations provoquent toujours des pertes d'emploi. Soit avant la vente, pour rendre le service ou l'entreprise plus rentable encore, soit après, pour augmenter les profits du nouveau propriétaire privé. Ces pertes d'emploi alourdissent les dépenses de sécurité sociale et diminuent les recettes de l'État. La privatisation a donc exactement l'effet inverse du but
, 182 avance» .
C'est aussi le point de vue de Stiglitz pour qui les privatisations font, certes, souvent
passer les pertes financières des entreprises d'État en profits, au prix d'une réduction massive
du personnel. Cette stratégie, sensée avoir été pensée pour son efficacité globale par les
économistes, a pour effet de créer des problèmes sociaux: « le chômage s'accompagne de
coûts sociaux que les firmes privées ne prennent absolument pas en compte. Étant donné que
la protection de l'emploi est minimale, les employeurs peuvent licencier les salariés à peu de
frais ou sans frais du tout dans le meilleur cas, ils auront une toute petite indemnité de perte
d, l' 181emp 01» '.
182 SELYS, Gérard. Privé du public: à qui profitent les privatisations?, Bruxelles: EPO, 1995, p-23. 183 STIG LITZ, Joseph E. La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002, P-89.
100
D'autres problèmes sociaux peuvent ressortir à la suite d'une privatisation. Par
exemple, il est courant, parmi les nouveaux acquéreurs, d'écarter les fournisseurs et les
ressources locaux. Contrairement à l'État, le capital privé ne se soucie guère de la production
nationale. Sa décision ne s'arrête que sur des critères de rentabilité économique, ce qui par
conséquent lui donne le choix de contracter d'autres sources d'approvisionnement plus
économiques que celles internes. Le cas de Ciment d'Haïti en est l'exemple par excellence.
Lorsque cette entreprise était propriété de l'État haïtien, les matières premières uti 1isées
venaient presque exclusivement du territoire national. Depuis sa vente à un consoltium privé
américain, l'essentiel de ses activités est l'empaquetage de ciment provenant essentiellement
des États-Unis.
Notons aussi que la privatisation d'entreprises peut mettre en péril des villages
entiers. On peut penser à J'Usine sucrière de Darbonne (USD), située dans la plaine de
Léogane, dont des centaines de planteurs de cannes à sucre dépendaient pour écouler leur
production. En effet, l'USD payait 13 dollars américains la tonne aux agriculteurs,
comparativement à 6-8 dollars américains la tonne que déboursaient les producteurs de
petites distilleries d'alcool. Or, à la vente de l'USD, les agriculteurs ont dû réduire leurs prix
selon le marché, dominé désormais par les petites distilleries qui offraient un prix nettement
plus bas à ceux qu'offrait l'État. Les conséquences de cette nouvelle réalité furent immédiates.
La plupart des agriculteurs ont dû abandonner leur terre et certains sont allés gonfler la
population des villes. Voilà une situation qui n'a fait l'objet d'aucune étude économique ou
sociale, ceci ni dû côté des organisations internationales, ni du côté de l'État haïtien. Seuls
quelques journaux en ont parlé.
Ce manque de transparence, nous l'observons également au niveau des débats
entourant les privatisations. Notons que sur cette question, les organisations internationales
sont sans équivoque: tout processus de privatisation doit impérativement faire l'objet d'un
débat au sein des différentes couches de la population. Toutefois, pour Béatrice Hiboux, en
réalité, ces règles ne sont nullement respectées. Il est courant, chez certains États faibles, de
voir les gouvernements mettre sur pied les commissions exigées et entièrement financées par
les organisations internationales, pour au bout du compte aboutir à un processus totalement
101
démagogique, et ce, sous le nez des organisations internationales qui continuent de financer
ce genre d'exercice. L'observateur ne s'étonne donc pas du fait que les conférences se
déroulent à huis clos, que l'assistance soit généralement présélectionnée et que ces débats
n'aient droit qu'à une infime campagne publicitaire auprès de la population, et ce, malgré le
budget alloué à cette fin par les bailleurs de fonds.
Selon Crémieux, le manque d'information émanant du gouvernement haïtien a
grandement contribué à l'absence de débat au sein des différentes couches de la société:
« bien qu'on puisse comprendre que pour des raisons stratégiques, il soit judicieux de ne pas divulguer l'ensemble des exigences de la BM ou du FMI, il est plus difficile de comprendre le silence total du gouvernement haïtien et de la BM concernant les exigences de cette dernière ou l'avancement du processus de réflexion sur la privatisation des entreprises» 184.
Puisqu'en général la population ne soutient pas le processus de privatisation, « elle a
le sentiment que des membres du gouvernement veulent vendre des entreprises qui lui
appartiennent pour des raisons de gains personnels plutôt que dans l'intérêt du pays. Celui-ci
pourrait él iminer tout doute quant à ses motifs en ralentissant le processus à la grandeur du
pays »185.
Par exemple, les statistiques sur la situation financière de chaque entreprise d'État
haïtienne ne sont plus disponibles, et ce, depuis 2004. Même les résultats globaux de
l'ensemble des entreprises publiques ne le sont plus, alors qu'ils étaient publiés auparavant
chaque année par le Ministère de l'Économie et des Finances. Un autre exemple est le
maintien secret d'une étude réalisée par la Société financière internationale (SFI) et financée
par la USAID. Cette étude contient des détails sur l'inventaire et la valeur marchande des
biens et infrastructures des entreprises publ iques. Selon les raisons invoquées, le rapport «est
maintenu confidentiel parce que, selon le représentant du US Treasury, il identifie les
bénéficiaires illégaux des revenus des entreprises d'État» 186.
Tout aussi important, est le fait que le déguisement des mots ou plutôt l'utilisation
des «formu les neutres» joue également un rôle centra 1 aux yeux des organ isations
184 •CREMlEUX Pierre-Yves. Op. cil., p -9.
185 Ibid, P -31. 186 Ibid, P -9.
102
internationales dans leur quête pour le contrôle des informations émanant des mécanismes de
privatisation. Ceci est repérable, par exemple, dans le discours de la pauvreté de la BM.
Ainsi, Corten explique que «la Banque Mondiale emprunte au discours social des adjectifs ou
adverbes appréciatifs fortement marqués qu'il transforme en les associant à des formules
neutres »187. La pauvreté « est très fréquemment utilisée d'une façon qui relègue d'autres
acceptions plus chargées émotivement comme misère, dénuement, privation, nécessité,
souffrance, etc. Ce mécanisme sert à effacer la charge émotive attachée à la conception
antérieure de la pauvreté »188. Dans le cas qui nous concerne, les documents touchant les
privatisations en Haïti, qu'il s'agisse de ceux de la BM, du FMI, de la USAID et du CMEP
(en l'occurrence le gouvernement haïtien) ont recours à des termes, tels que modernisation ou
restructuration au lieu de privatisation. Plus révélateur est le fait que les derniers rapports de
l'État haïtien sur la question des privatisations ou de la situation particulière de certaines
entreprises publiques n'utilisent jamais le mot privatisation. On y retrouve plutôt le terme
partenariat public/privé ou l'augmentation de la participation du secteur privé, sans que le
rôle, la place et la participation du partenaire privé ne soient jamais précisés. Pareille
utilisation de formules neutres vise sans nul doute à calmer les esprits et à éviter des
manifestations semblables à celle qui ont eu lieu entre 1994 à 1996.
L'État haïtien pourra-t-il, un jour, définir des politiques économiques qui lui sont
adaptées afin d'assurer un réel développement, cette insertion de l'État d'Haïti dans le
processus de globalisation, « ne [ pouvant] peut que restreindre fortement l'autonomie d'un
petit pays comme Haïti qui voudrait formuler des politiques économiques propres à faciliter
son développement» 189? Nous en doutons. À notre avis, les objectifs des intervenants
étrangers ne laissent planer aucun doute: l'État haïtien doit être encadré et la stratégie définie
doit être poursuivie. Les entreprises publiques du pays non encore privatisées, tout
particulièrement leur gestion doit être prise en mains pour éviter toute dérive. Et, cela signifie
concrètement leur affaiblissement pour laisser la place à l'initiative privée.
187 CORTEN, André. Le discours de la pauvreté de la Banque Mondiale, p-6 188 Ibid, p-7. 189 DOURA, Fred. Op. cil, p.311.
103
3.4. L'avenir incertain des autres entreprises d'État en Haïti
Au point de vue des faits et des éléments soulevés précédemment, il est clair que les
privatisations ont été pensées de façon à aligner l'économie haïtienne sur la logique de la
mond ial isation, avec tous les effets restrictifs connus sur les pouvoirs d'intervention de l'État
dans la sphère économique. Cette stratégie est également appliquée aux entreprises publiques
jugées non privatisables, c'est-à-dire, celles qui nécessitent un haut niveau d'investissement,
avec un retour sur l'investissement peu profitable. Bien que, ces secteurs d'activités soient
jugés à risque, les organisations internationales persévèrent dans leur politique.
3.4.1. Une stratégie d'affaiblissement
L'un des exemples de cet affaiblissement est la décision du gouvernement intérimaire,
installé en février 2004 à la suite du départ en exil de J-B. Aristide, de retenir les services de
firmes privées pour la fourn iture d'électricité. Il est uti le de préciser que toutes les décisions
du gouvernement intérimaire sont prises d'un commun accord avec les organisations
internationales concernées. En effet, condition incontournable de l'USAIO pour le déblocage
des sommes nécessaires pour atténuer la baisse significative de la production d'électricité des
centrales de l'État (causée par Je bris de matériel et par l'assèchement des cours d'eau), le
gouvernement intérimaire signe des contrats avec la compagnie Alstom et Sogener pour
fournir de l'électricité à l'EDH, par l'entremise de groupes électrogènes mobiles. Le montant
des contrats s'élève à 6.6 millions de dollars américains pour l'Alstom et 2.6 millions pour
Sogener. D'autre palt, «d'après les clauses du contrat avec l'Asltom, l'État haïtien doit
fournir le carburant, soit 100000 gallons de diesel parjour à raison de 109 gourdes le gallon,
soit 10900 000 gourdes» 190.
Ces chiffres sont un scandale. Selon les déclarations de M.Alix Clerveaux, président
de la Fédération des Syndicats des Travailleurs et des Travailleuses de l'Électricité d'Haïti
(FESTREDH), au quotidien Le nouvelliste, le choix du gouvernement haïtien compolte des
coûts exorbitants pour l'État et menace la survie même de l'EDH. Non seulement l'État
190 Le nouvelliste. Frantz Vérella: l'électricité coûte trop cher à l'État haïtien, POlt-au-Prince, Haïti, 25 Août 2006.
104
haïtien débourse environ 17 millions de dollars américains par mois, soit 240 millions de
dollars américains par année, mais encore, «les deux principales compagnies qui vendent le
courant électrique font payer à l'EDH respectivement 9.88 gourdes et 10.10 gourdes le
kilowattheure (soit environ 0.21 US$). L'EDH, quant à elle revend le kilowattheure à 7
gourdes en moyenne (0,17 US$)) 191. Pour chaque kilowattheure vendu à la population,
l'EDH perd J gourdes. En comparaison, selon Serge Raphael, « chaque kw/heure fourni par
la Péligre centre névralgique de l'EDH coûte 1 gourde »192. Même le ministre des Travaux
publics, Frantz Vérella, avoue le caractère abusif de ces contrats, « on paie l'énergie, le
carburant, le coût du transport et la distribution, ce qui fait que le pays paie le KW de courant
excessivement cher »193.
Concrètement, cela signifie que les coûts défrayés par l'État haïtien couvrent, sans
exagération, les frais de gestion et les marges de profit de ces deux compagnies privées.
Mais, surtout, cette décision selon le président de la FESTREDH ne peut qu'affaiblir les
capacités de production de l'EDH, puisque 25 % de la production de l'électricité de
l'entreprise publique provient de ces deux entreprises alors que la production de l'EDH, faute
d'investissement, stagne et diminue. Ce sont les compagnies privées fournissant l'EDH, qui y
gagnent, et ce, selon les termes du contrat, pendant une période de 5 ans. Notons, cependant,
que la réduction du financement de l'entreprise publique d'électricité ne concerne pas
qu'Haïti. Il s'agit d'une tendance mondiale. Le tableau J (les pays de \' Amérique latine et des
caraïbes) le démontre amplement. De 1975 à 1990, les prêts accordés au secteur de
l'électricité par la BM représentaient en moyenne 16% des prêts de la BM. À partir de 1991,
ils chutent à 2 % et ne représentent en 2005 que 1.6 % incluant les mines.
Le fait le plus marquant dans cette mésaventure est que les organisations ont porté leur
choix sur le secteur privé, alors qu'il existait des alternatives moins coûteuses et plus
profitables à long terme. En effet selon Fred Doura, une étude réalisée et financée par
l'Agence canadienne de développement international (ACDI) concernant un projet
191 Haiti Press Network. Haïti: (( les énergies de secours )) fatiguent le directeur de l'EDH, Port-auPrince, Haïti, 6 novembre 2006, p-I .
192 Ibid. p_l. 193 Le nouvelliste. Frantz Vérella: l'électricité coûte trop cher à l'État haïtien, Port-au-Prince, Haïti,
25 Août 2006.
105
d'inventaire des ressources hydrauliques, a estimé le potentiel hydroélectrique non encore
développé en Haïti, àa 100 mégawatts, dont 41 mégawatts déjà en place, se répaltissant
selon des sites bien identifiés. Il est intéressant de noter qu'une étude menée par le Ministère
des Travaux publics intitulée Transport et communication 2006, propose la construction d'un
nouveau barrage hydro-électrique (Artibonite 4C) qui fournirait 30 MW. Le coût de ce projet
a été estimé à 120 millions de dollars américains, nettement moins coûteux que, par exemple,
les montants défrayés en 2 ans par l'État haïtien pour les services de SOGER et d'Alsthom,
montants qui s'élèvent à 240 millions de dollars américains par an. On doit ajouter à cela
qu'une étude de faisabilité commandée par le gouvernement haïtien en juillet 2006 et réalisée
par une firme américaine, le Bureau d'Étude Winergy, conclut que les capacités éoliennes
d'Haïti, plus précisément dans la région du Lac Azueï, sont de 50 MW.
On ne saurait non plus négliger l'apport potentiel du charbon, « avec la flambée des
coûts du pétrole, l'option de centrale à charbon s'avère plus économique d'autant plus qu'il
existe, à Maïssade dans le département du Centre, un gisement de lignite de 8.7 millions 2
tonnes de capacité sur 2.2 Km. La forte teneur en souffre de ce lignite en est une
caractéristique défavorable, mais qui est traité effectivement par les moyens technologiques
actuels» 194.
Ces données sont un excellent indice du parti pris pour le secteur privé des bailleurs
de fonds. C'est par choix idéologique que les organisations internationales ont imposé à
l'État haïtien la signature de contrats d'une durée de 5 ans chacun, renouvelables à la fin de
l'échéance. En définitive, l'État haïtien aura déboursé 552 millions de dollars américains
pour ces cinq années en frais de services, soit environ la moitié du coût total des différentes
alternatives énumérées précédemment.
Le cas de l'EDH n'est pas unique. Une autre entreprise publique, la Téléco, connaît un
même sort. En effet, le gouvernement Latortue octroie, par l'entremise du Conseil national
des télécommunications '95 , une licence autorisant la Société Trans-Caribbean Cable
Company (TCCC) à installer un câble sous-marin téléphonique qui relie Miami, Haïti, la
194 Ministère des Travaux Publics. Les Enjeux et Défis de la Lulle contre la Pauvreté, « Stratégie de développement du sous-secteur de l'Électricité en Haïti» (2006 à 20 II), Port-au-Prince, Haïti.
195 Organisme public chargé d'établir des nonnes et de veiller à leurs mise en application, dans le secteur qui touche la téléphonie en Haïti
106
Jamaïque, la République dominicaine, Aruba, le Venezuela, et la Colombie. Par la même
occasion, les entreprises de téléphonie sans fil peuvent désormais utiliser un autre réseau que
celui de la Téléco pour leur communication outre-mer. Il faut noter que cette dernière en avait
jusqu'alors l'exclusivité. De ce fait, découle en partie, l'affaiblissement de cette dernière, vu
que ces accords se sont concrétisés sans que la Téléco soit partenaire du projet ni que soit pris
en compte, les ententes signées antérieurement avec les compagnies de téléphonie sans fil.
Au bout du compte, sa place dans l'avenir de la téléphonie en Haïti est compromise à terme.
Cette perte du marché des appels sans fil à travers son réseau est un manque à gagner
important pour l'entreprise d'État déjà durement éprouvée par la compétition des compagnies
de téléphonies cellulaires. Des profits qui auraient pu lui permettre d'investir dans ses
infrastructures et d'améliorer ses services. Selon le site officiel du gouvernement,
www.haiti.org, les appels téléphoniques outre-mer représentent 80 % des revenus de la
Téléco. L'apport des appels en provenance des cellulaires n'a pas été spécifié sur le site.
Cependant, on peut imaginer l'ampleur puisqu'environ 2 millions d'Haïtiens possèdent
aujourd'hui un téléphone cellulaire alors que la Téléco ne compte que 175000 clients.
Ces développements, il est intéressant de le noter, sont profitables au gouvernement
haïtien qui tire des bénéfices de cet engouement de la population pour les cellulaires. Les
recettes fiscales en provenance de ces compagnies sont de l'ordre de 50 millions de dollars
américains par année pour la période allant de 2005 à 2008. Ce montant inclut les taxes sur
les chiffres d'affaires (40 %), l'impôt sur les bénéfices (20 %), l'impôt sur les revenus
individuels (8 %) et d'autres taxes payées par les opérateurs (taxes sur les fréquences, droits
de licence (30 %). L'État haïtien aurait pu investir une partie de ces revenùs dans la Téléco,
mais sa subordination financière lui impose de se plier à l'idéologie dominante favorable,
comme mentionné plus haut, à une réduction du rôle de l'État. Ce qui est conforme à toutes
les ententes signées par l'État haïtien avec les bailleurs de fonds depuis 1986, ententes qui lui
interdisent d'investir les fonds de l'État dans les entreprises publiques.
La gestion désastreuse de la Téléco, considérée comme une vache à lait pour le
régime d'Aristide 196 et la mise en place de politiques continuelles d'affaiblissement au profit
196 selon J'économiste Fritz Deshommes, l'État haïtien doit à la Téléco 600 millions de gourdes
107
du secteur privé ont fini par avoir leurs effets. Selon les déclarations de la direction, la Téléco
subit des pertes depuis 2006. Pour le directeur de l'entreprise, cette perte est causée par
l'engouement de la population pour les téléphones cellulaires. Pourtant, la présence des
compagnies de téléphonie cellulaire en Ha"fti, étonnamment depuis 1995, n'a pas empêché la
Téléco, selon les données du tableau ci-dessous, d'avoir dégagé d'impol1ants profits jusqu'en
2004.
Tableau 10
Profit net de la Téléco en millions de gourdes 197 198
1990 396 1991 102 1992 290,9 1993 423,1 1994 394,1 1995 -
1996 532,5 1997 835,8 1998 641,2 1999 247,8 2000 146,6 2001 146,6 2002 350 2003 632 2004 641 Source: (International Monetery
Fund. Haiti: Country assistance evaluation , Operations Evaluation Department. Washington OC, 1995; 2002 et International Monetery Fund. HaUi : Selected issues 2005)
Cependant, étant donné les fortes pressions que subit l'État haïtien de la part des
bailleurs de fonds pour procéder à la privatisation de cette compagnie, ces déclarations du
PDG doivent être prises avec prudence, aucune statistique officielle n'étant disponible, et ce,
depuis 2005. Alors que d'après le dernier rapport en date de la BM, la Téléco a dégagé, en
2004, des profits de l'ordre de 641 millions de gourdes, un profit annuel parmi les plus élevés
de son histoire, on comprend mal que deux ans plus tard, soit en 2006, la compagnie soit
déficitaire au point où sa privatisation soit envisagée. A-t-on tenu compte du fait que « les
197 International Monetery Fund. Haiti: Country assistance evaluaLion, «Operations Evaluation Department ». Washington OC, 1995; 2002. 198 International Monetery Fund. Haiti : Selected Issues 2005, Washington OC, 1995; 2005.
108
piètres résultats de la Téléco sont dus à la mauvaise gestion de l'entreprise dont les cadres
supérieurs semblent chercher à prouver que seule la privatisation peut conduire à une
amélioration sensible des services de télécommunication, les dirigeants de la société
argumentent le manque de fonds et la mauvaise structure de la compagnie» 199 ? Et, on ne
peut pas oublier non plus que la Téléco avec une contribution nette de 50 millions de gourdes
arrive au 28e rang des plus gros contribuables.
En admettant que la Téléco soit confrontée à des difficultés financières, on ne saurait
minimiser le fait que la décision du gouvernement intérimaire de libéraliser les appels outre
mer aura contribué grandement.
On n'a pas tort dans ces circonstances, de conclure, en ce qui concerne la Téléco,
qu'un processus d'affaiblissement a été mis en place par les dirigeants de cette compagnie.
En effet, des solutions existaient que la direction n'a tout simplement pas appliquées. Parmi
ces solutions, il y a ce rapport de la SM (Rapport de la SFI, mars 1995), qui a conclu à
l'époque que le bon fonctionnement de la TéJéco nécessite l'investissement de 200 millions
de dollars américains sur une période de quatre ans. Et, Pierre-Yves Crémieux a raison
d'affirmer que « dans le contexte de profits déjà de l'ordre de 65 millions de dollars par an il
est clair que, compte tenu de la dimension des profits réalisés, l'entreprise est en mesure
d'autofinancer aisément une partie substantielle des investissements »200. La Plate-forme
Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) affirme, de son côté que
«le potentiel de croissance de l'entreprise est énorme avec moins de 30% de la demande solvable satisfaite actuellement. ( ... ) Il existe plus de 150 000 foyers qui sont sur une liste d'attente. Si la TELECO parvient à satisfaire cette demande, elle dégagera des profits, même si les tarifs payés par les abonnés sont réduits de moitié, de l'ordre de 221 millions US$ l'an »201.
Pour Crémieux, la privatisation même partielle de la Téléco est tout à fait contraire à
l'intérêt général puisqu'elle conduirait à un affaiblissement de l'État en raison de la baisse
sensible des revenus qui en découlerait en plus du risque important qu'une privatisation
199 CRÉM) EUX Pierre-Yves. Op. cit, p-16. 200 Ibid, P P-16. 201 CMEP, Op. cil, p-84.
109
entraînerait pour la stabilité de l'État, puisque les communications sont pour un État faible,
un élément vital.
Dans l'ensemble, lorsque nous examinons les mesures envisagées dans le cadre des
politiques d'ajustement structurel en Haïti (gel et allègement fiscal pour les entreprises
étrangères, baisse des frais de douane sur certains produits, privatisation et affaiblissement
des entreprises d'État, etc.) on peut dire que le résultat n'a pas tenu les promesses qu'on avait
voulu faire miroiter au peuple haïtien. Selon Fred Doura, cette vision croyait qu'il suffisait
qu' Haïti se débarrasse de son surplus d'intervention étatique, de privatiser les entreprises
publiques et de libéraliser les monopoles d'État, de réduire les tarifs douaniers et d'accorder
des avantages fiscaux, pour que les investissements étrangers dans le pays abondent,
entrainant ainsi la croissance économique. Or, ceci ne s'est pas avéré. Les investissements
directs étrangers ne sont pas au rendez-vous. Ils s'élèvent, en dollars américains, à 112
millions en 2003; 120 millions en 2004 et 160 millions en 2006, soit à peu près 2.4% du
PIS.
Donc, il est clair que la décision des organisations internationales, avec l'appu i tacite
des différents gouvernements au pouvoir, d'opter pour la privatisation de certaines entreprises
et l'affaiblissement pour d'autres, est basée sur un choix idéologique, qui vise à aligner
l'économie haïtienne dans la logique de la globalisation, et non pas façonnée pour remédier
aux problèmes spécifiques d'Haïti, puisqu'il existait bel et bien des solutions plus viables que
celle des privatisations.
Hormis les différentes alternatives dévoilées précédemment, l'un de ces exemples de
solution nous est fourni par le cas de l'Autorité Portuaire National (APN), organisme public
chargé de la gestion et de l'exploitation des ports. Les performances économiques de cette
entreprise restent très profitables, selon les dernières données en date de la SM, 228 millions
de gourdes en 2001, 302 millions en 2002 et 419 millions de gourdes en 2003. Ce qui pose
problème, ce sont les prix pratiqués par les autorités, prix qui sont hors de proportion avec
ceux pratiqués ailleurs dans la région. Par exemple, le dédouanement d'un conteneur coûte
environ 360 dollars américains en Haïti contre une moyenne de 250 dollars chez les pays
voisins. Il y a aussi les heures de travail de l' APN qui sont problématiques, celles-ci étant de
110
7 h 30 du matin à 4 heures de l'après-midi, tandis que dans la majorité des pays limitrophes,
les ports fonctionnent 24 heures sur 24. Ces éléments limitent sérieusement le commerce en
Haïti, car « beaucoup d'importateurs et d'exportateurs préfèrent faire passer leurs produits
par les ports dominicains »202. L'APN emploie 1800 personnes, « ce qui représente
probablement deux fois la main-d'œuvre nécessaire »203. Il faut rajouter aussi la question des
multiplications de ports privés. On en dénombre une dizaine à travers le pays, ce qui vient
saper sérieusement l'autorité de l'État, puisque ce dernier n'y a aucun contrôle et n'y a pas
accès. C'est notamment le cas de la famille Mevs, qui, selon Crémieux, a établi un port privé
près de celui de Port-au-Prince, auquel les employés des douanes n'ont pas accès.
Malgré ces problèmes récurrents, Crémieux soutient que la privatisation de cette
entreprise est une solution à éviter. Ainsi, comme le démontre la situation du port des Mevs,
« le gouvernement pourrait se retrouver dans une situation difficile en cas d'épreuve de force entre les autorités portuaires privées et le gouvernement. Pour l'instant, les douanes représentent une source de revenuS importante pour le gouvernement dont les revenus fiscaux sont encore faibles et ne font que croître lentement. Privatiser le port et s'exposer à une situation similaire à celle du port des Mevs conduirait donc à une réduction des revenus de l'État qui serait catastrophique dans le contexte actuel »204.
Donc, l'auteur conclut que la privatisation de la gestion reste la meilleure option et en
cas de privatisation inévitable: l'État doit s'assurer de posséder la majorité des actions.
Pour ce qui est du domaine bancaire, il y a la Banque Nationale de Crédit et la
Banque Populaire d'Haïti, tous deux sont sur la liste des entreprises à être privatisées.
Concernant la Banque Nationale de Crédit, Crémieux avance que:
« la Banque Nationale de Crédit (BNC) a aussi des atouts qui pourraient se révéler intéressants. En effet, la BNC est la deuxième plus grande banque du pays (avec $122 US millions d'actifs) et possède 12 succursales hors de Port-au-Prince. (... ) Envisager une gestion privée de la banque, ceci conduirait à des problèmes d'incitation difficilement contournables. En effet, le désastre des «savings and loans» aux États
202 Le Nouvelliste. Entreprises publiques: la hureaucratie aux affaires http://www.lenouvelliste.com/blogs/comments.php?p= 13&r=2&n=48
201 CRÉM 1EUX Pierre-Yves. Op. cit., p-26. 204 Ibid., p-26
III
Unis offre une leçon importante. (... ) Ceci a conduit à des opérations spéculatives à haut risque dont le résultat devait être soit l'enrichissement immédiat des gérants des banques (prêteurs) en cas de réussite soit l'appauvrissement non pas des prêteurs, mais des systèmes d'assurance du gouvernement fédéral en cas d'échec. Un scénario similaire pourrait se produire si la gestion des banques devenait privée puisque les nouveaux gestionnaires auront tendance à entreprendre des opérations à haut risque dont la réussite conduirait à des profits élevés, mais dont l'échec ne conduirait qu'à des pertes pour le propriétaire, autrement dit l'État haïtien »205.
Ces exemples ne sont que quelques alternatives parmi tant d'autres d'un ensemble
d'études réalisé portant sur chacune des 7 entreprises d'État placées dans le collimateur des
privatisations. Que ce soit pour la Téléco, l'EDH, la CAMEP, la BNC, la BPH, les Autorités
Portuaires ou Aéroportuaires Nationales, il serait plus avantageux pour l'État haïtien de
garder ces entreprises au lieu de les léguer au secteur privé. Puisque, ces entreprises peuvent
représenter une source impoltante de revenu pour l'État haïtien206 pourvu que la corruption
soit enrayée, que la direction de ses entreprises reste apol itique et que le mécan isme de
gestion s'inspire de celui des entreprises privées. Car, la situation de dépendance absolue, la
faiblesse des institutions etla pauvreté endémique, il ne serait pas dans l'intérêt d'Haïti de
. . . bl' 207privatiser ses entrepnses pu Iques .
205 CRÉMIEUX Pierre-Yves. Of?cil.,p.28. 206 DOURA, Fred. Économie d'Haili: dépendance, crise et développement, dans « Volume 1 », Montréal: Éditions DAM, 2003, p- 309 207 Ibid, p-77.
Conclusion
Au cours de ce travail, nous nous sommes intéressés aux privatisations des
entreprises publ iques haïtiennes. Il nous est apparu nécessaire de replacer le traitement de
cette importante question dans son contexte international pour en saisir toute la dimension et
faire émerger les enjeux derrière cette politique.
Notre quête de sens nous a conduits à accorder une place centrale dans notre étude
aux Organisations internationales, particulièrement aux Organisations de Bretton Woods,
notamment à La Banque mondiale. Nous avons ainsi été amené à constater que ces dernières
ont exercé et exercent encore aujourd'hui une énorme influence dans la régulation de
l'économie mondiale, ceci à deux niveaux: 1) un niveau général où la préoccupation
fondamentale est la définition de grandes stratégies de portée mondiale, 2) des politiques
parti cul ières s'adressant à des États en particu 1ier, pol itiques généralement en prise avec le
mouvement de l'économie mondiale.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons pu faire valoir qu'en matière de
développement économique, cari à deux reprises depuis la fin du second conflit mondial du
XXe siècle, la BM a tracé des stratégies à l'intention des PYD. Menacée de toute part après
1945, la Banque adopte une stratégie de développement axée sur l'approche
développemental iste et l'impose aux pays de la périphérie. L'État devient le centre
d'impulsion du développement économique. Le rôle de l'entreprise publique y est centrai.
Cette stratégie concordait parfaitement avec la logique du capital, puisque pour le secteur
privé, le développement des grands projets industriels et des infrastructures publiques, en
général peu rentables, ne cadrait pas avec leurs objectifs prévus, soit la maximisation des
profits. 11 revient alors à l'État le soin de financer et de faire fonctionner les grandes
infrastructures industrielles dont ils seront les premiers bénéficiaires.
À l'aube des années 90, à la suite d'une succession de crises: crise financière, crise de
dettes des PYD entre autres, et la décomposition de l'ordre mondial dominé par deux pôles,
l'État n'est plus considéré comme le centre d'impulsion du développement économique. Le
nouveau mot d'ordre général est le désengagement de l'État. La redéfinition du rôle de ce
113
dernier sera faite en fonction d'un ordre économique mondial globalisé et du renforcement
souhaité du système économique mondial. Ce nouveau rôle sera synonyme d'exclusion et de
marginalisation pour les PVD. C'est dans ce cadre de globalisation que s'inscrit la
privatisation des entreprises d'État, une politique qui favorise largement les grands intérêts
privés et contribue du même coup, vu sa généralisation à travers le monde, la reproduction du
système international. Dans les deux cas, la BM, va disposer de moyens importants,
notamment financiers pour la mise en œuvre de ses stratégies.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que cette mutation est teintée de dogmatisme
idéologique, une orientation nettement visible quand on se penche sur les privatisations
prônées par la BM depuis l'irruption de la crise de la dette et, surtout, l'avènement de la
mondialisation. Ce dogmatisme, nous l'avons montré à l'œuvre dans le cas des privatisations
d'entreprises pu bl iques haïtiennes.
En effet, notre analyse des privatisations en Haïti a fait ressortir certaines situations
où les autorités de la Banque n'ont pas du tout tenu compte de la situation objective de ces
entreprises, une situation, selon les avis d'experts indépendants et de certains responsables
haïtiens, marquée par la rentabilité prouvée dans le passé et les réelles possibilités de les
rentabiliser moyennant certaines réformes. La Banque a persisté, par dogmatisme, croyons
nous, dans sa détermination. Ce dogmatisme révèle également l'insensibilité des responsables
de la Banque pour les impacts sociaux négatifs bien réels des privatisations, comme l'analyse
peut le constater dans le cas d' Haïti.
Ce qui n'a pas manqué de placer les dirigeants haïtiens face à bien des dilemmes:
Faut-il privatiser à un coût social important dans un pays où le chômage est massif et touche
plus de 70% de la population active et où la majorité de la population vit au-dessous du
minimum vital, avec moins de 1 US$ par jour? Où faut-il courir le risque d'être sanctionné
pour un refus de suivre les recommandations de la Banque et de se voir interdit l'accès au
marché mond ial des capitaux, avec tous les risques que cela comporte?
J 14
Enfin, nous croyons qu'il serait important d'attirer l'attention sur de nouvelles
tendances, qui semblent se dessiner, dans Je processus de privatisation et de l'avenir des
entreprises publiques en Haïti.
Cette nouvelle tournure, encore une fois, est indissociable aux contextes mondiaux.
En effet, les nombreux déboires confrontés par les secteurs des services publics privatisés, les
critiques du néolibéralisme émanent parfois au sein même des organisations internationales et
l'imminence d'une récession mondiale laissent penser que l'interventionnisme étatique serait
de nouveau en selle. Selon le directeur général adjoint du Fonds monétaire international, John
Lipsky, il faut « envisager l'impensable, c'est-à-dire l'effondrement du système financier
mondial. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer lorsque les solutions du marché ont été
épuisées, ajoutant qu'il faut envisager toutes les options, y compris l'utilisation des fonds
publics »208. Comme le souligne le Wall Street Journal, cette prise de position marque un
tournant pour le FMI, qui prône habituellement l'équilibre budgétaire et la limitation des
dépenses de l'État, tout en faisant confiance au marché pour soutenir la croissance.
Cependant, ce retour en force possible de l'État se fera avec l'appui tacite et en collaboration
avec le capital privé.
Est-ce en raison des éléments soulignés plus haut. Mais, depuis 2006, à partir des
dernières élections présidentielles en Haïti, qui ont propulsé René Préval à la tête du pays, il
semblerait que nous assistons au retour de l'interventionnisme d'État dans l'économie.
En effet, malgré l'accord conclu en 1994 avec les bailleurs de fonds, qui stipule que
l'État haïtien s'engage à ne plus créer de nouvelles implantations industrielles, le président
Préval décide, en mars 2006, de remettre sur pied l'usine sucrière de Darbonne, une action
inimaginable il y a quelques années. Cette ancienne entreprise d'État, fermée lors du
« programme de redressement intérimaire» de 1986, a été rouverte dans le cadre d'un accord
bilatéral avec Cuba.
De plus, ce gouvernement a procédé à la résiliation du contrat avec Alstom signé par
208 Wall Street journal: http://online.wsj.com/article/sb 12054814030831 On.htn 1
115
le gouvernement précédent, et opte plutôt pour l'entrée d'Haïti dans l'ALBA (Alternative
bolivarienne pour (' Amérique) mise sur pied par le gouvernement vénézuélien. Au terme de
cet accord, trois centrales électriques fonctionnant au mazout, qui sera fourni dans le cadre du
programme Petrocaribe, sont en construction, dont une centrale à Port-au-Prince de 70
mégawatts et deux centrales de 15 Mégawatts chacune, l'une au Cap-Haïtien et l'autre aux
Gonaïves. Les travaux ont été achevés en novembre 2008.
Il faudrait également retenir comme signe de ce retour dans une certaine mesure de
l'État, le programme Petrocaribe, au terme duquel du carburant et du mazout sont fournis
directement à l'État haïtien. Le mode de fonctionnement est le suivant: si le prix du baril
dépasse les 100 $, les membres paient 40 % de leur facture pétrolière dans les 90 jours
suivant leur livraison et les 60 % restants dans un délai de 25 ans à un taux d'intérêt de 1%.
De ces 60% restant, la moitié demeure entre les mains du gouvernement haïtien et l'autre
moitié ira dans un fonds qui sera géré par l'entreprise d'État PDVSA (Pétrole du Venezuela),
pour financer des microcrédits. Point important de cet accord, il est impératif que l'entreprise
ou l'institution bénéficiaire du programme soit propriété de l'État, ce qui est contraire jusqu'à
maintenant à la politique prônée par les pourvoyeurs de fonds internationaux. Et fait notable,
cela n'a pas eu d'impact sur le déblocage de fonds promis au gouvernement haïtien.
Néanmoins, ceci dit, les privatisations sont toujours à l'ordre du jour, mais avec des
changements importants par rapport à l'échéance. Il n'est plus question de privatisations
immédiates pour le déblocage de fonds à l'appui aux budgets de fonctionnement et
d'investissements du gouvernement. Ce qui témoigne d'un assouplissement majeur dans la
position des bailleurs de fonds, assouplissement annonciateur de ce retour de phase auquel
nous avons fait allusion plus haut.
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Annexe 1
La loi sur la modernisation des entreprises publique
Article 2.- [1 est créé un organisme autonome jouissant de la personnalité juridique dénommé Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP).
Il est placé sous la tutelle du Premier Ministre. Son organisation et son mode de fonctionnement seront déterminés par la loi.
Article 3.- Les attributions du Conseil sont de:
a) Promouvoir et gérer le processus de Modernisation des Entreprises Publiques. b) Choisir entre le contrat de gestion, la concession et la capitalisation, selon le cas, la formule la plus apte à sauvegarder l'intérêt général. c) Veiller par l'intermédiaire des représentants qu'il nomme au Conseil d'Administration des Sociétés d'Économie Mixte définies à l'article II aux intérêts de l'État haïtien dans ces sociétés. d) Élaborer et voter ses règlements intérieurs. e) Veiller à la stricte application de la prescrite loi.
Article 4.- Le Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP) est composé de cinq membres:
Le Premier Ministre ou son représentant mandaté; Deux (2) membres désignés par le Pouvoir Exécutif; Un (1) membre nommé par l'Exécutif (sur une liste de cinq (5) noms proposés par les associations patronales); Un (1) membre nommé par l'Exécutif (sur une liste de cinq (5) noms proposés par les associations syndicales);
Article 7.- Toutes les Entreprises Publiques retenues dans le cadre du programme de modernisation doivent être évaluées par des experts indépendants désignés par le Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP)
Article 8.- Les modalités retenues pour la modernisation des Entreprises Publiques sont: le Contrat de Gestion, la Concession et la Capitalisation, modalités définies aux articles 9, 10 et 11. Dans les cas de concession, le contrat doit être soumis à l'approbation du Parlement.
Article 9.- Dans le cas de modernisation par Contrat de Gestion, l'État en sa qualité de propriétaire confie, pour une durée déterminée, par l'intermédiaire du CMEP la gestion de l'entreprise publique à une société privée et paie à celle-ci des frais de gestion liés à la performance de l'entreprise.
Article 10.- Dans le cas de modernisation par Concession, l'État par l'intermédiaire du CMEP en sa qualité de, propriétaire, confère au concessionnaire le droit d'exploiter l'entreprise
123
pendant un temps déterminé. En contrepartie, le concessionnaire paie des redevances locatives et est tenu de réaliser les dépenses d'investissement dans ladite entreprise, selon les spécificités définies dans le document d'appel d'offres et contenues dans le contrat de concession. Tous aménagements et améliorations effectués au cadre physique de l'entreprise resteront la propriété de l'État.
Article Il.- Dans le cas de modernisation par Capitalisation, l'État par l'intermédiaire du CM EP, s'associe à des investisseurs privés en créant une entité dénommée Société d'Économie Mixte (SEM) dans laquelle il apportera le patrimoine actuel de l'Entreprise publique. Les investisseurs privés font des apports en espèces en contrepartie de leurs droits de participer au capital de la société d'Économie Mixte. La totalité de l'apport en espèce des investisseurs privés financera les dépenses d'investissement des SEMs. Ces investissements se feront selon les spécificités contenues dans le document d'appel d'offres.
Article 12.- Dans tous les cas, les Concessions, les Contrats de Gestion et les droits de participation au capital des SEMs sont octroyés par appel d'offres international au mieux offrant. Les offres sont évaluées en fonction de critères techniques, financiers et économiques établis dans -le document d'appel-offres. Les résultats de rappel d'offres, dans le cas d'une soumission satisfaisante approuvée par le CMEP, sont sanctionnés par un contrat préalablement visé par le CMEP entre l'adjudicataire et l'État haïtien représenté par le Premier Ministre.
Article 13.- Une fois le contrat adjugé, dans le cas de concession ou de capitalisation, l'adjudicataire doit, dans un délai ne dépassant pas neuf mois, produire un plan détaillé sur cinq ans d'exploitation, de restructuration, de développement et de financement de l'entreprise. Faute par lui de le faire dans le délai imparti, l'adjudicataire perdra le bénéfice de l'adjudication.
Article 14.- Pour les entreprises publ iques (Électricité - Téléphone - Eau) et conformément aux articles 10 et 11 le CMEP exige des soumissionnaires un engagement préalable à un programme spécifique d'investissements établi par le gouvernement pour l'ensemble du pays notamment, les vi Iles secondaires et les régions rurales.
Article 15.- Aucun monopole n'est autorisé, sous réserve des dispositions de l'article 250 de la Constitution.
Article 16.- Les soumissionnaires garantissent à la satisfaction du CMEP que les fonds nécessaires aux investissements sont mobilisables aux échéances prévues dans le calendrier d'investissements.
Article 17.- Les soumissionnaires aux appels d'offres doivent initier la preuve d'avoir obtenu quitus fiscal.
Article 18.- Il est interdit à une Entreprise Modernisée de se livrer à des activités commerciales autres que celles liées à son objet.
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Article 19.- Les sociétés d'Économie Mixte sont soumises à la législation en vigueur sur les sociétés anonymes, à l'exception des dispositions contraires aux articles 19,25,26,27 de la présente loi.
Article 20.- La société d'Économie Mixte est identifiée par sa raison sociale, son sigle SEM, son capital social et son siège social.
Article 21.- Les sociétés régies par cette loi sont tenues à l'amortissement légal. Les SEMs et les entreprises modernisées par concession ont l'obligation de retenir J 0% au moins de leurs bénéfices nets pour leur développement futur. Les sociétés modernisées par contrat de gestion 40 % au moins.
Article 22.- Les bénéfices non retenus des sociétés sous Contrat de Gestion sont versés sur un compte du trésor pour être utilisés comme ressources budgétaires.
Article 23.- Le transfert des actions et obligations des SEMs est assujetti à l'approbation préalable du CM EP et aux limitations prévues dans le cadre de la présente loi.
Article 24.- Pour informer la nation, la SEM est tenue de publier chaque année, dans les cinq (5) mois de clôture de son exercice fiscal, un rapport annuel de gestion contenant l'opinion du vérificateur externe, le bi lan, l'état des résultats, l'état de l'avoir des actionnaires, l'état de l'évolution de la situation financière et les notes accompagnant les états financiers.
Article 25.- Le CMEP dresse, chaque trimestre, un rapport de tous les dépôts effectués en faveur des bénéficiaires prévus à l'article 34. Ce rapport sera rédigé en quatre originaux: un pour la Chambre des Députés, un pour le Sénat un pour le Ministre de l'Intérieur et un pour le CM EP. Le CM EP dresse également chaque année un rapport général de ses activités.
Article 26.- L'émission et la cession des actions et obligations émises par les SEMs sont exonérées de toutes taxes notamment les droits de transmission, la taxe sur actions et les droits de timbres proportionnels pour une période de trois (3) ans. Les actionnaires de ces sociétés sont également exonérés des impôts sur les dividendes pour une période de trois (3) ans. Les SEMs ne sont pas éligibles aux bénéfices du code d'investissement.
Article 27.- L'État peut détenir plus de 50% et pas moins de 20% du capital de la Société d'Économie Mixte.
Article 27.1.- Dans toutes les Sociétés d'Économie Mixte, l'État est représenté au Conseil Administration. Si le Conseil d'Administration a trois (3) membres, l'État est représenté par un (J) administrateur. Si le Conseil d'Administration a cinq (5) membres, l'État est représenté par deux (2) Administrateurs. Si le Conseil d'Administration a sept (7) membres l'État est représenté par trois (3) administrateurs. Ces administrateurs sont désignés par le CMEP.
125
Article 27.2.- Une portion ne dépassant pas 50% des actions détenues par l'État dans les SEMS pourra être concédée à de petits porteurs. Cinq années après la constitution de ces sociétés, ces porteurs seront identifiés prioritairement parmi les catégories suivantes:
- Les employés des SEMs� - Les contribuables dont les revenus ne dépassent pas cent vingt mille (120.000) gourdes l'an.�
Article 28.- Le contrôle des livres comptables des SEMs est assuré par un vérificateur externe agréé en Haïti. Il est désigné par le conseil d'administration sur une liste préalable retenue par le CMEP
Article 33.- En cas de déclaration de dividende du Conseil d'Administration ratifiée par l'Assemblée Générale d'une SEM, l'État et les autres actionnaires reçoivent des dividendes résultant de leur participation. Le Président du Conseil d'Administration de la SEM notifie la décision de distribuer les dividendes au CMEP.
Article 34.- L'État distribue les dividendes résultant de sa participation aux SEMs ainsi que les redevances locatives provenant des concessions comme suit:
- 85% versés au Fonds de Gestion et de Développement des Collectivités Territoriales; - 15% à un Fonds de Protection de la Sécurité Socia le dont l'organ isation et le fonctionnement sont déterminés par la loi.
Article 35.- La présente Loi abroge toutes lois ou dispositions de lois, tous décrets ou dispositions de décrets, tous décrets-lois ou dispositions de décrets-lois qui lui sont contraires et sera publiée et exécutée à la diligence des Ministères de l'Économie el des Finances, de l'Intérieur, du Commerce et de l'Industrie, des Travaux Publics, Transports et Communications et des Affaires Sociales.