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7/28/2019 Discussions Philosophiques Pour Enfants en ZEP
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Discussions philosophiques pour enfants en ZEP : notre exprienceGillesGenevive : Discussions philosophiques pour enfants en ZEP
Notre exprience[LA PHILOSOPHIE EST-ELLE UTILE ?] [LA PHILOSOPHIE A L'ECOLE]
[NOTREEXPERIENCE] |Accueil] |Sommaire] [Biblio] [Bio] [Liens] [Annexes] [Agenda]
Avant la philosophie pour enfants
Organisation des activits de philosophie pour enfants
OrigineChoix du niveau
Rle des enseignants
Frquence
Choix du support
Rles des lvesUne organisation particulire
Exemple d'un cycle de travailUne valuation
Les difficults rencontresBilan de laction engage
Perspectives
Avant la philosophie pour enfants
Dans notre cole, nous avons mis en place, depuis de nombreuses annes,
diverses activits permettant d'atteindre les objectifs assigns la
philosophie pour enfants. Celle-ci fait figure de nouveaut, puisque nous nela pratiquons rgulirement que depuis la rentre scolaire 1998-99. Mais nous
pourrions citer, parmi les plus anciennes, l'institution d'un Conseil
d'enfants, qui runit deux ou trois fois par an les lves lus dans les
classes en tant que dlgus de leurs camarades. Nous traitons, dans ces
runions, de questions d'organisation ou d'quipement de l'tablissement. Des
sujets plus dlicats sont galement abords, comme le comportement des lves.
Un code de bonne conduite a ainsi t labor, et des tentatives de mdiationde la violence par les lves ont vu le jour.On pourrait galement citer d'autres activits, qui permettent des contacts
rguliers entre lves. Elles ont comme point commun de favoriser le tutoratd'lves, gnralement issus des petites classes, par des ans, venant
gnralement des CM : aide la copie des leons, au rangement du cartable,
encadrement de groupes pratiquant des jeux de socit, et spcialement des
jeux coopratifs (v. ci-dessous), lecture de contes, sorties scolaires
associant des classes de niveaux diffrents (un CM et un CP par exemple), avec
tutorat individuel, en particulier pour les tches matrielles, etc.
D'une faon gnrale, les proccupations lies l'ducation citoyenne sont
une constante au sein du groupe scolaire. Nous avons l'ambition, contrel'image vhicule par ce type de quartier, de faire de l'ensemble de nos
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lves une mini-socit, au sens fort du terme, l'oppos de cette
juxtaposition d'individus qu'on nous dcrit parfois. Les activits ou
organisations pdagogiques mises en oeuvre pour tenter d'y parvenir sont lies
la socialisation, la responsabilisation, au dveloppement de l'autonomie
et du souci de l'autre. De ce point de vue, la possibilit qu'ont les lves
d'exercer des responsabilits diverses (membre du comit journal, dlgu auConseil d'enfants, responsable du tri des dchets,...) et la pratique des jeux
coopratifs nous semblent particulirement pertinentes.
Ces derniers partagent avec la philosophie pour enfants un grand nombred'objectifs. En effet, ces jeux ont pour but, non de mettre les autres joueurs
en difficult, de les liminer ou de les battre d'une faon ou d'une autre,
mais au contraire de collaborer avec eux pour tenter d'atteindre un objectif
commun. Ils sont donc trs intressants du point de vue de la socialisation,
de la valorisation de chacun, et permettent l'mergence d'attitudes de respect
mutuel et de non-violence. Par ailleurs, pour avoir un maximum de chance de
gagner, il est ncessaire de s'entendre, donc d'instaurer un vrai dialogue
afin d'laborer une stratgie commune. L'une des organisations que nous avonschoisies pour les mettre en oeuvre renforce encore ces aspects : des lves de
CM2 apprennent dans un premier temps jouer ces jeux, en lisant les rglesde faon autonome, puis en jouant eux-mmes. Dans un second temps, des
jumelages entre leurs classes et celles du cycle 2 sont mis en place. Une oudeux fois par semaine, des grands vont chercher des plus petits pour leur
apprendre jouer et pour tenir le rle d'arbitres.Notons que l'utilisation de jeux l'cole, qu'ils soient coopratifs ou non,
prsente des intrts lis de multiples faons aux objectifs que nous
assignons la philosophie pour enfants. Pierre Parlebas, professeur en
sociologie l'universit de Paris V et responsable du groupe national de
recherche Jeux et pratiques ludiques ducatives note ce propos, dans
"Valeurs Mutualistes" n 215, de dcembre 2001 que "non seulement [les jeux]
dveloppent les capacits cognitives et physiques de l'enfant, mais ils
transforment sa faon d'entrer en relation : les jeux et les sports facilitentses capacits d'adaptation et de socialisation en le faisant communiquer avec
les autres avec, par exemple, un ballon ou une pe. En acceptant les rgles,
l'enfant assimile la notion de contrat : l'acte fondamental d'une dmocratie
qui est l'acceptation d'un contrat se retrouve ainsi dans le jeu. Les jeux
provoquent galement des situations de rencontre o l'enfant est amen jouer
des rles diffrents, d'agression, de soutien ou d'entraide, qui lui
apprennent agir par rapport autrui. Le jeu sollicite aussi la prise dedcision, et enseigne l'enfant comment maitriser la victoire comme l'chec."Organisation des activits de philosophie pour enfantsOrigine
Choix du niveau
Rle des enseignants
Frquence
Choix du support
Rles des lves
Une organisation particulire
Exemple d'un cycle de travail
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Origine
Avant de dcrire la dmarche employe dans notre cole, il n'est peut-tre pas
inutile d'indiquer en deux mots comment nous avons eu connaissance de cettepratique. Au cours de l'anne scolaire 1997-1998, une collgue qui exerait
alors l'cole Vieira da Silva et moi-mme avons demand participer un
stage de quatre semaines consacr la philosophie pour enfants, stage quifigurait pour la premire fois au Plan Acadmique de Formation. Il avait t
propos et organis par Marc Bailleul et Charles Barbier, tous deux
professeurs de mathmatiques l'Institut Universitaire de Formation des
Maitres (IUFM) de Caen. Cette initiative tait une premire en France et fait
encore figure d'exception, puisque seul cet IUFM offre une formation aussi
longue sur ce thme. Ailleurs, il existe, ici ou l, des journes de
sensibilisation, qui n'ont, de par leur dure, rien de commun avec ce qui se
fait Caen. C'est la cas, semble-t-il, Montpellier, Rouen, Strasbourg,Clermont-Ferrand, Nantes, Lyon, Paris et ToulouseCe stage a t reconduit depuis selon les mmes modalits, et deux autrescollgues de notre cole, dont la directrice, y ont particip l'anne
suivante. De plus, pour cette anne scolaire 2001-2002, un stage plus courtdestin aux professeurs de collge a pu tre mis en place. L'anne scoalire
2002-2003 a vu se reproduire le mme dispositif, cette diffrence prs que
le staage destin aux professeurs d'cole a t ramen une dure de trois
semaines, ce qui n'est pas spcifique au stage "discussion philo l'cole".Choix du niveau
Si l'on passe sur quelques sances un peu exprimentales menes en fin d'anne
scolaire 1997-1998, nous avons donc commenc utiliser la philosophie pour
enfants la rentre de septembre 1998. Les seuls lves concerns taient
issus des CM2, et cela pour plusieurs raisons. La premire est que, bien que
les concepteurs de la mthode affirment quon peut lutiliser ds lcolematernelle, il nous semblait que le niveau dabstraction requis pour aborder
ces dbats avec quelque profit tait davantage le fait de nos lves les plus
gs : ne perdons pas de vue que nous travaillons dans un quartier dit
sensible, class en ZEP, et que les lves qui y sont scolariss prsentent un
dficit de maturit tout fait perceptible. Les causes en sont aussi
complexes que multiples, et il est hors de propos du prsent document de
tenter une analyse, mme rapide, de ce constat.Par ailleurs, dans une cole comme la ntre, les enseignants travaillentbeaucoup sur projets. Ceux-ci peuvent, dans certains cas, tre mens avec
laide dintervenants, quils appartiennent lEducation nationale ou non.Dans la plupart des cas, ces projets requirent une prparation importante,
par le biais de runions de travail aprs la classe notamment, et ncessitent
la mise en uvre de moyens matriels particuliers : locaux, dplacements,
matriels etc. Tout ceci explique que ces projets ne peuvent tre multiplis
au sein de chaque classe, et quil est indispensable de faire un tri parmi un
grand nombre dopportunits.
Enfin, les choix pdagogiques des enseignants orientent leur pratique de
classe dans telle ou telle direction, en fonction des priorits quils sedonnent, des difficults constates, de leurs propres gots et comptences, du
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niveau de leur classe.
Puisque il ntait pas question de pratiquer ces activits dans toutes les
classes, et quen fait, seules deux sances distinctes pouvaient tre
organises chaque semaine, nous avons dlibrment choisi de ne travailler, au
moins dans un premier temps, que sur les deux classes de CM2 de lcole.
Mais, au fil du temps, un certain nombre de paramtres voluent : postes quiferment, rorganisation pdagogique de l'cole, intrt des uns ou des
autres... La prsente anne scolaire voit notre pratique voluer quelque peu
(pour plus de dtails, consulter le paragraphe "Perspectives"). Rle des enseignants
Dans la pratique, nous avons opt pour un travail en co-intervention. En tant
que titulaire du poste ZEP de lcole, janime donc les diffrentes squences
dans les classes concernes. Le maitre titulaire, prsent dans la classe,
intervient galement, mais de faon moins systmatique. Il a plutt un rle
dobservation du comportement des lves, par exemple laide de grilles
mises au point en commun, et dorientation du droulement des sances.Frquence
Au cours de la premire anne scolaire de mise en application, nous avons
appliqu un rythme hebdomadaire strict : lecture dun chapitre etquestionnement au cours de la semaine 1 ; dbat sur la question choisie la
semaine suivante, et ainsi de suite. Les collgues concerns et moi-mme avonsjug ce rythme un peu trop soutenu, compte tenu des divers projets et
activits mis en place dans lcole et qui entrainent un certain morcellement
des emplois du temps. Pour les annes suivantes, nous avons donc adopt un
rythme un peu moins rgulier, en intercalant une semaine de battement entre
deux cycles de travail.Choix du support
Dans notre pratique au niveau du CM2, c'est le roman "Elfie" de M. Lipman,
que nous avons choisi comme support. Les raisons de ce choix sont simples et
relvent plutt du procd de llimination que dune adhsion totale.
Il se trouve que, cette dmarche tant encore peu rpandue, le choix destextes spcifiques la philosophie pour enfants est assez limit. On ne peut
puiser qu deux sources diffrentes : les textes traduits de lamricain,
crits pour la plupart par Lipman lui-mme, et les textes dorigine
qubcoise, crits par un groupe de professeurs de mathmatiques de
lUniversit du Qubec Montral. Mais ces derniers, comme dcrit au
paragraphe "Bref historique", avaient pour intention dinduire des questions
dominante scientifique. Ce ntait pas notre propos essentiel, les objectifslis lacquisition de la pense autonome, lducation citoyenne et lamaitrise de la langue nous paraissant prioritaires. De plus, ces romans
sadressent des enfants de 10 ou 11 ans, au minimum. Les utilisant au CM2,nous nous situions donc la limite de lge pour lequel ils avaient t
conus. Restait donc les romans de Lipman. Notre choix sest port sur Elfie,
surtout pour des raisons de difficult du texte, tant du point de vue des
notions abordes que du niveau de la langue.
Ceci nous pose problme, car il se trouve quElfie est le roman que Lipman
destinait aux enfants les plus jeunes, de lge de ceux qui, en France,
frquentent les Grandes Sections de maternelle et les CP. Lhrone a
dailleurs cet ge. Pourtant, nous navons pas limpression de btifier enfaisant lire ce texte des lves de CM2. Il nous arrive mme assez souvent
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dtre contraints de nous arrter pour prciser un tournure ou un mot mal
compris. Lipman aurait-il vis trop haut ? Comment, sinon, expliquer une telle
diffrence de maturit entre les jeunes Amricains et nos lves ?
Quoiqu'il en soit, au moment de commencer travailler avec les lves de CP,
il nous est apparu qu'Elfie n'tait pas adapt, ni aucun autre roman
d'ailleurs. Si M. Lipman et quelques-uns de ses continuateurs ont envisag detravailler au CP, voire en maternelle, en utilisant la dmarche employe
d'autres niveaux, notre rflexion nous a, quant nous, conduits chercher
autre chose. Et ceci pour plusieurs raisons. La premire, vidente, c'est queles lves de CP ne lisent pas, au moins en dbut d'anne. Il aurait donc
fallu recourir une lecture magistrale d'un texte assez long et assez peu
vivant. Or, et c'est la deuxime raison, on connait l'attention volatile des
enfants de cet ge. Il nous paraissait hasardeux de dbuter cette nouvelle
activit par un quart d'heure de lecture, o l'on aurait demand aux enfants
d'tre attentifs et relativement passifs. Nous avons donc choisi d'explorer
des voies diffrentes : la lecture d'images (par exemple des affiches de
l'Unicef), et le recours aux contes de fes ou traditionnels, plus captivantset plus familiers aux lves.
A vrai dire, le choix des supports peut encore slargir. Certains collgues,pratiquant la philo dans leur classe, nont pas hsit puiser dans la
littrature enfantine, basant certaines squences sur des ouvrages comme Tistou les Pouces Verts ou Le Petit Prince . Dautres ont mme tent de
partir dautres modes dexpression artistique : peintures, sculptures... Il
leur appartient de porter tmoignage de leurs pratiques. Et il nest pas
exclu que nous-mmes puissions baser certains cycles de travail sur des
pomes, des chansons, des films...Rles des lves
La dmarche dcrite par Lipman prvoit, dans le cadre dune formation des
enfants au dbat dmocratique, que lon puisse attribuer des rles variables
aux lves membres de la communaut de recherche. Leur position habituelle
sera dtre un participant lambda, mais on peut galement leur demander dejouer un rle particulier : le contradicteur systmatique, lavocat du diable,
le candide, etc. Jusqu' prsent, nous navons pas estim quil tait possible
de demander cela nos lves. Nous avons simplement tent de mettre en place
une prsidence tournante. Llve volontaire (tous ne le sont pas) attribue
les tours de parole et, le cas chant, fait avancer le dbat selon un plan
tabli au pralable.Une organisation particulireLensemble des sances delanne ont t menes suivant lorganisation
dcrite ci-dessus : travail en co-intervention sur une classe en cycles de 2
squences, lune consacre la lecture (ou, d'une faon plus gnrale, l'tude du document de dpart) et au questionnement, lautre au dbat sur la
question choisie. Il ny a eu quune seule exception cette rgle, qua
permis le choix dun support commun : un des dbats a runi les deux classes
de CM2. La sance 1 stait droule dans chacune des classes, au cours de
laquelle le mme chapitre avait t lu. Cette lecture a fait merger un total
dune dizaine de questions. Elles ont t soumises au vote des deux groupes,
et laddition des voix a permis de dterminer le choix de lensemble. Il
sagissait de la question suivante : "Qu'est-ce que la mchancet ?". Huitjours plus tard, le dbat a runi la totalit des lves des deux classes. Ce
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dbat a t trs fructueux et de nombreux lves nous ont dit lavoir
particulirement apprci. Cest aussi le seul qui ait fait lobjet dun film
vido, projet aux lves dans les jours qui lont suivi et lui-mme support,
sinon dun dbat, du moins de quelques changes.
Malgr la demande de certains lves, lexprience na pas t renouvele. A
cela, plusieurs raisons. La plus importante, peut-tre, cest que nous avonsle souci de faire parler le plus grand nombre denfants possible et que cela
savre beaucoup plus difficile dans une assemble dune cinquantaine de
personnes que dans le cadre dune classe. Et ceci autant pour des raisonstechniques (manque de temps, sollicitations moins pressantes de lanimateur),
que psychologiques (phnomne de trac face un grand groupe, compos de
personnes moins proches ou moins connues).
Nanmoins, cette pratique nous semble intressante, ne serait-ce que parce
quelle permet de susciter un intrt nouveau, de confronter des personnes
diffrentes, de casser une certaine monotonie. Nous y aurons donc nouveau
recours de temps autre.Exemple dun cycle de travail
Pour clairer notre propos, voici lexemple dun cycle qui sest droul au
cours de lanne scolaire 1998-99.Ce jour-l, nous lisions le chapitre 2 du roman " Elfie " de M. Lipman. Voici
un extrait de ce texte :[Le directeur de lcole o est scolarise Elfie a dit aux lves quun
concours serait organis, sans dire exactement de quoi il sagit.]
- Quand M. Surette va-t-il nous en dire plus long au sujet du concours ?
demande Jean.
- Demain, rpond Mme Tremblay. Demain !
J'ai bien hte ! Seulement, j'espre qu'il ne s'agira pas d'un concours o
il faut penser. Je me dis : "Elfie, pourquoi t'inquites-tu ? Tu n'as aucune
chance de gagner peu importe le genre de concours." J'ajoute : "Elfie, si tu
ne fais pas attention, tu vas rater ton CP comme tu as presque rat ta
maternelle! "De nombreuses questions ont t poses. Une bonne partie dentre elles ont d
tre limines, cause de leur caractre particulier (ce que nos lves
appellent des questions de lecture). Lun deux, se basant sur le passage
reproduit ci-dessous, a pos la question suivante : " Quest-ce que cest,
rater sa maternelle ? ". Dautres lves ayant manifest la mme interrogation
sur les autres niveaux de lcole primaire, nous avons prvu dlargir la
rflexion lensemble des classes. Cette question, inscrite au tableau avec 7ou 8 autres, a t choisie lissue dun vote deux tours.La semaine suivante, aprs avoir rappel la question, nous avons demand aux
lves de mener une rflexion en petits groupes. Le plan de discussion propostait le suivant :
1) A quoi peut-on voir quon a rat une classe ?
2) Est-ce diffrent de rater sa maternelle que de rater, par exemple, son CP ?
3) Qui peut dire quun enfant a rat une classe ? son maitre ? ses parents ?
llve lui-mme ?
4) Arrive-t-il que ces diffrentes personnes ne soient pas daccord ? Pourquoi
?5) Rater une classe, est-ce la mme chose que redoubler ?
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Aprs cette phase, qui a dur 10 ou 15 minutes, nous sommes revenus au grand
groupe pour mettre en commun les rflexions en suivant le plan propos.
Ctait de troisime dbat de lanne scolaire 1998-99. Nous avons not que,
au cours de la discussion, beaucoup dlves manifestaient leur accord (ou
dsaccord) avec ce que venait de dire un de leurs camarades. Ctait une
volution par rapport aux sances prcdentes, o chacun prsentait son pointde vue sans interfrence avec les propos des autres.
Nous avons aussi relev quelques remarques dans lesquelles un lve revenait
sur ce quil avait dit auparavant pour nuancer sa position, ou indiquer quilavait chang davis (comportements autocorrectifs).
Une valuation
Les difficults rencontres
Bilan de laction engage
Perspectives
Le terme dvaluation, comme beaucoup de termes la mode, est un peuaccommod toutes les sauces et finit par recouvrir des ralits assez
diffrentes les unes des autres. Dans le cadre de cette prsentation, nous
voudrions dune part, dcrire les difficults que nous avons pu rencontrer et,
dautre part, dresser un bilan de laction engage pour savoir si elle est
efficace par rapport aux objectifs fixs et comment on pourrait lamliorer
pour quelle les serve mieux.Les difficults rencontres
1. le rle du maitre
Lune des principales difficults qui se soient prsentes nous tient au
rle que doit jouer le maitre au cours des diffrentes phases de lactivit.La rgle voudrait que lensemble du travail soit men au sein de la
communaut de recherche entre pairs . Plus quune rgle, il sagit presque
dun fondement. Or, tant sur la forme (lecture, expression) que sur le fond
(ides dfendues, opinions mises qui seraient en contradiction avec des
rglements ou des lois non ngociables) il nous parat indispensable
dintervenir pour dire le vrai . Do une certaine incohrence. Et peut-on
se permettre dtre incohrent quand on veut former des lves la penseconstruite ?Mais nous ne pouvons pas non plus les laisser dire des contre-vrits, lorsque
lun deux avance par exemple quun enfant peut changer dcole ou ne pas yaller du tout quand il en a envie, alors que, dans notre pays, lobligation
scolaire est inscrite dans la loi. Ou lorsquun autre estime normal de ne pas
cder sa place, dans une file dattente, une femme enceinte, une personne
handicape ou ge. Ce dernier cas est dailleurs encore plus difficile
grer que le premier, car nous nous trouvons en position, non de prciser la
lgislation , mais de faire une sorte de leon de morale lancienne mode
avec historiette et maxime assortie. La philosophie pour enfants, cette grosse
usine gaz avec tous ses prestigieux labels de nouveaut et de truc lamode, finit donc, dans ce cas prcis, par ntre quune montagne qui accouche
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dune souris, dune souris empaille de surcrot.
Par ailleurs, les interventions que nous pouvons faire sur la forme risquent
de briser llan dun lecteur, dcourter une prise de parole. Nous faisons
cependant le choix de ne pas laisser nos lves faire des erreurs rptition
dans la lecture oralise, ou construire des phrases grammaticalement
incorrectes, ou dun niveau de langage trop familier, lorsquils sexpriment.D'autres difficults tiennent la faon de mener la discussion. C'est cequ'exprime un des co-auteurs d'un ouvrage rcent, coordonn par Michel TOZZI :
"[...] comment viter, partir d'une srie d'exemples, la dispersion desides dont le risque est de perdre le fil du dbat en glissant vers
l'expression libre d'un vcu immdiat ? Comment prendre appui sur une ide
mise pour faire progresser la discussion tout en prenant en considration les
autres moins pertinentes immdiatement ? Comment prendre en compte des paroles
charges affectivement tout en invitant l'auteur se situer sur un plan plus
rationnel ? Ce guidage [...] est un acte subjectif qui n'est pas l'abri de
l'imprcision, de l'erreur d'apprciation [...]"Il semble bien que, dans ce domaine, tout est affaire d'apprciation. Achacun, au fur et mesure de son avance dans la pratique, d'affiner son mode
d'animation.2. les lves qui parlent peu
Certains lves, malgr nos efforts, sexpriment peu, ou pas du tout. Commentragir ? Faut-il les forcer, par exemple en les sollicitant plus que les
autres ?
En tant quenseignants, nous participons nous-mmes rgulirement des
runions de travail. Certains collgues y prennent moins souvent la parole que
dautres. Doit-on forcment en conclure que les runions en question sont
moins fructueuses pour ceux-ci ? Ne vaut-il pas mieux parler peu et tre
attentif, que parler en permanence, parfois tort et travers, en accaparant
la parole, ou sans se soucier de ce que disent les autres ? Vaut-il mieux
laisser se renforcer les aptitudes dcoute ou privilgier la prise de parole
tout prix ?Dune faon gnrale, nous avons plutt choisi, en accord avec les principes
de la philosophie pour enfants, de ntre pas trop pressants avec les lves
peu loquaces. Il faut dire que, par exprience, nous savons que la contrainte
ne donnerait aucun rsultat. Elle serait mme particulirement inefficace avec
certains enfants quon nentend pas, quelle que soit lactivit propose. On
risquerait mme de provoquer linverse de leffet escompt, en les renforant
dans leur mutisme.Le parallle entre notre propre attitude au cours des runions de travail etcelui de nos lves, nous a aussi servi daide la rflexion face un
comportement qui nest peut-tre pas aussi anecdotique que cela : faut-ilempcher les lves de griffonner, de dessiner, de manipuler des objets
pendant les dbats ? L non plus, mme si ce comportement est agaant, parfois
bruyant, nous navons pas adopt de position trop ferme. Pourtant, celui qui
parle alors que dautres bricolent peut, juste raison, penser que ce
quil dit nintresse personne. Il peut mme tre gn dans son expression,
voire renoncer tout ou partie de son intervention. Et l, ce sont nos
objectifs lis lestime de soi, au respect de lautre et de sa parole,
lducation la vie dmocratique et au dialogue construit qui risquent dtredesservis. Dans la pratique, nous nintervenons que si les bruits deviennent
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rptitifs et gnants.
Bilan de laction engage
Notre propos est maintenant de savoir si la philosophie pour enfants, telle
que nous la pratiquons, savre efficace pour atteindre, mme partiellement,
les objectifs que nous lui assignons. Mais ce bilan nest pas ais dresser.1. les limites dune valuation
Nous considrons depuis longtemps que les techniques dvaluation, quelles
quelles soient, requirent une grande prudence dans linterprtation de leursrsultats. Les dispositifs les plus lourds, les plus coteux en temps et en
argent (public le plus souvent), ceux qui ont lapparence de la rigueur
scientifique la plus absolue, doivent faire lobjet de circonspection ds lors
quil sagit de tirer des enseignements partir des donnes chiffres quils
gnrent. Tant il est vrai quon peut faire dire peu prs tout et son
contraire des nombres.
A titre dexemple, combien de fois na-t-on pas entendu dire que les rsultats
des lves aux Evaluations mises en place par la DEP baissaient (oumontaient) dans telle ou telle cole, avant mme davoir pu les comparer aux
moyennes nationales ? (et alors que le BO, le Bulletin Officiel de l'EducationNationale, exclut explicitement que ces rsultats puissent tre employs de
telles comparaisons)Dune faon plus gnrale, cette mise en chiffres pose une question, dordre
philosophique, elle aussi : le comportement humain peut-il tre quantifi ?
Ceci nest dailleurs pas sans rappeler les dbats perptuels autour des tests
de QI .
Il est clair quon ne peut pas ignorer les dimensions psychologiques qui
peuvent fausser, dans une large mesure, les rsultats obtenus nimporte quel
test : fatigue, anxit, difficult se concentrer, passagre ou non,
phnomne de saturation face la longueur ou la rptition des tests... Par
ailleurs, les rsultats que les enfants y obtiennent sont toujours considrs
comme si ceux-ci donnaient systmatiquement et en permanence le meilleurdeux-mmes, comme sils faisaient toujours de leur mieux. Or, pour nous, il
ne fait aucun doute que, par moments et de faon tout fait imprvisible,
tout tre humain et, a fortiori, tout lve issu dun milieu socio-affectif
difficile, ne pourra pas, ou ne voudrapas faire leffort de se consacrer
entirement la tche quon exige de lui, et de mettre en uvre pour la mener
bien lensemble de ses potentialits. Et lincidence de ce renoncement,
quil soit volontaire ou non, ne peut absolument pas tre mesur. Tout cequon peut dire, cest que la valeur relle dun lve, si tant est que ce motait un sens, est suprieure ou gale aux rsultats calculs lissue de la
correction. C'est d'ailleurs ce que pense Philippe MEIRIEU : "Si les preuvesd'valuation permettent l'enseignant de reprer qu'une comptence ou une
capacit sont maitrises par un sujet, en toute rigueur, elles ne devraient
jamais permettre d'affirmer qu'il n'en dispose pas, un chec pouvant toujours
tre attribu des facteurs priphriques qui ne sont jamais totalement
lucids".
Par ailleurs, dans le cas d'une dmarche nouvelle, ou peu rpandue, comme
celle qui nous intresse, on peut se demander si les rsultats observs sont
ds la mthode elle-mme ou aux enseignants qui l'emploient. C'est en touscas l'avis de Franoise CROS, chercheuse l'Institut national de la recherche
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pdagogique, qui rapporte, dans le livre "Innovation Ecole !", cette anecdote
survenue lors de la restitution de la recherche sur les collges exprimentaux
pilote par Louis LEGRAND. "Aprs avoir restitu les rsultats des recherches,
de manire extrmement rigoureuse et nuance, Louis LEGRAND intervient et dit
qu'au fond il ne sait pas si les rsultats ainsi obtenus ne sont pas plus lis
la motivation des enseignants engags qu'aux dispositifs pdagogiquesnovateurs eux-mmes ! Autrement dit, l'apport de la preuve en matire de
recherche en ducation est trs difficile, voire impossible."On voit donc que nous ne sommes pas favorables, au dpart, une valuationtous azimuts, qui nous parat entache de bien des dfauts dont le moindre
nest pas le temps quon consacre llaborer, lutiliser en classe, la
corriger et en tirer des conclusions. Encore une fois, et nous y insistons,
il nous semble que les facteurs pouvant fausser les rsultats sont
particulirement nombreux en ZEP. Nous lavons constat de nombreuses
reprises, par exemple, au cours de l'anne scolaire 1999-2000, la lecture
des rsultats dun test, relativement lourd, propos lensemble des lves
de CM2. Les indications portes par les maitres successifs sur le bulletin deliaison avec les familles mritent aussi quon sy arrte : les cas ne sont
pas rares o, dune anne sur lautre, les notes, comme les apprciations,sont trs diffrentes, voire opposes.
2. la question des outilsNanmoins, quand une valuation est ncessaire, se pose la question des
outils. Il sagit de les adapter aux objectifs de lactivit vise. Or, dans
notre cas, on a vu que non seulement les objectifs taient multiples, ce qui
complique singulirement la tche si lon veut mener un travail exhaustif,
mais que aucun dentre eux nest spcifique la philosophie pour enfants :
ceux qui relvent de comptences dordre disciplinaire (lecture, expression
orale, vocabulaire), et qui pourraient la rigueur faire lobjet dune
valuation chiffre, sont communs un grand nombre dactivits. Comment
savoir alors, et si les tests font apparatre dans ces domaines une volution
positive, ce qui revient la philosophie pour enfants ?Les autres objectifs sont encore plus transversaux. Ils concernent davantage
des comportements, dailleurs pas spcifiquement scolaires, et quil serait
bon prcisment de pouvoir observer en dehors de linstitution. A quoi bon se
fliciter davoir favoris, au sein de ltablissement, linstauration dun
climat serein, calme, o tous se sourient, sentraident et redoublent de
civilits, si les mmes individus ont un comportement agressif ds quils en
sortent ? Et comment savoir si un lve a progress dans la voie de lacitoyennet ? Comment voir que, la fin de cette anne scolaire, il sembleplus apte devenir un adulte responsable, capable de participer de faon
constructive la vie de la cit ? Quil a une meilleure image de lui-mme ?Etc.
Lvolution du comportement des lves au cours des sances de philosophie
pour enfants peut certes donner quelques indications. Mais on quitte alors le
domaine de lvaluation rigoureuse pour entrer dans celui, beaucoup plus flou,
de lanalyse subjective. Comment chiffrer un comportement ? Et si on ne peut
pas le chiffrer, comment tre sr quon le juge avec les mmes critres
plusieurs mois dintervalle ? Se pose, ici aussi, la question des enfants qui
parlent peu. On ne peut pas considrer a priori quun enfant qui ne participepas na pas fait de progrs dans lestime de soi, dans la comprhension des
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rouages de la dmocratie, dans la maitrise de la pense construite. On peut
tre un citoyen actif, responsable, autonome, sans accaparer la parole au
cours de runions interminables.
3. quelques constats
Ceci pos, on voit quun bilan est difficile tablir. Dautant plus que nous
nous heurtons une matire nouvelle en soi, et de nature diffrente de cequon a lhabitude de pratiquer lcole. En effet, il ne sagit pas, pour
nos lves dacqurir des connaissances ou des savoirs-faire, mais dinflchir
leurs comportements et leur mode de pense.Nous pouvons nanmoins dresser quelques constats.
Tout dabord, les questions poses et choisies par les lves sont rellement
de nature philosophique, pour la plupart. Parmi celles-ci, les questions les
plus gnrales sont celles pour lesquelles les dbats ont t les plus riches.
Un de nos souvenirs marquants, cet gard, fut le dbat qui runit les deux
classes de CM2 au cours de lanne scolaire 1998-99. La question choisie tait
Quest-ce que la mchancet ? Trois quarts dheure de dbats nont pas
puis le sujet. Et malgr lhoraire, un vendredi en fin daprs-midi, lecadre inhabituel (ctait le forum de lcole), la prsence de micros et dune
camra vido, la discussion a pu tre mene dans le calme, sans trop dedigressions. Les lves eux-mmes ont vcu positivement ce moment, puisquils
ont rclam plusieurs fois que de tels dbats runissant les deux classespuissent nouveau tre organiss.
La mthode prvoit que lon peut demander certains lves de jouer des rles
particuliers. Nous nous sommes contents, pour le moment, de leur proposer
danimer les dbats. Il sagit, concrtement, de donner les tours de parole et
de faire avancer la discussion selon un plan tabli lavance, et qui figure
au tableau. Tous les lves ne sont pas volontaires pour tenir ce rle, mais
nous ne manquons jamais de candidats. Les prsidents remplissent leur rle
avec conscience, et souvent avec efficacit.
Enfin, de temps autre, nous avons la satisfaction dentendre certains de nos
lves utiliser dans dautres cadres ce quils ont appris au cours des dbatsphilosophiques. Lexemple le plus frappant est sans doute la remarque faite
par un enfant, au cours dune runion qui runissait le principal et les
professeurs du collge du secteur, des parents et lensemble des lves de
CM2. Ctait une runion de prsentation lintention des futurs collgiens.
On devait ny traiter que des questions gnrales : fonctionnement du collge,
organisation des cours, etc. Or, une maman sobstinait parler de son
exprience personnelle. Un des lves de CM2 souffla alors sa maitresse Mais ce ne sont pas des questions dordre gnral quelle pose l ! Preuveque non seulement il avait compris ce que cest, mais quil avait vu que
ctait ce type de problmes qui devaient tre dbattus dans la runion enquestion. Il avait par ailleurs montr quil tait capable de porter un
jugement critique et pertinent sur des propos tenus par un adulte.
Des lves ont galement employ les termes utiliss couramment au cours des
dbats de faon dcontextualise. C'tait au cours d'une sance de lecture, o
je demandais aux enfants s'ils avaient tous trouv la mme rponse aux
questions poses. Dans certains cas de dsaccord, un dbat s'est engag, o
l'on a pu entendre des phrases du genre : "Je ne suis pas d'accord avec la
rponse donn par Anthony parce que..."4. une valuation amricaine
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Ces quelques constats sont encourageants, mais peut-tre quelque peu
frustrants pour les collgues qui seraient tents d'utiliser la philosophie
pour enfants dans leur classe. Il nous est nanmoins difficile d'en dire plus,
en ce qui concerne notre travail, en partie cause de la dure encore courte
de notre exprimentation et galement cause des difficults voques
ci-dessus. Il n'est donc srement pas inutile de rapporter ici les rsultatsd'valuations menes dans les pays o la philosophie pour enfants tend se
gnraliser, et o elle est utilise, sur certains sites, depuis de nombreuses
annes.Plusieurs tudes ont ainsi t menes, tant aux tats-Unis quau Qubec, pour
mesurer limpact du Programme. Les rsultats dune de ces tudes, mene au
Qubec dans les annes 80, ont t rapports par Pierre LEBUIS dans la revue
canadienne Interface (n de mars-avril 1989). Voici quelques-unes des
conclusions de cette valuation :
Tous les enfants ont pass un test de raisonnement logique [...]. Ce test
porte sur linclusion de classe, la transitivit, le raisonnement inductif,
la connaissance des relations, le raisonnement syllogistique et leraisonnement conditionnel. On leur a galement administr un test destime
de soi (Piers-Harris), qui permet dvaluer des aspects comme limage desoi, la confiance en soi, lacceptation de son image corporelle, etc. [...]En analysant les rsultats obtenus, nous avons not que les enfantsappartenant aux groupes exprimentaux avaient connu un gain significatif sur
le plan du raisonnement logique, particulirement en ce qui a trait aux
relations transitives, aux problmes dinclusion et aux problmes
syllogistiques. Les tests et les entrevues ont rvl un progrs trs marqu
sur le plan du raisonnement inductif et de la connaissance des relations.
Les rsultats concernant lestime de soi ont montr que, globalement, les
lves amlioraient la confiance en leur popularit et en leur intelligence,
et diminuaient leur taux danxit. [...]Les remarques faites par les enseignantes [...] permettent de constater chez
les enfants des progrs importants dans les domaines de la formation desconcepts, des habilets langagires, des capacits relationnelles et des
habilets de raisonnement. Les enfants sont plus veills et portent un
intrt accru tout ce qui les entoure. Ils sont nettement plus conscients
de limportance des mots et des ambiguts de signification. Ils deviennent
plus habiles sexprimer, argumenter laide de raisons, nuancer leur
propos. Ils sont plus attentifs aux propos des autres, pratiquent une coute
active et sont ports sentraider, tant sur le plan de lexpression desides que dans lensemble des activits scolaires. Ils deviennent plusinventifs, cherchant des voies originales et souvent indites. Ils acceptent
quil ny ait pas ncessairement de rponse toute chose, toute question.Certains lves, reconnus pour leur timidit, ont dvelopp suffisamment de
confiance en eux pour jouer un rle actif au sein du groupe.Evolution - perspectives
Nous envisageons de continuer pratiquer la philosophie pour enfants. Sur les
cinq collgues de l'cole qui ont suivi le stage de quatre semaines propos
par l'IUFM de Caen, quatre sont encore membres de l'quipe enseignante en
cette anne 2001-2002. La plupart des autres ont pu, dans un cadre ou un
autre, assister une prsentation de la dmarche. Des runions de mises ensituation ont galement t organises, o lensemble des collgues prsents
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ont pratiqu la philosophie pour adultes , en suivant la mthode dcrite
dans ces pages. Le point de dpart tait l aussi un texte de fiction crit
spcialement, mais diffrent de celui que nous utilisons en classe avec les
lves. Notons que, depuis quelques mois, ces runions visent non seulement
les collgues du groupe scolaire, mais l'ensemble des personnels qui
enseignent dans notre ZEP : ceux des trois groupes scolaires et du collge dusecteur. Depuis l'anne dernire (2000-2001), des sances de philo pour
enfants ont ainsi lieu dans le CM2 d'une de ces coles et, depuis cette
rentre 2001, quelques tentatives ont galement vu le jour en sixime. Parailleurs, et cette perspective nous parait fort intressante, la dernire
collgue de notre cole avoir suivi ce stage, au cours de la session d'avril
2002, est titulaire du poste de rducatrice psycho-pdagogique. Son domaine
d'intervention est plutt constitu par les petites classes, maternelle et
cycle 2 (soit les enfants de 3 7 ans). Elle envisage, pour l'anne scolaire
prochaine, un dbut de mise en pratique des discussions vises
philosophiques avec certaines des classes o elle intervient. A terme, et sauf
changement, nos lves auront donc l'opportunit de bnficier de tellessances depuis les dernires annes d'cole maternelle jusqu'au CM2, soit sur
la quasi-totalit de leur cursus scolaire primaire. Je ne manquerai pas, celava de soi, de rendre compte ici-mme de ces volutions, et des constats qui
peuvent tre tirs de cette exprimentation sur une chelle largie.Auto-formationLes sances d auto-formation voques ci-dessus sont apprcies par les
collgues. Elles sont dailleurs recommandes par les concepteurs amricains
de la mthode. Il nous paraitrait par ailleurs assez incohrent de prner la
mise en place de dbats dans les classes en assnant nos collgues un
discours du haut de la chaire, mme si ces pratiques incohrentes, qui
relvent du "Faites ce que je dis mais pas ce que je fais" sont monnaie
courante dans l'Education Nationale. Alors mme que sont rgulirement
rappels tous niveaux les vertus de l'exemple. En ce sens, par ces mises en
pratique destines aux enseignants, nous allons plus loin que Fernand OURY,le thoricien de la pdagogie institutionnelle, qui annonait, parlant des
travaux de son quipe : "Ne rien dire que nous n'ayons fait". Nous y
ajouterions "Ne rien proposer nos lves que nous n'ayons nous-mmes vcu."Obstacles
Notre but est videmment de favoriser la diffusion de notre pratique, pour
permettre un nombre croissant d'enfants d'en bnficier, sur la plus grande
dure possible. C'est d'ailleurs le souhait de certains de nos lves,notamment ceux qui taient scolariss en CM2 dans notre cole l'annedernire. Ils nous ont demand continuer la philo en sixime, et ont
galement fait part de cette demande au Principal du collge.Mais la diffusion de la dmarche se heurte un obstacle majeur, savoir les
modifications constantes au sein de l'quipe enseignante. Alors qu'elles sont
vivement encourages certains niveaux de la hirarchie, elles nous
contraignent tenter de convaincre de nouveaux collgues qui ne sont pas
forcment sensibiliss ce type de pratique, et procder de fastidieuses
rexplications, qui seraient vits si les quipes taient plus stables.
(Plusieurs tudes montrent d'ailleurs que cette stabilit est facteur de
russite des lves).Les petites classes
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Le travail avec les petites classes, en particulier les CP, ncessite quelques
amnagements par rapport la dmarche propose par LIPMAN. Bien que celui-ci
ait prvu de commencer utiliser ses romans ds la grande section de
maternelle, il nous a d'abord sembl difficile de le faire avec nos plus
jeunes lves : ils ne sont pas lecteurs, au moins en dbut d'anne. Les
textes servant de support l'mergence des questions doivent donc tre luspar les adultes. Dans ces conditions, l'utilisation de ces romans, assez peu
vivants, il faut bien le reconnaitre, nous semblait peu approprie. Nous avons
donc tent d'utiliser des images, et des contes de fe. Mais ces supports nenous ont pas paru aussi satisfaisants que les romans de LIPMAN. Les albums
destins aux jeunes lecteurs, et mme les contes, se sont finalement rvls
moins riches quant aux sujets induits que les ouvrages crits spcialement
pour la dmarche. Dans certains cas, seules une ou deux questions pouvaient
merger. Ne valait-il alors pas mieux faire l'conomie de ce temps de
lecture-questionnement, devenu quelque peu artificiel puisque les adultes
savaient par avance quelle question on arriverait ? N'tait-il pas plus
honnte, et mme tout bonnement plus simple, de poser directement celles quenous avions en tte ? C'est ce que nous avons fait, pour quelques-unes des
sances.D'autres, plus tard dans l'anne, ont t bases sur la lecture magistrale
d'un passage d'Elfie. A notre grande surprise, la magie a opr. Les lves deCP ont parfaitement compris le fonctionnement du texte et ont propos des
thmes proches de ceux qui mergent chez leurs camarades plus gs, quoiqu'en
moins grand nombre, et formuls moins systmatiquement sous forme de
questions.Une volution notable...Si, depuis que nous pratiquons la philosophie pour enfants, de nombreuses
classes ont pu bnficier de sances plus ou moins rgulires, l'accent a t
mis plus particulirement sur les "grands" (CM1-CM2). Nous nous efforons,
chaque anne, de faire bnficier ces classes de plusieurs cycles.
Vers le milieu de l'anne scolaire 2001-2002 une volution notable estapparue, dans le CM2 o les sances de philosophie pour enfants ont lieu avec
la plus grande rgularit (environ un "cycle" par mois). Influenc par des
dbats tenus sur Internet, et par l'enthousiasme des lves, j'ai tent, en
accord avec le maitre titulaire de cette classe, de me passer du support
utilis jusque l, savoir le roman "Elfie" de Matthew LIPMAN. J'ai demand
aux lves de rflchir aux questions d'ordre gnral qu'ils souhaiteraient
voir dbattues : questions poses lors de prcdentes sances et non retenues la suite du vote, ou questions entirement "originales". Si on peut mesurerle succs d'une telle sance au nombre de questions proposes, ce nouveau
fonctionnement est une russite. A l'issue des phases de recherche dequestions, la cueillette a t trs fructueuse. C'est, bien souvent, des
considrations lies au temps qui s'coule qui nous contraignent y mettre un
terme. Le droulement classique du programme LIPMAN est ensuite maintenu :
choix par vote deux tours de la question qui sera dbattue, et dbat
proprement dit au cours d'une nouvelle sance qui a lieu gnralement une
semaine plus tard. Les deux derniers cycles de la mme anne, dans la classe
voisine (un CM1-CM2) ont repris le mme dispositif. Au dbut de l'anne
2002-2003, alors que nous venions de mener le premier cycle en partantd'Elfie, un des lves qui avait vcu ces sances en CM1 a propos de revenir
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au droulement mis en place en fin d'anne dernire. Nous avons convenu, pour
les sances qui viennent, d'alterner les sances "classiques" (recherche de
questions aprs lecture du texte) avec des sances sans support, les lves se
lanant directement dans la recherche de questions.... devenue caractristique fondamentaleAu fil du temps, de la rflexion, des expriences menes en dehors du cadrescolaire, ce qui tait apparu presque fortuitement, titre quasi
exprimental, m'est apparu comme une caractristique centrale, et je pense
totalement indite, de ma pratique. Je dfinirais cette caractristique lapossibilit donne aux enfants de faire voluer le dispositif auquel ils sont
soumis. Les temps de bilan, en fin de sance, sont l'occasion de l'examiner,
de constater d'ventuels dysfonctionnement, et de tenter de trouver ensemble
les moyens d'y remdier. Ainsi, quand ce sont les enfants eux-mmes qui
tiennent le rle de distributeur de parole, ce qui me semble tre une faon
supplmentaire de m'effacer, et ce que je tente d'instaurer assez rapidement,
on peut discuter de la faon qu'a eu le distributeur dsign ce jour-l de
remplir sa tche. On peut aussi se mettre d'accord sur le mode de dsignationde ce rle, en cas d'abondance de candidatures. Dans un autre domaine si,
comme cela s'est assez souvent produit, la gestion du temps pose problme, onpeut galement voir ensemble comment faire pour que les choses se passent
mieux etc.Bien sr, tout ceci concourt rendre aux enfants un pouvoir qui ne devrait
pas leur tre si souvent confisqu, ne serait-ce que dans une perspective
d'ducation citoyenne, et d'initiation la dmocratie - mais ces finalits
elles-mmes sont en fait relativement rductrices, en ce sens qu'elles ne sont
qu'un aspect d'objectifs bien plus vastes et, dirais-je, plus philosophiques :
il s'agit de montrer tous et chacun que nous sommes collectivement
responsables de ce que nous vivons, de ce que nous sommes ; de montrer qu'il
importe pour chacun de devenir d'une certaine faon l'auteur de sa vie, de
devenir son propre sculpteur, en sortant de la minorit intellectuelle
dnonce par Emmanue KANT dans "Qu'est-ce que les lumires ?" ; de montrer parl'exemple, par la situation vcue, que les difficults ne peuvent se rgler de
faon satisfaisante que si on s'y attelle, et pas si on attend je ne sais
quelle intervention extrieure ; de montrer que la pense n'est pas spare de
l'action, mais qu'elle en est le prolongement et la condition.Rsurgence des fondements de la dmocratie athniennePlutt que de me rfrer un dispositif immuable (la dmarche LIPMAN, en
l'occurrence), il apparait donc souhaitable que ce dispositif volue lademande et sous l'impulsion des participants. En classe, cette volution semanifeste principalement sous la forme de l'abandon des textes comme point de
dpart, comme rapport ci-dessus. A l'Universit Populaire, les enfants ontfait la mme demande. Dans l'un et l'autre cas, il s'agissait de sortir du
cadre assez rigide du recours au texte, pour pouvoir proposer des questions
qui n'en seraient pas issues. Notons d'ailleurs qu'une drive possible du
dispositif LIPMAN "pur", c'est que, quand les enfants ressentent ce cadre
comme trop contraignant, ils peuvent proposer des questions inspires par un
mot, un seul. A la limite, la phrase "Tu n'as aucune chance de gagner",
extraite de 'Elfie' pourrait lgitimement produire la question : "Que veut
dire 'avoir' ?" Dans ce cas, qui plus peut-tre qu'une drive, ressemble fort un dvoiement du dispositif, pourquoi refuser aux enfants la possibilit de
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produire des questions sans rapport avec le texte ? C'est ce qu'ont souhait
les participants de l'atelier organis dans le cadre de l'Universit
Populaire, au cours de l'hiver 2003. La rgle initiale, "Proposez des
questions inspires par le texte" a donc volu en "Proposez des questions
inspires par le texte, ou d'autres questions que vous auriez envie de
traiter". A d'autres moments, est apparue la possibilit de poser desquestions non plus inspires par un texte, maias par un objet propos par un
des participants et accept par les autres. Et j'entends "objet" au sens large
: des oeuvres d'arts visuelles ou auditives, des odeurs, des gots ont ainsit aussi explors ; ils ont du moins t source de questionnement, aussi
riche d'ailleurs que les textes de Lipman. Des traces consquentes de cette
faon de faire sont disponibles sur le site "Philosophes en herbe", o
figurent des compte-rendus des sances de l'atelier de discussion
philosophique que j'anime l'Universit Populaire de Caen.Cette caractristique du groupe, autoris faire voluer le dispositif qui
lui est propos, m'apparait comme une transposition assez pertinente d'un des
fondements de la dmocratie athnienne, l'isocratie, entendue comme l'galitpar rapport l'exercice du pouvoir. Ds lors que le groupe peut choisir de
faire voluer les rgles auxquelles il se soumet, le pouvoir est rellementpartag, beaucoup plus que dans un dispositif prsent comme immuable, mme
s'il se dfinit comme un "non-dispositif" (cf. "La mthode de l'intervenant",de Jean-Franois CHAZERANS). De ce point de vue, on peut d'ailleurs se
demander s'il n'est pas souhaitable de proposer dans les premires sances un
dispositif assez construit, qui se prtera plus facilement des amendements
successifs qu'un dispositif plus ouvert.Outre le principe d'isocratie, la dmocratie athnienne reposait sur
lisonomie, l'galit par rapport la loi, et sur lisgorie, l'galit par
rapport la prise de parole. Si l'galit par rapport la loi est au moins
proclame dans nos dmocraties, qui se disent "tats de droit", il semble que
les autres principes soient assez gnralement bafous. L'isocratie, difficile
probablement mettre en place l'chelle d'une nation regroupant desmillions d'individus, pourrait inspirer une rflexion pour, au moins,
"refonder la dmocratie locale", comme le dit Jeannette BOULAY. De mme,
l'isgorie serait davantage assure en pensant des moyens d'viter les drives
de la dmocratie reprsentative, au moins, encore une fois, au niveau local,
voire, comme le prconisait en son temps le Commandant COUSTEAU, une plus
vaste chelle, par exemple en utilisant les moyens de communication nouveaux.
Quoiqu'il en soit, une des faons de faire merger des proccupations de cetype est l'vidence la mise en oeuvre de ces principes dans le systmeducatif dans son ensemble, c'est--dire au sens le plus large possible : non
seulement au sein de l'cole, et ce, ds les plus petites classes, mais aussi l'extrieur de celle-ci, dans des lieux trs divers, l'Universit Populaire
de Caen fournissant un exemple, parmi d'autres, de ce qui peut tre entrepris
dans ce domaine. Au-del mme de ces institutions, officielles ou non, on peut
envisager que l'tude et la diffusion de ces principes pourraient faire
positivement voluer l'attitude ducative de certains parents...