dorina teza

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MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT ET DE LA JEUNESSE DE LA RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA UNIVERSITE D’ETAT «ALECU RUSSO» DE BĂLŢI FACULTE DE LANGUES ET LITTERATURES ETRANGERES CHAIRE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE A titre de manuscrit C.Z.U.: 811.133.1’373 Dorina COJOCARI TRADUCTION ET PLURILINGUISME : ASPECTS LINGUISTIQUES ET SOCIO-CULTURELS Thèse de licence Directeur de recherche, docteur ès lettres Ludmila Cabac

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Page 1: dorina teza

MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT ET DE LA JEUNESSE DE LA

RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

UNIVERSITE D’ETAT «ALECU RUSSO» DE BĂLŢI

FACULTE DE LANGUES ET LITTERATURES ETRANGERES

CHAIRE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE

A titre de manuscritC.Z.U.: 811.133.1’373

Dorina COJOCARI

TRADUCTION ET PLURILINGUISME : ASPECTS

LINGUISTIQUES ET SOCIO-CULTURELS

Thèse de licence

Directeur de recherche,

docteur ès lettres

Ludmila Cabac

BĂLŢI2008

Page 2: dorina teza

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION …………………………………………………………… p. 3

CHAPITRE I L’UNIVERS DE LA TRADUCTION ……………………... p. 8

1.1. La traduction – de l’empirisme à la doctrine …………………………….. p. 9

1.2. La traduction comme activité humaine ………………………………….. p.14

1.2.1. La typologie de la traduction …………………………………………. p. 16

1.3. La traduction comme contact de langues ……………………………… p. 22

CHAPITRE II LA TRADUCTION COMME EQUATION CULTURELLE

2.1. La traduction –transposition communicative interculturelle …………… p. 26

2.2. Difficultés de traduction et barrières socio-culturelles ………………… p. 30

CHAPITRE III LES ASPECTS LINGUISTIQUES DE LA TRADUCTION

3.1. Les instructions intra-linguistiques ………………………………… p. 36

3.1.1. Les instructions d'ordre sémantique …………………………… p. 37

3.1.2. Les instructions d'ordre lexical ………………………………… p. 40

3.1.3. Les instructions grammaticales ………………………………… p. 42

3.1.4. Les instructions stylistiques …………………………………… p. 44

3.1.5. Les instructions infra linguistiques …………………………… p. 46

3. 2. Les déterminants pragmatiques ……………………………………… p. 47

3. 2.1. La référence à la micro-situation ……………………………. p. 50

3. 2.2. La référence à la matière traitée ……………………………… p. 51

3. 2.3. La référence au récepteur (ou allocutaire) …………………… p. 52

3. 2.4. La marque du sujet parlant (ou locuteur) …………………….. p. 55

3. 2.5. Les implications d'ordre affectif ……………………………. p. 56

3. 2.6. Les déterminants extralinguistiques ………………………… p. 58

3.3 La traduction comme acte de communication poétique ……………… p. 59

CONCLUSIONS…………………………………………………………… p. 64

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES…………………………………… p. 68

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INTRODUCTION

Généralement, la traduction est la conversion d’un signe (linguistique ou non) en

un autre. C’est une gymnastique consciente de l’esprit qui consiste à nommer ou à

interpréter une réalité par les constituants d’une autre réalité, et ce, même si elles

semblent de nature identique. Que faisons-nous, par exemple, quand nous expliquons un

mot d’une langue par d’autres mots de cette même langue, sinon un acte de traduction?

Que faisons-nous également quand nous décrivons linguistiquement une réalité qui ne

l’est pas a priori (description d’un paysage, d’une fresque, etc.)?

La traduction, comme activité de la pensée humaine, assure une certaine liaison entre

différents modes de communication, une espèce de lien dialogique entre deux ou

plusieurs langues, deux ou plusieurs moyens d’expressions, deux ou plusieurs

imaginaires, voire deux ou plusieurs cultures souvent dissemblables.

A cet égard, les approches de traduction de langues liées à l’interculturalité ont pris

une importance de plus en plus grande dans les domaines de recherche s’intéressant aux

phénomènes de contact, de comparaison de cultures et de compréhension des langues

dites étrangères.

Par la présente investigation intitulée «Traduction et plurilinguisme : aspects

sociolinguistiques et culturels» on se propose d’étudier les problèmes d’interactions des

phénomènes de la langue, culture, traduction et plurilinguisme afin d’établir des rapports

distincts pour répondre aux exigences d’une communication interculturelle. Autrefois la

traduction ne présentait pas trop d’intérêt, car on considérait que la langue, et

notamment son lexique, est un simple inventaire de mots, qui ont des correspondants

adéquats dans d’autres langues. La traduction a connu comme source une simple

nécessité pratique immédiate, ayant au début un caractère oral, rencontrée sous le terme

d’interprétation, d’explication. Mais petit à petit la traduction se retrouve entièrement

dans le cadre de la détermination d’une culture et ses rapports avec les autres cultures.

Ainsi elle devient l’un des rouages essentiels des échanges interculturels. Les multiples

dimensions de la traduction ont certes déjà fait l’objet d’études diverses, aussi utiles les

unes que les autres. Les activités traductrices d’une langue vers une autre langue, d’une

culture vers une autre, font apparaître plusieurs problèmes, lesquels demandent à être

élucidés et circonscrits. On pourrait dire que plurilinguisme vise autre chose et comme

notion le terme comme tel décrit le fait qu'une personne ou une communauté soit

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plurilingue, c'est-à-dire qu'elle soit capable de s'exprimer dans plusieurs langues. Mais

il faut aussi mentionner que le plurilinguisme préserve la vitalité des langues: l'idée

souvent avancée est que la langue et la culture françaises ont dû leur développement

exemplaire au fait qu'elles plongeaient leurs racines dans un ensemble de langues et de

cultures diverses. L'apprentissage d'une langue étrangère est une richesse, quand elle

vient en complément de la propre langue de l'individu. Elle impose néanmoins une

exigence au locuteur bilingue : pour être compris des deux communautés linguistiques,

il faut que celui-ci ait la capacité de ne pas mélanger les langues; or une telle capacité

requiert un travail d'analyse critique et de compréhension. L'académicienne Jacqueline

de Romilly plaide pour l'étude du latin et du grec "parce que l'on prend mieux

conscience des structures de sa propre langue, que l'on mesure les parentés, les

différences, qu'en cherchant le mot exact pour une traduction on développe son attention

aux nuances de sens, qui sont aussi des nuances de pensée" [Lettre(s)de l'Association

pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française (ASSELAF), numéro 17, été

1996, p. 5.]

Nous considérons ce sujet actuel, car, à notre avis, le relèvement des aspects

socio-culturels et linguistiques est plus évident dans le cadre de la traduction. De plus, la

langue et la culture ne peuvent pas être relevées de façon séparée, surtout dans le

passage d’un code linguistique à l’autre.

Le but de cet ouvrage consiste dans la présentation des problèmes de traduction

du point de vue linguistique et socio-culturel, afin d’atteindre une communication

interculturelle. La diversité culturelle implique la diversité des langues. Un dialogue

interculturel qui ne passerait pas par une pluralité des langues est impensable.

Traduction et plurilinguisme sont ainsi des préalables obligés à ce type d’échanges. Par

cette étude on tâche aussi de mettre à point les difficultés qui apparaissent dans le

processus de la traduction. Chaque langue dispose de quelques traits propres, exprimés

au niveau lexical, sémantique, stylistique, phraséologique, qui relèvent ce caractère

culturel national. Les distinctions culturelles relevées conditionnent aussi des difficultés

de communication. En partant d’une analyse structurale du concept de traduction, on

poursuit le but d’attendre le niveau textuel, fonctionnel, enfin celui integratoire, pour

arriver finalement à la délimitation du terme traduction comme facteur de

communication interculturel, où la traduction devient par conséquence un acte

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communicatif interculturel, et le traducteur et soumis à un double travail : celui

d’émettre le message et de le réceptionner. Il devient ainsi un pont qui lie deux systèmes

lingvo-culturels appartenant à deux mondes différents.

Tout en essayant de pénétrer dans ce monde de la traduction plein de mystère,

nous avons réussi à faire une modeste étude qui pourrait éclaircir certains secrets de la

traduction. Nos recherches ont comme support théorique presque 30 livres

scientifiques (les auteurs consultés étant Georges Mounin « Les problèmes théoriques de

la traduction », Denis Thouard « Points de passage : diversité des langues, traduction et

compréhension », Paul Ricoeur « Sur la traduction », Cristea T. « Les stratégies de la

traduction », Henri Meschonnic « Poétique du traduire », Jean-René Ladmiral

« Traduire : théorèmes pour la traduction », Jean Peeters « La traduction : De la théorie

à la pratique », Marc de Launay « Qu'est-ce que traduire ? »,Catherine Paulin, Philippe

Rapatel «Langues et cultures en contact. Traduire et commenter », Colette Laplace

« Théorie du langage et théorie de la traduction », etc. Le matériel illustratif monte à ce

moment à une dizaine d’exemples tirés des œuvres littéraires (L. Rebreanu, M.

Eminescu, Saint-Exupéry, P. Verlaine, N. Calef, P. Pardău).

Les méthodes dont nous nous sommes servis sont la méthode comparative (la

comparaison entre deux langues), la déduction (en reconnaissant les types de textes et

les modalités lexicologiques, syntaxiques et stylistiques pour transmettre l’information),

l’observation, l’analyse contextuelle tenant compte des contextes environnants dans le

choix des variantes des traductions.

Les résultats de notre recherche peuvent être appliqués :

- aux leçons de la théorie de la traduction ;

- aux leçons de culturologie;

- aux leçons pratiques de la traduction.

Le corpus de notre travail est constitué de l’introduction, de trois chapitres, des

conclusions et des références bibliographiques.

Dans le premier chapitre nous allons concentrer notre attention sur l’univers de

la traduction, la traduction comme activité humaine, la typologie de la traduction et la

traduction comme contacts des langues. La traduction n'est pas exclusivement le

passage d'une langue à une autre, mais le rapprochement de deux cultures, voire de

plusieurs cultures. Un rapprochement qui n’exclut évidemment pas la notion d’écart que

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provoquent les interférences linguistiques et culturelles inhérentes à la praxis

traduisante. Chercher les équivalents et les correspondants est certes un moyen qui

garantit un transfert quelconque d’une langue à une autre, mais tenir compte uniquement

de ces deux faits conduirait à anéantir toute dimension interlinguistique – et, partant,

interculturelle – porteuse de significations nouvelles. C’est dire qu’à côté de la

traduction proprement dite, qui a pour tâche de transposer des signes linguistiques à une

langue différente, il existe deux autres formes de traduction où l’interprétation opère,

soit au sein d’une même réalité linguistique, soit d’un système de signes à un autre qui

en est distinct. Si l’on se réclame de Roman Jakobson, l’on donnera pour la première

activité le nom de « traduction interlinguale » définie par Jakobson comme

l’interprétation de signes linguistiques sources par d’autres signes

linguistiques cibles, et pour les deux autres respectivement les appellations :

« traduction intralinguale » ou reformulation et « traduction intersémiotique »

qui consiste en l'interprétation des signes linguistiques au moyen de signes non

linguistiques [21, p.428-430].

Les variations dialectales et culturelles, le phénomène de la remotivation (para et

pseudo-remotivation), les contaminations de sens fréquents dans ce domaine, les

différentes connotations qu’induisent les divergences socioculturelles entre

communautés linguistiques, sont à prendre en considération pour la réussite (ou non) de

la traduction. Ainsi, grâce à la traduction, la migration des idées (et des cultures)

devient plus aisée. Par son biais, la charge culturelle de la langue source se superpose à

celle de la langue cible. Et c’est là où réside, semble-t-il, l’importance de l’« enjeu » de

toute action de traduction.

Dans le deuxième chapitre on s’arrête aux problèmes de la traduction comme

équation culturelle. On traite aussi le concept de culture et l’interdépendance de ce

concept avec celui de la langue et de la traduction. Les études interculturelles permettent

la connaissance des autres cultures, l’opération avec d’autres valeurs spécifiques et donc

la communication extralinguistique. Par l’intermédiaire de l’étude des langues, une

étude interculturelle et plurilingue améliore la compréhension du spécifique et des

divergences. Ainsi la langue et la culture ont été toujours indissolubles. Dans le

deuxième chapitre on s’arrête aussi aux problèmes des difficultés de traduction, des

barrières socio-culturelles et de leur délimitation textuelle.

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Dans le troisième chapitre on tâche de relever les problèmes de la traduction et ses

aspects linguistiques. Dans ce chapitre nous étudions les moyens lexicaux, syntaxiques

et stylistiques de traduction pour conclure que le choix entre les opportunités de la

traduction se fait en dépendance des fonctions et des buts communicatifs des textes, le

traducteur ayant soin de conserver parfois l’information dénotative, parfois celle

connotative ou communicative. On essaie aussi de traiter la traduction comme une

activité communicative poétique au niveau de différentes langues afin d’établir les

obstacles qui surgissent dans cette activité et par quoi diffère-t-elle d’une langue à

l’autre et sur quelle fonction repose les unités du langage poétique dans le processus de

traduction.

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CHAPITRE I

L’UNIVERS DE LA TRADUCTION

A l’intérieur d’une langue, ou d’une langue

à l’autre, la communication est une traduction.

Étudier la traduction c’est étudier le langage.

George Steiner, Après Babel, 1998

La traduction, se trouvant au carrefour de l’intérêt d’étude tant de la linguistique,

que de la sociologie, de la psychologie, de la culturologie ( sans être l’objet d’étude

essentiel de ces disciplines) s’impose pas seulement comme réalisation intellectuelle,

théorique ou pratique, mais aussi comme un problème lingvo-culturel. L’étude de la

traduction comme phénomène intégrateur est enrichie continuellement par de nouveaux

progrès, recherches et investigations.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, à savoir "la traduction en milieu plurilingue et son

univers interculturel", il nous semble nécessaire de rappeler un certain nombre de

considérations générales autour de l’acte traductif afin de bien cadrer notre propos. Or,

pour peu qu’on réfléchisse à la question, on se rend compte qu’il ne s’agit absolument

pas d’une simple technique dans le processus de la traduction que l’on peut apprendre

grâce à des recettes valables en tous temps et en tous lieux mais bien un champ

d’investigation qui fait s’entrecroiser la plupart des disciplines.

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La traduction interpelle d’abord la philosophie dans la mesure où elle permet de

reposer le vieux problème du Même et de l’Autre. Le texte traduit est-il le même texte

que l’original ou un autre texte ? Autrement dit "Hamlet" en anglais est-il le même texte

ou un tout autre texte que "Hamlet" en français ou "Hamlet" en roumain ? Il n’est pas

facile de répondre à cette question. La traduction interpelle bien sûr la linguistique

puisqu’elle travaille sur un matériau langagier. Longtemps d’ailleurs, on a considéré la

traductologie, c’est-à-dire la réflexion sur l’acte traductif, comme une branche de la

linguistique, comme de la linguistique appliquée. Mais traduit-on vraiment de la

langue ? Traduit-on des formes grammaticales ? La traduction interpelle la littérature

dans la mesure où elle pose la question de l’identité textuelle et de la classification

générique ? Existe-t-il une différence de nature ou simplement de degré entre un vers

comme "Străin şi făr’ de lege de voi muri atunce, / Nevrednicu-mi cadavru în uliţă

l’arunce … " et une phrase extraite d’un mode d’emploi comme "Fatalitatea este un

viciu vital…" ? Y a-t-il une spécificité de la traduction littéraire, et donc du langage

littéraire ? Longtemps, là encore, la traduction fut considérée comme une branche de

l’analyse littéraire, celle qui est communément appelée la stylistique littéraire. La

traduction a affaire aussi à la psychologie : qu’est-ce qu’être bilingue ? Par quels

mécanismes mentaux parvenons-nous à décrypter un message en langue étrangère ?

Comment s’y prend concrètement le traducteur une fois la langue étrangère acquise au

plan lexical, syntaxique et rhétorique. La traduction à avoir avec l’histoire surtout car

chaque époque comporte son propre horizon traductif, sa propre conception de l’acte de

traduire. Ainsi au XVIIe siècle, époque dite des "Belles Infidèles", il était licite de

modifier le texte que l’on était en train de traduire s’il contrevenait à la morale ou s’il

critiquait le pouvoir en place. Il était licite de tenter d’améliorer, d’embellir le texte

original en le traduisant [Raphaël Confiant, La traduction en milieu diglossique].

Aujourd’hui, notre vision des choses a changé du tout: nous avons le respect absolu du

texte. Le texte est devenu un monument et ce serait un crime de lèse-majesté que d’en

supprimer des parties, de le modifier ou de l’arranger à notre manière. C’est

premièrement violer la traduction comme telle, c’est violer les principes de traduction,

c’est ignorer son histoire et ses lois.

1.1. La traduction – de l’empirisme à la doctrine

La traduction a une histoire de plus de 5 000 ans. C'est un âge respectable qui fait

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penser à un éloge sincère qu'on rend à toutes les sciences qui préoccupent l'homme. La

quête permanente de la vérité absolue a entraîné l'homme dans l'aventure de la

recherche. Très omnisciente à l'origine, la science représentée exclusivement par la

philosophie, a jeté les bases des voies futures à suivre par la curiosité insatiable de l'être

humain. Les premières questions sur la raison d'être, sur la primauté de la matière ou de

l'esprit continuent de tracasser les chercheurs avec une ferveur encore plus effrénée,

ferveur qui n'a point diminué à la longue des siècles. Par contre, les domaines de la

recherche se sont multipliés, la persévérance et l'esprit humain semble ne pas avoir de

limites - il fouille dans les atomes qui, paraît-il, cachent la clé de la connaissance, la

solution parfaite et finale à toutes les questions qui ne cessent de surgir

quotidiennement.

Une science connaît le progrès grâce aux hypothèses qu'elle avance pour les

prouver ultérieurement. C'est un vecteur traditionnel- de l'hypothèse vers l'expérience.

Chose curieuse survient dans le cas de la traduction (car nous ne conservons aucun

doute sur le caractère scientifique de la traduction) : l'expérience précède l'hypothèse.

La traduction est tout d'abord une activité pratique qui descend dans la nuit des temps,

lorsque les premiers hommes commencèrent à voyager et rencontrèrent, au hasard de

leurs déplacements, des semblables avec lesquels ils ont du établir une certaine forme

de communication, si rudimentaire qu'elle ne fût. Quant à la traduction écrite, des

fouilles archéologiques sur le site de l'ancienne cité d'Ebla, dans le nord de la Syrie, ont

permis d'exhumer des tablettes datant du troisième millénaire avant Jésus-Christ sur

lesquelles figurent des inscriptions bilingues - et même trilingues - c'est l'ancêtre connu

de nos dictionnaires de traduction [13, p.21].

La première école des traducteurs l'Ecole de Tolède a été fondée par R. de Tolède, en

1125-1151 au XII siècle en Espagne [37, p. 34]. Dans cette école on formait des

traducteurs dans toutes les langues européennes, classiques et orientales. Pour l'histoire

de la traduction en Occident, le travail fourni par l'école de Tolède est comme un travail

de popularisation, la traduction sort de l'inconnu. L'école de Tolède réunissait les deux

conditions nécessaires à cette naissance: une différence de culture entre deux

communautés et le contact direct entre ces deux communautés (la communauté

chrétienne et celle musulmane).

Le retard culturel et scientifique de l'Occident sur les arabes ne pouvait manquer de

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Page 11: dorina teza

provoquer une soif énorme de connaissances, fait qui expliquer pourquoi tant de

brillants esprits ont préféré s'adonner à la traduction plutôt qu'à la recherche

scientifique originale.

Le terme « traduction » n'apparaît en France pour la première fois qu'en 1540, sous

la plume d'Etienne Dolet, imprimeur humaniste et traducteur. Or, le XVI-e siècle est le

grand siècle de la traduction, le siècle de la découverte des auteurs classiques gréco-

latins, dont la diffusion sera facilitée par l'imprimerie qui fait son apparition [32, p.12].

Le premier monument écrit en langue roumaine fut une lettre datée de 1521. De la

même année est datée la mention officielle des traductions de et vers le roumain,

traductions effectuées pour le Conseil Municipal de Sibiu.

Vers la fin du XV -e siècle, le prince régnant de la Moldova Etienne le Grand (1457-

1504) qui avait un secrétaire italien et entretenait des relations avec des pays européens

plus développés économiquement, comme la Pologne et l'Italie (Venise), a ordonné

l'écriture des chroniques, fait qui nous rappelle l'apparition des premières littératures

nationales du monde. Ces chroniques étaient rédigées en slave et"grec - langues de

vaste circulation (à coté du latin) parmi les représentants du clergé et les personnalités

remarquables de la culture moldave, valaque et transylvanienne. Les princes régnants

des Pays Roumains avaient l'habitude d'ériger des monastères et des églises, en usant

lors de la construction des services des architectes et peintres étrangers. Plus que ça, ils

entretenaient des liens étroits avec les centres religieux de l'Eglise Orientale, surtout de

Grèce (le mont Athos), ainsi qu'avec d'autres régions de la Méditerranée, du Caucase ou

de l'Asie Mineure. Ainsi, les langues étrangères ont-elles connues une expansion de

plus en plus large et ont même pénétré dans la langue et les documents écrits des

Roumains [3, p.105-110].

Au XVIII siècle la diplomatie internationale s'est limitée à utiliser le français et cet

état de chose a duré jusqu'au début du XX siècle. A l’époque de la Renaissance au

XVIII-XIX la traduction était envisagée plutôt comme une activité faite par écrit à la

base des oeuvres littéraires. A cette époque a apparu le slogan traduttore - tradittore,

slogan qui n'est point en vogue aujourd'hui, vu les interprétations modernes du concept.

Le traducteur ne peut point être apostrophé de traître, car, si maladroites que soient les

traductions, une fois acceptées, elles assurent la communication interculturelle et

intercivilisatrice, tellement importante pour le progrès de l'humanité.

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Le XX-e siècle c'est « la mise en scène du traduire » [28, p.50], car le rôle de la

communication s'est accru considérablement. L'interprétation de conférences apparaît

en 1919, d'abord consécutive, ensuite simultanée au procès de Nuremberg, après la

seconde guerre mondiale. La guerre froide fait naître la machine à traduire en 1954. Le

projet est largement financé par les militaires, et, faute d'une théorie de la syntaxe, le

programme a été assisté par la grammaire générative de Noam Chomsky.

On continuait de traduire sans se soucier de l'"existence ou la non-existence d'une

théorie de la traduction. L'immersion primaire a été réalisée par V.Feodorov, qui en

1953 publie son ouvrage, devenu classique en vertu du fait qu'il fut le premier, «Les

bases de la théorie de la traduction». Il serait injuste de croire qu'avant Feodorov il n'a

pas eu de doctrine pour la traduction. Un premier théoricien de la traduction a été

Cicéron, qui, à partir de sa position d'orateur et rhétoricien, a formulé certains préceptes

pour le traducteur. Puisqu'il s'agit des préceptes, des prescriptions, on pourrait

considérer ses opinions comme des postulats théoriques prescriptifs, auxquels vont

s'ajouter plus tard les préceptes de Saint-Gérome (347-429 ap. J. C.), selon qui la plus

grande qualité de la traduction réside dans la simplicité, il faut traduire plutôt le sens

que les mots des textes [Valéry Larbaud, Sous l'invocation de Saint-Gérome, 1946, 6-e

édition, p.48]. Tout en résumant la contribution des personnalités littéraires et

philosophiques remarquables à la longue des siècles, avec la première mention de la

traduction en français en 1540, nous suggérons les préceptes d'Etienne Dolet, premier

théoricien de la traduction de la Renaissance (XVI-e siècle), à qui du Bellay rend

hommage. Ces conseils sont axiomatiques, valables de nos jours:

- comprendre parfaitement le sens du texte et l'argument traité par l'auteur qu'on se

dispose à traduire ;

- connaître parfaitement aussi bien la langue originale que la langue dans laquelle on

va traduire (compétence du traducteur) ;

- ne pas s'asservir au point de rendre l'original mot pour mot» [Edmont Cary, Etienne

Dolet, 1509-1546, Babel, vol. 1, No 1,1955, p.17-20].

Les traits pertinents des théories prescriptives, présents dans les ouvrages d'Antoine

Berman, Umberto Eco et d'autres savants, ont cédé la place aux postulats des théories

descriptives, dont le parent à l'origine a été Saint Augustin (354-430 ap. J-C.). On trouve

chez lui les premières tentatives de décrire les phénomènes linguistiques qui sont liés à

12

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la traduction. Il affirme que c'est l'illumination divine qui doit guider le traducteur en

recherchant le sens, il réclame le droit du traducteur d'être obscur et le droit de révéler

par traductions différentes le véritable sens du texte [42, p.52]. Les contemporains de

Saint Augustin sont Eugène Nida, Vinay et Darbelnet, Roman Jakobson, Gideon Toury,

Jean-René Ladmiral, des savants qui ont contribué largement, mais chacun dans sa

manière, à l'enrichissement de la doctrinologie traductionnelle. Le descriptivisme de ces

théories gît souvent dans le comparatisme des études (par exemple, Stylistique

comparée de français et de l'anglais de Vinay et Darbelnet, 1958). Cet ouvrage

classique, né aussi de la réalité canadienne bilingue, a donné pour la doctrine les 7

procédés techniques de la traduction. Or, il faut constater que beaucoup d'études

modernes sur la traduction ont un caractère profondément descriptif, basé sur un

comparatisme qui réside du statut dichotomique ou antinomique de la traduction comme

telle. Nous ne considérons guère que ce soit un défaut de doctrine, il s'agit plutôt de la

composante empirique sans laquelle toute recherche sur la traduction vire

inévitablement à la philosophie, à la linguistique, à la sociologie etc. Mais, nous croyons

judicieux d'affirmer qu'une doctrine générale pour la traduction est nécessaire, car si

différentes que soient les traductions selon le genre et la forme d'expression (littéraire,

technique, financière, poétique, philosophique, orale etc.), les concepts prescriptifs,

descriptifs ne sont pas radicalement différents [28, p.145]. Bien évidemment, il y aura

toujours des choses spécifiques à préciser pour chaque type de traduction, des choses

qui découlent de la paire des langues, du genre du texte, de la forme d'expression etc.

A la recherche d'une théorie qui puisse englober toutes les prétentions utiles,

présentes dans les doctrines prescriptives et descriptives, nous avons abouti à la

conclusion que la théorie interprétative de Danica Se1eskovitch, qui vise

harmonieusement les deux formes d'activité traduisante -l'interprétation de conférences

et la traduction écrite - pourrait accomplir le rôle d'une théorie réconciliatrice de la

traduction. Pourquoi réconciliatrice? En principe, les postulats de la théorie du sens, ne

sont pas exclusivement nouveaux, l'auteur et sa disciple Marianne Lederer sont parties

de leur expérience empirique professionnelle -les deux ont été interprètes, tout en

valorisant le patrimoine théorique et pragmatique de leur prédécesseurs. La génialité de

leur démarche consiste dans le fait d'avoir étendu les notions et les préceptes valables

pour l'interprétation à la traduction écrite [16, p.12]. Nous estimons aussi que le grand

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mérite des auteurs de la théorie interprétative consiste également dans le statut net et pur

indépendant qu’elles ont attribué à la traduction par rapport aux disciplines linguistiques

ou la linguistique elle-même. Or, ce statut, convoité par la traduction depuis longtemps,

est une dimension déterminante pour la définition de telle ou telle doctrine de la

traduction. Leur mérite est d'avoir l'idée de libérer la traduction de l'asservissement

(dans le temps et dans l'espace) de la philosophie, la rhétorique, la sociologie, la

psychologie et surtout de la linguistique. Dans cette perspective il est à mentionner que

la traduction a commencé son existence indépendante seulement dans la deuxième

moitié du XX-e siècle [24, p.223].

En guise de conclusion il serait convenable de réitérer l'empirisme diachronique, et,

souvent celui synchronique, prépondérant de la traduction sur les postulats

doctrinologiques. Il existe des doctrines qui se situent à la base de la pyramide

(prescriptives, descriptives), il y en a d'autres qui « chapotent » la pyramide (la théorie

du sens). L'essentiel est de savoir bien tirer les grains de raison contenus dans chacune

d'elles.

1.2. La traduction comme activité humaine

La traduction, opération littéraire « sans âme » ou véritable pont interculturel ?

Oeuvre réservée à une élite ou don fait à l’humanité en vue de réaliser

l’intercompréhension des peuples ? Ces seules idées montrent à quel point la notion

même de traduction est difficile à cerner. Des apports théoriques ainsi que des

définitions de dictionnaires nous permettront d’éclairer d’un meilleur jour cette notion et

d’apporter de réponses à certaines questions. Le Grand Larousse de la langue

française définit la traduction comme l'«action de faire passer, de transposer d’une

langue à une autre ; résultat de l’action de traduire ; ouvrage qui en reproduit un autre

dans une autre langue différente». La traduction, qui signifie également «interprétation,

façon d’exprimer, de correspondre à» renvoie donc à un processus, à un résultat ou à un

produit. La traduction est le fait d'interpréter le sens d'un texte dans une langue (langue

source, ou langue de départ), et de produire un texte ayant un sens et un effet

équivalents sur un lecteur ayant une langue et une culture différentes (langue cible, ou

langue d'arrivée).

Plusieurs personnes affirment que la traduction (interlangage) est une des

activités les plus anciennes du monde. La Bible est un bon exemple de traduction: en fait

14

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on trouve dans ses versions les plus anciennes des mots en Araméen, des sections en

Hébraïque, et dans ce qui est communément appelé le "Nouveau Testament", des

sections en langue grecque. Malgré tout cela, il n’y avait pas de discipline spécifique

traitant de la traduction et/ou de ses problèmes avant les années 1980.

De nombreuses approches ont abordé la traduction dans toutes

ces acceptions. Dans son étude le linguiste tchèque Otto Kade traite

la traduction comme activité humaine. Selon lui, la traduction

humaine procède nécessairement de ce qu’il appelle un traitement

conceptuel du contenu intellectuel et émotionnel du texte de

départ [24, p.67]. Par là il entend simplement la capacité de l’être

humain à associer des formes sonores ou graphiques à des valeurs

sémantico-fonctionnelles, qui ont à leur tour la capacité d’appeler

dans notre conscience des représentations conceptuelles associées à

d’autres connaissances. Il s’agit d’un travail où le sujet se contente de

réagir au texte qui lui est présenté, en fonction des acquis

sémantiques et cognitifs qui sont les siens [24, p.69].

E. Coşeriu étudie la traduction comme acte de langage. La

particularité de cet acte de langage tient au fait que le traducteur ne

détermine pas lui-même le contenu de son discours, mais que celui-ci

lui est imposé [8, p.295]. Il fait une distinction entre la transposition et

la traduction en affirmant que la dernière désigne le dépassement de

la démarche sémasiologique et onomasiologique par la prise en

compte du sens [8, p. 302].

Toute traduction est un compromis: c'est à cette condition qu'elle s'intègre sans heurt

dans la totalité de la vie. Mais ce compromis doit être mûrement réfléchi et pondéré.

Wolfgang Schadewaldt appelle cette nécessité « l'art de faire le bon sacrifice », un art

qu'il s'agit de maîtriser pour chaque texte d'abord en fonction du type de textes auquel il

appartient. C'est la raison pour laquelle nous demandons que soit respectée la hiérarchie

entre les éléments à conserver, car l'ordre des priorités n'est pas le même pour tous les

types de textes. Relisons Georges Mounin : « La traduction moderne essaie de

respecter, quand il est possible, les mots, les constructions et tous les modes stylistiques

de la langue étrangère » [30, p. 148].

15

Page 16: dorina teza

En effet, la traduction soulève certaines questions. Elle a, avant tout, pour but de

transmettre une information, un message, c’est-à-dire d’assurer la communication entre

des locuteurs différents, en particulier de langues différentes. Elle dispense, idéalement,

le lecteur de l’original. Mais elle est sujette à un degré plus ou moins grand

d’interprétation du fait des choix que le traducteur s’impose.

Ceci amène parfois certains théoriciens à considérer la traduction comme une

réécriture qui, poussée à l’extrême, passe d’une opération littéraire à une opération

artistique [23, p. 7].

1.2.1 La typologie de la traduction

On distingue différents types de traductions et par là même différents types de

traducteurs. Dans son ouvrage «Des aspects linguistiques de la traduction » R. Jakobson

distingue trois types de traduction, prenant comme critère de base dans cette typologie la

traduction comme concept sémiotique. Il soutient que « La signification de tout mot ou

de toute phrase traduits quels qu’ils soient est définitivement un fait sémiotique » [21,

p. 428]. Il constate aussi que « La signification d’un mot – si nous demeurons dans le

contexte verbal – n’est rien d’autre que sa traduction par une série d’autres mots: et

dans ce passage, nous notons l’importance de la traduction, dans un sens plus large, à

des fins de communication en général, et à des fins de communication interculturelles en

particulier» [21, p. 429].

Ainsi il distingue :

1. La traduction intralinguistique ou la reformulation est une interprétation des signes

verbaux au moyen d’autres signes de la même langue.

2. La traduction interlinguistique ou traduction propre est une interprétation des

signes verbaux au moyen d’une quelconque autre langue.

3. La traduction intersémiotique ou transmutation est une interprétation des signes

verbaux au moyen de systèmes de signes non-verbaux [21, p. 429].

Le linguiste italien P. Torop est d’avis que toute traduction doit

être totale. Selon lui la traduction devrait être totale pour deux raisons.

Premièrement, par le mot "traduction" il a en vue non seulement traduction

interlangage, mais aussi metatextuelle, intratextuelle, intertextuelle et aussi la traduction

extratextuelle.

16

Page 17: dorina teza

La deuxième raison de considérer la traduction dans un sens total est que, même si nous

estimons les diverses contributions faites aux études de la traduction ante litteram, ou

avant l’existence de cette science, nous désirons continuer la "recherche d’une

méthodologie exhaustive", la création d’une science de la traduction qui peut plonger

ses racines dans les études précédentes [36, p. 31].

La traduction textuelle constitue le centre vital des études en traduction. De plus, c’est

elle qui, plus traditionnellement, est identifié comme étant "la traduction". Par

traduction textuelle le linguiste italien entend un processus par lequel un texte est

transformé en un autre texte. Ce terme ne fait pas de distinction entre la traduction

interlangage et intralangage. La paraphrase textuelle d’un texte, à titre d’exemple, est

une sorte de traduction textuelle même si les deux textes – prototexte et paraphrase –

sont composés dans le même code. Le « prototexte » est souvent identifié comme étant

le texte « original » ou le « texte source ». Le mot est formé du préfixe proto – dérivé du

mot grecque prôtos, qui signifie "premier" et du mot texte -, et ce mot composé peut être

utilisé aussi bien pour vouloir dire « premier dans le temps » que « premier dans

l’espace » [36, p. 192].

En utilisant le même principe de formation des mots, ce qui est quelquefois appelé

« texte traduit » ou « texte cible » – pour signifier qu’il s’agit du résultat de la traduction

textuelle – peut aussi être appelé « métatexte ». Le préfixe méta-, du mot grecque metá,

lequel signifie « après » (et aussi « avec » et « pour »), peut faire référence à un

changement, un continuum, un transfert, ou aussi à la postériorité, et à l’additionalité.

Nous devons souligner la différence entre deux significations du mot "métatexte", qui,

toutes les deux sont reliées aux études en traduction: la première, est le « résultat d’un

processus de traduction textuelle »; la deuxième résulte d’ »un processus de traduction

métatextuelle » [36, p. 194]. La traduction textuelle étant la plus visible, c’est le type de

traduction à propos duquel nous possédons la plus abondante littérature. Quand nous

parlons des autres types de traductions, nous conservons toujours le modèle de

traduction textuelle présent à l’esprit: c’est la raison pour laquelle la méthodologie

générale de la science de la traduction, même dans son sens "total", devrait être fondée

sur la traduction textuelle.

Les études en traduction textuelle s’appuient souvent sur des textes littéraires. Ce fait ne

devrait pas tromper les traducteurs ni les futurs traducteurs, surtout ceux qui travaillent

17

Page 18: dorina teza

sur des textes non-littéraires: personne ne devrait penser qu’une analyse d’un texte

littéraire est significative uniquement pour un texte littéraire ou, pire encore, uniquement

pour ce texte littéraire en particulier. Cette situation serait en contradiction avec un des

deux principaux principes de la traduction totale.

Par traduction métatextuelle P. Torop veut décrire un processus de transfert d’un texte

non pas dans un autre texte, mais dans une autre culture: en d’autres mots, le métatexte

est l’image complète de ce qu’un texte génère de lui-même dans une culture donnée.

L’image complète d’un texte dans une culture est déterminée par le texte lui-même et

par ce qui est dit à son propos dans cette culture tel que: une allusion à propos d’un texte

faite publiquement par quelqu’un sous forme écrite ou orale; une citation; un essai

critique; un item dans une encyclopédie faisant référence à ce texte ou à son auteur; un

épilogue à un texte ou l’appareil critique à une édition, et ainsi de suite: tout ce qui

contribue à créer l’image complète d’un texte dans une culture [36, p. 192].

Si la traduction métatextuelle est intra langage, alors le métatexte est constitué

uniquement des éléments ci-devant mentionnés; si elle est inter langage, alors le texte

traduit peut aussi se retrouver parmi les éléments métatextuels, texte qui peut être appelé

métatexte lui-même. Quelquefois, comme le souligne Torop, les traduction textuelle et

métatextuelle, constituent des opérations contextuelles: elles vont ensemble: « Lorsque

le traducteur ou l’éditeur prépare lui-même la préface, le commentaire, les illustrations,

les glossaires, et autres éléments associés à un texte traduit, il est possible que la

traduction soit textuelle et métatextuelle simultanément. » [36, p. 194]

Par traduction intertextuelle le linguiste entend le fait que dans notre monde, aucun

texte ne peut ressortir de façon autonome, à l’extérieur d’un contexte. Ceci est encore

plus vrai lorsque nous nous retrouvons face à la circulation très rapide et canalisée de

l’information qui, d’une part, tend à globaliser la culture, mais qui, d’autre part, facilite

les échanges entre cultures et encourage le développement au delà des différences.

Quand un auteur insère dans son texte du matériel – d’une façon explicite ou implicite,

consciente ou inconsciente – qui provient de textes de d’autres auteurs, il fait de la

traduction intertextuelle, et le matériel inséré est appelé intertexte .

La traduction extratextuelle concerne la traduction intersémiotique décrite par Jakobson.

Dans cette traduction, le matériel original – prototexte – est généralement un texte

verbal, alors que le métatexte est fait, par exemple, d’images visuelles, d’images fixes,

18

Page 19: dorina teza

ou en mouvement comme dans un film. Il se peut aussi que ce soit le contraire avec un

prototexte fait de musique, d’images etc. alors que le métatexte est verbal [36, p. 197].

Le chercheur danois L. Hjelmslev a proposé de faire une distinction, dans un

texte, entre d’une part, la forme et la substance du contenu et, d’autre part, la forme et la

substance de l’expression. Le texte se divise alors en deux plans (expression et contenu),

qui sont chacun divisés en deux parties (forme et substance) [14, p. 58].

En étudiant la forme et la substance du contenu, Hjelmslev observe que la forme du

contenu varie d’un langage à un autre.

Parmi les exemples qui ne font pas la paire entre la forme du contenu et la substance du

contenu dans différents langages, on trouve les mots anglais « abortion »

(« avortement ») et « misccarriage » (« fausse couche »), qui dans certains langages sont

identifiés par un mot unique indistinctif (à titre d’exemple, « aborto » en italien). Au

contraire, la forme du contenu du mot anglais « hair » (« cheveux ») est traduite dans

plusieurs autres langages par deux différents mots, l’un indique les cheveux de la tête,

l’autre indique les cheveux du corps (à titre d’exemple, en italien « capello » et « pelo »,

en français, « cheveu » et « poil ») [14, p. 61].

La distinction que Hjelmslev fait entre le plan de l’expression et le plan du contenu est

maintenue dans les études de traduction de Torop, qui postule que le plan de

l’expression (substance et forme) du prototexte est: « re-codé – en utilisant les moyens

de l’autre langage et de l’autre culture - dans le plan de l’expression du texte traduit,

alors que le plan du contenu est transposé dans le plan du contenu du texte traduit »

[36, p. 200]. Le mot re-codage, signifie qu’il s’agit d’un processus de style linguistique,

formel, alors que la transposition est un processus qui, en ce qui a trait aux textes

littéraires, implique la compréhension du modèle poétique de la structure du contenu du

texte. A partir de cette distinction entre le plan du contenu et de l’expression, les

linguistes E. Nida et P. Torop essaient de classifier les types de traduction à partir du

recodage analytique et synthétique. Ainsi ils distinguent :

► Traduction macro-stylistique - dans ce type de traduction, l’élément dominant

constitue le plan de l’expression du prototexte, sur lequel la construction du plan du

contenu du métatexte est aussi fondée. Dans le métatexte, nous constatons qu’il y a une

conservation conforme de la mesure, des rimes, des vers (s’il s’agit d’un poème), et de

chacune des autres structures formelles. On l’appelle la traduction macro-stylistique

19

Page 20: dorina teza

parce qu’alors qu’elle conserve, reproduit, ou reconstruit les caractéristiques stylistiques

du texte original, elle ne se concentre pas sur des éléments uniques, mais vise plutôt la

reproduction globale des caractéristiques générales de style du prototexte. À titre

d’exemple, dans cette catégorie nous retrouvons des traductions de poèmes en vers qui

conservent le mètre du poème original mais, bien entendu, possède un contenu

sémantique qui est différent de l’original.

► Traduction exacte- contrairement au type de traduction précédent, le plan

d’expression du prototexte domine au point que rien d’autre n’est retenu dans le

métatexte. Certains chercheurs appellent ce type de traduction la traduction

interlinéaire.

La forme de style et de syntaxe du prototexte avale complètement le métatexte,

bouleversant les règles de construction de la phrase du langage cible et en les pliant afin

de se conformer aux règles du langage original. Le résultat de cette traduction peut à

peine être considéré comme un texte. Il s’agit simplement d’une aide pour avoir accès

au texte original. L’usage le plus répandu de ce type de traduction se retrouve dans la

publication de la poésie alors que l’on y joint un "texte" traduit en parallèle, prés de la

version originale. Ce n’est pas lisible comme tel, et utile seulement à titre de "note

explicative" au prototexte.

► Traduction micro-stylistique - l’objet principal de ce type de traduction est la re-

création des moyens d’expression personnels de l’auteur. Sous cette catégorie nous

retrouvons les traductions exoticisées (la conservation des realia [mots de la culture] qui

rappellent au lecteur la distance culturelle du prototexte); la traduction situante (la

modification des realia et leur substitution par des mots culturels similaires à ceux de la

culture cible, afin de faire disparaître la distance culturelle du prototexte); et les

traductions topiques (la reproduction des figures de rhétorique du prototexte).

► Traduction thématique - le plan de l’expression dans ce cas est assujetti au plan du

contenu. La forme est sacrifiée en faveur de l’ensemble du contenu. Le traducteur opte

pour cette procédure afin de faciliter la compréhension du contenu par le lecteur.

Néanmoins, nous devons porter attention au fait qu’il est facile pour le lecteur d’avoir

accès au contenu du prototexte, mais, par contre, le lecteur sera privé du privilège de

voir à quoi ressemblait sa forme. En conséquence nous ne devrions pas généraliser en

affirmant que ce type de traduction est "plus près du lecteur". Il s’agit d’une version

20

Page 21: dorina teza

rendue facile et simplifiée, et c’est pourquoi elle ne contient pas toutes les

caractéristiques explicites du prototexte. La compréhension du contenu sémantique est

plus facilement obtenue en utilisant des formes plus simples. Si, à titre d’exemple, le

texte original est un poème avec une mesure, un rythme et un schéma de rime bien

définis, une traduction thématique possible est l’utilisation du vers libre, dans laquelle

toute structure formelle du prototexte disparaît.

► Traduction descriptive - Comme tous les autres types de traductions autonomes, la

prépondérance de l’élément dominant est poussée à l’extrême, et la possibilité de

traduire le texte en entier est logiquement déniée. On pourrait croire que l’on trouve

rarement ce type de traduction, mais, au contraire, dans certaines cultures il s’agit du

type de traduction le plus répandu. Ce type de traduction constitue un exemple de la

transposition d’un prototexte poétique (en vers) en un métatexte en prose. La façon de

procéder que nous avons constatée, même dans la traduction thématique (passant de la

rime au vers libre), est amenée aux limites les plus extrêmes, et l’extrait passe d’un

prototexte en vers en un métatexte en prose.

► Traduction expressive (ou réceptive) - ce type de traduction se matérialise quand,

dans les intentions du traducteur, l’élément dominant du métatexte coïncide avec la

force expressive du métatexte. Le traducteur postule la réaction standard du Lecteur

Modèle au prototexte et, en gardant cette réaction hypothétique à l’esprit, il produit un

texte qui, du moins en théorie, a comme objectif de susciter le même genre de réaction

du Lecteur Modèle du métatexte. La théorie supportant cette approche s’appelle

l’"équivalence dynamique"; l’origine de cette théorie est attribuée à Eugène Nida [31,

p, 188].

►Traduction libre – Ce type de traduction est, parmi les traductions étudiées dans le

modèle de Torop, celle qui produit un texte qui diffère le plus du prototexte. Il ne s’agit

pas d’une véritable "traduction" dans le sens le plus usité du mot; nous pourrions

considérer que le texte a été réécrit, tels ceux qu’on appelle communément "libéralement

tirés de", ou "libéralement inspiré à" [36, p. 203-207].

Nous avons examiné les huit types théoriques de mise à jour du modèle de

processus de traduction de Torop et de Nida. Les types se différencient en se fondant sur

trois critères fondamentaux:

re-codage/transposition - la distinction entre la traduction du plan expression (re-

21

Page 22: dorina teza

codage) en soulignant les éléments formels, et la traduction du plan contenu

(transposition).

analyse/synthèse - la distinction entre la partie du processus de traduction axé sur les

lectures/interprétations du prototexte par le traducteur (analyse), la projection du texte

potentiel et sa mutation en métatexte (synthèse).

élément dominant/autonome: il s’agit peut être de la distinction la plus difficile à faire,

parce que le mot "autonome" pourrait induire quelqu’un à penser à quelque chose de très

éloigné du prototexte.

En fait, la traduction axée sur l’élément dominant doit être prise en compte – comme

dans la vision originale de Jakobson – même avec toute sa hiérarchie de sous-dominants,

alors que le type que Torop appelle "autonome" est une exagération du concept de

l’élément "dominant": l’élément dominant est élevé à une dimension extrême et contrôle

entièrement le texte, ce dernier est manipulé à volonté afin de gonfler l’importance de

cet élément dominant.

1.2. La traduction comme contacts de langues

Selon Uriel Weinreich, linguiste américain, « deux ou plusieurs langues peuvent

être dites en contact si elles sont employées alternativement par les mêmes personnes»

[40, p.4]. Et le fait, pour une même personne, d'employer deux langues alternativement

est ce qu'il faut appeler, dans tous les cas, bilinguisme.

Selon Weinreich aussi, du seul fait que deux langues sont en contact dans la pratique

alternée d'un même individu, on peut généralement relever dans le langage de cet

individu des « exemples d'écart par rapport aux normes de chacune des deux langues. »

[40, p.4] écarts qui se produisent en tant que conséquence de sa pratique de plus d'une

langue. Ces écarts constituent les interférences des deux langues l'une sur l'autre dans le

parler de cet individu. Par exemple, ayant comme langue première le français, qui dit: un

simple soldat, cet individu transférera le même concept en anglais sous la forme: a simple

soldier, au lieu de la forme anglaise existante : a private.

Weinreich insiste sur ce point, que le lieu de contact de langues, c'est-à-dire le lieu où se

22

Page 23: dorina teza

réalisent des interférences entre deux langues - interférences qui peuvent se maintenir,

ou disparaître - est toujours un locuteur individuel.

L'observation du comportement des langues dans des situations de contact, à travers les

phénomènes d'interférence (et leurs effets sur les normes de chacune des deux langues

exposées au contact) offre une méthode originale pour étudier les structures du langage.

Pour vérifier, notamment, si les systèmes - phonologiques, lexicaux, morphologiques,

syntaxiques - constitués par les langues sont bien des systèmes, c'est-à-dire des ensem-

bles tellement solidaires en toutes leurs parties que toute modification sur un seul point

peut, de proche en proche, altérer tout l'ensemble [40, p.1]. Ou pour vérifier, de plus, si

tels ou tels de ces systèmes, ou parties de système, la morphologie par exemple, sont

impénétrables les uns aux autres de langue à langue.

Pourquoi étudier la traduction comme un contact de langues? Tout d'abord, parce

que c'en est un. Bilingue par définition, le traducteur est bien, sans contestation possible,

le lieu d'un contact entre deux (ou plusieurs) langues employées alternativement par le

même individu, même si le sens dans lequel il « emploie» alternativement les deux

langues est, alors, un peu particulier. Sans contestation possible non plus, l'influence de

la langue qu'il traduit sur la langue dans laquelle il traduit, peut être décelée par des

interférences particulières, qui, dans ce cas précis, sont des erreurs ou fautes de

traduction, ou bien des comportements linguistiques très marqués chez les traducteurs:

le goût des néologismes étrangers, la tendance aux emprunts, aux calques, aux citations

non traduites en langue étrangère, le maintien dans le texte une fois traduit de mots et de

tours non-traduits [30, p.4].

La traduction, donc, est un contact de langues, est un fait de bilinguisme. Mais ce

fait de bilinguisme très spécial pourrait être, à première vue, rejeté comme inintéressant.

La traduction, bien qu'étant une situation non contestable de contact de langues, en serait

décrite comme le cas-limite: celui, statistiquement très rare, où la résistance aux

conséquences habituelles du bilinguisme est la plus consciente et la plus organisée; le

cas où le locuteur bilingue lutte consciemment contre toute déviation de la norme

linguistique, contre toute interférence - ce qui restreindra considérablement la collecte

de faits intéressants de ce genre dans les textes traduits [30, p.5].

Martinet cependant souligne, concernant les bilingues qu'on pourrait appeler «

professionnels » [26, p.7] en général, cette rareté du phénomène de résistance totale

23

Page 24: dorina teza

aux interférences : « Le problème linguistique fondamental qui se présente, eu égard au

bilinguisme, est de savoir jusqu'à quel point deux structures en contact peuvent être

maintenues intactes, et dans quelle mesure elles influeront l'une sur l'autre. Nous

pouvons dire qu'en règle générale, il y a une certaine quantité d'influences réciproques,

et que la séparation nette est l’exception. Cette dernière semble exiger de la part du

locuteur bilingue une attention soutenue dont peu de personnes sont capables, au moins

à la longue » [26, p.7].

Martinet oppose également par un autre caractère aberrant ce bilinguisme «

professionnel » - qui inclut les traducteurs - au bilinguisme courant (lequel est toujours

la pratique collective d'une population). Le bilingue professionnel est un bilingue isolé

dans la pratique sociale: «Il apparaît que l'intégrité des deux structures a plus de chances

d'être préservée quand les deux langues en contact sont égales ou comparables en fait de

prestige, situation qui n'est pas rare dans des cas que nous pouvons appeler bilinguisme

ou plurilinguisme individuels [26, p. 9]. Il revient à la même idée dans sa Préface au

livre de Weinreich, où il met à part encore une fois le cas de ces quelques virtuoses

linguistiques qui, à force de constant exercice, parviennent à maintenir nettement

distincts leurs deux (ou multiples) instruments linguistiques [40, p. 8]». Le conflit, dans

le même individu, de deux langues de semblable valeur culturelle et sociale, poursuit-il,

peut être psychologiquement tout à fait spectaculaire, mais, à moins que nous n'ayons

affaire à quelque génie littéraire, les traces linguistiques permanentes d'un tel conflit

seront nulles. Ainsi l'étude de la traduction comme contact de langues risquerait donc

bien d'être inutile parce que pauvre en résultats.

Cette opinion se voit corroborée par celle de Hans Vogt, spécialiste lui aussi des études

sur les contacts de langues. On peut aller jusqu'à se demander s'il existe un bilinguisme

total, à cent pour cent; cela signifierait qu'une personne puisse employer chacune de ses

deux langues, dans n'importe quelle situation, avec la même facilité, la même correction,

la même capacité que les locuteurs indigènes. « Et si de tels cas existent, il est difficile

de voir comment ils pourraient intéresser le linguiste, parce que les phénomènes

d'interférence se trouveraient alors exclus par définition » [30, p. 12].

Mais si Martinet écarte - et Vogt après lui - l'étude de ces faits de bilinguisme

individuel parce qu'ils n'offrent qu'une matière d'intérêt secondaire, c'est d'un point de

vue qui n'est pas le seul possible, et qui n'est pas celui où l'on se propose, ici, de se

24

Page 25: dorina teza

placer.

Ce qui intéresse les deux linguistes, c'est que l'étude du bilinguisme - outre que celui-ci

est une réalité linguistique - est un moyen particulier de vérifier l'existence et le jeu des

structures dans les langues. Notons que les bilinguismes individuels, quelque

secondaires qu'ils soient, restent à cet égard un fait digne d'étude aux yeux de Martinet :

« Ce serait une erreur de méthode, écrit-il, que d'exclure de telles situations dans un

examen des problèmes soulevés par la diffusion des langues» [27, p.7]. Cette atténuation

de son jugement sur l'intérêt des bilinguismes individuels se trouve aussitôt délimitée,

toutefois, par l'exemple donné: Le fait que Cicéron était un bilingue latin-grec a laissé

des traces dans notre vocabulaire moderne» [27, p. 8].

On admettra donc, ici, que la traduction, considérée comme un contact de langues dans

des cas de bilinguisme assez spéciaux, n'offrirait sans doute au linguiste qu'une moisson

maigre d'interférences, en regard de celle que peut apporter l'observation directe de

n'importe quelle population bilingue.

Mais au lieu de considérer les opérations de traduction comme un moyen d'éclairer

directement certains problèmes de linguistique générale, on peut se proposer l'inverse,

au moins comme point de départ : que la linguistique - et notamment la linguistique

contemporaine, structurale et fonctionnelle - éclaire pour les traducteurs eux-mêmes les

problèmes de traduction. Au lieu de réécrire (toutes proportions gardées) un traité de

linguistique générale à la seule lumière des faits de traduction, on peut se proposer

d'élaborer un traité de traduction à la lumière des acquisitions les moins contestées de la

linguistique la plus récente.

L'activité traduisante pose un problème théorique à la linguistique contemporaine:

si l'on accepte les thèses courantes sur la structure des lexiques, des morphologies et des

syntaxes, on aboutit à professer que la traduction devrait être impossible. Mais les

traducteurs existent, ils produisent, on se sert utilement de leurs productions. On pourrait

presque dire que l'existence de la traduction constitue le scandale de la linguistique

contemporaine. Jusqu'ici l'examen de ce scandale a toujours été plus ou moins rejeté.

Certes l'activité traduisante, implicitement, n'est jamais absente de la linguistique : en

effet, dès qu'on décrit la structure d'une langue dans une autre langue, et dès qu'on entre

dans la linguistique comparée, des opérations de traduction sont sans cesse présentes ou

sous-jacentes; mais, explicitement, la traduction comme opération linguistique distincte

25

Page 26: dorina teza

et comme fait linguistique sui generis est, jusqu'ici, toujours absente de la science

linguistique enregistrée dans les grands traités de linguistique . Ça veut dire que la

traduction doit être étudiée comme interaction entre langue et culture, critère plus

relevant dans cette étude, qui permette d’observer ce contact interculturel et

pluridimensionnel.

Donc, pour une analyse pertinente de notre travail, et pour voir

comment la culture intervient dans la traduction, celle-ci doit être

envisagée comme un acte de communication. La traduction, comme

toute activité verbale, a pour fonction principale la communication,

qui n'est pas que linguistique. En effet, la communication

interculturelle - comme la communication tout court - est un

phénomène complexe et multidimensionnel, et qu'il existe des

influences réciproques entre communication et culture. Il importe

alors, d’abord, de trouver l’approche théorique qui permet

d’envisager la traduction dans cette perspective, et ensuite la

méthode d’analyse capable de révéler l’interaction entre langue et

culture.

CHAPITRE II

LA TRADUCTION COMME ÉQUATION CULTURELLE

2.1. La traduction –transposition communicative interculturelle

La traduction, étant un acte interculturel communicatif, comme tout autre acte

communicatif, est dirigé des mêmes exigences et prémisses. Dans le but d’une

orientation correcte du discours dans la direction avancée par le locuteur, sans

transgresser les exigences et les prémisses du système de valeurs du récepteur, la

traduction sera acceptée comme une transposition communicative, capable d’engager

une communication interlinguale et interculturelle. En conséquence elle devient méta -

communication. Mais la tâche devient plus difficile, quand on réalise la diversité usuelle

é l’intérieur d’une seule langue. La langue n’est pas seulement homogène, elle est aussi

26

Page 27: dorina teza

multidimensionnelle et dynamique. Elle est vivante et elle évolue. Tenant compte de

plusieurs facteurs, elle change toujours de structure. De nos jours un grand nombre de

linguistes parlent de l’existence de plusieurs langues dans le cadre d’une seule. Mais

Anne-Marie Houbedine-Gravaud [apud, 1, p.28] propose le concept avec une

orthographe et une syntaxe vraiment provocatrice : l’Unes langue. Ce concept est

apparu comme résultat de la diversité des registres et des variations dialectales dans le

cadre d’une même langue, et ce concept transpose « ce fantasme d’unité en même temps

que les variétés existant dans une langue, d’où le « s » à « Unes » ([1, p. 29]. En parlant

d’une langue, on dit qu’elle a un registre, un amalgame d’options linguistiques, qui

diffèrent du reste de la langue. Le registre employé peut identifié l’origine sociale, l’âge,

le métier, le sexe du locuteur. Il est évident qu’il y a une relation étroite entre le registre

et les circonstances où a lieu l’acte de communication. Dans le cadre de la

communication le sujet parlant peut choisir de différents registres, celui qui lui semble le

plus objectif au moment opportun en vue d’atteindre son but. Mais en même temps, les

mêmes unités linguistiques acquièrent dans le cadre de différents registres des

connotations différentes. Par exemple, les mots gueule\bot, dans le registre standard, est

appliqué aux animaux, mais dans le registre populaire ils désignent le visage de

l’homme.

Il faut mentionner que l’acte de communication, excepté la présence des

interlocuteurs, exigera d’autres conditions aussi : l’intention et la motivation de celui qui

transmet l’information, l’existence des références. Si on dit que « communiquer c’est

procéder à une mise en scène », alors on le fait dans un contexte correspondant. Il

s’agira d’un contexte linguistique, discursif, d’un premier-contexte (où se produit le

message) et un contexte second (où le message est réceptionné). Dans le cadre de la

traduction, transposant l’acte de communication d’une langue dans une autre, le

traducteur est soumis à un double travail : il est locuteur et interlocuteur du même

message. Ainsi la traduction devient un acte interculturel communicatif.

En général le traducteur bâtit une « interprétation cohérente de ce qu’on appelle message

complexe » [3, p.78]. Ce processus comprendra la connaissance des systèmes

linguistiques, la compréhension, la connaissance du contexte, les repères relevants,

l’interprétation exacte et la traduction exacte. Et cela constituera le processus de la

traduction comme transposition communicative.

27

Page 28: dorina teza

En effet, la traduction comme processus communicatif poursuit quelques étapes

complexes et indispensables. Si la connaissance du système linguistique n’impose pas

de discutions, alors la compréhension, l’explication et l’interprétation éveillent

beaucoup de discutions. Ainsi « la compréhension tend à coïncider avec l’intimité de

l’auteur, et l’interprétation vise une reproduction des expériences vécues » [3, p. 28]. Du

moment que la traduction n’est plus un simple changement de code de quelques unités

isolées, elle présupposera une analyse détaillée du texte, par son interprétation. Donc, le

traducteur devra connaître bien la langue, il aura besoin du sujet et du contexte

situationnel et devra posséder des connaissances référentielles. A la suite des données

exposées, comme conditions obligatoires d’un acte de communication, et avant de

s’arrêter sur la représentation de la traduction comme acte communicatif interculturel,

comme conversion communicative, nous nous arrêterons sur le processus de la

traduction proprement-dit. Il est bien connu le fait que le processus de la traduction tient

d’un complexe de processus psychologiques, rapportés à la réception et la mémoire,

décodage et compréhension, ayant rapport à la psycholinguistique, et sociolinguistique

(c’est-à-dire au placement des textes source et cible dans leurs contextes culturels). En

visant notamment ces perspectives et en tenant compte des aspects qui nous intéressent

dans ce contexte (socio-culturel), on considère qu’un traitement interactionnel et

interculturel à valeur fonctionnelle, serait adéquat pour l’expression du processus de la

traduction. Ainsi la traduction comprendra (Linguistique et traductologie, 2004, p.117):

1. L’interprétation du texte initial :

- l’identification socio-pragmatique (qui s’adresse à qui, pour dire quoi, dans quel

contexte et dans quelle manière)

- l’extraction de l’information pertinente et des actes de langage (sens détaillé et

global)

2. La production du texte final :

- la recherche des équivalences linguistiques et culturelles

- la compensation d’une partie des altérations produites

3. La vérification

- La confrontation des deux textes en vue d’équivalences de formes, contenu et effet

- La vérification de la cohérence et de l’authenticité du texte final (c’est-à-dire son

interprétation dans le contexte sociolinguistique et culturel).

28

Page 29: dorina teza

En effet, les mêmes étapes du processus de la traduction apparaissent chez

d’autres linguistes aussi, comme par exemple chez A. Bantaş et E. Croitoru [3, p. 40).

C’est important aussi d’ajouter qu’en parlant des équivalences, on réalise qu’une

équivalence totale est impossible, mais on tend quand même de la réaliser au niveau

sémantique, formel, illocutoire et intentionnel. Par exemple Chesterman argumente la

substitution du concept équivalence avec celui de similitude optimale, parce que, selon

lui, le terme équivalence semble être trop limité, tandis que le nouveau concept semble

comprendre plusieurs aspects, où le traducteur jouit du libre choix du type de relation,

qui paraît être plus adéquat à une certaine situation, en fonction du texte, de l’intention

de l’auteur. Dans le cadre du processus de traduction on tiendra compte de quelques

normes qui régleront ce procès. Chesterman atteste trois normes processuelles [11, p.

90] :

1. La norme de confiance, qui postule qu’un traducteur doit se conduire de la façon

qu’il manifeste de la loyauté pour toutes les parties inclues dans l’activité.

2. La norme de communication qui se réfère au besoin qu’un traducteur optimise la

communication, comme l’exige la situation de communication, entre les parties y

impliquées.

3. La norme de relation demandera au traducteur d’agir de la façon qu’il fasse naître

une relation de similarité optimale entre le texte source et celui cible. Ces normes ou

mieux dire la liste de ces normes peut être complétée par d’autres prescriptions comme

la norme de la responsabilité, la norme éthique et du bon goût – tout ça surveille et

dirige le déroulement favorable du processus de la traduction.

Essayons de synthétiser les faits susmentionnés par la définition de la traduction

comme conversion communicative interculturelle. En ce cas la traduction, ou mieux dire

le traducteur apparaît comme un prisme, un pont de transposition des pensées, des

sentiments, des envies, des intentions, des motivations du locuteur comme porteur d’une

culture vers les attentes et le fond des connaissances conditionnées par l’appartenance à

une autre culture de l’interlocuteur.

Plus fidèle sera cette transposition, plus amples seront les compétences

linguistiques, psychologiques, sociales et culturelles et permettront une analyse adéquate

du texte source, une interprétation correcte des intentions communicatives, une

29

Page 30: dorina teza

reformulation informationnelle capable de soutenir la fonctionnalité du texte dans le

cadre d’un autre contexte socioculturel.

Si on tâchera de représenter de façon graphique l’affirmation que la traduction est un

acte de transposition communicative interculturelle, alors elle sera du type :

L’ACTE DE COMMUNICATION

Transposition communicative interculturelle

Émetteur canal canal récepteur

Code 1 traducteur code 2

Message interprétation message

Contexte transformation contexte

Fond socioculturel 1 vérification fond socioculturel 2

A notre avis la présence de la notion de fond socioculturel est bien motivée, qui pourrait

faire partie du contexte général, mais on insiste quand même de la présenter séparément,

parce que, du moment ou la culture est analysée plus que dans les trois dimensions du

contexte (communicative, pragmatique et sémiotique), elle pourra véhiculer le

comportement, la perception, les connaissances propre à un membre d’une communauté

culturelle, différente des autres. Sous cet aspect socioculturel communicatif on inclut

aussi les gestes dans la catégorie de fond socioculturel, parce que « les gestes sont aussi

éloquents que les phrases et le discours. Mais les fautes gestuelles ont des conséquences

interpersonnelles aussi graves que les erreurs linguistiques, parce que la gestualité

configure l’identité de l’individu, en optimisant la communication » [33, p.122]. Voila

pourquoi le traducteur tiendra compte tant de la signification des gestes (différente pour

de différentes cultures), que de leur fonctionnalité pragmatique, de la corrélation de

l’activité gestuelle\langage.

Donc, tenant compte de tous les aspects qui visent la transposition

communicative interculturelle, nous pouvons réellement mentionner que la traduction

devient un « système complexe, orchestral de la communication plurilingue ».

2.2 Les difficultés de traduction et les barrières socio-culturelles

30

Page 31: dorina teza

L'association des signes linguistiques avec la réalité environnante subit les

contraintes d'un faisceau de facteurs tels que les conditions sociales et historiques dans

lesquelles s'est développée la communauté en question, l'expérience linguistique et

culturelle, les contacts avec les autres communautés, etc. Bien que la langue ait une

existence objective, son utilisation renvoie nécessairement à une expérience collective

et/ou individuelle. Chaque collectivité linguistique et, au sein de cette collectivité,

chaque individu exploite le matériel linguistique disponible conformément aux données

fournies par cette expérience [10, p. 178].

Pour démontrer que le concept d'intercommunicabilité et sa conséquence directe

la « traduisibilité », recouvrent une réalité observable, il faut déterminer de manière

aussi rigoureuse que possible le rôle et la portée des facteurs de diversification: ces

facteurs empêchent-ils complètement la communication en créant des seuils de

structuration qu'il est impossible de franchir ou les limitent-ils seulement, en permettant

un transfert approximatif?

Les réponses données à cette question se laissent classifier d'après la place

accordée au conditionnement culturel et linguistique dans la retransmission des

expériences. L'hypothèse conductrice adoptée ici est que les fonctions de la langue se

placent à deux niveaux différents; on distingue ainsi :

a) des fonctions générales

b) des fonctions spécifiques

Les premières sont communes à toutes les langues, tandis que les secondes sont

déterminées par la culture d'une communauté linguistique donnée. La confrontation de

deux langues dans le transfert de messages révèle d’une part une structuration générale

commune qui permet la traduction et l'existence de zones faiblement idiomatisées et

d'autre part des différences qui attirent des perturbations dans la transmission des

données de l'expérience. Cette transmission ne peut se dérouler entièrement au niveau de

l'intériorité du texte. Tous les énoncés ne sont pas transparents et certaines structures

opposent au regard étranger un voile qui n'est pas seulement linguistique. La nécessité

s'impose donc que le traducteur dispose de deux types de compétences: linguistique et

périlinguistique. « Il ne suffit pas d'être bilingue pour être traducteur. La connaissance

des choses est indispensable». [10, p.179]

31

Page 32: dorina teza

Le composant périlinguistique présente deux sous-composants qui intéressent

directement la mise en correspondance des connotations socioculturelles telles qu'elles

se manifestent dans le texte de départ:

le sous-composant civilisationnel (le transfert du culturel)

le sous-composant stylistique fonctionnel (les divers sous-codes de la langue).

Quand on dit sous-composant civilisationnel on a en vue la charge spécifique qui sépare

« savoir encyclopédique » du savoir linguistique proprement dit.

F.KIEFER distingue dans la caractérisation sémantique d'une entrée lexicale un

« cœur » et une « périphérie ». « Le cœur  d'une lecture d'entrée lexicale comprend

toutes et rien que les stipulations sémantiques qui schématiquement déterminent sa place

dans le système des entrées lexicales, c'est-à-dire délimitant ce terme par rapport aux

autres entrées non synonymes. La périphérie consiste en stipulations qui contribuent à

l'édification du sens d'une entrée lexicale sans cependant la distinguer des autres entrées

- autrement dit la périphérie rassemble toutes les stipulations qui pourraient être

retranchées de la lecture de l'entrée lexicale sans changer sa relation aux autres lectures

d'entrées lexicales appartenant à la même grammaire » [22, p. 68-69]. Pour illustrer cette

distinction nous avons choisi le lexème fromage, défini dans le Lexis de la manière

suivante: "aliment obtenu par la fermentation du caillé après la coagulation du lait". Si

l'on ajoutait à cette définition, qui correspond au coeur du lexème analysé, la stipulation

« que l'on sert à la fin du repas », cette stipulation appartiendrait à la périphérie et serait

porteuse d'un trait civilisationnel. C'est l'absence de cette spécification dans la définition

du mot français et bien entendu dans celle du mot roumain correspondant, brînză, qui

rend opaque pour un locuteur de langue roumaine l'expression française entre la poire et

le fromage "à la fin du repas".

Une grammaire de la traduction devrait rendre compte de cette opposition entre

les deux types de savoirs, ainsi que de la ligne de partage qui existe entre les deux

langues engagées dans la traduction. Ignorer une pareille démarcation c'est courir le

risque d'obscurcir la signification de certains textes de départ en les neutralisant ou en

les faussant par la traduction [10, p. 180].

Quant aux modalités de transfert du culturel qui forment un ensemble désigné par

le terme général d'adaptation, elles concernent les termes marqués du point de vue

civilisationnel (particularités locales: coutumes, croyances, culture matérielle: plats

32

Page 33: dorina teza

spécifiques, vêtements, monnaies, mesures de longueur, etc.) ou des particularités

géographiques. Ces modalités peuvent se ramener aux types généraux suivants:

♦ l'unité source marquée est traduite par une unité qui évoque une autre réalité

(conversion):

A face a mutra de doi coţi - faire une mine de dix pieds

A fi îmbrăcată ca a paparudă - être attifée comme une châsse

N- am cheltuit un zlot.

Je n'ai pas dépensé un liard.

Le traducteur substitue à l'unité source une unité de sa propre culture (ethnocentrisme):

Ex. a)… Posibilitatea fondării unei fabrici de postavuri ca s-o concureze pe cea din

Buhuşi.

b) …la possibilité de fonder une fabrique de drap qui fasse concurrence à celle de

Buhuşi ou d'Elbeuf. (P. Pardău, p. 83)

Dans l'exemple ci-dessus le traducteur a introduit un élément supplémentaire pour

rendre le texte de départ plus explicite (surtraduction) [10, p. 181].

♦ le terme marqué est traduit par un correspondant fonctionnel (explicitation):

a) ... Chaque champ paraît un joyau d'or vert, scintillant et pâle sous l'eau qui

l'imprègne, cerné du parfait rebord de haies.

b) Fiecare ogor pare o bijuterie de aur verde sclipind palid şi mustind de apa

care-l acoperă, prins în cercul perfect şi sumbru al haturilor sale.

(P. Pardău, p. 138)

♦ le terme marqué est neutralisé: par le choix d'un héteronyme général ou

approximatif qui annule les connotations de l'unité source:

a) Întorsei capul spre ea. Iia albă şi înflorită ascundea doi sîni abia împliniti ai căror

muguri se zbuciumau sub borangicul ieftin.

b) Je tournai la tête vers elle. La blouse blanche à fleurs cachait deux seins à peine

formés, dont les boutons battaient timidement sous la toile bon marché.

(L.Rebreanu, I, 83-56)

a) Mădălina fu adusă mai mult cu forţa pînă la scara cerdacului de unde cîrciumarul o

luă de mînă şi se apropie cu ea, dojenind-o: Nu fi neroadă, fato, cînd vor boierii să-ţi

vadă mutra.

33

Page 34: dorina teza

b) Mădălina fut amenée de force plutôt jusque sous la veranda d'où l'aubergiste lui prit

la main pour la conduire, tout en la grondant: Ne sois pas bête, ma fille, puisque ces

messieurs veulent voir ta frimousse.

(L.Rebreanu, 85-87)

Le sous-composant stylistique-fonctionnel. Ce sous-composant correspond à la

diversification qu'une langue évoluée connaît sur le p!an synchronique. Une ligne de

clivage tranche profondément entre les variantes d'une langue en juxtaposant des

structures stratifiées: les lectes (associés aux groupes sociaux: sociolectes, chronolectes,

dialectes) et les registres (variétés disponibles à l'intérieur du lecte en fonction de la

situation communicative [J.ROSS, 1976: p.12, apud 10, p.181].

La principale difficulté à laquelle se heurte le traducteur est la non correspondance des

variétés de langue socio-situationnelles. « Il est hasardeux de mettre mécaniquement en

équivalence les variétés des deux langues telles qu'elles sont consignées dans les

dictionnaires actuels sans une mise au point préalable. D'une part, une pareille démarche

empêcherait, par exemple, de transcoder bostan (fig. ir) et dovleac (fig.) par citrouille et

coloquinte (pop.), et d'autre part, elle conduirait à mettre le signe de l'égalité socio-

situationnelle entre odaie (pop.) et cambuse, carrée, turne ou piaule (pop.). Or, dans ce

dernier cas, la transposition variétale ne serait que trompeuse, ces exemples appartenant

de ce point de vue à une catégorie plus vaste que l'on pourrait dénommer "les faux amis"

socio- situationnels » [10, p. 182].

Une deuxième difficulté résulterait donc de la non équivalence des termes

appartenant à des registres considérés comme équivalents, et l'équivalence de termes

appartenant à des variétés non équivalentes.

Dans la traduction, les connotations variétales sont sujettes à des interférences

discursives de plusieurs types, qui ne sont, en dernière analyse, que des adaptations:

♦ des interférences diastratiques (transfert d'unités appartenant à un autre niveau

ou registre de langue)

Dans la plupart des cas, une variété marquée est transférée par une variété neutre, ce qui

annule les connotations socio-situationnelles :

a) Maison, domestiques ,fric et bagnole.

b) Casă, servitori, bani şi maşină. (N.Calef, 62-39)

c) - Quand il saura la raison ...

34

Page 35: dorina teza

- Belle raison! t'as jamais rien lu, ma parole. C'est dans ces moments-là que les

bourgeois sont le plus vache. C'est pas les scrupules qui les étouffent, eux!

d) - Cînd va cunoaşte motivele... "

- Frumoase motive! pe cuvîntul meu câ nu cunoşti realitatea. În asemenea momente

burghezii se comportâ cel mai josnic. Nu prea au multe scrupule!

(N.Calef, 138-89)

♦ des interférences diaphasiques (utilisation des termes appartenant à une aire

d'emploi discursive dans une autre aire); c'est le cas des lexèmes qui proviennent d'une

langue étrangère dont l'utilisation dans la langue emprunteuse est plus restreinte:

Ex. Le sable beige et le limon violet ...

Nisipul bej şi nămolul violet. ..

♦ des interférences diachroniques (transfert de mots appartenant à des états de langue

différents); c'est le cas, par exemple des termes historiques traduits par des termes

actuels:

pîrgar - conseiller municipal ,

vornic - gouverneur; maire d'un village; garçon d'honneur

pîrcălab - chef administratif d'un district; commandant d'une forteresse, maire d'un

village, précepteur, commandant d'une prison, geôlier .

♦ des interférences diatopiques (transfert de termes n'ayant pas la même aire locale

d'utilisation); ainsi, des termes géographiques spécifiques sont traduits par des termes

généraux:

a) Vaporii de apă care se ridicau din mare, de pe Dunâre şi din ghiolurile Deltei,

rămîneau plutind în atmosferă ceasuri întregi.

b) Les vapeurs qui s'élevaient de la mer, du Danube et des marais flottaient dans l'air

pendant des heures entières.

(L. Rebreanu, p. 292)

La structuration linguistique de la réalité environnante est, pour une large part,

dépendante de la civilisation de la communauté émettrice. Se plaçant dans une

perspective socio-linguistique, l'étude de la dimension périlinguistique de la traduction

devient une composante essentielle de l'activité de tout traducteur.

Les difficultés soulevées par les barrières que la charge civilisationnelle oppose à la

traduction pourraient être réparties en plusieurs catégories:

35

Page 36: dorina teza

♦ difficultés de compréhension et de traduction des termes évoquant des réalités

spécifiques d'une certaine communauté linguistique;

♦ difficultés provenant de la non correspondance des niveaux et des registres de langue;

♦ difficultés provenant de l'emploi figuré de certaines expressions qui portent la

marque des conditions locales spécifiques;

♦ difficultés provenant de la non transparence des allusions historiques, littéraires,

anecdotes, allusions prestigieuses, etc.

L'intérêt que présente l'étude des zones fortement idiomatisées, plus

profondément marquées par les conditions de l'évolution socio-historique est double.

Pour le lexicographe il s'agit de trouver des équivalents au niveau lexématique, stables

et récurrents, sans faire appel à des traductions explicatives, souvent inutilisables dans

le texte; mais pour le traducteur, l'intérêt réside surtout dans la découverte des

procédés indirects lui permettant de retransmettre les connotations socio-culturelles.

« Apprendre une langue signifie deux choses: apprendre la structure et les mots de cette

langue, mais aussi apprendre la relation qu'il y a entre structures et mots et la réalité non

linguistique, la civilisation, la culture de cette langue, ce qui est tout autre chose. De là

viennent les difficultés dues à l'apprentissage corrélatif des situations dans lesquelles

sont utilisés les mots et les structures de cette langue » [29, p. 62].

CHAPITRE III

LES ASPECTS LINGUISTIQUES DE LA TRADUCTION

La traduction devrait non pas, comme cela arrive trop souvent, focaliser son

attention sur un petit nombre d'éléments ou se faire une idée de l'ensemble en

n'examinant que quelques extraits, mais commencer par déterminer le type de textes

dont relève le texte en cause et cela, en se fondant sur le texte original. Cette étape une

fois franchie (car la méthode appropriée de traduction dépend en particulier du type de

textes), on se demandera si le traducteur s'est conformé à la hiérarchie des éléments à

conserver dans la version-cible. Autrement dit, on examinera, pour un texte informatif,

si la version-cible assure avant tout l'invariance de l'information; pour un texte expressif,

il s'agit de voir si outre l'invariance de l'information, toujours souhaitable, les principes

formels auxquels obéit l'organisation langagière ont été respectés et si l'effet esthétique

produit par la traduction est semblable à celui de l'original; pour un texte incitatif, si

l'effet visé par le texte original a été atteint en langue-cible; pour un texte scripto-sonore,

36

Page 37: dorina teza

si les conditions spécifiques liées au support utilisé et le rôle supplémentaire du moyen

d'expression non linguistique ont été pris en compte.

Toute traduction est un compromis: c'est à cette condition qu'elle s'intègre sans heurt

dans la totalité de la vie. Mais ce compromis doit être mûrement réfléchi et pondéré.

Wolfgang Schadewaldt appelle cette nécessité « l'art de faire le bon sacrifice », un art

qu'il s'agit de maîtriser pour chaque texte d'abord en fonction du type de textes auquel il

appartient. C'est la raison pour laquelle nous demandons que soit respectée la hiérarchie

entre les éléments à conserver, car l'ordre des priorités n'est pas le même pour tous les

types de textes. Relisons Georges Mounin :

La traduction moderne essaie de respecter, quand il est possible, les mots, les

constructions et tous les modes stylistiques de la langue étrangère. [30, p. 148]

Or il se trouve que la véritable problématique de la traduction commence

précisément là où il n'est plus possible de respecter les mots, les constructions et les

figures de style. Ce que nous avons dit plus haut implique qu'on ne peut venir à bout de

cette problématique qu'en tenant compte des impératifs liés à chacun des types de textes

que nous avons définis. La norme dont sont justiciables les textes informatifs découle de

la matière traitée, celle dont relèvent les textes expressifs est fondée sur l'organisation de

l'énoncé, celle des textes incitatifs sur la fonction d'appel et celle des textes scripto-

sonores sur les conditions propres à leur support non linguistique.

L'ensemble des messages écrits dans une langue constitue sa littérature au sens le

plus large de ce terme. C'est dire que n'importe quel énoncé fixé par écrit fait partie de la

littérature. Tout texte peut faire l'objet d'une traduction. Il faut donc que la première

catégorie de la critique des traductions, à savoir celle qui porte sur le type de textes, soit

qualifiée de catégorie littéraire.

3.1. Les instructions intra-linguistiques

Une fois que le critique a fait le tour des arguments littéraires propres à fonder son

jugement sur une traduction, il peut étayer son appréciation en se référant à une

deuxième catégorie: la catégorie linguistique. Il s'agit dès lors de passer en revue les

instructions intralinguistiques et la manière de les restituer en langue-cible; c'est-à-dire

d'examiner en détail les manifestations dans la version-cible du processus de traduction,

envisagé comme la recherche d'équivalents pour des unités de traduction définies dans

la langue-source.

37

Page 38: dorina teza

La traduction n'est possible que parce qu'il existe des relations d'équivalence entre les

langues au niveau de la langue au sens saussurien de ce terme, c'est-à-dire au niveau de

la langue comme système. Au cours du processus de traduction, il s'agira de choisir

parmi les équivalences potentielles les équivalences optimales au niveau de la parole

(c'est-à-dire au niveau de la langue actualisée).

Prenons quelques exemples pour préciser les notions d'équivalence potentielle et

d'équivalence optimale:

Le mot français verre possède en roumain plusieurs équivalences potentielles:

sticlă, geam, pahar, lentilă de ochelari. S'il ressort du contexte qu'il est question d'un

verre à vitre, l'équivalence lexicale optimale sera fereastră.

De même, il existe diverses équivalences potentielles roumaines du français

opération: type de calcul, opération militaire, action, intervention chirurgicale, affaire.

etc. Dans un texte économique, c'est ce dernier terme qui sera l’équivalence optimale.

« Je lève mon verre à l'amitié qui lie nos peuples ... » : si l'occasion est

solennelle, on peut supposer qu'on aura servi du vin ou du champagne. Ce contexte

situationnel - une petite allocution - éclaire l'élément lexical verre: le traducteur optera

sans hésiter pour l'équivalent roumain « bocal » : « Ridic acest bocal pentru… ».

À l'inverse, l'expression française « la troisième » peut aboutir en roumain à des

équivalents extrêmement différents selon la situation.

Dans un contexte musical, on désignera ainsi la troisième symphonie du

compositeur dont on parle. Dans un contexte militaire, il faudra comprendre la troisième

compagnie, la troisième brigade ou la troisième division. Sous la plume d'un historien,

on y lira une allusion à la Troisième République, alors que si l'on raconte un trajet en

automobile, on pensera à la troisième vitesse. Il est indispensable de se référer au

contexte, comme le montre bien cet exemple d'ellipse dans la langue-source.

Soit l'énoncé « Sărac, dar curat» : il existe en français une équivalence

potentielle présentant une construction tout à fait parallèle: «Bien qu'il soit pauvre, c'est

un homme honnête ». Il serait toutefois préférable, à moins que cette phrase ne fasse

partie d'un dialogue utilisant la langue de tous les jours, de choisir une formulation plus

châtiée, relevant davantage de la langue écrite : «II est certes pauvre, mais il est

honnête».

Le processus traductif peut par conséquent être défini comme la recherche

38

Page 39: dorina teza

d'équivalents potentiels, suivie du choix de l'équivalent optimal (aussi bien pour une

unité de traduction que pour le texte dans son ensemble, envisagé comme la somme de

toutes ces équivalences ponctuelles).

Ce choix est guidé d'abord par le contexte linguistique, auquel s'applique

l'observation suivante de Harald Weinrich :

« Un mot isolé permet à l'esprit de voleter tout autour de la signification. Un tel

vagabondage est impossible dès lors que ce mot est inséré dans un texte. Le contexte

fixe. Il fixe le sens. Les mots se limitent les uns les autres et ce, de manière d'autant plus

efficace que le texte est plus complet. » [41, p. 126]

La rédaction en langue-cible est influencée ensuite par la situation, c'est-à-dire

par le contexte extralinguistique. En d'autres termes et pour parler avec Georges

Mounin, «traduire est avant tout et toujours une opération linguistique », mais que ce

n'est «jamais une seule opération, ni une opération exclusivement linguistique » [30, p.

43].

Il s'ensuit que l'on doit d'une part tenir compte des instructions sémantiques,

lexicales, grammaticales et stylistiques (c'est-à-dire intra-linguistiques) du texte à

traduire et d'autre part être attentif aux déterminants extralinguistiques quant à leurs

répercussions aux niveaux sémantique, lexical, grammatical et stylistique.

La combinaison de ces deux facteurs (instructions intra- linguistiques et

déterminants extralinguistiques) et la manière dont le traducteur parvient à l'intégrer

apporte au critique de quoi fonder son appréciation sur deux autres catégories de la

critique des traductions: la catégorie linguistique et la catégorie pragmatique.

Ce sont là deux catégories de la plus haute importance pour la théorie de la

traduction, car elles seules lui donnent les moyens de juger de la qualité des

équivalences trouvées par le traducteur.

Pour illustrer notre propos, prenons l’extrait suivant, pris de Le Petit Prince

d’Antoine de Saint-Exupéry, dont la traduction roumaine a été publiée en 1994 par Igor

Creţu:

a) - S’il vous plait … dessine-moi un mouton !

J’ai sauté sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la foudre. J’ai bien

frotté mes yeux. J’ai bien regardé. Et j’ai vu un petit bonhomme tout à fait

extraordinaire qui me considérait gravement.

39

Page 40: dorina teza

b) - Te rog, desenează-mi un mieluţ...

Am sărit în picioare ca întîmplător. M-am frecat bine la ochi. Şi am zărit un pui de om,

pe drept cuvînt năzdrzvan, care mă privea cu gravitate.

Il serait insensé de reprocher au traducteur sa méconnaissance du vocabulaire

roumain en ce qui concerne l’équivalent de l’expression être frappé par la foudre - a fi

străpuns de fulger. On n’accuserait non plus la non correspondance de la phrase : M-am

uitat bine în jurul meu, qui peut être considérée comme une mauvaise traduction. Car,

en réalité, le contexte linguistique suffit pour faire sentir l'impossibilité d'une traduction

mot à mot. C'est la situation de parole qui permet de donner de la signification.

Autre cas de figure, relevé de la littérature de critique : « Le délégué français

s'étonne que ce point n'ait pas été inscrit à l'ordre du jour ». Du point de vue des

instructions linguistiques, il n'y a rien à objecter à la traduction «Delegatul francez e

uimit că acest subiect nu a fost înscris în ordinea de zi», car « a fi uimit » = « s'étonner

». Cette solution est néanmoins critiquée et ce, à bon droit. Il propose une tournure qui a

le mérite de tenir compte du contexte situationnel, à savoir: «Delegatul francez şi-a

exprimat surpriza că acest subiect nu a fost înscris în ordinea de zi ». En effet, lorsque sa

proposition d'inscrire un point à l'ordre du jour n'a pas été retenue, un bon délégué ne se

contente pas d'éprouver de l'étonnement en son for intérieur, il manifeste cet

«étonnement ». Dans cette situation de parole, qui suppose en outre que la version-cible

respecte le déterminant extralinguistique qu'est le locuteur, l'équivalence optimale sera

en roumain l'expression «exprimer sa surprise », qui est conforme aux habitudes

langagières de la diplomatie de langue roumaine.

3.1.1. Les instructions d'ordre sémantique

Le respect (ou la violation) des instructions sémantiques données par le texte

original joue un rôle-clef dans la transmission du contenu, du sens. Méconnaître des

polysémies, confondre des homonymes, choisir en langue-cible des équivalences dont le

champ sémantique ne couvre pas celui des unités de traduction, faire une interprétation

erronée et modifier le texte par des ajouts ou par des suppressions: tels sont les

principaux écueils qui menacent le traducteur, et tels sont les principaux angles d'attaque

qui s'offrent au critique des traductions.

Pour juger de l'équivalence sémantique, il faut se fonder sur le contexte

linguistique, car c'est là surtout que se trouvent les indices univoques de ce que l'auteur a

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voulu dire. Or pour être en mesure de traduire, il est indispensable de savoir « ce que

veut dire, dans la langue à partir de laquelle on traduit, l'expression qui figure dans le

texte de départ », comme le constate F. Kiefer [22, p. 74]. Par contexte linguistique, on

entend aussi bien micro-contexte que macro-contexte, deux entités aux limites

fluctuantes et difficiles à définir, qui varient au gré de l'environnement langagier ou

cognitif de chacune des unités de traduction. On peut dire néanmoins que le micro-

contexte est en général constitué par les mots adjacents, et qu'il n'excède pas la phrase.

Le macro-contexte, lui, commence au paragraphe et peut englober le texte tout entier,

l’un et l'autre sont indispensables pour définir les équivalences optimales à l'échelon des

instructions intralinguistiques.

Les exemples qui suivent illustreront l'influence du micro-contexte et/ou du

macro-contexte sur la rédaction en langue-cible:

«Au lever du soleil, nous nous sommes séparés. »

Le français « lever» a en roumain divers équivalents potentiels: ridicare, sculare,

comme nom et a ridica, a înălţa, a suprima, a redresa, a începe, a răsări, etc., comme

verbe. La proposition considérée ici a pour sujet un astre (le soleil) ; le micro-contexte

livre donc l'information décisive pour le choix du meilleur équivalent lexical du verbe «

lever ». En roumain-cible, le segment « au lever du soleil» pourra être rendu par «la

răsărit de soare » ou par «cînd soarele s-a ridicat », «cînd soarele a răsărit », «cînd

soarele s-a înălţat », ce qui fait deux équivalents potentiels du point de vue

grammatical: une subordonnée temporelle et une tournure nominale. Seul le macro-

contexte permettra de déterminer l'équivalent optimal, et ce choix sera fonction de

considérations stylistiques. On se demandera par exemple si c'est la subordonnée, plus

longue, ou la tournure nominale, plus brève, qui conviendra le mieux au rythme de

l'ensemble. La décision dépendra non plus d'instructions intralinguistiques de la langue-

source, mais de considérations stylistiques liées à la langue-cible.

Dans le même cas, le micro-contexte donne sur le plan de la grammaire deux

instructions décisives. D'abord, le verbe peut prendre la forme de l’imparfait ou du passé

composé (ou du passé simple). L'imparfait marque l'aspect itératif: la forme de la

subordonnée temporelle s'en ressentira immanquablement en langue-cible: on ne dira

plus « lorsque le soleil se leva (action unique, aspect ponctuel), mais « lorsque le soleil

se levait » (action répétée, aspect itératif ou habituel). Cette nouvelle alternative devra

41

Page 42: dorina teza

être tranchée selon des critères stylistiques tenant compte du contexte en langue-cible.

Le raisonnement sera à peu près le même pour l'exemple suivant : « Le remède

pris, je me sentis mieux ». Le verbe prendre a pour équivalents potentiels roumains a

lua, a se aproviziona, a obţine, a suprinde, a înhăţa, a adopta, a lua cu sine, a înghiţi

etc. L’objet le remède désigne a înghiţi comme l'équivalent optimal. Pourtant, la

meilleure traduction sera la variante a bea.

Mais il n'y a pas que l'équivalent lexical de prendre qui soit déterminé par le

micro-contexte: l'équivalent grammatical du participe absolu, une construction que la

langue roumaine ne peut pas reproduire telle quelle. Ainsi, on traduira cette proposition

par une phrase dont le verbe de la subordonnée exprime l'antériorité de prendre prendre

envers se sentir : „După ce mi-am băut medicamentele, m-am simţit mai bine. Pour faire

son choix entre une tournure nominale, «Après absorption du remède», et une

subordonnée, «Une fois que j'eus pris le remède», le traducteur s'appuiera là encore sur

des considérations stylistiques. La première solution serait optimale pour un rapport,

alors que la seconde conviendrait bien pour restituer un dialogue dans un roman [13, p.

157].

Le macro-contexte, dont l'influence sur la traduction sera montrée ici par deux

exemples, peut être le paragraphe, voire le texte tout entier. Il s'ensuit que pour donner

une traduction adéquate du titre d'un essai, d'un livre, etc., il faut souvent avoir lu

l'ensemble du texte. Nul doute par exemple que l'on ne saurait traduire en roumain le

titre de L'Éducation sentimentale avant de connaître la totalité de ce roman de Flaubert.

Le traducteur devrait se fonder sur le macro-contexte avant de donner sa préférence à

l'un ou à l'autre des titres analysés: Şcoala inimii, Educaţia inimii, Şcoala sensibilităţii,

Anii de educaţie a inimii. Seul le ton qui baigne l'ensemble du texte permettra de

déterminer si l'équivalence optimale est Şcoala sensibilităţii, titre d'inspiration d'une

sentimentalité doucereuse, au lieu de Anii de educaţie a inimii, titre à peu près dépouillé

de tout élément affectif.

Nos réflexions portant sur un corpus constitué exclusivement de textes fixés par

l'écriture et de leurs traductions, il convient de souligner la nécessité, pour qui entend

juger si les instructions sémantiques ont été mises en œuvre de façon adéquate, de

garder à l'esprit que bon nombre des « significations» d'un texte ne sont pas écrites.

Ainsi, suivant la langue-source, le traducteur devra, pour donner une traduction

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Page 43: dorina teza

appropriée d'un dialogue, imaginer l'intonation qui accompagnerait l'énoncé s'il était dit

à voix haute. Prenons la phrase « Ai apărut !»: la manière dont elle sera prononcée

exprimera soit un reproche (l'équivalent français sera alors «Te voilà enfin !», soit un

constat objectif (l'équivalent allemand sera alors «Tu arrives en retard !». Il arrive

parfois que l'intonation soit simplement un indice montrant sur quoi porte l'accent

principal d'un énoncé, l’accent qui peut dans les langues flexionnelles être rendu visible

par écrit en jouant habilement sur l'ordre des mots [10, p. 149].

3.1.2. Les instructions d'ordre lexical

Pour ce qui est des instructions d'ordre sémantique contenues dans le texte-

source, nous avons vu que le critère d'appréciation du texte-cible était la pleine

équivalence; en ce qui concerne les instructions lexicales, le critère sera l'adéquation.

Quant à la fidélité mimétique, qui a été demandée bien souvent même pour le lexique

(traduction mot à mot), elle ne saurait être érigée en critère pertinent. Ne serait-ce que

parce que les éléments lexicaux de deux langues ne sont jamais parfaitement

superposables, et ce d'autant moins que la structure et t'imaginaire qui sous-tendent ces

deux langues sont plus différents. Le critique devra constater au niveau du lexique si les

instructions figurant dans l'original ont été transposées en langue-cible de manière

adéquate. Concrètement, il s'agit de dire si le traducteur a donné une solution adéquate

aux problèmes que posent les terminologies spécialisées et les sociolectes, les faux amis,

les homonymes, les mots « intraduisibles », les noms et les métaphores, les jeux de

mots, les expressions idiomatiques et les proverbes, etc. Il va sans dire que cet examen

doit être effectué en tenant compte des impératifs liés à chacun des types de textes.

Dans un texte informatif par exemple, on dira d'une métaphore qu'elle a trouvé

une traduction adéquate si elle a été rendue en langue-cible non pas par une métaphore,

mais par un tour non imagé de même valeur sémantique. Dans un texte expressif par

contre, on est en droit d'attendre un traitement de la métaphore qui variera selon que la

métaphore est déjà lexicalisée ou qu'elle a été forgée par l'auteur de l'original: dans le

premier cas, le traducteur devra choisir une métaphore usuelle en langue-cible et de

même poids ou de même valeur ; dans le second, il lui faudra en créer une de toutes

pièces. Cette exigence n'est pas aussi difficile à remplir qu'il y paraît de prime abord.

Dans ce contexte, M. Lederer note:

« Plus une métaphore est hardie et imprévue, plus elle est singulière, plus elle

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Page 44: dorina teza

sera facile à reproduire dans d'autres langues; car il n'y a pas seulement une «

harmonie des champs métaphoriques auxquels recourent les diverses langues

occidentales» ; au-delà des champs métaphoriques concrets, patrimoine commun à

toute l'humanité, il existe des « structures de l'imaginaire» qui sous-tendent tout le reste

et selon lesquelles, à l'échelon prélinguistique ou supralinguistique, la puissance

exploratrice de l'homme agit dans des produits de son imagination originaire. » [25, p.

98].

En ce qui concerne les textes incitatifs et les textes scripto-sonores, on appliquera

par conséquent les critères spécifiques à ces types de textes. Les expressions

idiomatiques et les proverbes seront traités de même.

Pour donner un autre éclairage à notre problématique, prenons un second

exemple: le jeu de mots. Dans un texte informatif, les jeux de mots qui se situent au

niveau lexical ne doivent pas être reproduits en langue-cible, à moins qu'ils

n'apparaissent spontanément dans les deux langues mises en présence par la traduction.

Dans un texte expressif en revanche, on espère qu'ils seront recréés dans la version-cible

et ce, au même droit du texte, en particulier s'il y est fait allusion plus loin dans le texte;

si ce n'est pas possible, on placera un jeu de mots à tout autre endroit où la langue-cible

en offre un spontanément [18, p. 69].

3.1.3. Les instructions grammaticales

S'agissant des instructions grammaticales données par le texte de départ, une

traduction devra être jugée en fonction du critère de la correction et ce, à double titre.

D'abord, comme le système grammatical est parfois très différent d'une langue à l'autre,

c'est de toute évidence la morphologie et la syntaxe de la langue-cible qui priment, à

moins qu'une caractéristique propre au type de textes ou un critère extralinguistique ne

fasse déroger à ce principe. Ensuite, une traduction sera dite grammaticalement correcte

lorsqu'elle est rédigée de manière correcte en langue-cible et que les structures

grammaticales du texte-source ont été comprises et rendues de façon adéquate quant à

leurs implications sémantiques et stylistiques.

Là encore, la traduction adéquate n'est pas celle qui recourt aux mêmes moyens

d'expression que le texte original, quoique ce cas de figure ne soit pas rare du tout entre

des langues proches comme le sont les langues occidentales. Quand bien même des

considérations stylistiques ou la fréquence plus ou moins grande d'une forme

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Page 45: dorina teza

grammaticale fassent souvent envisager le calque (= reproduction littérale, en langue-

cible, d'un phénomène grammatical) comme une équivalence potentielle, l'équivalence

optimale qui s'impose est souvent la transposition (= changement de catégorie

grammaticale ou syntaxique pour rendre un élément du texte-source) [29, 117].

Cette double perspective pourra être illustrée en évoquant par exemple la notion

d'aspects (ou modalités de l'action), pour l'expression desquels les langues européennes

ont chacune créé toute une gamme de tournures verbales.

3.1.4. Les instructions stylistiques

Pour ce qui est du style enfin, le critique devrait examiner si la traduction

correspond en tout point au texte original. Dans ce domaine comme pour tout ce qui

touche aux instructions intralinguistiques, il convient de déterminer, toujours en fonction

du type de textes, si la traduction a tenu compte de l'usage que fait le texte original des

différents niveaux de langue (langue courante, registre soutenu, style châtié) et si elle a

respecté le degré de perméabilité entre lesdits niveaux, car il diffère d'une langue à

l'autre. II faudrait ensuite s'assurer que la traduction ait tenu compte des instructions

stylistiques de l'original en ce qui concerne le style standard, le style personnel de

l'auteur et le style typique de son époque et que les trouvailles langagières de l'auteur

aient été identifiées comme s'écartant de l'usage courant en langue-source. Pour la

langue française, par exemple, le style standard applique une sorte de principe de la non-

répétition. Par conséquent, lorsque l'auteur a répété inlassablement un élément

linguistique afin de susciter un effet esthétique déterminé, l'intention manifestée par le

style personnel de l'auteur prévaut sur le principe qui régit le style standard.

Ces derniers critères jouent un rôle de premier plan dans la critique des

traductions des textes expressifs et des textes incitatifs. Même le panachage stylistique

et les ruptures de style que présente le texte original doivent se retrouver dans la

traduction, du moins pour les écrits relevant de l'un ou de l'autre de ces deux types de

textes; c'est là une obligation, que ces caractéristiques stylistiques aient été voulues par

l'auteur afin d'obtenir un certain effet, (démagogique, par exemple) ou qu'il s'agisse

effectivement d'une faiblesse du texte original.

Soit l'énoncé roumain «El se trezea devreme. » est bien rendu en français par

l’équivalent «Il avait l'habitude de se lever très tôt.» Autre traduction, tout aussi

correcte: « Il se levait toujours très tôt». La première équivalence ne sera considérée

45

Page 46: dorina teza

comme optimale que dans un style soutenu, tandis que la seconde convient à la langue

de tous les jours.

De même, la phrase « Trandafirii au început să înflorească». Plusieurs

équivalences sont possibles: «Les roses ouvrirent leurs corolles» (registre soutenu) ou

«Les roses commencèrent à s'épanouir» (registre courant).

Prenons un exemple roumain : «Ea nu înceta să pună întrebări» : «Elle n'arrêtait

pas de poser des questions» est une traduction correcte. La version «Sans relâche, elle

posait des questions» est tout aussi correcte, mais la première formulation relève de la

langue parlée, tandis que la seconde appartient à la langue écrite.

Voilà donc soulignée la nécessité de respecter l'usage de la langue-cible,

nécessité que nous avons déjà exposée plus haut. Par conséquent, lorsque l'on traduit de

roumain en français ou vice-versa, il s'agit de ne pas reproduire chaque occurrence de la

voix passive pour la seule raison que cette forme existe aussi dans ces langues latines; il

convient au contraire de préférer la voix active parce que cette tournure est plus courante

en français.

Les exemples qui précèdent ont mis en évidence que même les instructions

grammaticales, ou plutôt surtout elles, doivent être évaluées en fonction du critère de la

fréquence dans la langue-source. Rappelons à cet égard la constatation faite par Lessing,

selon laquelle une fidélité par trop pointilleuse aboutit à une traduction gauche et

empesée, car il est impossible que tout ce qui est naturel dans une langue soit également

naturel dans une autre langue.

Il y a un autre problème qui divise aussi bien les traducteurs que les critiques de

traductions : le traducteur a-t-il le droit de « corriger » le texte original ? Cette question

est de celles que l'on peut trancher à l'aide du critère du type de textes. Ainsi, dans un

texte informatif, le traducteur est tout à fait fondé à éliminer des erreurs flagrantes quant

au fond et à gommer des maladresses quant au style. Dans un texte expressif par contre,

le traducteur ne devrait pas « subrepticement, au nom de l'amour du prochain», comme

dit M. Lederer, corriger des imperfections, qu'elles soient stylistiques ou non. Lederer

ajoute une mise en garde:

Le traducteur doit pouvoir résister à la tentation de préciser et d'améliorer le

texte original [25, p. 59].

À l'inverse, Henri Meschonnic est d'avis que le traducteur a justement pour

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Page 47: dorina teza

mandat de préciser le texte de départ. À cette opinion on opposera le principe énoncé par

Wilhelm von Humboldt:

« ( ... ) mais quand le texte original préfère l'allusion à l'explicitation, quand il se

permet des métaphores dont on voit difficilement à quoi elles renvoient, quand il fait des

ellipses, le traducteur serait mal inspiré j'apporter une clarté qui changerait la nature

du texte original.»

Ce conseil devrait être appliqué à tous les constituants de tous les textes

expressifs. Ce qui conduit H. Meschonnic à demander pour la «traduction poétique» que

soient reprises « même les caractéristiques stylistiques déplaisantes ».

Il y a cependant fort à parier que ce principe ne fera l'unanimité parmi les

traducteurs que le jour où les critiques auront admis qu'on ne saurait juger une

traduction sans la comparer au texte original. Car aussi longtemps que ce qu'il est

convenu d'appeler critique des traductions sera réalisé sur la base du seul texte-cible, les

faiblesses que le traducteur aura reproduites par souci de probité intellectuelle seront

immanquablement attribuées au traducteur et non pas à l'auteur du texte original.

3.1.5. Les instructions infra-linguistiques

Il faut, pour pouvoir restituer en langue-cible le sens du texte original, que ce texte ait

été à la fois bien compris et bien interprété quant à ses éléments sémantiques, lexicaux,

grammaticaux et stylistiques. Or, c'est là que réside le problème fondamental de la

traduction d'une langue naturelle à une autre langue naturelle. C'est sur la base de ces

instructions intra-linguistiques que le critique vérifiera si la traduction est équivalente du

point de vue sémantique, si elle est adéquate du point de vue lexical, si elle est correcte

du point de vue grammatical et si les éléments stylistiques du texte-source ont été rendus

en langue-cible par des éléments correspondants. Le critique gardera à l'esprit que les

diverses instructions intra-linguistiques sont à la fois interdépendantes entre elles et liées

aux contraintes propres à chaque type de textes. En effet, ces instructions ne constituent

pas des grandeurs indépendantes; qui plus est leur importance relative n'est pas la même

dans tous les types de textes. Dans les textes informatifs p. ex., la primauté revient à la

sémantique des mots (instructions lexicales) et à la syntaxe (instructions

grammaticales) ; dans les textes expressifs et dans les textes incitatifs en revanche, on

sera particulièrement attentif au style (et à ses manifestations phonétiques, syntaxiques

et lexicales).

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Page 48: dorina teza

De même que la méthode adéquate de traduction dépend du type de textes, le

genre de textes détermine dans une large mesure l'ordre des priorités entre les diverses

instructions intra-linguistiques. Ainsi, pour les textes informatifs, on accordera la

priorité absolue aux instructions sémantiques et ce, pour tous les genres de textes que

l'on regroupe sous cette bannière. Viennent ensuite les instructions grammaticales pour

un texte d'actualités, et les instructions lexicales pour un texte spécialisé. Pour un

ouvrage de vulgarisation scientifique, le critique examinera d'abord si le traducteur s'est

conformé aux instructions sémantiques, puis s'il a respecté les instructions stylistiques

(style personnel de l'auteur), et enfin s'il a trouvé de bonnes équivalences pour les

éléments lexicaux et pour les instructions grammaticales. Il va sans dire que l'on peut

établir des hiérarchies analogues pour les autres types de textes.

3.2. Les déterminants pragmatiques

Se prononcer sur les équivalences retenues par un traducteur pour rendre en

langue-cible les instructions intra-linguistiques du texte original sans tenir compte des

déterminants extralinguistiques, c'est se condamner à n'émettre qu'un embryon de

jugement. Car ce sont précisément ces déterminants extralinguistiques, dont le rôle est

décisif aussi bien aussi bien pour la mise en forme langagière de l'original que pour la

rédaction de la version-cible, qui permettent de dire si les équivalences proposées sont

simplement potentielles ou si elles sont optimales.

Le terme déterminants extralinguistiques s'applique à tout l'éventail des facteurs

extralinguistiques qui conduisent un auteur à choisir avec le plus grand soin parmi les

moyens expressifs que lui offre sa langue maternelle de manière à se faire comprendre

par ses auditeurs ou par ses lecteurs; ces facteurs lui permettent parfois même de se

passer de certains moyens langagiers sans risquer de n'être pas compris par les membres

de sa communauté linguistique. Comme tous ces facteurs contribuent à déterminer

l'organisation langagière d'un texte, nous forgeons pour les désigner le terme de

déterminants extralinguistiques.

Ainsi lorsqu 'un auteur souhaite exprimer un lien de causalité, ce sont les critères

stylistiques, c'est-à-dire intra-linguistiques, qui guideront son choix entre une

subordonnée conditionnelle, une proposition infinitive tronquée ou une locution

adverbiale ou nominale. Dans ce cas, les instructions intra-linguistiques (grammaticales

et stylistiques) montrent la voie au traducteur dans sa recherche des équivalences

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Page 49: dorina teza

optimales. Par contre, lorsqu'un auteur doit choisir entre « verre » et « coupe », sa

décision sera déterminée par la situation, c'est-à-dire par une donnée extra-linguistique:

s'il s'agit de dépeindre un personnage portant un toast, l'écrivain retiendra «coupe»

(verre à vin) ; si son personnage demande un verre d'eau, l'auteur écrira « verre » (verre

à eau). Notons que le roumain « «bocal » se traduit en français comme « borcan », c’est

pourquoi la traduction calque sera ridicule.  Il peut arriver aussi que le facteur temporel

conduise à employer un mot plutôt qu'un autre, par exemple pour nommer les

représentants du peuple au Parlement français. Ainsi dans un texte évoquant l'époque de

la seconde République (1931-1936), il faudra dire « député»; s'il est question de la

période d'après la guerre civile, c'est le terme « procureur» qui convient.

On peut attirer l'attention sur un cas encore plus délicat: le déterminant temporel

joue un rôle crucial pour savoir s'il faut rendre le mot «dîner» par « déjeuner », par «

dîner », voire par un mot qui reste à inventer, car « dinner » désigne à l'origine le repas

de midi; aujourd'hui, il est appliqué le plus souvent à un repas du soir, mais il faut savoir

que durant la première moitié du XVIIIe siècle, on considérait que l'heure convenable

pour le repas principal était 16 du 17 heures.

On est donc en présence de déterminants extralinguistiques chaque fois que la

mise en forme langagière est infléchie par des données extralinguistiques. On peut citer

ici ce que Harald Weinrich a souligné en parlant d'autre chose: Les mots sont donc

insérés dans des phrases dans des textes et dans des situations [41, p. 267].

Dans la problématique qui nous occupe, on peut dire que les phrases

correspondent au micro-contexte, les textes au macro-contexte et les situations aux

facteurs extralinguistiques, ces derniers pouvant aussi être désignés par le terme «

contexte situationnel ». Ce terme recouvre à la fois ce que Eugène Nida définit comme le

«contexte communicatif» et ce qu'il désigne par «contexte culturel de la langue-source»,

en y incluant les circonstances comme le temps, le lieu, le locuteur, l’interlocuteur,

l’intention de communication.

Georges Mounin traite également, mais pour les seules traductions littéraires, le

problème des déterminants extralinguistiques, auxquels il donne d'ailleurs un autre nom.

Voici ce qu'il écrit:

« Réservant la notion de contexte à tous les renseignements que fournit

explicitement le texte (écrit, littéraire), la linguistique nomme situation tous les

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Page 50: dorina teza

renseignements géographiques, historiques, sociaux, culturels, qui ne sont pas toujours

inclus dans l'énoncé linguistique, et qui sont pourtant nécessaires pour une traduction

complète de la totalité du message contenu dans cet énoncé. » [29, p. 67]

Ce qui lui inspire la conclusion que voici:

Traduire est aujourd'hui non seulement respecter le sens structural, ou

linguistique, du texte (son contenu lexical et syntaxique), mais aussi le sens global du

message (avec son milieu, son siècle, sa culture, et, s'il le faut, la civilisation toute

différente dont il provient).

Mais cette fragmentation de la «situation» selon des données géographiques,

historiques, sociales et culturelles n'est pas encore assez détaillée pour répondre aux

préoccupations des traducteurs et des critiques de la traduction, car la notion de situation

est plus complexe encore.

La compréhension de la notion de contexte situationnel tel que l'ont défini Nida et

Mounin nous conduit à distinguer les déterminants extralinguistiques suivants: la

référence à la micro-situation, la référence où la matière traitée, la référence au temps, la

référence au lieu, la référence au récepteur, la marque du sujet parlant, ainsi que les

implications d'ordre affectif. On va examiner le rôle dans le processus traductif de

chacun de ces éléments.

3.2.1. La référence à la micro-situation

L’ensemble des déterminants extralinguistiques peut être considéré comme

formant le contexte situationnel. Cette notion ne doit pas être confondue avec les

déterminants liés à la situation, c'est-à-dire conditionnés par la micro-situation, qu’on

peut reformuler par le terme la référence à la micro-situation. C'est grâce aux facteurs

extralinguistiques qu'un auteur peut parfois réduire à son minimum l'élaboration

langagière de ce qu'il veut exprimer, parce que les circonstances de l'énonciation

suffisent pour que l'auditeur ou le lecteur appartenant à la même communauté

linguistique comprenne ce qui est implicite. Nous voulons parler ici de la «micro-

situation », laquelle ne vaut pas pour l'œuvre tout entière, mais seulement pour certains

passages et pour certaines scènes qui ne durent qu'un instant. Tel est le cas par exemple

pour les interjections, pour les allusions (à des œuvres littéraires, à des événements

historiques, à des phénomènes de mode, etc.), pour des formes tronquées d'expressions

familières, et ainsi de suite.

50

Page 51: dorina teza

Ces manifestations verbales à compléter en fonction de la situation instantanée

sont particulièrement fréquentes dans les pièces de théâtre et dans les passages dialogués

des romans. Or, le traducteur est totalement démuni devant le texte écrit s'il n'est pas

capable de se mettre dans la peau et dans la situation les personnages qui parlent. Cette

identification seule lui donne les moyens de trouver des équivalences optimales en

langue-cible, équivalences qui permettront au lecteur de la traduction de donner une

interprétation pertinente, conforme à la situation, des mots choisis par le traducteur en

adéquation avec la situation. Par conséquent, le critique doit lui aussi se mettre «dans la

situation» pour être en mesure de juger si le traducteur a fait le bon choix non seulement

du point de vue lexical, mais aussi du point de vue sémantique. L’étude du micro-

contexte et du macro-contexte ne suffit souvent pas pour se faire une opinion.

Un dialogue tiré de Colette fournit un bon exemple pour illustrer notre propos.

- Maintenant, dit Brague en s'asseyant, parlons peu et parlons bien. Tu as tout ce qu'il

faut. .

- Naturellement, voyons! Mon costume de Dryade, le neuf, un rêve! vert comme une

petite sauterelle, et il ne pèse pas cinq cents grammes. L'autre est retapé, rebrodé,

nettoyé, tu le jugerais neuf; il peut faire soixante représentations sans faiblir.

Brague fronça la bouche:

- Heu ... tu es sûre? T'aurais pu te fendre d'une pelure neuve, pour l'Empire!

- C'est ça, et tu me l'aurais payée, hein! Et ta culotte de l'Empire en peau de daim

brodé, qui a pris la couleur de toutes les planches qui l'ont cirée, est-ce que je te le

reproche, moi?

Mon camarade lève une main dogmatique:

- Pardon, pardon! ne confondons pas! Ma culotte est magnifique! elle a pris de la

patine, du fondu; elle a l'air d'un grès artistique! ça serait un crime que de la

remplacer!

- Tu n'es qu'un grigou! lui dis-je en haussant les épaules ...

- Et toi, une râleuse!...

Le texte étant truffé d'ellipses et d'allusions, une traduction platement littéraliste

en langue roumaine ne pourrait manquer de paraître empesée, voire incompréhensible.

Le traducteur ne doit pas seulement avoir à l'esprit que le dialogue met en présence des

jeunes âgés d'une vingtaine d'années (= référence au sujet parlant) issus de la petite

51

Page 52: dorina teza

bourgeoisie madrilène (= référence au lieu) et que la langue utilisée est la langue

courante, familière, mais non argotique (= instructions lexicales et stylistiques). Il lui

faut en outre, pour reconnaître la valeur sémantique de certains énoncés tronqués,

imaginer aussi précisément que possible la scène qui est racontée; il lui faut donc se

glisser dans la peau des personnages, s'approprier leur caractère, pour trouver en langue-

cible les équivalences qui, dans leur concision, reflètent la situation de manière aussi

vivante et aussi suggestive que le texte français.

En résumé, on peut dire que la référence à la micro-situation infléchit

l'organisation lexicale, grammaticale et stylistique du texte-cible au même titre que celle

du texte-source. La référence à la micro-situation aide le traducteur et le critique à

interpréter correctement les instructions sémantiques données de façon implicite dans le

texte original.

3.2.2. La référence à la matière traitée

Il est un autre élément qui agit sur l'organisation langagière non seulement du

texte original, mais aussi de sa traduction: la référence à l'objet traité. Peu importe le

texte: le traducteur doit disposer de connaissances suffisantes du domaine dont il est

question afin d'être en mesure de rédiger une version-cible adéquate du point de vue

lexical. Cette remarque concerne bien sûr avant tout les textes spécialisés, qu'il convient

de traduire en adaptant terminologie et phraséologie aux habitudes langagières de la

langue-cible. Toutefois, la prise en compte des déterminants liés à la matière traitée est

un impératif qui s'applique non seulement aux textes spécialisés, mais aussi aux textes

en tout genre dont la traduction exige des connaissances dans un domaine déterminé.

Les connaissances spécialisées nécessaires pour traduire un roman qui a pour

cadre le monde médical, le monde de l'aviation ou celui de la haute finance, le

traducteur peut les acquérir au coup par coup; mais on attend de lui en plus qu'il soit un

puits de science. On lira dans cette remarque une sorte de confirmation de la thèse selon

laquelle il ne suffit pas, pour traduire un texte - et pour juger une traduction -, de

connaître les mots, mais qu'il faut connaître aussi les choses dont parle le texte.

Pour conclure, tout ce qui précède peut se résumer à la thèse selon laquelle le

traducteur et le critique doivent identifier la matière traitée dans le texte en cause et en

tenir compte. Il faut savoir à cet égard que les effets des déterminants liés à la matière

traitée sur la version-cible sont principalement d'ordre lexical au sens le plus large de

52

Page 53: dorina teza

cette expression, ce qui inclut par exemple le fait que la traduction roumaine d'un texte

spécialisé devra, pour ne pas avoir l'air d'être l'œuvre d'un profane, contenir davantage

de mots d'emprunt que le texte original.

En conclusion, pour bien traduire, il ne suffit pas de connaître bien la langue; il

faut encore étudier la culture du peuple qui parle la langue que vous traduisez.

3.2.3. La référence au récepteur (ou allocutaire)

Avant d'aborder les problèmes spécifiques qui découlent du fait que les

déterminants liés au récepteur influencent l'organisation langagière du texte original et

de sa traduction, il nous faut donner de ce terme une définition plus précise. Par

récepteur, on entend toujours « auditeur ou lecteur du texte-source ». C'est dire que la

référence au récepteur - qui est fixée par rapport au texte original - doit être distinguée

strictement de la notion de « public-cible particulier », autrement dit du public-cible que

le traducteur (ou son donneur d'ouvrage) a en tête et au nom duquel il arrive que l'on

mette entre parenthèses les critères qui s'appliquent d'ordinaire à la traduction et à la

critique des traductions.

Nous pensons ici aux déterminants qui ont conduit l'auteur de l'original, pour

toucher ceux qu'il s'était lui-même choisis pour public-cible, à écrire son texte d'une

certaine manière et non pas d'une autre. Et là encore, l'ensemble du contexte social et

culturel (qui correspond assez largement au contexte situationnel décrit plus haut) joue

un rôle, quoique différent de celui que jouent les déterminants géographiques dont il

vient d'être question, ces derniers étant avant tout des « choses de la réalité » et les

termes qui les désignent dans la langue-source. La référence au récepteur se manifeste

notamment par des expressions idiomatiques, par des citations, par des proverbes qui

n'ont cours que dans la langue-source, par des figures de langue, etc. Suivant le type de

textes, on tiendra plus ou moins compte de ces déterminants liés au récepteur: en règle

générale, on n'y parvient qu'au prix d'un « réencodage ». Le traducteur doit faire en sorte

que le lecteur de langue-cible puisse intégrer le texte dans son propre univers culturel et

le comprendre à partir de ce point de vue. Prenons pour illustrer cette thèse l'exemple

d'une locution idiomatique.

Dans un texte informatif par exemple, il ne serait pas indispensable de traduire la

locution française « mentir comme respirer » par une expression idiomatique roumaine.

Comme dans ce cas, la forme de l'énoncé s'efface dans le contenu et que ce type de

53

Page 54: dorina teza

textes n'exige l'invariance que pour le contenu, le transfert de la seule valeur sémantique

de cette locution (par exemple «il ment trop» pourra être considéré comme une

traduction adéquate.

Mais pour un texte expressif, la version-cible devrait utiliser une expression

idiomatique équivalente, puisque dans ce type de textes, il est primordial d'être attentif à

la manière dont une chose est dite; dans ce cas, la traduction serait adéquate si on y lisait

par exemple «il ment comme un arracheur de dents».

Dans un texte incitatif (comme un discours politique démagogique ou une satire),

il faudrait en principe choisir une locution courant, quoique la prise en compte de

déterminants temporels puisse, le cas échéant, conduire à donner de cette locution

française une traduction littérale en roumain. Supposons par exemple qu'un texte

français contenant cette expression ait dû être traduit en roumain la traduction pourrait

prendre la forme «il ment plus que le gouvernement», qui d'ordinaire «ne dit rien». Cette

variante pourrait tout à coup été chargée de sens; on aurait pu alors l'employer en guise

d'« équivalence décalée», pour compenser l'impossibilité, due aux différences existant

entre les langues, de restituer un autre effet que le texte original produit dans un autre

passage.

On raisonnera de même à propos du transfert de locutions imagées. Ainsi « être

connu comme le loup blanc» pourra, dans un texte informatif, être rendu par «être très

connu» ou par «être suffisamment connu», alors que dans un texte expressif, on

attendrait plutôt en langue-cible une expression imagée ayant le même noyau

sémantique, la même fréquence d'emploi et le même niveau stylistique: littéralement: «

être connu comme un chien au pelage bigarré ». Si l'expression apparaît dans un texte

incitatif, il faudra à tout prix découvrir pourquoi c'est précisément cette expression

imagée que l'auteur a retenue, et en particulier si la présence de l'élément « blanc» ou de

l'élément « loup» a joué un rôle décisif. Suivant le contexte, le traducteur aura recours à

une modulation qui lui permettra de conserver en langue-cible l'élément-clef de la

locution.

Pour illustrer ce qui fait l'objet du présent chapitre, citons un extrait de la

« Retraite aux flambeaux » écrit par Bernard Clavel :

Ferdinand Bringuet est un homme de soixante et onze ans qui est loin de paraître

son âge. Il doit mesurer pas loin d'un mètre quatre-vingt-dix et peser un bon quintal.

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Page 55: dorina teza

Des épaules lourdes et tombantes avec un cou qui s'élargit dès la base du crâne.

Presque pas de ventre, des bras énormes emmanchés de poignes épaisses et larges, aux

doigts spatulés dont les ongles déformés sont striés de brun. Il porte un pantalon de

coutil bleu rapiécé aux fesses et aux genoux. Un maillot de corps bleu plus foncé dégage

ses épaules et laisse déborder la toison grise de sa poitrine. Son gros visage semble

sculpté dans la brique. Il n'a pas dû se raser depuis deux ou trois jours car sa barbe luit

comme un semis d'argent. Son front bas, très creusé de rides profondes, est comme

écrasé par une casquette à visière de cuir.

Partant de l'idée qu'une traduction est rédigée d'abord pour des lecteurs qui

ignorent la langue-source, il sied de ne jamais reproduire telle quelle une allusion que le

lecteur de langue-cible risquerait de ne pas comprendre. Au regard du micro-contexte ou

du macro-contexte, la traduction sera différente. Or, la version-cible se voit être aussi

compréhensible que le texte original. Il faut par conséquent que les images et les

comparaisons liées à l'univers du récepteur de langue- source soient recréées dans

l'univers mental du lecteur de langue-cible, autrement dit qu'elles aient été puisées dans

ce second univers mental. Ce n'est qu'alors que l'on sera fondé à parler d'une traduction

équivalente. Ces principes s'appliquent également à la critique des traductions.

3.2.4. La marque du sujet parlant (ou locuteur)

L'expression « facteurs qui dérivent du sujet parlant » s'applique principalement

aux éléments extra-linguistiques qui contribuent à façonner la langue de l'auteur et de

ses personnages. Ces facteurs se répercutent de multiples façons sur les plans lexical,

grammatical et stylistique. La prise en compte de ces facteurs lors de l'opération

traduisante varie en fonction du type de textes. Ainsi c'est sans doute dans les textes

informatifs que leur influence est le plus limitée, les choix lexicaux, syntaxiques et

stylistiques dépendant dans ce cas davantage de la matière traitée que de l'auteur. Les

commentaires, les monographies, les articles publiés dans les rubriques culturelles des

journaux occupent une place un peu à part, les textes de cette nature supposant que le

travail stylistique de l'auteur soit, autant que faire se peut, restitué en langue-cible, mais

cette exigence doit être subordonnée à celle de l'invariance du contenu.

Pour les textes expressifs, la marque du locuteur s'imprime de manière

déterminante : non seulement sur le style personnel d'un auteur dans la mesure où celui-

55

Page 56: dorina teza

ci est influencé par son origine, par sa formation, par l'époque où il vit, par son

appartenance à une école ou à courant littéraire (ainsi, un poète du Romantisme n'écrit

pas de la même façon qu'un romancier naturaliste), mais aussi sur la caractérisation

langagière des personnages mis en scène par l'auteur (une lavandière par exemple ne

s'exprime pas de la même façon qu'un reporter, un enfant n'emploie pas le même

vocabulaire qu'un adulte).

Pour les textes incitatifs, il importe de penser en outre que les visées extra-

linguistique et extralittéraire agiront sur le choix des mots, sur la syntaxe et sur le style

de l'auteur en ce sens que ce dernier adaptera toujours son mode d'organisation

langagière à l'objectif, qui est de produire l'effet maximal.

Dans les textes scripto-sonores, et en particulier dans ceux qui sont destinés à la

scène, il ne suffit pas que l'organisation langagière obéisse aux impératifs de la syntaxe

propre à la langue orale et de la construction d'un dialogue efficace; il faut encore que

les personnages parlent, comme c'est le cas dans de nombreux textes expressifs, une

langue qui les caractérise du point de vue de l' origine régionale (dialecte), de la position

sociale (argot, langue populaire, langue châtiée), de l'appartenance à un groupe

professionnel ou religieux (idiolectes et langues de spécialité) et qui manifeste leur

personnalité individuelle. Il faut voir là une preuve suffisante de l'importance de ces

déterminants liés au sujet parlant, lesquels doivent, eu égard à leur influence sur la mise

en forme d'un écrit, être pris en compte aussi bien par le traducteur que par le critique.

3.2.5. Les implications d'ordre affectif

Les déterminants d'ordre affectif ont une incidence principalement sur les plan

lexical et stylistique, mais aussi grammatical (aussi bien morphologique que syntaxique)

de la version-source. Charles Bally déjà avait été sensible à l'importance de ces

déterminants pour l'organisation langagière, comme le rappelle Georges Mounin :

Bally soutenait qu’il existe dans le langage « valeurs affectives, faits

d’expression, éléments affectifs de pensée, un caractère affectif de la pensée, aspects

affectifs des faits de langage, une syntaxe affective, etc. [30, p. 23]

Le critique devra s'assurer que ces implications affectives ont trouvé un écho

suffisant dans la version en langue-cible. Il examinera si les ressources langagières qui

ont été mises en œuvre par l'auteur de l'original pour exprimer par exemple l'humour ou

l'ironie, le mépris ou le sarcasme, l'agitation ou l'emphase ont été dûment repérés,

56

Page 57: dorina teza

interprétés, puis restituées par des équivalences puisées dans les ressources de la langue-

cible. Les instructions intra-linguistiques du texte original ne fournissant pas toujours à

elles seules toutes les indications nécessaires pour déterminer la nature de l'affectivité, il

faut s'appuyer sur d'autres éléments pour s'en faire une idée claire, C'est bien entendu

dans les textes incitatifs que les déterminants d'ordre affectif doivent être étudiés avec la

plus grande attention,

Un exemple éloquent à cet égard pour le couple de langues français/roumain est

fourni par les diminutifs, qui foisonnent en français. L’instruction intra-linguistique

véhiculée par le suffixe ne suffit pas en elle-même à renseigner le traducteur, qui se

demandera si cet élément morphologique signale un rapetissement factuel ou s'il

exprime une nuance affective. Dans la seconde hypothèse, il faudra encore préciser le

genre d'affectivité, une précision qui ressort le plus souvent du contexte, et plus

particulièrement du contexte situationnel.

Prenons un exemple, tiré du roman « Colas Breugnon» de Romain Rolland :

Au reste, que nos instruments soient accordés ou non, nous n’en avons pas moins

exécuté, avec d’assez jolis morceaux, une fille et quatre gars. Tous solides, bien

membrés : je n’ai point mélangé l’étoffe et le métier. Portant, de la couvée le seul où je

reconnaisse ma graine, c’est ma coquine Martine, ma fille, la mâtine! M’a-t-elle donné

du mal à passer sans naufrage jusqu’au port du mariage! Ouf! la voilà calmée! ... Il ne

faut pas trop s’y fier! Mais ce n’est plus mon affaire. Elle m’a fait assez veiller, trotter.

A mon genre, c’est son tour. Florimond, le pâtissier, qu’il veille sur son four!...

Il y a beaucoup de mots à valeur affective et intensive. Les moyens de transmettre

une structure affective en français sont analytiques. Le roumain reconnaît les modalités

synthétiques, pourtant ce n’est pas un problème pour le traducteur de choisir une

variante correcte, car dans les deux langues ce phénomène est largement répandu. Le

contexte situationnel montre que la phrase mi-tendre, mi-ironique s'adresse à Martine sur

le ton qu'on emploie en parlant à une petite fille effrontée. Cette connotation affective

transparaît à travers le texte.

Les injures constituent elles aussi un problème de traduction en ce sens qu'il faut

débusquer leurs implications affectives en étudiant avec soin la « micro-situation » qui

leur sert de cadre. Pris isolément, les gros mots peuvent également exprimer toute une

gamme d'émotions diverses, et la version-cible se doit de trouver la nuance juste. Mais

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Page 58: dorina teza

ce n'est pas tout. Les noms d'animaux, on le sait, servent souvent d'injures. Or les idées

associées au nom de tel ou tel animal ne coïncident pas toujours d'une langue à l'autre,

tant s'en faut. C'est ainsi que la modulation est souvent le seul moyen de rendre vraiment

en langue-cible le vouloir-dire de l'injure prononcée dans le texte original. Par exemple,

traduire l'exclamation « La vache! » par « Vaco ! » [Littéralement: la vache / cette

vache !] serait une trahison.

D'abord, l'exclamation française ne peut être appliquée qu'à des êtres de sexe

féminin, et surtout la langue française associe à la vache les idées de bêtise et de

balourdise. Le Français qui veut traiter quelqu'un de salaud dira donc « Cochon ! ».

Dans ce contexte, le couple de langues anglais / allemand pose des problèmes

similaires en ce qui concerne la poule et le canard:

( ... ) the scarcely Jess footish hen, at least in Glasgow, may be a friendly way of

addressing a young woman, similar to the duck or duckie heard in England,

note Doirean Mac Dermott dans son article « What Man Has Made of Beast » paru dans

Traduction et interculturalisme, N7, 2004. En allemand, Huhn [poule] ou Entchen [petit

canard] sont à tout le moins inhabituels en tant que petits noms d'amour; il serait

préférable de traduire ces interpellatifs câlins par Kiitzchen [petit chat] ou Miiuschen

[petite souris].

Il convient en outre d'examiner les interjections « sous toutes les coutures »

quant à leur valeur affective avant d'accepter comme équivalences optimales les

traductions qu'on en donne en langue-cible. Alfred Malblanc produit sur ce point un

exemple instructif: « Coquin de sort! », une exclamation de surprise, d'étonnement et

d'admiration, a été traduite une fois par Himmel «Jésus Marie, qu'est-ce qu'il y avait à

voir là-dedans!», ce qui est beaucoup trop large et trop explicite, et une autre fois par

«Tonherre de Brest!», ce qui est sans doute un peu terne. De la première version elle fait

disparaître « le sel français ». Quant à la seconde proposition, elle lui semble ne pas

restituer la « résonance toute spéciale, amusante» de cette « exclamation propre au Midi

». Il y a peut-être moyen de donner en roumain une idée de cet « accent du terroir» qui a

une sonorité un peu dialectale dont on regrette l'absence.

C'est précisément en évaluant les déterminants d'ordre affectif que l'on perçoit le

mieux l'une des limites de l'objectivité en matière de critique des traductions. C'est là

qu'apparaissent presque inévitablement des différences de conception liées à la

58

Page 59: dorina teza

subjectivité de chacun, ce qui rend malaisée la tâche d'émettre un jugement pertinent,

même si le critique tente de s'astreindre à l'objectivité la plus stricte.

3.2.6. Les déterminants extralinguistiques

La conséquence de ce qui a été dit jusqu'ici est que si le critique se borne à

considérer les exigences propres au type de textes et les instructions intra-linguistiques,

il se met dans l'impossibilité de donner d'un produit de traduction une évaluation

exhaustive, qui prenne en compte tous les facteurs qui agissent dans le texte. D'ailleurs,

les instructions intra-linguistiques ne peuvent souvent être interprétées de manière

concluante que si l'on interroge, outre le contexte linguistique, le contexte situationnel.

En d'autres termes, il faut que le critique prenne en compte les répercussions des

déterminants extralinguistiques sur l'organisation langagière du texte original autant qu'a

dû le faire le traducteur au moment où il traduisait. Il était particulièrement important de

faire remarquer au sujet des implications d'ordre affectif que le traducteur et le critique

pouvaient parfois aboutir à des conclusions divergentes: c'est dire qu'en dépit d'une

extrême rigueur méthodologique, une critique ne peut jamais être tout à fait exempte

d'éléments subjectifs. Cette restriction ne met cependant en cause ni la légitimité, ni la

valeur de la critique des traductions.

On en conclura qu'il existe, en plus de la catégorie littéraire et de la catégorie

linguistique, une troisième catégorie qui permet au critique d'assurer à son jugement un

minimum d'objectivité: nous la désignerons par « catégorie pragmatique de la critique

des traductions », car elle est fondée sur des facteurs non linguistiques liés au sujet dont

parle le texte examiné.

3.3 La traduction comme acte de communication poétique

Dans le sous chapitre précédent on a essayé d’étudier les faits de traduction et son

spécifique à partir des types de textes en prose aux différents niveaux : lexical,

grammatical, sémantique, stylistique, et vus par le prisme du sujet parlant, du récepteur

du message, etc. On a remarqué que le contexte, qui se définit comme une partie du

discours nécessaire à la compréhension du sens du mot et au choix de l’équivalent à la

traduction, peut avoir un volume différent, dès le cadre d’un syntagme jusqu’à celui

d’un texte qui fournit des détails amples pour la connaissance de certaines informations

59

Page 60: dorina teza

(espace, temps, relations interpersonnelles, intentions etc.) D’une façon ou d’une autre,

il est important que le traducteur découvre et transmette le coloris émotif du discours

(qui abonde en nuances stylistiques positives ou négatives) par les moyens stylistiques

typiques pour la langue cible.

Ce qui nous intéresse et qu’on se propose à étudier dans ce sous-chapitre, c’est

que dans le processus de la traduction d’un texte poétique la traduction même est

communication poétique. En outre, dans la traduction d’un texte pareil est-ce qu’on se

guide des mêmes principes que dans le cas d’un texte en prose, les repères

grammaticaux et sémantiques, sont-ils respectés dans cet acte de conversion plurilingue?

C’est ce qu’il faut observer et délimiter dans le sous-chapitre qui suit.

La communication poétique, à la différences des autres types de communication,

est centrée sur une série complexe de composantes et sur un langage qui se réalise par le

biais de plusieurs niveaux de signification (graphique, prosodique, syntaxique,

sémantique), tous concourant à l’expression d’un même message esthétique qui, à son

tour, doit être compris, « déverbalisé » et retransmis par la traduction [28, p. 18). Tout

mot peut être porteur de poéticité, mais il faut souligner que c’est seulement lorsqu’il est

encadré par un système d’oppositions et de relations que le mot est susceptible d’obtenir

des valeurs capables de lui attribuer une « pluripoéticité » active [15, p.119] Les

spécificités d’une telle communication imposent la nécessité de l’analyse des problèmes

non seulement connus, discriminables à la base des rapports dichotomiques comme

langue- langage, sociolecte - idiolecte, langage littéraire -langage poétique, fonction

stylistique - fonction poétique, mais aussi des problèmes tout à fait actuels comme celui

du caractère esthétique - non-esthétique du langage de la poésie.

Les unités du langage poétique, par rapport aux unités du langage commun

orientées vers la fonction de communication, sont centrées avec prépondérance sur la

fonction esthétique, c’est-à-dire sur le signe même et sur son fonctionnement, l’accent se

déplaçant du message destiné à la communication vers le matériel de ce message, du

signifié vers le signifiant, phénomène mentionné en particulier par R. Jakobson [20, p.

85]. La complexité et la spécificité de la communication poétique s’observent d’une

façon éloquente dans le cadre de la traduction poétique, même si la poésie est aussi

considérée comme ce qui est écrit par les poètes et qui se perd dans la traduction (R.

Jakobson), autrement dit que toute traduction d’un poème dans un langage non poétique

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Page 61: dorina teza

ne fournit qu’un sens trompeur – le poème ne signifie que par lui-même. On pourrait se

servir à ce sujet de la variante comparée de la traduction (en fonction d’auteur, de style,

de genre, de traducteur, de langue à traduire, etc.) pour évaluer le caractère des pertes ou

des gains parus dans le processus de la retransmission des significations esthétiques

multiples et pluridimensionnelles. C’est bien évident qu’un texte poétique impose

beaucoup de difficultés quant à sa traductibilité, impliquant chaque fois des

compensations ou des compromis en vertu des caractéristiques morpho-syntaxiques,

sémantico-stylistique, phonorythmiques ou prosodiques des langues. De plus, une série

de questions s’impose : quelle gamme de composantes faut-il maîtriser pour arriver à

comprendre, à déverbaliser et à exprimer à nouveau sa pensée dans une autre langue,

tout en gardant le contenu et la forme, son micro univers original, convergences de

significations linguistiques et extralinguistiques (ethnohistoriques, psychologiques,

culturelles, etc.)? Voilà pourquoi, l’analyse des traductions comparées, par exemple, des

textes du poète roumain M. Eminescu en différentes langues et par différentes

traducteurs contribue à dévoiler la diversité de lacunes ou « trahisons » possibles au

niveau du code métrique (changements de structures rimées), linguo-poétique (intrusion

des réalités poétiques qui déséquilibre la cohérence textuelle), du registre sémantico-

stylistique (impossibilité de réussir à transmettre le contenu connotatif de certaines

réalités roumaines comme codru, dor en tant que pierre d’achoppement pour toutes les

traductions sans avoir affecté l’auréole associative de l’image romantique exprimée) et

phono-symbolique (difficultés de maintenir l’harmonie imitative interne conformément

aux sonorités de l’original) [15, p. 123].

Les traductions d’un texte comme Floare albastră en français, en russe et en

espagnol par divers auteurs fait preuve des infidélités ou déficiences parfois abusives. Si

nous comparons la traduction d’une des strophes eminesciennes comme par exemple :

Hai în codru cu verdeaţă

Und –izvoare plîng în vale,

Stînca stă să se prăvale

În prăpastia măreaţă. (M. Eminescu, p.10)

qui est riche en images romantiques et figures de styles, alors nous pouvons remarquer

le fait que la variante russe est toute à fait fidèle aux réalités poétiques originales et

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Page 62: dorina teza

dominantes, mais change de structure isométrique contre une double formule

hétérométrique (type de vers et de rime).

Ex. Так пойдем же в лес зеленый

Где подземный плачет ключ

Где над пропастью бездонной

Виснут скалы в ключьях муч.

Dans le cas de la traduction française, on constate un appauvrissement abusif des réalités

eminesciennes :

Vie, mon bien-aimé, là-bas,

La où cette immense roche

Au dessus du gouffre accroche,

Prête à choir et ne choit pas;

Où le mot symbole dominant codru, sans équivalent en français, est complètement

ignoré, étant remplacé par la roche, qui n’est qu’une réalité secondaire dans l’original

avec l’intrusion du verbe archaïque choir. Cet exemple pourrait être appelé dans l’acte

de traduction poétique gain de forme –perte de contenu. [15, p. 123]

Par contre, des exemples plus proches de la renommée formule « ni perte, ni

gain » viennent de la traduction d’un autre texte eminescien tel que Glossa (traducteur

J.-L. Courriol) où la première strophe spécifique pour ce type de texte démontre une

déverbialisation quasi identique de sa structure et de ses images poétiques, ayant comme

motivation la parenté des deux langues romaines sous leurs différents aspects.

Version roumaine

Vremea trece, vremea vine,

Toate-s vechi şi nouă toate;

Ce e rău şi ce e bine,

Ttu te-ntreabă şi socoate;

Nu spera şi nu ai teamă,

Ce e val cu valul trece;

De te-ndeamnă, de te cheamă,

Tu rămîi la toate rece. (M. Eminescu, p.89)

Variante française:

Le temps s’en va, le temps s’en vient,

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Page 63: dorina teza

Tout est nouveau, tout est ancien.

Ce qu’est le mal, ce qu’est le bien,

A toi de le savoir enfin ;

N’aie plus d’espoir et n’aie plus peur,

Ce qui est vague, vague meurt;

À tout appel, à tout appât,

Reste insensible, reste froid. (J. – L. Courriel, p. 67)

On peut aussi citer le texte Chanson d’automne du poète français P. Verlaine, qui

atteste, cette fois-ci en roumain, la présence d’une dextérité traductologique

incontestable. Les atouts d’une pareille traduction s’expliquent par le respect de la

majorité des niveaux déjà mentionnés. Sans même violer le procédé métrique de la

concordance différée (pareil à … / asemeni cu…) et surtout par le choix des équivalents

pour la phonosymbolique verlainienne (les assonances roumaines en u, oa, ioa, pour

celle du français en o, visant l’image de la solitude et de la tristesse).

Variante française : Version roumaine :

Les sanglots longs Al toamnei lung

Des violons Prelung suspin

De l’automne Ca de vioară

Blesse mon cœur Răneşte greu

D’une langueur Sufletul meu

Monotone. Şi mă-nfioară.

Tout suffocant Pendule bat

Et blême quand Şi-ndurerat

Sonne l’heure N-aud nici una.

Je me souviens Căci în urechi

Des jours anciens simt zvonuri vechi

Et je pleure; Şi plîng întruna.

Et je m’en vais Şi singur sînt

Au vent mauvais Un aspru vînt

Qui m’emporte, Care mă poartă

De ça, de là, De par acu

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Pareil à la Asemeni cu

Feuille morte. (P. Verlaine) O frunză moartă. (M. Cucereanu)

Donc, la fonction poétique met en évidence et fait privilégier toutes les propriétés

du mot (phonologiques, morphologiques, sémantiques, extralinguistiques ou culturelles

etc.) capables à rendre le message plus sensible. Le rendement optimal de l’effet

perlocutif du message poétique est apprécié seulement à la base des efforts conjugués de

tous les niveaux possibles de signification qui agissent et qui doivent maintenir la même

harmonie esthéto-expressive de l’original dans la traduction comme acte communicatif.

CONCLUSIONS

Chaque langue est un grand système de structures différentes de celles des autres

langues, des structures dans lesquelles les formes et les catégories sont ordonnées de

façon culturelle par l’intermédiaire desquelles les individus communiquent et analysent

la nature du système « des pensées » et par lequel on bâtit l’édifice de la connaissance

du monde. [18, p.21] A la question si la traduction est une opération littéraire sans âme

ou un véritable pont interculturel, on a obtenu la réponse que la traduction vise quand

même l’interculturalité, en créant ainsi des ponts entre de différentes civilisations

comme des « anneaux de la connaissance humaine » [18, 22].

Dans les conditions actuelles la traduction acquiert un nouveau statut. Placée au

carrefour des intérêts de la linguistique, de la sociolinguistique, de l’ethnographie, de la

philosophie, de la psychologie etc., elle dépasse l’accroissement évolutif de l’image

structuraliste vers celle intégrative, devenant ainsi l’objet d’étude de la traductologie.

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Page 65: dorina teza

Cela est motivé par l’agrandissement des possibilités théoriques de description des

problèmes lui attribués, résultant aussi de l’ensemble des stratégies spécifiques, qui

démontrent de façon pratique les possibilités de la traduction. Cela nous a permis de

parler de la traduction comme activité humaine en touchant ses aspects linguistiques, en

délimitant une typologie ample de la traduction comme opération linguistique,

contextuelle et sémiotique. Sous cet aspect on a réussi à parler de la traduction comme

contact de langues, résultant comme un acte communicatif plurilingue et pluriculturel.

En ce cas l’acte traductif est capable de produire une communication interlinguale et

interculturelle. Du moment où on a parlé de la traduction comme acte de

communication, on a accepté l’idée que la traduction vise aussi la détermination de

certaines relations émotives, valorisantes, sentimentales et de pensées. Conscients des

modalités discursives, tous les participants à cet acte communicatif interculturels feront

appel à la cohérence, intentionnalité et à la motivation de chaque activité

communicative.

Tout ce qui tient de la traduction est relatif : relatif à la fidélité connotative,

significative, et l’original du texte. Même la traduction reconnue la meilleure à un

moment donnée, peut susciter des discutions du moment où apparaissent de nouvelles

expressions verbales, ou seront rejustifiées quelques valeurs sociales. Un exemple

éloquent représente les traductions universelles de l’œuvre d’Eminescu.

La traduction représente donc un cas particulier d’interprétation, un engagement

à priori, qui résulte d’une sorte de pacte du type « je m’assume de dire ce que dit

l’original » [19, p. 15]. C’est pourquoi on continuera encore beaucoup à discuter sur la

marge du problème « traduttore –traditore » ou si « la traduction est un art ou une

science » [19, p. 36]. Rester tant au sens qu’à l’image sonore, ou autrement dit rester

fidèle au contenu et l’expression, aussi bien qu’aux autres subtilités communicatives,

c’est un rêve presque irréalisable. Un bon exemple c’est la traduction du poème « Floare

Albastră » de M. Eminescu, version française, russe et espagnole qui fait preuve des

infidélités ou déficiences parfois abusives. La strophe :

Hai în codru cu verdeaţă

Und –izvoare plîng în vale,

Stînca stă să se prăvale

În prăpastia măreaţă. (M. Eminescu, p.10)

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est riche en images romantiques et figures de styles. Mais nous pouvons remarquer le

fait que la variante russe est toute à fait fidèle aux réalités poétiques originales et

dominantes, mais change de structure isométrique contre une double formule

hétérométrique (type de vers et de rime).

Ex. Так пойдем же в лес зеленый

Где подземный плачет ключ

Где над пропастью бездонной

Виснут скалы в ключьях муч.

Dans le cas de la traduction française, on constate un appauvrissement abusif des réalités

eminesciennes :

Vie, mon bien-aimé, là-bas,

La où cette immense roche

Au dessus du gouffre accroche,

Prête à choir et ne choit pas;

Où le mot symbole dominant codru, sans équivalent en français, est complètement

ignoré, étant remplacé par la roche, qui n’est qu’une réalité secondaire dans l’original

avec l’intrusion du verbe archaïque choir. Cet exemple pourrait être appelé dans l’acte

de traduction poétique gain de forme –perte de contenu. [15, p. 123]

Donc, c’est bien évident qu’un texte poétique impose beaucoup de difficultés

quant à sa traductibilité, impliquant chaque fois des compensations ou des compromis

en vertu des caractéristiques morpho-syntaxiques, sémantico-stylistique,

phonorythmiques ou prosodiques des langues. De plus, une série de questions s’impose :

quelle gamme de composantes faut-il maîtriser pour arriver à comprendre, à déverbaliser

et à exprimer à nouveau sa pensée dans une autre langue, tout en gardant le contenu et la

forme, son micro univers original, convergences de significations linguistiques et

extralinguistiques (ethnohistoriques, psychologiques, culturelles, etc.)? Voilà pourquoi,

l’analyse des traductions comparées, par exemple, des textes du poète roumain M.

Eminescu en différentes langues et par différentes traducteurs contribue à dévoiler la

diversité de lacunes ou « trahisons » possibles au niveau du code métrique (changements

de structures rimées), linguo-poétique (intrusion des réalités poétiques qui déséquilibre

la cohérence textuelle), du registre sémantico-stylistique (impossibilité de réussir à

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transmettre le contenu connotatif de certaines réalités roumaines comme codru, dor en

tant que pierre d’achoppement pour toutes les traductions sans avoir affecté l’auréole

associative de l’image romantique exprimée) et phono-symbolique (difficultés de

maintenir l’harmonie imitative interne conformément aux sonorités de l’original).

Il reste incontestable le fait que le traducteur doit être pas seulement le possesseur

d’un ensemble de règles grammaticales et stocks lexicales d’une langue, mais il doit

aussi avoir comme fond essentiel les realias socio-culturels. Ce fond de connaissances

doit comprendre :

- des connaissances historiques – qui impliquent de l’information sur telle ou telle

société et son histoire;

- des connaissances socioculturelles – impliquent les normes du comportement social;

- des connaissances ethnoculturelles – impliquent de l’information sur le train de vie,

les traditions et les fêtes;

- des connaissances sémiotiques – impliquent de l’information sur le symbolisme, les

valeurs culturelles spécifiques.

C’est certes que chaque traducteur possède ce fond de connaissances. C’est aussi

évident et certes le fait que chaque traducteur se heurte à beaucoup de difficultés qui

surgissent au passage d’un monde à l’autre, ou d’une culture à l’autre. La structuration

linguistique de la réalité environnante est, pour une large part, dépendante de la

civilisation de la communauté émettrice. Se plaçant dans une perspective socio-

linguistique, l'étude de la dimension périlinguistique de la traduction devient une

composante essentielle de l'activité de tout traducteur.

Les difficultés soulevées par les barrières que la charge civilisationnelle oppose à la

traduction pourraient être réparties en plusieurs catégories:

♦ difficultés de compréhension et de traduction des termes évoquant des réalités

spécifiques d'une certaine communauté linguistique;

♦ difficultés provenant de la non correspondance des niveaux et des registres de langue;

♦ difficultés provenant de l'emploi figuré de certaines expressions qui portent la

marque des conditions locales spécifiques;

♦ difficultés provenant de la non transparence des allusions historiques, littéraires,

anecdotes, allusions prestigieuses, etc.

Donc, « apprendre une langue signifie deux choses: apprendre la structure et

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les mots de cette langue, mais aussi apprendre la relation qu'il y a entre structures et

mots et la réalité non linguistique, la civilisation, la culture de cette langue, ce qui est

tout autre chose. De là viennent les difficultés dues à l'apprentissage corrélatif des

situations dans lesquelles sont utilisés les mots et les structures de cette langue » [29,

p. 62].

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