dosage quantitatif de l’ag hbs : utile ou non ?

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formation | mise au point 16 L’ Ag HBs est une protéine d’enveloppe glycosylée du VHB, produite à partir de l’ADNccc (circulaire covalent clos) dans les hépatocytes ou à partir de l’ADN intégré au niveau cellulaire. Trois types de particules sont émises : virions matures (particules de Dane), particules sphériques et particules filamenteuses non infectieuses. Ces dernières sont produites en excès (1 particule infectieuse pour 10 000 parti- cules sphériques ou filamenteuses) ; tous les tests détectent indifféremment les trois types de particules. Actuellement, trois tests de quantification de l’Ag HBs sont disponibles : Abbott Architect HBs Ag QT ® , Diasorin Liaison XL Murex ® et Roche Elecsys HBsAgII Quant ® . Ces trois tests uti- lisent la chimiluminescence et sont standardisés par rapport au WHO second international Standard 00/588. Leur gamme de dosage s’étend de 0,03-0,05 à 130-250 UI/ml et tous intègrent des dilutions automatiques. Leur utilité en pratique clinique est précisée ci-dessous. Dosage de l’Ag HBs dans l’histoire naturelle de l’hépatite B Les différentes phases de l’infection par le VHB sont : une phase d’immunotolérance (inflammation et fibrose hépatique minimes) : les ALAT sont peu élevées ou normales, l’Ag HBs (et l’Ag HBe si la souche infectante est sauvage) sont élevés ainsi que l’ADN viral sérique ; cette phase peut durer très longtemps chez un enfant contaminé à la naissance alors qu’elle est généralement courte chez l’adulte ; une phase de clairance immune (inflammation chronique active) : les ALAT sont fluctuantes et l’ADN diminue avec également des fluctuations ; les Ag HBs et HBe sont positifs ; cette phase s’achève avec la séroconversion du système « e » ; un état de portage inactif (on ne parle plus de portage asymp- tomatique ou sain) : Ag HBe négatif, ALAT normales, ADN VHB < 2 000 UI/ml ; cette phase de portage inactif est suivie dans 20 à 30 % des cas, d’une phase de réactivation (inflammation active) avec des fluctuations de l’ALAT et le développement d’une fibrose hépatique. Durant ces phases successives, il existe une relative corrélation entre les concentrations sériques d’Ag HBs et de l’ADN VHB : élevés en phase de tolérance immune, en diminution pendant la phase de clairance, bas chez les porteurs inactifs puis de nouveau élevés lors des phases de réactivation. Intérêt de l’Ag HBS quantitatif dans l’histoire naturelle de la maladie chez les patients Ag HBe+ Plusieurs auteurs ont montré une corrélation inverse entre la concentration sérique en Ag HBs et le stade de la fibrose (Seto WK, 2012 et Martinot-Peignoux M, 2013). L’intérêt de cette donnée est toutefois limité car d’autres marqueurs sont utilisés pour évaluer la fibrose. Néanmoins, cette observation a été faite pour les génotypes B et C (principalement asiatiques) ; elle reste à vérifier pour les autres génotypes (A, D, E surtout présents en Europe et aux USA). Intérêt de l’Ag HBS quantitatif dans l’histoire naturelle de la maladie chez les patients Ag HBe- Le stade de porteur inactif est défini par un ADN VHB < 2 000 UI/ ml et des transaminases normales. Mais afin de confirmer le statut de porteur inactif (qui ne nécessite pas de traitement), il faut répéter les dosages car l’ADN VHB et les ALAT peuvent fluctuer au cours du temps ; or l’Ag HBs Dosage quantitatif de l’Ag HBs : utile ou non ? En France, environ 280 000 personnes sont porteuses chroniques de l’Ag HBs et 1 500 décèdent chaque année à la suite d’une cirrhose et/ou d’un carcinome hépatocellulaire (CHC) lié au virus de l’hépatite B (VHB). Depuis quelques années, des kits de dosages quantitatifs de l’Ag HBs standardisés sont disponibles. Ils ont fait l’objet de nombreuses études permettant aujourd’hui de préciser leur place dans le suivi des patients porteurs du VHB. OptionBio | mercredi 19 mars 2014 | n° 504 Enfin, les patients Ag HBs+ qui vont recevoir une chimiothéra- pie ou une greffe (moelle, rein…) doivent bénéficier d’une pré- vention de la réactivation virale B avec un analogue nucléos(t) idique prophylactique. Ce traitement ne devra être arrêté que 12 mois après l’arrêt du traitement immunosuppresseur. Conclusion L’arrêt du traitement de l’hépatite B reste problématique car l’éradication virale est extrêmement difficile à obtenir. En l’absence de marqueur permettant de sélectionner les patients qui n’auront pas de réactivation virale B après l’arrêt, il convient de rechercher des combinaisons thérapeutiques per- mettant d’accroître le taux de séroconversion de l’antigène HBs. Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. source D’après la communication du Pr Didier Samuel (Hôpital Paul- Brousse, Villejuif) Journées du Centre hépatobiliaire – Paris – Juin 2013.

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formation | mise au point

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L’Ag HBs est une protéine d’enveloppe glycosylée du VHB, produite à partir de l’ADNccc (circulaire covalent clos) dans les hépatocytes ou à partir de l’ADN intégré

au niveau cellulaire. Trois types de particules sont émises : virions matures (particules de Dane), particules sphériques et particules filamenteuses non infectieuses. Ces dernières sont produites en excès (1 particule infectieuse pour 10 000 parti-cules sphériques ou filamenteuses) ; tous les tests détectent indifféremment les trois types de particules. Actuellement, trois tests de quantification de l’Ag HBs sont disponibles : Abbott Architect HBs Ag QT®, Diasorin Liaison XL Murex® et Roche Elecsys HBsAgII Quant®. Ces trois tests uti-lisent la chimiluminescence et sont standardisés par rapport au WHO second international Standard 00/588. Leur gamme de dosage s’étend de 0,03-0,05 à 130-250 UI/ml et tous intègrent des dilutions automatiques. Leur utilité en pratique clinique est précisée ci-dessous.

Dosage de l’Ag HBs dans l’histoire naturelle de l’hépatite BLes différentes phases de l’infection par le VHB sont :

une phase d’immunotolérance (inflammation et fibrose hépatique minimes) : les ALAT sont peu élevées ou normales, l’Ag HBs (et l’Ag HBe si la souche infectante est sauvage) sont élevés ainsi que l’ADN viral sérique ; cette phase peut durer très longtemps chez un enfant contaminé à la naissance alors qu’elle est généralement courte chez l’adulte ;une phase de clairance immune (inflammation chronique active) : les ALAT sont fluctuantes et l’ADN diminue avec également des fluctuations ; les Ag HBs et HBe sont positifs ; cette phase s’achève avec la séroconversion du système « e » ;

un état de portage inactif (on ne parle plus de portage asymp-tomatique ou sain) : Ag HBe négatif, ALAT normales, ADN VHB < 2 000 UI/ml ;cette phase de portage inactif est suivie dans 20 à 30 % des cas, d’une phase de réactivation (inflammation active) avec des fluctuations de l’ALAT et le développement d’une fibrose hépatique.

Durant ces phases successives, il existe une relative corrélation entre les concentrations sériques d’Ag HBs et de l’ADN VHB : élevés en phase de tolérance immune, en diminution pendant la phase de clairance, bas chez les porteurs inactifs puis de nouveau élevés lors des phases de réactivation.

Intérêt de l’Ag HBS quantitatif dans l’histoire naturelle de la maladie chez les patients Ag HBe+Plusieurs auteurs ont montré une corrélation inverse entre la concentration sérique en Ag HBs et le stade de la fibrose (Seto WK, 2012 et Martinot-Peignoux M, 2013). L’intérêt de cette donnée est toutefois limité car d’autres marqueurs sont utilisés pour évaluer la fibrose. Néanmoins, cette observation a été faite pour les génotypes B et C (principalement asiatiques) ; elle reste à vérifier pour les autres génotypes (A, D, E surtout présents en Europe et aux USA).

Intérêt de l’Ag HBS quantitatif dans l’histoire naturelle de la maladie chez les patients Ag HBe-Le stade de porteur inactif est défini par un ADN VHB < 2 000 UI/ ml et des transaminases normales. Mais afin de confirmer le statut de porteur inactif (qui ne nécessite pas de traitement), il faut répéter les dosages car l’ADN VHB et les ALAT peuvent fluctuer au cours du temps ; or l’Ag HBs

Dosage quantitatif de l’Ag HBs : utile ou non ?En France, environ 280 000 personnes sont porteuses chroniques de l’Ag HBs et 1 500 décèdent chaque année à la suite d’une cirrhose et/ou d’un carcinome hépatocellulaire (CHC) lié au virus de l’hépatite B (VHB). Depuis quelques années, des kits de dosages quantitatifs de l’Ag HBs standardisés sont disponibles. Ils ont fait l’objet de nombreuses études permettant aujourd’hui de préciser leur place dans le suivi des patients porteurs du VHB.

OptionBio | mercredi 19 mars 2014 | n° 504

Enfin, les patients Ag HBs+ qui vont recevoir une chimiothéra-pie ou une greffe (moelle, rein…) doivent bénéficier d’une pré-vention de la réactivation virale B avec un analogue nucléos(t)idique prophylactique. Ce traitement ne devra être arrêté que 12 mois après l’arrêt du traitement immunosuppresseur.

ConclusionL’arrêt du traitement de l’hépatite B reste problématique car l’éradication virale est extrêmement difficile à obtenir.

En l’absence de marqueur permettant de sélectionner les patients qui n’auront pas de réactivation virale B après l’arrêt, il convient de rechercher des combinaisons thérapeutiques per-mettant d’accroître le taux de séroconversion de l’antigène HBs.

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

sourceD’après la communication du Pr Didier Samuel (Hôpital Paul- Brousse, Villejuif)Journées du Centre hépatobiliaire – Paris – Juin 2013.

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OptionBio | mercredi 19 mars 2014 | n° 504 17

ne varie quasiment pas et peut aider à identifier les vrais porteurs inactifs.Une étude a montré qu’un Ag HBs < 1 000 UI/ml associé à un ADN VHB < 2 000 UI/ml permettaient d’identifier les porteurs inactifs avec une exactitude de 94,5 %, soit une valeur pré-dictive positive de 87,9 % et une valeur prédictive négative de 96,7 %, sur le génotype D. Ceci a été confirmé dans d’autres études menées sur d’autres génotypes.Ainsi, chez les patients Ag HBe-, un seul dosage d’Ag HBs quantitatif (+ ADN VHB) permet l’identification des vrais por-teurs inactifs, ce qui permet de diminuer la fréquence de suivi de ces patients (et donc les coûts).Chez ces mêmes patients (Ag HBe-), le dosage de l’AgHBs quantitatif pourrait être prédictif d’une séroconversion HBs. En effet, il a été montré que chez ceux dont l’Ag HBs était > 1 000 UI/ml, le taux de séroconversion HBs était nul ; en revanche, une concentration en Ag HBS < 100 UI/ml était associée à une perte d’AgHBs à 6 ans, avec une sensibilité de 83,3 % (Tsang et al, 2011, Janssen et al, 2012). Ces données ont été confirmées dans d’autres études avec un seuil proposé d’Ag HBs < 200 UI/ml pour prédire la séroconversion HBs.

Dosage de l’Ag HBs et suivi de traitementDeux types de traitements sont utilisés dans l’hépatite B :

les traitements immunomodulateurs : l’interféron pegylé (IFN) agit en détruisant les hépatocytes infectés, et diminue l’ADN viral intrahépatique. Il est donné pour une durée limitée ;les traitements antiviraux (analogues nucléos(t)idiques) : ils agissent en inhibant la reverse transcriptase et sont prescrits pour une durée prolongée, voire à vie.

L’objectif des traitements est d’obtenir une réponse virologique soutenue, c’est-à-dire un ADN viral indétectable à long terme, une séroconversion HBe et idéalement HBs.

Patients Ag HBe+ traités par IFNActuellement, seuls 3 à 5 % de ces patients sont traités par IFN (la plupart aujourd’hui sont sous analogues). Chez ces patients, l’utilité du dosage d’Ag HBs a été montrée dans plusieurs études. Ainsi, il a été observé qu’un Ag HBs > 20 000 UI/ ml à 12 semaines ou 24 semaines, avait une bonne valeur prédictive de non réponse au traitement. Une recommandation a récem-ment été émise en ce sens avec une règle d’arrêt du traitement à 24 semaines en cas d’Ag HBs > 20 000 UI/ ml, tous génotypes confondus (Sonneveld MJ, Hepatology 2013).En revanche, un Ag HBS < 1 500 UI/ml à 12 semaines est associé à une probabilité correcte de séroconversion HBe (VPP : 46 à 58 %). Ce résultat peut être utilisé pour motiver les patients à poursuivre leur traitement par IFN, contraignant.

Patients Ag HBe- traités par IFNBien que l’IFN soit également de moins en moins prescrit chez ces patients, il a été montré qu’une diminution de 0,5 log (VPP 89 %) ou une diminution > 10 % (VPP 47 %) de l’Ag HBs

quantitatif était associée à une réponse virologique soutenue. En revanche, l’absence de réponse à 12 semaines (en Ag HBS et ADN VHB) conduit à arrêter le traitement (inutile et contraignant).

Ag HBs et analogues nucléos(t)idiques Les analogues agissent rapidement sur la réplication virale, permettant d’obtenir une diminution franche de l’ADN sérique. Mais ils sont prescrits pour une longue durée et leur impact est limité sur le taux de séroconversion Ag HBs/Ac anti-HBs.Chez les patients Ag HBe+, une (petite) réponse peut être obtenue en Ag HBs comme l’a montré une étude de Martinot-Peignoux M (Clin Liver Dis 2013) chez 162 patients traités par telbivudine ; après 3 ans de traitement, 6 % avaient perdu l’Ag HBs. D’autres auteurs ont observé qu’une diminution d’Ag HBs > 1 log à 1 an de traitement était prédictive de la perte de l’Ag HBs (25 % dans le groupe chez qui l’Ag HBs avait diminué de plus d’1 log comparé à 1,4 % chez ceux dont l’Ag HBs n’avait pas diminué, Wursthorn K, 2010). Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer ces résultats.En revanche, chez les patients Ag HBe-, le dosage de l’Ag HBs quantitatif n’a que peu ou pas d’intérêt. Sa diminution sous traitement est faible, uniquement observée chez des patients avec transaminases élevées (réponse liée à la réponse immune du sujet ?). Dans ce groupe, le taux de séroconversion HBs est extrêmement bas.

ConclusionLe dosage quantitatif de l’Ag HBS est d’une utilité limitée dans le suivi de l’histoire naturelle de la maladie chez les patients Ag HBe+ ; en revanche, il peut être utile chez les patients Ag HBe- pour distinguer les porteurs inactifs de ceux ayant une hépatite B chronique, ainsi que comme marqueur pronostique de séroconversion HBs.Chez les patients traités, il a une certaine place pour aider à suivre le traitement par IFN et comme marqueur pronostique (règle d’arrêt à 12/24 semaines). Chez les patients traités par analogues nucléos(t)idiques, il a peut-être un intérêt chez les patients Ag HBe+ : sa diminution serait prédictive d’une évo-lution favorable. In fine, il a probablement un rôle à jouer dans la prise en charge des patients atteints d’hépatite B, car son coût est 10 à 20 fois moindre que celui de l’ADN VHB ; sa place, notamment dans le suivi des porteurs inactifs, doit néanmoins être confirmée.

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

CAROLE EMILEBiologiste, rédactrice scientifique

[email protected]

sourceD’après une communication de M.-L. Delforge (Hôpital Erasme, Bruxelles)1res Journées de biologie clinique de la Corata – Nancy – Septembre 2012.