dossier bois-2-terre sauvage/arbres et forêts-septembre 2013

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LA COMPAGNIE Maguy Marin travaille dans la structure en bois du Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape. © Jean-Jacques Raynal Arbres et forêts 31 septembre 2013 O n croit découvrir le bois, on l’avait simplement oublié », résume Pas- cal Triboulot, directeur de l’Enstib, l’école nationale supérieure des technologies et industries du bois, à Épinal. Les massifs forestiers ont beau couvrir un tiers du territoire national et la forêt fran- çaise être la troisième d’Europe, notre pays s’est longtemps détourné de cette matière première qui croît naturellement : pas assez high-tech, passéiste, tout juste bonne pour le folklore et les paysages pittoresques de montagne. Gilbert Storti, vice-président de Fibra, la filière bois en Rhône-Alpes, s’en amuse : « La France était telle- ment à la traîne en matière d’utilisation du bois, en particulier dans la construction, que cela en devenait ridicule. Mais les mentalités évoluent très rapidement : le végétal est en train de prendre le pas sur le minéral. » De retour du Canada, pays du bois s’il en est, où il a enseigné deux années à l’Université du Québec, Pascal Triboulot a pu relativiser l’idée fortement ancrée d’une France encore distanciée en matière de bois : « La dyna- mique française autour du bois et de ses dérivés est très positive, peut-être même plus qu’ailleurs en Europe, que se soit dans l’architecture, la recherche, l’innovation, la formation. Nous sommes partis plus tard, mais nous sommes en train de rattra- per ce différentiel. Les jeunes générations se pas- sionnent pour le bois. » L’an dernier, l’école d’Épi- nal a reçu 2 500 candidatures pour 100 places, un record. Revanche du matériau ringard, le bois est aujourd’hui porteur d’une croissance (de surcroît verte) que nombre de secteurs éco- nomiques rêveraient de connaître. « Le bâtiment stagne en France, voire recule, quand la construc- tion en bois continue d’augmenter, ce qui d’ailleurs Longtemps relégué à la flambée d’hiver et au chalet d’alpage, le bois est devenu non seulement tendance, mais aussi furieusement technique. Porté par les enjeux écologiques, ce matériau naturel investit désormais tous les domaines, de la construction à la chimie verte, en passant par l’aménagement urbain et les énergies renouvelables. L’âge du bois commence à “chatouiller” les intérêts des fabricants d’acier et de béton », observe Philippe Thiriet, responsable de la Recherche et développement du CRITT-bois (Centre régional d’innovation et de transferts technologiques des industries du bois), voisin de l’Enstib, dans les Vosges. Les cimentiers et l’industrie du béton ont ainsi atta- qué un décret imposant une quantité minimale de bois dans les constructions nouvelles devant le Conseil constitutionnel, qui leur a donné rai- son en mai 2013. Un matériau de premier choix Les maçons ont-ils vraiment du souci à se faire ? Rares sont les matériaux de construction qui, comme le bois, présentent autant de quali- tés. Le bois est capable de servir à la fois de struc- ture et d’isolant, les chantiers sont ultrarapides, propres, peu bruyants, la ressource est renou- velable, surabondante et certifiée quasiment à 100 % en France ; enfin, le bois stocke le car- bone tout au long de sa vie. « En matière d’énergie grise, le bois est systématiquement gagnant vis-à- vis des autres matériaux. Or, l’énergie mobilisée dans la construction d’un bâtiment peut repré- senter jusqu’à mille fois celle qui sera nécessaire pour son chauffage… La catastrophe énergétique n’est plus dans le fonctionnement, mais dans la construction. Il faut substituer le béton partout où c’est possible », remarque Christian Charignon, architecte à Lyon et fondateur de l’association Ville et aménagement durable. Sans compter une dimension difficilement quantifiable, qui relève de l’affectif ou de l’inconscient collectif : le bois est beau, il est chaud, il est vivant. « Les gens se sentent en harmonie avec le bois qui change de couleur et vieillit avec eux », remarque «

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la compagnie Maguy Marin travaille dans la structure en bois du Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape.

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Arbres et forêts 31 septembre 2013

On croit découvrir le bois, on l’avait simplement oublié », résume Pas-cal Triboulot, directeur de l’Enstib, l’école nationale supérieure des technologies et industries du bois,

à Épinal. Les massifs forestiers ont beau couvrir un tiers du territoire national et la forêt fran-çaise être la troisième d’Europe, notre pays s’est longtemps détourné de cette matière première qui croît naturellement : pas assez high-tech, passéiste, tout juste bonne pour le folklore et les paysages pittoresques de montagne. Gilbert Storti, vice-président de Fibra, la filière bois en Rhône-Alpes, s’en amuse : « La France était telle-ment à la traîne en matière d’utilisation du bois, en particulier dans la construction, que cela en devenait ridicule. Mais les mentalités évoluent très rapidement : le végétal est en train de prendre le pas sur le minéral. » De retour du Canada, pays du bois s’il en est, où il a enseigné deux années à l’Université du Québec, Pascal Triboulot a pu relativiser l’idée fortement ancrée d’une France encore distanciée en matière de bois : « La dyna-mique française autour du bois et de ses dérivés est très positive, peut-être même plus qu’ailleurs en Europe, que se soit dans l’architecture, la recherche, l’innovation, la formation. Nous sommes partis plus tard, mais nous sommes en train de rattra-per ce différentiel. Les jeunes générations se pas-sionnent pour le bois. » L’an dernier, l’école d’Épi-nal a reçu 2 500 candidatures pour 100 places, un record. Revanche du matériau ringard, le bois est aujourd’hui porteur d’une croissance (de surcroît verte) que nombre de secteurs éco-nomiques rêveraient de connaître. « Le bâtiment stagne en France, voire recule, quand la construc-tion en bois continue d’augmenter, ce qui d’ailleurs

Longtemps relégué à la flambée d’hiver et au chalet d’alpage, le bois est devenu non seulement tendance, mais aussi furieusement technique. Porté par les enjeux écologiques, ce matériau naturel investit désormais tous les domaines, de la construction à la chimie verte, en passant par l’aménagement urbain et les énergies renouvelables.

L’âge du bois

commence à “chatouiller” les intérêts des fabricants d’acier et de béton », observe Philippe Thiriet, responsable de la Recherche et développement du CRITT-bois (Centre régional d’innovation et de transferts technologiques des industries du bois), voisin de l’Enstib, dans les Vosges. Les cimentiers et l’industrie du béton ont ainsi atta-qué un décret imposant une quantité minimale de bois dans les constructions nouvelles devant le Conseil constitutionnel, qui leur a donné rai-son en mai 2013.

Un matériau de premier choix Les maçons ont-ils vraiment du souci à se

faire ? Rares sont les matériaux de construction qui, comme le bois, présentent autant de quali-tés. Le bois est capable de servir à la fois de struc-ture et d’isolant, les chantiers sont ultrarapides, propres, peu bruyants, la ressource est renou-velable, surabondante et certifiée quasiment à 100 % en France ; enfin, le bois stocke le car-bone tout au long de sa vie. « En matière d’énergie grise, le bois est systématiquement gagnant vis-à-vis des autres matériaux. Or, l’énergie mobilisée dans la construction d’un bâtiment peut repré-senter jusqu’à mille fois celle qui sera nécessaire pour son chauffage… La catastrophe énergétique n’est plus dans le fonctionnement, mais dans la construction. Il faut substituer le béton partout où c’est possible », remarque Christian Charignon, architecte à Lyon et fondateur de l’association Ville et aménagement durable. Sans compter une dimension difficilement quantifiable, qui relève de l’affectif ou de l’inconscient collectif : le bois est beau, il est chaud, il est vivant. « Les gens se sentent en harmonie avec le bois qui change de couleur et vieillit avec eux », remarque

«

les scieries fournissent du bois à ceux qui souhaitent se lancer seuls dans la construction de leur maison.

Arbres et forêts 32 septembre 2013 Arbres et forêts 33 septembre 2013

L’âge dU bois

Arbres et forêts 32 septembre 2012

Françoise-Hélène Jourda, pionnière en France de l’architecture durable. Peu à peu, les filières de construction bois s’organisent autour de coopératives, de regroupements d’artisans, de PME. Même les géants du BTP se mettent à l’heure du bois, comme Vinci et la filiale Arbo-nis, ou Bouygues. « C’est un des signes que le bois a de l’avenir, même s’il y a encore des progrès à faire en France en terme de qualité, de régularité et d’industrialisation des produits. Le bois va changer le visage de notre environnement, de nos villes et c’est heureux », remarque Philippe Monchaux, responsable du pôle Première transformation et approvisionnement de l’institut technologique FCBA, à Paris. Il en est convaincu : « Aujourd’hui, c’est la construction qui tire le secteur du bois, demain, ce sera la chimie verte de l’après-pétrole. »

L’avenir est au bois !Soudure du bois, nouvelles colles non pol-

luantes à base de cellulose, mousses de tanins à la fois aussi isolantes que le polystyrène et inin-flammables, sans compter les applications que les chercheurs tiennent à garder pour l’heure secrètes… Philippe Thiriet, comme nombre de ses collègues, s’enthousiasme. Enfin, dans les débats très actuels sur la transition énergétique, le bois est souvent oublié, alors qu’il représente près de la moitié des énergies renouvelables, soit le double de l’hydraulique (25 %) et permet de tirer partie de nombre de sous-produits de la sylviculture (branches, bois d’éclaircie), de la

transformation (sciures, bois déchiqueté), ou encore des déchets (vieux meubles, palettes). Environ 60 % du bois utilisé est ainsi recyclé en fin de vie. Et d’ici 2020, il est prévu de doubler la contribution du bois dans la production de cha-leur et de la multiplier par six dans la production d’électricité. Les perspectives sont considérables, même si, sur le fond, il n’y a pas grand-chose de nouveau à l’échelle de l’humanité, observe Pascal Triboulot. « Quand l’être humain a com-mencé à être intelligent, il a vite compris qu’avec le bois il avait un compagnon exceptionnel, qui lui offrait l’abri, le couvert, l’équipement et le feu. Nous sommes toujours à l’âge du bois. Un arbre est capable de défier les lois de la physique. Le bois va nous conduire à des inventions fabuleuses. » l

« on ne s’est Pas rendU comPte de La PUissance dU bois »Entretien avec Jean-Yves caullet, député de l’Yonne, nouveau président de l’onF

« L’utilisation du bois va dans le sens de l’histoire »Françoise-Hélène Jourda

1Vous soulignez ce paradoxe : le bois est le deuxième poste déficitaire du commerce

extérieur de la France, alors que notre pays exporte en masse ses bois bruts qui reviennent sous forme de meubles, de parquets. d’où vient ce paradoxe ? Au moment où la France s’est industrialisée, dans les années 50-70, notre pays a investi dans le nucléaire, l’automobile, le plastique… Le bois était une survivance. On ne s’est pas rendu compte de la puissance de ce matériau. Lorsque la demande de produits en bois augmente dans notre pays, ce sont les importations qui y répondent. Je remarque aussi que la construction européenne s’est faite sur l’acier et le charbon, c’est-à-dire un matériau de structure d’une part, et une énergie d’autre part. Et le bois, qui cumule ces deux fonctions, a été oublié ! Quelques dizaines d’années plus tard, le bois et la forêt ne font toujours pas l’objet d’une politique européenne, alors qu’ils sont impactés en creux, en Europe comme en France d’ailleurs, par les politiques environnementales, industrielles, agricoles, énergétiques…

2Quels sont pour vous les enjeux contemporains de la forêt et du bois ?

Ils sont au cœur de questions aussi cruciales que le climat, l’énergie, l’occupation des sols, l’emploi… Le bois et la forêt offrent de très bons exemples de l’économie circulaire que chacun appelle de ses vœux : un arbre peut être utilisé trois fois, comme bois

d’œuvre ; puis déchiqueté, pour la production de papier et de panneaux ; et au final comme source d’énergie. Un arbre conduit et coupé à maturité permet aussi de fixer le maximum de carbone. Bref, pour protéger la nature, il faut couper des arbres !

3Que faire ? L’immobilisme serait la pire des solutions. Le bois

va prendre une place de plus en plus importante dans nos vies. Il est indispensable de structurer une volonté politique de long terme pour la forêt, permettant à la société de s’approprier ces enjeux. La forêt est encore trop souvent une affaire d’experts, de conflits entre le bûcheron et le défenseur de la nature. Or la forêt est multifonctionnelle, elle relève de l’intérêt général, d’un bien commun. Cette volonté politique doit s’accompagner d’un investissement massif dans les filières de transformation du bois en France afin de tirer parti de tous les bénéfices et les performances du matériau. En Finlande, en Autriche, en Allemagne, les fabricants de maisons en bois sont des industriels, en France, nous n’en sommes qu’au tout début de cette industrialisation. Le potentiel du bois comme matière innovante est aussi encore trop peu connu. Je pense à la cellulose, à la construction de pylônes haute tension en bois... D’autres initiatives sont intéressantes, comme la création de circuits courts dans les Alpes ou le Jura, qui valorisent les essences et les savoir-faire locaux. Le bois entre à nouveau dans la modernité. Il peut mener à une nouvelle révolution industrielle en France.

du jamais vu dans la capitale : la halle Pajol, dans le 18e arrondissement, a été rénovée avec quatre niveaux en bois. aux commandes de l’opération, l’architecte Françoise-Hélène Jourda : « Je travaille avec le maximum de bois possible. il est peu consommateur d’énergie grise, s’assemble et se démonte facilement. les gens de la filière bois ont une culture remarquable. et puis, le bois sent bon ! »Françoise-Hélène Jourda est diplômée de l’école d’architecture de Lyon en 1979. Huit ans plus tard, elle en construit le nouveau bâtiment, avec du bois déjà : « cela avait fait jaser, rit-elle. Dans les années 1980, on n’était pas moderne quand on construisait en bois. » L’architecte signe ensuite une autre réalisation qui a fortement marqué les esprits : les halles du 8e arrondissement de Lyon, bâties sur des troncs entiers. Les projets s’enchaînent, dont un à Herne-sodingen, en allemagne, dans la ruhr : un centre de formation en forme de serre créant le microclimat de nice et réalisé avec du bois coupé dans la forêt voisine. « les grands créateurs investissent malheureusement peu le bois. pour beaucoup, le geste

architectural, c’est la forme, le bel objet. seulement ensuite se pose la question de sa réalisation. or, quand on veut bâtir en bois, il faut prendre en compte l’aspect constructif dès l’esquisse. ce n’est pas dans la culture des architectes », explique Françoise-Hélène Jourda, qui, dès 1999, a pris la chaire d’architecture durable à l’université de Vienne, et qui cite souvent l’autriche en exemple. ce pays pionnier de l’architecture bois, illustrée par le Vorarlberg, est désormais capable de réaliser des

immeubles de neuf étages en bois. « la construction bois investit tous les champs : le petit industriel, les surfaces commerciales. ce ne sera pas pour tout de suite mais, à moyen terme, la construction bois va émerger réellement dans notre pays. l’utilisation du bois va dans le sens de l’histoire. »

Jean-Yves caullet a rendu cet été un rapport au Premier ministre sur les nouveaux défis du bois et de la forêt en France, dans la perspective du projet de loi d’avenir notamment sur l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt qui devrait être débattu début 2014. cri d’alarme mais aussi message d’espoir, il y a pour lui urgence à agir.

elle fait partie des grands noms de l’architecture contemporaine : Françoise-Hélène Jourda porte depuis plus de trente ans la cause d’une construction responsable, écologique, donc souvent en bois.

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7 propositions à retenir du rapport caullet

1 la création d’un fond stratégique d’investissement « bois » l’industrialisation de la transformation le développement des filières courtes une meilleure utilisation des feuillus, dont le hêtre et le robinier, le « teck » européen la mise en place de l’équivalent des SCOT d’agglomération (schémas de cohérence territoriale) pour les massifs forestiers la signature de contrats pluriannuels amont/aval le soutien de la recherche et des nouvelles applications du matériau bois : chimie, structure…et 60 000 emplois.