douleurs chroniques et souffrances corporelles insupportables

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Douleurs chroniques et souffrances corporelles insupportables Extrait du Recherche clinique PSY http://www.recherche-clinique-psy.com/spip.php?article202 Douleurs chroniques et souffrances corporelles insupportables - CLINIQUE DE LA RELATION PSYCHIQUE AU CORPS - Date de mise en ligne : jeudi 10 octobre 2013 Recherche clinique PSY Copyright © Recherche clinique PSY Page 1/12

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Douleurs chroniques et souffrances corporelles insupportables

Extrait du Recherche clinique PSY

http://www.recherche-clinique-psy.com/spip.php?article202

Douleurs chroniques et

souffrances corporelles

insupportables- CLINIQUE DE LA RELATION PSYCHIQUE AU CORPS

-

Date de mise en ligne : jeudi 10 octobre 2013

Recherche clinique PSY

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Douleurs chroniques et souffrances corporelles insupportables

On peut parler de douleur, comme douleur somatique, ressentie et mémorisée par le corps. On peut aussi parler desouffrance, comme souffrance psychique consciente, ayant sa place consciemment dans le psychisme. Celanécessite de comprendre comment se construit la relation à soi-même et la danse corporelle psychique que celanécessite. Il est fondamental, à ce propos, d'échapper au dualisme corps/esprit et à l'opposition de ces deux termes.

Les échecs thérapeutiques actuels de la prise en charge de la douleur résultent en partie des insuffisances de la conception dualiste des relations corps/esprit, qui est toujours vivace, depuis que Descartes l'a reformulée au 17esiècle. Elle est vraiment trop sommaire. Comment a t'on conscience de la douleur, si la conscience se distingue despropriétés du corps ? Comment la douleur peut-elle démolir le fonctionnement psychique, si son intensité devientinsoutenable ?

Les échecs thérapeutiques résultent aussi des insuffisances du monisme neurophysiologique actuel, qui veut, lui,réduire la conscience à une fonction neurologique supérieure, émergente. C'est le monisme aristotélicien, c'est à direun monisme pseudo-dualiste, qui essaie depuis l'Antiquité de résoudre les insuffisances du monisme mécaniste, dela conception de l'homme-machine entièrement déterminé, par l'établissement d'une hiérarchisation de niveaux. LirePsychomédia - janvier 2012 : Le National Institute of Mental Health (NIMH) américain (...) a entrepris un programmede recherche, le Research Domain Criteria, qui vise à définir des dimensions de fonctionnement de base (telles quele circuit neurologique de la peur ou la mémoire de travail). L'intention est de traduire les progrès rapides de larecherche neurobiologique et comportementale en une compréhension intégrée de la psychopathologie. Ces travauxdevraient permettre l'émergence d'une classification des troubles basée sur les causes biologiques.

Les matérialistes buttent sur ce fait clinique énervant : il n'y a pas de mémoire apparente de la douleur. Lesexpériences douloureuses sont bien mémorisées dans leur contexte, mais la mémoire de la sensation de la douleur,en elle-même, semble manquer. On ne peut se remémorer consciemment que le contexte de la douleur et pas la

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douleur elle-même. Or, dans des circonstances traumatiques graves, démolissant la danse psychique, ou parépuisement psychique complet, le fantôme de l'expérience douloureuse peut ressortir cliniquement pour de bon.Cela donne les douleurs « psychosomatiques » ou « fonctionnelles ». Cela entraîne une douleur dite « chronique »bien différente de la douleur aigüe. Il n'y a pas de douleur somatiquement perceptible ou, du moins, l'intensitédouloureuse n'a plus de rapport avec la douleur effectivement perceptible. Il y a trop de douleur, dans une souffrancepsychique intense. Cela peut concerner des lombalgies, migraines, acouphènes, douleurs dentaires et sinusales,douleurs pelviennes, douleurs musculaires et articulaires, douleurs de transit, douleurs post-opératoires etc. Lesouvenir de la douleur n'a été que masqué, scotomisé dans le psychisme. Il n'a pas vraiment disparu. Il est devenu «préconscient ». La barrière entre le Conscient et le Préconscient peut se rompre. La douleur passée envahit leprésent de façon inexplicable, à première vue. La personne peut avoir l'impression de proprement disparaître,comme personne consciente, dans cet envahissement. Cela concerne aussi les cas où la douleur insupportablereste « mentale » : deuils impossibles, états de stress chroniques post-traumatiques, décompensations graves destroubles fonctionnels psychiques, suites d'accouchements, d'amputations et d'opérations...

Il y a aujourd'hui, en concurrence, un dualisme impossible et un monisme insuffisant, qu'il faut dépasser tous deux,car trop réducteurs. Ni confusion, ni séparation, mais résonance entre registres. C'est indispensable, pour mieuxsoigner un jour les personnes vivant durement de telles effractions. Le problème de la douleur chronique estdramatiquement ignoré ou mal compris, surtout par les experts des assurances, qui ne veulent pas tenir compte del'importance de la détresse humaine. Les instances officielles restent, elles, peu audibles à ce sujet. Commeillustration de cela, lire sur le site de la HAS :

RECOMMANDATIONS PROFESSIONNELLES - Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureuxchronique, l'évaluer et orienter le patient - Consensus formalisé - ARGUMENTAIRE - Décembre 2008

ÉTAT DES LIEUX - Douleur chronique : les aspects organisationnels Le point de vue des structures spécialisées- ARGUMENTAIRE - AVRIL 2009

> Lire aussi la situation actuelle des PTSD dans le DSM 5 sur le site d'Evelyne Josse : État de Stress Aigu et Étatde Stress Post-Traumatique, quoi de neuf dans le DSM-5 ?. Cela illustre les confusions cliniques persistantes decette classification, par faute d'une pensée de l'homéostasie

Pour dépasser ces contradictions et insuffisances, il nous faut tenir compte de la façon dont se crée, chez l'enfant, lepsychisme comme psychisme corporel, comme « corps propre ». C'est comprendre le « Préconscient », c'est à direla constitution des pôles corporels de fixation et d'attachement, régie par le plaisir de la réussite et la douleur duratage. C'est comprendre aussi le « Conscient » comme danse psychique des pôles entre-eux, qui entraînejouissance par le maintien de la danse et souffrance par les atteintes à cette danse. De scinder les deux, Conscientet Préconscient, le psychisme permet au Conscient de prendre du recul de fond par rapport aux stress de la vie,sans en être coupé en temps réel. Le lâcher-prise est indispensable à réaliser pour ne pas succomber aux coupsinsoutenables du réel entropique. Si ce lâcher-prise échoue, apparaît le drame de la vie nue.

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Un « corps propre »

La construction du corps, comme corps propre que l'on se donne à soi-même, est un passage du développementpsychique de l'enfant. Cela implique la reconnaissance de sa propre différence biologique, comme corps autonome.Le petit enfant devient un être humain autonome, dans le développement d'une relation psychique à lui-même.Cette relation se distingue de la relation dyadique mère-enfant prédominante, où il fonctionne à deux corps enquelque sorte.

Pourquoi a t'il besoin d'acquérir cette fonctionnalité psychique particulière, qui est celle de l'autonomie corporelle ?L'enfant investit son corps comme une unité autonome dans son environnement pour moins souffrir. Il acquiert uncorps propre pour se soulager. La fonctionnalité de la dyade mère-enfant, quasi-exclusive des premiers mois de lavie, n'est pas parfaite. Des tensions persistent. Les insuffisances fonctionnelles du fonctionnement dyadique lepoussent à construire un corps propre, où il pourra jouer le rôle de sa propre et meilleure mère pour lui-même. Lecorps devient maintenant « agi » par lui, comme s'imposant de lui-même dans son environnement, influençantcelui-ci et le soumettant à sa présence. C'est la constitution d'un « moi », qui est une posture dynamique imaginaired'affirmation d'un être autonome. Il investit ses limites propres, son sac de peau personnel pour contenir sesconstituants internes. Il acquiert une « masse ». Le corps est aussi « agi », de façon distincte, comme permettant àl'enfant de se soustraire à l'influence de son environnement. Il se met à jouer à se cacher et apprend à être capablede fonctionner à part, ou de façon imperceptible pour l'environnement, de façon camouflée, dans la construction d'un« moi-discret ». Le « moi-discret » est aussi une action, mais par soustraction.

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Une double image est construite de soi vers le dehors, qui est une image d'imposition et une image de dissimulation.Ces actions moïques, celle de l'affirmation du « moi » et celle, dissimulatrice, du « moi-discret », ont la même finalité: devenir indépendant, soit en dominant l'environnement, soit en s'en rendant invisible. C'est la douleur somatiquequi va conduire l'enfant à cela. Ses besoins corporels nécessitent douloureusement qu'il s'approprie un contrôle del'environnement, pour manger, boire, respirer, maintenir sa température etc. C'est le rôle du « moi » qui assure unapprovisionnement plaisant, atténuant la douleur corporelle. C'est un effort d'agrégation au corps de parties externesde l'environnement, comme si elles étaient des parties internes incorporables. Le plaisir de réussir est toujoursprécaire dans la brutalité du réel. Cette affirmation moïque reste, en effet, bien fragile. Les capacités imaginaires ducorps, de pouvoir créer une image posturale d'affirmation, sont aussi « imaginaires » au sens d'être peu assurées,dans un jeu de mot typiquement français, mais tout à fait parlant. Parallèlement, il a à se soulager des douleursinternes, en excrétant les causes de ces douleurs par ses orifices corporels. En ce cas, le dehors sert à se soulagerefficacement. Le « moi-discret » est le « moi » capable de s'éloigner du dehors qui se trouve mis à contribution decette façon, comme dépotoir. Son plaisir est celui de la réalisation d'une posture de mise à distance d'élémentsinternes indésirables. C'est un plaisir de perte qui reste bien instable, lui-aussi.

Les réactions inhibitrices corporelles correspondantes se construisent, dans la logique de l'homéostasie, de deuxmanières. On a l'opposé de l'affirmation moïque dans le fonctionnement d'un système affectif personnel, inhibiteur decette action d'affirmation moïque. L'affect est, fondamentalement, un ressenti global intérieur non frustré,catatonique. Il n'y a plus besoin d'affirmer le « moi », si le corps est rassasié. Il y a un répit non-douloureux où lecorps peut s'éprouver par lui-même, en se passant du dehors. L'affect est positif s'il n'y a plus de douleur defrustration. Le plaisir affectif est celui du rassasiement, de l'oubli de la douleur de frustration du corps. Il permet de sedonner un corps qui n'a pas besoin du dehors pour exister, qui rejette même le dehors et s'en défend en réactionsémotionnelles. Lui aussi devra se contenter de rester très précaire.

On a aussi, comme réactions inhibitrices corporelles, le développement d'une cognition propre, où l'on retientsoi-même les expériences vécues dans la constitution d'un « moi-idéal ». Le cognitif est bien une inhibitionréactionnelle : quand on réfléchit, on n'agit pas. On retient juste ce qui n'a pas à être excrété. Le plaisir cognitif est une rétention plaisante de ce qui n'est pas douloureux corporellement, dans la construction d'un corps qui n'a pasbesoin d'excréter, qui ne cherche que ce qui peut être retenu, sans causer de douleur, par une rétention idéaleinternalisée. Ce plaisir est aussi labile spontanément que les précédents [1].

La mémoire est donc essentielle dans le contrôle de la douleur, qui est celui des réflexes conditionnés. Les pôlescorporels se constituent comme des pôles d'attachement à des répétitions plaisantes réussies. Toutefois, lepsychisme subvertit cette construction de pôles de capacités de plaisir, à cause de leur précarité. Il transforme cetteprécarité en atout fonctionnel. Il met en cause ces élaborations conditionnées par la création d'une double oscillationentre pôles d'attachement corporel, en les déstabilisant fonctionnellement, par une sorte de ruse fonctionnelle ! Le

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psychisme narcissique se construit sur ces instabilités foncières pour les rendre fonctionnellement utiles, en lesmaintenant en oscillation, en empêchant le blocage fonctionnel du corps dans des réflexes conditionnés de plus enplus répétitifs. C'est ce qui permet à l'enfant de passer du système de douleur/plaisir à un système desouffrance/jouissance. La jouissance devient le plaisir conscient des oscillations, avant le risque neurologique deblocage. L'esprit est le principe déstabilisant qui brouille l'accès au réel, qui permet que perdure cette instabilité. Ilpermet à une conscience d'exister dans les décrochages infinis des pôles de fixation. La souffrance devient, parcontre, la peine consciente du ratage de ces oscillations.

Cette construction psychique narcissique a un avantage considérable. Comme un prestidigitateur qui détournel'attention des contraintes de la réalité douloureuse, le développement conscient du narcissisme nous fait « oublier »radicalement la douleur de vivre et les échecs du contrôle par conditionnement. Il nous faut toujours manger etexcréter, ressentir affectivement et réfléchir. Il nous faut toujours souffrir des échecs de ces postures et inhibitionsposturales dans l'immédiateté du réel. Cela dit, on peut rester un tant soit peu en amont du contrôle somatiquemnésique de la douleur, en se focalisant sur la jouissance corporelle et la souffrance éventuelle du ratageoscillatoire. La « conscience » devient uniquement celle des oscillations corporelles. Cela crée un Conscient. Lecontrôle de la douleur par des réflexes conditionnés ad hoc, est relégué dans un « Pré-conscient ». Une barrière seréalise, qui laisse la douleur immédiate fonctionner, mais qui gomme la mémorisation des expériencesdouloureuses, parce que ce sont les oscillations fonctionnelles et leurs difficultés qui seront mémorisées. D'où lasurprise des neurologues de se rendre compte que la douleur reste perceptible, mais qu'il n'y a pas de mémoireconsciente de la sensation douloureuse proprement dite. Il n'y a que les éléments de contexte qui sontremémorables fonctionnellement.

Le « Conscient » oscillatoire est un retour en arrière sur le réel pénible, par un effet d'auto-prestidigitation créant le «Pré-conscient ». La conscience oscillatoire n'est pas un « plus ». Ce n'est pas un niveau de contrôle supérieur. C'estun « moins », un recul causé par les difficultés de la vie et le retour immanquable de la douleur. On se rabat sur lefonctionnement psychique des oscillations corporelles pour atténuer les échecs des constructions imaginairescorporelles. L'humain maintient un recul corporel psychique sur la brutalité douloureuse du monde, de façon à nepas s'y aliéner, de façon à le supporter consciemment un tant soit peu. Il utilise, psychiquement, une réductionmoindre de la réalité. La conscience dépend de ce recul des capacités mnésiques qui scindent le souvenir. Les pôlescorporels psychiques peuvent devenir conscients au prix de cette limitation fonctionnelle et du fonctionnementtétravalent oscillatoire du psychisme.

C'est ainsi que les deux oscillations caractéristiques de cette construction psychique corporelle se passent, aumaximum de contraste, entre :

• « moi » <=> « affect »• « moi-discret » <=> « moi-idéal »

Les capacités « imaginaires » du corps de créer des images en assemblant des composants seront employées àcréer cette fonctionnalité corporelle de la relation à soi-même, dans une double oscillation entre ces pôles constitutifstypiques. Le corps supporte une jouissance particulière, un plaisir vibratoire labile et furtif, dérivant de cette instabilitéoscillatoire. Elle permet un refoulement de la douleur somatique par un effet de déstabilisation, celui de l'espritcomme principe déstabilisant, comme provoquant une moindre fixation d'emblée à la construction polaire pure etdure. On oublie la douleur corporelle proprement dite par une danse corporelle, dans une amnésie très efficace ducontrôle conditionné de la douleur. Le préconscient ne disparaît pas, mais il se définit inaccessible. Il est construitinaccessible, normalement tout du moins.

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Cette fonctionnalité corporelle psychique se prouve par ses dérèglements, dans une clinique typique et bienobservable, dont j'ai déjà fourni plusieurs éléments sur ce site et qui n'est pas la clinique des échecs radicaux de laconstruction psychique. Cela n'empêche pas ces dérèglements oscillatoires d'être éprouvants, mais pas au pointd'avoir l'intensité de la douleur mnésique résultant de l'effraction du Pré-conscient dans le Conscient. Voir la rubrique: CLINIQUE DE LA RELATION PSYCHIQUE AU CORPS. [2]

La douleur onirique

Il faut des circonstances exceptionnelles pour que cette douleur constitutive du fonctionnement polaire proprementdit, comme douleur somatique, refasse surface consciemment. Elle devient alors une douleur « psychosomatique »,douleur onirique signant l'effondrement psychique par épuisement. C'est aussi une douleur post-traumatique, oùl'oubli de la douleur vécue trop intense, trop menaçante, ne devient plus soutenable par le Conscient. Notons quel'onirisme est un concept plus adapté, à mon avis, que celui d'hallucination primaire, que l'on peut confondre avec leshallucinations auto-agressives des psychoses ! Il s'agit plus d'hallucinose que d'hallucination. Il y a recréationonirique involontaire d'une réalité douloureuse insupportable. Cette douleur peut ressortir la nuit, sans doute dansun rêve et réveiller la personne, mais elle est souvent intrusive, disruptive, dans le fonctionnement conscient de lapersonne. Normalement, on n'a pas accès à cette douleur somatique pré-consciente, une fois cette danse corporellejouissive mise en place. On n'a plus que de la « souffrance » psychique ordinaire, qui nait de l'éventuel échec de lajouissance oscillatoire corporelle. Toute douleur corporelle reste « psychique » dans la vie d'une personne, etsaborde, dans l'immédiateté de la vie, la fonctionnalité réflexorielle somatique. La lunette du réel corporel restenormalement déréglée. La mise au point reste floue. Ce flou oscillatoire permet de bien distinguer la « douleur »brutale onirique du corps de la « souffrance » psychique normale.

L'esprit est donc une instabilité aboutissant à scotomiser la douleur corporelle trop précise, trop prolongée, trop

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brutale. L'enfant y gagne énormément de confort et de liberté, même s'il y a un accès moindre au réel corporel dansla réduction effectuée. Il reste en amont de l'horreur insoutenable. Celle-ci peut, toutefois, ressurgir en forçant labarrière de l'amnésie. En clinique, l'onirisme traduit ce forçage. La conscience en reste évidemment brumeuse,confuse. Les éléments mnésiques contextuels qui ressortent à ce propos, ne font qu'accompagner le retour de ladouleur préconsciente, par effraction dans le champ psychique. Cela donne le surgissement d'une réalité plus oumoins bizarre. La réalité onirique se superpose au réel immédiat, puisque ce n'est qu'un effet de mémoire qui sepasse. La pseudo-réalité qui apparaît n'est qu'un épiphénomène de l'apparition de la douleur. C'est le contexte de ladouleur rappelée, qui se superpose aux sensations immédiates. Il n'y a pas d'onirisme sans prévalence de la douleursomatique, même si le clinicien surpris peut avoir tendance à se focaliser sur les éléments contextuels incongrus, surle « délire » onirique. Généralement, le Conscient reste fonctionnel à minima et ne perd pas complètement saconscience de la réalité immédiate. Il se trouve avec les deux réalités superposées, enchevêtrées. C'est comme celaque le clinicien pourra mieux comprendre les douleurs psychosomatiques ou celles du PTSD, du trouble de stresspost-traumatique et des amputations. C'est de l'onirisme douloureux résultant du surgissement anormal desouvenirs pré-conscients dans le champ de la conscience et mélangeant les deux. C'est différent de lasymptomatologie fonctionnelle habituelle des blocages des oscillations psychiques. Ici, il y a échec d'un «refoulement primaire ».

En clinique, toute douleur perçue perturbe la jouissance de la double danse corporelle, mais elle reste habituellementsouffrance psychique « avant-tout », sauf en cas d'apparition de cette douleur somatique normalementpréconsciente qui sera, forcément, toujours « énorme » car absolument intempestive. Le clinicien retrouverafacilement ces éléments cliniques et devra adapter son vocabulaire à ce qu'il découvre, en écoutant les descriptionset les ressentis de ses patients à ce sujet. Il verra son patient s'illuminer, quand il sera capable de comprendrevraiment la parole de celui-là et qu'il se montrera enfin ouvert à la peine que le patient tente de lui décrire, dans cesurgissement d'une douleur somatique incompréhensible psychiquement, parfois atroce. Il ne s'agira pas desymboliser avec lui, ou pour lui, mais de trouver un compromis langagier pour la prise en charge de chacun de cessymptômes proprement « corporels » et difficilement descriptibles par son patient. C'est là que son art thérapeutiquepourra se développer et que son patient trouvera un vrai thérapeute, alors que ce souffrant a souvent subil'incompréhension, parfois méprisante, de ceux qui ne peuvent concevoir de telles affections. Une femme ayant pubénéficier d'une ablation d'un sein pour cancer, se plaint de l'existence sans fin d'une douleur terrible de sa cicatriceet de la zone opérée. Elle se retrouve débordée de souffrance. Pour ne pas être traitée d'hystérique théâtrale ou,pire, de simulatrice voulant prolonger son arrêt de travail, la rencontre d'un clinicien, capable de l'accueillir et deproposer un traitement, changera sa vie. La maltraitance des douloureux chroniques peut souvent atteindre dessommets et ce, déjà, de la part du personnel de santé. Je citerais certains praticiens qui pratiquent des « expertises» servant spécialement à nier la plainte des patients, que cela soit pour des assurances ou pour des tribunaux. C'està ce propos que j'ai rencontré le plus de cas renversants et le plus d'incompétence ! La profession médicale touteentière a à se mobiliser sur ce problème.

Il faudra aussi ne pas oublier qu'un blocage psychique d'un autre registre relationnel du psychisme,- registredyadique, socio-langagier, sexué - peut se mettre à influencer suffisamment le registre narcissique pour le bloquer àson tour et provoquer des symptômes propres de ce type. La clinique en est souvent parlante, même si elle n'est passouvent analysée en ce sens. Voir, par exemple, sur Wikipédia, la clinique du syndrome d'Ekbom, également appelé« délire dermatozoïque » ou encore « délire d'infestation cutanée », « délire de parasitose ». C'est un délire d'unepseudo-rationnalité plus ou moins habile, qui accompagne une hallucinose corporelle terrifiante. Cette dernière peutprendre, en effet, une intensité terrible, difficilement soutenable même par le clinicien qui en sera témoin. Un troubleparanoïaque, d'origine symbolique, socio-langagier, s'accompagne, en ce cas, d'une hallucinose au niveau du corps,par contagion des registres, en quelque sorte. Les cliniciens se sont intéressés de près à ce syndrome, même s'iln'est pas trop fréquent, car c'est une occasion de discuter de la différence entre hallucinose et hallucination. Lesdiscussions sur la « maladie des Morgellons » sont aussi bien intéressantes.

Il y a bien d'autres pathologies qui peuvent être abordées sous cet angle. Il faut envisager que tout troublefonctionnel psychique intense et prolongé puisse finir par provoquer une telle effraction du Conscient, ne serait-ce

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que par épuisement. Une dépression devient une mélancolie atroce. Une dissociation du cours de la pensée devientun mal de tête insupportable. Une absence de réponse à une demande éperdue d'amour, devient un souvenirobsédant dramatique. Une attitude méprisante d'un contremaître devient un harcèlement moral insoutenable etc. Leclinicien doit être au clair du risque de telles « décompensations » oniriques d'un symptôme, qui n'est plus ordinaire.Même une simple « anxiété » peut se révéler un facteur de risque important.

> Lire à ce sujet, sur le site de l'INSERM, le communiqué : L'anxiété, facteur de risque de douleur chroniqueaprès toute chirurgie - Unité Inserm 987, Hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancour.

Perdre l'équilibre jubilatoire du corps peut déjà devenir très pénible à celui qui le vit. Le corps devient vraimentdésenchanté, mais il reste un corps psychisé, qui profite du soutien fonctionnel des autres registres psychiques parun effet d'ensemble, par résonance d'ensemble. Le clinicien peut assez facilement se rendre compte de telsproblèmes et les admettre. Pour ces douleurs oniriques, sa compréhension intuitive sera beaucoup plus en défaut, àmoins d'avoir vécu lui-même de tels affres. Cela explique peut-être que l'effraction onirique de la douleur somatiquesoit relativement peu reconnue, même si elle n'est pas si rare que cela. Les chiffres varient de 10 % à ...55 % de lapopulation (!), selon les études et les définitions, qui mélangent trop les douleurs somatiques prolongées, avec cesdouleurs disruptives. Des enquêtes épidémiologiques sachant distinguer les deux seraient très utiles aussi pour faireadmettre la réalité de ces dernières.

Hypothèses

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Les noyaux à neuro-médiateurs du tronc cérébral (catécholamines, sérotonine...) jouent-ils un rôle primordial dans lerecul psychique efficace du Conscient sur le système somatique de contrôle de la douleur ? Les circuits àneuro-médiateurs de ce type permettent-ils de maintenir un brouillage de la réalité éprouvante ? Ce sont ceux quifonctionnent perpendiculairement, en quelque sorte, aux circuits moteurs et sensitifs du câblage neurologique ducorps. La science actuelle sait vaguement comprendre l'opposition dialectique que créent ces circuits dans lefonctionnement cérébral. Il reste à prouver scientifiquement comment ils permettraient cette double oppositionfonctionnelle que nécessite la logique tétravalente psychique, en sortant du schéma binaire action/réaction. Lestravaux actuels de neurophysiologie s'intéressant à la question, notamment à propos de l'existence d'une forteinteractivité entre noyau accumbens et cortex préfrontal, n'évoquent guère cette possibilité, alors j'insiste un peu.Cela aiderait considérablement le clinicien pour mieux comprendre, un jour, l'origine de ces phénomènes disruptifs etla nature des soins permettant de renforcer et de rétablir le filtre du Conscient, que cela soit par la psychothérapie,l'hypnose [3], l'art-thérapie, la méditation [4], la stimulation magnétique transcrânienne, le biofeedback, laneurostimulation électrique transcutanée (TENS) [5], l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), lesmédicaments opioïdes [6], les antidépresseurs tricycliques, IRS ou ISRNA (sertraline et paroxétine) [7]et même lesdérivés du cannabis. Cela marchera si la danse du corps propre est retrouvée un tant soit peu. Les experts ettribunaux, si souvent incompréhensifs aujourd'hui, pourraient alors beaucoup améliorer leurs compétences !

> Voir l'article : Remise en cause de l'efficacité des traitements pour les douleurs chroniques

Dérives radicales

Le négationnisme envers la douleur chronique peut amener des dérives inquiétantes dans nos sociétés. C'est ainsique je lis l'influence des groupes de pression favorables à l'euthanasie.

Les douloureux chroniques, pour certains, sont des machines qui ne veulent pas guérir, qui sont viciées dans leurfonctionnement même. L'élimination des souffrants peut faire l'affaire des matérialistes intégristes, les tenants del'homme-machine, en commençant par les médecins biologisants. Le sentiment d'être de mauvais malades peut toutà fait pousser leurs patients à réclamer eux-mêmes à être euthanasiés. Des associations défendent cela de façonacharnée au nom de la liberté et de la responsabilité de l'humain.

Pour les tenants de l'émergence, idéologie en plein essor actuellement, défendue par ceux qui sont pour laconcurrence et « l'évolution », les souffrants chroniques sont ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas émerger niévoluer. Cet échec radical peut faire penser aux évolutionnistes que l'éradication des souffrants est la meilleuresolution. Les lois de nos sociétés occidentales sont pressées de s'adapter en ce sens au nom du « progrès », alorsque le souvenir des atrocités nazies s'estompe.

Article du Journal « Le Monde » du 02/10/23013 : « Il s'appelait Nancy Verhelst et aurait voulu, à 42 ans, devenirNathan. Pour être un homme à part entière, il avait subi plusieurs opérations. Mais, après deux années d'acteschirurgicaux ratés, se sentant emprisonné dans son corps, il a obtenu le droit d'être euthanasié dans un hôpital deBruxelles, où il est mort lundi 1er octobre. »

Le psychiatre, qui a soutenu la démarche légale d'euthanasie de cette personne, n'était peut être pas au fait que l'on

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peut soigner les douleurs chroniques les plus insoutenables. Lui a trouvé que ce cas correspondait tout à fait à ceque préconise la loi belge sur l'euthanasie humaine. La Commission fédérale de contrôle et d'évaluation del'euthanasie, elle aussi, a trouvé le cas tout à fait recevable...

> Lire aussi l'article : Traumatisme et symptôme psychiques

Post-scriptum :

4487 lecteurs au 08/12/2014

[1] C'est ce qu'ont du mal à comprendre les « cognitivistes », qui idéalisent un plaisir de rétention absolu. Hélas, plus on retient, plus la débâcle de

soulagement sera intense.

[2] Résumé de la clinique non disruptive du fonctionnement du corps propre :

1/ Le « moi » va apparaître, comme symptôme, dans l'impression de dépersonnalisation ; le corps, ou des parties du corps, enflent

irrésistiblement vis à vis du dehors ou prennent une trop forte densité, douloureuse et incoercible, dans ce même environnement. Voir l'article

Crises de dépersonnalisation et autostimulations affectives défensives.

2/ L'affect va symptomatiser, lui, dans des crises émotionnelles paniquantes, ou l'on perd toute affirmation de masse corporelle dans une

sensation de disparition corporelle ; cela s'impose par implosion corporelle inopinée, où le souffrant sent ses organes creux se spasmer

affreusement, ou, plus généralement, par une impression horrible de mort imminente. Voir l'article Déchaînements émotionnels et renforcements

démesurés du « moi ».

3/ Le « moi-discret » va surgir, comme symptôme affligeant, dans des pertes corporelles malencontreuses et irrépressibles, ou dans des

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disparitions intempestives et incontrôlées, y compris par suicide. Voir l'article Suicides et disparitions impulsives avec névrose imaginaire

compensatoire.

4/ Le « moi-idéal » va être la source de symptômes dissociatifs, qui forcent la cognition à se focaliser sur des traits corporels idéaux, idiots et

forcés, désamarrés de tout rapport au contexte réel, y compris dans la pensée consciente de la personne. Voir l'article dissociation de l'image

idéale (conversion hystérique) et autisme.

[3] « De façon répétée, une focalisation de l'attention avec une écoute de sa respiration par le patient (autohypnose) permet au patient de mieux

gérer sa douleur chronique » - Voir l'article : Hypnose et douleur : connaissances actuelles et perspectives

[4] Utile pour le souffrant et le thérapeute - Voir l'article : Approches thérapeutiques basées sur la pleine conscience (mindfulness)� : utilité pour le

traitement de la douleur

[5] Centre Cochrane Français : Bien que les machines de TENS soient utilisées couramment, l'efficacité analgésique de la TENS reste incertaine

[6] Les doutes sur l'utilisation isolée des opiacés : Hors protocole d'étude, les opiacés devraient donc être prescrits de façon plus restrictive que ce

n'est le cas aujourd'hui en pratique clinique et ceci uniquement après un diagnostic différentiel du syndrome douloureux chronique dans une

perspective biopsychosociale. (medicalforum.ch)

[7] Attention à la grossesse - voir le tableau 5 de l'article : Antalgie médicamenteuse et grossesse

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