MÉMOIRE DE FORCE JEUNESSE PRÉSENTÉ DANS LE CADRE DE LA CONSULTATION PUBLIQUE RELATIVE AUX TRAVAUX D’ÉLABORATION DU PLAN
D’ÉLECTRIFICATION ET DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Régions liées à l’intervention Ce mémoire adopte une perspective nationale et n’évoque pas une région administrative particulière du Québec.
Expertise de l’organisation
Force Jeunesse représente les jeunes travailleurs et milite pour l’amélioration de l’équité intergénérationnelle dans les politiques publiques du gouvernement du Québec et du Canada. Nous avons financé deux recherches qui sont particulièrement pertinents pour cette consultation publique. Ces recherches furent réalisées par des contractuels experts dans leur domaine, dont un professeur de l’Université Laval spécialisé en politiques de l’environnement.
Thématiques abordées - Thématique 2: Aménagement du territoire et adaptation aux changements climatiques - Thématique 4: Financement
Pour information: Force Jeunesse
C.P. 39041 CP Saint-Alexandre Montréal, Québec H3B 0B2
514-384-8666 www.forcejeunesse.com
Daye Diallo, Président [email protected]
Simon Telles, Vice-président exécutif [email protected]
Comité de recherche et de rédaction : Olivier Jacques et Léa Gamache, se basant sur des recherches d’Alexandre Gayevich Sayegh et de 53-54
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AU SUJET DE FORCE JEUNESSE
Force Jeunesse est un regroupement de jeunes travailleurs qui oeuvre à la défense et à l’amélioration de l’équité intergénérationnelle dans les politiques publiques. Composé exclusivement de bénévoles, son conseil d’administration rassemble 18 jeunes engagés dans une diversité de milieux (associatif, politique, syndical, étudiant, communautaire, professionnel, universitaire, etc.). L’équité entre les générations, une préoccupation pour l’avenir collectif de la société, ainsi que la responsabilité sont les valeurs fondamentales défendues par Force Jeunesse.
Force Jeunesse intervient régulièrement dans le débat public par le biais de réactions documentées et constructives, afin de :
● Proposer des idées novatrices et des solutions viables à long terme aux problèmestouchant la jeunesse et l'équité entre les générations, en s'appuyant sur des réflexions et des recherches exhaustives de qualité;
● Représenter la relève dans les débats publics et organiser des évènements pourfavoriser l'échange et la réflexion;
● Défendre et promouvoir les intérêts des jeunes en emploi, notamment en soutenantl'organisation des jeunes en milieu de travail;
● Sensibiliser la population et les principaux acteurs du marché du travail à la situationdes jeunes et à la place accordée à la relève.
Au fil des années, Force Jeunesse est devenu un acteur incontournable sur de nombreuses questions touchant la jeunesse et ayant des impacts à long terme sur les générations à venir. De plus, Force Jeunesse est souvent l’unique organisation jeunesse intervenant en commission parlementaire sur des enjeux d’importance, tels que les régimes de retraite ou les clauses de disparités de traitement (« CDT ») en milieu de travail, toujours dans la perspective d’assurer le maintien de conditions optimales pour les Québécois au fil des décennies ainsi qu’une gestion pérenne des finances publiques.
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Introduction La question de l’équité intergénérationnelle est, depuis plus de 20 ans, le fer-de-lance de Force Jeunesse (FJ). Pour l’essentiel, nous avons abordé cette question dans une perspective de finances publiques et de droits des travailleurs à travers de nombreuses recherches, mémoires et représentations politiques. Or, l’équité générationnelle étant le principe selon lequel on doit tendre à l'égalité dans la répartition du bien-être entre les générations1, on ne peut à l’heure actuelle nier la réalité du phénomène des changements climatiques ni les conséquences à long terme que ce dernier va avoir sur l’économie québécoise, sur la santé des populations, sur les mouvements migratoires, etc. Bref, il s’agit de l’enjeu d’équité intergénérationnel le plus fondamental sur lequel FJ s’est penché jusqu’à présent, de par son caractère irréversible et parce que les décisions qui sont prises actuellement seront déterminantes pour des citoyens qui n’auront eu aucune emprise sur celles-ci. La prise de conscience de FJ par rapport à ces enjeux est relativement récente et ainsi, notre apport à cette consultation demeure limité. Toutefois, nous tenions énormément à ajouter notre voix à celle des nombreux autres groupes qui participeront à ce processus. Nous avons tenté dans les quelques pages suivantes de répondre aux éléments du document de consultation à partir de deux recherches que nous avons réalisé dans les dernières années, une sur le cycle de vie des infrastructures au Québec et une autre sur la tarification du carbone. Ces deux recherches accompagneront l’envoi de ce présent mémoire.
1 Fiche du terme- équité intergénérationnelle, http://www.thesaurus.gouv.qc.ca/tag/terme.do?id=5058
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Thématique 2: Aménagement du territoire et adaptation Force Jeunesse a commandé en 2017-2018 une recherche afin de mieux comprendre les enjeux entourant l’entretien des infrastructures publiques et les coûts qui y sont associés. Cette recherche a été réalisée par un consultant spécialisé dans les questions de finances publiques et du développement urbain durable. En résumé, cette recherche a permis de faire le constat suivant : Près de la moitié des investissements prévus au Plan québécois des infrastructures 2018-2028, soit 58 milliards de dollars, serviront à l’entretien, la réparation et le remplacement d’infrastructures existantes. Cet investissement est nécessaire en raison du vieillissement des infrastructures québécoises et à cause du manque d’investissement passé. Le déficit de maintien d’actifs en infrastructures représente une dette qui correspond à plus de 28% de la dette financière du Québec. Afin de mieux contrôler le déficit de maintien d’actif et afin que ce dernier ne devienne pas un fardeau supplémentaire pour les générations futures, il est impératif que les décisions du Gouvernement du Québec en matière d’infrastructure impliquent systématiquement une meilleure analyse du coût de leur cycle de vie. Or, cet enjeu n’en est pas seulement un de finance publique. De fait, nous considérons qu’une meilleure analyse du coût du cycle de vie des infrastructures, particulièrement au moment de choisir les projets financés, devrait pouvoir permettre un certain impact sur la production de résidus de construction, de rénovation et de démolition. Alors que ces résidus produisent des GES, ces derniers peuvent également contribuer à la contamination des sols et peuvent nuire à la santé des populations. Plusieurs éléments peuvent être pris en compte pour améliorer la gestion de ces résidus, entre autres en ce qui a trait à la production de matériaux de construction plus dommageables pour l’environnement, le choix des matériaux de construction, la capacité à récupérer certains résidus, etc. Ceci dit, la recherche que nous avons commandée propose des recommandations qui visent spécifiquement l’intégration de l’analyse de coût du cycle de vie afin de réaliser de projets d’infrastructures publique dans une perception durable. Ces dernières sont donc en lien avec la question 2.3 du guide de consultation et doivent être considérées comme un des éléments à prendre en considération pour la réduction des GES que génèrent les matériaux résiduels et les déchets.
1) Le coût d’entretien et de remplacement devrait systématiquement être évalué pour toutes les soumissions. Or, des données fiables doivent être disponibles pour évaluer les coûts futurs. Pour ce faire, un financement doit être prévu pour assurer une collecte de données sur les coûts historiques d’entretien, d’opération et de disposition des infrastructures publiques, ainsi qu’à l’analyse et à la gestion de cette base de données.
2) Il est nécessaire de miser sur l’expertise et l’indépendance de la Société québécoise des infrastructures (SQI), comme cette dernière devrait être en mesure d’assurer la qualité de l’analyse du coût sur le cycle de vie. Elle devrait par ailleurs être interpellée à différentes étapes de la conception d’un projet avec des recommandations pour l’optimiser. Par ailleurs, il est également pertinent de développer l’expertise de la fonction publique dans l’analyse du coût sur le cycle de vie comme celle-ci est plus complexe que celle nécessaire pour l’octroi des contrats en fonction du plus bas soumissionnaire.
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3) Il serait nécessaire d’examiner la possibilité d’adopter des mesures permettant d’assurer le contrôle et la transparence du gouvernement en matière de dépense d’acquisition et de maintien d’actifs, en se basant sur les meilleures pratiques au Canada comme à l’international.
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Thématique 4: Financement Comme il en a été question dans l’introduction, Force Jeunesse croit qu’il est crucial de lutter contre les changements climatiques en vue de favoriser l’équité intergénérationnelle. Cette préoccupation a incité Force Jeunesse à commander une recherche en mai 2019 afin de mieux comprendre comment améliorer la tarification du carbone et la gestion du Fonds Vert. Cette dernière a été réalisée par un professeur de science politique de l’Université Laval, dont l’expertise touche entre autres les politiques climatiques. En résumé, cette recherche permet de constater que la tarification du carbone est une mesure nécessaire pour atteindre nos cibles de réduction de GES, mais qu’elle n’est pas suffisante et doit alors être combinée à d’autres stratégies. Après s’être penchée sur les cibles de prix du carbone à atteindre au Québec et au Canada selon des organisations nationales et internationales, cette recherche entreprend une réflexion sur à la manière d’atteindre des prix plus élevés et un meilleur contrôle des émissions dans un système de bourse du carbone. En d’autres termes, cette recherche porte sur les questions suivantes concernant le financement de la transition énergétique :
● Identifier les qualités du système de tarification du carbone existant au Québec et proposer des améliorations à la bourse du carbone.
● Proposer des améliorations concernant la gestion du Fonds Vert. ● Réfléchir aux manières d’utilisation les revenus tirés de la tarification du carbone pour
favoriser la transition énergétique. Plus précisément, la réflexion doit permettre :
- D’identifier, de revoir ou de créer des mécanismes et des instruments financiers adéquats (tels que la fiscalité) afin d’assurer le financement de la transition climatique;
- De réfléchir sur les outils de financement existants ainsi que sur des outils complémentaires qui pourraient être développés ;
- De bien discerner le rôle que doit jouer le gouvernement par rapport au secteur privé et d’assurer la complémentarité des actions financières publiques et privées.
Certaines des recommandations issues de cette recherche sont pertinentes pour la consultation. Force Jeunesse propose les recommandations suivantes. Recommandation 1. Il importe de réviser à la hausse le prix du carbone. Recommandation 2. Évaluer la possibilité de rendre conditionnelle l’allocation gratuite de permis d’émissions dans le marché du carbone aux industries, telles que les industries pétrolières et gazières, qui ne composeront pas l’économie verte des prochaines décennies. Recommandation 3 : Que le Québec se dote de cibles claires de réductions de GES pour 2030 et 2050, et que celles-ci soient conséquentes avec les cibles du GIEC, soit une réduction de 45% en 2030 par rapport au niveau de 2010 et des émissions zéro net en 2050. Recommandation 4 : Que lors du prochain inventaire d’émissions de GES de la province, une évaluation soit faite pour savoir dans quelle mesure le plafond annuel d’émissions diminue à un rythme adéquat, par rapport aux cibles de l’Accord de Paris et par rapport aux cibles du
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GIEC. En cas ou ce deuxième objectif n’est pas en voie d’être atteint, le gouvernement doit veiller à ce que le plafond diminue plus rapidement. Recommandation 5 : Que le Québec s’assure d’utiliser les fonds générés par la tarification du carbone pour décupler la réduction de GES visant la décarbonisation. Pour ce faire, une estimation du coût par tonne de CO 2 diminué doit être faite pour chaque dépense du fonds. Recommandation 6 : Qu’une agence indépendante forte, libre d’ingérence politique, soit créée afin de gérer les revenus de la tarification du carbone. Ceci implique que le gouvernement revienne sur sa décision et que le Fonds vert et Transition Énergétique Québec soient tous deux rapatriés sous cette nouvelle agence.
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Le rôle indispensable de ce gouvernement Finalement, nous aimerions souligner un point essentiel que nous pouvons plus ou moins aborder à travers les questions de cette consultation et qui porte sur le rôle et la responsabilité indispensable que doit assumer ce gouvernement afin de limiter les changements climatiques, d’autant plus qu’il s’agisse d’un gouvernement avec une forte majorité. De nombreux citoyens et organisations ont déjà entrepris des changements de comportements pour diminuer leur empreinte carbone. Certaines municipalités ont aussi emboîté le pas en prenant des décisions difficiles en termes d’aménagement du territoire et de financement des transports en commun. Toutefois, sans un message clair envoyé par le gouvernement, nous croyons que ces initiatives resteront individuelles et se limiteront à ceux qui sont déjà sensibilisés et qui somme toute, ont déjà adopté un mode de vie plus durable. Il y a un coût à changer ses pratiques. La majorité des citoyens et des entreprises ne seront pas prêts de s’en acquitter tant qu’il n’y aura pas d’incitatifs assez forts pour le faire. Le premier des coûts est celui de l’effort qu’implique de changer son comportement, puis il y a une question de coût en termes de temps et surtout, un coût financier. Il est important que le gouvernement agisse sur ces différents plans pour initier une réduction significative d’émission de GES. Pour ce faire, le gouvernement ne doit pas seulement adopter un PEEC audacieux qui vise d’abord des actions significatives sur le plan environnemental, il doit aussi s’assurer de la cohérence de ce plan avec l’ensemble de ces décisions en matière d’aménagement du territoire, d'investissements et d’actions posés dans le cadre de son mandat. Un changement de normes sociales passe entre autres par la cohérence des actions posées par le gouvernement et par les divers incitatifs proposées par ce dernier. Finalement, pour atteindre les cibles de réduction des émissions de GES de 2030, les incitatifs fiscaux, les campagnes de sensibilisation et des mesures individuelles visant les citoyens seront insuffisants. L’échec de l’atteinte des cibles n’est pas une vague possibilité, c’est presque une certitude. Nous croyons que des mesures structurantes, et dans une certaine mesure, drastiques, seront nécessaires afin de parvenir à atteindre ces cibles. À cet effet, nous ne sommes pas les experts qui peuvent suggérer au gouvernement quelles devraient être ces mesures, mais nous sommes convaincus que de nombreux scientifiques et organisations environnementales rigoureuses se consacrent très activement à conseiller le gouvernement en la matière. Force Jeunesse souhaite que ce gouvernement écoute les scientifiques et les experts des changements climatiques qui participeront aux diverses activités de consultations et que le PEEC reflète réellement les recommandations de ces groupes.
La tarification du carbone et l’utilisation de ses revenus
Rapport Final pour Force Jeunesse
Juillet 2019
Alexandre Gajevic Sayegh
Professeur Adjoint
Département de Science Politique
Université Laval
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Table des matières
RÉSUMÉ 3
RÉSUMÉ DES RECOMMANDATIONS 4
INTRODUCTION 6
1. LA TARIFICATION DU CARBONE 9
1.1 MYTHES ET RÉALITÉS 9 1.2 UNE MESURE NÉCESSAIRE MAIS PAS SUFFISANTE 11 1.3 LA COUVERTURE ET LE PRIX : D’AUJOURD’HUI À L’ATTEINTE DES CIBLES 14 1.4 LA QUESTION DE L’ACCEPTABILITÉ POLITIQUE 17
2. L’UTILISATION DES REVENUES 19
2.1 COMMENT LES REVENUS DE LA TARIFICATION DU CARBONE SONT UTILISÉS AU CANADA 19 2.2 LE QUÉBEC, LE WCI ET LES REVENUS DU CARBONE 23 2.3 LE QUÉBEC, L’ATTEINTE DES CIBLES ET LA GESTION DES FONDS 26 2.4 QUELLES SONT LES PRINCIPALES OPTIONS DISPONIBLES AU CANADA POUR L’UTILISATION DES REVENUS 30
CONCLUSION 36
BIBLIOGRAPHIE 37
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Résumé
Dans les prochains 18 à 24 mois, les décideurs politiques et économiques ont l’obligation de
s’assurer que le combat contre les changements climatique n’est pas perdu. Par conséquent, ils ont
l’obligation de donner un signal clair pour la transition énergétique durant cette période, incluant
un support accru à la tarification du carbone. Ce rapport présente, dans une première partie, la
tarification du carbone comme un des principaux instruments de la lutte contre le réchauffement
climatique, en insistant sur son articulation au Québec et au Canada. Ce rapport vise à être une
source pour mieux comprendre l’impact de la tarification du carbone sur les émissions de GES,
l’emploi et le budget des ménages. Dans une deuxième partie, il passe en revue les principales
avenues pour l’utilisation des revenus de la tarification du carbone. Ici, il mettra l’accent sur
l’utilisation optimale des revenus selon les contextes politiques, notamment au Québec. En
conclusion, ce rapport insistera sur la responsabilité morale des provinces et du gouvernement
fédéral dans le contexte du fédéralisme canadien.
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Résumé des recommandations
Recommandation 1 : Les juridictions ayant en place une taxe carbone, incluant le
système fédéral de tarification du carbone, doivent réviser à la hausse le prix du
carbone après 2022 de 10$ par année jusqu’en 2030.
Recommandation 2 : La réflexion portant sur l’utilisation des revenus de la
tarification du carbone et sur les mesures supplémentaires requises pour la lutte
contre les changements climatiques doit se faire en amont, afin d’éviter le problème
« d’addition ».
Recommandation 3 : Une collaboration accrue entre les gouvernements et le secteur
privé doit avoir lieu afin de favoriser la création d’emplois durables et un
acheminement soutenu des investissements dans les industries fossiles (incluant les
fonds de pension canadiens) vers des énergies, infrastructures et technologies
durables.
Recommandation 4 : Évaluer la possibilité de rendre conditionnelle l’allocation
gratuite de permis d’émissions aux industries, telles que les industries pétrolières et
gazières, qui ne composeront pas l’économie verte des prochaines décennies.
Recommandation 5 : Que le Québec se dote de cibles claires de réductions de GES
pour 2030 et 2050, et que celles-ci soient conséquentes avec les cibles du GIEC, soit
une réduction de 45% en 2030 par rapport au niveau de 2010 et des émissions zéro
net en 2050.
Recommandation 6 : Que lors du prochain inventaire d’émissions de GES de la
province, une évaluation soit faite pour savoir dans quelle mesure le plafond annuel
d’émissions diminue à un rythme adéquat, par rapport aux cibles de l’Accord de
Paris et par rapport aux cibles du GIEC. En cas où ce deuxième objectif n’est pas en
voie d’être atteint, le gouvernement doit veiller à ce que le plafond diminue plus
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rapidement, visant particulièrement le secteur des transports.
Recommandation 7 : Que le Québec s’assure d’utiliser les fonds générés par la
tarification du carbone pour décupler la réduction de GES visant la décarbonisation.
Pour ce faire, une estimation du coût par tonne de CO2e coupée doit être faite pour
chaque dépense du fonds.
Recommandation 8 : Qu’une agence indépendante forte, libre d’ingérence politique,
soit créée afin de gérer les revenus de la tarification du carbone. Ceci implique que le
gouvernement revienne sur sa décision et que le Fonds vert et Transition Énergétique
Québec soient tous deux rapatriés sous cette nouvelle agence.
Recommandation 9. La prise en charge des employés des industries fossiles est une
priorité politique, économique et environnementale. Il est souhaitable que de
nouvelles opportunités de formation et transition d’emploi soient offertes aux
travailleurs de l’ouest. Des programmes de formation et soutien (salaires,
déménagement) aux travailleurs qui transigeront vers les secteurs renouvelables
pourront également combiner équité économique, réduction de GES et acceptabilité
politique.
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Introduction
Les effets des changements climatiques se font sentir au Canada comme ailleurs. Feux de forêts,
inondations, canicules, monté des eaux : les canadiens et canadiennes ressentent déjà les effets du
réchauffement planétaire. Alors que plusieurs communautés doivent s’adapter à ces
bouleversements, de nombreuses mesures doivent être entreprises pour minimiser l’ampleur du
problème, afin de donner à toute la population la chance de s’adapter à un climat différent mais
vivable dans le futur.
Les moyens devant être mis en place pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) et
combattre les changements climatiques sont différentes natures. Des plafonds pour les émissions
de méthane, des standards d’éco-efficience énergétique et la réduction du gaspillage alimentaire
sont des exemples de mesures qui permettront une réduction considérable des émissions de GES.
À de telles mesures, s’ajoute un élément central de la lutte contre les changements climatiques : la
tarification du carbone.
La tarification du carbone offre un incitatif aux ménages et industries pour la transition vers une
économie verte. La tarification a pour objectif de modifier les comportements : lorsque les
commodités intensives en carbone deviennent plus chères, les agents trouveront les moyens pour
trouver des alternatives, réduire leurs utilisations ou les utiliser de manière plus efficace
(Kameyama and Kawamoto 2016).
Il est aujourd’hui nécessaire de mettre un prix sur le carbone afin d’orienter l’ensemble de
l’économie vers une production, et une consommation, plus vertes. Tant qu’il sera gratuit de
polluer, les agents économiques auront peu d’incitatifs à réduire leurs émissions. Dans les
prochains 18 à 24 mois, les décideurs politiques et économiques ont l’obligation de s’assurer que
le combat contre les changements climatique n’est pas perdu. Par conséquent, ils ont l’obligation
de donner un signal clair pour la transition énergétique durant cette période, incluant un support
accru à la tarification du carbone.
Les deux principaux instruments pour la tarification du carbone sont (Stiglitz 2006; Weitzman
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2013) : la taxe carbone (également appeler dans certains contextes les ‘leviers et dividendes’ du
carbone, présentement en place en Colombie-Britannique) et le système de plafonnement et
d’échange (aussi connu comme ‘cap-and-trade’ ou ‘bourse du carbone', en vigueur au Québec).
Ces deux systèmes ont trois caractéristiques communes. D’abord, ils sont efficaces
économiquement, car ils permettent de réduire les émissions à bas coûts (Bowen 2011; Olmstead
and Stavins 2010). Ensuite, ils sont efficaces administrativement, car ils ne requièrent pas une
vérification centrale permanente (Aldy and Stavins 2011). Enfin, ils génèrent des revenus, qui
peuvent être utilisés de nombreuses manières (Carattini et al. 2017; Klenert et al. 2018).
Bien que la tarification du carbone soit mise de l’avant comme instrument permettant la réduction
des gaz à effet de serre (GES) depuis les années 70, c’est surtout depuis les années 2000 que de
grandes juridictions ont implémenté de tels systèmes, comme l’Union Européenne (avec le
« European Union Emissions Trading System » – EU ETS), des états du nord-est aux États-Unis
(avec le « Regional Greenhouse Gas Initiative » – RGGI), le Québec et la Californie (avec le
« Western Climate Initiative » – WCI), la Colombie-Britannique et la Suède. En Australie et en
Alberta, des systèmes de tarification du carbone ont été mis en place puis interrompus. À partir de
ces diverses expériences avec la tarification du carbone, il est possible de dresser un portrait
rigoureux pour son implémentation optimale. Bien que ces exemples internationaux nous
fournissent des leçons importantes, ce rapport se concentrera sur les cas du Québec et du Canada.
L’implémentation optimale de la tarification du carbone est donnée (a) par le choix du type
d’instrument (levier et dividende vs. système de plafonnement et d’échange), en incluant la
manière selon laquelle cet instrument sera sensible aux industries vulnérables, ainsi que (b) par
l’utilisation des revenus, qui permet notamment de répondre aux priorités des provinces en termes
d’investissements.
Ce rapport répond à la question suivante : comment devrait-on distribuer les revenus générés par
la tarification du carbone au Québec et au Canada ? Par exemple, devrait-on les distribuer
directement aux citoyens ou les utiliser pour faciliter la transition énergétique ? Quels principes
devraient orienter l’utilisation des fonds générés par la tarification du carbone au Québec ?
Comment s’assurer que ces fonds favorisent la transition énergétique à long terme et assurent
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l’équité intergénérationnelle ?
Ces questions soulèvent des questions plus précises telles que : comment le Fonds vert du Québec,
maintenant le Fonds d’électrification et changements climatiques, peut-il être amélioré d’un point
de vue des politiques publiques et comment augmenter le prix des crédits de carbone dans un
marché d’échanges et de plafonnement?
Ce rapport montrera notamment qu’il est important de tirer des leçons des sciences
comportementales et de la science politique afin de déterminer l’utilisation optimale des revenus
selon les contextes politiques, notamment au Québec et Canada. La confiance aux institutions, les
indices de corruption et l’importance des industries fossiles dans une juridiction sont tous des
facteurs devant être pris en compte lors de l’implémentation de la tarification du carbone. En
d’autres mots, ce qui vaut pour le Québec d’aujourd’hui ne vaut pas nécessairement pour l’Alberta.
Dans les deux cas, des études récentes nous montrent comment modéliser la tarification du carbone
afin d’accroître le soutien politique pour cette mesure dans ces différents contextes politiques
(Baranzini et al. 2014; Carattini et al. 2017; Rafaty 2018). De plus, ce rapport montrera que le
Québec jouit d’un contexte politique favorable pour exploiter au mieux la tarification du carbone
afin d’assurer une transition profonde vers une économie verte ainsi que de favoriser l’équité
intergénérationnelle.
Ce rapport présente, dans une première partie, la tarification du carbone comme un des principaux
instruments de la lutte contre le réchauffement climatique, en insistant sur son articulation au
Québec et au Canada. Ce rapport vise à être une source pour mieux comprendre l’impact de la
tarification du carbone sur les émissions de GES, l’emploi et le budget des ménages. Dans une
deuxième partie, il passe en revue les principales avenues pour l’utilisation des revenus de la
tarification du carbone. Ici, il mettra l’accent sur l’utilisation optimale des revenus selon les
contextes politiques, notamment au Québec. En conclusion, ce rapport insistera sur la
responsabilité morale des provinces et du gouvernement fédéral dans le contexte du fédéralisme
canadien.
À noter, l’équité intergénérationnelle – entendue comme l’idée que des générations futures ont des
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intérêts, voire des droits, impliquant dès lors des devoirs pour les générations présentes – a été
objet d’un profond débat philosophique (Gardiner et al. 2010; Vanderheiden 2009). Ce rapport
intègre la conclusion voulant que des générations présentes ont la capacité d’imposer une
distribution particulièrement injuste des coûts et bénéfices environnementaux sur les générations
futures. Ce conflit intergénérationnel, particulièrement dans le contexte des changements
climatiques, n’implique pas seulement un conflit entre personnes vivantes et des personnes
toujours pas nées. Il implique également un conflit opposant, d’une part, des décideurs politiques
et leaders économiques en position d’autorité aujourd’hui à, d’autre part, des générations plus
jeunes, mais bien vivantes, qui subiront les effets d’un climat altéré. Autrement dit, les générations
présentes, et particulièrement les décideurs politiques d’aujourd’hui, ont un devoir moral de ne pas
favoriser des politiques qui imposent un fardeau injuste sur les (et notamment qui ne violent pas
les intérêts ou droits des) plus jeunes et générations futures.
1. La Tarification du carbone
Le débat sur la tarification du carbone a besoin de clarté, surtout en considérant qu’il s’agit
actuellement d’un enjeu dans le cadre des élections fédérales 2019. Une meilleure compréhension
de l’impact de la tarification du carbone sur les émissions de GES, l’emploi et le budget des
ménages favorisera le débat politique.
1.1 Mythes et réalités
Des mythes au sujet de la tarification du carbone nuisent à la qualité du débat, à un moment où
cette mesure est érigée en enjeu électoral tant au niveau fédéral que dans différentes provinces.
L’opinion publique est notamment influencée par la communication politique autour de cette
question.
Cette médiatisation et présence électorale indiquent que les récents progrès en matière de
tarification du carbone ne sont pas garantis politiquement au Canada. Ce rapport passe en revue et
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insiste sur l’importance d’une bonne conception de ces mécanismes, offrant des recommandations
précises, tant pour la conception des outils que pour la communication politique de l’enjeu.
Différents acteurs et gouvernements devront insister sur la distribution des coûts et des bénéfices
découlant de la tarification du carbone. Ce rapport propose donc une approche pour effectuer cette
distribution de manière optimale, à la fois pour assurer une transition juste vers une économie plus
verte, ainsi que pour obtenir le soutien de la population ce faisant.
La Commission de l’Écofiscalité du Canada (CEC) a publié en Mars 2019 un rapport sur 10 mythes
à déboulonner sur la tarification du carbone (CEC 2019). Le rapport conclut que les systèmes au
Canada sont bien conçus et n’auront pas d’impacts négatifs sur l’économie au pays. Cela est
attribuable à la conception même de ces outils. Le débat sur la tarification doit être basé sur des
faits et la population doit avoir une discussion honnête sur le sujet. Ce n’est qu’en dépassant les
mythes que ce débat peut avoir lieu.
Deux mythes en particulier méritent d’être renversés d’entrée de jeu. D’abord, il est faux de dire
que la tarification du carbone coûtera nécessairement cher aux familles Canadiennes. Les
redevances de la tarification seront supérieures à son coût pour 70% des familles dont les provinces
seront soumises au plan fédéral (la solution « filet de sécurité »). Seulement 20% des ménages les
plus riches payeront plus que ce qu’ils recevront en retour. En effet, si les outils sont bien conçus,
la tarification du carbone n’imposera pas nécessairement un fardeau aux ménages (Rausch et al.
2011). Le plan fédéral contient également d’autres mesures afin de s’assurer que des grandes
familles, des familles monoparentales et des familles en milieu ruraux reçoivent des retours un peu
plus grands en comparaison, afin qu’elles ne soient pas disproportionnellement affectées (Canada
2018). En tout, 89-90% de l’argent amassé sera retourné aux familles avec le plan fédéral. Les
questions d’équité doivent être une des considérations guidant la tarification du carbone (Beck et
al. 2015; Dissou and Siddiqui 2014; Goulder et al. 2018). L’équité est au cœur du plan fédéral
actuel ainsi que du système en place en Colombie-Britannique depuis 2008.
En guise de précision, il est important de noter que les foyers à revenus moyens et bas dépensent
une plus grande proportion de leurs revenus en énergies fossiles, tandis que les ménages les plus
riches dépensent plus en énergies fossiles dans l’absolu (CEC 2016; Klenert and Mattauch 2016;
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Wang 2016). Avec le plan Canadien, vu que toutes les familles reçoivent le même retour, les rabais
couvriront plus que le coût initial de la tarification du carbone pour les foyers à revenus moyens
et bas.
Le deuxième mythe qu’il est important de désamorcer est que la tarification du carbone affectera
négativement l’emploi au Canada. La tarification aura à la fois des effets positifs et négatifs qui
s’annuleront mutuellement.
Au Québec, entre 2015 et 2018, le Québec a connu une croissance de l’emploi pendant quatre
années consécutives, période pendant laquelle la tarification de carbone a été en vigueur
(GouvQuébec 2019). Les études conduites en Colombie-Britannique indiquent une augmentation
de 2% de l’emploi entre 2008 et 2013 avec l’introduction de la taxe carbone. Parmi ceux et celles
qui ont perdu leur emploi dans les secteurs des énergies fossiles, bon nombre les a retrouvés dans
les secteurs de services tels que la santé (Yamazaki 2017). Les études subséquentes montrent,
d’une part, aucun changement au niveau de l’emploi (Azevedo et al. 2018) et enfin une étude a
montré que les travailleurs les moins éduqués étaient les plus affectés (Yip 2018). D’autres études
montrent que la tarification du carbone n’a pas affecté l’emploi aux États-Unis ou au Royaume-
Uni (Hafstead et al. 2018; Hafstead 2018; Martin et al. 2014; Taylor 2015), bien que le prix du
carbone n’était pas suffisamment élevé dans ces juridictions.
Il est donc raisonnable de croire qu’avec de la volonté et de la collaboration politique, la tarification
du carbone peut être implémentée profondément, tout en assurant l’équité et l’emploi. Ce rapport
fera plus bas des recommandations concernant l’emploi et la compétitivité. Les options pour
compenser les travailleurs et industries les plus vulnérables doivent jouer un rôle catalyseur lors
de la mise en place d’outils de tarification du carbone, notamment afin de s’assurer que ces emplois
ne migrent pas vers des juridictions avec moins de régulations environnementales.
1.2 Une mesure nécessaire mais pas suffisante
La tarification du carbone à elle seule ne permettra pas de résoudre la crise climatique. Comme
mentionné, des plafonds pour les émissions de méthane, des standards d’éco-efficience
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énergétique et la réduction du gaspillage alimentaire permettront une réduction considérable des
émissions de GES, de manière complémentaire, mais plus directe que la tarification du carbone
(Hawken 2017; IPCC 2018).
Ces différentes mesures créeront différentes synergies. Tandis que la tarification du carbone visera
d’avantages les secteurs de l’industrie, de l’énergie et du transport, en incluant les industries
lourdes et les industries fossiles, les mesures sur le gaspillage alimentaire viseront les producteurs,
supermarchés, restaurants et ménages. La reforestation permettra d'accroître nos puits de carbone
(nos réservoirs, comme les forêts, qui absorbent le dioxyde de carbone dans l’atmosphère) et visera
des secteurs liés à la foresterie. Ces synergies complémentaires sont nécessaires à la lutte contre
les changements climatiques. Or, aucune mesure n’est à elle seule suffisante.
La tarification du carbone doit donc être abordée comme une condition nécessaire mais non
suffisante dans la lutte contre les changements climatiques. En ce sens, la tarification du carbone
ne doit pas être vue comme une solution miracle. Il est important que cette mesure ne devienne
pas un Cheval de Troie, comme dans les premières phases d’implémentation du EU ETS, lorsque
le marché du carbone a été en partie façonné pour accommoder les pollueurs (Markard and
Rosenbloomb 2019). Mais il est également important qu’elle ne soit pas présentée comme une
licorne magique, une mesure suffisante (Baker III 2017). Le prix sur les émissions de GES ne sera
pas pour longtemps, et ne sera peut-être jamais, assez élevée pour assurer à lui seul les réductions
de GES nécessaires, essentiellement pour des raisons d’acceptabilité politique. La taxe carbone ou
les systèmes de plafonnement et d’échange sont plutôt des ânes travaillants. Les ânes font un travail
lourd, ne sont pas très populaires, mais ne demandent pas beaucoup d’entretien et sont nécessaires
au bon fonctionnement de la ferme.
La tarification du carbone accompli un travail de profondeur qui touche plusieurs secteurs de
l’économie. C’est un travail nécessaire, qui donne un signal important, tout en fonctionnant en
arrière-plan. Cette mesure importante n’est pas une solution miracle, mais doit être en place
longtemps, afin d’accomplir la lourde tâche de changer les comportements économiques, tout en
demandant peu d’entretien. Leur manque de popularité apparent sera traité en profondeur dans ce
rapport.
13
En d’autres termes, s’il est impossible de savoir aujourd’hui que l’on a gagné le combat contre les
changements climatiques, il est primordial de s’assurer qu’il n’est pas perdu. Or, ce combat peut
être perdu dans les deux prochaines années. En 2018, le GIEC a rapporté que pour limiter
l’augmentation de la température à 1.5˚C, les émissions de GES doivent être coupées de 45% en
2030 par rapport au niveau de 2010 (IPCC 2018). Ceci implique qu’en 2020, l’économie mondiale
doit montrer des signaux très clairs qu’elle a emprunté cette voie. À plus long terme, l’objectif est
d’atteindre le ‘zéro net’ d’émissions de GES en 2050, toujours selon le GIEC. Appelons celle-ci
la « cible zéro net ». Cette cible explique les étapes intermédiaires de 2020 et 2030. Le changement
est d’une telle ampleur que l’atteinte des cibles intermédiaires se dresse autant en impératif que
l’atteinte des cibles finales.
La campagne « Mission 2020 » des Nations-Unies abonde en ce sens : si en 2020 les émissions
globales n’atteignent pas un sommet et si l’économie mondiale n’a pas donné un clair signal
qu’elle a tourné le dos aux énergies fossiles et à la déforestation, le combat contre les changements
climatiques sera perdu, au sens où il sera très peu probable, voire impossible, de maintenir le
réchauffement planétaire à moins de 1.5˚C. Cette probabilité est alarmante. Ce signal clair doit
donc être donné et entendu dans les prochains mois, notamment lors des élections fédérales au
Canada en 2019 et aux États-Unis en 2020. Comme mentionné, dans les prochains 18 à 24 mois,
les décideurs politiques et économiques ont l’obligation de s’assurer que le combat contre les
changements climatique n’est pas perdu. Un signal clair pour la transition énergétique doit être
envoyé durant cette période, ce qui inclut un support accru à la tarification du carbone.
La société a l’obligation de ne pas perdre ce combat pour la jeunesse d’aujourd’hui et pour les
générations futures. En ce sens, pour que le Canada démontre qu’il est dans la bonne voie, la
tarification du carbone doit être fermement en place dans le pays. L’élection de 2019 pourrait alors
révéler à la population si le combat est perdu ou pas. L’enjeu climatique dans des élections
fédérales canadiennes n’a jamais eu autant d’importance.
14
De plus, notons que si des sociétés parmi les plus riches du monde comme le Québec et le Canada
s'emboîtent pas sérieusement le pas de la lutte aux changements climatiques, elles risquent de
miner la motivation d’autres grands émetteurs moins nantis qui cherchent à le faire.
Finalement, il est important de mentionner que si la tarification du carbone, dans un premier temps,
ne suffit pas à atteindre les cibles de réductions de GES, elle permet d’arrêter leur croissance.
Même un bas tarif permet d’arrêter la croissance de GES (Murray and Rivers 2015). Arrêter la
croissance des émissions constitue un premier pas, une étape qui aurait déjà dû être franchi il y a
plusieurs années, à travers le monde. Pour des provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan, ce
premier pas est encore à emboîter.
L’exemple de la Colombie-Britannique nous permet d’observer en quoi consiste ce travail
d’arrière-plan. Depuis 2008, le prix de la taxe carbone est passé de $10 la tonne à $35 dix ans plus
tard. Durant cette période, la consommation d’essence et de gaz naturel a diminué de 7% (Lawley
and Thivierge 2016; Xiang and Lawley 2018). Plus globalement dans la province, entre 2009 et
2016, l’économie a cru de 20% alors que les émissions ont augmenté de 7% (StatsCan 2019a;
StatsCan 2019b). La tarification du carbone a ralenti l’augmentation des émissions dans un
contexte de croissance économique (Murray and Rivers 2015). Le ralentissement de la croissance
des émissions est le premier pas pour leur diminution. Les résultats initiaux peuvent être
encourageants. Or, il est à noter que la tarification du carbone fonctionne mieux à long terme, car
elle encourage également l’innovation (Dechezleprêtre and Sato 2014; Popp 2016). Ces
innovations ont d’une part un effet cumulatif, et d’autre part permettent de trouver des manières
de couper les émissions à bas coûts.
1.3 La couverture et le prix : d’aujourd’hui à l’atteinte des cibles
À travers le monde, 46 gouvernements ont mis en place un système de tarification du carbone,
couvrant 20% des émissions annuelles globales de GES. Sachant que la tarification du carbone est
un outil qui nous permet d'accroître progressivement des objectifs de réduction de GES selon ce
qu’il est possible de faire dans un contexte politique donné, une idée centrale véhiculée dans ce
15
rapport est de viser le point optimal entre réductions des GES et faisabilité politique, afin de
donner le meilleur signal possible aux différents acteurs économiques concernés.
Afin de favoriser l’innovation, il est préférable d’implémenter la tarification avec un prix initial
assez élevé, qui augmentera progressivement (3–5% annuellement par exemple). Il est aussi
possible de commencer avec un prix peu élevé, et de l’augmenter à un plus grand taux, comme
dans le plan pancanadien, qui commence avec un prix de $20 la tonne en l’augmentant à $10 par
année. Le plan fédéral actuel imposera un prix initial de $20 la tonne, qui augmentera de $10 par
année pour atteindre $50 en 2022.
Le prix initial est important, tout comme le soutien politique afin de s’assurer que cette politique
soit en place à long terme. Cette question sera clarifiée, notamment dans la deuxième partie de ce
rapport. Regardons maintenant quatre estimations différentes quant au prix du carbone.
D’abord, selon le Carbon Price Leadership Coalition (CPLC), un prix de US$40-80 par tonne de
CO2 en 2020 et de US$50-100 en 2030 est requis pour atteindre les cibles de l’Accord de Paris
(CPLC 2016). Puisque seulement 20% des émissions globales sont couvertes par la tarification
du carbone et que dans la plupart des cas, le prix de la tonne de carbone est inférieur à US$40,
l’expansion de la couverture ainsi que l’augmentation du prix de la tonne dépendront d’un soutien
politique accru.
Le modèle DICE de Stern et Dietz de 2012 demandait plutôt un prix de US$32-103/t CO2 pour
2015, soit plus tôt que le CPLC, afin d’atteindre des cibles de réductions de GES nous permettant
de limiter le réchauffement planétaire à 2˚C (Dietz and Stern 2015). Ces différences de prix – entre
les modèles – peuvent être expliquées notamment par le fait que les objectifs fondamentaux
diffèrent. Il est important de noter que les cibles de l’Accord de Paris ne permettront pas de limiter
le réchauffement à 2˚C. Les écarts – à l’intérieur de chacun de ces modèles – sont explicables par
d’autres mesures pouvant être en place dans différentes juridictions, qui peuvent alors demander
un plus bas prix pour le carbone.
Regardons de plus près le cas canadien (illustré par la Figure 1).
16
Figure 1 : Projection pour la réduction de GES au Canada.
Source : EnvCan 2018 – Canadian Environmental Sustainability Indicators
Les cibles de réduction de GES dans le cadre de l’Accord de Paris sont, d’ici 2030, de 30% par
rapport au niveau de 2005. Ceci implique de ramener les émissions canadiennes à 517 mégatonnes
(Mt) de CO2e. Le gouvernement fédéral a récemment reconnu qu’avec le plan actuel en place –
incluant un prix sur le carbone à travers le pays – les émissions seront de 583 Mt en 2030. Cet
écart est important et, qui plus est, ne suffit pas pour placer les émissions nationales sur la
trajectoire pour atteindre la « cible zéro net ». Au fédéral, le prix du carbone est de $20 cette année
et montera jusqu’à $50 en 2022. En Colombie-Britannique, le prix est de $40. En Alberta il était
de $30. Au Québec il est de $23.
Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a donc estimé qu’il faudrait augmenter le prix
sur le carbone. Il recommande un prix de $50 en 2022, qui devrait augmenter jusqu’à atteindre
$102 en 2030. Cette taxe devrait s’appliquer à toutes les provinces n’ayant pas mis un prix sur le
carbone et n’ayant pas un plan de lutte contre les changements climatiques jugé suffisant. Une taxe
de $102 représente une augmentation de 0,23$ par litre d’essence.
17
Aussi, il faut noter une autre variante concernant les écarts et évolution du prix du carbone : la
croissance économique. Si le produit intérieur brut (PIB) du Canada devait croître plus rapidement
que prévu, et que cette croissance économique entraînait une croissance supplémentaire
d’émissions de GES, alors la taxe carbone devra être en conséquence plus élevé, et devrait atteindre
plutôt 138$ la tonne, estime le DPB.
Quatrièmement, le GIEC a estimé que le prix de la tonne de CO2 devrait être de $184 en 2030 afin
de mettre l’économie dans la bonne voie. Ce prix est bien supérieur à celui que prévoit mettre en
place le Canada. Ce prix pour la tonne du carbone est celui qui est conséquent pour atteindre la
« cible zéro net » vue plus haut.
Autrement dit, les plans mis en place par le Canada ne seront pas suffisants pour atteindre les cibles
de Paris, le prix de la taxe carbone doit être plus élevé pour que ces cibles soient atteintes, et ces
cibles ne seront pas suffisantes pour mettre le pays sur la voie d’atteindre la « cible zéro net ».
Comment procéder? Avec la tarification du carbone, la réponse est : par étapes.
Recommandation 1 : suivant la recommandation 1, les juridictions ayant en place une
taxe carbone, incluant le système fédéral de tarification du carbone, doivent réviser à
la hausse le prix du carbone après 2022.
Il sera primordial de trouver le point optimal entre le prix le plus élevé possible de la tarification
du carbone, le prix qui sera acceptable par la population et le prix qui n’aura pas de répercussions
économiques négatives. Ce prix élevé est plus important pour la taxe carbone que pour le marché
du carbone, car pour ce dernier le nombre (ou le cap) de permis émis importe plus que le prix des
émissions (ce qui sera clarifié plus bas). L’acceptabilité politique et les répercussions économiques
sont deux problèmes distincts, et seront l’objet de recommandations dans la deuxième partie de ce
rapport.
1.4 La question de l’acceptabilité politique
La tarification du carbone peut réduire les émissions de GES et le faire d’une manière équitable.
18
Par contre, un support politique ferme est nécessaire afin que cette mesure soit implémentée et
qu’elle soit maintenue à long terme. “Lessons about equity and efficiency from traditional
economic analyses are of little value if carbon pricing cannot be implemented” (Klenert et al.
2018). Des leçons des sciences comportementales et de la science politique sont cruciales dans le
processus visant à déterminer l’utilisation optimale des revenus selon les contextes politiques,
notamment au Québec et Canada. La confiance envers les institutions, les indices de corruption et
l’importance des industries fossiles dans une juridiction sont tous des facteurs devant être pris en
compte lors de l’implémentation de la tarification du carbone, ce qui sera exploré en deuxième
partie (Carattini et al. 2017; Klenert et al. 2018). Des études récentes nous montrent comment
modéliser la tarification du carbone afin d'accroître le soutien politique pour cette mesure dans
différents contextes politiques.
Ce rapport donnera priorité à la notion d’acceptabilité politique. Les notions d’équité et de
réduction de GES peuvent être vues comme secondaires à l’acceptabilité politique. Par contre,
cette prise de position n’empêche pas que l’équité et la réduction de GES contribuent à
l’acceptabilité politique de la tarification du carbone. En effet, dans certains contextes, ce sont
précisément ces considérations qui permettent d'accroître l’acceptabilité politique de la
tarification du carbone. La prise de position en faveur d’une priorité à l’acceptabilité politique
implique que les considérations d’équité ou de réduction de GES seront écartées lorsqu’elles
minent à l’acceptabilité politique. Autrement, elles seront considérées dans la détermination de la
distribution optimale des revenus.
En particulier, nous verrons que le Québec jouit d’un contexte politique favorable pour exploiter
au mieux la tarification du carbone afin d’assurer une transition profonde vers une économie verte,
ainsi que de favoriser l’équité intergénérationnelle. Cela peut être expliqué notamment par la faible
présence d’industries fossiles dans la province, ainsi que par une croyance forte au phénomène des
changements climatiques (Lachapelle et al. 2012). Les contrastes et similitudes entre le cas du
Québec et celui des autres provinces éclaireront grandement le débat sur la tarification du carbone
au Canada. Ce rapport soulignera les questions de l’acceptabilité politique, de la forme de
tarification choisie (taxe vs marché du carbone) et des principales industries des différentes
provinces, afin de déterminer la distribution optimale des fonds de provenant de la tarification.
19
Une grille d’analyse basé sur trois variables – l’acceptabilité politique, l’équité économique et la
réduction des GES – sera proposée afin de cibler les principales mesures qui permettront de trouver
une intersection optimale pour l’utilisation de revenus au Québec et au Canada. Alors que l’équité
intergénérationnelle dépend du succès de la lutte contre les changements climatiques, l’équité
économique dans le cadre de ce rapport réfère à des questions pratiques comme l’impact sur le
revenu des ménages et sur l’emploi dans les secteurs affectés. Ces options seront discutées en
détails en deuxième partie. Ceci amène la question centrale de l’utilisation des revenus.
2. L’utilisation des revenues
L’idée de mettre un prix sur le carbone pour réduire les émissions de GES n’est que le premier
chapitre de l’histoire de la tarification du carbone. L’utilisation des revenus joue au rôle tout aussi
important, autant pour garantir le support à la mesure que pour accélérer la transition vers une
société plus verte. Les redevances à la population, le soutien aux industries et travailleurs, les
incitatifs à l’innovation, et les investissements en technologies vertes et en infrastructures durables
sont toutes des approches présentement sur la table des différentes provinces canadiennes. La
distribution optimale des revenus est une question qui ne peut être répondue qu’en tenant compte
des circonstances particulières de chaque province. Ce rapport passera en revue les différents défis
auxquels font face certaines provinces clés au Canada en identifiant le rôle que peut jouer la
distribution des revenus pour soutenir la tarification du carbone et propulser le Canada dans la
construction d’une économie verte.
2.1 Comment les revenus de la tarification du carbone sont utilisés au Canada
Au Canada, les provinces ayant en place un système de tarification du carbone recyclent ses
revenus de différentes manières. De surcroît, la solution ‘backstop’ (ou ‘filet de sécurité’) du
fédéral impose une autre répartition encore. Les provinces qui n’auront pas de solution en place se
20
feront imposer la solution fédérale.1 La Figure 2 détaille les différentes distributions de revenus
utilisées par trois provinces Canadiennes et les juxtapose au système fédéral.
Figure 2. L’utilisation des revenus de la tarification du carbone au Canada.
(Source : Commission d’écofiscalité du Canada, 2019 « How are governments recycling carbon
pricing revenus? » – à noter que l’Alberta a depuis abandonné son système de tarification du
carbone.)
Présentement, la solution fédérale s’appliquera en totalité ou en partie en Ontario, en
Saskatchewan, au Manitoba, au Nouveau Brunswick, au Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest,
au Nunavut et maintenant aussi en Alberta. L’Ontario, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba et
le Nouveau Brunswick, ne s’étant pas volontairement engagés à mettre en place la solution
fédérale, ou tout autre système de tarification du carbone, ne retiendront pas le contrôle sur les
1 Cette solution est donnée en deux parties : « (a) une redevance sur le carbone appliquée aux combustibles fossiles, (b) un régime de tarification fondé sur le rendement qui s’applique aux installations industrielles dont les taux d’émissions dépassent un seuil déterminé et qui comprend une option d’adhésion à l’intention des plus petites installations dont les taux d’émissions sont inferieurs au seuil » (Environnement Canada 2017, p.5). Dépendamment des systèmes en place dans les différentes provinces, seule une des deux parties de la solution fédérale s’appliquera.
21
revenus.
Avec la solution fédérale, 89-90% de fonds générés par la tarification du carbone seront redonnés
aux ménages dans la province où ces fonds ont été recueillis. Le gouvernement Fédéral a choisi de
distribuer les fonds restants de trois manières, (a) aux PMEs, (b) aux municipalités, écoles,
universités et hôpitaux, (c) à des communautés excentrées.
Les systèmes provinciaux de la Colombie-Britannique et du Québec, ainsi que de la Nouvelle
Écosse et de Terre-Neuve, ayant été jugés suffisamment solides, maintiendront leur propre
politique de tarification et de redistribution.
La Colombie-Britannique et le Québec utilisent leurs revenus de manière bien différente. Cette
première redonne l’entièreté des fonds générés aux ménages (sous la forme de crédits d’impôts
aux milieu ruraux, aux ménages à faible revenus, en primes médicales, et en réductions d’impôts
sur le revenu) et aux entreprises (sous la forme de crédits d’impôts, et crédits d’impôts pour les
PME).
Le Québec quant à lui utilise près de 60% des revenus de la tarification du carbone pour investir
dans les transports en commun et dans les infrastructures. L’autre partie des sommes sert à rendre
les voitures et camions plus verts, à rendre les bâtiments plus verts, à des stratégies d’adaptation
et conservation, au support à l’industrie et à l’agriculture, ainsi qu’à la recherche et développement.
Il sera important toutefois dans les prochaines années que cette mission est effectivement remplie
dans la province.
Avant le changement de gouvernement de la province, l’Alberta utilisait les fonds pour redonner
les redevances à la population, mais aussi pour diversifier son économie, notamment pour soutenir
une transition sans le charbon et pour des programmes d’efficacité énergétique. Prêt de 30% des
revenus étaient redonnés à la population et 11% étaient redonné aux entreprises.
En d’autres termes, les trois provinces ont des priorités différentes pour l’utilisation des revenus.
Le Québec n’utilise pas des mécanismes de redistribution directe à la population. La Colombie-
22
Britannique priorise l’aspect abordable de la transition et la compétitivité, tandis que le Québec
cherche en principe à décupler la diminution des émissions de GES. Le fédéral, quant à lui, mise
sur la simplicité et l’aspect abordable.
La question de savoir quelle méthode est la meilleure est, dans une certaine mesure, relative aux
différents contextes. Dans les sections suivantes, ce rapport montrera qu’il est possible de viser la
décarbonisation, dans la mesure où l’on franchit d’abord la barrière de l’acceptabilité politique. Il
s’agit là de deux étapes distinctes qui doivent être franchies avec soin.
Notons que la Colombie-Britannique n’est maintenant plus tenue d’avoir une politique à revenu
neutre. Autrement dit, la province ne doit plus redonner l’entièreté des revenus à la population et
industries, et peut désormais investir les revenus de la tarification du carbone pour accélérer la
décarbonisation. La Commission Canadienne d’Écofiscalité se demande, tout en sachant qu’une
réponse est difficile à donner, si de tels investissements remplaceraient des investissements qui
auraient déjà eu lieu. Cette question « d‘addition » est pertinente.
Or, cette question ne devrait troubler le législateur que dans la mesure où une province est
incapable d’avoir une vision d’ensemble sur ses propres actions climatiques. La solution à cette
question est donnée par une détermination de combien de tonnes de GES chaque mesure sera en
mesure de réduire. Si le Canada veut effectivement combattre les changements climatiques, les
cibles d’émission sont clairement données par le GIEC : le niveau d’émissions de GES doit être
en 2030 45% inférieur à celui de 2010. Si la tarification du carbone permet d’accomplir une partie
de cet objectif, que les fonds générés permettent d’en accomplir une autre, et qu’encore une
province ou un pays n’arrive pas à atteindre ces cibles, d’autres mesures seront requises.
Recommandation 2 : La réflexion portant sur l’utilisation des revenus de la
tarification du carbone et sur les mesures supplémentaires requises pour la lutte
contre les changements climatiques doit se faire en amont, afin d’éviter le problème
« d’addition ».
Si les provinces pensent affecter les revenus du carbone pour combattre davantage les changements
23
climatiques, les calculs budgétaires doivent se faire en amont pour favoriser l’atteinte de cibles à
long terme.
D’autres questions pressantes concernent comment la tarification du carbone va affecter l’emploi,
le bien-être de la population et le fonctionnement général de l’économie. Ces questions demandent,
comme prévu, une révision des différents budgets ministériels pour comprendre l’impact général
de la diminution des GES et pour faire des prévisions en conséquence. Par exemple, combien
d’emplois seront perdus par des mesures additionnelles visant une diminution de la production des
sables bitumineux et de gaz naturel? Une question subséquente est: comment les gouvernements
et les compagnies travailleront ensemble pour que des emplois durables soient créés pour ces
personnes? Considérant la nature même de la tarification du carbone, il est naturel que l’on cherche
des réponses les questions relatives à l’emploi, au bien-être et à l’économie dans l’élan même de
son implantation. Celles-ci feront l’objet des prochaines sections.
Recommandation 3 : Une collaboration accrue entre les gouvernements et le secteur
privé doit avoir lieu afin de favoriser la création d’emplois durables et un
acheminement soutenu des investissements dans les industries fossiles (incluant les
fonds de pensions canadiens) vers des énergies, infrastructures et technologies
durables.
2.2 Le Québec, le WCI et les revenus du carbone
Le Western Climate Initiative (WCI), le marché d’échange d’émissions entre le Québec et la
Californie, est en vigueur depuis 2014. Les décideurs au Québec passé 5 ans à étudier d’autres
marchés du carbone avant d’ouvrir celui de la province. Les décisions mises en place permettent
aujourd’hui de cueillir les fruits de ce marché, tout en limitant les émissions de GES. Cette section
montre que le WCI génère des revenus pour le Québec, que le marché permet un contrôle des
émissions, et que les régulations en place assurent la stabilité du marché.
Le WCI aide le Québec à réduire ses émissions et favorise la transition vers une économie plus
verte de par l’incitatif créé. Les changements générés par la tarification du carbone sont
24
nécessaires : ils internalisent les externalités négatives, ce qui est un moyen nécessaire afin de
rediriger une économie entière dans la direction d’une économie verte. Avec ce même mécanisme,
les émissions de GES de la province diminueront dans le futur. Le ‘cap’ de permis est réduit à
chaque année.
Au Québec, la plupart des achats sont effectués par quelques 150 compagnies obligées par la loi
d’acheter un crédit par tonne de CO2 émit. Le marché du carbone couvre environ 80% des
émissions de GES de la province. Il inclut les secteurs suivants : les établissements industriels qui
émettent plus de 25000 tonnes de CO2e, les producteurs et importateurs d’électricité qui émettent
plus de 25000 tonnes de CO2e, et les distributeurs de carburant et de combustibles fossiles utilisés
au Québec (essence, diesel, propane, gaz naturel, mazout de chauffage). Tous les crédits ont été
achetés lors de la dernière enchère.
En 2019, le Québec a déjà dépassé la marque des C$3 milliards générés par la tarification du
carbone depuis son implémentation. Ces sommes sont intégralement versées à un fonds destiné à
diminuer les émissions de la province, le Fonds d’électrification et changements climatiques,
anciennement le Fonds vert. Son marché du carbone, lié à celui de la Californie, émet des crédits
d’émissions qui sont vendus aux enchères. Par exemple, lors d’une enchère en Février 2019, $215
millions ont été amassés par la vente de crédits de carbone. Les crédits ont étés vendus à $20.82
chacun pour l’année en cours. En mai 2019, $256 millions ont étés amassés et versés aux Fonds
d’électrification. Le prix de vente de chaque unité était à ce moment de $23.42, soit environ $10
de plus que lorsque le WCI a été lancé en 2014. Chaque crédit représente une tonne de CO2.
Même avec le départ de l’Ontario, le marché est demeuré stable. L’offre de crédits n’a pas excédé
la demande, ce qui a non seulement épaté les observateurs, mais a permis de comprendre le
pourquoi du bon fonctionnement du WCI. Le marché du carbone européen a longtemps souffert
avec les bas prix du carbone, causé par un excès de l’offre de crédits (ce qui a depuis été réglé).
Le WCI n’a pas souffert d’un problème similaire.
Deux raisons principales l’expliquent. D’abord, le Québec et la Californie se sont donné le pouvoir
de fixer un prix minimal pour chaque unité d’émission (équivalente à une tonne de dioxyde de
25
carbone). Deuxièmement, la province et l’état se sont aussi donné le pouvoir d’enlever du marché
les unités non-vendues pour s’assurer que l’offre n’excède pas la demande. Ces deux éléments de
design de politique publique expliquent le relatif succès du WCI.
En revanche, une récente étude du FMI montre que les bourses du carbone sont en pratique de
30% à 60% moins efficaces que les taxes sur le carbone pour réduire les émissions. Aussi, elles
rapportent de 50% à 70% moins de revenus (IMF 2019).
Cela s’explique notamment par le fait que les systèmes de plafonnement et d’échange s’appliquent
généralement à une proportion plus petite de l’économie. Deuxièmement, leurs coûts de gestion
sont souvent plus élevés. Troisièmement, d’autres mesures de lutte contre les changements
climatiques peuvent diminuer le prix des crédits vendus aux enchères.
Ces conclusions, bien qu’obtenues seulement à partir de données théoriques, sont pertinentes pour
les autres provinces au Canada. L’étude suggère que des bourses du carbone au Canada seraient
60% moins efficaces pour réduire des émissions de GES et rapporteraient 85% moins de revenus
qu’une taxe carbone comme celle en Colombie-Britannique.
Il faut noter par contre que la bourse du carbone s’applique à 80% de l’économie au Québec,
contrairement à 70% pour la taxe carbone en Colombie Britannique. Alors que le FMI suggère que
la taxe carbone est plus facile à implémenter, qu’elle génère plus de revenus et qu’elle envoie un
signal plus clair, l’expérience du Québec montre que lorsqu’il est bien dessiné, le marché du
carbone contribue au ralentissement des émissions et génère des revenus importants.
Finalement, notons que dans l’implémentation du WCI, le Québec a opté pour donner gratuitement
les permis d’émissions aux émetteurs industriels qui font face à la concurrence nationale ou
internationale. En principe, ce choix permet d’éviter les « fuites de carbone » (ou « carbon
leakage »), c’est-à-dire la délocalisation d’entreprise vers des juridictions sans tarification du
carbone. Ces compagnies sont dites à « forte émissions et exposées au commerce (FEEC) ». Elles
incluent notamment Agropur, Alcoa, Arcelormittal, Bridgestone, Cascades, Énergie Valero,
Lafarge, Rio Tinto Alcan, et Transcanada Energie (EnvQuebec 2019).
26
Bien que ce choix diminue les revenus du gouvernement, le fait de donner les permis d’émissions
n’a pas d’impact sur le total d’émissions de GES. Aussi, entre 2015 et 2023 le nombre d’unités
alloués gratuitement diminuera d’environ 1 à 2 % par année, ce qui donnera un incitatif à ces
entreprises de diminuer davantage leurs émissions. Ce modèle semble être une des méthodes
utilisées au Canada afin de combiner la compétitivité des entreprises locales avec la lutte contre
les changements climatiques.
Une question qui mérite d’être soulevé est celle de savoir si la vulnérabilité de toutes ces
entreprises importe à la société au même niveau, au sens où certaines entreprises feront partie de
l’économie verte tandis que d’autres non. Les secteurs pétroliers et gaziers devront cesser d’exister
dans un futur proche, ce qui implique au moins que les compagnies énergétiques ayant des
investissements dans ces secteurs devront les acheminés vers des secteurs plus verts. Par
conséquent, est-ce que l’allocation gratuite aux industries fossiles comme pour les compagnies
Valero ou Transcanada, ne devrait-elle pas être conditionnelle à un acheminement marqué de leurs
investissements vers des secteurs non-polluants, afin d’accélérer la transition vers une économie
verte?
Recommandation 4 : Évaluer la possibilité de rendre conditionnelle l’allocation
gratuite de permis d’émissions aux industries, telles que les industries pétrolières et
gazières, qui ne composeront pas l’économie verte des prochaines décennies.
2.3 Le Québec, l’atteinte des cibles et la gestion des fonds
Le Québec avait, en 2012, dépassé sa première cible de réductions d’émissions de GES : la
province a coupé de 8% ses émissions par rapport au niveau de 1990 (2% de plus que l’objectif
initial de 6%).2 Pour 2020, le Québec s’est donné pour objectif de réduire de 20% ses émissions,
2 Il est important de noter que les diminutions de GES ont Québec ont été notamment attribuées au recul de l’industrie des pâtes et papiers, causée davantage par des facteurs technologiques que par l’action politique. La majeure partie
27
toujours par rapport au niveau de 1990. Cette période (2013-2020) représentera la première période
où le marché du carbone aura été en place. Le calcul de réductions de GES ne sera effectué qu’en
2020. Il sera alors possible de savoir si le Québec a bel et bien atteint ses objectifs et quelle portion
de la diminution peut être attribuable au système d’échange et de plafonnement. On saura en 2020
lorsque le calcul sera effectué combien de GES ont diminués suite au WCI au Québec. D’une part,
l’estimation actuelle est que les compagnies prenant part au WCI ont diminué leurs émissions de
3.7% durant une période de croissance économique. Une diminution des émissions accompagnées
d’une croissance économique révèle un scénario politique favorable pour la province. Par contre,
il est possible de croire que le Québec n’atteindra pas sa modeste cible de réduction d’émissions
pour 2020. Notons toutefois que les émissions de GES dans le secteur industriel au Québec ont
nettement diminué depuis les années 1990 (- 26,4%), à la fois à cause de fermetures, de gains en
efficacité énergétique et de nouveaux procédés moins émetteurs.
Premièrement, le dernier inventaire des émissions de GES a été faite en 2016. Cet écart dans la
publication des données est problématique tant au niveau de la difficulté qu’il impose pour
l’orientation optimale de politiques publiques, qu’au niveau du manque d’imputabilité qu’il rend
désormais possible. Avant 2016, l’inventaire d’émissions de GES était effectué à chaque année
depuis 1990 par le Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.
L’inventaire des émissions de GES du Québec doit être plus systématiquement publié à chaque
année. Des données mises à jour plus régulièrement permettraient un ajustement plus précis des
politiques publiques climatiques. Elles permettraient également d’accroitre l’imputabilité de
gouvernements sur leur bilan d’action climatique.
Bien que le Québec risque de ne pas atteindre ses cibles de réduction d’émissions, nous devons
nous demander comment utiliser le système de tarification du carbone pour en faire davantage. En
ce sens, une première idée dans le contexte de la tarification du carbone est de monter le prix pour
une unité d’émission (comme couvert plus haut dans la section 1.3). La cible la plus exigeante,
celle du GIEC, demande que le prix de la tonne de CO2 soit $184 en 2030 afin de mettre l’économie
des 35.5% de diminution de GES du secteur industriel est attribuable au recul de l’industrie des pâtes et papiers. (EnvQuebec 2016).
28
dans la bonne voie, un prix bien supérieur à celui que prévoit mettre en place le Canada (de $20
cette année et montera jusqu’à $50 en 2022) ou des provinces en particulier ($40 en Colombie-
Britannique, $30 auparavant en Alberta). Ce raisonnement s’applique aux provinces utilisant la
taxe carbone et la solution fédérale.
Or, avec un marché du carbone comme celui du Québec, ce qui importe n’est pas le prix, mais
bien le cap. C’est moins en augmentant le prix de base qu’en diminuant le nombre de permis
d’émissions que le système de tarification du carbone diminuera les GES de la province. Le WCI
a été conçu pour réduire les émissions de GES de 15% sous la barre de 2005 en 2020. L’objectif
du Québec est d’atteindre en 2020 la cible de 20% de réduction d’émissions de GES par rapport à
1990. Les émissions en 1990 étaient de 86,5 Mt CO2e. En 2016 elles étaient de 78.6Mt CO2, soit
une diminution de 9.1% (EnvQuebec 2016). Notons que l’année de référence pour les cibles du
Québec est 1990 tandis que le dernier rapport du GIEC utilisait 2010. En 2010 elles étaient de
81.2 Mt CO2e. Pour atteindre une diminution de 45% en 2030 par rapport à 2010, une diminution
de -36.53 Mt CO2e est nécessaire pour arriver à la cible de 44.66 Mt CO2e (ce qui implique une
diminution de 51.6% par rapport au niveau de 1990). En admettant que le Québec atteigne ses
cibles de 2020 de 20%, cela demandera une réduction considérable pour la décennie suivante.
Recommandation 5 : Que le Québec se dote de cibles claires de réductions de GES
pour 2030 et 2050, et que celles-ci soient conséquentes avec les cibles du GIEC, soit
une réduction de 45% en 2030 par rapport au niveau de 2010 et des émissions zéro
net en 2050.
Recommandation 6 : Que lors du prochain inventaire d’émissions de GES de la
province, une évaluation soit faite pour savoir dans quelle mesure le plafond annuel
d’émissions diminue à un rythme adéquat, par rapport aux cibles de l’Accord de
Paris et par rapport aux cibles du GIEC. En cas ou ce deuxième objectif n’est pas en
voie d’être atteint, le gouvernement doit veiller à ce que le plafond diminue plus
rapidement.
Considérant les objectifs actuels du marché d’émissions, il est possible de constater que le marché
29
de carbone ne permet pas la diminution radicale des émissions de GES requises pour atteindre les
cibles du GIEC, voire même celles de l’Accord de Paris. Tout indique que le changement effectué
par la tarification, bien que nécessaire, ne sera pas ni suffisant ni assez rapide si laissé à lui-même.
D’où l’importance que les fonds ainsi générés soient utilisés pour la construction d’une économie
verte. Les mesures complémentaires, à commencer par une utilisation intelligente des fonds
générés, sont indispensables pour l’accomplissements des objectifs de réduction des GES.
Considérant à la fois l’urgence de la crise climatique et le fait que le contexte politique le permet,
le Québec doit s’assurer d’utiliser la tarification du carbone pour viser la décarbonisation de la
société. Le mandat du Fonds vert était exactement celui-là. Il est impératif que le mandat du
nouveau Fonds d’électrification le soit aussi.
Dans ce contexte, il est primordial, à la fois pour accroitre le soutien politique du marché du
carbone que pour réduire davantage les émissions de GES du Québec, que le nouveau Fonds soit
géré à partir de principes directeurs visant l’implémentation d’une économie verte. Le Conseil de
gestion du Fonds vert, maintenant aboli, n’avait été créé que lorsque les dépenses insensées du
Fonds vert ont été mises en lumière. Les exemples dénombrés en 2016 – comme $800 000 versés
à Air Canada pour l’installation d’ailettes ou $2,3 millions pour le remplacement d’un avion d’Air
Inuit ou encore les 6 millions versés à Ultramar-Valero pour la construction d’un oléoduc
(Lecavalier 2016) – ont montré que le Fonds vert était utilisé pour combler le manque des
ministères plutôt que de remplir sa mission de diminuer les GES de la province. Depuis, plusieurs
journalistes et experts ont décrié le manque de transparence de la gestion des fonds. Par
conséquent, un critère pertinent pour l’utilisation des fonds générés par la tarification du carbone
est une estimation du montant dépensé par tonne de CO2e coupé.
Recommandation 7 : Que le Québec s’assure d’utiliser les fonds générés par la
tarification du carbone pour décupler la réduction de GES visant la décarbonisation.
Pour ce faire, une estimation du coût par tonne de CO2e coupé doit être faite pour
chaque dépense du fonds.
Il est toutefois à souligner que l’abolition du Conseil de gestion du Fonds vert ainsi que de
30
Transition Énergétique Québec, et leur rapatriement respectivement par le Ministère de
l’Environnement et le Ministère de l’Énergie et des ressources naturelles, n’a pas de base
scientifique rigoureuse. Aucune étude ne montre que cette manière de procéder soit garante de
transparence, d’efficacité et de meilleure gestion des fonds. Au contraire, cette décision risque
d’accroitre l’opacité de la gestion des fonds et risque de diminuer l’acceptabilité politique de la
tarification du carbone au Québec. Ce recul serait grandement dommageable pour la réputation de
la tarification du carbone comme politique climatique, tout comme pour les perspectives de la
construction d’une économie verte. Avec une agence indépendante des ministères, libre
d’ingérence politique et mandatée d’utiliser les revenus de la tarification du carbone pour diminuer
ses émissions de GES, le Québec aurait l’opportunité de devenir un exemple mondial en matière
de construction d’une économie verte.
Recommandation 8 : Qu’une agence indépendante forte, libre d’ingérence politique,
soit créée afin de gérer les revenus de la tarification du carbone. Ceci implique que le
gouvernement revienne sur sa décision et que le Fonds vert et Transition Énergétique
Québec soient tous deux rapatriés sous cette nouvelle agence.
2.4 Quelles sont les principales options disponibles au Canada pour l’utilisation des
revenus
À l'échelle du pays, le problème est le suivant : vu que l’acceptabilité sociale canadienne en matière
de tarification du carbone n’est pas assez solide, comment forger un consensus pour que la
tarification du carbone soit en place à long terme? Plus précisément, comment la distribution des
revenus de la tarification du carbone peut-elle servir cette fin tout en permettant d’accomplir les
objectifs climatiques optimaux?
Plus généralement, les critères nous permettant de décider entre différentes mesures pour
l’utilisation des revenus sont : la confiance en les politiciens, la perception de la corruption, ainsi
que la concentration des coûts et la diffusion des bénéfices dans la tarification du carbone
(Baranzini et al. 2014; Carattini et al. 2017; Olson 1965; Rafaty 2018).
31
Plus particulièrement, des grandes fédérations, qui sont également des grands pollueurs, possèdent
des caractéristiques qui méritent une attention particulière (Lachapelle et al. 2012). Par exemple,
alors qu’il est difficile de forger un consensus national dans une fédération, on observe – par l’effet
même – le potentiel de leadership que peuvent exercer différentes provinces et états.
Ainsi, au Canada, certaines données clés doivent moduler le débat. D’abord, le Canada est bien
placé dans le palmarès mondial de confiance aux politiciens (19ème sur 144 pays, devant plusieurs
pays de l’OCDE, selon le World Competitiveness Report). Aussi, le pays a un des meilleurs scores
au monde en termes de perception de la corruption, étant un des pays politiquement les plus
propres. Ensuite, bien que 80% des canadiens et canadiennes croient que les changements
climatiques sont réels, on observe d’importantes différences régionales. Autrement dit, même si à
l’échelle mondiale le Canada bénéficie d’un contexte généralement favorable, la tarification du
carbone peut être un sujet polarisant et son soutien populaire n’est pas assurer.
Il est central ici de noter une corrélation : la croyance aux changements climatiques est inversement
corrélée avec les taux d’émissions de GES des provinces (Lachapelle et al. 2012). Plus une
province émet de GES par habitant, moins la population a tendance à croire aux changements
climatiques. Ces données seront importantes pour la modélisation de la tarification du carbone au
Canada.
Aussi, on remarquera qu’il n’y a pas de solution ‘one-size-fits-all’ pour le Canada. Cela s’explique
notamment par la présence ou non d’industries fossiles et le taux d’émissions de GES par habitant
dans différentes provinces. Cette information est liée à l’importante notion de la concentration des
coûts et des bénéfices. Dans des provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan, on observe une
grande concentration des coûts et diffusion des bénéfices dans la tarification du carbone.
De plus, ces provinces sont très sensibles aux industries qualifiées à « forte émissions et exposées
au commerce (FEEC) » représentant une partie importante de leurs PIB provinciaux (autour de
18% comparativement à 1-2% pour la plupart des autres provinces. Ces industries représentent
10% des émissions de GES au pays (13% incluant les raffineries).
32
Toutes ces données sont donc pertinentes pour déterminer l’utilisation optimale des ressources
selon les provinces. Règle générale, les études aujourd’hui montrent que coûts disproportionnés
auxquels feront face à la fois les ménages à revenus modestes et les industries vulnérables peuvent
être solutionnés aisément par une politique bien conçue.
Il est donc souhaitable que les provinces, (a) utilisent les revenus pour traités des questions d’équité
et de compétitivité autour de la tarification du carbone, (b) insistent sur la communication et la
rigueur dans la définition des objectifs visés par l’utilisation des revenus, et qu’elles le fassent (c)
en utilisant un portfolio d’approches qui reflètent leurs principales priorités, et en (d) faisant un
examen périodique de l’utilisation des revenus (CEC 2016).
La Commission d’Écofiscalité du Canada a compilé les priorités pour 5 provinces canadiennes
(Figure 3).
Figure 3. Quelques priorités pour 5 provinces canadiennes pour le recyclage des revenus
Source: (CEC 2016)
À l’instar de la CEC, le présent rapport recommande d’exclure de la grille d’analyse pour
l’utilisation de revenus : la réduction de la dette et la coupure des impôts. Ces questions fiscales
33
devraient être dissociées des discussions sur la tarification du carbone. Premièrement, il y a un
cout d’opportunité à poursuivre des options fiscales si générales, lorsque des options directement
en lien avec la lutte contre les changements climatiques pourraient être choisies. Le peu de temps
disponible pour régler la crise climatique devrait un facteur qui ferai peser davantage sur ce coût
d’opportunité. Deuxièmement, la réduction de la dette ne présente pas de connexion claire avec la
tarification du carbone et la réduction des impôts n’offre pas le bénéfique qu’offre des transferts
aux ménages d’une solution qui est directement identifiable avec la tarification du carbone. Cette
distance indique que le support politique à cette mesure est amoindri. Aussi, le présent rapport ne
considère que des investissements en infrastructures contribuant à l’économie verte, pour les
mêmes raisons d’acceptabilité politique et de réduction des GES.
En excluant donc la réduction de la dette et la coupure d’impôts, en incluant les autres priorités
pour des provinces identifiées en Figure 3, et en utilisant une grille d’analyse basée sur trois
facteurs – l’acceptabilité politique, la diminution accrue des GES, et l’équité économique – ce
rapport soutient que les principales options pour les provinces sont les suivantes. Le croisement
avec les options de la figure 3 sont données entre parenthèses.
(1) Les dividendes pour la population en général (option 1)
(2) Des mesures et dividendes (régulières et vertes) pour les ménages à faible revenu
(3) Des mesures et dividendes (conditionnels et inconditionnels) pour les compagnies et
industries (option 6)
(4) De l’assistance aux employés pour la transition vers des emplois durables
(5) Des dépenses vertes en infrastructures et technologies (option 3 et 4)
Les mesures de type (1), (3) et (5) sont déjà largement utilisées au Canada. Comme mentionné
dans la Recommandation 5, les mesures de type (3) doivent envisager sérieusement la possibilité
de support conditionnel aux industries de manière, de sorte à ce que des investissements qui
accélèrent la transition vers une économie verte soient favorisés. Les nouvelles mesures proposées
dans ce rapport sont celles de type (2) et (4).
Les mesures de type (2) réfèrent à des programmes ciblant les ménages à faible revenu en
34
particulier visant à offrir des subventions à des foyers à faible revenu. Ces mesures peuvent être
de nature verte, visant une meilleure isolation domestique et l’éco-efficience. Cette solution plus
précise permet de combiner équité, réduction de GES et acceptabilité politique.
Les mesures de type (4) devraient être considérés par les provinces ayant des industries fossiles et
des industries à « forte émissions et exposées au commerce (FEEC) ». Tandis que des mesures de
type (3) pourront être sensibles aux besoins de l’industrie, les mesures de type (4) seront
particulièrement sensibles aux travailleurs de ces industries. Des programmes de formation et
soutien (salaires, déménagement) aux travailleurs qui transigeront vers les secteurs renouvelables
pourront également combiner équité, réduction de GES et acceptabilité politique.
Comme mentionné, la Colombie-Britannique a choisi un portfolio basé sur les options (1) et (3),
et n’ayant plus l’obligation d’être revenu neutre pourrai inclure des mesures de type (2), (4) ou (5).
Le Québec mise sur des dépenses de type (5) et (3) en investissant, offrant des subventions et
incitatifs qui visent la réduction de GES (en transports en commun, infrastructures, bâtiments,
voitures et camions électriques, à des stratégies d’adaptation et conservation, au support à
l’industrie et agriculture, en incitatifs et soutien à l’innovation, ainsi qu’à la recherche et
développent). La province pourra continuer à condition que les gouvernements présents et futurs
ne minent pas le support politique à la tarification du carbone.
Comme mentionné, les émissions de GES dans le secteur industriel au Québec ont diminué de
26,4% depuis 1990 – à cause de fermetures, de gains en efficacité énergétique et de nouveaux
procédés moins émetteurs – et que depuis 2013 la tarification du carbone a contribué à cette
diminution. Les mesures de type (4) pourraient devenir pertinentes à l’avenir si des emplois dans
ces industries viendraient à être affectées, considérant que bon nombre de ces industries sont de
type FEEC. Ce type de mesure, prioritaire à l’échelle Canadienne, n’est pas encore une priorité
pour le Québec. Les petites et moyennes entreprises (PME), quant à elles, n’étant pas directement
couvertes par le système de plafonnement et d’échange, ne subissent l’impact de la tarification
qu’indirectement, à travers les variations de prix dans les carburants et autres biens, tout comme
les consommateurs. À ce que tout indique, sur le plan macroéconomique, la tarification du carbone
35
ne nuit pas ni à la croissance économique, ni à l’emploi, ni à la performance industrielle du Québec.
La solution fédérale quant à elle est basée sur la solution (1), mais inclus des provisions de type
(2) pour quelques foyers en particulier et de type (3) dans les incitatifs crées par son système de
tarification.
L’Alberta, la Saskatchewan et l’Ontario seront soumises à la solution fédérale, mais
bénéficieraient dans l’avenir d’un portfolio qui inclut une combinaison de ces mesures. Dans un
premier temps, la solution fédérale – misant surtout sur (1) et (3) – devrait permettre d’augmenter
l’acceptabilité politique de la tarification du carbone. Dans une deuxième phase, surtout dans un
souci de diversifier les économies de l’Alberta et la Saskatchewan, et accélérer la décarbonatation
du Canada, des mesures de type (2), (4) et (5) pourront être incorporées.
Recommandation 9. La prise en charge des employés des industries fossiles est une
priorité politique, économique et environnementale. Il est souhaitable que de
nouvelles opportunités de formation et transition d’emploi soient offertes aux
travailleurs de l’ouest. Des programmes de formation et soutien (salaires,
déménagement) aux travailleurs qui transigeront vers les secteurs renouvelables
pourront également combiner équité économique, réduction de GES et acceptabilité
politique.
Des emplois vont disparaitre, mais plusieurs autres vont être crées, au Canada, tout comme en
Russie et au Moyen-Orient. Il est crucial de prendre soin des travailleurs qui perdront leur emploi
dans la transition. La tension entre le maintien des emplois dans l’industrie fossile et la transition
vers une économie verte ne peut être soulagé qu’en soutenant la création d’emplois durables. Deux
exemples au Royaume-Uni nous sont utiles ici, où récemment des travailleurs des secteurs gaziers
et pétroliers ont retrouver des emplois dans la production d’énergie éolienne grâce à de nouvelles
formations, tandis que plus tôt dans les années 80 les travailleurs du charbon ont perdu
massivement leurs emplois mais ont été laissés à l’abandon. La tension sociale était immense à
l’époque et aujourd’hui le pays paye encore les lourds coûts sociaux liés au chômage. Ces deux
exemples soulignent le contraste entre une transition durable et une transition où les travailleurs
36
sont laissés à l’abandon.
Au Québec, il faudra évaluer l’impact de la tarification du carbone sur les emplois dans deux
secteurs : l’agriculture et les industries. La diminution d’émissions de GES au Québec – passant
aussi par les secteurs des transports, des bâtiments, et des déchets – pourrait être associée à une
création d’emploi dans ces secteurs.
Conclusion
La décarbonisation de la société est à notre portée. Avec quelques années d’efforts soutenus, la
transition vers une économie verte, c’est-à-dire vers une économie moderne, paraîtra plus facile
aux yeux d’une portion croissante de la population.
La tarification du carbone subira un test que plusieurs politiques ont subi dans le passé. Lorsque
des critiques montreront que certaines de ses facettes ne fonctionnent pas de manière optimale
(comme avec la gestion du Fonds vert au Québec), les décideurs et la population devront soutenir
la mesure et trouver les moyens adéquats pour l’améliorer. Il sera important de prévenir des acteurs
politiques d’utiliser d’éventuelles défaillances dans ces mesures à des fins électoraux.
Le Québec en particulier devra faire preuve de leadership au sein de la fédération canadienne. Le
gouvernement fédéral actuel a besoin de support pour implémenter, maintenir et étendre la
tarification du carbone dans tout le pays. La dimension constitutionnelle de cette question étant
(on l’espère) réglée, les dimensions morales et politiques se révèlent : le Québec doit prendre la
parole pour soutenir le gouvernement fédéral dans l’implémentation d’une mesure rendue
nécessaire de par le devoir moral de combattre les changements climatiques.
Le Québec doit consolider son rôle de chef de file en matière de tarification du carbone. Ce rôle
s’étant désormais au-delà de son territoire. Ce rôle est délicat, mais pourrait ouvrir la voie à
d’autres projets de coopération en matière d’action climatique, comme des accords pour l’hydro-
électricité ou la connexion inter-métropolitaine de réseau ferroviaires.
37
Avec une plus grande et ambitieuse vision politique, ainsi qu’une meilleure communication
politique, les citoyens, citoyennes et travailleurs canadiens pourraient mieux visualiser à quoi
ressembleront leur emploi, déplacements et loisirs dans l’économie verte du Canada.
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Les infrastructures publiques: actif ou passif pour les générations futures
Par
Mandaté par Force jeunesse
Novembre 2018
53-54
TABLE DES MATIÈRES
Sommaire exécutif 2
1. 4
1.1 4
1.2 5
1.3 5
1.4 8
1.5 10
1.6 11
1.7 11
2. 13
2.1 13
2.2 15
2.3 16
2.4 18
3. 19
3.1 19
3.2 21
3.3 23
4. 24
4.1 24
4.2 24
4.3 25
4.4 26
5. 27
Bibliographie 28
SOMMAIRE EXÉCUTIF
Le gouvernement du Québec et ses organismes liés détiennent des infrastructures d’une valeur de
plus de 350 milliards de dollars. Ces dernières sont une partie essentielle de la richesse collective
du Québec vouée à être léguée aux générations futures. Ces infrastructures ont accumulé un déficit
de maintien d’actif de plus de 50,7 milliards de dollars lors de l’exercice budgétaire 2017-2018. Il
s’agit d’une véritable dette nationale cachée et peu discutée dans la sphère publique qui correspond
à plus de 28% de la dette financière du Québec et à plus de 4 fois les sommes accumulées au sein
du Fonds des générations.
De plus, l’évolution de cette dette dans la prochaine décennie est inquiétante. Tout d’abord parce
que les coûts pour maintenir en état à long terme ces infrastructures, et donc éviter que ce déficit
n’augmente, sont incertains. Ensuite, parce que le coût de leur remise en état tend à augmenter de
façon exponentielle dans le temps lorsque leur entretien est reporté. La dette de maintien d’actif
porte donc intérêt à un taux inconnu.
Ainsi, le déficit cumulé de maintien d’actif a augmenté de 3,2 milliards de dollars durant l’année
budgétaire 2017-2018 pour les seules infrastructures détenues directement par le gouvernement du
Québec, c’est-à-dire excluant notamment les actifs des municipalités et des sociétés de transport.
Ce montant représente plus que le versement du gouvernement québécois au Fonds des générations
de 2,5 milliards de dollars pour la même année budgétaire. Vu son importance, le gouvernement
du Québec doit considérer l’augmentation de ce déficit avec la même importance qu’il accorde à
celle de la dette nationale dans son effort de diminution du passif légué aux générations futures.
De plus, le gouvernement pourrait mieux gérer ce déficit à l’aide de nombreux outils actuellement
sous-utilisés. Parmi ceux-ci, l’analyse des coûts sur le cycle de vie semble le plus prometteur. Elle
permet de minimiser les coûts à long terme des infrastructures, de leur conception à leur
disposition. Cette approche a déjà été implantée avec succès dans de nombreuses juridictions et
fait l’objet d’une quantité importante de recherche académique. Certains organismes
gouvernementaux québécois ont d’ailleurs commencé à l’utiliser ponctuellement. Il s’agit là de
premières initiatives dans la bonne direction afin que les coûts à long terme, supportés par les
générations futures, deviennent systématiquement aussi importants que les coûts à court termes.
1. LES INFRASTRUCTURES AU QUÉBEC
1.1 L’IMPORTANCE DES INFRASTRUCTURES PUBLIQUES
Les organismes relevant du gouvernement du Québec détiennent un parc d’infrastructures d’une
valeur de 350 milliards de dollars en 2018 (Conseil du trésor 2018, 105). En comparaison, au terme
de l’année budgétaire 2017-2018, la dette du Québec s’élevait à plus de 200 milliards de dollars
(Finances Québec 2018). Les infrastructures québécoises représentent ainsi un actif significatif
pour la population québécoise.
Bien souvent, le débat autour des infrastructures publiques ne porte que sur le réseau routier, l’un
des plus importants ouvrages de l’État. Pourtant, les infrastructures publiques du Québec sont bien
plus nombreuses et touchent toutes les sphères de la vie de la population québécoise. En effet, la
définition d’infrastructure publique du gouvernement du Québec inclut les ouvrages suivants :
« ▪ Réseau routier : autoroutes, routes, ponts, échangeurs et viaducs
▪ Transport collectif : métro, autobus, trains de banlieue, quais, gares et voies
ferrées
▪ Transport maritime, aérien, ferroviaire et autre : traversiers, quais, gares,
aéroports nordiques, chemins de fer et voirie locale
▪ Santé et services sociaux : centres hospitaliers, CLSC, CHSLD
▪ Éducation : établissements scolaires
▪ Enseignement supérieur et recherche : cégeps, universités, laboratoires de
recherche
▪ Culture : musées, bibliothèques, salles de spectacle
▪ Infrastructures municipales, sportives, communautaires et de loisirs : usines
de traitement d’eau, réseaux d’aqueduc et d’égouts, complexes
multifonctionnels, usines de biométhanisation et de compostage,
équipements sportifs, parcs nationaux
▪ Logements sociaux et communautaires
▪ Édifices gouvernementaux : bureaux gouvernementaux, palais de justice,
centres de détention, postes de la Sûreté du Québec
▪ Ressources informationnelles : projets et équipements en ressources
informationnelles des ministères et organismes
▪ Autres secteurs : centres de la petite enfance, Plan Nord, barrages publics,
acquisitions mobilières et immobilières des ministères et organismes
» (Conseil du trésor 2018, 49)
1.2 L’ORIENTATION ACTUELLE DU GOUVERNEMENT
Le gouvernement du Québec a récemment dévoilé son Plan québécois des infrastructures 2018-
2028. Ce plan réunit l’ensemble des orientations gouvernementales en matière de gestion des
infrastructures existantes et de nouvelles acquisitions. Il prévoit l’investissement de plus de 100
milliards de dollars dans les infrastructures québécoises sur l’horizon 2018-2028, soit en moyenne
10 milliards d’investissements par année (Conseil du trésor 2018, 13). Ce niveau d’investissement
équivaut approximativement à 9% du budget 2018-2019 du gouvernement du Québec (Finances
Québec 2018).
La majorité de ces investissements ne servira pas à la construction de nouvelles infrastructures.
En effet, 58 des 100 milliards de dollars d’investissement annoncés serviront à l’entretien, la
réparation et le remplacement d’infrastructures existantes (Conseil du trésor 2018, 47).
Cette situation n’est pas surprenante. En effet, la recherche scientifique sur le coût total d’une
infrastructure durant son cycle de vie démontre que le coût de construction représente en moyenne
moins de 60% du coût à long terme. Une partie significative des coûts étant rattachée à son
opération, son entretien, sa remise en état et sa disposition. Cette réalité sera approfondie plus en
détail dans les prochaines sections du rapport.
1.3 LE DÉFICIT DE MAINTIEN DES ACTIFS ACTUELS
Les investissements massifs pour le maintien des actifs actuels ont été rendus nécessaires à la fois
en raison du vieillissement des infrastructures québécoises et par le manque d’investissement
passé. Le plan d’investissement 2018-2028 inclut une estimation de ce manque, appelé le déficit
de maintien d’actif (DMA). Le gouvernement provincial définit le déficit de maintien d’actif
comme le cumul des dépenses d’entretien et de remise en état non réalisées qui auraient été
nécessaires afin d’assurer la santé et la sécurité des personnes qui utilisent l’infrastructure, de
poursuivre son utilisation aux fins auxquelles elle est destinée, de réduire la probabilité de sa
défaillance et de contrer sa vétusté physique (Société québécoise des infrastructures 2015, 13). En
2018, le DMA des infrastructures détenues directement par le gouvernement du Québec s’établit
à 20,8 milliards de dollars, soit l’équivalent de 10% de la dette du Québec. Ce déficit s’est accru
de 3,2 milliards durant la seule année fiscale 2017-2018 (Conseil du trésor 2018, 41). Le déficit
cumulé d’entretien est ainsi plus élevé que le solde du Fonds des générations (12,8 G$) et
l’accroissement annuel du déficit est plus élevé que le versement annuel prévu au Fonds des
générations pour l’année budgétaire 2018-2019 (2,5 G$).
De plus, ce déficit est sous-estimé. En effet, il n’inclut pas les infrastructures qui ne sont pas
détenues directement par le gouvernement provincial. Ainsi, il ignore le déficit cumulé au sein des
infrastructures municipales et des sociétés de transport en commun. Pourtant, celles-ci
représentent une partie significative du patrimoine collectif québécois. Ainsi, en 2017, le Centre
d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines, en partenariat avec le Ministère des
Affaires municipales et Occupation du territoire, a mené une vaste enquête sur l’état du réseau de
distribution et de collecte d’eau des municipalités. Cette étude chiffrait la valeur totale de
remplacement des infrastructures en eau en mauvais ou très mauvais état à 35,7 milliards de dollars
(Centre d'expertise et de recherche en infrastructures urbaines 2017, 5). Cette donnée porte à elle
seule le déficit de maintien d’actif des infrastructures publiques québécoises à 56,5 milliards de
dollars, soit environ 28% de la dette publique du gouvernement du Québec.
Malheureusement, il ne semble pas y avoir de portrait à l’échelle provinciale du déficit de maintien
d’actif des autres ouvrages municipaux ni de celui des sociétés de transport.
Ce manque d’information n’est pas étonnant considérant que l’État québécois dispose
d’information concernant ses propres infrastructures que depuis quelques années. En effet, les
organismes publics provinciaux ne sont tenus que depuis l’année budgétaire 2014-2015 à produire
un Plan annuel de gestion des investissements publics en infrastructures (PAGI) qui doit inclure
une évaluation de l’état des infrastructures dont ils ont la charge. Ainsi, dans les PAGI 2018-2019,
l’état de 77% des infrastructures détenues par le gouvernement du Québec a été évalué. À titre de
comparaison, en 2017-2018, on ne connaissait l’état que de 63% des infrastructures du Québec.
De plus, antérieurement à l’année budgétaire 2014-2015, il n’y avait aucune inspection
systématique des infrastructures québécoises et aucun bilan global n’était publié. Ainsi,
l’augmentation du déficit de maintien d’actif au PAGI 2017-2017 a été en partie causé par
l’accroissement du nombre d’immeuble inspecté. Ainsi, sur les 3,2 milliards de dollars de déficit,
2,8 milliards est dû à la dégradation naturelle, 2,4 milliards aux nouvelles inspections et 2 milliards
de dollars de travaux de remise en état réalisés ont réduit l’augmentation du DMA finale.
Par ailleurs, l’estimation du déficit d’entretien est réalisée selon différente fréquence et méthode
selon l’organisme public qui en a la charge. Ainsi, certains organismes estiment des déficits
globaux en extrapolant le déficit d’entretien d’un échantillon d’inspection alors que d’autres
réalisent une inspection de l’ensemble de leur parc. Malgré l’importance des montants évalués, il
ne semble pas exister d’évaluation indépendante et systématique sur la fiabilité du déficit reporté
par chaque organisme.
Finalement, les PAGI n’incluent pas de prévision à long terme des dépenses de maintien d’actif
qui seront requises, mais seulement des investissements qui sont effectivement prévus. Ainsi, les
PAGI sont essentiellement des outils de comptabilisation budgétaire du déficit d’entretien passé et
de budgétisation des investissements à venir à une échelle très agrégée. Ce sont donc des outils
essentiels pour connaître l’état présent des infrastructures mais limités dans leur horizon temporel
pour planifier l’avenir.
1.4 UN PASSIF QUI PORTE INTÉRÊT?
La dette nationale porte intérêt. Parallèlement, un passif d’entretien non résorbé ne reste pas stable
dans le temps. Des travaux reportés ont tendance à accélérer la dégradation de l’infrastructure.
Ainsi, tout comme une dette financière portant intérêt, le passif d’entretien augmente lui aussi avec
le temps.
Un exemple concret est cité par le National School Board Association des États-Unis «Facilities
systems receiving less than the manufacturer recommended preventive maintenance will most
likely break down before their projected replacement date.» (National School Boards Association
2018). Le National School Board Association cite notamment une étude qui détermine que chaque
1$ d’investissement en entretien reporté résulte à terme à 4$ de dépense de remplacement futur
(National School Boards Association 2018).
Un autre exemple est donné par l’association d’entreprise du secteur des chaussées Bitume Québec
« Sans entretien, le trafic et le temps conduisent inévitablement à une dégradation de la chaussée.
Il a été démontré que plus la chaussée est dégradée, plus l’effort financier nécessaire pour sa
remise en état est considérable.
De même, un entretien tardif
entraîne des dépenses
importantes qui peuvent
atteindre jusqu’à 20 fois le
montant d’un entretien préventif.
» (Bitume Québec 2018)
Ce constat a également été fait
récemment par le Vérificateur
général du Québec en lien avec la
dégradation du cadre bâti des
commissions scolaires du Québec : «À cet égard, des recherches démontrent également la
corrélation entre les dépenses d’entretien et la perte de valeur des installations. La courbe
Shroeder illustre la nécessité d’une augmentation substantielle des dépenses en lien avec notre
déficit d’entretien. Notons qu’un déficit d’entretien important engendre davantage d’activités
d’entretien curatif et limite la capacité d’effectuer un entretien préventif adéquat. » (Vérificateur
général du Québec 2012, 39)
Ainsi, considérant le taux d’emprunt du gouvernement québécois de moins de 3% sur 10 ans
(Épargne Placements Québec 2018), il est possible que plusieurs dépenses d’entretien reportées
portent intérêt à un taux plus élevé que la dette nationale. Il n’existe pas, à la connaissance des
auteurs, de données publiques sur l’effet du report de la remise en état d’une infrastructure sur le
coût de cette remise en état. Cet effet doit évidemment être variable selon le type d’infrastructure,
sa conception, son utilisation et mêmes des facteurs contextuels comme le climat. Malgré ce
manque de données, nous pouvons évaluer la différence du coût à long terme pour l’État de 20,8
milliards de dollars de dette financière au 20,8 milliards du DMA en 2017 des infrastructures
appartenant directement au gouvernement du Québec.
La dette financière de l’État québécois porte actuellement intérêt à un taux approximatif de 3%, si
les intérêts de cette dette seraient capitalisés, celle-ci afficherait un solde de 28 milliards de dollars
après 10 ans. À l’opposé, si le coût de résorption du DMA augmente de 6% à 12% par année, le
solde finale du DMA oscillerait entre 37,2 et 64,6 milliards de dollars, soit une différence de 9.2 à
36.6 milliards de dollars avec une dette financière ayant un solde de départ équivalent. Le
gouvernement a donc tout intérêt à mieux connaître les déterminants de l’augmentation du DMA.
Il doit également prendre en considération ce déficit au même titre qu’une dette financière et donc
planifier de façon optimale son remboursement afin de minimiser le coût de la dette globale de
l’État.
1.5 APRÈS LA DISCIPLINE FISCALE, LA DISCIPLINE D’ENTRETIEN?
Le déficit de maintien d’actif est un sujet moins populaire médiatiquement que la dette nationale.
Ainsi, comme le mentionnait le prix Nobel d’économie et ancien conseiller économique principal
de Bill Clinton, Lawrence Summer : «Nobody ever named a maintenance project, nobody ever got
recognized for a maintenance project, nobody ever much got blamed for deferring maintenance
during the time while they were in office. And so all of the incentives are to defer maintenance and
also to defer pre-maintenance. » (Summer 2017, 8)
Ce constat a même amené l’État de l’Utah à adopter une loi qui l’oblige à allouer 1.1% de la valeur
de remplacement de l’ensemble de son parc d’infrastructure en budget de réfection avant de
pouvoir allouer des fonds à la construction de nouvelle infrastructure (Pagano 2011, 11). L’objectif
de la loi est de créer une discipline pour l’État sur cet enjeu et ainsi stabiliser les dépenses
d’entretien annuelles au lieu de les laisser fluctuer selon le climat politique et les urgences
d’entretien. La loi oblige également l’État d’analyser le coût sur le cycle de vie de l’ensemble de
ses infrastructures.
Au Québec, ni le gouvernement provincial, ni le gouvernement fédéral ne dispose d’un
encadrement législatif comparable. En fait, il n’existe aucune loi qui encadre la gestion du DMA.
La résorption de ce déficit dépend donc entièrement de la volonté politique des gouvernements en
place.
1.6 UNE SOCIÉTÉ D’ÉTAT DÉDIÉE
Bien qu’il n’existe pas d’encadrement législatif aussi restrictif que celui de l’Utah au Québec. Le
gouvernement du Québec a néanmoins décidé de d’améliorer la gestion de ses infrastructures en
mandatant la Société québécoise des infrastructures (SQI) du soutien des organismes publics dans
la planification et la gestion de leurs projets. Cette société fut instaurée par la loi sur les
infrastructures publiques adoptée en 2013 par le gouvernement du Québec.
Son modèle d’affaires repose sur des contrats de service avec les organismes publics pour lesquels
elle est consultante. Son niveau d’implication est variable d’un projet à l’autre et fait l’objet
d’entente particulière à chaque projet ce qui limite sa capacité d’action: « le niveau d’implication
de la Société varie cependant selon les projets et ne permet pas toujours d’assurer une utilisation
optimale de son expertise.» (Société québécoise des infrastructures 2018, 42) C’est donc à chaque
organisme public de déterminer le niveau d’implication qu’elle souhaite accorder à la SQI.
1.7 SOMMAIRE DE SECTION
Le gouvernement du Québec a déjà procédé à la mise en place d’outils importants pour mieux
gérer ses infrastructures par la création des PAGI et de la SQI. Il s’agit d’une base importante qui
a notamment permis de constater l’ampleur du déficit de maintien d’actif cumulé de la province.
Il s’agit néanmoins que d’un premier pas. Il n’existe pas de prévision à long terme de la croissance
du DMA et de son impact sur les finances publiques futures du Québec. Parallèlement, le
gouvernement ne dispose pas de mécanisme législatif pour s’assurer de garder la discipline
nécessaire au contrôle de la croissance du DMA. Un meilleur contrôle des coûts des infrastructures
par le gouvernement du Québec sur l’ensemble de leur cycle de vie est donc nécessaire. La
prochaine section détaillera une façon d’y parvenir.
2. LE COÛT VÉRITABLE D’UNE INFRASTRUCTURE
2.1 QU’EST-CE QUE L’ANALYSE DU COÛT SUR LE CYCLE DE VIE?
Comme en témoignent les investissements prévus par le gouvernement québécois en maintien
d’actif, le coût d’acquisition initiale d’une infrastructure ne représente qu’une partie de ses coûts
globaux sur l’ensemble de son cycle de vie. En effet, les coûts d’acquisition constituent
généralement moins de 60% des coûts totaux sur l’entièreté de leur cycle de vie et parfois aussi
peu que 5% selon le type d’infrastructure (Fuller 2010, 2). C’est pour cette raison que plusieurs
acteurs gouvernementaux, privés et académiques à l’échelle mondiale promeuvent l’utilisation
d’une analyse des coûts sur le cycle de vie (ACCV) d’une infrastructure afin de permettre une
gestion plus économique de ces dernières, de leur construction à leur disposition, notamment
l’Association américaine des ingénieurs civils (American society of civil engineers, 2014). Plus
précisément, les coûts sur l’ensemble du cycle de vie incluent:
o Coûts d’acquisition : Coût initial de réalisation de l’infrastructure, incluant
notamment les coûts de construction, les frais professionnels, le financement
intérimaire.
o Coûts d’opération de l’infrastructure : Coûts associés aux opérations régulières de
l’infrastructure. Par exemple, la consommation en énergie du bâtiment, le coût du
personnel de nettoyage au quotidien, le coût de déneigement ou le personnel de
sécurité.
o Coûts d’entretien : Coûts de nettoyage, mise à niveau et de remplacement des
composantes du bâtiment. Par exemple, le nettoyage du système de ventilation, le
remplacement des fenêtres d’un bâtiment, le colmatage de chaussées défectueuses
ou le remplacement de chaudières de chauffage.
o Coûts de fin de vie : Coût de disposition et, éventuellement, de remplacement de
l’infrastructure. Par exemple, les coûts de démolition, de disposition des déchets ou
la création de voies temporaires pour un remplacement d’une voie routière. (OCDE:
Sigma 2016)
Certains acteurs gouvernementaux incluent également dans cette analyse les coûts en perte de
temps pour les utilisateurs lors de l’arrêt ou du ralentissement des opérations d’une infrastructure
suite à des travaux d’entretien ou de reconstruction (Asphalt Pavement Alliance (APA) s.d.). Ces
coûts sont cependant des externalités pour l’État et ne représentent donc pas un coût direct.
Pour déterminer le coût total d’une infrastructure sur son cycle de vie, les différents coûts liés à sa
détention ne sont pas simplement additionnés. Ils sont plutôt actualisés afin de prendre en compte
la valeur temps de l’investissement financier. En effet, un ouvrage qui générera un coût d’entretien
inférieur à long terme, mais qui est initialement plus dispendieux à réaliser qu’un ouvrage qui
coûtera annuellement davantage en entretien, n’est pas nécessairement un meilleur investissement
pour le gouvernement. Il s’agit alors de déterminer si le coût d’entretien économisé en échange du
coût d’achat initial plus élevé représente un rendement financier jugé satisfaisant pour l’État. Le
taux de rendement à utiliser fait l’objet de débat, mais, à titre d’exemple, celui-ci pourrait être le
taux d’emprunt de l’État sur le terme de la durée de vie de l’infrastructure.
Ainsi, l’analyse du coût sur le cycle de vie permet aux décideurs publics de connaître l’ensemble
des coûts d’une infrastructure de sa construction jusqu’à son remplacement, tout en prenant en
compte le coût du capital pour l’État. Lorsque ce type d’analyse est utilisé pour choisir parmi
plusieurs options de conception d’une infrastructure, l’objectif est de sélectionner l’option dont la
valeur actuelle des coûts est la plus faible (Barringer 2003, 2). Cette analyse est nécessaire pour
permettre une plus grande transparence de l’État quant au passif implicite d’entretien que le
gouvernement contracte en choisissant
un type de conception sur un autre.
Sans celle-ci, il n’est pas possible de
déterminer si le donneur d’ouvrage
tente de diminuer les coûts immédiats
d’une infrastructure en augmentant les
coûts d’entretien, d’opération ou de
disposition à long terme.
2.2 MISE EN PLACE DE CETTE
APPROCHE
Les gouvernements peuvent utiliser
l’analyse du coût sur le cycle de vie
autant dans le processus d’acquisition
de nouvelles infrastructures, et ce peu
importe le mode d’octroi des contrats,
que dans le processus de gestion des infrastructures existantes.
Dans le cas d’une nouvelle infrastructure, le donneur d’ouvrage peut opter pour un mode de
réalisation traditionnel où il conçoit lui-même les plans et devis de l’ouvrage à réaliser ou mandate
une firme externe pour les concevoir. Il peut également opter pour un mode de réalisation en
design-built dans lequel le donneur d’ouvrage n’a que la responsabilité de déterminer les besoins
auxquels l’ouvrage devra répondre et une firme externe sera à la fois en charge de son design et
de sa construction. Finalement, il peut opter pour un partenariat public-privé (PPP) dans lequel
l’infrastructure appartiendra pour une durée déterminée, ou à perpétuité, à un partenaire privé.
Dans le cas d’une réalisation en mode traditionnel, le donneur d’ouvrage peut réaliser une étude
des coûts sur le cycle de vie de l’ouvrage à différentes étapes de conception des plans. Il peut
également demander à la firme conceptrice de fournir plusieurs alternatives afin de choisir l’option
la plus économique à long terme.
Dans le cas d’un design-built, le
gouvernement doit inclure dans ses critères
d’adjudication des contrats un nombre de
points pour les coûts sur le cycle de vie.
C’est-à-dire que même si un soumissionnaire
est le plus bas en termes de prix immédiat, un
autre soumissionnaire avec un prix plus élevé
pourrait être choisi si sa conception permet à
l’infrastructure d’être moins dispendieuse en prenant en compte l’ensemble de ses coûts à long
terme.
Pareillement, dans le cas d’un PPP, le gouvernement doit inclure comme critère de choix du
soumissionnaire le coût total actualisé à long terme. Il devra ainsi prendre en compte tous les frais
qu’il devra verser à son partenaire privé à travers le temps ainsi que tout passif d’entretien qui
pourrait affecter l’ouvrage lorsque celui sera transféré en fin de contrat à l’État, si ce transfert est
prévu.
2.3 GUIDES ET NORMES D’ANALYSE DES COÛTS SUR LE CYCLE DE VIE
Le présent rapport ne vise pas à faire une liste exhaustive des ressources disponibles afin de guider
une analyse des coûts sur le cycle de vie. Cependant, il est important de mentionner que ces
ressources sont nombreuses.
En effet, il existe déjà une norme de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) qui
encadre la réalisation de ce genre d’étude. En effet, la norme ISO 15686-5 Buildings and
constructed assets – Service life planning – Part 5 : Life-cycle costing vise à encourager
l’utilisation de cette approche par l’industrie de la construction en établissant une méthodologie et
des techniques communes d’analyse. Notons quelques objectifs intéressants que veut atteindre
l’ISO par l’établissement de cette norme :
« ▪ enable the practical use of LCC so that it becomes widely used in the construction
industry;
▪ enable the application of LCC techniques and methodology for a wide range of
procurement methods;
▪ help to improve decision making and evaluation processes at relevant stages of any
project;
▪ address concerns over uncertainties and risks and improve the confidence in LCC
forecasting;
▪ make the LCC and the underlying assumptions more transparent and robust;
▪ set out the guiding principles, instructions and definitions for different forms of
LCC and reporting;
▪ provide the framework for consistent LCC predictions and performance
assessment, which facilitates more robust levels of comparative analysis and cost
benchmarking;
▪ provide a common basis for setting LCC targets during design and construction,
against which actual cost performance can be tracked and assessed over the asset
life span;
▪ provide guidance on when to undertake LCC, to what level and what cost headings
are appropriate for consideration;
▪ help unlock the real value of effectively doing LCC in construction by using service
life planning; […] » (Organisation internationale de standardisation s.d.)
En plus de cette norme, il existe de nombreux guides détaillés réalisés par des institutions
publiques, des entreprises privées ou des chercheurs sur la méthodologie à utiliser pour réaliser
une analyse des coûts sur le cycle de vie dont plusieurs sont disponibles dans la bibliographie du
présent rapport (voir par exemple : Fuller, 2010). Il existe également de nombreux logiciels
destinés à la conduite de ce genre d’analyse. À titre d’exemple, la Federal Highway Administration
des États-Unis a conçu un logiciel libre pour sélectionner le type de chaussée le plus
économiquement viable à long terme pour un projet donné (Federal Highway Administration s.d.).
2.4 SOMMAIRE DE SECTION
L’analyse des coûts sur le cycle de vie représente donc une opportunité prometteuse à fois pour
diminuer le coût réel des infrastructures et pour mieux anticiper les dépenses de maintien d’actif à
long terme. De plus, les gouvernements peuvent profiter d’une expertise internationale déjà
construite autour de cette approche. La prochaine section évaluera si celle-ci a déjà été implantée
par les gouvernements au Québec et listera certaines juridictions qui l’ont utilisée avec succès.
3. INTÉGRATION DE L’APPROCHE CYCLE DE VIE PAR LES POUVOIRS PUBLICS
3.1 AU QUÉBEC
L’État québécois ne semble pas avoir intégré une approche de minimisation des coûts sur le cycle
de vie de ses actifs, que ce soit pour l’acquisition de nouvelle infrastructure que pour la gestion de
son parc actuel. En effet, du côté des actifs existants, le gouvernement québécois ne dispose pas
de prévision à long terme du coût futur du maintien de ses infrastructures. Le plan d’action 2018-
2028 prévoit cependant le développement de cette connaissance :
« […] il est prévu d’étendre la connaissance commune des infrastructures à
l’ensemble de leur cycle de vie, principalement pour mieux prévoir les fluctuations des
besoins entre leur mise en service et leur fin de vie utile. Ainsi, afin de cibler les actions
prioritaires et porteuses de rendement à long terme, les stratégies d’inspection et de
mise à jour en continu des connaissances seront dirigées vers les composantes
critiques des infrastructures. » (Conseil du trésor 2018, 106)
Bien que la situation ait récemment changé avec la publication obligatoire des PAGI, il est bon de
se rappeler qu’aussi récemment qu’en 2013, le Vérificateur général du Québec notait que les
commissions scolaires avaient une connaissance très faible de leur déficit d’entretien:
« Les différents facteurs de risque liés à la qualité de l’air intérieur, dont l’enveloppe
du bâtiment et son entretien, sont peu maîtrisés par les commissions scolaires
vérifiées:
- Le programme d’entretien préventif des bâtiments et de leurs équipements
est soit non structuré soit incomplet.
- La mise en œuvre de certains travaux d’entretien tarde à se faire ou les
délais ne sont pas suivis.
- L’inspection visuelle annuelle des bâtiments n’est pas assurée.
- L’historique des bâtiments est dispersé et incomplet. » (Vérificateur général du
Québec 2012, 3)
Du côté des nouvelles infrastructures, il n’y a pas d’orientation au sein du Plan québécois des
infrastructures 2018-2028 pour intégrer cette approche dans le processus d’acquisition.
Cependant, certains projets doivent obligatoirement avoir fait l’objet d’une analyse de leurs coûts
sur leur cycle de vie afin d’être approuvés. Cette analyse n’est toutefois pas un critère de choix
dans le processus d’acquisition et le coût à long terme ne doit donc pas obligatoirement être
minimisé. En effet, la nouvelle Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure
publique (Conseil du trésor 2018, 41) vise à standardiser le processus de décision des projets
majeurs d’infrastructures. Les projets sont considérés majeurs si leur coût dépasse 50 M$, ou 100
M$ pour les projets routiers. Cette directive prévoit la réalisation de rapports préalables à la
réalisation d’un projet. Ceux-ci doivent détailler les besoins auxquels répondront l’ouvrage, les
différentes options possibles pour répondre à ces besoins et la justification de l’option retenue.
Chaque étape de la planification du projet correspond à un dépôt, soit au conseil des ministres, soit
au ministre en charge de l’infrastructure. Une approbation par ce ou ces derniers est requise pour
poursuivre à la prochaine étape du projet.
Ces rapports doivent contenir le coût d’entretien estimé sur le cycle de vie, mais ce dernier n’est
pas public. De plus, les décisions de conception l’influençant, c’est-à-dire pouvant augmenter le
coût d’entretien ou le diminuer, sont laissées à la discrétion de l’organisme public et du conseil
des ministres. Il n’y a donc pas de directive publique obligeant ou favorisant le choix de la
conception réduisant au minimum les coûts actualisés d’un projet. De plus, la directive ne
s’appliquant pas au projet de moins de 50 ou 100 M$ selon le type d’ouvrage. Les coûts à long
terme de ces derniers ne sont donc pas nécessairement connus.
Finalement, il existe une volonté de développer l’expertise de l’état québécois dans l’analyse des
coûts sur le cycle de vie par l’intermédiaire de la Société québécoise des infrastructures, le bras
immobilier du gouvernement du Québec. En effet, cette dernière a annoncé, à travers sa Vision
immobilière 2018-2023, souhaiter mettre en place un Centre d’expertise intégrée en infrastructures
publiques : « Ce centre recensera et analysera les innovations et les meilleures pratiques en
gestion contractuelle, en gestion immobilière et en gestion de projets d’infrastructures publiques.
» (Société québécoise des infrastructures 2018). Un des objectifs de ce centre sera de proposer des
plans actions à la Société afin d’intégrer, notamment, l’analyse du coût sur le cycle de vie dans les
projets publics. Le Centre n’est toutefois pas encore créé, et aucune date de lancement ni
d’échéancier n’a été communiquée à ce sujet.
Du côté du gouvernement fédéral, le Vérificateur général du Canada a récemment recommandé à
Infrastructure Canada de procéder à une analyse du coût sur le cycle de vie de l’ensemble de ses
infrastructures : « Infrastructure Canada devrait analyser les coûts du cycle de vie des
infrastructures dont il a la charge et planifier leur remplacement de façon efficace et en temps
opportun. » (Bureau du vérificateur général du Canada 2018) Cette recommandation a été
acceptée par Infrastructure Canada. Cependant, vu la nature récente du rapport du Vérificateur
général (printemps 2018), il n’a pas encore été annoncé comment cette recommandation sera
appliquée.
Finalement, du côté municipal, il ne semble pas exister, à la connaissance des auteurs, de directive
publique préconisant l’approche de la minimisation des coûts sur le cycle de vie de la part des
grandes municipalités du Québec.
Par conséquent, on constate que, dans l’ensemble des paliers du gouvernement, la prise de
conscience de l’importance de la comptabilisation et de la gestion du déficit de maintien d’actif
est assez récente, et que l’intérêt pour l’analyse des coûts sur le cycle de vie des infrastructures
n’est que naissant.
3.2 EXEMPLES INTERNATIONAUX
Certaines juridictions et organismes gouvernementaux à l’échelle internationale ont déjà
commencé à utiliser cette approche dans leur projet d’infrastructure. Bien que ce rapport ne soit
pas une source exhaustive ou approfondie d’étude de cas, nous détaillerons tout de même quelques
cas d’intérêts.
Du côté européen, la Commission européenne a récemment autorisé l’utilisation du prix selon une
approche de cycle de vie comme critère de sélection d’un soumissionnaire dans un appel d’offre
publique : « Il convient donc de préciser que, sauf lorsque l’évaluation est exclusivement fondée
sur le prix, les pouvoirs adjudicateurs peuvent déterminer l’offre économiquement la plus
avantageuse et le prix le plus bas en prenant en compte le coût du cycle de vie. La notion de calcul
du coût du cycle de vie couvre tous les coûts supportés durant le cycle de vie des travaux,
fournitures ou services. » (Parlement européen 2014) Ainsi, un contrat peut être octroyé à un
soumissionnaire qui n’offre pas le prix initial le plus bas, mais dont le coût de la soumission est le
plus bas sur la durée de vie de l’ouvrage. Comme expliqué précédemment, ce type de critère est
particulièrement adapté à un appel d’offres en design-built ou en PPP.
Du côté américain, la Société américaine des ingénieurs civils recommande désormais aux
donneurs d’ouvrage public d’adopter cette approche afin d’optimiser les coûts du projet (American
society of civil engineers 2014). Elle a plus récemment recommandé d’adopté cette approche pour
tout projet dont le coût dépasse les 5 M$. Elle cite plusieurs agences américaines qui ont connu
des succès importants dont nous résumerons deux cas :
o Le Port Authority of New York and New Jersey (PANYNJ), une agence relevant à
la fois de l’État de New York et l’État de New jersey et qui détient des aéroports,
de nombreuses infrastructures routières et de transport en commun, a adopté cette
approche pour ses projets majeurs. Elle a choisi l’analyse des coûts sur le cycle de
vie pour optimiser les travaux de réparation majeure de l’aéroport John F. Kennedy
en 2007 et du pont George Washington en 2010. L’agence a déclaré que l’utilisation
de cette approche lui permettra d’économiser 140 millions de dollars sur 40 ans
pour la rénovation de l’aéroport et 100 millions de dollars sur 20 ans pour la
réfection du pont (American society of civil engineers 2014, 14). Le succès de ces
deux projets a incité l’agence à viser l’implantation de cette approche à l’ensemble
de ces projets.
o Le Pennsylvania Departement of Transportation (PennDOT), qui est responsable
de l’allocation de près de 6 milliards de dollars de financement pour entretenir et
améliorer l’ensemble du réseau routier de l’État, a commencé à implanter, dès les
années 1980, une approche d’analyse des coûts sur le cycle de vie de ses projets
routiers. L’agence analyse les coûts sur un horizon de 50 ans et les actualise au taux
d’emprunt du gouvernement fédéral américain sur 30 ans. PennDOT a développé
une importante base de données interne des coûts historiques d’entretien de ses
infrastructures afin de s’en servir pour évaluer les coûts futurs (American society
of civil engineers 2014, 11). Le Federal Highway Administration considère l’État
comme un leader dans l’utilisation de cette approche.
Bref, le virage vers l’utilisation d’une approche de gestion à long terme des infrastructures a déjà
été fait par de nombreux organismes gouvernementaux. Les exemples précédents ne représentent
qu’un très mince échantillon de projets. Une analyse plus exhaustive devrait être réalisée,
notamment par la Société québécoise des infrastructures.
3.3 SOMMAIRE DE SECTION
Tous les paliers de gouvernement au Québec pourraient donc mieux exploiter le potentiel que
représente l’analyse du coût sur le cycle de vie. L’utilisation de cette dernière a tout de même
débuté pour les ouvrages les plus dispendieux du gouvernement provincial et le gouvernement
fédéral a exprimé la volonté de l’intégrer dans ses prochains projets. Les gouvernements peuvent
s’inspirer des nombreux exemples internationaux qui démontrent que cette approche n’est pas
limitée à une évaluation ponctuelle du coût d’un projet sur son cycle de vie. En effet, elle nécessite
la compilation systématique des coûts associés au réseau d’infrastructure et l’utilisation continue
de ces données autant dans les travaux de maintien d’actif que dans les choix de conception d’un
nouvel ouvrage. Ainsi, le succès de l’utilisation de l’analyse des coûts sur le cycle de vie repose
bien souvent sur des changements de façon de faire au sein des organismes publics. Ces
changements seront explorés dans la prochaine section.
4. CONDITIONS DE SUCCÈS
4.1 LES DONNÉES: CONDITION ESSENTIELLE D’UNE ANALYSE SUR LE CYCLE DE VIE
Le premier obstacle évoqué par l’Organisation de coopération et développement économiques
(OCDE: Sigma 2016, 6) pour effectuer ce type d’analyse est l’accès à des données fiables pour
évaluer les coûts futurs. En effet, le coût initial constitue un engagement contractuel du
soumissionnaire alors que le coût d’entretien et de remplacement ne l’est généralement pas. Bien
qu’il soit possible de réaliser des contrats avec ces services à long terme inclus, dans la pratique,
exiger ce genre de services risque de diminuer fortement la quantité de soumissionnaires à la fois
aptes à offrir ces services à long terme et crédibles quant à la longévité de leur entreprise qui doit
égaler la longue durée de vie d’une infrastructure.
Ainsi, l’accès à des données sur les coûts est nécessaire peu importe le mode de réalisation d’un
projet. En Design-built ou en PPP, le gouvernement doit disposer de données afin d’être en mesure
d’évaluer correctement le coût actualisé de l’infrastructure et au final qui est le soumissionnaire le
plus bas. L’OCDE souligne que dans ces modes d’approvisionnement, le donneur d’ouvrage doit
divulguer dans les documents d’appels d’offres les hypothèses sur lesquelles cette analyse sera
réalisée (OCDE: Sigma 2016, 6). Ceci sous-entend que l’État dispose de données indépendantes
et fiables sur le coût d’entretien, d’opération et de disposition de l’infrastructure selon différentes
conceptions afin de pouvoir évaluer les offres en fonction d’hypothèses pouvant être défendues en
justice si nécessaire.
Pareillement, dans un mode de réalisation traditionnel, c’est-à-dire où les plans et devis sont
réalisés préalablement à l’appel d’offres, l’État doit disposer des données nécessaires afin de
diriger ses professionnels de conception en déterminant quelle conception est la plus économique
à long terme.
4.2 INDÉPENDANCE ET QUALITÉ DE L’ANALYSE
L’indépendance et la qualité de l’analyse du coût sur le cycle de vie constituent la deuxième
condition essentielle au succès de cette approche (OCDE: Sigma 2016, 5). En effet, la conclusion
de ce type d’analyse est très sensible à toute variation des hypothèses sur les coûts à long terme.
Ces derniers sont difficilement vérifiables par des tiers ce qui rend ce type d’analyse
particulièrement vulnérable à une manipulation afin de favoriser une certaine orientation à un
projet. L’indépendance et la qualité de l’analyse sont ainsi des conditions essentielles afin de
réellement pouvoir sélectionner l’option la plus avantageuse.
Cette indépendance ne semble pas pour l’instant acquise, même dans le cadre du processus
d’analyse actuelle des projets. En effet, plusieurs acteurs mentionnent que le gouvernement
annonce des projets dont les objectifs et les hypothèses de travail sont mal définis:
« En effet, dans le cadre de la planification de projets d’infrastructures, et davantage
lorsqu’il s’agit de projets majeurs, une multitude de facteurs peuvent influencer les
coûts et les échéanciers. Pourtant, on assiste régulièrement à l’annonce publique de
projets qui ne sont pas assez définis, sans que les études nécessaires n’aient été
réalisées et sans que les besoins réels du maître d’œuvre et des usagers n’aient été
identifiés. » (Association des ingénieurs-conseils du Québec 2009, 4)
Ce constat a également été récemment fait quant à la conduite de deux projets majeurs, celui des
CHU universitaires à Montréal. Le Vérificateur général du Québec, dans son examen du processus
ayant mené au choix du mode PPP pour la réalisation des projets de centres hospitaliers
universitaires (CHUM et CUSM), note ainsi « l’absence d’évaluation critique, experte et
indépendante de la qualité des analyses de la valeur ajoutée réalisées par PPP Québec […] »
ainsi que «l’absence d’information transmise aux décideurs sur l’incertitude entourant la valeur
ajoutée du mode PPP et sur le poids réel de l’hypothèse relative au déficit d’entretien et de
renouvellement des actifs dans les analyses de la valeur ajoutée » (Vérificateur général du Québec
2010, 164). Il recommandait d’ailleurs que le Conseil du trésor soumette les dossiers d’affaires
proposés par les organismes publics à « une évaluation critique, experte et indépendante de leur
qualité ».
4.3 EXPERTISE DE L’ÉTAT
Finalement, l’expertise de la fonction publique est une condition essentielle à la qualité des
analyses de coûts sur le cycle de vie (OCDE: Sigma 2016, 8). En effet, l’analyse du cycle de vie
implique une analyse plus complexe que l’octroi des contrats au plus bas soumissionnaire. Elle
demande ainsi la prise en compte d’hypothèses complexes sur la durée de vie des différentes
composantes de l’ouvrage, de l’évolution des prix à long terme et sur une variété plus importante
de coûts qui dépassent le cadre de la construction.
Le recours à la sous-traitance pour profiter de l’expertise du secteur privé comporte de nombreuses
limitations. Tout d’abord, elle rend vulnérable l’État à la collusion. Cette orientation fait
notamment partie les lignes directrices pour lutter contre les soumissions concertées dans les
marchés publics dictées par l’OCDE:
«Rassembler des informations en ce qui concerne l’éventail des produits et/ou services
disponibles sur le marché qui répondent aux besoins de l’acheteur et en ce qui
concerne également les fournisseurs potentiels de ces produits ou services est le
meilleur moyen pour les responsables des marchés publics de concevoir la procédure
de passation du marché de façon à optimiser leur dépense. Il faut développer une
expertise interne dès que possible. » (OCDE: lignes directrices s.d., 5)
Ensuite, considérant que la vaste majorité des infrastructures publiques appartiennent à un des
paliers du gouvernement, il semble peu probable que le secteur privé dispose de davantage de
données sur les coûts de détention d’une infrastructure publique. L’État, en profitant du monopole
sur ces infrastructures, dispose en effet d’un formidable accès aux données.
Finalement, même si l’État a recours à la sous-traitance, il demeure le client et est responsable de
surveiller la qualité du travail du sous-traitant, une tâche difficile à exécuter sans expertise.
4.4 SOMMAIRE DE SECTION
Ainsi, l’adoption de l’analyse des coûts sur le cycle de vie par les organismes publics doit être vue
comme un processus à long terme exigeant souvent des changements organisationnels.
Heureusement, ces changements s’inscrivent dans une tendance lourde d’encourager la collecte,
la conservation et l’accès facile aux données par les organismes publics. Évidemment,
l’interprétation de ces données demande une expertise pointue du personnel de gestion de projet.
Il est en effet plus complexe de diminuer le coût d’une infrastructure sur l’ensemble de sa durée
de vie que seulement son coût initial. Cette diminution ne peut que passer par des décisions basées
sur des données objectives et à l’abri de toute influence politique.
5. RECOMMANDATIONS
Une meilleure gestion des infrastructures québécoises est possible au bénéfice des générations
futures. Pour y arriver, le gouvernement peut s’appuyer sur des institutions existantes comme la
Société québécoise des infrastructures, le Conseil du trésor et le vérificateur général du Québec :
● La Société québécoise des infrastructures (SQI) devrait offrir un service d’analyse des
coûts sur le cycle de vie des ouvrages afin de rendre accessible une expertise indépendante
aux organismes publics, y compris aux municipalités.
o Un organisme public pourrait ainsi obtenir une analyse à différentes étapes de la
conception d’un projet avec des recommandations pour l’optimiser.
o Cette analyse serait basée sur une vaste base de données des coûts historiques
d’entretien, d’opération et de disposition qui serait centralisée au sein de la SQI.
L’ensemble des organismes publics contribueraient à cette base de données de
façon systématique.
o La société devrait pour ce faire accélérer la mise en place de son Centre d’expertise
sur les infrastructures publiques prévu dans sa Vision immobilière 2018-2028. La
création de ce centre serait une occasion unique d’embaucher des chercheurs de
renom pour en faire un centre de recherche de calibre mondial et faire rayonner
l’expertise québécoise.
● Le gouvernement du Québec devrait rendre facilement accessible les prévisions à long
terme des investissements requis en maintien d’actif dans la prochaine décennie et
l’évolution prévue du déficit de maintien d’actifs global.
o Une compilation des dépenses de maintien d’actifs nécessaires à long terme,
incluant celles reliées aux infrastructures à être construites, devrait être réalisée par
une source indépendante, possiblement la SQI et incluse dans chaque budget annuel
du Québec pour être portée à l’attention de l’opinion publique au même titre que la
dette nationale
o Le gouvernement devrait inscrire dans son budget annuel le solde du déficit de
maintien d’actifs dans la même section que celle dédiée à la dette nationale. Les
prévisions de l’évolution de ce déficit réalisées par une source indépendante
devraient y figurer.
o La qualité des données du déficit de maintien d’actifs actuel et prévu inscrites au
budget du gouvernement du Québec devrait être vérifiée périodiquement par le
Vérificateur général du Québec.
o Les dossiers d’affaires requis par la Directive sur la gestion des projets majeurs
d’infrastructure publique pourraient être rendus publics afin d’assurer une
transparence des choix de l’État en matière d’étalement des coûts des
infrastructures dans le temps. Une compilation des coûts totaux prévus à long terme
pour l’ensemble des nouveaux projets d’une année budgétaire devrait être
également rendue publique.
● Le gouvernement du Québec et les acteurs de la société civile devraient examiner la
possibilité d’adopter des mécanismes législatifs qui incitent la discipline du gouvernement
en matière de dépense de maintien d’actifs. Des mesures comme celles adoptées par l’État
de l’Utah qui oblige un investissement minimal du gouvernement en entretien avant de
pouvoir lancer de nouveaux projets seraient à considérer.
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