A Madame la Professeure Marie-France Le Goaziou,
UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1
FACULTE DE MEDECINE LYON EST
Année 2010 N° 138
CRITERES ET DETERMINANTS DU CHOIX
DE SPECIALITE EN MEDECINE :
PLACE DE LA MEDECINE GENERALE
Etude qualitative des représentations des étudiants de DCEM 4
de Lyon Est en 2009-2010
THESE
TOME 1/2
Présentée
A l’Université Claude Bernard Lyon 1
et soutenue publiquement le 11 octobre 2010
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par
Mademoiselle LAMORT-BOUCHÉ Marion
Née le 01 mai 1983 à L’Arbresle (69)
Le serment d’Hippocrate
Je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l’exercice
de la Médecine.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans discrimination.
J’interviendrai pour les protéger si elles sont vulnérables ou menacées dans leur
intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes
connaissances contre les lois de l’humanité.
J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs
conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance.
Je donnerai mes soins à l’indigent et je n’exigerai pas un salaire au dessus de mon
travail.
Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés et ma
conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement la vie ni
ne provoquerai délibérément la mort.
Je préserverai l’indépendance nécessaire et je n’entreprendrai rien qui dépasse mes
compétences. Je perfectionnerai mes connaissances pour assurer au mieux ma mission.
Que les hommes m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois
couvert d’opprobre et méprisé si j’y manque.
REMERCIEMENTS
A Monsieur le Professeur Jérôme ETIENNE
Votre disponibilité, votre écoute, votre expertise, sont les fondements d’un
enseignement qui nous est extrêmement précieux. Nous vous remercions d’avoir
accepté la présidence de ce jury et de la confiance que vous nous témoignez. Nous vous
prions de recevoir l’expression de notre profonde gratitude.
A Monsieur le Professeur Pierre FOURNERET
Nous avons particulièrement apprécié votre enseignement lors de notre stage aux
urgences pédiatriques de l’hôpital Femme Mère Enfants. Nous vous remercions de
l’honneur que vous nous faites, aujourd’hui, de participer à notre jury de thèse.
A Monsieur le Professeur Pierre GIRIER
Si l’enthousiasme de l’externe émerveillée, étudiante d’une option facultative à propos
de l’exercice ambulatoire, ne s’est pas tari, c’est grâce à des enseignants comme vous.
Votre présence dans notre jury de thèse est un honneur, et un plaisir. Nous vous en
remercions.
A Monsieur le Docteur Yves ZERBIB
Vous nous avez accepté à vos côtés en consultation à un moment où l’externat de
Médecine Générale était un rêve. Aujourd’hui vous faites vivre ce rêve de la Médecine
Générale au sein de l’université. Vous avez le rôle de modèle à nos yeux. Travailler
sous votre direction dans le cadre de cette thèse a été riche d’enseignements pour nous.
Nous vous remercions de l’attention que vous nous portez, en espérant que cette thèse
ne soit que la fondation d’une collaboration future.
A Monsieur Jérôme GOFFETTE
Vous nous avez guidé depuis l’externat sur le chemin des Sciences Humaines et
Sociales. Cette ouverture a été bien des fois salvatrice dans l’apprentissage difficile d’un
devenir médecin. Nous vous remercions de nous avoir transmis (un peu) le regard du
philosophe. Nous vous remercions pour votre direction de notre travail qui nous a
permis d’enrichir notre analyse épistémologique de notre discipline.
Je remercie les personnes qui ont participé à ce travail de recherche. Les étudiants rencontrés Vous avez accepté de participer à un travail de recherche, de donner de votre temps dans une année de préparation de concours pendant laquelle celui-ci est précieux. Je vous remercie chacun, pour votre disponibilité. Vous m’avez confié vos espoirs et vos doutes dans une situation d’incertitude et parfois nos échanges vous ont bouleversé dans vos projets. Je vous remercie. A Madame Evelyne LASSERRE Tu as su me guider de la posture d’interne à celle du chercheur, tu m’as ouvert les portes du qualitatif, et de sa qualité, sa rigueur. Je te remercie de tes conseils, de ta disponibilité, de tous ses chemins que tu m’indiques. Si l’anthropologie fait de moi une chercheuse, elle enrichit aussi mon quotidien de médecin, je t’en remercie. Les personnes qui m’ont aidée à réaliser la retranscription des entretiens : Claire Bouché, Marjolaine Doumergue, Valentine Lamort, Fatma Tahaoglu, Maud Wimel. Les enseignants et étudiants du Master 2 Culture et Santé : Notre parcours a enrichi ma réflexion et cette thèse en est le fruit. Je remercie les enseignants que j’ai rencontrés pendant mes études. Je remercie l’ensemble des médecins, des soignants qui m’ont accueillie dans leurs services pour leur enseignement. Je remercie les aides soignantes de le Clinique Générale d’Annecy qui m’ont appris le soin de l’autre, et l’écoute. Au Docteur Marie DUMONT Tu as su me faire aimer la vie surréaliste d’un médecin à Belleroche … mais surtout tu m’as tant appris, je te remercie. Au Docteur Guillaume CALLIES de SALIES Tu resteras pour moi le modèle du calme et de la disponibilité toujours renouvelés en consultation. Je te remercie de ton enseignement. Aux enseignants du Département de Médecine Générale de Lyon Chacun d’entre vous avez su m’enthousiasmer … et me donner envie de travailler avec vous. Quelle chance et que de travail en perspective ! Je vous remercie. En particulier, je remercie Gilbert Souweine de sa présentation au séminaire de Médecine Générale de DCEM : ce jour là je suis tombée dans la marmite et depuis les effets sont inépuisables. Aux patients Merci.
Je remercie mon entourage pour m’avoir porté, parfois supporté, de leur amitié, amour … A mes parents. C’est un rêve qui se réalise. A mon père. Tu m’as appris à faire des choix et donc à renoncer sans trop souffrir. C’est peu dire que de cette première année de souffrance à cette dernière année de joie tu m’as aidé à prendre plaisir de mes études, de mon métier. Merci. A ma mère. Tu n’as pas cessé de m’épauler et de partager mes émotions dans cet apprentissage de la Médecine. Aujourd’hui je suis ta fille, je suis médecin, merci. A mes sœurs. Une fratrie pleine de remous qui porte l’étendard Lamort-Bouché, haut et fort, je suis fière de le partager avec vous. A Sarah, merci pour le soutien du quotidien (mention spéciale aux calendriers de l’avent). A Valentine, merci de ta joie de vivre. A Pascale et Luc. De la soupe, des légumes, des lessives, des week-ends, des maladies, des guérisons, des joies … de l’amour … Chacun de mes pas sur le chemin de la Médecine vous l’avez accompagné et cela m’a été précieux : merci. A Claire. Une cousine et une amie à la fois je suis comblée ! A Manou. Une grand-mère moderne et ambitieuse … la poste a bien travaillé à me transmettre ton amour. Je sais que Papi aurait été fier en ce moment où je deviens Docteur, je pense à lui. A Mamie. Je pense à toi.
A Maud. Je ne sais pas ce que serait devenu cette thèse sans ton soutien inconditionnel … ton amitié est un port protégé dans la tempête de ma vie, merci. A Stéphanie. Nous partageons une haute idée de la Médecine Générale … merci de ton amitié, de ton soutien dans ce travail. Une pensée pour Elise. A Anne-Lise, Judith. Deux amitiés nées à l’internat de l’Hotel Dieu de Bourg en Bresse… qui sont essentielles pour moi. Merci. A Nina. Une amitié fulgurante dans ma vie. J’ai grandi en tant que soignante à tes côtés. A Pascale. Ta constance à essayer de comprendre ce drôle de monde qu’est la Médecine et à m’y accompagner m’est chère, merci. A Irène et Gino. Une amitié au goût corse … vous m’aidez à laisser filer le médecin pour retrouver une vie simple et riche … Merci pour la pêche, la chasse, les champignons, la nature … A mon médecin traitant. Vous avez su m’aider à être une patiente pour être un meilleur médecin, merci. A cabinet médical et paramédical de Belleroche. A Belleroche il fait bon travailler parmi vous … vous avez l’ambition de l’excellence dans un milieu riche en obstacle, votre bonheur au travail me fait rêver … Etre Docteur aujourd’hui n’est qu’un point de départ pour partager, je l’espère, ce bonheur du soin avec vous. Merci de ce que vous m’apprenez chacune. Aux amis du Syrel. L’internat a été le temps pour moi des revendications et des constructions pour le bien commun … j’ai trouvé au Syrel des amis, une famille de pensées … Merci à chacun. Aux amis du Formindep. Merci, de m’avoir appris le lien entre qualité des soins et indépendance. A mes amis musiciens. Etre musicienne et être médecin sont les deux faces d’une même Marion … en nourrissant la musicienne vous avez aidé le médecin à s’épanouir. Mention spéciale à mes partenaires de musique de chambre qui ont su accepter de s’adapter à mes contraintes de thèse. Merci à l’orchestre des hospices civils de Lyon, à Mireille, à Marie-France, à Vincent, à Thomas, à Pierre, à René, à Henning …
REMERCIEMENTS INSTITUTIONNELS
Nous remercions, les institutions suivantes d’avoir porté intérêt à notre travail, ainsi que
de l’avoir soutenu financièrement (présentation par ordre alphabétique).
Le Collège Lyonnais des Généralistes Enseignants.
Le Service Commun de Formation en Sciences Humaines et Sociales de l’université
Claude Bernard Lyon 1.
L’Union Régionale des Médecins Libéraux de Rhône-Alpes.
LIENS D’INTERET
Les liens d’intérêt inhérents à ce travail sont constitués par les institutions l’ayant
financé :
- le Collège Lyonnais des Généralistes Enseignants,
- le Service Commun de Formation en Sciences Humaines et Sociales de
l’université Claude Bernard Lyon 1,
- L’Union Régionale des Médecins Libéraux de Rhône-Alpes.
Nous avons effectué notre enquête dans le cadre d’une année recherche. Notre salaire
était versé par les Hospices Civils de Lyon en tant que Centre Hospitalier Universitaire.
Nous avons effectué notre au stage de recherche au Laboratoire d’Etude du
Phénomène Scientifique EA 4148.
Nous déclarons ne pas avoir de lien d’intérêt avec une entreprise fabriquant ou
commercialisant des produits de santé. (Article L 4113-13 du CSP)
Une des personnes rencontrées dans le cadre de notre enquête est décédée
depuis. Nous avons recueilli ses espérances, et il nous est difficile de les analyser.
Nous pensons à toi.
1
ABREVIATIONS
CES : certificat d’études spécialisées.
CSCT : certificat de synthèse clinique et thérapeutique
CHU : Centres Hospitaliers Universitaires.
DCEM 4 : deuxième cycle des études médicales 4ème année.
ECN : épreuves classantes nationales.
GO : Gynécologie Obstétrique.
HPST (loi) : loi Hôpital, patients, santé et territoires
MG : Médecine Générale.
UCBL 1 : Université Claude Bernard Lyon 1.
SM : spécialités médicales.
WONCA : World Organization of National Colleges, Academies and Academic
Associations of General Practitioners/Family Physicians
2
SOMMAIRE
ABREVIATIONS ........................................................................................................1
SOMMAIRE................................................................................................................2
INTRODUCTION.......................................................................................................5
PARTIE THEORIQUE ..............................................................................................7 1 Etude historique, épistémologique et contemporaine de la Médecine Générale.......7
1.1 Histoire institutionnelle et épistémologique des spécialités en Médecine 7
1.1.1 Naissance des Spécialités ...................................................................7
1.1.2 Histoire de l’internat.........................................................................11
1.2 La Médecine Générale en France au début du XXIe siècle ....................15
1.2.1 Un « reste » à penser de la Médecine ................................................15
1.2.2 Des spécificités revendiquées ...........................................................17
1.2.3 Un problème de santé publique.........................................................23
1.2.4 Déficit de choix de la Médecine Générale.........................................24
2 Problématique......................................................................................................33
ENQUETE.................................................................................................................40 3 Méthode ..............................................................................................................40
3.1 Enquête qualitative...............................................................................40
3.1.1 La rigueur du qualitatif (57) .............................................................40
3.1.2 Choix du type d’enquête...................................................................41
3.2 Canevas d’entretien ..............................................................................43
3.3 Protocole de l’enquête ..........................................................................44
3.3.1 Terrain choisi, population étudiée.....................................................44
3.3.2 Recrutement .....................................................................................45
3.3.3 Enregistrement .................................................................................46
3.3.4 Financement .....................................................................................46
3.4 Méthode d’analyse des données............................................................47
3.4.1 Transcription des entretiens ..............................................................47
3.4.2 Analyse des éléments du discours.....................................................47
3.4.3 Analyse descriptive ..........................................................................48
3.5 Méthode de recherche bibliographique .................................................48
4 Résultats et Discussion ........................................................................................50 4.1 Discussion autour de la Méthode..........................................................50
3
4.1.1 Le rôle de l’enquêteur.......................................................................50
4.1.2 Limites de la méthode ......................................................................51
4.1.3 Apports de l’entretien pour les étudiants ...........................................52
4.2 Analyse descriptive ..............................................................................53
4.3 Les entretiens .......................................................................................53
4.3.1 Entretien 1........................................................................................54
4.3.2 Entretien 2........................................................................................54
4.3.3 Entretien 3........................................................................................54
4.3.4 Entretien 4........................................................................................55
4.3.5 Entretien 5........................................................................................55
4.3.6 Entretien 6........................................................................................55
4.3.7 Entretien 7........................................................................................56
4.3.8 Entretien 8........................................................................................56
4.3.9 Entretien 9........................................................................................57
4.3.10 Entretien 10......................................................................................57
4.3.11 Entretien 11......................................................................................58
4.3.12 Entretien 12......................................................................................58
4.3.13 Entretien 13......................................................................................58
4.3.14 Entretien 14......................................................................................59
4.3.15 Entretien 15......................................................................................59
4.3.16 Entretien 16......................................................................................60
4.3.17 Entretien 17......................................................................................60
4.3.18 Entretien 18......................................................................................61
4.3.19 Entretien 19......................................................................................61
4.3.20 Entretien 20......................................................................................62
4.3.21 Entretien 21......................................................................................62
4.3.22 Tableau synthétique et récapitulatif des entretiens ............................62
4.4 Résultats et discussion thématiques ......................................................65
4.4.1 Critères et déterminants du « choix » de spécialité............................66
4.4.2 La place de la Médecine Générale ..................................................110
4.4.3 Discussion : Médecine Générale – spécialité et Médecine Générale –
reste .......................................................................................................148
CONCLUSIONS .....................................................................................................156
4
ANNEXES ...............................................................................................................159 Annexe 1 : caractéristiques de la Médecine Générale selon la WONCA.............159
Annexe 2 : canevas d’entretien. .........................................................................160
Annexe 3 : Les entretiens, voir tome 2 ...............................................................164
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................165
TABLE DES MATIERES.......................................................................................171
TABLE DES ILLUSTRATIONS............................................................................176
5
INTRODUCTION
Les études démographiques en France montrent un déficit actuel de médecins
généralistes qui s’accroît dans le temps (1). Ce déficit est accentué par les modifications
du mode d’exercice des futurs médecins généralistes. Inscrits dans l’évolution de notre
société, ils souhaitent plus de temps disponible pour leur vie privée. La féminisation du
corps médical, en particulier, augmente la proportion de médecins exerçant à temps
partiel. De façon concomitante, la Médecine Générale est une spécialité pour laquelle de
14 à 41 % des postes ouverts lors du choix à l’issue des épreuves classantes nationales
(ECN) restent chaque année non pourvus (2). L’ensemble de ces éléments constitue une
problématique de santé publique (3).
Le choix de spécialité par les étudiants s’effectue par ordre de classement
(obtenu aux ECN). En 2008, 81 étudiants dans les 1000 premiers classés ont choisi la
Médecine Générale et 17,5 % des étudiants classés dans la première moitié (511/2918).
Cette année là, 56,1 % des postes ouverts étaient de la Médecine Générale (3200/5704).
83,4 % des postes non pourvus en Médecine Générale étaient situés dans la moitié Nord
de la France (508/609). Les déterminants de cette dispersion du choix en fonction du
classement sont mal connus.
Le travail a consisté à réaliser une étude afin de comprendre le processus de
choix des étudiants. Une enquête qualitative par entretiens semi directifs auprès de 21
étudiants de deuxième cycle des études médicales quatrième années (DCEM 4) de
l’Université Claude Bernard Lyon 1 (UCBL 1), Faculté de Médecine Lyon Est, a été
réalisée en 2009/2010.
6
PARTIE THEORIQUE
7
PARTIE THEORIQUE
1 ETUDE HISTORIQUE , EPISTEMOLOGIQUE ET
CONTEMPORAINE DE LA M EDECINE GENERALE
1.1 Histoire institutionnelle et épistémologique des spécialités
en Médecine
Afin d’interroger le statut disciplinaire de la Médecine Générale en France au
XXI e siècle, une étude de sa construction apparaît nécessaire. La Médecine moderne,
dite biomédecine a vécu dans les deux dernières décennies de nombreuses révolutions,
qu’elles soient scientifiques, épistémologiques ou institutionnelles. Nous allons retracer
ce parcours, en étudiant particulièrement le dialogue qu’elle a eu avec la Médecine
Générale. Dans un premier temps nous étudierons l’apparition des spécialités de
Médecine. Dans un second temps nous étudierons l’histoire institutionnelle de l’accès
au statut de spécialiste. Nous partirons d’un médecin non spécialiste, en passant par une
population de médecins dont certains sont spécialistes, puis nous arriverons au constat
que qualifier désormais un médecin de spécialiste serait un pléonasme.
1.1.1 Naissance des Spécialités
C’est au début du XIXe siècle qu’un grand tournant de la Médecine a été pris. Ce
tournant nous mène aux disciplines médicales actuelles, au système de soins français,
ainsi qu’au système universitaire. Michel Foucault, dans Naissance de la clinique (4), a
montré comment la Révolution française a été le lit d’une évolution des institutions
hospitalières, et le terreau de la naissance d’une nouvelle médecine « anatomo-
clinique ». C’est dans ce contexte que la notion de spécialité en Médecine est apparue.
Auparavant, le médecin était un soignant parmi d’autres. Les médecins étaient rares et
exerçaient dans les villes, les soins étaient essentiellement assurés par des guérisseurs :
« matrones » pour les accouchements, dentistes, chirurgiens barbiers, etc.
Lors de la Révolution française, le statut corporatiste des médecins est décrié.
L’objectif révolutionnaire dans le domaine de la santé est d’abolir les privilèges tout en
8
préservant la qualité des soins. C’est en août 1793 (thermidor de l’an 1), que les
institutions, corporations médicales, universités et écoles de médecine sont fermées. Les
hôpitaux sont nationalisés. La problématique est alors, de satisfaire à l’idée
démocratique d’équité, qui voudrait qu’il n’y ait pas de privilège pour les médecins.
Alors que la majorité des soins sont faits par de non médecins. Faut-il ouvrir largement
l’exercice de la Médecine ? Faut-il restreindre l’exercice de la médecine ? A qui ? Sur
quelle base ? Quelles seraient les institutions ayant le droit de délivrer des diplômes ?
Mais de quelle Médecine parlons-nous ?
Les transformations révolutionnaires « touchent solidairement le savoir, les
institutions et l’organisation professionnelle de la médecine. » (5). La Médecine est
alors une discipline marginale et peu efficiente. Bien que son organisation
professionnelle concerne un minorité de praticiens (étant donnée la réalité du soin en
France, qui n’est alors pas médical), ce sont ces modifications institutionnelles qui
seront le support du développement de la Médecine (telle que nous l’entendons
aujourd’hui) pendant le XIXe. Le 10 mars 1803 (19 Ventôse an XI) est promulguée la
loi qui restreint l’exercice de la Médecine aux seuls docteurs, exception faite des
officiers de santé qui pourront soigner le « peuple industrieux et actif » (4) (et ce,
jusqu’en 1892). Les docteurs seront formés dans les écoles de médecine qui deviennent
faculté en 1808. Les chirurgiens acquièrent le statut de médecin (6), et même celui de
Docteur. Cette inclusion dans le corps des médecins par reconnaissance est en quelque
sorte la première spécialité, puisque s’ils sont reconnus médecins.
Comme l’a montré Michel Foucault (4), de façon concomitante à la Révolution
(initialement), et de façon progressive pendant le XIXe, le système nosologique médical
est modifié. La révolution médicale en tant que telle est préparée par cette volonté
épistémologique de clarification nosographique. Cette clarification est incarnée par
Laennec, et la publication de son Traité de l’auscultation médiate en 1819. La seconde
moitié du XIXe est ensuite marquée par de nombreuses découvertes, qui fondent la
science médicale (Bernard, Pasteur, Koch …) et constituent la révolution médicale.
Avec l’apparition de la corrélation anatomo-clinique (4), « le symptôme devient donc
signe sous un regard sensible » (4). Cette nouvelle clinique, faite de signes, se
développe dans un exercice médical qui est alors hospitalier.
Nous ne pouvons dissocier, pour étudier l’émergence des spécialités, l’étude de
l’évolution des institutions tant hospitalière qu’universitaire, de celle de la Médecine.
9
En effet, ses entités sont en interactions constantes. La modification nosologique de la
Médecine fonde la révolution pédagogique qu’est la nécessité d’un enseignement
clinique1. Parallèlement la Révolution promeut un idéal d’égalité et de liberté, dont
l’effet sera de modifier le statut du médecin. Le processus de spécialisation est donc le
produit à la fois de nécessités scientifiques, et sociales. Il ne prend son essor et sa
formalisation institutionnelle que dans la fin XIXe siècle puis réellement au XXe siècle,
car initialement il constitue au regard des premiers universitaires une segmentation de
ce qu’est la Médecine : « Au regard de cet exercice de discrimination qui suppose
l’acquisition de connaissances sur l’ensemble de la pathologie, la spécialisation est
perçue comme une limitation dont les effets ne peuvent qu’être néfastes. » (5) La
Médecine est alors d’un point de vue épistémologique et telle qu’elle est revendiquée et
reconnue par ses porte-paroles universitaires une entité globale, non sécable. Les
mécanismes de naissance des spécialités sont divers et multiples, et comme le souligne
Patrice Pinell dans l’article Spécialisation du Dictionnaire de la Pensée Médicale (5),
en privilégier une serait une erreur, alors qu’il s’agit de divers processus
sociohistoriques complexes2.
La fin du XIXe siècle voit se développer une médecine de ville (et dans les
grandes villes uniquement) concurrentielle qui concerne des patients fortunés
(contrairement aux hôpitaux, qui, alors, accueillent plutôt des indigents). La
revendication d’une spécialité est alors une démonstration de prestige individuel auprès
des privilégiés qui accèdent au médecin pour se soigner (rare sont ceux qui accèdent au
médecin, encore, ceux qui le font, se trouvent dans ce système concurrentiel). C’est ce
type de spécialisation qui est dénigré initialement.
Par ailleurs l’évolution anatomo-clinique de la Médecine donne une
spatialisation de la nosologie, et en conséquence aboutit à une conception localiste de la
maladie. C’est ainsi que des spécialités se créent autour du lieu de la pathologie étudiée,
ce sont les spécialités d’organe (comme la cardiologie). Les différentes conceptions de
la maladie seront alors un support possible d’une spécialisation : un système (digestif :
gastro-entérologie), une fonction (hormones, endocrinologie), une technique (rayons X,
radiologie), etc. 1 Nous reviendrons sur ce point dans notre analyse de l’histoire de l’internat. 2 Notre propos n’est pas, ici de détailler l’ensemble de ces processus, mais bien d’en souligner les grands
axes.
10
Parallèlement, le XIXe siècle voit le développement des hôpitaux, comme lieu
d’enseignement de la clinique pour les étudiants en Médecine. Le recrutement
spécifique de certains hôpitaux conduit à une spécialisation de fait des médecins qui y
exercent (par abandon du traitement des autres pathologies). Nous pouvons citer ici le
cas des hôpitaux pédiatriques, psychiatriques, mais aussi des hôpitaux dédiés aux
pathologies contagieuses (syphilis, tuberculose), dans le cadre d’une prise en charge
d’un problème de santé publique. Progressivement l’hôpital devient le cœur de
l’enseignement de haut niveau, et le lieu de l’étude des maladies, et finalement, le lieu
d’une pratique spécialisée de par le type de patient ou le type de pathologie du patient.
Secondairement le fait d’être médecin à l’hôpital est devenu le synonyme de
spécialisations. Ici c’est l’institution hospitalière qui se spécialise avant que ces
membres (médecins) ne le deviennent.
Au XXe siècle, l’ensemble des phénomènes décrits s’amplifie. Les deux
principaux tuteurs de cette partition de la Médecine en spécialités sont d’une part les
progrès scientifiques et d’autre part l’évolution du système hospitalier. La connaissance
anatomopathologique, physiologique, mais aussi les possibilités thérapeutiques et
diagnostiques sont exponentielles, et délimitent de nouveaux champs de spécialités à
conquérir. Le corps est divisé en organes, systèmes fonctionnels, dont le spécialiste se
saisi. Simultanément, les hôpitaux s’organisent autour de ces champs spécifiques, par
services, ou encore par bâtiment, et enfin l’hôpital même peut être le lieu d’un organe,
d’une fonction (hôpital cardiologique). En 1958, les centres hospitalo-universitaires
(CHU) sont créés par l’ordonnance Debré. Cette réforme institutionnalise d’autant plus
le statut de spécialiste ainsi que la place hospitalière des meilleurs d’entre eux. Il existe
une concordance entre une (bio-)Médecine, un système de santé hospitalo-centré, et un
enseignement universitaire : cette concordance se fait autour d’une spécialité, et cette
spécialité est une partie (du corps, d’une technique …).
D’une façon générale, de la genèse d’une spécificité médicale à sa
reconnaissance comme spécialité, le passage institutionnel est obligatoire (mais non
suffisant). Comme pour les hôpitaux, le processus est identique pour les revues
spécialisées, les corporations (création de collèges de spécialités). C’est la création
d’une chaire universitaire qui reconnaît à la discipline, son statut de spécialité de la
Médecine (par divisions successives de celle-ci), puis l’accès à la spécialité est régulé.
« L’autonomisation successive de branches spécialisées fait évoluer la conception
11
même de la clinique générale. A mesure que celle-ci se voit soustraire une part de plus
en plus importante de la pathologie, elle perd sa cohérence épistémologique et tend à
être redéfinie comme un domaine par défaut, matrice de futurs territoires spécialisés.
D’où le renversement de la hiérarchie symbolique au profit des spécialités et,
finalement, la disparition des chaires de clinique médicale générale. » (5)
1.1.2 Histoire de l’internat
Nous venons de voir comment depuis la Révolution française nous sommes
passés de médecins (charlatans ?) qui pratiquaient une Médecine avec une nosologie
botanique à des Docteurs, diplômés, qui pratiquent une Médecine « qui se donne et que
nous recevons comme positive » (4) à partir de la méthode anatomo-clinique. Cette
Médecine positive s’enseigne non plus seulement comme une théorie, mais aussi en tant
que pratique auprès des malades. « Les malades d’hôpital sont, sous plusieurs rapports,
les sujets les plus propres pour un cours expérimental. » (4) L’accès à cet enseignement,
et au statut de spécialiste est réglementé en France, via le concours de l’internat.
1.1.2.1 1802-1982 : Internat des hôpitaux
C’est le 23 février 1802 (4 ventôse X), qu’est créé le concours de l’internat des
hôpitaux. « La notion d’un concours, c’est-à-dire avec un nombre de places limitées,
répondait au souci républicain d’écarter tout favoritisme. » (7) L’externat et l’internat
sont alors des concours hospitaliers indépendants de l’université. L’enseignement
pratique hospitalier concurrence l’enseignement théorique universitaire. Le premier est
plébiscité. Le concours au fur et à mesure de la reconnaissance des spécialités en
devient la porte d’entrée. Seule une « élite » peut revendiquer le statut d’interne des
hôpitaux. Initialement il s’agit donc d’un mode de formation, dont l’accès, dans la
mesure où il n’y a pas de place pour tous, est restreint par un concours. « L’usage, en
effet, a fini par établir une confusion sémantique entre deux dimensions distinctes du
vocable qui, depuis l’origine, étaient, il est vrai, liées dans la réalité des choses :
l’internat en tant que concours, d’une part, et l’internat en tant que modalité de
formation, d’autre part. » (8) Le statut d’interne des hôpitaux est une distinction
honorifique, un privilège.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle devant le délaissement de certaines
spécialités, une voie de rattrapage est créée, le certificat d’études spécialisées (CES).
12
C’est une possibilité de spécialisation, mais qui reste un enseignement essentiellement
théorique par opposition à l’internat. On retrouve ici l’opposition initiale entre ceux qui
se formaient uniquement à la faculté de Médecine et ceux qui réussissaient le concours
de l’internat (formation pratique hospitalière).
1.1.2.2 1982-2004 : Internat universitaire
En 1982, une loi réforme le troisième cycle des études médicales, et institue un
nouvel internat (elle sera appliquée en 1984). Les CES sont supprimés, le titre de
spécialiste ne s’acquière plus que par la réussite du concours de l’internat.
« Pourquoi réformer les études de médecine ? » (9) Les problèmes sont de trois
ordres : pédagogiques, démographiques et économiques. Sur un plan pédagogique il
persiste une différence, entre la formation des spécialistes par le biais de l’internat et
celle des spécialistes issus des CES, la suppression de ceux-ci permet l’uniformisation.
Par ailleurs le manque prévisible de médecins généralistes et « l’excès » de spécialistes
(prescripteurs coûteux), corrélé à la disparité de répartition des médecins en France,
représentent les problèmes démographiques et économiques. La réforme a ainsi pour
objectif de revaloriser l’exercice de la Médecine Générale. Initialement, le projet est de
créer l’internat pour tous, mais devant l’ampleur des mouvements sociaux, le projet est
abandonné. « Et en revenir, notamment, sous l'effet de l'action des internes et chefs de
clinique, jaloux de leurs prérogatives et soucieux de maintenir les distances, au scénario
qui, à défaut de perpétuer l'ancien système, réservait au moins l'internat aux seuls futurs
spécialistes. » (8) C’est pourquoi est créée une filière spécifique de troisième cycle en
Médecine Générale, ouverte à tous, qui est appelée résidanat pour la distinguer de
l’internat, lui-même dévolu aux spécialistes.
La réforme, en faisant de l’internat l’unique possibilité d’accéder au statut de
spécialiste a poussé plus d’étudiants à le présenter, alors qu’auparavant ils savaient
qu’en étant médecins généralistes ils pouvaient encore changer d’avis. La médecine
générale devient d’autant plus le « choix par défaut » (9). La trajectoire modèle de
l’étudiant en médecine est de se présenter au concours de l’internat. « Ce faisant le
spécialiste deviendrait le « médecin réussi », puisque « médecin conforme » au modèle
proposé. » (9) En ce sens cette réforme échoue dans son projet de revalorisation de la
Médecine Générale.
13
1.1.2.3 2004 : La « fin » de l’internat
C’est pour répondre à cet échec de revalorisation de la Médecine Générale et
dans un contexte démographique de plus en plus difficile en termes d’accès aux soins
primaires, qu’une « ultime » ( ?) réforme a lieu en 2004 (10) (en application de la loi de
modernisation sociale du 16 janvier 2002 (11)). Afin de revaloriser celle-ci, les
médecins généralistes passeront par l’internat. Mais il s’agit ici de l’internat en tant que
moyen pédagogique et non le concours3. En effet, tous les étudiants devenant internes,
le concours de l’internat qui désignait les spécialistes n’a plus lieu d’être. Les épreuves
classantes nationales (ECN), sont créées et remplacent l’ancien concours. Grâce à cette
réforme, la Médecine Générale est instituée spécialité de la médecine.
Divers commentaires, accompagnant l’annonce de cette réforme témoignent de
la confusion entre un statut d’élite et un mode de formation. Ainsi Louis Auquier dans
son article retraçant l’Histoire de l’internat (7) publié à l’occasion de cette réforme nous
explique que le terme d’interne serait désormais impropre puisque tous les étudiants le
seront. Son propos est ici de dire que le terme d’interne renvoie à l’acception
« concours ». Alors qu’initialement le concours n’était que la porte d’entrée de
l’internat, dans l’acception « formation ». Les internes eux-mêmes expriment cette
perte : « c'est toute une génération d'internes qui se verra spoliée d'un titre. » (12) Nous
voyons ici que la spécialité est identifiée à l’internat (en tant que système d’élection),
mais aussi à une qualité supérieure. Le fait que les futurs généralistes puissent y accéder
(bien que ne modifiant en rien, le déroulement de la formation des autres internes), est
une dévalorisation du titre d’interne.
La reconnaissance de la Médecine Générale comme spécialité est donc vécue
comme une dévalorisation des spécialités classiques. Le classement se révèle être un
fort marqueur de sélection4 néanmoins, et les « bien classés » persistent à privilégier les
spécialités classiques. Michel Arliaud le prévoyait devant l’annonce de la réforme : « La
mise en correspondance entre les meilleurs étudiants et les fonctions et statuts
professionnels considérés, à tord ou à raison, comme les plus élevés, est, de ce fait, loin
d'être compromise. » (8) En effet, l’aspect classant des ECN, permet de maintenir le
système hiérarchique du concours de l’internat.
3 Selon la distinction soulignée par Michel Arliaud. 4 Nous développerons ce point dans notre discussion.
14
Les spécialités médicales sont donc apparues progressivement, comme un reflet
des institutions, de phénomènes sociaux et de l’élaboration d’une médecine anatomo-
clinique, puis d’une biomédecine. La partition de la Médecine, dans son exercice
hospitalier, enseignée à l’université, a laissé un « reste » : la Médecine Générale.
L’accès réglementé à ces spécialités était réservé à une élite, sélectionnée par un
concours, celui de l’internat. Cette élite bénéficiait alors de la formation de l’internat, et
était auréolé du titre d’ancien interne, pour le reste de son exercice de médecin. La
réforme de 2004, en supprimant le concours de l’internat a hissé, le « reste », la
Médecine Générale, au rang de partie : une spécialité. C’est ainsi une spécialité qui n’a
pas d’exercice hospitalier, ni d’organe spécifique, ni de partie de la Médecine qui lui
soit propre, à revendiquer. Est-ce que l’accès au statut institutionnel d’interne est
suffisant pour instituer le rang (et l’auréole ?) de spécialistes, aux futurs médecins
généralistes ? Rien n’est moins évident au regard des réactions des internes à l’annonce
de la réforme.
15
1.2 La Médecine Générale en France au début du XXIe siècle
La Médecine Générale s’est constituée depuis la Révolution française, comme
un reste de la Médecine, découpée en spécialités. Depuis 2004, intégrée aux épreuves
classantes nationales, cette discipline est reconnue comme une spécialité de la
Médecine. Nous étudierons la place de cette discipline de nos jours. Quel est ce
« reste » de la Médecine, et qu’en penser ? Quelles sont les spécificités de cette
discipline ? Nous détaillerons ensuite les enjeux de santé publique liés à la Médecine
Générale. Enfin nous verrons les premiers résultats des ECN en termes de choix des
étudiants.
1.2.1 Un « reste » à penser de la Médecine
Dans un premier temps nous avons exploré la construction des spécialités de
Médecine, et nous avons constaté que d’un point de vue tant universitaire
qu’institutionnel, la Médecine Générale s’est constituée en creux, en négatif, il s’agit
d’un « reste ».
« De ce fait, le processus de spécialisation, qui se développe par approfondissement
scientifique ou technique de compétences communes, a installé la médecine
générale à une place résiduelle et statutairement dominée dans la division
hiérarchique du travail médical. Elle est une première approximation de "ce qui
reste", ce dont les divers spécialistes ne s'occupent pas parce qu'ils font plus et
autrement, ou parce que cela ne requiert pas de compétences supplémentaires. »5
(13)
Cette construction en négatif fait aussi de la Médecine Générale une discipline peu
étudiée des sciences humaines. L’absence d’entrée concernant la Médecine Générale
dans le Dictionnaire de la pensée médicale (14) est caractéristique de ce délaissement.
Comment penser un « reste » ? Y aurait-il matière à penser ? Il existe néanmoins une
entrée « Médecine libérale » (15), qui évoque la posture difficile de la médecine non -
hospitalière dans le système de santé. Cette posture est issue de l’histoire des médecins
qui ont revendiqué leur liberté début XIXe en se distinguant, des corporations. La
médecine libérale si elle évoque aujourd’hui le libéralisme, était avant tout un mode
5 Nous soulignons.
16
d’exercice renvoyant au fait qu’elle se revendiquait un « art libéral », fondé sur le
« livre et le savoir » (15) (par opposition aux « arts mécaniques »). La Médecine
Générale par son exercice uniquement libéral a été oubliée de toutes les recherches en
sciences humaines qui se sont penchées sur les institutions. Le système de santé
français, a fortiori depuis l’ordonnance Debré de 1958 créant les CHU, est hospitalo -
centré. Le fonctionnement de l’institution hospitalière, et donc des spécialités, est le
centre de l’attention des sciences humaines. Il n’est pas rare que les propos tenus sur la
Médecine ne concernent en fait que la Médecine hospitalière. Lorsque les sciences
humaines traitent de Médecine hospitalière, elles parlent de Médecine. Elles
n’imaginent pas qu’il y ait une Médecine non hospitalière.
« Les chercheurs en sciences sociales s'intéressent avant tout à l'innovation. Ils ont
tendance à suivre des domaines nouveaux ou en transformations, plutôt que des
activités bien établies, ils s'intéressent davantage aux disciplines médicales de
pointe (e. g. la cancérologie ou le traitement du sida) qu'aux spécialités médicales
peu innovantes, telles que la médecine de ville ou la gériatrie. En outre, quand les
sociologues se penchent sur des domaines d'activité médicale de routine, ils
mettent plus souvent l'accent sur les aspects sociaux du travail médical (relations
médecin-malade, inégalité d'accès aux soins et des choix thérapeutiques. Un acte
"banal" - une prescription pour une pathologie courante - peut ainsi devenir
invisible pour les sciences sociales. » 6 (16)
« Les sciences sociales ne peuvent pourtant se satisfaire de réserver les grandes
questions cognitives, celles qui ont trait aux difficultés de la connaissance ou de la
décision aux « grandes pathologies » et aux « grands médecins », dans le respect
de hiérarchies convenues, ni s’en tenir à une vision condescendante et peu
informée du travail des généralistes comme c’est parfois encore le cas. » 7 (17)
La Sociologie est la discipline des sciences humaines qui fait exception, puisque
de plus en plus et depuis quelques décennies, elle se penche sur ce « « peuple vague »
doté d’une identité collective « en creux » » (18). La publication en 2010 de l’ouvrage
collectif Singuliers généralistes, Sociologie de la médecine générale (19), en est
l’illustration. Cet ouvrage est la synthèse des travaux de recherche sociologique sur la
pratique de Médecine Générale, et sur l’évolution de sa place en tant que discipline dans
le paysage universitaire français, ainsi que dans le système de soin.
6 Nous soulignons. 7 Nous soulignons.
17
1.2.2 Des spécificités revendiquées
1.2.2.1 Définitions
Les médecins généralistes pratiquent une discipline en creux, transparente ou
ignorée souvent des sciences humaines. Cette situation les a amené à chercher à se
nommer par eux-mêmes, à définir leur identité professionnelle. Ce processus qui est
encore d’actualité a notamment abouti en France à la reconnaissance universitaire de la
discipline en 2004 (10). L’émergence d’un syndicalisme spécifique, puis de sociétés
savantes spécifiques dans la deuxième moitié du XXe siècle a été le moteur de cette
quête identitaire. Notamment le diplôme de Médecine Générale n’est pas forcément en
adéquation avec ce qui est revendiqué comme discipline spécifique, ce n’est donc pas le
titre mais la pratique qui fait le médecin généraliste : « Les diplômés de Médecine
Générale n’exercent pas tous la Médecine Générale, c’est-à-dire ne sont pas tous des
omnipraticiens qui dispensent des soins de premier recours en médecine ambulatoire. »
(20)
Plusieurs définitions de la Médecine Générale, et plusieurs référentiels de
compétences,(21) ont été produits par les médecins généralistes en France mais aussi à
un niveau européen, et mondial. Nous nous arrêterons dans ce travail, sur la définition
de la World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations
of General Practitioners/Family Physicians (WONCA), dans sa version européenne.
« La médecine générale – médecine de famille est une discipline scientifique et
universitaire, avec son contenu spécifique de formation, de recherche, de pratique
clinique, et ses propres fondements scientifiques. C’est une spécialité clinique orientée
vers les soins primaires. » (22) Cette définition de la discipline revendique les attributs
des autres spécialités : caractère scientifique (avec recherche et enseignement
spécifique) et caractère universitaire. La première phrase seule pourrait s’appliquer à
d’autres disciplines de la Médecine, nous avons ici une notion de similitude. C’est la
deuxième phrase qui distingue nettement la Médecine Générale des autres spécialités.
En effet, nous avons vu que les « autres » spécialités se sont construites à travers leur
exercice hospitalier, et l’hôpital se situe à partir du deuxième recours dans la plupart des
cas. Cette définition est assortie de 11 caractéristiques, compétences propres (annexe 1),
qui développe ce qui est différent et spécifique, aux soins primaires. Enfin les médecins,
eux-mêmes et en tant que spécialistes sont définis :
18
« Les médecins généralistes – médecins de famille sont des médecins spécialistes
formés aux principes de cette discipline. Ils sont le médecin traitant de chaque
patient, chargés de dispenser des soins globaux et continus à tous ceux qui le
souhaitent indépendamment de leur âge, de leur sexe, et de leur maladie. Ils
soignent les personnes dans leur contexte familial, communautaire, culturel et
toujours dans le respect de leur autonomie. Ils acceptent d’avoir également une
responsabilité professionnelle de santé publique envers leur communauté. Dans la
négociation des modalités de prise en charge avec leurs patients, ils intègrent les
dimensions physique, psychologique, sociale, culturelle, et existentielle, mettant à
profit la connaissance et la confiance engendrées par des contacts répétés. Leur
activité professionnelle comprend la promotion de la santé, la prévention des
maladies et la prestation de soins à visée curative et palliative. Ils agissent
personnellement ou font appel à d’autres professionnels selon les besoins et les
ressources disponibles dans la communauté, en facilitant si nécessaire l’accès des
patients à ces services. Ils ont la responsabilité d’assurer le développement et le
maintien de leurs compétences professionnelles, de leur équilibre personnel et de
leurs valeurs pour garantir l’efficacité et la sécurité des soins aux patients. » (22)
La longueur de la définition peut témoigner de la difficulté à trouver un aspect
de la pratique qui en lui-même en définisse la spécificité, et légitime la qualification de
spécialité. Nous notons ainsi que les médecins généralistes se définissent autour de leurs
patients, et non autour de leurs pathologies, ou organes, ou du traitement qu’ils peuvent
leur proposer.
1.2.2.2 The ecology of Medical Care (23)
Nous avons vu, dans le paragraphe précédant que la discipline de Médecine
Générale se distinguait des autres disciplines, notamment par le fait d’accueillir les
patients en premier recours, et ainsi en constituant une pratique de soins primaires. Nous
rappelons ici les travaux de White, Williams et Greenberg, et leur fameux « carré de
White ». Nous présenterons la figure de la publication historique (23), ainsi que sa
version revisitée, toutes deux tirées de l’article de 2001 (24). Dans les deux cas les
auteurs analysent les problèmes de santé d’une population de 1000 personnes et les
recours qu’ils ont au système de soin pendant un mois. L’étude initiale montre que
parmi 1000 adultes exposés à un trouble de santé pendant 1 mois, 750 ressentent un ou
plusieurs troubles de santé, dont 250 consultent un médecin (une ou plusieurs fois), dont
9 sont hospitalisés, dont 1 est hospitalisé en CHU. L’adaptation des données sur une
19
population comprenant les enfants est similaire. Ce qui est important c’est de noter que
les médecins généralistes travaillent sur la population des 250/1000 et le CHU voit le
1/1000 (ce qui représente la population que les étudiants en Médecine côtoient).
20
Figure 1 : Le « carré de White ». (24)
21
1.2.2.3 Incertitude
Géraldine Bloy pointe une spécificité de la pratique de la Médecine Générale8 :
la confrontation à l’incertitude (17). Géraldine Bloy souligne la posture difficile du
médecin généraliste qui reçoit toutes les plaintes possibles (cf carré de White). Il a à sa
disposition son savoir biomédical, qui est d’une part, « limité », et d’autre part parfois
inadapté à la situation. En effet, les recommandations issues de la médecine fondée sur
les preuves (evidence based medicine), ne sont pas toujours applicables à l’individu (si
tant est qu’il accepte de les appliquer). De plus leur pertinence est à questionner : est-il
justifié de transposer les résultats de telle étude réalisée à partir de patients américains, à
des patients français ? Est-il justifié d’appliquer des données issues de patients recrutés
au CHU (1/1000 de White) à ceux qu’on voit en ville (250/1000) ? Enfin doit-on
appliquer les recommandations de chaque pathologie dont souffre le patient quand il en
a plusieurs ? Nous constatons une zone de doutes, une zone d’incertitudes, propre à
l’exercice du médecin généraliste. « L’incertitude est constitutive de l’exercice de la
Médecine Générale. » (17).
« Le bonheur d’être spécialiste » (25), selon Michel Arliaud, est justement
d’échapper à ce type de doute. « La pratique spécialisée est souvent suffisamment
standardisée pour épargner à celui qui l’exerce les affres du doute sur ce qu’il convient,
dans chaque cas, de faire, sinon pour obtenir un résultat mais au moins pour respecter la
norme professionnelle. » (25) Cette incertitude, pour le médecin généraliste, prend
forme dans l’instant de prise de décision, les ressources apprises à l’université ne sont
pas toujours suffisantes, ou pertinentes. Cette zone de doute est celle qui est
revendiquée et qui fait l’objet d’identification comme spécifique par les médecins
généralistes. Les différentes formes d’accommodation de l’incertitude en soins
primaires par le médecin généraliste sont résumés dans la figure 1 (17) de l’article de
Géraldine Bloy, reproduite ci-dessous. La spécialité de Médecine Générale telle que
définie ci-dessus, revendique la posture nommée par Géraldine Bloy « incertitude
prégnante ».
8 Nous ne pouvons pas retranscrire, ici la totalité de son analyse riche et pertinente. Néanmoins, nous en
explorerons certains aspects.
22
Figure 2 : Positionnements par rapport à l’incertitude en médecine générale selon
Géraldine Bloy (17)
Le médecin généraliste de par son exercice en soins primaires, a une pratique
dont une caractéristique principale est la prise de décision en situation d’incertitude. La
Médecine Générale en tant que discipline universitaire, tend à se définir comme
spécialité de l’incertitude. L’enseignement des premier et deuxième cycles des études
de Médecine, ne traite pas de cette compétence particulière : la gestion de l’incertitude.
23
1.2.3 Un problème de santé publique
« La démographie médicale est l’étude des caractéristiques démographiques
(âge, sexe) des professions médicales et paramédicales. » (26) Cette notion est souvent
abusivement utilisée pour parler de la Géographie de la santé (27). Ces deux disciplines
combinées se posent la question de la congruence entre des besoins de santé, transcrit en
besoins en médecins, et l’offre de soins, et notamment l’offre des médecins.
En 1971, devant l’accroissement des inscriptions en faculté de Médecine, le
numerus clausus est instauré, c’est le principal régulateur de l’offre de médecins en
France (un autre étant la modification de la durée d’exercice, retraites anticipées ou
repoussées). Le nombre de médecins formés chaque année a diminué pour être
finalement relevé depuis les années 90, car la crainte de manque de médecins s’est
substituée à la crainte d’excès de médecins. De bilans excédentaires en offre médicale
on se retrouve face à des projections déficitaires.
Plusieurs institutions ont rendu des rapports sur la démographie et la géographie
médicales, elles sont unanimes. Il existe d’ores et déjà des disparités qui sont qualifiées
d’inégalités d’accès aux soins en fonction des départements en France. Le nombre de
médecin par habitant est projeté en diminution. Globalement, le déséquilibre attendu est
plurifactoriel. Si par la suite nous développerons plus l’aspect de l’offre médicale à
prévoir, il est important de noter qu’il y a aussi une augmentation des besoins (et peut-
être de la demande) en Santé. Cela se traduirait en besoins médicaux accrus, alors que le
nombre projeté de médecins est en baisse. La Médecine Générale en particulier est une
« discipline en crise » (1, 28). La répartition actuelle des médecins généralistes est
source de difficultés d’accès aux soins primaires pour certaines populations (29). Les
projections (1, 30) diverses montrent l’accroissement des « zones blanches », et
évoquent une « pénurie » de médecins généralistes. Cette pénurie numérique de
médecins généralistes, par rapport à la population, est accrue lorsqu’on considère le
mode d’exercice de cette population projetée. En effet, les médecins généralistes à venir
s’installent moins vite, envisagent plus de préserver leur vie personnelle et notamment
en diminuant leur temps de disponibilité, et leur temps de travail, a fortiori si ce sont
des femmes (et la proportion de femmes médecins généralistes en exercice est en nette
augmentation) (31, 32).
24
Cette inadéquation prévue entre les besoins en santé des populations et les
médecins généralistes est un problème de Santé Publique. Il est de la responsabilité
sociale des universités de produire les médecins dont la population, qui dépend d’elles,
a besoin (3). Il est de la responsabilité des politiques de prendre les mesures adéquates
pour assurer la Santé des populations. Les solutions potentielles sont, en elles-mêmes,
une problématique à part entière, et il n’est pas notre propos de les développer ici.
Notons simplement que la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) (33), tente de
répondre en partie à cette problématique, et qu’elle est controversée.
Aux termes du carré de White (et avec toutes les précautions que cette projection
suppose), le déficit de médecins généralistes représenterait une difficulté d’accès aux
soins pour les 250/1000 personnes qui ont besoin d’une consultation dans un mois.
1.2.4 Déficit de choix de la Médecine Générale
1.2.4.1 Une spécialité dite « dévalorisée » et peu attractive
L’une des réponses au problème de santé publique annoncé, qu’est la raréfaction
des médecins généralistes, praticiens de premier recours est la « revalorisation » de la
Médecine Générale. Il est entendu (dans le sens commun) que la Médecine Générale est
dévalorisée, sa revalorisation est un souhait unanime mais protéiforme : « On parle
beaucoup de la dévalorisation de la Médecine Générale. » (34)
La reconnaissance universitaire de la Médecine Générale et son intégration à
l’internat (en supprimant le concours) est la fondation de cette revalorisation. En effet
depuis 2007, tous les médecins diplômés sont qualifiés dans leur discipline, et par là
même en sont reconnus spécialistes. Une manière de pallier au déficit de médecins
généralistes prévu mais non souhaitable, est d’augmenter le ratio de futurs médecins
généralistes parmi les internes (le nombre d’internes total étant déterminé par les
numerus clausus, de 6 et 7 ans auparavant).
Depuis la création des épreuves classantes nationales, chaque année parmi les
postes restants9, la discipline de Médecine Générale est celle qui est majoritairement
déficitaire (2, 35, 36). Les statistiques montrent qu’en 2008, la Médecine Générale
représentait 98% des postes non - pourvus aux ECN, alors qu’elle ne représentait que 56 9 L’adéquation parfaite entre le nombre de postes proposés, et celui des personnes qui intègrent leurs
postes de façon réelle étant impossible pour des raisons que nous ne détaillerons pas ici.
25
% des postes ouverts au choix (2). Non seulement la Médecine Générale est le « reste »
des ECN, mais de par le caractère classant des ECN, l’ancienne hiérarchie des
spécialités reste d’actualité. On parle de « désintérêt » (37-39), des étudiants pour la
Médecine Générale. De nombreuses thèses ont évalué le souhait « à priori » des
externes pour la Médecine Générale qui est variable selon les enquêtes entre 10 et 50%.
Dans son travail, Alice Hammoud (40) met en évidence que 2/3 des externes en
DCEM4 de Paris V, n’ont pas arrêté leur choix ; 10% déclarent vouloir faire MG. Dans
la thèse de Sylvain Duriez (41), environ 50 % des externes envisagent d’être médecins
généralistes mais seulement 13 % comme choix confirmé. Son étude montre un lien
entre une mauvaise représentation de la Médecine Générale et le non souhait de
l’exercer (résultat statistiquement significatif). Kévin Chaulier (42), dans son travail de
thèse, a proposé un questionnaire à tous les étudiants en DCEM4 à l’ECN blanc
commun des facultés de Lyon, en 2008, qui était obligatoire. Les étudiants on classé
leurs souhaits de spécialités de 1 à 11. La Médecine Génréale est arrivée en 2ème selon
son rang moyen (2,98). 34,4 % des D4 déclarent que leur premier choix est la Médecine
Générale. Edouard de Germay (43), dans son travail de thèse a réalisé une enquête
auprès des DCEM4 de Tours en 2005/2006. 37 externes sur 93 (40 %) veulent faire
Médecine Générale en premier choix.
Nous présenterons quelques repères issus de la littérature sur la place de la
Médecine Générale dans le choix de spécialité. Quels sont les critères de choix connus
de spécialité, à l’étranger, en France ? Quelle est l’image de la Médecine Générale ?
Nous discuterons par la suite cette caractérisation de « dévalorisation », de la Médecine
Générale dans notre problématique.
1.2.4.2 Déterminants du choix de spécialité par les étudiants en Médecine
1.2.4.2.1 Critères de choix de spécialités versus Médecine Générale
De nombreux travaux de qualité ont été menés dans d’autres pays que la France.
Le point de départ de ces recherches est souvent la question du non choix de la
Médecine Générale. Nous présenterons ici quelques études qui, ou par leur méthode
proche de la nôtre, ou par leur caractère synthétique (revue) nous ont semblées les plus
pertinentes pour notre réflexion10.
10 L’exhaustivité n’étant pas, ici, recherchée.
26
1.2.4.2.1.1 Australie
Une étude qualitative par entretiens semi directifs (entretiens de médecins et
d’internes), similaire à la nôtre a été réalisée en Australie (44) Elle présente de
nombreux thèmes (explicatifs du choix ou non de la Médecine Générale) pertinents
organisés dans les rubriques suivantes :
- facteurs de choix de spécialité en général,
- contacts avec la Médecine Générale pendant le cursus initial,
- l’attrait de la Médecine Général en tant que carrière (type d’exercice),
- facteurs d’attractivité de la Médecine Générale,
- facteurs repoussants de la Médecine Générale,
- l’enseignement de la Médecine Générale,
- le travail en équipe,
- l’attachement au milieu rural.
1.2.4.2.1.2 Canada
Une étude canadienne s’est attachée à déterminer des facteurs ayant généré un
changement de choix professionnel en faveur ou en défaveur de la Médecine Générale
(45) :
- exposition clinique favorable,
- facteurs économiques ou politiques,
- type de vie médicale,
- encouragements,
- habiletés ou compétences particulières,
- facilité d’obtention d’un poste,
- avis dissuasif d’un médecin.
1.2.4.2.1.3 Etats-Unis
Une revue de la littérature américaine publiée en décembre 2003 retient les
facteurs liés au choix de la Médecine Générale suivants (l’indication pour le lien en
faveur du choix de la Médecine Générale est inscrite entre parenthèses) (46) :
- sexe (femme),
- âge (élevé),
- origine ethnique (minorités),
27
- catégorie socioprofessionnelle (parents non médecins généralistes, parents de
bas niveau socio économique),
- statut marital (mariés),
-origine géographique (origine rurale),
- « pré requis universitaires » (sciences comportementales ou « liberal arts »),
- valeurs et connaissances à l’entrée à la fac,
- type de faculté (publique),
- structure de département (grand département de médecine générale),
- « programmes spéciaux » (programmes au long cours, contacts avec la
médecine générale),
- expérience de l’externat,
- composition de la faculté (présence de médecins généralistes à la faculté),
- rôle de modèle,
- doute,
- intention de carrière (absence de projet de recherche ou de carrière).
1.2.4.2.1.4 France :
Il n’y a pas de travail de recherche synthétique sur les critères de choix de
spécialité en France. Nous présenterons dans un premier temps les divers facteurs
favorisant, défavorisant du choix retrouvés dans divers travaux (notamment travaux de
thèse).
Les facteurs déterminants du choix de la Médecine Générale, sont, selon
François-Xavier Schweyer dans le rapport de l’ONDPS 2006-2007 (47) :
- le milieu de formation et ses valeurs,
- le stage chez le praticien,
- le milieu familial et social,
- le choix du conjoint.
Dans sa thèse Sylvain Duriez (41) a étudié l’influence des représentations de la
Médecine Générale sur le souhait de spécialité des externes (DCEM 2, 3,4) de la faculté
de Lille en 2006-2007. Il détermine trois facteurs ayant un lien significatif avec un non
choix de la Médecine Générale comme choix professionnel :
- revenus,
- vie de famille,
- bobologie.
28
« Les caractéristiques mal perçues par les étudiants sont la difficulté du métier de
médecin généraliste (95,6 %), la peur de travailler seul en cabinet (74,64 %) et la
charge de travail insupportable (65,19 %). A l’inverse ils pensent que les revenus
des médecins généralistes sont suffisants (55,80 %), qu’une vie de famille
équilibrée est possible (62,68 %) et que la « bobologie » n’est pas un terme qui
convienne à la pratique de la médecine générale (87,60 %). » (41)
La thèse de Lisa Navarro (48) est l’étude des raisons de l’orientation de 15
étudiants lyonnais. Les traits prépondérants retrouvés pour le choix de la Médecine
Générale sont les suivants :
- attrait pour le métier,
- carrière,
- vie de famille,
- connaissance de la spécialité.
Dans sa thèse analysant les raisons du choix de la Médecine Générale aux ECN
des étudiants qui auraient pu faire une spécialité médicale ou chirurgicale (classement
inférieur à 1500) en 2004, Sophie Albe Dermigny met en évidence que : 40 % des
étudiants déclarent l’avoir choisi pour sa globalité (49), 80 % estiment que leur choix
n’est pas modifié par le fait que la Médecine Générale soit devenue une spécialité
(premier ECN). Les facteurs limitants principaux selon eux sont :
- contrainte de l’emploi du temps (32 %),
- aspect dévalorisé de la Médecine Générale (15 %).
Edouard de Germay (43), a réalisé une enquête auprès des DCEM4 de Tours en
2005/2006 (93/94). Les critères cités en faveur d’une spécialité plutôt que la Médecine
Générale :
- manque d'accès à la MG,
- surcharge de travail administratif,
- peur de la solitude.
Les critères cités en faveur de la Médecine Générale sont :
- diversités des pathologies,
- proximité avec les patients,
- diversité des pratiques professionnelles.
29
A propos des facteurs de choix de spécialités des DCEM4 de la Faculté
Lariboisière à Paris en 2004 (lors du choix de stage de début d'année) Alice Hammoud
(40) met en évidence que s’ils devaient choisir entre leur carrière et leur vie
professionnelle, 73 % des externes choisiraient leur vie personnelle. Les facteurs
déterminants pour le choix sont :
- intérêt intellectuel,
- profiter de sa famille,
- la relation au malade.
- 81 % des DCEM4 déclare que le prestige n’est pas important.
- Pour 51 % des DCEM4 les revenus sont importants.
Dans sa thèse Facteurs influençant le choix de la Médecine Générale chez les
étudiants en Médecine : étude qualitative par focus group en Picardie (50), Amélie
Sellier Petitprez a réalisé des focus group d’externes à propos de leur choix de
spécialités et des éléments (dé)favorisant le choix de la Médecine Générale. Dans le
schéma suivant elle présente la synthèse des différents éléments influençant le choix de
la Médecine Générale :
30
Figure 3 : Facteurs influençant le choix de la médecine générale chez les étudiants
selon Amélie Sellier Petitprez (50)
Le choix de spécialité est donc plurifactoriel, et de nombreux éléments
favorisent ou défavorisent le choix de la Médecine Générale, vis-à-vis des autres
spécialités. Les étudiants confrontent leur projet de vie à leurs représentations des
spécialités.
1.2.4.2.2 Image de la Médecine Générale et hiérarchisation de préférences de
spécialité
Nous avons vu des facteurs de non-(choix) de la Médecine Générale, nous
étudierons les éléments de la bibliographie qui caractérisent l’image de la Médecine
Générale qu’ont les externes. Dans leur enquête De « faire médecine » à « faire de la
médecine » (antérieure à la réforme de 2004), Anne-Chantale Hardy-Dubernet et
Charles Gadéa retrouvent une prédominance des spécialités : « Ainsi, une très grande
majorité de nos interviewés se projettent spontanément dans un exercice spécialisé. Cela
31
concerne trois étudiants sur quatre, toutes facultés et années confondues. » (51) La
plupart des thèses que nous avons citées sont parties de l’hypothèse que la Médecine
Générale n’était pas choisie par les externes parce qu’elle est dévalorisée à leurs yeux.
Selon le rapport de mission remis à Xavier Bertrand par Pierre-Jean Lancry, en 2007,
l’ensemble des personnalités publiques clés interrogées à ce sujet est unanime (52) :
- « au cours des études de premier et deuxième cycle médical les
étudiants n’entendent pratiquement pas parler de médecine générale. »,
l’exposition préclinique à la Médecine Générale est faible (pas
d’enseignant de la discipline, pas de stage, dévalorisation),
- « pas de perspective de valorisation d’une « carrière » » : pas de
recherche, pas de filière universitaire,
- « exercice contraignant »,
- « un métier dévalorisé au cours du temps » : il devrait être de premier
recours il est de dernier recours.
Néanmoins, plusieurs travaux ont fait le constat paradoxal de la bonne image de
la Médecine Générale. Dans la thèse de Sylvain Duriez (41), globalement 90 % des
étudiants ont une bonne image de la Médecine Générale. Amélier Sellier Petitprez
conclut dans son travail que « la majorité des étudiants ont une vision favorable de la
Médecine Générale, et de la considération pour cette spécialité qu’ils décrivent comme
difficile » (50).
Nous avions réalisé une première étude, qui a fait l’objet de la thèse de Camille
Gaidioz et Stéphane Ruhlmann (53), portant sur les représentations d’externes de Lyon
à propos de spécialités. Cette étude a révélé des représentations positives de la
Médecine Générale :
« Les représentations et perceptions implicites associées à cette spécialité se sont
révélées plutôt positives : elle apparaît significativement meilleure, plus agréable,
et plus chaude que les autres spécialités étudiées. La Médecine Générale véhicule
ainsi l’image d’une médecine humaine au sein de laquelle la relation médecin-
malade est prédominante. Elle apparaît également significativement plus utile que
les autres. Nous ne pouvons cependant pas inférer ce critère comme décisif car
toutes les spécialités étudiées ont été aussi considérées comme utiles. Enfin et
surtout, la Médecine Générale apparaît aux yeux des étudiants significativement
plus pauvre et plus dominée que les autres spécialités d’année en année. C’est peut-
32
être bien cette image de médecine aux faibles revenus et «soumise» qui joue en sa
défaveur, les choix d’orientation professionnelle seraient plutôt basés sur des
valeurs pragmatiques telles que le pouvoir et l’argent. » (53)
Ainsi, cette étude qui partait de l’hypothèse que la Médecine Générale subissait
une dévalorisation au cours des études médicales apporte plusieurs enseignements qui
réorientent totalement l’hypothèse. En premier lieu, ils ressort de cette étude
quantitative que la Médecine Générale est fortement valorisée dès le début des études et
qu’elle le demeure tout du long (sur une échelle d’évaluation bien-mal), alors que les
spécialités médicales et chirurgicales, bien que valorisées, le sont un peumoins et
connaissent une certaine érosion. Il n’y a donc pas de dévalorisation de la Médecine
Générale. Il n’en demeure pas moins qu’elle est moins choisie à l’issue des ECN.
L’étude de Camille Gaidioz et Stéphane Ruhlmann porte sur les connotations
associées aux spécialités. Sur l’ensemble des types de connotations étudiées, seuls deux
d’entre eux sont en accord avec la réalité de l’attractivité constatée : sur l’échelle riche-
pauvre comme sur l’échelle dominant-dominé, la Médecine Générale est en retrait.
Cette étude quantitative a donc le double mérite d’invalider une idée admise,
mais inexacte, celle de la dévalorisation (dans un sens global) de la Médecine Générale,
et de suggérer des pistes de réponses, en termes de rémunération et de reconnaissance
professionnelle. Toutefois les limites de l’approche quantitative ne permettent pas de
préciser la situation. Il manque ici une approche fine, au moment crucial et déterminant
du choix de spécialité, portant sur les motivations et les représentations.
33
2 PROBLEMATIQUE
Nous venons de retracer des éléments historiques, épistémologiques, mais aussi
contemporains de questionnement autour de la Médecine Générale. Malgré cette étude
pluridisciplinaire, nous ne savons pas ce qu’est cette discipline, exactement. Si le fait
d’être spécialiste en Médecine est un pléonasme aujourd’hui, en France, la spécialité de
Médecine Générale devient un oxymore. Les différents éléments de caractérisation de la
Médecine, des spécialités, de la Médecine Générale sont parfois contradictoires et
souvent pour le moins paradoxaux. Nous partirons de ces différents paradoxes pour
proposer de nouveaux concepts de « Médecine Générale ». Ces concepts constitueront
nos supports analytiques dans l’élaboration de nos hypothèses de travail, et la
construction de notre enquête.
« Il n’y a de médecine dite générale que dans un système marqué par le
développement de la spécialisation. Sinon cette appellation est superflue : il y a la
médecine, tout court. » (25) C’est la naissance des spécialités qui a justifié la création
du terme (et de son contenu) de Médecine Générale. Le qualificatif de général renvoie
initialement à une idée de totalité. La Médecine Générale était la Médecine. Certains
médecins ont souhaité « se spécialiser », au détriment de certaines connaissances. Ils ont
abandonné une Médecine totalisante. Comme nous l’avons vu cet abandon n’était pas
initialement valorisé auprès des dignitaires de la Médecine pour lesquels la
spécialisation était une solution de facilité. Ce phénomène de spécialisation s’est
amplifié dans un processus exponentiel pendant le XXe siècle (dont la marque
institutionnelle a été la création des CHU par Debré en 1958). La Médecine qui était un
tout a ainsi suivi un processus de division du travail. De division en division, la
Médecine Générale qui aurait pu être une base, s’est constituée en négatif, comme
« reste ». Est-ce qu’un reste de la Médecine est encore de la Médecine ? Dans un
processus d’identification de la Médecine à la spécialisation peut-on qualifier « ce qui
reste » de Médecine ?
Si nous admettons que ce « reste » nommé Médecine Générale est de la
Médecine, cela n’en est pas moins un « reste » avec toutes les difficultés inhérentes à ce
statut de « reste » : aspect hétéroclite et sans unité, ou encore « rebut », « dépotoir ».
Comment penser un « reste » ? Y aurait-il matière à penser ? Un « reste » est-il visible
34
socialement ? Nous l’avons constaté la Médecine Générale demeure encore à ce jour
relativement peu visible pour les sciences sociales. Cette rareté réflexive concernant la
Médecine Générale est l’un des éléments de prolongation de son flou identitaire. Est-ce
que le statut de « reste » de la Médecine Générale définit cette ignorance des sciences
sociales à son sujet ? Les institutions de soins, les hôpitaux (principalement) et en
particulier les CHU étant la principale porte d’accès à la Médecine pour les sciences
humaines, le statut de « reste » de la Médecine Générale serait son voile d’invisibilité.
Ou bien devons-nous considérer que le moindre intérêt des sciences sociales vis-à-vis
de la Médecine Générale serait une preuve de son moindre intérêt, car intrinsèquement
celle-ci aurait une identité de « reste ». Le reste serait ici l’inintéressant, un reste à
éliminer. Nous avons donc un « reste » qui pourrait avoir un contenu mais transparent
car ne correspondant pas aux standards de la Médecine spécialisée et un « reste » qui
serait un négligeable naturellement, et donc un rebut. Ce « reste - rebut » peut-il être de
la Médecine ?
La Médecine en elle-même a bénéficié d’une réelle révolution qui a fait d’elle
une biomédecine, scientifique. L’enrichissement des connaissances et l’accroissement
de la complexité en Médecine sont deux premiers facteurs évidents de la division du
travail en Médecine. Le fait que cette division se soit faite sur le mode de la
spécialisation n’en est pas une conséquence obligatoire. Nous pouvons formuler
l’hypothèse que cette division du travail par spécialité relève d’un processus de
professionnalisation (54, 55). La Médecine est le modèle de réflexion sur la notion de
profession, en tant que telle.
« Pour Eliot Freidson le trait distinctif d’une profession est « son autonomie
légitimée et organisée », autrement dit le fait « qu’on a délibérément garanti aux
professions leur autonomie ce qui inclut le droit exclusif de déterminer qui peut
légitimement faire ce travail et comment ce travail doit être fait ». En d’autres
termes, définir et contrôler l’enseignement qui donne accès à ses rangs constituent
pour une profession un point essentiel et distinctif. » (56)
Nous avons ainsi une division du travail en Médecine devenue incontournable devant
l’incapacité pour un unique médecin d’appréhender l’ensemble des compétences
possibles11. Cette division se traduit en une professionnalisation en spécialité. Jusqu’à la 11 On peut retrouver ce « mythe » de la compétence absolue dans la série Dr House, où les médecins
effectuent aussi bien la prise de sang, que l’IRM, que le diagnostic ou encore la chirurgie.
35
réforme de 2004, le caractère d’autonomie de la Médecine Générale au sens d’Eliot
Freidson n’était pas respecté. Les médecins généralistes ne définissaient ni ne
contrôlaient l’enseignement qui donne accès à leurs rangs. En ce sens la Médecine
Générale contrairement au reste de la Médecine ne serait pas pleinement une profession,
ce qui la cantonnerait dans son statut de reste en tant que ce qui n’a pas pu être organisé
comme profession dans le processus de division du travail en Médecine12.
Les divers traits que nous venons d’examiner tendent à montrer que dans une
dynamique de division du travail en Médecine, une partie de celle-ci n’a pas été en
adéquation avec le processus d’identification de spécialités, elle a constitué un « reste ».
Un transfert épistémologique s’est parallèlement opéré de telle sorte que la Médecine
n’est plus un tout divisé, mais un ensemble de spécialités individualisées et
coordonnées. En ce sens y a-t-il possibilité d’un « reste » ? La Médecine Générale
puisqu’il s’agit d’elle est-elle encore une Médecine dans ce cadre conceptuel ?
Si ce premier cadre tend à légitimer le statut de « reste » de la Médecine
Générale, il se confronte à une analyse issue de la pratique de la Médecine Générale. Il
existe en effet des médecins généralistes qui travaillent et exercent ce qui est reconnu
socialement pour être de la Médecine13. Leur activité représente 250/1000 (des
problèmes de santé d’une population en un mois) selon le carré de White (23, 24) alors
que celle des spécialistes est de 10/1000. Cette projection des chiffres de White n’a pas
de fondement de certitude scientifique14, néanmoins il nous indique un ordre de
grandeur. Le « reste » est nettement supérieur à la Médecine spécialisée, en tant que
nombre de personnes à prendre en charge. Le nombre fait-il pour autant la valeur ? Quoi
qu’il en soit ce « reste » transparent est pourtant une pratique étendue. On peut
s’imaginer qu’il y ait matière à penser.
12 Nous ne développerons pas plus, dans ce propos, les questions soulevées par la notion de profession.
Néanmoins cet axe de réflexion nous semble pertinent à évoquer et pourrait bénéficier d’un
approfondissement. 13 Il existe des médecins qui exercent la Médecine Générale (spécialité) et des médecins qui sont
diplômés de Médecine Générale (parmi lesquels on retrouve les premiers), dont certains exercent une
médecine qui est exclue de la Médecine Générale (spécialité) telle que définit par les Généralistes. Cette
distinction nouvelle crée par les médecins généralistes tend à créer un nouveau reste. 14 D’autant que le travail n’est pas issu du système de soins français.
36
Les principaux concernés se saisissent par conséquent de leur pratique afin de la
penser. Les médecins généralistes15 ne se pensent pas en « restes » mais se pensent en
spécificités. Nous l’avons vu, les médecins généralistes se définissent en cherchant des
critères permettant d’intégrer le processus de spécialisation (processus institutionnel et
professionnel). Les médecins généralistes se définissent autour de leurs patients, et non
autour de leurs pathologies, ou organes, ou de la thérapeutique. Ils n’utilisent pas la
division de la Médecine en domaine, contrairement aux autres spécialités. Ils se centrent
notamment sur la notion de soins primaires, la relation aux patients16, et à la
communauté, qui sont des valeurs étrangères au monde hospitalier17. Si la construction
des spécialités est centrée sur la réduction de l’incertitude en diminuant notamment le
nombre de pathologies potentielles des patients traités, la Médecine Générale est dans
une posture de la plénitude de l’incertitude, ce qui est un paradoxe quand on cherche à
se revendiquer comme spécialité. En cherchant à revendiquer la Médecine Générale
comme spécialité, les médecins généralistes circonscrivent les spécificités de leur
exercice qui fait que leur discipline n’a pas été reconnue comme spécialité dans le
processus initial de spécialisation. La Médecine Générale se définit ou pourrait se
définir comme spécialité sur des critères différents des processus de spécialisation
classique.
Nous avons donc identifié deux Médecines Générales. Une Médecine Générale
en creux, ignorée, un « reste » de la Médecine, qui est aussi un reste à penser des
Sciences Humaines. Et, par ailleurs, nous avons une Médecine Générale positive
construite par ses propres praticiens, qui est en phase de revendication et qui cherche à
se définir. Pour permettre une reconnaissance, elle cherche à s’approprier le langage de
la Médecine de spécialité, pour être reconnue comme « pair », tout en se confrontant à
ses propres spécificités. Nous avons d’un côté un « reste » Médical, de l’autre une
discipline positive qui se revendique spécialité médicale : une Médecine Générale –
15 Nous nous référons ici aux médecins généralistes inscrits dans une démarche définition (les
enseignants, les sociétés savantes, les syndicats). 16 Définition du concept de soins primaires d’approche centrée sur le patient. 17 Evidemment, le monde hospitalier se soucie de la relation au patient. Mais, ce n’est pas un élément
caractéristique des définitions des spécialités hospitalières, celles-ci sont centrées sur un organe, une
pratique, une technique, etc.
37
spécialité et une Médecine Générale – reste. Ce sont ces deux conceptions de cette
discipline qui sont en jeu.
La Médecine Générale – spécialité fait l’objet de revendications pour la
reconnaissance de son statut. La Médecine Générale est le cœur d'une problématique de
Santé Publique. Les institutions françaises face au problème de santé publique, qui, lui,
est visible18, ont intégré la Médecine Générale à l’internat. Cette intégration
universitaire, s’est traduite non pas forcément dans le transfert des valeurs positives de
l’internat (dans son acception « concours »), mais plutôt par la contamination de celui-ci
(qui d’ailleurs a perdu son titre, et se nomme ECN) par le « reste ». Le titre d’interne a
perdu de sa valeur, celui de médecin généraliste en a-t-il gagné ? L’objectif de
reconnaissance de la Médecine Générale comme spécialité en l’intégrant aux ECN était
de revaloriser celle-ci afin d’inciter les futurs médecins à l’exercer.
Revaloriser la Médecine Générale, suggère qu’il s’agit d’une discipline
dévalorisée (comme reste – rebut). La Médecine Générale – reste semble incarner la
dévalorisation de la discipline à laquelle les institutions souhaitent substituer la
Médecine Générale – spécialité. Le déficit de choix de la Médecine Générale par les
étudiants en sixième année de Médecine est assimilé à une dévalorisation de celle-ci. Et
le déficit de choix de la Médecine Générale dans les premiers classés aux ECN est une
« marque » de dévalorisation sociale de la discipline (cause, conséquence ?). Nous
avons vu que les travaux qui explorent les représentations que les étudiants en Médecine
ont de la Médecine Générale sont contradictoires avec cette idée reçue.
Malgré la reconnaissance de la Médecine Générale – spécialité par son
intégration aux ECN, la Médecine Générale constitue le « reste » des ECN. Que penser
du fait que la mesure qui est sensée reconnaître la Médecine Générale – spécialité, de
par son caractère classant, repositionne celle-ci dans une position de reste ?
La Médecine Générale discipline floue à la croisée d’une Médecine Générale –
spécialité et d’une Médecine Générale – reste est peu choisie par les futurs médecins
français. La population française manquera de médecins de premiers recours, médecins
généralistes. Comment expliquer le non choix de la Médecine Générale à l’issue des
épreuves classantes nationales, sachant que les représentations globales de la Médecine
Générale vis-à-vis des autres spécialités est positive ? Quels rôles jouent les
18 Et notamment dans sa dimension de politique locale : « Je veux un médecin dans ma commune ».
38
représentations qu’ont les étudiants des spécialités dans leur choix ? Est-ce que les
domaines de l’argent et du pouvoir (53), en particulier sont prédominants dans le choix
de spécialité ?
Est-ce que l’absence d’apprentissage sur la prise de décision en situation
d’incertitude pour les externes est un frein à leur projection en Médecine Générale ?
L’enseignement de l’externat se positionne plus sur « l’incertitude balisée » (17) que
« l’incertitude prégnante ». Comment se préparer à un exercice qui se revendique
comme centré sur le patient, et la relation que l’on a avec lui, en situation d’incertitude,
quand on est formé à traiter des maladies et qu’on apprend la certitude de la
thérapeutique ? La place restreinte de la Médecine Générale dans le cursus n’engendre-
t-elle pas, aussi, d’une part une méconnaissance source de craintes, et d’autre part un
manque curriculaire de compagnonnage (effet de modèle).
Nos hypothèses de travail sont les suivantes :
- les étudiants en Médecine ont une image positive de la Médecine Générale,
- les étudiants en Médecine fondent leur choix sur l’argent et le pouvoir plus que
sur l’image en elle-même des spécialités,
- le choix de spécialité est un processus complexe multifactoriel où l’attrait
professionnel n’est pas toujours prépondérant,
- la Médecine Générale est une discipline floue traversée de deux axes la
Médecine Générale – spécialité et la Médecine Générale – reste. Ce déficit identitaire
favorise le déficit de choix de la Médecine Générale et donc aggrave le problème de
santé publique inhérent,
- la Médecine Générale est méconnue du fait de sa faible présence dans les deux
premiers cycles d’études de Médecine,
- les effets attendus de la réforme des ECN et du stage d’externat en Médecine
Générale sont faibles car récents.
Pour explorer nos hypothèses de travail nous allons étudier la construction du
choix de spécialité des étudiants en Médecine. Nous l’avons constaté, plusieurs travaux
ont exploré d’une part les facteurs influençant le choix de la Médecine Générale et
d’autre part l’image que les étudiants ont de la Médecine Générale. Le prérequis
commun à tous ces travaux est la dévalorisation de la Médecine Générale. Celui-ci a été
39
infirmé, dans une acception globale, par l’étude quantitative de Camille Gaidioz et
Stéphane Ruhlmann (53). Il n’existe pas de Médecine Générale unifiée et reconnue.
Mais, une dynamique de structuration de celle-ci autour de la Médecine Générale –
spécialité est en cours : externat et internat de Médecine Générale, formulation de
référentiel métier et compétences en Médecine Générale (21), revues internationales,
etc.
Il nous a ainsi semblé pertinent, de supposer que la Médecine Générale est un
choix équivalent aux autres. C’est pourquoi nous nous attacherons non pas en premier
lieu à identifier les facteurs propres à celle-ci, mais plutôt à identifier la trajectoire d’un
individu face à un choix de vie : son choix de spécialité. Nous avons ainsi décidé
d’explorer le processus de construction de souhait de spécialités des étudiants en
Médecine dans sa phase pré-terminale, dans l’année précédant les épreuves classantes
nationales (la phase terminale étant le temps entre ces épreuves, leur résultat, et le choix
définitif aux amphithéâtres de garnison). Nous espérons, par une étude qualitative
mettre en lumière, à la fois ce qui peut éroder l’attractivité de la Médecine Générale
mais aussi ce qui peut la renforcer, dans le cadre de ce processus.
40
ENQUETE
3 M ETHODE
Nous avons donc réalisé une enquête de terrain pour répondre à la problématique
que nous venons d’exposer. Notre travail de recherche s’est déroulé au sein du
Laboratoire d’Etude du Phénomène Scientifique EA 4148 (LEPS EA 4148). Nous
avons reçu les conseils méthodologiques d’Evelyne Lasserre, maître de conférence en
Anthropologie.
3.1 Enquête qualitative
3.1.1 La rigueur du qualitatif (57)
Comment appréhender de façon pertinente la question du choix de spécialité
pour les étudiants ? Plusieurs études de type statistiques (2, 35, 36) ont mis en évidence
des préférences des étudiants dans leur choix, établissant un classement des spécialités.
Ces travaux ne nous éclairent pas sur les motivations personnelles des étudiants. Les
motivations personnelles ne sont pas de l’ordre du quantifiable. De plus les travaux
utilisant les méthodes quantitatives échouent à mettre en évidence les effets au niveau
de l’individu19. Les méthodes dites qualitatives, sont souvent positionnées en opposition
aux méthodes quantitatives dans le domaine de la recherche. Néanmoins, les qualifier
de complémentaires serait plus pertinent, « l’enquête idéale, si tant est qu’elle existe,
devrait évidemment combiner qualitatif et quantitatif, et qu’il ne saurait être question
d’opposer l’un à l’autre » (57).
Jean-Pierre Olivier de Sardan, dans La rigueur du qualitatif (57), présente
l’ensemble des caractéristiques propres aux méthodologies qualitatives :
« Non seulement l'anthropologie, comme toute science sociale, se déploie dans un
registre « wébérien » (ou « passeronien ») de la plausibilité et non dans un registre
« poppérien » de la falsifiabilité, mais de surcroît les formes de la plausibilité
empirique en anthropologie passent le plus souvent par des procédures d'enquête de
19 Les méthodes quantitatives étudient des populations.
41
type « qualitatif », sous la forme de l'insertion personnelle du chercheur sur un
« terrain », où les interactions entre l'anthropologue et ceux qu'il étudie sont
décisives. »(57)20
Nous allons donc travailler dans le domaine de la plausibilité et nous efforcer
d’identifier les représentations des étudiants à propos des spécialités, et leur lien avec
leur choix. Si nous sommes dans le régime de la plausibilité, il est nécessaire de préciser
ici, ce que ce travail n’est pas. En effet, les méthodes qualitatives, n’étant pas dans le
régime de falsifiabilité, le résultat de ce travail ne sera pas « une preuve ». Néanmoins,
ce n’est pas parce que nous ne serons pas dans le régime de la preuve que le résultat ne
sera pas valable : « l’apport principal d’une recherche socio-anthropologique à un
débat citoyen , du fait de son sujet, me semble être lié à la rigueur avec laquelle ce sujet
sera traité »(57)21 .
3.1.2 Choix du type d’enquête
Le travail de terrain (58), suppose à partir du « réel de référence » de produire
des données scientifiques.
Figure 4 : La production des données selon J.-P. Olivier de Sardan (57)
20 57. Olivier de Sardan J-P. La rigueur du qualitatif Les contraintes empiriques de l'interprétation
socio-anthropologique. Louvain-la-Neuve: Academia-Bruylant; 2008. 21 57. Ibid.
42
Dans ce schéma (57), Jean-Pierre Olivier de Sardan, met en évidence le
processus de recherche. Nous avons à travers notre étude historique, épistémologique,
des spécialités, puis de la Médecine Générale au XXIe siècle construit des
« interprétations et concepts exploratoires », à partir desquels nous avons construit la
problématique de notre travail. Pour pouvoir réaliser les « interprétations et concepts
analytiques », notre enquête devra analyser des « données produites ». Notre rôle sera
de nous « imprégner », afin de réaliser cette analyse. La question méthodologique se
situe dans le choix du type de production de données. Une enquête sur un terrain donné
utilise de nombreux types de production de données. Dans notre cas présent, notre statut
d’enquêteur est particulier, puisque nous faisons déjà partie du terrain d’étude (nous
détaillerons ce point dans notre discussion de la méthode). Dans le cadre de notre stage
nous avons privilégié la méthode de l’entretien (confrontés à la littérature).
L’observation participante si elle est particulièrement riche comme étude de terrain
n’était dans le cadre de notre problématique ni pertinente, ni réalisable. En effet la
construction des représentations à propos du choix de spécialité, ne se situe pas un
instant donné, ni dans un lieu donné. Les externes évoluent dans divers milieux :
l’hôpital, la faculté, les conférences privées de préparation aux ECN. Réaliser une
observation participante pertinente supposerait une imprégnation auprès des externes
sur un long temps. De plus notre statut d’étudiant en Médecine serait ici un frein réel à
la réalisation d’une telle enquête (difficulté de distanciation). Nous pouvons citer ici le
travail de Laurence Chenevat dans le cadre de sa thèse qui est tout à fait pertinent dans
ce cadre (avec la posture de l’enquêteur externe au terrain) (59). Nous pouvons noter
que notre expérience d’étudiante en Médecine constitue un réservoir de données certes
modifiées par le souvenir et interprétées à posteriori. Cette connaissance du terrain si
elle ne peut s’identifier au résultat d’une observation participante, n’en est pas moins (et
avec tout le recul nécessaire) aussi un point positif dans la réalisation de notre enquête.
Notre travail méthodologique en tant que personne est d’être enquêteuse en
terrain connu. Nous avons été le sujet de notre étude, et nous nous constituons au
moment de l’enquête en tant que chercheuse. Le premier travail méthodologique est
donc de mettre à distance ce qui en nous constitue l’objet de notre travail, pour que « la
chercheuse » puisse se les réapproprier avec la « rigueur » nécessaire. Nous avons
réalisé une enquête de distanciation (58) (par opposition à une enquête de dépaysement
(58)).
43
Il existe trois grands types d’entretiens ou « interactions discursives
délibérément suscitées par le chercheur » (57), l’entretien de groupe ou « focus group »,
les entretiens individuels : libre et semi directif. L’entretien de groupe ne nous semble
pas approprié à notre problématique. Ce travail (centré uniquement sur les raisons du
(non)-choix de la Médecine Générale) a été effectué par Amélie Sellier Petitprez dans le
cadre de sa thèse (50). Une de nos hypothèses de travail est que les étudiants sont
soumis à l’influence de représentations sociales sur les spécialités. L’entretien de
groupe ne permettrait pas de mettre en évidence ses influences, car si elles sont
retrouvées en tant que normes sociales, elles seraient revendiquées par le groupe. C’est
pourquoi nous avons privilégié méthodologiquement l’entretien individuel. L’entretien
individuel permet, d’exprimer éventuellement tous types de critères, si tant est que
l’enquêteur ne soit pas identifié à un juge. Nous renvoyons ici au paragraphe sur les
entretiens (60) de Jean-Pierre Olivier de Sardan, qui détaille bien le « savoir faire »
nécessaire au bon déroulement d’un entretien. Une fois la notion d’entretien individuel
retenue, le caractère semi directif s’est imposé à nous. En effet l’entretien libre était trop
incertain dans son déroulé, nous avons donc construit un canevas, support à nos
entretiens.
3.2 Canevas d’entretien
Le canevas d’entretien n’est pas un questionnaire (61, 62). Il s’agit d’une liste de
thèmes, que l’enquêteur aborde dans un ordre ou un autre, selon le déroulement de
l’entretien. L’élaboration se fait d’après les documents existants sur le sujet et les
questions auxquelles nous souhaitons répondre. Le canevas peut se modifier au fur et à
mesure des entretiens, cependant, il faut le tenir pour définitif à un moment donné, au
moment où il existe un sentiment de redondance. Pour que les données soient
généralisables et valides, des conditions de validité doivent être respectées : le canevas
d’entretien doit être modulable, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un questionnaire
auquel il faut répondre dans l’ordre, à chaque question. Les différents sujets sont
abordés selon le déroulement de l’entretien, sans ordre particulier, parfois de façon
spontanée par l’interviewé. Certains thèmes ne sont parfois pas abordés du tout, si
l’interviewé ne semble pas prêt à en parler. Les sujets sont abordés sous forme de
questions, pas toujours formulées de la même façon pour laisser libre cours au naturel
de l’entretien. Les sujets doivent être abordés sous la forme de questions directives mais
44
imprécises, de préférence ouvertes pour ne pas bloquer le dialogue avec l’interviewé,
laisser libre cours à ses idées.
La construction et la validation de notre canevas d’entretien ont fait l’objet d’une
pré-enquête en août 2009, nous n’en détaillerons pas les éléments dans ce texte
puisqu’ils ont déjà fait l’objet de notre Mémoire de Diplôme d’Etudes Spécialisées de
Médecine Générale (63). Les éléments constituants notre canevas sont issus de l’étude
de la littérature (voir notre paragraphe sur le sujet dans la Médecine Générale au XXIe
siècle).
Nous rappelons ici que dans notre pré-enquête nous avions évalué la pertinence
de l’association du différenciateur sémantique (64) de Charles Osgood, à l’entretien
semi directif. Cette association n’avait pas été retenue pour l’enquête définitive.
Le canevas utilisé lors de notre enquête qui s’est déroulée aux mois de mars et
avril 2010 est présentée en annexe 2.
3.3 Protocole de l’enquête
Nous présenterons ici le déroulement de la pré-enquête ainsi que celui de
l’enquête. En effet, étant données les faibles modifications du canevas (qui s’était révélé
pertinent et valide dans son ensemble) lors de la pré-enquête (63) ; les entretiens de la
pré-enquête seront pris en compte dans l’analyse finale.
3.3.1 Terrain choisi, population étudiée
Nous avons étudié les étudiants en Médecine de l’U.F.R. Lyon Est qui ont passé
les épreuves classantes nationales en 2010. Le seul critère d’exclusion retenu est le fait
d’être étudiant à l’école de santé des armées. En effet, les étudiants de l’Ecole de Santé
des Armées passent les ECN de façon à être classés, mais ont des propositions de
carrière différentes, qui forment une problématique différenciée de celle des étudiants
civils.
Nous avons conduit notre travail, dans l’année précédant les ECN. Celui-ci c’est
déroulé en deux temps. Un premier temps de pré-enquête afin d’évaluer la validité du
canevas d’entretien. Puis l’enquête à proprement parler. La pré-enquête s’est déroulée
pendant le mois d’août 2010, les étudiants concernés étaient, ou, entre leur DCEM 3 et
leur DCEM 4 mais ayant déjà débuté leur préparation des ECN (les conférences de
45
préparation aux ECN débutant dès juillet, 12 mois avant les épreuves22) ; ou, ils
venaient d’affronter leur « échec », puisqu’ils venaient de prendre la décision de
représenter les épreuves l’année suivante. Le deuxième temps a constitué l’enquête à
proprement parler. Il s’est déroulé pendant les mois de mars et d’avril 2010. Dans le
déroulement de l’année ce moment avait l’avantage d’être après la fin des obligations
universitaires (les étudiants sont libérés des cours et examens, il ne leur reste plus que
leur stage).
3.3.2 Recrutement
Dans notre population d’étude, l’objectif était de couvrir la variété potentielle
des postures, vis-à-vis du processus de décision. La notion de représentativité statistique
(liée au domaine de la falsifiabilité popperien), ne s’applique pas dans ce cadre
méthodologique. En effet, le fondement de la recherche qualitative, est qu’un signe
unique peut faire sens. Construire un échantillon représentatif au sens statistique du
terme amènerait à avoir peu de cas particuliers. Pour construire notre échantillon
caractéristique, nous avons donc surreprésenté les « minorités » afin de prendre en
compte le maximum d’informations diverses. En ce sens nous obtenons une
représentativité de la variété des postures, ce qui nous permet de généraliser nos
résultats. Nous avons réalisé des entretiens jusqu’à saturation des données :
« Le principe de saturation est évidemment plus qu’un signal de fin : c’est une
garantie méthodologique de première importance, complémentaire de la
triangulation. En différent la fin de la recherche sur un thème ou un sous-thème
jusqu’au jour où on ne recueille plus de données nouvelles sur ce thème ou ce sous-
thème, on s’oblige à ne pas se contenter de données insuffisantes ou
occasionnelles, on se soumet à une procédure de validation relative des données, on
s’ouvre à la possibilité d’être confronté à des données divergentes ou
22 La plupart des étudiants en Médecine préparent les ECN en s’entraînant à des épreuves blanches, qui
sont appelées conférences. Ces conférences sont organisées par des organismes privés et payants (issus de
la tradition de préparation du concours de l’internat du temps où celui-ci était hospitalier, et donc non
universitaire, et ne concernait donc pas le programme d’enseignement au sein des facultés), mais aussi par
les facultés de Médecine. La préparation des ECN est consituée de « cycles » de conférences (faisant le
tour des spécialités au programme). Les étudiants commencent peuvent réaliser un cycle dès le DCEM 2
(suivant les endroits, parfois cela ne débute qu’en DCEM 3), un en DCEM 3, puis en DCEM 4 ils
réalisent un cycle à partir du mois de juillet, puis un deuxième à partir du mois de janvier.
46
contradictoires. « On se donne des contraintes qui obligent à différer
l’induction. » » (57)
Nous avons donc recruté initialement des étudiants que nous connaissions, qui
chacun nous ont présenté une personne de leur connaissance (que nous ne connaissions
pas). Certains autres étudiants ont été contactés par le biais d’autres internes (de ma
connaissance), qui les ont rencontrés dans leurs services, ces étudiants ont, eux aussi
donné le nom d’autres personnes. Enfin, et afin de privilégier une variété de groupe
d’origine, nous avons rencontré des étudiants « au hasard », le jour du choix de stage
pour les 2 derniers trimestres (mars 2010). Notons que ce jour là, parmi les externes
recrutés, certains nous connaissaient en tant que leur ancienne interne (certains ont
accepté l’entretien comme remerciement du temps passé à leur enseigner des choses à
l’hôpital). Nous avons veillé à ce que notre échantillon contienne, non pas tous les choix
possibles, mais des souhaits variés de spécialités. Nous avons souhaité avoir des
étudiants redoublants (et une fois que nous en avons connu un, ils se sont parrainés
mutuellement). Nous avons surreprésenté les hommes (qui sont minoritaires dans les
études de médecine) et qui étaient presque à parité dans notre étude, afin d’appréhender
leurs points de vues. Nous sommes arrivés à saturation de données avec 21 entretiens
réalisés.
3.3.3 Enregistrement
Les données étaient intégralement enregistrés grâce à l’utilisation d’un
magnétophone, Philips Voicetracer 860© avec l’accord de l’interviewé. Elles ont été
anonymisées lors de la retranscription.
Conformément à la loi "Informatique et Libertés", le traitement de données à
caractère personnel réalisé dans le cadre de ce travail a fait l'objet d'une déclaration à la
CNIL. L’ensemble de ces données sera détruit à l’issue du travail.
3.3.4 Financement
Notre travail s’est déroulé dans le cadre d’une année recherche (maintien du
salaire d’interne pendant 12 mois, sans activité de soin, ni obligation d’assister aux
enseignements du DES de Médecine Générale).
Par ailleurs nous avons reçu le soutien de trois institutions afin de financer
(partiellement) :
47
- le règlement d’une secrétaire, pour la retranscription des données,
- les frais inhérents à la bibliographie (prêt entre bibliothèque, acquisition
d’ouvrages),
- la valorisation de la recherche ultérieure (déplacement en congrès, …).
Les institutions nous ayant soutenu, sont les suivantes (par ordre alphabétique) :
- Collège Lyonnais des Généralistes Enseignants,
- Union Régional de Médecins Libéraux,
- Service Commun des Sciences Humaines et Sociales de l’université Lyon 1.
3.4 Méthode d’analyse des données
3.4.1 Transcription des entretiens
Différentes approches de l’enregistrement sont possibles, le chercheur peut
procéder soit à une retranscription intégrale du matériau, soit à une analyse directe à
partir de l’enregistrement. La transcription intégrale permet de ne pas perdre de
données, de faciliter le travail d’identification des catégories d’analyse. Elle entraîne
cependant la perte de certaines informations comme l’intonation, les pauses dans le
discours, les émotions. Nous avons donc choisi cette méthode, sans reformuler les
propos, ni corriger les erreurs de langage. Nous avons ajouté […] pour signifier les
moments de silence, les tons appuyés sont mis en gras, et les bruits parasites et autres
attitudes sont mis en italique. Dans l’analyse lorsque nous citerons un passage, le
caractère souligné, fera référence à la pertinence du propos vis-à-vis de la
problématique à posteriori. Nous avons effectué une partie des retranscriptions, et une
secrétaire en a fait l’autre partie. La transcription intégrale des entretiens constitue
l’annexe 3 de notre travail (tome 2/2), les éléments soulignés en marge correspondent
aux discours cités et commentés dans l’analyse et la discussion de notre travail.
3.4.2 Analyse des éléments du discours
La technique d’entretien que nous avons employée est une méthode
compréhensive, ceci implique que les résultats bruts des entretiens sont constitués par le
48
matériau d’enregistrement. Les résultats tels que nous les présentons correspondent
donc déjà à une interprétation.
Nous avons réalisé une analyse des éléments du discours (tel que transcrit), par
la « méthode de comparaison continue » (65). Nous avons codé les éléments du
discours, en différents thèmes et sous-thèmes tels qu’ils apparaissaient lors de l’analyse.
Les thèmes retrouvés rejoignent les thèmes explorés par le canevas, mais dans notre
analyse nous sommes partis des éléments du discours pour révéler les thèmes (codes) et
nous n’avons pas utilisé de grille thématique à priori à remplir. De façon concomitante,
nous avons réalisé une analyse des thèmes à l’épreuve de notre problématique et de nos
hypothèses.
Notre analyse finale sera présentée dans un premier temps de façon succincte
entretien par entretien. Dans un deuxième temps nous présenterons une analyse
thématique issue de l’encodage.
3.4.3 Analyse descriptive
Nous avons réalisé une analyse descriptive des étudiants rencontrés en
retranscrivant les éléments biographiques pertinents de l’échantillon : âge, sexe, stage
en Médecine Générale, … De plus nous avons analysé les durées des entretiens.
3.5 Méthode de recherche bibliographique
Nous avons interrogés les sources documentaires suivantes jusqu’au 30 juin
2010 :
- base de données bibliographiques automatisées : Medline, CisMEF, BDSP
- autres sources : SUDOC, moteur de recherche Google et Google Scholar
Nous avons lu les résumés des articles et ouvrages retrouvés, et sélectionné les articles
et ouvrages nous paraissant pertinents dans le cadre de notre recherche. A partir de
chaque article et ouvrage trouvé, analyse de la bibliographie à la recherche d’articles et
ouvrages complémentaires pertinents.
Mots clés : choix professionnel, ECN, Médecine, Médecine Générale, préférences
professionnelles, thèse.
Keywords : career choice, family practice, physicians family, qualitative method.
Ils étaient combinés avec les différents opérateurs booléens « AND » « OR ».
49
Nous avons exploité la bibliographie au sein du logiciel de gestion de
bibliographie Endnote®.
50
4 RESULTATS ET DISCUSSION
Le résultat brut de notre stage est constitué de la retranscription des entretiens
ainsi que de notre carnet d’enquête. L’ensemble est volumineux, et n’est pas toujours
pertinent (le carnet d’enquête), nous ne les retranscrirons donc pas ici. Par ailleurs, ce
travail, ne permet pas de distinguer (comme pour une statistique) le résultat, de son
analyse. En effet, on peut même discuter le fait que la retranscription soit un résultat
brut, puisque pendant l’entretien, l’enquêteur en s’insérant dans le terrain, en devient
une partie, et participe à le modifier. C’est pourquoi, nous présenterons de façon
globale, les résultats de notre enquête, l’analyse que nous en faisons, et la discussion
soulevée.
4.1 Discussion autour de la Méthode
4.1.1 Le rôle de l’enquêteur
Dans le cadre de notre enquête, notre statut d’interne en Médecine Générale est à
analyser. En effet, notre expérience propre du terrain, le fait d’avoir préparé les ECN, et
d’avoir dû choisir une discipline d’exercice est un atout pour comprendre la
problématique. Néanmoins, cette situation apporte aussi une limitation dans la capacité
à imaginer d’autres situations, d’autres représentations que les nôtres. C’est pourquoi,
tout au long de notre travail, nous avons explicité nos propres représentations. Nous
avons par exemple, répondu à notre canevas d’entretien (comme recommandé par
Stéphane Beaud et Florence Weber (58)), en nous enregistrant, tout en nous laissant le
temps de réfléchir afin d’explorer les réponses que nous aurions pu donner en DCEM4,
ou celle que nous donnerions aujourd’hui.
Nous n’avions jamais effectué d’enquête de ce type, et nous avons dû travailler
sur la façon de mener un entretien semi directif. Le fait d’être médecin, a été un point
fort car certaines compétences de consultations, se retrouvent dans la tenue d’un
entretien : écoute active, relances, reformulations, etc. Dans nos rapports avec les
étudiants, notre posture de « pairs » (ou presque) à leurs yeux a été un facilitateur pour
leur faire accepter l’échange. Néanmoins, secondairement, la posture d’interne a été un
frein à l’explicitation des pensées des externes. En effet ceux-ci à plusieurs reprises
51
considéraient que forcément nous pensions la même chose qu’eux, ou que nous
devinions leurs pensées. Parfois les externes souhaitaient recueillir notre avis :
Mr 1 : De toutes manières, tu vois pas la réalité … et j’sais pas quoi … ‘fin, tu m’diras toi23, mais, quand t’es arrivée en premier semestre d’internat, j’pense qu’il doit y avoir, ‘fin t’as quand même une … une grosse transition24 d’un coup, tu dois t’dire un peu …
Afin de limiter ce biais, nous avons à plusieurs reprises reprécisé le cadre de l’enquête,
l’importance du recueil de l’avis individuel.
MLB : Non mais … j’te parle de ton impression c’est pas … j’te dis pas est-ce que c’est vrai ou pas … toi ton sentiment à toi ?
Par ailleurs, notre statut d’interne en Médecine Générale, et de surcroît en année
recherche, en train de faire un master, faisait de nous, l’archétype de la représentante de
la Médecine Générale – Spécialité. Ce statut est à prendre en compte dans l’analyse.
Certains étudiants ont peut-être eu des réticences à exprimer des avis sur la Médecine
Générale qu’ils s’imaginaient contraires aux nôtres. De plus notre statut d’étudiant, et
nous reconnaissant par là leur pair, les a amené à souhaiter « bien répondre » pour nous
permettre de « réussir ».
Melle 15 : Je sais pas du tout si ça fera partie du ... Si tu pourras le placer quelque part mais euh ...
4.1.2 Limites de la méthode
Nous avons choisi d’étudier la réflexion des étudiants dans l’année précédant
leur passage des épreuves classantes nationales. Ce choix sous-tendait que les étudiants
étaient dans une période d’incertitude. Il est certain que les entretiens réalisés auprès
d’étudiants entre l’annonce de leur classement et leur choix aux amphithéâtres de
garnison (34), seraient différents. Nous ne cherchions pas à prédire leur choix, mais
bien à mettre en évidence leur mode de réflexion. La comparaison des choix annoncés
avant le classement et des choix réels une fois le classement obtenu montre des
différences (43, 48).
23 Nous soulignerons les passages qui nous semblent les plus pertinents pour notre analyse dans les
citations de retranscription d’entretien. 24 La typographie en caractère gras dans la retranscription correspond à un appui dans l’intonation à
l’oral.
52
Melle 18 : Ouais non mais ... Non. Après, par contre, choisir entre ce que je pense maintenant et ce que je penserai après les vacances reposantes, je pense que c'est là où ça pourrait changer quelque chose, parce que, là, forcément j'ai plus du tout envie de bosser et ...
Le fait de réaliser l’enquête en particulier en mars et avril a posé un problème de
proximité avec les épreuves (début juin). Certains étudiants ont refusé l’entretien parce
que le moment proposé était le mois d’avril. Nous supposons que ces étudiants moins
prêts à « perdre du temps » de préparation de concours pour réaliser un entretien,
avaient des objectifs de « réussite » jugés difficiles à atteindre (d’où l’exigence de
constance dans le travail). Le fait de n’avoir pu les rencontrer nous prive d’un avis qui
aurait pu être différent. Enfin un des étudiants rencontré, nous a clairement fait
comprendre, que nos questions le dérangeaient à un moment de l’année où il avait
besoin de les mettre de côté pour pouvoir effectuer le travail nécessaire à la préparation
des ECN. Nous avons donc écourté l’entretien, afin de préserver ce choix.
Melle 17 : Ouais, j'aime pas trop me poser les questions tant que … tant qu'elles sont pas … Posées, en fait.
Le déroulé de l’entretien a amené les étudiants à « changer d’avis ». Nous
pouvons nous interroger sur l’interprétation de ce constat. S’agit-il d’un biais induit par
les questions posées, ou est-ce la réussite de l’entretien qui permet à l’étudiant
d’élaborer sa réflexion et de préciser des pensées non objectivées antérieurement ?
Mr 12 : Si on avait pas eu tout le début, sur le temps de travail, sur … je sais pas si ma réponse aurait été différente.
4.1.3 Apports de l’entretien pour les étudiants
Nous avons terminé les entretiens en demandant à l’étudiant ce que l’échange lui
avait apporté. Plusieurs d’entre eux ont souligné le fait que la discussion leur avait
permis de préciser leurs choix. Certains d’entre eux (de par les questions de mise en
situation « si les ECN sont annulées », « si tu es le premier classé ») ont mesuré leurs
préférences réelles (alors qu’ils pensaient être dans le doute). Enfin certains d’entre eux
ont mesuré de par l’entretien l’impact des représentations sociales (et notamment parmi
leurs pairs) sur leur réflexion personnelle vis-à-vis du choix.
Mr 12 : Et puis, ouais, ça mets en avant un petit peu… Ça mets sous le nez les priorités que j’ai et la façon de choisir.
Melle 18 : Bah de ... Peut-être de clarifier ... Clarifier mes préjugés.
53
4.2 Analyse descriptive
Nous avons réalisé 21 entretiens, 6 durant la pré-enquête en août 2009 et 15
durant l’enquête en mars et avril 2010.
Parmi les 21 étudiants rencontrés, 10 étaient des hommes, et 11 des femmes. Les
étudiants sont inscrits à la Faculté de Médecine Lyon Est, parmi eux, 6 ont débuté leurs
études à Grange Blanche, 10 à Laennec, et 5 à Lyon Nord (fusion des UFR au cours de
leur cursus).Les étudiants rencontrés étaient âgés, au moment de l’entretien (7 à 8 mois
séparent la pré-enquête, de l’enquête) de 23 à 31 ans.
Année de naissance 1978 1983 1984 1985 1986 1987
Nombre 1 2 5 9 2 2
Tableau 1 : répartition des années de naissance
Durée des entretiens :
Durée maximale : 88 min.
Durée minimale : 24 min.
Durée moyenne : 50,66 min.
Durée médiane : 50 min.
8 étudiants sur les 21 ont réalisé un stage d’externat en Médecine Générale de 3
mois.
4.3 Les entretiens
Nous allons présenter brièvement chaque entretien. Nous ne ferons pas ici
d’analyse approfondie de chacun des entretiens, car celle-ci présenterait bien
évidemment des redondances avec l’analyse thématique. Néanmoins, chaque entretien
ayant certaines particularités liées au récit de la personne, nous les présenterons ici. Par
ailleurs, nous avons réalisé un tableau synthétique (présenté à la suite de l’analyse
entretien par entretien). Ce tableau est fait pour être photocopié et servir de repère dans
les entretiens pendant la lecture de l’analyse transversale.
Enfin, nous rappelons ici que les entretiens 1 à 6 ont été réalisés lors de la pré-
enquête d’août 2009 dans le cadre de l’évaluation du canevas d’entretien ; les entretiens
7 à 21 ont été réalisés dans le cadre de l’enquête de mars, avril 2010.
54
4.3.1 Entretien 1
Mr 1, 26 ans, souhaite être Oncologue. Son deuxième choix au moment de
l’entretien serait de faire Médecine Générale. Il souhaite avoir une pratique
transdisciplinaire, avec une relation aux patients développée. Il souhaite avoir une
bonne qualité de vie, qu’il définit comme le rapport entre ses revenus et le temps non
travaillé qu’il aura. Mr 1 souhaite exercer à l’étranger, notamment en Suisse, car il
estime que le système français parasite la pratique médicale par de la « paperasserie ».
Au moment de l’entretien (août 2009), Mr 1 n’a pas fait de stage en Médecine
Générale, et il pense que c’est une spécialité.
4.3.2 Entretien 2
Melle 2, 24 ans, hésite entre la Médecine Générale et une spécialité médicale. Elle
vient de faire un stage en Médecine Générale, qui a changé son point de vue.
Néanmoins elle reste partagée entre les représentations sociales négatives de la
Médecine Générale, et celles de réussite rattachées aux spécialités médicales : « voilà,
moi j’ai toujours bien réussi et que … je m’étais dit que je ferais un truc où ça réussit
bien et que … ça s’est plus bien vu quoi. » Pour elle la Médecine Générale n’est pas une
spécialité, mais son stage récent modifie ce point de vue. Par ailleurs son choix de
spécialité se fera aussi en fonction de la possibilité qu’elle aura d’avoir une vie de
famille.
4.3.3 Entretien 3
Melle 3, 23 ans, souhaite faire de la Chirurgie, si possible de la Chirurgie
Maxillo-faciale. Elle souhaite avoir une pratique manuelle, variée et avec une relation
aux patients importante. Si elle n’obtient pas la Chirurgie, elle hésite entre la Médecine
Générale à la campagne et redoubler sa DCEM4 pour repasser les ECN. Elle souhaite
avoir une pratique qui lui permette d’avoir une vie de famille.
Melle 3 n’a pas fait de stage en Médecine Générale. La Médecine Générale est
une spécialité à ses yeux, car c’est un exercice qui comprend des choses qu’on ne voit
pas dans les autres spécialités.
55
4.3.4 Entretien 4
Mr 4, 24 ans, est encore dans le doute au moment de l’entretien, il hésite entre
une spécialité médicale, la Médecine Générale et une spécialité chirurgicale. L’entretien
lui permet de hiérarchiser ces souhaits qu’il ordonne comme cela : n° 1, une spécialité
médicale (Pneumologie …), n° 2, Médecine Générale, et n° 3, une spécialité
chirurgicale. Les points importants dans sa décision, sont l’exercice hospitalier et la
variété de la pratique qu’il aura.
Il n’a pas fait de stage en Médecine Générale ; pour lui il s’agit d’une spécialité.
4.3.5 Entretien 5
Melle 5, 24 ans, souhaite être médecin généraliste notamment depuis qu’elle a fait
un stage en cabinet de Médecine Générale. Ce stage lui a fait découvrir cet exercice qui
est à ses yeux : varié, avec du suivi au long court, et des relations médecin patients
développées. De plus Melle 5 souhaite avoir un exercice qui lui permette d’avoir une vie
de famille.
4.3.6 Entretien 6
Mr 6, 31 ans, vient de décider de redoubler sa DCEM 4 au moment de
l’entretien. En effet il n’aurait plus eu que la Médecine Générale comme choix et pour
lui : « En fait la Médecine Générale, c’est pas toujours d’la Médecine, quoi. » Mr 6
souhaite faire de la Médecine Nucléaire ou exercer l’Ophtalmologie en clinique. Ses
critères de choix sont les revenus attendus et la reconnaissance sociale rattachée à la
spécialité.
Mr 6 a eu le jour même un entretien avec son doyen, qui lui aurait parlé de lui,
en lui donnant une image de « merde », pour conclure qu’avec son parcours (pas de bac,
2 P1, plusieurs rattrapage, et un mauvais classement à ce premier passage des ECN), il
pouvait faire Médecine Générale. Cet entretien a été ressenti par Mr 6 ainsi : « comme à
ses yeux je suis de la merde, je peux bien faire de la Médecine Générale. »
Mr 6 n’a pas réalisé de stage en Médecine Générale.
56
4.3.7 Entretien 7
Mr 7, 26 ans, redouble sa DCEM4. En effet il souhaite être biologiste, il a cru
(en reproduisant les rangs limites des années précédentes) qu’il n’aurait pas la Biologie.
A posteriori, il s’est rendu compte qu’il aurait pu l’avoir. Il a fait Médecine parce qu’il
ne se sentait pas capable de pouvoir faire une « prépa » (qui aurait été son premier
choix) : il voulait faire quelques chose de scientifique (dans le sens sciences dures). Il
est très déçu de la médecine, trop incertaine, trop de petites recettes à son goût. Mr 7 a
été traumatisé par son stage d’externe en chirurgie pédiatrique, pendant lequel il s’est
retrouvé seul à l’accueil des urgences. Il a décidé de traitements, seul, sans savoir ce
qu’il faisait, sans supervision. Cette situation a généré un gros stress, et aussi le
sentiment que la Médecine c’est n’importe quoi, et là a décidé qu’il devait faire autre
chose que de la clinique, quelque chose de plus scientifique. « En fait, mes trois critères
c'est ça : finances, temps libre et intérêt. » Mr 7 pour la qualité de vie attendue d’un
médecin en exercice se réfère à la vie de ses parents qui sont médecins (mère
ophtalmologue en ville, sans pratique chirurgicale ; père médecin militaire).
Il n’a pas fait de stage en Médecine Générale. Mr 7 ne voit pas pourquoi ce
serait une spécialité d’ailleurs, « A ce moment-là, qu'est-ce qui est général, si la
Médecine Générale n'est pas générale ? ».
4.3.8 Entretien 8
Melle 8, 26 ans, redouble sa DCEM4. En effet, à l’annonce de son résultat en
2009, elle a pensé qu’il ne lui resterait comme choix que la Médecine Générale sans
choix de ville. De plus pendant son externat, elle a réalisé une année à l’étranger et une
année master 1, c’est pourquoi elle a souhaité se donner une deuxième année de
préparation des ECN (elle a assimilé son premier classement à un indice de mauvaise
qualité personnelle). Finalement, elle aurait eu un choix de ville important si elle avait
pris un poste en septembre 2009. Elle hésite entre choisir Médecine Générale et une
spécialité médicale. Son souhait professionnel initial était de faire de la recherche, elle
s’est inscrite en Médecine sur les conseils de personnes qui lui ont dit que dans les
laboratoires de recherche il fallait être médecin pour avoir un poste avec des
responsabilités. Depuis, elle a découvert la relation au patient qui est devenu un point
important pour elle (et qui participera à son choix). Sur un plan de vie personnelle, elle
57
souhaite pouvoir vivre avec son copain (qui est dans le nord de la France), et à moyen
terme ils ont ensemble un projet d’immigration en Israël. Le choix de Médecine
Générale serait plus favorable à moyen terme à ce projet.
Melle 8 n’a pas réalisé de stage en Médecine Générale ; pour elle il s’agit d’une
spécialité.
4.3.9 Entretien 9
Mr 9, 26 ans, redouble sa DCEM4. En effet il souhaitait faire « Oncologie ou
rien », son classement de 2009 ne lui permettant pas de réaliser ce souhait, il a décidé de
repasser une deuxième fois les ECN. Il souhaite travailler à l’hôpital dans le public, en
équipe. S’il n’a pas l’Oncologie, il prendra Gériatrie (via la Médecine Générale en
faisant le DESC). Son projet initial (mis de côté), est de faire de la recherche, et donc
une carrière hospitalo-universitaire. « Donc ces trois cadres là, la recherche, le côté un
peu pluridisciplinaire et la relation avec les patients. » Il souhaiterait faire son internat
à Lyon si possible, ce qui serait vraiment un choix difficile serait de devoir choisir entre
Oncologie dans une ville qui ne lui plait pas ou la possibilité de faire Gériatrie dans des
villes qui lui plaisent plus. Son revirement de souhait (envisager de renoncer à
l’Oncologie pour la Gériatrie) est mal vécu par son père (dont l’avis est important), qui
lui-même a une trajectoire professionnelle particulière. Son père a commencé sa carrière
avec CAP et est devenu cadre en fin de carrière.
Mr 9 n’a pas fait de stage en Médecine Générale, pour lui du fait que cette
discipline fasse partie des choix possibles à l’issue des ECN, c’est une spécialité.
4.3.10 Entretien 10
Melle 10, 25 ans, souhaite être médecin généraliste, ne comprend pas que tout le
monde ne partage pas son souhait, car elle est très enthousiaste sur la Médecine
Générale. Elle apprécie la relation au patient, la liberté, elle a découvert la richesse de
la pratique en Médecine Générale lors de son stage au cabinet. Pour elle la Médecine
Générale est une spécialité.
Son rapport à la Médecine Générale est sur le mode de l’évidence, elle
n’exprime aucun doute par rapport à l’exercice d’une part, et d’autre part concernant
son souhait. C’est pourquoi cet entretien était plus court.
58
4.3.11 Entretien 11
Mr 11, 25 ans, veut être médecin généraliste. Il trouve que c’est ce qui sera le
plus épanouissant pour lui, il ne se sent pas capable de faire le reste. Pour lui la
flexibilité de l’exercice est un critère de choix important. C’est son stage en Médecine
Générale qui lui a fait découvrir cet exercice (et donc son attrait). Pour lui le caractère
général de la Médecine Général fait qu’elle n’est pas une spécialité.
Mr 11 nous a semblé incertain quant à sa capacité à être médecin. D’ailleurs il
nous signale que sa mère ne le pense pas fait pour être médecin généraliste. Il parle des
autres qui vont réussir, et de toutes ses difficultés personnelles à réussir, (manque
d’adresse, etc). Il se dévalorise et n’a pas confiance en lui. Il exprime des difficultés à
s’identifier comme médecin.
4.3.12 Entretien 12
Mr 12, 26 ans, souhaite être réanimateur, il voulait être chirurgien initialement,
mais il a eu une sorte de révélation pour la réanimation lorsqu’il a fait un stage dans un
service de réanimation. De plus par rapport au fait d’être chirurgien, il pense que la
Réanimation lui apportera une meilleure qualité de vie. A défaut de pouvoir accéder à la
Réanimation il envisage de faire de la Médecine Générale pour faire des urgences et
plutôt dans un cadre d’exercice de type SAMU (car il pense qu’à la porte des urgences
on fait essentiellement de la Gériatrie). Ces critères de choix de spécialités (dans
l’ordre) sont : l’attrait, la qualité de vie, sa conjointe. Pour lui l’image qu’on aura de lui
est importante : « je suis Réanimateur, je sauve des vies ».
Il n’a pas réalisé de stage en Médecine Générale, et ce n’est pas une spécialité
pour lui.
4.3.13 Entretien 13
Melle 13, 26 ans, souhaite être médecin généraliste. Elle est très intéressée par la
relation aux patients, elle se définit comme quelqu’un qui a comme aptitude naturelle
une bonne relation et que c’est une compétence nécessaire en Médecine Générale. Par
contre, elle ne souhaiterait pas faire que de la psychiatrie, même si ça l’intéresse, le
« somatique » lui manquerait. Elle souhaite pouvoir vivre à la campagne, elle souhaite
pouvoir être en couple et préserver sa qualité de vie. Pour elle la Médecine Générale est
59
une spécialité. Elle n’a pas voulu faire un stage d’externat en Médecine Générale car a
privilégié des stages « de glande » en DCEM4 et de pouvoir partir en vacances pendant
le trimestre d’été. Son entourage familial (en dehors de son copain), ne soutient pas son
choix : « si j'avais fait Médecine, mais jamais de la vie, j'aurais fait de la Médecine
Générale ».
4.3.14 Entretien 14
Mr 14, 27 ans, souhaite faire de la Pédiatrie, ou de l’Oncologie, ou de
l’Oncopédiatrie. Il souhaite éviter d’être confronté à des patients qui discutent l’avis
médical, et qui ne sont pas observants, d’une part. D’autre part, il souhaite éviter la
« paperasserie ». Il pense qu’il évitera ses travers de la Médecine en exerçant la
Pédiatrie à l’hôpital. Surtout, il ne souhaite pas d’exercice libéral (trop de tâches
administratives et trop d’isolement).
Mr 14 est marié avec une interne en Médecine Générale, et il a une fille. Sa
femme n’ayant plus qu’un semestre à effectuer, il est prêt à déménager et vivre une
séparation temporaire, pour obtenir la spécialité de son choix.
Il n’a pas réalisé de stage en Médecine Générale, et pense que c’est une
spécialité, notamment dans sa capacité d’orientation.
4.3.15 Entretien 15
Au moment de l’entretien, Melle 15, 25 ans, n’a pas encore fait son choix de
spécialité. Elle hésite entre la Gynécologie-Obstétrique et la Médecine Générale. Si elle
est gynécologue obstétricienne, pour elle, cela signifie qu’elle n’aura « pas de vie ». De
même elle est certaine (à 80 %) de ne pas avoir d’enfant, dans ce cas. En revanche, si
elle devient médecin généraliste, elle « aura une vie ».
Au moment de l’entretien, elle semble prête à faire le sacrifice de sa relation
amoureuse pour l’évolution de sa carrière. Elle est prête à déménager si c’est nécessaire
pour satisfaire son choix de spécialité une fois qu’elle l’aura fait.
Melle 15 souhaite avoir le choix « pour de vrai » pour faire son choix (insiste sur
la différence entre se projeter dans un choix et être en position, c'est-à-dire classée, de
façon à avoir le choix). Elle va prendre un temps pour hiérarchiser ses souhaits entre les
épreuves et l’annonce des résultats.
60
Elle n’a pas fait de stage en Médecine Générale (pour pouvoir avoir un stage qui
lui permette de prendre des vacances) et pense que comme c’est un exercice global, il ne
s’agit pas d’une spécialité.
4.3.16 Entretien 16
Melle 16, 25 ans, la Médecine Générale est son choix définitif. Comme pour Melle
10, l’entretien est court car elle est dans la certitude de son choix. Elle ne mesure pas
qu’il puisse y avoir d’autres points de vue, ou avis sur la Médecine Générale. Elle a fait
un stage de 3 mois en cabinet qui l’a conforté dans son souhait. Son beau-père est
médecin généraliste et son conjoint l’encourage à choisir cette spécialité. Elle apprécie
la plasticité et la variété de l’exercice en Médecine Générale. Pour elle c’est ce qui en
fait une spécialité (même si caractériser exactement l’aspect spécialité de Médecine
Générale lui semble difficile).
4.3.17 Entretien 17
Melle 17, 23 ans, souhaiterait faire de la Chirurgie (en particulier Viscérale) ou de
la Gynécologie Obstétrique. Elle nous explique qu’elle ne supporte pas bien la
contestation du traitement et la non observance de la part des patients. Elle préfère la
Chirurgie car une fois l’accord d’opérer donné, on peut opérer sans contestation. Elle
préfère la Chirurgie car elle « guérit » ou en tout cas rend réellement service aux gens,
alors qu’en Médecine il faut attendre des semaines pour voir un résultat, selon elle la
Médecine est trop répétitive. Pour elle l’accès à la Chirurgie est son principal critère de
choix. Elle est prête à déménager. Son conjoint et la qualité de vie attendue sont
importants mais secondaires. Au moment de l’entretien (avril), Melle 17, nous a semblé
dans un moment difficile de son année, c’est la seule à avoir dit catégoriquement qu’elle
ne referait pas d’études de Médecine si elle se trouvait en fin de terminale. En effet le
moment de l’entretien, proche des ECN blancs, à 2 mois des épreuves réelles, étaient un
moment de stress intense, et le questionnement sur l’avenir était gênant pour cette
étudiante qui pour faire face à son stress avait mis de côté les questionnements
concernant son avenir. Nous avons donc écourté l’entretien.
Melle 17 n’a pas fait de stage de Médecine Générale et elle pense que c’est
« l’inverse » d’une spécialité.
61
4.3.18 Entretien 18
Melle 18, 23 ans, hésite entre une spécialité médicale (Neurologie, Dermatologie)
et la Médecine Générale. En faveur de la Médecine Générale, il y a, pour elle, la
perspective d’un internat plus facile. Pour elle les spécialités médicales sont plus
intellectuelles et « je suis une perfectionniste ». Melle 18 n’aimerait pas pratiquer une
spécialité « hyperspécialisée » ou « sans contact » avec le patient (comme la Chirurgie).
Elle souhaite avoir un exercice intellectuel, varié, pratique et avec de petits gestes. De
plus la qualité de vie globale (personnelle et professionnelle) fera partie de ses critères
de choix. Par ailleurs, fiancée avec un étudiant qui passe les ECN (Mr 21), ils feront un
choix de couple sur leur ville d’internat (en fonction de leurs classements respectifs et
de leurs souhaits définitifs). La sœur de Melle 18 est interne en Neurologie, elle lui
déconseille de choisir la Médecine Générale.
Melle 18 a fait un stage en Médecine Générale, elle pense que ce n’est pas une
spécialité car ce n’est pas pointu comme exercice.
4.3.19 Entretien 19
Melle 19, 25 ans, hésite entre la Médecine Générale et une spécialité médicale
(Endocrinologie, Cardiologie). Elle voulait faire Gynécologie Obstétrique pour faire de
la Procréation Médicalement Assistée et son stage dans ce service lui a déplu (ambiance
féminine, hyperspécialisation). De plus elle exprime un ras-le-bol du CHU. Le fait
d’envisager la Médecine Générale est récent et encore en questionnement, au moment
de l’entretien, elle débute un stage en cabinet de Médecine Générale dont elle attend des
éléments pour prendre une décision. Melle 19 exprime sa peur de s’ennuyer en
pratiquant une spécialité. Elle met de côté les spécialités qui confrontent à la mort
(Cancérologie), à la limitation des soins (Neurologie), d’où son hésitation à faire de la
Médecine Générale (que faire en attendant le SAMU ?). Ses critères de choix sont
l’attrait pour la spécialité (et la durabilité prévisible de cet attrait) et la qualité de vie
attendue (personnelle et professionnelle).
Par ailleurs Melle 19 souhaite pouvoir s’engager dans sa vie de couple, voire
familiale. Son ami soutient son projet de Médecine Générale, alors que sa famille
soutient les spécialités médicales.
Pour Melle 19, la Médecine Générale est une spécialité.
62
4.3.20 Entretien 20
Mr 20, 25 ans, hésite entre la Médecine Générale et la Dermatologie. Selon lui
son principal critère de choix est son rang présumé de classement aux ECN. Il déclare
que son stage en Médecine Générale, est son meilleur stage. La Médecine Générale
n’étant pas pointue, ce n’est pas une spécialité à ses yeux. Dans son exercice futur, il
souhaite avoir une pratique variée, avoir des relations aux patients, une bonne qualité de
vie (ne pas travailler un jour par semaine). Par ailleurs dans son projet de vie, il souhaite
rester à Lyon pour vivre en couple avec son ami.
Sa sœur qui est avocate lui déconseille de faire de la Médecine Générale. Au
début de l’année, il envisageait de redoubler s’il avait la Médecine Générale, mais plus
maintenant, ce n’est plus un échec, mais il reste dans une certaine hésitation (silences).
S’il avait le choix, il hésiterait entre la Médecine Générale (qu’il a un peu découvert
grâce au fait qu’il a anticipé un classement qui, selon lui ne lui permettra pas de faire
une autre spécialité) et une spécialité médicale qui est le choix attendu socialement.
4.3.21 Entretien 21
Mr 21, 24 ans, veut être urgentiste, mais son choix n’est pas encore
complètement arrêté. Il souhaite une pratique transversale, médicochirurgicale ou
interventionnelle (possibilité de faire des actes techniques), hospitalière. Il recherche
une spécialité qui ne soit pas répétitive, ni hyper pointue, qui sache se limiter. Sa vision
des urgences recouvre ses critères : « transversal, multidisciplinaire, première ligne,
urgences, médico-chirurgical, psychiatrique ». Il souhaite pouvoir avoir une qualité de
vie, si possible une vie au soleil, et bien sûr vivre avec sa fiancée (Melle 18), avec
laquelle il choisira la ville (ils passent les ECN la même année).
Mr 21 n’a pas fait de stage en Médecine Générale (il la connaît à travers sa sœur
qui est interne en Médecine Générale), il la considère comme une spécialité de la
globalité (et parce qu’elle a des spécificités). Il identifie bien les représentations sociales
négatives de la Médecine Générale comme un frein à son choix de cette spécialité.
4.3.22 Tableau synthétique et récapitulatif des entretiens
Le tableau suivant synthèse des entretiens constitue un repère pour la lecture de
l’analyse et de la discussion.
63
Entretiens Souhaits de vie Critères de choix Redoublant En D4
Stage en MG
MG : une spécialité ?
Mr 1
Oncologie, MG Exercer à l’étranger (Suisse)
Transdisciplinarité, relation aux patients, revenus ; Qualité de vie (rapport revenus/
Temps libre)
Non Oui
Melle 2
MG , ou SM Vie de famille
Qualité de vie, variété, relation aux patients
Oui ? Non, change d’avis avec son stage en MG
Melle 3 Chirurgie (maxillo-faciale) (1), ou MG (2) A la campagne
Relation aux patients, manuel, varié
Non Oui Des choses qu’on voit pas ailleurs
Mr 4 SM1, MG2, Chirurgie3 Rester en Rhône Alpes
Hôpital, variété Non Oui
Melle 5 MG Vie de famille
Variété, suivi, relation aux patients Oui Oui
Mr 6 Médecine Nucléaire, Ophtalmologiste en Clinique
Revenus, statut social redouble Non Non C’est pas de la médecine
Mr 7 Biologie. Spécialité « scientifique » Pas de clinique, trop incertain et stressant
« Finances, temps libre, intérêt » redouble Non Non C’est « général »
Melle 8 SM et recherche fondamentale ou MG Vivre avec son ami, l’an prochain, à Lille
Emigrer en Israël
Recherche, relation aux patients, Possibilité d’une vie personnelle
redouble Non Oui
Mr 9 Oncologie ou Gériatrie, Etre chercheur Vivre avec son amie
« Recherche, pluridisciplinaire, Relation aux patients. » Hôpital
redouble Non Oui ECN
Melle 10 MG , choix évident Liberté, relation au patient, Variété de la pratique
Oui Oui Evidence
Tableau 2 : Synthèse des entretiens (p. 1/2)
64
Entretiens Souhaits de vie Critères de choix Redoublant En D4
Stage En MG
MG Une Spécialité ?
Mr 11 MG , Vie de couple Flexibilité, épanouissement Oui Non, Général Mr 12 Réanimation (1) ou Urgences (2) Attrait1, qualité de vie2, conjointe3
Pouvoir : sauver des vies Non Non
Melle 13 MG en cabinet de groupe, vit de couple Relation aux patients, qualité de vie Non Oui Mr 14 Pédiatrie, Oncologie, Oncopédiatrie Hôpital, pas trop d’administratif,
Pas trop de relation aux patients Non observants
Non Oui Orientation
Melle 15 GO (pas de vie) ou MG (vie privée) Intuition, préférence Non Non, global Melle 16 MG , choix évident, vit de couple Plasticité, variété Oui Oui Melle 17 Chirurgie (Viscérale), GO Pouvoir, décision indépendante de
L’avis des patients, guérir Non Non
C’est l’inverse Melle 18 SM (Neurologie, Dermatologie), MG
Se marier, vit de famille
Pratique intellectuelle, variée, Relation aux patients
Qualité de vie personnelle et Professionnelle (équilibre)
Oui Non Pas pointu
Melle 19 MG ou SM (Endocrinologie, Cardiologie) S’engager avec son conjoint (enfants ?)
Attrait1, qualité de vie personnelle Et professionnelle 2
Oui Oui
Mr 20 Dermatologie ou MG . Etre avec son ami, vivre en couple sur Lyon
Relation aux patients, variété, Qualité de vie
Oui Non Pas pointu
Mr 21 Urgences, Se marier, Vivre dans le sud Pratique transversale, Médico-Chirurgicale, hospitalière
Qualité de vie
Non Oui Globalité
Spécificité
Tableau 2 : Synthèse des entretiens (p. 2/2)
65
4.4 Résultats et discussion thématiques
Nous allons désormais présenter notre analyse des discours des étudiants
concernant le choix de leur spécialité.
Dans un premier temps, nous étudierons la façon dont un individu construit son
propre projet de vie, construit des choix possibles de spécialités en fonction de celui-ci.
Nous verrons comment les représentations des spécialités25 (en tant que disciplines), de
la Médecine, et des exercices à venir (être interne, être médecin) se construisent et
influencent cette construction de choix.
Dans un deuxième temps, nous étudierons la place particulière de la Médecine
Générale en tant que discipline au regard du processus de construction de choix que
nous aurons mis en évidence dans la première partie. Nous étudierons le statut de la
Médecine Générale pour les étudiants. Les étudiants réfléchissent-ils à la Médecine
Générale comme aux autres spécialités ? Ou bien la place de la Médecine Générale est-
elle différente pour eux ?
Enfin, nous verrons de quelle Médecine Générale ils parlent : Médecine
Générale – Reste ou Médecine Générale – Spécialité ?
25 Nous présenterons les spécificités de la Médecine Générale dans notre deuxième axe d’analyse
thématique, c’est pourquoi les citations dans ce premier chapitre privilégieront les autres spécialités.
66
4.4.1 Critères et déterminants du « choix » de spécialité
Les étudiants en Médecine à l’issue de leur sixième année passent les épreuves
classantes nationales au mois de juin. Au mois de juillet, les résultats, sous forme d’un
classement national, sont communiqués. Les étudiants sont appelés par ordre de
classement en septembre, dans un amphithéâtre et choisissent l’un après l’autre leur
discipline ou groupe de discipline (spécialités médicales) et la ville où ils feront leur
internat. C’est à ce moment spécifique que l’étudiant procède à un choix. En fonction
des postes proposés nationalement, et des choix des étudiants précédents, l’étudiant
choisit parmi les postes restants. Nous avons, dans notre enquête, exploré la réflexion
des étudiants dans l’année précédant ce choix (avant les ECN). Est-ce vraiment un
choix ? Est-il possible de renoncer à toutes les spécialités avec la même facilité ? Que
nous disent les étudiants de leur réflexion ?
4.4.1.1 Critères de choix
Les étudiants se sont référés dans leur propos à divers critères qui guident leur
choix final. Nous allons étudier désormais ces critères, ils s’organisent en trois pôles :
l’attrait pour les spécialités la notion de qualité de vie, et enfin le statut social (revenus,
et reconnaissance sociale).
4.4.1.1.1 Attrait pour les spécialités
L’attraction (ou la répulsion) pour une spécialité est l’élément qui paraît le plus
évident comme critère de choix de spécialité. Nous verrons l’ensemble des éléments qui
caractérisent ce lien émotionnel qui se tisse entre l’étudiant et la Médecine. Nous
constaterons que si certains considèrent que l’attrait pour une spécialité n’est pas un
critère de choix, d’autres suivent un « coup de foudre ».
4.4.1.1.1.1 J’aime/j’aime pas
La découverte d’une spécialité est un moment émotionnel fort pour les étudiants.
Nous retrouvons dans leur manière de l’évoquer le champs lexical de l’amour : aimer,
adorer, frissons, attirer … Il s’agit parfois même d’un coup de foudre26 :
26 Nous soulignons dans les propos des étudiants les éléments du discours qui nous semblent les plus
pertinents.
67
Melle 15 : Euh ... C'est ce qui est très intéressant, c'est ce qui est très attirant et, en même temps, qui fait monter l'adrénaline et voilà ... Euh ... Et puis, en fait c'est le stage pour lequel j'ai eu les plus gros ... En fait, j'ai vraiment eu des frissons ... Ça m'a vraiment interpellé et ça m'a vraiment stimulée et très intéressée, ça c'est sûr. Et quand ... et quand on parle d'Obstétrique autour de moi, j'ai un vif intérêt et je ... ça m'intéresse beaucoup, quoi. J'y prête beaucoup d'attention et ... Je saurais pas forcément l'expliquer ...
Melle 17 : Dans chacune. Euh ...bah, dans la Chirurgie, c'est l'ambiance du bloc, en fait. J’aime bien… J'aime bien être au bloc, j'aime bien ... je sais pas, toute l'ambiance stérile… enfin, tous les gestes opératoires tout ça, je trouve ça… Je sais pas, je m'y sens bien, j'aime bien l'ambiance et euh… J'aime bien la façon qu'on ... enfin, d'agir, en fait, directement sur la pathologie.
Mr 14 : Ça, c'est un petit peu l'impression que j'avais qui m'avait donnée l'impulsion de vouloir plutôt faire Pédiatrie. Et puis, après, en stage, j'ai pu voir qu'en fait c'est une spécialité qui était symp-… enfin, qui était bien, que j'aimais bien, que le contact avec les enfants je trouvais ça bien ...
Melle 17 : Enfin, à chaque fois que je vois une nouvelle opération, je suis assez fascinée … (rire)
MLB : Et tu ressens quoi, à ce moment-là? Melle 17 : Je sais pas … c’est difficile à décrire. […] Déjà, beaucoup
d'intérêt … Enfin, ça me passionne. Après, euh … ça m'impressionne, aussi.
On retrouve de plus la notion d’inexplicable de l’amour (Melle 15). Cette émotion
s’impose aux étudiants, ce que Melle 15 nomme « intuition », d’autre disent « j’aime ».
Quoi qu’il en soit l’attrait pour une spécialité s’il a des aspects explicables (nous le
verrons par la suite : le type d’exercice, de pathologie …), a aussi un caractère
émotionnel, qui submerge l’étudiant, qui s’impose à lui.
Melle 19 : Euh ... Ben, en fait, c'est que j'avais une amie qui était enceinte et on en avait beaucoup parlé. Et puis, elle m'avait mis les mains sur le ventre et là, je me suis dit 'c'est ça que je veux faire'.
Melle 15 : Moi, il y a un côté intuitif qui prédomine pas mal.
Si « l’amour » peut concerner une spécialité, ça peut aussi être global envers la
Médecine (par exemple Melle 8, qui est venue en Médecine pour faire de la recherche, a
rencontré la Médecine en tant que soin) :
Melle 8 : Puis après, à force de faire de la Médecine, ben j'avais ... Ben j'aime bien quand même. J'aime bien ... J'adore les patients, j'adore ... Et puis j'adore être à l'hôpital aussi, ça c'est quelque chose que j'aime bien avec les spé. C'est que tu peux être à l'hôpital. Et ça, j'aime bien être à l'hôpital quand même. J'aime bien être avec ... Et puis j'aime bien quand c'est hospitalo-universitaire, le fait que ce soit ... que tu formes d'autres
68
gens, tu vois. Que t'es formée par des gens, que c'est un peu ce système de compagnonnage ...
Il y a des rencontres d’amour, et parfois il y a des amours déçus, des rencontres
pleines d’émotions négatives : j’aime pas, dégoût ... Nous prendrons ici l’exemple de la
Chirurgie, ce n’est pas la seule spécialité qui ait été citée de façon négative. Néanmoins
l’ « ambiance de bloc » a été citée à plusieurs reprises avec des émotions très fortes. Les
points négatifs qui ont déplu à certains étudiants sont liés à l’exercice technique de la
Chirurgie, ou au caractère de certains chirurgiens qui ne les ont pas accueillis dans le
bloc opératoire.
Melle 19 : C'est pas forcément évident. Après, la spécialité chirurgicale, je pense que j'aime pas ... C'est une ambiance très particulière quand même, la Chir ...
Melle 15 : Euh ... Oui, un ami qui voulait faire de la Chirurgie Orthopédique et qui est passé dans les blocs de Chir et qui a été dégoûté par l'ambiance.
Melle 13 : C'était vraiment le contact avec les chirurgiens, je les ai trouvés odieux vraiment.
Mr 14 : Euh ... Après, il y a longtemps, je voulais faire chirurgien. Bon, et puis après je me suis fait insulter cinq ou six fois dans le même bloc ... (rire) (rires partagés) Ça m'a passé.
Ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas permet déjà aux étudiants de trier en
deux parties les spécialités : les désirables et les indésirables. Au-delà de cette
émotion pure inexplicable, ils nous racontent les éléments qui leur plaisent ou
déplaisent.
4.4.1.1.1.2 Mode d’exercice
Les étudiants apportent une importance à leur futur espace d’exercice. Les
étudiants évoquent l’hôpital universitaire qu’ils connaissent de par leur externat.
L’hôpital par son fonctionnement ne laisse pas les étudiants indifférents.
4.4.1.1.1.2.1 Hôpital
Mr 9 : Ouais, vraiment un service, quoi. Enfin, le ... C'est-à-dire le couloir avec les ... (rire) la salle infirmière et un étage au-dessus, un étage en dessous avec d'autres services. Enfin c'est vraiment ...
L’hôpital est avant tout un lieu qui est contenant pour les externes. C’est
l’univers de leur découverte de la Médecine « en direct », il s’agit de leur univers de
référence. De ce fait c’est un milieu rassurant, avec des points de repères. Leur
expérience d’externe dans l’institution hospitalière est un point important de
69
l’élaboration de leur souhait de spécialités. Ils nous racontent leur souhait de prolonger
l’expérience hospitalière ou de ne surtout pas la reproduire.
L’hôpital est le symbole du travail d’équipe, équipe pluridisciplinaire,
équipe médicale :
Mr 21 : Ouais. Euh ... Alors oui, c'est la prise en charge de… Enfin, de groupes, avec des aides-soignants, des infirmiers, des médecins. Et une équipe de médecins. Et des externes aussi, le côté universitaire.
Melle 18 : Où j'ai vu ... Enfin, on était un peu dans le service à la Croix-Rousse, donc là, il y avait trois neurologues et le chef de service, il était trop ... Enfin, il était vraiment ... un raisonnement rigoureux et net et ... Enfin, ça m'a bien donné envie, et puis, ça m'a permis de voir qu'il y avait une confrérie assez sympa et justement pas trop élitiste et prise de tête, donc voilà.
Mr 12 : Ouais. Ouais, ouais. Ben déjà je me … enfin, je me trompe peut-être parce que je sais pas comment ça se passe en privé, mais j’ai besoin d’être entouré … J’ai pas envie de me sentir … d’être entre guillemets tout seul … Besoin d’avoir une équipe, d’avoir … Et donc je me vois plutôt rester en CHU …
Les étudiants apprécient le fait de pouvoir échanger, l’ambiance créée par le
travail en équipe, et enfin ils apprécient l’idée de pouvoir avoir un conseil médical si
besoin. L’hôpital est aussi le lieu de rapports hiérarchiques qui ont une connotation
négative. On retrouve ici la notion « d’ambiance » dans un aspect négatif. Nous le
verrons par la suite, il est rare qu’un élément fasse l’unanimité dans son appréciation.
Chaque point revêt des caractéristiques positives ou négatives, et les étudiants relatent
l’aspect qui leur parle le plus.
Melle 19 : Euh ... Autant, là, l'ambiance nanas, c'est vraiment on se tire dans les pattes. Euh ... on essaye de tout faire pour passer devant l'autre par tous les moyens. Et puis, finalement, devant l'autre, on est toute mielleuse. Enfin, c'est pas franc, quoi.
Mr 11 : Le côté hiérarchie de l'hôpital qui me déplaît un petit peu ... Melle 18 : Mais y a pas eu d'événement ... Après, les tours interminables en
stage dans les spécialités où tu sens qu'il y a une ambiance de service avec les internes super stressés, et les assistants qui adressent pas la parole aux externes ... Bah c'est sûr que ça m'a un peu refroidie pour les spécialités mais ... Après c'est dur aussi de savoir ce qui ... Il paraît qu'il y a une grande part de ça qui est due au fait qu'on soit en C.H.U. pendant l'externat ...
Mr 6 : C’est pas du tout une ambiance de … médicale … de recherche, de travail … machin. C’est une ambiance de … une sale ambiance ‘fin, voilà, d’arrivistes à deux balles …
Mr 6 : Et puis tous les chefs, i’ finissent parano et compagnie, quoi … J’trouve qu’y’a vraiment une très mauvaise ambiance, qui est basée sur
70
la … ‘fin … ils ont pas un objectif médical … ils ont un objectif, carriériste, horrible … euh … voilà c’est des clans, contre d’autres clans … c’est une ambiance horrible.
Donc pour certains étudiants l’hôpital représente un lieu de souffrance,
d’isolement. Pour eux l’objet de fonctionnement n’est pas assez centré sur l’ « objectif
médical », et, donc il est trop centré sur les relations interpersonnelles dans les équipes.
Ces relations étant trop conflictuelles, elles rendent désagréables l’hôpital comme lieu
d’exercice potentiel futur. Les autres modes d’exercice ne sont presque pas évoqués.
Aucun étudiant n’a vraiment évoqué un exercice ambulatoire de spécialité (nous
reviendrons sur les représentations de l’exercice de la Médecine Générale dans notre
chapitre dédié à cette discipline). Comme l’a montré Lisa Navarro (48) dans sa thèse les
étudiants en Médecine ont du mal à se projeter dans un exercice qu’ils ne connaissent
pas.
4.4.1.1.1.3 Type d’exercice : attrait intellectuel
Si le mode d’exercice (pouvoir exercer à l’hôpital) est important, le type
d’exercice, les caractéristiques de la spécialité sont déterminantes pour le choix de la
spécialité.
Melle 15 : Parce que j'ai souvent ... J'ai toujours été fascinée par les femmes enceintes, je trouve que la grossesse en elle-même, c'est ... Enfin, moi, ça m'interloque, je trouve ça fabuleux de transporter un être humain en soi, enfin, je trouve qu'au niveau physio-path, c'est aber- ... enfin, moi, ça m'intéresse beaucoup ...
Mr 14 : Parce que je trouvais… enfin, d'un point de vue intellectuel, je trouvais que c'était une spécialité qui était intéressante.
Melle 2 : Médecine c’est … c’est intéressant humainement et intellectuellement aussi …
Dans l’enquête BVA sur le Médecin Généraliste, un des types de motivation aux
études de Médecine est l’attrait scientifique incarné dans ceux qui sont « ingénieurs
médicaux » (66). Le caractère « scientifique » de la Médecine (connaître et comprendre
le fonctionnement du corps humain) est la motivation initiale qui se retrouve dans ce
type de critère de choix de spécialité. Les étudiants recherchent un exercice réflexif.
De même ils évoquent certaines particularités de certains exercices, comme référence
potentielle : recherche de technicité, variété d’exercice (de pathologie) au sein de la
spécialité, etc …
71
4.4.1.1.1.4 Les patients
4.4.1.1.1.4.1 Avoir/ne pas avoir de la « relation »
Une des polarités du choix (comme être ou ne pas être à l’hôpital) est la place du
patient, pour l’étudiant en Médecine. Certains n’envisagent pas de ne pas avoir de
relation avec les patients, et éliminent les spécialités non cliniques de ce fait, comme les
spécialités de laboratoire. A l’inverse comme le souligne Mr 7 on peut vouloir faire une
spécialité de laboratoire pour d’autres raisons que le dégoût des patients. En effet celui-
ci a vécu des moments de rejets de par des médecins lorsqu’il a annoncé vouloir faire de
la Biologie :
Mr 7 : Et là, l'interne éclate de rire et il me regarde 'je comprends pas pourquoi ces types comme ça, ils font Médecine et pourquoi ils font pas de la fac de Bio quoi' et il est parti, comme si ... voilà quoi.
La norme sociale est d’apprécier les patients, et les personnes qui sont rattachées
aux spécialités étiquetées « sans relation », sont considérées comme ne voulant pas de
relation ou n’étant pas capable de relation :
Mr 9 : Typiquement. Non, je pense que la Chirurgie n'est pas incompatible avec une relation mais je pense que ... Peut-être certaines personnes choisissent la Chirurgie, justement pour éviter d'avoir une relation, mais c'est un peu une vision caricaturale.
Melle 10 : Pour le coup, c'est complètement spécialisé, quoi, enfin, tu fais qu'un truc dans ta vie ... Et parce que ... Nan, enfin je sais pas, ça m'intéresse pas. Je trouve que tu réfléchis pas quand t'es chirurgien ... T'as pas de relation ... Et surtout t'as pas de relation avec le patient. Il dort, tu l'ouvres ... Tu lui bidouilles, tu vas voir après, vite fait, si il s'est bien réveillé, et puis ... (rire) ça m'intéresse pas.
Il faut distinguer le fait d’être en contact avec le patient, du fait d’être en relation
avec celui-ci, du type de relation envisagé. Certaines spécialités sont réputées à
l’inverse être centrées sur la relation comme la Psychiatrie, ou la Cancérologie.
Du point de vue de l’étudiant, les éléments cités par rapport au choix sont de
plusieurs niveaux. Nous l’avons vu, certaines spécialités permettent des contacts avec
les patients, d’autres pas. Parmi celles qui permettent de rencontrer des patients
certaines permettent la relation, d’autre pas. Et l’étudiant définit lui-même la part de
relation imaginée dans la pratique de la spécialité : de la Chirurgie (qui pour
certains, mais pas tous, ne comporte pas de relation) à la Psychiatrie (que certains
excluent car ce ne serait que de la relation).
72
4.4.1.1.1.4.2 De quelle relation parle-t-on ?
La question de la relation au patient n’a pas été posée comme telle lors des
entretiens. Mais, ce que les étudiants nous disent de leurs rapports aux patients nous a
semblé intéressant. En effet il y existe un paradoxe entre le fait de revendiquer la
relation aux patients comme valorisante (par opposition aux étudiants qui envisageraient
de ne pas avoir cette relation aux patients), et le peu de propos que nous avons recueilli
sur les patients, les malades. Les étudiants évoquent les maladies, ils évoquent peu les
patients, en tant que personne. Et lorsqu’ils parlent des patients, ce sont souvent des
obstacles au bon déroulement de la Médecine, et ceux qui le perçoivent comme ça
effectue des modifications de souhaits professionnels en conséquence. Comme Mr 14
qui veut être pédiatre pour échapper aux patients adultes (entre autres).
Une image des patients est celle de la non-observance revendicatrice : le patient
non seulement refuse le traitement, ou ne suit pas la prescription, de plus il exprime un
avis, une demande contradictoire avec l’avis médical. Cette non-observance
revendicatrice est extrêmement mal perçue. Les étudiants qui l’évoquent, la généralisent
comme un état de fait concernant tous les patients.
Melle 17 : Non pas du tout, mais c'est juste que, la plupart du temps, enfin … ils ont même pas de vraies raisons pour… pour pas prendre leur traitement. Ouais, ils … Enfin, bon, moi, ceux que j'ai vu c'est juste que bah … ils oublient … Au bout de deux mois ils voient que ça va mieux, bah, ils arrêtent.
Melle 17 : Parce que bon, voilà, super, tu leur expliques tout… Tu leur choisis un traitement, tout ça, et puis au final, ils s'en foutent un peu. T’as l'impression un peu de les soigner contre leur volonté, quoi.
Mr 14 : Avec tous les côtés plus ou moins sympas que ça peut avoir. Euh ... Enfin, quand je m'étais dit que je voulais faire Pédiatrie, c'était un moment où je me disais ‘les patients, c'est quand même vraiment des gros lourds, ils suivent jamais les conseils qu'on leur donne, ils suivent pas leur traitement’ ... On leur dit d'arrêter de boire, ils se rajoutent une bouteille le soir ...
Mr 14 : En fait, ce qui me gêne, c'est qu'on va avoir des patients qui vont chercher ... Qui viennent pour un soin ... Qui disent ‘docteur, soignez-moi. J'ai telle ou telle maladie, j'ai besoin que vous vous occupiez de moi’. On va proposer un traitement, une prise en charge ... Que le patient peut accepter, ou pas. Ce qui va me gêner, c'est quand le patient va ... ‘Docteur, je veux absolument que vous me soigniez. Ah oui docteur, c'est très bien”, mais ne le fait pas ... Ou “Ah non, je suis pas d'accord avec vous, mais j'aimerais que vous me fassiez ça, ça, ça, ça, ça” ...
Mr 14 : Enfin, si on prend l'exemple du tabac, le patient, on va lui dire ‘Monsieur, si vous continuez à fumer, vous allez avoir un cancer, vous allez avoir une B.P.C.O. et vous allez mourir dans quelques années’. Le
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patient, il va nous dire ‘oui docteur’. Ça, personne va le remettre en doute. Pourtant, est-ce que pour autant le patient arrêtera de fumer ? Alors que, à côté de ça, il va avoir tout plein de complications pour lesquelles il veut être soigné.
MLB : Et tu penses que c'est qu'une histoire de volonté dans ce cas-là ? Mr 14 : […] Pas que, mais je pense en grande partie.
Ici, la relation semble appartenir au patient, à sa maladie ou plutôt à sa pathologie,
mais ne semble pas appartenir au médecin. Il y existe une distorsion entre ces médecins
en devenir et les attentes des patients, et les conceptualisations éthiques de la relation
médecin-patient (67, 68). Finalement, les étudiants semblent revendiquer une posture
paternaliste de médecin (qui modifie leurs choix en faveur des spécialités qui permettent
de l’exprimer à leurs yeux). Alors que les patients sont dans des revendications
d’autonomie, de décision partagée. Nous pouvons émettre ici l’hypothèse que les
étudiants sont ici dans une logique d’ « incertitude balisée » (17). Pour eux la
Médecine montre « ce qui doit être », sous forme d’impératif, et en l’énonçant en tant
que médecin, ils en ont la légitimité scientifique, donc, être confrontés à ces patients
« gênants » est un obstacle à la réalisation de la Médecine vis-à-vis de la pathologie
présentée. En ce sens et pour les étudiants qui adoptent cette posture (et bien
évidemment, il y a des nuances) le patient, la relation qu’on a avec lui serait un
paramètre à gérer dans l’expression de la Médecine. En tant que futur médecin, la
spécialité envisagée dans son contenu relationnel attendu (pas de patient ou des patients
avec un peu, moyennement, beaucoup de relation), est un facteur décisionnel important.
Dans la mesure où notre entretien n’explorait pas expressément la relation
envisagée aux patients, mais, ce qui pouvait entrer en compte dans un choix de
spécialité ; on peut imaginer que les étudiants pour lesquels la relation aux patients
n’était pas un obstacle (et donc pas un critère de choix de spécialité), n’ont pas
développé leurs pensées à ce sujet dans nos entretiens.
4.4.1.1.1.5 Etre médecin : utilité et pouvoir
Etre médecin, si c’est pouvoir réaliser la Médecine c’est aussi le faire au
bénéfice de personnes. Dans certaines spécialités en particulier (et pour certains
étudiants), les patients sont trop présents et sont pour ces étudiants une gêne à la
réalisation de la Médecine. Dans ce cas les étudiants ne souhaitent pas exercer ces
spécialités où leur futur pouvoir de médecin serait limité par les patients. Les patients
prennent tout leur sens dans l’ampleur de l’action que le médecin peut avoir sur leur vie.
74
Cela renvoie au modèle de « pourvoyance » (51) de la vocation médicale. Certaines
spécialités incarnent mieux que d’autres cette possibilité « d’être utile » :
Melle 18 : Euh ... Voilà, y a ça. Après, il y a bien sûr l'intérêt de la spécialité, le fait que ce soit utile et que les patients s'en rendent compte. Ça, j'avais remarqué que c'était ce qui était le plus gratifiant dans une spécialité, c'était genre ... l'ophtalmo, c'est un de ses avantages, c'est que le patient, il voit rien au début, et tu ... il lui fait une petite opération et après il voit vachement ... C'est vachement plus gratifiant que le cardiologue qui regarde ses fiches tensionnelles ...
Mr 12 : […] C’est beaucoup… Enfin, je sais pas si c’est que je suis imbu de moi ou machin, mais c’est le besoin de … de se sentir utile, en fait … De dire … de pouvoir rentrer chez soi et puis de dire ‘j’ai sauvé deux vies’ ou ‘j’ai sauvé machin’. Le besoin de se mettre en valeur en pouvant … Enfin, on peut montrer du doigt ce qu’on a fait, les décisions qu’on a prises ont contribué à … Ça existe aussi en Médecine G, mais… Enfin, c’est peut-être moins visible, même si en pratique, ça remplit le même rôle et du coup… J’ai besoin de m’orienter plus vers un … J’ai hésité beaucoup aussi avec Chirurgie.
Nous constatons que la frontière est mince entre la pourvoyance dans ce qu’elle
apporte à l’autre, et en tant que critère de revalorisation du médecin. Nous retrouvons
ici la notion de pouvoir du médecin. Mr 12, par exemple, est passé d’un projet de
Chirurgie à celui de la Réanimation (car celle-ci lui permettrait une meilleure qualité de
vie, à ses yeux), nous remarquons que ces deux spécialités ont un lien direct, net et
facilement identifiable entre l’action du médecin et la vie du patient.
Mr 12 : Et euh … Enfin, je voyais quand il y avait un souci, c’était vraiment … c’était eux qui prenaient les décisions, qui coordonnaient le … le reste. Et puis une fois que ça allait mieux, ils pouvaient passer la main, mais il y avait eu tout un suivi, et tout au long de ce suivi, des actions quantifiables.
Mr 12 : [...] C’est pas exactement la même chose, mais il y a ce côté pouvoir encore et action quantifiable qui est … qui me plairait bien …
Avoir du pouvoir sur la vie des patients est un critère de choix de spécialité.
Précisons ici que la vie est entendue dans une dimension binaire : être ou ne pas être en
vie ; et non dans une dimension continue et plurifactorielle (qualité de vie).
Les étudiants établissent leurs préférences professionnelles en fonction de
critères d’attrait. Ils veulent exercer au sein d’équipe, à l’hôpital ou fuir une
hiérarchie. En fonction de la façon dont ils vivent leur relation aux patients et de
ce qu’ils en attendent ils établissent des préférences de spécialités. L’image qu’ils
ont d’eux-mêmes en tant que futur médecin les amène à choisir une spécialité qui
75
leur permette de se réaliser : être utile, avoir du pouvoir. Ici, « avoir du
pouvoir » est lié à la possibilité d’agir sur les patients. Ce pouvoir sur la vie,
renvoie néanmoins à la notion de pouvoir en tant que personne (statut social du
médecin). Le contenu de la spécialité et notamment son caractère intellectuel peut
être ainsi déterminant. Enfin et de façon « inexplicable », et combinée aux critères
précédents : ils aiment ou détestent une spécialité. Cet attrait pour une spécialité
en tant que discipline et/ou son exercice est combiné à d’autres critères : la qualité
de vie, et le statut social attendu.
4.4.1.1.2 Qualité de vie
Même si nous allons les présenter de façon séparée, les éléments de qualité de
vie personnelle et professionnelle se mélangent dans la tête des étudiants comme étant
leur qualité de vie, « tout court ». De même qu’en début d’entretien les étudiants en
présentant leur vie rêvée ou imaginée « dans 5 ans », évoquent à la fois une vie
professionnelle et une vie privée comme un projet de vie global ; évoquer la qualité de
vie uniquement comme caractère privée est insuffisant.
Mr 11 : Oui, ben il y a le critère ... déjà moi, il y a pas mal le critère ‘qualité de vie’ ...
Le contenu de la ‘qualité de vie’ est variable en fonction des individus, mais il s’agit
d’une valeur prépondérante. Il s’agit d’un poncif que de considérer que les jeunes
médecins attachent de l’importance à leur qualité de vie (sous entendu au détriment de
leur dévouement professionnel). On peut renvoyer par exemple au débat sur les repos de
gardes qui de façon caricaturale sont considérés comme un luxe exagéré dans certains
services, les médecins considérant que « c’était mieux avant ». Il est certain que la
qualité de vie est un pivot des projets de vie des futurs médecins : nous allons explorer
la façon dont elle intervient dans les choix de spécialités, d’une part, et d’autre part les
formes supposées ou attendues qu’elle prend.
4.4.1.1.2.1 Qualité de vie professionnelle
Evidemment le fait d’exercer la spécialité pour laquelle on a le plus d’attrait est
un point prépondérant de qualité de vie professionnelle pour beaucoup d’étudiants. En
ce sens les éléments que nous venons d’évoquer participent à « l’épanouissement »
professionnel.
76
Melle 19 : Ben, la qualité de vie au travail, elle est très importante parce que si on arrive au travail et qu'on y va à reculons et que ... enfin, c'est horrible pour nous d'y aller ...
La qualité de vie professionnelle est liée à la possibilité d’être libre dans son
exercice. Les étudiants souhaitent être autonomes et libérés de ce qui n’est pas médical.
Ils souhaitent pouvoir choisir leur façon de travailler.
Melle 18 : Et puis même, c'est ... Plus que un nombre d'horaires fixes c'est le fait d'être complètement libre, de décider ce que je fais, et de pas avoir tout le boulot d'une équipe qui dépend de ma présence ou pas et ... Enfin ... Ouais, d'être autonome quoi ...
Mr 1 : Euh … ce que j’entends par qualité de vie, bon ben y’a les horaires, y’a la r’connaissance de ce que tu fais, y’a euh … pff, l’état qui t’soutient ou pas dans ta démarche, y’a euh … tout c’qui est l’aspect paprasserie, secrétariat etcetera euh … tout c’qui est en fait en dehors un peu de la sphère médicale quoi.
C’est pourquoi certaines spécialités ne sont pas souhaitables :
Melle 13 : En fait, je m'imagine ... J'ai peut-être tort, mais je m'imagine vraiment les spécialités ... Je sais pas, par exemple, si j'avais fait, je sais pas, un internat de Cardiologie, j'ai l'impression que vraiment, j'aurais dû me consacrer à fond à ça et que j'aurais dû penser à faire un assistanat, de la recherche, rentrer super tard de l'hôpital ... Et bosser à fond toute ma vie pour être un super cardiologue, quoi.
Le second critère de qualité de vie professionnelle est la possibilité de ne pas
travailler en permanence. Pour certains étudiants l’important est de diminuer le
nombre d’heures travaillées :
Mr 12 : Après, moi perso, je me verrais plus faire du 9h-16h que du 8h-18h mais je pense que c’est pas réalisable et ce serait même … faut pas non plus que ce soit au détriment des patients enfin … c’est … Ouais 8h-18h, ça reste acceptable.
Pour d’autres ce n’est pas tant le nombre d’heures que la possibilité d’avoir au
moins un jour non travaillé par semaine.
Mr 20 : Non, pas en nombre d’heures, mais plutôt en … J’aimerais bien avoir une journée dans la semaine, au moins. Voilà. De tran-… Enfin, de libre, en étant sûr de l’avoir, enfin …
Mr 14 : Bah, c'est sûr qu'au final ça va revenir sur une durée globale sur une semaine, mais c'est, avoir la possibilité de pas être ... Effectivement, de pas être au boulot tous les week-ends… Enfin, pouvoir être ... Ne pas être au boulot certains week-ends ...
Mr 9 : Oui, des conditions de travail ... C'est là ... C'est plus le côté conditions de travail, où je me suis dit 'c'est acceptable, ça me ... enfin,
77
c'est une vie où je pourrais ... je pourrais justement profiter de la vie à l'extérieur'. Parce que je crois qu'on l’a assez mis de côté, jusque là.
4.4.1.1.2.1.1 Qualité de vie d’interne
Quand ils envisagent leur qualité de vie professionnelle les étudiants envisagent
particulièrement la qualité de vie attendue pendant leur internat. Certains internats sont
considérés comme plus ou moins attractifs pour leur qualité de vie. Néanmoins il faut
noter que pour une même spécialité, son exercice et/ou son internat peuvent être
qualifiés comme en faveur de la qualité de vie par certains étudiants et en défaveur par
d’autres (nous reviendrons sur ses discordances de représentations dans notre
paragraphe sur la construction des représentations).
Melle 19 : Euh, pfff ... Et puis, l'internat de Chir, c'est cinq ans, c'est long, c'est des gardes à n'en plus finir ... Enfin, moi, à chaque fois que je suis passée en stage de Chir, ils prenaient pas leur repos de garde ... En Gynéco, elles prenaient jamais leur repos de garde. Alors ... Enfin, moi, je trouve que c'est de la folie, quoi.
La notion de qualité de vie serait donc, de façon schématique, la possibilité de
faire des choix en terme de durée de travail et de nombre de jours travaillés : la
possibilité, en tant qu’interne, puis en tant que médecin d’avoir le pouvoir de ne pas
travailler (par opposition à un asservissement aux patients, à l’institution hospitalière).
De plus le contenu du temps travaillé, pour être de « bonne » qualité devrait être sans
contraintes administratives, varié et plaisant. Que se passe-t-il pour un étudiant quand
cette notion de qualité de vie n’est pas possible ?
Par extension certains étudiants évoquent le fait « d’avoir de la vie ou de ne pas
en avoir ». Il y a un glissement qui s’effectue de la qualité de vie à la vie. Dans ce cas
là, la qualité de vie, devient « avoir de la vie » dans le sens privé.
Mr 21 : Et la Réa, aussi. La Réa aussi, moi, je trouve qu'ils ont pas de vie, là-bas.
Mr 12 : Alors il y a deux trucs, c’est que … la Chirurgie, ce serait plutôt vasculaire et cardio-vasculaire … Sauf que c’est des métiers où on n’a pas de vie du tout … Comparé à Réa, où il y a une relève, même si c’est des métiers prenants comparés à d’autres spé …
Melle 15 : C'est un ... Je sais que j'aurais pas de vie à côté, pas de vie privée, pas de vie euh ... Enfin, peu ou pas de vie familiale, ça c'est sûr ... Euh ... Et si je choisis de la Médecine Générale où j'aurais aussi la possibilité de faire de la ... de la Gynécologie à l'intérieur et du suivi de grossesses, j'aurais par contre, la possibilité de, voilà, d'avoir une vie à côté. Voilà, c'est un peu le gros débat, un peu ...
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On retrouve ici la différence de points de vue entre Mr 21 qui considère que la
Réanimation exclut la possibilité d’avoir de la vie, et Mr 12 pour lequel la Réanimation
est justement un choix de qualité de vie. Pour un même critère en fonction des
représentations qu’ils ont de la spécialité en question deux étudiants peuvent faire
des choix opposés.
La notion d’ « avoir de la vie », renvoie dans sa formulation à de la possession, à
quelque chose de quantifiable : « avoir, un peu, beaucoup de vie ». Cette notion est une
forme d’exagération de la notion de qualité de vie, elle nous renseigne ainsi sur la
nature de cette dernière. La proximité sémantique entre « avoir de la vie », et « être en
vie », ne peut pas ne pas nous interroger (d’autant qu’il s’agit de Médecine). Ces
étudiants s’apprêtent à « être » médecin, et ils souhaitent « avoir » une bonne qualité de
vie, « avoir de la vie ». La qualité de vie professionnelle s’intrique dans la qualité de vie
personnelle dans ce temps quantifiable réservé à la vie privée. Nous pouvons nous
permettre de lire dans ces mots l’importance « vitale » du choix pour ces jeunes
adultes : quelle vie vais-je avoir ? Quel médecin vais-je être ? Quelle personne vais-je
être ?
4.4.1.1.2.2 Qualité de vie personnelle
Selon Yann Faure et Anne-Chantal Hardy-Dubernet les liens entre « Vie
professionnelle et vie privée [représentent] une alternative « classique » » (34) Les
étudiants prennent en compte leur qualité de vie de façon classique, c’est-à-dire de
façon non spécifique au choix professionnel en Médecine ou encore de la même façon
que d’autres étudiants pour d’autres choix professionnels. Cela dit ce « critère » semble
parfois difficile à revendiquer pour les étudiants (Melle 19).
Il y a un paradoxe entre un critère de choix professionnel « classique », et cette
difficulté à revendiquer ce critère. Les deux hypothèses que l’on peut soulever sont le
fait que les médecins en fin d’exercice, ou, ne prenaient pas en compte ce critère (ou
étaient plus facilement prêt à le sacrifier comme Melle 15, actuellement), ou, avaient des
attentes différentes en terme de qualité de vie (la réalisation professionnelle aurait été
préférable à la réalisation personnelle).
Il est important de noter que si la référence à la qualité de vie peut être qualifiée
de classique, dans notre travail ce qui est revendiqué comme qualité de vie satisfaisante
est loin d’être classique. En effet les attentes en termes de temps de travail sont très loin
79
des 35 H (beaucoup plus). Néanmoins ce qui est atypique vis-à-vis des médecins en
exercice, c’est l’idée même de limiter le temps de travail (même si c’est pour
revendiquer de ne pas travailler un week-end par mois).
La qualité de vie professionnelle est donc indexée sur le temps que les étudiants
peuvent attendre de consacrer à leur vie personnelle et privée. Néanmoins, il s’agit aussi
de se réaliser dans cette vie personnelle. Les étudiants souhaitent pouvoir réaliser leur
vie de couple et familiale.
Melle 5 : Ben … pff, une fois d’plus ça va être assez banal : j’aimerais avoir un mari et des enfants et une grande maison et un jardin et un chien. Euh … non, plus sérieusement, c’est ça … ‘fin … j’aimerais … j’aimerais, pas être … le … j’aimerais pas être une maman qu’les enfants voient jamais, j’aimerais pas qu’mes enfants aillent tout l’temps chez une nounou … et j’pense que j’s’rai capable de faire des choix dans c’sens là, dans ma vie professionnelle, en … en prenant plus de temps … voilà, dans les années où il faudra … ‘fin, voilà … je … je me, j’pense que, j’pourrais … ‘fin … en tout cas, j’admire, ceux qui arrivent à faire ça, à bien gérer ces deux aspects là …
Melle 19 : Euh ... Et là, je commence à en avoir marre, j'ai envie d'avoir une vie. J'ai des copains qui commencent à se marier, à avoir des enfants et je me dis ... déjà en tant que médecin, c'est pas facile d'avoir une vie ... Mais alors, si c'est encore cinq ans à rien faire, euh ...
La qualité de vie personnelle et la qualité de vie professionnelle sont parfois
contradictoires et entrent en tension. C’est le cas de Melle 15 pour laquelle une qualité de
vie professionnelle nécessiterait une implication totale, en temps et intellectuelle (ne pas
penser à ses enfants pendant qu’on travaille). A ses yeux cette qualité de vie
professionnelle interdit une qualité de vie personnelle. Privilégier une qualité de vie
professionnelle signifierait ne « pas avoir de vie » (renoncer à avoir des enfants).
4.4.1.1.2.3 Un exemple de qualité de vie particulier : le choix de ville
4.4.1.1.2.3.1 Lieu prioritaire
En terme de qualité de vie, le choix de ville est symbolique. En effet la
ville peut prendre une signification de lieu où la qualité de formation est bonne ou de
lieu où la qualité de vie personnelle qu’on y attend est bonne. Certains étudiants
privilégient le lieu, sur une spécialité. Ils sont prêts à renoncer à leur premier choix pour
rester dans le lieu qui leur plaît.
MLB : Ouais. […] Euh … quand t’as parlé de ton choix de ville, tu l’as vu comme quelque chose de …
Mr 4 : Prépondérant !
80
Mr 20 : Donc, je reste… Enfin… Ma priorité, c’est de rester à Lyon, donc je verrai après.
Melle 13 : Enfin, pas rester sur Lyon même, mais pas trop loin de Lyon, quoi. Parce que lui, il est pas loin de Valence donc ... Si je pouvais faire, par exemple, des stages à Valence, des stages à Lyon, ce serait l'idéal.
4.4.1.1.2.3.2 Un gradient Nord/Sud
Nous retrouvons dans notre travail un gradient Nord/Sud d’appréciation des
villes. Le Nord est dévalorisé :
Melle 19 : Quelle que soit la ville, ouais. On a même commencé à regarder à Brest, alors, c'est pour dire.
Melle 17 : Après, c'est vrai que partir m’exiler à Amiens ou Caen, ça me ferait un peu plus réfléchir.
Melle 8 : Et ... Et voilà. Et quand j'ai reçu les résultats, j'étais avec un médecin, parce que je les ai reçus par SMS, et ... Et en fait, c'était tellement mal, parce que je suis arrivée 5500, que je me suis dit 'oh il me reste plus que Médecine Générale à Brest' (rire).
Le Sud est valorisé :
Melle 15 : Je préférerais largement une ville où il fait soleil, ça c'est sûr, même si je risque de pas trop mettre le nez dehors.
Melle 18 : Les critères de choix d'une ville c'est ... Les cartes de climat avec ensoleillé et pas trop chaud non plus ...
Mr 21 : Alors, comment je pense à ça, euh ... Moi, je pense quasiment qu'au côté touristique. Enfin, ou au côté, voilà, la beauté de la ville. L'exposition au soleil, les trucs comme ça. Je pense absolument pas aux C.H.
Nous retrouvons ici la gradation connue des postes non pourvus (plus
fréquemment dans le Nord) et la disparité médicale actuelle, les souhaits des étudiants
sont corrélés aux déséquilibres de répartition des médecins.
4.4.1.1.2.4 Qualité de vie, un critère de choix socialement dévalorisé ?
La qualité de vie revient de façon récurrente dans les propos des étudiants
rencontrés. Ce critère est aussi une valeur repère dans le processus de choix de
spécialité. Cette valeur est socialement reconnue (« semaine de 35 H ») en France,
qu’en est-il dans la culture médicale française ?
Nous retranscrivons ici, un extrait long de l’entretien de Melle 19 qui révèle sa
difficulté à s’avouer que son critère principal est la « qualité de vie ».
Melle 19 : Finalement, c'est un peu la qualité de vie, hein (rire), mon critère de choix principal. Ce qui est peut-être un peu bête.
81
MLB : D'accord. Alors ... Tu ... Tu me parles de qualité de vie, tu me dis 'c'est mon critère de choix principal, c'est peut-être un peu bête' ...
Melle 19 : Mmh ... Après, c'est vrai que euh ... à l'heure actuelle, ça va peut-être changer, mais jusqu'à présent, en gros, on nous disait 'c'est une vocation, donc si vous passez 80 heures dans la semaine, à l'hôpital, c'est normal, et puis vous fermez vos gueules'. En gros, c'était ça. Ça évolue de plus en plus. Certains chefs ne conçoivent pas que l'on râle quand on n'a pas notre repos de garde ... Enfin, voilà. Ils conçoivent pas ... Ils conçoivent pas non plus, quand on est externe et qu'on a qu'un euro de l'heure, alors qu'aux urgences, on fait beaucoup de boulot ... Enfin, voilà. Euh, et je pense que ça va changer. Après, euh ... Je ... Comment dire ... Euh ... La qualité de vie, je pense que c'est quand même essentiel, parce que si on veut pas complètement péter un boulon quand on est médecins ... Parce que, certes, on s'occupe des autres, mais s'occuper de soi avant ... Enfin, le phénomène de pétage de câble, comment ça s'appelle ? Le burn out, ça a été décrit chez les médecins, en premier, donc c'est bien qu'il y a une raison ... Et je pense que ... Si je dis 'c'est un peu bête', c'est que je me dis ... En fait, on n'arrête pas de nous répéter 'C'est pas ça qui doit primer' ... 'C'est votre passion', c'est ... Enfin, 'c'est la spécialité'. Alors, que ben ... on passe pas non plus 24h/24 à l'hôpital, quoi. Enfin ...
MLB : Ouais. D'accord ... Melle 19 : Je sais pas. Enfin, c'est peut-être aussi qu'on m'a formatée à
penser comme ça. J'ai un peu cette impression-là. MLB : Est-ce que tu te sens coupable de penser à ta qualité de vie par
rapport à ce qu'on ... Par rapport au modèle ... Melle 19 : Oui. Ouais. MLB : D'accord. Et ce 'on', 'on dit qu'il faut faire 80 heures et c'est normal
et c'est la vocation', c'est qui ? Melle 19 : Les chefs. MLB : Les chefs. Melle 19 : Mmh ... La ... Enfin, la génération qui va partir à la retraite à
l'heure actuelle, le dit, énormément. MLB : Ouais. Melle 19 : En disant 'ben nous, quand on était internes, on avait des vies dix
fois pire, alors vous pouvez bien faire ça, maintenant'. Et les nouveaux, ça commence un peu à se calmer mais je trouve qu'ils sont encore bien comme ça. Même eux, ils ont pas de vie, ça les dérange pas, quoi. Enfin ...
MLB : Mmh, mmh ... D'accord. Melle 19 : Je pense ... MLB : Tu penses que ça les dérange pas, ou tu penses que ... ils en souffrent
et qu'ils osent ... Melle 19 : Ils osent rien dire ... MLB : Ils accepteraient pas ... Enfin, ce serait difficile pour eux de voir
d'autres qui réussissent à réussir sans en passer par là ? Melle 19 : Ah oui, peut-être. Peut-être. Après, je sais pas la ... On a eu une
femme qui est venue nous faire un cours en Médecine G, Dr B., et puis, elle nous a dit qu'il fallait ... Enfin, que c'était important aussi de prendre soin de nous ... Parce que ... Enfin ... C'est pas ... Je pense pas que ... C'est au- ... C'est ... Enfin, c'est un métier, avant tout. C'est pas non plus,
82
notre vie. Et du coup, faire un tel sacrifice pour les patients, c'est ... Enfin ... On s'occupe d'eux, d'accord, mais faut pas non plus tout sacrifier.
MLB : D'accord. Melle 19 : Dans ma tête, ça ... C'est une grosse démarche, hein, quand même,
d'arriver là, parce qu'au début ... Enfin, on est aussi formatés à culpabiliser depuis la P1 ... En P1, on nous dit 'comment ça, tu travailles pas ? T'as vu les autres qui travaillent' ... Voilà, c'est comme ça tout le long. Donc, voilà ...
Cet échange retrace la différence de représentation de la qualité de vie entre cette
future jeune médecin, et ses enseignants qui en tant que « chefs » ont une influence
certaine sur ses vœux. Elle révèle l’effort personnel (« grosse démarche ») nécessaire à
l’acceptation et la revendication de la qualité de vie comme critère de choix. On voit
que cette nouvelle valeur rentre en conflits avec les valeurs classiques rencontrées dans
le système hospitalo-universitaire. Les étudiants doivent donc non seulement
identifier ce qu’ils entendent par qualité de vie ‒ quelle part ils font à leur qualité
de vie personnelle vis-à-vis de leur qualité de vie professionnelle ‒ mais aussi se
confronter aux représentations hospitalo-universitaires de la qualité de vie.
4.4.1.1.3 Statut social
Le troisième axe de référence dans le processus de construction du choix de
spécialité pour les externes est le statut social. Les étudiants essaient de faire
correspondre le statut social qu’ils considèrent devoir être le leur, avec le statut social
qu’ils reconnaissent aux différentes spécialités. Un des éléments essentiel du statut
social d’une spécialité est le revenu rattaché à cette spécialité.
4.4.1.1.3.1 Argent
Les étudiants interrogés sur les revenus des médecins étaient souvent dans
l’ignorance, en particulier pour la spécialité qu’ils envisageaient. Il y a des postures et
des représentations diverses vis-à-vis de l’argent parmi les externes, que nous allons
explorer. Les revenus attendus sont très variés (quelques chiffres cités : 3000 euros,
4000, 7000 …).
L’argent est pour certains externes un critère déterminant de leur choix.
Mr 6 : Dans l’idéal euh … j’s’rais ou médecin nucléaire … ça ce s’rait l’idéal, quoi … Euh … en clinique. En clinique euh … ouais pff … ou alors, Ophtalmo en clinique. ‘Fin des trucs un peu une espèce de fantasme … euh … voilà, une vie de … à la con, de p’tit bourgeois, quoi.
83
Mais c’est ça quoi, ‘fin … Le … ouais … le niveau d’vie … le mode de vie …
Melle 13 : Ben euh, enfin, moi, je sais que les personnes que je fréquente c'est des gars et qu'ils ont envie de faire des spécialités qui rapportent de l'argent, Radiologie, et puis des choses aussi qu'ils trouvent intéressantes comme l'Hépato-gastro, mais ...
Les spécialités (sous-entendu en dehors de la Médecine Générale) sont
considérées comme étant les mieux payées. Les étudiants qui pensent ça en tiennent
compte dans leur choix selon l’importance qu’ils apportent à leurs revenus.
Mr 1 : … t’es … t’es mieux rémunéré euh … t’es mieux rémunéré, ‘fin … du moins dans l’image des gens, et même dans mon image … T’es, t’es mieux rémunéré en étant un spécialiste. […]
Le fait d’annoncer l’argent comme critère de choix de spécialité, est
partiellement un tabou. Certains étudiants en ont parlé librement et considèrent que ceux
qui ne le font pas sont des menteurs. Pour eux il n’est pas possible qu’un externe ne
prennent pas en compte l’argent comme critère principal de choix de spécialité (et cela
explique à leurs yeux le fait que les anciennes spécialités soient privilégiées).
Mr 6 : … les gens en fait ils choisissent, uniquement sur l’argent, sur le temps d’libre … et pas, sur l’intérêt, sur la médecine …
MLB : Est-ce que, quand tu penses à ton choix de spécialité, l'argent, ça rentre en compte à un moment ou à un autre ?
Melle 8 : Non. Enfin ... Pfff. Il y a un gars de ma promo, il dit toujours que ... que tout ceux qui disent ça, c'est des hypocrites, que c'est pas vrai, que tout le monde pense à l'argent, machin machin ... Ben dans le sens où, en fait, quelle que soit la spécialité ... ben évidemment, quand tu choisis Radiologie ou Dermato, t'es mieux payé ... ou Chirurgie Esthétique, t'es mieux payé que si tu faisais de la Psy ou ... Mais ... J'ai l'impression quand même que même ... enfin, pour ce que j'ai envie de faire de ma vie et de tout ça, même en étant médecin généraliste ou psychiatre, on est déjà assez bien payé. Enfin ... c'est pas comme si j'allais être ... j'allais devoir faire des ménages pendant quinze heures par jour, juste pour nourrir mes enfants.
Le fait est que certains étudiants effectivement n’expriment pas d’intérêt
particulier pour le revenu attendu de la spécialité qu’ils vont choisir. Le fait d’avoir de
l’argent est-il une bonne chose pour une personne, est-ce une valeur positive ?
Melle 15 : D'une part. D'autre part, moi, je cherche pas à gagner beaucoup parce que pour avoir fait beaucoup d'aide opératoire en Chirurgie Esthétique, euh, je me suis aperçu que gagner beaucoup d'argent, ça pouvait être très délétère. Dans le sens où, après, c'est vraiment gagner pour gagner et aux dépends du patient, en premier, et puis après, c'est une course contre ... une course pour l'argent et ça, je pense que c'est
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pas bon pour l'équi- ... enfin ... -libre, mental, à mon avis, c'est pas très bon.
L’argent est une valeur qui interroge les étudiants (d’où le tabou pour certains).
Les étudiants peuvent aller jusqu’à considérer négativement le fait de privilégier
l’argent comme choix de spécialité. Nous revenons ici à l’idée que l’attrait pour une
spécialité dans sa dimension « vocation », est le gold standard social de choix de
spécialité.
Melle 5 : Jamais … j’pense que je … j’pense qu’on peut pas faire Médecine, pour l’argent, ‘fin ça a pas été mon cas …
Nous constatons que les étudiants se placent dans un continuum entre deux
postures très éloignées : le désintérêt pour l’argent d’un côté et de l’autre un
attrait primordial pour celui-ci.
Concernant la question de l’argent nous avons donc une première séparation
entre les étudiants qui le considèrent comme un critère ou pas (et les connotations
sociales rattachées au fait de choisir ou pas une spécialité pour l’argent). Le deuxième
élément de séparation est l’idée que les étudiants se font des revenus des médecins par
rapport à la société française. Certains étudiants considèrent que, quel que soit leur
choix ils gagneront « mal » leur vie, alors que d’autres considèrent exactement
l’inverse.
Les premiers d’entre eux se comparent aux autres revenus des métiers
comprenant des études longues, ils considèrent que les médecins sont mal rémunérés.
Melle 15 : C'est pas pour ça que j'ai fait Médecine, ça c'est sûr, parce que de toute façon, c'est pas le métier où on gagnera le plus et euh ...
Melle 18 : Bah euh ... de toute façon, je suis convaincue qu'en France, on gagne pas assez pour les études qu'on fait mais ... Non, en fait, je pense que je m'en rendrai compte quand j'aurais envie de m'acheter quelque chose et que je pourrais pas.
MLB : D’accord, il y a une chose que tu n’as pas du tout parlé dans ton choix de spécialité c’est l’argent, est ce que tu y penses ? Mr 4 : J’aurais fait dentaire (rire), sinon j’aurais fait dentaire … MLB : Sinon t’aurais fait dentaire ? Mr 4 : Si y’avait que l’argent j’aurais fait dentaire, ça m’dégoûte pas plus … ça m’dégoûte … non … non l’argent. L’argent, bah, on verra … on verra de quoi demain sera fait. De t’te façon, je crois que si … si on se base que sur l’argent, ben on n’est pas arrivé. Mr 1 : Alors, moi, j’suis affreusement radin … (rire) … et j’adore l’argent, faut l’avouer … Euh … pour moi, j’estime … ‘fin, moi j’trouve ça scandaleux qu’en France, un PH, touche, 3000, 3400 euros par mois, pour
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moi c’est scandaleux, quoi… parce que j’ai des copains qui sont ambulanciers à G’nève qui touchent 3500 … en tant … en tant qu’ambulancier … ça m’horripile … Moi je comprends pas que quelqu’un … mais même un médecin généraliste qui a bac + 9 … J’sais pas : bac + 5 tu gagnes 2500, bac +9, c’est l’double, tu dois gagner 5000, pour moi c’est … très arithmétique !
Les propos sont extrêmement ambivalents, d’un côté Mr 4 considère que les
médecins sont plutôt pauvres et que le fait d’être médecin est un détachement de cette
valeur. Néanmoins, lorsqu’il dit « si on se base que sur l’argent, ben on n’est pas
arrivé », implicitement, il reconnaît l’importance de l’argent, qu’il n’ose revendiquer
pleinement. Nous retrouvons ici le tabou d’exprimer pleinement son attrait pour un
revenu élevé.
Les seconds se réfèrent au revenu moyen français, ou au SMIC et considèrent
que même le moins riche des médecins sera beaucoup plus riche que le français moyen.
Mr 21 : Mais ... Parce que je pense que, de toute façon, on peut gagner, quel que soit le métier qu'on choisira, on gagnera plus que la moyenne française.
Melle 17 : Non, parce que, pfou … à partir du moment où on est dans la filière médicale, je pense qu'on n’aura pas à se plaindre de notre niveau de vie, donc …
Ces étudiants reconnaissent au médecin quel qu’il soit un revenu élevé qui est
associé à une reconnaissance sociale.
L’ensemble des discours recueillis à propos de l’argent est traversé
d’opposés mais aussi d’ambivalences. D’un côté l’argent est une valeur
revendiquée, de l’autre le détachement de l’argent l’est aussi (mais est-ce réel ou
seulement une posture sociale attendue ?). Certains s’estiment riches quoi qu’il en
soit, d’autres s’estiment pauvres, en fonction de leur système de référence (le
SMIC, ou la voiture de sport). Notre analyse confirme l’importance du pôle riche /
pauvre dans l’élaboration de choix de spécialité (déjà retrouvée dans la thèse de
Camille Gaidioz et Stéphane Ruhlmann (53)) tout en la nuançant. Les nuances
spécifiques du rapport à l’argent mériteraient une étude propre, il serait en
particulier intéressant de relier l’importance accordée à l’argent, la facilité de
l’évoquer avec l’origine socio-économique des étudiants.
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4.4.1.1.3.2 L’image sociale
Mr 6 est l’étudiant que nous avons rencontré qui centre son choix sur des critères
de statut social, il distingue bien que l’argent n’est pas le seul déterminant de ce statut
social, le deuxième aspect étant l’image sociale, il détaille néanmoins les liens qui
unissent ces deux aspects.
MLB : Est-ce que tu pourrais, m’dire, c’qui t’as … plu, dans ces spécialités ?
Mr 6 : A part l’côté financier, qui est l’premier ? Y’a … l’image sociale, c’est l’deuxième critère, quoi … C’est vraiment l’plus important … après, après l’argent … en même temps, c’est lié, parce que, c’est … c’est la même chose en fait … les spécialités qui gagnent beaucoup d’argent, c’est voilà … c’est un niveau social, c’est c’qui r’ssort en fait.
L’image sociale d’un médecin se reflète dans des attributs visibles de ses
revenus, la voiture en étant un marqueur net pour certains étudiants. Nous retrouvons ici
la divergence de point de vue entre d’une part, celui qui entend que le médecin gagne
bien sa vie (vis-à-vis des autres) et donc possède la voiture en rapport, d’autre part celui
qui entend que celui-ci n’a pas le revenu qu’il mériterait et donc pas la voiture en
rapport.
Mr 14 : Euh ... C'est sûr que la voiture de sport pour aller au golf, on imagine plutôt ça aller avec le chirurgien.
Mr 4 : Non il y en a toujours qui se pavaneront en Aston Martin®, voilà, chez moi y’en a un qui a une Aston Martin®, c’est le gars qui s’occupe de déboucher, le déboucheur d’égout … l’entreprise de débouchage d’égouts … le patron roule en Aston Martin®, le médecin roule en Clio (éclat de rire) ...
Le statut social du médecin comprenant, l’image sociale et le revenu de celui-ci
est un critère de choix revendiqué pour certains étudiants et alors pleinement assumé. A
ce titre, certaines spécialités, comme la Radiologie, supportent une image de plénitude
de cette réussite sociale, d’autres, comme la Médecine Générale ont une image opposée
à la réussite. Les propos de Mr 6 par leur caractère particulièrement tranché éclairent les
propos plus mêlés d’autres étudiants. En effet, l’argent et donc le statut social
demeurent des critères à la fois classiques mais classiquement tabou.
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Parmi les trois valeurs explorées :
- celle reconnue par les pairs est l’attrait pour les spécialités
- celle qui est nouvelle (dans le milieu médical, et issue de la société) est la
qualité de vie,
- enfin la valeur statut social est ancienne, il est attendu d’en être détaché
mais, nous le développerons par la suite, il s’agit de la valeur qui modifie
particulièrement les choix des étudiants de par son caractère intégré dans les codes
institutionnels.
Il est habituel de séparer les éléments décisionnels relevant de la sphère
privée de la sphère publique (facteurs privés / facteurs professionnels (34)) dans la
façon de catégoriser les éléments décisifs du choix. Nous avons retrouvé, dans
notre analyse, à travers le récit du processus décisionnel des étudiants (certains
étant aboutis, d’autre en cours) trois autres axes : l’attrait pour une spécialité, la
qualité de vie, le statut social. S’il existe des éléments privés, et d’autres d’ordre
professionnel ils s’intriquent dans un choix de vie, « avoir de la vie » étant à la
fois la possibilité de s’épanouir personnellement dans son univers privé, mais
aussi la capacité à être médecin pleinement. Notre enquête montre ainsi que la
distinction privé/professionnel n’est pas opérante pour analyser le processus
décisionnel d’un individu. On peut supposer qu’elle ne puisse l’être à
l’échelle d’une classe d’étudiants futurs médecins.
Cette première partie concernant les critères de choix révèle aussi que pour
un critère donné, la valeur que les différents étudiants y rattachent est différente
(et notamment le sens qu’il lui donne peut être opposé). Cette différence
s’explique par le fait que pour une spécialité donnée chaque étudiant en construit
une représentation personnelle qui lui est propre. Cette représentation se confronte
à la représentation sociale médicale, institutionnelle, ainsi qu’à la représentation
sociale sociétale de la spécialité en question.
« Les représentations sociales font donc référence à une « façon de voir »,
localement partagée au sein d’une culture, à une manière d’interpréter et de penser
notre réalité quotidienne, à la construction de cette réalité. La théorie des
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représentations sociales considère dès lors que la réalité objective n’existe pas, que
toute réalité est représentée, c’est-à-dire (re)construite en fonction des
caractéristiques des acteurs (valeurs, normes, modèles de référence, informations,
savoirs) et des conditions sociales qui président à sa constitution. » (69)
Le processus d’élaboration de souhaits de spécialités que nous avons
étudié s’inscrit lui aussi dans un réseau de représentations sociales. Les grands
pôles de valeurs communs que nous avons mis en évidence, sont eux aussi
travaillés de ses représentations. Ainsi, chaque valeur n’a pas la même place
socialement. Pour les étudiants en médecine nous pouvons distinguer dans notre
analyse deux champs distincts (et connectés) de représentations sociales que sont
les représentations sociétales d’une part, et ce que nous nommerons
représentations institutionnelles. Les représentations institutionnelles sont les
représentations sociales de l’université qui comprennent, en Médecine, le CHU.
C’est l’avis des pairs, c’est l’étudiant idéal qui n’existe pas, mais auquel chacun
se réfère. Nous noterons le statut particulier des familles qui amènent des
représentations sociales mêlées en partie de représentations sociétales et des
représentations institutionnelles (que l’étudiant leur a transmis, ou qui sont elles-
mêmes familiales, si la famille est issue du milieu médical).
Ainsi, il y a un hiatus entre ce que l’étudiant pense et ce qu’il dit, son
propos passe au travers de ce qu’il pense qu’on attend de lui, et est teinté des
représentations sociales dans lesquelles il est baigné. La capacité de se distancier
de ses représentations étant une aptitude individuelle.
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4.4.1.2 Construction des représentations des spécialités
La notion de représentations sociales explique bien les disparités de point de vue
des différents étudiants (considérer la Réanimation comme asservissante pour l’un ou
facteur de liberté pour une meilleure qualité de vie pour l’autre). C’est la construction
de cette « façon de voir », qui est propre à chaque étudiant que nous allons explorer
dans ce chapitre.
4.4.1.2.1 Stage
L’expérience d’externe est un élément essentiel de la construction de leurs
représentations disciplinaires, et du métier de médecin. Et les étudiants font le lien entre
leurs émotions, leurs représentations issues de leurs stages et leur choix de spécialité.
Sauf exception les étudiants rencontrés n’envisagent pas de choisir une spécialité dans
laquelle ils n’ont pas fait de stage. Les attentes vis-à-vis du stage sont à la fois de l’ordre
de l’apprentissage « connaître », mais aussi de l’ordre de l’émotion (comme nous
l’avons vu plus haut, « tomber amoureux » d’une spécialité).
Mr 1 : … ‘fin ça détermine nos choix l’expérience qu’on a. Mr 11 : Ouais, ouais. Ouais, disons que je pense qu'on peut pas juger quand
on connaît pas. Mr 9 : Savoir si une fois dedans, ça me plairait. C'était plus ça, l'enjeu du
stage. Mr 14 : Où, là, on se rend compte vraiment de quel type d'exercice ça peut
être et… enfin, en fonction des spécialités, de voir un petit peu les différents types de pathologies et quel type de réflexion il peut y avoir derrière. Et un petit peu se dire, ben, telle ou telle spécialité, d'un point de vue intellectuel, je trouve ça intéressant.
Du coup les lieux inaccessibles sont problématiques à leurs yeux. Les étudiants
déplorent de ne pouvoir découvrir certaines disciplines ou certains modes d’exercice
(hors CHU).
Mr 7: Bon moi, j'ai des parents médecins, donc moi c'est peut-être un peu biaisé, mais on voit que l'hôpital. On n'a pas de stage à l'extérieur, on peut pas avoir vraiment de contact avec des médecins qui sont dans le civil, quoi. Je pense que c'est pas du tout la même chose, quoi.
Melle 19 : Euh ... Mais bon, c'est vrai que la Cardio ... Enfin, moi, je ... je trouve que ça peut être très répétitif, surtout que si je veux pas être en CHU, ben, ce sera en libéral et alors là ... enfin, je pense que ça peut être très répétitif. Après, c'est pareil, on n'a pas de stage en libéral et on s'en rend pas compte non plus.
Melle 17 : Après, c'est vrai que… ils devraient peut être nous laisser plus de stages libres, quoi. Parce que les stages qui sont listés à la fac, ils sont pas toujours très exhaustifs.
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Mr 7: Tu vois, parce que tout le monde dit euh, 'je prends pas la Médecine du Travail, parce que c'est pas intéressant' parce que et tout et compagnie ... En même temps, on n'a pas de stage de Médecine du Travail, comment est-ce qu'on peut savoir que c'est pas intéressant ?
Le fait que le stage soit le lieu où ils éprouvent leur statut de médecin en devenir,
est aussi cause de changement de « façon de voir ». En effet les représentations « à
priori » issu des « on dit », de leur histoire, des cours, de leur expérience de patient, sont
parfois en décalage avec ce qu’ils rencontrent.
Mr 9 : Mais je pense qu'il y en a qui ... Ben après, les visions changent justement quand on va en stage. On se fait une idée en cours, si on fait le cours avant les stages ... Et que le stage, on voit ... on voit vraiment comment ça se passe, on voit vraiment si ça nous plaît ou pas et ... Je pense c'est là qu'il peut y avoir des changements. Avec les stages.
Il peut s’agir d’une découverte, d’une « révélation » :
Melle 3 : Ben … les stages. (rire) Forcément ! J’suis passée en stage à Lyon Sud chez Professeur X … ça c’était … ça m’a vraiment … (rire) transcendée ! (rire)
Melle 8 : Et le stage en Gynéco, ça lui a vraiment donné, enfin, redonné envie d'être médecin.
Melle 10 : Ben je sais pas ... Peut-être que je me rends pas vraiment compte de ... des conditions, je sais pas. Quand j'ai fait mon stage, mon stage, ça m'a plu, je me suis dit que c'était cool.
Les étudiants peuvent aussi ressortir de leur stage avec un avis opposé à l’avis
initial :
Mr 12 : Pour moi, la Réa, c’était essayer de maintenir en vie des presque cadavres. Et l’Anesthésie, c’était endormir des gens et jouer au sudoku… Et, au final, ça a beaucoup, beaucoup changé mon idée de l’Anesthésie, et surtout de la Réa, c’était un monde que je connaissais pas du tout.
Mr 20 : Et puis sinon, j’aimais bien la Chirurgie avant de faire mon stage en Chirurgie ORL, mais là … J’ai été un peu déçu, du coup voilà.
L’expérience de stage est « la » référence unique pour certains, dans leurs
propos (à nuancer par la différence entre ce qu’on dit et ce qu’on pense).
Melle 8 : Et le fait aussi, un deuxième truc, c'est que ... c'est que ... tout ce qu'on connaît des spé ... enfin tout ce que je connais et je ressors des spé, ça me vient des stages.
Les stages qui valorisent les externes dans leurs capacités sont déterminants dans
leur projection en tant que futur médecin. Se sentir bien en tant qu’externe dans un
service est un indicateur sur la potentialité de l’adéquation entre soi et son futur métier.
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Mr 21 : Ouais. En stage, en tant qu'externe en tout cas, c'est vrai que c'est le stage où j'ai été le plus utile.
Nous retrouvons ici dans notre travail, une évidence qui a déjà été mise à jour à
de nombreuses reprise dans les travaux étudiants la construction de choix de spécialité.
Ainsi par exemple, Amélie Sellier Petitprez (50) et Lisa Navarro (48) avaient identifié
l’importance du stage pour le processus du choix de spécialité. Le stage est le lieu à la
fois de la construction ou correction de l’image qu’on a d’une spécialité, mais aussi
celui de la construction de l’image que l’on pourrait avoir de soi en tant que futur
médecin. Les deux se construisent en miroir à la recherche d’une adéquation entre
une spécialité et un futur médecin.
Si le stage est central dans la construction des représentations d’une spécialité (et
donc du choix), il n’est pas l’unique source de la construction d’une « façon de voir ».
Les étudiants se confrontent au milieu universitaire, à leur entourage (familial, amical),
à la société. Nous présenterons ces supports brièvement ici, nous les développerons
dans le chapitre concernant la Médecine Générale. Enfin le dernier élément source des
représentations est constitué par les épreuves classantes nationales, dont nous
discuterons justement le statut de source de représentations des spécialités.
4.4.1.2.2 Système hospitalo-universitaire
Dans nos hypothèses de travail nous avions imaginé que les cours participaient à
la construction de la représentation des diverses spécialités pour les externes. La grande
majorité des étudiants interrogés sur le sujet, nous ont dit ne pas assister aux cours pour
diverses raisons (inintéressant, absentéisme des enseignants, données non validées,
approches différentes de celle pertinente pour les ECN). La partie hospitalière (du
système hospitalo-universitaire) est représentée par les stages d’externat que nous
venons de développer.
Le système est incarné par les Professeurs, les « chefs ». Ces personnes sont
investies de l’autorité de leur fonction, et elles édictent des paroles, qui sont « la bonne
parole ». En effet la parole de l’autorité exprime ce qui doit être pour les étudiants.
Nous donnons ici la parole à Melle 18 pour résumer ce que les étudiants retiennent de ce
qu’on attend d’eux.
Melle 18 : Les profs, on a un peu l'impression que en dehors du C.H.U., point de salut, mais ...
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Nous reviendrons sur cette posture dans notre discussion du statut particulier de
la Médecine Générale au sein du processus global du choix de spécialité.
4.4.1.2.3 Entourage personnel et société
Melle 15 : Je veux pas me laisser influencer et par l'entourage, et par le ... Je veux pouvoir être capable de décider vraiment en ... Pour rien regretter, il faut savoir vraiment ce qu'on a, je pense, à l'intérieur, et je vais essayer de me mettre dans une situation où je peux vraiment arriver à savoir ce que j'ai à l'intérieur. Et c'est pour ça que je m'isolerais pour pas être ... Surtout pas être influencée, parce que ça, je pense que c'est ce qu'il y a de pire ... Parce qu'on est forcément influencés, mais c'est pas forcément ce qui ... ça produit pas notre personnalité et ...
Melle 13 : Oh, non, moi, c'est pas du tout ma vision des choses, c'est ... Je considère que c'est un super métier et que, voilà, quoi, on est proches des gens et ... Et voilà, je vais pas me forcer à faire de la Cardiologie pour leur faire plaisir et pour que ils puissent dire 'Oh, oui, mais elle est cardiologue', non, voilà.
Comment affirmer sa « vision des choses » devant son entourage ? Est-il si
évident de s’en départir ? Ou bien est-on « forcément influencé » comme le dit Melle
15 ? L’étudiant en médecine arrive avec une première vision à la faculté de Médecine et
celle-ci est éprouvée et modifiée par les stages, le système universitaire. Néanmoins au
moment d’exprimer un choix, leur entourage va émettre un avis lui-même porteur d’une
représentation de la spécialité envisagée dont les étudiants ne peuvent se détacher
complètement. La difficulté est présente lorsque les représentations sont discordantes
(nous le verrons pour les étudiants qui veulent faire de la Médecine Générale –
spécialité dont les parents ne voient qu’une Médecine Générale – reste).
Nous détaillerons ici l’importance de l’avis du conjoint, dont les représentations
influencent ou tout du moins sont une indication des directions souhaitables pour le
choix.
4.4.1.2.3.1 Conjoint
Le conjoint préfère les spécialités qui « lui semblent » plus propices à la
réalisation de la vie de couple : temps de travail contenu, lieu d’exercice, etc …
Mr 21 : Bah, je pense que ... Je pense qu'elle en pense rien (rire). Non, je pense qu'elle a pas de ... Je pense que si je faisais de la Chirurgie, ou de la Réa, ça lui ferait peut-être un peu peur. Parce que justement, c'est, pour elle comme pour moi, c'est des spécialités vraiment prenantes, chronophages. Après, dans tout le reste, je pense qu'elle me laissera assez libre.
93
Mr 12 : Après, ça compte aussi, moi, j’ai mon amie qui est en … en D3 actuellement. Et qui est originaire de Sète à côté de Montpellier. Donc elle, elle aimerait que je prenne Montpellier, si j’ai accès à Montpellier, je prendrai Montpellier.
Mr 9 : Ça joue. Après dans la spécialité, je pense qu'elle a ... Elle est un peu soulagée justement le fait que j'ai un peu revu à la baisse les ambitions, et que je me dis que je me contenterais peut-être d'un peu moins. Justement de pas faire PUPH et justement de pas avoir à faire une thèse en plus, à faire des années de recherche. Je pense que ça l'a un peu soulagée quand même que je me rende compte moi aussi que je serais pas ... qu'il faut pas trop que j'en fasse, quoi. Je pense que c'est ça aussi. Moi, à un moment, peut-être où je me suis dit, justement, vouloir faire PUPH ou des trucs comme ça ... me suis peut-être emballé, enfin me rendant peut-être pas trop compte que ça me prendrait énormément de temps sur la vie familiale.
Les représentations de la Médecine et des spécialités du conjoint participent à
l’élaboration du choix de la spécialité. Nous ne détaillerons pas le cas des couples
étudiants en Médecine très bien étudiés par Anne-Chantal Hardy-Dubernet et Yann
Faure (34). La comparaison des propos de Melle 18 et Mr 21 qui sont en couple confirme
leur travail.
Les familles proposent aux étudiants les représentations de la société
(mêlées des représentations institutionnelles intégrées), et leurs amis
étudiants leur proposent les représentations sociales du groupe,
représentations institutionnelles. Les étudiants ont à se positionner entre une
adéquation parfaite avec ses représentations ou, à l’extrême, une posture
contestataire.
4.4.1.2.4 Epreuves classantes nationales
Les étudiants en Médecine en France depuis 2004 passent les épreuves
classantes nationales à l’issue de leur sixième année d’études (DCEM 4). Les épreuves
sont corrigées et notées, en fonction de la moyenne de chaque épreuve les étudiants sont
classés les uns par rapport aux autres. Les étudiants choisissent leur spécialité et le lieu
où ils vont faire leur troisième cycle. Ces ECN succèdent au concours de l’internat.
L’internat en tant que concours distinguait les spécialités de la Médecine Générale. Les
ECN sont un nouveau système dont l’un des objectifs était d’effacer ces différences.
Peut-on pour autant qualifier le choix issu des ECN de simple procédure de choix sans
qu’elle modifie celui-ci ?
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« Les représentations sociales se présentent donc toujours sous un double aspect : à
la fois comme un produit et un processus. […] Ainsi, étudier une représentation
sociale, c’est étudier à la fois ce que pensent tels individus de tel objet (le contenu),
mais aussi la façon dont ils le pensent (quels sont les mécanismes psychologiques
et sociaux qui rendent compte de ce contenu) et pourquoi ils le pensent (à quoi sert
ce contenu dans l’univers cognitif et social des individus), quelle est sa fonction,
son efficacité sociale. » (69)
La procédure de choix par classement, participe de la construction des
représentations sociales des spécialités en tant que processus, c’est pourquoi nous allons
aborder les liens entre les ECN (en tant qu’épreuves, mais aussi par abus de langage, en
tant que processus de choix) et le choix individuel de chaque étudiant. En effet, « le
choix par classement implique l’édiction d’un ordre qui est aussi une injonction
modelant les représentations sociales. » (9)
Le terme d’ECN s’il renvoie littéralement aux épreuves classantes nationales,
s’applique dans le langage courant à l’ensemble du processus qui l’entoure : la
préparation, les résultats, le choix. Les étudiants lorsqu’ils parlent des ECN ne se
réfèrent pas à l’épreuve matériellement mais à ce qui reste un concours dans leur tête :
au classement.
Qui choisit la spécialité ? Les étudiants sont partagés, beaucoup pensent qu’ils
ne choisiront pas. En réalité, ce qu’ils veulent dire par là c’est que l’éventail des
possibles sera limité par les ECN. Les ECN sont le frein à leur choix. Bien sûr certains
considèrent qu’ils restent maîtres de leur choix de spécialité, cela est le cas dans la
mesure où ils ont confiance dans leur capacité à obtenir un rang en adéquation avec leur
premier souhait.
Melle 17 : C'est en grande partie les ECN. Melle 10 : Ben vu que je veux Médecine G, non, pour moi, ce sera ... ce sera
pas les Epreuves du coup ...
La possibilité de ne pas avoir ce qu’on veut est en soit une limitation de
l’élaboration d’un souhait. Pourquoi souhaiter l’inatteignable ? Pourquoi prendre le
risque d’être déçu, d’avoir raté ? Donc certains étudiants ajournent leur réflexion de
souhait à la période entre l’annonce des résultats du classement, et le choix réel
physique en amphithéâtre de garnison.
Melle 18 : Je me suis pas trop fait une représentation précise de ce que je voulais, pour pas me prendre une grosse claque non plus.
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MLB : Mmh, mmh … D'accord. Du coup, on peut dire que ta réflexion du choix, elle a été modifiée par les ECN ?
Mr 9 : Ben disons que les ECN m'ont forcé, oui, à ... à voir un peu plus large que la Cancéro, quoi ...
Une autre façon d’exprimer cette difficulté à projeter ses souhaits avant de
connaître son classement, c’est de souhaiter avoir le choix, pour avancer dans son
processus de décision :
MLB : Est-ce que t'as l'impression qu'il te manque quelque chose pour faire ton choix ?
Melle 15 : Le choix, justement. Le choix pour être sûre de mon choix. Parce que c'est ce qui me fait peur, c'est que je souhaiterais avoir le choix pour pas faire un choix par défaut.
Finalement le classement est ressenti comme un jugement de valeurs par les
étudiants. Il existe une ambivalence entre l’idée que les ECN ne représentent pas la
capacité réelle d’une personne à être un bon médecin et celle que le classement est
révélateur de la valeur intrinsèque de l’étudiant.
Melle 2 : C’est aussi par rapport à mes résultats, j’ai pas non plus des résultats extraordinaires … j’espère toujours avoir des supers notes, mais … j’ai pas toujours ce que je veux, alors c’est vrai que c’est ça aussi qui influe sur le choix … euh … en même temps j’sais pas, j’sais pas p’t-être que c’t’année …
Melle 18 : Bah, enfin, c'est ça, c'est que si t'es vraiment débile tu peux pas finir bien classé ...
Melle 8 : J'ai beaucoup d'exemples de mes amies qui vont être des médecins excellents, qui vont être super médecins, et qui sont arrivées ... Elles sont toutes arrivées dans les 3000. Et dont certaines voulaient une spé ou de la Pédiatrie et qui, tu vois, l'ont ratée à 100 places, 50 places ou je sais pas quoi et ... Et ça va être des très bons médecins, donc non, ça représente pas. Mais ça doit être, je sais pas, dans mon inconscient ou je sais pas quoi que je me dis 'oui, je suis arrivée 5500, c'est nul, je peux pas être prête pour être médecin', alors qu'il y en a pleins qui sont arrivés derrière moi et qui ont pris un poste et qui sont très contents.
Le discours convenu est que les ECN ne représentent pas la qualité de l’étudiant,
mais notre travail révèle que de façon plus ou moins explicite le classement est
corrélé à une représentation de valeur de l’étudiant. Mr 7 exprime bien cette
ambivalence entre le fait d’obtenir ce qu’il souhaite qui serait une réussite. Réussite
ternie par le fait d’être mal classé, ici il considère que mal classé le dévalorise.
Mr 7: Si, si, je ... Alors, premièrement, moi, même si j'étais mal classé, et si ... justement ce qu'on appelle mal classé et que j'avais la Bio, je m'en
96
foutrais complètement. Evidemment. Euh, mais c'est pour ... Je pense que c'est pour l'amour propre, tu vois.
Nous avons exploré les représentations rattachées au classement : qu’est-ce
qu’être bien classé, mal classé ?
Etre bien classé signifie en premier lieu obtenir la spécialité de son choix.
Mr 12 : Non, c’est … pour moi être bien classé, c’est avoir ce qu’on veut à l’internat.
Néanmoins nous l’avons vu, les étudiants en fonction de la valeur qu’ils s’attribuent à
priori et des représentations rattachées aux ECN, modifient leur choix. Ainsi on
s’arrange pour émettre le choix qui nous permettra d’être « bien classé » dans le sens
« avoir son premier choix ». Ainsi on s’assure d’obtenir la position sociale de « bien
classé ».
Une définition d’être « bien classé » est l’obtention d’un certain rang, si certains
considèrent que les bien classés sont les 500 premiers, la majorité considère que les
1000 premiers sont bien classés (sachant que le nombre d’étudiants est croissant, cette
définition diminue au cours du temps la proportion des élus). Ensuite les définitions
sont variables : premier tiers, première moitié … La deuxième dynamique est donc
d’avoir un statut de bien classé inhérent au chiffre de classement. A ce titre là, si on
souhaite être reconnu comme tel, choisir une spécialité que pourront prendre ceux qui
sont mal classés ne permet pas d’être identifié dans le temps comme « meilleur ». Donc
les personnes qui obtiennent un rang dont le chiffre est « bien », peuvent modifier leur
choix de telle façon que la spécialité choisie soit en adéquation avec ce « bien ». Melle 8
parle d’une amie qui a renoncé à son premier choix, Dermatologie, qu’elle aurait pu
obtenir au prix d’un déménagement dans une ville de moindre importance (connotée
« mal », dans le gradient nord/sud que nous avons vu précédemment) ; au profit de la
Psychiatrie dans un « grand » CHU où son rang lui permettait d’être une des premières
parmi les internes de la discipline.
MLB : Est-ce que t'as ... Si je comprends ce que tu me dis, t'es en train de me dire que, plus que l'attrait pour la Dermatologie, ce qui était important pour elle, c'était d'être la première de là où elle était et dans une grande ville ?
Melle 8 : Ah oui ben oui, je pense. Parce que sinon, elle aurait pris ... je pense qu'elle aurait pris Dermatologie dans ... à Dijon, par exemple.
97
Choisir une spécialité dans une ville que les derniers ne pourront pas prendre
est :
Melle 18 : Une manière de garder une marque de leur classement à vie.
Cette idée de « marque » est forte. Cela constitue une séparation dans les
représentations entre une élite désignée par son classement et des spécialités qui
correspondent à cette élite et les autres, les « mal classés ». Et, faire un choix en
rapport est une revendication de ce statut d’élite et une manière de se reconnaître
et de se faire connaître comme tel. Le classement en tant que marque est à la fois
une incorporation et une reconnaissance du statut de médecin accompli au sens des
représentations institutionnelles, et il est aussi une distinction des autres. Ces autres
qui ne sont pas marqués seront en quelque sorte des médecins d’un deuxième
ordre (comme les officiers de santé l’étaient au XIXe siècle).
MLB : Et finalement, qui est-ce qui décide, ça ? Celui qui est bien classé ? Melle 13 : Ben, c'est l'avis général, au final, qui l'emporte.
« L’avis général » évoqué par Melle 13 renvoie à la notion de représentations
sociales, il ne s’agit pas d’un avis de personne, mais bien d’un constat général, que
certains sont bien classés et que la société leur attribue une valeur différente de ceux qui
le sont mal.
98
Notre travail met donc ici en évidence la persistance des hiérarchies
associées au concours de l’internat, avec les épreuves classantes nationales. Est-ce
que la Médecine Générale demeure dans la même posture ? Nous étudierons son
statut disciplinaire en reprenant chacun des éléments du processus de choix que
nous venons d’analyser.
Dans un premier temps nous avons identifié les trois grandes valeurs
auxquelles les étudiants se réfèrent dans leur processus de choix de spécialité :
l’attrait pour celle-ci, la qualité de vie, le statut social. Dans un deuxième temps
nous avons mis en évidence les modes de construction des représentations des
spécialités. Nous allons aborder le processus du choix en tant que tel dans la
confrontation entre ces trois valeurs et les représentations des spécialités qu’a
chaque étudiant. Ces deux éléments (les valeurs, les représentations des
spécialités) se rencontrent dans un individu, qui lui aussi subit un processus au
cours de ses études. Nous avons constaté que le stage est le lieu de l’élaboration
de représentations individuelles des spécialités, mais aussi celui de l’élaboration
de représentations individuelles du médecin en devenir que l’on est. Comment les
étudiants se positionnent-ils dans cette quête d’identité ?
99
4.4.1.3 Processus de « choix » : une quête identitaire ?
« La question du choix est problématique pour les étudiants en Médecine, elle ne
peut pas être posée comme un engagement personnel et responsable puisqu’il est
toujours prédéterminé par des mécanismes de sélection dont ils n’ont pas la
maîtrise. Cette incertitude a un effet neutralisant sur les capacités des futurs
médecins à s’investir dans une voie comme pour se prémunir de déceptions trop
amères. » (51)
Peux-t-on parler de choix réellement, ou bien comme le dit Melle 15 manque-t-il
« la possibilité d’avoir le choix », pour en faire un ? La notion de choix libre est sous-
tendue par l’ensemble des possibles disponibles et équivalents. Or, le jour où l’étudiant
est appelé en amphithéâtre de garnison en fonction des postes déjà choisis par ses
collègues « mieux classés », il choisit un poste parmi ceux restants. Il renonce à tous les
autres. A ce moment, il exerce un choix restreint par les choix précédents, ce n’est donc
pas un choix libre. De plus, notre analyse de la construction de la représentation des
spécialités révèle que chaque spécialité porte le poids de sa représentation
institutionnelle hospitalo-universitaire. En ce sens, chaque possibilité restante n’est pas
équivalente, et de surcroît le rang de l’étudiant le prédestine à certaines d’entre elles. Il
lui reste néanmoins le choix de suivre ou contester les attentes sociales. L’absence de
choix libre, n’est donc pas une absence totale de choix. Ce choix, public, a été étudié
par Anne-Chantal Hardy-Dubernet, et Yann Faure (34), dans leur travail justement
nommé Le choix d’une vie. Notre enquête s’est située en amont de ce moment, avec
comme perspective, dans un horizon proche ce « choix de vie ». Quel est le
cheminement de l’étudiant dans sa propre vie alors qu’il est partie prenante de ce
processus de classement qui le « marque » et qui le conduit publiquement à choisir
mais peut-être surtout à renoncer ?
100
4.4.1.3.1 Hiérarchisation des valeurs
Si le moment du choix est l’horizon, notre étude porte surtout sur la formulation
de souhaits de vie. L’étudiant se réfère dans l’élaboration de ses souhaits aux trois
pôles de valeurs que nous avons retrouvés : l’attrait, la qualité de vie, le statut social.
Dans chacun d’entre eux les étudiants émettent des avis contradictoires, et l’importance
relative des unes aux autres est personnelle. Ces trois pôles de valeurs sont aussi
interdépendants.
Attrait
Statut socialQualité de vie
Attrait
Statut socialQualité de vie
Figure 5 : Les pôles de valeurs
Nous avons constaté que les étudiants définissent, nomment leurs valeurs. Nous
avons retrouvé ces trois pôles comme trame commune de la réflexion de l’ensemble des
étudiants, mais chaque étudiant définit lui-même le sens de chacun à ses yeux et
l’importance relative des uns par rapport aux autres.
Nous allons prendre l’exemple de deux étudiants qui surinvestissent une des
valeurs pour mettre en évidence la notion de conflit entre celles-ci. L’idéal serait donc
de faire une spécialité qu’on aime, permettant la qualité de vie telle qu’on la définit
soi-même, avec un statut social en adéquation avec ses propres attentes.
Mr 6 déclare fonder son choix uniquement sur l’argent et l’image sociale, soit le
statut social global. Pour lui, les autres critères de choix, ils n’ont pas lieu d’être et il
pense que tous les externes sont dans le même rapport aux valeurs que lui. En reprenant
son parcours on ne peut pas dire que l’attrait et la qualité de vie ne soit absolument pas
prise en compte pour lui. En effet, sa définition de la qualité de vie se superpose avec le
champ du statut social d’une part, et d’autre part s’il avait le choix parmi plusieurs
spécialités à haut revenu il prendrait celle qui lui plait le plus. Ici l’attrait est un champ
réduit à une portion minuscule. Nous présentons dans la figure 6 la construction d’un
101
système de valeurs, personnel, du fait de la hiérarchisation des pôles en prenant
l’exemple de Mr 6.
Attrait
Statut socialQualité de vie
Système de valeurs personnel
Attrait
Statut socialQualité de vie
Système de valeurs personnel
Figure 6 : Les pôles de valeurs hiérarchisés
Melle 15 définit de façon très différente ses valeurs. A ses yeux l’attrait
professionnel est prépondérant, ainsi que sa capacité propre à se réaliser
professionnellement : être compétente, être performante. Elle est prête à « donner sa
vie », pour cette réussite. A ses yeux l’exercice d’une spécialité est incompatible avec
une vie privée, à laquelle elle est prête à renoncer.
Melle 15 : Euh ... Ben disons que si ... euh (rire) ... Je ... Je ... Je donne ma vie ... Si j'oriente ma vie pour avoir une vie vraiment ... pour la Médecine
Elle exprime l’idée, qu’à ses yeux certaines valeurs ne se recouvrent pas et qu’il
faut renoncer à certaines d’entre elles. De façon caricaturale à ses yeux, ou bien on
privilégie la performance (qui est un incontournable dans une spécialité, entendue
comme en dehors de la Médecine Générale) et alors toute vie privée est impossible, ou
bien alors, si on veut avoir une vie privée, il ne faut pas choisir certaines spécialités.
Melle 15 : Donc, voilà, c'est un peu sévère comme jugement mais c'est un peu ... Je pense qu'il faut choisir, quoi. Donc moi, je serais capable de ... Enfin, je serais capable, si je choisis une spécialité, de dire non à une vie privée.
MLB : Mmh ... Et quand tu penses à ton exercice d'Obstétrique, t'as pensé à la possibilité justement d'exercer en libéral aussi ?
Melle 15 : Ouais, mais ça, c'est éventuellement si je décide d'avoir une vie. Nan, mais c'est vrai, c'est l'option, si jamais je veux me reposer et être ... faire plus que de la Gynécologie du sein, de la contraception, du frottis, tranquille, quoi. Tu peux faire ça à mi-temps, tu gagnes bien ta vie et ...
102
et t'as le temps d'avoir des enfants à côté, si je suis encore féconde (rires partagés). Voilà (rire), c'est ça.
Ce qui signifie que pour elle, finalement, choisir la Gynécologie Obstétrique signifie
renoncer à une vie de famille (ce qui est un choix extrêmement fort).
MLB : Pour toi, par exemple, faire de l'Obstétrique, tu me dis si j'ai compris, ça veut dire renoncer à avoir des enfants ?
Melle 15 : Oua- ... à 80%, ouais.
Ce qui est intéressant dans son propos, c’est de constater qu’elle envisage aussi d’être
médecin généraliste. Elle pense que si elle veut privilégier la qualité de vie, cette
spécialité sera plus pertinente pour elle. En réalité elle hésite entre deux valeurs
prédominantes : est-ce l’attrait ? Est-ce la qualité de vie ? Et chacun des deux systèmes
de valeurs est en adéquation avec une spécialité différente pour elle.
Nous constatons ici que chaque étudiant définit différemment chacune des
valeurs, mais aussi que cette définition est variable dans le temps, dans un processus
circulaire de mise en perspective de celles-ci. On construit un référentiel de valeurs pour
son choix, on le teste en le confrontant à ses propres représentations des spécialités puis
on réajuste les paramètres pour une nouvelle simulation de vie.
En fonction du sens attribué par chaque individu à chacun des trois pôles, des
tensions se créent. Alors, en fonction de la spécialité envisagée (et surtout des
représentations que l’on a d’elle), l’étudiant envisage de renoncer à une partie d’un pôle.
Melle 5 : … ça m’gênerait pas d’gagner un peu moins, d’avoir plus de … de vie privée, justement.
4.4.1.3.2 Valeurs hiérarchisées et représentations des spécialités
Les différentes valeurs sont mises en tension les unes vis-à-vis des autres, nous
venons de le voir, mais elle sont aussi confrontées aux représentations des spécialités de
l’étudiant. Or nous avons vu précédemment que ces représentations sont issues d’un
processus plurifactoriel, fondé principalement sur les expériences de l’externat et en
relation avec les diverses représentations sociales des spécialités. Les représentations
des spécialités d’un externe et son propre système de valeurs interagissent.
En effet, nous avons constaté qu’en fonction de la projection de spécialité
l’étudiant retravaille son référentiel de valeurs mais en fonction de ses valeurs il modifie
aussi ses représentations des spécialités. Par ailleurs il est important de noter que pour
une organisation de valeurs similaires, le « choix » de spécialité peut-être complètement
103
différent en fonction des représentations que l’on a de celles-ci. Nous développerons ce
point à propos de la Médecine Générale. Certains étudiants valorisent leur qualité de vie
globale et parmi eux, certains considèrent que la Médecine Générale est incompatible
avec cette qualité de vie globale alors que d’autres considèrent que la Médecine
Générale est la spécialité-même qui permet la réalisation de ce souhait.
Cette élaboration de souhaits, globalement, est modifiée par le facteur ECN. En
effet il est possible que le système de valeurs de l’étudiant et ses représentations de
spécialités, se rencontrent dans un souhait non réalisable. A ce moment-là, la capacité
de l’étudiant de renoncer à son souhait, ou à ajuster ses valeurs ou ses représentations de
spécialités est en jeu. La posture de rupture est le choix de refaire une sixième année,
pour repasser les épreuves classantes nationales, dans l’espoir que le prochain
classement permette une adéquation de souhaits et de possibilités.
Mr 9 : Alors en fait, ouais, je redouble ... L'année dernière, c'était vraiment que l'Oncologie, c'était ça ou rien.
MLB : T’as l’impression, qu’tu dois faire … qu’tu devrais faire à c’moment là une sorte de deuil ?
Mr 6 : […] Mouais, j’pense, ouais … MLB : Mmh. Mr 6 : Ouais, si, ouais …
Les étudiants redoublants que nous avons rencontrés effectuent secondairement,
dans leur deuxième année de préparation des épreuves classantes nationales un
ajustement de leurs représentations des spécialités, de leurs valeurs, mais aussi et
surtout de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.
En effet, ce système d’interactions complexes, construit une identité pour
l’étudiant (qu’elle soit réelle ou supposée). Nous avons défini l’idéal comme tel : faire
une spécialité qu’on aime, permettant la qualité de vie telle qu’on la définit soi-même,
avec un statut social en adéquation avec ses propres attentes. Nous avons analysé les
éléments de construction et d’ajustement des pôles de valeurs, ceux propres aux
représentations personnelles et leurs interactions mutuelles. Cet ensemble n’a de sens
que dans sa réalisation par un individu. L’étudiant construit son identité. Nous allons
considérer les processus en jeu en terme d’identité, dans le cadre de l’élaboration de
souhaits professionnels, qui aboutiront sur le choix de vie qu’est le choix de spécialité.
104
4.4.1.3.3 Construction de son image personnelle
Il existe des représentations sociales de ce que doit être un étudiant, et des
compétences nécessaires pour être médecin. L’étudiant dans un va-et-vient entre soi-
même et ses représentations constitue son identité, et émet des souhaits en rapport avec
celle-ci. En pratique l’étudiant élimine certaines spécialités qui « ne sont pas faites pour
lui ».
4.4.1.3.3.1 Aptitudes personnelles
Les étudiants écartent les spécialités pour lesquels ils estiment ne pas être
compétents globalement.
Melle 15 : Euh ... qui me déplaisent. Il y a des états d'esprit qui me déplaisent. Je pense que ce qui me déplaît ... ce qui me déplaît, c'est de pas être assez compétente dans une spécialité.
Les difficultés techniques présupposées leur font écarter les spécialités comme
l’urgence, la chirurgie. L’idée étant que leurs incapacités naturelles les rend incapables
d’exercer les spécialités techniques.
Melle 8 : Mais parce que c'est trop rapide. Je suis très lente en fait (rire), il me faut du temps pour tout faire. Voilà, donc il me faut pas une spé d'urgence. Ça, vraiment, ce serait terrible pour moi.
Mr 11 : Ouais, ben non, disons que tout ce qui est geste, ça m'a toujours ... ça m'a toujours un peu stressé et je suis pas ... je suis pas adroit, je tremble facilement.
Mr 14 : Pas tant la responsabilité mais un petit peu la technicité du geste et le fait que le geste, il faut le faire… enfin, assez rapidement, si il y a un problème il faut ... Il faut pouvoir réagir au quart de tour et que, ben, c'est des capacités de rapidité que je sais pas si je pourrais avoir sur un bloc et ...
Certains étudiants se sentent incapables de se spécialiser. En ce sens ils considèrent que
la Médecine Générale (qui n’est pas une spécialité, ici) leur serait plus facilement
accessible.
Melle 19 : Je voulais faire une spécialité. Et puis, je me rends compte que je suis pas forcément faite pour me spécialiser.
MLB : D'accord. Alors, qu'est-ce qui fait ... qu'est-ce qui t'a fait te rendre compte de ça ?
Melle 19 : Euh ... Dans mes stages, au bout de deux mois, je m'ennuie. Melle 13 : En fait, je m'imagine ... J'ai peut-être tort, mais je m'imagine
vraiment les spécialités ... Je sais pas, par exemple, si j'avais fait, je sais pas, un internat de Cardiologie, j'ai l'impression que vraiment, j'aurais dû me consacrer à fond à ça et que j'aurais dû penser à faire un
105
assistanat, de la recherche, rentrer super tard de l'hôpital ... Et bosser à fond toute ma vie pour être un super cardiologue, quoi.
Mr 9 : Je sais que moi j'en ai pas la capacité et j'en ai du coup ... Melle 8 : Et en fait, je me disais déjà que j'étais pas prête pour être médecin
parce que je connaissais pas assez de trucs et que ce que je savais, je le savais pas assez bien ...
Mr 11, doute de ses capacités à être médecin, indépendamment de la spécialité
envisagée.
Mr 11 : C'est pas de pas avoir les capacités, c'est de ... je, ouais, en fait, déjà, là, j'ai eu pas mal de doutes sur le fait d'avoir fait Médecine, j'ai pris ça ... j'ai voulu faire ça sans savoir ce que c'était ... Donc, j'ai pas ... J'ai eu un peu de mal quand même, au début des études, et euh ... Et oui, oui, je me sens peut-être pas les épaules, pas intellectuelles, pas ... plus psychologiques pour faire des trucs hyper stressants, hyper durs, hyper ... Même si la Médecine Générale, ce que ... ce que je te disais, c'est un vrai ... je pense que c'est un vrai défi pour moi ...
Le fait d’avoir des médecins dans sa famille est perçu comme une aide (génétique,
expérience de ses parents ?), pour les étudiants. Les étudiants dont les parents sont
médecins seraient plus aptes à l’être eux-mêmes.
Melle 13 : Ben en fait, j'ai l'impression que le fait, justement, de pas avoir de médecins dans ma famille, ça m'a peut-être un peu défavorisée ... Enfin, j'ai pas été énormément guidée, en fait, dans mes études médicales ... Et du coup, dans le choix de ma spécialité, parce que je vois, j'ai pleins de collègues qui ont des parents médecins, chirurgiens, tout ça, et j'ai l'impression que eux, ils étaient ... ils savaient directement la spécialité qu'ils voulaient faire. Ils savaient directement comment bosser tout ça, et que moi, j'étais un peu perdue dans tout ça.
Au cours de leurs stages du fait de leurs (in)aptitudes les étudiants définissent les
spécialités qui leur sont accessibles, ils restreignent déjà leurs possibles. Un des
obstacles à leur identification en tant que médecin, est qu’ils ne le sont pas justement.
4.4.1.3.3.2 Etre étudiant et devenir médecin
Mr 21 : Mais le problème, c'est qu'on choisit avant d'être médecin, et on choisit avant d'être médecin.
Mr 21 : C'est des idées d'externe, et je sais bien qu'une fois médecin, c'est pas la même chose.
Mr 9 : ... toutes nos études, c'est la Médecine ... enfin apprendre la Médecine. On nous apprend pas à être médecin, on nous apprend pas à ... ce que ça va être d'être médecin. On nous apprend la Médecine, que la Médecine.
Les étudiants sont des étudiants. En effet, ce sont des professionnels des études.
La formation en Médecine étant longue, ils développent les aptitudes à être de bons
106
étudiants. Ils savent comment réussir un partiel, être un bon externe, satisfaire les
exigences parfois paradoxales de l’université et de l’hôpital. Enfin et surtout ils se
préparent à passer des concours. En effet ils sont recrutés initialement par le concours
de fin de première année, et la suite du cursus les maintient dans une perspective de
classement (qui a une connotation de concours dans les discours, bien que cela soit une
épreuve). Etre médecin est différent d’être étudiant en médecine. C’est cette différence
qui est un obstacle à la construction de leurs souhaits de spécialité. En effet souhaiter
pouvoir choisir une spécialité, c’est envisager d’être médecin.
Melle 8 : Eh ben que, par exemple, je ne connais pas assez de choses ... Ou que j'ai pas assez de réflexes qui soient bons ... Ou que je n'écoute pas ce que disent les patients. Ou que je ne fasse pas un examen clinique rigoureux (rire) quand je les vois. Euh ... euh ... J'ai l'impression d'être un peu un médecin bébé cadum (rire) ... Bébé cadum, c'est parce qu'on a encore rien fait alors on sait pas ... on sait pas ce que c'est.
Cette difficulté s’exprime particulièrement dans les spécialités pour lesquelles
les étudiants ont peu de contact dans leur cursus. Par exemple l’exercice de la Chirurgie,
s’il n’est pas inexistant est restreint dans l’externat.
Melle 17 : Enfin, on est plus formés à la Médecine qu'à la Chirurgie, finalement, en tant qu'externes donc…
4.4.1.3.3.3 Identité personnelle et identité sociale
Emettre le souhait d’une spécialité est donc un processus de reconnaissance de la
capacité à l’exercer. Il y a une aptitude technique, mais il y a aussi une image sociale
rattachée à la spécialité que l’on reconnaît comme sienne. Certains choix sont « non-
conformes » socialement. Par exemple, Mr 7 lorsqu’il exprime son souhait d’être
Biologiste, reçoit une remarque particulièrement désobligeante, devant lui, à la
troisième personne.
Mr 7 : Enfin, par exemple, j'ai une anecdote, je faisais un stage de Chirurgie, aux urgences. Evidemment, le chirurgien me demande ce que je veux faire, il y avait l'interne de réanimation qui était à côté. Moi, je dis 'bon, j'aimerais bien faire de la Chirurgie. Euh oui, de la Chirurgie ... pardon, de la Biologie'. Et là, l'interne éclate de rire et il me regarde 'je comprends pas pourquoi ces types comme ça, ils font Médecine et pourquoi ils font pas de la fac de Bio quoi' et il est parti, comme si ... voilà quoi. Et il te regardait bizarrement, enfin ... ils comprennent pas.
Assumer un souhait « non-conforme » est accepter une identité « non-conforme ». A
l’inverse il n’est pas non plus évident d’émettre un souhait de spécialité correspondant
107
au « bien classé ». Le souhaiter signifie qu’on envisage de l’obtenir, donc de se
reconnaître apte à la réussite aux ECN. L’étudiant construit et adapte son identité de
médecin au fur et à mesure de ses études. Ils se découvrent des similitudes ou des
différences avec les modèles médicaux. Nous pouvons émettre l’hypothèse que les
étudiants qui connaissent déjà par leur famille le milieu médical ont une maîtrise de ses
représentations, ce qui leur permet de se positionner plus tôt dans une posture de
médecin. Il peut être malaisé de revendiquer une spécialité, et donc une identité de
médecin pour lesquelles les représentations sociales rattachées ne correspondent pas à
l’idée que l’étudiant se fait de lui-même. Ainsi, la représentation sociale de la spécialité
envisagée peut modifier le souhait de spécialité, et par là-même l’identité de médecin
que l’étudiant se fait de lui.
L’étudiant en Médecine se trouve donc inscrit dans un processus assimilable à
une quête identitaire : quel médecin pourrais-je être ? Plus qu’un simple choix de
spécialité le jour de l’amphithéâtre de garnison, il adopte une posture sociale, et renonce
à certaines. Est-il aisé de renoncer de la même façon à toutes les spécialités ?
108
La façon dont l’étudiant se définit en tant qu’étudiant, médecin potentiel et
en tant qu’individu détermine son système de valeurs, personnel (figure 6). Ce
système se confronte à ses représentations personnelles des spécialités, et
interagissent dans un processus constant pour aboutir à un souhait de spécialité
qui soit adapté. Le souhait émis porte la marque d’une représentation sociale qui
elle-même modifie l’identité de l’étudiant ; ce qui peut l’amener, à nouveau, à
modifier ses représentations des spécialités, ou de l’organisation de ses valeurs
propres. Nous avons donc un étudiant en quête d’identité, ses représentations
des spécialités, son système de valeurs de choix de vie, qui interagissent et se
modifient mutuellement dans un processus d’élaboration de souhaits de
spécialité.
Souhaits de spécialités
Médecin en devenirMiroirSocial
Représentations des spécialités
Étudiant
Système de valeurs
Souhaits de spécialités
Médecin en devenirMiroirSocial
Représentations des spécialités
Étudiant
Système de valeursReprésentations des spécialités
Étudiant
Système de valeurs
Figure 7 : Schéma d’élaboration des souhaits de spécialités en Médecine
Ces souhaits se matérialisent le jour de l’amphithéâtre de garnison par un
choix. Il ne s’agit pas d’un choix libre, mais d’un choix restreint. Le fait de se
situer dans un système de choix non libre modifie en soi l’élaboration des souhaits
en amont. En effet l’étudiant intègre en amont l’ensemble des contraintes sociales
(familiales, universitaires, sociétales) liées à son choix. De ce fait il s’autolimite
dans ses souhaits en fonction de ce qu’il imagine être dans ses possibles
personnels. Les restrictions sont de plusieurs ordres. De façon évidente, il existe
une restriction par le classement : restriction de possibilités (ce qui reste). Mais
aussi, la valeur sociale du classement en tant que « marque » induit une restriction
109
normative : ce que je dois faire si je suis bien/mal classé. En effet, les étudiants
choisissent en fonction de leur capacité à se conformer (ou non) à leur
classement :
- certains confortent la marque en dépit de leurs souhaits : prendre une
spécialité que l’on aime moins pour y être mieux classé,
- d’autres peuvent l’ignorer : renoncer à la marque et choisir la Médecine
Générale.
Nous venons de préciser les dynamiques en présence dans le processus
d’élaboration de souhaits de spécialités des étudiants en Médecine. Nous savons
que la Médecine Générale qui représente un peu plus de la moitié des postes
offerts à l’issue des épreuves classantes nationales est une spécialité dont tous les
postes ne sont pas pourvus, et peu prisée par les « bien classés ». Nous allons donc
étudier la place propre de la Médecine Générale dans ce processus. Avant la
réforme de 2004, le souhait de Médecine Générale ne pouvait s’inscrire dans le
même processus que le souhait d’une spécialité. En effet, le souhait de Médecine
Générale n’était pas soumis au concours de l’internat. Les différents travaux
portant sur le « déficit de choix » de la Médecine Générale, en France, depuis
2004, étudient les facteurs influençant ce déficit. La construction de ces travaux
en individualisant de prime abord le choix de la Médecine Générale des autres
choix, le distinguait. Or, le processus que nous venons de décrire est commun à
l’ensemble des étudiants rencontrés, quelle que soit la spécialité envisagée. Notre
travail montre ainsi qu’il existe un processus unique d’élaboration de choix
de spécialité. L’intégration de la Médecine Générale aux ECN a unifié le
processus d’élaboration de souhaits de spécialités : il s’agit d’une
reconnaissance de la Médecine Générale – spécialité.
Envisager d’être médecin généraliste n’en comporte pas moins des
particularités. Nous allons reprendre le même chemin réflexif que pour
l’élaboration du souhait de spécialité, en général, pour étudier la place du souhait
de Médecine Générale en particulier.
110
4.4.2 La place de la Médecine Générale
Préparer ou ne pas préparer le concours de l’internat étaient les deux grandes
voies de réalisation de son externat avant 2004. Laurence Chenavat (59), dans sa thèse
de Sociologie a analysé les rapports aux savoirs différenciés qui déterminent
l’orientation dans l’une ou l’autre voie. « Généraliste/spécialiste : la « grande »
question » (51) est-elle toujours d’actualité ? La reconnaissance de la Médecine
Générale – spécialité par l’intégration de la Médecine Générale aux épreuves classantes
nationales en fait-elle « une spécialité comme les autres » aux yeux des étudiants. Nous
allons analyser la place de la Médecine Générale dans le processus d’élaboration de
souhaits de spécialité des étudiants.
4.4.2.1 Critères de choix
Les pôles de valeurs que nous avons détaillés précédemment s’appliquent dans
ce que les étudiants disent de la Médecine Générale. Analyser les liens entre ses valeurs
et la Médecine Générale, nous permettra de découvrir les représentations de la
Médecine Générale chez les étudiants. Ces représentations de part leur (in)adéquation à
leurs valeurs personnelles leur permettent, ou pas, de formuler un souhait de Médecine
Générale.
4.4.2.1.1 Attrait pour la Médecine Générale
4.4.2.1.1.1 J’aime/j’aime pas
Comme pour les autres disciplines les étudiants expriment une reconnaissance
émotionnelle pour la Médecine Générale, qui est atténuée par le manque de stage en
Médecine Générale.
Melle 10 : Je pense, ouais. Parce que c'est intéress- ... Moi, je trouve ça super intéressant, donc je comprends pas pourquoi les gens, ça les intéresse pas, mais ... (rires partagés).
Melle 17 : Oh ben, je pense que c'est un métier intéressant malgré … Enfin, en fait, je pense que le métier en lui-même est intéressant, et puis qu'après, tout ce qui est autour c'est … c’est des contraintes, quoi … Enfin, toutes les contraintes horaires, les contraintes de … d'installation et tout. Mais après, le métier en lui-même je pense qu’il est intéressant parce que on a un suivi global des patients … Enfin, ça touche plein de pathologies, je pense que … Voilà.
Pour certains, comme Melle 5, la Médecine Générale est une évidence, et toute la
problématique qui l’entoure en devient moins compréhensible.
111
Melle 5 : … et du coup c’est pour ça que ça tombe sous le sens, la Médecine Générale en fait
Certains étudiants n’aiment pas la Médecine Générale.
Mr 6 : En fait la Médecine Générale, c’est pas toujours d’la Médecine, quoi.
Nous n’avons pas rencontré d’étudiants ayant effectué de stage en Médecine
Générale qui n’envisage pas d’être médecine généraliste (même comme dernier choix).
4.4.2.1.1.2 Type d’exercice
Le type d’exercice de la Médecine Générale est différent de la Médecine
hospitalière d’une part, mais aussi de la Médecine universitaire. Ce qui fait que pour les
étudiants la Médecine Générale dans une première approximation est différente de la
Médecine. En effet, la Médecine enseignée à la faculté, centrée sur les pathologies est à
leurs yeux différente de la Médecine Générale. L’enseignement universitaire de la
Médecine traite peu de certains problèmes spécifiques de la Médecine Générale – reste,
qui sont appréhendés comme « bobologie » par les étudiants. Nous verrons que deux
visions de la Médecine Générale s’opposent. Nous retrouverons dans les propos des
étudiants les pôles que nous avons défini que sont la Médecine Générale – reste et la
Médecine Générale – spécialité. L’expérience de stage en Médecine Générale conduit
les étudiants à la considérer comme une Médecine Générale – spécialité, une Médecine.
Les préjugés sur la Médecine Générale sont en direction d’une Médecine Générale –
reste, dont certains étudiants doutent du statut de Médecine même.
4.4.2.1.1.2.1 Varié ou limité
L’expérience de stage en Médecine Générale est source d’étonnement de la part
des étudiants que nous pourrions résumer ainsi : « Ah, mais c’est de la Médecine, la
Médecine Générale ?! » En effet les étudiants listent les pathologies qu’ils ont
rencontrés qu’ils reconnaissent, et soulignent la variété de l’exercice du médecin
généraliste. Cette variété peut fonder leur attrait pour la Médecine Générale (surtout
s’ils expriment une lassitude et une monotonie, pour eux, de leurs stages spécialisés
hospitaliers).
Melle 19 : On a eu un diabète, bien équilibré. Un diabète pas du tout équilibré. On a eu une suspicion de palu. On a eu un herpès circiné. On a eu de la Pédiatrie, des vaccins, euh ... Une mycose ... Enfin, tout, quoi. Et, je pense que parmi les spécialistes, il y en a pas beaucoup qui puissent faire autant de choses différentes, dans la même journée.
112
MLB : Donc, finalement, c'est bien parce que c'est pas leur spécialité à eux ? Et que c'est la spécialité du médecin généraliste ?
Melle 19 : Oui. MLB : C'est ça que tu veux dire ? Melle 19 : Oui. Chacun sa spécialité. Melle 16 : Ce qui me plaît, c'est la plasticité de la pratique. Le fait, de,
finalement, faire de la Médecine plus ou moins comme on veut. C'est très malléable, c'est-à-dire que si on aime bien faire telle partie de la Médecine, on peut être plus performant donc ... je sais pas, moi, par exemple, de la Pédia et de la Gynéco, ça m'intéresse beaucoup ...
Melle 10 : C'est qu'on fait de tout ... Euh, ce qui me plaît donc. Déjà, c'est que ... enfin, choix entre plutôt spécialités ou ... Je pourrais pas choisir une spécialité, parce que faire de la Cardio et plus faire de Neuro ... Voilà, je serais déçue ... ou plus faire de Gastro, ou voilà ...pour faire de tout. Euh, parce que je trouve que… euh ... enfin, parce que j'ai envie d'être plus en libéral, enfin, pas en hôpital ...
Melle 2 : … en plus des problèmes qui sont pas … pas grave dans le sens où souvent c’est des angines, des grippes, des trucs comme ça. Mais euh … en fait euh … j’ai changé complètement en me disant que finalement t’as pas mal de trucs à gérer et que finalement tu peux faire pas mal de trucs en Médecine Générale. Bah grâce à eux parce que du coup, ils brassent… lui il brassait surtout une population assez intéressante qui va du petit, au vieillard, à la femme enceinte avec le suivi gynéco tout ça, et c’est vrai que la Gynéco c’est le seul truc qui m’intéressait à peu près, et comme j’aime pas la Chirurgie ... Je, j’me sentais pas de faire un internat de Gynéco quoi … donc euh …
Melle 2 : Ouais, la Médecine Générale, j’me dit c’est intéressant parce qu’on peut brasser plus de choses, plus variées en fait.
Melle 5 : Je pensais pas vraiment que c’était que ça mais c’était, ça été vraiment concret ce jour-là j’m’suis dit : « on voit plein de choses, on suit plein de choses »
Melle 13 : Voilà. En fait, j'ai l'impression que il y a beaucoup de monde qui me dit 'la Médecine Générale, c'est les angines, les gastros, les grippes, tout ça', mais c'est quand même aussi ... Enfin, je sais pas, ça peut être super varié, quoi. Les gens, ils viennent avec des symptômes mais ça peut être plein de choses. Donc ... Il y a ce côté, essayer de gérer un petit peu tout et puis de bien orienter et ...
La variété de l’exercice est un point extrêmement attractif de l’exercice de la
Médecine Générale, déjà retrouvé dans la thèse d’Edouard de Germay (43). Le stage en
Médecine Générale est l’occasion pour les externes de découvrir cette particularité, c’est
pour eux un contraste important avec leurs stages hospitaliers souvent considérés
comme monotones.
A l’opposé, l’exercice de la Médecine Générale est considéré comme limité dans
son approfondissement.
113
Melle 18 : Tu finis par être autonome et à faire ta sauce assez tardivement, quand même. Mais bon, après, c'est ... Vu que je suis un peu perfectionniste ça me correspond assez bien parce que tu vois c'est pas comme en Médecine G où t'essayes de voir l'aspect pratique pour ton patient mais tu vas rarement au bout des choses comme tu veux quand même.
Melle 18, souligne l’inconvénient de ne pas pouvoir aller au bout dans un domaine
particulier, par exemple l’impossibilité de traiter « toutes les hypertensions possibles et
imaginables ». Cette idée de tout ce qui est possible renvoie à une posture de Médecine
dans la certitude de trouver une solution, une idée de maîtrise. Effectivement, la
Médecine Générale de par son recrutement de soin primaire présente une possibilité de
diagnostics plus large, et donc une incertitude dans le raisonnement clinique.
L’apprentissage des « pathologies », et du diagnostic différentiel durant l’externat,
laisse entendre qu’il y a toujours une solution (« possible et imaginable »). Cette
absence (au moins temporaire) possible de solution, est désarmante et est un frein à
l’élaboration d’un souhait de Médecine Générale.
Melle 18 : Je veux dire un médecin généraliste, une hypertension il va très bien le traiter, il va rien oublier ... Possiblement mais ... Mais c'est pas lui qui pourra faire, sur une hypertension résistante, toutes les explorations, avec les ... Enfin, voilà, il pourra pas aller jusqu'au bout, quoi, tout seul.
MLB : D'accord. Tu veux dire que sous ... Melle 18 : Sur les différentes formes de maladie. MLB : Que dans le cadre de l'hypertension que t'as appris, il y aura
toujours une partie de l'hypertension que lui ne saura pas faire alors que le cardiologue, toutes les hypertensions possibles et imaginables ...
Cet état d’incertitude du médecin généraliste lui donne une image de prestataire pour
certains étudiants. En effet, ne pouvant assumer « tout ce qui est possible et
imaginable », le médecin ne peut qu’appliquer ce que lui dit celui qui sait.
Mr 1 : Et … j’ai été surpris, du nombre de mes collègues, dans la promo, qui voilà, considéraient le Médecin G, comme un prestataire … qui appliquait, en fait la prescription du spé …
Cette vision du médecin généraliste renvoie à la notion de domination de la
Médecine Générale, caractère spécifique de cette spécialité par rapport aux autres,
retrouvé dans la thèse de Camille Gaidioz et Stéphane Ruhlmann (53). La Médecine
Générale est confortée ici dans la posture de Médecine Générale – reste, le médecin
généraliste ne serait qu’un exécutant de la médecine, comme l’était l’officier de santé au
XIX e, vis-à-vis des docteurs en Médecine. Marie Jaisson, dans son article L’honneur
114
perdu du généraliste (70), a analysé les similitudes entre l’officier de santé du XIXe et
le médecin généraliste du XIXe.
4.4.2.1.1.2.2 Bobologie
Nous avons donc un médecin généraliste qui traite des pathologies, seul ou sous
la direction du spécialiste (qui en maîtrise les données). Mais pour certains il ne traite
pas de « pathologie » telles qu’ils l’apprennent. Une partie de l’exercice de la Médecine
Générale serait autre chose. Cet autre chose est qualifié par beaucoup dans le langage
médical courant de « bobologie ». Qu’elle est donc cette « bobologie » pour les
étudiants en Médecine, et qu’elle place joue-t-elle dans l’élaboration de leurs souhaits
de spécialités ?
Melle 18 : Bah disons que ... Enfin si mais ... [...] Après, c'était pas ... C'étaient pas des maladies ... Enfin, je sais pas, je l'ai vu traiter des ... Enfin, je me souviens plus très bien mais ... Quand il y avait pas beaucoup ... Quand c'était une maladie modérée ... Enfin, le spécialiste, il traite de manière pointue toutes les maladies dans un domaine alors que le médecin généraliste ... Enfin, moi, je sais pas.
Melle 10 : De la bobologie ? Ben que c'est la Médecine qui sert à rien quoi ... ouais, que c'est pas des vraies maladies.
Melle 3 : […] et que … […] y’s’disent que c’est un peu … […] d’la bobologie, (rire) entre guillemets, p’têtre.
MLB : D’accord. Qu’est-ce que ça veut dire cette bobologie ? Ca signifie quoi pour toi ?
Melle 3 : Bah … que tu vois beaucoup de … de p’tites pathologies … bénignes quoi, entre guillemets. Tu vois pas souvent des … tu fais pas souvent, toi le diagnostic d’un cancer … O.R.L. ou … d’un … ‘fin … c’est plus voilà, tu vas voir un patient pour une angine euh … tu vas lui donner ses antibios … ou pas … (rire)
MLB : La bobologie, c’est c’qui est bénin, en fait, pour toi ? Melle 3 : Ouais, … c’qui est bénin et fréquent surtout.
La « bobologie » serait donc « pas des vraies maladies », donc des fausses
maladies, voire « pas des maladies ». Un médecin qui soigne des fausses maladies
exerce-t-il la Médecine ? L’étudiant en Médecine peut-il se projeter alors dans cet
exercice, non médical, dans l’élaboration de son souhait de spécialité ? La « bobologie »
serait aussi des « petites pathologies » ce qui est « bénin et fréquent ». Pourquoi soigner
des petites maladies si on peut soigner les grandes maladies ? La Médecine contient-elle
ces « petites » maladies ? Ces définitions de la « bobologie » comme étant la Médecine
Générale, renvoient au concept de Médecine Générale – reste, que nous avons identifié.
Elles confirment le doute sur la possibilité de qualifier de Médecine cette Médecine
115
Générale – reste. Les étudiants qui élaborent leur projet d’exercice ne peuvent pas se
projeter dans l’exercice d’une « bobologie » telle que définie ici.
Les étudiants qui ont réalisé un stage en Médecine Générale contestent pour
certains l’existence de la « bobologie » ou sa définition. En effet nous l’avons vu ils
rencontrent le caractère varié de la l’exercice de la Médecine Générale.
Melle 10 : C'était mieux, parce que je pensais qu'en Médecine G, on voyait que, vraiment, que de la gnognotte ... Enfin pas de maladies intéressantes ... Et puis finalement, on voit quand même beaucoup de choses. On voit pas que des angines, comme le cliché le dit. Enfin, même si ... enfin on en voit aussi, mais on voit aussi d'autres choses intéressantes et du coup, j'étais plutôt agréablement sur- ... enfin, je pensais pas que c'était aussi riche.
Melle 5 : j’ai été plutôt enchantée et si p’t-être surprise justement par la diversité des maladies qu’on rencontre. Parce qu’on pourrait croire, ‘fin j’pensais pas ça, mais, j’pense qu’une personne lambda peut penser que c’est vraiment de la bobologie tout le temps …
A nouveau, l’incertitude est soulignée, comment déterminer devant une plainte si celle-
ci est une « vraie maladie », ou un « petit truc », cette incertitude ne fonderait-t-elle pas
alors l’expertise médicale du médecin généraliste. Celui-ci exercerait alors de la
Médecine.
Nous constatons que la Médecine Générale en tant que synthèse de restes de la
Médecine est une synthèse d’incertitudes. En effet, les éléments certains ont été investis
professionnellement par les spécialistes (c’est le « bonheur d’être spécialiste » de
Michel Arliaud (25)), le reste est devenu la Médecine Générale. Les médecins
généralistes s’accommodent sous plusieurs formes cette caractérisation spécifique
d’incertitude (conceptualisation de Géraldine Bloy (17)). Cette compétence
d’accommodation à l’incertitude n’étant pas essentielle dans les autres spécialités elle
est peu enseignée à l’université. Ce manque peut expliquer les difficultés des externes à
aborder une discipline qui ne ressemble pas à la biomédecine spécialisée qu’ils
connaissent.
Mr 14 : Euh ... J'ai envie de dire, c'est tous les petits trucs où les gens, ils pourraient se déb- ... Enfin, ils pourraient éventuellement se débrouiller sans forcément aller voir leur médecin généraliste. Euh ... Alors après, dans une certaine mesure, est-ce que aller faire trois points sur une plaie, c'est de la Bobologie ? J'en sais rien, c'est pas non plus un geste hyper compliqué, mais bon il faut bien que le patient, il aille voir un médecin pour ...
116
Melle 19 : Et là, ça devient plus intéressant. C'est là que je me dis qu'il faut pas s'endormir. Mais après, la Bobologie, si c'est pas trop, ça me gêne pas non plus. Parce que si il vient voir le médecin, c'est peut-être aussi qu'il y a une autre plainte derrière qu'il ose pas avouer non plus, hein.
Melle 16 souligne que certaines maladies (sont-elles « petites » ?) ne sont pas enseignées,
comme de la Médecine, et néanmoins se présentent au médecin généraliste. Pour elle, il
y a des éléments médicaux (et donc elle n’est pas dans cette image de « bobologie »)
inconnus dans la Médecine Générale, qui nécessiteraient un apprentissage.
Melle 16 : Mais ... Pffou, j'aurais pas d'idées ... Je sais pas en Pédiatrie, Moluscum Contagiosum, on ne nous en parle pas.
Nous sommes ici dans un raisonnement inverse. Une pathologie vue par un
médecin (ici médecin généraliste), est de la Médecine, et donc devrait être enseignée,
comme Médecine Générale – spécialité. Les étudiants qui pensent que la Médecine
Générale est de la « bobologie », dans le sens « n’est pas de la Médecine », ne
considèreraient pas les Moluscum Contagiosum, comme une « vraie pathologie ».
Il y a donc une image de « bobologie » qui est rattachée à la Médecine Générale
– reste.
4.4.2.1.1.2.3 Difficulté ou facilité
La Médecine Générale – reste, « bobologie » en tant que non Médecine, est
considérée comme une solution de facilité. En effet, dans ce modèle de représentations
de la Médecine Générale, le médecin ne traitant pas de vraies maladies, l’exercice est
aisé.
Le Modèle de Médecine Générale – spécialité, de par son niveau d’incertitude
est, nous l’avons montré, difficile à appréhender pour les externes avec les notions
qu’ils ont de la Médecine. De plus, ils sont dans une conception non plus de reste, mais
de totalité, la Médecine Générale devenant la Médecine dans sa globalité. Les exigences
alors, pour être un « bon médecin généraliste », seraient d’être tous les spécialistes en
un. La Médecine Générale – spécialité serait la somme de toutes les spécialités. Une
façon de réduire l’incertitude pour les externes est de considérer que le médecin
généraliste dans chaque domaine doit être comme le spécialiste du domaine. Tout savoir
étant énorme, la Médecine Générale devient aux yeux de ces étudiants là, la spécialité
la plus dure.
117
Mr 12 : C’est … Médecine Générale au contraire pour moi, c’est un truc qui est super dur, qui demande absolument d’avoir des connaissances sur tout.
Mr 11 : Bon maintenant, ça a complètement changé et même je pense maintenant que c'est ce qu’y a de plus difficile et que presque les meilleurs devraient faire ça.
Melle 16 : Beaucoup de gens m'ont dit que la Médecine Générale, c'était une spécialité finalement qui faisait peur, parce que il fallait être formé un peu pour tout.
Melle 15 : Qui est en Médecine G cette année et qui dit 'mais pour être ... pour faire de la Médecine G, il faut qu'on soit dans les premiers, pour ceux' ... si tu veux faire de la bonne Médecine G, il faut gérer dans toutes les spécialités parce que sinon tu t'en sors pas. Il faut tout connaître.
Mr 1 : ‘Fin, j’pense c’est euh … c’est même à mon avis, la spé la plus dure, quoi …
Mr 1 : Parce que finalement … ‘fin c’est super chaud … t’as ton … ton patient, il présente des trucs, et il faut qu’tu sois un peu fort en tout … il faut que …‘fin c’est … il faut être hyper ouvert d’esprit, ouais à mon avis, c’est super dur …
L’accroissement des connaissances médicales a conduit à une division du travail
inéluctable. Les étudiants l’annulent dans cette image totalisante de la Médecine
Générale. La difficulté qu’ils soulignent ici est une impossibilité. Peut-on exercer une
Médecine Générale – spécialité, et être un « bon » médecin, sans pour autant
additionner toutes les spécialités ?
4.4.2.1.1.2.4 Globalité - transversalité
La notion de la globalité de l’exercice de la Médecine Générale est récurrente
dans les propos des étudiants. Elle recouvre à la fois cette idée de super spécialité, mais
aussi, la variété. De plus, au-delà de la question de la pathologie en elle-même, la notion
de globalité recouvre la personne : le patient.
Melle2 : … c’est aussi bien qu’une spécialité finalement, que c’est peut-être même plus … disons, plus intéressant … euh … plus intéressant euh … ouais plutôt soc’ … pas socialement mais, euh … plus intéressant au niveau des relations humaines et au niveau de la réflexion aussi, parce que tu réfléchis sur plus de choses quoi …
Melle 15 : Tandis qu'en Médecine Générale, on a vraiment le ... le côté global et on sait très bien que la pathologie, enfin ... elle est multi-factorielle et il y a pas que le côté somatique, il y a aussi beaucoup de psychologique qui va avec ...
Melle 13 : Et gérer un peu un ... connaître un petit peu de choses sur un petit peu tout, quoi.
Mr 4 : … tandis que, ben … voilà, la médecine transversale … y’a pas d’spé’ … la spécialité de médecine transversale, c’est Médecine Générale !
118
Melle 5 : Euh… j’ai envie de m’concentrer pas seulement sur un organe d’une personne, et ça je me le dis depuis toujours …
MLB : Mmh, mmh.
Le médecin généraliste a donc ici une compétence propre à son exercice (22), qui est un
facteur d’attrait pour les étudiants. On retrouve dans les propos de Melle 5 la notion de
modèle (71), importante comme facteur de choix de spécialité.
Melle 5 : Ouais. Ouais, je pourrais dire que mes deux, mes deux médecins c’étaient des modèles en tout cas dans leur pratique de la médecine, dans leur euh … dans leurs compétences de la Médecine Générale et euh … et … ouais. Ca a été des modèles dans le sens où ils ont… ils ont répondu à ça, à dire si y’a … y’a des façons de faire même en Médecine Générale, même pour les choses très courantes, même pour les choses moins courantes, même pour les choses qui sont suivies par des spécialistes où les médecins, où les patients voient quand même leur médecin euh … tous les trois mois, même pour le diabète des choses comme ça…
4.4.2.1.1.3 Les patients
La caractérisation de la Médecine Général comme globale par certains étudiants,
inclus dans l’objet de l’exercice médical, le patient lui-même. Certaines spécialités sont
préférées par les étudiants car les pathologies traitées amènent à considérer
particulièrement la relation au patient (Oncologie). Comme la Psychiatrie, la Médecine
Générale est considérée par les étudiants comme une spécialité dont la relation est un
but en soi, et non pas seulement un élément secondaire à la prise en charge d’une
pathologie. Cet aspect spécifique peut être un attrait dans l’élaboration de son projet de
vie :
Mr 20 : Donc, au niveau du cont- … enfin, le contact est quand même plus … On sent qu’il y a plus de contact en Médecine G que dans les autres spécialités. On suit les patients de façon chronique, enfin longue, c’est, enfin … C’est intéressant, plutôt que voir le patient une fois et puis de, en général, pas le voir revenir. Ça permet de mieux cerner les problèmes, de voir, enfin … Quand on voit le patient plusieurs fois, de … Enfin, plutôt qu’en une seule consultation … C’est ça qui me plaît. Et puis, le côté consultation, que j’aime bien puisque … opposé au côté chirurgical …
Melle 13 : Voir des patients psy toute ma vie, je supporterais pas. Donc il y a le côté en Médecine Générale, beaucoup de consultations de … quand même ... il y a pas mal de Psy en Médecine Générale et puis toucher un petit peu à tout. Etre le médecin de famille, être proche des gens ... Euh … l'échange avec le patient et tout quoi ...
Mr 1 : t’as une relation médecin/patient, qui là, est primordiale quoi Melle 2 : qui me fait un peu peur plutôt : c’problème de relation médecin
malade, parce que finalement quand on est en Médecine Générale on est beaucoup plus proche de ses patients parce qu’on les voit beaucoup plus
119
souvent, parce que souvent c’est des histoires de familles qu’on connait …
Melle 2 : Etre médecin généraliste c’est quand même euh … c’est valorisant dans le sens où … même si tu soignes pas les gens de façon physique, tu peux, parce que t’es là, parce que tu les écoutes les soigner d’une façon psychique en fait …
Comme chaque élément d’attrait il peut être considéré en fonctions des valeurs de
l’étudiant comme un frein réel. En effet pour Mr 6 la relation avec le patient, en
Médecine Générale n’est pas de la Médecine, c’est même un obstacle à l’exercice de la
Médecine.
Mr 6 : … qui nous parlait, il nous disait … son boulot,à lui, tous les jours, c’est d’négocier avec les patients … c’est pas d’faire d’la médecine, il passe son temps à négocier … pour, ne pas donner d’antibiotiques … pour euh … pas faire d’examens supplémentaires …
La notion négative de non-observance revendicatrice des patients, que nous avions
exploré dans l’étude de l’élaboration du souhait de spécialité, se retrouve en particulier,
pour certains étudiants, en Médecine Générale. Ce serait une spécificité de l’exercice de
la Médecine Générale. De ce fait à leurs yeux ce serait un argument négatif de plus pour
cette discipline.
Melle 5 reprend dans ses représentations la notion de médecine centrée sur le
patient, présente dans les définitions de la Médecine Générale – spécialité. Pour elle la
Médecine Générale, est une Médecine globale, mais surtout une prise en charge globale
du patient, dans le temps, en tant qu’individu éprouvant tous types de pathologies, les
« petites » et les « vraies ».
Melle 5 : … ‘fin j’pense que, effectivement, la Cardio des choses comme ça, j’y suis passée en stage et j’ai trouvé ça très intéressant mais euh … c’était vraiment pas fait pour moi, parce que finalement il n’y avait que l’aspect cardiaque qui les intéressait, et ça dès le départ ça m’a…. moi je trouve que, ‘fin, c’est assez banal c’que j’dis j’pense mais euh, c’est vraiment l’aspect global du patient, qui va avoir des maladies … un peu bénignes, p’t être qu’il va développer une maladie grave, p’t être qu’il va faire une déprime, p’t être qu’il va… ‘fin il va avoir plein d’aspects, et plutôt l’aspect global, l’aspect du suivi j’pense qui m’a’, qui m’attire dans ce métier …
4.4.2.1.2 Qualité de vie
La qualité de vie projetée par les étudiants sur l’exercice de la Médecine
Générale, dépend bien entendu de leur représentation de celle-ci. La Médecine Générale
– reste étant corrélée à une qualité de vie professionnelle moindre que la Médecine
120
Générale – spécialité. L’autre élément de qualité de vie professionnelle est le mode
d’exercice de la Médecine Générale.
4.4.2.1.2.1 Qualité de vie professionnelle : Mode d’exercice
4.4.2.1.2.1.1 Libéral
La Médecine Générale en tant que discipline de soins primaires, s’exerce, en
France, en libéral. L’exercice libéral peu connu des étudiants, leur fait peur et est
associé à une représentation de surcharge administrative notamment.
Mr 14 : Et le principe du travail en libéral, avec toutes les contraintes administratives que ça implique, est quelque chose qui me tente absolument pas.
Mr 14 : Ce qui me posait plus problème en Médecine libérale, c'est que finalement le ... Enfin, c'était vraiment cette notion d'exercice qui, si on augmentait l'exercice, avec l'augmentation des charges, ben finalement que ce soit plus délicat pour… si on voulait avoir plus de temps libre chez soi ... Ou simplement parce qu'on était crevé et que ... On n'arrivait plus à tenir le rythme, que, ben, diminuer le rythme d'activité soit plus difficile.
Les étudiants méconnaissent l’exercice libéral. L’inconnu leur est source de
craintes et limite leur capacité à se projeter. Ils attendent de leur exercice futur une
qualité de vie globale et dans le cadre professionnel la possibilité de limiter les taches
non médicales. L’exercice libéral tel qu’ils l’imaginent ne leur permet pas ses éléments,
il s’agit donc d’un frein au choix de la Médecine Générale connu que nous retrouvons
ici (41, 43, 48-50).
4.4.2.1.2.1.2 Solitude / groupe : ancienne et nouvelle Médecine Générale ?
Melle 16 : Pfffou ... J'ai pas vraiment eu de surprises, non, ça m'a plutôt confortée euh ... C'était ... Bon, c'était une prat' aussi, qui était jeune , qui avait justement une patientèle ... mais j'avais choisi par hasard, hein ... mère enfants, euh ... dynamique. Enfin, la nouvelle Médecine Générale, quoi, un petit peu le cabinet de groupe ...
MLB : Et l'ancienne, c'est quoi ? (rires partagés) Melle 16 : L'ancienne, ce que je vois, c'est ... ben, le médecin qui est tout seul
dans son cabinet, qui fait du sept heures-vingt et une heures, qui est encore beaucoup dérangé à son domicile, qui, pour moi ... alors je sais pas si c'est vrai, est difficile à allier avec une vie de famille con- ...
Melle 16 exprime bien (et avec un joli sens de la formule) les deux modèles en
cours d’exercice de la Médecine Générale. D’un côté un exercice de groupe, avec une
qualité de vie professionnelle liée au travail pluridisciplinaire « dynamique », avec la
possibilité de limiter son temps de travail donc une préservation de la qualité de vie
121
privée. De l’autre, un exercice seul (qui effraie) avec une notion de servitude aux
patients, même pendant sa vie privée (être dérangé au domicile). M elle 19 exprime bien
que ses deux maîtres de stage ont une gestion très différente de leur temps de travail et
de leur disponibilité.
Mr 4 : Ben oui, justement ça coince, mais où la pratique en cabinet ou en groupe, cabinet de groupe mais tout seul je le sens vraiment pas.
Melle 19 : Et c'est vrai que ... Alors, j'en ai un qui est sur Sainte Foy, donc, lui, il est très clair, il a ses horaires et une fois que les horaires sont dépassés, les patients, ils vont dans les maisons médicales de garde ou aux urgences. Il a maintenu sa vie à côté. Euh ... L'autre est à Lyon, elle est à Lyon, elle a une vie de tarée. Elle fait des horaires ... Enfin, je sais pas comment elle tient. Elle prend beaucoup de vacances parce que du coup, ben quand elle arrive en vacances, elle est épuisée, du coup, elle a besoin de beaucoup de vacances. Et quand j'ai vu comment elle travaillait, j'ai appelé une amie qui veut faire Médecine G, je lui ai dit 'non, mais c'est quoi cette vie, quoi ?' Je lui ai dit 'Moi, je veux pas ça'. Et puis, elle me dit 'ben c'est dommage que t'aies pris ce stage', parce qu'elle, elle était passée en cabinet de groupe et elle me dit 'c'est pas du tout pareil le cabinet de groupe. Ils sont pas tout seuls, ils peuvent parler aux autres si jamais il y a un cas qui leur pose problème'. Bon, ils font tous les deux partie des groupes de pairs. Donc moi, j'ai pas vu ça, forcément, parce que ben ça s'est pas présenté, mais ... Mais je trouve que c'est plus difficile, et puis, les horaires ... enfin, pour le coup, à Sainte Foy, il travaille les samedis, eh ben, c'est tous les samedis.
Les étudiants attachent une grande importance au travail d’équipe (comme nous
l’avions mis en évidence dans le milieu hospitalier) qui est reconnu comme pourvoyeur
de qualité de vie professionnelle. En ce sens la notion des maisons de santé
pluridisciplinaires est un facteur positif en faveur de l’élaboration du souhait de
Médecine Générale, comme l’avait retrouvé Amélie Sellier Petitprez dans sa thèse (50).
Mr 14 : Je trouve que le principe de travail en équipe, aussi bien entre médecins qu'avec des personnels para-médicaux ... Enfin je trouve ça intéressant. Ce qu'on retrouve moins en Médecine en cabinet, en tout cas, il me semble. Peut-être qu'avec la création des Maisons de Santé, qu'on pourra retrouver plus, mais ... Restera à voir comment… comment ça s'organise.
4.4.2.1.2.1.3 Campagne / ville
Certains étudiants dans une projection d’exercice de la Médecine Générale,
privilégieraient la campagne, contrairement aux projections démographiques. En effet,
la ville est associée à une image de moindre épanouissement de la Médecine Générale
pour eux.
122
Melle 15 : Plus pour la Médecine Générale. Après ... après, voilà, c'est pour ça que si je faisais de la Médecine Générale, je resterais pas dans la région. Parce qu'il y a une trop mauvaise ... il y a un trop mauvais état d'esprit qui y est associé et j'irais plus dans la campagne. Même si je sais que j'aurais une surcharge de boulot, j'irais dans la campagne parce que il y a une autre vision du médecin généraliste, je pense.
Melle 13 : A la camp- ... Plutôt à la campagne, en fait, parce que j'ai mon copain qui est plus de la campagne ... Et en fait, je m'imagine pas posée en ville, parce que je m'imagine beaucoup de concurrence, pleins de cabinets partout, je me dis que si je suis à la campagne ... J'aurais ma patientèle, je serais peut-être le seul médecin généraliste dans le coin perdu ...
Melle 13 : Par exemple, dans ma pratique de Médecine Générale, c'est vrai que je dis que je m'imagine à la campagne, mais si je pouvais être en cabinet avec d'autres médecins généralistes, ça m'arrangerait pas mal, quoi. Pour pouvoir pas faire des journées de fou, et avoir une vie de famille. Je pense que le critère qui pèse beaucoup, c'est vie de famille et ...
D’autres conservent l’image classique du généraliste de campagne
particulièrement asservi à ses patients (« ancienne Médecine Générale »).
Melle 17 : Bah, on les veut pas parce que … pfou, je sais pas. C’est … Le métier est de moins en moins bien considéré et que… Quand on est un médecin G à la campagne, il faut s’exiler au fin fond de je sais pas où. Et puis, la qualité de vie, je pense qu'elle se dégrade d'année en année … Au niveau des horaires, même au niveau de la rémunération, de tout ça.
71 % des médecins interrogés dans une enquête BVA pour l’Académie de
Médecine et le Sénat estiment que ceux qui n’ont pas choisi la Médecine Générale
(alors qu’ils en avaient les compétences), l’ont fait pour avoir une meilleure qualité de
vie. (66) Globalement la Médecine Générale serait associée à une idée de moindre
qualité de vie parmi les étudiants.
Notons qu’une des externes rencontrés était d’ores et déjà en pourparler pour
une installation en Médecine Générale en campagne avec la mairie d’un village de sa
connaissance. Son critère déclaré c’était justement la possibilité de ne pas se faire
« imposer » ses horaires de travail.
Melle 16 : Après, faut voir les conditions, donc c'est pour ça que je vais rencontrer le maire. Ça veut dire voir à qui appartiennent les locaux, si je peux avoir une pratique comme j'ai envie, moi, et pas une couverture de plages de soins euh ... imposée.
123
4.4.2.1.2.2 Qualité de vie personnelle et temps de travail
Le lien entre la qualité de vie personnelle et la Médecine Générale se fait sur le
temps de travail, mais surtout sur la possibilité de limiter celui-ci. Les étudiants qui ont
une image de la nouvelle Médecine Générale estiment que le libéral leur permettra
mieux que l’hôpital de préserver leur vie privée, et leur offrira donc une meilleure
qualité de vie globale.
Mr 11 : Voilà, et après, il y a le côté un peu flexibilité qui me plaît ... Melle 2 ; C’était, c’était bien et puis euh… il était bien installée dans la vie et
euh … dans … dans … dans la, dans la ville aussi parce que … bon … vu que tout le monde me connaissait c’était ... c’était assez sympa. Et euh (bruit de portable qui vibre) ouais pourquoi pas, ouais l’installation … ‘fin, ça m’avait bien, bien motivée en fait.
De l’autre côté à nouveau la Médecine Générale est perçue comme un exercice
sans limite qui envahit l’espace privé, donc négatif en terme de qualité de vie.
Mr 11 : Oui, oui, non, je sais bien que c'était pas ... que c'est pas en Médecine Générale, justement … que le temps de travail va être sûrement même être supérieur à ce qu'on peut faire à l'hôpital ...
Mr 7: Et voilà si tu veux, si elle a envie de partir en vacances, elle y va. En Médecine Générale, j'ai plutôt l'impression que tu travailles plutôt de huit heures du matin à huit heures du soir tous les jours, plus les gardes, avec quelques fois les week-ends, pour gagner la même chose qu'elle.
4.4.2.1.3 Statut social
Nous l’avons constaté, le statut social est fondé en grande partie sur le revenu.
Nous allons analyser les représentations qu’ont les externes des revenus des médecins
généralistes.
4.4.2.1.3.1 Argent
Melle 10 : Ce qui est sûr c'est que quand tu veux t'enrichir, faut pas faire médecin géné- ... enfin, quand tu veux ... quand t'es en Médecine et que tu veux choisir un truc pour gagner du fric, faut pas choisir médecin G ... Après, moi je préfère faire un truc qui m'intéresse, où j'ai une qualité de vie ...
Melle 10 exprime ici l’idée que la Médecine Générale n’est pas la spécialité la
mieux rémunérée. Elle exprime une hiérarchie dans ses valeurs (comme nous l’avons
montré dans le processus global d’élaboration de souhait de spécialité), ce qui fait que
cet aspect n’élimine pas la Médecine Générale (l’argent étant moins important que la
qualité de vie à ses yeux).
124
Melle 10 : J'ai une copine qui dit 'moi, je ferais pas de Médecine G, parce qu'on gagne pas assez', tout simplement. [coupure] Elle prendra le truc qui est le mieux vu et le mieux payé. Après, dans les autres gens, c'est vrai qu'il y en a qui trouvent que c'est bête de faire Médecine G, alors que pour deux ans de plus, tu gagnes le double dans une spé, enfin ...
MLB : En gros, ils disaient que la Médecine Générale, c'était plus pauvre que les autres spécialités et plus dominée que les autres spécialités ? Qu’est-ce que t'en penses, toi ?
Melle 16 : Oui, et alors ? (rire) Ben, quand on regarde ... C'est vrai que ... Enfin, voilà, le tarif d'une consultation de spé n'est pas le même qu'un tarif ... C'est sûr qu'au nombre d'heures travaillées, je pense, et au nombre de patients vus, un spécialiste se fait plus d'argent.
Les étudiants considèrent de façons quasi unanimes que les médecins
généralistes gagnent moins bien leur vie que les spécialistes. Cet aspect des choses ne
prend sens qu’en fonction de la hiérarchisation globale de leurs valeurs, et de la
représentation qu’ils ont de la Médecine Générale.
Le revenu attendu en Médecine Générale est considéré par certains étudiants
comme bon, pour d’autres comme insuffisant dans l’absolu.
Melle 13 : Je me dis qu'en étant médecin généraliste, je pense pas être dans le besoin. Mais après, je vise pas un super salaire tous les mois. Non, c'est pas quelque chose qui rentre en compte, quoi.
Mr 7: Tu vois par exemple. En Médecine Générale par exemple, je pense qu'ils sont vraiment sous-payés par rapport à ce qu'ils font.
Mr 21 : Alors, du côté ... Le côté pauvre, je pense que c'est partiellement faux, parce que je pense qu'il y a certains médecins généralistes qui gagnent très bien leur vie.
Nous retrouvons ici les divergences de vues sur le chiffre absolu qu’un médecin
mérite et sur la somme nécessaire pour bien vivre. La diversité et la complexité
d’approche de l’argent par les externes se retrouvent en Médecine Générale comme
dans les autres spécialités.
4.4.2.1.3.2 Image sociale : une spécialité dominée ?
Un des éléments important ressortant de l’enquête de Camille Gaidioz et
Stéphane Ruhlmann (53) était que les externes considéraient la Médecine Générale plus
dominée que les autres spécialités.
Les étudiants rencontrés définissent cette domination comme un état du médecin
généraliste. La Médecine Générale, ici dans une posture de Médecine Générale – reste,
est considérée comme dominée par les autres spécialités dont elle serait dépendante.
Cette image de domination par dépendance recoupe l’idée du médecin généraliste qui
125
traite des « petites pathologies » non-médicales, de type « bobologie », et qui a besoin
du spécialiste pour aller au bout, il est limité, donc dominé.
Mr 21 : Après, dominé, oui, ça, je suis complètement d'accord. Ouais, de toute façon, dans la mesure où ils sont le premier maillon de la chaîne, et qu'ils dépendent du coup de tous les autres spécialistes ...
Melle 18 : Et ... Enfin, parce qu'il a naturellement une position d'inférieur… enfin, dans le sens où il demande un avis à un spécialiste… alors que c'est débile vu qu'il en connaît bien plus que ... Enfin, voilà, donc c'est naturellement, et puis ... Et puis, pour le pouvoir, ben c'est sûr il a pas un service sous ses ordres et il a pas ...
Mr 14 : Il pense qu'il y a un souci. Mais c'est vrai qu'en général, bah, quand on demande un avis c'est qu'on a besoin d'un avis, et c'est pas sans raison. Et c'est peut-être du coup cette notion de ... Le médecin généraliste, quand ça va être qu- ... Enfin, on verra plus souvent, on aura plus sou- ... Je pense qu'on a plus facilement l'idée du médecin généraliste qui va voir une pathologie qui va échapper à sa compétence, et qui du coup va demander un avis. Et de fait… enfin, va être dominé, dans le sens où, ben, il va demander un avis, l'autre médecin va dire ‘on va faire telle prise en charge’, eh ben, le médecin généraliste suivra ...
Sur le principe de ce qui est rare est précieux, pour Mr 20, la Médecine Générale
est dominée car facilement accessible et moins chère que les autres spécialités.
MLB : Et ça vient d’où, cette idée, selon toi, qu’ont les gens, que les spécialités sont supérieures à la Médecine Générale ?
Mr 20 : Peut-être … Je sais pas, peut-être le prix de la consultation. La disponibilité qui est peut-être moindre selon les spécialités, enfin, pour les ophtalmos c’est souvent des délais inconsidérables, par rapport au médecin généraliste qui est quand même plus disponible. C’est plus technique, je sais pas.
Le fait que la Médecine Générale ne soit pas une spécialité est un statut
intrinsèque inférieur, faible et dominé. « La spécialité c’est bien, et la Médecine G pas
bien. »
Mr 14 : Non, peut-être un peu moins quand même. Enfin, mais du coup il y a, je pense, encore une idée de ... Je pense qu'il y a encore pas mal de gens qui sont dans leur tête, bah ... Médecin généraliste… c'est le médecin généraliste, il sait pas trop de quoi il parle et puis ... Et pas forcément que le médecin généraliste soit un sous-médecin, mais que ... En tout cas un peu l'opposition entre généraliste et spécialiste.
Melle 10 : Ben oui, parce que c'est moins bien payé après. Et parce que c'est pas une spécialité. Dans l'esprit des gens, les spécialistes, je sais pas ce qu'il a ... le spécialiste, il est plus fort.
Mr 20 : On a l’impression que c’est un échec si on fait Médecine G. Mr 20 : Je pense, ça vient de la… Enfin, c’est la façon dont on fait
percevoir la séparation entre spécialité, c’est bien, et Médecine G, pas bien.
126
Enfin, le fait que les universitaires et chefs de service, qui sont dans des postures
d’autorités, les « hauts gradés », ne soient pas des médecins généralistes dévalorise la
Médecine Générale.
Mr 21 : Les P.U.P.H. et chefs de service, et que du coup, ils savent bien que les profs, c'est les ... Comment dire. Ouais, voilà, c'est les gens les plus haut-gradés, entre guillemets. Et que du coup, être spécialiste, c'est plus ... C'est plus, voilà, c'est plus reluisant.
L’image sociale telle que définie ici de la Médecine Générale est
dévalorisée. Les revenus des médecins généralistes sont reconnus comme
inférieurs à ceux des autres spécialités. L’importance que cela prend pour
l’individu dépend de la valeur attribuée à l’argent pour lui dans son élaboration de
choix professionnel. La Médecine Générale, conserve un attribut de reste, qui
fait d’elle de fait, une discipline dominée socialement.
127
La Médecine Générale en tant que « spécialité » au choix à l’issue des
ECN est intégrée au processus d’élaboration de souhaits de spécialités. Les
étudiants interrogent les liens entre la Médecine Générale et leurs pôles de
valeurs.
En termes d’attrait, la Médecine Générale comme les autres spécialités
subit des avis contradictoires de la part des étudiants. Néanmoins, la
méconnaissance de son exercice est unique. En effet si les étudiants ne
connaissent pas toutes les spécialités, ils en connaissent l’exercice hospitalier, or
la Médecine Générale n’a pas d’exercice hospitalier. Notre analyse de
l’approche de la Médecine Générale par les externes confirme les deux
visages de celle-ci que notre étude théorique avait permis de conceptualiser. Il
existe une Médecine Générale – reste qui n’est pas attirante pour les étudiants.
Elle est ce que ne sont pas les autres disciplines et notamment elle est
« bobologie » pour les étudiants. Cette « bobologie » recouvre à la fois une
non-Médecine, mais aussi une Médecine faite d’incertitude. Cette incertitude est
désarmante pour les étudiants qui peinent à l’identifier comme de la Médecine. Le
médecin généraliste est ici, dans l’exercice de cette Médecine Générale –
reste, dans une posture dominée, négative. Il est le prestataire de service de
la Médecine. De façon concomitante, il existe une Médecine Générale –
spécialité attirante et, effrayante car ne répondant pas aux critères habituels de
spécialité. Cette Médecine Générale est caractérisée par la variété, la
globalité, la transversalité qui sont extrêmement attrayantes pour les
étudiants. Elle est aussi siège d’autres formes d’incertitude. D’un côté la
Médecine Générale – spécialité est constituée d’une incertitude totalisante
insoluble : la Médecine Générale, somme de toutes les spécialités serait une
supra-spécialité. D’un autre côté la Médecine Générale – spécialité est constituée
d’une incertitude qui fait l’objet d’une accommodation possible, cette
accommodation étant spécifique de son exercice.
En termes de qualité de vie, notre étude montre une méconnaissance de
l’exercice libéral de la Médecine chez les externes. La Médecine Générale à priori
a une image négative en terme de qualité de vie : isolement, omniprésence des
tâches administratives, difficulté de maîtriser son temps de travail. Cette image se
128
confronte à l’expérience des étudiants ayant réalisé un stage d’externat en cabinet
de ville. Ces étudiants découvrent un exercice varié dans sa forme, dans lequel le
médecin choisit l’organisation de son travail. Les nouveaux modes d’exercice
libéral quand ils sont connus sont en accord avec l’attente de qualité de vie des
étudiants.
En termes de statut social, notre étude confirme une image de domination
sociale de la Médecine Générale. Les médecins généralistes sont considérés
comme plus pauvres que les autres médecins. Néanmoins les étudiants ont des
rapports divers à l’argent. Nous verrons par la suite l’importance de la
construction de la dévalorisation institutionnelle de la Médecine Générale.
L’ensemble de la caractérisation des critères de choix de spécialité pour la
Médecine Générale révèle donc deux directions d’image pour cette spécialité :
une en faveur de son choix, une en sa défaveur. L’étude des éléments de
construction des représentations de la Médecine Générale va nous permettre de
comprendre la coexistence de ces deux images.
129
4.4.2.2 Construction des représentations de la Médecine Générale
Nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, deux visages de la Médecine
Générale s’opposent : une nouvelle Médecine Générale et une ancienne Médecine
Générale ; une Médecine Générale – spécialité, et une Médecine Générale – reste. Le
fait d’adopter l’une ou l’autre de ces représentations de la Médecine Générale a une
influence évidente sur la possibilité de construire un projet de vie en tant que futur
médecin généraliste. Nous allons reprendre les éléments de construction des
représentations des spécialités pour voir leur impact sur la construction de la
représentation de la Médecine Générale.
4.4.2.2.1 Stage
Les discours d’étudiants, que nous avons déjà commentés, révèlent l’impact du
stage en Médecine Générale en tant que modificateur de représentation de celle-ci. Le
stage en Médecine Générale permet d’effacer certains attributs de la Médecine Générale
– reste, en faveur de la Médecine Générale – spécialité.
Melle 2 : Moi au départ je m’étais dit « ah non », enfin vraiment j’ai fait un revirement complet en me disant « avant j’aimais pas voir toujours les mêmes gens, voire toujours les mêmes problèmes » …
Melle 2 : J’avais pas vraiment cette notion … de qualité de vie quoi. Moi je voyais toujours qu’il fallait vraiment travailler …
Melle 2 : … ça fait moins peur quand même … Melle 19 : Euh ... Et sinon, euh ... Au début ... Je pense qu'à la fac, on a une
très mauvaise image de la Médecine G. Jusqu'à que je fasse mon stage, j'avais encore cette image-là. Un peu ‘bobologie’, etc. Et puis finalement, c'est pas du tout ce qu'on fait en Médecine Générale.
MLB : D'accord. Si je t'avais vue en entretien avant le changement de stage, est-ce que tu m'aurais dit la même chose ?
Melle 19 : Ouais, je ... Je sais pas parce que j'étais pas passée en Médecine G, donc euh ...
MLB : Tu pensais que c'était une spécialité ou ... Melle 19 : Non, pas forcément. C'est vrai que depuis que j'y suis passée, je
trouve ça complètement différent ... Enfin ...
Les étudiants modifient donc leur souhaits de spécialités en intégrant la Médecine
Générale qui avec cette nouvelle représentation, est plus en phase avec leurs valeurs
personnelles que ce qu’ils imaginaient initialement.
Mr 20 : C’est vrai que le stage qui m’a le plus plu, c’est la Médecine G. Donc…
Melle 10 : Ben je sais pas ... Peut-être que je me rends pas vraiment compte de ... des conditions, je sais pas. Quand j'ai fait mon stage, mon stage, ça m'a plu, je me suis dit que c'était cool.
130
Mr 11 : Je me vois médecin généraliste premièrement, parce que c'est ce que je veux faire depuis ... depuis que j'ai réalisé le stage en tant qu'externe là-bas.
Melle 16 : Pfffou ... J'ai pas vraiment eu de surprises, non, ça m'a plutôt confortée euh ...
Melle 19 : Ça va beaucoup dépendre de ... de mon classement à l'internat. C'est aussi pour ça que j'ai fait mon stage chez le médecin généraliste en ce moment, pour savoir un peu si ça me plaît ou pas.
Parmi les étudiants que nous avons rencontrés, 8 ont réalisé le stage en Médecine
Générale. Chacun intègre la Médecine Générale dans ses souhaits de spécialité. Pour la
moitié d’entres eux il s’agit de leur souhait unique. Parmi les étudiants qui n’ont pas
réalisé le stage en Médecine Générale 6/13 envisagent la Médecine Générale parmi
leurs souhaits et une personne comme souhait unique. Ces chiffres ne sont ni
représentatifs, ni statistiquement significatifs. Nous pouvons noter que les modifications
de représentations de la Médecine Générale leur sont associées. Une étude statistique
quantitative pourrait mesurer l’impact du stage de la Médecine Générale sur le souhait
d’être médecin généraliste. Néanmoins, le biais évident de cette comparaison, est que
les étudiants qui ont effectué le stage en cabinet de Médecine Générale l’ont choisi.
Nous pouvons émettre l’hypothèse que le choix du stage en Médecine Générale
démontre un intérêt préalable à la discipline, ou un intérêt à la réalisation du stage en
lui-même (contrairement aux étudiants qui ne pensent pas que le stage en Médecine
Générale puisse leur apporter quelque chose, et qui privilégient ceux de spécialité
médicale).
La valorisation de l’étudiant (son utilité, par exemple) en tant qu’externe en
stage est corrélée à un attrait pour la discipline concernée. Cet aspect est
particulièrement développé en Médecine Générale du fait de la disponibilité du maître
de stage qui est en permanence avec son étudiant. Ceci s’additionne au fait que les
maîtres de stage, conscients de la problématique de l’accès aux soins de premiers
recours en France, cherchent à promouvoir leur discipline (et ont d’autant plus le souci
du bien-être de leur externe). Le stage en Médecine Générale, par son déroulement
indépendamment de son contenu, valorise l’étudiant et facilite ainsi son identification
au métier de médecin généraliste.
Mr 11 : Et ... Et ben déjà, il y a eu l'aspect ... l'aspect stage en lui-même avec un médecin consacré à toi, et ça change un peu des stages habituels où on est parfois un peu négligé, on va dire.
131
Le stage en Médecine Générale revêt, cependant, un caractère particulier. En
effet certains étudiants considèrent que, bien que n’envisageant pas de choisir une
spécialité dans laquelle ils n’auraient pas fait de stage et tout en envisageant la
Médecine Générale, ils n’ont pas besoin de réaliser le stage de Médecine Générale. Ce
dernier n’aurait pas le même sens qu’un autre stage en terme d’apport pour la
construction de leurs souhaits de spécialités. Les étudiants évoquent leur désir de
profiter des spécialités, de voir le maximum d’entre elles, avant d’aller en Médecine
Générale. Ici la Médecine Générale est la somme des autres spécialités pour eux, donc
pour être un bon généraliste ils pensent avoir intérêt à réaliser de nombreux stages de
spécialité médicale.
Melle 15 : Et où on pourra prendre ... aborder la patient d'une vision globale. Disons, que si j'avais encore des mois de stage à ... si j'avais encore la possibilité de choisir des stages, je choisirais la Médecine G ... Mais je voulais avant pouvoir passer en Cardio, pouvoir passer en Médecine Interne, pouvoir passer ben en Gynéco, en Pédia ... Voilà quoi, mais je pense que c'est ... Si j'avais du temps en plus, j'irai en Médecine G, mais je voulais d'abord passer dans les spécialités.
Ces étudiants pensent que leur savoir profane, notamment leur propre expérience
de patient leur est source d’une représentation fiable et exacte de l’exercice de la
Médecine Générale.
Mr 21 : Au début, ouais. Au début, ouais, mais après, justement, la Médecine Générale je considérais en fait en avoir déjà une idée. C'est pour ça que j'ai pas fait de stage.
Melle 13 : Oui, c'est dommage. Mais j'ai l'impression de connaître ... J'ai l'impression de connaître la Médecine Générale du fait de ... Ben, d'en entendre parler, d'avoir eu ces séminaires de Médecine Générale où on échangeait avec les médecins généralistes. Et puis de voir, enfin voilà … des médecins généralistes, mon médecin généraliste. Puis d'avoir discuté un peu avec lui. Il était dans la même fac que moi.
Il persiste un fort paradoxe entre le discours général sur l’importance des stages
(pour choisir une spécialité) et l’idée que le fait « d’entendre parler » de la Médecine
Générale est suffisant pour la connaître. Même si certains remettent justement en doute
la valeur d’une représentation fondée sur leur propre expérience ou l’assimilent comme
une ignorance (Mr 12), ces positions sont marginales parmi les étudiants qui n’ont pas
fait de stage en Médecine Générale.
Mr 21 : Voilà. Et que ... Alors après, c'est peut-être erroné, hein. C'est sûrement erroné, parce que c'est vraiment pas du même côté de la blouse.
132
Mr 12 : Après Médecine Générale, je pense que ça part en dernier aussi parce que les gens savent pas ce que c’est. Beaucoup. Donc je pense que c’est vraiment bien de développer les stages de Médecine Générale. Et il y en a énormément, je suis persuadé, quand on leur pose la question ‘Qu’est-ce que tu veux faire ?’. ‘Oh, je veux faire Médecine Générale’. Il arrive 1000ème, il a accès à une spé méd … ‘Oh ben j’ai accès à une spé méd, ben pourquoi pas le faire ?’.
Mr 7: Bon maintenant, on a des stages. Mais bon franchement, comment se faire une idée d'un médecin généraliste qui est en cabinet quand tu vois que des endocardites infectieuses, des maladies qui sont super rares à l'hôpital, c'est pas du tout la même chose, c'est pas pareil.
De façon contradictoire avec cet avis, les stages en Médecine Générale sont
désormais réservés aux « mieux classés ». Ce statut témoigne de la reconnaissance
progressive de la Médecine Générale – spécialité par les étudiants.
MLB : Tu dis : « ils ont pas fait d’stage », est-ce que, toi t’en as fait un ? Mr 4 : Ben, j’aimerais bien, j’ai jamais pu ! MLB : T’as jamais pu … Mr 4 : J’ai jamais pu. MLB : … parce que ? Qu’est-ce qui s’passe avec ces stages ? Mr 4 : C’est pris d’assaut, ‘fin … tout l’monde, dès que … y’en a très peu …
La réalisation du stage en Médecine Générale en modifie donc de
façon nette la représentation. Le stage révèle la dimension Médecine
Générale – spécialité aux externes. Cette dimension semble être en faveur de
l’élaboration d’un projet de vie en tant que médecin généraliste.
Pour certains étudiants, leur représentation initiale de la Médecine
Générale comme discipline en reste, ou comme somme d’autres spécialités,
rend le stage non pertinent à leurs yeux. Ces étudiants pensent que leur
représentation de la Médecine Générale est la réalité sans éprouver le besoin
de réaliser de stage, alors qu’ils reconnaissent l’intérêt des autres stages
d’externat pour ajuster leurs représentations des spécialités.
4.4.2.2.2 Système hospitalo-universitaire
En dehors de leur expérience personnelle les étudiants construisent leurs
représentations de la Médecine Générale pendant leurs études.
Nous venons de l’étudier, certains d’entre eux bénéficient de 3 mois d’externat
en cabinet de Médecine Générale. Comme le souligne Mr 9, en dehors de cette
possibilité de stage, les contacts avec la Médecine Générale sont ténus. La Médecine
133
Générale – spécialité n’est pas enseignée. Les universitaires de Médecine Générale sont
rares.
Mr 9 : Euh ... J'ai ... Finalement c'est ... je pense, c'est une spécialité, quand même, qui est pas bien enseignée en deuxième cycle ... Enfin, d'une, à la mauvaise vision, mauvaise presse par rapport aux professeurs qui nous font les cours ... Et de deux, je pense qu'on n'est pas assez préparé à ... à une ... enfin, à une pratique libérale et de Médecine Générale, enfin de tout ...
Mr 9 : Si, maintenant, on a un généraliste, on a un professeur généraliste qui nous donne des cours ... Monsieur MG. Mais autrement, il y a pas de généralistes ... enfin, je veux dire effectivement c'est, je sais pas, 60% de la ... des étudiants qui vont devenir généralistes et on ... enfin, on a un prof de Médecine Générale.
Lors de leurs autres stages les externes entendent parler de la Médecine Générale
par les autres spécialistes. Les propos qui nous ont été relatés étaient négatifs voire
injurieux.
Melle 19 : Il y a quand même pas une super image des médecins généralistes à l'hôpital.
Mr 6 : … il nous disait, « médecin G, c’est … c’est … c’est, voilà, c’est des gros cons, c’est des merdes, euh … j’reçois tous leurs patients, ils connaissent rien », et voilà ! On est éduqués à cette sauce là …
Par ailleurs les examens universitaires sont basés sur des cas cliniques qui mettent en
scène des médecins généralistes, non compétents voire dangereux.
Mr 11 : Ben déjà, rien qu'en faisant un cas clinique, t'as dû le voir souvent, le médecin généraliste lui a prescrit ça, mais comme c'était ... c'était des grosses conneries ... Il y a beaucoup de cas cliniques, où, tu vois, il y a des choses comme ça, donc c'est pas ... Disons que ... Puis à l'hôpital, on entend pas mal de choses sur ... Voilà, 'tel médecin, il aurait pu faire ça, ohlala, il est vraiment nul'. On l'entend quand même pas mal ... pas mal de choses comme ça. Donc ça aide pas.
Mr 6 : dans tous nos … tous nos … tous nos confs, etcetera … très souvent, c’est, euh, ça commence par … le patient a vu l’médecin généraliste qui a pas vu que machin, et c’est ça du matin au soir quoi.
Enfin les enseignants en position d’autorité, dévalorisent nettement ceux qui
deviendraient médecins généralistes. Les mauvais médecins finiront médecins
généralistes. Les travaux de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité nous
permettent de dire que cette posture d’autorité dégradant les futurs généralistes a un
impact réel et durable sur la représentation de la Médecine Générale, qui est, ici, celle
d’une Médecine Générale – reste.
134
Mr 9 : Je revois certains médecins ou un professeur qui, en cours, nous disaient 'si vous voulez pas finir médecins généralistes à tel endroit, va falloir bosser' ... Enfin ...
Nous laisserons la parole à Melle 5 pour synthétiser cet ensemble qui participe de
la construction de la représentation de la Médecine Générale.
Melle 5 : Mais euh … y’a quand même un peu un nuage noir sur la Médecine Générale et, et on le sent concrètement, dans nos études, dans notre cursus …
Les étudiants expriment le fait qu’il est bon de prendre une spécialité (sous-
entendu, pas la Médecine Générale, qui serait une Médecine Générale – reste). Mr 12
dit qu’ « on le pousse ».
Mr 12 : Si je veux Réa aussi, c’est parce que c’est dans l’air du temps de prendre une spécialité et de …
Mr 12 : Je pense qu’on est toujours poussés à … à prendre ce qu’il y a de moins accessible. En se disant, ce qu’y a de moins accessible, c’est parce qu’on veut limiter parce que c’est mieux.
Mr 11 : Quand on avait ... Quand on entendait ... C'était ... J'avais l'impression dans mon esprit, que c'était un peu ... que ceux qui allaient en Médecine Générale, c'était presque un échec pour eux, quoi, c'était un peu ... J'exagère un petit peu, mais c'était un peu l'impression qui ressortait quand on discutait, entre quand on était en P1, P2.
Ce « on », cet avis général, cette parole d’autorité constitue la représentation
sociale de la Médecine Générale au sein du système hospitalo-universitaire français.
Notre étude retrouve, selon les étudiants rencontrés en sixième année
de Médecine à Lyon en 2009-2010, une représentation sociale hospitalo-
universitaire de la Médecine Générale négative. La représentation sociale
hospitalo-universitaire serait que la Médecine Générale est une Médecine
Générale – reste et n’est pas une Médecine Générale – spécialité. En ce sens
la posture souhaitable de l’étudiant qui réussit est de ne pas être médecin
généraliste. Il existe une injonction de réussite qui se réalise dans l’accession
au statut de spécialiste.
4.4.2.2.3 Entourage personnel
4.4.2.2.3.1 Conjoint / Famille
Les étudiants subissent une pression familiale, concernant leur accès au statut
social de prestige de spécialiste. L’image sociale de domination de la Médecine
135
Générale au sein des médecins, prend la forme du prestige du spécialiste pour les
familles. Pour les familles la Médecine Générale n’est pas une spécialité, en ce sens-là.
Mr 20 : Je pense qu’il … il me demande ‘mais pourquoi tu veux pas une spécialité ?’. Je pense que ça lui plairait peut-être plus, mais … Enfin, il me laisse vraiment faire ce qu’il me plaît.
Mr 1 : Oui, non bah pour eux, c’est un peu leur vision, oui euh … faut faire une spé, bah voilà, la spé, c’est prestigieux … c’est …
Mr 21 : Oui, je pense. Je pense quand même que, notamment ma mère, elle aurait bien aimé que je fasse une spécialité médicale.
Mr 21 : Et que ça m'a soulagé. Surtout mes parents. Ma sœur, au contraire ... Enfin c'était surtout le… justement, je te dis, le ... tout ce qui est pression au niveau des spécialités, que je sentais pas trop avant, dont j'ai pris conscience au cours de cette année, et dont, notamment, la pression parentale.
Mr 21 : Je pense que mon père il s'en fout un peu. Je sais pas trop. Il est peut-être plus indifférent. Je pense que lui aussi, il aurait peut-être bien aimé, mais ... Pareil, par pression sociale, peut-être. Sans avoir analysé sa pensée, je pense qu'il m'aurait bien vu spécialiste, sans réfléchir que ...
Mr 6 : L’image par mes oncles et tantes, euh … qu’ont réussi, l’internat … qui sont très fiers … ‘fin, voilà, qui se sont démarqués … des généralistes … qui ont ratés l’internat.
Mr 20 : Et ben quand je lui ai dit que je voulais être médecin généraliste ‘Hein, quoi, tu veux faire Médecine G, mais c’est nul’ …
Melle 13 : Là, j'ai validé mon CSCT il y a pas longtemps. Ma famille m'a demandé 'qu'est-ce que tu veux faire ?'. Quand je parle de famille, je parle de vraiment ma famille élargie, quoi. Et quand j'ai dit 'Médecine Générale', c'était 'nan, mais fait une spécialité', comme si c'était vraiment le truc des nuls, quoi.
Mr 1 : […] Mmh, c’est une bonne question … parce que j’leur ai pratiquement pas … ‘fin j’leur d’mande pas forcément, leur avis, euh … Bon, y’a toujours l’image, un peu auréolée … « faut qu’tu fasses une spé » … j’veux dire « un médecin spécialiste », « que tu gagnes plein d’argent … c’est merveilleux … etcetera » … euh …. Après euh … non, y’a pas trop de … Moi, j’aurais plus, ‘fin … j’me dirais plus : j’ai pas envie d’trop m’éloigner de ma famille etcetera … pour moi, c’est hyper important, donc euh … j’m’éloigne pas trop etcetera … Après, eux, y’a pas trop de … ils ont pas trop d’influence sur … sur, ‘fin … disons, leurs idées, n’ont pas trop d’influence, sur moi … ou sur mes décisions, ils m’en parlent pas spécialement …
Melle 13 : Je pourrais faire mieux, ce serait plus valorisant pour moi de faire une autre ... de faire une autre spécialité et que la Médecine Générale, c'est un peu se contenter du minimum.
MLB : D'accord. Et ce mieux, par rapport à ce minimum, tu penses que ça se joue en quel domaine ? Etre mieux de quoi, et le minimum de quoi ?
Melle 13 : Ben, eux, ils considèrent que si je disais que j'étais cardiologue, ben, j'aurais plus réussi que si je disais que j'étais médecin généraliste. Parce que le médecin généraliste, j'ai l'impression qu'ils pensent que c'est un peu celui qui connaît ... qui connaît, au final, pas grand chose ...
136
Les étudiants expriment l’idée qu’ils peuvent ignorer cette influence familiale,
mais la pression qu’ils reçoivent de leurs familles s’additionne à la représentation
sociale hospitalo-universitaire négative de la Médecine Générale.
4.4.2.2.4 Société, amis
L’entourage non-familial relaie la même image non-prestigieuse de la Médecine
Générale.
Mr 20 : J’avais déjà cette vision avant par des amis dont les parents étaient spécialistes. Qui aimaient pas du … Enfin, qui considéraient pas vraiment les médecins généralistes. Et puis, en entrant en Médecine, moi, c’est un peu pareil.
Melle 18 : Comment dire, il y a une perception par l'ensemble des gens de la Médecine G dévalorisante qui fait que les gens ont pas envie de ...
Melle5 : … y’a quand même une image de la Médecine Générale, qui est, parfois un peu négative … euh … et ça s’ressent parfois, ouais, quand tu changes d’avis comme ça et les gens te disent : « Ah bon, tu veux plus être Psychiatre … ».
Melle 2 : Médecin généraliste, pour la plupart des gens, c’est ceux qui ont raté, ou ceux qui sont mauvais, ou voilà …
La question classique que l’on pose à l’externe, c’est de lui demander quelle spécialité il
veut faire (et la Médecine Générale n’est pas incluse dans cette notion de spécialité).
L’idée de ne pas vouloir être spécialiste n’existe pas dans l’entourage, selon les
étudiants.
Melle 19 : Ben il y en a certains qui me diront 'tu vas faire quelle spécialité ?'. Ils demandent même pas ... Enfin, même si, maintenant, la Médecine G fait ... fait partie des spécialités ... Mais dans leurs têtes, c'est pas ça, je le sais. (rire)
Melle 13 : Et après, aussi, enfin, ce qu'on me dit beaucoup 'la Médecine Générale, c'est' ... Enfin, moi je sais qu'on m'a déjà dit ... des personnes qui sont pas du tout en Médecine, quand je disais que je voulais faire de la Médecine Générale, et qu'ils me disaient 'ohlala, mais moi si j'avais fait ... si j'avais fait Médecine, mais jamais de la vie, j'aurais fait de la Médecine Générale'.
Pour les étudiants l’image de la Médecine Générale dans la société est inférieure
à celle des spécialistes.
Melle 18 : Bah que ... Dans la population générale, les médecins généralistes ils ... Enfin ... Après c'est peut-être des idées que je me fais, mais ... C'est aussi ce que j'ai vu avec les patients et tout, que les médecins généralistes c'est un peu ... Enfin il est pas aussi vénéré que le spécialiste.
137
Mr 20 estime à l’inverse que le médecin généraliste est valorisé dans la société.
Et effet les enquêtes d’opinion montrent que les médecins généralistes sont appréciés.
Dans l’enquête BVA de 2008 (66), 91% du public interrogé a une bonne opinion des
médecins généralistes (90 % de bonne opinion pour les médecins spécialistes).
Mr 20 : Moi, je pense que c’est valorisant. Je pense que c’est quand même … Enfin, après avoir passé l’internat et toutes tes études. Au niveau de l’exercice, je pense que c’est plus dur d’être médecin généraliste, que d’être spécialiste. Et … enfin, après il y a les amis externes à la médecine, qui … Enfin, nous, enfin, en général, en Médecine on se trouve toujours, bon, pas assez bon, par rapport aux premiers, ou … Voilà, et puis les gens, à l’extérieur de médecine, ‘mais c’est super’. Enfin, ‘c’est bien’. Ils ont une bonne vision, enfin, une vision plutôt valorisante. Contrairement à celle qu’on a quand on est dans le milieu médical.
L’entourage des étudiants en Médecine attend d’eux qu’ils soient
spécialistes (comme l’université). La Médecine Générale n’est pas une
spécialité pour l’entourage, et ce sont les spécialités qui sont prestigieuses.
Les étudiants pensent, à tort, que les français ont une image négative des
médecins généralistes.
4.4.2.2.5 Epreuves classantes nationales
La représentation sociale hospitalo-universitaire qui hiérarchise les spécialités
au-dessus de la Médecine Générale se cristallise dans le classement issu des ECN. Nous
avons montré que le fait d’être bien classé est une marque sociale positive associée à un
certain prestige corrélé à certaines spécialités. L’analyse que nous venons de mener
révèle que la Médecine Générale dans sa représentation institutionnelle dominante de
reste est associée au statut de « mal classé », et non pas à celui de « bien classé ».
Le fait que les derniers classés puissent obtenir la Médecine Générale est une
forme en soit de dévalorisation, en tant que perte de valeur (hiérarchisation).
Melle 15 : Qui ... qui biaise tout ... C'est-à-dire qu'on veut pas être mal vu et la Médecine G, c'est ce qui est pris en dernier et ça, ça joue. Forcément.
Melle 3 : Non … souvent ils pensent que … […] ‘fin j’en connais pas beaucoup qui veulent être médecins généralistes, quoi. Euh … ‘fou … qu’i’ voyent ça … non, pas vraiment comme une spécialité. J’crois pas.
MLB : Qu’est-ce qui fait, que … que ce s’rait pas une spécialité, à leurs yeux ?
Melle 3 : […] Ah … p’t’être que justement si t’es mal classé t’as plus qu’ça …
138
Melle5 : même si on est l’dernier on peut être médecin généraliste … ça déprécie un peu j’reconnais …
Il est préférable d’annoncer souhaiter être médecin généraliste que spécialiste,
pour ne pas rajouter à l’échec personnel de ne pas avoir été bien classé, celui de le
montrer aux autres. Si on annonce qu’on préfère être médecin généraliste, en quelque
sorte on ne peut pas rater (processus d’atténuation).
Mr 21 : Et envisager de faire de la Médecine Générale, c'est rassurant, dans le sens où on sait très bien que le classement sera pas vraiment pénalisant, quoi.
Melle 19 : On en connaît énormément. Je pense qu'après, aussi, c'est plus facile psychologiquement de dire 'je veux faire Médecine G, parce que si jamais, effectivement, j'ai que Médecine G ... Ben, finalement, j'ai eu aucun échec'. Mais après, si je dis 'je veux faire une spé' et que j'ai Médecine G dans une ville pourrie. Euh ... Enfin, c'est un échec. A mon avis, c'est plus facile. Ils le font peut-être pas consciemment, hein.
Melle 10 : Euh ... Oui. Il y en a qui veulent faire des choses et qui pensent qu'ils sont pas assez bien classés à l'internat, donc ils choisissent ... enfin, ils se disent ... ils s'intéressent à d'autres choses par dé- ... pas ... en ayant peur. Enfin, j'ai une copine, elle voulait faire chirurgien et puis du coup, maintenant, elle se dit qu'elle va faire Médecine Urgentiste.
Lorsqu’on envisage d’être médecin généraliste, le fait de le prendre alors qu’on
aurait pu obtenir une « autre » spécialité, permet de maintenir une image sociale de
prestige (le classement). Néanmoins le fait de choisir Médecine Générale dans ce cadre
là, signifie aussi de renoncer par la suite à la marque d’être spécialiste. Toute sa vie le
spécialiste de par son statut porte son classement, alors que le médecin généraliste
même s’il était « bien classé » initialement, on présupposera de lui qu’il fait partie des
dominés.
Mr 21 : Alors en fait, moi, du coup, la situation idéale, que j'aimerais bien que ça m'arrive ... C'est que j'ai un bon classement. Quelque chose qui montre que ... Enfin, qui me rassure, qui me montre, à tout le monde, que j'ai plutôt bien réussi, mais que je choisisse délibérément la Médecine Générale.
C’est pour cette raison là qu’il est difficile de renoncer, à la marque sociale de son
classement en choisissant la médecine générale.
Mr 21 : Il paraît que c'est fréquent que les gens retournent leur casaque dans les mille premiers.
Melle 19 : Je pense que c'est toujours pareil, c'est la façon dont on a d'aborder les études médicales ... Et la fac. C'est-à-dire que, ben finalement, entre guillemets, 'on a la chance d'avoir un bon classement, donc pourquoi on ne prend pas spé méd'. C'est comme ... C'est comme en
139
P1, finalement, maintenant qu'on est réunis et qu'il va y avoir en plus Pharma ... Euh, ben, c'était pareil, ceux qui prenaient Ergo dans les premiers, on disait 'mais qu'est-ce qu'il fait ?'. 'Enfin, il a la chance d'avoir Médecine, pourquoi il fait pas Médecine ?'. Ou celui qui prenait sage-femme ... Je veux dire, enfin ...
Melle 18 : Enfin, ça, c'est dans le cas où les gens, ils ont dit qu'ils faisaient Médecine G parce que ... Parce qu'ils avaient peut-être peur de ... D'être médiocre pour un spécialiste par rapport aux autres, parce que c'est aussi l'inconvénient des spécialistes, c'est que souvent, c'est les premiers du classement qui prennent ça et du coup c'est encore une surcompétition ...
MLB : Mmh, mmh ... T'as l'impression quand même que ... On pourrait dire que les mieux classés sont les meilleurs, et font les spécialités les plus difficiles, et que la Médecine Générale est pas une spécialité donc c'est en dessous.
Melle 18 : Ben je pense qu'il y a ce cliché qui reste chez tout le monde, et que du coup les premiers classés, ils se disent ‘je veux que mon classement soit reconnu’ et peut-être que ça les pousse à choisir une spécialité, et ils se disent qu'ils sont bons et que du coup ils vont arriver à faire tout ce qu'ils veulent et que du coup ils ont même pas peur d'une spécialité et que du coup ça devient vrai à cause de ça, enfin ...
Comment peut-on expliquer que certaines personnes choisissent de renoncer aux
spécialités alors qu’elles ont y ont accès ?
Melle 8 : Mais il y a aussi beaucoup de ... enfin, de notre promo. Il y en a quand même pas mal qui sont arrivés bien classés et qui ont pris ... bien classés, ça veut dire avant 1000 et qui ont pris Médecine Générale. Qui ont pris Médecine Générale. C'était surtout des filles et parce qu’elles voulaient une vie de famille. Enfin, leur priorité, c'était de fonder une famille.
La vision de Melle 8, laisse penser que lorsqu’on délaisse une spécialité, c’est pour
d’autres valeurs d’ordre privé (donc moins valorisées) et non pas par intérêt.
Mr 11 : Je pense qu'on a besoin de très bons spécialistes ... Quoi, après, encore une fois, le classement de l'internat fait pas tout, ça veut pas dire parce qu'on est bien classé, qu'on est un bon médecin, mais ... Après, je pense que c'est important qu'il y ait de très bons spécialistes ...
Pour Mr 11 le classement est corrélé à la valeur du médecin, donc il est naturel
que les « bien classés » choisissent une spécialité. Car on a besoin des meilleurs
comme spécialistes.
140
Nous avions montré comment les trois pôles de valeurs, critères de choix
confirmaient les deux visages de la Médecine Générale : la Médecine Générale –
reste et la Médecine Générale – spécialité. La construction des représentations de
la Médecine Générale explique la persistance et l’omniprésence de la Médecine
Générale – reste. La Médecine Générale – spécialité est révélée par la réalisation
du stage d’externat en Médecine Générale qui permet de reconnaître les
caractéristiques propres de la discipline Médecine Générale et ses spécificités
d’exercice. L’intégration de la Médecine Générale aux ECN, l’apparition de
la filière universitaire, la réalisation du stage d’externat en Médecine
Générale promeuvent la Médecine Générale – spécialité. Certains externes
reprennent pour eux-mêmes la représentation de Médecine Générale –
spécialité, et cela modifie en faveur de la Médecine Générale l’élaboration de
leurs souhaits de spécialité. Ce stage représente 3 mois de stage à mi-temps pour
les externes qui l’ont réalisé dans un cursus de 6 ans. Le reste de leur cursus les
confronte à des représentations institutionnelles dévalorisantes de la Médecine
Générale.
La représentation institutionnelle et professionnelle de la Médecine
Générale est donc majoritairement celle d’une Médecine Générale – reste. En
ce sens socialement la Médecine Générale n’est pas une spécialité, encore.
Les étudiants sont confrontés à plusieurs représentations sociales :
- la représentation institutionnelle négative,
- la représentation sociale sociétale positive qui ne distingue pas la
Médecine Générale des autres spécialités de Médecine.
Les étudiants construisent une représentation personnelle de la Médecine
Générale au sein des représentations sociales. Ils évoquent parfois le souhait
d’être médecin généraliste et le confrontent aux représentations institutionnelles
négatives, c’est ce processus individuel que nous allons désormais étudier.
141
4.4.2.3 Devenir médecin généraliste aujourd’hui : quelle identité ?
Du fait du déroulement du choix par classement, les étudiants « mal classés » se
retrouvent avec comme choix potentiels la Médecine Générale, la Médecine du Travail
et la Santé Publique. Cette dernière n’est pas une discipline clinique, et la Médecine du
Travail si elle recouvre une activité clinique partiellement, n’est pas une discipline du
soin. Les étudiants mal classés qui souhaitent faire une Médecine de soin n’auront pas le
choix de leur discipline d’exercice : ils seront médecins généralistes. De ce fait là, à
moins d’avoir une assurance absolue de sa performance, chaque étudiant en
Médecine, en imaginant être « mal classé », se pose la question d’un « devenir
médecin généraliste ».
4.4.2.3.1 Devenir médecin généraliste, endosser une identité institutionnellement
dévalorisée
Nous avons d’un côté des étudiants qui méconnaissent la Médecine Générale,
parce qu’ils n’ont pas eu accès au stage : ils ont une représentation de l’exercice de la
Médecine Générale qui n’est pas la réalité. Cet état de fait n’est pas spécifique à la
Médecine Générale, nous l’avons vu, c’est le cas d’autres spécialités. De plus les
représentations de la Médecine Générale issues des stages, fondées sur l’expérience, si
on peut les supposer plus justes, n’en sont pas pour autant une réalité, ou un fait
scientifique, ce sont des représentations. De l’autre côté nous avons des représentations
institutionnelles encore fondées sur la Médecine Générale – reste, d’une discipline qui
ne serait pas une spécialité. Or être spécialiste est l’injonction institutionnelle
universitaire du bon étudiant en médecine. Comment s’envisager médecin généraliste,
que ce soit par échec d’accès à un autre souhait, ou par souhait personnel ? Si la
Médecine Générale est un souhait personnel quelle identité a-t-on ?
Le fait que pour certains étudiants la Médecine Générale ne soit pas une
spécialité modifie leurs souhaits possibles. En effet, la spécialité étant
institutionnellement et professionnellement valorisée, si la Médecine Générale ne l’est
pas, souhaiter être médecin généraliste, c’est être prêt à accepter cette moindre valeur.
Ce qui n’est pas le cas de tous les étudiants. Accepter la Médecine Générale, c’est déjà
accepter son exercice tel qu’on se le représente soi-même. La Médecine Générale entre
ici dans le même processus, déjà étudié, d’élaboration de souhait de spécialité.
L’étudiant, s’il considère que la Médecine Générale est une spécialité pour laquelle il a
142
de l’attrait et qui permet une bonne qualité de vie, en adéquation entre ses valeurs
prépondérantes et ses représentations de la Médecine Générale, émettra le souhait d’être
généraliste. A contrario, un étudiant qui aurait les mêmes représentations de la
Médecine Générale, mais qui privilégierait nettement le revenu attendu, pourrait émettre
un autre souhait. La caractéristique qui fait que le souhait de Médecine Générale est
différent des autres souhaits est justement cette dévalorisation institutionnelle et
professionnelle qui lui est accolée. L’étudiant qui reconnaît la Médecine Générale
comme spécialité et pour lequel cette spécialité est attrayante, lui apporte les
revenus, la qualité de vie, et même l’image personnelle de lui qui lui convient,
recevra en retour, de façon systématique, une image sociale de moindre prestige,
une dévalorisation. C’est pourquoi la Médecine Générale bien que participant du
même processus d’élaboration de souhaits de spécialité, n’est pas un choix évident,
n’est pas un choix équivalent le moment venu. La Médecine Générale fait partie du
même processus d’élaboration de souhait de spécialités que les autres spécialités,
mais son statut social de Médecine Générale – reste en fait un choix différent. Pour
beaucoup d’étudiants, la Médecine Générale est un « choix – reste ». Certains le
transforment en « choix – positif ». Notamment s’ils possèdent le classement
associé à la marque de la spécialité, ils espèrent le transférer à posteriori sur la
discipline.
4.4.2.3.2 Etude d’un cas : Mr 21
Nous allons reprendre ici un extrait long de l’entretien de Mr 21 qui illustre
l’ensemble des éléments que nous venons d’analyser sur la Médecine Générale. Nous
commenterons le discours en note de bas de page.
MLB : … Ces gens-là, enfin ... Il y a quand même, comme tu dis, comme tout le monde, aussi, un peu cette idée que la Médecine Générale, c'est en dessous.
Mr 21 : Ouais. MLB : Donc tu penses que c'est vrai ? Et sinon ... Si oui pourquoi ? Mr 21 : Moi, je pense que oui, je pense que dans l'idée des gens, dans la
plupart de ... Ouais, de nos profs, de nos enseignants27 ... MLB : Ouais ? Mr 21 : Des gens qu'on croise en stage ... MLB : Mmh, mmh ...
27 Notion de l’influence des enseignants (supérieurs) : représentation institutionnelle et universitaire
négative.
143
Mr 21 : Mais même des externes28, hein. MLB : Mmh ... Mr 21 : C'est en dessous, clairement. Pourquoi, parce que les spécialités ...
Parce que, ouais, voilà, les universitaires29 sont des spécialistes dans la grande majorité des cas.
MLB : Oui. Mr 21 : Euh ... Et que nos profs sont des spécialistes30. MLB : Mmh ... Mr 21 : Et que nos profs nous foutent la pression31 aussi avec ‘faites des
spécialités’32. MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Et que les meilleurs classés font tous des spécialités33, et que, voilà.
Et que c'est une espèce de cercle vicieux34 … MLB : Mmh ... Mr 21 : Voilà. Et que du coup, la Médecine Générale est considérée ... Mais
je pense, c'est plus un effet de mode35, quoi. Parce que, on gagne plus d'argent si on est spécialiste36.
MLB : Ouais ? Mr 21 : On a peut-être plus de ... De comment dire ... Enfin, l'image est
peut-être plus reluisante quand on dit qu'on est cardiologue ou neurologue ...
MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Que quand on dit qu'on est médecin généraliste37. Mais même dans
la vision générale38, quoi. MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Dans la population générale. Après, moi, qu'est-ce que j'en pense ?
Non, je pense pas que le médecin généraliste, c'est moins bien, hein. MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Sinon, j'envisagerais ... Enfin, si, peut-être que je l'envisagerais
quand même, mais ... Mais non, non, je pense que ... Je pense que c'est
28 Influence des pairs. 29 MG dominée car non universitaire. 30 Le modèle c’est la spécialité. 31 « foutent la pression » : mise en évidence de l’influence 32 Notion de soumission à l’autorité. 33 Injonction sociale de réussite par le choix de la spécialité. 34 Une prise de position personnelle critique vis-à-vis de cette représentation négative : critique du
fonctionnement institutionnel et de la dominance des spécialités classiques. 35 Une prise de position personnelle critique vis-à-vis de cette représentation négative : critique de la
superficialité de la représentation et de l’adhésion à celle-ci. 36 Une prise de position personnelle critique vis-à-vis de cette représentation négative : critique de
l’argument « argent » et valorisation par l’argent. 37 Identité de médecin généraliste dévalorisée, difficile à portée. 38 Influence sociale, la population générale.
144
tout aussi bien, si ce n'est mieux, puisque dans la mesure du possible on essaie de traiter les gens dans toutes leurs dimensions39.
MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Toutes les pathologies, quoi. MLB : D'accord. Mr 21 : Voilà. Après, je trouve que c'est bien que ce soit devenu une
spécialité universitaire, quoi. MLB : Ouais ? Mr 21 : Parce que ça redonne du ... MLB : Pour toi, ça change les choses ? Mr 21 : Ah ouais, pour moi, ça change énormément de choses40, ouais. MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Puisque je te dis que l'enseignement, pour moi, ça compte. MLB : Oui. Mr 21 : Que j'aimerais bien, plus tard, en faire, quoi. MLB : Ouais. Mr 21 : Du coup, ça devient possible en étant généraliste, enfin ... MLB : Ouais ? Mr 21 : Du coup, pour moi, ça me motive pas mal. MLB : D'accord. Et par contre ... (discussion serveuse ‘Vous avez fini ? -
Oui, merci.’) Et par contre, du coup, toi, tu ... La Médecine Générale, donc, tu ... T'as pas cette différence, comme les autres, dans ta vision ...
Mr 21 : Ah bah, je l'ai eu, hein, quand même. MLB : Ouais ? Mr 21 : Même, je l'ai, je pense. MLB : Ouais ? Mr 21 : Encore sous ... De manière un peu sous-jacente41, quoi, enfin, c'est
pour ça que je pense, que j'hésite encore avec une autre spécialité médicale. C'est que ...
MLB : Ouais ? Mr 21 : On se dit toujours que si on a les moyens de les prendre, est-ce
qu'on les fera pas ... Enfin, je me pose la question, quoi. Parce que, voilà, on sait bien que si on la prend pas, les autres derrière ils seront bien contents, ils la prendront, quoi42. Du coup, on se pose la question. Après, voilà, quoi. Je pense qu'il faut réfléchir vraiment.
MLB : Tu trouves que c'est difficile d'assumer le fait de prendre la Médecine Générale, quand on peut faire une spécialité médicale ?
Mr 21 : Ouais, carrément. Enfin, moi, je trouve ça difficile, hein. MLB : Ouais, ouais mais ...
39 Donne son avis personnel « la MG, c’est bien ». Est-il influencé par l’entretien (faire plaisir à
l’interviewer qui pourrait attendre ça selon lui (car nous sommes interne en MG)) ? 2ème hypothèse, est-il
possible de reconnaître qu’on est influencé. Il est socialement admis de déclarer que la MG est une
spécialité comme une autre. 40 Processus en cours de modification transition de la MG – reste à la MG – spécialité. 41 « Les autres sont influencés, mais le suis-je, moi ? » 42 Le classement « bon » est une marque sociale, à laquelle il est difficile de renoncer en choisissant la
MG.
145
Mr 21 : Y en a pour qui ça ne pose pas de problème, hein. MLB : Ouais. Mr 21 : Après, c'est une question d'humilité43, je pense, aussi. MLB : Ouais, parce que ... Mr 21 : Faut l'accepter, quoi. MLB : Ouais, ouais. Mr 21 : Voilà, c'est un choix à faire.44 MLB : Parce que ça veut dire que, quelque part, en faisant ce choix-là, tu te
dévalorises ? Tu te dévaloriserais ? Enfin, celui qui ferait ça, il se dévaloriserait ? Un peu, au regard des autres ?
Mr 21 : Un peu, ouais. Ouais. Ou ... Ou, c'est pas forcément que toi-même, tu te dévalorises, mais tu sais bien que les gens, ils te regarderont pas avec le même respect, ou je sais pas quoi.
MLB : Ouais. Mr 21 : Que si t'avais choisi ... Sans que toi-même tu te dévalorises, quoi. MLB : Oui. Mr 21 : Puisque ... Enfin ... Voilà. MLB : Oui, j'ai bien compris. Mr 21 : Voilà. Ouais, non mais ... MLB : Enfin, tu me dis si je me trompe, hein. Moi, pour moi, ce que je
comprends de ce que tu me dis, c'est que ton sentiment à toi, c'est que finalement, avec tout ça, même si tu sais bien, comme tu me dis, que la Médecine Générale, à tes yeux, ça reste aussi bien, si ce n'est mieux, car plus difficile et plus varié, ça reste un choix difficile à assumer dans la mesure où il y a cette dévalorisation générale.
Mr 21 : Mmh, mmh ... MLB : Et que le regard des autres va être négatif envers toi, et que ça, c'est
difficile à porter. Mr 21 : Ouais. MLB : Et que ça compte aussi dans ton choix. Mr 21 : Euh ... Je sais ... Je veux pas te dire. J'ai pas fait mon choix. MLB : Ouais, ouais. Mr 21 : Ça compte, ouais. Aujourd'hui, je pense que ça influence. MLB : T'y penses ? Mr 21 : Ouais, ouais, j'y pense. MLB : Mmh ... Mr 21 : J'y pense. MLB : Pas forcément en ces termes, mais c'est un peu, aussi ... Mr 21 : Ouais, ouais, c'est clair. MLB : Des fois ...
43 Humilité, de ne pas céder à la pression sociale et d’accepter d’être marqué « en-dessous » des autres,
alors qu’on avait le classement au dessus. 44 Choix, ici dans son versant de renoncement.
146
Mr 21 : C'est clair. Je pense que c'est ce qui fait que j'ai jamais ... Enfin. Je pense que si ... Enfin même, j'en suis sûr, si la Médecine Générale était sur le même plan que les spécialités médicales45 ...
MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Je pense que j'aurais d'emblée, enfin ... Comme la Médecine
Interne, par exemple. MLB : Ouais ? Mr 21 : Ben, je pense que j'aurais d'emblée choisi Médecine Générale46. MLB : D'accord. Mr 21 : J'aurais pas hésité une seconde. MLB : D'accord. Mr 21 : Je pense, hein. Je pense, c'est pour ça qu'aujourd'hui, j'hésite
encore. MLB : Mmh, mmh ... Mr 21 : Alors après, ouais ... C'est bien que tu m'en fasses prendre
conscience47. (rires partagés)
45 Raisonnement démonstratif caractérisant l’influence du facteur institutionnel : « si … alors ». Et
caractérisation d’une représentation personnelle de la MG très positive. 46 Reconnaît l’influence prépondérante de la représentation sociale négative de la MG dans l’élaboration
de son souhait de spécialité. « Suis-je prêt à m’identifier à la MG, qui est dévalorisée socialement ? » 47 Importance de l’entretien pour la mise en évidence des représentations conscientes, et non conscientes.
147
L’analyse du discours des externes nous a permis d’identifier que la
Médecine Générale est considérée institutionnellement et professionnellement
comme Médecine Générale – reste, ce qui fait du choix de la Médecine Générale un
« choix – reste ». La Médecine Générale – spécialité commence à être connue des
étudiants mais entre en conflit avec leurs notions de Médecine.
Médecin Généraliste ?Miroir SocialMG - reste
Mal classé
Bien classéReprésentations des spécialités
Étudiant
Système de valeurs
Médecin Généraliste ?Miroir SocialMG - reste
Mal classé
Bien classéReprésentations des spécialités
Étudiant
Système de valeurs
Figure 8 : Schéma d’élaboration du souhait de spécialité Médecine Générale
Cette figure reprend le processus d’élaboration de souhait de spécialité pour
la Médecine Générale en particulier. La Médecine Générale est confrontée à la
représentation institutionnelle et professionnelle négative de Médecine Générale –
reste qui limite la transformation du souhait de Médecine Générale en choix.
De même, les représentations sociales plus larges sont moins négatives, voire
ne font pas de discrimination. Mais, cela peut se nuancer selon l’insertion familiale et
sociale de l’étudiant. Enfin, les étudiants avancent aussi, parfois, des arguments
épistémologiques valorisants la Médecine Générale (construisant une Médecine
Générale – spécialité), ou adoptent une posture éthique critique vis-à-vis d’une
Médecine universitaire injuste envers la Médecine Générale ou arrogante dans ses
arguments (distance vis-à-vis du « prestige » ou de l’ « argent ». Dans cette tension,
comment peut se construire ou se déconstruire une Médecine Générale – spécialité,
vis-à-vis d’une Médecine Générale – reste ?
148
4.4.3 Discussion : Médecine Générale – spécialité et Médecine
Générale – reste
La Médecine Générale est dévalorisée essentiellement, non pas dans ce qu’elle
est en tant qu’exercice, mais dans sa posture institutionnelle. La raison principale de
cette dévalorisation institutionnelle est sa construction historique de Médecine Générale
– reste, telle que nous l’avions analysée dans notre problématique. Néanmoins, nous
n’avons pas progressé dans l’analyse de la relation entre l’exercice de la Médecine
Générale et la Médecine. La Médecine Générale est-elle une spécialité parmi d’autres
de fait (et encore non-reconnue socialement) ? Sinon, la Médecine Générale n’est-elle
pas une spécialité, mais que fait-on alors de ses spécificités ?
Mr 11 : Je pense qu'il y a une petite guéguerre entre la Médecine Générale et la Médecine ... C'est un peu comme de partout et ... Et bon, ouais, ça vient du fait aussi que, avant, les médecins généralistes, quoi, passaient pas l'internat ...
4.4.3.1 Quel lien entre la Médecine de la faculté et la Médecine Générale pour les
externes ?
Les étudiants en Médecine apprennent les pathologies, ils sont centrés sur
l’organe, la maladie. Ils se réfèrent à ces éléments de la Médecine quand ils parlent de
leur découverte de la Médecine Générale. Ils sont surpris de voir de « vraies maladies »,
« maladies intéressantes », une maladie de Vaquez, un diabète … et même quand les
patients ne viennent pas en affichant une « vraie » maladie, il y en a peut-être une
cachée. La nosologie universitaire est normative en tant qu’elle définit le travail du
médecin comme celui qui traite des pathologies. L’idée reçue que le médecin
généraliste ne traite que de la « bobologie » et donc pas des pathologies fait de lui
potentiellement un non-médecin. Les étudiants qui réalisent un stage en cabinet
découvrent que les pathologies existent aussi en cabinet de Médecine Générale. Puis ils
découvrent d’autres activités de soins qui modifient leur conception de ce que peut faire
un médecin et donc de ce qu’est la Médecine, potentiellement. Si la reconnaissance
d’éléments propres à la nosologie normative qu’ils connaissent leur permet d’identifier
de la Médecine « authentique » dans l’exercice de la Médecine Générale, les étudiants
sont déroutés par les autres éléments caractérisant la Médecine Générale. Ces
spécificités de la Médecine Générale – spécialité sont peu connues des étudiants qui ne
les évoquent pas ou peu dans nos entretiens. Ils reçoivent les représentations
149
institutionnelles universitaires historiques de la Médecine Générale – reste, et ont des
contacts anecdotiques avec la Médecine Générale – spécialité.
4.4.3.2 La Médecine Générale est-elle une spécialité ?
La définition première d’une spécialité est de ne pas être de la Médecine
Générale. Pour que la Médecine Générale soit une spécialité il faudrait que la définition
même de spécialité en Médecine se modifie.
Mr 11 : Oui, ouais, oui, mais après, je trouve ça un peu un faux débat, spécialité ou pas spécialité. Oui, c'est une spécialité, oui, ça dépend ce qu'on appelle, quoi, par spécialité.
MLB : D'accord. Et toi, qu'est-ce que t'appelles par spécialité, pour toi ? Mr 11 : Ben pour moi, spé- ... la définition d'une spécialité, c'est un truc qui
est très spécifique et orienté sur quelque chose, donc ... en se basant uniquement sur le terme, on pourrait dire non, après ... Après, si on veut ... si les médecins généralistes veulent absolument que ce soit reconnu comme une spécialité, parce qu'ils se sentent plus valorisés, ben oui, on peut dire que c'est une spécialité.
Nous allons étudier les représentations des externes quant au statut de spécialité
de la Médecine Générale.
4.4.3.2.1 La Médecine Générale n’est pas une spécialité
L’idée que la Médecine Générale ne soit pas de la Médecine, est en
contradiction totale avec l’hypothèse qu’elle puisse être une spécialité.
MLB : D’accord. […] T’as l’impression que, quand tu évoques ce truc là, c’est … t’as l’impression qu’les gens i’ls … Ils pensent que la Médecine Générale c’est pas une spécialité ?
Mr 4 : Ben, oui ! MLB : Mmh. Mr 4 : J’vais t’dire le truc clairement, y’en a plein qui pensent que c’est
d’la merde … Mr 4 : Et puis euh … ‘fin moins … mais euh … mais ouais, y’en a qui, ‘fin
y’en a … actuellement, même, même dans la hiérarchie, universitaire … qui disent que « les médecins généralistes ça devrait même pas être des médecins »
Mr 6 : En fait la Médecine Générale, c’est pas toujours d’la Médecine, quoi.
Le caractère limité et donc non-pointu de la Médecine Générale est contradictoire avec
la notion même de spécialité, dans le cadre de l’opposition conceptuelle
générale/spécialisé.
Mr 20 : Bon, ça reste la Médecine, ouais, la Médecine Générale, qui soigne ce qu’elle peut, et puis qui oriente vers le spécialiste qu’il faut.
150
Mr 20 : Ouais. Ben, il a une connaissance générale, il a pas une connaissance pointue, donc dès que c’est pointu, enfin, il peut pas … Et puis, ça me paraît normal qu’il puisse pas tout faire.
Melle 17 : Oui, bah maintenant c’est passé en spécialité à l'ECN, mais je trouve pas qu'on puisse vraiment appeler ça, spécialité, parce que, justement, c'est… enfin, c'est l'inverse, quoi. C’est général, donc.
Melle 17 : C’est pour ça qu’ils le … Enfin, je crois que c’est un peu pour ça qu'ils l'ont mis en spécialité pour revaloriser le métier et tout … Enfin, je vois pas ce que ça change que ce soit une spécialité, quoi. C’est pas une spécialité … Enfin, pour moi, une spécialité, c'est quelque chose de … de fermé, quoi.
Le caractère « général » de la Médecine Générale, en fait l’inverse d’une spécialité : y
compris en impliquant un niveau d’expertise scientifique vue comme inférieur.
Melle 15 : Ben, non. C'est général. Non, c'est pas une spéc- ... Pour moi, une spécialité, c'est ... C'est une ... C'est sur une grosse ... un gros gâteau, c'est prendre une part et être à fond sur la part et être très spécialisé dans la part ... Mais c'est pas avoir une vision globale du gâteau. Et le médecin généraliste, il a une vision globale du bateau ... du ... du gâteau (rires partagés). Pardon. Et donc ... Euh, et par là-même, il est pas spécialiste, il est généraliste. Et le terme de spécialiste, bon, ben, si ça peut euh ... augmenter les salaires, tant mieux, mais pour moi, c'est pas un spécialiste. Ouais, spécialiste, ça veut dire spécialisé, et généraliste, ça veut dire généraliste.
Mr 12 : Je trouve ça difficile quand même de dire que c’est une spécialité à part entière, parce que ça englobe le tout. C’est comme on dit, le blanc, c’est pas une couleur parce que c’est la somme de toutes les autres quoi.
La somme des spécialités est un tout qui n’est pas forcément une spécialité, comme la
somme des couleurs est le blanc qui n’est pas une couleur.
Mr 7: Hum, ben, en fait, non. Je trouve pas en fait. C'est vrai que c'est considéré comme une spécialité, mais je comprends pas trop pourquoi. Parce que après tout, quand t'as un problème que tu connais pas, tu l'envoies chez un spécialiste. A ce moment-là, qu'est-ce qui est général, si la Médecine Générale n'est pas générale ? Tout est spécialité, c'est un peu bizarre.
Mr 7 soulève cette remarque pertinente : si la Médecine Générale est une
spécialité, qu’est-ce qui est général ? Y a-t-il nécessité d’un morceau de Médecine qui
ne soit pas de la spécialité. Comment nommer le contenu commun pour tous les
médecins ? Etonnamment, on considérait jusqu’à récemment que le commun était la
Médecine Générale, alors que, l’enseignement du deuxième cycle ne recouvre justement
pas ce que fait un médecin généraliste. Ce raisonnement identifie le « général » au
« total ». Pour cet étudiant la Médecine Générale est le fondement dans sa totalité de la
151
Médecine, ainsi la qualifier de spécialité est antinomique avec cette conception de
« totalité ».
Est-ce que nous avons besoin d’une Médecine, générale, fusse-t-elle une
spécialité ou pas ?
4.4.3.2.2 La Médecine Générale est une spécialité
Le caractère global et transversal de la Médecine Générale est spécifique. Nous
retrouvons ici les éléments de la définition de la Médecine Générale de la WONCA (22)
(annexe 1).
Mr 21 : Eh ben, ce côté, justement, prise en charge globale du patient, et ... Ça a quelque chose d'unique, quoi.
Mr 4 : … tandis que, ben … voilà, la médecine transversale … y’a pas d’spé’ … la spécialité de médecine transversale, c’est Médecine Générale !
Le premier argument est celui de l’approche globale du patient, mais il n’est pas le seul.
Une des caractéristiques de la Médecine Générale est qu’il s’agit d’un exercice clinique
en soins ambulatoires (point a, annexe 1)
Mr 21 : C'est quelque chose d'assez spécifique, finalement. Parce que la médecine hospitalière, c'est pas la même chose. Ouais, non, je trouve que c'est quelque chose d'unique, quoi.
Melle 19 : Parce qu'il faut savoir faire les diagnostics, sans examen complémentaire, tout de suite. Donc on est ... Enfin, ils sont très cliniques.
Le second argument s’appuie sur son exercice uniquement libéral, et ambulatoire. Les
médecins généralistes pratiquent un métier qu’aucun autre médecin ne pourrait faire, ils
exercent donc une spécialité.
Melle 13 : J'ai fait un stage en Cardiologie et le chef de service, il nous parlait, il nous disait que son fils était un super cardiologue, connu, tout ça et il disait que si on le mettait une journée dans un cabinet de Médecine Générale, si c'était pas de la Cardiologie, il était incapable de soigner les gens et qu'il s'en rendait bien compte. Et du coup, moi, c'est pour ça que je considère que c'est une spécialité, quoi. C'est que le médecin généraliste, il gère sa Médecine Générale. Et puis les personnes qui font des spécialités plus poussées dans certains domaines, eh ben ils vont ... ils vont peut-être pas pouvoir gérer un cabinet de Médecine Générale, quoi.
Le troisième argument combine la facette « médecine de premier recours » et
« situations très diversifiées », ce qui induit à la fois un rôle spécifique et une aptitude à
152
faire face, en termes de savoir, tout à fait particulière. La Médecine Générale a des
spécificités difficiles à nommer pour les étudiants. Ils rejoignent ici les difficultés
qu’ont eu les médecins généralistes à se définir eux-mêmes.
Melle 16 : Euh ... C'est une spécialité parce que ... Je sais pas, moi. On a une formation maintenant euh ... plus poussée, on fait un internat. Et être capable de faire un peu tout, c'est être spécialiste finalement dans la Médecine Générale. Je sais pas, c'est difficile à expliquer.
Melle 10 : Ouais mais le spé- ... Enfin je pense que c'est une spécialité dans le sens, qu'il y a ... c'est quand même un type d'exercice ... Enfin, le médecin G, c'est pas un multi-spécialiste ... Enfin, c'est pas ... Comment dire, je sais pas trop comment expliquer que ... bon déjà c'est aussi une spécialité parce que bon, maintenant, pour l'internat, c'est une spé ... Enfin, c'est un choix donc c'est mis au même rang que les autres spécialités mais ... Je pense que ... Enfin, c'est à peu près la même démarche quand quelqu'un va vers un spécialiste, il a son panel de choses qu'il fait, eh ben quand t'es généraliste, c'est pareil. Enfin, tu sais ce que tu dois rechercher dans tel ou tel cas et ... Donc quelque part c'est ta spécialité aussi ... Enfin ...
Le quatrième argument est l’argument institutionnel : la Médecine Génréale est
désormais une « spécialité » reconnue, avec son internat. Le fait de réaliser un internat
en Médecine Générale est ainsi caractérisant comme spécialité. Cette approche est
intéressante, car elle sous-entend que c’est l’institution qui fait la spécialité et non le fait
d’être une spécialité en soi qui permet d’intégrer l’institution. De plus les étudiants se
réfèrent à l’internat et non aux épreuves classantes nationales pour qualifier la Médecine
Générale de spécialité. Cela confirme la persistance du lien épistémologique fort entre
l’Internat en France et la notion même de spécialité en Médecine.
Melle 13 : Oui. Ben le fait, que, voilà, on fait un internat comme les autres, pour moi c'est une spécialité.
Melle 5 : l’internat de Médecine Générale a quand même apporté beaucoup, à la future pratique des, des médecins de demain
Melle 5 : (rire) Evidemment, ben y’a un internat, donc ça peut pas être autre choses qu’une spécialité …
Mr 9 : Peut-être aussi parce qu'il y a un internat. Enfin je veux dire que c'est reconnu ... On choisit à la fin de l'internat, c'est une spécialité. Et je pense que ça a ses domaines de compétence et que c'est pas ... Nous, en plus, je pense qu'on n'est pas assez préparé à ça et qu'on l'apprend vraiment en troisième cycle, donc, ouais, c'est ... pour moi, c'est une spécialité.
MLB : D'accord. T'as l'impression que avant cette modification de l'internat et avant les épreuves classantes nationales, c'était pas une spécialité ?
Mr 9 : C'était, ouais, peut-être moins ... Enfin, ouais, je le vois moins comme une spécialité dans le sens où a priori tout le monde ... toute personne qui passait l'internat, après, était médecin généraliste plus ou
153
moins, enfin était ... Il y avait pas vraiment un troisième cycle vraiment dédié avec une formation spécifique ...
La Médecine Générale est universitaire, elle est donc une spécialité. Cette notion
là est aussi un mode de reconnaissance de la spécialité, par son institutionnalisation.
Melle 5 : … donc c’est évidemment une spécialité, en plus elle a sa recherche propre, elle a son pôle à la fac …
154
La qualification de la discipline Médecine Générale partage les étudiants,
indépendamment de la réalisation ou non d’un stage en Médecine Générale. En
effet parmi les étudiants ayant réalisé un stage d’externe en cabinet, certains
considèrent que la Médecine Générale n’est pas une spécialité. La reconnaissance
institutionnelle de la Médecine Générale comme spécialité est un élément, de fait,
de ce statut. Il n’est pas suffisant.
En termes d’épistémologie, nous voyons une oscillation entre un concept
de spécialité s’opposant à « généralité », et un concept de « spécialité »
s’affirmant sur la « spécificité ». Dans le premier cas, la Médecine Générale
s’oppose à la Médecine de spécialité, alors que, dans le second elle s’affirme sans
opposition mais en complémentarité, sur la base de ses spécificités. Pour rompre
l’opposition et promouvoir la complémentarité, les promoteurs d’une Médecine
Générale – spécialité sont donc conduits à construire des référentiels propres, à
développer une recherche scientifique ayant ses revues spécialisées, et à
revendiquer une place adaptée dans le fonctionnement institutionnel. Concernant
ce dernier point, il peut à nouveau y avoir une oscillation entre deux positions :
- d’un côté l’affirmation qu’il s’agit d’une spécialité « comme les autres »,
avec l’obtention d’une place identique dans l’institution,
- d’un autre l’affirmation qu’il s’agit d’une spécialité dont les spécificités
la rend un peu différente des autres, par exemple du fait de sa position de
« médecine de premier recours », « médecine de coordination », exercice
uniquement libéral.
Les entretiens révèlent de façon explicite ou implicite ces orientations
épistémologiques. Ils révèlent de même la superposition de ces postures qui ne
sont pas claires dans leurs positionnements réciproques.
La Médecine Générale, dans sa quête d’identité, questionne ainsi les
définitions de « Médecine » et de « spécialité ». La résolution conceptuelle des
liens entre Médecine, spécialité et Médecine Générale est un travail historique,
sociologique et épistémologique à réaliser. La quête identitaire de la Médecine
Générale étant un processus contemporain, une réponse de type définition statique
n’est pas envisageable. L’émergence d’une nouvelle identité de la Médecine
155
Générale est corrélée à une nouvelle Médecine et une nouvelle définition des
spécialités de Médecine. Cette nouvelle Médecine et sa division en « spécialités »
sont à explorer.
156
CONCLUSIONS
Nous sommes parti du constat de l’existence d’un déficit d’accès aux soins
primaires actuel et en aggravation constituant une problématique de santé publique en
France. De plus, les étudiants en Médecine privilégient, en fonction de leur rang à
l’issue des ECN, les spécialités autres que la Médecine Générale. L’hypothèse
explicatrice communément admise est un statut dévalorisé de la Médecine Générale en
France. Pourtant, certains travaux ont montré la coexistence d’images positives de la
Médecine Générale chez les étudiants avec un déficit de choix de celle-ci. Nous avons
alors élaboré l’hypothèse de l’existence d’un processus soumis à plusieurs facteurs
contradictoires et complexes. Pour y répondre, nous avons conduit une étude qualitative
à propos du processus de choix de spécialité et de la place prise par la Médecine
Générale dans ce processus.
L’élaboration de souhaits professionnels pour les futurs médecins est un
processus dynamique complexe que notre enquête a permis de clarifier. Notre enquête a
permis de mettre en évidence une schématisation non décrite auparavant du processus
de choix de spécialité. La connaissance de ce processus est la base d’une
compréhension accrue des déterminants du déficit de choix de la Médecine Générale.
Pour la construction de leur choix de spécialité, les étudiants se réfèrent à trois pôles de
valeurs : l’attrait pour une ou des spécialités, la qualité de vie, le statut social.
Chaque étudiant définit les attributs personnels de ses pôles tout en se référant aux
représentations sociales et institutionnelles de ceux-ci. L’étudiant hiérarchise ensuite
ses pôles de valeurs ainsi déterminés en fonction de son identité propre. De plus et
parallèlement, chaque étudiant construit sa propre image de chaque spécialité. Il
élabore ensuite des souhaits de spécialités en déterminant celles qui lui permettent une
adéquation entre l’image qu’il a de lui, ses valeurs propres hiérarchisées et ses
représentations des spécialités. En somme au cours de ses études l’étudiant, médecin
en devenir, émet des souhaits de spécialités au cours d’un processus d’identification
complexe. Ce souhait se commue en choix en fonction du rang de classement obtenu à
l’issue des ECN.
Notre étude qualitative a permis de démontrer que la Médecine Générale
participe à ce processus de la même façon que les autres spécialités. Néanmoins, dans
157
ce processus commun, le souhait et le choix de la Médecine Générale ont des
spécificités propres. Nous avons réalisé une analyse théorique épistémologique qui a
permis d’identifier deux visages à la Médecine Générale : celui de « reste » et celui de
« spécialité ». Cette conceptualisation plurielle de la Médecine Générale est inédite. La
Médecine Générale – reste, Médecine Générale historique est ce qui n’a pas été
qualifié de spécialité au moment de la division du travail en Médecine. La Médecine
Générale – spécialité, est la nouvelle Médecine Générale. Cette dernière fait l’objet de
définitions internationales, de référentiels de compétences, et enfin elle est « reconnue »
comme telle statutairement depuis son incorporation aux ECN. Nous en avons
approfondi les modèles épistémologiques. Notre étude qualitative démontre la
coexistence et la mise en tension de ses deux concepts de Médecine Générale pour les
étudiants. La Médecine Générale – spécialité est peu connue de ceux-ci. Notre étude
retrouve ainsi les déterminants connus de non choix de la Médecine Générale : exercice
libéral (isolement, contraintes administratives, manque de temps personnel), revenus
supposés moindres, type d’exercice (idée de « bobologie »). De plus, la Médecine
Générale est une discipline de soins primaires, centrée sur le patient qui met le médecin
qui l’exerce dans une posture de plénitude de l’incertitude. Les étudiants apprennent à
l’université (cours et stage) une Médecine centrée sur les pathologies, de deuxième
recours, qui met le médecin dans une posture d’incertitude balisée. Notre étude
démontre que de ce fait les étudiants peinent à reconnaître la Médecine dans la
Médecine Générale. Enfin, notre étude démontre que les représentations
institutionnelles de la Médecine Générale sont négatives, elles demeurent celles de la
Médecine Générale – reste. L’injonction de réussite en Médecine est forte. Un rang
élevé, ou bon classement, obtenu aux ECN est associé dans notre enquête à une posture
sociale valorisée. Cette posture est révélée et persiste à vie dans le « devenir
spécialiste », qui exclut la Médecine Générale – reste. Ainsi pour l’étudiant qui a
élaboré le souhait de la Médecine Générale et qui obtient un rang de valeur, faire
le choix de la Médecine Générale est un renoncement de prestige social élevé.
En termes de prospective, face à ces obstacles, la valorisation de la Médecine
Générale repose donc sur quelques éléments clés qui sont de trois types : enseignement
de la discipline Médecine Générale, revalorisation institutionnelle de la Médecine
Générale, et enfin connaissance des nouveaux modes d’exercice libéral. Comme
déjà démontré par plusieurs études, il est nécessaire d’augmenter la connaissance des
158
externes de la Médecine Générale. Cette connaissance passe par la généralisation du
stage d’externat de Médecine Générale, mais aussi, et c’est un élément fort de notre
enquête, par son enseignement théorique à l’université. Les spécificités disciplinaires de
la Médecine Générale sont attractives : variété, exercice centré sur le patient,
interdisciplinarité en premier recours. La complexité supposée de ces spécificités fait
peur aux étudiants, il s’agit souvent d’une méconnaissance. Leur enseignement en
donnerait une maîtrise aux étudiants qui seraient alors plus enclins à se projeter dans un
devenir médecin généraliste. De plus, la Médecine Générale – spécialité doit être
reconnue et défendue par les autorités normatives que les étudiants rencontrent : « les
chefs », « les professeurs ». La persistance d’un système de répartition de spécialité par
classement est défavorable au choix de la Médecine Générale. Enfin, les mesures de
facilitation d’un exercice d’une « nouvelle Médecine Générale » en libéral sont en
accord avec la nouvelle valeur de choix de spécialité qu’est la qualité de vie globale.
Ainsi les mesures favorisant un exercice pluridisciplinaire, d’équipe, avec maîtrise des
temps de travail sont favorables à l’élaboration du souhait et du choix de la Médecine
Générale. Basculer du modèle Médecine Générale – reste au modèle Médecine Générale
– spécialité permettrait de rendre le souhait de la Médecine Générale possible (une
spécialité connue) et de le transformer en un choix réel (une spécialité reconnue).
159
ANNEXES
Annexe 1 : caractéristiques de la Médecine Générale selon la
WONCA
« Les caractéristiques de la discipline médecine générale – médecine de famille
sont les suivantes :
a) Elle est habituellement le premier contact avec le système de soins, permettant un accès ouvert et non limité aux usagers, prenant en compte tous les problèmes de santé, indépendamment de l’âge, du sexe, ou de toutes autres caractéristiques de la personne concernée.
b) Elle utilise de façon efficiente les ressources du système de santé par la coordination des soins, le travail avec les autres professionnels de soins primaires et la gestion du recours aux autres spécialités, se plaçant si nécessaire en défenseur du patient.
c) Elle développe une approche centrée sur la personne dans ses dimensions individuelle, familiale, et communautaire.
d) Elle utilise un mode de consultation spécifique qui construit dans la durée une relation médecin-patient basée sur une communication appropriée.
e) Elle a la responsabilité d’assurer des soins continus et longitudinaux, selon les besoins du patient.
f) Elle base sa démarche décisionnelle spécifique sur la prévalence et l’incidence des maladies en soins primaires.
g) Elle gère simultanément les problèmes de santé aigus et chroniques de chaque patient.
h) Elle intervient à un stade précoce et indifférencié du développement des maladies, qui pourraient éventuellement requérir une intervention rapide.
i) Elle favorise la promotion et l’éducation pour la santé par une intervention appropriée et efficace.
j) Elle a une responsabilité spécifique de santé publique dans la communauté.
k) Elle répond aux problèmes de santé dans leurs dimensions physique, psychologique, sociale, culturelle et existentielle. » (22)
160
Annexe 2 : canevas d’entretien.
Quel est le projet professionnel de cet étudiant ? Quelles sont ses représentations de la spécialité qu’il choisit, de celles qu’il ne choisit pas ? Quels liens entre ses représentations et le choix professionnel ? Quels liens entre le système universitaire français (dont les épreuves classantes nationales) et le projet professionnel ? Présentation à l’enquêté : Présentation de l’enquêtrice : Je suis interne en médecine générale en quatrième semestre, en stage chez le praticien. Présentation de l’enquête : Etude dans le cadre de mon mémoire de DES de Médecine Générale puis thèse d’exercice de Médecine, à propos du choix de spécialités aux épreuves classantes nationales et à propos des raisons de ce choix. Présentation de la méthode : Il s’agit d’une méthode qualitative (par opposition au quantitatif), méthodologie issue de l’Anthropologie, reconnue comme valable scientifiquement. Présentation du déroulé de l’entretien : Pour faciliter le recueil de données je souhaiterais enregistrer l’entretien. Si tu es d’accord, il est anonyme, je ne t’appellerai pas par ton nom pendant l’entretien. Par la suite je retranscrirai intégralement cet entretien. La durée n’est pas prédéfinie, mais est d’environ trente minutes à une heure. Thèmes à aborder : 3 grands thèmes qui se recouvrent : - attrait professionnel - choix professionnel et ses facteurs de choix - médecine générale une nouvelle « spécialité » Question d’ouverture : Aujourd’hui si tu te projettes dans cinq ans comment imagines-tu ta vie ? Attrait professionnel (contenu clinique) Quelle(s) spécialité(s) aimerais-tu faire ? Quelle(s) spécialités n’aimerais-tu pas faire ? Qu’est-ce qui te plaît dans … (spécialité choisie) ? Quelle image as-tu de cette spécialité ? Que penses-tu des autres spécialités ? En cas de doutes : Tu doutes … quels sont les avantages et inconvénients de ces spécialités selon toi (Facteurs de) choix professionnel Qu’est-ce qui est important pour toi dans le choix de ta spécialité ? Quels sont/ont été tes critères de choix ? Y a-t-il des évènements qui ont changé ta vision d’une spécialité … ? Est-ce que tu as des camarades qui ont changé de choix de spécialité suite à un événement particulier ?...
161
Y a-t-il des éléments qui te manquent selon toi ou t’ont manqué pour faire un choix de spécialité ? Est-ce parce que tu t’orientes vers cette spécialité parce qu’elle te parait valorisante …
Stages Qu’est-ce que les stages t’apportent pour ton choix de spécialité ? Tu te vois choisir une spécialité dans laquelle tu n’as pas fait de stage …
Enseignement Qu’est-ce que les cours, et plus généralement la faculté, t’apportent pour ton choix de spécialité ? Penses-tu que ta formation t’apporte les compétences nécessaires/qu’il faut … Argent Et l’argent … Combien gagne un médecin selon toi … (Annexe si besoin) Qu’est-ce que l’argent représente pour toi quand tu penses à ta future spécialité ? A quel moment cela rentre en compte dans ta réflexion ? Est-ce que pour des raisons financières tu pourrais choisir ou pas une spécialité ? Vie privée Est-ce que le lieu de spécialisation est important pour toi … Est-ce que le lieu ou la spécialité qui passent en premier critère ? Questions suivantes à poser si mode de vie non évoqué spontanément … Sur un plan personnel, es-tu en couple/ ou pas ? pacsé/marié/ou pas ? as-tu des enfants ? Quels sont tes projets personnels … Ton conjoint est-il dans le milieu médical ? Comment fait-il son choix professionnel, quels sont ses critères ? Que pense-t-il de ton choix professionnel ? Et ta famille … que font tes parents ?y a-t-il des médecins ? Que pense cette personne de ton choix professionnel ? Carrière Est-ce que tu pourrais dire de ta vie professionnelle future qu’elle représente une carrière à construire ? Est-ce que les (im)possibilités de carrière vont modifier ton choix de spécialité ? Envisages-tu une carrière universitaire ? Selon toi qu’est-ce qu’une carrière universitaire … Epreuves classantes nationales Est-ce qu’aujourd’hui ta réflexion de choix de spécialité est modifiée par les ECN et comment selon toi … On demande souvent aux gens ce qu’ils feraient s’ils étaient le premier aux ECN … que ferais-tu si aujourd’hui on t’annonce que les ECN n’ont pas lieu et que tu peux faire la spécialité de ton choix … Pour toi est-ce ton rang aux ECN ou toi qui fais le choix de ta spécialité … Est-ce que le fait d’avoir le choix parce qu’on est bien classé est identique au fait d’avoir le choix si tu ne passais pas les ECN … Qu’est-ce qu’être bien/mal classé signifie pour toi ?
162
Conditions d’exercice Est-ce que les conditions d’exercice de la médecine et des différentes spécialités vont modifier ton choix ?
Médecine Générale (vers la fin si pas évoqué auparavant, sinon réintroduire les questions sur la médecine G dans les 2 premiers thèmes )
Attrait professionnel : Actuellement la médecine générale est le seul choix des derniers classés aux ECN … qu’en penses-tu ? On a fait une étude sur Lyon qui a montré que la médecine générale avait une très bonne image auprès des externes, sauf en ce qui concerne le rapport à l’argent et le rapport au pouvoir (il était dit que la médecine générale est plus dominée que d’autres spécialités), qu’en penses-tu ? D’où vient l’image que tu as de la Médecine Générale ? Choix professionnel Si tu n’as plus que la médecine générale comme choix que vas-tu ressentir ? Est-ce un échec ? Quelle image de toi auras-tu alors ? Est-ce que la médecine générale est une spécialité pour toi ? Est-ce que tu penses qu’autour de toi on pense que la médecine générale est une spécialité ? Que penses-tu des externes qui sont classés en rang utile pour avoir une spécialité médicale dans la ville de leur choix et qui prennent médecine générale ? et de ceux qui disaient vouloir faire MG et prennent Spé Méd parce qu’ils sont « bien classés » ? Si tu étais toi-même dans cette situation de choix … quelles seraient tes idées, ta réflexion à ce moment là … Pour ceux qui hésitent entre la médecine générale et une autre spécialité : Tu hésites entre médecine générale et …, à tes yeux est-ce que ces deux choix ont la même valeur ? et aux yeux de ton entourage (parents, conjoints, amis) ?
Questions de fermeture : Est-ce que tu as quelque chose à ajouter qu’on n’a pas évoqué … Pour finir, si tu te retrouvais aujourd’hui à la sortie du bac et avec l’expérience que tu as à ce jour, quel choix d’étude et en vue de quel métier tu ferais … Commentaire de la grille Osgood. Qu’est-ce que ce questionnaire t’a apporté ? Données personnelles à recueillir à la fin si non présentes dans les entretiens :
- Age, année de naissance - sexe - origines rurales/urbaines - statut marital - enfants - lieu des études/parcours - parents que font-ils - médecins dans la famille
163
Relances quand : - Evocation d’un modèle, contre-modèle
Dirais-tu qu’il s’agit d’un modèle pour toi ? As-tu rencontré des médecins auxquels tu ne veux surtout pas ressembler ? (vice et versa) En quoi est-ce que cette personne va influencer ton choix de spécialité ?
- Images du métier : o Bobologie (c'est-à-dire ? qu’est-ce que signifie bobologie pour toi ?) o Technicité o Relation médecin patient o Complexité o Difficile o Travail d’équipe/solitude o Autonomie/Encadrement o Variété-monotonie o Notions de certitude/incertitude
- Image de « spécialité » o Reconnaissance o Prestige o Statut social
- Rapport au temps o Etudes longues/courtes o Temps de travail long/court o Flexibilité/horaires dédiés
- Personnes référentes externes dans le choix (parents/conjoint/amis) o Accord/désaccord
- Référence à l’internat o Concours o ECN o Classement
- Référence au critère de lieu o Déménagement o Découverte d’un autre lieu
164
Annexe 3 : Les entretiens, voir tome 2
165
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171
TABLE DES MATIERES
ABREVIATIONS ........................................................................................................1
SOMMAIRE................................................................................................................2
INTRODUCTION.......................................................................................................5
PARTIE THEORIQUE ..............................................................................................7
1 ETUDE HISTORIQUE, EPISTEMOLOGIQUE ET CONTEMPORAINE DE LA MEDECINE GENERALE....................................................................................7 1.1 Histoire institutionnelle et épistémologique des spécialités en Médecine............7
1.1.1 Naissance des Spécialités .......................................................................7
1.1.2 Histoire de l’internat.............................................................................11
1.1.2.1 1802-1982 : Internat des hôpitaux.....................................................11
1.1.2.2 1982-2004 : Internat universitaire .....................................................12
1.1.2.3 2004 : La « fin » de l’internat ...........................................................13
1.2 La Médecine Générale en France au début du XXIe siècle................................15 1.2.1 Un « reste » à penser de la Médecine....................................................15
1.2.2 Des spécificités revendiquées ...............................................................17
1.2.2.1 Définitions .......................................................................................17
1.2.2.2 The ecology of Medical Care (23).....................................................18
1.2.2.3 Incertitude ........................................................................................21
1.2.3 Un problème de santé publique.............................................................23
1.2.4 Déficit de choix de la Médecine Générale.............................................24
1.2.4.1 Une spécialité dite « dévalorisée » et peu attractive ..........................24
1.2.4.2 Déterminants du choix de spécialité par les étudiants en Médecine ...25
1.2.4.2.1 Critères de choix de spécialités versus Médecine Générale .........25
1.2.4.2.1.1 Australie ..............................................................................26
1.2.4.2.1.2 Canada.................................................................................26
1.2.4.2.1.3 Etats-Unis ............................................................................26
1.2.4.2.1.4 France :................................................................................27
1.2.4.2.2 Image de la Médecine Générale et hiérarchisation de préférences
de spécialité .................................................................................................30
2 PROBLEMATIQUE .........................................................................................33
ENQUETE.................................................................................................................40
3 METHODE........................................................................................................40
172
3.1 Enquête qualitative ..........................................................................................40 3.1.1 La rigueur du qualitatif (57).................................................................40
3.1.2 Choix du type d’enquête.......................................................................41
3.2 Canevas d’entretien..........................................................................................43 3.3 Protocole de l’enquête......................................................................................44
3.3.1 Terrain choisi, population étudiée.........................................................44
3.3.2 Recrutement .........................................................................................45
3.3.3 Enregistrement .....................................................................................46
3.3.4 Financement.........................................................................................46
3.4 Méthode d’analyse des données .......................................................................47 3.4.1 Transcription des entretiens..................................................................47
3.4.2 Analyse des éléments du discours.........................................................47
3.4.3 Analyse descriptive ..............................................................................48
3.5 Méthode de recherche bibliographique.............................................................48
4 RESULTATS ET DISCUSSION.......................................................................50 4.1 Discussion autour de la Méthode......................................................................50
4.1.1 Le rôle de l’enquêteur...........................................................................50
4.1.2 Limites de la méthode ..........................................................................51
4.1.3 Apports de l’entretien pour les étudiants...............................................52
4.2 Analyse descriptive..........................................................................................53 4.3 Les entretiens...................................................................................................53
4.3.1 Entretien 1............................................................................................54
4.3.2 Entretien 2............................................................................................54
4.3.3 Entretien 3............................................................................................54
4.3.4 Entretien 4............................................................................................55
4.3.5 Entretien 5............................................................................................55
4.3.6 Entretien 6............................................................................................55
4.3.7 Entretien 7............................................................................................56
4.3.8 Entretien 8............................................................................................56
4.3.9 Entretien 9............................................................................................57
4.3.10 Entretien 10..........................................................................................57
4.3.11 Entretien 11..........................................................................................58
4.3.12 Entretien 12..........................................................................................58
4.3.13 Entretien 13..........................................................................................58
4.3.14 Entretien 14..........................................................................................59
4.3.15 Entretien 15..........................................................................................59
173
4.3.16 Entretien 16..........................................................................................60
4.3.17 Entretien 17..........................................................................................60
4.3.18 Entretien 18..........................................................................................61
4.3.19 Entretien 19..........................................................................................61
4.3.20 Entretien 20..........................................................................................62
4.3.21 Entretien 21..........................................................................................62
4.3.22 Tableau synthétique et récapitulatif des entretiens ................................62
4.4 Résultats et discussion thématiques..................................................................65 4.4.1 Critères et déterminants du « choix » de spécialité...........................66
4.4.1.1 Critères de choix.............................................................................66
4.4.1.1.1 Attrait pour les spécialités ........................................................66
4.4.1.1.1.1 J’aime/j’aime pas .................................................................66
4.4.1.1.1.2 Mode d’exercice ..................................................................68
4.4.1.1.1.2.1 Hôpital ..........................................................................68
4.4.1.1.1.3 Type d’exercice : attrait intellectuel .....................................70
4.4.1.1.1.4 Les patients..........................................................................71
4.4.1.1.1.4.1 Avoir/ne pas avoir de la « relation » ..............................71
4.4.1.1.1.4.2 De quelle relation parle-t-on ? .......................................72
4.4.1.1.1.5 Etre médecin : utilité et pouvoir ...........................................73
4.4.1.1.2 Qualité de vie ............................................................................75
4.4.1.1.2.1 Qualité de vie professionnelle ..............................................75
4.4.1.1.2.1.1 Qualité de vie d’interne .................................................77
4.4.1.1.2.2 Qualité de vie personnelle ....................................................78
4.4.1.1.2.3 Un exemple de qualité de vie particulier : le choix de ville ...79
4.4.1.1.2.3.1 Lieu prioritaire ..............................................................79
4.4.1.1.2.3.2 Un gradient Nord/Sud ...................................................80
4.4.1.1.2.4 Qualité de vie, un critère de choix socialement dévalorisé ? .80
4.4.1.1.3 Statut social...............................................................................82
4.4.1.1.3.1 Argent..................................................................................82
4.4.1.1.3.2 L’image sociale....................................................................86
4.4.1.2 Construction des représentations des spécialités...........................89
4.4.1.2.1 Stage ..........................................................................................89
4.4.1.2.2 Système hospitalo-universitaire ..................................................91
4.4.1.2.3 Entourage personnel et société....................................................92
174
4.4.1.2.3.1 Conjoint...............................................................................92
4.4.1.2.4 Epreuves classantes nationales....................................................93
4.4.1.3 Processus de « choix » : une quête identitaire ? ............................99
4.4.1.3.1 Hiérarchisation des valeurs .......................................................100
4.4.1.3.2 Valeurs hiérarchisées et représentations des spécialités .............102
4.4.1.3.3 Construction de son image personnelle .....................................104
4.4.1.3.3.1 Aptitudes personnelles .......................................................104
4.4.1.3.3.2 Etre étudiant et devenir médecin ........................................105
4.4.1.3.3.3 Identité personnelle et identité sociale ................................106
4.4.2 La place de la Médecine Générale ...................................................110
4.4.2.1 Critères de choix...........................................................................110
4.4.2.1.1 Attrait pour la Médecine Générale ........................................110
4.4.2.1.1.1 J’aime/j’aime pas ...............................................................110
4.4.2.1.1.2 Type d’exercice .................................................................111
4.4.2.1.1.2.1 Varié ou limité ............................................................111
4.4.2.1.1.2.2 Bobologie....................................................................114
4.4.2.1.1.2.3 Difficulté ou facilité ....................................................116
4.4.2.1.1.2.4 Globalité - transversalité..............................................117
4.4.2.1.1.3 Les patients........................................................................118
4.4.2.1.2 Qualité de vie ..........................................................................119
4.4.2.1.2.1 Qualité de vie professionnelle : Mode d’exercice ...............120
4.4.2.1.2.1.1 Libéral ........................................................................120
4.4.2.1.2.1.2 Solitude / groupe : ancienne et nouvelle Médecine
Générale ? ....................................................................................120
4.4.2.1.2.1.3 Campagne / ville .........................................................121
4.4.2.1.2.2 Qualité de vie personnelle et temps de travail.....................123
4.4.2.1.3 Statut social.............................................................................123
4.4.2.1.3.1 Argent................................................................................123
4.4.2.1.3.2 Image sociale : une spécialité dominée ? ............................124
4.4.2.2 Construction des représentations de la Médecine Générale .......129
4.4.2.2.1 Stage ........................................................................................129
4.4.2.2.2 Système hospitalo-universitaire ................................................132
4.4.2.2.3 Entourage personnel .................................................................134
4.4.2.2.3.1 Conjoint / Famille ..............................................................134
175
4.4.2.2.4 Société, amis ............................................................................136
4.4.2.2.5 Epreuves classantes nationales..................................................137
4.4.2.3 Devenir médecin généraliste aujourd’hui : quelle identité ? ......141
4.4.2.3.1 Devenir médecin généraliste, endosser une identité
institutionnellement dévalorisée .................................................................141
4.4.2.3.2 Etude d’un cas : Mr 21..............................................................142
4.4.3 Discussion : Médecine Générale – spécialité et Médecine Générale –
reste ...........................................................................................................148
4.4.3.1 Quel lien entre la Médecine de la faculté et la Médecine Générale pour
les externes ? .................................................................................................148
4.4.3.2 La Médecine Générale est-elle une spécialité ? ...............................149
4.4.3.2.1 La Médecine Générale n’est pas une spécialité .........................149
4.4.3.2.2 La Médecine Générale est une spécialité...................................151
CONCLUSIONS .....................................................................................................156
ANNEXES ...............................................................................................................159 Annexe 1 : caractéristiques de la Médecine Générale selon la WONCA ....................159 Annexe 2 : canevas d’entretien. .................................................................................160 Annexe 3 : Les entretiens, voir tome 2.......................................................................164
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................165
TABLE DES MATIERES.......................................................................................171
TABLE DES ILLUSTRATIONS............................................................................176
176
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLEAUX :
Tableau 1 : répartition des années de naissance............................................................53
Tableau 2 : Synthèse des entretiens (p. 1/2) .................................................................63
Tableau 2 : Synthèse des entretiens (p. 2/2) .................................................................64
FIGURES :
Figure 1 : Le « carré de White ». (24) ..........................................................................20
Figure 2 : Positionnements par rapport à l’incertitude en médecine générale selon
Géraldine Bloy (17) .............................................................................................22
Figure 3 : Facteurs influençant le choix de la médecine générale chez les étudiants selon
Amélie Sellier Petitprez (50)................................................................................30
Figure 4 : La production des données selon J.-P. Olivier de Sardan (57) ......................41
Figure 5 : Les pôles de valeurs ..................................................................................100
Figure 6 : Les pôles de valeurs hiérarchisés ...............................................................101
Figure 7 : Schéma d’élaboration des souhaits de spécialités en Médecine ..................108
Figure 8 : Schéma d’élaboration du souhait de spécialité Médecine Générale ............147
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