Chabas, François - Maspero, Gaston (éd.). Oeuvres diverses. 1899 - 1909.
1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].
BIBLIOTHÈQUE
ÉGYPTOLOGIQUECONTENANTLES
ŒUVRESDES ÉGYPTOLOGUESFRANÇAIS
dispersées dans divers Recueils
et qui n’ont pas encore été réunies jusqu'à ce jour
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
G. MASPEROMembrede l’Institut
Directeur d'études à l'École pratique des Hautes-Études
Professeur au Collège de France
TOME DIXIÈME
F. CHABAS
ŒUVRES DIVERSES
TOME DEUXIÈME
PARIS
ERNEST LEROUX,
28, RUE BONAPARTE, 28
1902
ERNEST LEROUX. ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
BIBLIOTHÈQUE ÉGYPTOLOGIQUE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
G. MASPERO
Membre de l'Institut
TOMES 1. II. G. Maspero. ÉTUDES DE MYTHOLOGIE ET
D’ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNES. Deux volumes in-8°, figures.
Chaque. 12 fr.ToMt: III. Marquis de Rochemonteix. ŒUVRES DIVERSES.
—In-8° avec planches. 15 fr.TOME IV. — Th. Devéria. MÉMOIRES ET FRAGMENTS. —
Première partie. Unfort volume in-8°, avec portrait, dessins, planchesen couleur et en phototypie. 16 fr.
TOME V. Deuxième partie. ln-8°, figures et planches. 16 fr.TOMEVI. —(En préparation.)TOMESVII et VIII. G. Maspero. ÉTUDES DE MYTHOLOGIE
ET D’ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNES. Deux volumes in-8°, lig.Chaque. 15 fr.
TOMESIX, X. —F. Chabas. ŒUVRES DIVERSES. Tomes I et II.
In-8", figures et planches. Chaquevol. 15 fr.TOMESXI et XII. —F. Chabas. ŒUVRES DIVERSES. Tomes III
et IV. (En cours de publication.)TOMESXIII à XVI. — ŒUVRES DU VICOMTE E. DE ItOUGI;.
DE MARIETTE-PACHA, DE NESTOR LHOTE. — (En prépa-ration.)
MÉMOIRES PUBLIÉS PAR LES MEMBRES DE LA
MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANÇAISE DU CAIRE
sous la direction de M. G. Maspero, membre de l'Institut.
Tomes 1 à XIX. Collection de volumes in-4". avec figures et planchesen héliogravure et en chromolithogmlalhie.
CHALON-SUR-SAÔNE, IMP. FRANÇAISE ET ORIENTALE DE E. BERTRAND
BIBLIOTHÈQUE
ÉGYPTOLOGIQUE
TOME DIXIÈME
CHALON-SUR-SAONE
AISE ET ORIENTALE DE L. MARCEAU, E.
BIBLIOTHÈQUE
ÉGYPTOLOGIQUE
CONTENANT LES
ŒUVRES.DES ÉGYPTOLOGUESFRANÇAlS
dispersées dans divers Hecueits
et qui n'ont pas encore été réunies jusqu'à ce jour
PUBLIÉESOUS LA DIRECTION DE
G. MASPEROMembre de l’Institut
Directeur d'études à l’École pratique des Hautes-Études
Professeur au Collège de Franre.
TOME DIXIÈME
F.CHABAS
ŒUVRES DIVERSES
TOME DEUXIÈME
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, Rue BONAPARTE,28
1902
F.CHABAS
ŒUVRES DIVERSES
TOMEDEUXIÈME
CHALON-SUR-SAONE
AISE ET ORIENTALE DE L. MORCEAU, E.
F. CHABAS
ŒUVRES DIVERSES
PUBLIÉESPARG. MASPERO
Membre de l’Institut
Directeur d’études à l'École pratique des Hautes-Études
Professeur au Collège de France
TOME DEUXIÈME
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1903
BIBL. ÉGYPT., T. X. 1
TRADUCTION ET ANALYSE
DE
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
CONTENANT LE RÉCIT D'UN ÉPISODE DE LA GUERRE DE RAMSÈS II
CONTRE LA CONFÉDÉRATION DES H'ITAS'
1
Peu de contrées ont captivé l'attention des savants et des
voyageurs au même degré que l’Égypte la lointaine anti-
quité de ses traditions défigurées dans les auteurs clas-
siques, les monuments imposants dont les ruines témoignent
encore de sa puissance et de sa civilisation, les scènes gran-
dioses qui y sont retracées, les légendes si longtemps mys-
térieuses qui les recouvrent de toutes parts, qui rampent
sous le sol dans les hypogées, s'étendent sur les murs des
palais et des temples et s'élancent jusqu'aux sommets des
'obélisques, tout contribue à donner à la vallée du Nil un
cachet particulier, un charme irrésistible. Aussi sans
1. Publié dans la Revue archéologique, 1re série, 1859, t. XV,
p. 573-588, 701-736. Il n'est pas inutile de rappeler que la vivacité du
ton de cet article détermina la retraite d'une partie des savants qui
avaient collaboré jusqu'alors à la Revue archéologique le comité de
rédaction se réorganisa, et décida de commencer une seconde série du
journal. G. M.
2 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
remonter bien haut, combien d'écrivains ont pris l'Égypte
pour texte1
Mais dans le déluge d'ouvrages que nous a valu cet entrai-
nement, il en est bien peu pour lesquels on ait mis à profitla science du déchiffrement des hiéroglyphes. On a pu clas-
ser heureusement une partie des listes dynastiques à l'aide
de la lecture des cartouches royaux que leur encadrement
isole dans les inscriptions et dans les manuscrits, mais les
événements des règnes n'ont pas encore été déchiffrés dans
les textes, si nombreux cependant, que les recherches mo-
dernes ont mis a notre disposition. On a établi le cadre,mais le tableaux est a peine éhauché. Il en est de même dans
le domaine de la mythologie et des institutions. On connaît
des listes de dieux, mais on n'a pas encore publié la tra-
duction correcte d'un seul chapitre du livre funéraire.
Toutefois, il ne faut pas se plaindre de cette stérilité
apparente; rappelons-nous, en effet, que nous ne sommes
qu'à trente-cinq ans du premier essai sérieux, et que Cham-
pollion n'a laissé aucun disciple capable de continuer immé-
diatement son œuvre interrompuc par la mort. La renais-
sance du goût pour les hiéroglyphes ne date guère que de
dix ans, et il serait souverainement injuste de dénigrer les
beaux succès obtenus dans cette courte période; reconnais-
sons au contraire que l'examen des textes a été fait avec une
louable activité, et que la méthode de déchiffrement est
devenue beaucoup plus sévère dans ses procédés et- beau-
coup plus sûre dans ses résultats.
C'est surtout dans ce perfectionnement de la méthode queconsistc le progrès, quoique le nombre des traductions bien
faites soit encore fort petit. Ces traductions portent déjàsur des sujets variés elles servent à constater, à élucider
divers faits de l'histoire, de la géographie, des mœurs et des
croyances, mais elles ne forment, quant h présent, aucun
1. VoyezBibliotheca Egyptiaca, Dr H. Jolowicz,Leipzig,1858.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 3
ensemblede quelque importance. Ces utiles travaux se mul-
tiplient, du reste, rapidement à mesure qu'on avance dans
l'intelligence des textes; ils méritent d'être encouraâés, car
ils formeront bientôt le fonds commun de notions arrachées
aux sources originales, dans lequel il faudra puiser exclusi-
vement pour l'œuvre de la reconstitution de la langue et de
l'histoire de l'Égypte.En vue d'une œuvre aussi importante, il serait téméraire
d'agir avecprécipitation. Il faut savoir se réserver, il faut
perfectionner l'instrument d'analyse au lieu de l'employer
aveuglément au risque de le forcer. Malheureusement l'at-
trait des solutions prématurées est trop souvent venu contre-
balancer les prescriptions de la saine prudence. Dominépar
l'esprit de système ou par un enthousiasme immodéré, plusd'un investigateur est parvenu à lire dans les hiéroglyphes,non ce qui s'y trouve réellement, mais ce qu'il y cherche, et
une fois lancé sur le chemin glissant de l'arbitraire, il est
rapidement descendu jusqu'à l'absurde.
D'aussiregrettables écarts ont eu pour conséquenced'éloi-
gner de l'étude des hiéroglyphes bon nombre d'espritssérieux, rendus incrédules par le défaut de critique qui carac-
térise les productions auxquelles je fais ici allusion la pha-
lange des éâyptoloâues se recrute avec lenteur; à peinequelques travailleurs zéléscontinuent la tache de Champol-lion et exploitent intelligemment la mine si riche et si vaste
qui réclamedes légions d'ouvriers.Il 'est vrai que l'accès de la science hiéroglyphique est
difficile: quand il a parcouru la grammaire de Champollionet gravé dans sa mémoire les mots du dictionnaire, l'étu-diant est encore fort loin du point qu'ont atteint les progrèsrécents. Il peut, à la vérité, recherches les traces de ces pro-grès dans les ouvrages des égyptologucs modernes, et poury parvenir, il faut fouiller les revues savantes de la France,de l'Anâleterre et de l'Allemagne mais une étude superfi-ciellede ces travaux n'aboutirait à rien l'investigateur doit
4 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
chercher, par la collation attentive des textes, à se rendre
compte de la justification des traductions, et il ne peut yréussir qu'en faisant, pour son propre compte, l'observation
analytique de tous les textes qu'il pourra se procurer, de
manière classer méthodiquement les mots et les formes de
la langue. Ce travail est lent et pénible, beaucoup plus qu'iln'est ditlicile c'est, toutefois, le seul moyen de remplacer,
pour l'étude d'une langue oubliée par les hommes, les voca-
bulaires et les grammaires que nous ne possédonsplus. On
ne doit pas s'imaginer, en effet, que leshiéroglyphes se tra-
duisent d'inspiration ou par une méthode arbitraire. Dans
la réalité, ceux qui les comprennent véritablement les inter-
rogent, comme s'il s'agissait du grec ou du latin, iLl'aide
d'un vocabulaire, c'est-à-dire d'un tableau raisonné donnant
les différents emplois des mots, et d'une grammaire, c'est-
à-dire de l'observation des règles et des formes du langage.Cette grammaire, ce vocabulaire, sont le fruit de la dissec-
tion des textes hiéroglyphiques et de la comparaison des
passages dans lesquels se rencontrent un même mot, une
même forme. On procède ainsi laborieusement du connu a
l'inconnu, et lorsqu'un pareil système affirme ses résultats,il est en mesure de les démontrer et de défier la critique la
plus méticuleuse.Les égyptologues, et je n'accorde ce nom qu'aux adeptes
de la méthode dont je viens de donner une idée, possèdenttous des notes manuscrites considérables dont la réunion, si
elle était possible, présenterait le tableau complet de la
science à son degré actuel d'avancement. Mais ces notes
sont loin d'être suffisantes; chaque heure d'étude fait naître
des observations nouvelles, qui confirment, complètent ou
rectifient les notions précédemment acquises. Toujours de
nouvelles pages s'ajoutent aux pages écrites, et l'on ne peutencore prévoir l'époqueà laquelle le livre sera terminé. Aussi
la publication ne peut-elle en être entreprise que par frag-ments détachés. Il suit de là que le débutant est astreint à
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 5
recommencer les recherches déjà faites bien des fois et à
redécouvrir des faits déjà constatés par d'autres. C'est là, on
le conçoit aisément, l'un des plus grands écueils de cette
étude, quand on veut s'y appliquer sérieusement, quand on
veut suivre l'exemple qu'ont donné M. S. Bircli, en Angle-terre, et M. de Rougé, en France. Mais à côté de cette mé-
thode lente et pénible, il existe un système commoded'inter-
prétation deshiéroglyphes; celui-ci se contente de la lecture
d'un petit nombre de mots déjà expliqués plus ou moins cor-
rectement par Champollion, et de quelques groupes nou-
veauxcomparés à des homonymesplus ou moins rapprochésdans le copte, ou dans les langues sémitiques. Avec un peu
d'imagination, la phrase se complète suivant le bon plaisirdu prétendu traducteur. Il est a peine nécessaire de faire
observer qu'un semblable système est aussi loin de la mé-
thode analytique, que les vues de MM. Spohn ei Seyffardtsont loin de celles de Champollion.
Il importe néanmoins que cette distinction soit hautement
proclamée, car il ne faut pas que l'inanité des résultats obte-nus par de vains systèmes soit plus longtemps une pierred'achoppement pour le développement d'une science dont la
découverteest une des plus grandes gloires de notre pays.J'écris ceci sous l'impression que m'a laissée la lecture
d'un article publié récemment par M. François Lenormant,dans le Correspurzdanl (t. VIII, 2° livraison, février 1858),sous le titre de Les Livres chez les Égyptiens (2°article).L'auteur y a réuni d'excellentes citations empruntées lit-téralement à M. S. Birch et à M. de Rougé, mais en ymêlant des traductions d'une autre origine qui semblent se
présenter au lecteur avec le même degré d'autorité, bien
qu'elles n'aient absolument rien de commun sous le rapportde la méthode qui les a produites.
L'une de ces bonnes citations est le poème de Penta-Our,traduit par M. de Rouâé sur le texte original conservé auMusée britannique (papyrus Sallier n° 3). La traduction
6 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'lBSAMBOUL
de M. de Rougé, que j'ai suivie groupe par groupe, est un
admirable spécimen de la méthode analytique, mise en
œuvre par un esprit pénétrant et expérimenté. Voici le sujetdu poème
Dans sa seconde expédition contre les H'itas, le roi
Ramsés II, trompé par ses émissaires, s'est imprudemment
séparé du gros de son armée; surpris par l'ennemi, il voit sa
faible escorte mise en déroute et ne doit son salut qu'à un
prodigue de bravoure. Sorti vainqueur du combat, Ramsès
rend gloire aAmmon dont le bras l'a sauvé; puis il rallie
son armée, la ramène au combat et force les H'itas à im-
plorer une trêve.
Le papyrus qui contient cette remarquable compositionn'est malheureusement pas entier; nous n'en possédons plus
que les deux derniers tiers; la partie perdue exposait les
événements jusqu'au moment où l'armée des confédérés se
précipite sur l'escorte du pharaon mais, ainsi que le fait
remarquer M. de Rougé, « l'historien pourra combler en
» partie cette lacune à l'aide des bulletins ofliciels de la
» campagne que les tableaux d'Ibsamboul et du Ramesséum
» nous ont conservés presque intacts, » et en effet, cet
excellent égyptologue fait précéder sa traduction d'une
analyse très exacte de l'inscription d'Ibsamboul, dans laquelleles faits sont racontés avec beaucoup de clarté et d'enchaî-
nement logique.1\1.F. Lenormant semblcn'avoir pas aperçu cette analyse,
lorsqu'il s'exprime en ces termes
« Je ne sache personne qui se soit occupé spécialement de
» l'inscription qui accompagne les tableaux du Ramesséum
» de Karnak., mais celle du Spéos d'Ibsamboul, presque
identiquement semblable, a servi de texte à mon père dans
» son cours de l'année 1855 il en a donné alors une traduc-
» tion et un long commentaire. L'inscription d'Ihsamboul est
» loin d'être complète, les trente et une premières colonnes
» d'hiéroglyphes sont seules parvenues intactes jusqu'à nous,
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 7
u et toute la fin est entièrement perdue. Par un heureux
» hasard, cette inscription comprend le récit des faits qui
» manquent dans le Papyrus Sallier, et la partie intacte
» s'arréte au point où commence ce que le poème nous a
» conservé. Elle nous servira donc iv compléter l'enchai-
» nement de la guerre, et nous commencerons par rapporter
» les points principaux de l'inscription comme introduction,
» avant d'aborder l'analyse du manuscrit. »
Et ici M. Lenormant, procédant tantôt par analyse com-
mentée, tantôtpar traduction,, donne de l'inscription d'Ibsam-
boul une interprétation qui nous explique parfaitement
pourquoi il n'a pas reconnu l'analyse de M. de Rougé puis
il rattache sans transition ce chef-d'œuvre d'imagination au
poème de Penta-Our qui se trouve ainsi complété d'une
manière fort inattendue.
J'ai voulu, à mon tour, étudier le texte d'Ibsamboul, et je
présente aujourd'hui aux lecteurs de la Revue le résultat
de cette étude.
L'inscription dont il est question a été copiée d'abord par
Champollion elle occupe les planches XXVII, XXVIII et
XXIX de son grand ouvrage une seconde copie est due à
l'Expédition scientifique prussienne, sous la direction de
M. Lelsius (Denkmäler, III, 187). La copie de Champollion,
indépendamment d'un grand nombre de signes erronés,
présente des lacunes considérables la sixième et la trente-
troisième lignes ont été omises en entier par le copiste, de
même que la moitié inférieure de la trente-sixième et de la
trente-septième. Aussi, aux endroits correspondants, le texte
est-il absolument inintelligible, ainsi qu'on se l'imagineaisément. Cependant, toute fautive qu'elle est, la copie de
Champollion sert It justifier la correction de quelques erreurs
dans celle de M. Lepsius. Toutes les deux sont assez heureu-
1. La Recue arehéologique dans laquelle cet article fut publiéen 1859. G. M.
S L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAAiBOUL
sèment complétées par le texte relevé par J. Bonomi à Thèbes
et publié dans le recueil de Sharpe (Egyptian Inscriptions,2"a Ser., pi. LU). Bien que peu de lignes, dans ce texte,
soient intactes, il est néanmoins d'un très grand secours
parce que les parties conservées ont été généralement copiéescorrectement. Aussi l'examen comparatif de ces trois textes
m'a-t-il permis d'arriver à une traduction littérale rigoureusede la presque totalité de l'inscription j'aurai du reste le
soin de faire ressortir les passages douteux, lorsque j'abor-derai le travail analytique.
Je me propose d'opposer mes résultats à ceux de M.Lenor-
mant, en renvoyant iLla fin de l'article la traduction inter-
linéaire et la discussion analytique des groupes principaux
qui ne s'adressent qu'à un nombre fort limité de lecteurs. Je
me bornerai, quant à présent, à quelques observations hréli-minaires.
D'abord, en ce qui concerne la transcription des mots
égyptiens, je conserverai celle que j'ai adoptée dans mon
mémoire sur le Papyrus Prisse elle présente l'avantage de
n'employer que les lettres de l'alphabet français et de
rendre un signe unique par une lettre unique, lorsqu'iln'est pas syllabique. Je rappelle que ll' est l'aspirationforte s', sh, ut, et t', tj ou ts, .
Dans les textes, la personne des rois est désignée par des
formules variées dont la traduction littérale encombre le récit
de répétitions fatiguantes et bizarres; l'une des plus ordi-
naires est AA-PER-TI,la double grande demeure; it cette
dénomination est souvent attaclté, de même qu'aux cartouches
royaux, le qualificatifl
abréviationde
0,NII'OUT'ASENV,la vie saine et forte. Je noterai encorc le
groupe que M. Birch lit H'ER-EW,et dont l'identité
de fonctions avec notre expression Sa Majesté, a été constatée
par Champollion et bien vérifiée par ses disciples. Les rois
l'emploient également à la première personne n'ER-A,
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 9
comme s'ils disaient Ma Majesté. Je traduirai ces dif-
férents groupes par le roi ou par Sa Majesté, selon que le
contexte l'exigera.Le nom des peuples ennemis de l'Égypte est fort souvent
accompagné d'épithètes méprisantes. C'est ainsi que celui
du peuple H'ita est presque toujours qualifiépar l'expression
H'ER,qui signifie tombé, renversé, terrassé, ainsi
que le démontrerait suffisammentl'homme étendu sur le sol
qui sert de déterminatif au groupe. Descentaines d'exemplesconcluantspeuvent être cités ivl'appui dece sens. Je mention-
nerai seulement l'expression H'ER ni 110,
tomber sur la face, comme au Todtenbuch, cllap. CXXXIV,
libne 7. La formule H'EREN-H'ITAsignifie à la lettre Leternassé de H'ita. L'ennemi de l'Égypte était ainsi carac-
térise comme écrasé, vaincu, à la merci du vainqueur.Mais pour éviter la monotone répétition de cette formule,
je traduirai simplement l'abjecl I-I'it(t. Champollion, séduit
par le rapprochement du copte , plaic, traduisait la
plaic du Scheto1; M. Lenormant l'imite, en aggravantl'erreur par une assimilation de cette expression ivcelle deFléau de Dieu, clu'Attila avait méritée. Celle-cirappelle, en
effet, la terreur qu'inspirait le Hun impitoyable, tandis quel'expression égyptienne, qui s'applique indistinctement àtoutes sortes de peuples ennemis, ne comporte qu'une idéede défaite, d'abaissement, d'abjection. H'ER n'est pas plus
, plaga, que , cnniunz,pellis.Une autre qualificationde la même espèce est
H'Ls, quelquefois H'ESI, vil, leumilié. Employé comme
verbe, Il'ESse trouve dans les textes avec le sens avilir,lucmilier, commepar exemple dans ce passage du PapyrusSallier III, 2/5 AMENER H'ESIH'IMOUNETER,Ammonhumiliera ceux qui rae corauaissenlpas Dieu, et dans le
1. Lettresécritesd'Éyypte,p. 120.
10 L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL
Papyrus Prisse, VII, 7 AR H'ESEKS'ES SA AKER s'il
t'humilie de servir un homme sage.Champollionavait méconnu la valeur phonétique du signe
qu'il lisait tantôt ouo, tantôt not' et dont la véritablelecture est H'. Il ignorait également la signification du
groupe H'A-T,qui veut dire le ventre et que, par euphé-
misme, on traduit par sein, entrailles, flancs. Ce mot
s'applique du reste à tout l'intérieur du corps humainc'est la cavité qui renferme le coeur, celle dans laquelle
s'accomplit la respiration' ce sont les viscères de la diges-tion', c'est l'intérieur de l'œuf5, le corps, ou comme nous
disons, le cœur de l'arbre', c'est le sein maternel'.
Le nomd'un serpent mythologique est: S'AMHIH'A-T-EW,celui qui marche sur son ventre'. Il n'est, en définitive,aucun mot dans aucune langue dont le sens soit mieux
constaté. Dans le groupe H'ROT,copte SoTI, proies,
Champollion considérait le signe initial comme exprimantle son ROT,dont les deux derniers signes n'eussent été quele pléonasme phonétique à peu près comme cela se passedans le
mot ONH',la vie. Cette erreur lui avait fait
considérer l'adjectif comme une expression com-
posée ROT-ES-HOU,sa race est mauvaise9, dont la race
est mauiaise. Aujourd'hui, la lecture H'ESet la significationhumilié, bas, vil, sont hors de toute discussion. Toutefois,
1. Dictionnaireégyptien,p. 103.2. Sharpe,EgyptianInscriptions,1" Ser., 45-11 Papyrus Sal-
lierIII, 3/9.3. Todtenbuch,78-21.4. Todtenbuch,82-2.5. Greene,FouillesicThèbes,1,1.6. Todtenbuch,155-2.7. Denkmäler,III,29.8. Todtenbuch,149-16.9. Lettresccritesd'Égypte,p. 120.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 11
M. Lenormant, dans une de ses notes, persiste à voir dans
race, au lieu de flancs (ventre), de même qu'il persiste
à lire plaie dans H'ER.
Ce sont lv, du reste, les deux seules modifications qu'il
juge ü propos d'introduire dans la traduction de M. de
Rouge, contre laduelle il exprime cependant des réserves
bien faites pour surprendre l'honorable académicien.
Je place maintenant en face l'une de l'autre ma traduction
et l'œuvre de M. Lenormant
M. CHABAS
L'an V, au troisième mois de
le neuvième jour, sous le
règne du roi de la Haute et-de la
Basse-Istgypte, Ramsès Il, aime
d'Ammon, vivant à toujours. Sa
Majesté était alors au pays de
T'ahi, dans sa deuxième expé-
dition de conquête. Bonne garde
était faite sur la personne du roi
dans la tente de Sa Majesté, au
fossé méridional de Kates'.
Le roi se leva semblable il la
lumière du soleil; il prit la pa-
rure de son père, le dieu Mont
(l'armure dcs combats), et con-
linua sa marche. Sa Majesté
s'avança jusqu'au midi de la
forteresse de S'abton.
Deux S'asou vinrent dire au
roi « Parmi nos frères que le
H'ita a placés dans les grands
M. LENORMANT
Le récit commence au début
de la cani pagne. Le roi d'Égypte,
à la nouvelle de l'invasion des
Schétos, s'est mis en marche à la
tête de son armée; il est parti de
la ville de Schebtoun au Sud.
TrompG par de faux avis, il est
venu établir son camp à l'aa-
mauro, un peu à l'ouest d'Etesch,
tout près de la grande armée des
Schétos, qu'il croit encore éloi-
gnée et qui est établie à peu de
distance de là, au sud de la ville,
à deux journées de Libou', au
sud de Tounar. Deux espions de
l'ennemi ont été arrêtés dans le
camp égyptien, et on les amène
devant le roi pour être interrogés.
1. C'est dugroupe
(qui se montre avec la variante
H'IRA13OU,H'IRABA)que M. Lenormant fait it deux
journées de Libou.
12 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
officier, on nous a envoyés pour
parler à Sa Majesté. Nous agi-
rons en serviteurs du roi. Lorsque
le H'ita nous retenait dans son
voisinage, l'abject H'ita était
établi à H'iraba, au nord de
Tunep. Il redoute Sa Majesté au
point de battre en retraite.
Nous avons, dans ce premier paragraphe, le discours des
deux espions de l'ennemi; ils appartiennent à la nation des
S'asou, qu'on voit apparaître plusieurs fois dans les textes
militaires; comme ils ne sont pas nommés parmi les peuples
alliés des H'itas, on est autorisé à les considérer comme
une tribu nomade qui vendait ses services à l'une ou à
l'autre des parties belligérantes. Le discours de ces espions
à Ramsès est fort intelligible c'est parmi des personnages
de leur espèce que le H'ita a choisi des Malaotous, officiers
dont les fonctions ne nous sont pas connues. On les a
envoyés faire au roi quelques communications, mais ils pro-
testent de leur dévouement à son service, et pour preuve
lui révèlent la position qu'occupent les ennemis.
La suite montrera que ces paroles n'étaient qu'une feinto
pour tromper le roi d'Égypte.
Je ne me charge pas de rapprocher des hiéroglyphes la
glose de M. Lenormant; mais je vois qu'il méconnaît com-
plètement le discours des deux espions, et je serais vérita-
blement curieux de savoir dans quel endroil du texte il a
découvert que Ramsès avait été trompé par de faux avis,
puisqu'il a lu tout autre chose dans le seul passage qui ait
trait à ces faux avis.
En revanche, M. Lenormant rencontre le discours des
S'asou précisément au moment où ces derniers ont disparu
de la scène, et dans un passage qui ne contient pas de dis-
cours puis, dans ce discours qui n'existe pas, il découvre
de bien magnifiques choses
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 13
« Ici, dit M. Lenormant, nous traduisons l'inscription
» dans laquelle toute cette scène est racontée de la manière la
»plus remarquable.
A la grandeur et à lasauvage
fierté des
»réponses que
les captifs scythes adressent au pharaon,on
» croirait entendre des prisonniers germainsdans un récit
» de Tacite. Ces réponses présententun grand intérêt par
» la manière dont elles distinguent entre les dispositions
» guerrières des envahisseurs scythiques, prêtsà
engagerla
» lutte avec les forces égyptiennes,et les inclinations paci-
»fiques de la population
des villes, probablement d'origine
»sémitique, tremblant devant la puissance des fils de
» Mitsraim et prête à se soumettre, mais opprimée parles
u redoutablesétrangers qui occupent
son territoire. » C'est
merveilleux, sans doute, mais lisons le texte
M. CHABAS
Voilà ce qu'avaient dit les
deux S'asou, les paroles par eux
dites au roi étaient une ruse le
Il'ita les avait envoyés pour dé-
couvrir ce que faisait le roi, afin
d'éviter que l'armée de Sa Ma-
jesté s'embusquât pour attaquer
le Ii'ita. Mais déjà l'abject H'ita
était venu avec les généraux de
toutes les nations, fantassins et
cavaliers, qu'il amenait pour les
faire participer à ses victoires,
et il se tenait embusqué derrière
Kates', la ville coupable. Le roi
l'ignorait; il continua sa marche
et s'aoança jusqu'au nord-ouest
de Kates’1
M. LENORMANT
Voici la parole des deux pas-
teurs, la parole qu'ils disent à Sa
Majesté « En multitude est le
Schéto, il se hâte pour s'opposer
au commandement de Sa Ma-
jesté, car il n'a pas peur de ses
soldats. Voici que la plaie de
Schéto vient avec tous les chefs
de tous pays, les fantassins, les
cavaliers qu'ils ont amenés pour
livrer la bataille. Cependant
l'immobilité suffocante de la
crainte est dans l'intérieur d'E-
tesch, cette misérable ville. Ils
invoquent Sa Majesté, dont ils
connaissent la sévérité, afin de
pouvoir lui dérober leurs tré-
1. Les mots soulignés ne se trouvent pas à Ibsamboul. Je les ai tra-
duits dans les textes de Bonomi.
14 L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL
Le roi étant installésursontrôned'or, vinrentles espionsqui étaientà son service;ilsamenaientdeuxespionsdel'ab-
ject H'ita. On les présentaauroi. Sa Majestéleurdit «Quiêtes-vous?Ils luidirent:« Noussommesa l'abjectH'ita;c'estlui
quinousa envoyéspourdécou-vrir le lieuoùsetrouveSaMa-
jesté.»Sa Majestéleur dit « Il a
désertél'abjectIl'ita,carj'aien-tendudirequ'ilestdanslepaysdeH'iraba.
Ils expliquèrentque l'abjectH'itas'étaitlevéaveclesnationsnombreusesqu'ilavaitamenéesaveclui pourlesfaireparticiperà sesvictoires,detouslespeuplesquisontdansl'étenduedespaysde II'ita, du paysde NaharaïnetdeKatitoutentier,toutes(cesnations)pourvuesd'archers'etdecavaliers,avecdesmunitionsconsidérablesetdesapprovision-nementsde bouche,et il futrévéléqu'ilsse tenaientprêtsà
attaquer,derrièreKates',laville
coupable.Alors le roi fit appelerles
générauxen sa présencepourqu'ilsentendissenttoutcequ'a-vaientdit les deuxespionsdeH'itaquiétaientdevantlui.
sors.»UndesdeuxserviteursdeSaMajesté,qui avaitamenéles
espionsde la plaie de Schéto,tremblanten sa présence,leurdit de la part de Sa Majesté«0 vous,répondez.QuedisentlesrebellesdelaplaiedeSchéto?Dites-nous-levite,parl'ordredeSaMajesté!»Et ilsrépondirentauroi «Elles'estlevéela plaiede Schéto,ô roi modérateurde
l'Égypte,pour une paroleor-
gueilleuseprononcéepar vousauxBabaï'.Ellevient,la plaiede Schéto,persistantavec lesnations nombreusesqu'elle aamenéespour en venir auxmains,detouteslescontréesquisontducôtédelaterredeSchéto,dupaysdeNaharaïnet deceluideTa-ta,puissanteparl'étenduedesesfantassinset desa cava-lerie,à causedeleurimpétuositéexaltéepar(lesmultitudes)nom-breusesquis'étendentcommelesable,qui se répandentavecla
rapiditédela flèche.Cependantl'immobilitéde la crainte ducombatest sur Etesch,la villemauvaise;leshabitantsattendentle bon plaisir de Sa Majesté,interpellantenfaceleschefspourqu'ilsfassentleurpaix.»
1. IcilesH'irabadeviennentlesBabaï,«lesAbii,lesplusjustesdeshommesn,ditHomère(voirp.9,note1).
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 15
Ma traduction suit une marche simple et régulière qui
serait presqueune justification
suffisante. Après le faux
rapportdes deux S'asou, Ramsès s'est imprudemment rap-
prochede Kates' et de l'armée ennemie, embusquée
derrière
cette ville; deux nouveaux espionssont arrêtés de vive
force et amenés devant le roi; dans l'une des peintures
accessoires de la scène, on voit ces deux espionssoumis à
la bastonnade et demandant grâcela légende de ce petit
tableau sert de commentaire, pour cet épisode,à la
grande
inscription;elle se lit avec toute certitude
« Arrivée de l'espiondu roi, amenant deux espions de
» l'abjectH'ita devant Sa Majesté.
On les bat devant le roi
»pour
leur faire dire où est l'abject H'ita. »
Les deux H'itas révèlent alors la véritable situation de
l'armée ennemie, et le roi fait appeler ses généraux pour les
gourmandersur leur défaut de vigilance.
M. Lenormant disloque et transforme ce texte simpleet
facile; il en fait la harangue inintelligible qu'on vient de lire
et pour laquelleil n'a pas
encore épuiséles
témoignagesde
son admiration, ainsi qu'onva le voir dans la
glosesui-
vante
M. CHABAS
Le roi leur dit (à ses génë-
raux): « Découvrez le fait des
préposés aux provinces étran-
gères et des généraux qui sont
au pays où est le roi. Ils ont fait
dire au roi dans l'exercice de leur
charge « Le H’ita est au paysde H'iraba; il se retire devant Sa
Majesté depuis qu'il en a entendu
parler », et cependant il leur ap-
partenaitde me faire savoir dans
M. LENORMANT,
La hardiesse d'un pareil lan-
gage surprend et indigne les
Ébypticns la parole qui nous
était adressée, le défi des mau-
dits, des vaincus aux chefs qui
étaient autour du roi les fit
s'écrier « Périsse le pays de
Schétol Et pour le défi des
Babaï', que leur terre disparaisse
de devant Sa Majesté, forte par
son activité, à cause de la plainte
1. Encore les BuLaï! Infortunés H’irabas! 1
16 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
l'exercice de leur charge ce que
je viens d'apprendre à cette
heure en faisant parler les deux
espions de l'abject H'ita; leH'ita
et les nations nombreuses qui
l'accompagnent avec hommes et
chevaux, comme un sable nom-
breux, se tiennent prêts à atta-
quer, derrière Kates', la cou-
pable, et cependant les préposés
aux provinces étrangères, ni les
généraux qui commandent les
terres du roi, ne l'ont pas su.
Ces choses dites, les généraux
qui étaient devant le roi dirent
que les préposés aux provinces
et les généraux du roi avaient
commis un acte odieux en ce
qu'ils ne s'étaient pas fait ren-
seigner d'avance sur tout ce que
faisait l'abject H'ita.
Tandis qu'ils parlaient, Sa
Majesté ordonna d'office ce qu'il
y avait à faire, et cet officier fut
chargé de courir à la recherche1
de l'armée du roi qui marchait
au sud de S'abton, afin de le
ramener au lieu où se trouvait
Sa Majesté.
Sa Majesté était encore assiseà
parler avec les généraux, lorsque
l'abject H'ita vint avec ses ar-
chers et ses cavaliers et avec les
nations nombreuses qui l'accom-
pagnaient. Ilspassèrent
le fossé
qui est au midi de Kates' et se
précipitèrent sur l'armée du roi i
qu'ils ont osé faire devant le
roi. »
Ramsès lui-même, du haut de
son trône, joint sa voix au con-
cert des imprécations de ses offi-
ciers il ordonne de mettre à
mort les deux espions, et dans
l'exaltationde sonorgueil blessé,
il appelle, comme Rodrigue, ses
ennemis au combat « Parle
1. Les mots en italique correspondent une lacune dans le texte.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUI 17
BIBL. LGYPT., T. X. 2
qui continuait sa marche et qui
ne savait rien.
Alors devant eux faiblirent les
archers et les cavaliers du roi qui
se rendirent au lieu où se trou-
vait Sa Majesté,et déjà la
troupede l'abject H'ita avait en-
entouré les serviteurs du roi qui
étaient auprès de Sa Majesté.
Alors le roi vit cela, il fut contre
eux comme une panthère, sem-
blable à son père le dieu Mont,
seigneurde la Thébaïde. Il se
revêtit de ses parures de combat
et saisit sa lance il était pareil
au dieu Baar, à son heure ter-
rible. Voilà qu'il monta à cheval
et prit son élan. 11 était seul de
sa personne, il pénétradans la
troupe de l'abject H'ita et des
nations nombreuses qui l'accom-
pagnaient. Sa Majesté, semblable
au dieu Souteh', le très vaillant,
sabrait et massacrait au milieu
d'eux, et les forçait à se jeter
renversés l'un sur l'autre dans les
eaux de l'Aranta.
« Toutes les nations me res-
pectent 1 (dit le roi), car j'étais
seul; mes archers et mes cava-
liers m'avaient abandonné; pas un
d'eux n'a tenu ferme pour reve-
nir au secours de ma vie! Mon
amour, c'est Phra ma louange,
c'est mon père Toum 1 Tout ce
que j'ai dit, je l'ai fait véritable-
ment devant mes archers et mes
cavaliers. »
maintenant, terre de Schéto,
viens avec toutes les contrées qui
te sont soumises, tes multitudes
d'hommes et de femmes, tes
chevaux nombreux comme les
grains de sable. La crainte qui
presse Etesh, cette cité maudite,
terrassera aussi les princes des
nations et tous les chefs qui
s'agitent dans le camp pour nous
combattre. »
L'armée se met en marche
pour atteindre les Schétos et châ-
tier leur insolence; elle rencontre,
embusquées à quelque distance
de son campement, les forces
ennemies, et la lutte s'engage
avec violence.
18 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
Dans la traduction qui précède, j'ai la conviction d'avoir
resserré l'erreur possible dans des limites très étroites, et
j'affirme résolument que pas un passage essentiel n'est
susceptible d'une correction de nature à modifier les sens que
j'ai donnés; quatre ou cinq expressions seulement laissent
prise au doute. Je les discuterai dans la seconde partie de
ce mémoire; les égyptologues qui compareront ma version
avec le texte voudront bien réserver leur jugement jusqu'à
l'apparition du prochain cahier de la Revue.
Quant à l'oeuvre de M. Lenormant, je n'ai pas le courage
d'en faire ressortir les incohérences. En la lisant, j'ai hésité
à croire qu'elle fût applicable à l'inscription d'Ibsamboul, et
mon hésitation n'a cessé qu'à l'inspection de quelques lam-
beaux de traduction de différents textes, dans lesquels
M. Lenormant me paraît avoir suivi une marche tout aussi
peu critique. Ce sont bien là les fruits de la méthode que
j'appellerai imaginaire, faute d'une expression qui rende
mieux ma pensée.
S'il était vrai que les deux traductions que je viens d'op-
poser l'une à l'autre fussent également possibles à des dis-
ciples de Champollion, si l'erreur pouvait prendre des
proportions pareilles, oh! alors, disons adieu aux espérances
qui ont salué la découverte de cet homme de génie; n'espé-
rons pas être jamais en mesure de proposer à la saine critique
des résultats dignes d'attirer son attention n'aftrmons rien
rien de la langue, rien de l'histoire, rien de la mythologie,
rien de la géographie. Que les hiéroglyphes retombent dans
leur oubli séculaire et que le nom de Champollion s'efface
de la mémoire des hommes! Comment! ce que l'un de ces
prétendus interprètes rend par s'asseoir sur un trône d'or,
un autre l'explique par dérober des trésors, et c'est là
peut-être une des moindres différences de deux versions
d'un même texte. De part et d'autre, nulle apparence de
tâtonnement; tous les deux affirment leur œuvre et la
commentent; ils semblent également sûrs d'eux-mêmes.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL19
Émules de Klaproth et de Goulianoff,recommencezvos
attaques!jamaisvousn'eûtes aussi beau jeu.Commeon le voit, je n'hésite pas à poser carrément la
question.Travailleurindépendant,je n'ai rien Ildemanderà
l'éâyptoloâieau dotade la satisfactiond'une passionpro-fondepourcetteétudesi attrayante. Depuissix années, j'yconsacreles instantstropcourtsque melaissentles travaux
demaprofessionet jesuisarivéseul,sanssystèmepréconçu,sans parti pris, libre de toute influence,à reconnaître lacertitude rigoureuse du système de Champollionet les
moyensde l'appliqueravecfruit. Je me sens en mesure defairepasserma convictiondansl'esprit de tout hommeintel-
ligentet sanspréjubés,et j'atlirmequ'une traductioncommecelle de M. Lenormant est absolument impossible, quejamais,par aucuneconsidérationdérivée des principes de
Champollion,le traducteurne pourrajustifierles sensqu'il a
adoptés, ni même expliquer ou atténuer ses erreurs. Undébutant dans l'étude avouera, s'il est de bonne foi, son
impuissanceà traduire, mais ce n'est qu'en abdiquant sontitre dedisciplede Champollionqu'il pourrait se permettrede défigurerun texte en y substituant les rêveries de son
imagination.Quedesmotssoientinexactementtraduits, quedesphrases
entièressoientmalcomprises,c'estcequidoitarriverpresqueinévitablement,dans l'état encorebien incompletdu voca-bulaireet de la grammaire. On ne peut même concevoir
qu'il en soit autrement,exceptédansdes textesbiensimpleset d'un enchaînement rigoureux. Aussi, faut-il toujoursplacerenpremièreligneles progrèsde la connaissancedela
langue;c'est l'uniquemoyende conjurerles erreursgraves.Gardons-nousdecéderaux entraînementsde l'imaginationet même des vraisemblances,sans être bien assurés quenousneprenonspoint notre point de départdansd'énormescontresens. C'est une précautionque ne connaîtrajamaisla méthodeimaginaire; semblableà je ne sais plus quelle
20 L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL
sciencedontondit qu'elle est si facileque tout le mondela
connaît, même ceux qui croient l'ignorer, cette méthode
peut tout traduire, même ce que ses adeptes regardentcommeinintelligible.Ainsi, tandis que M. Lenormantn'estnullementarrêté ni embarrassépar les lignesomisesdansla
copiede l'inscriptiond'Ibsamboul,il prétend ne rien com-
prendredanslePapyrusPrisse «Onn'estpas mêmeassuré,» dit-il, qu'a part la conclusiondes dernières pages, ce» texte doive être classé parmi ceux qui se rapportent à» l'histoire. »
Dans un récent mémoire sur ce papyrus, j'affirmai, au
contraire, que «ceux qui lisent couramment les récits de» l'Exodedans les papyrus du British Museumn'éprouve-» raient aucune difhcultépour la traduction entière de ce» vieuxmanuscrit». Chacunsait quecespapyrusde l'Exodesont dus à la plume de M. le docteur Heath. Les égypto-loguesne s'étaient, jusqu'à présent, guère occupésde cette
opinionsingulière,maisM. Lenormantvientdela reprendrepour son propre compte,considérablementcorrigéeet aug-mentée.
Or, tandisqueM.Lenormantaffirmesonignoranceabsolueàproposdu Papyrus Prisse, le révérenddocteuren publieàLondresune traductioncomplète, sans la moindrelacune,sansmarqued'hésitationsuruneseuleexpression1 Jerevien-drai sur cette publicationdans un prochainarticle. Je me
bornerai, pour le moment,à dire qu'elle n'ajoute rien pourmoi auxmincesrésultatsque j'ai communiquésaux lecteursde la Revue, dans le premier cahierde cette année.
J'ai mentionnéles papyrusde l'Exodeexpliquéspar M. ledocteurHeath. Les passagestraduits par l'honorablesavant
anglais forment la partie la plus considérabledu mémoirede M. Lenormant,duquel je m'occupeici. M. Lenormantnousexplique« qu'il a soumisces contradictionsà une cri-» tique sévèreet qu'il les a corrigéessurbeaucoupde points
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL21
» pour arriver à un résultat qui pût défier les attaquesdes
» adversaireslesplus décidés».
M. Lenormant,qui avouene pas savoirlire un mot dans
les dix-neuf pages d'hiéroglyphes si aisément lues parM. Heath, se croit cependant assez fort pour beaucoup
reprendreet beaucoupcorrige1'dans les traductions de cedernier.Ces messieurs s'expliquerontentre eux. Quant à
nous,nousconnaissonsactuellementlasévéritéde la critiqueet la certitudedes résultats de M. Lenormant; il prend la
peinede nousapprendreque la traduction de l'inscriptiond'Ibsamboula fait l'objetde soncourspublic au CollègedeFrancependantl'année1855.Il nes'agitdoncpasd'une étudefaite à la légère, c'est le texte qui a retenti dans la chairedeChampollion,ce sont les leçonsqui devaientrecruter denouveauxdisciplesà l'illustremaitre! Ab unodisce omnes.
Lespapyrusdu British Museumaurontleurtour d'études
analytiques;ils offrentassezde difficultéspourcommanderla réserveet la circonspection;lorsqu'ilsauront réellementlivré leurs secrets, les rapprochementsbibliques iront
rejoindredansle néant « les prisonniersgermains dans unrécit deTacite,le défidesBabai, leconcertdes imprécationset l'appel de Rodrigue », commentaires fantastiques detraductionsimaginaires.
II
Tellequ'elleest reproduitedans le grand ouvrage de laCommissionprussienne,l'inscriptiond'Ibsamboulcomprendquarante-cinq colonnes; indépendamment des colonnes
incomplètementcopiées,le texte donné par Champollionomet entièrement deux lignes essentielles; il se composeseulementde quarante-trois lignes. Quant à l'inscriptionduRamesséum,dont lescolonnessontplus longues,ellen'a
que vingt-cinq lignes, contenant le mêmetexte que celuid'Ibsamboul,plusdeuxphrasesadditionnelles.
22 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
Pour les références, je me servirai de la copie de la
Commissionprussienne, dont les lignes sont numérotées de
1 à 45. Dans l'espace qui sépare la vingt-huitième de la
vingt-neuvième ligne, le roi Ramsès, assis sur son trône,
interpelle ses généraux, humblement tournés vers lui; mais
cette scène, qui sert d'illustration au texte, n'interrompt pasle récit, et le commencementde la ligne 29 fait suite immé-
diate à la fin de la ligne 28.
L'inscription gravée sur la planche XXXII du grand
ouvrage de Champollion est, au contraire, indépendante de
l'inscription principale, le tableau d'assemblage (pl. XVII
bis) l'indique suffisamment; elle se réfère à l'arrivée d'un
corps de troupes égyptien, composéd'infanterie et de chars,
auquel les hiéroglyphes donnent le nom de Narouna du roi.
Champolliona été aussi malheureux dans la copiedece petittexte que dans celle de la grande inscription, car tandis
qu'on lit distinctement dans la copie de la Commissionprus-sienne
Pe ai iri en pe Narouna en aa Per Li.onle' out'a senb
La venue des Narouna du roi1
em pe to Amaour
daus le pays d'Amaour
la copiede Champollionomet cinq groupes et donne seule-ment PEAiENNAROUNAEMPEAAAMAOUR,ce qui ne formeaucun sens. C'est dans les derniers groupes de ce texte défi-
guré que M. Lenormant trouve le nom de Paamauro, qu'ilassimile à Bemmari, localité citée dans l'Itinéraire d'An-tonin'. Mais ni le pays d'Amaour, ni celui de Bemmari,
qu'on ne s'attendait pas à rencontrer ici, ne sont mentionnésdans le texte qui fait l'objet de cette étude.
1. Je rappelle ici l'observation que j'ai déjà faite relativement à la
traduction abrégée des formules qui servent à désigner la personne du
roi. [Cf. plus haut, p. 8 du présent volume].
2. Les Livres chez les Égyptiens, p. 274.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 23
Pour ne pas multiplier outre mesure les groupes hiérogly-
phiques dans le texte, je me contenterai de transcrire les
motségyptiens, d'après laméthode de lecture quej'ai exposéedans la première partie de mon mémoire'. Je ne ferai usagedu caractère spécial que lorsque la discussion analytique
l'exigera. Sous la transcription, je placerai la traduction mot
à mot de l'égyptien, et, pour la facilité des explications, je
couperai l'inscription en paragraphes dont je discuterai les
mots douteux.
La première ligne est presque entièrement occupéepar le
protocole habituel des inscriptions oflicielles; elle contient
la date, les nomset les titres du roi. Il n'y a rien à analyserdans cepréambule commun ai tant de documents. J'aborde
doncimmédiatement le récit
Ligne 1. As-t h'er-ew hi
Voilà que Sa Majesté (était)2à
Ligno 2. Tahi cm uti-ew II en neh't
T'abi dans son expédition 21 de victoire
La particule AS—T,par laquelle commence l'inscription,annoncela situation des choses, le fait accompli au moment
où l'on parle; on connaît les variantes AS,AS-TOUet AS—EK;le copte possède encore une particule dans ic et les
événements consécutifs sont amenés par laparticule
HAN,copte 2HNNE,voici que.Des textes nombreux et notamment les inscriptions du
grand temple d'Ammon-Ra à Thèbes, que M. Birch a nom-
méesavec raison les Annales de Thothmès III, montrent queles campagnesdes Pharaons à l'étranger étaient désignéessous le nom d'UTIENNEH'T,expédition de conquête ou de
victoine. Dans le style officiel, chacune de ces campagnes
1. [Cf.plushaut,p. 8 duprésentvolume].2. L'auxiliaire d'état est souvent sous-entendu en égyptien comme en
hébreu.
24 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
recevait un numéro d'ordre; nous sommes ici à la seconde
campagne de Ramsès II; les Annales de Thothmès III men-tionnent jusqu'à la treizième campagne de ce prédécesseurde Ramsès, à la trente-neuvième année de son règne1.
Ligne 2. Rcs nefer cm onli out'a senb ent am en
Veille bonne pour vie saine et forte dans la tente de
H'er-ecv hi l'es-t res ent Kates'
Sa Majesté au fossé méridional de Kates'
« On faisait bonne garde sur la personne du roi dans la
tente royale, au fossé méridional de Kates'. »
Le verbe RES,a eu les mêmes acceptions que
ses dérivés coptes phc, , vigilare, expergisci, custodire,
vigilia. Indépendamment des deux déterminatifs qui accom-
pagnent ici ce groupe, on le rencontre souvent augmenté de
la face humaine, qui semble n'y jouer qu'un rôle explétif;
l'expression si fréquente SOUTENRES,veut dire roi vigilant,
attentif, comme, par exemple, dans les inscriptions de l'obé-
lisque de Paris
Hik lien res hi hah h'ou
Souverain victorieux, vigilant pour chercher les glorifications
en. mes sou*
de celui qui l'a engendré
Au proscynèmede Ramsès-ashou-heb, à Ibsamboul, le roiest dit
Rcs hi hah sep neG monlc' ecn iri-t li'ou
Vigilant pour chercher occasion toute possible pour faira honneurs
en atew Hor3
à son père Horus
1. Lepsius, Auswahl, XII, 44; Denkmäler, III, 31, a, 10.
2. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 1" Ser., 42, face 2.
3. Champollion, Monuments de l'Égypte, I, 9, 2, 10.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 25
La même expression est appliquée à un architecte de
l'époqued'Amenemba IV'.
Dans la phrase étudiée, la bonne veilledoit s'entendre de
la garde attentive qui se faisait à l'entrée de la tente du
monarque. On trouve une formule analoguedans les Annales
de Thothmès III
Men-het mon-hot res res res em oin'
Courage Couragel Vigilancol Vigilauce; qu'on veille sur la vie
cm am en onh' ont'a senb2
dans la tente du roi
Du sens veiller, s'éveiller est dérivé de celui de se lever,se relever. On lit au Rituel
Res-ck ape-ek As-Ra3.
Lève ta tête, Osiris.
C'est le sens qu'a adopté avec raison M. de Rougé dans
ce passagedu discours de Ramsès
Po houi neb cm sen men res-ew sou
Le tombant tout d'entre eux non il relève lui.
« Quiconqued'entre eux tombera ne se relèvera plus. »
M. Birch a le premier signalé le sens du groupe
AM, tente, pavillon de guerre; cette valeur est certaine.Pendant leurs campagnes, les rois amenaient avec eux leurtente et l'installaient dans leur camp lorsqu'il est parlé del'érection de la tente royale, ou de la garde dont elle était
l'objet dans un lieu quelconque, c'est comme s'il était dit
que le roi y avait établi son camp. C'est ce que démontrent
1. Sharpe,EgyptianInscraptions,1"Ser.,82,3.2. Denkmäler, III, BI. 32, 13.
3. Todtenbuch, 151 b.
4. Papyrus Sallier III, 4/3.
26 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
diverses mentions des Annales de Thothmès III1, où l'on
voit en outre que le mot AMne désigne pas exclusivement
la tente royale, puisqu'un de ces objets figure au nombre des
prises faites sur l'ennemi'.
Une cause d'embarras est l'explication du mot T'ES,
qui se réfère à quelque accident de terrain au midi de
la ville de Kates'. Dans les tableaux d'Ibsamboul et du
Ramesséum, on voit que cette ville est située sur l'Aranta
qui l'entoure de ses eaux, en un point où le fleuve s'élargitconsidérablement. On distingue même un fossé intérieur
rempli d'eau, formant une seconde enceinte en avant des
murs crénelés. Peut-être le T'ESest-il le fosséextérieur dans
lequel on a détourné le cours de l'Aranta. Le groupe T'ES
correspond à une lacune du texte du Ramesséum, mais on
y lit, à la ligne 20, que pour surprendre Ramsès, l'armée des
H'itas passa le s'ET, qui est au midi de Kates'. Le
copte igoTe,fovea, fossa, fournirait une explication satis-faisante de ce mot, et l'on pourrait admettre que le s'ET du
Ramesséum et le T'ES d'Ibsamboul sont la même chose.
Tous les deux sont d'ailleurs une circonstance topographiqueobservée au midi de la ville de Kates'. Le sens fosse, fossé,est du reste admissible pour le mot T'ESdans tous les pas-
sages où je l'ai trouvé employé, soit qu'il représente la fosse
où se retire le serpent Apap3, soit qu'il s'applique à celle où
sont précipités les ennemis d'Osiris après leur immolation'.S'il reste quelque doute sur le véritable sens de ces mots,
nous savons tout au moins d'une manière bien certaine quele roi d'Égypte avait établi son camp en un lieu situé au
midi de la ville de Kates'.
1. Lepsius, Denkmäler, III, 31, 57.
2. Ibid., 32, 17.
3. Todtenbuch, ch. VII, titre; ch. xcix, 2.
4. Todtenbuch, ch. CXLVI,16, 17.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 27
Lig. 3. s'a H'er-ew h'a oubn-ra s'op-en-ew
Se leva Sa Majesté comme la lumière du Soleil il prit
h'akerou tew Mont.
les parures de son père Mont.
On trouve dans un grand nombre de textes' l'orthographe
pleine du groupe H'AKEROU;ce mot signifie pa-
rures, ornenaents, ajustenxents. Employés comme verbes,H'AKERet SEH'AKERéquivalent à orner, parer, embellir.
Ex. Iri-en-ew sib aa ennumseh'akercm aa ncb as'.Il a faituneportegranded'or, ornée depierretouteprécieuse.
La parure du dieu Mont, le Mars égyptien, n'est autre
chose que l'armure des combats.11est à peine utile de rappeler ici que, par euphonie, les
Égyptiens supprimaient souvent le pronom possessif de la
troisième personne du singulier masculin EW,après le mot
ATEW,TEW,père.
Lig. 3. Out neb em Lig. 4. k'et snel- H'er-ew er
Partit le seigneur en s'éloignant; s'approcha Sa Majesté au
res tele'a en S'abtoun.
midi de la forteresse de S'abtoun.
« Leroi continua sa marche et s'avança jusqu'au midi de
la forteresse de S'abtoun. »
II y a à faire à propos de cette phrase si simple une
observation importante dontla priorité appartientà M. Birch.
Dans les textes, l'expression H'ET, est cons-
tamment opposée à WENTI. La première signifie
1. Todtenbuch, 92-4, comparez le passage correspondant du Papyrus
Cadet; Todtenbuch, 142, 22; Greene, Fouilles à Thébes, I, 8; Sharpe,
Egyptian Inscriptions, 2nd Series, 3, 9.2. Denkmäler, III,16?.
28 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
partir, s'éloigner, se mettre en voyage l'autre, rentrer,
revenir; c'est ainsi, par exemple, que l'élu du ciel égyptien,investi de la faculté de prendre éternellement toutes les
formes à son gré va (H'ET)aux champs Aalu (l'Élysée)et en
revient (WENTI)1que dans l'hymne de H'emmès, ceux quimontent (H'ET)et qui redescendent (WENTI)la durée de la
vie adressent des acclamations à Osiris1. Après sa victoire
signalée sur les H'itas, Ramsès II revint (WENTI)vers le
Midi'. On trouve aussi l'expression H'ETen opposition avec
un mot assez rarement employé commeverbe de mouvement
H'ESEFI;c'est dans une de ces formules des
stèles funéraires qui invitent les passants à prononcer la
prière pour les défunts.
A retou neb-t sou-t-sen hi em ha-ten em h'et em
O hommes tous qui passent en face de cette stèle en allant et en
h'esefi em mera-ten
revenant dans vos cultures.
Du mot WENTIje signalerai la variante dont
le premier signe est l'hiéroglyphe du nez, phonétique FENTI,WENTI.
Il est bon de remarquer que ni l'une ni l'autre de ces
expressions ne s'applique exclusivement à la navigation.
Lig.4.Ai-ten s'asou II er t'ot. Lig.5. enH'er-ew.
vinrent S'asou II pour dire à Sa Majesté.
« Deux S'asou vinrent dire au roi. »
Il n'y a rien à discuter dans cette phrase dont le sens est
1. Todtenbuch,chap. LXXII,2.2. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 1" Ser., 97, 13 ibid., 1, 5.
3. Papyrus Sallier III, 10, 3.
4. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 1er Ser., 82, 8.
5. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 1" Ser., 44, 10. Conf. Todten-
buch, 72, 8.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 29
évident. L'identification des S'asou avec l'un des peuples de
la géographie ancienne est aussi incertaine que celle de
toutes les autres nations dont nous allons rencontrer les
noms, à l'exception de Naharain, la Mésopotamie, le paysdesdeux fleuves,dont les hiéroglyphes reproduisent exacte-
ment le nom biblique. Le pays des S'asou est plusieurs fois
cité dans les textes militaires. Sousle règne de Thothmès III,le capitaine Ahmès Pennob y fit de nombreux prisonniers1.Dans un texte curieux, mais malheureusement mutilé des
inscriptions d'Ibsamboul, Ramsès II est dépeint comme
ayant entraîné la Nigritie dans les pays septentrionaux,les Aamous (races jaunes de l'Asie centrale) dans laNubie,et le pays des S'asou dans celui de. 2. Le dernier mot
est détruit, et cette lacune nous privc d'une opposition quiaurait pu être utilisée pour les recherches géographiques.
Les S'asou ne figurent pas dans l'énumération des peuplesalliés des H'itas, mais le texte nous les montre offrant leurs
servicesaux parties belligérantes. On peut supposer, comme
l'a fait M.de Rougé,qu'ils appartenaient aux tribus nomades
des déserts de Syrie.
Lig. 5. Em nenou sennou enti cm aaou en rnahotou em
Parmi nos frères qui (sont) dans les grands des Mahotou par
ta pe Lig. 6. H'ila taaou nou en H'er-eu: er
le fait du H'ita, on nous a fait venir vers Sa Majesté pour
t'ot.
parler.
« Parmi nos frères que le H'ita a placés parmi les plusgrands desMahotou, on nous a envoyés pour parler au roi. »
Le discours des S'asou est digne d'attention, car c'est le
point capital de l'inscription. Ils parlent, comme on devait
s'y attendre, â la première personne du pluriel NOU,
1. Lepsius,Auswahl,ZweiSteine,etc.,ligne10.2. Champollion, Monunicnts de l'Égypte, I, 17/2.
30 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
ENNOU,copte anon et dans les composésn, est,nous. Ils se
recommandent d'abord de leur propre importance leurs
frères, c'est-à-dire leurs compatriotes, leurs pareils, ont été
placés par les H'itas parmi les plus considérablesde certains
officiersque le texte nomme Mahotou, et dont il serait dif-
ficile de préciser les fonctions. Dans les textes publiés parM. Greene, les Mahotou sont nommés à la suite de l'Oer',c'est-à-dire du chef militaire, du général. A Sakkara, un
Égyptien se vante d'avoir été véritablement l'affectionné
des Mahotou'. Je les considère comme des conducteurs ou
chefs de tribus, des espèces de scheiks. Les deux S'asou
expliquent ensuite qu'on les a envoyéspour faire une com-
munication au roi; le texte est assez clair pour se passer
d'analyse. Je crois cependant devoir m'arrêter un instant
sur l'auxiliaire TA,faire, donner, causer. Ce mot remplitun rôle très important dans la langue hiéroglyphique.
On a récemment contesté la prononciation Ti donnée par
Champollion, qui avait assimilé le groupe et ses va-
riantes au copte †, et l'on a voulu le lire MA.Les recherches
auxquelles je me suis livré m'ont démontré que les vues de
Champollionétaient justes. Il existe effectivement un verbe
MA, donner, qui s'écrit souventà l'aide d'un signe idéo-
graphique la main présentant un vase ce même signesert à écrire la syllabe MAou Niodans certains mots tels quemAu,la mère, MOFEK,cuivre, etc. Il n'est pas impossible queles deux signes et si voisins de forme et de sens,aient été confondusdans les textes, mais il est incontestable
que la langue antique a possédé simultanément les formes
TAou Tiet MA.Les diverses expressionset se prononcent réellement TAet sont des variantes qui
s'échangent continuellement. Les deux dernières ne sont
autre choseque la lettre i elle-même est une variante
1. Greene,FouillcsicThèbes,I, 26.2. Lepsius, Denkmäler, III, Bl.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 31
de la forme hiératique des deux signes est ordinai-
rement identique. Quant a et à leur valeur phoné-
tique TA,TI, est exprimée par toute une série de noms dont
ils forment la secondesyllabe, comme par exemple ceux de
Petammon, Petubastes, Petosiris, etc. En rassemblant les
variantes du groupe RETA ou ERTA,autre forme bien
connuede l'auxiliaire faire, donner, etc., on obtient l'équi-
valence suivante =
Si l'on supprime le signe commun, il reste
Je citerai aussi les formes et analogues à
dans lesquelles le segment o, t, remplit le rôle de com-
plément phonétique.Voici une phrase dans laquelle le scribe a cherché à faire
parade de sa connaissance des variantes sur un cercueil
conservé au Musée britannique, Osiris dit
Ta a onh' en As-ra. ta-en-a sou em netei-ou
Je donne la vie au défunt. Je donne lui parmi les dieux.
ta-en-a ak eto Per-ew
Je donne qu'il entre et qu'il sorte,
ou en termes corrects « Je donne la vie au défunt, je
1. Cette observation ne s'applique à que lorsque ce signe signifiedonner, faire, etc. Dans le corps des mots, c'est simplement une
voyelle; figurativement ce signe signifie le bras.2. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 1" Ser., pl. LXXV, lig. 10.
32 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
le place parmi les dieux, j'accorde qu'il entre et qu'ilsorte. »
Je renverrai également l'étudiant aux variantes
Sharpe, EgyptianInscriptions, 1st Ser., pl. LXXIX, lig. 14;
ibid., LXXXVI, 9; Denkmäler, II, 102.
Les verbes TAet ERTAont pour signification radicale
donner. Le thème TAou DAest commun à un grand nombre
de langues, notamment au grec et à l'hébreu. Comme
auxiliaires, ces mots remplissent des fonctions variées quidérivent toutes de leur valeur radicale. Ils représentent le
verbe impulsif, causatif, faire, comme dans nos formules
faine faire, faire tirer, etc. L'inscription de Rosette en
offre quelques exemples, notamment à la ligne 13 « Qu'ilsoit accordé aux habitants de l'Égypte qui le désireront,d'élever demême cette chapelle du dieu épiphanie. »
Er erta oun es em per sen
pour faire qu'elle soit dans leur maison
Ce qui correspond au grecA la ligne 14, se trouvel'ordre de faire élever la stèle tri-
lingue dans les temples
Erta ha eev
faire élever lui
Dans la petite inscription qui sert de légende à la baston-
nade infligée aux deux espions, il est dit qu'on les frappedevant le roi.
er ta sen t'ot pe enti pc to en H'ita am'
pour faire eux dire le où le pays de H'ita là
« Pour leur faire dire le lieu où se trouvait le peupleH'ita. »
1. Champollion,Monumcntsde l'Lgypte,I, XXIX,au bas.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSANIBOUL 33
BIBL. ÉGYPT., T. X. 3
TA et ERTAservent aussi a indiquer la nomination, la
promotion à un office.Mont-si, personnage qui vécut sous
les trois premiers Pharaons de la XII" dynastie, énumère
les cinq emploisqui lui furent successivement conférés et
se sert alternativement du mot TA, et de ERTA.
Ta-a H'er-ew em. an'fit moi Sa Majesté en scribe
et Erta-a H'er etc er an.
fit moi Sa Majesté pour scribe
Dansun autre monument de la même époque, la forme
estERTA'. Il en est de même au Papyrus Prisse,
planclie II, avant-dernière ligne.Ainsi TAet ERTAexpriment l'impulsion, l'incitation, la
cause. Après le carnage que Ramsès fit des H'itas, on netrouvait pas un endroit où l'on pût mettre le pied à causede la multitude des cadavres.
Littéralement
em. ta ae'ou sen
par le fait de leur multitude.
1. Sharpe, Egyptian Inscniptions,1st Ser., 83. Le phonétique ANpour
le signe a été indiqué par M. Birch, Mémoire sur zinc patère égyp-
tienne, etc., p. 53.
2. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 1" Ser., LXXXV, 5.3. Papyrus Sallier III, 7/9. M. de Rougé a paraphrasé tant les morts
étaient nombreux. Le phonétique de est AS', pluriel As'ou,
ainsi que le démontrent les variantes du nom d'un serpent mythologique
ciriptions, 1" Ser., 32; 2nd Ser., 5-9; l'expression Q qui suit
l'énumération des diverses denrées (Inscription de Rosette, lig. 4) est
l'équivalent de Sharpe, Egpptian Inscriptions,1st Ser.,
93, 3.
34 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
C'est dans ce sens qu'on doit traduire les formules dans
lesquelles il est dit que le défunt prend toutes les formes
cr tata het-cic1.d l'impulsiondesoncœur.
et non pas « pour placer son cœur».
Ces observations pourraient être poussées beaucoup plus
loin, mais nous rencontrerons dans la suite du texte des
exemples remarquables que j'aurai le soin de faire ressortir.
Ce que j'ai dit justifie surabondamment ma version de la
phrase étudiée. J'ajouterai seulement que la dernière partiede cette phrase est au passif
Ta aou-nou cr t'ot.
Nous avons été fait venir pour dire
Lig. 6. A ou-nou er iri-t bekou Lig.7. en aa per-ti onh' outa' senb
Nous sommes pour faire des serviteurs du roi.
« Nous ferons des serviteurs du roi. »
Le sens de ce passage est manifeste, car le groupe BEK,
copte âwn, servus, n'a pas besoin d'être discuté. Les deux
émissaires protestent de leur dévouement, afin de préparerle succès de leur fourberie.
Lig. 7. cm tou-nou raou-nou cm tri pe la'er en H'ita h'er peEn étant nous avoisinant par le fait du terrassé de H'ita, alors le
h'er en E'ita henise em H'iraba hi meht Tonap
terrassé de H'ita était établi à H'iraba au nord de Tonap.
« Lorsque le H'ita nous retenait dans son voisinage,alors le H'ita était établi au pays de H'iraba au nord de
Tonap. »
RAOUA,est le copte vicinia, vicinus;
1. Todtcnbucle,chap. 1,22.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 35
il signifie avoisiner, toucher, joindre, comme le démontre
cet exemple tiré du rituel
Raoua-cl;: er cw ape em ape
tu approches vers lui tête à tête.
L'action qu'indique ce verbe était faite à cause ou par
l'impulsiondu H'ita, ainsi que le montre l'emploi de l'auxi-
liaire TAque je viens d'étudier; la préposition H'ERannonce
la connexité de temps alors, en même temps, le H'ita était
assis, installé à H'iraba. M. Lenormant, qui bouleverse
tout ce texte, semble mettre le discours des S'asou dans la
bouche de Ramsès, qui croit, dit-il, l'armée des Schélos
encoreéloignée, tandis qu'elle est établie à peu de distance
de là, au sud de la ville, à deux journées de Libou, au sud
de Tounai,
Il n'y a dans les hiéroglyphes ni journées, ni Libou, ni
sud, ni Tounar. Le nom de cette dernière localité est cor-
rectement donné dans l'inscription du Ramesséum, sous la
formede Tonap qu'on retrouve dans d'autres monuments.
Lig.8. Snatou-ewen aa-pcr-tionh'out'asenb er-ai cmwentaIl a peur du roi en allant au retour.
Le mot SNATOUest le thème antique du copte cvt, reve-
reri, limere. Je crois superflu de le discuter ici. Je ferai
seulement remarquer que ce mot exprime également la peur
qu'on inspire et la peur qu'on éprouve. Il est dit, par
exemple, d'un conquérant
Rer snat-ew em h'aou sen3
Circule sa peur dans leurs ventres.
1. Todtenbuch, chap. lviii, 2.
2. Denkmäler, II. La copie de Champollion, fautive sur tant de points,donne Tonar, mais celle de la Commission prussienne montre que le
dernier signe n'est plus visible sur le monument.
3. Denkmüler, III, BI. 195.
36 L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL
« La peur qu'il leur inspire circule dans leurs entrailles »
et dans celledes inscriptions de la Statuette naophore quise réfère aux désastres éprouvés par l'Égypte pendant les
fureurs de Cambyse « Immense calamité qui eut lieu dans
le pays tout entier et dont il n'y eut jamais la pareille, grandeafflictionde la part de Dieu, » Out'a Hor-Soun déclare qu'ilfut délivré de sa peur quand il plut au dieu
Noltem en snat-a scp eu;.Sauvé de mapeur à songré.
Pour expliquer l'éloignement de l'ennemi, les S'asou
allèguent qu'ils craignent le retour de l'armée égyptienne.C'est dans ce faux avis que consiste la ruse des deux
émissaires, car la suite de l'inscription va nous apprendre
que, loin d'être campée en arrière des Égyptiens, l'armée
des confédérés a pris les devants et se trouve rassemblée
derrière la ville de Kates', près de laquelle le roi s'est im-
prudemment avancé.
Lig.9. As-t t'ot ne Il S'asou ne t'otou t'ot en sen enVoilàcequ'avaientditles2S'asou;les parolesditespareux à
H'er-ew cmat' Lig.10.aoupeH'ita ta aou-senSaMajesté(étaient)en ruse et le H'itaavaitfaitallereux
cr patar peenti H'er-ew am-en-hoem tem ta
pourdécouvrircequeSaMajesté(était)à faire,pournonfaire
Lig.ll. her-sou pe-kenouen H'er-ew er kcr hna peques'embusquel'arméedeSaMajestépourcombattreavec le
h' er· en H'ita
terrassé de H'ila
« Voilà ce qu'avaient dit les deux S'asou; les paroles qu'ils
avaient dites au roi étaient une ruse le H'ita les avait en-
voyés pour découvrir les projets du roi, afin d'éviter que
1. Statuette naophore, flanc droit du naos.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 37
l'armée égyptienne s'embusquât pour attaquer le H'ita. »
Ici, commeau commencement de l'inscription, laparticule
AS-Tannoncelefait accompli.Si le scribe eût voulu exprimer
que les S'asou allaient parler de nouveau, il eut écrit HAN
T'OT. Voici qu'ils parlèrent.Les paroles des S'asou sont caractérisées par le mot
AT', déterminé par l'oiseau du mal. Ce mot désigne
forcémentune action mauvaise, c'est le copte dolosus.
Dansles textes funéraires, il est question du châtiment du
fourbe (AT')1.Entew se vante d'épouvanter le trompeur sur
sa tromperie
Ilot at'ou hi at'ou-ew2.
Nous retrouvons ici d'excellents exemples de l'emploi des
auxiliaires; le H'ita avait envoyé (TAAou, faire aller) les
S'asou pour faire une chose que représente le mot égyptien
PATAR;ce mot a pour déterminatif la pousse
du palmier qui n'est qu'un complément phonétique de la
syllabeTER,TAR,et l'œil completouvert qui caractérise les
actes de vision, d'attention. Il signifie comme l'hébreu ina,PATOR,découvrir, apercevoir, inspecter, examiner, révéler,rendre paterzt, expliquer, manifester. Nous rencontreronsdans la suite du texte d'autres exemples de l'emploi de cemot d'occurrence très fréquente dans les hiéroglyphes.
Ce que les deux émissaires devaient épier est expriméparune phrase elliptique dans laquelle la préposition est
renvoyée à la fin. Ces tournures sont extrêmement fré-
quentes dans la langue égyptienne. Par exemple, la prièrepour lesmorts demande toutes les choses bonnes et pures,
Onh'neter am senVit Dieu par elles,
1. Sharpe, Ergyptian Inscriptions, 1" Ser., pi. LVII, 33.
2. Stèle d'Entew, ait Louvre, ligne 17.
38 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
« par lesquelles vit Dieu »; ce qui est le plus souvent
abrégé en
Onh' neter am
Vit Dieu par,
L'anglais traduirait presque littéralement: All the good
and pure things God lices with.
Dans la phrase étudiée, la préposition finale est complexe
AM-EN-HO.Sa forme la plus habituelle est AM-HO.
Rien de plus commun dans les hiéroglyphes, que les par-ticules complexes. Celle qui m'occupe exprime la mission,la charge prise ou donnée, ainsi qu'on le voit dans les ins-
criptions de Radesieh et dans un grand nombre d'autres
textes. Ainsi l'on trouve les formesTAEMHOENSOUTENAN',
charger le scribe royal de. ERTAEMHOENH'oRp,chargerle commandant; dans les annales de Thothmès III, il est
question en ces termes d'un mouvement prescrit à l'armée
entière
Erta entou em ho en Iferou er t'er-ew2
Fut donné mission à l'armée entière.
La suite explique l'ordre donné « Prenez vos armes,munissez-vous de vos casques, car on va se mettre en marche
pour attaquer l'ennemi. »
ERTAou TAEMHO signifie mot à mot mettre à la facede, maisla traduction littéraledes idiotismes est sansintérêt;il suffit d'en bien saisir le sens. Je crois qu'il ne saurait
subsister le moindre doute sur celui que j'attribue à AMHO
ouà sa forme complexe AM-EN-HO.Les deux S'asou avaient
été envoyés pour observer ce que Ramsès se proposait de
1.Champollion,Noticesmanuscrites,t. I, p. 574.2. Denkmäler, III, Bl. 140, 10; voyez aussi Sharpe, Egyplian Ins-
criplions, 2od Ser., 24, 1; 24, 4.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 39
faire; l'anglais: what the king was about (to do), rendrait
l'égyptien d'une manière régulière.Le reste de la phrase exprime le genre d'intérêt qu'avait
le H'ita à faire observer les mouvements de l'armée égyp-tienne c'était, dit le texte, pour ne pas faire quc l'armée
égyptiennefit atne action indiquée par le verbe
FIIR,pour attaquer le H'ita1
HIRest fort connu dans les hiéroglyphes comme thème
antique du copte 2.OTP> terreur, crainte. Des milliers
de passages dont le sens est manifeste, démontrent ce sensavec une rigueur absolue. Mais il est évident que cette
valeur ne convient pas ici, car le H'ita n'a aucun intérêt àéviter que l'armée égyptienne redoute une rencontre; ce
qu'il doit chercher à prévenir c'est une surprise, une attaqueinopinée de la part de cette armée. Or, dans l'une de ses
acceptions,le mot exprimel'attitude de l'animal qui s'apprêteà se jeter sur sa proie. Je citerai, à l'appui de ce sens, labelle légende d'an tableau militaire de Médinet-Habou,
représentant le roi Ramsès III partant avec son armée pourune campagneen Asie'.
.3H'er-ew er T'ahi !c'a ka en mont er
Va Sa Majesté à T'ahi semblable à la personne de Mont, pour
potpot 1 neb teh tes'aou-ew, kerou-ew3 h'at
fouler aux pieds nation toute violant ses frontières; ses soldats (sont) comme
1. Denkmäler, III, Bl. 32, lig. 12.2. Cbampollion, Mounuments de l'Égypte, pl. 219.
3. Le verbe de mouvement a disparu, mais le sens est certain.
4. Le groupe représenté par des points est terre, nation. La
valeur phonétique est encore incertaine. Dans la suite de mes trans-
criptions, je le remplacerai toujours par des points.5. L'hiéroglyphe du guerrier correspond à des valeurs phonétiques
variées. Ma transcription kerou est celle du groupe qui signifie cont-
battants.
40 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
kaou hir hi baou sesemou h'aa bekou en
des taureaux guettant sur des chèvres, les cavales comme l'épervier au
h'ennou roou
milieu des oies
Cette légende ne se réfère pas à une attaque actuelle, mais
seulement à la dispositionprise pour une attaque ultérieure;les soldats égyptiens s'apprêtent à se jeter sur l'ennemi,comme des taureaux sur des animaux faibles et timides.
C'estcette préparation à l'attaque qu'exprime le verbeHIR.
Ce même mot sert plus loin à caractériser la situation des
H'itas rassemblésderrière la ville de Kates' et prêts à fondre
sur les Égyptiens.Le poème de Penta-Our contient des exemples remar-
quables de l'emploi de HiRdans l'acception que je viens de
justifier et que M. de Rougé a parfaitement reconnue. S'il
arrivait que la langue française disparût un jour de la
mémoire des hommes et qu'on fût obligé de la reconstituer
analytiquement comme l'égyptien, on constaterait aisément
la valeur du verbe REDOUTER,mais le mot redoute, terme de
fortification, offrir ait l'investigateur une difficultéanalogueà celle que nous venons de rencontrer dans le verbe HIR.
Lig.11. As-t nc h'crenH'itaLig.11. aou hna oerVoilà que le terrassé de H'ita était venu avec chef
neb en. neb Ierou enthetorou-ou en enew cm
tout de nation toute fantassins et cavaliers d'eux amenés par lui pour
ta-ew em neh'tou haou kerou. Lig. 13. hir
mettre lui en victoires; ils se tenaient prenant embuscade
en ha en Ifatcei ta asi men reh' H'er-ew
par derrière Kates' la coupable. Non savait Sa Majesté.
« Déjà l'abject H'ita était venu avec tous les chefs de
toutes les nations, leurs fantassins et leurs cavaliers, qu'ilavait amenés pour les faire participer à ses victoires. Ils se
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 41
tenaient embusqués derrière Kates', la coupable. Le roi
l'ignorait. »
Ce paragraphe nous décrit la véritable situation de l'ar-
méedes confédérés, sur laquelleRamsès vient d'être trompé
par les deux S'asou. La particule AS-Tnous fait voir qu'il
s'agit d'une situation déjà occupée et non d'un mouvement
vers une situation nouvelle; tous les mots de ce paragraphesont connus,car il n'y avait d'embarrassant que l'expression
HIRdont nous venons de constater le sens. est une
forme abrégée de KER,prendre, tenir, avoir'.
J'ai consacré à la particule HA, un travail spécial',
qui a été autographié et dans lequel je démontre que cette
particule signifié deruiénc et non devant, comme l'avait
penséChampollion. C'est un fait hors de toute contestation.
M. de Rougé avait du reste pulilié ce sens avant moi dans
un ouvrage qui ne m'est pas connu.
Je ne puis garantir le sens précis de la particule injurieuseASI,donnée à la ville de Kates'. Je n'en connais qu'unsecond exemple dans un passagepeu intelligible des textes
publiés par M. Greene3. Ma traduction coupable esivpure-ment conjecturale; c'est peut-être vile, mépnisctble.
Quoiqu'il en soit, il est bien définitivement acquis par la
dissectiondu texte que, loind'être à H'iraba, commel'avaient
affirmé les S'asou, l'armée des confédérés se tenait prête à
l'attaque derrière la ville de Kates' et que Ramsès l'ignorait.Ici le texte du Ramesséum donne un renseignement impor-tant qui manque à Ibsamboul
Aou out' Her-cw em h'et sper cr meht ement Katcs'4
Sa Majesté repartit et s'approcha au nord-ouest de Kates'.
1. Voyez Chabas, Une Inscription historique, notes 57, 74, 85.
2. Nouvelle' Explication d'une particule de la lctngtte hiéroglyphique,
Chalon, 1858.
3. Greene, Fouilles à Thébes, 1, 6.
4. Sharpe, Eqyptian Inscriptions, 2nd Ser., 52, 7.
42 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'1BSADiBOUL
La phrase est interrompue par la disparition de la partie
supérieure de la ligne, puis il est parlé de l'armée du roi;si le texte était complet, nous y lirions probablement que le
roi n'emmena pas son armée; car la suite nous apprendra
que cette armée continuait sa marche au midi de S'abtoun,
lorsque Ramsès fut attaqué. Ainsi la ruse des S'asou eut le
succès qu'ils en attendaient; le roi, persuadé que l'ennemi
était loin, se sépara du gros de son armée et poussa une
reconnaissance au nord-ouest de la ville de Kates' derrière
laquelle les H'itas l'attendaient.
Lig. 13. Snet'em H’er-ew hi Lig. 14. aseb ente-noum ai-t
S'installa Sa Majesté sur le trône d'or vinrent
hapou enti em s'esou H'er-io en son
les espions qui (sont)parmi les serviteurs de Sa Majesté ils amenaient
hapou Il en pe h’er en Lig. 15. H’ita
espions 2 du terrassé de H'ita.
Rien n'est plus intelligible que ce passage. Le mot
SNET’EM,exprimé, soit phonétiquement, comme au Rames-
séum, soit idéographiquement, commeà Ibsamboul, est uneforme noble et poétique de l'expression s'asseoir. On doit le
rendre par trôner, siéger. Il s'applique parfaitement à l'atti-
tude imposante que le tableau d'Ibsamboul prête à Ramsèsdans cette scène, où l'on voit le monarque assis sur son
trône d'or, haranguant ses officiers.Le mot SNET'EMexprimeaussi la posture des pharaons portés dans leur riche palan-
quin lors des pompes royales'.Le mot ASEBveut dire trône, siège, ainsi que le prouve
le déterminatif, portrait exact de l'objet lui-mémo,tel qu'onle voit dans la peinture. M. de Rougé l'avait déjà expliqué1.
Les souverains de l'Égypte tenaient conseil dans toutes
1. Greene,Fouilles Thèbes,l, 17.2. Textes publiés par M. Greene, à propos de la pl. XXXII.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 43
les circonstances importantes; les textes historiques, l'ins-
cription de Kouban entre autres, rendent compte de ces
audiences et du cérémonial qui y était observé, et quiconsiste notamment en ce que le roi est assis sur son trône
et coiffé de l'une de ses couronnes. Dans le passage quinous occupe, Ramsès s'apprête à tenir conseil sur les cir-
constances de son exploration, lorsque ses éclaireurs lui
amènent deux espions du H'ita dont ils se sont emparés.Tout le monde est d'accord sur la signification du mot
HAPou, espion, dont le radical HAP,copte , signifiecacher, se cacher.
Lig. 15. Staou em ha-n'
amenés en la présence (du roi)
L'introduction des fonctionnaires ou des ambassadeurs est
toujours exprimée par legroupe
SAT,STA, qui
signifie passer, faire passer, présenter. Lorsque l'envoyédu chef de Bah'ten vint réclamer le secoursdu roi d'Égypteen faveur de la fille cadette de ce chef atteinte d'un mal
inconnu
Han cm sat-em em ha-n H’er-ew2
Voici qu'on présenta lui devant Sa Majesté
Le roi demande à cette occasionqu'on lui amène certains
personnages
Sat-en-ew hi-kahou3
présentés à lui sur-le-champ.
1. La prononciation de la préposition qui veut dire devant, en
préscnce, est encore incertaine. Prenant la valeur phonétique HAN du
phallus, je décompose cette proposition en em HA-N, en présence de.
Mais cette lecture est conjecturale. Heureusement le sens ne l'est pas.2. Prisse, Monuntents dc l'Égypte, pl. XXIV, lig. 7, 8.
3. Prisse, Monuntents de l'Égypte, pl. IX, 10.
44 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
Dans l'inscription de Kouban, le roi désire connaître l'opi-nion de ses hauts fonctionnaires sur la possibilité de creuser
une citerne sur le chemin des mines d'or du désert.
staou-entou hi kahou em-ha-n neter nofer1ils furent présentés sur-le-champ devant le dieu bon (le roi).
La même formule se rencontre pour la présentation des
intendants des travaux du temple d'Ammon' et pour celle
des Oérou de la région méridionale, dans une stèle de la
XIle dynastie. Dans ce dernier exemple, l'humble attitude
des officiers présentés est indiquée
Sat oerou to res erta cm ha-n hi
Présentation des Oérou de la terre du Midi, placés en la présence sur
h’etou sen3
leurs ventres.
Ajoutons enfin que l'expression étudiée était usitée pourla présentation d'objets divers. Dans l'une des peintures du
temple de Phra, à Amada, on voit en effet Aménophis II
présentant au dieu du temple quatre coffrets sacrés nommés
MÉROUS.La légende est
Sat mcrous
présentation des Mérous.
La tournure de la phrase analysée est elliptique le nom
du roi, qui devait être exprimé à la fin, est sous-entendu; le
même fait se présente dans le texte que je viens de citer,
d'après une stèle de la XIIO dynastie, et j'en pourrais invo-
quer bien d'autres exemples. Rien de plus fréquent que
1. Prisse,Monumentsde l’Égypte,pi. XXI, lig. 12.2. Denkmäler, III,11, 39.
3. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 1" Ser., 80, 3.
4. Champollion, Monuments de l’Égypte, I, 47, 1.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 45
cette élision dans les prières funéraires, par lesquelles on
demande pour les morts les aliments qui paraissent devant
les dieux, ce qui est fréquemment exprimé sans le complé-ment de la préposition devant1.
Lig: 15. T’ot en sen en H’er-ew entoten ah' t'ot sen tou-nou er
dit eux Sa Majesté vous qui? Ils dirent nous sommes
Lig. 16. pe li'er en H'ita entew ta aou-nou
au terrassé de H'ita; il a fait aller nous
er patar pe enti H'er-ecv am
pour découvrir le où Sa Majesté là
« Le roi leur dit « Qui êtes-vous? » Ils répondirent« Nous appartenons au H'ita; c'est lui qui nous a envoyés
pour découvrir le lieu où est Sa Majesté. »
Tous les termes de ce passage nous sont à présent bien
connus; il serait superflu de nous y arrêter.
Lig. 16. T'ot en sen en Lig. 17. H'er-ew souiennou en efu
Dit à eux par Sa Majesté; il a déserté
pe Ic'er en H'ita mak sotem-a er t'ot sou em Lig.18. H'iraba.
le terrassé de H'ita, car j'ai entendu dire lui dans H'iraba.
« Le roi leur dit « Il a donc déserté l'abject H'ita, puisquej'ai entendu dire qu'il était au pays de H'iraba? » Pour se
rendre bien compte de la syntaxe égyptienne des pronoms,l'étudiant fera bien d'examiner avec attention les formes
employéesdans la conversation du Soleil avec les dieux de
son cortège, dans les légendes du sarcophage de Séti 1er
(Sharpe, Egyplian Inscriptions, 1st Ser., pl. LXI à LXVII).Il y trouvera notamment les constructions suivantes ENSENENRA,ils disent au soleil; ENSENRA,à eux le soleil dit; ENENSENRA,le soleil leur dit; SENENRA,ils disent au soleil;
1. Compareznotammentles deuxpassages,Sharpe,EgyptianIns-criptions,1"Ser.,78,23,et 93,3.
46 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D’IBSAMBOUL
ENNENNE NETEROU,au même disent les dieux. Dans ces
exemples, le verbe T'OT,dire, parler, est sous-entendu, et
c'est là une circonstance d'occurrence fréquente que j'ai eu
l'occasion de signaler; ils démontrent la fonction servile et
arbitraire de ou préfixe, et font voir que les pro-
noms sujets, régimes directs et indirects, ne se suivent pasdans un ordre fixe, mais bien dans un ordre variable, selon
le caprice du scribe. L'ancien égyptien admettait les inver-
sions on en trouve même d'assez compliquées,mais je ne
puis entamer ici ce sujet, qui exigera un travail d'une cer-
taine étendue.
Dans la copie de la Commissionprussienne et dans celle
de Champollion, la phrase étudiée commencepar T'OTSEN
ENH'ER-EW,dit iz eux par Sa Majesté, ce qui peut être
correct à la rigueur par comparaison avec les formules que
je viens de signaler; mais toute incertitude est. levéepar le
texte du Ramesséum qui donne avant le premier SEN,eux,la particule du datif EN,à.
Le verbe SOUTENNOUm'embarrasse. Je l'ai rencontré dans
les textes, mais seulement avec le déterminatif de mouve-
ment et correspondant au copte co, tendre, étendre.
Ce sens ne convient pas au passage étudié, à moins qu'onn'admette une valeur dérivée, comme se disperser, se dé-
bander. Ramsès interroge les deux espions sous la préoc-
cupation de l'éloignement de l'ennemi que lui ont affirméles
S'asou; il s'étonne de la réponse dans laquelle ces espionsconfessent leur identité, et la pensée du monarque a puêtre celle-ci il s'étend donc bien loin le H'ita, puisque ses
espions sont près de moi et que son armée, à ce qui m'a été
dit, est au pays de H'iraba. Peut-être aussi se demande-t-il
si le H'ita déserte le combat, puisqu'il se retire si loin.
Dans ce dernier sens, le copte co, transfugere, fourni-
rait une explication admissible du groupe souTENNOU.Mais
les rapprochements coptes n'ont qu'une valeur relative sur
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 47
laquelle je n'aime pas à m'appuyer. J'ai exposé la difficulté;
on reconnaitra dans tous les cas qu'elle n'est pas de nature
à nuire à l'intelligence de notre texte.
MAKest une particule conjonctive que j'ai déjà rendue parcar dans mon mémoire sur le Papyrus Prisse
Mal: si nefer em tata neter1
Nam filius bonus ex dono Dei (est)
Lig. 18. t'ot entosen patar pe h'er en H'ita haou hna
Dirent eux l'explication: le terrassé de H'ita s'est levé avec
as'ou hna-ew en-eeo
uations nombreuses avec lui, amenées par lui
Lig. 19. cm ta-ew em neh'tou em. neb.t enti em oou
pour mettre lui en victoires de nation toute qui (est) dans l'étendue
en pe to en H'ita pe to en Naharan
de le pays de H'ita, le pays de Naharaïn
Lig. 20. pe Ifati er t’er-euwsetou aperou em kerou entlaetorou ker
le Kati tout entier; eux pourvus d'infanterie et de cavalerie avec
naisen s'a en2.
leurs armes de.
Lig. 21. as'ou setou em s’aou cn outeb petar set
nombreuses; eux avec provisions de vivres. Manifeste (est) cela
haou hir er ker ha Kates' ta
ils se tiennent guettant pour combattre derrière Kates' la
asi
coupable
Grâce aux analyses précédentes, nous n'avons plus rien
de douteux dans ce passage, si ce n'est peut-être le groupe
1. Papyrus Prisse, pl. IX, 5. Cf. Le plus ancien livre du monde,dansla Revuearchéologique,1858.
2. Groupe oblitéré. Je crois qu'il faut y voir les S'AOUEN' ARIKER, des
Annales de Thothmès III. Voy. E. de Rougé, Sur les textes publiés parM. Greene, p. 30.
48 L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED’IBSAMBOUL
oou, ou, qui signifieétendue, territoire. Je citerai
quelques exemplesà l'appui de ce sens.
Dans l'une de ses campagnes en Asie, Thothmès III sac-
cage la forteresse d'Aranta et celle de Kana, HNAOUEW,avec son territoire'; il est ailleurs question des forts qui se
rendirent EMPE ou ENANAUKASA,dans l'étendue du paysd’Anaukasa1.
La stèle d'Amada raconte que les habitants du territoire
de Tah'si (ou ENTAH'SI)tombaient renversés devant le
navire du conquérant'. Le défunt justifié, assimilé aux
dieux, circulait dans l'étendue (ou) de l'Élysée égyptien'.Aucun autre sens que celui d’étendue, territoire, ne me
paraît pouvoir convenir à cette expression.Le passage qui nous occupe constate que les peuples
confédérés contre l'Égypte appartenaient à trois groupes
principaux les H'itas, Nabarain et Kati; le territoire de
ces groupes était subdivisé en provinces secondaires, parmi
lesquelles le poème de Penta-Our énumère les suivantes quiavaient pris une part active a la guerre contre l'ÉgypteAratou, Maasou, Patasa, Kas'kas', Aroun ou Aloun, Kat'-
ouatan, H'iraba, Aktara, Kates', Raka, Tenteni et Kair-
kamash.
L'étude de cette géographie contemporaine de Moïse est
tout entière à faire; il n'y a rien de sérieux dans les rappro-chements qu'on a tentés jusqu'à présent; Tonap n'est pas
plus Thanara, qu'Amaouro n'est Bemmari, que H'iraba n'est
Liba, ni les Abii lesplus justes des hommes5.Si l'Aranta est
l'Oronte, comme c'est très vraisemblable, Kates' ne peutêtre Édesse, lors même que la lecture Atesh, proposée par
1. Denkmäler,III, BI.30,a. 10.2. Lepsius,Auswahl,XII,30.3. Champollion,Noticesmaauseriles,t. I, p. 106,lig. 17 de l'ins-
cription.4. Todtenbuch,ch. LXII,3.5. Fr. Lenormant,LesLivreschezlesÉgyptiens,p. 275.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 49
BIBL. ÉG\"PT., T. X. 4
M. de Rougé,serait exacte. Je l'avais d'abord admise moi-
même, mais les motifs quiont décidé MM. Birch, Lepsius
et Brugsch,en faveur de la valeur KAT, KOT, doivent l'em-
porter.Une preuve
convaincante de la lecture KOT dérive
de la comparaisondes variantes du nom de la bourgade
égyptienne quidevint la ville d'Alexandre. On trouve ce
nom dans la stèle du prêtre Pi-shere-en-Ptah, sous la forme
quicorrespond au copte pako, Rakoti. Dans
certaines variantes, le T n'est pas exprimé. Il est donc bien
certain que le signe équivaut à lasyllabe KOT et non à
AT ni à SAT. Édesse n'a donc rien à faire ici, non plus que
Cadès de l'Exode; mais on pourra chercher les ruines de
Kates' sur les bords du fleuve qui l'entourait de ses eaux et
dont le lit faisait, au voisinage de cette ville, un coude très
prononcé. Lorsqu'il possédera à fond l'intelligence des textes
égyptiens, l'investigateursérieux
y trouvera les seules indi-
cations certaines sur lesquelles il soit possible de compter
aujourd'hui. En attendant, il faut se garder des faciles illu-
sions d'une érudition àcoup de vocabulaire.
Lig. 22. Han erta H’er-ew os'tou oerou em ha-n
Voici que St Sa Majesté être appelés les généraux en présence
er ta sotem-sem
pour faire qu'ils entendissent
Lig. 23. T'otou-neb-t tot en pe hapou II en H'ita enci em
paroles toutes dites par les espions 2 du H'ita qui (étaient) en
ha-n
présence.
« Alors le roi fit appeler devant lui les généraux, afin
qu'ils entendissent tout ce qu'avaient dit les deux espionsdu H'ita qui étaient en sa présence. »
Cette phrase est d'une construction élémentaire elle ne
demande aucune justification.
50 L’INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
Lig. 23. T'ot en H’er-éw en-sen patar-ten pe sh'er en ne mourou
Dit Sa Majesté à eux « Découvrez le cas des préposés
s'aou en ne oerou en ne toou en aa-per-ti onh’ outa' senb
aux nations des généraux des terres du roi,
em ew
en ceci. »
Dans ma traduction des inscriptions du temple de Rade-
sieh, j'ai discuté le groupe sH'r..R,l'un des plus im-
portants de la langue égyptienne à cause de la multiplicitéde ses fonctions. Il signifie le plus ordinairement plan, des-
sein, projet, conseil; accessoirement, c'est le sujet d'un
tableau, la condition d'un marché, d'une convention; c'estaussi le fait, la situation, le cas, la condition, la circons-tarzce d'une chose ou d'un individu. Dans notre phrase, le
roi appelle l'attention de ses généraux sur le cas dans lequelse trouvent placés, par leur négligence, les fonctionnaires
chargés de l'instruire. Voyezle cas, le fait des préposés,etc.ils m'ont fait dire « le II'ita est à H'iraba, » tandis qu'ilest ici près de nous.
Dans la harangue qui termine l'inscription, Ramsès pro-clame que tous les faits (SH’ER)qu'il a rapportés, il les a
accomplis à la vue de son armée.
Le groupe MOUROUS’AAOU,est remplacé à
la ligne 30 par MOUROU. cette variante semble nous
donner ta valeur phonétique de mais il faudrait en
trouver d'autres exemples. J'hésite d'ailleurs sur la lecture
de l'hiéroglyphe qui représente un animal couché, et ne puis
garantir 10son S'AAouque j'admets provisoirement pour me
conformer à l'opinion la plus généralement adoptée.Deux ordres de fonctionnaires sont inculpés par Ramsès
1. UneInscriptionhistorique,p. 21, note92.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 51
les premiers sont les préposés aux nations, sans doute les
officierschargés de l'administration des pays tributaires; les
autres sont les généraux des terres du roi, c'est-à-dire des
provincesdel'Égypte. Ces désignations font ressortir l'oppo-
sition que j'ai déjà signalée dans l'emploi des groupes
et 1.
Lig. 24. iri sen ha hi t'ot en aa-per-ti onh’ outâ senb em monh'
Ils se sont levés pour dire au roi en office
Lig. 25. pe H'ita em pe to en H’iraba sou ouar er-hat-t
le H'ita (est) dans le pays de H'iraba; il se retire devant
H'cr-ew t'er qotem-ew er t'ot
Sa Majesté depuis qu'il a entendu parler
Deux expressions nous arrêteront un instant la premièreest EMMONH'in opere, in officio.Nous la retrouverons plusloin, dans deux autres passagesoù, comme ici, elle pourraitêtre supprimée sans nuire à la clarté de la phrase. Ainsi le
roi, continuant son discours, reproche it ses ofplciersde
n'avoir pas su lui dire EMMONH',ce qu'il vient d'apprendredes espions; puis, prenant des mesures contre le péril, il
ordonne EMMONH',ce qu'il y avait faire.Il me sembleque cette espèced'adverbe caractérise l'exer-
cice officield'un devoir ou d'un pouvoir quelconque. C'estdans ce sens que j'ai traduit. On sait d'ailleurs que le mot
MONH’signifie fabriquer, former, exécuter.
La seconde expression à examiner est OUAR;ce mot veut dire passer d'un lieu dans un autre, voyager.C'est le terme employé au traité des H'itas, dans les clausesdesgens qui passaient d'Égypte au pays de H'ita et récipro-quementdu pays de H'ita en Égypte'.
1. Une Inscription historique, p. 13.
2. Denkmäler, III, Bi. 146, !ig. 32, 33, 34.
52 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
Lig. 25. Maktout aou'-t h'er sen hi t'ot en H'er-ew em monh'
Cependant il allait à eux de parler à Sa Majesté en office
Lig.26. h'er patar iri-a sotem em tai ounnou em
d'après la révélation (que) j'ai fait entendre en cette heure en
ta pe hapou Il en pe h'er en H'ita er t'oi pe h'er en
faisant les espions 2 du terrassé de H'ita parler. Le terrassé de
H'ita aou hna. as'ou hna-ew em retou
H'ita est venu avec nations nombreuses avec lui en hommes
hetorou
et chevaux
Lig. 27. li'a as'ou s'a setou kaou ha Kates' ta
comme nombreux sables; ils se tiennent derrière Kates' la
asi
coupable
La particule conjonctive MAKTOUT commence la phrase;
c'est une forme compliquée de MAK, mot étudié plus haut;
nous trouverons plus loin li'FRTOu qui dérive de H'ER.
Dans le texte hiéroglyphique de Rosette, les alinéas sont
amenés par une expression analogue EM-OUTOUT, qui corres-
pond au grec %x!ou aL On trouve le même terme dans le
décret de Philæ et dans le traité des H'itas.
La phrase AOU-T H'LR SEN, il allait à eux, il leur revenait,
il lcttr appartenait, a ses analogies dans différents textes;
par exemple AOU ER HET-A, il va à mon cœur, il me convient1;
AK ES EM HET EN OUABOU, il est entré au cœur des prctres,
il a conacrau aux prêtnes, "EôoY o
L'expression TA ER T'OT, faire parler, est construite
comme SOTEM ER T'OT, entendre parler; devant l'infinitif,
la particule ER correspond à l'allemand zu et à l'anglais to.
1. Denkmäler, III, BI. 140, S.
2. Inscription de Rosette, texte hiéroglyphique, lig. 5; texte grec,
lig. 36.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 53
La particule hébraïque remplit fréquemment des fonctions
analogues.
Lig. 27. H'er tou aou bo rck' ne mouron hna ne oerou
Mais n'ont pas su, les préposés aux nations avec les généraux
enti ne toou en aa-per-ti onh' outa' senb er h'ct son
que les terres du roi à leur suite.
« Mais ils n'ont rien su, les préposés aux provinces étran-
gères, ni les généraux qui commandent aux terres du roi. »
Il n'y a d'embarrassant dans ce passage que les trois der-
et sert quelquefois à nommer le bâton sur lequel s'appuient
les défunts dans leurs courses d'outre-tombe. Le signe du
commandement des hauts fonctionnaires égyptiens, notam-
ment des OEROU est un bâton du même genre; mais est
aussi une abréviation de la préposition après, auprès,
à la suite, vers, envers. Je ne vois pas bien clairement l'ac-
ception préférable dans la phrase étudiée, mais il s'agit cer-
tainement d'une expression qui désigne l'autorité des Oerou
sur les nomes de l'Egypte.
Lig. 29. Aou t'ot ne oerou enti em ha-n H'er-ew
Vinrent dirent les généraux qui (étaient) devant Sa Majesté
er enti botu
qu'abominable
Lig. 30. aa pe irou en ne mourou. hna ne
beaucoup (était) l'acte des préposés aux nations avec les
oerou en -per-ti pe tem ta ha-t sotem-tou
généraux du roi; le non avoir fait d'avance être entendu
Lig. 31. en sen er pe h'er en H'ita en ped'eux pour le terrassé de H'ita en ce
Lig. 32. enti neb sou am
que tout lui à
54 L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUI.
CILesgénérauxqui étaientdevant le roi vinrentdire quec'était un acte très abominablequ'avaient commisles pré-posésaux provincesétrangères et les générauxdu roi, enne sefaisantpasrenseignerpar avancesur tout cequefaisaitle H'ita. »
Je ne reviendraipas sur l'explicationdestournuresellip-tiques dont nous retrouvons ici un échantillon; elles ne
peuvent embarrasser personne. Le phallus isolé signified'avance,par uvance,demêmequ'ilsignifiedevantlorsqu'ilest précédéde la particuleEMet auparavant avecla prépo-sition T'ER.
Lig.32.em-tousenlii t'ot, sh'a cnH'er-wenmonlt'han an-senÉtanteuxà parler,ordonnaSaMajestéenoffice;voiciquiétaient
Lig.33.cmho en t'et cr ous. keroit en H'er-wmissionà unofficierdecourir. lessoldatsdeSaMajesté
an sen hi mas'a
quiétaientà marcher
Lig.34. Itites s'abtouner enou-t-oucrpcenti H'er-ewamaumidideS'abtounpourramenereuxà leoù SaMajestélà
Je fais remarquerencoreune foislerôle spécialde la pré-position HAN)voici que; elle annonceun événement quiest la suite, la conséquencede ce qui précède,tandis queASse rapporteà un fait préexistant. Onnoteraaussidansce
passagel'excellentexemplede l'emploide la particuleanl-lio
quej'ai déjà discutée.
Le T'ET,est probablementun officiersecondaire
de l'armée; on trouve ce titre dans plusieurs textes dontaucun ne me fournit de renseignementssur la nature desfonctionsqui lui étaientattachées.
os, veut dire se hâter, courinvite;c'est le copte
Jwc,festinare.
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL 55
Ex. ar ab-ek sh'er cm korh ocit ou-w h'eper ous' ar
si tu désires projeter dans la nuit la clarté, elle se fera vite si tu
t'ot-ek en moou mi Izi toou per noun ous,
dis à l'eau « Viens du rocher, » il sort un abime d'eau vite.
Après le mot ous est une courte lacune due à la dégra-
dation de la muraille d'Ibsamboul; par un hasard fâcheux,
la même lacune existe dans le texte du Ramesséum, mais il
est évident qu'il s'agit de courir après l'armée égyptienne,
d'aller à sa recherche pour la ramener au secours du roi.
Lig. 34. As oun H'er-ew
Voilà qu'étant Sa Majesté
Lig. 35. senct'em hi t'odou hna ne oerou aou pe h'er cn Il'ita
assis à parler avec les généraux, et le terrassé de H'ita
aou Izna l,crou
vint avec soldats et
Lig. 36. enthetorou-ew cm h'a-t. as'ou enti
cavaliers de lui, pareillement nations nombreuses qui (étaient)
hina-ew t'ai sen ma s'et enti hir rcs Ifates'
avec lui; ils traversèrent du fossé qui (est) au midi de Kates';
setou aou em pe kerou en H'er-ew aou-ou hi
ils vinrent contre les soldats de Sa Majesté qui étaient à
mas'a aou men rch' sen
marcher et non ils savaient
« Tandis que le roi assis sur son trône parlait encore à ses
généraux, le H'ita vint avec ses fantassins et ses cavaliers
ainsi que les nations nombreuses qui étaient avec lui ils tra-
versèrent le fossé qui était au midi de Kates' et se jetèrent sur
l'armée du roi, qui continuait sa marche et ne savait rien.
Je me suis déjà expliqué sur les difficultés que présente le
1. Inscription de Kouban, dans Prisse, Monuments, pl. XXI, 13.
2. Id., ibid., pl. XXI, 17.
56 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
mot S'ET, le seul qui jette quelque incertitude dans la tra-
duction de la phrase. Le texte d'Ibsamboul s'arrête aux
groupes HI RES LATES', au midi de Kates'; la mention de
l'attaque contre l'armée égyptienne provient du Ramesséum;
mais le passage suivant, qui est commun aux deux textes,
montre que, dans le mouvement offensif, les confédérés
culbutèrent d'abord un des corps de l'armée qui se portait
au secours du roi.
Lig. 36. Han batas' kerou
Voici que faiblirent les soldats et
Lig. 37. enthetorou en H'er-ew er ha-t-sen cm h'et er penti
les cavaliers de Sa Majesté devant eux, en allant à où
H'er-ew am
Sa Majesté là
« Alors devant eux faiblirent les soldats et les cavaliers
du roi qui se rendaient auprès de Sa Majesté. 1)
Le seul terme nouveau dans ce passage est
BATAS', qui signifie faiblir, affaiblir, engourdir. Ce mot,
dont M. de Rougé a donné le sens dans sa traduction du
poème de Penta-Our, se rencontre au Rituel dans un passage
où il exprime l'engourdissement, la perte de forces qui est
la conséquence de la morsure d'un reptile'.
Lig. 37. As-tou anhou pe t'ou en pc h'er en H'ita nen
Voilà qu'avait entouré la troupe du terrassé de H'ita les
Lig. 38. s'esou en H'er-w enti er ma-ew han nemh
serviteurs de Sa Majesté qui (étaient) auprès elle; voici qu'aperçut
set H'er-ew
cela Sa Majesté
Le verbe ANHOU, entoacrer, envelopper, me semble trop
connu pour mériter une discussion spéciale; il en est de
1. Todtenbuch, CXLIX,27
L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAIItBOUL 57
même du groupe NEMH,observer, apercevoir,
surveiller, dont le sens est établi par un grand nombre de
passages sans ambiguïté. On n'est pas d'accord sur la valeur
phonétique du premier signe, l'oiseau becquetant à terre.
Je le lis NEMà cause des variantes
Todtenbuch, 146, 8.
Ibid., 146, 15°ari.
Ibid.,125, 6.
Papyrus Sallier III,
6/1.
est encore une autre forme du même mot. Ces variantes
donnent l'équivalence
Dans le groupe KENEMOU,que m'a signalé
M. Birch, la patte de l'animal est bien évidemment une
redondancede
Nnt, NEM.
Je citerai encore le mot SNEM,dans lequel
l'oiseau becquetant remplit le rôle du déterminatif du son
NEM.
Quand ausigne', je ne lui reconnais le son NEM que
dans certains cas, car il est bien certain qu'il n'a pas tou-
jours cette valeur. Par exemple, dans le nom des Nahsi, les
Nègres, il exprime fréquemment la syllabe NAH; il figureaussi la syllabe AAdans le nom des Aansous, les Asiatiques.Ce signe représente alors le poteau auquel sont attachés les
prisonniers de guerre et qui sert ordinairement de détermi-
natif aux groupes qui désignent les nations étrangères. C'est
58 L'INSCRIPTION HIÉROGLYPHIQUE D'IBSAMBOUL
un stigmate de barbarie auquel les scribes se contentaient
d'ajouter la dernière syllabe des noms méprisés que les
Égyptiens reconnaissaient aisément sous cet artifice d'écri-
ture. Lesigne 1 est
quelquefois aussi une abréviation des
groupes etil
dont le premier correspond aux phoné-
tiques TENNOU et KIM, et le second à RES. On trouve par
exemplepour
TENNOU, et pour
KIM, ce qui s'explique par un artifice graphique analogue à
celui que je viens de signaler. Il n'en résulte pas quesoit
constamment TENNOU ou KIM plutôt que AA, NAH ou NEM;
mais l'on doit conclure que cet hiéroglyphe admettait diverses
valeurs et probablement un plus grand nombre encore, selon
le sens des groupes dans lesquels on le trouve employé. Je
ne suis pas en mesure de donner de valeur phonétique de
Ces signes symbolico-phonétiques, qui laissent une si
grande marge à la fantaisie des hiérogrammates, ne sont
heureusement pas nombreux dans les hiéroglyphes.
Lig. 38 Han-ew s'ara er sen h'a tew Mont
Voici qu'il fut une panthère contre eux, comme son père Mont,
nob ouabou s'op en-ew h'akerou kerou
seigneur de la Thébaïde; il prit les parures du combat;
Lig. 39. t'ai-ew pai-ew t'irina sou h'a Baar ein
il saisit sa lance; il (était) semblable à Baar, à
ounnou-ew han-ew t'es er pew htùr au-ew hi
son heure; voilà qu'il monta sur son cheval; il fut à
Lig. 40. h'orp ous aou-etv oua hi ape-cw aou-ew ale em pe t'ou
s'élancer; il était un de sa tête (seul), il entra daus la troupe
ne h'er en H'ita hna. as'ou enti
du terrassé de H'ita avec les nations nombreuses qui (étaient)
hna-ew aou Her-ew h'a Souteh' aa-pehpeh hi
avec lui; était Sa Majesté comme Souteh, le très vaillant, à
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL 59
ouaoua hi sam em scm aou H'er-em hi ta
immoler,à massacrerau milieud'eux; fut Sa Majestéà faire
hou sen en kebkebouam oua hi oua er pe moouen Aranta
tombereux en cadavres en un sur un dans l'eau de l'Oronte.
J'ai suivi le texte de Ramesséum, qui est beaucoup mieux
conservé sur la fin de l'inscription. Le passage dont je viens
de donner le mot à mot ne présente pas de difficultés, et je
me contenterai d'un petit nombre de remarques.Le mot S'ARAest déterminé par le portrait d'un animal
de l'espèce féline, sans doute un léopard ou une panthère.Dans l'inscription d'Amada, le même mot se rapporte à la
cruauté ou à l'impétuosité d'un animal de la même famille1
Les tableaux militaires représentent Ramsès armé de
l'arc; mais ce n'est pas cette arme que désigne l'expressionT'IRINA.Aux chars de guerre étaient fixés, en avant, le car-
quois rempli de flèches, et, en arrière, une espèce de gainedans laquelle étaient placés deux lances ou deux longs jave-lots. C'est vraisemblablement ce que le texte nomme T'IRINA.
J'ai étudié plus haut le mot ous, qui désigne les actions
rapides. H'ORP signifie commander, dirige, et présenter,
offrir. H'ORP ous ne peut être qu'une sorte d'idiotisme
exprimant l'idée se mettre iz courir, s'élancer.
Le récit se termine avec ce paragraphe; le reste de l'ins-
cription est un discours de Ramsès
Lig. 42. Hat-a. neb-t aou-a ouakeoua aou h'aou-a
Me craignent nations toutes, j'étais seul et avaient abandonné
paï kerou tai enthetorou bo ha oua eni son er
moi, mes soldats et mes cavaliers; non a tenu un d'entre eux pour
annou en onh'a meriou-a Phra hasiou-a aterv
revenir à ma vie. Mon amour, c'est Phra; ma louange, c'est mon
1. Champollion, Notices manuscrites, t. I, p. 105, lig. 3 de l'ins-
cription.
60 L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL
Tum1assh'ernebt'oten H'er·a ari-asetouem maToum.Estfait toutditparmaMajesté,j'aifaiteux*envérité
emha-n kerou-a enthetorou-adevantmessoldatsetmescavaliers.
Je considère ce dernier paragraphecommesuffisamment
justifié par la traduction interlinéaire, et me dispenseraiconséquemmentd'ajouterà montravail de nouveauxdétails
analytiques. Il m'eût été facile d'entrer, à propos de la
plupart des mots discutés, dans des développementsplusconsidérableset plus concluantsencore,maisc'eût été faireun gros livre. Écrivantpourlespersonnesqui ont du moins
quelques notions du système de Champollion,j'ai dû
compter un peu sur l'expériencede mes lecteurs et meborner à justifierles mots et les formesles moins usités.Au surplus, l'inscriptiond'Ibsamboulpeut être considéréecommeun texte facile,et le mot à motque j'en ai donnéestde nature à satisfaireaux exigencesd'une critique de bonnefoi.J'ai du reste fait la part despointsdouteuxet, souscette
réserve, je me crois en mesure d'affirmerque ma versionest aussi certaineque peut l'être une traduction d'un texte
grec ou latin. C'est en effet vers une certitude rigoureuseque marche à pas lents,mais sûrs, le perfectionnementdela méthode de Champollion,qu'il ne faut pas confondreavec celle de quelques-unsde sesdisciplesprétendus.Montravail a eu pour but de faire ressortir cette importantedistinction; parmi les erreurs que j'ai relevées,ou que lelecteur pourra releverlui-mêmeen comparantma versionàcelledeM.Lenormant; il en est d'assezsaisissantes,d'assezmatériellespour frapper les yeux, non seulementdesdébu-tants dans l'étudedeshiéroglyphes,mais encoretout philo-
1. Cecirappellele cantiquede Moïseaprèsle passagede la merRouge, «Maforceetmalouange,c'estJéliovah»»(Exode,xv,2).
2.Plurielserapportantà uncollectif.
L'INSCRIPTIONHIÉROGLYPHIQUED'IBSAMBOUL61
logueétrangerà cetteétude.Onm'accordera,je l'espère,quedes résultatsaussidisparatesne proviennentpasde la même
méthoded'investigation.Celle que j'ai adoptéeet que jeconsidèrecommele développementnaturel desprincipeset
des recherchesde Champollion,a été exposé par M. de
RougédanssonMémoiresur l'inscriptiond'Ahmès,ouvrage
qui a réuni les suffragesde tous les savants.Maisil nesuffit
pasde louer, il fautcomprendreet surtout insister, et poury parvenir,un travail persévérant est indispensable.D'ac-
cordavecmoi sur le mérite de l'ouvragede M. de Rougé,M. Lenormant n'a cependant pas voulu s'astreindre à la
méthodesévèredu savantacadémicien ilen suit uneautre,
qui est favorable à la fantaisie et i1l'applicationdesidées
préconçues.Maislafantaisien'a pasde lois; travaillantsépa-rément sur des textes non encoreexpliqués,deux adeptesde cette méthode, que j'ai appeléeimaginaire,arriverontinévitablementà des résultats très différents.Miseau con-traire au service d'une idée préconçue,cette méthodeneconnaît pas d'obstacles; pour elle, les hiéroglyphesn'ont
plusdemystères,le vocabulaireégyptienplusdelacunes.
Mais,disons-lebien haut, il n'y a rien de communentrece vague système d'investigationet la méthodede Cham-
pollion,qu'il seraitinjuste de rendre solidairede semblablesécarts. Il est dureste une considérationrassurante,c'estquelessystèmesqui s'adressentà l'imagination,et nonà l'intel-
ligence,sontnécessairementstériles. Ils ne peuventfaire de
prosélytes;ils meurent avec leurs inventeurs,tandisque lascienced'observationpoursuit sans interruption sa marchedans la voie duprogrès'.
1.Depuisquecetravailestà l'impression,j'aireçuplusieursouvragesd'égyptologieauxquelsj'auraispufaired'utilesemprunts;jeciteraienpremièrelignelebeaumémoiredeM.deRougésur l'inscriptiondelaprincessedeBachten,la secondepartiede la GéographieantiquedeM.Brugschet leKönigsbuchdeM.Lepsius.
SUR
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES1
AVANT-PROPOS
A son passage à Aix en Provence, Champollion fut admis à
étudier les Papyrus hiératiques appartenant à M. Sallier. Avec sa
pénétration habituelle, l'illustre maître parvint à distinguer le
sujet de l'un d'eux et reconnut d'ailleurs que cette collection de
manuscrits datait du temps de Moïse. Acquis plus tard par le
Musée britannique, ils furent publiés en 1843, avec ceux de la
collectionAnastasi, sous le titre de Select Papyri in the HieraticCharacter.
Ces textes précieux restèrent longtemps négligés par les égypto-logues l'attention des savants ne fut réveillée qu'en 1852 par la
publication de la notice de M. de Rougé sur le Papyrus deMmod'Orbiney, aujourd'hui connu sous le nom de Roman desDeux Frères. L'éminent traducteur établissait d'une manière
péremptoireque ce manuscrit, qui avait appartenu à Séti II, filsde Mérienptah, successeur de Ramsès II, provenait de la mêmeécole de scribes que ceux du Musée britannique. On acquit ainsila certitude qu'il existait à la disposition des savants un recueil
d'ouvrages littéraires dont la confection matérielle remontait au
voisinagedes événements racontés par l'Exode.Ainsi caractérisés, ces manuscrits offraient un appât puissant à
la curiosité de tous, mais surtout au point de vue des annales
hébraïques. Il n'était pas déraisonnable en effet de supposer qu'on
1. Extrait de la lictue archéologique,2' série,1860,t. II, p. 223-241.
64 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
y pourrait trouver quelques mentions relatives aux désastres dont
l'Égypte fut frappée à l'occasion de la sortie des Juifs.
Sous cette préoccupation, le révérend D. S. Heath se livra, sur
les Papyrus hiératiques, à une étude dont, en 1855, il publia les
résultats dans un ouvrage intitulé The Exodus Papyri (les
Papprccs de l'Exode). Il y donnait la traduction de cinq de ces
documents.
Ainsi qu'on devait s'y attendre d'après le titre du livre, ces
traductions se prêtaient assez facilement aux rapprochements
bibliques; du sens littéral à formes un peu indécises qu'il avait
trouvé, l'auteur, à l'aide d'un commentaire ingénieux, faisait
ressortir ces rapprochements; il réussit ainsi à découvrir dans les
hiéroglyphes les noms de quelques personnages importants de
l'Exode et des allusions à plusieurs des événements racontés parla Bible.
Mais M. Heath, selon sa pittoresque expression, avait emportéd'assaut la langue égyptienne'. Dans cette brusque et vaillante
attaque, il s'était rendu maitrè d'un immense butin; malheureu-
sement il en fut ébloui lui-même entraîné par un décevant
mirage, il ne prit ni le temps ni le soin d'organiser sa conquêteet se hâta un peu trop d'annoncer au monde sa grande découverte
des papyrus de l'Exode. Dans la réalité, les traductions du savant
anglais étaient erronées et les rapprochements bibliques reposaientsur des contresens.
Malgré ses erreurs fondamentales, l'ouvrage de M. Heath té-
moignait d'un travail ardu et révélait en son auteur des qualitésrares même parmi les interprètes des hiéroglyphes; néanmoins
les égyptologues accueillirent avec assez d'indifférence ce livre
curieux à plusieurs titres. Je fus le premier à en condamner ouver-
tement les déductions, en les plaçant sur le même rang que les
chimères enfantées par les plus vagues systèmes d'interprétationMais après une nouvelle période de silence et d'oubli, les
Papyrus de l'Exode furent bruyamment remis en scène dans un
article publié par le journal littéraire le Correspondant 3. Ici,
1. Tlcc Exodus Pappri, p. 59 Thc egyptian language icill be
stormed.2. Le plus ancien Liere du monde; Revue archéologique,1857, p. 25.3. Numéro de février 1858.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 65
BIBL. ÉGYPT., T. X. 5
plus de textes indécis; sous la plume du nouveau traducteur
apparaissent aux yeux les moins clairvoyants les fléaux de
l'Égypte, les bijoux enleaés aux. Égyptiens, Moïse sauvé des
eaux, la destruction des Égyptiens dans la mer Rouge, la puri-
fication avec l'hysope, la corruption des Israélites par les fillesde Moab et de Madian, etc. Il n'est plus besoin de longs com-
mentaires.
Présentées comme le résultat des leçons de M. Ch. Lenormaut
au Collègede France, pendant l'année 1857, ces traductions, dont
on annonçait la justification prochaine, étaient accompagnées de
défis portés à la critique et s'imposaient ainsi à la confiance du
public. Néanmoins, malgié l'importance des faits annoncés,
malgré l'assurance de leur divulgateur, la plupart des égypto-
logues ne renoncèrent pas à leur système d'indifférence, et je fus
seul à penser que le silence était un acquiescement et non une
réfutation. Il me sembla dangereux de laisser s'accréditer d'aussi
énormes erreurs, dont le moindre inconvénient était de discréditer
la science du déchiffrement des hiéroglyphes et de compromettreles intérêts religieux qu'on croyait servir. L'article du Corres-
pondant eut en effet quelque retentissement dans certains organesde publicité; il fut notamment reproduit et commenté dans la
Revue calholique de Louvain, sur la fin de 1858, et dans le
journal italien la Sciensa e la Fede, au commencement de 18591.
L'impression de mon mémoire sur l'inscription d'Ibsamboul
dans la Reoue archéologique avait été retardée par des difficultés
matérielles. Dans cet article, que les lecteurs de la Revue n'ont
peut-êtrepas oublié', je m'étais attaché à mettre en relief la com-
plète inanité du système d'interprétation auquel était due la décou-
verte retentissante de faits bibliques dans les textes égyptiens;mais comme la démonstration s'appliquait à un texte différent,
je me proposai de faire plus tard un travail identique sur les
Papyrus hiératiques.Mes énergiques protestations ne devaient en effet pas suffire;
ceux que leur indication particulière portait à vouloir invoquerl'autorité des papyrus en faveur de la Bible, qui se passera fort
1. Janvieret mars 1859.2. [C'estl'article reproduiten tête du présentvolume.]
66 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
bien de cet inutile appui, n'en tinrent aucun compte. Dans un
récent mémoire sur la XIV' dynastie de llianéthon, M. Robiou,docteur ès lettres et professeur d'histoire, reprend le thème de
M. Lenormant. « Je ne veux pas nier, dit cet écrivain, que les
papyrus égyptiens analysés' ou traduits dans cet article (l'articledu Correspondant) parlent de Moïse. Ceci est au contraire pleine-ment démontré. 1 »
Et M. Robiou cite à plaisir ces prétendues traductions dans
lesquelles il relève les circonstances même très secondaires du
récit biblique.Assurément, si M. Robiou eût pu supposer qu'il n'y avait pas
un mot d'exact dans la version sur laquelle il s'appuie, il se fût
bien gardé de la prendre pour base de ses dissertations historiques.On ne peut guère au surplus lui en faire un reproche; car dans
l'état de morcellement des notions arrachées à l'interprétationsaine des textes et des monuments égyptiens, il est très difficile
aux savants étrangers à la méthode de faire un choix éclairé. Les
véritables égyptologues n'avancent qu'avec une réserve extrême;car s'il leur est aisé de reconnaitre la fausseté des traductions
imaginaires, il ne leur est pas toujours possible d'arriver sans
de grands efforts reconnaître le véritable sens des textes; leurs
allures se ressentent un peu des difficultés de la matière et de la
marge d'erreurs possibles aussi ne doit-on pas s'étonner de voir
M. Robiou traiter de simple hypothèse l'opinion de M. de Rougésur l’identificationdu pharaon de l'Exode, tandis qu'il accepte très
volontiers, de la part do M. Lenormant, l’Iannès qui résisla à
Moïse.
Or, il n'y a dans les papyrus pas plus d’Iannès que de Moïse,
pas plus de Jaifs que de peuple de Scna, pas plus de circoncision
1. Annales dc pleilosophicchrétienne,septembre1859, p. 177. Onsait que le pharaon qui opprima les Hébreux les avait occupésà laconstructionde diverses forteressesdont l'une porte le nom de Ramsès
(Exode, i, 11).C'est un trait exact desusageségyptiens; les textesori-
ginaux mentionnentdes citernes, des temples,des forts,des tours,etc.,désignéspar le nnm des rois qui les firent établir. Cependantle thèmedeM. Robiouconsisteà démontrerque lesHébreuxsont sortis d’Égyptesous le règne d'Horus, c'est-à-dire avant qu'aucun des Ramsès eût
régnésur l’Égypte.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 67
que d’hysope, pas plus de magicien que d'assoupissement dans
les eaux; il ne s'y trouve même rien d'approchant et c'est ici le cas
de répéter, pour l'honneur de la méthode, ces mots que j'ai déjàécrits dans mon mémoire sur l'inscription d'Ibsamboul « Des
traductions aussi erronées sont absolument impossibles. »
Détourné de l'étude des papyrus du Musée Britannique par un
travail considérable qui va bientôt paraître, j'ai accepté avec joiela proposition que m'a faite mon honorable ami, M. Ch. WycliffeGoodwin,de traduire pour la Reoueses recherches sur les mêmes
monuments. M. Goodwin en a déjà fait l'objet d'une dissertation
spéciale dont les principaux résultats ont été consignés dans les
Essais de Cambridye'. Personne mieux que lui n'est à môme de
donner à l'explication de ces documents une forme analytique,satisfaisante pour la critique, qui a le droit de se montrer exi-
geante. De l'étutle qui va suivre découleront un grand nombre
de faits curieux pour les mœurs et les usages des temps pharao-
niques. Elle mettra d'ailleurs un terme à une lourde erreur quia déjà trop duré, et les Papyrus de l'Exode cesseront d'en imposerà la crédulité publique.
1
En 1858, j'insérai dans les Essais de Cambridge un
article traitant des Papyrus liiémtiques'. Mon but était
alors de résumer pour le public en général les résultats
des recherches les plus récentes dans cette branche de la
philologie. J'y rendais compte du Ronaan des Deux Frères
et du poème de Pen-ta-our3, d'après les traductions de
M. de Rougé, ainsi que des Maximes de Ptah-hotep, ex-
pliquées \1ar M. Chabas 4, et j'y avais joint, comme résultat
1. Vol. de 1858, p. 226.
2. Hieratic Papyri; Cambridge Essays, 1858, p. 226 sqq.3. Le Poéme de Pen-ta-our, Paris, in-8".
4. Le plus ancien livre du monde; Recue archéologique, t. XV, p. 1.
68 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
de mes propres travaux, la traduction de divers passagesdes Papyrus Sallier et Anastasi ainsi que mes vues sur les
parties de ces documents que je ne pouvais traduire avec
certitude.
Écrit pour le public en général, cet article ne contenait
aucune analyse littérale des textes interprétés. Il eût été
du reste difficile d'aborder ce genre de justifications sans
l'assistance d'un type hiéroglyphique tel que celui qui existe
en France. L'Angleterre ne possède encore rien de sem-
blable. Cependant, en matière d'égyptologie, on ne peutêtre admis à imposer à la confiance des savants des traduc-
tions que bien peu de personnes sont à même de vérifier,si l'on ne peut en même temps faire connaître le procédéau moyen duquel on s'est rendu compte des sens qu'on a
adoptés.Aussi ai-je saisi avec empressement l'occasion de m'ac-
quitter de cette obligation, en acceptant l’offre obligeantede mon ami, M. F. Chabas, qui veut bien traduire et insérer
dans la Revue archéologique les explications analytiques
que je suis en mesure de donner.
Ces justifications sont d’autant plus nécessaires que mes
vues, en ce qui touche le contenu des Papyrus épistolaires,diffèrent complètement de celles d'un de mes compatriotesqui m'a précédé sur ce champ de recherches. Je veux parlerdu Révérend D. S. Heath. Dans un ouvrage intitulé Les
Papyrus de l'Exode (Londres, 1855) M. Heath s'est efforcé
de démontrer que ces papyrus sont en rapport avec quelques-uns des faits relatés dans l’Exode. Quant à moi, je n'y vois
absolument rien de pareil, mais seulement des lettres fami-
lières sur différents sujets sociaux et moraux et sur les attri-
butions ordinaires des scribes pharaoniques.
N'ayant en vue aucun système spécial d'histoire ou de
chronologie, j'ai limité ma tache à l'élucidation de la teneur
1. TheExodusPapyri,London,1855.
SUR LES PAPYRUSHIÉRATIQUES 69
véritable de ces documents, d'après les principes de la saine
philologie, avec l'espoir d'étendre nos connaissances sur
l'antique langue des Égyptiens, et sans prétendre au but
plus ambitieux d'en déduire des conclusionshistoriques.Les Papyrus hiératiques, ceux du moins qui ont un carac-
tère littéraire, offrent à l'investigateur consciencieux de
riches matériaux pour la reconstruction de la langue des
Pharaons. Sous le rapport de la valeur philologique, ni le
rituel, ni les autres textes funéraires, ni les inscriptions
historiques officielleselles-mêmes, ne peuvent être comparésavec les monuments de la littérature hiératique. Ils ont
servi, il faut le reconnaître cependant, à jeter les fondements
de la science; mais il sera bientôt temps de faire luire sur
ces textes mystiques, ou de formes traditionnelles, la vive
lumière qu'ils nous ont aidé à faire jaillir des écrits hiéra-
tiques. Grâce à ce secours inespéré, nous réussirons enfin à
comprendre les passages les plus obscurs du Rituel, et nous
obtiendrons des monumentshistoriques de plus solidesinter-
prétations.Dans mon présent mémoire, je me propose de donner la
traduction des Papyrus Sallier et Anastasi, au moins dans
les passages que je regarde comme les plus intelligibles etlesplus instructifs au point de vue de l'étude de la langue.Je justifierai chacune de mes traductions et ferai ressortir
avec soin tous les points restés incertains dans mon esprit.Mais avant d'aborder ce travail analytique, je crois devoir
jeter un coup d'œil général sur l'ensemble des matériaux
que comprend cette étude et sur l'état actuel de la scienceà leur égard.
La première mention revient de droit au Papyrus Prisse.Un fac-simile de ce vénérable document a été publié parM. Prisse d'Avenne'. Malheureusement l'édition en est au-
1. Fac-similed'ititPapyrusÉgyptientrouvéicThèbes,donnéà la
Bibliothèqueimpérialeet publiéparE. Prissed'Avenne.
70 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
jourd'hui épuisée. M. Chabas a montré la nature de ce
papyrus et en a convenablement traduit quelques passages,mais la majeure partie attend encore un traducteur. Il se
compose de dix-huit pages dont les seize dernières con-
tiennent les sages maximes de Ptah-hotep, fonctionnaire
du temps du roi Assa, de la VIIedynastie. C'est donc avec
raison qu'on a appelé ce beau manuscrit le plus ancien livre
du monde. L'écriture en est remarquablement hardie et
nette; elle se distingue notablement de celle de l'époque des
Ramessides, et la même distinction peut être faite à proposde la langue et du style. Les deux premières pages se rap-portent à la fin d'un ouvrage de sujet analogue, mais peut-être d'un auteur différent. Il existe quelques motifs de
croire que ce papyrus a été trouvé dans la tombe d'un roi
de la XI" dynastie. L'exécution matérielle du manuscrit
pourrait être de cette époque, quoique la composition des
ouvrages qu'il renferme remonte à une époque encore plusreculée.
Le Papyrus d'Orbiney contient l'histoire de deux frères.M. de Rougé en a publié la traduction dans la Revue archéo-
logique, en 1852.Acquis par le MuséeBritannique,l'originalest sur le point d'être publié.
Œuvre d'un scribe de la XIX" dynastie, nommé Anna ou
Enna, le conte écrit sur ce papyrus paraît avoir été composé
pour le roi Séti II, alors enfant. Il est probable que le ma-
nuscrit mêmea appartenu à ce pharaon avant son accessionau trône. On voit, écrits au revers du rouleau, le nom et les
titres de ce prince. Le texte est de beaucoup le plus aisé quisoit parvenu jusqu'à nous; l'écriture en est magnifique etla conservation presque parfaite. Ce sera désormais le texte
par excellence pour l'étude de l'hiératique. On comprendsans effort le récit, qui est conçu dans un style simple et
clair, et il est peu de passages prêtant au doute. Du restela traduction de M. de Rougé, complèteet satisfaisante dans
tous les points essentiels, laisse peu de chose à modifier
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 71
dans les détails. L'étudiant la suivra sans la moindre dif-
ficulté dès que le texte aura paru.Dans les premières pages de ce papyrus, une main igno-
rante a essayédedissimuler quelques lacunesen y inscrivant
des signes de sa façon. Les interpolations qui pourraient
échapper à l’œil d’unobservateur ordinaire seront aisément
reconnues par les personnes familiarisées avec l'hiératique.Avec lePapyrus d'Orbiney sera publié le Papyrus Abbott,
autre excellente acquisition du Musée Britannique. Ce ma-
nuscrit contient le rapport de certains fonctionnaires sur
l'état des tombes royales dans la nécropolede Thèbes. Même
à ces temps reculés l'œuvre de spoliationdes sépultures était
commencée, car les tombes offraient un riche butin à l'avi-
dité des voleurs qui infestaient la capitale des Pharaons.
De là vint la nécessité d'inspections périodiques. Celle querelate le Papyrus Abbott date, je crois, de la XX" dynastie.C'est M. Birch qui a fait connaître le contenu de cet inté-
ressant document1.
Treize papyrus publiés par le MuséeBritannique en 1844,sous le titre de Select Papyri in the Hieratic Character,
proviennent des collections Sallier et Anastasi. Les PapyrusSallier sont numérotésI à IV, et les Papyrus Anastasi I v IX.
Voici quelquesnotions sur le contenu de ces documents
Le Papyrus Sallier I commence par un fragment histo-
rique se rapportant à l'époque qui précéda l'expulsion des
Hyksos. Malheureusement, ce fragment, très usé par le
temps, a été interrompu par le scribe lui-même, qui y a
substitué sans transition une compositiond'une nature tout
à fait différente. Sans ces regrettables mutilations, ce docu-
ment aurait une grande valeur, soit à cause de son sujet,soit à cause de la forme simple et claire du style, qui est
des plus intelligibles.Le reste du papyrus est rempli par une collectionde lettres
1. LePapyrusAbbott,Revuearchéologique,XVI'année,p.257.
72 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
faite par le scribe Pentaour. Elles sont au nombre de dix;
il y a en outre quelques lignes appartenant au commence-
ment de la onzième. A l'exception d'une seule qui est écrite
par le scribe Pentaour lui-même, ces lettres sont attribuées
à un autre scribe de rang élevé, nommé Amen-em-an. Cette
compilation parait avoir été arrangée sous le règne de
Ménephtali Ba-en-Ra, successeur de Ramsès II.
Le Papyrus Sallier II contient trois pièces différentes. La
première a pour sujet une collection d'avis ou de prescrip-tions que le roi Amen-em-ha I adresse à son fils Osortasen I.
Dans la pièce suivante se trouvent les instructions d'un
scribe nommé Sbauf-sa-kharta à son fils Pépi. Le style en
est poétique; l'auteur y compare les occupations ordinaires
des hommes de divers états avec celles du scribe, et montre
la supériorité qui appartient à ces dernières.
La troisième composition est une hymne de louangesadressée au Nil.
Ces trois ouvrages paraissent avoir été composés par le
scribe Enna, l'auteur du Roman des Deux Fréres.
Le Papyrus Sallier III contient le récit semi-poétique d'un
exploit de Ramsès II dans l'une de ses expéditions contre
les Khitas ou Hittites. Cette composition est due à la plumedu scribe Pentaour. On connaît l'excellente traduction qu'ena publiée M. de Rougé en 1856. Un abrégé du même texte
est inscrit en hiéroglyphes sur les murs du temple d'Abou-
Simbel et sur ceux du Ramesséum de Thèbes. On a pu, parce moyen, suppléer aux lacunes du papyrus, dont les pre-mières pages ont disparu. M. Chabas a publié dans la Revue
archéologique, 1857, une traduction analytique du texte
d'Abou-Simbel'.
Le Papyrus Sallier IV est un almanach des jours fastes et
néfastes de l'année. Il n'est malheureusement pas complet.On y trouve un grand nombre de curieuses mentions rela-
1. [C'estle mémoirereproduiten tête du présentvolume.]
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 73
tives à la mythologie égyptienne. M. de Rougé en a traduit
quelquespassages dans la Revue archéologique, 1854.
Le Papyrus Anastasi 1 est une espèce de notice biogra-
phique contenant les actes et les dires d'un haut fonction-
naire de la XIX° dynastie. Entre autres sujets, il contient
le récit d'un voyage en Palestine. Cette pièce est d'une
forme singulière, en ce qu'elle est adressée à la personnemême qui en est le héros. Ses propres aventures lui sont
rappelées par l'auteur, qui y entremêle à profusion les
louangeset les formules d'adulation. Il est à regretter quece manuscrit soit mutilé en beaucoup d'endroits.
Dans le Papyrus Anastasi II, sorte de miscellanée, on
trouve d'abord un court exorde d'histoire, puis des lettres
et des communications de politesse. Quelques-unes de ces
pièces sont des duplicata de compositions existant dans
d'autres papyrus. Je considère cette collectionde documents
de diverse nature comme un recueil de modèles à l'usagedes jeunes littérateurs. Le papyrus parait avoir été écrit
sous le règne de Ménephtah Ba-en-Ra.
Le Papyrus Anastasi III est une collectiondu même genreet de la mêmeépoque, dont la rédaction semble être l'œuvre
du scribe Pen-bésa. Ce scribe l'avait dédiée à un scribe de
rang supérieur nommé Amen-em-ap, dont plusieurs lettres
sont comprises au papyrus. Amen-em-ap était mort lors de
cette dédicace, et le papyrus contient une oraison funèbreen son honneur.
Une troisième compilation littéraire de ce genre remplitle Papyrus Anastasi IV; elle date du règne de Séti II et
parait avoir été recueillie par le scribe Enna. On y trouve
des lettres d'Enna lui-même; d'autres, à lui adressées, et
des duplicata de quelques-unes de celles d'Amen-em-an et
d'Amen-em-ap. Ce papyrus est d'une écriture magnifique,ce qui, malheureusement, n'est pas le cas de la plupart des
autres.
Dans le Papyrus AnastasiV on rencontre encore un grand
74 SUR LGS PAPYRUS HIÉRATIQUES
nombre de communicationsépistolaires sur dessujets variés,mais principalement sur les règles de conduite et sur les
devoirs des scribes.
Le Papyrus AnastasiVI contient quatre lettres écrites parle scribe Enna à son supérieur le scribe Kakebou. La pre-mière, qui est la plus longue et aussi la mieux conservée, a
pour objet un rapport fait par Enna, a propos d'un acte pré-judiciable commis par un autre scribe qui élevait des pré-tentions sur quatre esclaves, dont deux hommes et deux
femmes, attachés au domaine de Kakebou, et réclamait le
produit de leur travail. Enna expose toute l'affaire à son
supérieur et demande justice contre le délinquant.Le Papyrus AnastasiVII n'a qu'un petit nombre de pièces.
On y trouve un fragment de la première composition du
Papyrus Sallier II et la totalité de la troisième. Malgré ses
mutilations nombreuses, ce texte offre à l'étude beaucoupde variantes utiles.
Une lettre unique fait l'objet du Papyrus Anastasi VIII;elle est adressée par un scribe du nom de Ramessou à l'un
de ses subordonnés Téti-em-lieb. Ce dernier est invité à
s'expliquer sur la négligence qu'il a apportée dans l'exécu-
tion de certaines missions. Ce papyrus est très usé, mais
il est possible de restituer le texte de quelques-unes de ses
lacunes.
Dans le Papyrus Anastasi IX, le scribe Houra écrit à son
supérieur, le scrihe Ramessou,pour se disculper d'une incul-
pation de négligence dans l'exécution de certains travaux
d'agriculture. Une portion notable du texte est illisible;mais ce qu'il en reste fournit des observations intéressantes
pour l'étude de la langue égyptienne.La collection des papyrus du MuséeBritannique, connue
sous le nom de Select Papyri, se composede 168 planches,sans y comprendre les textes écrits au dos des pages. Ceux-ci
sont fort nombreux, et, bien qu'il s'agisse uniquement de
notes hâtives jetées par les scribes sur le revers de leurs
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 75
papyrus, on y trouve des renseignements extrêmement
intéressants et instructifs.
Dans la seconde série de ses inscriptions égyptiennes',M. Sharpe a inséré le fac-simile d'un papyrus que je nom-
merai le Papyrus Lee, d'après son possesseur, M. le docteur
Lee d'Hartwell Hall. Ce manuscrit n'est pas entier; mais
d'après ce qu'il en reste, il parait contenir un rapport ou
une accusation criminelle à propos des méfaits d'un certain
propriétaire de bestiaux, nommé Hai, qui s'était appliquéaux pratiques magiques pour commettre des crimes.
Le Papyrus Rollin C 1888, conservé a la Bibliothèque
Impériale2, contient une continuation du texte du PapyrusLee.
Tout récemment, les richesses de la littérature hiératiquese sont considérablement accrues par la publication des
Papyrus de Berlin, dans la sixième et dernière division
du splendide ouvrage des Denkmäler Ægyptens. Les
n°sI, II, III et IV sont du plus haut intérêt. Ils appar-tiennent très probablement à la XIIe dynastie; l'écriture en
est bien plus rapprochée de celle du vieux Papyrus Prisse
que de celle des papyrus de la XIXOdynastie. Quoi qu'ilen soit, le contenu de ces documents se rapporte aux faits
et gestes des rois Amen-em-ha Ier et Osortasen 1eret de
leurs contemporains. Ils sont évidemment de nature his-
torique ou anecdotique.A une date beaucoup plus récente appartiennent les
papyrus nosV,VI et VII, dans l'un desquels se lit le nom
du pharaon Ramsès IX, de la XX° dynastie. On les croirait
tous de la même main, et il est présumable qu'ils ont
formé un seul rouleau. Leur typo d'écriture est le plusbeau de tous ceux qu'on ait publiés jusqu'à présent. Le n°V
contient un hymne à Ammon-Ra, et les nosVI et VII des
1. Pl. LXXXVIIetLXXXVlII.2. Encoreinédit.
76 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
hymnes à Horus, ou peut-être à d'autres dieux qui pouvaientêtre invoqués sous ce nom, par exemple au Soleil ou à Ptah,
lorsque le prêtre offrait de l'encens à ces dieux. Au dos dun° VI se lisent quelques lignes d'une écriture embrouillée,relatives aux temps de Thothmès III (XVIIIOdynastie). On
y distingue que le roi adressa à ses nobles et à ses fonction-naires un édit tendant à faire appel à la protection des dieux
pour la répression de certains désordres, ou pour quelqueautre objet que l'état de mutilation du texte ne permettrapeut-être jamais de reconnaître distinctement.
Le texte écrit au revers du n°VII se réfère aux invocations
ou aux offrandes? à faire devant les statues d'Ammon et de
Thoth, qui sont dans l'édifice d'Osortasen Ilr, à Thèbes.Publiés par M. le docteur Leemans dans les Monuments
égyptiens du lllusée d'antiguités des Pays-Bas, les Papyrusde Leyde sont aussi d'un grand intérêt. Peu de chose cepen-dant pourra être décbiffrô dans les nosI 343et I 345,dontil ne reste que des fragments mutilés, et qui paraissenttraiter de la magie ou des sciences naturelles; mais len° I 344, qui est fort long, présente un texte intéressant à
étudier; il semble contenir une série de préceptes ou demaximes touchant une infinité d'objets. L'écriture a quelque
analogie avec celle du Papyrus Sallier IV; malheureusementl'état mutilé du texte, dont il reste à peine une phrase sans
lacunes, ajoute considérablement à la difficulté de la tra-
duction.
Le n° 1 346 nous donne le calendrier des épagoménes ou
jours complémentaires de l'année'.Le n° 1 347 contient des matières religieuses et notam-
ment des hymnes à Horus, à Set et à d'autres dieux.
Dans le n° 1 348 se lisent quelques lettres du même
genre que celles des Papyrus Sallier et Anastasi. Elles sont
adressées par le scribe Kawi-sera à son supérieur le scribe
1. VoyezBrugscb,ZeitschriftderDeut.Morg.Gesellsch.,1852.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 77
Bek-en-Ptah et traitent principalement de sujets agricoles.De même que celles des papyrus du Muséebritannique, ces
lettres ressemblent plutôt à des modèles épistolaires qu'àde véritables missives réellement écrites pour l'objet dont
elles traitent. Le même papyrus contient en outre un recueil
de formules magiques.Enfin le n° 1 349 nous offre encore une lettre d'un scribe
à son supérieur et dix pages de formules magiques.Tous les Papyrus de Leyde paraissent dater de l'époque
de la XIX° dynastie.Tels sont les Papyrus hiératiques publiés jusqu'à ce jour,
sans parler de ceux de l'espèce funéraire. Le lecteur peut
juger qu'ils présentent déjà un ensemble assezconsidérable.
Mais il en existe encore de très précieux dans les collections
privées. Un de ces documents est en ce moment publié parM. Chabas, avec un commentaire étendu et des discussions
analytiques, sous le titre de Le Papyrus magique Harris..
Cet ouvrage, que je ne connaispas encore, est la seule publi-cation de ce genre dans laquelle le fac-simile du texte soit
accompagné d'une traduction raisonnée. A ce titre, il sera
fort utile pour l'étude de l'hiératique.Mes traductions des lettres écrites par les scribes de l'âge
pharaonique seront, au moins pour les points essentiels, les
mêmes que celles de mon Essai de 1858. Mais si mes der-
nières études n'ont pas changé mes vues sur l'intention
générale de ces compositions, elles m'ont porté à modifier
un assez grand nombre de détails philologiques. En cher-
chant aujourd'hui à justifier mes traductions phrase àphrase,
je laisserai de côté, pour plus de brièveté, les points déjàadmis par les égyptologues en général, et à ce propos,
j'éprouve le besoin de déclarer que, si je ne cite pas toujoursles premiers divulgateurs des sens par moi adoptés, ce n'est
pas que je ne reconnaissepleinement les droits et le mérite
des éminents devanciers qui ont frayé et élargi le chemin de
la langue égyptienne; mais il n'est pas toujours facile de
78 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
se rappeler toutes les dissertations éparses dans un grandnombre de mémoires, de revues, etc., publiés dans divers
pays et en diverses langues. Je confesse mon ignorance
propos de l'origine première de bien des conclusions aux-
quelles je suis arrivé moi-même, sans savoir si d'autresavant moi y étaient parvenus. L'excellence du système de
Champollionse démontre par ce fait décisif, que ce système,bien employé, conduit tous les investigateurs sur la même
voie et au même résultat final. Toutefois, il me sembleraittrès nécessaire de dresser dès à présent un compendiumdes
résultats acquis. Grâce à la riche récolte que la littérature
hiératique nous a permis de faire, nous pourrions aujour-d'hui composer une grammaire et un vocabulaire qui pré-senteraient de notables additions aux ouvrages de Cham-
pollion.Une différence sensible se remarque entre le style de ces
papyrus et celui des inscriptions monumentales, surtout à
propos des déterminatifs, que l'hiératique admet avec pro-fusion et même avec abus. Ces sortes de signes, lorsqu'ilssont employés judicieusement, viennent puissamment en
aide à l'invest.igateur qui cherche son chemin au milieu
d'expressions nouvelles et de tournures inconnues. Mais
dans les papyrus hiératiques, au moins à l'égard de ceux
de la XIX' dynastie, ils surabondent et n'ont très fréquem-ment aucun rapport figuratif ou même symbolique avec les
mots qu'ils déterminent. Cet emploi s'explique cependant
par certain mécanisme phonétique, c'est-à-dire que ces
déterminatifs, de sens complètement étranger au mot auquelils se trouvent joints, rappellent le son d'un autre mot de
même forme, mais de significationdifférente, auquel ils sont
plus habituellement associés. Un exemple fera mieux com-
prendre cet emploi abusif, auquel les inscriptions monu-
mentales ne sont pas complètement étrangères.
Le mot qui se prononce !\fAUTou MU-T,signifie mère
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 79
et mourir1, et correspond au copte la mére, et
nzozcrir.Les déterminatifs ordinaires sont pour le premier
sens la femme assise et pour le second le signe du suicide
que l'hiératique remplace par le signe de la corne de
l'animal typhonien. Mais il arrive qu'on trouve quelquefoisle signe de la femme assise employé comme déterminatif
du groupe, quoique avec le sens de mourir2
De même, le mot HANNU,dont le dérivé existe en copte,
signifie vase et a pour déterminatif régulier la figure d'un
vase 0; cette expression signifie également ordonner, in-
terpeller, et dans ce cas elle admet les deux déterminatifsde la parole l'homme appelant et l'homme portant la main
sa bouche. Mais dans la phrase
deux vases de (la boisson nommée) hak, on voit que le
scribe capricieux a remplacé le déterminatif de l'idée vase
par ceux de l'idée ordonner. Pour le mot SAMU,le premierdéterminatif est la tête de bœuf accrochée sur un support,symbole habituel des expressions en rapport avec la man-
ducationet la nourriture; le secondest un rameau de végétal
qui détermine ordinairement les noms des végétaux et des
fleurs. Il rappelle ici le mot SAri,qui signifielcerbe,foin.On voit d'après ces exemples combien il est facile d'être
conduit à l'erreur par de semblables solécismes,dont il me
serait facile de multiplier ici les citations. Il est donc indis-
pensable de bien se rappeler qu'un assez grand nombre de
déterminatifs sont d'un usage fréquent pour des mots avec
lesquels ils n'ont aucun rapport de sens, et que cette obser-
vation s'applique aussi aux cas dans lesquels ces mots sont
simplement employés comme syllabes d'un autre mot, ainsi
que cela arrive fréquemment pour l'oiseau et qui
1. Ilexisteaussipourle sensmouriruneformeécriteMER.2. Voyez notamment Select Papyri, CXLVII, 1. 6; CXLIX, 1. 9.
80 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
remplace le mot TENNU,ou les syllabes TENNUdans la com-
position des mots. M. Birch a donné à ces sortes de déter-
minatifs le nom de déterminatifs de son.
Il était nécessaire d'exposer nos vues sur l'usage abusif
des déterminatifs, afin d'aller au-devant des reproches qu'on
pourrait être tenté de faire à cet égard à quelques-unes de
nos analyses. Par leur méthodecapricieuse, les scribes égyp-tiens ont jeté sur notre voie cette difficulté singulière dont
nous viendrons à bout, au moyen d'une comparaison atten-
tive des textes.
Nous avons fait connaître la nature des documents ras-
semblesdans les Papyrus Sallier 1et Anastasi II, III, IV et V,et nous espérons justifier nos vuesdans les analyses qui vont
suivre.
Nous allons trouver du reste une indication précise dans
le titre général heureusement conservé au Papyrus Sallier I,et dont voici la teneur
Ha em sbai en sha-tui ar en skhai Pen·ta-ur
Commencement des instructions de lettres faites par le scribe Pen-ta-our
en tar X aboi IV sha ra I au-tu em paen l'an X mois IV de l'automne (Choïak) jour 1 étant dans la demeure
Ramessu Meriamen ankh uta sneb er pe ka-u aa en pa Ra
de Ramsès Mériamen vivant sain et fort la majesté grande du Soleil
Hor akhu-patiHorus des deux habitations solaires.
Lemot
ssaï, correspond au copte cfio,
doctrina; on le retrouve dans le titre du Papyrus Sallier II,
qui se lit Commencement des instructions failes par la
majesté du roi AmerzemlaaIer, et en effet le texte qui suit
contient les admonitions et les conseils de ce roi à son fils
Osortasen. Il sert aussi de titre a l'œuvre de Ptah-hotepdans le Papyrus Prisse (pl. IV, 1), qui est une collection
de préceptes.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 81
BIBL. ÉGYPT., T. X. 6
La variante SBA,signifie aussi instruire,
enseigner, et admet parfois le sens corriger, chlftier. C'est
ainsi que dans les papyrus, nous rencontrons
A-T SEBA,une maison d’instruction, uree école
(SelectPapyri, XIII, 1).L'étoile avait, ainsi que l'ont déjà reconnu d'autres
égyptologues, les valeurs SEBou su et TU. Dans les groupes
etU',
il faut reconnaître trois
variantes du même mot TUAU,TUA,qui signifie invoquer,adorer, et dans lequel la valeur TUde l'étoile est mani-
festement indiquée. Dans nous aurons £, le
matin, et CHO,CO, tenzps, jour.
Avec l'acception enseigner, les éléments phonétiques
SB,sont généralement écrits; cependant, au Papyrus Prisse,
nous trouvons les formes et Bien
qu'on rencontreSBA,porte, sous la forme
je n'ai noté aucun exemple de rem-
placé par
SHA,signifie à la fois un livre ou une lettre.
Sous ce dernier sens, il est d'occurrence fréquente dans les
papyrus. On trouve notamment la phrase KHEFT SPER
TAIASHAER-RA-TEN,lorsque ma lettre vous arrivera7, et
1. SelectPapyri,XX,6; XXIII,1; XXX,10.2. Lepsius, Ausrcahl, VIII.
3. Burton, Excerpta Hieroglyphica, III, col. 9.
4. Papyrus Prissc, pi. V, 4.
5. Papyrus Prisse, IV, 1.
6. Todtenbuch, ch. LXIV,1. 18; ch. cxxv, 54, et CLXII,10. Une obser-
vation utile à noter, c'est que le mot SEBA,porte, est du masculin en
égyptien, tandis que TUAU,le ciel inférieur, est du féminin.
7. Select Papyri, CXII, 10.
8. Select Papyri, XLII, 5.
82 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
Au passage étudié, SHAUI ou SHA-TUI si 1 on
prononce le signe féminin T, est probablement au pluriel.
SBAI EN SHA-'rui peut signifier instructions en lettres,
c'est-à-dire adressées sous forme de lettres, ou instructions
sur les lettres, sur l'art épistolaire. J'incline pour le dernier
sens d'après le contenu de ces lettres, dont le plus grand
nombre ne renferme rien de semblable à des conseils ou à
des instructions sur un sujet quelconque, comme c'est le cas
notamment pour celle dans laquelle Pentaour lui-même
rend compte à son maître de l'état de sa ferme.
On a généralement attribué au signe la valeur phoné-
tiqueSKHAË, fournie par la pierre de Rosette, au
moins lorsque ce signe signifie écrire. Le copte possède en
effet écrire, et scribe. Mais d'autres éléments
phonétiques ont été trouvés en connexion avec le même
hiéroglyphe, notamment AN, dans une stèle de la
XII" dynastie'. Nos papyrus nous fournissent encore
états 3. Dans les Annales de Thothmès III, nous avons
NA-U, dans une liste de choses précieuses. Ce sont
peut-être des tableaux.
Le nom du scribe PEN-TA-UR, signifie
littéralement Celui qui appartient à la grande déesse.
Peut-être le moderne 1 dérive-t-il de ce nom.
Celui de PEN-BESA, est d'une
forme analogue combinée avec le aieu Bésa. Il a été grécisé,
dans les textes coptes, sous la forme
1. S. Birch, Mémoire sur une patère égyptienne, p. 53.
2. Select Papyri, CIV, 5.
3. Lepsius, Auswahl, XII, 56.
4. Zoëga, Cat., p. î6.
5. Zoëga, Cat., p. 116.
SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES 83
Il est probable que le monarquedont la dixièmeannée
de règne est mentionnéedans notre titre est MénephtahBa-en-ra, le successeurde RamsèsII. Le nomdece pharaonest cité à la pl. VIII, 1.8. Une date de l'an Ierde Séti II,successeurde Ménephtah,écrite au revers du papyrus en
caractèressplendides,indiquerait alors l'époqueà laquellefut confectionnéela copie de l'œuvre de Pentaour que le
papyrusnous a conservée.CommePentaourcomposale poèmedu PapyrusSallierIII
dans la neuvième année de Ramsès II, dont le règne fut
très long, il devait être très avancéen âge, lorsqu'ilentre-
prit la compilationdes lettres que nous étudions.
Lesmots AUTU,étanl, correspondantau copte
sont suivis du signehiératiquequi représentele déter-
minatif dieu41.
Ce déterminatif, qui désigne les choses
divinesou royales, sembleemployéici pour indiquer qu'il
s'agit du roi lui-mêmeet non du scribe. C'est une manière
d'exprimer certain rapport du verbe à son sujet. Par la
mêmeraison,la marquedupluriel i estfréquemmentajoutée
au verbe, lorsque le sujet plurielvient après. Ici, il y a lieu
de remarquer que le sujet PEKA-U,est précédéde la particuledeconnexion un, employéede la même
manière que le copte pour marquer le cas nominatif.
J'en puis citer d'autres exemples,notamment UKANUERPAIIANUTI,néglige-[t-il]le laboureur.?
Le passageanalysé signifie donc non pas que Pentaour
était dans la demeurede Ramsès,mais que le roi lui-même
se trouvait dans cette demeure. En le comparantavec la
formule initiale du Papyrus AnastasiVI, où se trouve la
mêmephrase sansnomde scribe et au milieud'une liste de
titres royaux, on sera conduit à reconnaître la justessede
cettedéduction.Ajoutonsenfinquel'idée expriméeest celle
que le roi était établi sur le trônede la capitaledesonpère,
84 SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES
mais non qu'il était momentanémentinstallé dans certainedemeureroyale.
Legroupe u, déjà bien étudié par mes devanciers,pos-sèdeun grand nombrede sens; l'idée originaleparait être
essentia,personalitas, ëtre, clcose.Ici, il est suividu déter-
minatif de la divinité ou de la royauté et de la marquedu pluriel bien qu'il soitprécédéde l'articlesingulierPE.Cet emploidu pluriel égyptien, pour exprimer non la
pluraliténumérique,maisl'extension,la généralité,le grou-pement, la dignité,est extrêmementfréquentdansla langueégyptienne. De même que pour le pluralis excellentiœen
hébreu, les accordssuivent le sens et non la forme.
se rapportant à un roi et qualifiéde l'épithète AA,grand,peut se traduire Majesté. A proposde personnesd'un rangmoinsélevé,on traduiraitSon Honneun,Sa Seigneurie,etc.Le signedu pluriel n'est d'ailleurspas essentielau sens, caril n'existe pas dans le passage correspondantdu PapyrusAnastasiVI.
L'usagede désignerindistinctementunepersonneouunechoseau moyende quelque attribut ou de quelquepartieest très fréquenten égyptien.C'est ainsiquedesmotssigni-fiant des qualités spéciales,telles que la bonté, la sainteté,ou nommant les divers membresdu corps, et aussi les ex-
pressions s'appliquant à la personnalité, à l'existenceen
général, servent de supports aux pronomspersonnelspourdésigner les personnesou les choses.En copte,on trouve,aveccet emploi po,la bouche,paT,lepied,TOT,lamain, etc.,ce qui nous permet d'apprécier sûrement le mécanismedela langue antique. Nous ne nous étendronspas davantagesur ce sujet important, qui demanderaitde longsdévelop-pements. Nousauronsdu reste l'occasiond'y revenir dansle cours de nos analyses.
Le soleil Horus des deux demeures solaires est tout
simplementl'équivalentdu roi, du pharaon. Les titres de
SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES 85
longue haleine que les Égyptiens donnaientâ leurs sou-verainsont été déjà suffisammentélucidés.Aussi,dans nos
traductions,chercherons-nousà lesabrégerautant quepos-sibleet à y substituerdes expressionsplus simples.
En résumantnosobservations,nousparaphraseronsainsile titre de l'écrit de Pentaour
« Commencementdes instructions sur l'art épistolairen composéespar.le scribe Pentaour, la dixièmeannée, le» premier jour de Choïakdu règne de Sa Majesté,notre» roi actuel dans la demeurede RamsèsIl. »
Dansl'origine, j'avais acceptél'opiniondeM. Heath, quiconsidèrela demeurede RamsèsII commeun palais que ce
monarque aurait bâti dans la Basse-Égypte. Au PapyrusAnastasiIII, Penbésa décrit un édificede ce nom, et dit
qu'il surpassaiten splendeurtous lesautresédificesde Djom(Thèbes).Maisil mesembleaujourd'huiplusprobablequ'ils'agit du grand Ramesséumde Thèbes, qui venait alorsd'être achevé,et que Penbésa voyait probablementpour la
première fois dans son ensemble,en rentrant à Thèbes. Ilest en effetplusdifficiled'admettrequ'il ait été bâti dans la
Basse-Égypteun édificesurpassanttousceuxde la capitale.Dans un secondarticle, je communiquerail'analysede la
collectionépistolaire.
II'
LalettredontM.Goodwincommuniqueaujourd'huiauxlecteursdela Reouel'analyseraisonnéeest intéressanteà plusieurstitres.Del'ancienneÉgypte,lesmonumentsnousrappellentsurtoutles
splendeursdesrois,lessuccèsde leursarmeset lespompessacer-dotales.Ici, le tableaudesmisèresdutravailleurnousmontrequelemodernefellahn'a pastropà regretterlerégimedestempspha-
1. PubliédanslaRevuearchéologique,2' série,1861,t. IV,p.119-137.
86 SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES
raoniques.Enlisantcetableau,oncomprendqu'uneinvestigationsuperficielleait puinduireenerreurles partisansdesrapproche-mentsbibliques.Ilsontcruy découvrirun souvenirpresquecon-
temporaindes plaiesdontl'Égyptefut frappéelors de l'ExodedesJuifs.Cetteillusiona étéde courtedurée,maisellea euduretentissementetnousa donnéla mesuredu dangerdessolutions
prématurées;la méthodesévèrede M. Goodwinindiquela voie
qu'ilfautsuivrepourarriverà desrésultatsvraimentsérieux.
F. CIIABAS.Chalon-sur-Saône,25février1861.
La premièrelettre dont je me proposed'essayerl'analyseest la cinquièmedans la collectiondu scribe Pentaour; elledébuteàla ligne11delacinquièmepageduPapyrusSallierI.
Comparativement,elle n'offre pas de grandes difficultésau
traducteur, et nousavonsd'ailleursl'avantaged'en trouver,au PapyrusAnastasiV, p. 15, un duplicatabienplusnette-ment écrit, offrantenviron une cinquantainede variantes
orthographiquesplus ou moinsimportantes.Nous y lisonsd'abord la mention des noms des scribes
entre lesquelss'échangela correspondance
Pl.V,lig.11. Har sau-skhai1 Ameneman,en hat-patiLechefdesgardiensdesécrituresAmeneman,du trésor
enaa-pati-ankh-uta-sneb,lat enslrkaiPentaur.du Roi2, dit auscribePentaour.
1. M.GoodwintranscritparKHl'aspirationfortequeleségyptologuesfrançaisreprésententparn' ouCH.(Noteclrctraducteur.)
2. Leroiesticiindiquéparle longtitre la doublegrandemccison,la viesaineet forte.M.Goodwinsupprimecettebizarrephraséologie,commejel'ai faitdansmonMémoiresur l'inscriptiond'Ibsamboul,Revuearchéologique,1859,p.578(Notedutraducteur).
SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES 87
Je laisseraidecôté tout ce qui peut être considérécomme
évidentousuffisammentconnudeségyptologues,et limiteraimes commentairesaux seuls points de dilliculté. Dans la
phrasequiprécède,un seulmotsembleexigerquelquesexpli-
cations c'est le composéSAU-SKHAI,enhiéroglyphes
.Le signe initial marqueC. 14 au cataloguedes types de l'Imprimerieimpérialea pour variantesur les
monumentsla figure [B. 81]. Il faut se garder de con-
fondreces deux signes avec [C. 15] et [B.82]. Ces
derniersont en effet un son et un emploidifférents.
Pour et j'adopte le sons ouSA,d'après le groupe
où se rencontre cet élémentphonétique.Cette va-
riante, d'après les observationsde M. Edwin Smith, est
fréquentedans les Rituels. Dans une variante des basses
époques,l's initial du nom de la villede Sni (Esnè)est ex-
primé par le mêmehiéroglyphe'.est presquetoujours précédédes
lettres u ARI,
qui en représentent sans doute la valeur phonétique.Il y alieu de remarquertoutefoisque dans l'hiératiqueces diffé-rents signessontabsolumentdela mêmeformeet nepeuventêtre distinguésque par leurs complémentsphonétiques.
ConfonduavecARI,le mot SAUa été traduit garder, con-
server, et rapprochéducoptep, custos.Cesensconvient
réellement dans certaines phrases, et en particulier dans
celle qui m'occupe;mais il est inapplicabledans beaucoupd'autres. Ainsi, par exemple,dans le portrait du militaire
courbésoussa charge NEtesu ENATI-FSAU,lesjointuresde son éclainesont SAU',le sens probableest brisé, rompu,
1. Sharpe,EgyptianInscriptions,SeriesI, pl.70,8,etpl.80,6.2. Lepsius,Königsbuch,Taf.IV,26.3. Pap.AnastasiIV,pl.IX,1.10.- Leduplicataquisetrouvedans
lePapyrusAnastnsiIII, pl.V, 1.11,substitueaumotSAUlegroupeKHABU, quisignifiecourber.
88 SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES
et ce mêmesens convientencorebien à la phrase SAU-KATIPENKHETA',tu romps le dos de ce Kheta. Au Rituelrevient wplusieursreprisesl'expression SAUSBAU',que jetraduirais briser, écraser les rebelles.
L'acceptionéviteroudéfendresembleadmissibledansdes
phrases tellesque celles-ci SAU-TUERPARENBANRAEMKARHEMHRUPEN,il estdéfendu(ou il fautéviter)de sortirla nuit, ce jour-là3, et SAU-TUUR-UR,cela doit être évité
rigoureusement,ou bien cela est trés défendu4.L'un des meilleursexemplesde l'acceptiongarder, ob-
server, se trouvedansle traité de RamsèsII aveclesKhétas,où on lit la dispositionsuivante « Cesont lesparolesde latablette d'or du paysde Khéta et de l'Égypte; celui qui nelesobserverapas. et celuiqui les observera. » C'est lemot SAUqui exprimeici l'idée observer.Onrencontredansun autre texte la mention d'une jolie jeune fille gardant[SAU]les vignes6.
D'autres textes semblent faire penser que le mot étudié
possède encore des significationsdifférentes7; mais danscelui qui nous occupenous devons nous en tenir au sens
1.PapyrusSallierIII, pl.VIII,4,etpi. IX,9.2.Todtenbuch,ch.XVII,45;ch.XVIII,8,etc.3. PapyrusSallicrIV,pl.XI,6.4. Todtenbuch,ch.cxliv,32.5. Denkmäler,III, 146,30.6. PapyrusAnastasiI, pl.XXV,4.7. Cettemultiplicitéd'acceptionspourunmêmemotn'estnullement
particulièreà lalangueégyptienne;il enestdemêmepourbeaucoupdemotsdanstoutesleslanguesanciennesetmodernes.LemotSAU,discutéparM.Goodwin,serencontresousun assezgrandnombrede formesorthographiqueset avecdifférentsdéterminatifs,notammentle signedupasteurouberger(quiluisertsouventd'initiale),lepapyrusroulé,lebrasarmé,le couteau,l'hommeinvoquant.Lecapricedesscribesaconfonducesformesdiverses,quicorrespondaientdansl'origineà desacceptionsspéciales.Il fautremarquertoutefoisquelesenséviter,sedarderde,défendre,empêcher,estconnexedel'idéegarder,conserver,réserocr(Notedutraducteur).
SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES 89
qardien. Amenemanétait probablementle conservateurdes
écritures relatives aux richessesintroduitesdans le trésor
royal, le CUSTOSROTULORUM,comme nous disons aujour-d'hui. Je passeà la phrasesuivante
PI.VI,lig.1.Ar-entiarentanekskhauipen en (at. Hnatat.Il estapportéàtoi cettelettredediscours.Communication.
Tel est le préambulede toutes les lettres d'Amenemandansla collectionde Pentaour; il en est de mêmepourcelles
d'Amenemapdans le recueil de Panbesa. Le dernier mot
HNA-TAT,composéde HNA,cum, et de TAT,loqui, litt. col-
loquium, n'est pas lié à ce qui précède,puisquedans plu-sieurscason trouvecetteexpressionHNATOTemployéeseuleau commencementdes lettres. Je citerai notamment pourexemplele duplicatade la lettre mêmequej'analyse.
A l'exemplede mesdevanciers,j'avais d'abordpenséqueARENTIétait uneformuled'entréeenmatièrecommevu que,considérantque,mais lacomparaisond'un grandnombrede
textes m'a fait reconnaître que presque partout ces deuxmots sont pris en sens affirmatifet signifientlittéralementest quod. Dans notre Papyrus, l'expressionentière est ARENTIARENTU,est quod est allatum; mais, au PapyrusAnastasi III, le secondARest constammentomis ARENTI
ENTU,est yuod allatum.La substancede la missivene commencequ'après le mot
communication.Toutce qui précèdeconstituele préambulecommunà toutes les lettres du mêmegenre.
Pl.VI, lig.1. Ar enti tai-tu na en khaa-k akhauiIl est dit à moi quetuabandonnesleslettres,
shama-tu-kem abu ta-k har-k bakutu t'éloignesde l'éloqueuce,tu donnesla face(aux)travaux
em san khaa-k ha-k netertat.de la campagne,tu laissesderrièretoilesdivinesparoles.
90 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
La signification de KHAA, abandonner, est bien
établie; il me semble toutefois que le sens radical de ce mot
est quelque chose de plus général et de plus vague, comme
par exemplemouvoir ou détourner de là, se détourner
d'une chose, l'abandonner.
Au Papyrus d'Orbiney, l'acception jeter semble résulter
de phrases telles que jeter aux chiens, jeterà la rivière,
jetersur le sol, et enfin dans le plan des mines d'or nous
trouvons la plirase« Chemin qui mène (KHAA)
» ou « tourne
vers la mer' ». Au surplus, le copte xa ou , porzene,
mittere, relinquere, parait être le dérivé de KHAA, etpeut
rendrecompte de la plupart des acceptions du mot antique'.
A la phrase suivante, le mot KHAA revient avec le com-
plément HA-K, tonocciput, et l'on pourrait
lire tu tournes ton occiput (tu tournes le dos) aux divines
paroles.
Le mot SHAMA, se rencontre seulement
dans des formules semblables à celle du Papyrus Sallier I3.
Je l'ai comparéau copte o, alienus, faute d'autre
moyen d'investigation;ce mot a pour complément indirect
ABU, groupe déterminé par l'hiéroglyphede
l'homme s'étirant les membres' et par celui de la parole. Il
s'agitévidemment de
quelque acte habituel des scribes;
d'après l'énergiedes déterminatifs, je suis tenté d'y
voir la
prédication, la récitation, la pratique de l'éloquence. Dans
notre passage, le scribe est accusé d'en détacher son esprit;
1. Lepsius, Auswahl, T'af. XXII.
2. Il n'y a que des nuances entre les diverses acceptions du mot KHAA,
dont le véritable sens fondamental est laisser, abandonner, rcjelcr; on
dit très bien laisser aux chiens, abandonner à l'eau, laisser par terre,
et d'un chemin qu'il quitte, qu'il cessc au point où il mène (Note da
traducteur).
3. Anastasi V, pl. VI, 1, XV, 6; Anastasi IV, pl. XI, 8.
4. A sprawling human figure.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 91
ailleurs un autre scribe estengagé
ày
donner son attention'.
Le copte nous fournit o, narratio, et avec le T causatif
T-o, recitare'.
Pour la valeur phonétiquede qui représente une
prairieou un jardin, les
égyptologuesne sont pas d'accord.
Je l'ai rencontré comme variante de SEN, dans un titre
du dieu Num, seigneur de Seni'. La syllabe SAN ou SEN est
probablementle son de cet hiéroglyphe.
NETER-TAT, dans l'inscriptionde Rosette,
désigne l'écriture hiéroglyphique;le
groupe signifie à la
lettre paroles divines, et l'on peut le comparerà notre
expressionsaintes Écritures et même au terme général
théologie; l'étude de la science sacrée constituait en effet
l'attribution la plus élevée du scribe.
Dans un autre Papyrus',les phrases que nous venons de
traduire forment aussi le commencement d'une lettre dont
la fin est détruite. Il en reste assez toutefois pour montrer
qu'il s'agissaitd'une autre exhortation sur le même texte.
PI. VI, lig. 2. Ast bu skha ncl, pa kanau hanuti
Vois! n'as-tu pas considéré la condition du cultivateur
kheft s-meru shemu au titi ta hef-oti ma en na uti
avant de ramasser la moisson, emporte le ver partie du blé,
au amu pa tebu na ketkhu.
mangent les bêtes le reste.
1. Litt. son cœur Anastasi V, pl. VI, 2.
2. Dans son premier travail, M. Goodwin avait rendu ce passage tu
l'adonnes arrx plaisirs. Ce sens pourrait convenir au groupe ABU,dont
les déterminatifs sont celui de la danse ou des exercices du corps et celui
des passions et de laparole.
AB, vouloir, désirer, aimer, est,
du reste, très connu. SHAMAest tout à fait incertain (Note rlrc traduc-
3. Lepsius, Königsbuch, IV, 26.
4. Anastasi V, pl. VI, 1.
92 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
SKHA,peindre, dessiner, décrire, figurer. La
phrase est interrogative N'as-tu pas dépeint à toi-mêmei?
ne t'es-tu pas figuré?De KENAU, je ne connais aucun autre
exemple, mais le duplicata du Papyrus Anastasi V nous
offre ici le groupe très connu KAA, qui signifie
portrait, image, ressemblance.
Pour HANUTI,le sens culture, culti-
vateur, résulte évidemment du contexte, et la branche de
fleurs employée comme signe initial avec la valeur HAN1est
peut-être une allusion aux produits de la culture. On trouve
HAN,avec la valeur champ ou domaine'. L'oiseau noir
à crête dressée n'est pas phonétique; il entre dans la com-
position d'un grand nombre de groupes et notamment dans
plusieurs termes d'agriculture, mais il est impossible d'en
déterminer le rôle.
KHEFT,avant, devant, est suivi de deux déterminatifsla corne d'oryx et la face humaine, le premier abusivement
employé à cause du rapprochement phonétique du mot
KHEFT,ennemi; le second est le déterminatif de l'idée en
face, devant, avant. Dans le texte Anastasi, les deux déter-
minatifs sont supprimés.Je regarde commedouteuse la lecture SMERUpour le groupe
cependant j'incline à penser que la corde en-
roulée est m et que nous avons ici la racine xtp, lier,
précédéede s causatif, et le senslittéral faire lier (lesgerbes),c'est-à-dire faire la moisson'.
1. Bunsen'sEgyptianPltonetics,H, 12.2. AnastasiVI,pl. XII,4.3. Desvariantesnombreusesmontrentquel'enroulementa la valeur
syllabiqueRER,danslemot entourer,circuler;maisle signehiératiquequeM.Goodwintranscritsouscetteformepeutcorrespondreà un autresignehiéroglyphique,parexemple,a, quia souventnpourcomplément(Notcdutraducteur).
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 93
HF-OU,correspond à serpent,
et à mouche; vipère, et frelon,dérivent aussi du même radical et ressemblent à des formes
plurielles'. Il s'agit, dans le passage étudié, de quelque
espècede ver ou d'insect.enuisible à l'agriculture.MA,a toujours été traduit par côté, à côté, et ce sens
est rendu évident par des formules telles que au cbté droit,au côté ,gauche'. Les exigences du contexte m'ont porté à
y reconnaître la valeur part, portion que cependant je n'ai
pas encore constatée dans d'autres passaues'.Le copte paraît nous avoir conservé l'égyptien
TEBU,bétail. On trouve cependant ce groupe
avec le déterminatif de l'hippopotame, et il est possible quecet animal fût ainsi nommépar éminence,commeen hébreu
BEHEMOTH,l'hippopotame, de BEHEMAH,pecus.Il n'est pas impossible toutefois qu'il ne s'agisse ici de
l'hippopotame lui-même. On sait que cet amphibie causait
de grands ravages dans les cultures sur les bords du Nil.
Bien qu'on n'en rencontre plus que bien dans le Sud, il est
certain qu'on eh a vu pénétrer jusqu'à la Basse-Égypte4.Dans KETKHU,la première syllabe est le copte
, alius, et le mot correspond à o, alii. Le sens
autres, le reste, est certain. Au Papyrus Lee', ce mot est
antithétique à TA UA, l'un, et à NEHAU,
quelques, un peu. Dans le Conte des Deux Frères, il est
1. Zoega,Catalogue,note52.2. Todtenbuch, cxlv, 3; CLIII, 9.
3. L'idée part est à la fois connexe aux idées partie et côté. Cette
nuance devait exister également en égyptien. MA sert aussi de particule
séparative, de, ex, from, et l'on pourrait dire le cer prend sur le blé
(Note du traducteur).
4. Abdallatif, Histoire d’Égypte, chap. tr.
5. Sharpe, Egyptian Inscriptions, 2d Séries, pi. 87, 5.
94 SURLESPAPYRUSHIÉRATIQUES
dit que l'épouse coupable a raconté à son mari les faits EM
KETKHU,autrement, cl'une manière différente.
Pl. VI, lig. 3..4u na pcnnu ashu cm ta san au pa sanhemu
Les rats nombreux dans le champ, la sauterelle
haï au na aaui aniu na tutu atai.
descend, les bêtes à cornes mangent, les moineaux volent.
pas encore été signalé. Un le trouve dans le grand ouvrage
de Champollion, avec le déterminatif de l'insecte lui-même'
littéralement, ce nom signifie le fils du pillage2. On le re-
trouve un peu mutilé en copte. Dans l'un des sermons de
Shenoute, l'écrivain parle d'un petit animal nommé
qu'il décrit comme une chose ailée qui saute, et Zoega nous
apprend que le scribe a dessiné en marge quelque chose de
semblable it une sauterelle. C'est évidemment l'égyptien
SANEHAM, privé de son m final. Il est singulier que les lexi-
cographes aient omis d'en donner la signification 3.
Au Rituel et dans le livre nommé SHAÏENSIN-SIN,est
mentionnée la ville de Sanhemu, dont le nom est dans cer-
taines variantes déterminé par trois sauterelles'. Peut-être
l'hébreu sâlham, qui nomme une espèce de sauterelle,a-t-il été emprunté à l'égyptien; et s'échangent quelque-fois5.
q AAUI,bêtes à cornes, gros bétail. Il en est ques-tion dans l'une des lettres de notre Papyrus « Les bêles à
corrzes(AAui)de nzorzseigneur clui sont aux chunzps sont
1. Clmmpollion,Monumentsdel’Égypte,pl. XIII.2. Bunsen ne donne que la derniôre syllabe HM, Ideogr., n" 355.
3. Peyron, qui se réfère au passage cité par Zoega, donne olearius
comme valeur de
4. Ce renseignement est dû à M. Edwin Smith, qui a recueilli un
grand nombre de variantes du Rituel.
5. Gesenius, Lex., à.
SUR LES PAPYRUSHIÉRATIQUES 95
en bon état, ses taureaux qui sont aux éta.bles sont en bon
état1. Ici, AAUIforme parallélisme avec KA, taureau. Le
sens bétail est également démontré par le Papyrus d'Orbiney.
TUTU, est le copte passer. Le texte
Anastasi a la forme TUT,variante qui fournit
une nouvelle preuve de la valeur T pour le petit oiseau
voletant.
Pl. VI, lig. 4. Ulranu cr pa hanuti la scpi enti pa nekht-ta tan
Néglige le cultivateur le reste qui (est dans) le champ, foutent
su na ataui pa aakasu en men aku pa hetar mer ha ha
lui les voleurs; la pioche de fe s'use, le cheval meurt à tirer
skau.
la charrue.
Aux difïérents passages' où je rencontre le mot
ukanu, le sens paresse, négligence, paraît convenir.
Les scribes sont invités à s'en abstenir; ce serait la racine du
copte piger, remissus. Ce sens, dans tous les cas,
convient parfaitement à notre texte.
NAKHT-TA,a pour variante D'a-
près l'analyse des passages où il se trouve', et qu'il serait
trop long de discuter ici, je conclus que ce mot désigne une
terre sur laquelle le blé a été moissonné. Comparez t,
secare, et HTC, ager.Vient ensuite qu'on trouve sous la forme pleine
La lecture TAN est tout à fait hypothé-
tique, lesigne étant de rare occurrence5. Si cette lec-
1. Sallier I, pi. IV, 7.
2. Sallier I, pl. V, 6; Anastasi V, pl. XXIII, 5.
3. Sallier I, pl. IV, 12; ibid., pl. XVII et XIX, revers.4. Sallier II, pl. VII, 2; ibid., pl.V, 1; Anastasi VI, pl. II, 11. Ces
différentspassagesjettent peu dejour sur le sensdu mot.5. Bunsen,Ideogr., n°614,donnela valeurTATA-NN.
96 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
ture était bonne, le copte o, conterere, fournirait un sens
satisfaisant pour notre phrase. Je l'adopterai provisoirement.
AAKASU,qui est ici déterminé par le
signe des animaux ou des substances animales, se rencontre
ailleurs' avecle paquet noué,déterminatif des noms d'étoffes.
Cependant la suite du texte indique que cet objet est d'une
espèce de métal, le bronze ou le fer. Le texte Anastasi ysubstitue le mot PAAKAU,déterminé par l'hiéroglyphe de ce
mêmemétal, une lame dressée. Le copte ascia, cuspis
ferrea, signifiant aussi cinctura, feminalia, nous offre une
excellente explication du mot égyptien qui possédait sans
doute les mêmes emplois. C'est du moins ce qui semble ré-
sulter de l'usage des divers déterminatifs que nous venons
de citer et que les scribes de nos Papyrus ont confondus.
Laissant de coté l'acception qui fait de ce mot une annexe de
l'habillement, nous ne pouvons nous empêcher de recon-
naître, dans l’AKASUde métal, cet instrument utile qui portele même nom dans presque toutes les langues gr. ,lat. ascia, allem. axt, fr. hache, angl. axe.
Quant au nom du métal lui-même, je l'ai trouvé en rem-
placement du mot MENou MENKH2.Il se prononçait proba-blement ainsi, et nous en retrouvons peut-être la trace dans
le copte ferrum.
AIW, se rencontre assez souvent dans les
textes avec la valeur s'user, s’affaiblir, péricliter, périr;
il est conservé dans le copte r-aKO, corrumpere, interficere,
perire. Dans notre phrase, le sens s'user, se détruire, con-
vient bien.
HU, possède des acceptions variées. Radica-
lement, il exprime une action d’impulsion comme les mots
coptes gt, et dans lesquels on trouve les sens
1. Sallier II, pl. VI, 2; pl. V, 8.
2. Sallier l, pl. IV, 6.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 97
BlBL. ÉGYPT., T. X. 7
jacere, imponere, strepere, percutere, expandere, cœdere,
acuere et beaucoup d'autres. Dans l'égyptien nu, je découvre,
entre autres valeurs, celles de conduire le bétail, moissonner,battre le blé, croître (comme le Nil), etc. Ici, ce mot précèdele groupe bien connu qui désigne la charrue, et il est presque
impossible de le rendre autrement que par tirer, traîner.
Pl.VI, lig.5. Pa skhai menau (ha) mcri au-f smeru shemuLe scribedu port(est)audébarcardère,il recueillele tribut;
au na ari-sba ker shabut na nahsi kerles ofriciers(sont)avecdes bâtons,les nègresavecdes branches
bani au-scn amnta-tu rcti mcnoun hu-sen
de palmier,ils (crient)soitdonnédu grain, non est repoussereux
em purshu.
au dehors.
MENAU, est le copte portus. Les
déterminatifs conviennent bien au sens de havre pour rece-
voir des vaisseaux du reste, ce mot n'est pas rare dans les
textes.
MERl, désigne aussi un endroit rapproché de
l'eau. Dans le Conte des Deux Frères, il est dit que le chef
des laveurs va au MERI et que c'est là qu'il trouve la boucle
parfumée apportée par les eaux du fleuve. Je rapproche ce
mot du copte navale, hortus. La préposition tm, qui
manque avant MERl, est exprimée dans le texte Anastasi.
C'est à M. Brugsch qu'est due l’identification de avec
u1. Ce mot signifie à la fois nzoissorz et tribut. Je n'hésite
pas à traduire ici SMERU SHMU, recueillir le tribut, bien que
dans les phrases précédentes j'aie rendu la même expression
par recueillir la naoissorz. On sait qu’un impôt en nature
était établi sur l'agriculture; la fonction du scribe du port
1. Brugsch, Nouvelles Recherches, etc., Berlin, 1856.
98 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
consistait sans doute à percevoir cet impôt, au temps de la
moisson, sur les cultivateurs riverains du Nil. A la rigueur,
pour satisfaire aux objections des philologues difficiles 1, on
pourrait lire sans forcer le sens de l'égyptien Le scribe du
port est au lieu de débarquement, et lui (le fermier) il est ie
recueillir la nzoisson. L'intention serait la même; il s'agirait
toujours de rappeler le lourd impôt qui va être exigé du
malheureux cultivateur.
Armés de SHABUT,copte fustis, bâton, les
ARI-SBA,sont sans doute des agents chargés d'as-
sister le collecteur des impôts daus son office et d'administrer
la bastonnade aux récalcitrants. Je ne veux pas discuter à
fond le groupe ARI, dont la signification radicale est voisin,
compagnon, copte vicinus, socius (dans nett-
). Dans certains cas, c'est une simple préposition avec,
sur, gr. M!, .ARI-SBAest composé d’ARIet du signe qui représente
une porte et se lit probablement sBa'. Nous pourrions tra-
duire portier, gardien de porte, mais le passage qui nous
occupe montre que la fonction de l’ARI-SBAne consistait pas
uniquement à veiller la porte de quelque édifice.
Que peuvent être les nègres portant des brccnches de pal-miel' ou des dattes? (Copte rami palnzanunz,
dactylus). Probablement, des nègres errants cherchant du
travail au temps de la moisson et commettant sur leur passagedes déprédations au préjudice des cultivateurs. Les Papyrus
1. Sur une scènede moissondanslaquelledeuxsortesd'ouvriers tra-vaillent séparément,on lit la doublelégende Moissonpar les ouvriersdit clomainc,moissonpar lcs csclccccsroyaux. Le pharaonfaisait ainsi
percevoirl'impôt ennatureau momentde lacoupedu blé. Couperle blé,selonl'expressiondu texteque je cite (Denkmäler,II, 107),ou recucillirla mousson,seloncelledu Papyrus, c'était pourle fiscpercevoirl’impôt.La traductionde M. Goodwinest excellente.(Notedit traducteur.)
2. Papyrus hieratiqueLeydel, 348,revers,pl. II, dernièreligne, ontrouvela forme dui montreque la lettre initiale est s.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES OU
mentionnent le travail du nègre; il n'est pas douteux que des
tribus nègres descendissent la vallée du Nil pour y gagner
quelques salaires.
Le dernier membre de phrase est obscur. Rien n'est plus
fréquent que l'expression AMMA,AMMA-TU,dans le sens im-
pératif donnez, faite que, utinam, mais dans notre texte
la tournure impérative ne serait possibleque si l'on admettait
l'oubli du verbe TAT,dire; dans cette hypothèse, le sens
serait manifeste ils disent donnez dit blé. Il y a lieu de
remarquer toutefois que le duplicata Anastasi n'exprime pasnon plus le verbe TAT'.
De EMPURSHU,je ne connais que cet
exemple. En copte, niopujsignifie extendere, expandere. On
peut, dès lors, comparer EMPURSHUà extra, foras,littéralement: in solvendo. L'ancien égyptien est bien plusriche que le copte en formes adverbiales de ce genre.
Pl. VI, lig. 6. Au-ƒ sanhu khaa cr ta shat hu-sen cm abukatakai
Il est lié, envoyé au canal, ils poussent (lui) avec violence,
au tai-ƒ hem-t sanhu-tu cm-ta-ef nai-f khartu makhau.
sa femme est liée devant lui, ses enfants dépouillés.
r n'SANHU,est le copte ligare, coercere.
Cette identification n'a pas besoin de nouvellespreuves.Je conjecture que le cultivateur est forcé de travailler à la
réparation d'un canal ou d'un puits SHET
1. Il meparait certain que la phrase est elliptique; la suppression du
verbe TAT,dire, est d'occurrence assez fréquente (Inscription d’Ibsamboul,Revue arch., 1859, p. 722, p. 45-46 de notre tome Ier). L'exemple le plus
caeactéristique se trouve dans l’Inscription de Kouban (Prisse, 1Ilun.,
pl. XXI, lig. 3 et 4), on cette suppression est réitérée trois fois « Les
dieux sont à. (dire), notre germe est en lui; les déesses à (clire) il est
sorti de nous pour exercer la royauté du soleil; Ammon il (dire) moi,
je l'ai fait pour installer la justice à sa place. (Note du traducteur.)
100 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
(copt. canalis, , puteus). Dans un autre Papyrus,
on menace le scribe de l'envoyer au travail du
SHETH1.Il s'agit probablement, dans l'un et l'autre cas, d'un
travail de corvée. Toutefois je dois avouer que le sens n'est
pas certain et que, d'après mes premières explications du
mot KHAA,on pourrait à la rigueur lire que le cultivateur est
jeté au SHET.c'est-à-dire au canal. La variante du Papyrus
Anastasi TAHU-TU-F,semble in-
diquer qu'il est immergé, pongé dans l’eau.
L'un et l'autre texte ajoutent que cette action est faite EM
TARUKATAKAI,mot auquel le Papyrus Anastasi donne pourdéterminatifs l'homme renversé la tête en bas, les trois lignesde l'eau et le bras armé; il s'agit certainement d'une action
violente. Le copte nous fournit fustigatio, et
rixa.
L'épouse est liée, SENHU-TU, et les enfants
MAKHAU;ce groupe est encore un mot nouveau; le détermi-
natif des étoffes ou des vêtements nous laisse le choix entre
l'idée LIERet l'idée DÉPOUILLER,qui conviendraient l'une et
l'autre à notre contexte.
On voit que les violences auxquelles le cultivateur est
exposé soit à raison de son impuissance à acquitter l'impôt,soit à la suite des incursions des nègres, s'étendent à sa
femme et à ses enfants; l'expression exacte de ces violences
nous échappe peut-être, mais l'incertitude cessera dès qu'onaura rencontré des exemples suffisamment nombreux des
mots que nous lisons ici pour la première fois.
PI. VI, lig. 8. Nai-ƒ sahu-ta khaa-sen uar nennui nai-sen uti.
Ses voisins sont partis au loin s'occupant de leur blé.
Dans SAHU-TA, je trouve
1. Anastasi V, pi. XXII,1.5.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 101
conjungere, et zo, terna; de là, conterranei, contermini. Il
est dit du teinturier ou du blanchisseur qu'il est voisin
(SAHU-TA)du crocodile'.
Le sens est que les voisins du cultivateur sont occupésau
dehors à leur propre moissonet ne peuvent lui venir en aide.
Pl.VI,lig,8. Apu cmskha menteƒkherpu baku en ba nebLetravaildu scribe il excellelestravauxdetouteespèce,
[men] hesbu-nef beku cm skhaiu men un-ta-f shai akh rekh-k su.
il n'estime pas travail les lettres, non est à lui taxe. Sache cela.
quent. Au Papyrus d'Orbiney, il correspond exactement au
copte in judicio contencfere. On le trouve au
Papyrus Abbott avec la valeur excepté, dont l'orthographe
ordinaire estplutôt
Avec le dé-
ierminatif de la marche, il signifie messager, envoyé, ant-
bussadeur, copte nuncius. Enfin, dans la phrase
qui nous occupe, on peut l'assimiler au copte res, nego-
tium, ou ars, optcs, expressions qui sont
radicalement identiques. Ce sens travail, occuputiorz, con-
vient du reste à une multitude de passages des Papyrus
Sallier et Anastasi. Par exemple J'ai exécuté tous les tra-
vaux (Apu) qui m'avaient été imposés4; j'ai accompli mon
travail (TAIA EM APU)'; TAIA APU IIU MA IIAPI, mon travail
s'accroit comme le Nil6. D'après ces deux derniers passages,
on voit que APU, sous cette acception, est du genre féminin'.
1. Sallier II, pl. VIII, 1. 3.
2. Lepsius, Ausrcahl, IX, stèle, 1. 13.
3. Ibid., XVI, 1. 8.
4. Anastasi VI, pl. I, I. 8.
5. Anaslasi IV, pl. IV, 1. 8.
6. Anaslasi IV, pl. IV, 1. 10.
7. V. E. de Rougé, L'tudc sur une Stèle égyptienne de lct Bibliothèque
Impèriale, p. 47. L'éminent égyptologue a laissé la question indécise.
102 SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES
KHERPU,s'est conservé dans le copte p,
primus, prœvenire. Ce sens convient bien au passage analyséet s'applique aussi très naturellement à une phrase de la stèle
de la princesse de Bakhten Les chefs apportérent toutes
sortes debois de la terre divine scsr leur dos,
UA-NEBIiER KHERP. EW, chacun primant, surpassantl'autre'. Une expression analogue est encore en usage au-
jourd'hui.Au lieu du mot HESBU,le Papyrus Anastasi a MENHETERA.
1\1.Chabas, qui m'a suggéré plusieurs observations utiles à
propos de ce passage, pense que les deux mots HESBUet
HETERAsont fondamentalement identiques. Suivant lui, la
négation MENa été omise par le scribe du texte Sallier, à
moins que la phrase ne soit interrogative. M. Chabas tra-
duirait en conséquence Il n'y a pas de taxe sur le travail
deslettres. HESBU,admet en effet le sens compte,
rôle de taxes et 5 HETERAU,celui de tribut,
prélèventent, impôt. Toutefois j’ ai remarqué que le travail
du scribe est distinaué soigneusement des travaux manuels,et il m'a semblé que la phrase analysée fait allusion à cette
distinction dont les scribes devaient se montrer jaloux. En
définitive, je demeure un peu incertain du véritable sens du
passage.
SHAIU, est un mot rare. Je le rencontre
seulement dans un passage où il est question de recevoir
1. L'emploi de la préposition ncau génitif, quoique ordinaireen copte,
se voit assez rarement dans l'ancien égyptien. signifie presque con-
stamment en, dans, ri, cers, et de, , from. La phrase est embarras-
sante. Au Papyrus Sallier Il, pl. IX, 1, on lit très clairement Il n'pct pas cle professions qui ne soicnf primées, APSH’AU,excepté le scribes,car lui il prime. Après le tableau des misères du laboureur, l'expressionAp SH'AU, etc., signifierait selon moi Autre chose est le scribe, car,
lui, il prime (otite autre profession. (Note dit traducteur.)
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 103
cinquante ou cent mesures de métal ERsHAïENSMAT1Sup-
posant un parallélisme dans les deux dernières phrases de
notre Papyrus, M. Chabas admet le sens redevance, impôt.Cette acception nous fournit une répétition de l'idée déjà ex-
primée Il n'y a pasà lui imposer de redevances (au travail
du scribe), et, dans la phrase relative à la livraison du métal,
elle permettrait de traduire pour la redevance des srrzat,
c'est-à-dire des serfs attachés aux travaux du temple.
AKH, copte , 03, nzultus, quantus. Lorsque ce
mot commence la phrase et qu'il est suivi d'un verbe, la
phrase a souvent un sens impératif. Seul, il est interrogatif,
qui? quoi? Des passages très clairs du Papyrus d'Orhiney le
démontrentsuffisamment.
AKHTERA,si-
gnifie guid nunc? ERAKH,quantus! ad quan-
Rassemblant les fragments que je viens de discuter et
modifiant légèrement les tournures égyptiennes pour les ap-
proprier aux exigencesdu goût moderne, je reproduis main-
tenant la lettre d'Ameneman en son entier
« Le chef gardien des archives Ameneman, du trésor du
» roi, dit au scribe Pentaour On t'apporte cette lettre de
» discours (pour te faire) une communication.
» On m'a dit que tu as abandonné les lettres, que tu es
» devenu étranger à la pratique de l'élocution, que tu donnes
ton attention aux travaux des champs, que tu tournes le
» dos aux divines écritures. Considère! ne t'es-tu pas repré-» senté laconditiondu cultivateur. Avant qu'il ne moissonne,» les insectes emportent une portion du blé, les animaux
» mangent ce qui reste; des multitudes de rats sont dans les
» champs, lessauterelles tombent, les bestiaux consomment,
1. AnaslasiIII, pl. VI,dernièreligne.2. Sallicl' III, pl. II, 1. 5.
3. Anastasi IV, pl. IX, 1. 4; Sallier I, pl. IV, 1. 1.
104 SUR LES PAPYRUSHIÉRATIQUES
» les moineaux volent. Si le cultivateur néglige ce qui reste
» dans les champs, les voleurs le ravagent; son outil qui est
» de fer s'use; son cheval meurt en tirant la charrue. Le
» scrihe du port arrive à la station, il perçoit l'impôt; il y» a des agents ayant des bâtons, des nègres portant des
» branches de palmier; ils disent « Donne-nous du blé! »
» et l'on ne peut les repousser. Il est lié et envoyé au canal;» ils le poussent avec violence; sa femme est liée en sa pré-» sence, ses enfants sont dépouillés. Quant à ses voisins, ils
» sont loin et s'occupent de leur propre moisson. L'occupa-» tion du scribe prime toute autre espèce de travail; il ne
» regarde pas les lettres comme un travail; il n'y a pas de
» taxe sur lui. Sache cela! »
Cette lettre nous apprend qu'au temps de la XIXE dy-
nastie, les scribes ne formaient pas une classe distincte dont
les offices se transmissent de père en fils. Des individus ap-
partenant aux classes inférieures avaient la faculté de choisir
la carrière des lettres, et alors, comme aujourd'hui, une
instruction étendue servait d'acheminement aux emplois de
confiance et mi;me aux dignités de I'Ét,at. Le titre de SKHAI,
scribe, correspond exactement a l'anglais clerk et au françaisconxnxis. Il suppose la connaissance indispensable de l'écri-
ture, mais il pouvait arriver que la fonction spéciale de
certains scribes n'exigeât pas un travail d'écriture. Les
scribes égyptiens étaient en effet attachés à des offices très
variés, et, bien que l'étude de la langue sacrée soit constam-
ment mentionnée comme l'une de leurs attributions, nous
les voyons employés dans des postes civils et militaires quin'ont rien de commun avec la science théologique. Le coptea conservé le nom du n , scribe maritime, probable-ment un pilote ou un capitaine de vaisseau.
Je considère comme une circonstance digne de remarquela mention de l'emploi du cheval aux travaux de l'agricul-ture'. Aucune autre nation de l'antiquité n'a, je crois, utilisé
1. Le Papyrus d'Orbineyparleaussi du chevalemployéà la charrue.
SUR LES PAPYRUS HIÉRATIQUES 105
cet animal à la charrue. En Egypte, les chevaux étaient, à
cette époque, très abondants, et c'est de ce paysque Salomon
les importait en Judée. La Genèsementionne les chevaux au
nombre des animaux que les Égyptiens amenèrent à Joseph
pour les échanger contre du grain'.Un grand nombre d'ouvriers étrangers venaient se mettre
au service des Égyptiens, notamment des Nahsi ou nègres.Peut-être trouvons-nous un indice de leur emploi au service
domestique dans le copte -- de la version sahidique
(Genèse, ch. xiv, v. 14), correspondant au grec ,littéralement les nègres de la maison'.
1. Genèse,ch.XLVII,v. 17.2. Il estpermisdedouterde l'authenticitéde cemot(voirTattam,
Lex., s. v. 1.).La versionmemphitiquea --, nédanslamaison.
NOTE
SUR
UN POIDS ÉGYPTIEN
DE LA COLLECTION DE M. MARRIS, D'ALEXANDRIE'
Les Égyptiens de l'âge pharaonique ont fait usage de
plusieurs espèces de poids dont les monuments nous ont
conservé l'indication. Parmi les plus fréquemment employés
sont le et led
Il n'est malheureusement pas facile de déterminer avec
certitude la prononciation de ces deux noms. A l'égard du
premier, le signe initial se rapproche du syllabique
équivalent de UTN,copte , libation, offrande*,
et de déterminatif accidentel dumot
KEB2,copte
k, multiplier, redoubler; mais il est probable que ni l'une
ni l'autre de ces valeurs ne conviennent pour le nom de
notre poids. Il n'y a de certain que la finale N,qui nous
oblige à préférer le son UTN.En l'absence d'équivalents
phonétiques bien constatés, j'adopterai provisoirement cette
valeur. On a proposé de lire MENou MNA;mais je repoussecette lecture, qui ferait supposer une identification ou une
relation quelconque entre le poids égyptien et la mine lié-
1. ExtraitdelaRevuearchéologique,2' série,1861,t. I, p. 12-17.2. Champollion,Noticesmanuscrites,[t. 1,]p. 373.3. Denkmäler,III, 140,d,2.
108 NOTE SUR UN POIDS ÉGYPTIEN
braïque. Or, il résultera de l'objet de la présente note
qu'aucun rapprochement de cette nature ne doit être tenté.
Je rappelle d'ailleurs qu'une mesure égyptienne de capacité
porte le nom de MENet que le nomen est écrit avec les signes
phonétiques bien connus MEN,à la place desquels on
n'a jamais rencontré
Le nom du second poides est représenté par le signe d,suivi du T, complémentaire. Ce signe se lit généralementKAT.Il est à remarquer cependant qu'on peut faire proposde cette lecture les réserves qui résultent des innovations
orthographiques spéciales aux basses époques; car la seule
preuve directe qu'on ait de la valeur KATse déduit du groupe
RAKATI,paro, RAKOTIs,nom de la bourgade égyp-
tienne au voisinagede laaluelteAlexandre fonda la nouvelle
capitale de l’Égypte. Toutefois, si la valeur KATn'est pasabsolument certaine, elle est du moins extrêmement vrai-
semblable.
Ces points de difficulté étant exposés, nous nommerons
outen le premier poids et kat le second.
Les grandes inscriptions de Karnak, sur lesquelles M. de
Rougé vient de publier dans la Revue archéologique1 un
si remarquable travail, rendent compte des tribus imposés
par Thothmès III aux nations asservies par les armes vic-
torieuses de l’Égypte. Dans l'énumération des objets divers
qui composaient ces tribus, les deux poids desquels nous
nous occupons reviennent très fréquemment, et nous les
voyons notamment employés pour le pesage de l'or, de
l'argent, du lapis, du plomb, de plusieurs gemmes et subs-
tances minérales, ainsi que d'objets de métal ouvré.
A la simple inspection de ces mentions, on reconnaît
aisément
Premièrement, que le Icatétait une subdivision de l’outen,
Í. Numérodenovembre1860.
NOTESURUNPOIDSÉGYPTIEN 109
et, en second lieu, qu'il fallait plus de neuf kat pour faire
un outen'.
De plus, en observant que des poids supérieurs à
3,000 outen se trouvent rapportés, on est fondé à penser
qu'il n'existait aucune unité supérieure de poids, et le
manque absolu de toute indication d'une mesure inférieure
au lcat démontrait que ce poids était l'unité inférieure de
la série.
Mais rien ne permettait d'évaluer la valeur de ces poids,ni leur rapport entre eu' Dans son savant mémoire sur les
Annales de Thothmès III, M. S. Birch comparait le lrat à
la drachme RITE,et l'outen, qu'il lisait MNA,à la mine'. Au
surplus, cet éminent égyptologuene parait pas avoir attaché
une grande importance à ces rapprochements, puisque, dans
ses traductions, il se sert des mots égyptiens eux-mêmes,sans y substituer les valeurs qu'il a suggérées.
M. de Rougé a rendu OUTENpar livre, et KATpar once,mais en expliquant qu'il n'entend en aucune manière rien
préjuger à l'égard de la valeur réelle de ces mesures.
Je dois à l'obligeance de M. Harris, d'Alexandrie, une
communication qui nous permettra d'élucider ce point im-
portant de la métrologie pharaonique.Ce savant antiquaire a acheté à Thèbes le poids figuré
dans la vignette ci-contre [de la page 110J, que les Arabes
venaient de déterrer dans les ruines où ils recueillaient le
salpêtre pour l'amendement des terres.
C'est un cône tronqué, posé sur sa base la plus étroite et
couronné d'une calotte sphérique; la substance est une
1. Denhmäler,III, lig.32,ontrouvel'additionsuivante:
1grossopierrede lapispesant. 20outen9 kat.2 pierresdelapisvrai, ensembletroispierres
pesant. 30outen »
Total. 50outen9kat.
2. ThcAnnalsof ThothmèsIII, p.13,note1.
110 NOTE SUR UN POIDS ÉGYPTIEN
pierre d'un gris noirâtre que M. Harris nomme serpentinedu désert. Voici les dimensions du poids
Diamètre à la base de la calotte, centimètres 3,39;Diamètre à la base inférieure du poids, centimètres, 2,413;
Hauteur verticale jusqu'à la base de la calotte, centi-
mètres, 1,706;
Épaisseur centrale de la calotte, centimètres, 0,953.
Malgré le long séjour que cet intéressant objet d'antiquitéa fait dans le sein de la terre, il a conservé son poli; à peine
les rebords en sont-ils légérement
usGs, et M. Harris n'estime pas la
perte de poids due à cette circon-
stance a plus de trois ou quatre
grains Troy.Sur la calotte est gravée une
légende dont le dessin, que j'aisous les yeux, ne permet pas le
déchiffrement; il s'agit du reste
tout simnlement d'un nom propre.
soit celui d'une divinité, soit celui d'un fonctionnaire, et
dans l'un ou l'autre cas, ce nom n'a qu'un intérêt fort secon-
daire. Heureusement il ne peut exister le moindre doute sur
le sens de l'inscription gravée sur la partie conique. On y lit
en effet
Kat V du trésor tl'On
Nous apprenons ainsi que nous avons affaire à un poids
de cinq kat, provenant des magasins royaux de la ville d'On,
et peut-être mème à un étalon déposé dans ces magasins où
les pharaons entassaient leurs ricliesses'. Il ne s'agit pas ici
1. Lo PA-HAT, litt. la demeure Manche, était le trésor, le lieu où les
Égyptiens renfermaient leurs richesses de toute nature, ainsi que le
démontrent des textes très précis. Voyez notamment Champollion,
NOTE SUR UN POIDS ÉGYPTIEN 111
d'un monument fabriqué pour un usage commémoratifou
funéraire, comme la plupart des coudées qu'on a retrouvées,mais d'un poids exact ayant réellement servi à un pesageofficield'objets précieux. Cette circonstance augmente nota-
blement l'intérêt qui s'attache à cette mesure antique. Il est
à peine utile de faire observer que nous ne devonspas être
surpris de voir employer à Thèbes une mesure fabriquéea On ou conforme à l'étalon d'On, et ce n'est point ici le
lieu de rechercher si ce nom de ville s'applique à Hermon-
this ou à Héliopolis.Reconnu avec soin par M. Harris, le poids de la pierre
s'est trouvé égal à 698 grains Troy; admettons le chiffre de
700pour tenir comptede l'usure des bords, et réduisons en
grammes au taux de 0,064798, nous aurons pour la valeur
des cinq kat grammes, 45,3586, et pour celle du kat
grammes, 9,0717. Ce point essentiel acquis, M. Harris nous
fournit un moyen de constater non moins sûrement la valeur
de l'outen.
Nous avons vu que ce dernier poids est nécessairement
supérieur à 9 kal. Or, cette déduction est justifiée et com-
plétéepar un passagetrès clair du grand papyrus que possèdeM.Harris et qui contient les Annales de RamsésIII. 11s'agitd'un compte d'or que je reproduis ici d'après un calquerelevé sur le manuscrit originel (voir au verso).
De même que M. Harris, je traduis sans la moindre hési-
tation
Or bon, outen 217 /cat 5
Or de terre, du paysde Keb-ti, outen 61 kat 3
Or de Cusch, outen 200 kat 812
Total or bon et or de terre', outen 569 kat 6 2
Noticesmanuscrites,[t. 1,1p. 531; Sharpe,EgyptianInscriptions,pl. CXI,2; ibid.,2ndSer.,pl.LII1,4; Denkmäler,III, 30,lig.27.
1. Il seraitintéressantderecherchercoquelesÉgyptiensentendaientpar or Gonet par or de terre; maisunerecherchedecettenatureno
112 NOTE SUR UN POIDS ÉGYPTIEN
peut trouver sa place ici. Les Égyptiens tiraient beaucoupd'or d'Éthiopie
(Cusclc).Celui du pays de Kebu, c'est-à-dire de Coptos, est sans doute
l'or recueilli dans le désert arabique, ainsi que nous l'apprennent les
inscriptions de Radesieh et de Kouban. Voyez mon mémoire, Sur les
Inscriptions de Radesieh [au t. 1er,p. 21-68, de ces Œuvres], et celui
de M. S. Birch sur la stèle de Kouban.
NOTE SUR UN POIDS ÉGYPTIEN 113
BlDL. ÉGYPT., T. N. 8
On voit aisément que, du total de 16 Irat 1/2, il a été pré-
levé 10 kat qui ont ajouté une unité au total de 568 outen.
Ainsi donc l’outen vaut 10 kat' ou grammes 90,717, et notre
poidsde 5 kat est la moitié d'un outen.
Nous apprenonsen outre
queles subdivisions du kat. sont
de simplesfractions de cette mesure, et non des unités d'une
mesure plus petite.
Jusqu'à présent,on s'est borné à tenter entre les mesures
égyptiennes, hébraïques et grecques des rapprochements au
moyen desquelson a déterminé les valeurs théoriques de
ces mesures; mais ces inductions spéculatives, fondées sur
de simples assonances ou sur des opinions aussi hasardeuses
que celles quiadmettent la mesure exacte de la circon-
férence du globe terrestre par les anciens, le pèsement de
mesures cubes d'eau de pluie ou le mesurage de certaines
graines, n'ont selon moi conduitqu'à l'erreur. Il est évident
tout au moins que ni le sicle hébreu de 6 grammes', ni
la mine asiatique' de 362, non plus que la drachme de
grammes 3,24, ni la mine grecquede 324 grammes4, ne
peuvent être assimilés aux deux poids égyptiens dont nous
venons de reconnaître la valeur.
Dans la question des poids et mesures, comme dans toutes
cellesqui se rattachent à l'histoire et à la
chronologie,il
faudra se résoudre à laisser parler les hiéroglypheseux-
mêmes c'est le seul terrain parfaitement sûr. On ne saurait
trop répéter que ni les Grecs, ni les Romains n'ont connu
lalangue égyptienne,
et que cette ignorance atténue sin-
gulièrement la valeur des renseignements qu'ils nous ont
transmis, au moins en ce qui concerne l'Égyptedes
temps
pharaoniques; car il ne peutêtre question ici des mesures
1. M. Th. Devéria a trouvé dans le Papyrus Vassalli des comptes qui
prouvent, comme le Papyrus Harris, que l'outen vaut 10 lsai.
2. Saigey, Métrologie, 25.
3. Saigey, Métrologie, 46.
4. Saigey, Métrologie, 35.
114 NOTE SUR UN POIDS ÉGYPTIEN
pltilétériennes ou ptolémaïques introduites en Égypte sous
les Lagides, postérieurement au IIIe siècle avant notre ère.
Notons en terminant que l'usage des poids de pierre était
commun à plusieurs nations de l'antiquité, et notamment
aux Hébreux1. Les Romains en ont aussi fabriqué en une
espèce de pierre noire, le Lydius lapis, d'après Fabretti.
Chalon-sur-Saône,14novembre1860.
1. Proverbes,xvi, II; Mielleas, vi, Il.
DE LA
CIRCONCISIONCHEZLESÉGYPTIENS1
Les fouilles pratiquées à Karnak dans le petit temple de
Khons, dépendant du temple de Maut, ont mis à découvert
un bas-relief qui représente une scène de circoncision Je
ne crois pas qu'on connaisse aucun autre monument du
même sujet; aussi, quoiqu'il ne s'agisse pas d'établir un fait
nouveau, ni de mettre fin à une controverse, il m'a semblé
utile de publier, en l'accompagnant de quelques brèves
remarques, ce petit tableau instructif.
1. Extrait de la Revue archéologique, 2' série, 1861, t. 1", p. 298-300.2. Ce dessin a été relevé par M. Prisse d'Avenne sur un estampage
qu'il a pris sur le monument lui-même. Il fait partie d'un riche porte-feuille dont la publication doit être vivement désirée par tous les amisdes arts et par les égyptologues en particulier.
116 DE LA CIRCONCISION CHEZ LES ÉGYPTIENS
Bien que, par suite de la dégradation de la muraille, la
partie supérieure du buste de quatre des personnages ait
disparu, il ne nous manque cependant aucun détail essentiel.
L'opérateur, à genoux, excise, au moyen d'un instrument
pointu placé dans sa main gauche, le prépuce d'un enfant
qui se tient debout devant lui; la main droite soutient l'or-
gane. Placée en arrière, une matrone saisit fortement les
poignets de l'opéré, sans doute pour le maintenir à sa place;un autre enfant, debout devant la matrone, attend son tour.
Enfin, en arrière de tous ces personnages, une seconde
matrone, les bras étendus, se tient prête à porter assistance.
Que la circoncision ait été de toute antiquité pratiquéechez les Égyptiens, c'est un fait dont les monuments ne nous
permettent pas de douter. Dans les peintures décoratives
des hypogées, on rencontre fréquemment des personnageschez lesquels la dénudation du prépuce est manifeste, et,
parmi ces peintures, il en est d'antérieures à notre bas-relief,
qui nous représente très vraisemblablement la circoncision
de deux des fils de Ramsès II, fondateur du temple de
Khons.
Hérodote nous rapporte que, de son temps, les Colchi-
diens, les Égyptiens et les Éthiopiens passaient pour les
seuls peuples qui, de toute antiquité, eussent pratiqué la
circoncision, et il ajoute que les Phéniciens et les Syriensde la Palestine convenaient avoir pris cet usage des Égyp-tiens'. Sans doute le père de l'histoire comprenait au nombre
desquels Syriens de la Palestine les Juifs, qui regardaient la
circoncision comme d'institution divine et chez lesquels elle
avait été établie par Abraham.
Chez les Juifs, la circoncisiondevait être opéréehuit jours
après la naissancede l'enfant", et, suivant un passaged'Héro-
dote, les Égyptiens y soumettaient de même leurs nouveau-
1. Hérodote,II, 104;ibid.,36.2. Genèse,ch.xvn,v. 12.
DE LA CIRCONCISION CHEZ LES ÉGYPTIENS 117
nés' mais notre bas-relief contredit cette allégation. A en
juger par l'attitude et les proportions des personnages, on
ne peut guère estimer au-dessous de huit à dix ans l'âge des
enfants opérés. Du reste, les règles à cet égard paraissent
avoirété variables chezles peuples qui ont observécet usage,
et, même aux temps modernes, il n'a pas été partout cons-
tamment pratiqué sur de très jeunes enfants'. Quoiqu'ellesoit moins grave dans l'enfance, la circoncisionne laisse pasd'entraîner quelquefoisdes suites fâcheuses;mais elle affecte
bien plus sérieusement les adultes, ainsi que les malheureux
Khiviens de Sichem en firent la cruelle expérience'.Selon la tradition, l'instrument de la circoncisionétait un
couteau ou un rasoir, ordinairement de pierre dure. Ce fut
avec un instrument de cette matière que Josué, par l'ordre
exprès deDieu, circoncit les Israélites nés au désert du Sinal
après la sortie d'Egypte', et que Sephora fit la même opéra-tion au fils de Moïse5. Il semble que le métal fût exclu à
dessin 6. Notre bas-relief ne peut évidemment rien nous
apprendre sur ce détail en ce qui concerne les Égyptiens,mais il est permis de supposerqu’ils partageaient la même
préférence pour les instruments de pierre; c'est du moins
au moyen d'une pierre tranchante que les momificateurs
ouvraient le flanc des morts pour en retirer les entrailles'.
Les hiéroglyphes ne nous ont encore fourni aucun texte
relatif à la pratique de la circoncision. Le seul que je sois
1. Hérodote,loc.cit., 104,in fine.2. Chardin(VoyageenPerse,etc.)rapporteque,danscertainesloca-
litésde l'Arabieet de la Perse,onpeutcirconcirelesgarçonsà cinq,six,neufet treizeans.
3. Genèse,xxxiv,v. 24,25.4. Josué,v, v.2, 5, 6.5. Exode,iv,v. 24,25.6. PlineditquelesGalles,prêtresdeCybèle.semutilaientau moyen
d'instrumentsde terrecuite(Histoircnaturelle,1.35,ch.xii).Voyezaussila mutilationvolontaired'Attis,Ovide,Fastes,IV.
7. Hérodote,II, 86.
118 DE LA CIRCONCISION CHEZ LES ÉGYPTIENS
tenté d'y rapporter est le passage du Rituel dans lequel il
est parlé « du satzg gui tomba du phallus du dieu Soleil,
larsqu’il eut aclzevé de se couper lui-même ». Si cette
conjecture, dont la première idée appartient à M. de Rouge2,se justifie par quelques nouvelles constatations, il en résul-
terait que, chez les Égyptiens, aussi bien que chez les Juifs,la circoncision était étroitement liée aux institutions reli-
gieuses.
Chalon-sur-Saône, 4 mars 1861.
1. Todtenbuch, ch. xvn, 1.23.
2. Études sur le Rituel; Rccuc archéologique, 1860, p. 244.
LECÈDREDANSLESHIÉROGLYPHES1
Parmi les manuscrits égyptiens découverts jusqu'à ce jour,
on ne connaît encore aucun ouvrage scientifique, à moins
qu'on n'accorde ce nom aux papyrus de Berlin et de Leyde,
qui traitent de matières médicales. Il est certain toutefois
que les anciens Égyptiens avaient fait de notables progrès
dans les sciences d'observation. Dans le domaine de l'histoire
naturelle notamment, nous apprenons par les documents
originaux qu'ils avaient déterminé et nommé un grand
nombre d'espèces végétales et minérales. Ils savaient
extraire des plantes des sucs médicamenteux, des parfums,
des liqueurs et des extraits comestibles. Dans la riche orne-
mentation de leurs jardins, ainsi que pour leurs édifices et
leurs meubles de luxe, ils ne se contentaient pas des espèces
propres à l'Egypte, mais se procuraient, par le moyen du
commerce ou des tributs imposés aux vaincus, les plantes et
les bois précieux des pays étrangers.
Les groupes désignant des espèces végétales sont aisément
reconnaissables à leurs déterminatifs génériques la triple
fleur, le signe de l'arbre, celui du bois, qui s'applique surtout
à la matière ligneuse et aux objets qui en sont fabriqués,
enfin quelques signes spéciaux à certaines plantes.
Mais, malgré le secours de ces déterminatifs, il nous est
le plus souvent impossible d'identifier ces espèces végétales,
dont la nomenclature reste pour nous une liste de mots dé-
1. Extrait de la Rccuc archéologique, 2' série, 1861, t. 11, p. 4i-51.
120 LE CÈDRE DANS LES HIÉROGLYPHES
pourvus de sens; le copte n'offre pas assez de secours, et
rarement les détails donnés par les textes offrent une prisesuffisantepour la détermination des espèces.
Je me propose d'étudier l'un des groupes de cet ordre
qui revient le plus souvent dans les textes et qu'on a cru
désigner l'acanthe ou l'acacia. Je veux parler de l'asclz, pour
lequel, dans son travail sur les papyrus, mon savant ami
M. Goodwina suggéré la valeur cédre', tout en conservantle sens acacia dans ses traductions.
L'orthographe ordinaire de ce mot est AS’(pro-noncez asch), mais on le trouve aussi accompagnéd'autresdéterminatifs tels que la pointe de flèche', une espèce de
gousse et le signe du bois'.La mention de l'asclt revient fréquemment dans le beau
papyrus de Mm°d'Orbiney, dont l'administration du Musée
Britannique vient de livrer l'étude un fac-similétrès soigné'.Les lecteurs de la Revue n'ont pas oublié sans doute l'inté-ressante traduction que M. de Rougé a publiée de ce curieux
manuscrit, dès l'année 18525.Dans ce papyrus, la montagneoit se retire Baita, le jeune
frère, est nommée TAANPA AS', la montagne de l'Asclt.
Quoiqu'il ne faille pas chercher la précision dans un conteoù le merveilleux domine, je fais remarquer qu'il n'est pasnécessaire de placer cette montagne au voisinaged'un fleuve
1. CambridgeEssa!ls,1858,p.257,note1.2. Denkmäler, III, 132, en c.
3. Todtenbuch, cxxxiv, 9; cxlv, 4.
4. Select Papyri in thc Hicratic Character, II Part, London, 1860.
5. Recue archéologique, IX° année, p. 386.
6. AN, selon la remarque de M. Brugsch, désigne une
montagne, et particulièrement celle d'où l'on extrayait la pierre do taille.
Au Papyrus d'Orbiney, ce mot est déterminé par la pierre, comme
le groupe bien connu Tu, montagne.. Ailleurs, il a le déterminatif ordi-
naire des noms de pays, et parait s'appliquer à toute région montagneuse
coupée de vallées.
LECÈDREDANSLESHIÉROGLYPHES 121
dont les eaux descendent vers l'Égypte, car le groupe
IUMA1 désigne la mer, comme le copte Jon et
l'hébreu , et rien n'autorise à y reconnaître une dénomi-
nation du Nil. La montagne de l’Asch doit avoir été placée
par l'auteur du conte près des côtes de la Phénicie ou de la
Palestine. On sait qu'à l'époque contemporaine, les Égyptiens
y possédaient des établissements fixes. C'est la mer qui dut
porter la boucle parfumée vers l'une des bouches du Nil,
près d'un atelier de blanchissage des hardes royales.Par d'autres passages du même papyrus, nous apprenons
que l'asclz produisait des fleurs HULLou
HURR,copte ou pp ƒlos, et des fruits
AARl,copte p, ƒructus. Ces deux expressions n'ont rien de
spécial et s'appliquent à toute espèce de fleurs et de fruits.
Une circonstance plus caractéristique est citée dans le
voyage en Palestine que relate le Papyrus Anastasi Ier. Cet
important document, sur lequel je me propose de revenir
prochainement, parle d'une route plantée d’arbres aounnu,anulanu et d'aschs atteignant le ciel', et infestée d'animaux
fénoces. Cette description, qui s'applique certainement à
quelque localité située dans l'un des rameaux du Liban,constate que l'ascla atteignait une grande hauteur dans ces
parages.D'autres documentsoriginauxétablissent que lesÉgyptiens
tiraient d'une contréede l'Asie-Mineure,nomméeKhentshe2,du bois d'asch pour la construction des temples. La mention
spéciale dont est l'objet l’asch de Khentshe démontre qu'ilétait considéré comme une qualité exceptionnelle de cette
essence.Ces seules données nous conduisent à rapprocher l'asch
1. Papyrus d’Orbiney, pi. X, lig. 5 et suiv.
2. Anastasi I, pi. XIX, lig. 3.
3. Brugsch, Géographie, 3' partie.
122 LE CÈDRE DANS LES HIÉROGLYPHES
du cèdre qui, dans le Liban et le Taurus, croissait jadis en
si grande abondance; mais cette assimilation devient presque
une identité si l'on considère que les hiéroglyphes mention-
nent, à propos de l'asch, la plupart des propriétés que les
anciens ont à tort ou à raison attribuées au cèdre.
Le cèdre, qui fournit aux prophètes tant d'images bril-
lantes, est regardé dans l'Écriture comme le plus majestueux
des végétaux. Salomon, dit le texte sacré, traita de toutes
les plantes, depuis le cèdre qui est dans le Liban jusqu’à
l'humble hysope1. On sait qu'Hiram, roi de Tyr, fournit à
ce fastueux monarque une quantité considérable de bois de
cèdre qui fut employé à la construction du temple'. Le
palais des rois persans a Persépolis, qu'Alexandre fit brûleur
après une débauche, avait également ses boiseries en cèdre,
et il semble qu'indépendamment de l'incorruptibilité qui
recommandait ce bois pour les constructions de longue
durée, il lui ait été attribué une valeur mystique dont on
retrouve la trace dans les cérémonies pour la purification de
la lèpre', dans celle de la vache rousse', et dans l'emploi du
cèdre pour la confection des simulacres divins'.
Or l’asch, surtout celui qu'ils importaient d'Asie-Mineure,
était employé par les Égyptiens dans les boiseries et surtout
pour les portes des temples et des palais; les portes de bois
d'asch étaient souvent garnies de métaux importés de la
même contrée'. On en fabriquait aussi certains meubles
(OUH’TU)8, regardés comme assez précieux pour mériter une
mention spéciale dans l'énumération des richesses des
1. Rois III, ch. iv, v. 33.
2. Rois III, ch. v, v. 6.
3. Léoitique, ch. xiv.
4. NomLrcs, ch. xix, v. 6.
5. Pline, Histoire naturelle, liv. XIII, ch. v.
6. Denkmäler, III, 132 en e; ibid., 152.
7. Brugsch, Géographie, 3' partie.
8. Mention du grand papyrus appartenant à M. Harris.
LECÈDREDANSLESHIÉROGLYPHES 123
temples. Enfin, l'emploi du bois d'asch pour les usages
mystiquesest constaté au Rituel', qui prescrit la confection
d'une statuette de ce bois, sur laquelledevaient être pro-noncéesdes formulesde consécration.
Pline parle de l'usage du cèdredans la constructiondes
vaisseauxen Égypte2, et nous trouvons encore ici une
occasionde rapprochementavec l'asch les hiéroglyphesmentionnenteneffetdesbarquesde boisd’asch3,et l'un des
documentsrassemblésdans le Papyrus AnastasiIV est un
ordredonnépourl'emploide diversespièces
ASAU-T,coi, trabs] de bois d'asch à la réparation d'un
navire. A ce propos, le texte expliquequ'il devra être fait
choix de quatre pièces très longues, trés bonnes et très
épaisses,pour être placées,deux au côté droit, et deuxau
côté gauchedu navire*.Noustrouvonsenfin,dansles texteségyptiens,la mention
d'une huile d'asch au moyende laquelleon opérait la pre-mièredes dix onctionsdécritesau chap. CXLVdu Rituel5,et celled'un MESTEMoucollyreextrait dece mêmevégétalDe même,au dire de Théophraste,de Pline et de Galien,le cèdre fournissait des huiles et des résines auxquelleson attribuait des propriétés médicamenteuses.Les anciens
paraissentavoirutilisé dans ce but, non seulementla résine
qui découlenaturellement des conifères, mais encore les
bourgeonset même la sciure du cèdre'.Ainsi donclescaractèresdu boisd'asch, et ceux du cèdre
concordentd'une manière comp!ète l'un et l'autre sontdes arbres de haute taille, abondantsen Asie-Mineure,
1. Todtenbuch,ch.cxxxiv,9.2. Pline,Histoirenaturelle,liv.XVI,ch.XL.3. AnastasiIV,pi. III,lig.6.4. AnastasiIV,pl. VII,lig.7etsuiv.5. Todtenbuch,ch.exLV,4.6. Lepsius,Austcalel,XII,42.Cepassageestmalheureusementmutilé.7.Pline,Histoirenatunellc,liv.XXIV,ch.v.
124 LECÈDREDANSLESHIÉROGLYPHES
fournissantun bois recherchépour la marine et pour lesmonumentsles plus importants, ainsi que des substancesrésineusesemployéesà des usagesvariés. Soit en raisondeleur élévationdominante dans les forêts, soit par rapportaux propriétés de leurs bois et de leurs extraits, ils ontmérité l'un et l'autre d'être employésdans les cérémoniesdu culte. En un mot, on peut dire que l'identificationest
complète.Si mes vues sont partagéespar mes confrèresd'ëgypto-
logie, le mot asch sera désormaisregardé commele nom
hiéroglyphiquedu cèdre1.L'acacia est un arbre d'une taille moins élevéeet d'un
tronc moinsdroit; il est, par conséquent,moinspropreà laconfectionde boiseriesdegrandesdimensions.Pline dit quel'acaciacroissaiten abondanceaux environsde Thèbes', etde nos jours le robinier, faux acacia, abonde encore en
Égypte. L'acacia serait doncun arbre égyptienet n'aurait
pasmérité les mentionsqui noussignalentl’aschcommeunboisrare et précieux,dont au moinslesplus bellesvariétésvenaientd’Asie-Mineure.Aussi, bien que la variéténoirede l’acaciade Pline fut employéepour le corpsdes navires,bien que cet arbre produisit, comme le cèdre, des sucs
médicamenteux3,je ne pensepas qu'il ait rien de communavecl’aschdes anciensÉgyptiens.
Chalon-sur-Saône,15mai1861.
1. Lecoptea peut-êtreconservé,sousla formealtéréecei,cedrus,l'As'deshiéroglyphes.Lenomhébreuest commeenchaldéenetensyriaque.
2. Pline,Histoirenaturelle,liv.XIII,ch.ix.3. Pline,loc.cit.,Discoride,ch.cxv.
SCÈNE MYSTIQUE
PEINTE SUR UN SARCOPHAGE ÉGYPTIEN'
Le Musée de Besançon possède un monument égyptiend'assez grande importance; je veux parler de la momie du
grand prêtre d'Ammon, Sar-Amen. Ce personnage était en
même temps préposé en chef à tous les travaux du templede la triade thébaine, Ammon, Mau et Chons; prêtre de
Mau, grande maîtresse de la ville d'Ascher; préposé aux
troupeaux de la sainte nourriture d'Ammon et commandant
de la force publique de Thèbes. L'une des nombreuses
variantes de ses titres le nomme expressément Grand
prêtre entrant au temple d'Amen em apu 2, 1
yc’est-à-dire commandant des troupes du temple
d'Ammon-Ra, roi des dieux.
Il n'est pas difficile de reconnaître ici l'un de ces hauts
pontifes tliébains dont les empiétements successifs entraî-
nèrent la chute des Ramsès de la XX' dynastie, auxquelsils se substituèrent sur le trône. Notre monument se trouve
ainsi sûrement rapporté à la fin du XII° siècle avant notre
ère.
La splendeur de la sépulture justifie d'ailleurs cette attri-
bution elle consiste en trois coffrets richement décorés de
peintures et de légendes d'un excellent style. Dessinés avec
1. Extrait de la Revuearchéologiqzic,2' série, 1862,t. I, p. 370-374.2. Le templedeLouxor,partie sud.
126 SCÈNEMYSTIQUEPEINTESUR UN SARCOPHAGE
soin, les hiéroglyphes sont enluminés des couleurs conven-
tionnelles et ont tous exigé plusieurs applications du pinceau.Le nombre en est immense, mais les mêmes légendes se
répètent à profusion; aussi y a-t-il moins de sujets dignesd'étude qu'on ne le supposerait au premier coup d'oeil.
Parmi les scènes symboliques dont les sarcophages sont
décorés, j'ai remarqué principalement celle dont je repro-duis ici le dessin.
Un dieu en gaine, assis, tient des deux mains un vase, au
moyen duquel il verse un liquide que le défunt, agenouillé
devant lui, reçoitdans la bouche,
en étendant les
mains sous le jet,comme pour pré-venir la pertede la moindre
goutte du pré-cieux breuvage.Sur la panse du
vase se lit le nom
d'Osiris, et, au
milieu de la
scène, lalégende
ONH’BAI, signifiant vie de
l’âme. Ni le nom du défunt, ni celui du dieu ne sont écrits,
mais je ne crois pas qu'on puisse hésiter à reconnaître ici
Osiris lui-même, ou l'une de ses formes dérivées.
Deux déesses., Neith et Selk, que le dessin ne reproduit
pas, assistent à la scène et y prennent part, en faisant, les
bras étendus, l'acte du c'est-à-dire qu'elles appliquent
l'efficacité de leur vertu divine à favoriser l'opération mys-
térieuse qui se fait devant elles.
Cette peinture a évidemment trait à l'une des phases de
la résurrection. La plupart des scènes funéraires et des
SCÈNEMYSTIQUEPEINTESURUNSARCOPHAGE127
légendesinscrites dans les tombeauxont un rapport plusou moinsdirect aux circonstancesdu passageà la vie nou-
velle, à la secondevie, ainsi que la nomment les textes.
Ellesétaient regardéescommeessentiellesà la résurrection
du mort, qu'elles signalent commeéchappé à la rigidité
cadavériquesi complètementfiguréepar la momieentourée
de ses bandelettes. Par la vertu des cérémoniesou des
parolesqu'ellesenseignent,le défuntécartelesjambespourla marche,devientlibre d'aller et de venir, ouvrela bouche
pourparler, les yeux pour voir, recouvrede même l'ouie,
l'odorat, le goût et jusqu'aux plus grossièresfonctionsde
l'organisme.Mais il n'est pas seulementquestionde ce côté purement
matérielde la résurrection; il faut aussique l'âme revienneaucorpset au cœur, qu'elle soit de nouveaucontenuedansle corpset dans le cœur, ainsi que des textes le disent for-mellement.L'un des chapitres du Rituel avait pour objetdedéterminercette réunion1.
Toutefois,séparé de l'âme, le corpsmomifié,le SAHu,nerestait pas inerte au fond du puits funéraire; il pouvaitnotammentaccomplirles pérégrinationsaccidentéesdupur-gatoire égyptien,le ciel inférieur, tandisque l'âmearrivaitdirectementau ciel supérieur.Quellesétaientles conditionsattribuéesà cetteexistencedu corps,indépendantedel'âme?c'est ce qu'il est difficilede s'expliqueraujourd'hui,maisonpeut supposerquela réuniondéfinitivede l'âmeau corpscoïncidaitavec la fin de la périoded'épreuves à laquelletouslesmortelsétaient soumisaprès la mort. Je disréunion
définitive,car, durant leur existenceindépendante,l'âme etle corpspouvaientse rencontrer, serejoindreet être denou-veauséparés.La réunion dont traite lechapitre Lxxxix duRituel ne paraît pas avoir un caractèrede permanence,carla rubriqueétablit que ce chapitre prévient la destruction
1. Todtcnbuch,ch.LXXXIX.
128 SCÈNEMYSTIQUEPEINTESURUNSARCOPHAGE
du corps et empêcheque l'âme n'en soit écartée pour un
temps considérable.L'expressionqui veut dire toujours,éternellenxent,n'est pas employéeici.
Voicicommentla vignetteduchapitrefigurecetteréunion
l'âme, sous la forme d'un oiseauà tête humaine,planeau-dessusde la momieétenduesurle lit funèbreet lui applique,vers la région du cœur, le signe de la vie, représentéparl'hiéroglypheimproprementnomméCroixansée.Il ne s'agitpoint ici de la vie divine,maisde la vie humainedans sesconditions habituelles. Telle est la seule significationde
l'hiéroglyphe en question, qui n'exprime la vie divine, lavie pure, la vie forte, etc., qu'au moyende l'adjonctiondes
adjectifs nécessaires. L'âme rentrée au corps, le défunt
reprend toutes les fonctionsde la viematérielle.Mais la scènequi fait le sujet de cet article nous montre
que les Égyptiens distinguaientaussi la vie de l'âme, quis'obtenaitau moyend'un breuvagedivin. C'estunecircons-tance bien digne de remarque, que cette absorptionde lasubstancedivineconsidéréecommevivificationdelacréaturedansla partie intelligentedesonêtre.
On pourra probablementtrouver quelquesrapports entrecette scène et celle du sycomorede la déesseNou, qu'onvoit dans les Rituels'. Cet arbre de vie distribue au défuntun breuvage et des pains que les textes qui s'y rapportentnousreprésententcommeparticulièrementprécieuxpourlui.Rien toutefoisne nousa révéléque cebreuvageet cespainsfussent regardéscommela substanced'un dieu. Maisil nefaut pas oublierque le sycomoreest une formede la déesse
Nou, l'espacecéleste, la mèredu soleilet de touslesdieux,le réceptacleéterneldesgermesde la création et de la vie'.
Il est impossibled'allerbienavant dansuneétudede cette
espèce; en présencedes doctrines de la vieille Égypte, on
1. Todtenbttclt,ch.ux.2. VoyezTodtenbuch,ch.CLIII,lig.7.
SCÈNE MYSTIQUE PEINTE SUR UN SARCOPHAGE 129
BIBL. ÉOYPT., T. X. 9
éprouve une espèce de vertige comme à l'approche d'un
abîme insondable. Aucune mythologie n'a jamais possédé
une masse aussi considérable de mythes bizarres et com-
pliqués, entés sur un principe simple comme celui du mono-
théisme une vaste chaine paraît, dans ce système, rattacher
insensiblement l'homme et les mânes aux innombrables
divinités qui représentent les modes particuliers, les formes
et les volontés de l'être universel, le pivot de l'ensemble.
Le tout forme un panthéisme particulier dont la définition
exacte exigerait une science plus étendue que la nôtre.
Quoi qu'il en soit, l'étude des croyances égyptiennes n'aura
pas pour seul résultat de livrer quelques faits nouveaux à
notre curiosité; elle aura aussi une grande importance au
point de vue de l'histoire des moeurs, car elle nous initiera
aux principes de morale et de justice admis par les Égyp-tiens. Ces principes se rattachent en effet, de la manière la
plus directe, aux doctrines religieuses. Dans les inscriptions
funéraires, l'observation des prescriptions religieuses n'est
jamais séparée de celle des préceptes de la morale et de la
sagesse. Bien qu'en ce qui regarde les défunts dont elles
célèbrent les mérites, elles n'aient droit qu'à la confiance
due à toute espèce d'épitaphe, néanmoins il n'est pas possiblede douter un instant qu'elles présentent le programme des
vertus sociales et religieuses préconisées chez les Égyptiens.On en trouve le type dans certains passages du chap. cxxv
du Rituel où le défunt, introduit dans le tribunal d'Osiris,se recommande de ses vertus et énumère les iniquités dont
il est déclaré exempt. L'étude que j'ai faite de ces divers
textes m'a démontré qu'aucune des vertus chrétiennes n'yest oubliée la piété, la charité, la douceur, la retenue dans
les actes et dans les paroles, la chasteté, la protection des
faibles, la bienveillance pour les humbles, la déférence envers
les supérieurs, le respect de la propriété dans ses moindres
détails, etc., tout s'y trouve exprimé, et en fort bons termes.
L'Égyptien ne voyait s'ouvrir pour lui la porte de l'éternité
130 SCÈNE MYSTIQUE PEINTE SUR UN SARCOPHAGE
heureuse que s'il pouvait se rendre le témoignage d'avoir
nourri l'affamé, rafraîchi l'altéré, habillé le nu, etc.
C'est donc bien à tort, selon moi, que dans son savant
article sur Ésope et les origines des fables, M. Zundel a écrit
ces paroles Quant à la morale, elle semble avoir été en
Égypte aussi pauvre qu'il le fallait pour l’âge de la Fable'.
Je ne relèverais pas cette allégion si l'auteur s'était contenté
de l'appuyer sur les contes ridicules d'Hérodote. Ceux qui
consentiront à croire, sur le témoignage de l'historien grec,
que Chéops prostitua sa fille, à prix d'argent, pour payer les
façons de ses pyramides'; que Sésostris jeta ses enfants dans
un brasier pour se faire un pont à travers les flammes', etc.,
ceux-là, dis-je, peuvent concevoir de la valeur morale des
Égyptiens l'opinion qui leur conviendra, sans que les égyp-
tologues songent à les détromper. Mais M. Zundel m'a mis
en cause en citant quelques extraits de mes traductions du
Papyrus Prisse', et en cela, il n'a pas tenu assez de compte
de mes résorves J'ai le regret, disais-je, de laisser presque
entièrement dans l’ombre de l'inconnu les vénérables doc-
trines du vieux philosophe égyptien. C'était donc faire à
mes traductions fragmentaires beaucoup trop d'honneur que
d'y puiser des arguments pour une thèse de cette nature,
d'autant mieux que les deux maximes mises en cause sont
des fragments de phrases arrachés à un contexte inintelli-
gible pour moi et dont la traduction correcte modifierait
probablement les sens que j'ai adoptés. Je devais cette ex-
plication aux lecteurs de la Revue et à l'honorable M. Zundel
lui-même, que je regretterais d'avoir entraîné dans une
erreur.
1. Revue archéologique, nouvelle série, III. p. 354.
2. Hérodote, II, ch. cxxvi.
3. Hérodote, Il, cli. cvii.
4. Revue archéologique, 1857, p. 1; [cf. t. Ier p. 183-214, de ces
Œuvres].
PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES
I. 343-371
DU
MUSÉE D'ANTIQUITÉS DES PAYS-BASA LEYDE1
1. 343-371. Papyrus. Textes hiératiques, contenant des formules
magiques, recueils de maximes, hymnes, correspondances épis-
tolaires, rapports, états de comptabilité, essais calligraphiques, etc.
Tous ces papyrus, à l'exception du n° 345, qui a fait partie de la
collection de M. Cimba, acquise à Livourne en 1826, appartiennent
à la collection Anastasy. Les nos 343, 344, 346-349, 351, 352, 360-
362 et 365-368 inclus, ont été trouvés à Memphis les nos 369 et 370
à Thèbes. Les inventaires du Musée ne fournissent aucun rensei-
gnement relatif aux endroits d'où proviennent les autres papyrus,
345, 350. 353-359, 363, 364 et 371.
Ces papyrus, publiés depuis 1853 dans les 14-20 livraisons des
Monuments égyptiens, ont été accompagnés d'un texte provisoire,
qui ne devait servir que jusqu'à ce que, tous les manuscrits de
cette série étant lithographiés et imprimés, ils pussent être dis-
posés chacun d'après son numéro d'ordre. Dans l'intervalle, M. F.
1. Pnbliés dans la 14' livraison, ou la 7e de la II' partie, et dans les
16-20 livraisons, les 9-13 de la Il' partie des Monumcnts égyptiens du
Mussée d'Antiquitis des Pays-Bas ic Leyde, par le Dl C. Leemans.
87 planches, XCVIII-CLXXX1V. [On n'a reproduit ici que le texte de
Cbabas, les planches se trouveront dans le grand ouvrage néerlandais.
—G. M.|
132 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
Chabas de Chalon-sur-Saône, qui, par ses excellentes publications,s'est assuré un premier rang parmi les Égyptologues de notre temps,a bien voulu, à notre demande, s'occuper d'un examen de ces docu
ments, et nous communiquer les résultats de ses recherches, dans
les Notices, que nous avons l'avantage de pouvoir publier ici. C'est
un nouveau titre que ce savant distingué vient d'acquérir à l'estime
et la reconnaissance de tous ceux qui s'intéressent aux progrès des
découvertes dans les vastes champs de l'Archéologie égyptienne.Nous saisissons avec empressement cette occasion de témoigner
publiquement combien nous lui sommes redevables de l'intéres-
sante contribution dont il a bien voulu enrichir notre ouvrage.Dans' un travail spécial, récemment publié sous le titre de Mé-
langes égyptologiques1, M. Chabas a discuté différents sujets, con-
tenus dans les textes denos papyrus hiératiques, et mis un peu plusen relief les particularités qu'ils renferment. Il s'était contenté de
traiter ces particularités d'une manière plus succincte dans les
Notices suivantes, parce qu'elles auraient exigé des citations de
textes originaux et l'emploi de types hiéroglyphiques et hiératiques,ou nécessité des planches spéciales. Quoique nous ne puissionsdouter que les Mélanges égyptologiques ne soient dans les mains
de toutes les personnes qui s'occupent des textes égyptiens, il ne
nous a pas paru tout à fait inutile de citer, dans quelques notes
marginales (signéesC. L.) les endroits, qui peuvent fournir de plus
amples renseignements, ou qui offrent les derniers résultats des
recherches ultérieures auxquelles l'auteur s'est livré. C. Lee-
mans.
1. Mélangeségyptologiquescomprenant onzedissertations sur dif-fcsrentssujets, [1resérie],Chalon-sur-Saôneet Paris, 1862,8*.
NOTICES SOMMAIRES
DES
PAPYRUS HIÉRATIQUES ÉGYPTIENS I. 343-371
DU MUSÉE D'ANTIQUITÉS DES PAYS-BAS A LEYDE
AVANT-PROPOS
Les Papyrus hiératiques du Musée I. 343-371 forment
un ensemble assez considérable. Bien qu'ils ne comprennentaucun document digne d'être comparé à certaines pièces
appartenant au Musée Britannique, ils n'en sont pas moins
d'un grand intérêt et méritent la très sérieuse attention des
Égyptologues. On y trouvera en effet un nombre immense
de notions nouvelles, qu'on chercherait vainement ailleurs.
Presque tous ces manuscrits ont plus ou moins souffert
des injures du temps; l'écriture en est souvent usée, illisible
et les lacunesy abondent. Au premier abord l'investigateurse retire découragé de ses efforts infructueux. Cependant le
mal n'est pas aussi grand qu'on pourrait le croire; avec un
peu d'attention on finit par se rendre maître du type gra-
phique, on réussit à combler quelques lacunes, et si l'on ne
peut pas tout traduire, on détermine au moinsavec certitude
ia nature et le sujet de tous ces documents.C'est ce but limité que j'ai eu en vue et que j'espère avoir
atteint dans les notices sommaires qui vont suivre. Mon
travail n'est qu'un acheminement à des études plus appro-fondies les Égyptologuespourront y trouver des indications
134 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
utiles pour l'objet spécial de leurs recherches et un encou-
ragement à sonder ces mines nouvelles que l'intelligentedirection du Musée d'antiquités néerlandais a mises à notre
disposition.Voici la distribution générale des matières contenues dans
ces papyrus1° PAPYRUS DE FORMULES MAGIQUES.
I. 343, recto et verso.
345, recto et verso. Ce papyrus contient aussi quel-
ques recettes médicales.
346, 347, 343, pages II et III; 348, revers, et 349.
2° PAPYRUS MAGIQUES ROULÉS, AYANT SERVI DE TALIS-
MANS.
I. 353-359.3° RECUEIL DE MAXIMES OU D'AXIOMES SUR DES SUJETS
VARIÉS.
I. 344.
4° HYMNES AU DIEU DE L'ÉGYPTE CONSIDÉRÉ SOUS SES
ATTRIBUTIONS SOLAIRES.
I. 344, verso; 350.5° CORRESPONDANCE ÉPISTOLAIRE ET RAPPORTS OFFICIELS.
I. 348, page i; ibid., pages 6-10.
360-367. Ces huit papyrus sont des lettres missives
qui ont été trouvées roulées et cachetées.
368, 369 et 370.
6° ÉTATS DE COMPTABILITÉ.
I. 350, 351, 352.
7° ESSAIS CALLIGRAPHIQUES.
I. 348, pages 4 et 5.
8° ADRESSE DÉPRÉCATIVE D'UN ÉPOUX A SA FEMME DÉ-
FUNTE.
I. 371.
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 135
NOTICES DES PAPYRUS'
Planches XC VIII-CIV
I. 343. Sept pages au recto (pl. XCVIII-CI) et six au verso
(Pl. CI-CIV). Écriture pleine, mais peu ferme; type de
l'époque des Ramessides (XVIIIe ou XIXOdynastie).Cepapyrus est un livre de formulesmagiques, en égyptien
SCENTI,charme, conjuration. A la fin de chaque formule,une clauseà l'encre rouge en indique l'usage spécial, comme
par exemple page 1, 1. 2 (pl. XCIII); 4, 1. 8 (pl. XCIX);
6, 1.1 (pl. C).
L'objet de ces formules est de conjurer et de dissiper cer-
taines maladies que le texte nomme AKeUet SAMAUNA.Ces
deux dénominations s'échangent parfois dans des phrasesidentiques, et l'on voit par un autre document que l'AK'U
pouvait avoir son siège dans les intestins.
Ainsi que je l'ai montré dans le Papyrus magique Harris',dont j'ai publié le texte et la traduction, les conjurationsmagiques employéespar les Égyptiens se composent géné-ralement
1° de la mention d'un événement mythologique et le plus
souvent de quelque fait relatif à la lutte d'OstRis contre SET;
1. Dans la transcription des mots égyptiens, la voyelle u doit être
prononcée orc; le q est exprimé par ƒ, le par s', le a par t', le par li‘
et le 2 par h (C. L.).2. Lc Papyrus magique Harris, traduction analytique et commentée
d'un manuscrit égyptien comprenant le texte hiératique, un tableau
phonétique et un glossaire, 1 vol., in-4°, av. pl., Chalon-sur-Saône. Voyezaussi sur ces formules de menaces dans les conjurations magiques, Reu-
vens, Lettres iz M. Letronne, I. 12-17, et le Papyrus égyptien démotiqueic franscriptions grecques (publié dans la 1" livraison des Monuments
égyptiens), texte, p. 7-15 (C. L.).
136 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
2° de l'identification du conjurateur avec une divinité,dont il assume la puissance au moyen de la conjuration;
3° enfin d'une injonction, quelquefois suivie de menaces,
à la personne ou la chose conjurée.Les Papyrus de Leyde justifient complètement cette divi-
sion.
De la première page de celui qui nous occupe, il ne reste
que des lignes fragmentées; la rubrique qui se trouve à la2°ligne démontre que le papyrus n'est pas entier. SETfiguré
par l'animal typhonien, qui désigne aussi SUTEK`,dieu des
K'tTAS,adopté par les Ramessides,est nommé la 10°ligne;mais on ne distingue rien de précis qu'à la 7° ligne de la
page II,où SAMAUNAest conjuré en ces termes Pars, ô Sa-
mauna, pars, ô louche d'yeux'! ou tu seras brisé sur la
pierre, ou tu périras sur la pierre.Avecla page lu (pl. XCIX) commenceun nouveau S'RNTI;
l'écriture en est fort mutilée, mais on y retrouve AK"uet
SAMAUNA,La fin de ce paragraphe existe en duplicata au
papyrus I. 345, revers G, ligne 4 (pi. CXXXV). Avec ce
secoursnous obtiendrons une idée un peu plus complète du
texte. Voici ce que j'y lis, page III,1.ult. et sqq. Ils feronttomber le sang du soleil sur la poussière. ils frap-
perorat sur les narines de l'Ak‘u; ils frapperont son sein.
Pars, ô Sunzauna! suis l'aile que Je tiens à la main; tombe
sur la poussière! devienspierre! Je suis Set; je descends
du ciel poui-fouler ton cou. Suit la rubrique qui expliquedans quelles circonstances il faut prononcer ces paroles.
Un troisième S'ENTEcommenceà la ligne 9 de la page iv
(duplicata 345, revers, pl. CXXXV G, 1.5). Le conjurateur
y fait appel aux forces violentes de SET(ou de SUTEK')et de
BAAL,et il s'agit encore de dissiper magiquement AK'Uet
SAMAUNA.Le texte renferme des mentions mythologiques
1. Cestroisderniersmotsmelaissentquelquesdoutes.
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 137
tellement singulières et nouvelles, que je crois devoir donner
la traduction de ce passage.
La maladie conjurée, personnifiée sous les noms que j'ai
fait connaître, est menacée en ces termes, page iv, 1. 11
Oui, il exercera la force de son double dlaive contre toi;
oui, tu goûteras les goûts des breuvages qu'il a dans la
main; oui (page v, pl. C), Baal te frappera avec le
cédre qu'il tient à la main; et il réitérera avec les poutres
de cèdre qu'il tient à la main. Tu es semblable à ceux qui
sont en élat de Samauna1. Les dieux feront contre toi les
actes que fait Dieu avec l'eau; avec les vaisseaux (veines
et artères) nombreux de Set; avec les vaisseaux surabon-
dants de Num et de Phra; avec les vaisseaux d'Ap-heru,
qui sont conzme des sernents; avec les uaisseaux dte dieu
du ciel supérieur, et ceux de Nenukar, son épouse; les vais-
seaux de Ras‘pu, et ceux d'Autuma, son épouse; vaisseaux
defeu consumant. Oui, tu seras traité dit traitement d'hier.
Oui, tu seras éleint conzme éteignent Oui, tu sauteras
sur la poussière; oui, tu mourras; oui, les dieux sauront
te dire ccSois naort! » Oui, les déesses sauront dire à ton
cœur: « Sors! »
Deux personnages mythologiques entièrement nouveaux
apparaissent dans ce curieux passage. NENUKAR,épouse du
dieud'en haut, NETERHERet AUTUMA(l’Édomite?),épousedu
faroucheRAS‘PU,dieu d'origine syrienne qu'on a déjà trouvé
associéà la cruelle ANATA.Le S‘ENTIsuivant, page vi, 1.2 (pl. C), n'est pas moins in-
téressant. Il a pour objet de rendre le conjurateur maître du
cœur, c'est-à-dire de la vie de SAMAUNA.La formule est
singulière J'agis deuant toi, ô S'amatcrza,conzmecelui quibaigne,pour les nzembresde Men de Men-t’, conzmecelui
qui, devant voler, se tint d'abord sur un lieu éleué,puis
1. LeduplicataPapyrus345,verso,pl.CXXXV.G.1.10a AK’U,2. Men,filsde Men-t,expressionidentiqueau grec6 vx ôvx,
138 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
s'envola au soleil levant. J'agis devant toi de même, ô Sa-
mauna, j’agis devant lot conzmecelui qui baigne. Est-ce
que tu ne me connais pas, ô Samauna? etc.
Entre autres mentions remarquables, la suite du texte
parle des serpents qui tuent, de KITUR!U,leur mère (p. vi,
1.10), autre personnagemythologique, qui a plus d'analogieavec les génies des légendesarabes, qu'avec les dieux égyp-tiens, puis desmamellesd’Anata, la grande Amrit (génisse)de Set'
La page vu (pl. CI) n'a pas une ligne entière; on y dis-
tingue l'incantation de certains breuvages destinés à SA-
MAUNA(p. VII,lig. 9, 10).Enfin on y trouve le nom de la ville syrienne de K‘ERBU,
si souvent mentionnée dans les inscriptions militaires con-
temporaines, et qu'il faudra peut-être identifier avec Chaly-bon (Alep).
Verso. L'écriture du texte du verso est uséepar le frotte-
ment, sauf à la pagev (pl. CIV) qui est encore lisible; quoi-
qu'elle soit fort ressemblante à celle du recto, elle paraît être
d'une autre main. Dans tous les cas, le sujet est identique,et l'un des textes faisait sans doute suite l'autre.
AK‘Uet SAMAUNAreviennent à différentes reprises, et
notamment page iv, 1. 2 (pl. CIII), se retrouve la formule
déjà traduite Pars, ô Aku! pars, ô louche d’yeux; oui, tu
seras frappé sur la pierre; oui, tu succomberas sur la
pierre.Au commencementde la page v (pl. CIV), est relaté un
fait de l'histoire d'Ists Ta mère a conçu, tu as été enfanté
(ce matin). Elle a fait un charme, en pleurant, contre le
serpent.
un tel,fils d’une telle; v. Mélanges égyptologiques, [1resérie,] p.108-111;
Brugsch, Grammaire démotique, VIII, § 6, p. 117, 118 (C. L.).
1. Ou plus probablement de SUTEK'. Le texte du papyrus est fortement
imprégné de l'influence syrienne.
PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES 139
On rencontre, dans la suite du texte, la mention de
diverses parties du corps humain, dont les fonctions sont
exprimées, mais il est difficile de relier avec quelque certi-
tude les parties intelligibles de ces phrases mutilées.
Planches CV.CXXV
I. 344, recto. Le manuscrit est écrit des deux côtés, mais
le texte du verso, étant essentiellement différent de celui
du recto, aura sa notice spéciale.Le texte du recto (pl. CV-CXIII), d'une écriture ferme et
serrée, appartient également à l'ère des Ramessides; c'est
l'un des plus intéressants de la collection. Il forme seize
pages, dont les neuf premières sont divisées par des ru-
briques en courts paragraphes.
Jusqu'à la page vi (pl. CVII), la rubrique consiste dans le
groupe Aumes, dont la valeur exacte n'est pas encore déter-
minée. Je propose d'admettre provisoirement le sens ima-
ginen, supposer, qui rend bien compte de la disposition du
texte. Il s'agit en effet d'une suite de sentences et d'axiomes,tels que les deux suivantes,p. u, 1. 3 (pl. CV) Supposez quele Nil crnisse,personne ne laboure; p. n, 1.10 Supposezun
fleuve où boivent des crocodiles, la soif se calme cheNles
hommes.
Une foule d'objets sont ainsi mis en scène, par exempleles métaux précieux employés à orner le cou des esclaves,
p. III, I. 2 (pl. CVI); la chevelure, iv, 1; la mort, iv, 2; Athu
et To-mehi, deux villes de laBasse-Égypte, iv, 6; le pouvoirdes esclaves,iv, 13; la fuite du soldat, v, 4 (pl. CVII); le foin
mouillé, vi, 1; le blé gâté partout, m, 3; les formules ma-
giques, vi, 6, etc.Aux pages vu, VIII(pl. CVIII), et ix (pl. CIX), la rubrique
devient MA-TEN,accordez, faites que, convenez.L'une des
maximes de cette partie du manuscrit illustre d'une manièrebien remarquable pour l'époque, l'éternelle influence de la
140 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
richesse; p. VIII,1.1 Faites que celui qui n'a rien devienne
maître de richesses, le magistrat le louera. Si la considé-
ration s'improvise dans certains cas, il n'en est pas de même
de la science musicale; p. VII, 1. 13 Faites de celui qui
ignore le plectrum un mîatre de cithare, il ne jouera pasde manière à charmer la nzélancolie.
P. vin, 1. 5, un précepte approuve l'homme qui vit de son
travail.
P. vin, 1. 10et 12, est traitée l'hypothèse de rois soumis
à des travaux vulgaires, et p. VII, 1. 11, de l'individu qui,
n'ayant pas de couteau, serait chargé de tuer des boeufs.
On conçoit aisément l'intérêt de ce singulier manuscrit;
malheureusement, par la nature même de son texte, il pré-sente de grandes difficultés au traducteur, et ces difficultés
sont beaucoup aggravées par la multiplicité des lacunes, quientament presque toutes les phrases.
Les dernières pages du papyrus sont couvertes d'un texte
philosophique, entrecoupé de si grandes lacunes, qu'il est
presque impossible d'en tirer quelque chose de suivi.
Verso (pl. CXIV-CXXV) Douze pages d'une très belle
écriture, d'un corps plus élevé, mais du même type paléo-
graphique que les manuscrits précédemment décrits. De
même que celui du recto, le texte du verso, dont le commen-
cement n'existe plus, est déplorablement mutilé. Il contient
un hymne au dieu de l'Égypte, considéré principalementdans ses attributions solaires; des rubriques, consistant dans
les premiers mots de certains paragraphes écrits à l'encre
rouge, le divisent en strophes. Voir p. 1, 1. 3 (pl. CXIV);
II,1,5,9 (pl. CXV);III, 6, 9 (pl. CXVI);IV, 1,5,11 (pl. CXVII);
v, 5, 9 (pl. CXVIII) vi, 9 (pl. CXIX); vct, 2 (pl. CXX); ix,5
(pl. CXXII); x, 3, 8 (pl. CXXIII); XII, 2 pl. (CXXV).Ladivinité yest invoquéesousles nomsdivers du Panthéon
égyptien HoRus, HARMACHIS.Tum, CHPRA,ATFN,etc.,et l'on y retrouve la plupart des attributions que les com-
positions du même ordre nous ont déjà fait connaître. Par
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 141
esemple Gloire à toi qui as enfanté tout ce gui est
qui as formé l’homme, fait les dieux, créé les animaux dans
leur ensemble. qui fais vivre les humains; qui n'as
pas de second; seiyneur des forces reproductives mâles;
toi qui donnes le souffle, p. II, 1. 1 et suiv. (pl. CXV).
Dans l'invocation suivante, l'auteur a épuisé la série des
termes exprimant la divinité et la souveraineté; il a même
pu doubler l'idée roi des rois, en employant successivement
les deux expressions, qui nomment distinctement la royauté
de la Haute-Egypte et celle de la Basse-Égypte Salut
à toi! Horus des Horus, dominateur des dominateurs,
grand des grands, régent des régents, seigneur des sei-
gneurs, dieu des dieux, roi des 7'ois. p. vi, 1. 9 et suiv.
(pi. CXIX).L'action providentielle de la divinité est bien indiquée
dans les fragments que voici Celui dont la nature est de
faire vivre le nzonde dans ses phases, le cours du Nil dont
les voies sont secrètes; il rajeunit erzsa saison. p. ViI,
1. (pl. CXX). Il est la lumière du monde; il pousse dans
toute herbe; il fait les grains, les plantes, la verdure.
p. ix, 1. 2 (pl. CXXII). C'est lui qui donne aufils les dignitésdu père, p. xii, vers la fin (pl. CXXV).
On doit s'attendre à trouver l'expression de l'unité de dieu,et en effet elle apparaît énergiquement dans cette phraseTu es l'unigue au ciel et sur la terre. il n'en est pasd'autre que toi, p. x, 1. 9 (pl. CXXIII). On sait que, chez les
Égyptiens, la notion de l'unité divine comprenait à la fois
le principe mâle et le principe femelle. Ce dédoublement
paraît être rappelé à la rubrique, p. III, 1. 6 (pl. CXVI), quicommence par les mots un double; malheureusement la
destruction du texte consécutif nous prive des commentaires
de ce début.
En définitive, malgré son état de mutilation, ce manuscrit
peut encore être l'objet d'une étude fructueuse.
142 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
Planches CXXVI-CXXXVIII
I. 345. Ce manuscrit parait être de la même main que le
n° I. 343; il est aussi de même sujet, c'est-à-dire qu'il con-
siste en un recueil de formulesmagiques. Le texte du verso
est la suite de celui du recto.Recto(pl. CXXVI-CXXXII). Lesfragments qui couvrent
les pl. CXXVI et CXXVII sont trop petits pourdonner priseà l'étude. Il en reste assez cependant pour démontrer que ces
débris appartiennent à des formules du même genre quecelles qui vont suivre.
En g, I (pl. CXXVIII) se trouve une imprécation contre
la maladie SAMAUNA(1.6), à la suite d'une énumération de
différentes parties du corps, dont les fonctions sont indi-
quées, et notamment des sept ouvertures de la tête. A la
ligne 8, une rubrique détermine le cas dans lequel la con-
juration doit être employée.Le SENTIsuivant regarde lAKU, mais les lignes de toute
cette page n'étant pas entières, il est difficiled'essayer une
traduction. A la dernière ligne et dans les trois premièresde la page suivante (p.n, 1. 1-3),je distingue cependant cette
formule singulière
afait emporterles montagnes, celui qui exerce l'acte
viril comme un taureau de sacryce. Oui, il déracinera
l'action de Samauna; oui, il déracinera ses deux.
ainsique ses influences pernicieuses, qui ont pénétréjusqu'àson cœur (le cœur du malade sans doute).
SETet ANHERsont les dieux invoqués, p. n, 1. 4. Le rôle
important d'ANHERdans les opérations magiques nous a été
révélé par le Papyrus magique Harris.
Après la grande lacune qui coupe le milieu de la page,on trouve, 1. 8:
Tombe sur la poussière, ô Samauna! oui. ouvrez
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 143
vos bouches, vaisseaux de Men ( fils) de Men-t! 1 Éjaculez
lAku, qui est en vous! car je ne parle pas à toute espècede vaisseaux; car je parle aux vaisseaux qui ont reçulAku. Oui, vous demeurerez inertes (?) sur le sol; oui,Plzra saura dire « 0 Samauna, meurs! » Oui, les Hathors
sauront dire à Samauna « Sors!' o
Nousarrivons, p. III,1. 5 (pl. CXXIX), à une lacune consi-
dérable.Un nouveau SENTIcommenceà la ligne 9; il y est
fait appel au nom d'HoRUSet au nom de SET,seigneur du
ciel, qui porte son glaive et abat la pierre d'une coudée. Ce
passage fait allusion à un épisode encore inconnu de la
guerre typhonienne; la pierre mythologique sur laquelle
frappe SET,est sans doute la même, dont l'une des formules
du papyrus I. 343 menace AK'Uet SAMAUNA'.
Ala finde la page iv, nousretrouvons le dieu RASPu.
frappera sur ta tête; oui, tu marcheras sur le sentier de
ceux que Raspu a tués; et de ceux qui ont marché devant
la poursuite dAnher.
Lesplanches CXXX et CXXXI n'ont plus que d'insigni-fiants fragments. Dans le dernier, page II, l. 2 (pl. CXXXI),une rubrique ordonne de prononcer sept fois la formule qui
précède.Le texte change ensuite momentanément de nature et,
au lieu de moyens magiques, donne contre les maladies de
véritables recettes, reru. Différentes substances sont indi-
quées commedevant être mélangées à certaines doses; tousles noms sont lisibles, mais je ne puis identifier que le mielet le sel de nitre HESMEN.
Les S'ENTisrecommencent dès la dernière ligne de la
mêmepage, où nous en trouvons un contre le feu, ou l'in-
flammation,qui se manifeste à l'un des membres, nommést'a. Il est fait appel à la puissance de PHRAet de TUMà
1. ComparezMélangeségyptologiques,[1"série,]p. 64(C.L.).2. V.supra,p. 136,138[duprésentvolume].
144 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
propos d'une exécution, dont le théâtre est placé par le texte
dans l'Élysée égyptien, nommé ici la campa,gne d'Aareru',
p. III, 1. 2 (pl. CXXXII). Le charme est puissant, car il peut
conjurer le ciel et anéantir la terre.
La formule de menaces est curieuse S'il n'écoute pas mes
paroles, je ne lui livrerai pas les yeux d'Horus, je ne lui
livrerai pas le scrotum de Set, en ce monde à jamais.Il est questionici d'un épisode de la lutte d'HoRUScontre
SET, déjà connu par le Rituel. Favorables ou non au bon
principe, les événements de la guerre typhonienne avaient
eu leur nécessité fatale. Aussi, au point de vue des idées
égyptiennes, tout dérangement apporté à l'ordre de ces évé-
nements eût altéré les destinées providentielles de l'univers.
La rubrique explique que cette conjuration devait être
répétée quatre fois, p. III, 1. 6.
Un dernier S'ENTI,que la rubrique finalemontre employédans le même cas que le précédent, commencepage ni, 1. 6.
C'est un des plus curieux au point de vue mythologique,
parce qu'il nous fait connaître la déesse RANNU,sœur du
bœuf divin HAPU(Apis), venue de PUNT(l'Arabie). Puis le
texte passe à une espèce de litanie, dans laquelle le conju-rateur interpelle le maladesous le nom de Men de Ment, quenous avons déjà plusieurs fois rencontré. L'origine du mythe
d'Apis ne nous est pas encore connue; nous savons seule-
ment qu'il date des plus anciennes époques; dans le texte
cité se trouvent quelques indications qu'on pourra utiliser.
La litanie est conçue en ces termes
Je parle sur toi, Men de Ment, corramea parlé Phra sur
lui-même. Je parle sur toi, Men de Men-t, commea parléSu sur lui-même, lignes 8-9.
La même formule se continue avec les noms des dieux
SAPTI (Sothis), 1. 10; TUM, ib.; HORUS, 1. 11; SET, 1. 12 et
1. Comparez pour ce mot et pour ses formes, Mélanges égyptolo-
giques, [1" série,] p.104, 105 (C. L.).
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 145
BIDL. ÉGYPT., T. X. 10
THOTH,p. 4, 1.1; et des déesses Isis et NEPHTHYS,1.2 et 3.
Verso (pl. CXXXIII-CXXXVIII). Dans les débris quicouvrent les planches CXXXIII, CXXXIV, on reconnaît
encore des morceauxde SENTIScontre AKU, et la fin d'une
cetteer médicale indiquant quelques substances à mélangeravec du vin, f, iv (pl. CXXXIV).
De la plancheCXXXV, j'ai déjà fait connaître le contenu;c'est le duplicata d'un passage du Papyrus I. 343'.
Le reste du manuscrit (pl. CXXXVI, CXXXVII et
CXXXVIII) est tellement fragmenté, qu'il n'offre pas de
prise à l'étude. On y retrouve l'AKU, le Men de Men-t, les
serpents qui tuent, etc. En h, II (pl. CXXXVII), une ru-
brique annonce un S'enti contre les jambes mortes, sans
doute la paralysie. Une déesse nouvelle, qui porte le titre
d'épouse d'HoRUS,est nommée à l'avant-dernière ligne du
Papyrus, I. page II(pl. CXXXVIII).
Planches CXXXIX-CXL
I. 346. Trois pages d'une bonne écriture de l'ère des Rames-
sides. Le papyrus est complet. Il porte le titre, page 1,1.1
(pl. CXXXIX), de Livre de la fêtede lafin de l'année',et contient un texte mystique, qu'il fallait réciter pendantla fête des jours épagomènes et à la panégyrie d'UAK,au
lever du soleil, pour conjurer la contagionannuelle'. Pour
le même objet, il fallait, dit le Papyrus, p. Il, 1. 3, pro-
noncerles parolessur un morceaude toile (oudepapyrus),sur lequel on aurait dessiné une rangée de douzedivinités;on faisait une offrande de pains et de liqueur hak; on
brûlait de l'encens, et l'on s'attachait au cou l'amulette
1. V. supra, p. 136 [du présent volume].2. Le groupe, disparu au commencement de la première ligne, se re-
trouve à la page III, 1. 4 (pl. CXL).3. Ou la peste. Voyez les Mélanges égyptologiques, [1" série,]
p. 37-41 (C. L.).
14G PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
ainsi consacré. Cela sauve l'homme de la contagion an-
nuelle et l'ennemi, (la mort) ne peut s'emparer de lui.
La rangée de douze divinités se trouve en effet dessinée
à la fin du manuscrit, et la pièce principale du papyrus est
une allocution du conjurateur à ces mêmes personnages
divins, dont le premier est la déesse PAK`T,dame d'-As'er.
Ces divinités sont désignées en bloc sous le titre de Dieux
à la suite de Pakt (p. II, 1.4) et de Dieux coupeurs de têtes
(p. 1, 1. 10). Entre autres singularités de cette allocution,
je remarque la litanie suivante, p. i, 1. 9-13 Queje ne suc-
conzbepas sous les coups de celui qui est dans Pa; quejene succombepas sous les coupsde celui qui est dans Tepu;
que je ne succombepas sous les coups de celui qui est dans
Kem (probablementSokem) que je ne succombepassous les
coupsde celui qui est dans On; que je nesuccombepas sous
les coups de celui qui est dans Tattu; que je ne succombe
pas sous les coups de celui qui est dans Abydos; que je ne
succombe pas sous les coups de celui qui est dans Ker;
queje ne succombepas sous les coups de celui qui est dans
(nomeffacé, probablement le Seba, le ciel d'en bas);
que je ne succombepas sous les coupsde celui qui est dans
la terre; que je ne succombepas sous les coups de celui quiest au ciel; que je ne succombe pas sous les coups de celui
qui est dans lejleuve.Ces mentions se rapportent toutes à Osiris, et je ne doute
pas que les huit villes, désignées aux premiers versets, ne
soient précisément celles dans lesquelles Isis avait enterré,les uns après les autres, les membres d'Osiris. Le sens intime
des paroles égyptiennes est que je ne succombe pas sous
les cozeps,sous lesquels a succonxbéOsiris, cette premièrevictimedes forces destructives personnifiées en Set.
La deuxième section du papyrus fait connaitre les noms
mystiques des cinq jours épagomènes (p. tt, 1. 5); le texte
explique que celui qui prononcera ces noms ne souffrira pasde la soif, ne sera pas atteint par la contagion annuelle, ni
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 147
maîtrisé par PAKT, l'exécutrice des vengeances divines, con-
sidérée comme présidant à tous les maux dont souffre l'hu-
manité.
Le conjurateur dit Je connais cela (ces noms), je ne souf
frirai pas de la soif; je ne succombei-ai pas à la contagion
annuelle; Pakt ne me maîtrisera pas; puis il passe en
revue les cinq jours épagomènes, p. n, 1. 7-m, 1. 2, en
indiquant leur qualité favorable ou funeste, à la manière du
calendrier Sallier', et en y rapportant la naissance d'OSIRIS,
d'HoRus, de SET, d'Isis etdeNEPHTHYS, dans l'ordre assigné
par Plutarque; il demande, dans une courte prière, l'assis-
tance de chacune de ces divinités et prononce enfin le nom
mystique du jour épagomène.Une clause, débutant par trois mots à l'encre rouge, p. in,
1. 1 (pl. CXL), explique qu'il faut prononcer les formules
en dessinant les dieux sur un morceau de toile avec des
couleurs données, pendant les cinq jours complémentairesde l'année. On ne devait se livrer à aucun travail étranger.Celui qui avait ainsi opéré ne périssait pas.
Une seconde rédaction du livre des cinq épagomènes com-
mence à la page III, 1. 4; c'est un abrégé qui comprend une
invocation, l'énonciation des noms mystiques, et la formule
d'identification du conjurateur avec diverses divinités et
notamment deux formes de PAKcT.
Planches CXLI-CXL VI
I. 347. Douze pages, plus trois lignes de la treizième, d'une
écriture fine et nette, appartenant au même type paléo-
1. Papyrus Sallier IV, Select Papyri in the Hieratic character in
the British Museum, pl. CXLIV-CLVIII. Voyez E. de Rougé, Mémoire
sur quelques phénomènes célestes rapportés sur les monuments égyp-
tiens, appendice sur le Calendrier du Papyrus n' 4 de la collection
Sallier, dans la Reoue archéologique, [1" série,] année IX. Comparez
aussi H. Brugsch, Ueber dic fünf Epagonaenen in einem hieratischen
Papyrus su Lcyden, dans la Zeitschrift der Deutschen Morgenlünd.
Gcscllschaft, t. VI (1b52) (C. L.).
148 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
graphique que les manuscrits précédemment décrits. Ce
papyrus contenait deux compositions distinctes, mais de
même sujet. De la première, il nous reste seulement les
débris des deux premières pages (pl. CXLI, pages i et II).On voit par la rubrique finale, qu'au moyen des paroles
enseignées par le texte, on consacrait un objet de tahen,
substance non encore identifiée, mais qui était employées
pour la préparation de certains talismans.
La rubrique de la seconde pièce, p. XII, 1. 9 (pl. CXLVI),nous fait mieux connaître l'objet commun de l'ensemble; il
fallait, dit cette rubrique, prononcer les paroles sur une
image du clzacal d'Anubis, dessiné sur un morceau de toile
(ou de papyrus) avec deux couleuns, et en entourer les
membres de la personne à secourir. La personne, ainsi mys-
tiquement armée., était préservée d'une foule de maux et
notamment de la contagion annuelle, et les maladies ne la
détruisaient pas.Ainsi le Papyrus 347 avait bien la même destination que
le 346; tous les deux formaient des talismans contre divers
maux et surtout contre la contagion. On conçoit le motif qui
les a fait conserver roulés l'un dans l'autre.
Celui qui fait l'objet de cette notice, présente une circons-
tance assez remarquable dans la multiplicité des corrections
en interligne, qui y ont été notées à l'encre rouge. On re-
connaît aisément les fautes qu'a relevées le correcteur, et il
est possible même d'en signaler qui ont échappé à son atten-
tion. Pour ce motif, l'étude de ce papyrus fautif est à la fois
difficile et instructive.
Il débute, p. II1, 1. (pl. CXLII), par un hymne à Horus
de la ville de Pa, et à Horus de la ville de Tapu, deux loca-
lités de la Basse-Égypte d'importance mythologique consi-
dérable. Le dieu est invoqué sous des attributions très remar-
quables le seigneur des épouvantements, le roi des écrits,
le irés vailland, le maîlre de la justice, le très redoutable,
le seigneur des paroles. 1 lefondateur de la maison des
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 149
livres. le dominateur dans le combat, sa vaillance
agit commeun pouvoir magique (lig.1-3).La plupart de ces titres nous sont connuscommecarac-
térisantTHOTH,le dieu de la science,dont HORUSsemble
ici usurper le rôle.A la dernière phrase de l'hymne, lig. 8-9, il est dit du
dieuque son amour est dans le sein des retu, paiu, rekiu
et hommu.Cesquatre expressionss'appliquentles unes et
lesautresà la racehumaine,avecdesnuancessur lesquellesnoussommesmalrenseignés.Ellesreviennentdu reste plu-sieursfois dans la suite du manuscrit.
L'hymneà HoRussert d'introductionau texte propredu
livremagique,lequel se composede dix AB-RU,ou invoca-tionsanaloguesaux S'ENTIS.
Dansle premierAB-RU(p.III,1.9),je distingue 1°la men-tion d'un événement mythologique; 2° une invocationà
HoRus;3° uneprière délruis le nzal dans mes membres;détruis l'hostililé chez les hommes; accorde-moil'anzourdans le seindel'espècehumaine.
Le deuxièmeAB-RUs'adresseà HORUS,qui impose lacrainteau cœurde tous, le respectau sexemasculincommeau sexeférninin, p. III, I. 14-IV,1.1. Il comprendune très
remarquableinvocationà ce dieu, p. iv, 1. 3, danslaquellesontintroduitsplusieursnomsgéographiquesqui rappellentl'Asieet l'Arabie,contréesoù l'Égyptea probablementem-
prunté de toute antiquité des légendesmystérieuses.Le
conjurateurs'identifieavec Phra en son nonzmystérieuxdu dieu qui estdans l'Abimecéleste,et dont les traits per-centses ennemis.La prière finale, p. v, 1.2 (pi. CXLIII),n'est pas moinsdigne d'attention.
Telleest la marchegénéralede cet intéressantmanuscrit.Il serait possible d'illustrer par des citations, chacundesAB-RUdontil se compose;mais il faut savoirse borner et
je mentionneraiseulementun petit nombre d'indications
mythologiquesimportantes p. VII,I. 11(pl. CXLIV),l'astre
150 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
solaire est invoqué comme le dieu unique, l'un qui n'a pasde second, Aten; il n'en existe pas un autre. P. ix, 1.3
(pl. CXLV) Je suis Aten (l'astre solaire) lorsqu'il a brillé
au jour de son premier lever, lorsqu'il a brillé à l'orientdu ciel et que la terre s'est éclairée. Magnifiques sont teslevers aux yeux des intelligents! ils ont détruit le néant etcréé cequi existe. Tous les hommes,en voyant tes bienfaits,se prosternent, etc.
L'allocution suivante au soleil couchant est d'un genreentièrement nouveau, p. ix, 1.8-x, 1 Symbole qui est celui
du dieu la belleface; pour lequel a éléfaite la demeure
de vie, centre de son coucher, qui te développes en saveur
comme les fruits Kascnu, qui brilles comme le lys; dont
toute la substance rayonne commele tahen; amour de Neith
au giron des dieux; toi qu'ils adorent en disant « (bien)venu lorsque tu reviensf » Les intelligents se prosternent
lorsqu'ils voient les levers désirés. P. x, 1.2, 3: Salut
à vous, seigneurs des longs jours! Créateurs éternels! quiavez fait ce qui existe, qui avez créé ce qui n'existe pas;vous qui êtes cachés dans vosarcanes. Je viens; favorisez-
moi; entendez celui qui vous appelle, appelez-moi!P. XI,1.12-xu, 1.1 (pl. CXLVI) Je marche, je viens dans
la prairie odoriférante qui enfante les délices de Chons,
la faim ne prélève pas son impôt dans cette terre, la soir
n'y prélève pas le sien.
Enfin le dernier AB-RUfinit par une mention, qui fait
bien apprécier la nature du document, p. XII, 1.6, 8 J'ai
écrit avec Tholh les hymnes;j'ai fait le livre avec Horus
dans Pa. j'ai répété ce quiest sorti de sa bouche l'écrit
de puissancemagique qu'il a dicté (?). Je ne serai pointien-
versé sur la terre; une année heureuse m'amènera une
autre année pareille à elledans ses mois (?), tranquille dans
sesjours et dans ses nuits, tranquille dans ses heures
PAPYRUS ÉGYPTIENS H.ÉRATIQUES 151
Le manuscrit se termine par la clause finale dont nous
avons parlé au commencementde cette notice'.
Planclces CXLVII-CLI V
1. 348. Ce manuscrit, écrit des deux côtés, contient des
piècesde diverses mains et de sujets variés, que nous allons
examiner successivement.
Recto, pi. CXLVI-CL. Page I. Fragment très use d'une
lettre écrite par un fonctionnaire égyptien à son chef hiérar-
chique. On y distingue encore la formule habituelle Cet
envoiest pour l'information de monmaître. P. II. Papyrusamulette intitulé Livre pour détruire les terreurs, quiviennent à tomber sur l'homme penclunl la nuit. C'est une
espèced'imprécation adressée au génie de la terreur, inter-
pellé sous le nom de face-en-arrière. La clause finale, 1. 5,
explique qu'il faut prononcer les paroles sur des figures
divines, dessinéessur un morceaude toile, qu'on attache au
coude celui qui a des visions effrayantes.On voit en bas du texte les figures dont il est question;
elles consistent en une barque, sur laquelle se tient debout
OSIRISen gaine; Isis et NEPHTHYSlui font l'acte de salut.
A côté de la barque un personnage emporte une momie.
Page III.Deux S'FNTI,ou formulesmagiquescontre labrû-
lure. La premièren'occupe que la première liene. Elle devait
être prononcéesur du miel, qui servait au pansement. La
secondecouvre le recto de la page. Le conjurateur y assume
le rôle de HORUSse précipitant sur la terre, sur le lieu en-
flammé.
Page iv(pl. CXLVIII). Essais calligraphiques d'un scribe
très expert dans l'art d'écrire. Les trois premières lignessont des fragments entrecoupés de la légende de Ramsi;sII.
1. Comparezaussi Mélangeségyptologiques,[1" série,] p. 38-39
152 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
Les deux dernières lignes mentionnent la maison militaire
de ce pharaon.
Page v. Légende complète de Ramsès II. Ces essais calli-
graphiques sont d'une magnifique écriture.
Pages I-VII (pl. CXLVIII), pages VIII, ix, x (pl. CXLIX)
Diverses lettres écrites par le scribe KAUISARà son supérieur,le scribe BEK-EN-PTAH,et fragment d'une lettre de ce dernier
à KAUISAR.
Dans la première, p. VI, 1. 1-4, KAUISARDrend KAUISARDrendà son
maître de l'état de sa ferme'.
La seconde, p. vi, 1. 5-8, annonce l'exécution d'un ordre
concernant des soldats et des individus nommés APERIU',
de race étrangère, employés à la construction d'une maison
de campagne pour Ramsès II. On retrouve les APERIUmen-
tionnés aux carrières d'Hammamat, au temps de la XXe dy-nastie.
Dans une troisième communication, p. vu, 1. 1-2,KAUISAR
affirme qu'il a exécuté tous les ordres de son maitre fidèle-
ment et complètement et qu'il n'a pas donné lieu à répri-mande.
Une quatrième lettre, p. vtt, 1. 5, constate l'état satisfaisant
du temple auquel était préposé le scribe BEK-EN-PTAK.
Dans la cinquième, p. vu, 1. 6-8, KAUISARinforme son
maître qu'un officier militaire, nommé NETEM, est venu
prendre l'une des statues royales pour la placer dans le
temple de PTAH, seigneur de la vie du monde.
La sixième lettre, p. vm, 1.1-3 (pl. CXLIX), est semblable
à la troisième, p. vtt, 1. 1 (pl. CXLVIII).A la septième, p. VIII, l.IX 1. 2, Kauisar signale son ar-
rivée avec deux convois venant des pêcheries; les barques
1. Comparez,sur cette lettre, Mélanges giptologiques [1"série,]p. 92-93(C. L.).
2. L'ethnique Aperiu = est à identifier avec le nom des Hé-
breux. Voyez Mélanges égyptologiques, [1" série,] p. 46 et suiv. jus-
qu'à 54 (C. L.).
PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES 153
naviguant dans le bassin de Memphis, KAUISARprte son maître
de tout faire préparer au port, comme il l'avait promis.Dans la huitième, p. IX,1. 3-5, KAUISARexplique qu'il s'est
acquitté de la mission à lui donnée, de fournir la nourriture
pour les animaux et le bétail de son maître.
L'unique lettre de BEK-EN-PTAHà son surbordonné KAUI
SAR,p. IX, 1. 6-x, 1. 8, est beaucoup plus intéressante quecelles que nous venons de passer en revue; malheureu
sement elle présente beaucoup de lacunes. C'est un ordre
concernant les SMATU,agents inférieurs du Ramesséum. Il
est prescrit d'en constater le nombre et de les obliger à se
faire connaître chacun par son nom. Un ordre analogue à
propos des mêmes agents se trouve dans un des papyrus du
Musée Britannique (Select Papyri of the British Museurn,
Anastasi V, p. xxv, 1. 6).La mission donnée par BEK-EN-PTAHà KAUISARcomprend
encore une foule d'objets intéressants, en ce qu'ils montrent
le soin administratif qui présidait dans l'ancienne Égypte,à la gestion des intérêts privés et des intérêts publics.
La page xi appartient à la pièce écrite au verso du papyrus;il en est de môme de la page XII(pl. CL). Nous reviendrons
sur ces deux pages qui sont les deux dernières du texte que
je vais examiner.
Verso (pl. CLI-CLIV et CXLIX, CL). Texte de quinze
pages, dont treize couvrent le revers du papyrus, et les deux
dernières l'espace resté libre sur le recto. Le manuscrit, d'une
écriture large et assurée, contient un recueil de S'ENTIcontre
les maladies qui ont leur siège dans la tête et dans les in-
testins. Gêné par le manque d'espace, le scribe a notable-
ment resserré son écriture vers la fin.
Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer â propos de tous les
textes du même genre, la puissance magique des formules
est empruntée à la mention de certains faits mythologiques,et le plus souvent des événements de la guerre typhonienne.Ces mentions, qu'on ne trouve pas ailleurs, ajouteront con-
154 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
sidérablement à nos connaissances dans ces mythes obscurs
et compliqués. A ce point de vue les Papyrus de Leydeoffrent un vaste champ de recherches; mais le plus impor-tant par son étendue, sa conservation, la netteté de son type
graphique, la variété et l'importance des renseignements
qu'il contient, est certainement celui dont je vais essayerde donner quelque idée.
La page i (pl. CLI) n'est pas complète; il y manque la
première ligne; toutes les lignes ont du reste perdu leur
commencement. A la seconde on remarque le titre Ki-ro,
autre chapitre, précédé d'une clause à l'encre rouge indiquant
l'emploi d'une formule antécédente, qui a disparu avec une
partie du papyrus. La formule qui suit ce Ki-ro est du reste
fort courte, et sa clause finale occupe la quatrième ligne.Une autre section commence à la ligne 5; elle contient un
texte mystique qui revient plusieurs fois dans le papyrus.Il est conçu en ces termes tête! par Horus; lieu de
la tête! (probablement l'intérieur du crâne, la cervelle) par
Thoth; sommet de la tëtel par l'Épervier divin. Au moyen
de ces paroles, le conjurateur semble appeler l'influence des
divinités nommées, sur les organes malades, qu'il touche
en même temps. Dans les mentions mythologiques de ce
texte mutilé apparaît le nom de la déesse RANNU', p. II, 1. 4.
On y reconnait une espèce de charme à l'usage des différentes
parties de la tête, telles que le front, les narines, le nez et
les yeux, l'échine, le cou, etc. Ensuite il est dit du malade,
p. II, 1. 6-8 Voici que la tête vierzt sur lui avec quatre portesde vie; deux yeux en elle pour apercevoir; l'oreille en elle
pour écouler les paroles; les narines en elle pour goûter
l'air; la bouche en elle pour répondre comme la déesse Safks'La fin, 1. 8-9, explique que ses membres seront saufs des
principes mortels, énumérés dans une série que nous trou-
1. Le Papyrus magique Harris montre aussi Rannu invoquéepourdeseffetsmagiques.
PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES 155
verons répétée dans d'autres sections K'EFT, l'ennemie, la
mort elle-même, PEFT, mot nouveau pour moi; puis les
morts mâles et femelles, c'est-à-dire les esprits malfaisants;
enfin AB-RU, les maléfices.
En page Il, 1. 2 un titre complet établit de la manière
la plus claire la nature du document; ce titre se lit en effet
Autre chapitre du charme de la tête malade. La formule
consiste ici en une allocution au fils d' Homs, qui passe son
temns étendu sur une brigue (ou pièce) d'étoffes. Il y est
aussi question de SET, p. III, 1.1. Le fait mythologique se réfère
à la confection d'un talisman d'étoffe, au moyen duquel le
malade, désigné sous le nom de Men (fils) de Men-t, sera
rétabli en santé. Cette désignation, que nous retrouverons
encore plusieurs fois dans d'autres formules, nomme la per-sonne malade, sur laquelle le charme doit opérer.
En page III, 1. 2. Autre S'FNTI Évacue, venin caché; éva-
cue, venin aché de celte tempe, désordres qui ont traversé
Men (fils) de Men-t.
En page III,1. 3. Même adjuration au venin caché des sour-
cils et de la tête. Les deux formules se répétaient quelque-fois.
Les deux S'ENTISsuivants, p. nt, 1. 5-iv, 1. 3, reproduisentavec quelques variantes, la formule de l'adjuration aux
parties de la tête, que nous avons déjà rencontrée; l'un d'eux
se prononçait sur une peau de serpent, qu'on tenait à la
main, et la tête en était guérie; et l'autre sur un talisman
d'étoffe, qu'on plaçait à la jambe droite du malade.
Le titre Autre S`enti de la tête, p. iv, 1. 3, précède une
formule dans laquelle les douleurs de tête sont interpelléessous les noms de Kheft, peft, morts mâles et femelles, t°aï
nadles et femelles. 0 vous, dit la texte, qui êtes tombés sur
la tête de Men ( fils) de Men-t, c'est la tête du soleil lui-
même, la lumière du monde, celui qui fait vivre les intel-
ligents.En page iv, 1. 5, un S'FNTI rappelle un épisode de la guerre
156 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
typhonienne Horus combattait contre Set avec une branche
de palmier. Le fils de Seb, Phra, entend Horus crier à
Seb « Horus souffre à la tête; qu'Isis détruise ses maux!
disant O mère d'Horus, délivre-moi de toutes mes souf-
frances. Ces paroles se disent sur des brins d'un seul
palmier, cueillis (?) à droite, trempés dans la liqueur hesau;
on enfait un talisman, qu'on place au cou du malade.
Le S'ENTI suivant est des plus bizarres, p. iv, 1. 9 Partie
antérieure de renard, partie postérieure de la truie de Plara,
lesquelles étant brûlées, il en sort une graisse qui atteint le
ciel, et il en retombe des aspics sur la terre. Cela se dit
quatre fois.
Nous arrivons ensuite (pl. CLII) à une formule plus lon-
gue et non moins curieuse; le malade y est, comme nous
l'avons vu déjà plusieurs fois, appelé Men (fils) de Men-t.
Le conjurateur appelle sur lui, page v, 1. 1 et suiv., par ses
charmes la force salutaire et divine, le besau de PHRA et de
Tum, père des dieux; puis le besau de son crâne, de ses
yeux, de ses narines, etc., est spécialement comparé au
besau des mêmes organes de plusieurs dieux; enfin toutes
les parties de son corps sont identifiées aux parties analogues
d'autant de dieux différents, comme dans les formules du
chapitre XLII du Rituel funéraire. Ainsi Sa lèvre supérieure
est celle d'Tsis, sa lévre inférieure est celle de Nephthds,
p. v, 1. 5-6. Tel est certainement le sens de ces formules,
ici comme au Rituel, et il ne faut pas liro Sa lcwre supé-
rieure Isis. Une preuve de ce fait résulte de
l'arrangement de la formule relative au dos, où il est dit
Son dos (peset) est l'échine (aat) de Thoth, 1. 7. La suite
du texte, p. vi, 1. 2, ajoute d'ailleurs que pas urz de ses
membres n'est sans dieu.
Il serait trop long de passer en revue chacun des S'ENTIS
de cet intéressant manuscrit. Ce que j'en ai dit suffit pour
faire comprendre la marche du texte et pour faciliter la tâche
de ceux qui voudront l'étudier. Je me bornerai maintenant
PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES 157
à mentionner brièvement quelques points parmi ceux qui
m'ont paru les plus curieux.
P. VI, 1. 5. Ce S'ENTIinterpelle directement les souffrances
du malade, ce qui brise sa tête, pénètre son front, détruit
son crâne, etc. Ce chapitre est des plus importants pour la
philologie, à cause de la longue énumération qu'il renferme
des termes exprimant la souffrance et la maladie'.
Les effets des principes morbifiques sont détaillés, p. vu,
1. 5 Ils paralysent les vaisseaux, aveuglent, produisentdes désordres dans les chairs et dans tous les membres. Ses
maux étant conjurés, le malade, 1. 6-7, Men ( fils) de Men-t,
se lève, dit le texte, comme le soleil; puis, de même que les
défunts dans les formules funéraires, il est identifié avec
Phra, et la suite énonce les triomphes de ce dieu, 1. 7-8,
et p. VIII, 1. 1-5.
La clause finale, p. VIII, 1. 5-6,prescrit de dire le S'ENTIsur
une image de PHRA, qu'on met à la tête du malade pour re-
pousser les maux.
P. VIII,1. 7. Identification de la tête, des bras et des piedsdu malade, avec les mêmes parties de Tum; la création et
l'ordre providentiel sont attribués à ce dieu, qui a fait vivre
les dieux, qui leur a donné leurs têtes, qui a disposé leurs
nuques, qui leur a donné l'aliment de sa doctrine, qui leur
a donné l'air, etc., 1. 8-9-ix, 1. 1 (pl. CLIII). La suite est
une adjuration contre les maux, se terminant ainsi, p. ix,
1. 5-6 (pl. CLIII) Qu'aucun dieu, aucune déesse, aucun
esprit mâle ou femelle, aucun mort mâle ou femelle, aucun
t'aï mâle oufemelle n'ait le pouvoir d'entraîner les membres
de Men ( fils) de Men-t en aucun mal dangereux!Les deux S'ENTIS,dont les titres sont en p. ix, ult., et en
p. x, 1. 5, ont encore pour objet les douleurs de tête et ra-
mènent la formule d'adjuration à la tête et à quelques-unsde ses organes, dont nous nous sommes déjà occupés. On
1. ComparezMélangeségyptologiques,[1ersérie,]p. 59 (C. L.).
158 PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES
voit aisément que le texte des pages x et xi se rapporte à
la tête; mais il en est autrement des premières lignes de la
page XII où il est question des douleurs d'entrailles. On ylit en effet, ligne 2 qu'ayant prononcé le chapitre à gauchesur le sol, il place la main sur le ventre et son mal guérira.
La rubrique, p. XII, 1. 4, explique qu'il fallail dire les pa-roles sur une image de la jeune Isis, qui guérit tout mal
dans le ventre; la jeune Isis y envoie unefraîcheur pourle guérir.
La singulière formule qui suit devait se dire sur deux
images de Thoth, dessinées dans la main du malade face
à face, 1. 6-7. Quoique cette clause soit des plus clairement
exprimées, le scribe a cru devoir dessiner à la suite les deux
figures affrontées de THOTH(p. XII, 1. 7).Nous trouvons ensuite un titre complet Aulre chapitre
pour détruire l'A leu dans le ventre. La formule consiste en
une invocation à Isis et àNCPHTHYS,et rappelle la confection
d'une amulette, dont l'effet est exprimé de la manière la
plus naïve. Cette formule devait être prononcée sur une
série de figures reproduites dans la clause finale, et qu'ondevait dessiner sur une partie du corps du malade, p. XII,1.10,
Le S'ENTI, qui commence à la dernière ligne de cette page,est un colloque singulier entre HoRus et Isis. Il se prononçaitsur un morceau d'étoffe couvert de figures de divinités et
d'autres symboles, qu'on plaçait à la main de la personne
qui souffrait du ventre.
L'emploi des formules suivantes (pi. CLIV) se combinait
avec l'absorption de certains breuvages, p. XIII, 1. 3, 5, etc.
Je me bornerai à y faire remarquer qu'à la fin d'une de ces
formules, l'opérateur s'identifie à la fois avec HORus et
avec SET, les deux termes opposés du dualisme, p. XIII, 1. 9
(pl. CLIV).Je passe sur les S'ENTISde la xive page, Recto, p. xn
(pl. CL), bien qu'ils soient fort intéressants, et je me hâte de
signaler la formule de menaces, qui se trouve à la xv" et
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 159
dernière page du manuscrit, recto, p. xi, 1. 5 (pl. CLIX) Le
ciel ne sera plus; la terre ne sera plus; les cinq jours épa-
gomènes ne seront plus; ne seront plus les offrandes aux
dieux, seigneurs d'Héliopolis, 1. 5. Il y aura affaissement
dans le ciel du midi; désastres dans le ciel du nord; des cris
dans l'intérieur de la trombe. Le soleil ne luira pas; le Nil
ne croîtra plus, 1. 6; il s'affaissera en sa maison, 1. 7.
Tel est le tableau du plus grand bouleversement que pou-
vait décrire l'imagination des Égyptiens; et en effet il com-
prend la brusque cessation de tous les faits sur lesquels
reposaient pour eux l'harmonie des astres, le culte des
dieux, le repos des morts et l'existence des vivants. Ce
passage est très remarquable.
Aussi n'est-ce pas de son autorité privée que le conjurateur
prétend produire d'aussi terribles effets Ce n'est pas moi
qui parle, ajoute-t-il, 1. 7, ce n'est pas moi qui réitére
l'ordre; c'est Isis qui parle; c'est elle qui réitère l'ordre.
La dernière section de cette page, p. xv, 1. 8 (pl. CXLIX),
est une allocution aux dieux qui se tiennent à l'avant de la
barque du soleil. On y trouve exprimée l'idée que les dou-
leurs d'entrailles sont causées par l'introduction d'un reve-
nant (mort nole ou femelle). Il en était probablement de
même pour la plupart des maladies au point de vue de la
médication surnaturelle. On sait déjà que l'un des savants
de l'Égypte reconnut qu'une princesse asiatique souffrait de
la présence d'un esprit, qui s'était introduit dans son corps,
et qu'à cette occasion l'image du dieu CHONS opéra une cure
merveilleuse'.
Planches CL V-CL VIII
I. 349. Papyrus écrit des deux côtés. Le texte du verso,
tout différent de celui du recto, sera examiné à part.
1. Voyez BircL, Notes upon an Egyptian Inscription in lhe Biblio-
thèque nalionale of Paris (Transactions of the R. Society of Litéra-
160 PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES
Recto, pl. CLV, CLVI. Ce texte se compose de deux pagesd'une très grosse écriture, contenant une lettre du scribe
KENIAMENau Kat'en Hui de la cour de Ramsès II. La lettre
se divise en quatre paragraphes, dont les trois premiers ne
présentent aucun intérêt. Dans le dernier nous trouvons le
compte rendu de l'exécution d'un ordre, concernant la four-
niture du grain, 1. 14-16 (pl. CLVI) aux gens de guerre et
aux Aperiu gui lirent la pierre pour le temple de Phra de
Ramses Meriamen au sud de Memphis. Je rappelle ce que
j'ai dit des Aperiu dans la notice du papyrus I. 348'. La
lettre finit, 1. 17, par la formule ordinaire Nefer senb-ek,
Vale.
Verso, pl. CLVII et CLVIII. Deux pages fragmentées
(p. i et III) et une page entière (p. II), d'un recueil de S'ENTIS
contre les scorpions nommés ici t'aüriu, par orthographe
syllabique. Les scorpions sont conjurés do la même manière
qu'AK`U ou SAMAUNA,dans les documents du même ordre
déjà examinés. Par exemple Arrêtez! arrêtez scorpions,obéissez p. i, 1. 8 (pl. CLVII). Je suis l'enfant de Phra au
milieu de ses dieux parèdre; éloignew-vous de moi, scor-
pionsl p. n, I. 4 (pl. CLVII et CLVIII).En page II, 1. 5, commence un S'ENTI singulier Je suis
couclzé dans rrzon lit; un acciderzt m'arrive; je suis ren-
versé au milieu de la nuit et me trouve sur le sol, meurtri,
prononçant le S'enti à haule voix et criant contre les vais-
seaux (veines, artères, nerfs, etc.), comme la voix de Phra,conlne ses dieux parèdres, 1. 5-7; suit une série de for-
mules analogues.Ce papyrus, quoique incomplet, est encore très intéressant
à étudier.
turc, t. IV, New Series), et E. de Rongé, Étude sur une stèle égyptienne
appartenant à la Bibliothèque impériale (Extrait du Journal asiatique,
1856, 1857 et 1858), Paris, 1858.
1. Voyez supra, p. [152 du présent volume].
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIERATIQUES 161
BIBL. EGYPT. x. 11
Planche CLIX-CLXVII
I. 350. Papyrus incomplet écrit des deux côtés et contenant
deux piècestrès différentes.
Recto, pl. CLIX-CLXIII. La première pièce couvre les
cinq pages du recto. Des lacunes et des éraillures nombreuses
en rendent la lecture malaisée. Il est néanmoins facile de
reconnaître quece manuscrit appartient
aux temps des Ra-
messides. C'est un hymne adressé au dieu de l'Egypte sous
ses attributions solaires.
Cet hymneest divisé en strophes par
des rubriques à
l'encre rouge,dont les formes graphiques
sont très diverses.
Comparez par exemple, p. 1, 1. 2, 13 (pI. CLIX); p. tt, 1.10,
20 (pl. CLX); p. m, 1. 14, 22 (pl. CLXI); p. iv, 1. 9,12, 21, 26
(pl. CLXII), etc.En
page iv, 1. 9 et 12, on lit assez distincte-
ment S'ai ape, composé qui veut hrobablementdire Cahul,
tête d'écriture, chapitre, etqui
est suivi d'un nombre or-
dinal.
Quoiqu'il soit difïicile de trouver la môme expression dans
lespremiers signes
des autres rubriques, il est a remarquer
que les nombres ordinaux suivent une progression régulière,
mais singulièrement arrangée. La première rubrique qui
nous resteporte
le n° G, page 1, 1. G. Comme on trouve le
n" 7, page 1, 1. 13, le n° 8 dans la lacune de la page, le n" 9,
page il, 1. 2, et le n° 10, page tt, 1. 10, on reconnaît immédia-
tementqu'il manque au papyrus les cinq premières rubriques
etprobablement une introduction, c'est-à-dire environ trois
pages.
La division quisuit la rubrique
10 portele n° 20, page ii,
I. 15; puis l'on retrouve les noï 30, 40, 60, 70 et 80; les
nOS 50 et 90 ont disparu avec le has des pages. A partir du
n° 100, page iv, 1. 9, la progressionsuit l'ordre des centaines
jusqu'à la dernière rubrique,n° 600, page v,
1. 5.
162 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
Il serait diflicile de trouver la raison de cette division
singulière d'un texte égyptien. C'est du reste le premier
exemple que j'en aie rencontré.
L'hymne, par son étendue, mais surtout par l'importance
des notions mythologiques qu'il renferme, est digne d'une
étude sérieuse. On y rencontre sous des formes nouvelles
les attributions ordinaires de la divinité. Par exemple Le
dieu est le soleil lui-même incarné (littéralement rassemblé
cn son corps), p. IV, 1. 13 (pl. CLXII) sorc commencement
date des premiers temps (littér. de lapremièrefois).C’est
le dieu qui a existé antérieurement. il n’y a pas eu de
dieux sans lui. une mcrc ne l'a pas nourri, un père ne
l'ci pas engendré, p. IV, 1. 9, 10. Dieu-déesse, créé de lui-
même, tous les dieux ont existé dès qu’il a commencé,
p. IV, 1. 11.
Ces deux dernières phrases sont la formule la lolus nette
et la plus simple de la théologie égyptienne, telle qu’elle
était enseignée au hlus llaut degré de l'initiation. Un dieu
unique, investi de la puissance complète de produirc, c'est-
à-dire des deux principes, male et femelle; il s'est créé lui-
même avant toutes choses et l’arrivée des dieux n'est qu'une
diffusion, une manifestation de ses diverses facultés et de
ses volontés toutes-puissantes.
Verso. La deuxième pièce qui occupe les planches CLIV,
CLV et CLVI, consiste en cinq colonnes d'un registre de
comptabilité, énonçant l'entrée et la sortie de différentes
matières et denrées au Ramesséum, sur la fin de Méchir et
au commencement de Phamenoth de l'an LII de Ramsès II'.
Les entrées sont indiquées par le mot Eni, apport, comme
page n, 1. 0 Apport du Kat‘en Ramessu-Nak‘t; p. III, 1. 8
(pl. CLXV), Apports clrc chef militaire.
Les sorties sont notées par le mot Rtai, donné, livré. On
y trouve aussi le dénombrement plusieurs fois répété des
1. Comparcx Mélanges égyptologiques, )1" série,] p. 25-28 (C. L.).
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 163
employés du palais, parmi lesquels on distingue les SMATU
et d'autres agents, p. III, 1. 18 (pl. CLXV); p. v, 1.5 et 16
(Jtl. CLXVI). Chacun de ces subalternes recevait certains
objets, quelquefois à raison de deux par tête, ainsi que le
montrent les chiffres placCs en regard de leurs noms.
Le dépouillement de ces comptes mettrait certainement
sur la voie de faits très importants; malheureusement l'écri-
ture en est très cursive et la multiplicité des mots techniques
qui nous sont inconnus, en rend la traduction fort difficile.
Ils montrent du reste au premier coup d’œi) l'ordre parfait,introduit par les anciens Pharaons dans les plus minces dé-
tails de leur administration.
La page VIdu verso (pl. CLXVII) contient encore quelques
linncs de compte, et, dans un sens inverse, treize lignes d'un
texte religieux très usé et très dillicile à lire.
Planche CLXVIII
1. 351. Compte de dépenses faites à la date du 30 Méchir et
des premiers jours de Phamenoth; l’année n'est pas iiotéc'.
Au nombre des parties prenantes, on remarque des servi-
teurs, des ouvriers, un ollicier militaire, etc.
Ce papyrus a été trouve à Memphis, joint au suivant 1. 352,
et avec le Papyrus I. 368.
352. Page de compte intitulée État indicatif des choses
comportées par l'esclave du Kat‘en, Pak‘ari (le Syrien’).
Nous verrons en effet, en expliquant le Papyrus I. 368, que
cet état concernait un esclave fugitif que son maître faisait
poursuivre.
Le compte est disposé en colonnes. Dans la première à
droite se trouve la dénomination des objets; le nombre est
écrit en chiffres à la seconde colonne; dans la troisième il est
1. Comparez Mélanges égyptologiques, [1resérie,] p. 17-18 (C. L.).
2. Comparez Mélanges égyptologiques, [1re série,] p. 18-25 (C. L.).
164 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
réduit en poids uten1. C'est ainsi que le chiffre 1 vis-à-vis
le premier article devient 20; 1 vis-à-vis le deuxième et le
troisième, 6; 1 vis-à-vis le quatrième, 3½. A partir du cin-
quième inclusivement les chiffres des deux premières co-
lonnes devaient être identiques, et !e scribe s'est contenté
de répéter celui de la cinquième où s'arrête la troisième
colonne.
La dernière colonne est le produit de la multiplication des
chiffresde la deuxième par trois, sauf pour le premier article,où le multiple est deux. Pour mieux faire comprendre cette
disposition, je transcrirai le quatrième article du compte,1. 5, en supposant, d'après le déterminatif, que l'objet dontle nom est éraillé est une espèce d'arme, et en répétant lesmentions du premier article
Arme faisant poids-uten 31/2, faisant t'ait metal-uten
10½.Il y a vraisemblablement ici l'indication d'une valeur esti-
mative, et notre Papyrus touche ainsi à l'une ues questionsles moins connues du régime économique de l'ancienne
Égypte.Je m'abstiendrai d'étudier ici avecplus de détails les men-
tions du manuscrit; toutefois, je ferai remarquer encore quele neuvième article, consistant en 17 pièces d'une certaine
étoffe, est évalué en t'ait d'étoile, et donne ainsi pour pro-duit 51.
Trouvé, joint au papyrus précédent I. 351, et avec le
papyrus I. 368, à Memphis.
Planche CLXIX
I. 353-355. Papyrus magiques, ployés sous un petit volumeet liés avec une ficelle, v. 353 a, 354 a et 355 a. On les
1. J'ai déterminéla valeurdecepoids,Notesur unpoidségyptien,etc.; Recuearchéologique,N. S., 1861,p. 12; il pèse91 grammes,[cf.p. 107-114,du présentvolume].
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES 165
portait sur soi, comme des talismans, d'après les indications
quenousavons trouvées aux papyrus I. 346, 347, etc.
353.Une ligne incomplète de texte hiératique; au-dessous,
figuresde diverses divinités et de barques symboliques.354. Texte hiératique mutilé; au-dessous trois aspics di-
vins, deuxyeux symboliques, Isis, NEPHTHYSet TUORIS.
Cesdeux papyrus 353, 354, furent trouvés réunis par leurs
liens. Ils constituaient deux talismans, ayant chacun son
objet spécial, mais portés par la même personne.355. Débris insignifiants d'un papyrus de même espèce.
Planche CLXX
I. 356-359. Autres papyrus magiques, trouvés roulés et liés
avecdescordons de couleur, v. 356a, 359a, 356 b-d. Ran-
gée dedivinités grossièrement dessinées. ANUBISet HORUS
adorant l'une des formes d'OsIRIS;un taureau, un autre
taureau au-dessus d'un scarabée et d'une abeille; Ils,
NEPHTHYS,THOTH,le BENNUet le dieu AKER,représentésous la forme d'un vieillard courbépar l'âge. Enfin l'éper-vier d'HoRus adoré par THOTHet par un personnage à tête
humaine; des cartouches, dont un porté sur des jambes,diversanimauxsymboliqueset personnagesmythologiques,PHRA,SELIC,etc., l'animal typhonien frappé par NEITH,
PTAII,HORUS,PAK'T,OsiRis, AMON,générateur, Y-'EprR,etc. SET, peint en rouge, est le dernier personnage de la
rangée; le papyrus est de basse époque.357. Papyrus représentant une fleur de lotus.
358b. Papyrus contenant des adjurations au principe de
lamaladieet de la mort 0 toi qui enlèves,n’enlévepas son
cœur; ô toi qui maîtrises, ne maîtrise pas ses membres.ne vienspas contre lui; ne t'emparepas de ses chairs; ne
fais corztrelui rien de nuisible, etc.
Ce papyrus appartient aussi aux basses époques.359b. Papyrus sur lequel sont figurés un scarabée et un
166 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIERATIQUES
dieu léontocéphale, que précède le nain mythologique ap-
pelé NEMMA.
Planches CLXXI-CLXXVIII
I. 360-367. Lettres missives sur papyrus. Ces lettres, ,pliéesà plat, liées par un cordon de papyrus et cachetées d'un
sceau de terre glaise, portent une adresse à l'une des extré-
mités du revers. Ces papyrus nous offrent la forme, sous
laquelle la correspondanceprivée était expédiéeaux temps
pharaoniques, et c'est là leur principal mérite, car leur
contenu présente généralement peu d'intérêt. Nous allons
les passer en revue.
3G0. Pl. CLXXI. Pour donner une idée complète de ces
lettres, je traduis entièrement celle-ci
Le sotem Mersuatef pour la satisfaction de sa maîtresse,la prêtresse d'Isis, Tanur; vie saine et forte; et faveur
d’Amora-Ra, roi des dieux!
Je dis à Phra-Harmachis, à Anzon de Ramsès-Meria-
merr, à Phra de Ramsès-Meriamen, etSutek‘, le très vail-
lant clc Ramsès-Meriamen, à tous les dieux et clécssesdu
temple de Ramsès-Meriamen et à la personne auguste de
Phra-Harmachis (le roi lui-même, pharaon), puisses-tuavoir la vigueur, puisses-tu avoir la vie, puisses-tu avoir
la santé!
Auis L'n ce moment le chef militaire est en bon état;ses hommes sont en bon état; ses enfants sont en bon état.
Ne te préoccupepas d'eux; ils sont en bonétat aujourd'hui.On ne sait pas ce qui sera demain. Porte-Loi bien'.
L'adresse écrite au verso est ainsi conçue Le sotenzMer-
suatefà sa maîtresse, la prêtresse d'Isis, Tanur.
1. Cettephrasenousrappellelepréceptedu Vieux-Testament;Pro-verbes,xxvn,1 Ne te cantepas dujourdulendemain,car tunesaispascequele jourenfantera(C.L.).
PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES Hi7
Cinq de ces huit lettres ont été écrites par le même scribe
Mersuatef, qui s'est servi de différents cachets pour les
sceller; aux trois dernières 365-367 l'empreinte du sceau est
le cartouche-prénom de Thothmès III Ra-men-K'eper, au-
dessus d'un scarabée les ailes éployées. Ce cachet de fantaisie
ne signifie rien quanta la date de nos lettres, qui sont bien
moins anciennes que le règne de Thothmès III; elles datent
très certainement de celui de Ramsès II, et Pentaour, l'écri-
vain de l'une d'elles, 362, peut bien être l'auteur du poème
sur la guerre des Khitas, connu sous le nom de Pocme de
Pentaour', depuis la traduction qu'en a publiée M. E. de
Rougé1.
Planche CLXXIX
I. 368. Ce papyrus' est un rapport officiel, adressé par un
fonctionnaire nommé AFNER au prince S’A-EM-T’AMA, l'un
des fils de Ramsès II, sur la recherche et la capture de six
esclaves appartenant au prince ATEF-AMEN, lesquels avaient
pris la fuite.
Le préambule de ce document intéressant est usé et illi-
sible, mais les lacunes ne nous privent que des formules
obséquieuses du rédacteur, et de la première ligne de son
rapport dont l'ensemble peut encore être saisi avec exacti-
tude.
AFNER expose qu'il s est rendu à Memphis, avec des gens
à ses ordres, 1.3,4; qu'il y fut invité à rechercher six domes-
tiques du prince ATEFAMEN, lesquels étaient au bourg de
SUTENNEN3, 1. 5; qu'il fit parler leurs compagnons; du'il
1. E. de Rougé, Le poème de Pen-ta-our, extrait d'un Mémoire sur
les campagnes rlc Ramsès Il, Paris, 1856 (C. L.).
2. Comparez Mélanges ègyptologiques, [1er série,] p. ;i-13, et la trans-
cription hiéroglyphique de ce texte donnée par M. Chabas (C. L.).
3. Nom d'une ville située sur le littoral de la Méditerranée, ou peut-vtre sur les rives du Nil, en tout cas dans une partie de l’Égypte acces-
168 PAPYRUS ÉGYPTIENS HIÉRATIQUES
traita avec un voiturier, 1. 6; et se rendit à SUTENNEN,où
il rencontra PIAI,serviteur du capitaine. (nom oblitéré),
1. 7; ainsi que KENHIKHOPES‘EF,serviteur du prince ATEF
AMEN,lesquels lui amenèrent six hommesde leurs hommes,I. 8, 9 (sans doute pour prêter main-forte); qu'étant revenu
prendre les autres, il en rend compte à son maître en le
pressant de renvoyer devant le juge ceux d'entre eux quidoivent comparaître avec les hommes,1. 9-11(sans doute les
témoins); que provisoirement il les a consignés à Memphis,1. 11,12,etc.
Le document donne lieu à des observations importantes
sur le mécanisme administratif de l'Egypte. Les princes du
sang y étaient à la tête des principales branches de l'admi-
nistration, et c'est peut-être en sa qualité de chef de la justice
que le prince SAEMT’AMA reçut le rapport d’AFNER. Ce rap-
port n'est point adressé au prince ATEFAMEN, propriétaire
des esclaves, lequel n'avait probablement pas le droit de se
faire justice lui-même. Ainsi le pouvoir des maîtres sur leurs
esclaves était mitigé par des lois, et le juge intervenait même
en cas de vol et de fuite.
Le prince ATEFAMEN, à l'appui de sa plainte, avait dû dresser
des états indicatifs des objets, dont il avait été dépouillé par
ses esclaves fugitifs. Deux papyrus, restés attachés au rap-
port et contenant des comptes, peuvent en effet se rapporter
à cette affaire'(voir la notice sur les papyrus 351, 352, p. 16).
Toutefois, pour admettre cette hypothèse, il faut supposer
que le prince ATEFAMEN était investi a l'époque correspon-
dante, de la fonction de Kat'cia, qui représente un grade
militaire assez élevé.
sible par des communications par eau; car on sait d'ailleurs, du PapyrusAnastasi n" 4, qu'il y avait dans cette ville un dépôt de matériaux
servant à la construction des barques. Voyez Mélanges égyptologiques,
[1" série,] p. 7 (C. L.).
PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES 1Gn
Il n'y a guère à remarquer dans cette épître que la lon-
gueur du préambule et la surabondance des formules de
pure politesse. Cependant l'observation philosophique sur
l'incertitudo du lendemain est un trait curieux. Elle se re-
trouve dans d'autres lettres.
361. PI. CLXXII. Lettre du sotem Sesneberter au sotem
Patan. La qualification sotem signifie iv la lettre obéissant,
docile, complaisant; mais elle pourrait correspondre a
quelque fonction de scribe subalterne, de secrétaire par
exemple.362. Pl. CLXXII. Lettre du fidële Pentaour au fidèle
Paket. L'épithéte est ici hos, mot qui admet le sensfidèle,dévoué,mais qui de même que satem pourrait désigner une
fonction.
363. Pl. CLXXIII. Lettre du sotem Mersuatef au sotem
Sebut.
364. Pl. CLXXIV. Lettre du sotem Merimaetla prêtressed’Ammon,Hathor.
L'adresse porte le nom d'un destinataire différent. Peut-
être la lettre devait-elle passer en mains tierces.365. Pl. CLXXV. Lettre du sotem lllersuaterâ une per-
sonne dont le nom est illisible. L'adresse ne porte que lenom du destinataire.
366. Pl. CLXXVI, CLXXVII. Lettre du sotemMersuatefà la prêtresse d’Ammon, Rannu.
367. PI. CLXXVIII. Lettre du sotemMeriatef (sans doutele même que Mersuatef1) au prince Ramessu-ma-Ptah.
Il est digne de remarque que l'écrivain n'emploie vis-à-visde son royal correspondant d'autres formes de politesse, quecelles dont il s'est servi à l'égard de son égal Sebut.dans la lettre 363, pl. CLXXIII. Il termine par le simplenefer senb-ek, porte-toi bien.
L'adresse ne porte que le nom du prince destinataire.
1. Cenomsigniflediligitcumpater.
170 PAPYRUSÉGYPTIENSHIÉRATIQUES
Plonche CLXXX
I. 369. Papyrus écrit des deux côtés, d'une écriture confuse
et très usée. Il contient une communication épistolaire,contenant des conseils ou des ordres. On peut en traduire
un petit nombre de passages dont l'enchaînement reste in-
certain.
Ce manuscrit est du même type graphique que le suivant,
avec lequel il a été trouvé.
Plonclies CLXXXI-CLXXXII
I. 370. Lettre du scribe Thothmès, attaché au grand Ker,
(quartier des tombes royales à Thèbes) uu scribe Butha-
amen. Le papyrus, dont l'écriture rappelle celle du papyrusAbbott', contient une communicationofficielle,dans laquelleil est question du service des Mat’aiu2, milice que nous
savons avoir été chargée de la police et de la garde des
tombeaux.
L'écriture est confuse, hâtive et usée en de nombreux
passages. Aussi la tache du déchiffrement de ce manuscrit,sans être impossible, présente de grandes difficultés.
Planches CLXXXIII-CLXXXIV
I. 371. Deux pages, l'une au recto, l'autre au verso, d'une
bonne écriture de l'époque de Ramsès II, ou de l'un de ses
successeurs immédiats. Ce petit papyrus est l'un des pluscurieux qui existent. Il consiste en une épître déprécative,adressée par un homme veuf à son épouse défunte, à la-
1. PubliédanslesSelectPapyriintheHieraticcharacterfromthecollectionsof theBritishMuseum,PartII, pl. I-VIII(C.L.).
2. Voyez,surlesMat'aiu,Mélangeséqyptologirtacs,[1"série,]p. 49et 53; PapyrusI. 348,p. vi, 1.5 (pl.CXLVIII).—(C.L.).
PAPYRUS ÉGYPTIENS HIERATIQUES 171
quelle il donne le nom de Ku (esprit)parfaite et vivante.
On sait que quelques-unes des prières et les cérémonies
du Rituel funéraire avaient pour objet de faire attribuer
aux défunts ces qualifications essentielles à leur bonheur
d'outre-tombe. L'époux se plaint des mauvais procédés de
l'épouse défunte, dont, à ce qu'il parait, la mort ne l'a passuffisammentdébarrassé. Il l'adjure au souvenir des bons
procédés qu'il a eus pour elle,pendant tout le temps de leur
union, et rappelle quelquesdétails biographiques favorables
à son thème.
L'écriture est brouillée et de plus en plus négligée vers la
fin. Beaucoup de détails échappent à mespremières investi-
gations.On sait que les K'us, ou morts revivifiés,se comportaient
quelquefoiscomme les revenants et comme les esprits pos-sesseurs. C'est probablement sous l'une de ces formes que
l'épousevenait tourmenter son mari.
On ignore le lieu où fut trouvé ce singulier manuscrit.
Il provient de la collection Anastasi. D'après les détails
conservésdans l'inventaire, on voit qu'au moment de sa dé-
couverte, il était attaché à une statuette en bois, D. 132
(V. pl. XXIV) représentant, comme on doit s'y attendre,unefemme,non pas avec les attributs habituels des statuettes
funéraires, mais avecla toilette et la coiffuredes dames égyp-tiennes. C'est le portrait de l'épouse. Une légende, dont les
premiers mots seuls sont conservés Dit pour l'Osiris (dé-
funte) Kena. nous offre le commencementde son nom.
Ce manuscrit clôt dignement cette série des papyrus du
Musée de Leyde.
Chalon-sur-Saône, 15 octobre 1861.
LETTRE
A M. L'ÉDITEUR DU JOURNAL THE LITERARY GAZETTE
SUR QUELQUES
SINGULARITÉSDE LA MÉDECINEÉGYPTIENNE'
Chalon-sur-Saône (France), April 10, 1862.
Sir, —The friendly reviewer who lately introduced my
Mélanges êgyptologiques to tlie readers of the LiteraryGazette, lias paid his peculiar attention to tlie dissertation
in which I explained the contents of a papyrus, relating to
Egyptian therapeutics, cxisting in the Berlin Muséum. He
remarks that this treatise does not give a very high idea of
the medical scienceof the Egyptians. To this opinion I agrée
willinaly, as far as myextracts are concerned; but I maybe allowed to observe, that tliese extracts are only an unim-
portant part of this document, which moreover is not com-
plete. Its commencementis lost, and we have no means to
guess the importance of the wanting portion. Also, 1 must
confess that my citations were designed to excite curiosity,rather than to illustrate the scienceof tlie Egyptians. Con-
sequently 1 made choice of oddities, and it is only strict
justice to defer deciding tIe question until more of the
matter is brought to light.
1. Publié dans Tlec Literary Gazette de Londres, n° 199 (2359), N. S.,le 19 avril 1862.
174 LETTRESUR QUELQUESSINGULARITÉS
Shoutd our confidence in thé value of the old Roman
therapeutics be proof against M. P. Cato's long chapter on
tlle marvellous properties of cabbages, it would certainlybe borne down by the recipe against tlie excoriations caused
hy excess of walking, or the strange spells by winch tlie
adversary of charms and conjurations restores limbs out of
joint or fractured boncs.
!lltliouâll, according to Pliny's testimony, tliis rougimedical system, in tlie siulplest rulcs of hygiene are
not to be looked for, lasted six centuries, after which ncver
did tlie Senate and people enjoy such pcrfect health, every-
body will allow that we do not find there any supcriorityto thé Egyptian medicine. I'liny'a statement of tlle long
duration and efficacy of domestic medicine, is much like a
remote ccho of the rude Ceusor's inveterate spite againstGreek science. He had denounced, as their worst présent,
tlle introduction of their physicians, who, he says, « hâve
sworn to kill all barbarians with their medicines ». But
cven in his time Greek medicine was slowly making its
way into Rome, and finally in tlle time of Pliny reigned
undisputedly there. The progress of luxury and the excesses
of sensualism either had shaken tlic rude bodily constitu-
lions of the ol.d Romans, or given rise to diseases unknown
beforc; an additional store of medical assistance became
necessary, and tlle Galenic therapeutics usurped the place
of domestic medecine. Tllis was undoubtedly a great step
in tllC way of progress.
Nevertheless, innumerablc additions and absurd prescrip-
tions disfigure tlle imperfect science. Judged from tliis point
of view, the whole system would not suggest a more favoll-
rable opinion than was the case with my extracts from thc
medical papyrus. 1 dare assert no ridiculous practices will
bc found in tlie Egyptian papyri that are not surpassed in
tlle Galenic therapeutics.Tlle passages 1 liavc translated in my Mélanges égypto-
DE LA MÉDECINE ÉGYPTIENNE 175
logiques are only a part of what I liave been able to read
in thé medicalpapyrus. At the risk of damaging tlie opinionof your readers respecting Egyptian medicine, 1 pay hère
a fresh tribute to mere curiosity, in thc citation of some
more prescriptions.We must suppose there was in ancient medicine a branch
or copropathy, as we bave now homœopathy. At least this
liypotliesiswould explain tlte reason why we find nearlyail disgusting substances used as medicaments. No humain
or animal déjections were spared, and one shudders at the
idea of such eatables or drinks as were cooked with these
drugs, and prescribed for many cases. In the papyrus,howcver, animal prodncts are exclusively concerned, and
the remedies arc reserved for external use. The Egyptiandoctorsprobably had not experienced, lihe Dioscorides, tlie
cllicacyof tlie « fimumcapreæ, suis sylvestris, vel canis, in
» vino potum, ovis et asini in aceto,ciconiæ in aqua », etc.,and did not coincide with Asclepiades, who, it is said« stercore utitur non modo medicamentis quic foris impo-» nuntur commiscens, sed iis quoque quæ intro in os su-» muntur ». But tlte dclicacy of tIe Egyptian physicienin this respect did not eotend so far as to spare their
patients’olfactory organs. Mixtures, including some of these
uusavoury drugs, wcre burnt in fumigations (suffitio) to
perfume aching limbs. The word KAPU,my learned friend
Mr. Birch has shown, really means suffire, suffimigare,instead of referring to active iohics or blisters, as 1 have
conjccturcd in my Mélanges.1 am unable to make out tlte nature of the ailments these
fumigations were supposed to allay, but tlie recihes arc
rcally sint;ular enough. 1 give here a translation of six o.f.
them, preserving the original Egyptiansname 1cannot iden-
tify« 1. Khet-planta, (a lacuna) in septempilulasreducti,
176 LETTRE SUR QUELQUES SINGULARITÉS
» igne usti, hesait-liquore et urina hircinâ extincti; hoc
» suffire liominem.» 2. Khet-planta; besau-uru (a mineral); saptu-lapis;
» adeps caprinus; ad ignem apponere et suflire.
» 3. Mel, vinum palmeum, sal, urina hircina, stercus asi-
» ninum, stercus felinum, stercus suillum, ank-herba, khet-
» planta; pinsere in uno et sufrre.
» 4. Besau-uru, saptu-lapis, stercus lconinumet tigrinum,» stercus zccou-dorcadis, stercus kahes-dorcadis; stercus
» ciconianum; suffire.» 5. Pedespati-avis, pilus asininus, stercus hirundineum,
» cornu cervi; sufrre.» 6. Stercus felinum, stercus crocodilinum,stercus hirun-
» dineum, cornu cervi; suffire. »
These recipes are tll contained in the same page of the
papyrus, and none of tlie same répulsive drugs appear in
other passages, except one which relates to the prognosti-cation of future maternity. Among the forty animals cited
by Pliny for tlieir contributions of this kind to Roman
therapeutics, we do not find lions nor tigers, probably
owing to their scarcity; but aU tlie others are in his list;and tlie crocodile's produce, a precious cosmetic of the
mundus muliebris, is said to hâve been tte object of various
adulterations.
Anotlier drug used by the Romans for many cases was
the crusty callosity on the skin of horses « calli qui equorum» cruribus nascuntur, liclienes equorum ». Tlie same appearin our papyrus in a mixture for ointment. Galen recom-
mends them « ex vino aut mulso poti ». Tlie blood, Ilesli,
hones, skin, hair, etc., of a great number of animais also
supplied their quota of medicaments. The papyrus mentions
a few of these substances. The lizard, for instance, figuresin two recipes, one of which runs thus « A lizard having» its belly filled with cedar-oil, seasoned with salt; dress
» tlm head with it; do the same for all aching places, in
DE LA MÉDECINE ÉGYPTIENNE 177
BIBL. EGYPT., 'l'. X. 12
» every bone and every limb. » In Dioscorides the lizard is
a remedy for the scorpion's venomous bite, which our pa-
pyrus cures with a fumigation of three minerais, two vege-
tables, and goat's greasc.
Certainly it would be more useful for science to illustrate
the question of Egyptian medicine in its serious character,
instead of looking for trifles. But tlie task is far from being
an easy one. We liave no guide to détermine exactly tlie
nature of tlie immense number of vegetables, minerais, and
liquors which are prescribed for médicaments to be hoiled,
infused, or ground together. In each recipc are generally
comprised several substances at once; in no case is a sinâle
substance indicated separately, while many mixtures con-
tain from five to twelve, and even sometimes more. This
goes far to contradict the statement that thc Egyptians only
made use of a few médicinal ingrédients. The names of
diseases are not less perpleaina for the translator, tlie Coptic
having not preserved those mentioned in the papyrus, ex-
cepting perliaps fever, Some assistance will perhaps
be got from the demotico-greek papyrus, but it will require
a long and tiresome study.
Nevertheless, we can state some facts arising from the
pluinly intelligible passages of the medical papyrus. For*
instance, the use of potions, embrocations, solid médica-
ments to be eaten, ointments, frictions, topics and fumi-
gations. Clysters also were commonly used, even at thc eve
of liistorical times in Egypt. No passage of the manuscript
refers to blood-letting; but this circumstance is not a proofthat the hractice was unknown.
In some cases sweating was provoked by means of fumi-
gations draughts or eatable drugs for vomiting or purging.Scvere diet was also prescribed after medication; so was
a moderate exercise. « Let him drink, » says the text « and
make a moment of going and coming ». Sometimes the siclc
person was recommended to remain abed or to stand up
178 LETTRE SUR QUELQUES SINGULARITÉS
while taking medicines. Detailed instructions are given on
tlie proportion of various medicaments, the order in which
each ingrédient was to be introduced, the successiveboilingsand decantings, the number of tlie necessary vases, etc.
Some medicineswere to be drunk at once, others by drops;milder medicines were especially made use of for children.
Summer and winter sometimes required different treat-
ments. Prescriptions were generally made for four conse-
cutive days, but in some cases remedies are said to effect
ilie cure forthwith. Wine, milk, grease, honey, salt, salt-
petre, incense, vegetable and animal oils in various combi-
nations, were of fréquent use in Egyptian as well as in
Roman therapeutics.On the whole, wc are not authorized byany solid reason
to pronounce that tlie medical scienceof the Egyptians was
below the level of the ancient therapeutics of tlie Grecks.
We must bear in mind that the twenty-tlirec pages of tlie
Berlin papyrus, and a few recipes existing in another hie-
ratic manuscript (I. 345, Lcyden Muséum), form up to this
day our wholestock of information. Thiscannot be regarded,even if fully understood, as a complète instalment of the
knowledge of the Egyptians in medicine. But those precioussheets speak to us of the state of this sciencenine centuries
before Hippocrates wrotc his treatises; and one of tlie sec-
tions of the medical papyrus is ascribed to a much earlier
period, i. e. the time of Athothis, tlie son of Menes. 1 ven-
ture to say very few written records of antiquity are more
worthy of attention. They are moreover a source of lexico-
graphical discoveries, as several newly-observed words
show hère their real meaning. Among those that were
unknown before and liave thcir exact correspondents in
Coptic, 1 can cite , sal; fanina; non, pin-
sere, molere; oui, pulvis, irz pulverem conterere; yote,
sudor; ay, guttula; anore, lacerta.
A great many others, which it would be too long to enu-
DE LA MÉDECINE ÉGYPTIENNE 179
merate, having also direct Coptic derivatives, are alreadyfound in our glossaries, and are in no want of the further
confirmation of their meaning arising from our medical
tcxts.Should tlie opponents of Clampullion (if there be any
cxisting now) condescend to examine closely the vast store
ofproofs we are now able to present in support of this greatman's system of deciphering the Egyptian hieroglyphics,
tliey would inevitably givc way before evidence. The school
of wilfully blind unbelievers, headed by Klaproth, has
yanished in France. It is too late now for archæologists to
criticize our results without giving due attention to the
bulk of tlie Egyptologists’ labours, and pointing out the
alleged fundamental unsoundness of so many translations
of Egyptian tcxts now in ilie liands of all sauauls devoted
to philological researches.
LETTRE
A M. LE DOCTEUR SCHNEPP
Secrétaire de l'Institut égyptien
SUR LA LONGÉVITÉPRÉTENDUEDES ÉGYPTIENS'
Chalon-sur-Saône, le 10 octobre 1862.
En mars dernier, me conformant à une indication trouvée
sur le Bulletin, j'ai fait remettre à M. Leclerc, libraire à
Paris, dix brochures formant l'ensemble des publicationsantérieures dont je possédaisencoredes exemplaires. J'espère
que M. Leclerc les aura fait parvenir à l'Institut égyptien.Par l'entremise de M. l'ingénieur Sciama, directeur du
Canal de Suez, j'ai l'honneur de vous adresser encore pourla mêmebibliothèque
1°Note sur une scène mystiquepeinte sur un sarcophage
égyptien du Musée de Besançon;2° Les Inscriptions des mines d'or, in-4°, avec deux
planches.Permettez-moi, Monsieur, de vous dire qu'à mon avis,
vousêtes dans le vrai quand vous révoquezen doute la lon-
gévité des anciens Égyptiens. Aucun document original ne
nous autorise à penser que, sous ce rapport, les générationsactuelles soient moins favorablement partagées que celles
qui ont vu construire les pyramides. Il ne faudrait pas juger
1.Cf.Bulletindel'InstitutÉgyptien,1ersérie,1862-1863,p. 62,l'ana-lysedecettelettre.
182 LETTRE SUR LA LONGÉVITÉ DES ÉGYPTIENS
de la durée de la vie chez les anciens Égyptiens d'après les
inscriptions funéraires de quelques sujets de choix, tels, par
exemple, que Bak-en-Khons, de M. Devéria. On sait queles inscriptions romaines de la Numidie mentionnent fré-
quemment des centenaires. On y rencontre notamment une
femme de cent quinze ans et une autre de cent trente-deux
ans. Ces existences prolongées démontrent la salubrité du
pays, mais on n'en conclut nullement que la vie humaine
fût alors dans des conditions différentes de celles de nos
jours.Les textes égyptiens nous livrent au surplus un renseigne-
ment assez précis sur le sujet qui m'occupe. On y trouve,en effet, assez fréquemment l'expression de vœux formés
pour une existence de cent dix ans. Pour un motif qui n'est
pas encore connu, le nombre 11 et ses multiples étaient d'un
usage fréquent, comme chez nous celui de 12, malgré la
série décimale des chiffres. Les égyptiens demandaient à
vivre cent dix ans, de même que de nos jours on parle d'un
siècle comme du terme le plus long de la vie probable. Le
premier exemple de cette espèce de souhait se rencontre au
Papyrus Prisse, le plus ancien manuscrit connu, et cet
exemple y est rapporté à propos d'un fils du roi Assa, qui
appartient v l'une des premières dynasties. D'autres cas se
rencontrent dans des monuments de l'époque des Améno-
phis et des Ramsès. Le savant M. Goodwin, qui a fait la
même observation Parthénon, 12 juillet 18G2), rappelleavec raison que l'âge de cent dix ans, attribué par l'Écriture
au patriarche Joseph, mort en Égypte, représente, au pointde vue égyptien, la limite de faveur de la vie humaine,tandis qu'au point de vue hébreu, cet âge était inférieur à
celui des autres patriarches, même à celui de Moise, qui,né plusieurs générations plus tard, vécut encore cent vingtans.
Veuillez aâréer, Monsieur et savant collègue, l'assurance
de mes sentiments affectueux.
LES INSCRIPTIONSRELATIVESAUX MINESD'OR
DE NUBIE'
Dans le troisième volume des Mémoires de la Société
d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône1, j'ai publié
la traduction commentée de diverses inscriptions gravées
sur les murs du temple de Radesieh. A la fin de ce travail,
je rappelais la dissertation de M. S. Birch sur un autre texte
de sujet analogue* et paraissant se lier à ceux de Radesieh
de la manière la plus directe.
En rapprochant mon mémoire de celui de mon savant ami,
le lecteur pourrait se former une idée assez complète de l'en-
semble des renseignements historiques et géographiques
fournis par les monuments en question. Mais, d'une part,
l'édition du troisième volume des Mémoires de la Société
de Chalon-sur-Saône est peu près épuisée aujourd'hui, et,
d'un autre côté, le travail de M. Birch, inséré dans le journal
scientifique anglais The Archœologie, est à peine connu en
France, en dehors d'un petit nombre de personnes. Il ne sera
donc pas inutile de reprendre en entier ce sujet intéressant,
en publiant, pour la première fois en français, la traduction
de l'inscription dont s'est occupé M. S. Birch, ainsi qu'une
nouvelle copie du texte oriâinal de cette inscription.
1. Extrait des Mémoires de lccSociété d'Histoire et d'Archéologie de
Clralon-sur·-Saône, t. IV, p. 437-472, et publié à part chez Benjamin
Duprat.2. C'est le mémoire publié au t. I, p. 21-68 de ces Œuvres de Chabas.
3. Upon an historical tabletof Ramses I1, Archœologia, vol. XXXIV,
p. 357.
184 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
Tel est le plan du travail que j'entreprends aujourd'huiet qui forme une suite de la série d'études égyptologiques
que j'ai commencéesdans les Mémoiresde la Société.
Sept ans se sont écoulés depuis que j'ai mis la dernière
main à mon mémoire sur Uize Inscription historique de
SétiIer. Pendant cet intervalle, la sciencea considérablement
progressé, et nous avons pénétré bien plus avant dans la
connaissancedu mécanisme des hiéroglyphes. Il nous reste
peu de choseà faire pour ce qui concerne la langue en usageà la grandeépoque pharaonique correspondant aux six pre-mières dynasties du Nouvel Empire. Mais nous avons encoreà vaincre beaucoup d'obstacles pour l'interprétation de
l'idiome spécial des écrits qui datent de l'Ancien Empire.La domination des Pasteurs et le contact permanent des
races sémitiques conquérantes ou conquises paraissent avoir
influé assez notablement sur la langue égyptienne. Desmots
et des formes grammaticales tombèrent en désuétude;d'autres y furent substitués sous l'influence de ces relations
nouvelles. Plus tard, les rapports de l'Égypte avec la Grèce
et la domination des Lagides donnèrent lieu à de nouvelles
modifications, qui portent principalement sur le système
graphique, et c'est encore un des points qui réclament au-
jourd'hui des études spéciales. En définitive, les travaux quiont pour objet l'explication analytique des textes égyptienscontinuent à mériter toute l'attention des disciples de Cham-
pollion. C'est àla multiplicité de ces travaux et à leur promptedivulgation que sont subordonnés lesprogrès qu'il nous reste
encore à accomplir.
1
L'OR DE NUBIE ET D'ÉTHIOPIE
Pendant sa splendeur, tant de fois séculaire, l'Égypte fit
une prodigieuse consommation d'or. Sans recourir au té-
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 185
moignage d'Hérodote, qui nous représente les prisonniers
éthiopiensliés par des chaînes dece métal, nous connaissons,
par des renseignements puisés aux textes originaux, l'emploiabondant qu'on en faisait pour l'ornementation et l'ameu-
blement des temples et des palais portes incrustées d'or,
sièges d'or, couronnes d'or, colliers d'or, etc., sont men-
tionnés dans une foule de textes, et les sables de l'Égyptenous ont rendu un grand nombre de ces objets précieux.Sur la fin de l'Ancien Empire, les coffresfunéraires étaient
entièrement dorés, et vers le commencement du second les
pharaons firent revêtir d'or leurs pylônes et leurs obélisques.Nous voyons aussi l'or jouer un rôle important dans les
munificences royales des colliers d'or récompensaient les
actions d'éclat et constituaient une espèce de décoration
honorifique. Mais l'or était aussi distribué sous forme d'an-
neaux, d'armes, de chaînes, etc. Que l'on donne beaucoupd'or au fidèle Hor-Khem, dit Séti Ier dans une inscriptionencore inédite. Un autre monument nous montre l'adorateur
du soleil rayonnant, Khou-en-Aten, donnant à ses esclaves
l'ordre de charger d'or un officiernommé Méri-Ra; l'expres-sion du monarque est pittoresque
Qu'ori lrri mette l'or ait cou, par derriére, aux pieds,
puisqu'il a obéi aux instructions du roi en toutes choses'.
Dans le tableau qui accompagne ce texte, on voit des ser-
viteurs apportant à Méri-Ra un grand nombre de colliers et
d'anneaux d'or. L'or d'échange était disposé sous cette
dernière forme, chaque anneau étant probablement évalué
d'après son poids.
L'Arabie et diverses contrées de l'Asie furent de bonne
heure mises à contribution pour la fourniture de ce précieux
métal; mais la Nubie et surtout l'Éthiopie en formèrent les
sources principales. Dès le règne d'Amenemha Ier, ainsi que
1. Denkmäler, Abth. III, 97 ((.
186 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIls
le prouve la stèle du Muséebritannique citée par M. Birch',les lavages d'or de Nubie étaient déjà établis et régulière-ment exploités. Sous OsortasenIer,des expéditions militaires
en Ethiopie amenaient au pharaon le minerai d'or de ce
pays'. Aux princes de Kusch ou d'Éthiopie, fonctionnaires
de l'ordre le plus élevé, incombait le devoir de veiller au
maintien de l'importation de l'or provenant des contrées
situées au midi de l'Égypte, et l'un de leurs titres habituels,
intenclant des pays de l'or', caractérise parfaite-
ment cette fonction.
Dans les listes de tributs et sur les comptes des temples,
l'or de Kusch est mille fois cité. Celui de Nubie parait avoir
été nommé or de Koptos, d'après le nom de la ville où abou-
tissaient les routes les plus suivies du désert et dans laquelle
était d'abord transféré le produit des diverses mines de la
localité.
L'exploitation d'or à laquelle se réfèrent nos textes est
l'une de celles qui fournissait cet or de Koptos; elle avait
son siège dans l'une des chaînes de la région de petites mon-
tagnes qui commence à peu de distance du Nil et s'étend
jusqu'à la mer Rouge, au voisinage de la montagne des Éme-
raudes. Sur cette chaîne, à 24 heures de course de chameau,
depuis Radesieh, se voient les ruines d'un temple, auquel on
a donné le nom inexact de temple de Radesieh; la localité
porte aujourd'hui le nom de Wady-Abhas; il est probable
que l'une des stations de la route de Koptos à Bérénice en
était très voisine. Il existe du reste dans le même désert
d'autres ruines du même genre, notamment dans le Wady-
Ghadir, le Wady-Sakeita, etc.
1. S. Birch, loco laucl., p. 376.
2. Denkmülcr, II, bl. 122, 1.11.
3. Voyez Brugsch, Géoflraphie; Champollion, Notices manuscrites,
[t. l,] p. 137, etc.
4. Voyez mon mémoire Sur' iinpoids égyptien, Renia archéologique,
2' série, t. III. p. 16; [cf. p. 107-114, du présent volume].
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUnm 187
II
SI:TI IPr. LES INSCRIPTIONS DE RADESIEH
Le temple, auquel nous conserverons le nom de templede Radesieh, se compose de deux chambres dont les murs
sont décorés d'inscriptions et de bas-reliefs que M. Lepsiusa publiéesdans le grand ouvrage de la Commission prus-sienne'. Je ne reviendrai pas ici sur la description que j'enai donnée dans mon premier travail, non plus que sur la
traduction de tous les textes, bien que cette traduction puisse
aujourd'hui être améliorée dans quelques passages. Je me
bornerai irareproduire la version du premier de ces textes,le seul qui ait directement trait a la fondation du temple et
de la citerne« (Lig. 1). L'an IX, le 20 d'L.piphi, sous le règne de
) Séti 1er', vivant a toujours.» Ce jour-ta, le roi s'occupait des contrées situées du côté
» des montagnes; son coeurvoulut (li-. 2) voir les carrières
» d'où l'or est amené. Lorsque le roi y montait avec les
» savant des cours d'eau. il (it une halte sur le chemin
u pour converser tacitement avec son cœur; il dit Point de
chemin sans eau! C'est commeun lieu (lig. 3) ou les voya-
it geurssuccombent par le dessèchement de leurs gosiers.1)Où serait l'endroit qui pût éteindre leur soif? le paysu (d'Égypte) est éloigné, la région (déserte) est vaste.
» L'homme pris par la soif s'écrie Terre de perdition! IlsJ) viennent (lig. 4) s'acquitter envers moi de leurs obliâa-» tions; je ferai pour eux l'action de les faire vivre. Ils
u rendront un culte à mon nom dans la suite des années;
1. Denkmäler«ttsÆgypt.uatlÆthiop.,Abth.111,bl.139,140et 141.2. Je passelestitresdu pharaon,quinousintéressentpeu.
188 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
ils viendront, et leurs générations venir viendront aussi
» commecharmées par moi, :rcause de ma puissance.
(lig. 5).» Lorsque le roi eut dit ces paroles en son cœur, lui-
»même, il s'éleva dans le pays, cherchant un lieu pour y
» faire un sanctuaire auguste, contenant un dieu, pour lui
u rendre le culte et lui adresser les prières. Il lui plut de
» rassembler des ouvriers (lig. G) travaillant la pierre pour
» établir une citerne sur les montagnes, dans le désir de
» soutenir le défaillant, en lui fournissant de l'eau fraîche
» au temps de la chaleur, en été'. Alors il fonda ce lieu au
» grand nom de Ii,amamen' (lig. 7). L'eau y vint en grande
n abondance, comme à l'abime (du Nit) de Kerti d'Éléphan-
» tine.
» Sa Majesté dit Dieu a exaucé mes prières, l'eau est
» venue à moi sur les montagnes par les dieux; la route qui
» en manquait est rendue excellente pendant mon règne
» (lig. 8), bienfait des pâturages du pasteur. Le roi double
u la largeur de la terre toutes les fois yu'il étend les bras
» (lacune).
» 11 convient à mon cœur, par l'ordre de dieu, de faire
» établir une ville et un sanctuaire (lig. 9) auguste au mi-
» lieu d'elle, une ville contenant un temllc; et je construirai
» le sanctuaire, en ce lieu, au grand nom de mes pères les
»dieux, qui ont rendu stables mes ouvres et prospère mon
» nom circulant parmi les nations. Alors Sa Majesté or-
o donna (lig. 10) qu'il fut donné des ordres au commandant
» des maçons royaux, qui était avec lui, et aux sculpteurs
u divins; il fut fait dans une coupure dans la montagne un
» temple ainsi. (lacune); on plaça le dieu Phra dans
» son sanctuaire, Ptah et Osiris dans sa grande salle; Horus,
1. Dans ses fructueuses recherches sur les noms des divisions de
l'année égyptienne, M. Brugsch a cité les derniers mots de ce passage.
2. Prénom royal de Séti Ier.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 189
» Isis et Ramamen1, comme dieux parèdres (!ig. 11), dans
» ce temple. Lorsque le monument fut achevé entièrement
» et exécutées ses peintures, le roi vint pour adorer ses pères
» les dieux. »
Cette traduction comprend quelques passages dont le sens
m'avait échappc;, et modifie sur un petit nombre de points
la version donnée dans mon premier travail. Comme ces dif-
férences n'altèrent en rien les résultats historiques qu'on
peut tirer du texte, et que les discussions philologiques éten-
dues n'entrent pas dans le plan de cet article, je medispen-
serai de justifier les nouveaux sens que j'adopte. Mais je crois
devoir entrer dans quelques détails à propos d'un passage
qui soulève une question géographique intéressante. Je veux
parler de la phrase dans laquelle Séti Ier dit que l'eau afflua
dans sa citerne, comme :'1l'abîne de Kerti d'Élephantine:
TPEII KERTIABU.
On rencontre une indication pareille au cliap. CXLIXdu
Rituel, a propos de la région deKER,qui est le
quatorzième et dernier, Aï, décrit par ce chapitre. Le
texte semble dire que, de ce point, le Nil redescend jusqu'à
Tattu, ville que M. Brugsch identifie avec Mendès, mais
que, dans tous les cas, il faut chercher dans la Basse-Égypte
KER-TI,etTATTU,
sont des points importants pour
la mythologie. Ils sont liés les uns aux autres par leurs
mythes et leurs cultes locaux. Le chap. cxlix du Rituel, à
l'endroit cité, dit qu'il J a clans le pays de KER(ou KRAU)
un serpent, ait KERTl1)'Al3U,à la surface du TPEHdu Nil,
et que ce serpent vient avec llli, ce qui me semble signifier
qu'il suit le cours du Nil'.
1. Le roi lui-mêmedésigWpar sonprénom.2. Todtenbuch,chap. cxlix, 60à 62.
1!)U LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
zou KER, est, je crois, le eopte , fora-
men, cacea. On peut aussi le comparer à itpoc, circulas,
unnulus; , creuser; , rotundus, trou creusé
dans la ternc. Il est parlé dans les textes de certaines
retraites occupées par les dieux et nommées KER', que les
vignettes représentent quelquefois sous la forme de cercles.
Ce sont peut-être des puits, des trous, des cavités. Les dé-
funts devaient connaître ces mystérieuses demeures2.
Quant au mot Q, qui n'a pas de correspondant
en copte, il possède certainement une signification analogue
à KER. On le trouve désignant le trou du serpent', le logis
secret d'un dieu', le fond des puits funéraires, etc. Les
TPEHU d'Hapi, c'est-à-dire du Nil, sont maintes fois cités
dans les textes", et ces retraites inaccessibles, dans lesquelles
le dieu était supposé faire sa demeure et d'où il faisait jaillir
ses ondes bienfaisantes, étaient figurées dans les temples
par des châsses symboliques également nommées TPEU. Dans
le bel hymne au Nil du Papyrus Sallier II, document si
digne d'une étude attentive, se rencontrent deux passages
extrêmement intéressants sur ce sujet. Le premier, si j'en
comprends bien l'intention, nous prouverait que les initiés
aux lllus hauts mystères de la science sacrée étaient bien
loin de confondre la divinité avec les images et les symboles
qui la représentaient dans lcs temples:
1. Voyez mon Hymne â Osiris, Revue archéologique IV année,
p. 197, note 4 [cf. t. I, p. 120, n. 4, de ccs Œuvres aussi Todrenbuch,
cll. I.XXIV.1; CXXXVI,2, etc.; Cllampollion, Monuments de l'Egypte.
pl. CCLXVI.
2. Sharpe, Egyptian Inscriptions, série II, pl. XIV, 5 L'osirien
Zelho connaît les douze portes des douze KERSde cette rillc.Cf. Tod-
tenbucli, chap. CXXVII,8.
3. Cliampollion, Notices manuscrites, It. 1,] p. 467, etc.
4. todtenbuch, ch. I.XVII,1; cxxv, 32.
5. Brugsch, Monuments de l'Egypte, pl. III, 1. 12.
G. Par cxemllle, dans les passages étudiés, et Todtenbuch, cll. cxxix,
1; Papyrus Sallier IV, pl. lX, lig.9, etc.
Ll:j INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 191
« On ne le taille pas en pierre; dans les statues auxquelles» on pose la double couronne (lepschent), on ne l'aperçoit» pas; on ne le façonnepas; on ne 1uirend pas d'hommages1» on ne le place pas dans les coures mystérieux; on ne con-
» naît pas le lieu où il est; on ne le rencontre pas dans des
» TPEHUpeints; pas de demeures pour un aussi grand que» lui, etc. 1
Le zélé adorateur d'Hapi en fait ainsi le Dcus ignothus,
qu'on ne peut ni représenter, ni définir, ni renfermer. Il
termine son hymne par le second passage dont j'ai parléNil de l'inondation! A toi les oblations, à toi les sacri-
licesde bétail; à toi sont célébrées les grandes panégyries;a toi sont immolés les volatiles, livrés lcs quadrupèdes et
offerts les holocaustes. Les offrandes à chaque (autre) dieu
sont commefaites à Hapi. Oncc fait it Hahi des TPEHU
dans Thèbes, (mais) on ne reconnaît pcts son nom sttr la
porte: le dieu ne parait pas en personne; vaines (sont) les
figures1.On s'aperçoit aisément que l'hierogrammate a choisi le
dieu Nil comme type absolu du dieu unique qui formait le
point fondamental de la doctrine. Quelle que fut la forme
divine sous lacluellc les Égyptiens l'adoraient, quel que fut
lu temple et le nom inscrit sur la porte, le cultc s'adressait
toujours à ce dieu seul, qu'ici on désigne sous le nom d'Hapi,
ailleurs sous ceux d'Ammon, d'Osiris, d'Harmachis, etc.
On voudra bien me pardonner la longueur de cette digres-
sion, en faveur des idées nouvelles qu'elle nous suggère sur
ce point important de la science sacrée d'un peuple que
l'antiquité classique accusait d'adorer des animaux et même
des légumes. Retenons pour le moment que le tpeh d'Hapi
1. C'est-à-dire La statue qu'on façonne, celle devant laquelle on
nccomplit les cérémonies cltt culte, ce n'cst pas le dieu lui-même.
2. Papyrus Sallier 1I, hl. XII, lig. 6.
3. Ibid., pi. XIV, 1. U.
192 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
est une secrète demeure du Nil. L'inscription de Radesieh
et le Rituel nous ont appris que l'un de ces TPEH était situé
à Éléphantine ou au Kerti d'Éléphantine. Kerti, que notre
texte détermina par deux cercles et qu'on trouve aussi sous
laforme déterminée par deux angles sur deux
sceaux, signes d'impénétrabilité, se comporte dans tous les
textes comme un duel. Il signifie les deux KER, c'est-à-dire,
d'après l'explication que nous avons essayée, les deux trous,
les deux cavités. Ainsi donc le TPEH IŒR-TI ABU serait le
gîte secret du Nil aux deux trous d’Éléphantine, ce qui
nous reporte forcément à quelque accident du cours du Nil,
a la première cataracte.
Le prêtre de Suis, qui instruisit Hérodote, lui apprit que
les sources du Nil se trouvaient entre Syène et Éléphantine
Ce sont, dit-il, de profonds abîntes soi-tant dcc milieu des
montagnes; la moitié de leurs eaux coule vers le nord en
Égypte, et l'autre moitié vers le sud en Étlaiopie1. D'après
un autre auteur, le rhéteur Aristide, il y a dans ce lieu
deux sources enfermées dans deux grands rochers, qui
sortent du milieu dit fleuve, et dont la profondeur ne peut
se nzesurer. Tous les anciens historiens sont du reste una-
nimes dans la description de la rapidité, de la profondeur et
du bruit assourdissant des eaux à la cataracte. En tenant
compte des confusions qu'on rencontre si fréquemment dans
les récits d'Hérodote et qu'explique son ignorance de la
langue égyptienne, ne pourra-t-on pas retrouver les deux
KER des hiéroglyphes dans les sources qui jaillissent du
milieu des rochers 2, au dire du prêtre de Saïs, et dans les dieux
grands roclaers d'oit sortent dieux sources, selon le rapport
d'Aristide? De nos jours, il y a encore dans cet endroit des
eaux profondes et rapides, occasionnant des remous sensibles
1. Hérodote, II, ch. XXVIII.
2. Hérodote a dit montagnes; admet les deux acceptions.
LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBlE 193
BIBL.ÉGYPT.,T.x. 13
et des tourbillonnementsqui ont pu faire supposer aux
Égyptiensque deuxsourcesplacéesau fonddu lit du fleuvecontribuaientà l'augmentation du volumeet aux mouve-ments tumultueuxdes eaux. D'après les hauteurs du Nil,notées à Semneh sous la XII0 dynastie et relevées parM. Lepsius, le Nil s'élevait alors pendant l'inondation à24 pieds plushaut qu'aujourd'hui1. Il conservaitcertaine-mentaussi un niveau plus élevé lorsde sa décroissance,et
par conséquent les phénomènesde la cataracte devaient
avoir, dans l'antiquité;une intensité bien plusgrande quede nos jours.
Cette indicationcoïncideparfaitementavecl'intentiondeSéti Ier, qui, pour faire admirer le succèsde sa citerne, la
comparepour l'abondancedes eaux à l'endroitdu cours du
Nil, où, de son temps,oncroyait que le fleuve,à sonentréesur le territoire de l’Égypte, recevait le tribut de deuxsourcesabondantes.
La localitévoisinedes deux KERavait reçu le nom de
ville oupaysdesdeux ker, KER-TI.M. Brugschl'a identifiéeavecKorte, bourgadeégyptienne situéebeaucoupplus au
sud, en facede Kouban.Si cette identificationétait exacte,
je ne comprendraispas l'expressionhiéroglyphiqueKerti
d'Abu, c'est-à-dired'Éléphantine,alors que les deux loca-
lités sont distantesdeplus de vingt-cinq lieueset séparées
par des villes jadis importantes,telles que Pselcis, Talmis
et Taphis. Les divinités du Kerti sont mentionnéesdansles légendesd'un grand nombrede temples,maiscesmen-
tionsne prouventrien quant à la situationde la localité de
ce nom, lors mêmequ'on les rencontreraitdans les ruines
de Korte.Le texte que nous avons discuté, en l'empruntant au
chap. CXLIXdu Rituel, place la région de KER,
KRA,en rapport avecle voisinagede la premièrecataracte.
1. Lepsius,BriefeausÆgypten,p.25!).
194 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
D'après son déterminatif, le mot KRA veut dire lutle, combat.
11 est possible que les Égyptiens aient considéré le boule-
versement du cours du Nil, au-dessus de Syène, comme
l'ancien théâtre de quelque combat mythologique. Des textes
nombreux citent les dieux, les PAUT-NETERU, les grands, les
seigneurs, etc., de Kra'. Hapi, le dieu Nil, était le père
des dieux de Kra'.
J'ai arrêté ma traduction au point où le texte reproduit
l'allocution d'actions de grâces adressée par,le pharaon aux
dieux, ses pères. Une version nouvelle de ce long discours
serait sans utilité.
En résumant les renseignements que nous fournit l'ins-
cription, nous voyons que., dans la. neuvième année de son
règne, Séti Ier vint en personne examiner l'état et étudier
les besoins des contrées où étaient situées les mines qui
fournissaient de l'or à l'Égypte. Ces contrées sont désignées
contrces vers les montagnes. Ce nom s'applique évidemment
à la région de monticules arides qui sépare la vallée du Nil
de la mer Rouge. Il est bien certain que la petite cliaine à
la hauteur de Radesieh, comprenant le Wady-Abbas et
s'étendant jusqu'au Wady-Sakeita, y était comprise. C'est
sur ce point que s'arrêta l'attention du pharaon, qui, frappé
des inconvénients du manque d'eau, après avoir pourvu aux
besoins du culte par la construction d'une petite chapelle.
lit creuser une citerne dans le roc; l'eau y étant venue en
abondance, Séti, encouragé par le succès, construisit le temple
et une ville, c'est-à-dire un groupe de maisons à l'usage des
fonctionnaires et des ouvriers attachés à l'exploitation de
l'or. Le temple comprenait deux pièces; dans l'une d'elles,
nommée le KHEN, le sanctuaire, l’Adytum, était placée
1. Todtenbuch, ch. XVII, 89; cxxxvi, 2; Papyrus Sctllier IV, pi. II,
1. 8; pi. X, 1.5; pl. X, 1. 6.
2, Ibid., pl. XV, 1.10.
LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBIE 195
l'imagedu dieuprincipalPhra (ouplutôt Amon-Ra, car je
soupçonneuneerreur danslacopiedecepassage) laseconde
contenaitles imageasde Ptah et d'Osiris; Horus, Isis et le
type divin du roi lui-même y étaient également adorés
comme!L'établissementreçut, selonl'usageinvariable,le nomde
sonfondateur,sousla forme TANETER
IIaRAMAMEN,la divinedemeurede Ramamen.Cenom est
cité dans les autres inscriptions, qui nous donnent aussi
celuide la citerne TANEM-T1
RAMAMEN,la citerne de Ramamen.Malheureusement lenomvulgairede la localitén'est pas énoncé.
Lesdieux,sousla protectiondesquelsl'établissementavaitétéplacé,sontplusieursfoisnommésdansdifférentespartiesdes légendes. On y trouve Ptah, Har-em-Chou, Horus
d'Edfou, Khem, Isis, et Amon-Raqui y occupela placeprincipale.
Des deux autres inscriptionsqui décorent la deuxièmesalledu temple,la première' est un longdiscourspar lequelSéti demande la protection des dieux en faveur de sonœuvre.Ce texte, coupé par d'énormeslacunes, est cepen-dant très curieux à étudier. Le monarquey adresse auxrois, ses successeurs,de pressantes sollicitationspour lemaintien de l'établissementqu'il a fondé. Il menaceceux
qui y porteraient atteinte, ainsi que les conseillersqui en
suggéreraientl'abandon, et voued'avanceaux sévéritésdesdivinitésinfernalesquiconquevioleraitsesdécrets.
La secondeinscription' rappelleen peu do mots la cons-tructiondu templeet de la citerne, et se termine par une
éloquenteprière en faveurde Séti.
1. OuKHNEM.Lesdeuxprononciationsétaientprobablementusitées,commepourlenomdudieuNumouKhnumis.
2.Denkmäler,fil.140,enC.3.Denkmäler,ibid.,cuD.
196 LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBIE
Je n'aborderaipointla tâched'une nouvelletraductionde
ces deux textes, les correctionsque je puis proposerà mes
premières vues n'ayant qu'un intérêt philologique;il me
suffitd'avoir fait ressortirtous les points historiques.Sous
ce rapport, il mereste à mentionnerun renseignementquefournitune courtelégendede la secondechambre.Isisy ditau roi Je te donne les contrées aurifères; les montagneste donnent ce qu’il y a en elles, en fait d’or, !Ic lapis et
de cuivre. Ces trois métaux étaient probablementfournis
par les rochesdu voisinage.Toutefois,il n'est questionpar-tout ailleursque de l'extractionde l'or.
Je ne croispasque l'explorationmétallurgiquedu désertait été accomplieen détail. Cependant,d’aprèsdes rensei-
gnementsque m'a communiquésM. Prisse d'Avennes,quiles tient de diverses sources, les roches des environsdu
templedeRadesiehseraientdegrès siliceux,n'ayant aucunetrace de minerai d'or. On n'aurait reconnude quartz auri-fère qu'a cinq journéesplus à l'est, au voisinagede la mer
Rouge. Quantau mineraide cuivre,on en trouveencore àdeux joursà l'est et au sud du temple.Le lapis-lazuli,qu'onn'a jamais rencontré dans le sol de l’Égypte, existe en
fragmentsdans 1rsterrains primitifsdu riolfcde Bérénice.Si ces faits sont bienobscrvcs,il faudraiten conclureque
l'établissementde Radesieh,avait été placé à mi-chemin,entre les mines et la valléedu Nil, pour offrir un asile etdes approvisionnementsaux convoyeursde l'or, dans le
voyaged'environdix journéesqu'ils avaientà faireau tra-vers du désert. Cette hypothèse peut s'accorderavec lesdonnéesdes inscriptions,qui parlent surtout de la route etdes convoyeursde l'or.
D'après le rapport fait à M. Prisse par le scheickdes
Ababdeh,il existeraitdansla petiteplainequis'étenddevantle temple de Radesieh,une source dont les anciens pa-raissent avoir utilisé les eaux pour la culture et le lavagedu minerai.Cechef ajouteun détail assezintéressant,c'est
LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBIE 197
que,partout où l'eau se rencontre sous le sol, au voisinagedesroutesanciennesdudésert,onobservele
signe gravésur les roches voisines.Un Arabe, qui devait son salut àl'une de ces marques, a inscrit au-dessousce passageduCoran «Dieusoit béni c'està l'eauque toute créaturedoit» sonexistence.o
III
RAMSÈSIl. L'INSCRIPTIONDEKOUBAN
La stèle sur laquelleest gravée l'inscriptionque je vais
étudier,a été découverteparM. Prisse d'Avennesau milieudes ruines antiquesavoisinantle villagenubiendeKouban.Nousne possédonsencore aucune descriptiondétaillée deces ruines; aussi ai-je accueilliavec reconnaissancela notesuivanteque M. Prisse a bien voulu m'autoriserà insérerdansmonmémoire
« Sur la rive orientaleduNil, presqueen facedeDekkeh,» l’anciennePselk ou Pselcis,on voit les ruines d'une for-u teresseet d'une ville égyptiennes, connues aujourd'hui»sous le nom de Kouban,qui est celui du villagenubien»dont les misérableshuttescouvrentune partie de l'empla-» cementde la ville antique. La forteresse,qui s'élevaitau
»nord, consiste en une vaste enceinte carrée, d'environu 100mètresde côté, forméepar d'énormesmursenbriques1)crues, bâtis en talus et soutenusde distanceen distance
u par des éperonsou contrefortsassezsaillants. Cette en-» ceinte régulière était percée d'une porte au milieu deMchacunde ses murs. Les portesdu nordet du sudétaient
»uniquement protégéespar le fossé sur lequel s'abattait
1. JecroisquelesigneainsifiguréparlescheickSoleymanestl'6ié-roglyphedelavie.
198 LES INSCRIPTIONSDES MINESD'ORDE NUBIE
» probablement un pont-levis, à en juger par les massifs
» de maçonnerie qui bordent la berge du côté de l'entrée.
» La porte de l'est, qui débouchait sur le désert et se trou-
» vait le plus exposée à l'ennemi, était plus large que les» autres et défendue par une tour qui flanquait le fossé.
» Enfin, la porte de l'ouest, c'est-à-dire du côté du Nil,» semble avoir été précédée d'une construction dont on voit
» encore quelques colonnes. Un fossé de huit mètres de
» large, séparé du mur par un terre-plein ou chemin deu ronde, entourait les trois principaux côtés.
» Les fossés semblent avoir communiqué jadis avec le
» fleuve, et s'ils n'étaient pas constamment remplis d'eau,» ils étaient susceptibles d'être inondés au besoin. On voit
» encore à l'extrémité de la muraille méridionale un conduit
» ou aqueduc souterrain bâti en grès, qui servait à conduire
» l'eau dans la place. Tout l'espace que renfermait cette
» enceinte est couvert des ruines de maisons bâties en
» briques, au milieu desquelles on remarque plusieurs tron-
» çons de colonnes en grès et quelques portions de conduites
» d'eau. A l'angle oriental, se voient les restes d'une rampe» menant au sommet des murailles, qui, élevées d'environ
» dix mètres, présentent une longue plate-forme de trois
»mètres de large; elles étaient probablement garnies de
» créneaux.
» Cette forteresse, bâtie pour arrêter les incursions des
» nomades sous les rois de l'ancienne monarchie, est extré-
» mement remarquable sous tous les rapports; elle présente,» comme les meilleurs camps romains, un système de dé-
» fense qui permettait de résister à une longue attaque.» Bien conservée après tant de siècles de durée, elle offre
» le plus beau spécimen des fortifications permanentes des
» anciens Égyptiens.» Je n'ai trouvé dans cette enceinte qu'une seule pierre
»portant des cartouches; ce sont ceux d'Amenemha III, de
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 199
» la XII° dynastie, qui probablement a fait construire cette
» station militaire.
» Les ruines du petit édifice situé à l'angle sud du fossé
n n'offrent plus que les débris d'une salle bâtie en pierres
» de petites dimensions. Sur le chambranle de la porte, on
» remardue un bas-relief représentant Ramsès II saisissant
» un groupe de prisonniers Châris (Bicharis?) qu'il va frapper
x de sa hache d'armes.
» C'est le même peuple qu'on voit sur la scène militaire
» du petit Speos de Kalabché. Plus loin, sur des pierres
» éparses et fragmentées, on lit les noms de Ramsès IX et
» de Ramsès XIII, qui restaurèrent ou complétèrent ces
» ndifices. C'est parmi ces ruines qu'a été trouvée la curieuse
1) stèle relative à l'exploitation des mines du voisinage.
» Au sud-est, à l'entrée du village, on aperçoit encore les
» substructions d'un temple dont l'axe était parallèle au mur
» de la forteresse et se dirigeait vers le Nil. On reconnaît,
M dans la construction la plus voisine du fleuve, une porte
» isolée, sans doute un propylon, qui se rattachait proba-
» blement au temple et servait d'entrée au temenos. Plus
» à l’est, on en voit une autre de laquelle part un petit
» dromos aboutissant à une plate-forme ii demi enfouie,
J) mais sur laquelle gisent encore les bases de deux colonnes
» proto-doriques qui devaient former un péristyle.
» J'ai trouvé là, au milieu des décombres, deux espèces
» de stèles portant la bannière et les cartouches d'Amen-
» emha III, et une statue léontocéphale ayant sur la poitrine
» les noms de Horemheb (Horus).
» Les ruines du petit temple, situé à l'autre extrémité du
» village, ne fournissent aucun renseignement notable. Je
» n'ai trouvé nulle part le nom hiéroglyphique de la localité,
» qui du reste correspond très bien â Tacompso ou Meta-
» compso des écrivains grecs. »
M. Prisse avait dû se borner relever une copie de l'ins-
cription sur place; mais depuis lors la stèle a été recueillie
200 LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBIE
par un voyageurde goûtet de savoir, M.le comtede Saint-
Ferréol, qui l'a déposéedansle joli muséedesonpittoresquechâteaud'Uriage.C'estde l'inscriptiongravéesur cettestèle
que, sur la copiepubliéepar M. Prisse', M. S. Bircha faitla traductiondont j'ai parlé dans ma note préliminaire.La
planchedontj'accompagnece mémoirea étédessinéed'aprèsune photographieprise sur un plaire que je dois à l'obli-
geancede M. de Saint-Ferréol.Par ce moyen,j'ai puréussirà copier plus exactementquelquesgroupesembarrassants;
quoiquepeu nombreuses,ces rectificationsne sontpas sans
importance,en ce qu'ellescorrespondent,commeon devait
s'y attendre, aux passagesqui étaient restés inintelligiblessous leur forme altérée. Les textes monumentauxbrillentrarementpar la correctionorthographique;livrésaux lapi-cides, sous la forme hiératique manuscritepar les hiéro-
grammates, ils couraientla chance d'être mal lus et mal
transcrits, indépendammentdu risque d'omissions,qui estcommunà touteespèced'écritures. Certaineserreurs attri-buées aux copistessont le fait du graveur des originaux.Maisles copistesont de leur côté commisbien des erreurset bien desoublis,car la tâche de copier un textehiérogly-phiqueà la lueur aveuglantedu soleilde l'Égypte.est loind'être facile. Aussi est-il vrai de dire que les inscriptionsirréprochablessousle rapportde la correctionsontextrême-ment rares, si même il en existe dans les recueilspubliésjusqu'à ce jour. C'est une considérationdont il est juste detenir compteaux égyptologues,à proposdes tâtonnementset des hésitationsqui signalentquelquesendroitsde leurstraductions.
Indépendammentdes passagesmodifiéspar des correc-tions matérielles, je m'éloignedes vues de mon devanciersur un assezgrand nombrede points. Ces changementsnesontpasdesdivergences,maisbienle résultat inévitabledes
1. MonumcntsÉgyptiens,pl.XXI.
PL.I 1
BIBL. ÉGYPT., T. X.
STÈLE DE KOUBAN.
Imp, Bertrand, Cbalon-s/S.
LES INSCRIPTIONS DES MINKS D'OR DE NUBIE 201
conquêtes modernes de la science. Sous ce rapport, mon
savant ami d'Angleterre ne s'est laissé dépasser par per-
sonne, et les améliorations dont sa version déjà ancienne est
aujourd'hui susceptible lui sont sans doute parfaitementconnues.
La stèle de Kouban a lm G8''de hauteur sur environ lm de
largeur; arrondie par le haut, elle se compose, de même
clue I.vplupart des monuments du même ordre, d'une scène
d'offrandes et d'une inscription qui comptait trente-huit
lignes. De la partie inférieure, qui a été brisée à partir de
la vingt-cinquième ligne, il ne reste qu'un fragment, qui,selon la remarque de M. Birch, se rattache directement au
gros bloc, de telle sorte que la vingt-cinquième ligne, com-
mencée sur le gros bloc, retrouve sa fin presque entière sur
le fragment détaclré. A ce point s'arrête la partie lisible de
l'inscription, car de chacune des treize dernières lignes nous
ne possédons guère plus du tiers, et, comme on se l'imagine
aisément, on tenterait en vain une traduction suivie de ces
phrases tronquées.La planche de texte qui accompagne ce mémoire s'arrête
à la vingt-cinquième ligne, reconstituée ainsi que je viens
de l'expliquer. Je n'ai pas jugé nécessaire de publier de
nouveau la partie fragmentaire du texte; elle ne saurait
fournir matière à discussion.
Je me contenterai d'une description sommaire de la scène
qui occupe la partie cintrée de la stèle; elle se décomposeen deux sujets. A droite, le pharaon Ramsès II offre l'encens
brûlant au dieu Horus, seigneur de la ville nubienne de
Bak; à gauche, le même monarque présente deux vases de
vin à Klicm, le dieu ityphallique le disque rtilé, emblème
d'Horus d'Edfou, couronne la scène; dans les légendes, on
trouve l'indication du nom et du prénom du monarque, ac-
compagnes de quelques-uns de ses titres ordinaires, les
noms des dieux et des formules banales sans intérêt pournous. Notons cependant que le dieu Khem est dit résidant
202 LES INSCRIPTIONS DES MINES D’OR DR NUBIE
dans la montagne, ??? et rappelons-nous que les ins-
criptions du temple de Rudesieh nous ont appris que la ré-
gion où est situé ce temple était comprise dans le groupe
aussi que Khem était au nombre des dieux dont le culte y
avait été institué par Séti I''r.
Traduisons maintenant l'inscription; elle ne présente pas
de difficultés. J'appuierai du reste ma version par quelques
discussions analytiques qui, grâce à la publication du texte
hiéroglyphique, pourront être utilisées par les égyptologues.
« (Lig. 1). L'an III, le 40 jour du mois de Tobi, sous le
» règne de l’Horus-Soleil, taureau fort, ami de la justice,
» seigneur des diadèmes, qui protège l'Egypte et chátie les
» nations; l’épervier d’or; le riche d'années'; le plus grand
» des vainqueurs, le roi de la Haute et de la Basse-Égypte,
» Ra-usor-ma-sotep-en-Ra', fils du Soleil, Meriamen Ram-
» ses, vivant it toujours, aimé d'Ammon-Ra, seigneur des
» trônes du monde qui réside dans les Ap' (lig. 2); couronné
1.???,
USORTERU. La signification fondamentale du mot USOR
est possession, richesse; de là. les idées corrélatives force et puissance.
Au calendrier Sallier, le 2-1 de 'l'obi est signalé comme très heureux
Tout indiciclu né ce jour-là, mourra après une longue cic, et USORU
H’ET-U, riche de choses, comblé de richesses. D'une ville maritime il
est dit qu'elle est USOREM ramu, riche en pois.sons (Anastasi I, 21, 2).
Un littérateur critique ces gens sans courage, aux bras rompus, inertes,
sans force, mais riches (USORU)dans leurs maisons en provisions de
bonne chère (ibid., 9, 3). Les rois sont appelés usor PEH-TI, riches en
courage, USORMA, riches de justice, uson TfnU, riches d’années. Ce
dernier titre correspond à l'attribution de vie immortelle que les proto-
coles répètent à satiété; USORqualifie aussi le glaive ou la force des
pharaons glaice riche, c’est-à-dire fort, dominateur. Employé active-
ment, USORse rend par posséder, maîtriser, dominer.
2. C'est le prénom de Ramsès II, qui signilie Solcil riclie de justice,
approuvé par le dieu soleil.
3. Nom hiéroglyphique de Thèbes.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 203
» sur le trône du dieu des vivants, comme son père le Soleil» de chaque jour; dieu bon, seigneur de la terre méri-
dionale; Horus de Hat, rayon de lumière; excellent éper-» vier d'or, il couvre l'Egypte de son aile et irradie les êtres» intelligents; c'est un mur de courage et de victoire. Au
u sortir (lig. 3) du sein (maternel), il fut prêt a saisir sa
u valeur pour élargir ses frontières; à ses membres fut
» donnée une trempe', conformeaux forces du dieu Mont.
» C'est tout Horus-Set'. (Il y eut) joie dans le ciel le jour» de sa naissance. Les dieux dirent notre germe est en lui;» (lig. 4) les déesses dirent il est sorti de nous pour ac-u complir le règne du Soleil; Ammon dit' je l'ai formé
» pour placer la justice sur son siège; la terre s'affermit,
1. ??? TERU.Je neconnaispasd'autresexemplesdece
motqui,d'aprèssondéterminatif,doitsignifiernuances,couleurs.Nousdirionsaujourd'huiSesmembresontété,revêtus,trempésde la forcedcMars; maislesÉgyptiens,quisculptaient,dessinaientoupeignaienttant de figuresdivines,peuventbienavoiradoptéuneimageun peudifférente.Onsaitqu'ona déjàsignalél'hiéroglyphe
???.commedéter-
minantle mot AN,nomd'uneclassedescribes.Ici, il remplitcettefonctionpourle üi0tTRRU;maisdanssa significationécrire,peindre,il seprononçaitSH’A,demêmequesondérivécopte??. C'estceque
prouvele groupe??fourniparun monumentdel'époque
pharaonique(Denkmäler,111,234,52, 53).L'inscriptionde Rosette
nousavait déjà fait connaitrele groupe????,SH’A1,corres-
pondantà µµ() de la partiegrecque.
2. ???? Horuset Set représententlesdeuxtermesopposésdu
dualisme;l'unestla forcecréatriceet conservatricedel'univers,l'autrela forcedestructive,touteslesdeuxégalementindispensablesà l'accom-plissementdesphasesde la natureet de l'humanité.Le titreétudiéattribuecesforcesréuniesaupharaon,considérécommeuneincarnationdela divinité.
3. J'ai déjàplusieursfoissignaléla formesingulièrede ces troisphrases,danslesquellesles hiéroglyphessous-entendentle verbedirc.
204 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
» le ciel se calma, les ordres divins goûtèrent la paix lors-
» qu'il parut'. C'est un taureau fort contre Kusch la défail-
» lante, un griffon' (lig. 5) déchirant contre le pays des
» Nègres; ses pattes' écrasent les Hannu, sa corne frappe» contre eux. Ses volontés s'emparent de Khentannefer, ses
» terreurs atteignent jusqu'à Sal:ali. Son nom circule dans
» (li-. G) tous les pays, à cause des victoires qu'il a rem-
» portées de ses deux bras; l'or sort du rocher à son nom,
» comme (à celui de) son père Horus, seigneur de Baka;» aimé par les nations est son empire, comme Horus de
» Maama, seigneur de Buhen le roi de la Haute et de la
» Basse-Égypte Ra-usor-ma-sotep-en-Ra (lig. 7), fils du
u Soleil, de ses entrailles, seigneur des diadèmes, Meri-
» amen Ramsès, vivant à toujours, semblable it son père le
» Soleil de chaque jour. »
On peut conclure, à ce long préambule de titres, et ce
n'est pas la fin, que depuis Séti Ier, la prolixité du style of-
ficiel avait fait de notables progrùs; l'usage de ces fastueuses
formules, communes à tous les peuples de l'Orient et queceux de l'Occident n'ont que trop imitées, ne se perdit plusen Égypte. On les retrouve sous les dernières dynasties
nationales, comme sous les Lagides et sous les empereurs.Elles ne sont pas sans utilité pour le classement des monu-
ments, mais il est impossible de ne pas regretter la placeénorme qu'elles remplissent dans les textes monumentaux,
tandis que le fait historique lui-même est a peine l'objetd'une courte mention.
L'inscription de Kouban peut passer pour le type de cet
abus, et cependant nous retirerons quelque profit de l'étude
du préambule que je viens de traduire.
1. Litt. ci son lcmps, ci son heure, HI SEP-EW.
2. Un KAHA, espèce d'animal redoutable, peut-être fantastique.M. Birch a traduit griffon, et je ne puis que l'imiter.
3. AKA-T, patte, pied d'animal. Le parallélisme des phrases est re-
marquable.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OIt DE NUBIE 205
Destinée à célébrer un haut fait du pharaon au sud deson Empire, l'inscription mentionne surtout les noms desnations méridionales désignées sous le nom général de?
?,TO RES; le roi en est le seigneur et maître. Parmi les
peuples spécialement cités sont
??? KUS’, ?, l'Ethiopie, dont la Bible reproduit
exactement le nom hiéroglyphique.
??, TO NEHES,la terre des Nègres, la Ni-
gritie, dénominationgénérale des pays habités par les Noirs.
???,les HANNU,probablement les Bédouins ou tribus
nomades des deux déserts; ils sont plus ordinairement nom-
mes Hannu de TOKENUS,c'est-à-dire de Nubie.???,
To KENUS,est en effet le nom de la Nubie proprement dite,
commençant à la limite sud de la Haute-Égypte.
????,KHENTANNEFER, d'après les listes de nomes
expliquées par M. Brugscli dans ses savantes recherches
géographiques, fait suite immédiate TO KENUS. C'est le
territoire qui précède Kusch dans l'énumération des grandes
divisions topographiques. Les Hannu ou nomades de TO
KENUS parcouraient Khentannefer, et c'est là qu'Ahmès Ier
vint les attaquer après la prise d'Avaris.
Nous ne savonsrien des limites respectivesde ces grandesdivisions; il est probable au surplus que ces limites n'ont
jamais eu rien de bien précis, ni de bien constant. To-Kenus,Khentannefer et Kusch sont souvent pris indistinctement
pour représenter d'une manière générale les nations situées
au midi de l’Égypte, de même que Tzahi,Naharain et Khour
représentent tour à tour les nations septentrionales. Indé-
pendamment de ces noms de divisions territoriales, notre
texte citeentre
noms de villes
1°????? BAKA, BAK,que M. Brugsch a iden-
tifié avec Aboccis, la troisième des villes prises par Pétro-
206 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
nius dans son expédition en Éthiopie1. Cette ville devait
être située entre Primis et la seconde cataracte, non loin
d'Abu-Simbel, dont le nom vulgaire n'a pas été retrouvé
dans les hiéroglyphes.
2° ????,MAAM, plus ordinairement MAM. Ce
nom rappelle la ville de Mama, citée par Pline dans sa
longue nomenclature des villes éthiopiennes2. D'après le
texte de Pline, il faudrait chercher Mama entre Tacompso
et Primis. Je crois que c'est Anibe sur la rive occidentale
du Nil, en face de Primis. La forme???, MA, n'est pro-
bablement qu'une variante de MAM.
3°???
BUHEN,d'après M. Brugsch, B de
Ptolémée, sur la rive occidentaledu Nil, au sud de Pselchis.
C'est peut-être le nom vulgaire de Derr.
4° Enfin????
SEKALI,que le texte indique comme
le point extrême atteint par les terreurs qu'inspire le pha-raon. C'est évidemment le que Ptolémée cite après
Napata, au voisinage de Méroë. Il ne faut pas s'étonner de
trouver ici le nom d'une localité aussi éloignée dans le Sud,car nous savons que les prédécesseursde Séti avaient portéleurs armes jusqu'au sein de l’Éthiopie. Nous trouvons, sur
ce sujet, un renseignement bien intéressant dans l'inscrip-tion d’Amada1, qui est de l'an III d'Aménophis II.
Voici comment s'exprime ce texte« Lorsque le roi revint du Rutennu supérieur1, ayant
n abattu tous ses ennemis pour agrandir les frontières de
» l’Égypte, dans sa première campagne, il alla triomphant» vers son père Ammon; il immola les sept chefs avec sa
» masse d'armes, lui-même; ils étaient des environs de
1. Pline,Histoirenaturelle,liv.VI,ch.xxix.2. Id., ibid.3. Dankmäler,III,65,1.16.4. L'unedesgrandesnationsdel'Asieseptentrionaleà cetteépoque.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D’OR DL NUBIE 207
» Tachis'. On les plaça renversés à la proue de la barque» du roi qui s'appelait Ra-aa-lclieperou-smen-to. On sus-
» pendit six de ces mêmes vaincus en face du rempart de
» Thèbes et aussi les mains (des morts). Ensuite on amena
» l'autre vaincu en Nubie, et on le pendit au rempart de
» Napata???
afin de montrer la puissance du roi à
» jamais à toutes les nations du pays des Nègres'. »
Cette citation, dont toutes les phrases sont simples et
précises, est féconde en enseignements. Elle nous montre
d'abord l'usage antique de donner aux navires des noms
particuliers. Ici il s'agit du vaisseau du roi; on appelle
l’Aménophis1 consolidateur des dieux moncles'.
Mais ce qui est bien plus important au point de vue his-
torique, c'est l'explication de ces scènes représentées sur
tant de monuments, dans lesquelles on voit les pharaons
brandissant leur casse-tête au-dessus d'un groupe de pri-
sonniers agenouillés qu'ils saisissent par la chevelure. Ces
tableaux n'ont rien de symbolique; ils représentent des
scènes réelles, et nous voyons qu’Aménophis II immola
ainsi de sa main sept des prisonniers qu'il avait faits au
1. ???? ville syrienne.
2. M. Brugsch a traduit ce même passage, Histoire de l’Égypte,
3. Le roi est désigné par son prénom d'intronisation qui signifie
Soleil, la plus grande des créatures.
1. Dans les temples, chaque salle, chaque porte monumentale avait
aussi un nom spécial Cf. Brugsch, Recueil, XXVI, 2 et 3.
5. La phrase est des plus claires
SMA NEF PE OERU VII EM EF T'ESEF
L'expression rE OERUvu, les sept chefs, est régie comme un collectif
par l'article singulier, ce qui porte à penser qu'il s'agissait d'un usage
habituel après la guerre.
208 LES INSCRIPTIONS DES MINES D’OR DE NUBIE
voisinage de l'Euphrate, et qu'il en attacha ensuite les ca-
davres à l'avant du vaisseau qui le ramena triomphant dans
sa capitale. Six de ces cadavres furent suspendus en face
des murs de Thèbes, ainsi que les mains coupées aux morts
sur le champ de bataille. Enfin l'autre victime fut envoyée
jusqu'à Napata, au fond de l'Éthiopie, pour y être exposéede la même manière.
L'usage de pendre les prisonniers et les criminels n'était
pas particulier à l'Égypte. Après avoir passé au fil de l'épéetous les habitants d'Ai, hommes et femmes, Josué pendit le
roi de cette ville et fit jeter son cadavre à la porte'. Il ne
traita pas mieux les cinq rois qu'il vainquit à Ajalon'. Le
corps de Saül fut pendu sur le rempart de Bethsean', et la
tête d'Holopherne, aux murs de Béthulie4. Nous voyonsenfin par le supplice d'Aman que la pendaison était égale-ment pratiquée par lesAssyriens5. Le groupehiéroglyphique
qui nommece supplice et correspondd’une manière général
à l'idée suspendre, élever,est ???,
AS'U.On le re-
trouve en copte sous la forme ??.J'ai déjà fait ressortir cette circonstance, révéléepar l'étude
des monuments, que les pharaons mettaient leur gloire à dé-
placer les populations vaincues, autant que le permettaientles limites de leur Empire6. C'est un trait à noter pour l'his-
toire des mœurs de l'époque; les scènes sculptées ou peintessur les monuments sont du reste inspirées par le meme
esprit. C'est ainsi, par exemple, que dans la premièrechambre du temple de Radesich, Séti est figuré dans l'atti-
tude de frapper de sa hache d'armes un groupe de chefs
1. Josué,vin,29.2. Ibsd.,x, 41.3. 1Rois,ch.XXI,10,4. Judith,ch.xiv,7.5. Esther,liv. VII,v. 10;liv.IX,v. 13et 14.6. Mélangeségypiologiques,[1"série],lesHébreux,etc.,p. 53.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 209
BIDL. ÉGYPT., T. X. 14
asiatiques, tandis qu'Horus lui amène liées par le cou les
personnifications des Shasu, de Sankar (???), d'Assur (???),
et des villes de Qodesh (???), Makita (???), Hamat(???), etc.
On voit qu'on avait fait un choix des nations et des cités
de l'Asie, alors les plus célèbres, pour les représenter dans
un édifice situé au milieu du désert de Nubie, réduites a la
merci du pharaon.Revenons maintenant à notre traduction.
« (Lig. 7) Sa Majesté était alors :i Ha-ka-ptah1, rendant
» hommage ivses pères les dieux de la Haute et de la Basse-
» Égypte, parce qu'ils lui ont donné la vaillance et la victoire
» et une durée de vie longue de (lig. 8) millions d'années.
» En ce temps-là', le roi était assis sur son grand siège» d'or, coiffé du diadème à deux plumes, a donner des
» ordres pour les pays d'où l'or est amené, et à traiter la
» question3 d'établir (lig. 9) des citernes sur les chemins
» manquant d'eau, lorsqu'on entendit dire qu'il y avait
» beaucoup d'or au pays d'Akita, mais que son chemin
» manquait d'eau absolument. Il était venu des plaintes des
» (lig. 10) convoyeurs4 de l'or sur leur situation ceux qui» y pénétraient mouraient de soif en route, ainsi que les
» ânes qui étaient avec eux. Ils ne trouvaient pas ce qu'il» leur fallait pour (liâ. 11) boire en montant ou en descen-
1. Nom sacre de Memphis.2. Litt. Unde ces mêmesjours.
3 ?????? UAUASH'FRU, traiter un sujet, s'en-
tretenir d’un objet, d’une affaire.?? ? ??,
UAUA,est un
mot onomatopique exprimant l’idée causer, jaser, concerser de là
causer (trcc son cœur, se dire à soi-même, réfléchir. On trouve aussi
UAUAT'ETUAItdIAUHIMU,converser, tenir des discours avec des femmes.
4. ?
?? ? on voit qu'il s'agit des voituriers qui con-
duisaient les ânes chargés de l'or lavé. Dans les textes de Radesieh, on
trouve ce mot déterminé par la barque. Il ne s'agit nullement des
mineurs.
210 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
» dant', avec l'eau des outres; il n'était plus apporté d'or» de ce pays desséché. »
Ce deuxième paragraphe nous montre le pharaon tenant
conseil et s'occupant de l'administration de ses États. C'était
un usage fidèlement suivi et qui remontait aux temps les
plus anciens. Aucune affaire n'était décidée sans que l'avis
des hauts officiersde l'État eût été pris et tous les pointsde difficulté soumis à l'appréciation des fonctionnaires
compétents.On expose au monarque qu'une région aurifère nommée
????,AKITA,n'était desservieque par une route
sans eau, et que les convoyeurs de l'or y périssaient de soif,ainsi que les ânes employés au transport du minerai lavé.
A cette époque, ni le chameau, ni le dromadaire n'étaientconnus en Égypte, mais les chevaux étaient employés à la
guerre et aux travaux de l'agriculture. L'âne était la bêtede sommepar excellence pour le désert; il en est fréquem-ment question dans les papyrus. Lorsque la Genèse décritles présents donnés à Abraham par Pharaon, elle se sert
d'une formule familière aux habitants de la, Syrie et de
l'Arabie, mais certainement inexacte pour l'Egypte, en tant
que des chameaux sont mentionnés au nombre des animaux
dont le père des Hébreux fut gratifié2.Le texte dit que les convoyeurs ne trouvaient pas, soit en
montant au désert, soit en redescendant vers le Nil, à satis-
faire leur soif????,
EMMOUS’ETU,par l'cmi
d’outre. Je comprendsqu'il s'agit de l'eau qu'on transportaitpour le voyage dans des outres de peau. C'est un usage quiremonte à la plus haute antiquité, et c'est ainsi que l’Écri-
ture nous montre l'eau portée au désert3. Que cet usage fût
1. EMTESIHAÏ,erzmontantetdescendant.Tesiestl'expressionordi-nairepourl'ascensiond'unemontagne,etHAÏpourdescendre,tomber.
2. Genèse,ch. xu,17.3. Ibid., xxi, 1'l, 15.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 211
pratiqué par les Égyptiens, c'est ce que prouvent des scènes
peintes dans les tombeauY'. Le copte sot, oT, dérive très
régulièrement de l'égyptien S’ETU.De nos jours et
dans le même désert les Ababdeh transportent encore l'eau
dans des outres.
La conséquence de l'état de choses si bien décrit, c'est
qu'il ne venait plus d'or de ce désert.
« (Lig. 11). Le roi dit à l'inspecteur royal qui était auprès
» de lui Appelle, et que les chefs qui sont présents donnent
» (liâ. 12) au roi leur avis* sur ce pays. Je ferai ce qui sera
proposé3. »
Comme on le voit, le monarque tient peu de compte de
la merveilleuse puissance que lui attribuent ses protocoles
officiels. Au lieu de commander à l'eau de sortir des rochers,
il prend sagement l'avis de ses conseillers. Malheureu-
sement ceux-ci cèdent à leur verve thuriféraire. Au lieu
d'imiter le laconisme du pharaon, ils tombent dans une
interminable série d'hyperboliques louanges.
« (Lig. 12). On les fait passer en la présence du dieu bon,
» les bras élevés dans l'attitude d'adorer sa personne, pro-
» férant des acclamations et se prosternant devant sa belle
» face. On leur fit le tableau de ce pays pour qu'ils don-
1. Voyez Description de l’Égypte, Ant., pl. XVH. fig. 11. Voyez
aussi Botta, Monaments de Ninice, Sculpture et Architecture, vol. I,
pl. XXXVIII; il/id., vol. II, pl. CVI et CXXVI.
a. KERU, choses,affaires,ce quiest relatif,cequi
apppartientà unepersonneouà unechose.Pourlaprépositioncomplexe
voyez Inscriptiond’Ibsamboul,Recuearchéologique,XV,
p.715,[p.38-39,duprésentvolume].
212 LES INSCRIPTIONS DES MINES D’OR DE NUBIE
» nassent (lig. 13) leur avis sur le projet d’établir1 une
» citerne sur sa route.
» Ils dirent devant Sa Majesté:» Tu es semblable au dieu Soleil dans tout ce que tu fais.
» Ce qui plait à ton cœur se réalise. Si tu désircs faire,
» pendant la nuit, le jour, il se fera vite. Nous avons pris» (lig. 14).une grande part' à tes merveilles' depuis que tu
» as été couronné roi des deux mondes; nous n'avions rien
» entendu, nos yeux n'avaient rien vu qui leur fut com-
» parable. Tout ce qui sort de ta bouche, c'est comme les
» paroles d'Har-em-Khou; l’équilibré de ta langue1, le
1. TAU.h, operari, construere. Ce mot s'entend
de toute espèce de travaux et non du travail de creuser, perforer. Les
textes font connaitre les aisu travaillant le cuir, le bois, le métal, les
pierres dures, etc.
2. Le deuxième groupe de la quatorzième ligne est fort incertain.
Pour la régularité, il faudrait là un substantif pluriel. Le sens ne peut
qu'être conjecture.
3. a p°ur phonétique ,BAU.Ce mot signifie radi-
calemcnt charroi, transport. Mais il est souvent employé pour
BAAIU,groupeque je n'avais pu traduire dans le Papyrus
magique Harris (IV, 10),et dont j'ai depuis lors deviné le sens. Il signi-fieprodige, merveille, miracle, choseextraordinaire, commeon pouvaitle conjecturer par des phrases, telles que Sallier I, pl. VII, 1. 10. Mais
deux passagesdu Papyrus d'Orhiney en donnent la preuve 1"pi. XV,I. 3 on fit une grande fête au taureau en disant: c’est ungrand PRO-
DIGE,ce qui est arrivé. 2" pl. XVII, I. 1 deux grands persèas sont
poussés TRÈSMERVEILLEUSEMENTà Sa Majesté. BAAUou BAAIUest une
épithtte Isabituelle des monuments construits par les pharaons. On la
trouve aussi appliquée aux rois et aux dieux. II est peu probable que la
grande explosion d'admiration des courtisans de Ramsès ait eu pour
unique objet le charroi des pierres ou des métaux précieux au commen-cement de son règne. Aussi le sens merveille, prodige me sembic-t-ildevoir être préféré.
4. Le lapicide a écrit qui n' a aucun sens au lieu de la
langue, groupe que l'on rencontre de nouveau à la ligne 18. Ce passage
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 213
» trouvé juste de tes deux lèvres (lig. 15), c'est le poidsu exact de Thoth. Quelle est la voie' que tu ne connaisses
» pas? qui donc est parfait' comme toi? Le monde con-
» tient-il un lieu que tu ne voies pas? Aucun pays que tu
» ne pénètres it ton gré!u Par tes oreilles passe (liri. 16) tout ce qui produit un
» son' dans ce pays. C'est toi qui exécutes ce qui se fait4.
» Tu étais dans l’œuf, dans les occupations de l'enfant au-
» guste5, et par toi étaient prescrits les devoirs des deux
est très curieux pour l'explication des groupes MAli',le
pèsement, de bilanx, l’action de labalance; le point
d’équilibre, le point central, ce qui estexact,et ce qui est
sions, deux doigts semblables, symbole d'égalité de mesure. Le poids
exact, de Thoth est le vase cordiforme qui sert à marquer la ligne
de parfait équilibre de la balance, comme on le voit dans toutes lesscènesde la psychrostasie.
Le premier signe m'embarrasse.
2. ARK,est une épithète laudative d'emploi fréquent.
Cf.Anastasi1,pl. I, 1.4; pl. II, 1. 4. Elle comporte une idée de per-fection, d'achèvement. C'est aussi la forme du verbe jurer, faire un
serment. Comp.apx, finis, wpR, juramentum.
3. ATEN; on trouve aussi AT. C'est une action
passive ou active de l'oreille. Je ne connais pas de texte bien clair dans
lequel ce groupe, d'occurrence rare, soit employé. L'idée est ici que rien
ne peut échapper à la vue, ni à l'ouïe du pharaon. On sait qu'un titre
fréquent des fonctionnaires égyptiens est celui d’yeux et d’oreilles du
roi.
4. SEH’ERU. 11 faudrait un volume pour expliquer les
emplois singuliers et bien constatés de ce mot; le mot français fait en
rend assez heureusement quelques-uns.5. Titre des jeunes héritiers de la couronne.
214 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
» Égypte; tu étais enfant, portant la tresse de cheveux', et» il ne venait pas une offrande qu'elle ne fût de ta main» (lig. 17); pas de message sans toi*. Tu fus fait général» d’armee, et tu étais un enfant accomplissant (ses) dix ans.» Tous les travaux qui se faisaient, par ta main ils étaient» fondés. Si tu dis à l'eau viens du rocher! il sortira un» abîme (lig. 18) subitement, à la suite de ton ordre'. Sem-» blable à toi est le dieu Soleil en (ses) membres, le dieu» Khpra en force créatrice. Véritablement tu es l'image» vivante, sur la terre, de ton père Tum d'Héliopolis. Le» dieu Huest dans ta bouche; le dieu Sa, dans ton cœur;» le lieu de ta langue est le sanctuaire de la vérité; un dieu» est assis sur tes deux lèvres. Toutes tes paroles s'ac-» complissent chaque jour. (Lig. 19) A été formé ton cœur» conformeà (celui de) Ptah, le créateur desœuvres. Tu es» pour toujours. Il est fait selon tes desseins, écoutées sont» tes paroles, û chef suprême, notre maître! »
Si ce discours des conseillers du monarque n'éclaire pasla question soumise à leur appréciation, au moins est-il
vrai de dire qu'il présente un remarquable échantillon des
haranguesadulatrices en usage à l'époque. il sembledifficile
d'aller plus loin en matière de louanges hyperboliques. La
conclusion, c'est que le roi n'a qu'à le vouloir et l'eau appa-raîtra sur la route du désert.
Le prince de Kusch, dont les fonctionsembrassaient l'ins-
pection des pays aurifères, parle à son tour; il hasarde une
suggestion, car il faut laisser au pharaon l'honneur de l'ini-
tiative« (Lig. 19). Il fut ainsi parlé à propos du pays d'Akita,
» et le prince de Kusch, la défaillante, dit (lig. 20) de lui» devant Sa Majesté Il est dans l'état de manque d'eau
1. Coiffurespécialeà l'enfance.2. Cettephrasemelaissedesdoutes.3. Litt. Deta bouche
LES INSCRIPTIONS DES MINES D’OR DE NUBIE 215
n depuis le temps de dieu et l'on y meurt de soif. Tous les
» rois d'auparavant voulurent y établir une citerne; ils ne
réussirent pas'. Le roi Ra-mcn-ma fit la même chose; il
n fit faire une citerne de 120 coudées de profondeur; de son
temps on la laissa en chemin l'eau n'y vint pas. Si tu
dis toi-même à ton père Hapi (lig. 22), père des dieux
n que l’eau se produise sur le rocher! il fera selon tout
» ce que tu auras dit et selon toutes tes intentions. Ceux
u qui furent avant nous, s'ils n'ont pas été écoutés dans
» leurs demandes, c'est parce que tes pères, tous les dieux,
« t’aiment plus qu'aucun (autre) roi (liâ. 25) depuis le temps» du dieu Soleil. »
Comme on le voit, le prince d'Ethiopie a trouvé le moyende glisser aussi son mot de flatterie. Son discours est fort
clair l'exploitation de l'or a toujours été entravée au paysd'Akita par le manque d'eau, et les rois qui se sont succédé
ont essayé d'y creuser des citernes sans pouvoir y réussir.
Le roi Séti Ier, père du pharaon régnant, avait notamment
fait creuser un réservoir de 120 coudées de profondeur, mais
même de son temps l'entreprise ne fut pas menée à fin. Ces
précédents ne sont pas encourageants, mais Ramsès ne doit
pas douter du succès, car les dieux l’affectionnent bien plus
que tous les rois ses prédécesseurs.
1. Je crois qu'il manqueici un signe et qu'il faut lire depuis le tempsîle Phra, c'est-à-dire du dieu Soleil, le premier des dieux dynastes. Cette
expression, qui se rencontre à toutes les époques, et qui revient à la
ligne 23 de notre texte, signifie: depuis le commencement elrt monde,
depuis le plux lointain du passé. On trouve aussi depuis lc tempsd’Osiris.
2. BU H’EPER RUT-SEN, non fut leur
réussite. Le mot RUT. p, germinaire, pousser, croître, veut dire aussi
profiter, réussir, prospérer. Il est intéressant de comparer la forme né-
gative de cette phrase avec UN DU EN-TlJ NUB,
il n’est plus apporté d'or (lig. 11 de notre texte).
31G LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
Aussi le pharaon n'hésite-t-il nullement, ainsi qu'on va
le voir« (Lig. 23). Sa Majesté dit à ces chefs Vérité, vérité!
» toutes vos paroles explicatives' on n'a pas obtenu d'eau
» dans ce pays depuis le temps du dieu Soleil, ainsi que vous
» l'avez dit. Moi, j'établirai une citerne pour donner de
» l'eau chaque jour comme au 2(lig. 24) par l'ordre
» de mon père Ammon-Ra, seigneur des trônes du monde,
» et des Horus, seigneurs de Nubie, car ils se complaisent» en mes désirs. Et je ferai dire dans ce pays'
» (Lig. 25). (Leschefs) adorèrent leur seigneur en se pros-» ternant, placés sur leurs ventres, devant lui et poussant» des acclamations jusqu'au ciel.
» Le roi dit au basilicogrammate, le noble. »
Nous arrivons ici à la partie fragmentaire de la stèle où
nous pouvons distinguer« Que le basilicogrammate reçut l'ordre de se rendre au
» pays d'Akita, et que, fidèleà cette mission, il rassembla
» des travailleurs;» Que l'eau fut obtenue dans une citerne située sur le
» chemin vers Akita, chose qu'on n'avait jamais vue sous
» les rois antérieurs;» Que le prince de Kusch informa par une lettre le roi de
» ce succès;» Que le roi, rendant compte du message, explique de sa
» propre bouche que l'eau s'est élevée de 12 coudées dans
1. THU,pourraitêtrele copteao, dansle sensde
commendare,confirmare,exhibere.Dansl'hymneà Osiris(Recucar-
chéologique,XIV,72),cemotressembleàunevariantedeh, orare,rogare.
2. Lacune.Il y avaiticiunecomparaisonanalogueà cellequenousavonsétudiéeci-devant,p. [189,du présentvolume].
3. Autrelacune;on peutsupposerjamaison nevit rien de senz-blable.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 217
» la citerne et de 4 coudées probablement dans des bassins» accessoires.
» Nouvelle explosion de la verve louangeuse des courti-» sans l'eau du ciel inférieur a obéi à l'ordre du pharaon;» il a obtenu l'eau des rochers.
» Enfin, la citerne reçoit le nom de nem dueRamsès» Meriamen. »
Un passage de ce fragment mutilé explique que des pois-
sons furent placés dans des bassins. Séti, dans les inscrip-
tions de Radesieh, avait parlé de pâturages. Mais ce sont là
des exagérations dont il faut tenir peu de compte au point
de vue de la vérité historique.
On a vu que le texte rappelle une tentative faite par le roi
Séti I°r pour l'établissement d'une citerne. Rien ne démontre
rigoureusement que ce soit précisément la même citerne
que celle dont parlent les inscriptions de Radesieh. Il s'agit
cependant, dans l'un et l'autre cas, d'un gîte aurifère situé
au désert Arabique et dans lequel l'exploitation de l'or, qui
remontait à une époque fort ancienne, avait été interrompue
par le manque d'eau. Que le succès de la citerne de Séti
ait été démenti par les courtisans de Ramsès, c'est une con-
séquence de leur rôle, qui consistait à exalter sans mesure
les travaux du souverain actuel en atténuant ceux de ses
prédécesseurs. Oubliée à son tour, comme l'avait été celle
de son père, la citerne de Ramsès n'eut très probablement
pas une durée plus grande, et de nouveaux efforts durent
être tentés par ses successeurs, qui ne manquèrent pas, dans
leurs monuments, de s'attribuer des résultats inconnus
avant eux.
La stèle n'avait pas été érigée sur le lieu de l'exploitation
de l'or. On verra, dans la note ci-après due à la plume de
M. Prisse, les motifs qui avaient pu déterminer l'installa-
tion de ce monument dans l'une des dépendances de l'an-
cienne forteresse de Kouban
« C'est près de Kouban qu'aboutissent les principales
218 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
» vallées du désert de l’Etbaye, et la forteresse servait non
» seulement à protéger l’akaba ou dé6lé qui débouchait sur
» la vallée du Nil, mais encore à l'entrepôt des mines d'or
» exploitées par les pharaons.» La longue et sineuse vallée nommée Wady Alâky ou
» Olâky, d'où ces mines ont pris leur nom actuel, s'ouvre
» à peu de distance au-dessus de Kouban, et court à l’Est,» à travers un pays montagneux, jusqu'au bord de la mer
» Rouge. Ce pays, désigné par Aboulféda, Édrisy, Masoudy» et autres écrivains arabes, sous le nom d'El-Bedjah, s'ap-u pelle aujourd'hui El-Elbah ou El-Etbaye, suivant les Bi-
» cloris habitant cette contrée; ces montagnes sont remplies» de gîtes aurifères ou plutôt de mines d'or. On distingue» particulièrement celles de Wady Chawanib, Djebel As-
» soued (la montagne noire), Djebel Oum-Kabrite (la mère
» drc soufre), Oum-Teyour, Ceiga, etc., etc.
» Ces mines furent exploitées dans l'antiquité et jusqu'au» milieu du XIIe siècle, par les pharaons, les Ptolémécs, les
» empereurs et les califes, qui, pour assurer la vie et la
» subsistance de leurs mineurs, furent forcés de guerroyer» ou de traiter avec les Blemmyos, Balnemmôoui, Bedjahs» ou Biclzâris, noms sous lesquels on a désigné, à diverses
» époques, les tribus nomades auxquelles ces montagnes» servent de refuge.
» Diodore parle longuement de ces mines et du triste sort
» des malheureux condamnées sans relâche à ces rudes tra-
» vaux1. Ces montages de couleur noire étaient, dit-il,
» remplies de veines d’une blancheur remarquable. On ex-
» ploit'ait le minerai dans détroites galeries qu'ouvraient» les mineurs suivant la direction naturelle des couches de
» la pierre. Ils Jicisaient éclater la roche au moyen d'un
» feu ardent; pzeis ils fendaient les blocs détachés avec des
1. Liv. III, ch. xii.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NURIE 219
» masses de fer. Les manœuvres prenaient les fragments» et les brisaient dans des mortiers de pierre avec des
» pilons de fer jusqu’à ce que la gangue fût réduite à la
» grosseur d'une lentille. D’autres ouvriers la jetaient ainsi
» préparée sous des mculcs mues par des manivelles pour» néduirc la matière crzporcclre aussi fine cluc la farine.» Enfin, on faisait subir etcette matièreplusieurs lavages» sur clestables inclinées; puis on retirait les parcellesd'or
» qzciétaient fonduessur place.» On voit encore de nombreux témoignages de cette an-
» cienne exploitation dans la valléc d'Olâky, et bien qu'on» ne trouve aucun monument, ni aucune tablette hiérogly-» phique aux alentours de ces mines, elles sont indubita-
» blement celles dont il est question sur le temple dit de
» Radesieh et sur la stèle de Kouban. Ces montagnes auri-» fères, peu connues avant le règne de Mohammed-Aly, ont
» été visitées, à quelques années d'intervalle, par deux» ingénieurs français à son service. Je dois a l'un d'eux,» M. Darnaud, les renseignements les plus précis.
» Le minerai d'or de DjebelOlâky se trouvedans le quartz» résinite. La direction des excavations dépend, comme le» dit Diodore,de la direction des couches,et par conséquent» elle est assezvariable.
» La principale galerie visitée par M. Darnaud avait en-» viron 60 mètres de profondeur. Les pépites ou paillettes» d'or sont logées dans des nids remplis d'oxyde de fer et» de titane. Les morceaux de quartz blanc qui ne renfer-» maient qu'un ou deux nids étaient brisés au moyen de» marteaux, et l'on en vidait les pépites, mélangées à» l'oxyde de fer, dans des sébiles en bois de sycomore.» Quant aux masses de quartz remplies de nids, on broyait» le bloc au moyen de pilons de métal dans des mortiers» en granit, dont on voit encore des spécimens sur place;» puis on pulvérisait les débris a l'aide de moulins à bras» semblahles à ceux en usage dans la vallée du Nil; mais
220 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
» ceux qu'on employait pour le minerai étaient en granit;» l'on en trouve encore un, entier ou brisé, dans chaque» habitation de mineur. Les résidus étaient ensuite placés» sur des tables inclinées pour être lavés grossièrement;» puis on les jetait dans des sébiles ovales où la matière se
» déposait, à l'aide du mouvement qu'on lui imprimait, en
» couches de différentes densités, et subissait div- rs lavages» jusqu'à ce qu'on aperçût à l’œil nu les paillettes d'or
» mêlées à quelques terres très pesantes et en particulier» au titane et au fer.
» La mine qui offre le plus de vestiges d'une ancienne
» exploitation, est celle de Wady Chawanib, la plus consi-
» dérable de la localité. On voit encore, près des excava-
» tions, plusieurs huttes construites en pierres sèches, qui» servaient probablement aux gardiens des travaux, et plus» loin, un petit village d'environ 300 maisons bâties régu-» lièrement. Deux grandes constructions en granit flanquée» de tours aux angles, semblent avoir servi a loger la gar-» nison chargée de la garde des mineurs et aux intendants
» des travaux. La plupart des habitations contiennent encore
» des moulins à bras, ou des tables inclinées garnies de deux
» cuvettes ou réservoirs bâtis de fragments de pierres.» Ces vestiges n'appartiennent pas tous à la haute anti-
» quité, mais le mode d'exploitation ne parait pas avoir
» varié depuis les temps les plus rcculés.
» On ne peut fixer l'époque précise où les travaux ont
» cessé. Les inscriptions koufiques, gravées sur des pierres» tombales, donnent pour dernière date l'an 372 de l’hégire» (989 de notre ère); cependant les mines furent encore
» exploitées longtemps après; et, suivant Aboulféda, elles
ne furent abandonnées que parce que les produits étaient
» trop minimes pour payer les dépenses. Elles ont pu avoir
» quelque valeur dans l'antiquité, mais aujourd'hui elles
» n'en ont aucune au point de vue économique ou indus-
» triel. »
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 221
IV
CARTE ÉGYPTIENNE DES TERRAINS AURIFÈRES
A mon mémoire sur les inscriptions de Radesieh était
jointe une planche représentant une.partie du plan égyptien
conservé au Musée de Taurin. Ayant appris que ce plan était
lavé de plusieurs teintes, j'ai obtenu de M. le chevalier
Barucclli, l'autorisation d'en faire faire un facsimilé dont
je joins une réduction ai ma publication actuelle. Indépen-
damment des teintes, mon dessin ajoute à celui qu'a publié
M. Lepsius un fragment qui s'adapte a l'angle inférieur à
droite, et qui prouve que le papyrus n'est pas entier. On
peut conjecturer que la légende er; A, qui se rapporte à l'en-
semble du plnn, devait en occuper le point central. S'il en
était ainsi, nous ne posséderions guère plus de la moitié de
cet intéressant document.
C'est, comme je l'ai déjà dit, un plan ou plutôt une carte
de mines d'or dont M. Birch a donné l'explication aussi
exacte et aussi complète que possible. C'est ainsi que ce
savant égyptologue n'a pas hésité sur le sens de la légende A
« Lcs montagnes cl'oic l'on apporte l'on sont coloriées sur le
plan en rouge. » Il ignorait alors que cette particularité
répondait parfaitement aux conditions de l'original, que la
copie de M. Lepsius ne laissait pas supposer.
Les montagnes aurifères sont en clîct teintées en rouge;
elles portent de plus la légende TOU EN NUB, montagne d'or
(en B sur la carte). En C, est le sanctuaire d'Ammon de
la montagne sainte, élevé sur le chemin principal. Il se
compose de deux salles entourées de chambres qui servaient
probablement de logement aux prêtres et aux officiers com-
mandant la station.
Au-dessus du temple, en E, on lit: Front de. (sans
222 LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBIE
doute de la montagne).En F, autre légendedont le com-mencementa disparu; il faut suppléerunnomféminin(TOU,montagne,est dumasculin),et lire dcnacrcredans laquellereposeAmnzon.
Après le templeest un cheminqui passeentre deuxmon-
tagnes, en D, et porte le nom de chemin de ta menat-ti'.Le dernier groupe n'est pas très distinct. Il nomme unelocalité voisine, sans doute en relations habituelles aveccelle de la carte. L'expressionta menat-tipeut être consi-dérée commeune dénominationexplicativesignifiantsoitle lieu de la nourrice, soit le lieu de l'Asiatiqtce;mais il
peut aussi n'être que la transcription égyptienned'un nomdonné par les indigènes.
On voit, en H, le plande quatre habitations, la légendeexpliqueque ce sont lesmaisonsdu paysdeTi? oùl'oit en-
trepose2l'or.Un peuplusbas, en I, se trouve la stèle du roi Ramamen,
qui nous démontreque nous avonsencoreaffaireà un éta-blissementde minesd'or fondéou reconstituépar Séti 1er.A l'angle de l'espace limité par les cliemins,en K, on voitle NEMouciternesur laquellel'eauest figuréecommeà l'or-dinaire. Le terrain avoisinantest teinté en noir. C'est dela terre cultivéeet fertile, grâce a la présencede l'eau.
Au carrefour des chemins, en L, est figuré un second
puitspluspetit, sansdouteabandonnéà l'usagedespassants.La continuationdu cheminprincipal, en M, aboutità la
mer, ainsi que l'expliquela légende.Il en est de mêmeduchemin N, qui est un autnecheminaboutissant etla mer.
Enfin, le cheminparseméde coquillesmarines, en 0, portele nom de chemin de Tipamat, ou quelque chosed'à peu
1. M.Birchproposedubitativementcheminpourlestravailleurs,maiscesensnepeutêtreaccepté.
2. Lesdeuxmotssoulignéscorrespondentà ungroupealtéréetmé-connaissable.
LESINSCRIPTIONSDESMINESD'OltDENUBIE 223
près. Cenom, d'après son déterminatif,est celuid'un indi-vidu de race étrangère, mais non celui d'une localité.
Les coquillesrépanduessur ce chemin sont une preuveque la mer en est très rapprochée.Nousne pouvonssongerqu'à la mer Rouge, dont les côtesabondenten coraux, en
épongeset en coquillesnuancéesdes plus belles couleurs.Elle est aussi tellement poissonneuseque, lors de l'ex-
pédition d'Ériypte, les soldats français y pêchaient avecla main, après avoir tué le poissonà coups de sabre ou debâton'.
Malheureusementle nom de la localitéque la carte nous
donnesous la forme ·riou ui, dont les signes
phonétiquesformentuneligatureembrouillée,nenousfour-nit aucun renseignement.Nous devonsnousbornerà con-clure que cettecarte, la plus anciennequi existeau monde,nousreprésenteungîte aurifèredu désertmontagneuxsituéà l'occident de la Haute-Égypte et très voisin de la mer
Rouge, c'est-à-dire dépendantdu mêmegroupede terrainsaurifères que les mines auxquelles se rapportent les ins-
criptionsde Radesichet cellesde Kouban. Je ne doute pasqu'uneexplorationattentivede la localiténe fasseretrouversur le terrain les tracesde cesanciennesexploitations.C'estdans l'espoir qu'une recherchede cette nature sera tentéeque j'ai rassemblé, dans mon iravail, tous les documents
antiques susceptiblesde jeter quelquelumièresur ce sujet.Terminonspar uneobservationsur la manière dont cette
carte a été dressée.La dispositionde l'écriture de toutes les légendes,une
seuleexceptée', démontreque le scribe dessinateura placé
1. Descriptiondel'Égypte,État moderne,tomeII, p. 193etsqq.Dttbois-Aymé,MémoiresurIctvilledeQoçeyr.
2. Celleà laquelleserattachelefragment.
224 LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBIE
la directionde la mer à sa gauche Or, la mer Rougeestà l'est. La carte se trouve doncorientéetout au reboursdes
nôtres; le sud à la place de notrenord, l'est à la placede
l'ouest, et ainsi de suite.Dansl'ordreadoptédenosjourspourlespointscardinaux,
on mentionned'abord le nord, puis le sud, l'est, et enfinl'ouest. A s'en tenir au témoignagede l'Écriture-Sainte, larace sémitique,au moinsdanssonrameauhébraïque,auraitsuivi le mêmeordre de toute antiquité. Jéhovah, faisantàAbraham lapromessede donnerà sa race la terre de Kenâ-
âne, lui parle en ces termes« Lève donc les yeux, et, du lieuoù tu es, regarde
» au nord et au micli,à l'orient et à l'occi-» dent2. »Dansd'autrespassagesontrouvecependantl'oc-cident cité avant l'orient, mais le nord précèdetoujourslemidi'. Il faut, pour l'appréciation de ces énumérations,tenir comptede la situationdesinterlocuteurs.Les Sémitesconsidéraientl'orient commesituédevant eux, l'oc-cident par derrière, ; en sorte que le nord était à leur
gauche et le sud à leur droite. C'est par ce motifqu'Ézé-cliiel' indique ainsi la situation de Samarieet de Sodome
par rapportà Jérusalem
c'c
Cependant,écrivant en Chaldéeet se tournant vers Jéru-salemqu'il interpelle, le prophèteavait réellementSamarie
1. Ontiresurtoutcetteconclusiondeladispositiondela légendeA,quiserapporte,commenousl'avonsdéjàexplique,à l'ensembledelacarte.
2. Genèse,xiii,v.14.3. Ibid.,xxviii,v.14;Deutéronome,III, 27.4. Ch.XVI,46.5. TagrandesœurestSchomron(Samarie)accescsJillcrs,habitant
cila gauche,ettapetitesœur,habitanticla droite,estSedometsesfilles.
ORIGINALEN COIJLEUR
NF Z 43-120-8
l'LANCHEIl.
CARTEÉGYPTIENNEDEMINFSD'ORd'aprèsoriginalsurpapyrusconservéauMuséedeTurin
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 225
BIBL. ÉGYPT., T. X. 15
ti droite et Sodome àgauche,
c'est-à-dire dans la direction
tout opposéeà celle qu'il exprime.
Cette observation peut avoir quelqueutilité pour les re-
cherches sur lagéographie biblique.
On en conclura par
exemple qu'il faut placer au nord de Damas la v ille de ,
H'OBA, jusqu'auprès de laquelle Abraham poursuivitKedar-
laomer et ses alliés, et quele texte sacré nous désigne
comme située et gauche de Damas,
La tradition hébraïque a retenu cette identification du'
nord avec le côté gauche, ainsi qu'on le voit notamment
dans la traduction desparoles
d'Abraham à Loth Si lit vas
à droite, j'iraià
gauche,. Le Targumle rend ainsi Si tu
adseptentrionem ego
ad meridiem ().
Chez les Égyptiens, au contraire, l'ordre constant des
pointscardinaux est celui-ci l'ouest, l'est, le sud et le
nord. Si, dans des cas fort rares, le nord et le midi sont
cités avant l'ouest et l'est, toujoursl'ouest
prime l'est, et
le sud, le nord.
Mais il n'est pas très facile de déterminer les rapports
qu'ilsavaient établis entre ces points topographiques et les
directions dont l'indication relève de ladisposition du corps
humain.
Dans les tableaux astronomiques,le ciel superieur est
représenté par une femme courbée en voûte au-dessus de
la terre. Sur soncorps2, le soleil est censé effectuer sa
course quotidienne. Il prend naissance à l'extrémité infé-
rieure du buste et se perd dans la nuit vers les bras de la
déesse. Dans cette situation, le côté droit regarde le sud et
le gauche le nord.
Cette disposition concorde avec letémoignage de Plu-
tarque au sujet de la lamentation de Saturne sur la perte de
1. Genèse, xiv, v. 15.
2. Quelques textes disent sur le dos, d'autres sur la centre, de la
déesse Ciel.
226 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
son fils, né à gauche, mort à droite. Voici les paroles de
l'historien ârec
Il semblerait donc que les Égyptiens considéraient l'orient
comme la face du monde. Cette face regardant vers l'occi-
dent avait le sud à sa gauche et le nord à sa droite.
Mais s'il est vrai que les choses aient été parfois envi-
sagées de la sorte, il est certain que c'est par exception et
dans des cas spéciaux à la mythologie, car l'identité des
signes qui désignent l'est et l'ouest avec ceux qui nomment
la droite et la gauche est un fait constant dont l'origine est
aussi ancienne que la formation du système hiéroglyphique,et certainement bien antérieure aux figures astronomiques
que j'ai rappelées, aussi bien qu'à la légende relatée par
Plutarque.
Jusqu'à présent on n'a pas contredit l'explication de Cham-
pollion, qui a donné les définitions suivantes:
« t J, CO'8'Itu.1., le côté droit, ce qui est à droite
» (c'est-à-dire ce qui est à l'orient).
» ft gauche, ce qui est à.gauche (c'est-
» à-dire ce qui est à l'occident)2. »
On voit que Champollion parait s'être uniquement décidé
d'après l'analogie existant entre le côté droit et l'orient,d'une part, et le côté gauche et l'occident, d'autre part. Le
seul exemple qu'il cite se réfère a une fiâura du Rituel funé-
raire ayant sur chaque épaule une tête de bélier, et de
laquelle, par conséquent, il est impossible de tirer aucun
éclaircissement.
1. Plutarque, De Isidc et Osiride, ch. xxxn.
2. Voyez Champollion, Dictionnaire égyptien, p. 23 et 24.
LES INSCRIPTIONSDES MINESD'OR DE NUBIE 227
Mais cette analogie entre l'orient et le côté droit et entre
l'occident et le côté gauche existait-elle réellement dans les
idées de l'ancienne Égypte? Rien ne le démontre. Et d'abord
les dérivés coptes contredisent les solutions du maître, car
if ayant m pour finale s'accorde bien mieux avec
qu'avec mot dans lequel on trouve précisé-
ment la syllabe initiale
Un passage du Papyrus magique Harris semble prouver
que les Égyptiens, pour la détermination des directions,
tournaient la face au sud; ils avaient ainsi le nord derrière
eux, l'occident à leur droite et l'orient à leur gauche. Il
s'agit d'une formule par laquelle est évoquée la force salu-
taire d'Isis et de Nephthys « Que mon cri arrive à Isis,» ma bonne mère, à Nephthys, ma sœur qu'elles me laissent
» leur salut
» à monsud, à monnord, à ma droite, à ma gauche.»
Comme on le voit, le nord et le sud n'ont rien de com-
mun avec la gauche et la droite. L'énumération commence
par le signe du sud, sur la valeur duquel il n'y a pas de ré-
serves à faire; c'est évidemment dans cette direction quel'évocateur se tourne, car s'il se tournait vers le nord, il ne
commencerait pas l'énumération par le point placé précisé-ment derrière lui. Donc, dans cette disposition, la droite est
à l'occident.
J'avais espéré que les peintures qui nous représentent,dans les pompes pharaoniques, les porte-ombrelles du mo-
narque remplissant leurs fonctions, me fourniraient une indi-
cation positive. Ces fonctionnaires sont en effet appelés
1. DanssonKônigsbuch,M. Lepsiustranscrit par UNAM,
ce qui démontreque ce savant a égalementsoumisà révision les idéesde Champollion.
228 LESINSCRIPTIONSDESMINESD'ORDENUBIE
T 7fC Fce qu'à la suite de Cham-
du roi. Il n'en a point été ainsi. Dans certains cas', lesflabellifèressont bien évidemmentfigurés à droite; dansd'autres ils paraissentêtre placésà gauche; et en définitive,soit qu'il ne faille faire aucunfondssur la scienceperspec-tivedesanciensÉgyptiens,soitqu'il y ait eu desflabellifèresà la droite commeà la gauche despharaons(ce qui paraîtdu reste fort probable), il faut renoncerà rien concluredecet ordre de recherches.
Nous serons mieux renseignéspar l'examen des noms
propres,telsque MONT-HI-UNAM-EF,Amen-
hi-unamef. Phra-hi-unamef, Hor-hi-unamef,et Set-hi-unamef,que les rois conquérantsRamsèsII et RamsèsIIIdonnèrentà quelques-unsde leurs fils. Ces noms ont pour
analogues MONT-HI-H'OPES'EF,Amen-hi-kho-
peshef,etc., et sont composésessentiellementdes diversesdénominationsdu dieu des batailleset d'une additionqui,dansle premier cas, signifiesur sa gaucheousur sa droite,et, dans le dernier, sur son glaive2. Il paraît tout naturelde préférerle senssur sa droite, car l'intentionde cesnoms
belliqueuxest de représenterle Marségyptienagissantavecle glaive ou avec le bras qui tient leglaive, et non avec lebras gauche.
Onpourra s'étonnerque, dans la multitudede textesquenouspossédons,je ne sois pas en mesurede citer, sur une
questionaussi simple, des témoignagesplus clairs et plusdécisifs.Peut-être, en effet, des exemplesde cette espècem'ont-ils échappé, parce que, considérant la donnée de
Champollioncommedéfinitive,je mesuisdispensédecata-
1. NotammentDescripliondel'Égypte.Antiq.PL,vol.II,pl.XII.2. Voyezcesnoms,Lepsius,Königsbuch,n"426,428,430,437,497,
498,499et527.
LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE 229
loguer les passages justificatifs'. Toutefois on voudra bien
remarquer que si l'hébreu, par exemple, était, comme l'égyp-
tien, une langue perdue, la plupart des phrases de la Bible
donnant le mot ne fourniraient pas de moyen certain de
décider si ce mot signifie la droite ou la gauche. Les plus
significatives sont, comme pour l'égyptien, celles qui attri-
buent à pif les actions fortes. Quant à celles qui en font le
côté d'honneur, elles laisseraient soulever la question de
savoir si ce privilège a toujours appartenu au côté droit.
Au point où nous sommes parvenu, nous concluons qu'il est
très probable, sinon absolument certain, que l'explicationdonnée par Champollion est erronée, et qu'il faut voir la
droite dans le groupe où il nous à montré la gauche, et réci-
proquement.Nous ajouterons encore quelques considérations.
Au poème de Pentaur on rencontre la phrase suivante
'rU-A Ili BAn III UNAM Hl KEFAU Ili BEMEH
D'après ma conclusion précédente, je traduirais Je lan-
cerai des flèches à droite, j'atteindrai à gauche,. La phrase ne
nous apprend rien en elle-même, car on peut lancer des traits
à droite comme à gauche, et KEFAU,l'action de poursuivre et
d'atteindre, se dit de l'un et de l'autre sens, comme le prouvela comparaison du texte étudié avec la phrase suivante
KEFAU Hl UNA31.Ew TUR4 Hi AB-BW
Atteignant à sa clroite, forçant à sa gauche.
1. M. C. W. Goodwin a le premier appelé mon attention sur les
doutes que laissent naître les vues de Champollion.
2. Papyrus Sallier III, pl. III, 1. 8.
3. Champollion, Monuments, pl. CCXXIII
4. Pour cette lecture, voyez Mélanges égyptologiques, [1" série],
p. 106.
230 LES INSCRIPTIONS DES MINES D'OR DE NUBIE
Nous avonsà remarquer ici le groupe SEMEH,
équivalent de etsignifiant la gauche, si nosdéduc-
tions ne nous ont pas égare.Ce même mot se retrouve dans l'un despapyrus du Musée
britannique', mais en relation avec une action exprimée parun mot inconnu, en sorte qu'il n'y a rien à en conclure.
Mais il est intéressant de comparer avec l'arabe
, S'AMEH,qui signifie la gauche, et avec l'expressioncommune à l'hébreu, au syriaque, au chaldéen et à l'arabe,
exprimant la même idée et ,SMH-L.
et seraient donc deux expressions de l'idée gauche,comme les deux mots latins lœva et sinistra.
1. Anasta.si1, pl.XXIII,1.4.
OBSERVATIONS
SUR LE CHAPITREVI DU RITUELÉGYPTIEN
A PROPOS
D'UNE STATUETTE FUNÉRAIRE DU MUSÉE DE LANGRES'
Les anciens Égyptiens déposaient dans les chambres sépul-
crales, auprès de la momie, un grand nombre de statuettes
d'un modèle uniforme et de toute espèce de matières'. Ces
statuettes représentent un personnage entièrement couvert
de ses enveloppes funéraires, à l'exception de la face et des
deux mains. A partir do la hauteur des bras, croisés sur la
poitrine, le corps, qui se termine en gaine, est orné d'une
inscription.Par leur disposition générale, ces petits monuments, aux-
quels on a donné le nom de statuettes funéraires, figurent
1. Publié en 1863 dans les Mémoires de la Société Historique et
Arckéololgique de Langres, t. II, p. 37-48.
2. Le Musée de Langres renferme un grand nombre d'antiquités égyp-tiennes. Une partie de ces antiquités ont été envoyées d’Égypte à la
Société Historique et Archéologique de Langres, par M. Perron, de
Langres, directeur de l'École de Médecine fondée au Caire par le pacha
d’Égypte, et aujourd'hui directeur du Collège arabe d'Alger. M. Clerc,
beau-fils de M. Perron, a aussi adressé plusieurs objets trouvés en
Égypte, et enfin, un assez grand nombre d'antiquités égyptiennes ont été
données par M. Girault de Prangey, membre titulaire de la Société His-
torique et Archéologique de Langres (Note de la Société).
232 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
un corps momifié recouvert de son enveloppe extérieure,
simulant l'apparence de l'une des formes que revêtit Osiris
lui-même. Identifié avec ce dieu mort et ressuscitc;,le défunt
devait abandonner cette enveloppe, étroit vêtement de mort,
et recouvrer la liberté de ses jambes et de ses bras, afin
d'accomplir les phases actives de la vie d'outre-tombe.
On voit, d'après ces explications, que les statuettes funé-
raires, comme la plupart des autres symboles attachés aux
momies ou déposésdans les tombeaux', sont en étroit rap-
port avec la résurrection, telle que se la représentaient les
Égyptiens.Les figurines dont nous nous occuponsmontrent le défunt
muni d'instruments d'agriculture, tels que la houe, la piocheet le sac aux semences. Ce sont les outils dont il aura tout
d'abord :i faire usage pour cultiver les fertiles campagnesdu
Kar-neter (l'IIadcs égyptien), parmi lesquelles les champsde l'Aalu occupent le premier rang. Ce nom d'Aalu' rappelle
trop exactement celui de l’Ely-sium de l'antiquité classique,
pour qu'on se refuse à attribuer une communauté d'origineà l'un et a l'autre mythe. Il faut convenir cependant querien ne nous autorise à penser que les mythologies grecqueet romaine dérivent directement de celle de l'Egypte.
Revêtue de son inscription, la statuette était regardéecomme une espèce de talisman dont la mystérieuse vertu
'assuraitau défunt l'heureux accomplissementde cette phasede la vie osiridienne. Ainsi s'explique le nombre quelquefoisconsidérablede ces figures,que, dans un but pieux, la famille
prodiguait à l'intention des parents décédés.
Le texte inscrit sur ces monuments est presque constam-
ment le mêmo. Il comprend deux formulesprincipales indé-
1. Decenombresontlesscarabées,leshypocéphales,etc.VoirDevéria,Bull.clela Société(fosAntiq.deFrance,1857,p. 112;J. deHorrack,Roc.arck. [2'série],1862,p. 129.
2. Voir pourla véritablelectureet les variantesde ce nom,mesMélangeségyptologiques[1"Série],p. 104.
DU RITUEL ÉGYPTIEN 233
pendantes l'une de l'autre. La première se composeunique-
ment dumot
illuminer, éclairer, joint au nom et au
titre du défunt, assimilé à Osiris; quelquefois, mais rare-
ment, la filiation est indiquée. Le sensde cette formule est:
« L'Osiris un tel répand la clarté. »
Une tradition rapportée par Suidas' nous fait bien com-
prendre l'intention de ces paroles; ce lexicographe raconte
qu'après avoirété embauméet revêtu des vêtements d'Osiris,le corps du sage Héraïscus répandit soudain des lueurs mys-térieuses-qui, s'échappant des enveloppes, témoignaient de
l'association de l'âme du défunt avec les dieux. Dans les
statuettes, nous retrouvons effectivement le défunt couvert
des vêtements d'Osiris, et le texte de la légende rappelle
expressément le phénomène lumineux dont parle Suidas.
La seconde formule est le chapitre VI du Rituel funé-raire, quelquefoisentier, maisplus souventabrégéet modifié.
Sous sa rédactionla pluscomplète, ce chapitre est fort court;
néanmoins, la traduction en présente d'insurmontables dif-
licultés. Onne peut réussir à se faire une idée un peu correcte
du contenu de ce chapitre qu'à l'aide des textes abrégés,
qu'on doit supposer avoir conservé seulement les mentions
essentielles.A ce point de vue, j'ai considéré commefort intéressante
une statuette funéraire du Musée de Langres', que M. le
Conservateur de cet établissement a bien voulu me commu-
niquer. Cette statuette, de petite dimension, est en basalte
noirâtre; la face en a été brisée, mais tout le reste est intact.
Les textes gravés sur pierre dure offrent plus de garantiede-correction que ceux que de simples potiers moulaient surleurs terres cuites. Quoique la gravure de la légende quidécore la statuette de Langres soit plutôt hardie quetrès soignée, les hiéroglyphes sont d'un bon type et me
1. S. VoceH.2. Comprisesouslen°4duCatalogue.Elleestfiguréesurlaplanchen°1.
234 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
paraissent démontrer que ce petit monument est antérieuraux Saites
Il avait été consacré à une femme nommée Han ou peut-être Hanhan, si l'on tient compte des deux segments, signesde réduplication. Ce nom est déterminé par l'oiseau du mal,
parce qu'il correspond à un mot de la langue égyptiennesignifiant tristesse, douleur, malheur1. L'hébreu a uneracine analogue, , delaquelle dérive aussi un nom propre
Uneinscription entoure le corps, commea l'ordinaire; elle
se compose de cinq lignes horizontales, qui se lisent de
droite à gauche et se terminent par une sixième ligne, dis-
poséeverticalement derrière la statue. On y observe les deux
formules dont j'ai parlé. Ainsi, on lit à la première ligneL'Osiris maîtresse de maison Han répand la lumière. A la
suite de cette formule, dont nous connaissons à présent la
signification,sont écrits lesmots Elle zlit,qui nousmontrent
que la formule suivante (c'est-à-dire le chapitre VI du Rituel)était censée prononcée par la défunte elle-même.
La traduction de l'inscription n'offre d'intérêt que parce
qu'elle suggère quelques observations dont les égyptologues
pourront tirer parti pour l'explication de certains textes
mystiques qui paraissaient destinés à rester à l'état d'indé-
chiffrables énigmes. L'étude isolée de ces sortes de textes
est une impasse et dans tous les cas un travail presquestérile, au point de vue pliilôlogique. En ce qui concerne
spécialement le Rituel, on n'est pas même d'accord sur le
sens du titre général de ce recueil. Pour ma part, je ne doute
pas qu'il ne faille renoncer à y voir, avec Champollion, les
Clzapilresde la manifestation à la lumière. Je n'adopte pasnonpluspas lesvues de M.Birch, quicroit quec'est lelivre de
la sortic du jour (de die). J'exposerai ailleurs mon opinionsur ce sujet difficile;mais, dèsa présent, je demandeà M. E.
1. J'ai expliquécemot,Pap. Mag.Harris, p. 47,Gloss.,n°82.1.
DU RITUEL ÉGYPTIEN 235
de Rouâé la permission de combatre ses interprétations des
titres spéciaux de plusieurs chapitres'. Je ne crois pas, par
exemple, que les locutions et
qui reviennent si souvent dans leLivre des Morts, signifientavancer dans la manifestation. A mon avis, il faut lire tout
simplement, dans le premier cas, entrer et sortir, et, dans le
second, enirer après sortir, c'est-à-dire après être sorti.
Ces formules se réfèrent à l'entrée dans l'Amentliès (l'Oc-
cident) au jour du trépas, et à la sortie, avec le jour nou-
veau, à l'exemple du soleil levant. Le défunt, pendant savie osiridienne, s'associait ainsi au cours du soleil, symbole
quotidien de mort et de renaissance. Les mêmes paroles
peuvent aussi avoir quelque corrélation avec la liberté
absolue de mouvements qui formait la condition essentielle
du retour à la vie et du bonheur des mânes. Si mes vues
sont justes, elles entraîneront une modification notable du
sens attribué aux titres d'une dizaine de chapitres, et par
conséquent à la valeur mystique de ces mêmes chapitres.Dans l'explication de plusieurs autres, le savant académicien
adopte pour legroupe
UBA,le sens quitter, éviter.
Je regarde comme beaucoupplus probable que ce mot veut
dire se diriger vers, arrives à. Il est, en effet, le plus sou-
vent combiné, au Rituel, avec le groupe qui désigne le ciel
inférieur, le lieu oùs'accomplissaientles évolutionsde la vie
d'outre-tombe, et que les défunts ne devaient certainement
pas éciter. Je suis heureux de me rencontrer, sousce rapport,en conformité de vues avec un nouvel éâyptoloâue anglais,M. Lepage-Renouf2, dont les premiers essais portent le
caractère d'une connaissance parfaite du mécanisme des
hiéroglyphes, et ce qui est mieux encore, d'une méthode
logique et serrée. Ces vues concordent, du reste, avec le
1. Étudessur le Rituelfunéraire,Rec.Arch.[2eSèrie],1862.2. Aprayer fromtheRitrutf,Dublin,1862,p. 9.
236 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
développementnaturel de celles qu'a exposées M. de Rougélui-même à propos de la préposition UBA1.
Ainsi qu'il l'a très bien compris, M. Goodwin', l'un des
maîtres de la science, dont les travaux et surtout les prin-
cipes ne sont pas encore suffisammentcompris, il faut cher-
cher les secrets de la langue égyptienne dans les documents
de style familier que nous possédonsheureusement en assez
grand nombre, puis reporter sur les textes mystiques les
lumières que ces recherches auront fait jaillir. Il a déjà été
obtenu de grands résultats dans cette voie la découvertede nouvelles formesnégativeset interrogatives, l'explicationclaire de particules difficileset de formules embarrassantesa déjà facilité la tâche mais il ne faut pas s'arrêter en
chemin.
Avant d'aborder l'exposition de mes vues sur le cha-
pitre VI du Rituel, j'avais besoin de faire connaître les
difficultésparticulières du sujet en général, et l'incertitude
qui règne encore en ce qui concerne la nature intime des
écrits variés dont se compose leLivre des Morts. On n'atten-
dra donc pas de mes recherches un succès définitif, car jen'ai pas la prétention de réussir où tant d'autres ont échoué;mais la victoire couronnera tôt ou tard nos efforts collectifs
et sera le résultat d'un ensemble d'observations partielles,telles que celles que j'ai en vue dans ce petit travail.
Le cliapitre VI du Rituel porte au Todtenbuch et dans
d'autres manuscrits le titre suivant
1. Étudesur uneStèleégyptienne,p. 80.2. Voyez:SurlesPapyrushiératiques,premierarticle,Revuearch.,
[2'Série],1860,p. 223[p.69duprésentvolume].3. Cesrécentesconquêtesdela science,dontla plus fortepartieest
l'œuvrede M. Goodwin,sontexposéesdansmonouvrageintituléMélangeségyptologiques[ 1reSérie],Chalon-sur-Saône,Dejussieu,1862.—M. Lepage-Renoufen a faitd'heureusesapplicationsà plusieurstextesduRituel Onsomenegaticeparticles,etc.,Dublin,1862.
DU RITUEL HGYPTIRN 237
ro en rta iri us'aLti ka-u em kar-neter
Chapitrede fairefaire lesus'abtilestravauxdansleKar-Neter,c'est-à-dire:Chapitredefairequelesushabtifassentlestravauxdansl'Hades.
M. de Rou-6 a traduit de faire des figurines (pour les
travaux?) dans Ker-Neter. Mais le titre du chapitre V:
Chapitre de faire gue l’homme ne fasse pas les travaux
dans le Kar-Neter, montre par son arrangement gramma-tical que la construction admise par M. de Rougé ne rend
pas bien l'intention de la phrase.Le nom d’US’ABTIdésigne les statuettes de l'espèce de
celle qui nous occupe et se réfère directement à l'état d'être
que ces petits monuments caractérisent, c'est-à-dire au der-
nier appareil mystique que le défunt devait revêtir avant
d'être rendu à l'activité de la vie. Sa forme la plus ordinaire
estUS’ABTI;mais il existe un grand nombre de
variantes, parmi lesquellesje citerai seulement
,S’UABTI(Sharpe,Eg.Inscr., 2dseries, pl. 65).S'ABT(ibid., 1st séries, pi. 102, A),
S’BTI(ibid., en C),
oS’TIB (Statuette de Langres).
Ces variantes vicnnent à l'appui d'observations déjà faites
sur la suppression facultative des voyelles initiales et sur le
déplacement de certains signes dans le corps des groupes.
Elles montrent aussi que, malgré l'emploi ordinairement
spécial de quelques signes voyelles, ces signes peuvent néan-
moins s’échanger avec d'autres ayant une spécialité différente,
en sorte qu'il est vrai de dire qu'à l'exemple des aspirées
sémitiques, les signes voyelles égyptiens peuvent admettre
toute la gamme des sons voyelles. En considérant la forme
du mot égyptien et son emploi, on peut être conduit le
rapprocher du thème radical de , , , ,
, etc., mutare, conzmutare.
238 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
Selon moi, la véritable intention du chapitre est de mettrele défunt parvenu il l'état d’Ushabti, en mesure de faire,dans le Kar-Netcr, les travaux que les mânes avaient à
exécuter à ce moment de leur existence nouvelle. Je ne par-
tage pas l'hésitation de M. de Rougé qui, dans sa traduc-
tion, marque le mot travaux d'un signe de doute.
Le groupeU
KAU, donné par le Todtenbuch et par
un grand nombre d'autres textes, apparaît tout aussi fré-
quemment sous la forme comme, par exemple, sur la
statuette de Langres. Ou trouve même sans déterminatif
U1. Il signifie travaux, ouvrages, affaires, et n'a rien de
spécial aux travaux de construction, quel qu'en soit du reste
le déterminatif. Je citerai les phrases suivantes qui carac-
térisent bien quelques-unes de ces nuances principales
L'abeille vit de son travail1 tu ne feras aucun travail ce
jour-là2; les occupations de la déesse Safkli' (la déesse de
l'intelligence); les actes de l'homme courageux', etc.
En se pénétrant bien de cette valeur, on n'éprouvera
aucune ditliculté à traduire l'expression JU BENKAU,
nulle chose,rien, qui se rencontre dans le poèmedeYentaour,où elle n'a pas été comprise. C'est au passage où Ramsès
exalte les puissants effets de la protection d'Ammon5
1. Pap.SallierII, pl.5, lig.5.2. Pap.SallierIV,pl.5, lig. 3.3. Pap.AnastasiI, pl.1, lig.2.4. Ibid.,pl.26,lig. 8.5. Pap. Sallier III, pl. 3, lig. 4, 5. Le texte de Karnak (Brugsch,
Recueil de Monum., t. 1, pl. 29, 1. 1) donne la variante qui
montre une fois de plus l'usage facultatif des diterminatits M. Devéria
(Rco. arck., 1862) a bien expliqué la notation hiéroglyphique des mil-
lions et des centaines de mille, mais il ne connaissait pas cet exemple
qui lui aurait fourni la valeurphonétique
HAFENNU,
des centaines de mille.
DU RITUEL ÉGYPTIEN 239
« J'ai trouvé qu'Ammonm'a été plus utile quedes millions» de fantassins, que des centaines de mille de cavaliers, que» des dizaine de mille de jeunes héros, fussent-iis réunis
» ensemble. »
Après cefte tirade, le roi ajoute comme résumé de sa
pensée des hommes nom-
breux ne sont rien.
Les statuettes funéraires ne reproduisent jamais le titre du
chapitre VI; il était toutefois nécessaire de l'expliquer,
avant de passer à l'analyse du chapitre lui-même. Grâce
aux vues que ce titre nous a suggérées, nous savons par
avance que nous allons rencontrer des formules qu'on
croyait posséder une vertu particulière pour rendre les
mânes capables d'exécuter les travaux de l'Élysée.
Voici le texte abrégé, mais simple et bien lié dans toutes
les parties, que nous fournit la statuette de Langres
A! s’tib apen ar ap-tu osiri neb-t-pa han er iri-t ka-t-u
o ushebti ces! est apte osiris dame Hanpour faire travaux
neb-tem kar-neter cr srut er smehi u(t)butous dans kar-neter pour fertiliser les campagnes, pour inonder les ruisseaux,
cr h'en s'a en abt er amcn-t t'es iri-a mak neb-t.
pourconduiresablo d' Orient eu Occidenttour à tour. Je fais soin tout.
Je ne connais encore aucune forme impérative bien cons-
tatée, commençant par l'auxiliaire et correspondantau copte fac; mais je ne voudrais pas affirmer que cette
formeest étrangère à la langue antique.La tournure impérative conviendrait peut-être mieux à la
formule du chapitre que le sens simplement affirmatif.
Quoiqu'il en soit de ce détail grammatical, il est évident que
240 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
le texte traduit est, comme nous nous y attendions, une
formule destinée à favoriser mystérieusement le défunt dans
l'accomplissement des devoirs spéciaux à sa transformation
en us'nBTt. C'est bien de travaux agricoles qu'il s'agit il
faut rendre fertiles les campagnes, organiser l'irrigation et,sauf erreur d'interprétation, se débarrasser des sables enva-
hissants. Ces travaux expliquent bien l'emploi des instru-
ments de culture que les statuettes tiennent ordinairement
dans les mains. On en voit la représentation sur le tableau
qui accompagne le chapitre CX du Rituel; là, le défunt
laboure, sème, moissonne,bat les grains, etc., et il est aussi
représenté conduisant une barque sur laquelle sont placéestrois tables d'offrandes.
Au lieu du groupe la plupart des statuettes ont
13 AP-TU,participe duverbe copte , com-
putare, existimare, dinumerare; quelquefoisl'un et l'autremot sont répétés dans la formule, de manière à donner une
plus grande énergie à l'expression. Le signe de l'envelop-penzent, de l’aggrégation, des comptes 0, peut admettre les
valeurs phonétiques de tous les mots qu'il détermine ordi-
nairement, et je n'ai aucun moyen de distinguer celle quilui appartient réellement ici; mais cette indécisionsur le son
n'en est pas une pour le sens, qui est examiné, vérifié,reconnu apte, capable. Un sujet de quelque embarras, c'est
la phrase relative au transport des sables.Le mot S'A,
copte , signifie bien sable; mais il existe un groupe de
forme très rapprochée S'AI', qui répond aux idées
mets préparé, aliment. L'échange de ces deux groupes n'est
pas sans exemple, et la forme S'AIse rencontre précisémentdans un texte du chapitre VI du Rituel, au passage qui nous
occupe'; aussi avais-je adopté le sens aliment dans un essai
1. J'ai expliquécemot:Mélangeségyptologiques[1"Série],p. 77.2. Rituelhiératiquede NSA-HOR-PHRA,Descript.del’Égypte.
TEXTESHIÉROGLYPHIQUES PL.III
3
1
BIBL.ÉGYPT.,T.X. Y
2
4
1.LeChapitreVI
duRitueld'aprèslePapyrusde
Turinpubliépar
Lepsius(Todt.).
2.Légendede.la
staluetteChan-
garnier.
3.légended’une
statuetteensycumoredelacol-
leclionMajor.
4.Légended'une
statuettedela
collectionduDr
Lee,àHartwell.
DU RITUEL ÉGYPTIEN 241
BIDL, ÉGYPT., T. X. 16
de traduction de ce même texte1. Je crois qu'il n'est guère
possible de persister dans cette interprétation, à cause du
voisinage du mot UBU, qui se trouve fréquemment
combiné avec le mot sable. La formule
AS'U SU-T ER S'A EN UBU, signifie ils étaient plus
nombreux que le sable des ruisseaux, et non ils abon-
daient en provisions de bouche, comme on l'avait pensé et
comme je l'avais traduit moi-même'. Un texte hiératique
nous montre que les uBu fournissaient aux Égyptiens les
énormes masses de sable nécessaires à l'érection de leurs
monolithes. Le mot rappelle bien le copte , rivulus.
Trouvons-nous, dans le chapitre VI du Rituel, une allu-
sion aux efforts que l'agriculteur égyptien avait à faire pour
combattre cette marche inexorable du sable des déserts qui
bordent étroitement la vallée du Nil? C'est assez vraisem-
blable. Les UBUreprésentent peut-être les courants de sable,
et le travail qui consistait à rétablir l'irrigation des endroits
que ces courants avaient recouverts et desséchés pouvait
bien mériter la mention spéciale que nous rencontrons ici.
Quoique je ne connaisse aucune rédaction abrégée du cha-
pitre VI, d'un type aussi correct que celui de la statuette de
Langres, néanmoins ces textes abrégés ne sont pas rares. On
en trouvera deux spécimens dans la planche 102 des Inscrip-
tions égyptiennes de Sharpe, 1re série (A et C). Au même
endroit, en B, la formule abrégée est remarquable en ce
qu'elle précède quelques-unes des additions qui se ren-
contrent dans les rédactions complètes, et qu'elle offre un
déplacement des phrases. On y lit 0 vous Shabti! l'Osiris
Piaï a été exarniné et reconnu capable dans le Kar-Neter
pour transporter les sables d'Orient en Occident, pour fer-tiliser les campagnes; pour inonder les ruisseaux, etc. Ici,
1. Papyrus magique Harris, p. 13.2. Inscription d'Ibsamboul, Rec. arch. [1resérie], t. XV, p. 723et 727.
242 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
la mention relative au transport du sable précède celle des
travaux de culture.
Nous reconnaissons ainsi que l'ordre des membres de
phrase n'est pas constant; cette mobilité se remarque bien
davantage dans les textes plus complets.Pour mettre nos lecteurs à même de faire quelques com-
paraisons, nous publions sur la planche dont ce mémoire est
accompagne
1° Le texte fourni par le Todtenbuch (Rituel de Turin);2° Celui d'une très belle statuette, en grès fin, très fine-
ment gravée, appartenant à M. Changarnier, de Beaune. Ce
petit monument est figure sur la planche en B;3° Le texte d'une statuette en bois de sycomore, de la
collection Major';4° Celui d'une statuette de la collectiondu docteur Lee, à
Hartwell'.Maintenant nous allons examiner successivement les for-
mules interpoléesdont l'addition constitue la forme complètedu chapitre.
La première et la plus importante occupe la fin du texte
publié sur notre planche, n° 3, à partir de la moitié de
l’avant-dernière ligne. Nous citons cet exemple à dessein,car il nous montre la formule additionnelle dans une situa-
tion indépendante, à la suite de celles que nous a fait con-
naître la statuette de Langres. En complétant le groupefinal, ce qui ne donne lieu à aucune difficulté, on y lira
Voilùquej’ai abattu les maux, là, en hommeen ses facultés.Ceci est mis en la bouche du personnage qui prononce le
chapitre.
L'expression ERKER-TU-EF,me sembledési-
gner les attributions, les fonctions normales de l'homme
1. PubliéeparSharpe,Eijijpt.Inscript.[1resérie],pl. 102C.2. Ibid.,2' série,pl.65à droite.Cesdeuxtextesprésententquelques
fautesqui paraissentGtrelefait ducopiste.
DU RITUEL ÉGYPTIEN 243
réacquises par le d6funt. Dans un autre texte, elle paraît se
référer aux devoirs, aux fonctions des chefs militaires'. On
trouve aussi To ER KER-T EF’, la terre, en ce qu'elle com-
prend, en son ensemble. Au surplus, cette expression n'est
pas forcement inhérente il la formule de la victoire sur les
maux, car le texte de la statuette Lce' la place immédiate-
ment après la mention des travaux exécuter dans le Kar-
N'der. Dans l'un et l'autre cas, le sens que j'attribue à cette
locution peut également convenir.
Une seconde formule interpolée (voir Je texte du Todten-
buch) se lit MAKEUA KA-TEN SAPTEN; elle est répétée la
fin du chapitre et parait correspondre à la dernière phrase
du texte de la statuette de Langres: J'exerce tout soin. Je
suis tenté de croire qu'ici Je défunt lui-même exprime l'idée
qu'il donne ses soins, son attention aux travaux; mais le mot
MAK s’entend aussi des soins que la divinité était censée
prendre des humains, et il serait possible que ces mots
embarrassants fussent regardés comme un acquiescement
de la statuette interpellée.
Il est :'1remarquer que le texte de la statuette Changarnier
met au singulier l'un des pronoms pluriels du Todtenbuch;
on y lit MAKEUA KA-K SAPTU-TEN, ccqui est loin d'amoin-
drir la difficulté. Enfin, le Todtenbuch, de même que tous
les textes complets, ajoute encore ER NU NEB IRI-T AM,
pour tout temps à passer là (litt. à faire). Ces mots, comme
les autres additions, occupent aussi des positions variables
sur différents monuments.
On voit quels obstacles compliqués présente l'interpréta-
tion de ces textes bizarres. A ce propos, il faut se rappeler
qu'il s'agit de formules mystiques auxquelles une vertu puis-
1. Denkm., III, 32, 13. Comparez aussi Dodtenbuch, ch. LXIV,lig. 11.
2. Voyez mon Hymne Ù Osiris (Reo. arch., 1re série, t. XIV, pl. 30,
lig. 19).:1. Voir la planche ci-jointe, n° 4.
244 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
sante était attribuée. Ainsi que je l'ai expliqué ailleurs, les
conjurations magiques ont puisé leur origine dans la science
sacrée de l'Égypte; les premiers magiciens n'ont eu qu'à
employer pour les vivants les méthodes de conjuration queles prêtres enseignaient pour défendre les morts contre les
innombrables ennemis qui menacent la vie d'outre-tombe,au dire des textes funéraires. Que des formules de cette
espèce nous présentent des phrases décousues, incohérentes,nous n'avons guère le droit de nous en étonner; nous devons,au contraire nous y attendre, afin de nous défier de ces textes
obscurs qui pourraient nous égarer. Si mes idées, sous ce
rapport, sont partagées, j'aurai atteint le but principal que
j'avais en vue dans cette étude.
Pour terminer, je donne une traduction suivie des cinqtextes qui m'ont principalement servi dans mon travail.
Cette traduction, pour les trois premiers, ne laisse place
qu'aux doutes par moi exposés; mais celle des deux der-
niers, qui regarde des rédactions complètes, est conjecturalesur plusieurs autres points.
STATUETTE DU MUSÉE DE LANGRES
L'Osiris, maîtresse de maison, Han, répand la clarté; elle
dit « 0 vous, Ushabti! l'Osiris, maîtresse de maison, Han,
est capable de faire tous les travaux dans le Kar-Neter, de
fertiliser les campagnes, d'inonder les ruisseaux, de conduire
les sables d'Orient en Occident, tour à tour. J'exerce tout
soin. »
STATUETTE DU DOCTEUtt LEE (PI. II, no 4)
Le quatrième prophète d'Ammon, Ka-en-Amen, répand
la clarté. Il dit: « 0 vous, Ushabti! je suis capable pour les
travaux à faire dans le Kar-Neter, par l'homme en ses
facultés. Voilà qu'il a abattu le mal, là; pour transporter les
sables d'Orient en Occident. Moi, j'exerce le soin; oui, toi
en tout temps. »
DU RITUEL ÉGYPTIEN 245
STATUETTE DE LA COLLECTION MAJOR (Pl. Il, n° 3)
L'Osiris Piai répand la clarté; il dit « L'Osiris Piaï, jus-
tifié, est appelé; il est capable, pour faire tous les travaux
il faire dans le Kar-Neter, fertiliser les campagnes, pour
inonder les ruisseaux, transporter les sables à l'Orient et
à l'Occident. J'ai abattu les maux, là, en homme en ses
facultés. »
RITUEL DE TURIN, chap.VII (Pl. II, n° 1)
L'Osil'is Aufonkh dit « O vous,Ushabti L'Osiris Aufonkh,
celui-ci, est capable pour tous les travaux à faire dans le
Kar-Neter; y ayant abattu le mal en homme ayant ses attri-
butions j'exerce le soin; oui, vous! éprouvez-moi en tout
temps à passer la pour fertiliser les campagnes, pour inonder
les ruisseaux, conduire les sables d'Occident en Orient, tour à
tour. J'exerce le soin; oui, vous! L'Osiris Aufonkh, justifié.
STATUETTE DE M. CIIAXGAHXIER(Pi. I, no 2; pl. II, no 2)
L'Osiris, intendant du magasin royal, Hoririata, répand
la clarté. Il dit « 0 vous, Ushabti L'Osiris, intendant du
magasin royal, Hoririata, justifié, est capable de faire tout
travail dans Ic Kar-Ncter. Voilà qu'il y a abattu les maux,
en homme ayant ses attributions. J'exerce le soin, oui, toi
éprouvez-(moi) pour tout temps à passer là; pour fertiliser
la campagne, pour inonder les ruisseaux, pour translorter
les sables de l'Occident à l'Orient, tour à tour. J'exerce le
soin; oui, toi »
Je ne me flatte pas de posséder une idée un peu nette de
l'intention attachée aux interpolations qui, dans les deux
derniers textes, coupent et embarrassent. la formule pri-
mitive. On pourrait faire de autre cliuse qu'un
246 OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE VI
verbe il la première personne, malgré l’autorité du texte de
la statuette de Langres; on pourrait voir dans un verbe
exprimant un acte de la parole, bien que ce groupe soit le
dernier mot dans le texte dll Rituel et, clans celui (le la sta-
tuette Changarnier; mais ces valeurs ne rendraient pas les
phrases plus intelligibles. Dans les incantations mystiqueson magiques, la clarté n'a jamais été l'une des conclitions du
succès; tout au contraire, un langage obscur et. ampoulédéterminait une impression plus profonde et en implosait,bien mieux au vulgaire. D’un autre côté, le respect des formestraditionnelles a consacré une foule d’erreurs commises pardes copistes inhabiles. C’est pour ce motif que, de crainteclc ne pas rencontrer la formule exacte à laquelle le pouvoirmystérieux revenait. de droit, les scribes se firent un devoirde reproduire les variantes les plus usitées, alors même quequelques-unes d’entre elles forment de grossiers non-sens.Ce fait est bien connu; j'en citerai cependant un cvctnhlcqui rentre un peu dans mon sujet.
Si le chapitre VI du Rituel a pour objet de mettre lesmânes parvenus ;'1 l’état d’Ushabti, en mesure d'exécuterles travaux agricoles dans le Kar-Neter, te chapitre V, au
contraire, fournit, ainsi que l’explique clairement son titre,le moyen d’empêcher que l’homme ne fasse des travauxdans le même lictt. Remarquons en passant que l’expressionl’homme s’applique bien au défunt; c’est ainsi qu'il est
désigné dans tous les chapitres ayant pour objet de lui res-
tituer le cœur, la bouche, ou de le sauver de quelquepéril. Il n'était, donc. pas bon qu’à toute époque de sa vie
d’outre-tombe, le défunt fût astreint aux travaux. Quoi qu’ilcn soit, lc chapitre- V ne comprend qu'une simllc formulede conjuration, dont voici la traduction Moi, je suis l’inces-
tigateur de l'âme défaillante, apparaissant Ù mon heure,me repaissant d’entrailles de singe. Un scribe inattentif,
ayant mal transcrit le mot AANI, qui signifie singe, en a fait.
par mégarde le verbe AANNU, revenir, retourner, et cette
DU ItITUEL ÉGYPTIEN 247
grossière erreur, qui introduit dans la phrase un mot incon-
ciliahle avec son antécédent entrailles, a été respectée par
des copistes postérieurs. On lv remarque notamment au
Todtenbuch et au Rituel hiéroglyphique à vignettes enlumi-
nées du Musée de Leyde, ou elle est annoncée par le groupe
Ki-TOT, aliàs.
Chalon-sur-Saône, 15 février 1863.
PI. IV
1
STATUETTES ÉGYPTIENNES
1 a. Statuette du Musée de Langres, vue de profil. 1- La même. vue de face.
-2. Statuette du cabinet Je M. Changarnier de Beaunr.
RECHERCHES
SUR LE
NOM EGYPTIEN DE THËBES
AVEC QUELQUES OBSERVATIONS SUR L'ALPHABET SÉMITICO-ÊGYPTIEN
ET SUR LES SINGULARITÉS ORTHOGRAPHIQUES2
AVERTISSEMENT PRÉLIMINAIRE
A l'occasion de mon dernier écrit sur les Inscriptions des Mines
d'or, j'ai été signalé comme ayant eu le tort considérable de passer
sous silence une traduction de l'inscription de Kouban, antérieu-
rement publiée par M. le docteur II. Brugsch, de Berlin.
C'est sans doute un tort considérable que celui de ne point
connaître à fond tous les ouvrages d'un égyptologue aussi dis-
tingue mais, lorsqu'on habite une petite ville, privée de toutes
ressources au regard de l'étude des hiéroglyphes, on ne peut
connaître un écrit quelconque relatif cette étude et à celle des
langues orientales en général qu'à la condition de le posséder soi-
1. L'exemplaire qui a servi ic la réimpression avait appartenu à
M. Brunet de Presles, qui y avait intercalé quelques notes au courant
de la lecture. J'ai pensé qu'il serait utile de reproduire deux de ces notes,
qui renfermaient des renseignements nouveaux à l'époque où le mémoire
de Chabas parut. G. M.
2. Mémoire publie séparément en 1863 à Chalon-sur-Saône, chez
I)ejussieu, imprimeur, rue des Tonneliers, 5; à Paris, chez Benjamin
Duprat, Libraire de l'Institut, rue du Cloitre-Saint-Benoît, 7, et à la
Librairie A. Franck, Alb. L. Hérold, successeur, 67, rue de Richelieu,
in-8", x-44 pages. G. M.
250 RECHERCHESSURLENOMÉGYPTIENDETHÈBES
même,c'est-à-diredelepayer,lorsqu'ilnes'agitpasdemémoiresdontlesauteursdistribuentdestiragessépares.
Cherchant,dansl'analysedestextesoriginaux,lessecretsdelalangueégyptienne,sans me préoccuperdes voiessuiviespard'autres,j'ai concentremeseffortssur les publicationsqui con-tiennentdesfac-similésdocestextesprécieux,minefécondeencoresi peu entamée.Quant aux ouvragesdispendieuxd'une autreespèce,j'accordesansdifficultéà ceuxdemesconfrèresenégypto-logiequiaurontla conscienced'avoir,plusquemoi,faitpourlasciencedes sacrificesconsidérablesd'argentet detravaildésinté-ressé,ledroitdes'étonnerdesénormeslacunesqueprésenteencoreaujourd'huima modestebibliothèqueils n'y trouverontni lesouvragesdeCllampollion,niceuxdei\l.Lepsius,saufle Königs-buch rien de MM.de Bunsen,Wilkinson,ni de tant d'autres,sansrcparlcrdeM.Brugschlui-même1.
Ainsiprivédemoyensd'étude,dontje suis le premieri1recon-naitrcla hautevaleur,je resteexposéà desredites,à descontra-dictions,il deserreurs.C'estuneconséquenceinévitabled'unesituationdontje ne puisencoreprévoirla finet pourlaquellejene réclatncaucunetolérance,mêmede la partdeségyptologuesquiontà leurdispositionbibliothèquesoù toutabondeet muséespleinsde documentsinédits;qui.par leurshautespositionsoffi-cicllea,formentlecentreoùconvergeanttouteslesnouvellesscien-tifiques,où s'ébruitentd'abordtoutes les découvertes.Qu'ilssignalcntdoncce que mestravauxprésententde défectueuxetd'insuffisant.Pourma part,je me réjouiraitoujoursdesprogrèsquelasciencedevrail leursituationprivilégiéeet a leurcapacitésupérieure,et je m'estimeraiheureuxde saluerla lumièrequ'ilsauront.répanducsur despointsdemeuréspourmoidans l'ohscu-rité.
J'ignoreencoresi l'ona relevédansmontravaildeserreursquela lecturede celuide M. Brugschm'eûtépargnées mais j'ai
1.Cesouvragesnemesontpastouscomplètementinconnus.Il m'aétépermisd'enparcourirquelques-unsà labibliothèqueduMuséeégyp-tien,onj'aiétéadmisà travailler.Lorsquej'aiutilisélesnotesquej'yai puiséesottcellesquedchicnveillantsamisontbienvouluy prendrepourmoi,sur mesindications,jc mesuisconstammentfaitundevoird'enindiquerlessources.
RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 251
quelquesmotifs de supposer qu'on a entendu m'accuser d'avoir
utilisé, sans la mentionner, la traduction de ce savant. A une im-
putationaussi grave, j'oppose une réponse catégorique « Il y a
trois personnes pouvant témoigner que je n'ai reçu /'Histoire
d'Egypte parM, Brugsech que longtemps après la publication
de mon mémoire sur les Mines d'or; deux d'entre clles sont en
rapports amicauxavec Jl.
Brugsch et c'est it l'une de celles-ci
que je suis redevable de quelques passages copiées aur mes indi-
cations expresseset cités par moi. »
A l'époque de mes débuts dans l'étude, je ne possédais d'autres
textes égyptiens que ceux de la stèle de Kouban et de l'inscription
de la princesse de Bakhten. Uüs 1855, je mettais à la disposition
des égyptologues une note) sur l'explication de deux groupes, dans
laquelle je citais, de ces deux textes, des passages dont je donnais
une version différente de celle de leur premier traducteur. Mes
conclusions, appuyées sur les mêmes exemples, furent ensuite
partiellement exposées par d'autres, dans des publications où mon
nom n'était pas mentionné.
Au commencement de 185G, je publiais sous le titre de Une
Inscription hislorique de Séli Ier, un travail qui contient la tra-
duction commentée des textes gravés sur les murs du temptc de
Radesich, et je revenais sur les données de l'inscription de Kou-
ban, dont j'analysais plus intimement le contenu. Je ne sache pas
que M. Brugsch ait cru devoir utiliser ce travail, ni même lui
accorder une simple mention dans ses ouvrages sur la géographie
et sur l'histoire.
En l'appelant ces deux faits, je ne formule aucune plainte. Je
pas la prétention d'avoir rien enseigné a qui que ce soit dans
les écrits que je viens de cuiter. Mon unique but est de montrer que,
longtemps avant M. Brugsch, je m'étais livré sur le texte dont on
fait bruit à une étude très attentive.
1. Je suppose tluc c'est à la traduction publiée dans cet ouvrage qu'on
a voulu fairc allusion.
2. Ce mémoire, de même que le précédent, fait partie du Recueil de
la Société d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône; mais des
tirages à part en furent déposés chez les libraires allemands de Paris.
(Ils se trouvent reproduits l'un et l'autre dans le t. I, p. 9-08, des
Œucres discerses de Chabas. G. M.)
252 RECHERCHESSURLENOMÉGYPTIENDETHÈBËS
Mais,de soncôté,et sansque j'en fusseinformé,M. Brugschm'avaitdebeaucoupprécédédansl'examendu Papyrusmédical.Delà unpremiergriefdontj'ai déjàeu à medisculper.Ici s'estprésentélecassuffisammentsingulierquele savantqui a relevécontremoicegriefn'a pum'indiquerles moyensdemeprocurerle mémoirepar moiignoré,pasmêmele nomde la Revuequil'avaitinséré.Monignorance,à proposdece mémoire,étaitdurestepartagéeparleséminentségyptologuesquiontrenducomptede mesMélangeségyplologiqucs,l'undans la Revuearchéolo-
Gique,en France,l'autredanslejournalTheliteraryGazette,enAngleterre.Finalement,c'esta M. Brugschlui-même,qu'ensuitede l'interventiond'unami commun,je suis redevabledu cahierdanslequell'articleavaitétéimprimé'.
M. Brugsch,qui vientd'éditerle Papyrusmédicaldans lasecondepartiedesonElecueildeMonuments,s'estoccupédenou-veaudecemanuscrit.Jecroisvoirun indicedesespréoccupationsdansle paragraphequ'ilm'aconsacré «Je saisque?lï.Chabas,qtti nz'honnrede son anzitié,n'a pas vouluignorerle mémoireallenzandquej'acais composé,il ya plusdeneufans,au sujetdela nzédecineégyptienne,etc.
J'avouequecettedéclarationn'a pastoute la nettetéd'expres-sionquej'auraisvouluy rencontrer.Atoutévénement,je puismeservirdelamêmeformule «JenecroispasqueM.Brugschailvouluignorerl'articleanglaisquej'ai inséré,il y a unan, dansle journal ThéliteraryGazettesur quelquessingularitésde lanzédecineégyptienne,etc.»
Indignedela gravitédela science,unespritdemesquinesus-
ceptibilitén'estpasmoinsnuisibleà l'intimitédesrapportsqu'iiestdésirahiedevoirs'établirentrelesreprésentants,si peunom-breuxencore,delasciencecrééeparlegéniede Champollion.Cet
espritne serajamaislemien;mais,enpubliantunecontinuationdemesrecherchesdansledomainedel'égyptologie,jenepouvaismedispenserde faire connaîtremasituationparticulière,afinde
prémunirle publicquimejugecontredenouvellessuggestionsde
1.AllygemeineMonalsschriftfürWissenschtuftundLilleratur,Januar1853,Braunsclrweig.M.Brugschn'apasannoncesonarticledansleslistasdesestravauximpriméesaudosdesesouvrages.
RECHERCHES SUR LK NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 253
la nature de celles que je viens de combattre. Il ne fallait rien
moins qu'un motif aussi grave pour me porterà vaincre la répu-
gnance que j'éprouve à parler de moi-même. J'espère n'avoir pas
à revenir sur ce sujet.
Érudit de premier ordre, justement honoré dans son pays et. bien
connu de toute l'Europe savante, M. Brugsch se passerait aisément
de mon humble témoignage.Il me sera permis toutefois de rap-
peler ici que, si j'ai eu à signaler quelques points de dissentiment,
je me suis fait aussi un devoir de rendre justice à la haute impor-
tance de ses travaux. Ces loyales explications me donnent le droit
de compter sur la continuation d'une amitié à laquelle j'attache le
plushaut prix.
Chalon-sur-Saône, le 31 mars 1863.
L'antiquitéa désigne
sous le nom de Thbbes,
un assez grandnombre de villes. Stéphane
de Byzanceen
cite neuf, savoir
Thèbes en Béotie,
Thèses en Égypte',
Thèbes en Thessalie,
Thèbes en Cilicie, prèsde l'ancienne Troie,
Thèses en Iouie, près de Milet,
Thèbes en Attique,
Thèbes en Cataoiiie,
Thèbes en Italie,
Et Tlièbes en Syrie.
D'autres auteurs mentionnent en outre Thèbes en Afrique
et Tlièbes, dite Corsica, dans le golfede Corintlie'; Pto-
lémée désigne cette dernière ville sous le nom de Thisbé.
1. f,;
où Étienne de Byzance, s. c. Note de
Brunet de Presles.
2. PLINE, Histoire naturelle, liv. IV, ch. m.
254 RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
Il n'est guère supposable que ces lieux si divers aient dû
leur communauté de nom si une cause unique je crois plutôt
que les Grecs, pardes motifs tirés de l'analogie
et de l'eu-
phonie, ont confondu sous la dénomination de plusieurs
noms de formes plus ou moins rapprochées.
S'il en était autrement, nous aurions a chercher dans la
Thèbes d'Égyptele
prototype de ce nom célèbre, et tel doit
être le cas, enparticulier, pour la Tltèhes de Béotie, dont le
fondateur Cadmus, au dire de Diodore1, étaitoriginaire
de
l'ancienne capitale des Pharaons. Quant aux autres Thèbes,
nous n'avons pas les moyens de suivre jusqu'à sa source la
trace du nom sous lequel elles nous sont connues.
Selon le même historien, la Tliébaïde était la partie la
plus ancienne de l'Egypte2, et les Thébains se regardaient
comme les plus anciens des mortels'. Il rapporte une tra-
ditiond'après laquelle
la fondation de Thèses était attri-
buée à Osiris\, dieu que les textes originauxnous signalent
comme le divin roi despremiers temps du monde, et, ce
qui est encore plus décisif, comme l'Ancien cluns Thèbes
Dc son côté, Strabon place cetteville même
1. Liv. 1, eh. XXIII
2. Ibid., ch. XXII,
3. Ibid., ch. 1_.
4. Ibid., ch. xv.
5. La forme du nom d'Osiris. dans ce titre, est très curieuse. Chan-
pollion, Grammaire égyptienne, p. 110, a, donné la variante
pour Osiris. Cette variante répond au passage de Plutardne Tôv
xx: M. Parthey, dans
son édition du Traitté d'Isis et d'Osiris, p. 1HG, a indiqué, d'après
Cltampo!lion, cette orthographe. Plutarque ajoute y.xi
Diodore de Sicile, liv. I. ch. Il. dit la même
chose. Le mot ow se retrouve en effet en copte, avec le sens de multus
esse (Peyron, p. 156). Mais le nom d'Osiris (ou comme Hella-
nicus, au témoignage du même Plutardue, ch. xxxiv, l'avait entendu
prononcer par les prêtres) était susceptible d'autres interprétations. Ainsi
RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 255
avant Abydos" le sanctuaire le plus fameux du mythe osiri-
dien, la ville dont le nom hiéroglyphique est, avec celui de
Tattu. cité dans les plus anciens documents écrits que nous
ait légués le premier Empire égyptien.
Cependant les ruines de Tltèbes ne nous ont pas encore
livré de monuments portant les noms des Pharaons anté-
rieurs aux Pasteurs; quelques monuments funéraires at-
testent seuls que la localité avait, dès cette époque, une
certaine importance comme centre religieux. Mais il est à
supposer que les immenses édifices élevés par les succes-
seurs d'Alunès se sont substitués à des constructions plus
anciennes. Ce qu'il y a de certain, c'est que, dès les temps
des Amenemha et des Osortasen, le culte de Mont, le dieu
belliqueux, était établi à Tlnbes, puisqu'on trouve dans
les Papyrus de Berlin, qui datent de cette époque reculée,
la mention de ce dieu comme seigneur de Tltbbes,
Plutarque dit encore '0 yxpDans ces
interprétations, l'œil est pris avec le sens de faire, le sceptre a
donc la valeur de et c'est ce qui résulte aussi d'un autre passage
du même traité où l'lutarque, revenant sur les deux signes dont le nom
d'Osiris est forme, le sceptre et l'oeil, dit que l'un signifie la prévoyance
et l'autre la puissance "OIl résulte de ces
divers passages que le sceptre dans le nom d'Osiris se prononçait os ou
is et qu'il pouvait s'interpréter par Ce mot de convient très
bien dans tous les passages où les dieux donnent la rie, la stabilité, le
pouvoir. Il convient très bien aussi comme désignation de la capitale
de l'Egypte, comme disaient les
Grecs. Il ne faut donc pas chercher it le ramener à la prononciation de
Thèbes, car les diverses variantes ou ce signe se permute avec Iou
montrent qu'il avait la valeur de s ou m probablement précédé d'une
voyelle. Note de Brunet de Pes/es,
1. Liv. XVII, ch. XLII.
2. Papyrus de Berlin n° 1, lig. 238. Voir aussi SHARPE, 1" série,
pi. LXXXIV, le prêtre de Mont, Montensasu, sous Amenemha 1I.
25G RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
L'antiquité classique a connu de bonne heure les splen-deurs et les richesses de Thèbes. Citons d'abord Homère
O
Bâton de Sinole', qui parle de l'immense étendue de la
ville et des somptueux lalais qui l'ornaient avant l'iuvasiou
des Perses, mentionne aussi les cent portes qui y donnaient
accès, et le môme renseignement se trouve dans Strabon3,
dans Diodore' et dans Pline5. La qualification d'hécatom-
pyle était devenue.un lieu commun à l'usage des poètes.
Juvénal la rappelle dans ce vers de sa satire contre la
superstition
Atque vetus 'l'hebe centum jacet obruta portis6.
Cette particularité doit être remarquée à propos des sept
portes de la ville de Tlièbes en Béotie, qu'Hésiode et Homère
célèbrent sous le nom de o7 dénomination con-
servée I)ar les écrivains postérieurs. Juvénal y fait encore
allusion
Rari quippe boni, numerus vix est totidem quotThebarum portæ8.
A son tour, une troisième Thèbes, celle de Cilicie, la patrie
1. lx, v. 381-384.
2. Persica (Fragm. Hist. græc., t. IV, p. 3.18).
3. Liv. XVII, ch. XLVI.
4. Diodore de Sicile, I, ch. xv.
5. Pline, Hist. nal., V, ch. ix.
6..Sali.rr·s, XV, v. 6.
7. llitccle, IV, v. 406; Bouclier d'Hercule, v. 49.
8. Satires, XIII, v. 26-27..
RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 257
BIBL. ÉGYPT., T. X. 17
d'Andromaque., est nommée par Homère1 o,
Thèbes aux hautesportes.
Ces coïncidences sont au moins sipulières mais elles ne
trouvent pas d'explications dans les radicaux égyptiensdes
noms de Thebcs, dont aucun ne se réfère à l'idée porte;
très probablement elles sont purement accidentelles.
Je mepropose
de rechercher, parmi les expressions hiéro-
glyphiques qui désignentla ville aux cent portes, celle qui
a donné lieu à latranscription grecque . Cette
recherche nous amènera passeren revue un assez grand
nombre-de mots de la langue antique.Elle sera, je l'espère,
do quelque utilité non seutcment pour le pointd'histoire
que je traite spécialement, mais encore pour le progrès
général de nos connaissances dans les hiéroglyphes.
Ainsiqu'on
l'adéjà remarque,
les hiéroglyphes nous font
connaître trois noms différents se rapportant à Thèbes. Le
premier est le nom sacerdotal ,PI-AMUN, la demeure
d'Ammon. C'est ce que traduit exactement le grec o,
auquelcorrespond
peut-être plusdirectement encore l'ex-
pression 1NO-AMUN. Les anciens ont aussi, mais
bien plus rarement, donne à Thèbes le nom de o et
celui d’ oo. Dans lepremier cas, on a fait de Thèbes
PA-OSIRI, la demeure d'Osiris. Le culte de ce dicu,
regardé comme le fondateur de la ville, y avait sans doute
précédé celui d'Ammon-Ra, et du reste Ammon lui-même
n'est que l'âme vivante d'Osiris3. Quant au nom d'Hélio-
polis, la ville du soleil, il s'explique par la circons-
tance qu'Ammon était surtout adoré à Thèbes sous sa forme
solaire. Du reste, les noms égyptiens, correspondant Dios-
polis, à Busiris et à Héliopolis, désignaient plusieurs villes
1. Iliade, VI, v. 416.
2. Papyrus Sallier III, pl. VI, Hg. 8.
3. Denkmäler, IV, 29.
258 RECHERCHES SUIt Lü NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
différentes, où le culte des dieux Ammon, Osiris et Phra
occupait un rang principal. Ce sont des dénominations ana-
logues au nom sacré de Memphis 8 HA-KA-PTAH,
le temple de la personne de Ptah. Il est d'ailleurs à observer
que les textes originaux ne nous ont pas encore montré les
noms de PA-OSIRIet de PA-PHRAalpliclués à Thèbes.
Dans tous les cas, ce ne sont pas ces désignations sacer-
dotales qui ont fourni la racine du mot Thèbes. On a cru la
retrouver dans lenom
la ville d'Apetu
ou d'Apet, la deuxième des expressions que nous avons a
étudier. Il serait en effet possible que le mot APETfût du
genre féminin, et que, malgré le signe de pluralité dont il
est le plus souvent alîccté, il eût été considéré comme un
collectif admettant l'article singulier TA,T. De là, TA-APETU,
ou T-APE-TU,ou hlus simplement TA-APE, si, comme dans
un grand nombre de cas, ne doit pas se prononcer. Il faut
donc, ainsi qu'on le voit, plusieurs conditions encore hypo-
thétiques pour arriver à la forme -1-A-API-par contraction
TAPE, que les Grecs auraient adoucie en .
Mais il y a lieu de remarquer que APETU ne désigne
qu'un quartier de l'ancienne Thèbes. Quelques-uns des
édifices construits sur la rive occidentale du Nil, notamment
Qourna et Médinet-Habou, sont désignés dans les hiéro-
glyphes comme situes en face, à l'opposite
d'Apetu. Il en est de même du temple élevé par Hamscs II
à Louqsor, sur la rive orientale. D'après M. Brugsch, si mes
notes sont exactes, la partie des édifices de Karnak que
Ramscs lII bâtit au sud du grand temple serait également
l'objet. de cette indication topographique, qu'on ne trouve
pas appliquée au grand temple lui-même. Il résulte de ces
observations que le quartier nomme Apetu n'occupait qu'une
partie de la rive orientale. Ce clu'il y a de plus probable,
c'est que ce nom était spécial iv l'emplacement du grand
temple de Karnak, dont les textes nous font connaître le
RECHERCHES SUR LU NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 259
mon dans Apetu. Il a pu aussi désigner d'une manière
générale toute la portion de la ville située sur la rive droite
du Nil, et c'est pour cela que les légendes de Louqsor rap-
pellent (:v propos de l'érection du temple de ce nom) que
Ramsès II a construit à son père Ammon des monuments
dans l'Apet méridionale, mais cette indication ne détruit
pas celle qui nous représente Louqsor comme élevé en face
d'Apetu, c'est-a-dire en face du grand temple de Karnak,
dont l'énorme masse, se développant sur un espace d'un
demi-kilomètre de longueur, formait un point de repère
saillant pour les indications topographiques.
Je n'ai rencontré le nom d'Apetu sur aucun monument
de l'Ancieu Empire. Toutefois, le culte de la famille divine
spéciale au temple de Karnak est mentionné dans une stèle
de l'an II de Thothmès 1°' qui donne la forme
enrichie d'un déterminatif exceptionnel. M. Brugsch a déjà
fait remarquer que, dans la XXIIe année de son règne,
Ahmès lit ouvrir les carrières du Mokattam pour en tirer
des pierres destinées iv la construction des temples de Ptah
à Memphis et d'Ammon dans Apet'. Mais il s'agissait cer-
tainement, quant au temple de Ptah, d'une reconstruction
rendue nécessaire par les ravageas des Pasteurs, dont la
domination venait de prendre fin dans la Basse-Égypte.
Relativement au temple de Karnak, je n'oserais être aussi
allirmatif. Quoi qu'il en soit, je n'ai noté sur Apctu aucune
indication de date plus reculée.
Ainsi donc, par sa spécialité limitée, le nom d'Ahetu n'a
pu être pris pour le type de . C'est ce que montrent
les transcriptions grccques relevées par M. Brugsch, qui
rendent le groupe démotique correspondant a APETU,
1. Denkmäler, III, pl. V, dernière ligne.2. Brugsch.Hisroired'Égypte,p. 85;Denkmäler,III,M.
260 RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
par ”A, génitif ”A, et aussi par dans l'expression
’Aµ, transcription grecque de Il est
donc tout naturel de chercher ailleurs le radical de .
Dans les documents démotico-grecs étudiés par M. Brugsch,
se rencontre la forme démotique correspondant à ce que
l'antigraphe grec nomme ï, la Thébaïde, le nome de
Thébes, et le savant égyptologue allemand fait bien ressortir
lui-même la circonstance que ce groupe n'a aucun rapport
avec la forme démotique d'Apetu.
Le mot APET ou APETU est déterminé par deux signes
différents; l'un d'eux, est une espèce de siège qui a pour
valeurs phonétiques bien constatées is, os et IIET. Dans le
nom qui nous occupe, il exprime quelquefois, à lui seul, le
son APET; l'autre, Q, ne m'est connu que dans le nom
d'APET. Ils représentent sans doute tous les deux des siège,chasses ou palanquins dans lesquels les dieux étaient censés
résider. Ammon est quelquefois nommé
Ammon claus son APET de même Ramsès IV est appelé
œuf insigne dans son APET1 Il est probable qu'en rendant
Apclu par le terme un peu vague les loges, on ne s'éloigne-rait guère du sens que les Égyptiens assignaient à cette
expression.
Après avoir ainsi écarté les deux premières dénomina-
tions, abordons l'c;tude de la troisième, qui seule doit nous
donner la solution du problème.
Nous en connaissons les quatre variantes 0 et
dont la première est de beaucoup la plus fréquente.
Je n'ai jamais rencontré un seul cas oit le signe initial fût
suivi d'un signe complémentaire qui en déterminât au moins
la finale.
Ce signe initial est défini par Champollion comme un
1. Denkmäler, III, 224a.
2. Dictionnaire égyptien, 384,385.
RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 261
sceptre dont l'extrémité supérieure est formée par la tête
de l'animal appelé coucoupha. Il le nomme sceptre de la
pureté, pwei, et fait du nom de l'or o , l'or
pur. Ces explications du maître sont tombées devant les
constatations opérées par ses disciples. On sait que le phoné-
tique n'a rien à faire ici, et que d'ailleurs le verbe
antique ROH’U,se rapporte plutôt à la pro-
preté, au lavage, qu'à la pureté. J'ai aussi renonce à voir les
esprits purs dans lesREH’IU
cette déno-
mination regarde les humains et non les mânes.
Champollion signalait en outre, comme appartenant au
signe en question, la valeur alphabétique , et avait bien
reconnu le nom d'Osiris sous la forme dans laquelle
ce signe exprime la syllabe os.
Pour l'appréciation des difficultés inhérentes à l'étude des
signes polyphoniques, il est essentiel de remarquer que nous
ne possédons aucun document écrit remontant a l'enfance
clusystème hiéroglyphique. Les inscriptions gravées sous le
règne des Khoufou et des Snefrou sont les plus anciens
textes qui nous soient parvenus; elles présentent cependanttous les caractères d'une écriture mûrie par un long usageet notamment l'intime mélange des éléments phonétiques et
figuratifs, l'usage et même l'abus des déterminatifs, la mul-
tiplicité des objets soigneusement représentés, en un mot
tout ce qui peut étonner, dans les textes des époques plus
rapprochées de nous, l'observateur de ce système graphiqueà tous égards si remarquable. C'est un grand problème quede supputer les siècles qui séparent le règne des fondateurs
des pyramides de celui des Ramsès, contemporains de Moïse
et déjà voisins de l'âge de la Fable. Mais combien de siècies
a-t-il fallu pour former la civilisation qui construisit les
pyramides et qui a laissé, sous les sables de Memphis, de
si magnifiques traces de son développement intellectuel ?
262 RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
Telle est la question que s'adressera involontairement tout
explorateur des antiquités égyptiennes.S'il nous était donné de suivre les tâtonnements des pre-
miers âges, nous reconnaîtrions probablement que les signes
polyphoniques ont eu dans l'origine des formes diverses,chacune desquelles correspondait distinctement à une valeur
particulière. Mais, pour simplifier ou pour tout autre motif,les scribes auront successivement confondu sous un type
unique des signes plus ou moins voisins de forme, et le
type ainsi adopté a représenté, à lui seul, la valeur phoné-
tique de tous les signes primitifs qu'il a remplacés. On
conçoit dès lors qu'il soit impossible de donner aujourd'huides explications tant soit peu satisfaisantes de l'origine des
sons divers figurés par un même signe, et nous devons nous
borner à les observer et à les noter pour en faire applicationau besoin.
Le signe se rencontre aux plus anciennes époques; on
voit notamment que, dès le règne de Snefrou', il fermait
latéralement le cadre des stèles, ce qui indique qu'on lui
attribuait déjà une valeur mystique, telle que celle que nous
retrouverons aux époques plus récentes. A peu près vers le
même temps, des inscriptions nous le montrent tenu par la
main des divinités2, qui s'en servaient pour communiquerles vertus spécifiques qu'il symbolise. Indépendamment du
sceptre simple ilon trouve les variantes
1, Y,etc.,
dont les dernières montrent peut-être des formesanciennes,tombées en désuétude et finalement confondues avec celles
qui seules ont survécu jusqu'aux derniers siècles de l'écri-ture hiéroglyphique.
Sous ces diverses formes, le signe étudié entre, auxanciennes époques, dans la composition de deux groupes
1. Denkmäler,II,39.2. Denkmäler,II, 61b; 72a, 81,84,94,etc.
RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 263
désignant certaines liqueurs employées dans les cérémonies
en l'honneur des morts. L'un de ces liquide? portait le nom
de T’ESER-T, d'après les groupes [Denkm., II,148 a],
[II, 44b]; l'autreSER-T1, ainsi qu'on le voit
dans [lI, 58], 69], [III, 260],
[II, 35]. L'orthographe SER-T est aussi représentée par
[11,28J,
[ibid.], [II,58]. Placés
l'un à côté de l'autre sur le même tableau d'offrandes [II, 25],
les groupeset
0
devront désigner, l'un, deux
vases de T'ESER, l'autre, deux vases de SER. Cependant on
trouve aussi, dans la même position relative, et
1 [II, 58], c'est-à-dire deux espèces de SER. Lorsque
le signe étudié est initial, comme dans [II, 35],
ô etc., il est difficile de distinguer s'il repré-
sente T'SER ou SER. Mais il les remplace l'un et l'autre dans
la forme double [II, 92]. Il y avait deux sortes de
T'ESER, aussi bien que deux sortes de SER, comme on le
voit par les légendes consécutives et[II,
147 aj. La forme Er-T-Ti [II, 67], si elle est
correcte, constituer.ut un artifice graphique au moyen du-
quel l'une et l'autre liqueur seraient figurées par leur lettre
finale seulement.
L'usage de la liqueur SER dans les offrandes subsista jus-
qu'aux basses époques. A Philæ, Ptolémée Néos Dionysios
en présente deux vases à I-Iathor'. Un liquide du même nom
était employé dans la médecine des anciens Égyptiens; on
le mélangeait au miel, :v l'huile et a divers végétaux, et on
1. Dans T'ESER-T,comme dans sER-T, le T final n'est que le signe du
féminin et ne se prononce pas.
2. Denkmäler, IV, 52 b.
264 RECHERCHESSURLE NOMÉGYPTIENDETHÈBES
l'administrait sous forme solide ou comme breuvage1. Quantau T'ESER,on le trouve cité sur une stèle de Mentuhotep IIcomme le blanc nectar d'Isis dont les mdnes aiment à
s'abreuver2. Remarquons enfin que les deux liqueurs se
remplacent dans la formule
leur nourriture est depain,
leurbreuvarde
est de ser. Cette légende, qui se voit au tombeau de Séti Ierà Biban-el-Moluk3 est reproduite avec deux variantes surle sarcophage de ce pharaon, aujourd'hui transporté en An-
gleterre. On y lit Leur nourriture est de chair, leur breu-
vage est de TESER.
Il est bon de faire observer ici que l'idée générale ali-
ments, nourriture, le manger, est rendue en égyptien par le
signe des pains, de même que l'idée générale, boisson, brecc-
vage, le boire, est représenté par le hak, o, la liqueur le
plus en usage chez les Égyptiens4. Je ne vois absolumentaucun motif de supposer, avec M. Brugsch5, que ce nom deHAKait été le thème antique de , vinaigre. Ce mot n'a
jamais dû signifier a la fois vinaigre et liqueur de grains.Quant au hak doux, c'était un médicament anodin et rafraî-
chissant qui n'avait rien de commun avec la bière, si l'on en
juge par son emploi en lavements.
Dans les groupes que nous venons de discuter, le signeadmettait donc la double valeur SERet T'ESER.Nous allons
en signaler unetroisième, en étudiant le groupe
dont la finale est M,et que Champollionlisait dc.&t,perven-tenc. La signification de ce mot est, par rapport aux choses,
1. Papyrusmédical,pl. XII, lig:12; pl.XIV,lig. 10,etc.2. Lepsius,Australti,9.3. Denkmäler,III, 135a.4. VoyezTodlenbuch,cxxiv,3,et ailleurs;PapyrusSallier,II,pl.X,
lig. 6.5. RecueildeMonumentsII, p. 119.
RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 265
décadence, détérioration, ruine, et, par rapport aux per-
sonnes, infirmité, délabrement, état de maladie ou de souf-france.
On lit dans les légendes de Médinet-Habou la mention des
restaurations accomplies par le pharaon prophète d'Ammon,
Pinetem, et le texte rapporte que, lorsque ce monarque fut
entré pour visiter la maison du dieu son père,
De même au temple de Khons, Ammon félicite le même
roi « Ce sont de nouveaux monuments que tu m'as faits;
mon cœur s'y repose en paix;
» en fête, tu as rebâti ce qui était ruiné2. »
Je citerai enfin un curieux passage du beau papyrus n° 6
de Berlin, commençant à la ligne 115. Ce manuscrit a pour
titre Adoration à Plcra-Hanenzlrlzozc ait conzrnencenzerzt
du matin. Entre autres mentions importantes, on y trouve,
à l'endroit indiqué, une espèce de litanie dans laquelle Phra,
le dieu Soleil, et SBAU, l'impie, le pécheur, l'ennemi de Dieu,
sont alternativement caractérisés, l'un par ses attributs glo-
rieux, l'autre par les vices opposés. Je reproduis en entier
ce passage précieux pour la philologie 3
Puissant est Phra; infirme est l'iinpie.
Élevé est Phra; bas est l'impie.
1. Denkmäler, III, 251 f.2. Ibid., 250 a. Pour le mot Mu, MAU,nouveau, renouveler, j'adopte
les vues de M. Brugsch, qui ont été contestées mal à propos, selon
moi.
3. Le texte hiératique répète à chaque verset les mots PHRAet SBAU.
266 RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
Vivant est Phra; mort est l'impie.
Grand est Phra; petit est l'impie.
Rassasié est Phra; affamé est l'impie.
Abreuvé est Phra; altéré est l'impie.
Radieux est Phra terne est l'impie.
Bon est Phra méchant est l'impie.
Opulent est Phra; misérable est l'impie.
Sans nous arrêter à examiner en détail les données lexico-
graphiques de ce texte qui nous fournit une page du Dic-
tionnaire égyptien nous noterons seulement que1
y est l'opposé de la puissance, la force victorieuse
et prépondérante. Le même mot se rencontre dans d'autres
textes. Au Rituel Cadet, passage correspondant au cha-
pitre cxxv, 1. 6, il est remplacé par qu'on lit ABM
et qu'on trouve aussi sous la forme ? ABMER. Cette
lecture n'est pas certaine. Quoi qu'il en soit, ABM et ABMER
signifient mal, naaladie, doulcur, et ne paraissent pas être
les équivalents habituels de La lecture u,
donnée par Champollion, est possible, mais nullement
RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 267
prouvée, quoiqu'il ne nous reste aucune incertitude sur le
sens du mot.
L'un des noms de l'or présente une forme tout à fait ana-
logue. C'est dont on trouve l'orthographe pleine
dans de nombreux textes, et notamment dans
sarcophage de l'hypogée. Comme dans le cas précédent,nous avons ici la finale usr, OM, mais nous sommes sans
aucun moyen de découvrir la valeur du signe initial. L'autre
nom de l'ori qui se termine en UB, OB, est cer-
tainement le copte 11a pu exister une forme NUMen
même temps que la forme NUB. C'est ainsi par exemple que
le nom antique du dieu Num, aussi Khnum, est devenu K,
Xo, et en copte c, Chnouphis, Chnoubis. Dans les
listes des rois thébains, relevées par Érathosthène sur les
écritures sacrées, se rencontre oo , dont il traduit
le nom Xon Xo i, ce qui donne quelque poids à notre
comparaison. Il ne faut pas, du reste, perdre de vue que les
groupes et seul, ou ont identique-
ment les mêmes emplois. Ils nomment l'un et l'autre l'or
au sortir de la mine, aussi bien que l'or a l'état de métal
travaillé. Je ne pense pas avoir besoin de prouver ce fait
que j'ai déjà constaté ailleurs.
Que 'X ne soit pas nécessairement initial lorsque la finale
est M, c'est ce qui n'a pas besoin d'être démontré. Toutefois,
malgré sa rareté, legroupe
SMSM,nous en
fournit une preuve assez palpable. Nous n'avons donc plus
qu'à confesser notre ignorance à propos du véritable son de
notre signe dans et dans nous savons seu-
lement que c'est une syllabe terminée par OM,UM.
1. Sharpe, Ire série, 105, 16; voyez aussi Champollion, Monuments,
XXXVIII, 9, 10; Papyrus d'Orbiney, pl. XVII, lig. 4, etc.
2. Denkmäler, IV, 80 a.
268 RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
Tels sont les principaux emplois phonétiques de1.
Il nous
reste maintenant â étudier les fonctions du sceptre de cette
forme.
Rien n'est plus multiplié, sur les monuments de l'Égypte,
que les scènes dans lesquelles sont représentées des divi-
nités tenant à la main le sceptre à t6te de coucoupha. Dieux
et déesses, mais plus rarement ces dernières, portent éga-
lament cet insigne, au moyen duquel ils distribuent la vie
dans ses plus parfaites conditions de plénitude et de sta-
bilité. On voit, par exemple, dans certains cas, la vie
s'échapper du haut du sceptre vers le suppliant
Ailleurs le signe de la permanence suit celui de la vio
Dans d'autres cas, le lui-même vole des mains
du dieu vers son adorateur', et quelquefois il est accom-
pagné du signe de Iv vie'. Sans cesse rapprochés par les
textes, ces trois signes, qui expriment trois idées abstraites
distinctes, se transforment souvent en trois sceptres spé-
ciaux ou se lient ensemble comme dans et dans
le sceptre de Ptah ou de Chons, qui les comprend tous les
trois. Il ne faut pas considérer les deux derniers comme
qualificatifs de la vie, et traduire la vie stable et paisible,mais la vie, la stabilité et la paix, étant admis pour un ins-
tant que l'idée paix est ccllc que symbolise notre sceptre. Il
en est de même de l'expression si fréquente dans les
textes, comme attrilut des Pharaons et des hauts person-
nages cllc ne signifie pas la vie saine et forte, mais bien
Vila, incolumitas et salus.
1. Denkmüler,III, 273,275,etc.2. Ibid., III, 12, 57b.3. Ibid., 111,216.4. ¡bid., Ili, 4(;.5. Ibid.,III, 57.H. Ibid., 111,179.
RECHERCHES SUR ÉGYPTIENNOM ÉGYPTIEN DE THÈBES 209
La combinaison n'est pas moins fréquente, mais
elle n'a pas le même emploi. Elle représente les plus hautes
faveurs de la divinité; d'abord la vie puis la per-
manence, la stabilité, dont le ciel élevé au-dessus des orages
est le parfait emblème qu'ils accordent,
dit un texte, une stabilité pareille à la stabilité du ciel',
enfin 1, l'objet de notre étude.
La distinction de ces trois choses est montrée par les
combinaisons séparées seul,
le tout généralement superposa au signe de la totalitcs
Elle résulte aussi de cette prière du Rituel clui illustre bien
exactement l'unc des scènes que nous venons de rappeler:
la vie de vos mains, le de votre poing. On trouve d'ailleurs
des personifications du signe de la vie et du sceptre portant
l'un et l'autre des enseignes au-dessus des Pharaons'. n'est
donc point un qualificatif de la vie, mais un état d'être
particulier.
Nous avons dit que le signe de totalité accompagne souvent
ces symboles. Dans le même esprit, ils sont souvent associés
aux signes numériques décemment clissés par M. Th. Devé-
ria'. Les Égyptiens, qui exprimaient rarement l'idée d'im-
mortalité, la remplaçaient ainsi par des arrangements de
nombrcs tellement considérables qu'ils frappent peut-être
plus vivement l'imagination. Au temple de Kummch, par
exemple, on voit Thoth inscrivant les années qu'il accorde
1. Denkmäler, III, 58.
2. Todtenbuch, ch. i.xxi, lig. 13.
3. Denkmäler, I11, 48.
4. Revue archéologique, 1862,2e semestre (t. l, p. 257-266, des Mé-
moires].
270 RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
à Thothmès III' le dieu tient de la main gauche un assem-
blage de symboles comprenantIn Le sceptre des panégyries, ou fêtes trentenaires;
2° Superposés les uns aux autres, les signes dix mille,
cent mille, un million et dix millions;
3° Le signe de la vie au sommet.
En face de Thoth, Num tient un faisceau analogue, dont
les élGments fourniraient un produit encore plus élevé.
Il serait trop long de décrire toutes les scènes dans les-
quelles le sceptre à tête de coucoupha, combiné avec celui
de la vie, joue un rcilc important. Quelquefois, il est sus-
pendu aux grilles de la déesse vautour planant au-dessus des
Pharaons; ailleurs on le voit rattaché au disque à double
urus ou au serpent, symbole de la déesse Uati. Ces divi-
nités en font le véhicule des faveurs qu'elles répandent sur
les rois. Il parait que les liqueurs sacrées, dont nous avons
parlé précédemment, étaient égulement censées posséder la
propriété de communiquer les mêmes dons. C'est
ce que montre cette figure mystique, qui repré-sente une table chargée de trois vases. Le vase du
milieu, traversé par le1,
contient la liqueur pos-
sédant les propriétés de ce symbole, sans doute le
SER ou le T'ESER, tandis que les deux autres sont remplisde l'eau pure de libation, dont l'usuge donnait la vie, ainsi
qu'on le voit par les deux croix ansées qui y sont sus-
pendues.Aucune variante, hien constatée, ne m'a fourni la finale du
mot que représente lorsqu'il est combiné avec le signe de
la vie. A la vérité, un texte de basse époque,
je te donne des millions d'années en cre et en.
1. Denkmäler,III, 59 a. Voyezaussi III, 53, 54, 58, etc.2. Denkmäler,IV, pl. III a.3. Ammonit AlexandreII, Denkmüler,IV, 3.
RECHERCHES SUR LE NOM 1:GYPTIrN DE THÈBES 271
semblerait montrer que cette finale est M, mais ce texte ne
m'inspire qu'une médiocre confiance. On lit d'ailleurs. dans
une inscription des temps pharaoniquesoù la finale pourrait être R. Cette légende est toutefois sus-
ceptible d'interprétations diverses et n'a rien de décisif. Au
poème de Pentaour, se rencontre une forme indécise que je
crois être3 rappelant un peu on y voit aussi
Le déterminatif dieu, dans ces deux exemples,
n'est qu'un signe d'honneur qu'on remarque souvent a la
suite des expressions se rapportant aux rois ou aux dieux.
La transcription hiéroglyphique du même document donne
la forme ordinaire
De même qu'il y avait deux sortes de liqueurs TESERet
de liqueur SER,il existait aussi deux sortes de sceptres de la
forme qui nous occupe. J'en rencontre la preuve bien claire
et bien manifeste dans un tableau d'objets funéraires quidate de l'Ancien Empire. Je veux parler du tombeau d'un
personnage nomme Méru, eaplorc par M. Lepsius à El-
Assassif'. Des trois colonnes horizontales reproduites dans
le dessin de la Commissionprussienne, la première contientl'acte de consécration; sur la troisième, sont représentés les
objets consacrcà, et la colonne intermédiaire donne les noms
de ces mêmes objets, dans l'ordre du dessin, avec les signes
numériques qui en font connaître les quantités offertes.C'est
1. Denkmüler,III, 246.2. PapyrusSallicrIII, pl. X, lig. 9.3. Cartouched'AménophisIII, Denkmüler,III,71b,3. Lesignedu
féminins'expliqueparlefaitquel'animalditcoucouphaporteen égyp-tienunnomdugenreféminin,commec'estlecasenfrançaispourpan-thère,once,hyène,etc.VoyezChampollion,Notices,[t. I],p. 294,et
Brugsch,RecueildeMonuments,t. II, pl. LXXI,4.4. PapyrusSallier'III, pl. XI, lig. 4.5. Brugsch,RecueildeMonuments,pl. XXXII,lig. 42.6. Denkmüler·,Il, 148c etd.
272 RECHERCHES SUR LE NOM ÉGYPTIEN DE THÈBES
donc encore un de ces textes précieux qui nous fournissent
de sûrs moyens d'enrichir le vocabulaire. On y trouve suc-
cessivement indiqués
1. 200 vases de l'espèce SET
1.000 vases à anse de l'espèce HAKEN
120 chevets, UOLS,portant le nom du défunt;
300 vases de l'espèce SEFT
3.013 colliers à franges;2.320 ornements ou âlands nommés ANKHET;
3.010 bracelets ou périscélides de quatre différents mo-
dèles
110 PAT, objets recourbés a leur extrémité supérieure et
dont je ne distingue pas l'emploi;105 PAOUT,espèces de gâteaux ronds ou de mets préparés;346 PAOUTd'une autre sorte, placés sur des supports.
Viennent ensuite les quatre objets suivants:et la
partie correspondante de la légende explique qu'il y a
205
210
110 T'M
Et 320 9 ou miroirs'.
Ainsi donc, bien qu'absolument identiques de forme, il y
avait, comme nous l'avons dit, deux espèces distinctes de
sceptres à tête de coucoupha, dont la léâende que nous
venons de reproduire nomme seulement la moins impor-
tante. C'est le T'AMou T'OM, qui figure ici au second rang
et seulement pour 105, tandis que l'autre espèce était en
1. L'énumération comprendencore110 fouets, 320 arcs, 100 objets
représentésparet nommésAASAA,200supports à fourchenommés
AB-T,enfin 100autres objetsindéterminables.
Documents manquants (pages, cahiers.)
NF Z 43-120-13
Exemplaire incomplet numérisé en l'état.
BIBL. ÉGYPT., T. X. 19
LES
PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
Récits d'il y a quatre mille ans
AVEC UN
INDEX GÉOGRAPHIQUE ET DEUX PLANCHES DE FAC-SIMILÉ1
AVANT-PROPOS
L'attention des savants vient d'être vivement excitée par l'expli-cation sommaire, due à M. le vicomte de Rougé, de l'inscriptiondu roi éthiopien Piankhi, découverte par M. Mariette au mont
Barkal. Cette vaste page de pierre nous introduit à la connaissance
de personnages et de faits nouveaux, très importants pour l'his-
toire de l'Egypte vers l'époque qui vit finir la domination des
Bubastites; elle démontre une fois de plus combien sont incom-
plètes et incertaines les informations que nous ont conservées les
anciens annalistes, même pour une antiquité peu reculée; elle
apporte une preuve nouvelle de la haute valeur des monuments
épigraphiques que la vieille Égypte nous a légués en si grandeabondance.
Nul mieux que M. de Rougé ne pouvait réussir à saisir la
nature et l'enchaînement des événements racontés par la stèle de
1. Cemémoireportela dédicacesuivante AMonsieurle D' RICHARD
LEPSIUS,deBerlin, témoignagede gratitude,F. CHABAS.Il a été,comme
le précédent,publiéen 1863à Chalon-sur-Saône,chez J. Dejussieu,à
Paria, chez Benjamin Duprat et chezHérold(LibrairieA. Franck), en
une brochurein-8°de94 pageset 2 planches.
290 LES PAPYRUS HIÉRATIQUESDE BERLIN
Barkal. Aussi de ce côté restera-t-il peu de chose à faire; mais la
publication du texte de cette stèle n'en est pas moins indispensableau progrès de la science, soit pour la discussion des points due
détail, soit au point de vue philologiyue. Un aussi long texte his-
torique doit être en effet plein d'enseignements utiles pour l'étude
des formes du langage.La possession du texte serait en particulier nécessaire pour l'élu-
cidation de l'un des sujets que je me propose de traiter; mais je ne
saurais oublier que, de la riche moisson recueillie par M. Mariette
depuis bientôt dix ans, il n'a été livré à l'étude qu'une seule ins-
cription importante, et cela, grâce â un estampage parvenu en
Angleterre. Sans cette heureuse circonstance, qui a valu a le
science deux excellents mémoires,, et des renseignements géogra-
phiques du plus haut intcrét, les tigyptologues et les savants en
général auraient eu a s'en tenir à des remarques provisoires, qu'onne peut ni contrôler ni faire servir utilement au progrès de l'étude.
On excusera, j'aime à l'espérer, les impatiences d'un égyptologue
ardent, qui depuis longtemps a vu l'immensité du problème à
résoudra et recherché les moyens d'en accélérer la solution. C'est
ce même sentiment d'anxieuse curiosité qui m'avait porté a for-
muler des plaintes a propos dn mode de publication des Papyrusde Berlin', qu'on ne pouvait obtenir séparément du grand ouvragedont ils font partie. Ces plaintes ont été entendues", et, en cc quime concerne spécialement, j'ai été mis, de la marnière la plus gra-
cicuse, à même de me livreur à l'étude des documents que j'ambi-
tionnais.
Que l'illustre égyptologue étrangler, qui m'a donne en celle cir-
constance une marque si considérable de sa sympathie, re;oive ici
le témoignage de ma reconnaissance!
Les Papyrus de Berlin réclament un examen de longue haleine;
quelques mois d'études interrompues n'auraient pu suffire pour
1. S. Birch, On a historieal tablet of the reign of· Thothmes III
(Archaeologia, vol. XXXVIII, 2); E. de Hougé, Étude sur divers
monuments de Toutmés III (Revue archéologique, 2' série, 1861).
2. Mélanges égyptologiques [1resérie], p. 56.
Les Papyrus séparés ont été mis en vente. Je ne murais trop re-
commander à tous ceux qui s'occupent d'égyptologie l'acquisition de ces
documents dont l'importance est sans égale.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 291
préparer le travail qu'ils méritent. Cependant il peut y avoir
quelque utilité à en rendre un compte même sommaire, ne fût-ce
que pour montrer que la publicution n'en est pas restée stérile, et
qu'il a sufli de les rendre accessibles pour qu'aussitôt ils aient cessé
d'être lettre morte.
1
NOMENCLATURE DES PAPYRUS DE BERLIN
Les Papyrus hiératiques rapportés d'l;:gypte par la Com-
mission prussienne, sous la direction de M. le docteur
Lepsius, sont au nomhre de culzc. Dans la publication des
monuments recueillis par cette Commission, ils occupent
les planches 104 a 124 de la sixième partie et sont numé-
rotés de 1 a XI.
Les nos I, If, III et IV sont de beaucoup les plus impor-
tants, à cause de leur date; ils appartiennent au type gra-
phique lourd et ferme de l'Ancien-Empire, que nous a déjà
fait connaltrc le Papyrus Prisse'. Toutefois, l'écriture en
est beaucoup plus négligée et difficile à lirc que celle de ce
célèbre manuscrit. Il est aisé de rcconnaitre, à l'emploi
fréquent de certains mots, de certaines formes archaïques,
ainsi qu'à certaine communauté dans les idées, que ces
documents remontent à une même époque et qu'ils pré-
sentent un caractère bien différent de celui des manuscrits
de l'âge des Ramessides. Par exemple, les articles posscs-
sifs composés etc., que le colytc a
conservés et que les papyrus de la XVIIIe et de la XIXe dy-
nastie emhloicnt si fréquemment, n'apparaissent pas dans
le style de ces anciens manuscrits; en revanche, les formes
verbales i1 sujets pléonastiques y sont encore plus compli-
1. Voir Le plus ancien Livre dit monde, Élude sur le Papyrus Prisse
[reproduit au 1.1, p. 183-211, de ces Œuvres diverses].
202 LES PAPYRUS HIERATIQUES DE BERLIN
quées comme on le voit par cette formule si souvent répétée
vrier rural à supplier lui, c'est à dire cet ouvrier le sup-
pli.
L'écriture est en général, dans ces vieux manuscrits,
d'une hardiesse qui avoisine la négligéances; nul compte n'est
tenu de la distinction à faire entre les groupes, qui s'cn-
chevêtrent sans loi comme sans nécessité. Le scribe parait
n 'avoir eu qu'une seule préoccupation, celle d'aller vite.
Aussi un certain nombre de pages sont-elles difficilement
lisibles.
Le papyrus n" I, de sature anecdotique, comprend
311 lignes sans revers; il en manque au commencement,
mais il est complet à la fin.
Le papyrus n" II, de sujet analogue, se compose de
256 lignes au recto et de 70 au verso. Le texte imprime une
porte que 255 lignes au recto, parce que la ligne verticale
qui suit la 76e, et qu'il faudra numéroter 76 bis, a été
confondue dans les cinq lignes horizontales, 78 à 82, dont
il faudra distraire les premiers groupes1. Le texte du revers
fait suite immédiate â celui du verso. Il en manque au com-
mencement et à ta fin. L'histoire racontée par ce manuscrit
sur laquelle la stèle de Barkal, dont j'ai parlé au commen-
cement, vient d'appeler l'attention des savants. On trouvera
donc sur ce point, dans notre travail, des renseignements
qui ont échappé à nos devanciers. Aussi ce papyrus for-
mera-t-il l'objet principal de cette étude.
Le papyrus n" III est aussi de sujet anecdotique; il occupe
1. N" IV, I. 108. Cet exemple montre un cas d'orthographe abusive
dans le mot spr.2. Cette observation peut donner la mesure de l'assurance avec la-
quelle les égyptologues analysent un texte égyptien, même des plusdifficiles.
LES PAPYRUSHIÉRATIQUESnr BERLIN 293
180 lignes écrites. Onze autres ont été effacées après la
ligne 155, à. larjuollo se terminait une première composition
par la chausse déjà connisconnue:Cent fini de. son commencement
à sa fin, comme on le trouve dans l'écrit. Les vingt-cinqdernières lignes, qui racontent un voyage ou une inspec-
tion, forment la suite des onze lignes éffacées Le texte est
incomplet au commencement comme à la fin.
Le papyrus n" IV est un fragment d'un duplicata du
n° II, nu texte clurluel il ajoute 35 lignes à partir de la
ligne 103, endroit correspondant h la fin dit n" II. Mis cette
addition ne nous donne pas encore la fin de l'omr;g;.Il est probable que ces vénérables manuscrits de l'âge
patriarcal de l'Egypte ont été l'objet d'un partage lors de
leur découverte par les Arabes. Combien il serait iL désirer
qu'on parvint à en rassembler tes morceaux épars!
Les papyrus nos V,VI et VII appartiennent au beau typede l'époque des Ramessides. Ila forment ensemble plus de
250 lignes et contiennent des hymnes d'un style très élevé
dont j'ai déjà dit quelques mots'. Je ne connais aucun texte
mythologique de plus grande importance. Faciles à lire et
iL traduire, ces textes reposent agréablement la vue après
l'inspection des écrits de l'ancien style. J'en publierai ]a
traduction complète quand j'aurai mis fin iL de plus lourdes
tâches.
Les papyrus nos VIII, IX, X et XI sont des fragments
de rituels et de textes mystiques de différentes époques,tous remarquables par la- netteté et l'élégance de leur type
graphique. Ils rendront de grands scrvices pour l'étude de
la mythologie.
En aomrne, les Papyrus de Berlin précieux pour l'his-
toire, pour la géographie et pour ]a mythologie, forment
1. Voyez Le plus ancien Livre du monde [t. I, p. 186, de ces Œuvres
diverses].
2. Recherches sur le nom de Thèbes [p. 2G5-2C6 du présent volume].
294 LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN
au point dc,vuepaléographiqueun ensembledu plusgrandintérêt.
II
LEPAPYRUSN°II
II est impossibled'apprécier l'étendue de la portion quimanqueau commencementde ce manuscrit.Nous sommesintroduits in mecliasres, et le texte rapporte tout d'abordla suite d'un dialogue entre deux personnages,l'un des-
quels est un Ce mot, composédu signepolypho-
nique campagne, et dont par conséquent la lecture est
incertaine, répondà la même idée que le latin villicus, vil-lanus. Il nomme les ouvriers cmployés dans les domainesruraux des riches personnages.Le chef de ces ouvriers
apparaît, dans la description d'une résidence princière,commechargéde pourvoir le maître de gibier1.II ne s'agitdonc pas nécessairemcntde travaux agricoles. Il semblerésulter d'un passage du texte que l'ouvrier dont il est
question ici était préposéou occupéà une exploitationdenatron et de sel. A défaut *d'appellationplus exacte, nousle nommeronssimplementouvrier rural.
Son interlocuteur est désigné par le groupe hiératiquecomposéd'un signe principal iLmoi
inconnu et de la finale TI, qui n'est
probablement qu'une marque du re-doublement du premier signe. Le nom est suivi du signede l'homme tenant le casse-tête,qui, dans l'hiératique, dé-termine lesmots en rapport avec les actionsexigeantl'em-
ploi de la force.Commenousvoyonsle personnageexercersurveillanceet autorité, nous le nommeronssimplementsurveillant. C'est, dans tous les cas, un officierd'ordre infé-
1. PapyrusAnastasiIV,3,8.
LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDIsBERLIN 295
rieur, dont le scribe ne daigne pas nous dire le nom, non
lllus du reste que celui de l'ouvrier. Il nous rappelle cesexacteurspréposéspar Pharaonà la surveillancedestravaux
imposesaux Hébreux.La ligne 1 commencepar le mot tout, qui finissaitune
phrase. Ensuite le texte continue« Ce surveillant dit: Fais. ne marche pas sur mesvêtements.» Cet ouvrier rural dit Je suis ton obligé.Mes voies
sont bonnes.J)II sortit par le haut.))Ce surveillant dit (As-tu trouvé) mes dattes sur lechemin?
Cet ouvrier rural dit La montée était longue; le» cheminavait des dattes qui étaient ta propriété; nous)) étions loin avec tes vêtements;
» Voilà que cet âne-ci, qui est à moi, remplit sa bouche» de palmesde dattes.
Ce surveillant dit Permets que je t'enlève ton âne,» puisqu'il a mangé mes dattes, car il faut l'envoyer a
sa tâche.» Cet ouvrier rural dit Mes voiessont bonnes; un seul
)) inconvénient,c'est que je mène mon âne aux mines', et» tu t'en empares,parcequ'il a remplisabouchede palmes)) de dattes.
Il parait que le surveillant avait surpris l'ouvrier cher-
1. Lacune.2. Danscettephrase,qui se rencontreencoredeuxfois,le mot
est employécommele copte dansIIKNNM (Apocalypse, XV,3)
(Apocalypse,xv,3).3. Lacune..1.Sensdouteux.
5. un fonctionnairey était préposé.Cf.Sharpe,
EgyptianInscriptions,I, pl.78,lig.27.Lesensn'estpascertain.
296 LESPAPYRUSHIERATIQUESDEBERLIN
chant iLfuir, et emportant desvêtementsqui ne lui appar-tenaient pas; l'ouvrier était vraisemblablementcachédans
quelquepassageétroit, ou au fond d'une excavationd'ou
il ne put sortir qu'avec peine et peut-être seulementen
rampant. C'est ainsi du moins qu'on peut s'expliquer la
recommandationque lui fait le surveillant de ne pas mar-cher sur ses vêtements.La question relative aux dattcs fut
sansdoute déterminéepar la vue de quelques-uns de ces
fruits dont le fugitif s'était approvisionneet dont peut-êtreil avait chargé son âne. Ce n'est au surplusque par hypothèse que je donne au groupedont ic ne connaispas le correspondanthiéro-
glyphique, la valeur dattes. Le végétal qui portait ce fruit
est nomme par letexte
Le copte Ba,ramus palm, en fournit une très bonneexplication,d'au-tant mieux que la scènese passe du côté de la vallée deslacs de Nairon, au désert de Libye, où le dattier se ren-contre encoreau voisinagedes oasis.
L'ouvrier continue ainsi le discours que ces remarquesont interrompu
« Maisje connaislc,maîtrede ce domaine. Il appartientau grand intendant' Méruitens, celui qui s'occupe de
))châtier la violencedanscepays tout entier. Serai-jevio-lenté par lui sur son domaine?))Ce survcillant dit Quelleest cette réclamation?Leshommesdisent Le nom d'un misérablerésonne-t-il au-»dessusde celuide son maître? Moi, je te le dis, le grand
» intendant t'accusera.
1. ,domainerural, ferme,métairie,closerie.Le phonétique
paraitêtreDenkmüler, II,150);il estopposéà
ville,urbs(Brugsch,RecueildeMonuments,t. I,XXII,12).
2. C'étaitunefonctiontrèsélevée.
PL. V
B1UL. ÉGYPT., T. X.
TRADUCTION.
etje fis beaucoup
vetoute espèce de lait cuit je passai
des
FAC-SIMILE D'UN PASSAGE DU PAPYRUS N°l.
Imp. Bertrant, Clmlon-·/5.
PL.VI
BIBL.ÉGYPT.,T.X.
TAC-SIMILED'UNPASSAGEOUPAPYRUSNoil.
Imp.Bertrand.Chalon-s/S.
LES PAPYRUS HIERATIQUES DE BERLIN 297
» Alors il sc saisit de branches de tamarisques et d'aca-
» cia,et il lui en flagella tous les membres.
Il prit son âne et le fit entrer dans sa métairie.
» Cet ouvrier rural pleura très fort de la douleur de sa
)) petitesse.
Ce surveillant dit N'élève pas la voix', ouvrier! fais
;) attention a la ville du divin seigneur du silence5.
» Cet ouvrier rural clit Tu m'as frappé, tu as violenté
)) ma propriété, tu t'en es emparé. Compatissant à ma
» bouche" sera le divin seigneur du silence. Rends-moi.
» ce qui m'appartient; oui! je ne me plaindrai pas de ta
» dureté.
Cet ouvrier rural passa la durée d'un jour à implorer
Il ce surveillant. Il ne lui fit pas droit pour cela.
» Cet ouvrier rural partit pour Soutensinen, afin d'im-
)) plorer le grand intendant.
» Il le trouva sortant de la porte de sa maison pour
» monter dans son caïque7 cl'Arri.
» Cet ouvrier rural dit O. compatis à ]a réclamation,
» en cc moment. Fais-moi venir ton serviteur, l'intime de
ton cœur. Je te j'enverrai (instruit) sur cette affaire.
)) Le grand intendant Méruitens fil partir son serviteur,
1 acp, copte occ, hébreu tamarisque.
2bois dur fournissant des ingrédients à la médecine
égyptienne; lrrobablement l'acacia nilolica
a. D'être si faible.
4. trèsbonexemple
dede négatif.
5. Ceci semble se rapporter à une propriété royale.(i. Ma plainlc.
7. KaKa, barque ou canot de petite dimension.
Voir inscription de la princonsf e Bakhten lig, 16; E. de Rougé,Étude sur stèle, p. 136
298 ES PAPYRUS IÉRATIQUES E BERLIN
» l'intime de son cœur, le premier auprès de lui. Cet ou-
)) vrier rural le fit informer sur cette, telle qu'elle
» était entièrement.
» Legrand intendant éruitens se fit rendre
compte de
ce surveillant par les jeunes gens quiétaient
auprès de
» lui. Ils lui dircut
En faute' est son ouvrier rural; il est allé seplacer cltez
J) un autre, est c'est ainsi que les gens agissentavec lcurs
n ouvriers ruraux qui vont iL d'autres nlaitrcspour se
placer.
C'est ainsi qu'ils font. En cette occasion, il avait été
.) rebutepar
ce surveillant, il cause d'unpeu de natron et
o d'un peu de el.II lui été enjoint d'en tenircompte,
» et il n'en avait tenu aucuncompte3.
» Le grand intendant Méruitens garda le silence'; il ne
»répondit pas à ces jeunes gens; il
répondit à cet ouvriers
» rural. »
Comme on le voit, la narration est desplus simples; elle
nous apprend que l'ouvrier fugitif se trouvait du nombre
de ceux qui étaient soumis à l'autorité dupersonnage que
nous avons nomme surveillant; à la suite d'une altercation
au sujet d'un déficit dans laquantité
de natron et de sel
qu'il devait fournir, déficit qu'il fut forcé decompenser,
l'ouvrier s'évada et fut arrêté dans sa tentative de fuite par
le sur\-cillant, qui s'empara de l'âne dont lefugitif était
accompagnéet sur lequel on peut supposer qu'il avait
chargé
1. employé comme l'hébreu cerbum, sermo,
egolium. Comparez la phrase
2. mot dont je ne connais qu'un second
exemple. Voir Prisse, Monuments, XXVI, 19; sens douteux.
3.remplacer, compenser, substituer,
récompenser.
4. Voir Nom de Thèbes,p 43 [P. 285 du présent volume].
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 299
les provisions, les vêtements et les instruments qui lui
étaient nécessaires pour s'établir aillcurs. C'est l'enlèvement
de l'âne qui donne lieu aux vives réclamations de l'ou-
vrier mais, il propos des choses dont il a été privé et qu'il
redemande, il se sert du terme
qui me parait s'appliquera la propriété, au bien en géné-
ral, de même que l'hébreu se dit des vases, de toute
espèce d'ustensiles, de meubles et de parures.Le survcillant était au service d'un haut fonctionnaire
portant le titre de grand prépose de maison ou grand
intcnclant, et nommé Méruitcns. Ce personnage importanthabitait Soutensinen. C'est à lui que l'ouvrier va porter sa
plainte. Mais il n'obtient pas justice immédiate; Méruitens
se fait renseigner de dift'ércntcs manières sur les personneset sur les faits. Puis il fait au suppliant une réponse que le
texte ne rapporte pas, mais à coup sûr une réponse dila-
toire, car le malheureux est obligé de revenir il la charge.« Cet ouvrier rural vint implorer le grand intendant
» Méruitens; il lui dit Mon maître, le plus grand des
grands, guide du malheureux', si tu descends au bassin
» de la justice, vogues-y avec la justice; qu'il n'y ait
» pas de gémissements dans ta cabine; que l'infortune ne
» te suivc pas; que tes amarres (?) ne soient pas coupées;» que ton adversaire (?) ne te maîtrise pas sur la terre; que» l'eau ne (tu) soit pas emportée; ne goûte pas la vase (?) du
» fleuve; n'aperçois pas la face de terreur; que les poissons» viennent à toi; que tes pas soient détournés de la. terre
» d'Aa! Pas d'impureté sur Toi, tu es le père du
1. Tous les mots qui ne sont pas expressémentdésignéscommeap-partenant à la langue coptesont des transcriptionsde mots égyptiensen lettres coptes.
2.sans
c/iose,n'ayant rien.
3. Tout ce passage se rapporte aux incidentsdu voyagedes mânesavant le jugement d'Osiris. Il est très intéressant au point de vue
mythologique.
a00 LES PAPYRUSHIÉRATIQUESDr BERLIN
» misérable, le mari de la veuve, le père de l'orphelin, le
vêtement de celui qui n'a plus de mère. Que ton nom
» soit comme une loi dans le pays. Bon seigneur, guide
» sans rudesse, grand sans petitesse, qui anéantis la fausseté
» et fais vivre la vérité, viens à la parole qu'émet ma
» bouche. Je parte, écoute-moi et fais-moi justice. Homme
» généreux, le lllns généreux des généreux, détruis ce qui
» cause ma douleur; prends soin de moi; relève-moi; juge-
» moi; prends un peu soin de moi.
Cet ouvrier rural parlait ainsi du temps du roi de la
» Haute et de la Basse-Égypte, Neb-ka-Ra, défunt. Le
» grand intcndant Méruitens, le premier auprès de Sa Ma-
» jesté, partit. Il dit (au rui) Mon seigneur, j'ai rencontré
» celui-ci qui est un ouvrier rural, insistant àdire qu'il est
» vrai qu'on a violé sa propriété. Fais qu'il vienne à moi
» pour être jugé sur cela. »
Méruitens, quoique propriétaire du domaine sur lequel
l'ouvrier était employé, ne se croyait pas néanmoins en
droit de faire justice lui-même. Il part; Je texte montre
qu'il s'agit d'un déplacement. Le roi n'habitait donc pas
Soutensinen; mais ici, comme dans tes passages déjà ren-
contrés, le voyage est à peine mentionné, et nous trouvons
immédiatement le grand intendant en présence du roi Neb-
ka-Ra, pharaon de lu XI" dynastie, dont lo car-
touche-nom n est pas encore connu. Ce souverain porte le
titrc de roi de la Haute et de la Basse-Égypte, ce qui
prouve au moins que cette division de l'Égypte en deux
régions distinctes était pratiquée dès les plus anciennes
peut conclure qu'il avait emmené l'ouvrier
avec, lui; en effet, en s'expliquant de la sorte, il semble
bon pour
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 301
présenter l'ouvrier au roi. Du reste, dans sa réponse, le
pharaon parte de l'ouvrier 'lui est venu.
Le roi ordonne vraisemblablement un interrogatoire de
l'ouvrier, et c'est seulement après s'être fait rendre comptede l'attitude du fugitif devant ses examinateurs, qu'ilrépond a Méruitens par le discours suivant, dont la pre-mière phrase m'embarrasse. Je crois qu'il y est question de
flagellation.« Le roi dit Veuille ne pas. HWJrépond rien de ce
Mqu'on lui dit. Si l'on veut qu'il parle, il se tait. Qu'il nous)) soit fait rapport par écrit; nous comprendrons la chose;» que sa femme et ses enfants soient au roi; car c'est un
de ces ouvriers ruraux sans domicile qui est venu. Que» l'on veille encore en silence sur cet ouvrier rural, sur sa» personne1 Tu lui feras donner du pain; fais qu'il ne sache» pas que c'est toi qui le lui donnes. »
Le roi, comme on le voit, ne donne pas de solution im-médiate a l'affaire. Il est a présumer que l'ouvrier avaitété interrogé sur des circonstances qu'il était de son intérêtde tenir secrètes. L'instruction n'avait pu être complétée,et le roi ordonne qu'elle soit continuée et qu'il lui soit en-suite fait un rapport écrit. Mais il avait été suffisammentconstaté qu'il s'agissait d'un ouvrier nomade, n'ayant plusde domicile. Aussi, conformément
a un usage de l'Égypte antique que la Bible nous a fait
connaître, sa femme et ses enfants deviennent propriétéroyale. C'est ainsi qu'à une époque probablement un peupostérieure à celle des événements que raconte notre papy-rus, Abraham, cherchant sur tes bords du Nil un refugecontre la famine, se vit enlever sa femme Saraï, qui fut
placée dans la maison du roi'.
1. Sursesmembres.2. Genèse,XII,10et sqq.
302 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
Le texte continue ainsi
« On lui fit donner un pain et deux vases de hak1 chaque
jour. Le grand intendant Méruitens les lui fit donner par
» son majordome. Ce fut celui-ci qui les lui donna.
» Le grand intendant Meruitens envoya vers le Hak du
» pays de la campagne de sel, pour que l'on fit des pains
» pour la femme de cet ouvrier rural trois par jour. »
Tel est le contenu des 87 premières lignes du papyrus
n" II. Le surplus est rempli en entier par les supplications
réitérées que l'ouvrier adresse au grand intendant et par un
petit nombre de réponses brèves de ce dernier. Ces discours
déprécatifs, conçus en un style très imagé, sont d'un grand
intérêt au point de vue des usages et des mœurs; et, sous
ce rapport, ils sont dignes d'autant d'attention que le Papy-
rus Prisse; malheureusement ils présentent les mêmes dilli-
cultés que ce document, et l'on devait s'y attendre, puisqu'il
s'agit, dans l'un et dans l'autre cas, de compositions de
nature philosophique. Malgré l'immense profit que l'on peut
retirer de l'étude de cette partie du papyrus, je ne m'y
arrêterai néanmoins pas ici; elle n'ajoute aucun fait nou-
veau au récit que nous a livre la première partie, et la lin
du manuscrit, même en y comprenant le papyrus n° IV,
nous laisse encore dans le cours des interminables suppli-
cations de l'ouvrier rural. Le fragment qui manque il la lin
nous aurait probablement appris le succès de ces réclama-
tions si souvent réitérées.
Il nous suIlira, quant il présent, de faire remarquer que
le roi n'intervient plus dans l'anaire. Tout se débat entre
l'ouvrier et Meruitens, qui l'un et l'autre étaient rentrés
iL Soutensinen. C'est ce que nous montre un passage dont
nous allons encore donner la traduction (lig. 193 et sui-
vantes)
« Cet ouvrier rural vint le supplier une quatrième fois;
1.0 Il. Le hak était une pièce de bière.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 303
» il le trouva sortant de la porte du temple de Horshaf. Il» lui dit Qu'il t'accorde ses faveurs, le dieu lIorshaf, de la
demeure duquel tu sors; qu'il te fasse jouir du bonheur;
qu'il ne s'oppose pas il toi », etc.
Ainsi que l'a déjà fait remarquer M. Brugsch, Horshaf
est désigné par les monuments comme le dieu principal de
Soutensincn. Mais notre papyrus nous apprend de la ma-nière la plus positive que le temple de cette ville portaitréellement la dénomination de temple de Ilorshaf. Résu-
mons maintenant ce que l'on sait de cette localité impor-tante, en y ajoutant les données du papyrus que je viens
de faire connaitrc.
III
LE SOUTENSINEN
A la localité nomméea
se rattachent plu-
sieurs des plus anciens mythes de la doctrine osiridienne;
son nom hiéroglyphique est écrit de différentes manières,
dont la lolus ordinaire est celle que je viens de reproduire;
souvent le mot SUTEN est exprime par son premier signe
seulement, et quelquefois le sigwc demeure est combiné avec
les autres éléments du nom, sous les formesn
ouquijettent quelque embarras dans la lec-
turc et dans l'interprétation du nom, parce qu'elles tendent
à faire considérer le signe de l'enfant comme indépendant
Il y a lieu toutefois de remarquer que l'on possède deux
autres dénominations géographiques d'une construction
analogue; la première est SUTEN-NEN, le Nen
du roi, et la seconde, 0 TA-NEN, le Nen du
304 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
pain.0 serait donc le Nen du fils royal ou du
prince. On n a pas encore trouvé de variantes substituant
au signe de l'enfant ses équivalents, l'oie ou l'œuf, qui se
lisent SE, SI, tandis que l'enfant peut admettre la valeur
phonétique des mots nombreux auxquels il sert de déter-
minatif habituel, tels que c, .uc, etc. Il suit
de là que, quant a la lecture du nom, elle reste provisoire-
ment incertaine. Nous admettons celle de Soutensinen, quiest plus euphonique et qui présente d'ailleurs au moins au-
tant de probabilité que toute autre.M. Brugsch a rassemblé dans sa Géographie les passages
du Rituel qui ont trait au Soutensinen. L'un des plus im-
portants est celui qui nous montre ce lieu mystique servant
de retraite au Bennu, ou phénix1. C'est là que l'oiseau
sacré changeait de forme ou renaissait de lui-même, ainsi
que le constate un autre passage ou le défunt est assimilé
au soleil prenant naissance dans le très grand nid qui est
à Soutensinen 2. Après cette naissance a commencé l'orga-nisation du monde et le règne du soleil, à ce que nous
enseigne encore un texte du Rituel C'est le soleil quandil s'est levé et qu'il a commencé son règne. Il a fait le
commencement; c'est le soleil qui s'est levé Ù Soutensinen,
étant non engendré3.
Ainsi donc Soutensinen avait été le théâtre de faits quise transformèrent en mythes fondamentaux. S'il est vrai
que le soleil soit le dieu spécialement nommé dans les textes
que je viens de citcr, il ne s'agit point ici de la forme
céleste ou sidérale de ce dieu, mais de l'une de ses manifes-
tations terrestres, dont le développement constitua le per-
sonnage d'Osiris. C'est pour cela que le dieu local est invo-
1. Todlenbuch, ch. cxxv, 11 Ma pureté est celle de ce grand Bennu
qui est dans Soutensinen.
2. Ibid., ch. xvn, 16.
a. Ibid., ch. XVII, 2.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 305
BIBL. ÉGYPT., T. x. 20
que sous le titre d'Osiris, le très redoutable, seigneur de la
couronne Alef dans Souteninen1.
Soutensinen fut d'ailleurs le théâtre dutriomphe cl'Osiris,et ce dieu y reçut la double couronne, qui symbolise la
royauté de la Haute et de la Basse-Égypte2. Jl y mourut
et fut enseveli sous la forme de âmebienfai-
sante. A ce moment, l'organisation des deux mondes, c'est-
a-dire des deux Kgyptes, et leur réunion sous un même
spectre furent définitivement accomplies3. Ce fait considé-
rable remonteainsi aux dynasties divines, c'est-à-dire aux
temps héroïques de l'Égypte; aussi Menés, le premier roi
humain dont lc nom soit parvenu jusqu'à nous, reçoit a bon
croit le de roi de la Haute et de la Basse-Égyptedans
tes cartouches que nous connaissons de )ui.
adorée à Soutensinen, porte le nom de
qui présente diverses variantes, et notamment l'orthographe
papyrus.Ce nom comporte trois significations, dont les
Égyptiens faisaient probablement application au même
dieu, savoir Face de bélier, Supérieur de la crainte, et
Supérieur de sa localité.
M. Brugsch a identifié Soutensinenavecl'oasis d'Ammon,où l'on a retrouve les restes du temple du dieu à tête de
bélier, mentionné par les anciens historiens1 Partout, dit
1. Todlenbuch,ch. 25, 3èrang.Cf.: OsirisOunnefer,dieu
grandde l'Alef,chef,seigneurclcla crainte,le très redoutable(stèled'EntefauLouvre,lig.1).
2. Todlenbuch, ch. XVII, 69, 70.
3. Ibid., lig, 71 et 72, lemot âme, icrit ici
par le bélier rappelle par allusion le dieu criocéphale de Souten-
sinen, en sa qualité d'âme d'Osiris.
4. Lco Pellæus, Fragmenta Historicorum græcorum, édit. Didot,
t. II, p. 382; Phæstus, Lacedæmoniaca, ibid., t. IV, p. 72; l'ausanias,
liv. VIII, xxxn Arctis cornua cupile præfert, etc.
306 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
M. Caillaud, en décrivant les ruines d'Omm Beidah, la
figure t'ctête de bélier y est répétée et reçoit des offrandes1.C'est aussi un dieu criocéphale que les monuments relatent
comme l'objet principal du culte de Soutensinen, et, sur
ce point, notre papyrus est des plus concluants lorsqu'ilnous montre le grand intendant Meruitens sortant du templede Horshaf.
Indépendamment de cette identité de culte, M. Brugsch
s'appuyait encore sur les données de la stèle de Naples2,dans laquelle un fonctionnaire de l'ordre sacerdotal raconte
que son lieu lzciordonna de se rendre à Soutensinen; qu'il
navidccasur le Ouat-Oer3; qu'il n'eut pas de crainte; qu'il
ne faillit paset l'ordre du dieu, et qu'il arriva ÙSoutensinen
sans avoir perdu un chcvcu dc sa tête. Ces mentions
prouvent en effet clue l'on pouvait se rendre par mer a Sou-
tensincn et cluc le voyage présentait quelques difficultés et
quelques dangers. Or, ces conditions sont précisément celles
du voyage à l'oasis d'Ammon, par le port de Parætonium,aussi noulmc Ammonia, sur la Méditerranée, à 1.300stades
d'Alexandrie'. De ce port on se rendait en cinq jours à
l'Ammonium, par la route du désert, sur laquelle Ptolémée
indique la station d'Alexandri Castra. C'est en effet sur
cette route qu'Alexandre et ses troupes faillirent succomber
it la soif et ne durent leur salut qu'a une pluie abondante,
phénomène rare dans ces climats et qui fut considéré comme
un signe de la protection divine5.
Examinons les données que notre papyrus nous fournit
pour la solution du problème.Ces données se résument en ceci qu'un ouvrier établi
1. Caillaud,VoyageciMéroéetaufleuveBlanc,t. I, p. 119.2. Brugsch,Géographie,t. 1,pl.LVIII.3. LaMéditerranée.4. Strabon,Géographie,XVII,§14.LesGrecs,quiallaientconsulter
l'oracle,prenaientvraisemblablementla mêmeroute.5. QuintusCurtius,HistoriaMagniAlexandri,lib.IV.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 307
dans un pays nommé c'est-à-dire la
contrée de la campagne de sel, puni pour une tentative
d'évasion, se rendit à Soutensinen pour implorer la pitié
du propriétaire du domaine. Dans ce pays de la campagne
de sel, l'ouvrier était employé à l'extraction du natron
et du sel f.1<T). Ces
renseignements nous permettent de placer le lieu de la
scène entre la vallée des lacs de Natron et l'oasis d'Ammon,
où le sel et le muriate de soude se rencontrent en abon-
dance. M. Caillaud y a vu de vastes plaines couvertes do
sel' et a remarque que les roches, qui sont de nature cal-
caire, y sont décomposées par la soude muriatée'. Mélangé
avec le sable et les terres, le sel s'extrait en blocs dont on
construit les maisons; le muriate de soude y est aussi em-
ployé à cet usage. Les anciens temples se tenaient abon-
damment approvisionnés de sel et de natron, substances
précieuses l'une et l'autre par la diversité de leurs emplois.
D'après un passage relevé par M. Harris dans son grand
papyrus, l'inventaire de l'un des temples de Thèbes comptait
48.000 tebs de natron et pareille quantité de sel. Il
est permis d'en conclure que l'exploitation de ces minéraux
était réglementée par les Pharaons, ou que tout au moins
elle formait un objet de gtand intérêt pour les propriétaires
des terrains qui les produisaient.
Nous avons vu que l'ouvrier avait emmené un ane dans
s:t fuite. C'est encore aujourd'hui avec des ânes que les
habitants de l'oasis et des rares villages qui l'entourent se
rendent à Alexandrie et à Terranch. En ce qui concerne les
végétaux cités, j'ai déjà avoué mon incertitude relativement
augroupe
s'il s'agit réelle-
ment du palmier-dattier, comme c'est probable, on sait que
1. Loc. laud., p. 50.
2. Ibid.,p. 52.
308 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
c'est un arbre dont on retrouve encore les traces au voisi-
nage des lacs de natron, tandis qu'une foule de troncs pétri-fiés de la même espèce jalonnent la vallée du fleuve aujour-d'hui sans eau. Avant d'arriver a Gharah, village situé à
20 Heues de l'oasis, M. Cailluud vit une vallée fertile en
palmiers et en acacias, avec beaucoup d'herbes épineuses'.On sait d'ailleurs que les dattes de Siwah sont classées en
première ligne parmi les plus estimées, et qu'elles consti-
tuent lu branche principale du commerce de l'oasis avec la
Barbarie, l'Égypte, le Fezzan et les autres oasis'. Au sur-
plus, les arbres fruitiers ahondent dans cette localité célèbre;
on y trouve notamment la vigne, l'olivier, le figuier, le
prunier, le pommier, l'abricotier et le grenadier3.Deux autres végétaux sont cités dans notre papyrus,
savoir le tamarisque, arbuste des déserts, clui a été re-
connu exister de nos jours au voisinage des lacs de Natron,
et le arbre que la forme de son nom nous représente
comme un bois dur ou épineux, et que j'ai assimilé à l'aca-
cia. Cette espèce, qui croit de nos jours dans les déserts
voisins de Siwah, est connue comme ayant fourni des in-
grédients à l'ancienne thérapeutique. De même,le
est fréquemment désigné dans les recettes du Papyrus mé-dical.
Tout semble donc se réunir, quant a présent, pour assurerl'identification de Soutensinen avec l'oasis d'Ammon. Il se
présente cependant une ohjection, en ce que notre texte dit
que Méruitens sortit de la porte de sa maison pour monter
iLsa barque d'Arri4, ce qui semble supposer l'existence
1. Loc. laud., p. 50.2. Ibid., p. 101.3. Ibid., p. 87.
4. appr, désigne une espècede forteresseou de poste
pouvantservir de prisonet d'entrepôtfortiGe.Des postesde cettenature
devaientavoir été établispour recevoirlesapprovisionnementsdestinés
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 309
d'un lac ou d'un cours d'eau navigable. A cette condition
pourrait à la rigueur satisfaire le lac d’Arachich’, au nord-
est duquel se voient encore des tombeaux égyptiens. Mais,dans la réalité, le passage ne doit pas être entendu comme
s'appliquant nécessairement à un embarquement immédiat
a la sortie de la demeure. Letexte est en général très sobre
de détails en cc qui concerne les déplacements des person-
nages. Il se contente de mentionner le départ, comme par
exemple lorsque l'ouvrier part pour Soutcnsinen
et lorsque Méruitens va trouver le roi
aucun incident du voyage, ni de l'arrivée, n'est
relaté; les voyageurs sont sans transition mis en présencedes personnages qu'ils se proposaient de voir. En ce quitouche le retour à Soutensinen, qui eut certainement lieu,
puisque nous retrouvons plus loin Méruitens revenu à son
domicile et visitant le temple de Horshaf, il n'en est même
fait aucune mention. Il est donc bien certain que, lors même
qu'il se fut agi d'un voyage depuis l'oasis jusqu'en Égypte,le texte ne se serait pas expliqué différemment. On en
tirerait seulement la conséquence que Méruitens alla s’em-
barquer au port le plus voisin, c'est-à-dire a l'un des endroits
cjui furent plus tard Apis ou Parætonium.
Une inscription gr:wée sur les rochers d'Iiammamat' ra-
conte que le roi Osortascn III envoya cherchcr etRohannu3
des statues depierre qu’il y avait fait faire pour son père
Horshaf, seigneur dc Soutensinen. Ce zèle orgueilleux,
à l'oasislorsde leurdébarquementau portsur laMéditerranée.Dansce cas, la barquequi servaitspécialementaux transportsdu grandintendantsenommaitnaturellementsa barqued'Arri.
1. Celac a cinq ou six lieuesde tour. Ony voitquelquesilotsquin'ontpasétéexplorés(Caillaud,Voyage,etc.,vol.1,p. 249).
2. Denlimüler,11,136a.3. Rohannuest l'une desprincipalescarrièresde la valle d'Ham-
mamat,audésertArabique.
310 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
qui consistait à déplacer d'énormes masses pour les trans-
porter d'un désert dans un autre, était tout à fait conforme
aux prétentions qu’affichaient les anciens Pharaons. Divers
monuments nous les montrent en effet se vantant d'avoir
suhstitué les unes aux autres les populations les plus di-
verses, et fait servir iLla splendeur du culte les tributs des
nations les plus éloignées. Assurément la statue du dieu de
l'oasis, que Quinte-Curce nous décrit comme richement
parée d'émeraudes et de perles', n'avait point été taillée
dans un hloc des roches du voisinage, Du reste, M. Caillaud
a reconnu, parmi les matériaux du temple, de gros blocs
de calcaire spatliiclue ou d'albâtre mamelonné', qu'ont du
fournir les carrières situées à l'est d’El-Bosra, dans la chaine
Arabique.Mais à ces renseignements sur le Soutensinen viennent
aujourd'hui s'ajouter ceux qu'a livrés à M. de Rougé l'ins-
pection de la stèle de Barkal. Ainsi que je l'ai expliqué en
commençant, je n'ai pas l'espoir d'avoir prochainement la
faculté d’examiner le texte; je suis donc force de m'en tenir
aux explications du savant académicien, quoiqu'elles n'aient
pas été rédigées en vue de l'étude particulière du point qui
m'occupe.Ce qui me frappe au premier abord, dans le récit de la
campagne de Piankhi, c'est l'absence de toute date; rien
n'y indique l'intervalle qui s'est écoulé entre les événements.
Apria sa première victoire, le conquérant était revenu à
Thèhes; il ne se décida à se porter contre les troupes de la
Basse-Égypte qu'à la nouvelle du succès partiel obtenu parle roi Nemrod, l'un de ses adversaires. Encore ne se mit-
il en marche qu'après avoir célébré la grande panégyried'Ammon. Quoique la guerre eút été continuée par ses géné-
raux, il est vraisemblable que les événements ne furent pas
1. Historio Magni Alexandri, lib. IV; DiodorusSiculus, XVII, 50.2. Loc. land., p. 120.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 311
précipites, puisque, dans l'intervallc des deux premièresbatailles, les vaincus eurent le temps d'organiser contre
Piankhi une formidable coalition. Il serait donc possible
que les chefs de l’arméevaincue, après leur défaite au sud
de Thèbes, se fussent retires au Fayoum, et, de là, il l'oasis
d'Ammon, par l’une des nombreuses routes qui existent
encore.
On conçoit d’ailleurs l’utilité de ce mouvement; il s'agis-sait de s'assurer l’alliancedes Maschawascha,
dans lesquelsje vois le peuple de race
libyenne qui occupait la Marmarique, la Cyrénaque et les
oasis, et dont les Siwahiens, race de couleur plus foncée
que les Égyptiens, sont peut-être les descendants directs.
Constamment mis en rapport par les monuments avec les
Tamahu,et les Libu,
peuples du nord de l’Afrique, les Maschawaschasont aussi
rapprochés des Nègres dans le Papyrus Anastasi I. Ce docu-
ment, en énumérant les troupes diverses employées à une
expédition dans le désert Arabique, cite en effet 480 Ma-
schauascha Négres’, ce qui cependant pourrait aussi expri-mer l’idée Maschawascha et Nègres.
Mais, soit que ce peuple comprit réellement des Nègres,soit qu’il se les procurât par suite de son voisinage ou de
ses relations avec le Soudan, nous sommes toujours amencs
il conclure que lca tribus dont il était composés'étendaient
de la Méditerranée jusqu'aux déserts méridionaux. Les
égyptiens eurent fort à faire pour empêcher les dépréda-tions de ces Bédouins indociles. Nous les avons vus enrôlés
dans les troupes auxiliaires de Ramsès II; plus tard, on les
trouve charges de la police des hypogées à Thébes; mais
cette soumission de quelques tribus stipendiées n'assurait
pas celle du reste de la nation, et Ramsès III, dans ses
1. PapyrusAnastasiI, pi. XVII,lig. 3.
312 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE MERLIN
guerres contre les Libu, eut à comhattre les Maschawascha.
Ce phanaon, dit un texte', s’empara des Tamahu aidés
des Maschawascha. Ceux qui exerçaient des dépréda-tions contre l’Égypte journellement furent jetés étendus
sous ses picds.L'alliance de ces dangereux voisins était donc un point
de grand intérêt pour le chef de la Basse-Égypte, mcn.ccé
par l’armée éthiopienne. Pour traiter avec eux, nul lieu
n'était plus convenable que l'établissement égyptien de
l'Ammonium, place au centre de leur territoire.
Cette alliance fut en ellet conclue, car, au nombre des
personnages qui firent leur soumission après le succès défi-
nitif des armes éthiopiennes, on compte trois grands chefset deux chefs des Maschawascha, ce qui prouve évidem-
ment qu'un corps de troupes considérable avait été fourni
par ce peuple.Le préfet égyptien de Soutcnsincn, dont le titre habitues
était celui de (principium, princeps), avait imité
les chefs des autres provinces de la Basseet de la Moyenne-
Égypte; il s'était fait attribuer le titre de souten ou roi,et avait pris part à la coalition. Mais, après la prise d’Her-
mopolis, il se hâta de faire sa soumission.
M. de Rouge, en analysant le texte de la stèle, conclut
que Soutensinen ne doit pas être fort éloigné d'IIermopolis.Cette conclusion ne résulte toutefois pas nécessairement
des données que je viens de rappeler. De ce qu'après la
bataille qui eut lieu au sud de Thèbes, les vaincus se sont
retirés à Soutensincn pour y organiser une coalition des
chefs de la Basse-Égypte et des Maschawascha, il ne s'en-
suit pas que ,Soutensinendoive être clierclié dans l'un des
nomes de la Haute-Égypte; le lieu n'aurait pas été bien
choisi. L'organisation dc la coalition, la distribution des
commandements et le rassemblement des troupes exigèrent
1. Rrugsch,RecueildeMonuments,pi.LV,2.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 313
forcément un temps assez long. Aussi le lieu de la premièrerencontre des confédérés avec l'armée éthiopienne, Heu
que le texte ne fait pas connaître, ne peut évidemment rien
faire préjuger quant à la situation de Soutensinen. Il est
évident du reste que les chefs seuls se sont transportés dans
cette localité, et que leurs forces respectives, cantonnées
dans la Basse-Égypte, dans le Fayoum, et peut-être, en ce
qui concerne les fuyards, dans les plus rapprochées des
oasis, ne furent qu'après le traité réunies et conduites a la
rencontre des Éthiopiens. Rien ne nous indique que le roi
de Soutcnsinen n'ait pas pris part en personne à la cam-
pagne. Mais, lors même qu'il aurait appris à l'oasis les
succès de Piankhi, son voyage iLHcrmopolis n'offrait au-
cune difficulté sérieuse, et cette visite au vainqueur ne
suppose pas nécessairement la proximité de la résidence du
vaincu.
Mais il est en outre un point capital, c'est que Souten-
sinen ne s'est pas rencontré sur la route de l'armcc éthio-
pienne, clui a suivi les bords du Nil. On ne le trouve
mentionné ni parmi les villes occupées par les chefs de la
Basse-Égypte, ni parmi celles dont les Éthiopiens s'empa-rèrent de gré ou de force, ni parmi celles où le roi vain-
queur se rendit pour faire ses dévotions a des sanctuaires
célèbres. Le roi de Soutensinen n’apparaît pas non plus au
nombre des chefs dc la Basse-Égypte, énumérés au nombrc
de quinze, sans compter le prince de Sais, qui se soumit
le dernier.
De ces circonstances, il est permis de conclure que Sou-
tensinen, centre religieux et politique d'une très grande
importance, n'était pas topographiquement situé de telle
manière qu'il put facilement être occupé par une armée
marchant dans la vallée du Nil. S'il en eût été autrement,
Piankhi n'eût pas manqué d'aller rendre hommage au dieu
de la localité, comme il le fit à Thèbes, it Memphis, aux
divers sanctuaires d'Héliopolis et à Remuer.
314 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
Remarquons enfin que les tableaux des nomes n'ont jamaisfait mention de Soutcnsinen. Ceci exclut tout d'ahord la
pensée que cette ville puisse être confondue avec Héra-
eléopolis,métropole d'un de ces départements de l’ancienne
Kgypte, et il faudrait admettre, si l'on devait nécessaire-
ment la chercher dans un nome égyptien, qu’elle ne fut
pasmême une bourgade de quatrième ordure, uu écart (en
égyptien pahu), ce qui est évidemment inadmissible
pour une villc qui fut le siège d'une royauté partielle.Il serait surprenant, en définitive, qu'un lieu aussi célèbre
dans l'antiquité que l'oracle d'Ammon n'eut pas laissé de
souvenirs dans les hiéroglyphes. Cet oracle était rattaché
par la tradition aux mythes des temps héroïques de la
Grèce. Percée l'avait consulté avant de combattre la Gor-
gone Hercule, dans sa guerre contre les Libyens'. Plus
tard, Sémiramis vint l'interroger sur la manière dont elle
mourrait1. A son tour, Alexandre le Grand voulut y rccc-
voir la confirmation de son origine divine'. Maisle conqué-rant macédonien, en cette circonstancc, n'obéissait pas
uniquement à l'exemple des héros fabuleux dont il se préten-dait le descendant, car la fréquentation de l'oracle d'Ammon
par les Grecs n'était point un fait rare iLson époque. Nous
n'irons pas sacrifier à Delphes ni à Ammon, dit Pisthété-
rus dans la Comédiedes Oiseaux, un siècle avant Alexandre,
et, dans la même pièce, le chœur, célébrant les services
que les oiseaux rendent aux mortels, constate clu'ils leur
tiennent lieu d’Ammon, de Delphes, de Dodone et de
Phœbus-Apollon4, c'est-à-dire des oracles les plus renom-
més, au premier rang desquels figure celui de l'oasis. Pau-
sanias constate aussi le crédit dont jouissait chez les Grecs
1. Arrien,Expéditiond'Alexandre,liv. 111,ch. III.2. DiodoredeSicile,liv. II, ch. xiv.3. Arrien,loc.cit.; Diodore,liv.XVII,ch.XLIX.4. Aristophane,LesOiseaux,v.619et716.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 315
le Jupiter libyen'. Pour se rendre l'oracle favorable, Ly-sandre ne craignit point de chercher à corrompre les grands
prêtres1. C'est encore a cet oracle que s'adressèrent les
Rhodiens pour savoir s'ils devaient honorer Ptolémée Soter
commeun dieu'.
Rapportant a leur propre mythologie les légendes des
autres peuples, les Grecs firent d'Ammon le père de Dio-
nysus (Bacclius). Secrètement élevé à Nysa sous la protec-tion d'Athéna (Minerve), la déesse vierge, Dionysus acquittoutes les perfections physiques et intellectuelles. Son pèreAmnon ayant été renversé du trône par Cronos (Saturne),
Dionysus reconquit son royaume par les armes, et fonda à
l'oasis une ville et un temple dans lequel il établit le culte
et l'oracle d'A.mmon. Le dieu était représenté ayant une
tête de bélier. Aprèsavoir, le premier, consulté l'oracle de
son père et appris ainsi que l'immortalité lui était assurée
pour les bienfaits dont il comhlerait les humains, Dionysus
parcourut le monde, enseignant aux Égyptiens et aux
autres peuples à cultiver la vigne et les arbres fruitiers4.
Après Ammon et Dionysus, Zeus (Jupiter) hérita de l'em-
pire du monde.
Toute défigurée qu'elle l'a été par l'imagination des
Grecs, cette fable reproduit encore quelques-uns des traits
essentiels du mythe d'Osiris. Ce dieu, reformé par Isis, fut
en effet élevé secrètement, et quand son bras fut devenu
fort, il se fit rendre justice et obtint de nouveau la souve-
raineté des deux mondes'. En égyptien, Ammon est le
dieu caché, dont Osiris est l’émanation bienfaisante. Mais
les Grecs, étrangers à la connaissance des hiéroglyphes,
1. LivreIII,ch. xvm.2. Diodore,liv. XIV,ch.XIII.3. Diodore,liv. XX,ch. c.4. Diodore,liv. 111,ch. LXVIIetsuiv.5. VoirHymneit Osiris,Revuearchéologique[1"série],1856,p.12
[cf.1.1,p. 109-110,desŒuvresdicersesdeChabas].
31G LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
se contentaient des rapprochements hasardeux que leur
fournissait leur propre langue, et Jupiter-Ammon fut pour
quelques-uns d'entre eux le Jupiter des scthles ("A).D'autres prétendaient qu'un pasteur nommé Ammon avait
été le premier fondateur du temple. En ce qui touche la
tête de bélier, l'imagination des Grecs n'a pas été moins
féconde. Aussi, dans ce qu'ils nous rapportent des temps
antiques, devons-nous éliminer avec soin les commentaires
dont ils ont presque partout surchargé les faits originaux.Quoi qu'il en soit, il est bien certain que le dieu que les
Grecs allaient consulter a l'oracle était un dieu égyptien.
Quatre-vingts prêtres, au dire de Diodore1, étaient occupésaux cérémonies de son culte. Porté par eux sur une barque
d'or, conformément à la pompe si souvent figurée sur les
monuments de l'Egypte, le dieu rendait ses oracles par
l'organe du prêtre du rang le plus élevé. Nous savons de
même, par les renseignements empruntés aux monuments
de l’Égypte, que des prêtres du rang deprophètes,
étaient attachés au sacerdoce de Soutcnsinen. Sous les
Bubastites, un prince de la, famille royale occupa le postede chef de ce sacerdoce2. Des femmes aussi participaient au
service du temple; elles portaient le titrede A1,
qui suppose une fonction en rapport avec le chant ou la
musique. Diodorc mentionne aussi la foule des vierges et
des matrones ( x xx xz) qui suivaient en
chantant le cortège du dieu.
On se rcnd it l'oasis par plusieurs routes qui débouchent
sur la vallée du Kil et sur le Delta, depuis le Fayoum
jusqu’à Alexandrie. La plus courte de ces routes part de
Terranch et traverse la région des lacs de Natron3. Elle
1. Livre XVII, ch. L.
2. Mariette, Les Apis, p. 12.3. Hérodoteplacel'oasisd'Ammonà sept journéesdeThèbes(liv. III,
LLS PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 317
exige dix iLonze jours de marche; on y rencontre de l'eau
de distance en distance. Mais, au temps de la puissancedes Pharaons, des communications mieux organiséesavaient
dû être établies; il est probable qu’alorsla contrée présentaitune physionomie bien différente de celle qu'elle a revêtue
dc nos jours. D'après les observations des savants de la
Commission d’Égypte, un bras du Nil a du s'écouler jadis
par la vallée du fleuve sans eau. On sait que les branches
par lesquelles ce neuve se jette dans la Méditerranée ont
subi diverses modifications; les eaux se sont retirées de
l'ouest vers l’est. Du reste, ni l'eau ni la végétation ne
manquent absolument dans les déserts de Libye; mais, de-
puis la disparition du peuple puissant et riche qui n'avait
pas craint d'y fonder l'un de ses principaux sanctuaires,les sables ont continué leur marche éternelle et couvert les
derniers vestiges du travail de l'homme. A Memphis, tout
près du Nil, il n'était pas sans danger, au temps de Strabon,de parcourir l'avenue de sphinx dans laquelle, aux jours de
fête, défilait jadis le pompeux cortège des rois et des dieux.
Depuis l'époque du célèbre historien, les sables ont tout
surchargé d'une couche épaisse, et tout a disparu, même de
la mémoire des hommes. Il a fallu la merveilleuse sagacitéde M. Mariette pour rendre il la lumière temples et sphinx
perdus depuis de longs siècles.
Nous ne devons donc pas juger de l'état de ces déserts
aux temps pharaoniques d'après celui dans lequel nous les
retrouvons tant de siècles après la destruction des établis-
sements qui firent leur gloire'. Les récits merveilleux des
ch.XXVI),et uneautrefoisa dix journées(liv. IV,ch. cxci).Cesdeuxévaluationssontbeaucouptropfaibles.
1. LestroupesqueCambyseenvoyacontrelesAmmonienspartirentdeThèbes.Hérodoteaffirmequ'ellesallèrentjusqu'àl'oasiset qu'ellespérirent(liv.11I,2ü).On a généralementrévoquéen douteles dim-cultésquelessoldatsd'Alexandrecurentà surmonterdansleurmarche
jusqu'au-templedeJupiter-Ammon.Leshistoriensne sontpasd'accord
318 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
Arabes qui les fréquentent de nos jours pourraient n'être
pas seulement le fruit de l'imagination ingénieuse de ces
conteurs. Ces délicieux jardins cachés au milieu des sables,et qui échappent aux recherches de ceux qui veulent les
découvrir1, se réfèrent peut-être à un état de culture dont
un vague souvenir s'est perpétué de siècle en siècle. Dans
tous les cas, le papyrus de Berlin n° I nous apprcnd de la
manière la plus certaine que la conlrce de la plaine de sel
était habitée et gouvernée, comme tous les centres de popu-lation établis dans les déserts voisins de l’Égypte, par un
hak(), qui y faisait exécuter les ordres du pharaon.
Remarquons d'ailleurs que l'oasis d'Ammon a constam-
ment fait partie du domaine des maîtres de l'Egypte, de-
puis les plus anciennes dynasties jusqu'aux Lagidcs et aux
Romains. A leur tour, les Arabes s'en rendirent maîtres
et en convertircnt les habitants à l'islamisme. En 1820,Méhémet-Ali y envoya une petite arméeavec de l’artillerie,et soumit les Shvahiens à un tribut de dattes. Nous n'avons
donc pas it éprouver le moindre étonnement s'il nous arrive
de rencontrer cette localité célèbre, mentionnée par des
documents égyptiens commeayant été en rapports religieuxet politiques avec l'Egypte des temps pharaoniques. C'est
le contraire qui pourrait nous surprendre.Soutensinen, localité où les documents originaux nous
montrent le temple du dieu criocephale établi it une époquede beaucoup antérieure aux plus anciennes dates de l'his-
toire rapportées par les classiques, présente avecle célèbreor,clc de Jupiter-Ammon, clui remonte aussi aux sièclesde la Fable, des points de rcsscmblance tellement frappants,
qu’il était utile de les rassembleur,en y ajoutant les rensei-
surlecheminqu'ilsprirentau retour(Arrien,Expéditiond'Alexandrc,liv. III,ch. n).
1. Caillaud,Voyage,etc.,t. I, p.41.LesArabesracontentaussiquele paysa étéciviliséparBousir,ancienroiégyptien,danslequelil estaisédereconnaîtreOsiris.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES bG BERLIN 319
gnements que vient de fournir l'intéressant travail de M. de
Rougé sur la stèle de Barkal, ainsi que ceux que j'ai pu
déchiffrer dans le papyrus hiératique n" II de Berlin. Ces
éléments importants ont manqué à mon savant ami, M. le
docteur Brugsch, qui, le premier, a. proposé l'identification
sur laquelle je reviens aujourd'hui. La question touche, ainsi
qu'on l'a vu, à des points très intéressants pour l'histoire
et pour la géographie. Espérions que de nouvelles décou-
vertes viendront bientôt combler les lacunes que laissent
encore subsister les documents actuellement connus.
IV
LE PAPRYUS HIÉRATIQUE N" 1
De même que pour le papyrus n" II, nous n'avons aucun
moyen d'évaluer l'étendue du fragment qui manque au
commencement du papyrus n° I. Mais celui-ci est complet
à la fin, ainsi que le prouve la clause finale déjà rencontrée
dans le n" III et le Papyrus Prisse C'est fini, de son
commencement à sa fin, comme on le trouve clctrts l'écrit.
Le papyrus n° I'contient les relations d'un de ces hardis
pionniers que les Pharaons de l'Ancien-Empire chargeaient
d'explorer les régions voisines pour y établir peu à peu la
domination égyptienne. Les missions dont l'auteur nous
entretient se placent sous le règne d'Amenemha Ier et sous
celui de son fils Osortasen Ier. Ainsi, par leur nature et par
leur date, les indications que cet anticluc manuscrit nous
livre en font un titre récllement inestimable.
Au début de ce ytl'il nous reste du texte nous trouvons
le voyageur dont le nom est Sineh, partant
pour un voyage périlleux. Il gagne un lieu, dit le bassin de
Snefrou, et s'arrête au domaine de la campagne
320 LETSPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN
« Je m'éloigne, dit-il, il faisait jour; je surprends unindividu; se tenant éloigné, il me salue; il avait peur. Il
» arriva ensuitequ'il avait la faced'une jeuncfille1.Je conti-» nue ma route jusqu'à la ville de (lacunc). Je m'embarque» dansun bateaudetransport sans gotmcrnail.MJe gagnele village d'Abet (de l'Orient, ).
»
Ici une nouvelle lacunede plusieurs mots interrompt lanarration. D'après ]es débris du dernier groupe, il paraitque le voyageuravait visitéun sanctuaire.
« Je me mis il marcher il pied jusqu'à ce que j'eusse» rejoint la muraille que le hak avait faite pour repousser» les Sati. »
Cette importante indication nous montre que les Pha-raonsde l'Ancien-Empireavaientconstruit un rempartpourarrêter les incursionsdes Sati. J'étudierai plus loin le nomde cepeuple. Il est il présumerque la murailleen questionse trouvait placéeentre le golfe de Suezet le lac Menzaleh,ou dans la directiondePéluse, et qu'elle défendaitles pas-sages lesplus facilesde cette région déserte. La premièrelocalitéou nous trouvonsnoire explorateurporte lc nomde
Shc-Snefrou, c'est-à-dire de bassin de Snc-
frou3.Il s'agit certainementd'une bourgade a laquellecetancienpharaonavait laissésonnom, et l'on sait quec'est àlui que remontentles plus anciens établissementségyptiensdu Sinaï. She-Snefrou était sans doute l'une des stations
qu'il avait disposéesau désert d'Arabie, sur la route de la
1. Levoyageurraconteici sa rencontresoudained'unejeunefille,qu'ilprit d'abordpourun homme,et qui manifestadessignesdefrayeur.
2. Ceslocalitéspourraienttrèsbienûtrecomprisesdansle territoirequi formaplustardle nomed'Orient,le XIVedans les listesdeM.Brugsch.
3. La présencede l'eauétaitunedesconditionsindispensablesàl'établissementdetoutcentredepopulation.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 321
BIBL. ÉGYPT., X. 21
mer Rouge.Sinell
s'embarquesur cette mer, et comme le
navire, grossière barquede
transport pour lecabotage
des
marchandises, n'avait pas degouvernail,
il est forcé de dé-
barque et de continuer sa route à pied jusqu'au mur élevé
par le pharaonou
parle hak', gouverneur
de laprovince.
« La fatigue' me surprit dans un bois d'effrayante appa-
rence; je m'arrétai. Au jour où ma tête se trouva rafrai-
» chic, je repartis; c'était au temps del'équinoxe; le soleil
» se levait. J'arrivai à Patan; j'entrai dans labourgade
de
Kam-Uer. La soif tomba sur moi soudain. je dis Le
»goût
de la mort est tel. Je relevai mon cccur et rétablis
» mes membres; j'entendaisla voix délicieuse des
troupeaux.
»J'aperçus
un Sati, qui me demanda mon cheminpar
là'
» et si j'étais del'Égypte.
Il me donna de l'eau et me fit
» chauffer du lait. J'allai avec lui vers sa tribu. Il voulut me
» donner une terre de sa terrc. Je refusaisur-le-champ. Je
)) me hâtai (d'arriver) à Atem. »
PATAN, nous est complètement inconnu mais
M. Brugsch a classé deux bourgades portant le nom de
KAM-UER, l'une comme écart du nome Ilélio-
polite, l'autre dans le nome Coptite. Ni l'une ni l'autre ne
peuvent être assimilées au Kam-Uer de notre papyrus, au-
près duquel notre voyageur fut exposé it périr de soif. Les
noms significatifs attribués par les Égyptiens à des localités
trouvaient aisément des applications nouvellcs, et les mêmes
particularités topographiques donnaient fréquemment lieu
à des appellatiuns identiques. Il y avait sans doute des Kam-
1. Ce titre de hak, équivalent de celui de melek, était quelquefois
attribué aux Pharaons eux-mêmes; mais il désigne le plus souvent les
petits souverains, tributaires ou non, des contrées voisines de l'Egypte.Les peuplades du désert Arabique étaient gouvernées par des haks
nommés Haks de Tcsheru.
2. Litt. la courbature.
3. C'est-à-dire: oÙj'allais par là.
322 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
Ucr (très noir'), comme chez nous des Bellevue. Dans tous
les cas, il s'agit ici d'une localité qui n'était pas peuplée
d'Égyptiens, mais occupée par une tribu de Sati, chez qui
notre voyageur reçut l'hospitalité. On lui offrit un territoire
qu'il refusa, parce qu'il devait se rendre à Atem ou Atema,
en vertu de l'ordre royal auquel il obéissait, ainsi que nous
le verrons plus loin.
Ce pays d'Atem aussi Atema,
rappelle parfaitement le nom de l'Idumée, et il n'est
pas impossible que nous ne retrouvions ici un très ancien
souvenitr de la région dans laquelle vint s'établir Ésaü.
Malgré son extrême simplicité, le récit excite une certaine
émotion dans le tableau qu'il fait du voyageur accahlé par
la soif et succombant a la fatigue et au découragement,
puis reprenant courage en entendant la délicieuse voix des
troupeaux.
Nous l'avons laissé a son arrivée it Atcm
« Un cheykhS m'y accueillit; c'était le hak du pays
n de Tcnnu supérieur. Il me dit Sois le bienvenu avec moi.
» Comprends-tu la langue de l'Égypte1? Ayant ainsi parlé,
» il sut ce que j'étais; il comprit mon mérite. Des Égyp-
» tiens, qui étaient là auprès de lui, m'interrogèrent. Puis
» il me dit Pourquoi arrives-tu ainsi4?.
Le hak du pays de Tcnnu songe immédiatement à s'atta-
cher Sineh. Pour le déterminer, il lui raconte l'histoire de
sa vie. On verra que les deux aventureux personnages étaient
faits pour s'apprécier mutuellement.
1. La couleur noire du sol indiquait le terrain fertile.
2. ana, un nncicn.
c- o--, entends-
tu lit bouche de L'Égypte?4. Lacune.
LESPAPYRUSHILRATIQUESDEBERLIN 323
Sansattendre une réponseà sa question, le hak continueainsi sondiscours
« Je suis né à la cour du roi AmenemhaIer,qui est allé» au ciel sans qu'on sachece qui s'est passéà ce sujet'. Le» roi meparla secrètement.
Il se trouve ensuite six colonnesde texte entrecoupé delacuneset présentant de grandes difficultés;le narrateur y
parle d'un voyagequ'il fit au pays desTamahu
puis il s'étend sur ses propresmériteset il passeaux louangesd'OsortasenIer,filsd'Amenemha1er.
« Ce dieu bienfaisant, sa crainte était chez toutes les» nations, comme celle de la déessePakllt. Il me par-» lait, je lui répondais'. Son filsnous a sauvésen entrant» au palais; il a pris possessionde l'héritage de son père;» ce dieu, il n'avait pas de frères,nul autre n'était nc avant» lui; il était tout à Lit prudent; sesactionsétaient pieuses.» Ses ordres allaient et venaient comme il le voulait; il» avait rassemblé(sous sa domination)toutes les nations.» Son père était dans l'intérieur de sonpalais; il lui inspi-» r,it ses principes; devenufort, il fit avec songlaive des» exploits; quiconquele voyait ne demeurait pas ferme; il» abattit les Barbares,subjuguales pillards, châtia l'advcr-» saire; il était un paralyseur de mains; il se complut» a briser les sommités personnene résistade son temps.» C'est un coureuraux pasrapidesqui a immoléle fuyard.» On ne pouvait s'approcherde sesdeuxbras.
» Cœur debout à son heure, ses bras étaient prompts;» cœur ferme, il regardait les multitudes; sa joie» était d'abattre les Barbares. Il saisissait son bouclier,
1. .Il paraîtquelescirconstances
delamortd'AmenemhaIerrestèrentmystérieuses.2. Cettefamiliaritédu monarqueestunemarquedefaveurquelo
narrateurseplaîtà rappeler.
324 LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN
» frappait de la hache,recommençaità frapperet tuait; on» ne pouvaitéchapper à son glaive; personnene pouvait» bander son arc; les Barbares fuyaient; ses bras étaient» commeceuxde la grande déesse.
» Il tomba malade, ce grand prodige qui s'emparait de» l'affection; sa ville l'aimait plus qu'elle-même; elle se» réjouissait en lui plus qu'en une divinité; hommes et» femmess'assemblaientpour lui rendre gloire. Il fut roi
dès qu'on le sortit de l'œuf; il fut redouté des sa nais-
sance; en lui se multiplièrent les naissances.Seul, il est» d'essencedivine. Ce pays se réjouit de sa domination;n ce fut unclargisscurde frontières; il s'empara des paysHdu Midi, sans parler de ceuxdu Nord. Il devint seigneur» puissant des Sati, pour fouler aux pieds les Nomma.» Ce qui fait le bonheurde la terre, cela provient de son» essence. Il me dit en face Guide l'Égypte, pour déve-
lopper tout ce qu'il y a de bon en cllc. Sois avec moi» mon œil est bon pour toi. Il me nommagouverneurdeu ses jeunesguerriers et me maria iLsa filleaînée; il me lit
choisir dansson pays, dans le choixde ce qui lui appar-» tenait, sur la frontièred'une autre contrée. Ce pays est» bon, Aa1est sonnom; il produit du tab2et du froment
en quantité considérable;du vin plus quedel'eau, beau-» coup de miel, beaucoupde bak (cspcccde liqueur), toute» espèced'arbres fruitiers et des céréalesde deux sortes,» sans limites, et toute espècede bétail; il y a aussi une» ville plus grande à parcourir que je ne le voudrais. Il» me nomma chef de tribu dans le meilleur de son pays.» Je fisdu painainsiquedesman-t3et du vin pour chaque
jour; des viandes cuites, des oies séchées, en outre du
1.mentionnédeuxfoisdanslepapyrus.C'estsans
douteunedépendancedoTennuoud'Atoma.2. Métalquejenepuisidentifier.3. Espècedoliqueur.
LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN 325
» gibier. Et je lui donnai, et je continuaià lui donnerau1)delàdes revenusde mes cultures. Je fis beaucoupde lait» cuit de toute espèce.J'y passaibeaucoupd'années.J'avais» des jeunes guerriers dans mes expéditions militaires,
chacun réprimant sa tribu. Un messagerallait et venaitu auprès du roi, dirige par moi; et je satisfaisais toute la» Réputation; je donnais de l'eau à quiconqueavait soif.» J'ai fait se détourner au loin, j'ai enlevé, j'ai saccageles» Sati, jusqu'à anéantir, à repousserles brasdes lIaks des» nations.J'ordonnais, ils partaient, »
Si j'ai bien compris les mentionsrelatives au roi Amen-emha Ier, il faudrait en conclure que des circonstancesassez mystérieuses entourèrent la mort de ce monarque,qui alla au cielsans qu'on sût commentcela sefit. On sait
que, sur la finde son règne,Osortasenlefpartageal'autorité
royale, et que les sept premières années de celui-ci seconfondentavec les sept dernièresde son père. Degré oude force, le vieux monarqueavait abdiqué toute initiative.OsortasenIer,qui n'avait pas de frères, pas d'aîné, s'étaitmis en possessionde l'héritage paternel, et à lui désormaisrevenaient le soin et ]a gloire d'écraser les ennemis de
l'Égypte; quantà Amenemha,reléguéau fond du palais,
son rôle se bornait à donner des
conseilsà son fils.Notre papyrus célèbre en termes pompeuxl'activité et
la valeurd'OsortasenIer, qui, dit le texte, soumitles paysdu Midi, sansparler· deceux du Nord. Onconnaissaitdéjàquelques-unesdes campagnes de ce pharaon contre les
Nègres; nous apprenonsici pour la première foisses rap-ports avec la race des Tamahou et ses guerres contre les
Sati. Les Ru-Petti que ma traduction
nomme les Barbares, formaientprobablementune popu-lation distincte.
Le narrateurdevint le favoride ce monarque,et fut, pen-
326 LES PAPYRUSHIÉRATIQUESDE BERLIN
dant quelque temps, préposé à l'administration de l'Égypte,
pour en developper les ressoucrces. Ce détail nous rappellele rôle que, selon l'Écriture, Pharaon attribua au patriarche
Joseph1. Nommé chef des jeunes soldats de l'Egypte, il
épousa la fille de son roi. C'est ainsi du moins que je tra-
duis la phrase: dans
laquelle le verbe présente seul de la difficulté; il y a
évidemment il. mot à sa ,ille aînée, et l'on trouverait
difficilement à introduire ici un autre verbe que marier,
faire épouser. Le sens propre de est arriver,
aborder; d'où la signification dérivée inhumer, enterrer;
celle d'épouser devra être vérifiée sur d'autres exemples,mais elle est au moins fort probable ici; on ne connaît
d'ailleurs aucun autre mot égyptien qui rende cette idée.
Le roi confia ensuite it ce personnage, devenu son gendre,une mission politique de haute importance, et lui conféra
le titre de c'est-à-dire de hak
ou gouverneur du pays de Tennu. Ce titre de liak corres-
pondait à l'autorité la plus élevée; quelquefois il servait à
désigner les Pharaons eux-mêmes. Quant à Tcnnu, tout ce
qu'on en peut savoir, c'est que c'est un région voisine
d'Atema et comprenant un pays nommé
AAA, dont la richesse et la fertilité remettent en mémoire
ces mots des explorateur envoyés par Moïse au pays de
Chanaan Venimus in terram ad quam misisli nos, quæ
revera fluit lacte et melle, ut ex his fructibus cognosci
potest2. L'analogie est d'autant plus frappante que l'abon-
dance du lait, du miel et du vin est précisément mentionnée
1. Voir le discours de Pharaon à Joseph, Genèse, ch. XLI,38 et
sqq.2. Nombres, xiii, 27. Les explorateurs hébreux rapportaient une
branche de vigne couverte de raisins, qui faisait la charge de deux
hommes, ainsi que des grenades et des figues.
LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN 327
dans l'un et l'autre cas'. On conçoittoutefois que je meborneà indiquer ce rapprochement l'étude approfondiedela géographiedespremiersâgesdu monde,d'après les écri-tureségyptiennes,est un sujet qui demanderait être traité
séparément,et seulement lorsqu'unplus grand nombre defaitsde détail auront été élucidéset mis en lumière.
Fidèle tributaire de l'Égypte, le hak de Tennu envoyaitau pharaonune partie du revenu de sa province; on y voit
figurer du lait cuit de toute sorte, c'est-à-dire différentes
espècesde fromage. Le laitage jouait un grand rôle dansl'alimentation des Egyptiens de l'époque, et l'on en jugepar les mentionsqu'en font les monuments.Dans une ins-
cription à peu près contemporainede notre papyrus, unfonctionnairenommé Ameni se vante d'avoir rassemblédans le nome de Salrou, dont il était préfet, un troupeaude 3.000 taureaux avec leurs génisses,et dit que, pour ce
fait, il reçut du pharaon des récompensesà raison du laitannuellementfourni2 Diodorenous a conservéun rensei-
gnementcurieux sur l'usage abondantdu lait dans lescéré-moniesdu culte; trois cent soixantepatères étaient journel-lement remplies de lait par les prêtres qui célébraient les
mystèresd'Osiris3.Sous le Nouvel-Empire,des fonction-naires étaient cltargés de l'inspection des taureaux, des
vaches, des bouvillons,des jeunes génisses, ainsi que du
personnel domestique dépendant du domaine d'Ammon.C'est ce que nous apprend l'une des curieuses légendesrecucillics par M. Brugsch dans le tombeau du scribe
Anna,à Qourna; iLce personnageétait égalementdévolulesoin de faire placer le laitage dans le dépôt du domaine
1. Il fautnoteraussilesrrbesgrandesetmuratas,querappellelavillesigrandeÙparcourirdenotrepapyrus.
2. Denkamüler,II, pl. 122,Noradl.Mauerd.,lig.3 et 4; S. Birch,Ona rcmarhableInscriptionoftheXII"' dynasty.
3. Diodore,liv.I, ch. xxn.
328 LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN
d'Ammon'. Le lait ne pouvant se conserverlongtemps en
nature, il est probable que les anciens Égyptiens savaientle transformer en fromage, et que l'expression de notre
papyrus
en cuisson toute, doit s'entendre de fromages de toute
espèce.Suivant les inspirationsd'une politiqueprudente que les
Égyptiens du Nouvel-Empire imitèrent', ce gouverneuravait incorporédans son armée des jeunes gens, fils deschefsindigènes,qui lui servaientà la foisd'alliéset d'otages.Chacunguidait sa tribu Grâceà
cette forcearmée, il put contenirlesSati et repoussertoutes
les attaques des IIal;s des nations, c'est-à-dire des chefs
indépendantsdu voisinage. Un servicede correspondanceétait établi entre ce gouverneur et le roi d'Égypte. En
somme,nous trouvons que Tennu et ses dépendancesfor-
maient une coloniebien organisée,soumiseà l'Égypte, et
que cette colonie,qui comprenait des territoires extrême-ment fertiles, avait aussi despartiesoùle manque d'eause
faisaithabituellementsentir, puisquel'un des mérites dont
sevante le hak, c'est de n'avoir laissé personne souffrirde
la soif.La beautéet laprospéritédu pays séduisirentnotre voya-
geur, qui du reste était arrivé au lieu que l'ordre royal lui
désignait.Il reprend en ces termes le récit interrompu de
ses aventures« Cehak de Tennu me fit rester plusieurs années,comme
» organisateur de ses jeunes guerriers. Tout pays que» j'envahissais,je m'y faisaisredouter; on tremblait sur les» pâturages de ses sources3; je m'emparais de ses trou-
1. Brugsch,RecueildcMonuments,pl. XXXVI,n°2.2. Voyezà cesujetlesAnnalesde ThothmèsIIIetleTraitédesKhita,3. Cepassageindiquequelesculturesétaientlocaliséesprèsdes
puits.C'estencoreunespécialitédudésert.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 329
» peaux; j'emmenais sa population; j'enlevais leurs vivres;» j'y tuais des hommes par mon glaive et par mon arc;» mes démarches et mes actes étaient parfaits et plurent» à son cœur; il m'aima; il reconnut ma vaillance; il me
» nomma commandant de ses jeunes guerriers. »
Telle est la teneur des 108 premières lignes du papyrus.
Jusqu'à la 1650 se continue la narration de Sineh; elle
se réfère à des sujets divers que je n'ai pas encore suffi-
samment étudiés. Puis le narrateur mentionne la fin de sa
carrière« Le roi d'Égypte, je vécus dans sa paix; je rendis mes
» devoirs à la régente du monde qui est dans son palais'» j'entendis les appels de ses enfants. Oui, son essence
» fut la jeunesse de mes membres. La vieillesse est tombée
» sur moi; la décrépitude m'a surpris; mes yeux s'appesan-» tissent, mes bras sont débiles, mes pieds fléchissent; la
» défaillance du cœur m’approche du départ'; on me
» conduira aux villes éternelles3. J'y servirai le seigneur» universel. Oui, les enfants royaux qui sont passés del'éter-
» nité diront de moi le voici; le roi Osortasen Ior,dit juste,» parlera sur cet appareil funèbre sous lequel je serai; c'est
u le roi qui m'a envoyé avec des libéralités royales, dans
» la joie de son cœur. comme hak de toute nation; et
» les enfants royaux qui sont dans son palais me feront
» en tendre leurs appels4. »
Avcc la ligne 179 commencent la copie de l'ordre royal
1. C'est-à-direla reine.2. Il existedans le PapyrusPrisseun passageanalogue;lesinfir-
mitésdela vieillessey .sontdécritesà peuprèsdanslesmêmestermec.
3. expressionphilosophiquetrès remarquablepour
l’époque.4. Notre personnage compte jouir dans l'autre monde de la faveur
du roi et des princes, comme il en avait joui pendant sa vie. Le Rituel
funéraire promettait aux morts de toute condition la société des rois de
la Haute et de la Basse-Égypte (ch. cxxv, 69).
330 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
et les instructions officielles délivrées à notre personnageà propos des missions qu'il a remplies. Le premier docu-
ment n'est pas daté; mais, comme il émane à la fois
d'Amenemha et d'Osortasen, on doit le placer dans l'une
des sept premières années du règne de celui-ci, ce qui du
reste concorde parfaitement avec les circonstances que le
récit nous a fait connaître. Cet ordre est ainsi conçu
« Ordre royal au serviteur Sineh
» Comme on t’apportera cet ordre du roi pour que tu fasses
» la reconnaissance des eaux et que tu parcoures les terres,» partant d'Atema jusqu'à Tennu, embrasse-le dans ton
» cœur, regardc ce que tu as il faire o, etc.
La rubrique, ligne 187, prévoit le retour et les récom-
penses destinées au voyageur s'il accomplitbien sa mission
« Prends avec toi toutes les richesses qu'on te donnera,» en totalité, et effectue ton retour en Égypte; regarde le
» cabinet du roi, et quand tu y seras, prosterne-toi devant
» le grand double Ru-ti supérieur' », etc.
Ces citations suffisentpour faire bien apprécier la nature
et la grande importance du document étudié; elles nous
montrent la politique envahissante de l’Égypte aux prisesavec des peuplades asiatiques. Quoique nous n'ayons exa-
minc; guère plus de la moitié du texte, nous avons déjàrecueilli une abondante moisson de faits entièrement nou-
veaux. Le surplus promet d'être aussi fécond; mais, comme
il se composesurtout de la partie écrite en lignes lorüon-
tales très serrées, l'écriture en est bien plus embrouillée et
plus difficile iv transcrire. D'un autre côté, il ne s'y trouve
pas autant de ces simples récits, dans lesquels le contexte
aide puissamment à l'intelligence des passages où se ren-
contrent des mots et des formes non encore connus. Il sera,
par conséquent, nécessaire de soumettre le papyrus à une
1. Cetteexpressiondésignele pharaon.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 331
étude complémentaire; c'est une tâche que j'aborderai
quelque jour, je l'espère.
V
APERÇUS HISTORIQUES ET CHRONOLOGIQUES
Jetons maintenant un coup d'œil sur les principaux noms
géographiques que nous venons de rencontrer.
Le plus important est celui que j'ai transcrit SATi,et
dont la forme hiéroglyphique la plus habituelle est
mais on trouve aussi où sont très
distinctement les éléments SNK-Tl1.M. Brugsch a cité la
variante des basses époques et suffisamment
prouvé que n'est qu'une formeparticulière du même
nom. C'est ce que démontre la variante
que cite ce savant.
En définitive,la lecture de ce mot offredesdifficultésque jene suis pas en état de résoudre. On trouve
dans les Papyrus de Berlin la forme
dont le second sil-ne varie notablement:
il devient, par exemple, etc. Si l'on compare ces
formes aux groupes etc., rencontrés dans les
mêmes manuscrits pour le mot que les hiéroglyphes
rendent par on pourrait être tenté de lire
SOK,SUAK,et cette lecture serait appuyée par le groupemais il est à remarquer que le
n'est pas phonétique dans les cxprcs-sions de ce genre, ainsi qu'on
peut s'en rendre compte en examinant la forme'
1. Voir Papyrus magique Harris, p. 50.
2. Papyrus hiératique de Berlin n° IX, lig. 26.
332 LIiS PAPYRUS HIÉRATIQUES DE DKRLIN
du mot en copte mt, fundamenta. Nous sommes
donc autorisés à n en tenir aucun compte dans les groupes
si fréclucnts dans les
écritesde l'âge des Ra-
messides, et qui ont
donné lieu à la transcription fautive srrt:-TI.Dans le premierde ces groupes, l'initiale est l'hiéroglyphe de la flèche, en
copte ; ce signe se retrouve dans la combinaison
que les hiérogrammates du Nouvel-Empire ont adoptée
pour transcrire le nom embrouillé du peuple qui nous
occupe et auquel, pour ce motif, les égyptologues ont at-tribué le phonétique SATI.
On a donne le même son au groupe l, qui dé-
signe les rayons du soleil. Ce sens n’existe pas en copte;mais on y retrouve , ignis, flamma,splendere, dont le
thème antique estet Il n'y a donc encore
aucune preuve certaine a tirer de ce mot.
En définitive, nous reconnaissons qu'à l'époque plla-raonique, les signes embarrassants que j'étudie ont été
transcrits SNTI; SNKTI,ettrès proba-
blement SATI;qu’enoutre les plus anciennes variantes ont
une forme identique à SOK, SUAK.Toutefois, il
n'est pas douteux que, dans l’antiquité et malgré ces hizur-
rcrics orthographiques dont nous nc devons plus nous sur-
prendre', les scribes ne fussent parfaitement d'accord sur
la prononciation du nom d'un peuple aussi important. Pour
nous, il n'y a d'absolument sûr que l'initiale s; au premierssiècle de notre ère, alors que la littérature démotique floris-
sait encore et que les anciennes doctrines de l’Égypte se
perdaient dans les rêveries du gnosticisme, on était pro-
1. Voir,à cesujet,Mélangeségyptologiques[1"série],p. 99;NomdeThèbes,p. 42[cf.p.285-287du présentvolume].
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BLRLIN 333
bablement déjà dans la même incertitude que nous. Ontrouve en cllet, dans un manuscrit de cette époque, le
groupe employé pour représenter uniquement
la consonnes, dans les mots magiques
et que le grec transcrit PAAE et AE1. Les
hiéroglyphes donnent très distinctement ABPA(KKTI)AKet
(KKTI)AK.La portion entre parenthèses, qui, dans les hiéro-
glyphes, est suivie du déterminatif des actions fortes, ne se
prononçait pas; il n'en était tenu aucun compte. On savait
donc, encore iLcette époque, que des syllabes et même des
mots polysyllabiques pouvaient, dans certains cas, n'expri-mer que le son de leur première lettre. Ces cas sont fort
rarcs; on conçoit que l'écrivain du papyrus domotiqueaitdonné, pour figurer des mots magiques, la préférence it ce
moyen compliqué et obscur. Dans tous les cas, il y a dans
ce fait l'indication d'un ordre de recherches extrêmement
importantes.A défaut de solution plus certaine, nous nous en tiendrons
à la lecture Sati, généralement adoptée jusqu'à ce jour, en
faisant remarquer au surplus qu'aucune des autres valeurs
phonétiques que nous avons passées en revue ne nous don-
ncrait une expression plus facile à rapprocher des noms quel'histoire et l’Écriture-Sainte nous ont conservés. L'Egypte,qui se nommait Kemi, n'a jamais été connue sous ce nom
par les Hébreux, ses voisins, qui l'appelaient Mizraïm,c’est-a-dire d'un nom complètement étranger ft la langueégyptienne. Les mêmes divergences existaient certainementv l'égard des autres nations, et il est, dès a présent, certain
que la géographie biblique, qui nous montre les premièrescités et les premiers empires fondés par les descendants de
1. PapyrusdémotiquedeLeydeà transcriptionsgrecques,pl.XVI,24.La formeSNK-TlétaitdevenueSKK-TI,cequi s'expliquoparcequelesGrecschangeaienten n ta premièregutturale.
334 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
Noé, et nommés d'après les noms de ces patriarches, a prisson origine dans des traditions qui n'avaient pas cours dans
l'ancienne Égypte.
L'espèce humaine, en se répandant progressivement surla terre, a d'abord forme des groupes séparés de familles,
puis des tribus englobant un certain nombre de ces groupes.Plus tard, la guerre et la conquête réunirent, sous une
même domination, de vastes territoires déjà couverts des
villes et des cultures créées par les premiers occupants. La
géographie des temps qui précédèrent ces premières grandes
agglomérations nous montrerait la distribution despremièressociétés organisées. Avec les Papyrus de Berlin, nous
sommesbien reportés à une époque de beaucoup antérieure
à Babylone et à Ninive, mais nous nous trouvons déjà loin
de l'origine des sociétés, car nous y rencontrons la mention
de plusieurs peuples d'assez grande importance. En ce quitouche les Sati, nous avons vu qu'ils étaient les voisins
immédiats de l’Égypte, et que les Pharaons de l'Ancicn-
Empire avaient fait construire une muraille pour arrêter
leurs incursions. Un passage malheureusement mutilé du
Papyrus Anastasi III' nous donne un renseignement ana-
logue, en nous parlant du pays de Khor
qui s'étend, dit ce texte, depuis Tzor()
jusqu’à Aup ( ).Les chefs des Sati sont men-
tionnés dans la mêmesphrase. Au XVOsiècle avant notre
ère, cette race s'étendait donc encore jusqu’à la limite
orientale de la Basse-Égypte, car les helles recherches de
M. Brugseh sur la géographie du nome de l'Est l'ont portéà rcconnaitre dans Txor' la ville que les Grecs nommèrent
IIéroopolis. Quant à la limite septentrionale, que le passagecité place au pays d'Aup, nous savons seulement qu'elle
1. Pl. I, lig.10.2. D'aprèsla significationde sonnom,Tzorétaitprobablementla
villedesétrangers.Cf.nt, alicnus,cxtrcmcus,et le copte
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 335
n'était pas très éloignée du Liban. Les Sati étaient probable-ment répandus sur tout ce territoire. C'était une race asia-
tique, différente de celle des Mena ou Pasteurs,
qui n'apparaissent que plus tard sur les monuments1.
Les Khita et les Rutennu qui
précédèrent les grands Empires de Babylone et de Ninive,
sont également postérieurs à l'époque de notre papyrus. Il
y a quelque motif de penser que les Égyptiens avaient, dans
l'origine, donné ce nom de Sati aux tribus qui habitaient
les régions comprises entre l'Arabie, l’Asie-Mineure et
l’Euphrate. C’est dans ce même espace que les Mena, peuplede race sémitique, se firent ensuite une place avant do
conquérir l’Égypte. Mais la domination des Mena sur l'Asie
ne fut pas de longue durée, ou plutôt leur empire se dé-
membra, et de nouvelles nations, mieux circonscrites et
marquées d'une plus grande individualité, se substituèrent
aux Sati et aux Mena. Toutefois, bien que ces deux peuples
eussent, depuis longtemps, cessé de former des corps de
nation, les Égypticns en conservèrent les noms dans leurs
inscriptions monumentales jusqu'aux basses époques. Ces
noms, consacrés par un usage séculaire, n'étaient plus alors
que des désignations générales des races asiatiques.Des les temps de l’Ancien-Empire, les Égyptiens avaient
poussé fort loin lenrs expéditions, et ils connaissaient cer-
tainement une partie considérable des côtes de la Méditer-
ranée. Ils avaient lié, soit avec des peuples insulaires de
cette mer, soit avec les Hanebu dans lesquels
étaient compris les Européens, soit enfin avec les Tamahu
), qui habitaient les côtes septentrionales
de l’Afrique, un commerce assez intime. Tous ces peuples,
1. Certains monumentsmentionnent à la fois les Sati et les Mena,ce qui ne permetpas do supposerque ce sont deux dénominationsd'unmême peuple.
336 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
en effet, sont cités dans nos papyrus et sur les monuments
de l'époque. Il est très remarquable de trouver dans notre
papyrus les dieux de l’Égypte ussociés à ceux des localités
situées autour de la Grande Mer dans les prières en faveur du
pharaon En cette mêmeoccasion,sont invoqués
Horus de l’Orient, qui présidait spécialement aux nations
situées à l'orient du Delta, etOER-T,la grande
déesse, avec le titre de maîtresse de Pount, c'est-à-dire de
l'Arabie. La prière demande que le roi obtienne une durée
sans limite et l'éternité; que les nations ne cessentpas de
le craindrc et qu'il châtie à son gré tout ce qu’éclaire le
soleil.
Le TA-NETERou terre divine, 1 r-mcontrée fertile en
aromates et qui doit être identifiée avec l'Arabie Heureuse,
figure également dans la géographie de l'époque. Les Pha-
raons s'en procuraient les produits au moyen d'expéditions
qui traversaient le désert Arabique par la route de Coptos,et s'embarquaient sur la mer Rouge. On sait que, vers le
Sud, les rois de l'Ancicn-Empire avaient porté leurs armes
jusqu'en Éthiopie et mis ivcontribution les mines d'or de
Nubie.
Ainsi donc, dès cette époque, antérieure à toutes les dates
de l'histoire, la puissance de l’Égypte avait rayonné au
loin dans toutes les directions. L'antiquité classique ne
nous a pas conserve le souvenir de ces temps dont les
hiéroglyphes nous permettront probablement un jour de
reconstituer le tableau; quant à présent, il nous reste à
arracheuraux Papyrus de Bcrlin une grande partie des ren-
seignements qu'ils contiennent; d'autres documents du
mêmeâge n'ont pas encore été publiés, et parmi une tren-
1.Papirus n°I, lig.
210
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 337
BIBL. ÉGYPT., T. X. 22
taine depapyrus historiques de
1 époque des Ramsès, encore
inédits, il en est un surtoutqui doit résoudre, avec toute
certitude, ungrand
nombre deproblèmes géographiques.
Il n'est doncpas encore temps
desonger
à reconstruire
l'édifice; cette œuvre regardera nos successeurs. Bornons-
nous aujourd'huià
préparer de bons matériaux avec les
ressources dont nous disposons. Dans un avenir plus ou
moinsrapproché,
lesprécieux
documentsque
nos investi-
gations ne peuvent atteindre verront sans doute la lumière,
et laquestion
siimportante
de l'histoire des premiers âges
du monde pourra être reprise avec fruit.
ll est facile toutefois de se former, dès àprésent,
une idée
del'antiquité reculée vers laquelle nous reportent les titres
écrits de l’ancienneÉgypte,
mais il faut renoncer it indi-
quer les dates précises. Étirées, écourtées, corrigéesde mille
manières, les listes de Manéthon seprêtent toutes les
combinaisons, nous dirons même à tous les caprices des
chronographes, et chaque année de nouvcaux systèmes,
basés sur le remaniement de ces listes, alfrontent lapubli-
cité, puis tombent les uns après les autres dans l'oubli. Ce
sont des travaux stériles; il fautque les monuments
origi-
nauxparlent d'abord; et quand ils auront fourni des indi-
cations certaines, onjugera
des modifications qu'il pourra
être nécessaire d'introduire dans les listes.
Tellesqu'elles sont, elles ne forment
pasun
guide sûr,
mêmepour les dynasties qui ont immédiatement
précédé
celle desLagidcs, époque
Ülaquelle l’original en a été
rédigé. A plus forte raison, ne faut-il pas lesprendre pour
critérium dans les évaluationschronologiques
destemps
antérieurs.
Quelle que soit notre opinion sur la haute antiquité do
l’Égypte, nous n’entendons ni admettre, ni combattre,
quant àprésent, les systèmes chronologiques proposés par
MM.Lcpsius, de Bunsen, Brugsch, etc. nos appréciations,
surtout en ce qui touche les époques anciennes, ne revêtent
338 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
pas des formes aussi nettement accusées, et nous trouvons
qu'il reste trop de points à éclaircir pour qu'un classement
chronologique des règnes antérieurs a celui de Taaken
puisse être tenté avec quelque chance d'exactitude. Cepen-
dant, nous nous sommes formé des aperçus généraux fondés
sur les faits définitivement acquis. De tels aperçus laissent
une grande marge aux remaniements et aux changements
qu'exigeront les découvertes ultérieures; ils nous permet-tront cependant de donner une idée un peu distincte des
grandes périodes de l'ancienne histoire de l'Egypte.Des documents originaux, dont ni l'authenticité ni le sens
ne peuvent être contestés, nous apprennent que l'Egyptefut conquise et occupée par un peuple asiatique, nommé
MENA.En rapportant le même fait, les
extraits de Manéthon donnent au peuple conquérant le nom
de H, qui est une traduction du nom égyptien prisdans son acception de , pascere. Les extraits ajoutent
que ce peuple fut nomnzc lcs Hyksos, c’est-à-dire Rois
pasleurs, ou, d’après une autres version, Pasteurs capüfs;mais j'ai démontré' que la fausseté manifcstc de ces traduc-
tions et la confusion qu'elles supposent ne permettent pasde les considérer comme d'origine égyptienne. Ce fait suffi-
rait à lui seul pour nous faire juger de l'état de falsification
dans lequel les listes nous sont parvenues.Il ne reste, dans tous les cas, aucun motif de continuer
it identifier les Mena avec les Shasu,
la physionomie particulière de ce peuple s'oppose du reste
à cette confusion'.
Vigoureusement attaqués par Taaken, les Mena, furent
définitivement expulsés de l'Egypte par Ahmès. Il existe
1. Mélangeségyptologiques[1resérie],p. 32.2. Mélanges égyptologiques [1resérie], p. 33. Je crois n'être plus seul
aujourd'hui a revenir sur cette erreur des premiers disciples de Cham-
pollion.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 339
de ces événements des preuves monumentales de la der-
nière évidence. La domination des Pasteurs a donc prisfin vers l'an 1700 avant notre ère, époque généralement
assignée à l'accession de la XVIIIe dynastie. Mais nous ne
sommes pas aussi bien renseignés sur la date de l'irruptionde ces Barbares, dont la domination paraît avoir eu une
durée assezlongue. En effet, il nesubsiste plus, dans l’Égypte
proprement dite, que de très rares débris des édifices pu-blics remontant à l’Ancien-Empire; l'obélisque d’Héliopolis,élevé par Osortasen Itr, nous reste seul comme un muet
témoin de la catastrophe, et comme un spécimen de la per-fection des monuments de l'époque.
Mais, au Fayoum, à Kouban, a Semneh, au Sinai, à
Hammamat, etc., se rencontrent encore des témoignagesirrécusables de l'activité et de la puissance des Pharaons
qui précédèrent les Mena. M. de Rougé, dans son aperçusur l'art antique chez les Égyptiens, reconnaît que la per-fection de cet art et l'examen des obélisques et des débris
autorisent à supposer, à cette époque, l'existence de templesde vastes dimensions et d'une grande magnificence. Cette
conclusion est irréfutable, et il est à peine besoin de rap-
peler ici ce qui a été dit de l'exploitation active des belles
roches du désert Arabique, qui fournissaient des matériaux
et des statues pour les temples de l’Égypte et même pourcelui de l'oasis d'Ammon. Que sont devenus ces templesainsi que les demeures des rois? le fléau de l'invasion les a
nivelés avec le sol. Cette observation, que suggère invinci-
blement l'étude archéologique de la question, donne un
grand poids au renseignement attribué à Manéthon « que» les Pasteurs incendièrent les villes et dévastèrent les
» temples, en massacrant une partie de la population et» réduisant le reste en esclavage. »
Nous avons montré combien avait été vivace cliez les
Égyptiens le souvenir de cette effroyable calamité1. Ils
1. Mélangeségyptologiques[1resérie],troisièmedissertation.
340 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE I3ERLIN
avaient donne aux Mena le surnom de fléau ou de peste,
qui caractérisait bien les terribles ravages
que l'Egypte avait eu a souffrir. Cette haine traditionnelle
a trouvé aussi un écho dans les extraits de Manéthon, ou
les Pasteurs sont appelés o o ¦o, hommes de
race ignoble; l'historien ajoute qu’ils firent continuellement
la guerre, dans le but d'exterminer les Égyptiens jusqu’au
dernier.
Après avoir assure leur domination, qui s'étendit au
moins sur une partie de la Haute-Égypte et sur tout le
Delta, les Mena organisèrent leur conquête. Tout le pays
leur portait des tributs, ainsi que l’atteste le Papyrus
Sallier, d'accord en cela avec les fragments de Manéthon,
qui mentionnent également les tributs imposés par leur
premier roi Salatis à la Haute et à la Basse-Égypte.
Les Mena purent sc considérer comme assez solidement
établis en Égypte pour s'occuper à imiter les monuments
nationaux qu'ils avaient détruits; l’un de leurs rois, Apapi,
contemporain de Taaken, fit bâtir à Avaris un temple ma-
gnifique dédié à Soutekh, dieu qui plus tard trouva place
dans le panthéon égyptien. Les extraits ne nous avaient
parlé que de la reconstruction et de la fortilica tion de cette
ville frontière, maison sait que le témoignage du Papyrus
Sallier a été corroboré de la manière la plus éclatante par
les résultats des fouilles de M. Mariette à Tanis. Ce savant
et heureux expioratcura retrouvé quelques-uns des sphinx
qui formaient l'avenue du temple de Soutekh. Les savants
ont alors pu constater que des artistes égyptiens s'étaient
mis au service des maitres étrangers et en avaient reçu des
inspirations modifiant assez profondément les règles et les
traditions de l'art national. M. Mariette constata en outre
un fait d'une non moins grande importance, c'est que le
roi pasteur Apapi s'était approprié les statues des Pha-
raons ses devanciers, en y faisant graver ses cartouches en
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DK BERLIN 341
caractères hiéroglyphiques, la manière égyptienne. Ce
fait nous montre que la civilisation du peuple vaincu avait
fini par pénétrer dans les usages du vainqueur; l’Égypteavait civilisé les Pasteurs, comme la Chine a civilisé les
Tartares.
Tels sont, jusqu'à présent, lw éléments qui nous per-mettent de former des conjectures sur la durée de la domi-
nation des Mena. D'après Joscphe, Manéthon leur attribue
511 ans de règne, jusqu'au commencement de la longue
guerre qui aboutit à leur expulsion définitive. Ce chin're
n'a rien d’invraisemblable.
Mais là ne se bornent pas les renseignements dont nous
sommesredevables aux découvertes de M. Mariette1; elles
nous ont encore apporté la preuve certaine que les Sevek-
hotep sont antérieurs à la domination des Pasteurs. C'est en
effet sur la statue d'un roi de cette famille qu'Apapi fit
graver son nom royal. Ainsi se trouvent places à leur rangrelatif les rois nombreux dont les cartouches couvrentle côté droit de la chambre de Karnak, aujourd'hui installéeau rez-de-chaussée de la Bibliothèque impériale, par les
soins de M. Prisse d’Avenue. On retrouve ces cartouches,en plus grand nombre encore, dans les fragments du canon
royal de Turin. Quelques-uns de ces souverains ont laissé
des monuments attestant leur puissance, au moins sur laHaute et la Moyenne-Égypte. L'un de ces monuments
prouve incontestablement que la dynastie des Amenemha et
des Osortasen occupa le trône avant eux; ils correspondent
1. Voir,pourcesdécouvertesimportantes,Mariette,Lettreri M.deRougésur les fouillesdeTanis, Revuearchéologique,nouvellesérie,1II,97;E.deRougé,Notesur les principauxrésultatsdesfouilles,etc.,Paris, Didot,1861;Th. Devéria,Lettre Ii M. Mariettesur quelquesmonumentsrelatifsaux Hyq-S'os,Revuearchéologique[2esérie],IV,p. 249[cf.t. I, p. 209-222,desMémoireset Fragments]. Voiraussimon Mémoiresur le nom hiéroglyphiquedes Pasteurs, Mélangeségyptologiques[1"série],p. 29.
342 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
en conséquence aux soixante rois de la dynastie Diospoliteet aux soixante-seize rois de la dynastie Xoïte, cités en bloc
dans les listes, comme ayant règné plus de neuf cents ans.
Nous arrivions maintenant, en remontant l'échelle chro-
nologique, aux Amenemha et aux Osortasen, dont on a fait
avec toute raison la XII0 dynastie. Ces Pharaons exerçaient
sur l'Egypte entière une domination incontestée. De leur
temps, la division du territoire en nomes était déjà prati-
quée les monuments contemporains mentionnent notam-
ment les nomes 1-lermopoIite, Cynopolite, Aphroditopolite,
Phatyrite, etc. Ces mêmes princes avaient porté les armes
au fond de la Nubie et y avaient établi des stations mili-
taires pour arrêter les incursions des Nègres. Vers le Nord,
les Papyrus de Berlin nous les montrent envoyant des mis-
sions chez les peuples de l'Afrique septentrionale et chez
les Asiatiques; nous les voyons fonder sur la limite orien-
tale du Delta et même probablement sur le territoire de
l'Asie, au delà du rempart qu'ils avaient construit pourfermer l’Égypte de ce côté, des colonies militairement or-
ganisées, dont le vice-roi ou hak percevait des tributs au
profit de l'Egypte. Le circuit de la Méditerranée leur était
connu, et les Hanebu ), ou peuples du Nord,
furent en relitions avec leurs successeurs immédiats.
Nous nc sommes pas pressés de conclure, car nous n'avons
pas encore pu examiner tous les titres retrouvés de cette
antiquité si reculée, et le sol de l'Egypte nous en réserve
encore beaucoup d'autres. Nous ferons remarquer seule-ment qu'entre le commencement du règne d’Almès et
celui d'Osortasen Ier, il faut nécessairement placer toute
la durée de la domination des Pasteurs, les Sevekhotep,les Nefcrhotep, ainsi que les sept derniers Pharaons de la
1. Le sens latéral de HA-NEBUest tous ceux qui sont par derrière.LesÉgyptienss'orientaient en regardant le sud (voir Inscriptions desMinesd’or, p. 34; cf. p. 224du présentvolume).
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 343
XII° dynastie. Que les critiques élaguent, retranchent et
retouchent à leur gré; qu'on discute un siècle ou deux sur
la date de l'accession d’Ahmès, nous y consentons; mais
nous doutons qu'on nous trouve trop hardis à propos des
quatre mille ans indiqués dans le titre de ce mémoire;nous ajoutons en effet moins de cinq cents ans a la date
d’Ahmès, ce qui n'est évidemment pas suffisant pour rendre
compte des séries royales et des événements.
La gravité de la question chronologique ne roule pasen effet sur les cinq ou six siècles d'erreur en moins que
comporte probablement cette indication. Qu'on choisisse
arbitrairement une limite inférieure, puis, que l'on examine
avec attention les monuments épigraphiques de l'époque,notamment les belles inscriptions funéraires dont on pos-sède un assez grand nombre et dont le plus beau spécimenest la stèle dite d’Entef au Louvre1; que l'on cherche en-
suite à se rendre compte du nombre de siècles qui ont dit
précéder et préparer un art aussi sérieux, un langage aussi
compliqué; on lèvera ainsi un coin du voile qui nous couvre
encore des profondeurs d'antiquité susceptibles de décon-
certer toutes les opinions en cours sur les premiers âgesdu monde. C'est dans cette uouvclle période, dont les mo-
numents n'ont pas tous disparu que se placent la construc-
tion des grandes pyramideset lesdynasties dont le souverain
le plus connu cst Khoufou (Chéops). Nous ne hasardons
aucune suggestion sur l'intervalle qui sépare ce pharaond’AmenemhaIer; mais qu'il y ait entre eux cinq siècles ou
dix, nous pouvons rapllortcr aux monuments écrites de
Khoufou l’observation que nous avons faite à propos de
ceux de la XIIe dynastic; la, nous retrouvons encore cet art
et cette écriturc, objets d'une éternelle surprise pour qui-
conque les étudie sérieusement.
A la vérité, cette étude sérieuse ne peut être faite que
1. Salledesgrandsmonuments,C,n°2G,
344 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
pardes
égyptologuesun
peuexercés. Pour ceux-ci
la langue
de l’Ancien-Empire se distingue do celle dont on fitusage
après l’expulsion des Pasteurs, presqueaussi facilement
que cette dernière, de la langue de l’époque saïte, laquelle,
à son tour, se différencie notablement de lalangue
des
basses époques. A chacune de ces diverses périodes cor-
respondent aussides caractères paléographiques spéciaux
dont l’observateur doit être bien pénétré.
Nous doutons fort qu’un savant, suffisamment versé dans
la connaissances des hiéroglyphes, trouve, dans l’observa-
tion des monuments, des motifsplausibles de contredire
les vues générales quenous venons d’exposer; quant à ceux
qui, sans cette indispensable étude, combattent les asser-
tions des égyptologues, ils se placent à différents points de
vue. Les unsutilisent les écrits des anciens Égyptiens
sans
les comprendre et croient y retrouver des récits bibliques
à peine altérés. La saine critique a, depuis longtemps déjà,
fait justice de cestraducteurs complaisants; d’autres
ne
craignent pas denier ouvertement les principes
de notre
science et d'y voir une illusion, sinonquelque
chose, de
pire; puis, ayant rejeté cet élément embarrassant, ils
affirment hardiment qu’il n'existeen Égypte aucun monu-
ment dont on puisse avec certitude faire remonter l’anti-
quité au delà de l’an 1012 avant notre ère1. A ceux-ci nous
répéterons ces mots d’un éminentégyptologue anglais
« Que. l’ignorance est inexcusablequand
on.possède
des
moyensde
la faire cesser.» L’étude de lalangue égyp-
tienne n’est plus aujourd’hui entourée de telles difficultés
qu'on nepuisse l’aborder avec confiance et
courage,surtout
quand on est mûpar
d'aussi ardentespassions. S'il existe
encore de nos jours desgens
de bonne foi en défiance contre
la solidité de nosprocédés d’analyse, l'école de Champol-
lion compte un assezgrand
nombre dedisciples pour offrir
1. Sir G. Cornwall Lewis, An historical Surcey of the Astronomy
of the Ancients.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 345
aux sceptiques telles expériences qu'il leur plaira de nous
imposer. Il faudrait d’ailleurs nous attribuer une subtilité
bien extraordinaire et une mauvaise foi non moins étrange,
pour supposer que nous puisons dans notre imagination et
par des procédés arbitraires les sujets si divers que nous
traduisons dans les texteshiéroglyphiques, depuis les
hymnes les plus sublimes jusqu’aux correspondances les
plus vulgaires, jusqu’aux plus ridicules formules de l’empi-risme. Si nous n’obéissions pas aux règles bien définies
d’une scienceréelle, ce ne serait que par un véritable miracle
qu'il nous arriverait, sans nous étre concertés à l’avance,
d’apprécier de la même manière et de traduire dans les
mêmes termes un même texte égyptien. Or, le nombre detextes inédits et complètement inconnus est encore fort
considérable. Il sera donc facile de nous mettre en demeure
de faire nos preuves; nous sommes prêts. Mais nous accuser,sans examen, d’égarement et même de déloyauté, par le seulmotif que les résultats de nos études contrarient certaines
données historiques ou chronologiques, c’est une méthode
plus brutale que concluante, dont l’unique effet est de dis-
créditer radicalement les travaux scientifiques basés sur
cette dénégation systématique.Une autre classe de contradicteurs se compose de savants
de bonne foi; qui s'attachent rigoureusement à t'arrange-
ment chronologique de l’Ancien Testament et qui y trouvent
d’infranchissables limites. Ils se montrent généralementfort durs pour ce qu'ils nomment l’infidèlité française et
l’incrédulité germanique. Du reste, tous varient entre eux
dans les systèmes qu’ils proposent et dans les mutilations
qu’ils opèrent sur les chiffres de Manéthon, et quelquefoisaussi dans leurs appréciations des dates dérivées de la Bible.
Nous nous contenterons de les renvoyer aux aperçus gé-néraux que nous venons de résumer, en leur donnait l'as-
surance que notre foi catholique n'est nullement ébranlée,bien qu’il nous paraisse impossible d’admettre que cent
346 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES Dl: BERLIN
ans, ou, s'ils le veulent absolument, cinq cents ans1 avant
Amenemha Ier, sur la terre, abandonnée par les eaux du
Déluge universel, il n'existât plus que les quatre coupleshumains de la famillc de Noé; bien (lue, nous fondant sur
l'autorité du Papyrus Prisse, nous croyions fermement qu’àces mêmes époques la vie humaine n'avait pas une durée
supérieure à la notre, et bien qu'en définitive il nous paraissenécessaire de repousser dans une antiquité beaucoup plusreculée le Déluge et les temps qui l'ont précédé.
Nous serions plus surpris qu’effrayés si ce zèle, que nous
n'hésitons pas à qualifier d'imprudent, songeait a renouveler
moralement le procès de Gililée. Ce n'est pas, en effet, de
ce côté que nous tournerons les yeux quand nous aurons à
solliciter des solutions dogmatiques. Nous sommes avec le
R. P. Toulemont, lorsqu'il affirme que le premier chapitrede la Genèse souffre une interprétation qui met les géo-
logues fort à l’aise2, et contre lf. le Recteur du Gymnasede Hildesheim, qui ne veut pas démordre du sens littéral
du texte sacré, et s'en tient rigoureusement aux sept jour-nées de la Création3. Nos principes ne nous permettent pasde supposer que le christianisme puisse avoir à souffrir du
développement d'une sciencequelconque, davantage que des
progrès de la géologieet nous sommesfermement convaincus
que la chronologie de l’Égypte, à quelque degré d'antiquité
qu'elle nous transporte, prendra place dans la science mo-
derne a côté de la connaissance des lois planétaires et des
grandes périodes de formation de la terre, sans le moindre
dommage pour la foi chrétienne.
1. La datela plusgénéralementadoptéepourleDéluge,d'aprèslaBible,est l'an 2348avant notreère; maisil existedes supputationsdifférentes.
2. Études religieuses,historiqueset littéraires. Nouvellesérie,M. Renanet leMiracle.
3. Jatho,Die Grundzügeder alttestamentlicherChronologie,Hil-desheim.1856.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 347
II était toutefois nécessaire d'indiquer a larges traits les
développements que comporte cette grave question de l'an-
tiquité de l'Egypte. C'est pour nous une occasion de renou-
veler nos fréquentesappels aux hommes de savoir; nous
nous associons de grand cœur it l'invitation qu'a adresséele R. P. Dutau1 au clergé français de prendre une partactive aux études égyptologiques c'est un champ de re-cherches où il y a place pour tous et qui est suffisamment
déblayé aujourd'hui pour que tous les investigateurs debonne foi se trouvent forcément sur le même chemin, celui
du progrès.
INDEX GÉOGRAPHIQUE
(Les noms sont classés dans l’ordre de l'alphabet copte)
AA, p. [299].
C'est le nom d'une contrée mystique dont la mythologie
des temps plus modernes de l’Égypte ne paraît pas avoir
conservé le souvenir. Entre autres souhaits en faveur d'un
défunt parvenu aux régions de la Vérité, on trouve celui-ci
Que les pas soient détournés dc la terre d’Aa. Le monde
des mitnes était clistrihué topographiquement d'après des
données empruntées it la géographie du monde des vivants;
toutes les localités auxquelles se rattachaient des traditions
mythologiques étaient représentées dans les régions funé-
raires. La terre d'Aa, que je ne connais que par la mention
du papyrus n" I, doit avoir été le théâtre de quelque événe-
ment désastreux de la lutte des dieux contre le principe de
la destruction, lutte qui forme le pivot de la doctrine reli-
gieuse des anciens Égyptiens.
nAA (les voyelles admettent toute aictrc
prononciation), p. [324,326].
1. Études religieuses, etc. Bibliographie, p. 706.
348 LES PAPYRUSHIÉRATIQUESDE BERLIN
Pays appelé, selon toute vraisemblance, d'après le nom
d'un végétal qui y croissait sans doute abondamment; on
le trouve cité au Livre des Morts (ch. XCVII, lig. 6) il propos
de la navigation du défunt vers le Kar-Neter. C'est peut-
être le même que le Papyrus médical nomme AUAU. Ce
pays était situé à l'orient du Delta; il produisait en grande
quantité du vin, du miel, de la liqueur bak, des céréales,
des arbres fruitiers et des pâturages. Le chef égyptien qui
y était installé avait à guerroyer contre les Sati et contre
les Ilaks des peuplades voisines. Aaa possédait une grande
ville et formait une dépendance ou une enclave de Tennu
ou d'Atema (voir ces mots).
AAT, p. [296].
Domaine, rural, ferme, métairie, closerie. Ce mot est
fréquemment en antithèse avec celui qui désigne les villes.
l’aat, ou ferme de la plaine, p. [319].
D'après les indications du papyrus n" I, cette localité était
située dans l’un des nomes de la Basse-Égypte, sur la route
d'Asie. Une autre localité du même nom
est indiquée par les monuments comme placée à l’est
de Coptes, sur )a route d’Hammamat.
le village d’Abet ou de l’Orient, p. [320].
Apres She-Snefru, l’Aat de la plaine et une localité dont
le nom a disparu, le voyageur du papyrus n° I arrive au
village d'Abet. De là il gagne la muraille que les Pharaons
avaient fait construire pour défendre l’Égypte contre les
incursions des Sati.
Atem, Atema, p. [321].
Après le village d'Abet, le voyageur du papyrus n° 1
passe le rempart qui défendait l’Égypte contre les Sati;
puis i1 arrive à Patan, à Kam-Uer, lieu ou des Sati étaient
établis et se livraient il la vie pastorale, et enfin à Atema.
C'est ce dernier endroit que l'ordre royal lui désignait
LES PAl'YRUS HIÉRATIQUES DL 13ERLIN 349
comme point de départ de ses explorations, lesquelles
devaient comprendre le pays de Tcnnu. Ce nom d'Atema
correspond exactement h l'hébreu , Edom, i'Idu-
mée, la Palæstina tertia des Romains, que l'extrême fertilité
de quelques-unes de ses vallées lit surnommer palæstina
salutaris. L'Idumée s'étendait au sud et au sud-est de la
Palestine, entre la mer Morte et le golfe Elamitique. L'accès
en fut interdit aux Hébreux sortis d'Egypte, quoiqu'ils
s'obligeassent à ne pas passer dans les champs cultivés, ni
dans les vignobles, et il ne pas se servir des puits sans payer
l'eau (voyez Nombres, xx, 17). Les circonstances révélées
par le papyrus n° 1 s'accordent bien avec les données du
récit biblique. Il est possible, du reste, que les contrées
nommées par les Egyptiens Atema et Tennu s'étendissent
à l'ouest et à l'est de la mer Morte et comprissent dans leur
territoire les villes jadis célèbres de Sodome, Amorah
(Gomorrhe), Adamah et Séboïm. On sait qu'à l'époque
d'Abraham, ces villes étaient gouvernées par des Meleks,
papyrus n° 1 nous montre que le chef de Tennu
portait le titre de hak, fort analogue it celui de melek, et
souverains indépendants de son voisinage.
La catastrophe qui lit disparaître les villes maudites n'est
pas antérieure aux faits que nous raconte le papyrus égyp-
tien, et il n'est point invraisemblable qu'Adamah,
l'unc d'elles, ne soit précisément l'Atema du papyrus. Sous
le successeur de Hamses II, Atema était encore placé sous
la domination de l'Egypte; des forteresses égyptiennes
avaient été construites dans le voisinage de ce pays (voyez
Papyrus Anastasi VI. pl. IV, lig. 14).
KAM-UER, p. [321].
Localité située sur la route d'Egypte en Asie, après Patan
et au delà de la muraille qui défendait l'Egypte contre les
incursions des Sati. Le voyageur du papyrus n° I y arriva
350 LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN
mourant de soif et y reçut des secoursde la part d'un Safi,
qui y était établi et y possédaitdes troupeaux. Le nom deKAM-UERsignifie très noir et se rapporte vraisemblable-ment à la couleur noire du terrain fertile, circonstance
caractéristique qui fut l'origine de désignations topogra-phiques. C'est ainsi qu'on trouve, dans les listes dressées
par M. Brugsch,deux autres KAM-UER,l'un dans le nome
Copfite, l'autre dans le nomeHéliopolite.
LUB-U,p. [311,312].
Population des côtes septentrionalesde l'Afrique. Les
Égyptiens la comprenaient dans la race blanche, qu'ilsnommaient Tamahu. Un assez grand nombre de peuplesappartenaient ce type, qui parait avoir coloniseles ilesdela Méditerranéeet mêmel'Europe. Nos vieux papyrus de
l'Ancien-Empireparlentdes Tamahu, maisnon des Lub-u,
que je n’ai encorerencontrésque sur des monumentspos-térieurs a l'expulsiondes Pasteurs. Il y a quelques motifsde penser que les Lahabim, les des Septante,cités dans la Genèse(ch. x, v. 13)au nombredes descen-dants de Mizraïm,doivent être identifiesavec les Libyens;plus tard, l'Écriture les désignasousle nom de Lub-
im, Cesont probablementles Lub-udeshiéroglyphe.Les peuplesdu nord de l'Afrique, que tesmonumentsnousfont connaître, ont un caractère de civilisation avancée,autant qu'on en peut juger parleurs parures, leursarmes,et l'usage des métauxprécieuxqui leur était famiticr.Maisces peuples ont précédéceux qu'énumère Hérodote dansson quatrième livre, et à propos desquels il a enregistrétant de fablesridicules.
MASCHAWASCHA-U,
p.[311]sqq.Peuple voisindesLub-u, oudépendantde cette race. On
ne les a pas encorerencontrésdans les textes qui datent de
l'Ancien-Empire.Après RamsèsII, qui en avait incorporé
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 351
quelques tribus dans ses troupes auxiliaires, les Maschawa-
scha, de même que les Lub-u, secouèrent le joug de l'Egypte,
et les Pharaons, successeurs de ce conquérant, durent sou-
tenir contre eux une longue guerre, que termina Ramsès III.
On peut juger de l'importance des Maschawascha par ce
fait qu'ils perdirent 9.111 hommes dans une campagne
contre Mcncphtah-Hotephima (Denkmäler·, III, pi. 199 a,
15). Ils combattaient avec l'arc et le glaivc, possédaient
des ornements d'or et d'argent, des vases de métal, etc.
Les Bubastites se les attachèrent comme alliés et leur im-
posèrent des chefs égyptiens. Cette milice fournit des forces
considérables dans la guerre que soutinrent les chefs de la
Basse-Égypte contre le roi éthiopien Piankhi.
Les Maschawascha étaient liés par allinité de race avec
les Lub-u; mais ils s'étendaient aussi vers le Midi; et c'est
sans doute pour ce motif qu'ils sont comptés avec les Nègres
dans le dénombrement d'une troupe étrangère employée
au service de l'Égypte. Il y a lieu de croire qu'ils habitaient
la Lihyc Maréotiquc et les oasis qui s'étendent au sud jus-
qu'au Darfour, et qu'ils parcouraient les déserts adjacents.
Cette situation les mettait, sur un vaste espace, en contact
avec l'Égypte et ses colonies du désert de Libye. Aussi sont-
ils mentionnés par un texte hiéroglyphique comme exerçant
journellement des déprédations contre l'Égypte.
Peuple asiatique qui conquit l'Egypte à la fin de l'Ancien-
Empire, l'occupa plusieurs siècles et en fut définitivement
expulsé par Ahmès. 11 est généralement connu sous le nom
de Pasteurs. Cclui d'Hyksos n'est pas un ethnique, mais
très probablement une épithète injuricuse (HAK-H’ES, vil
souverain) il l'adresse des rois de cette race. Les Shasu
(voir ce mot) ne sont jamais confondus avec les Mena, dont
ils diffèrent très essentiellement. Après les Sati, les Mena
nous apparaissent comme les principaux adversaires de
352 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
l'Égypte du côté de l'Asie aux temps les plus anciens; ces
deux dénominations continuèrent à être en usage jusqu'aux
basses époques pour désigner les Asiatiques en général,
quoiqu'il n'existât plus alors de corps de nation ainsi
nommés.
L'invasion des Mena en Égypte fut accompagnée de ter-
ribles ravages; elle fit disparaître les villes, les temples et
les palais de l'Ancien-Empire, et les Égyptiens en conser-
vèrent l'impression d'une haine profonde contre leurs op-
presseurs, qu'ils désignèrent sous le nom significatif d'AATU,
fléau, peste.
Mais, après avoir assuré leur domination, les Mena su-
birent l'influence de la civilisation de l'Égypte; leurs rois
s'attribuèrent des cartouches à la manière des Pharaons;
ils s'approprièrent les statues des anciens monarques natio-
naux, et firent élever des monuments dont le style participe
à la fois du caractère de l'art égyptien et de celui d'un art
étranger iL l'Égypte. Les Mena adoraient Sou tckh, dieu
dont le culte parait originaire de l' Asie centrale. Soutekh
prit place plus lard parmi les divinités syriennes. Les
égyptiens l'assimilèrent à Set, frère d'Osiris, et les rois
conquérants du Nouvel-Empire l'associèrent aux dieux de
l'Égypte.
PATAN, p. [321].
Localité située sur la route d'Égypte en Asie, entre le
mur élevé pour arrêter les Sati et la bourgade de Kam-Uer.
U PUNT, p. [336].
L'Arabie, ainsi que M. Brugsch 1 a fort bien établi. Toute-
fois, ce nom de l'unt ne parait pas s'être jamais étendu à
l'Arabie Pétrée. ]1 désigne essentiellement la contrée située
à l'est de l'Égypte, sur la cote orientale de la mer Rouge.
C'est Je pays des parfums, de la gomme et des bois précieux
et odoriférants. L'un des cantons de l'Arabie se nommait le
TA NETER, le pays divin; il convient d'v t'ccon-
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 353
BIUL. ÉGYPT.,T. x. 23
naitrc l'Arabie Heureuse, ainsi que l'a conjecturé M. do
Rougé. Les Égyptiens commerçaient avec Punt et avec
Ta-neter par la route de Coptos et la mer Rouge; les
barques dont on faisait usage étaient nommées Kabni, sans
doute d'après le nom que leur donnaient les Arabes qui
fréquentaient cette mer.
Les produits recherchés de Ta-neter s'exportaient au loin
des les temps antiques, comme ceux de l'Arabie Heureuse
a l'époque romaine. C'est ce qui explique comment ces
produits ont pu quelquefois se trouver compris parmi les
tributs perçus par les Pharaons dans quelques provinces de
l'Asie centrale. Punt et Ta-neter étaient connus des Égyp-
tiens sous l'Ancien-Empire.
L'une des principales localités de la vallée d'Hammamat.
Les Égyptiens de l'Ancien-Empire y exploitaient de belles
pierres destinées à la décoration des temples. Un texte cite
le temple de Soutensinen au nombre de ceux ou furent
transportés des matériaux provenant de Rohannu.
Localité dont le nom est construit comme celui de Sou-
tensinen. Le Papyrus de Lcydc I 368 raconte que six
esclaves fugitifs qui s'y étaient retirés y furent poursuivis
et arrêtés par un officier envoyé de Memphis. Dans le
Papyrus Anastasi IV, Sutennen est indiqué comme ayant
un dépôt de pièces de bois servant it la construction des
barques. De ces circonstances, on peut conjecturer que ce
lieu n'était pas éloigné de la Basse-Égypte, ni de la Médi-
terranée ou de l'une des branches navigables du Nil, et
qu'il devait se trouver dans une situation assez écartée pour
oll'rir un asile convenable à des esclaves en fuite. Il est donc
fort possible que ce nom désigne quelque point de la cote
de la Marmarique et qu'il ait eu ainsi certaine connexité
avec l'oasis d'Ammon.
354 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
SUTENSINEN, p. [292, 297, 299, 300, 303
319]. Tous les renseignements rclatifs à Soutensmen, loca-
lité dans laquelle je persiste à reconnaître l'oasis d'Ammon,
sont résumés dans le deuxième chapitre de cet ouvrage.
SATI-U, p. [331 335].
Ce nom, dont la lecture n'est pas absolument certaine
(voir p. 331 ci-devant), est ceclui des tribus asiatiques avec
lesquelles les Égyptiens de l'Ancien-Empire furent le plus
souvent en contact. Le papyrus n" 1 nous apprend que les
Pharaons de cette époque avaient construit une moraille
pour repousser les Sati
Ce rempart était situé au delà d'un vil-
lage nommé Abet; ensuite se trouvaient
les localités nommées Patan, Kam-Ucr et
Atema (voyez ces mots). A Kam-Uer, dont le voisinage
manquait d'eau, étaient établis des Sati qui élevaient des
troupeaux.
Diodore (liv. 1, 57) dit que Sésoôsis construisit un mur
de quinze cents stades de longueur, entre Pélusc et Hélio-
polis, pour défendre la frontière orientale de l'Égypte contre
les incursions des Syriens et des Arabes. Mais on sait que
cet historien, suivant l'exemple d'Hérodote, a attribué it ce
conquérant un grand nombre de faits glorieux, dont plu-
sieurs furent en réalité l'oeuvre de divers autres Pharaons.
Nous retrouvons peut-être dans le vieux papyrus de Berlin
une antique mention du rempart dont les prêtres parlèrent
à Diodore. Dans tous les cas, si le fait rapporté par l'anna-
liste grec regarde réellement Ramsès II, nous savons aujour-
d'hui que ce monarque n'avait fait que l'établir un rempart
élevé par ses prédécesseurs de l'Ancien-Empire.
En résumant ce qui précède, nous voyons que les Sati
étaient les voisins immédiats de l'Egypte du côté de l'Asie.
Maîtres du Delta comme de la Haute-Égypte, les Pha-
rasons de la XIIe dynastie curent fréquemment à guerroyer
LES PAPYRUS HIÉRATlQUES DE BERLIN 355
contre eux. Osortascn Ier est signalé par nos papyrus comme
puissant seigneur des Sati).
Dès les commencements du Nouvel-Empire, on trouve
les Sati en étroite liaison avec les Mena; mais le nom de
ces derniers n'apparait pas sur les monuments de l'Ancien-
Empire, a moins qu'il ne faille le reconnaître sous la forme
qui se rencontre dans un monument
du Sina (Denkmäler, II, 39), ce qui est peu vraisemblable.
Quoi qu'il en soit, ces noms de Sati et de Mena paraissent
avoir été employés dans la suite des temps comme des dési-
gnations générâles des races asiatiques ennemies de l'Égypte.
TAMAHU, p. [311, 3:35].
Sous ce nom les Egyptiens désignaient la race blanche,
qui comprenait les peuples de l'Afrique septentrionale, les
populations insulaires de la Méditerranée, et sans doute
aussi les Européens. Cette classification remonte à l'Ancien-
Empire.
e TANEN, p. [303].
Nom de demeure ou de localité dont la forme rappelle
le Soutcnsinen. D'après le Rituel funéraire, il existe une
corrélation entre certains faits mythologiques qui eurent
pour théâtre ces deux localités. Le chapitre XVII, lig. 81
et suiv., nous dit
Celui àqui il
a été donné
despains MASI-U clans le Tahen dans Tanen, c'est Osiris.
Le texte ajoute ensuite queles pains MASI-U dans le Tahen
dans Tanen, c'est le ciel, c'est la terre; et qu'une autre
tradition dit quec'est Schou ébranlant le monde dans Sou-
tensinen. Enfin, laglose ajoute:
Tahen est le dieu Œil
d'Horu; Tancn est le SAM d'Osiris.
Ce textemystique
est hérissé de difficultés; je le com-
prends d'une manière fort différente de celle qu'a exposée
356 LES PAPYRUSHIÉRATIQUESDE BERLIN
M. de Rongé (Études sur le Rituel funéraire, p. GG, G7),
mais je n'ai ni ta prétention ni l'espoir d'avoir réussi à en
donner une explication définitive.
Le mot MAS, MASI, MASTU, nomme une espèce d'aliment
qui fut présenté à Ounnefer, c'est-à-dire Osiris, victime
des embûches de Sel, dans une circonstance de sa lutte avec
le génie de la destruction. L'événement eut lieu pendant
la nuit, et cette nuit devint l'une des dates mythologiques
célébrées dans le culte. Les mânes, qui devaient subir toutes
les phases de la destinée mortelle d'Osiris, étaient censés
consommer certains aliments en commémoration des MASI-U
offerts à ce dieu. C'est ce que nous enseigne la belle prière
en faveur de Ma, intendant des travaux de Thèbes, publicée
par Sharpe (2" série, pl. LXXVIJJ)
« Qu'ils t'accordent de voir le soleil à chacun de ses
» levers et de lui rendre gloire; qu'il t'écoute dans tes
demandes; qu'il te donne le souffle vital qu'il réorganise
» tes membres que tu sortes et que tu entres comme l'un
» de ses favoris; que tu sois avec les dieux de son cortège;
» que tu suives le dieu Sakri, le collier de fleurs au cou, le
jour qu'on fait le tour des murs (la grande panégyrie de
Plah-Soccaris) qu'il te soit fait une place dans la barque
» sacrée, le jour de la fête d'Uak; qu'il te soit mis des
» mets devant toi, la nuit des mas-tu, placés devant Oun-
» nefer », etc.
MAS-
TU, rappellent tes pains sans levain, les matsôth (), que
tes Hébreux mangeaient a l'occasion de la fête du Pessah,
mais dont l'usage était connu bien avant l'Exode. Loth en
lit cuire pour tes deux anges qui le visitèrent à Sodome
(Genèse, chap. XIX, 3).
Le TAHEN,est une substance minérale qu'on
rencontre mentionnée avec le cuivre et le tapis. On en
ornait des chars, on enfabriquait des talismans. Il s'y rat-
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 357
tache une idée d'éclat, de lumière, ainsi qu'on le voit par
ce texte emprunté à une formule magique du papyrus hié-
ratique de Leyde I 437, pl. IX, lig. 10
toutes ses chairs rayonnent comme
du tahen.
J'en ai conclu que le tahen peut être le quartz hyalin
ou cristal de roche, que les Égyptiens ont su tailler et dont
le nom hiéroglyphique, n'a pas encore été reconnu. Ce nom
a pu s'étendre aussi au verre ou cristal artificiel dont les
Musées égyptiens renferment de nombreux spécimens colo-
rés de nuances diverses.
D'après le Rituel (chap. CXLVI, 26), le Tanen avait une
porte do tahen par laquelle le défunt devait passer chaque
jour. C'est sans doute pendant qu'Osiris était renfermé sous
cette porte que des MAS-TU lui furent présentés.
Le Tanen est défini par le Rituel comme étant le
(SAM) d'Osiris. Or, le SAM est un lieu dans lequel,
selon le Rituel, il était dangereux de s'arrêter; c'est le
cachot d'où te criminel sortait pour recevoir le coup mortel
sur le billot de la décapitationou bien le lieu où
il était mis à la torture avant de subir le dernier supplice
(Todtenbuch, XVII, 77j.
Cet emprisonnement du dieu, qui eut lieu pendant la
nuit, fut donc l'un des dangers qu'il eut a courir et dont
il triompha par l'appui d'Horus. Aussi le souvenir de cet
événement était-il du nombre de ceux qui fournissaient
aux magiciens de l'Égypte des charmes contre tes dangers
imprévus et en particulier contre tes reptiles venimeux.
J'ai cite dans le Papyrus magique Harris (p. 178) les quatre
briques de tahen qui étaient dans Héliopolis et qui servaient
à repousser Set, type de l'aspic méchant. Le papyrus 1 349
de Leyde donné contre les scorpions une formule qui se
rapporte plus complètement au mythe osiridien
358 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BARLIN
« Je sors, je mc trouve dans la nuit; je suis enveloppe
u de tahen, enlacé d'aspies.Horus est derrière moi; Set
o est à mon cote, ainsi queles dieux et une uræus dont la
» bouche est semblable à un livre. O toi quies devant moi,
» toi ynies devant moi, toi qui
viens contre moi, ne m'ap-
»proche pas!
car c'est le dieu grand qui est à côte de moi;
» tes dieux me préparentle chemin. Je suis l'un de vous,
» car je suis l'enfant du soleil au milieu des dieux de son
cortège. Écoulez-vous loin de moi, scorpions!
Armé de ces souvenirs mythologiques, l'Égyptien croyait
pouvoir éloignerde ses
pasles reptiles cachés dans le sable,
sous les pierres ou parmiles herbes du chemin.
Le dieu Outa-IIor, l'Œil d'Horus, accompagnaOsiris et
leprotégea
contre les embûches de Set; c'est ce quenous
apprend positivement le Papyrus magique Harris pl. IX, 6),
qui parle aussid'un coffre de huit coudées, dans lequel
Osiris, transformé en singe,fut renfermé. Peut-être existe-
une portede cristal, dont parle
le Rituel; ceci nous expli-
queraitla glose qui
ditque le
tahen (le cristal) c'est l'Œil
d'Horus. outa-Hor se serait substitué à la portedu lieu de
détention d'Osiris, afin de laisser passertes MASI-U ou ali-
mentsquiconservèrent le dieu et firent encore une fois
échouer les tentatives meurtrières de son adversaire. On
symbole duciel et de la terre, dont Osiris fut proclamé
le
seigneur après savictoire définitive (voir Hymne
à Osiris,
Mémoire, p. 13 [t. I, p. 109-110, de ces Œuvres diverses],
et texte, lig. 18 etsqq.).
Cette aventure (t'Osiris dans Tanen est assimilée parle
Rituel à l'ébranlement du monde parle dieu Shou dans
Soutensinen. L'expressionest
nKANKANTO,
que parait rappeler le copte REACTO, terræ motus. On trouve
en effet le mot dans l'acception d'exciter, pousser,
LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN
secouer,ébranler.Shou était-il intervenu dans la lutte en
faisant trembler la terre, ou bien s'agit-il de quelque fait
rentrant dans le rôle cosmogonique du dieu solaire ? C'est ce
que je ne saurais décider. Dans tous les cas, l'idée de ta force
divine ébranlant le monde a fourni à l'auteur du livre de
Job l'une de ses plus riches images (chap. XXXVIII, 13)
TENNU,p. [322, 326-329, 330].
L'ordre royal rapporté par le papyrus n° I prescrit à un
fonctionnaire égyptien de reconnaître les eaux et les terres,
en partant d'Atema jusqu'à Tennu. A l'article Atema (voir
ce mot), nous avons exposé les motifs qui nous portent à
reconnaître dans cette dénomination géographique le pays
d'Édom de la Bible. Il est tout à fait probable que le décret
du pharaon a d'abord indiqué le point le plus rapproché,
et que, par suite, Tennu devra être cherché au delà du
désert du Sinaï, dans la Palestine ou dans le pays situé à
l'est de la mer Morte et du Jourdain. Un passage de notre
papyrus mentionne le Tennu supérieur, ce qui permet de
croire qu'il y avait un Tennu inférieur, c'est-à-dire une
région de montagnes ou de hauts plateaux et une région de
plaines. Atema n'était pas éloigné du Tennu supérieur
c'est là du moins que fut rencontré le hak égyptien qui
gouvernait cette province ce chef relevait du pharaon, à
qui il payait une redevance composée des principales pro-
ductions de la localité.
La dénomination de Tennu avait donc, sous l'Ancien-
Empire, une spécialité topographique définie.Mais je n'ai
pas encore rencontré, sur les monuments du second Empire,
la mention du pays de Tennu. On y trouve cependant le
mot TENNU dans l'acception générale de district, province,
et s'appliquant indifféremment à des divisions territoriales
de l'Égypte ou des pays étrangers.
360 LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN
Littéralement le grand bassin. C'est la désignation ordi-
naire de la Méditerranée le papyrus n°I cite les dieux des
localités situées autour de la Méditerranée
et cette mention montre qu'au commencement de
la Xlle dynastie,lesÉgyptiensavaientdéjàparcourucette
mer et observé les religions des peuples qui en habitaient
lescôtes.DanssontravailsurlastèledeThothmèsIII,
récemmentdécouvertepar M.Mariette, M.de Rougéentre-
voitque,souscepharaon,lesÉgyptiensdevaientavoir
poussé leurs expéditions jusqu'à l'Océan (Divers Monu-
mentsdeThothmèsIII,p.30).Cetteconjecturen'acertai-
nement rien de trop hardi. Il faut même faire remonter
beaucoup plus haut que Thothmès III te développement de
la puissance et des relations des Égyptiens sur la Méditer-
ranée. L'étude des Papyrus de Berlin ne permet pas de
doute à cet égard.
Ce nom désigne des peuplades non établies dans des villes,
et, d'une manière générale, les populations des campagnes,
les tribus rurales. Dans les inscriptions de Karnak, connues
sous le nom d'Annales de Thothmès III, les sont cités
antithétiquement aux villes.
Une inscription de l'île de Tombos nous montre les UIII-U
des Heru-Sha (c'est-à-dire des Arabes maîtres des sables),
se prosternant devant Thothmès et, dans la stèle de
Semneh, publiée par M. Birch, il est question des UIII-U
occupant le territoire qui s'étend depuis la vrille nubienne
d'Aboccis (Bak) jusqu'à Tari.
En comparant entre eux les divers textes qui contiennent
cette dénomination, on est conduit à reconnaître qu'elle a
pour variante la forme ce qui
donnerait un, WUII, pour l'une des valeurs de l'animal cou-
ché, hiéroglyphe qui représente aussi un son do simple
LESPAPYRUSHIÉRATIQUESDEBERLIN361
voyelle, et qu'il faut faire passer dans la classe des signes
polyphoniques.
S'ASU, p. [338].
Les Shasu sont signalés par le Papyrus Anastasi I comme
un peuple pillard et chasseur, infestant les routes de la Syrie,
dans la région du Liban. C'est dans le voisinage de cette
même localité que deux espions de cette race donnèrent à
Ramsès II le faux avis qui fit tomber ce prince dans une em-
buscade des Khitas. Pendant une expédition Thothmès II
en Naharaïn, le capitaine Ahmès s'empara d'un grand
nombre de Shasu vivants. Thothmès III eut à les combattre
dans sa campagne contre les Rutennu. A son tour, Scti Ier
les poursuivit depuis Tzor, sur la frontière Égypte, jus-
qu'à Pakanana, localité dans laquelle on a cru retrouver
l'indication du nom de Chanaan, ce que ne saurait admettre
sans restrictions la saine critique. Parmi les noms de lieux
encore lisibles dans les scènes relatives à cette guerre de
Séti Ier, sculptées à Karnak, on distingue l'étang d'Absakaba
et celui de Rabbata, auprès desquels le pharaon fit élever
des postes fortifiés.
Ainsi donc les Shasu, dont les incursions appelaient si
fréquemment des répressions sanglantes de la part de
l'Égypte, nous offrent tous les caractères des Arabes errants
ou Bédouins, dont les hordes nomades rendent encore si
peu sures les localités jadis parcourues par leurs devanciers
des temps pharaoniques. Aucun des renseignements assez
nombreux que nous livrent les textes ne nous autorise à
identifier cette race avec les Mena ou Pasteurs, qui conquirent
l'Égypte et en furent chassés par Ahmès. Sous Menephtah
Hotephima, successeur de Ramsès II, quelques-unes des
tribus des Shasu paraissent avoir été soumises a l'Égypte.Un trouve du moins dans le Papyrus Anastasi VI un ordre
qui concerne leurs chefs. Autant qu'on peut encore en juger
par les débris du texte mutilé, il s'agissait d'interner cer-
362 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
tains Mahotou ou conducteurs des Shasu à Atema, dans le
Khtem ou fort de Mcnephtah Hotephima, qui est à Takou,
et aux piscines de Pa-Tum de Menephtah Hotephima, de
Takou. Lemot
BARKABUTA,
qui désigne ici les piscines, est une transcription de l'hébreu
et un indice de la manie sémitique qui s'empara des
Égyptiens après leur long contact avec les Pasteurs et avec
les Hébreux, et à la suite de leurs conquêtes en Asie, où
ils avaient alors des établissements permanents.
Les monuments d'Ahmes ne font aucune mention des
Shasu, que l'on ne rencontre pas davantage aux époques
antérieures. On ne se défiera jamais suffisamment des erreurs
auxquelles peut conduire une très grande confiance dans les
preuves tirées de la ressemblance phonétique des noms.
SHE SNEFRU, p. [319, 320].
Bourgade de la Basse-Égypte, sur la route d'Asie. Elle
porte le nom du roi Snefrou, qui fut le fondateur des éta-
blissements égyptiens du Sinaï. C'est l'une des localités
traversées par le voyageur du papyrus n" I.
H'TAU, p. [335].
Lepays
des Kheta ou Khita, si connu par les monuments
desguerres
de Ramsès II. De même que les
HUTEN, RUTENNU, les Khitan'apparaissent que
sur les mo-
numents du Nouvel-Empire. Ce sont les peuples qui furent
la souche des Chaldéens et des Assyriens. Établis sur les
rives de l'Euphrate, ils semblent avoir étendu leurs conquêtes
jusqu'en Syrieet en Palestine, à une
époqueun
peuanté-
rieure aux temps de l'Exode des Juifs. L'identification des
Khita avec les Hittites () de la Bible est basée unique-
ment sur la conformité de nom. Mais cette identification
présente d'insurmontables difficultés, que j'exposerai pro-
chainement dans un travail sur lePapyrus
Anastasi 1.
LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN 363
HA-NEBU, p. [335, 342].
Cette dénomination signifie à la lettre tous ceux qui sont
par derrière. Les Égyptiens désignaicnt ainsi tous les
peuples septentrionaux, en y comprenant l'Asie-Mineure,
la Grèce et le reste de l'Europe. Aux basses époques, le
nom de Hanebu s'appliqua surtout aux Grecs, a cause de
leurs fréquentes relations avec l'l;gypte. On sait que l'ex-
pression xo de l'inscription de Rosette a
pour équivalent hiéroglyphique (
).Dans le décret de Philæ, la forme est
Si, comme l'ont pensé quelques égyptologues, les scribes du
temps des Lagides ont voulu, par orthographe abusive,
imiter sous cette forme le nom des Ioniens, ce qui est ;t la
rigueur possible, quoique peu vraisemblable, on est toutefois
obligé de convenir que la forme antique clu mot ne se prê-terait pas à cette lecture. D'un pharaon de l'Ancien-Empiredont le prénom (S-onkh-ka-Ra) est seul connu, il est dit
qu'il fit faiblir les Hanebu et se courber les deux mondes
(Denkmäler, II, 150 a). Il n'y point à songer aux Ioniens
dans ce passage, où, comme dans tous les textes antérieurs
aux Lagides, le mot Hanebu désigne constamment les nations
que la Méditerranée séparait de l'Égypte.
le pays de la compagne ou de
la plaine de sel, p. [302, 306-307].Tel est le nom de la localité qu'habitait l'ouvrier dont
le papyrus n° II raconte les infortunes. D'après les détails
que donne le texte, ce pays produisait du sel et du natron;
on y trouvait le dattier, l'acacia et le tamarisque; et les
transports s'y faisaient, comme dans tous les déserts, a
l'époque contemporaine, par le moyen des ânes. Ces parti-cularités conviennent bien aux déserts qui s'étendent à l'ouest
de la Basse-Egypte jusqu'à l'oasis de Siwah ou d'Ammon.
364 LES PAPYRUS HIÉRATIQUES DE BERLIN
Le pays de la plaine de sel était gouverné par un hak ou
vice-roi, qui y faisait exécuter les ordres du roi d'Egypte.Il en était ainsi de la colonie égyptienne de Tennu (voyezce mot). Les Égyptiens donnaient aussi le titre de hak aux
chefs des tribus du désert et des peuplades asiatiques quiavoisinaicnt la frontière orientale du Delta. Frappé et dé-
pouillé, l'ouvrier se rendit à Soutensinen pour demander
justice. Cette localité célèbre était donc, en quelque sorte,la métropole des rétablissementssitués dans laplaine de sel.
Cette circonstance donne une nouvelle force aux considé-
rations qui ont porté M. Drugsch à y reconnaître l'oasis
d'Ammon (voir l'article Soutensinen).
Chalon-sur-Saône,le1"octobre18G3.
REVUE RÉTROSPECTIVE
A PROPOS DE LA
PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE D'ABYDOS1
1
Le Moniteur universel du 25 janvier dernier contient un
article qui fait peser sur deux savantes allemands un blâme
des plus sévères. On y lit en effet qu'une liste de soixante-
seize curtoucltes (noms royaux égyptiens), récemment pu-
bliée il Berlin, provient d'une copie de ce monument déro-
bée à M. Mariette. L'auteur anonyme de la note constate
que M. Mariette est seul investi par le vice-roi des pou-
voirs nécessaires pour faire des fouilles en Égypte, et déclare
qu'il sullit de rappeler l'existence de ce privilège pour qu'un
acte aussi déloyal ne rapporte aux spoliateurs et à leurs
complices que la honte qui leur est clue.
1. Ces trois articles. lancés séparément presque coup sur coup, furent
réunis presque aussitôt en une seule brochure portant la date de 1865.
Les deux premiers furent publiés, avec la devise Amicus Plato, magis
amica veritas, à Chalon-sur-Saône, chez J. Dejussieu, à Paris, chez
Benjamin Duprat et cltez Hérold (librairie A. Franck), et contiennent
respectivement 36 et 38 pages. Le troisième est un tirage à part de la
France littéraire, qui a été joint aux deux précédents et qui en résume
les données il compte 28 pages. Sur les circonstances qui amenèrent
cette polémique, cf. la netice de Virey, t. i, p. LXVI-LXXI,des Œuvres
diverses de Chabas.
366 REVUERÉTROSPECTIVE
Le Journal officiel ne donnait pas les noms de ces pré-tendus spoliateurs, ni ceux de leurs complices; mais la
notoriété considérable dont ils jouissent les désignait bien
suffisamment. Personne ne s'est égaré sur la véritable
adresse de ces grossières injures.
Cependant les ardents champions de M. Mariette regret-tèrent bien vite l'espèce de réserve qu'ils avaient paru s'im-
poser, et l'on a' pu lire, dans la Presse du 18 février, une
nouvelle version du même fait, cette fois avec les noms de
M. Dümichenet de M. le docteur Lepsius.A en croire la notedu Moniteur, M. le vicomte de Rouge
a été le premier iLprotester énergiquement au nom de la
science française, et l'indignation a été générale dans la
séance de l'Institut à la nouvelle de l'acte coupable dénoncéit la conscience publique de tous les pays. Toutefois, cette
indignation qu'on attribue à la savante assemblée est loind'atteindre il la hauteur de cellc qu'à éprouvée l'auteur de la
note communiquée a la Presse celui-ci trouve que l'Aca-demie a fort ménagé M. Lepsius et M. Dümichen.
II
Disons d'abord quel fait a donné Heu a cette regrettablelevée de boucliers.
A la suite de tant d'autres archéologues, auxquels noussommes redevables de tout ce que nous savons concernantla vieille Égypte, un jeune voyageur allemand, M. H. Dü-
michen, explore scientifiquement la vallée du Nil, depuisenviron deux ans, avec le caractère officiel quelui assure
l'appui du gouvernement prussien et avec le succès que fai-
saient prévoir ses remarquables aptitudes. On sait que l'objet
principal d'une mission de cette nature est de recueillir de
bonnes copies de tous les textes qui couvrent les monu-ments. M. Dümichen n'a point failli it la tâche qui lui
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 3ô7
incombait. Déjà le journal égyptologique, fondé a Berlin
par M. le Dr Brugsch et continué par M. le Dr Lepsius, a
reproduit plusieurs excellents documentsenvoyés parle jeune
savant, quelquefois accompagnés de courtes, mais intéres-
santes notes philologiques. Ces communications précieuses
pour la science ne donnèrent lieu, dans l'origine, it aucune
réclamation, ni on France, ni aillcurs.
La liste royale d'Abydos, à laquelle se réfèrent les articles
du Moniteur et de la Presse, faisait l'objet de l'un des- plusrécents de ces envois; cette liste a trouvé place dans le
numéro d'octobre novembre du Zeitschrift für Ægyptische
Sprache. M. Dümichen y joint quelques lignes seulement,
dans lesquelles il indique a peine l'importance du monu-
ment, quoique cependant il en donne nue transcription; mais
il a le soin d'indiquer le lieu où il l'a copie: c'est un longcorridor du temple d'Osiris à Abydos, mis a jour par des
déblaiements récents, que chacun sait très bien être placéssous la surintendance de M. Mariette. M. Dümichen ne
rappelle pas cette surintendance; mais il est à remarquer
qu'il annoncc un mémoire spécial sur le monument en que-tion. Avant de lui adresser même le simple reproche de
manquer de procédés convenables envers notre compatriote,on aurait bien fait d'attendre une publication promise. Quoi
qu'il en soit, c'est bien sur la muraille d'Abydos, et non
sur une copie volée ecM. Mariette, que M. Dümichen a fait
le dessin par lui livré à la publicité. On se sent presquehonteux d'avoir à relever, dans les colonnes du Journal
officiel de l'Empire français, une aussi monstrueuse ca-
lomnie.
III
Était-il bien utile de faire appel à de pareils moyens dans
l'intérêt de M. Mariette? Et, d'abord, qu'est M. Mariette?
Trop jeune encore, M. Dümichen ne peut étrc apprécié que
368 REVUERÉTROSPECTIVE
par quelques personnes capablcs de distinguer ses rares
aptitudes. M. Mariette n'en est plus la. II y a treize ans,
isolé, sans appui, avec des ressources limitées, sans cesse
menacé par des influences rivalcs et par les fâcheuses dispo-sitions du vice-roi de l'époque, un homme sut déterminer
à l'avance l'emplacement où, depuis tant de siècles, gisaitla tombe d'Apis, recouverte d'un épais manteau de sal)lc.
Cet Ilommc, c'était Mariette. Le monde savant est encore
sous l'empire de l'émotion légitime que causa cette belle
découverte, et, depuis lors, le nom de M. Mariette est de-
venu populaire dans le monde entier. La tombe d'Apis livra
à son heureux explorateur sept mille monuments, qui sont
venus enrichir le Musée du Loutre. Le retentissement de
ces merveilleux succès a ébranlé la torpeur du vieil Orient;
il a force l'Égype moderne à s'occuper elle-même de son
passé. Aux hautes distinctions, si bien méritées, que lui a
décernées la France, M. Mariette joint le titre de haut fonc-
tionnaire du gouvernement égyptien. Autorité, ressources
immenses de toute nature, rien ne lui manque depuis septans pour fouiller et déblayer ce vieux sol des Pharaons, quicouvre l'encyclopédie d'une civilisation oubliée. Aussi le Nil
voit-il aujourd'hui s'élever sur ses rives un musée, sans égaldans le monde entier, où, nous dit le Moniteur, vingt-septmille monuments sont, dès à présent, rassemblés!
IV
Vingt-scpt mille monuments au Musée de Boulaq, septmille monuments du Sérapéum, et les murailles des temples
déblayés qui font plus que doubler ces nombres énormes,
au point de vue de l'importance épigraphique Pour bien
apprécier toute l'éloquence et toute la signification de pareils
chiffres, il faut avoir, comme nous, arraché les éléments de
la science dans les colonnes du Rituel funéraire et dans
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 369
BIBI.. ÉGYPT., T. X. 24
quelquescentaines de
lignes copiées au Musée du Louvre;
il faut avoir, comme nous, poursuivi mille fois dans des
documents très insuffisants les mots dont le sens nous échap-
pait;il faut avoir
éprouvé la fièvre de la lutte contre l'in-
connu, l'abattement de la défaite, le sentiment amer d'une
impuissance qui n'a d'autre cause que lemanque des ma-
tériaux de l'étude, ce sentiment qui nous domine encore si
souvent aujourd'hui, malgréla
puissancede nos moyens
d'investigation centuplée par la bienveillance de nos con-
frères del'étranger. Si tous les mots de la
langue antique
se rencontraient assez fréquemment dans les textespubliés
jusqu'à présent, onpourrait patienter peut-être; mais, loin
qu'il en soit ainsi, les lacunes sont sigrandes encore, que
les centaines de millelignes d'hiéroglyphes que M. Mariette
peut nous livrer ne les combleront certainement pas toutes.
Multipliez vos trouvailles, accroissez vos richesses, nous ne
vous crierons jamais C'est assez
V
Mais, quel que soit le nombre, quelle que soit la valeur
des monumentspar
vous découverts, ils n'auront pas la
moindre utilitépour la science si vous
empêchez qu'on les
voie etqu'on les
publie, et si, vous-même, vous ne les pu-
bliezpas. Or, nous sommes bien
obligéde le dire, depuis
treize ansque le Sérapéum a été
conquis par vous, nous n'en
avons rien vu, ou sipeu
de chose qu'a peine est-il néces-
saire d'enparler;
et des résultats de vos brillantes fouilles
dans la vallée du Nil, vous ne nous avez non plus rien com-
muniqué.
Uneexception a été faite cependant en faveur des curieux
ils ont pu examiner les beaux dessins des bijoux du pharaon
Ahmès et de la reineAah-hotep, les sphinx et les colosses
de San, une statuette de scribe et d'autresimages encore;
370 REVUE RÉTROSPECTIVE
peut-être, en cherchant bien, trouverait-on, épars dans di-
verses notices, quelques-uns de ces signes hiéroglyphiques
que notre soif de science nous force a solliciter de vousavec
tant d'ardeur; peut-être a-t-on hasardé quelques groupes
isolés, quelques noms royaux, mais jamais rien de ce qui
pourrait se prêter à la moindre tentative de critique philo-
logique. La campagne du roi éthiopien Piankhi nous a été
révélée par l'aperçu qu'en a donné M. de Rougé, mais les
fructueuses conséquencesqu'on en pourrait tirer pour l'his-
toire d'une époque agitée restent subordonnées l'examen
qu'on se propose de faire du texte, quand il vous convien-
dra de le publier; car, ainsi que l'a proclamé lui-même
l'éminent traducteur, on ne s'appuie pas sur la traduction
d'un texte égyptien comme sur une citation de Tite-Live.
Enfin, on a parlé de l'existence d'une stèle de San, en nous
la signalant comme le premier monument portant une date
notée d'une autre manière quedans les annéesdu roirégnant.Nous, qui ne sommes pas de l'Académie, nous n'osons pasdisserter sur ce curieux document sans le connaitre; nous
l'attendons, comme tant d'autres non moins précieux, quisommeillent inutiles dans les portefeuilles de leur inventeur.
VI
N'oublions rien; il est un monument qui a échappé à la
séquestration générale. C'est une curieusestèle du règne de
TliotlimèsIII, qu'il nous a été donné de lire in etenso dans
la Revue archéologique, en 18G1,accompagnéed'une tra-
duction de M. de Rougé. Par quel heureux hasard ce texte
intéressant a-t-il trouvé grâce à vos yeux? Hélas! c'est
parce clue la science le possédait déjà, et qu'en le publiantune seconde fois, vous ne révéliez rien clui ne fut déjà à la
disposition de l'étude. Un estampage provenant de l'hono-
rable M. Harris, d'Alexandrie, en avait été transmis it
A I'HOI'OS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 371
l'éminent égyptologue qui dirige le Musée Britannique,M. Samuel Birclr, clui se hâta de le publier avec une tra-
duction et un hon mémoire. Nous eûmes ainsi deux fois le
texte et deux bons mémoires; ce n'est pas trop, tant s'en
faut, d'autant plus que, sans la publication de M. S. Birch,nous aurions eu a attendre, ainsi que nous l'explique M. de
Rougé dans son préambule, l'alcparition d'un ouvrageardemment désiré par lous les savants, oie les principaux
monuments, sortis des fouilles ordonnées par le vice-roi,seront livrvs à nos études par les soins de M. Mariette.
La science est encore intéressés à savoir, si cela est pos-sible, à quelle échéance le savant académicien nous renvoyaitainsi. Nous n'avons pas encore entendu parler de l'ouvragesi ardemment désiré en 1861, et nous devons nous horner à
nous féliciter d'avoir eu la stèle de Thothmès III bien des
années à l'avance, si surtout nous tenons compte de la cir-
constance que la science française se montra alors presquetolérante et que M. S. Birch en fut quitte pour quelques
cgratignurcs.
VII
Mais ce n'est pas tout encore, car le numéro de septem-bre 1864 de la Rcwrcearchéologique nous a, enfin, apporté le
texte de la table de Saqqarah, autre liste royale sortie des
fouilles de M. Mariette, et attendue par les savants avec
une anxiété facile à concevoir, après l'avant-goût qu'enavait donné, dès 1860, le savant directeur des Monuments
historiques de l'L:gypte.Malheureusement cette publication, qui n'a précédé que
de quelques semaines celle de la liste d'Abydos, a dit à cette
circonstance de voir son opportunité s'amoindrir considéra-
blement, et, par le même motif, l'intéressant mémoire de
M. Mariette, perd aussi une bonne partie de sa valseur. La
lisie de Saqqarah s'anéantit dans l'importance de sa puis-
372 REVUE RÉTROSPECTIVE
sante rivale, dont elle n'est pour ainsi dire plus qu'une con-
firmation partielle. Les classements dynastiques auxquels
elle s'est prêtée demandent aujourd'hui à être refondus sur
un plan plus vaste. En la publiant, M.Mariette semble con-
venir qu'il a trop attendu il donne, atce propos, des expli-
cations sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir plus
loin.
VIII
La science égyptologique aura, quelque jbur, de grandes
obligations à M. Mariette, il n'est pas possible d'en douter
mais, jusqu'à présent, elle n'a pu profiter que des bribes
distribuées d'une main parcimonieuse que nous venons de
passer en revue. Il faut, cependant, mentionner encore un
petit nombre de textes du Sérapéum, épars dans une série
d'articles très intéressants, imprimés dans le bulletin de
l'Athenæun français. Ces textes, choisis pour appuyer les
vues chronologiques de l'auicur, ne permettent pas, tant
s'en faut, de juger du mérite et de la portée historique de
l'ensemble. En définitive, tout cela est infiniment trop peu
de chose à côté de l'immensité des richesses que détient
M. Mariette, et l'on peut dire en toute justice que, si per-
sonne n'a le droit de contester ni de jalouser sa gloire d'ex-
plorateur, il reste cependant beaucoup a faire a notre
illustre compatriote pour que cette gloire profite à la
science.
Sous ce rapport, les plus beaux titres de M. Mariette sont
ceux que nous ont fait connaître les publications de M. Du-
michen. Personne ne s'imaginera, en effet, que l'importance
scientifique des fouilles soit amoindrie s'il arrive que certains
monuments qui en proviennent soient publiés par d'autres
que par M. Mariette lui-même. S'imaginerait-on, par
exemple, que M. Dümichen nourrit secrètement l'espoir de
se faire passer pour l'auteur des explorations couronnées par
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 373
de si heureux succès? Mais cette prétention ridicule est
démentie par la nature même des communications de ce
jeune savant. Dans la première en date, il a parlé de ses
travaux au temple d'Edfou, qu'il nous dépeint comme
actuellement déblayé complètement par les fouilles de
M. Mariette (in dem unter Mariette-Bey's Leitung nun-
mehr vollstandig ausgegrabenen Tempel von Edfu). A la
vérité, il ne mentionne pas le nom de M. Mariette à propos
de la liste d'Abydos, mais ici, pas plus qu'ailleurs, M. Du-
michen ne donne à penser qu'il ait opéré lui-même la moindre
rouille; il croit apparemment n'avoir pas besoin de revenir
sur les choses notoires. Même à propos de l'importance de
la trouvaille, M. Dümichen ne s'abandonne a aucun élan
d'enthousiasme; il s'exprime fort simplement, et c'est ce
qu'il avait de mieux à faire, car le hasard d'avoir jeté les
yeux le premier (s'il eût été le premier) sur la table royale
ne constitue nullement une preuve de génie, ni même d'ha-
hileté; en effet, le collégien le plus novice aurait pu, sans
grands efforts, distinguer au premier coup d'œil la signifi-cation de la longue série de ces encadrements elliptiques,
que tout le monde s'est habitué à connaître depuis qu'il existe
un Musée égyptien et des égyptologues.
Mais M. Dumichcn, et c'est la son mérite, ne s'est pas
borné it admirer la liste royalc; il a voulu que la science en
profitât sans retard.
IX
Considérés en eux-mêmes, ni le coup de pioche qui a mis
découvert la liste d'Abydos, ni le premier regard de savant
tombé sur cette liste, ne sont autre chose que des accidents
de pur hasard. Ce qu'il faut louer, c'est l'ordonnance géné-rale des fouilles, d'une part, et, de l'autre, la proniptitudede la publication d'un monument essentiel pour la science.
De ces deux mérites, le premier revient incontestable-
374 REVUE RÉTROSPECTIVE
ment à M. Mariette, et, quant au second, nous allons voir
que le même savant était bien libre de se l'assurer, si bon
lui eût semblé.
Nous avonsappris, en effet, par l'article du Moniteur, queM. le vicomte de Rougé a été témoin de la découverte de
M. Mariette. Or, le savant académicien a quitté l'Egypte
depuis le commencement de l'année dernière; le remar-
quable rapport qu'il a adressé à M. le Ministre de l'Instruc-
tion publique sur les résultats de sa mission en Egypte est
daté du 30 mai. A la vérité, en lisant ce rapport, on ycherche en vain la plus légère allusion à la nouvelle table
royale, quoique les fouilles d'Abydos y soient relatées avec
quelquesdétails. D'un autre côté, la petite liste de Saqqarah,alors non moins inconnue que sa grande sœur, y est l'objetde mentions qui la représentent encore comme un monu-
ment hors ligne, comme le plus important des documents
trouvés par M. Mariette. Peut-être serait-on tenté de se
demander Qui lrompeet qui trompe-t-on ici? si la relation
reproduite par le Jounrtal officiel était moins affirmative, si
le fait de la connaissancede la découverte par M. de Rougen'était pas présenté comme ayant entrainé l'explosion d'in-
dignation qu'on attribue à l'Académie. Onne peut donc voir
dans la réserve extrême gardée par l'illustre égyptologue
qu'un respect chevaleresque des droits que s'était réservés
M. Mariette.
Ce qui parait certain, c'est que, longtemps avant le
30 mai 1864,M. Mariette avait découvert la liste d'Abydos;
quant à M. Dümicl:en, il n'a pu l'apercevoir qu'en sep-tembre, en août, à toute rigueur, puisque son dessin n'a
quitté le Caire que le 17 octobre. M. Mariette a donc eusix mois pour faire ce que M. Dümichen a fait en six se-
maines.
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 375
X
M. Mariette a dédaigné cet avantage; il l'a tellement dé-
daigné, que, dans son mémoire sur la stèle de Saqqarah,
daté de Boulaq, 20 mai 1864, on cherche, non moins vaine-
ment que dans le rapport de M. de Rougé, quelques allu-
sions à la table d'Abydos, monument de même nature que
l'auteur possédait déjà, nous l'avons reconnu, et qui inter-
venait si brillamment et si forcément dans la question.
L'étonnement ne diminue pas lorsqu'on vient à observer que
ce mémoire n'a paru que trois mois après sa date (1er sep-
tembre 1864), et que, par suite, jusqu'au commencement
d'août, M. Mariette aurait pu y introduire une note addi-
tionnelle.
La conséquence à tirer de ces faits, c'est que la liste
d'Abydos allait passer dans les inaccessibles arcanes où celle
de Saqqarah s'est si longtemps cachée, insensible à nos
vœux. L'existence de cette dernière avait été divulguée
trop tôt, et les égyptologues, genus irritabile et savants
affamés, selon l'expression pittoresque d'un critique an-
glais, se montraient fort impatients. M. Mariette prend lui-
même le soin de nous dire qu'il avait été longtemps sollicité
de publier la tahle de Saqqarah. Depuis plusieurs années, à
la. seule annonce de cette liste, certains volcans chronolo-
giques s'étaient mis en ignition et demandaient impérieu-
sement a faire éruption. Aussi, lorsque M. de Rougé revint
de l'Egypte, ayant aperçu, touché et dessiné la précieuse
relique, il vit, un beau jour, sa clmire entourée de dévots
pèlerins, altérés de sa parole, mais plus encore des signes
qu'on espérait voir s'échapper sous sa craie. Rien n'est plus
comique que le récit de la déconvenue de l'auditoire,
racontée par un égyptologue anglais dans un des meilleurs
recueils littéraires d'outre-Manche « Le système de pru-
376 REVUE RÉTROSPECTIVE
dente réserve fut, nous dit le narrateur, galamment main-» tenu jusqu'à la fin, et le tableau noir de la salle du cours» ressentit un véritable soulagement lorsqu'au lieu de signes» hiéroglyphiques, la craie du successeur de Champolliony» traça en honnêtes caractères romains les noms royaux» inconnus. » Puis il ajoute: « Si, devmt un auditoire com-
» prcnant, outre une vingtaine de prêtres catholiques et au-» tant de dames instruites, des égyptologues distingués» français et étrangers (parmi ces derniers on peut citer» M. le Dr Brugsch, de Berlin, et M. le professeur Lauth,» de Munich), l'effet de cette inscientificlue pièce de mys-» tification fût presque péniblement risible (painfully ludi-
» crous), ce n'était pas la faute du professeur. Sous tout» autre rapport, le cours fut tel qu'on pouvait le désirer.» Heureusement aussi que l'étrange comédiede cache-cache» (hide andseek-), dans laquelle l'éminent savant joua, nous» en sommescertains, un rôle a contre-cœur, est maintenant» arrivée a son terme. »
XI
Tel était l'état des esprits, en France comme a l'étranger,
lorsque parut enfin le travail de M. Mariette. Notre savant
compatriote n'ignore pas qu'il avait imposé à bien des gens
le supplice de Tantale. Aussi éprouve-t-il tout d'abord le
besoin de tenter une apologie: « La table de Saqqarah,
» écrit-il, n'était pas monolithe; il lui manquait quelques
» blocs, que je fis chercher en vain. En présence d'un
» texte mutilé dont il me semblait possible de retrouver les
» parties perdues, mon devoir était donc, non pas de publier
» précipitamment ce texte, mais d'attendre, pour le faire,
» que les sables nous aient décidément rendu tout ce qu'ils
» pouvaient encore nous cacher. »
Le critique anglais considère cette explication comme une
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 377
justification un peu boiteuse (somecoleallanee) d'une conduite
qui a suscité des plaintes amères, et qu'on a qualifiée d'im-
pardonnable tentative de monopoliser le pain de la science.
Il est heureux, ajoute-t-il, que Colomb et les autres grands
pionniers de la science n'aient pas été dirigés par de sem-
blables maximes. Dans tous les cas, on a bien lieu de s'éton-
ner que M. Mariette ait attendu si longtemps pour hasarder
cette explication; elle aurait pu, à la rigueur, faire tolérer
dans l'origine un retard de quelques mois. Nous disons
tolérer, parce que, contrairement à l'avis de M. Mariette,nous pensons que son devoir était de publier sur-le-champla liste telle qu'il l'avait trouvée, sauf à publier successive-
ment les fragments que de nouvelles recherches auraient pufaire surgir plus tard; cette éventualité de futures trouvailles
ayant d'ailleurs été, dès l'abord, rendue peu probable par le
résultat négatif des fouilles ordonnées dans ce but, à l'époquede la découverte, ainsi que nous l'apprend M. Mariette.
Et il est si vrai que cette longue séquestration du monu-
ment pèse sur la conscience de l'honorable directeur des
Monuments historiques de l'Egypte, qu'il fait de malheu-
reux efforts pour tâcher d'en dissimuler la véritable durée.
Nous lisons, en effet, dans son mémoire « Il y a trois ans
» environ, en déblayant les tombes situées au sud de la
» grande pyramide de Saqqarah, nous découvrîmes », etc.
Le Moniteur du 17 octobre 1864 répète à son tour: « II y» a trois ans environ, M. Auguste Mariette découvrait a
» Saqqarah. »
Malheureusement pour M. Mariette, les Tantales de la
science ont la mémoire longue, impitoyable; ils n'ont pasoublié la date de la lettre dans laquelle l'heureux explora-teur rendait compte it M. de Rougé de la découverte du
monument en question. Cette date, 14 mars 1860, montre
clue M. Mariette eût dû écrire « II y a environ quatre ans,» et encore il n'aurait pas été tout it fait exact lmore tlian
» four years would be the less inexact statement). »
378 REVUE RÉTROSPECTIVE
XII
Les intérêts de la science s'arrangent-ils dc ces tempori-
sations suggérées par des vues personnelles indéfinissables,
qu'il ne nous appartient pas d'approfondir? Non! mille fois
non! N'hésitons pas le proclamer bien haut, une pareille
séquestration des éléments nécessaires à l'étude nuit à tous
et ne profite à personne, pas même a ceux qui la mettent en
pratique. Il y a peu de philologie dans les mémoires aux-
quels les deux listes royales. désormais connues, dieu merci!
ont donné lieu, et cependant il y a bien suffisamment pour
montrer que les détenteurs des monuments ne sont point,
sous ce rapport, en avance dans la voie du progrès. On a le
regret d'y voir se reproduire encore cette vieille phraséologie
des débuts de l'école, phraséologie vague et obscure, qui
n'est pas de l'égyptien et qui soulève a juste titre les dé-
fiances des savants, même de ceux qui ne sont pas en me-
sure d'en démontrer scientifiquement l'inexactitude. Sem-
blable à l'électricité, i1 la chaleur, la science se développe
par le mouvement; elle a un besoin absolu de discussion,
de lutte, de contradiction mi;me; il lui faut l'échange con-
tinuel des idées, le choc des opinions. Si on la claquemure
dans un musée, si on la rend inabordable sur les monuments,
elle s'étiole dans le marasme; les fauteuils de l'Institut, les
chaires du professorat, les hautes situations officielles ne
possèdent aucune virtualité propre qui les exempte de la loi
générale du mouvement. Il ne suffit pas qu'on laisse par
instants suinter (ta ooze out), selon l'expression du critique
anglais, quelques informations écourtées; il faut permettre
au flot de couler à pleins bords. Tâchons de ne pas ressem-
bler it ces augures de l'antiquité, qui, leurs oracles pro-
noncés, riaient entre eux dans la coulisse où ils cachaient
leurs grimoires.
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 379
XIII
Quelle est, en effet, la condition vitale, essentielle, unique,
du progrès dans l'étude d'une langue si longtemps oubliée
par les liommes? Rien ne répond mieux a cette question que
la parodie d’un mot célèbre: Des textes, des le-ples et encore
(les textes! Pourquoi Champollion posséda-t il, (dès le début,
une intelligence si merveilleuse de la langue? Ce n'est point,
comme on l'a supposé, parce qu'il avait un génie divina-
toire, mais qu'il avait copié de sa main un nombre
infini de textes. Pourquoi, Champollion mort, la science
resta-t-elle de longues années comme frappée de stérilité?
C'est uniquement parce que ses premiers disciples ne l'avaient
pas imité, et que, faute de publications spéciales, l’étude
des textes, si elle était possible dans une certaine mesure a
quelques-uns d'entre eux, présentait à tous des difficultés
considérables. Enfin, l'on imprima des textes purs, le Rituel
notamment, et d'alors seulement date l'cre de renaissance
que notre époque continue.
Que l'on s'initie pendant un mois ou deux aux principes
généraux de la science de ChampoUion, puis que l'on se
procure des textes et qu'on s'occupe uniquement à les dissé-
quer, au bout de deux ans on sera véritablement égyptologue.
Voilà tout le secret; il n'en existe aucun autre, ni pour dé-
buter, ni pour progresser.
XIV
Des textes en grande abondance! tout est là. J'ignore si
j'aurai sur ce point quelques contradicteurs, mais je n'en
prévois pas. Ce besoin de textes a, d'ailleurs, déjà parle bien
haut, puisque l'expression s'en est fait jour dans le rapport
380 REVUE RÉTROSPECTIVE
du 8 février 1860, à la suite duquel l'ut changé le titre de la
chaire de Cltampollion, afin, y est-il dit, que cette chaire fut
garantie contre les déviations dont elle avait plusieurs fois
été menacée « Il est devenu évident, ainsi s'exprime l’ho-
norable M. Rouland, alors ministre de l’Instruction publique.» que l'archéologie, c'est-à-dire la connaissance de l'art,
» aussi bien que celle des institutions, des mœurs, des opi-» nions, est ici dominée, plus que partout ailleurs, par la
u question de la langue et de l'écriture, seule base solide de
» toute recherche et de tout enseignement sérieux.
On ne pouvait mieux dire; il n'était pas possible de cons-
tater avec plus d’autorité la nécessité de l’étude directe des
textes pour toute recherche sérieuse.
XV
II y a des aveux qui coûtent it l’amour-propre national et
yu'il convient de faire néanmoins.
Nous avons défini en peu de mots les conditions vitales
de l’étude; il nous reste a rcconnaitrc à présent que, si l'on
s'en tenait aux matériaux fournis par la France dans le do-
maine d'une science d'origine toute française, l'étude serait
stérile, impossible.
Pour pénétrer dans le copte, dernière altération de la
langue pharaonique, nous avons à nous adresser à l'Italien
Peyron, à l’Allemand Schwarze, a l'Anglais Tattam, au Sué-
dois Zoega. Je pourrais grossir cette liste de noms étran-
gers, sans courir le risque de me heurter contre des noms
français, a moins de descendre jusqu'à de petites notices
descriptives, contenant des essais de traduction dans lesquels
on peut déjà constater un éloignement instinctif pour les
citations textuelles.
En ce qui touche les écritures égyptiennes, la France
n'occupe pas un rang plus élevé, car, dans l'énumération
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 381
des grandes collections des matériaux de l'étude, nous trou-
vons au compte de l'étrangerLe Rituel funéraire;Le choix de monuments de M. le Dr Lepsius;Le vaste et splendide ouvrage de l’Expédition prusienne;Les nombreux recueils de textes et de monuments de
M. le Dr Brugsch;Les monumentsdu Musée de Leyde, contenant un nombre
immense de textes dans les trois écritures;Les publications du Musée Britannique, qui comprennent
trois inestimables séries de manuscrits hiératiques, les mo-
dèlesdu genre;Les énormes recueils publiés sous les noms d'Young, de
Burton et de Sharpe;Les papyrus bilingues de M. Rhind;Les beaux sarcophagespublies par M. Bonomi;Les papyrus et monuments du cabinet de lord Bel-
more.
Arrêtons-nous! La liste serait trop longue. Mais notons en
passant que, si les murs du vieuxLouvre ont laissé s'échap-
per au dehors quelques copies des précieux textes de notre
Musée égyptien, c'est dans les recueils de l'étranger qu'ilfaut les aller chercher.
En France, et bien longtemps avant l'invention du sys-tème de déchiffrement, deux beaux fragments de rituels
avaient été publiés dans le grand ouvragede la Commission
d’Égypte, sous Napoléon Ier; mais, depuis l'époque de la
grande découverte, notre pauvreté est extrême.
Le grand ouvrage de Champollion ne contient, en effet,
qu'un très petit nombre de textes véritablement utiles; les
copies données dans cette grande publication sont moins
exactes que les notes de portefeuille du maître. On sait quec'est sur le texte donné par Champollion du l'inscriptiond’Ibsamboul que fut faite, pour les leçons du Collège de
France, la traduction dont j'ai eu il démontrer l'ina-
382 REVUE RÉTROSPECTIVE
nité'; quelques-unesdes grosses erreurs du traducteur s'ex-
pliquent, en partie, par l'état défectueux du texte sur lequelil travaillait.
Repoussé et attaqué pendant sa vie, notre illustre maître
ne fut guère mieux traité après sa mort. Ses notices manus-
crites, éditées avec un inexcusablenon-soin, forment un ou-
vrage ecourte, émaillé de fautes de français, qui a lassé
jusqu'à son éditeur lui-même. Il s'est arrêté au milieu d'une
phrase de la notice de Tllbhes. Je n'en réclame pas la con-
tinuation.
Il est juste, cependant, deparler d'une honorableexception,c’est-à-dire dubeau volume de monuments et d'inscriptions
publié par M. Prisse d’Avennes,sous les auspices de M. de
Salvandy. M. Prisse nous apprend, dans sa préface, qu’ilavait eu le projet de publier un second volume plus consi-
dérable encore, mais il ne nous dit pas pour quelle raison il
s'est trouvé force de se restreindre. Telle qu'elle est, sa pu-blication contient de bons textes, maisen trop petit nombre.
Le même savant a publié en outre un document de valeur
inestimable, le papyrus de sentences morales, connu dans la
science sous le nom de Papyrus Prisse'. Malheureusement
ce manuscrit, d'un âge extrêmement reculé, n'est pas de
ceux qui peuvent venir en aide il nos investigations philolo-
giques. Il ne me convient de parler de moi-même que pourdire qu'en ajoutant i1ce maigre inventaire toutes mes publi-cations, et mêmece qui a paru jusqu'aujourd'hui d'un rituel
hiératique, commencé en 1861 par M. de Rougé, l'on n'ar-
rivera point iLformer un ensembledans lequel il soit possible
1. Voirla Traductionrl analysede l'inscriptiond’Ibsamboulaut. II. p. 1sdtl.,decesŒuvresdiverses. G. M.
2. M.Prissepublicen cemoment,sousle titred’Histoiredu l’Art
égyptien,un ouvrageque la Francepourraopposerà toutce qui s'estfait de mieuxà l'étranger;maisla reproductiondestextesn’entrepasdanslecadredecetouvrage.
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 383
de puiser les connaissances philologiques indispensables au
moindre aspirant à l'égyptologie.
XVI
Je n'ai pas parlé de la grammaire de Champollion, ni des
mémoires de ses successeurs. Ce sont des matériaux sans
doute excellents au point de vuc philologique, mais quandon les a étudiés et qu'on en possède les données, on ne serait
guère plus avancé, si l'on n'avait pas de textes pour passerit l'application. Faute de monuments de la langue it féconder
par l'analyse, le progrès s’arrête tout court. Voilà pourquoiles véritables bienfaiteurs de la science sont M. C. Leemans,de Leyde; S. l3ircli, de Londres; H. Brugsch, de Berlin, et,tout au premier rang, M. le Dr Lepsius, sur qui l'on ne craint
pas aujourd’hui de déverser l’insulte. Sans doute M. Lcpsius,
clui, par sa science et sa position élevée, est un personnageconsidérable en Europe, peut mépriser d'aussi injustifiables
attaques; mais ce n'est pas un motif pour que les fervents
adeptes d'une science qui lui doit tant ne cèdent pas à l'in-
dignation que leur causent de pareils procédés.
XVII
Puisque nous venons de mentionner les mémoires dus à
la plume des égyptologues fiançais, constatons, a notre grand
regret, qu'ils se distinguent aussi par une grande sobriété de
citations textuelles. Et pourtant la France a possède la pre-mière un type hiéroglyphique, au moyen duquel on eût pu
multiplier sans mesure ces précieuses citations. A la vérité,les égyptologues peuvent échapper dans une certaine me-
sure it ce reproche, qui retombe principalement sur l'extrême
dilliculté d'obtenir ces caractères lorsqu'on ne veut ou qu'on
384 REVUE RÉTROSPECTIVE
ne peut pas livrer les manuscrits il l'Imprimerie impériale.
Grâce il ces difficultés, l’ensemble des impressions dans les-
quelles est entré le type payé par le budget de la France n'a
guère dépassé en quantité les publications que j'ai faites, a
moi seul, en me servant de caractères gravés sur zinc, taillés
sur bois, autographiés, etc.
Encore avons-nous à relever cette circonstance que le seul
grand texte imprimé au moyen du type français consiste en
une inscription qui avait déjà été très bien publiée par
M. Prisse. De même qu'a l'occasion de la double publica-
tion de la stèle de Thothmès III, nous ne nous plaindrons
pas de cette surabondance; nous regrettons cependant que
l'on n'ait pas touché au trésor des choses cachées, que l'on
n'ait pas choisi pour spécimen un texte inédit ou un texte
mal édité, tel, par exemplc;, que les précieuses inscriptions
de la statuette naophore du Vatican, qui nous sont promises
depuis quatorze ans par leur habite traducteur; nous avons
noté d'autres promesses encore, et l’honorable M. de Rougé
ne doit pas s'imaginer qu'on fasse à des promesses de ce
genre, lorsqu’elles émanent de lui, l'injure de les oublier.
XVIII
On dirait vraiment que la France prend à tâche de sceller
de nouveau la bouche a si grand'peine entr'ouvcrte du
sphinx égyptien? Un pareil rôle convient-il a la patrie de
l’Œdipe qui a surpris le secret tant de fois séculaire du
monstre? Non, sans doute; et cependant il serait curieux
d'inventorier les erreurs qu'ont trop longtemps accréditées
tant de publications soigneusement expurgées de moyens de
contrôle; plus instructif encore de rechercher les conquêtes
philologiques que le manque de textes publiés en temps
opportun a retardées ou empêchées. J'aborderai peut-être
quelque jour ce sujet, que j’appelle le Martyrologe de la
A PHOPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 385
BIBL. ÉGYPT., T. x. 25
science égyptologique. Quant àprésent, pour être bien com-
pris, jeme bornerai à la citation d'un seul fait.
Supposonsun instant qne l'Administration du Musée Bri-
tanniquen'eût
pas livre à lapublicité
les merveilleux papy-
rus quela France s'est laissé enlever, bien que Champollion
les eût fait connaître et que Salvolini en eût étudié quelques
passages; supposons que ces monuments n'eussent pas été,
en conséquence, plusaccessibles à l'étude
quene le sont au-
jourd'hui ceuxque possède le Musée du Louvre, cette cir-
constance n'aurait pas empêché un savantanglais
de les
étudier surplace,
à sa manière, etd’y découvrir Moïse,
Jannès, les plaies d'Egypte, l'Exode, etc. Ces prodigieuses
découvertes n'en auraientpas
moins excite la verve du savant
français, qui trouva, il son tour, le moyen d'y voir, encore
plusclairement que l'Anglais,
un bien plus grandnombre de
faits bibliques, dont la révélation tint en émoi, toute une
année, la salle des cours duCollège
de France. Mais, bien
certainement, il serait arrivéque certain marchand
provin-
ciat eût été mis dans l’impossibilité de soumettre tant de
merveilles a vérification et de pousserle cri d'alarme qui fit
l'entrer dans sa boite à ressorts la scintillante apparition
égypto-biblique qu’avait évoquée une imagination infiniment
trop complaisante.Il était temps cependant,
car déjà des
professeurs distinguésde
l’enseignementuniversitaire an-
nonçaient et imprimaient queles
papyrusde Londres
reproduisaient jusqu'aux détails lesplus insignifiants
du
Texte sacré! Déjà des écrivains religieux s'étaient émus et
avaientinvoqué ces
témoignagesinattendus de la science
profane. Où nous eût conduit ce mouvement compromet-
tant?
XIX
S'il s'agissait d'inscriptions grecques, arabes, puniques,
etc., il n’est pas un savant qui se permit de les discuter,
386 REVUE RÉTROSPECTIVE
d'en tirer des conséquences historiques, chronologiques ou
même simplement philologiques, sans les citer textuelle-
ment. Quiconque agirait différemment se verrait refuser
toute confiance.S'imagine-t-on que les faits relatés dans les
écritures égyptiennes sont tellement évidents dans leur
expression graphique, qu'on puisse se dispenser de montrer
tout au long, non seulement les textes qui les contiennent,mais encore les procédés d'analyse dont on a fait usage? On
se tromperait grandement à ce compte. Les honnêtes lettres
nomainessous lesquelles M. de Rougé dissimula, dans son
cours, les noms royaux de la table de Saqqarah ne pouvaientêtre de la, moindre utilité v personne; mais M. Mariette
avait iLpeine publié le texte du monument, que de grandesconversions se produisaient dans les rangs de nos adver-
saires. L'un d'eux se charge lui-même de réfuter le ministre
de la reine d'Angleterre, sir C. Lewis, dont le célèbre ou-
vrage sur l'Astronomie des Anciens est une dénégation sys-
tématique absolue de la valeur scientifique de la méthode
de Cliampollion.Cette réfutation, fort remarquable comme
tout ce qui sort de la plume de l'auteur, contient la phrasesuivantequi mérite de ne pas être oubliée « C'est un indigne» abus que de faire servir la science grecque et romaine à
» discréditer un ordre d'études plus élevé et plus universel,» lequel, dans sa recherche de la vérité, refuse de se laisser
» confiner dans les étroites limites des péninsules italique» et hellénique. »
XX
Doit-on attribuer cette horreur persistante pour la lettre.
hiéroglyphique à un système délibéré, ou la porter seule-
ment à charge d'une fatalité tenace? Je l'ignore, mais je
constate le fait et j'en déplore les résultats; ils sont plus
graves qu'on ne le croirait l'esprit de critique et de véri-
fication s'émousse; on juge sur l'étiquette du sac; on accepte
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 387
sans compter, et le niveau général de la science s'abaisse au
lieu de s'élever. Des naïvetés, qu'on aurait pu excuser au
temps de Jablonski, sont patiemment écoutées en haut lieu;
on bâtit des chronologies, on établit des ères, non pas en
vertu de l'étude directe des monuments, mais en opposantà eux-mêmes les égyptologues qui ont varié dans leurs inter-
prétations. On ne se donne pas la peine de rechercher quelssont les faits restés debout sur le terrain de la critique sé-
rieuse. On cite à peine des ouvrages d'inappréciable valeur,
comme, par exemple, les Matériaux pour servir à la recons-
truction du calendrier égyptien, de M. le Dr H. Brugsch.On lcs cite pourtant, mais sans s'apercevoir que des preuvesmonumentales et philologiques de la valeur de celles quisont rassemblées dans ce savant livre méritent au moins
une réfutation de la part de quiconque veut les jeter hors dudébat.
XXI
Toutefois, les savants qui trébuchent sur les abords acci-
dejltés de la science égyptologique sont jusqu'à un certain
point excusables; si ce terrain est semé de pierres d'achop-
pement, ce n'est pas leur faute. Nul doute qu'ils ne se
joignent a- moi poGr réclamer que la porte du temple de
Thoth soit élargie et que les accès en soient rendus plus pra-
ticables nul doute qu'ils ne m'appuient lorsque à grands cris
je réclame des textes, clcs textes, encore des textes!
Mais qui entendra ces cris, qui les exaucera? Je n'en sais
trop rien. Cependant j'ai retenu un mot de M. Renan, celui
de savants officiels; l'illustre orientaliste ne paraissait pas
beaucoup apprécier ce titre. Je crois qu'il a tort. A mon
point de vue, le savant officiel est celui qui est investi de la
confiance du gouvernement pour tout ce qui se rapporte à
la science de sa spécialité; au savant ofliciel revient le de-
voir de plaider la cause de cette science et de ne pas la
388 REVUE RÉTROSPECTIVE
laisser oublier dans la distribution des encouragements de
l'État. Si le monument de Ninive offre aux adeptes de la
science assyriologique une collection de textes admirable-
ment gravés, si le voyage de M. Oppert est publié avec
luxe et d'après un plan qui en fait un trésor philologique,
je me figure que cela ne s'est pas fait tout seul, et qu'unsavant officiel aura recommandé à qui de droit la publica-tion de ces beaux ouvrages. Pourtant les cunéiformes sont
de nouveaux venus, comparativement aux hiéroglyphes; ils
ne remuent pas encore, à beaucoup près, autant d'idées queles écritures égyptiennes. Pourquoi donc ces dernières sont-
elles toujours restées de côté? Et faudra-t-il rappeler ici
que le fameux Livre des Sauvages sut bien obtenir de lihé-
rales allocations. S'en prendra-t-on au gouvernement? Mais
nous avons vu M. de Salvandy à l’œuvre; nous avons lu
le rapport de M. Rouland, et nous savons que M. le Mi-
nistre actuel de l'Instruction publique a inauguré son
ministère par une grande mesure de réparation. Il a voulu
que l'histoire de la découverte de Champollion passât dans
le programme universitaire. S. E. M. Duruy connaît donc
bien Il valeur de cette découverte; il sait qu'elle est l'une
des grandes gloires de notre pays et ne l'a certainement
point rayée d'office de toute participation possible aux allo-
cations du budget. Si donc un savant ofliciel ecit éprouvé
quelque peu le désir d'imiter nos rivaux de l’étranger, et
de doter notre pays de quelques publications de textes
égyptiens, des belles stèles du Louvre, par exemple, ou biendes monuments du Sérapéum, il n'eût certainement pasrencontré d'obstacles sérieux, et la France ne serait pas,aujourd'hui, si considérablement en arrière sous le rapportde ces publications utiles.
Maintenant quarante mille monuments sont à la disposi-tion de M. Mariette; on n'aura donc que l'embarras du
choix, et la France, moyennant quelques légers sacriliceset un peu de bonne volonté, peut, si bon lui semble, passer
A PROPOS DE LA PUBLICATION DE LA LISTE ROYALE 389
au premier rang. Puisse une louable émulation succéder au
funeste système d’étouffement qui a pesé, jusqu'à présent,
sur les destins de la science créée par le génie de Champol-
lion!
XXII
Mais si décidément on ne veut rien publier, qu'au moins
d'autres puissent le faire; qu'on ne laisse pas d'insultantes
clameurs outrager les savants qui réussissent à puiser quelque
coupe dans l'océan d'informations dont on tamponne avec
tant de soin les moindres issues. L'article du Moniteur se
termine par cette lourde phrase « Ce n'est pas a Auguste
» Mariette seul qu'on fait tort, mais c'est aussi au vice-roi,
» dont l'inépuisable munificence donne si largement à notre
» compatriote les moyens de prendre possession en son nom
» de l'histoire pharaonique, qui se dresse i1 sa voix dans
» toute la vallée du Nil et vient se ranger ü sa place dans
» le Musée de Boulaq u
On nous rendrait service si l'on voulait bien nous donner
en langue vulgaire la traduction de ce verbiage. Veut-on
faire entendre que, désormais, M. Mariette a seul le droit
de s'occuper de l'histoire d’Égypte; que personne autre que
lui ne peut étudier un monument, ni copier une inscrip-
tion ? S'il en est ainsi, qu'on le dise ouvertement. Mais
alors l'interdit a donc été levé pour M. de Rougé, puisqu'il
rapporte de l'Egypte six volumes d'inscriptions copiées à la
main et deux cent vingt planches photographiques repré-
sentant les murailles historiques des temples, les plus
grandes inscriptions et les plus beaux monuments de l'art
égyptien? Peut-être, cependant, le savant académicien n a-
t-il été autorisé iL copier que pour son usage particulier et
sous la condition de ne pas mettre dans la confidence ses
confrères en égyptologie. Nous remarquons en effet qu'il se
borne à annoncer un second rapport, sans hasarder la moindre
390 REVUERÉTROSPECTIVE
promesse quant à la divulgation des trésors qu'il a recueillis.
Cette riche collection ira peut-être s'enfouir, comme tant
d'autres, dans d'avares portefeuilles.Mais il en est une non moins riclce sur lucjuellc la science
sait déjà qu'elle peut compter. Je veux parler de celle de
M. Dümichen. Ce jeune savant appartient a une école d'ex-
plorateurs allemands qui croient contracter uue dette envers
leur pays et envers la science lorsqu'ils sollicitent et ob-
tiennent une mission rétribuée par leur souverain. S. M. le
roi de Prusse a eu, sous ce rapport, la main gâtée parM. Lepsius et par M. Brugsch; leur émule zélé marche,c'est évident, sur les traces de ses brillants devanciers. Il
parait qu'en organisant cette nouvelle mission, on a eu le
tort de compter sans S. A. le vice-roi et sans M. Mariette;on s'est figuré qu'il était possible, comme par le passé, de
dessiner et de copier sans se rendre coupable du crime de
spoliation. Détrompez vite le monde savant, avertissez les
simples touristes; arrêtez, au seuil de l'Egypte, les Greene,
les Stobbart, les Rhind et tant d'autres, qui nous ont pro-curé successivement un grand nombre de documents pré-cieux. Dressez aux deux bouts de la vallée du Nil, sur le
port d'Aleaandrie et près de la bifurcation du père des
fleuves à Khartum, ce placard administratif dont frémiront
les mânes de notre maître a tous « De par l’autorité d’un
» disciple de Champollion, le sol de l’Égypte est interdit à
» la circulation des égyptologues et des dessinateurs »
XXIII
Laissez-nous croire qu'on vous calomnie et qu'on calomnie
S. A. le vice-roi. Non, vous n'avez pas fermé l’Égypte aux
savants; non, vous n'avez pas accepté une tâche exclusive
qui ferait porter sur vous une immense responsabilité, et
pour laquelle d'ailleurs les efforts réunis de tous les égyp-
A PROPOSDELAPUBLICATIONDELALISTEROYALE 391
tologucs vivants seraient encore bien impuissants; non, vous
n'avez pas imposé au souverain de l'Égypte l'initiative d'une
mesure qui, si elle venait à être imitée ailleurs, pourraitfaire expulser les Rawlinson, les Layard, les Place et les
Botta de Koyoundjik, de Khorsabad et de Nimroud, les
Lebas et les Texier de l’Asie-Mineure, les Renan et de les
Saulcy de la Phénicie et de la Palestine, et les Beulé
d'Athènes; non, vous ne vous proposez pas de prendre seul
possession de l'histoire pharaonique; non, vous ne songez
pas à confisquer, jusqu'à ce que cette prise de possessionsoit accomplie, le trésor des antiquités de l’Égypte. Si vous
avez pu penser qu'un pareil projet était praticable, vous
vous êtes bien trompé, et la lecture du rapport de M. de
Rougé a dû sullire pour faire tomber vos illusions. La mis-
sion de l’éminent académicien a duré six mois seulement,
et, dans ce court laps de temps, « sa récolte a été tellement
» abondante, nous dit-il, qu'une longue vie de travail ne
» suffirait pas a l'épuiser » Combien, à ce compte, faudrait-il
d'existences pour entamer sérieusement votre récolte encore
vierge?
XXIV
Loin de sanctionner les avanies dont on couvre en votre
nom les Dümichen de l'Allemagne, hâtez-vous de les appeler
à vous appelez aussi les Devéria de France, et vingt de leurs
pareils, si la science était assez heureuse pour les posséder.
Puis, travaillez tous de concert a mettre promptement à la
disposition de l'étude les inestimables matériaux que vous
avez su recueillir. Pressez la publication des textes sans vous
préoccuper de la faire précéder d'une tentative d'explica-
tion. Dans l'état actuel de la science, la meilleure manière
de publier des textes égyptiens est encore, au luxe près,
celle qu’a adoptée M. Lepsius pour ses admirables Denk-
müler, c’est-à-dire un simple classement par ordre chro-
392 REVUERÉTROSPECTIVE
nologique; la plus mauvaise est celle qu'avait adoptéeM. Brugschpour ses Monuments,parcequ'elle comportaitune traduction des textes publiés. Il en est une troisième,fort bonneet fort commode,à laquellele mêmesavants'estrestreint dans sesdeuxvolumesdeReeueils;au lieude tra-
ductions, il s'est contenté de courtes noticessur le sens
général des inscriptions.Mais même dans ces aperçus lachanced'erreur est trop grande pour que la réputation de
l'égyptologueait la possibilitéd'y beaucoupgagner.Si vousentrez dans cette voie,votregloire d'explorateur
sans rivalne fera ques'accroître,maisvousaurezacquisundroit plus précieuxencore,un droit que je serai heureux,alors,de revendiquerpour vous,s'il venait à vousêtre dis-
puté, le droit d'inscrirevotre nom à côtéde celuidesbien-faiteurs de la science,à laquelle, l'un et l'autre, nous noussommesvouésavecuneégaleardeur.
Chalon-sur-Saône,le28février1865.
M. deRougéréponditlt ce qui le concernaitdans celteLro-
chure,parunelettrequ’il adressait la Hevuearchéologique',etdelaquellej’extraislespassagessuivants
Aumomentoùje terminecettelettre,je reçoisdeuxenvoisbiendifférents,et quim'obligentà vousécrire encorequelquesmots.LepremierestunelettredeM.Mariette,annonçant,commetou-
jours,quelquenouvelledécouverte.Je meborneà transcrirele
passagesuivant,quipeutsepasserdetoutcommentaire«Je suis»arrivéhierdela Haute-Égypte,oùjeviensdepasserdeuxmois.»Lamoitiédecetempsa étéemployéeauxtravauxdeDendérah.»J'y ai trouvédessouterrains,dontjevaispublierles textes,et»quiméritenttoutenotreattention.Dendérahn'a pasétéélevéà
1. ExtraitdelaRevuearchéologique,2' série,1865,t. I. p. 347-349.G. M.
APROPOSDELAPUBLICATIONDELALISTEROYALE393
»l'occasionde la naissancede Césarion.Fondépar Chéops,ce»templefutembelliparApapus,quiyfitdéposeruncertainnombre»d'écritssur peaud'animal.La XII" dynastiey travaillason
tour.ToutmèsIII le restaura.RamsèsIiI y ajoutaquelques»parties.Enfin,sousPtoléméeNéosDionysos,ilfuttrouvéensi» mauvaisétat,qu'ondutlerefaireà neuf.Quantauxsouterrains,»ondevaity introduiredesstatuesd'or,debronzeet debois,dont»je possèdela nomenclature;aprèsquoi,ils étaientferméspour»l'éternité.J'oubliaisdevousdireque,dansdeuxdecessouter-»rains,j'airecueillilesrestesdemomiesdevaches.»
On voit par quellepersévérance,dans ses infatigablesre-cherches,M.Marietterépondauxplaintesdesimpatients,et com-bien le succèscontinueà justifiersa marche. Mon confrèresm'annonce,dansla mêmelettre,quelevice-roia levélesobstacles
quis'opposaientà la publicationdes monuments,entrepriseparlesordresdesonprédécesseur.C'estencorelà unenouvelleheu-reusepourtoutlemonde,etprincipalementpourle savantdirec-teurdesfouilles.
Cettenouvelleestégalementla meilleureréponsequ'il puissefairea unebrochureintituléeRevuerétrospectiveà proposde la
publicationdelalisteroyaled'Abf/dos,parM. Chabas.Cesavant
paraitn'avoirluquela malencontreusenoteinséréeauMoniteurdu25janvier,ausujetdecettepublication.
Si la rectificationque j'ai fait insérerdans ce mêmejournalquelquesjoursplus tard ne lui avaitpas échappé,il se serait
épargnédeuxpagesdeconjectureserronéeset dedéclamationsaumoinsinutiles'.Jen'aipointassistéà unedécouvertefaitelong-tempsaprès mondépart.«Cequ'ilfautlouer,ditM.Chabas,c'estl'ordonnancegénéraledesfouilles.»C'estprécisémentce quej'aifait, et ilétaitdemondevoirderendre ce témoignage,puisquej'avaisassistéà leurdébut.Ledroitse discute,la délicatessesesent onne réclamequ'aunomd'un droit. Le droit deM.Ma-
riette,c'étaitdevoirconstaterquela fouillequi avait produitcetadmirabledocumentavaitétédirigéeparlui.Quantaladélicatesse,chacunen estjugeà samanière;j'aicru,encequimeconcerne,
1. Voirla brochurecitéeci-dessus,p.13-14[p.373-3i4duprésentvolume].
394 REVUERÉTROSPECTIVE
qu'ellem'obligeaita nepointpublieravantM.Mariette,nila tabledeSakkarah,ni l'inscriptiondel'an -100duroi Nubti, quandjesavaisquemonsavantami rédigeaitdes mémoiressur le même
sujet.Il paraitquecetteréservea sembléprofondémentridiculeàunde mesauditeurs,vcnude Londres,et dont M. Chabascite
complaisammentle compterendu.Il mepermettranéanmoinsdenechanger,surcepoint,ni deconduite,nidemanièredevoir.
Il n’ya aucunprofitpourla science,à descendresur le terraindespersonnalitésilm'est impossiblecependantdenepastrans-crirelepassagesuivant,pour donnerune idéedes suppositionsétrangesquecontientcettebrochure «Peut-être,cependant,le»savantacadémicienn'a-t-ilétéautoriséà copier que pourson»usageparticulier,et souslaconditiondenepas mettredans la»confidencesesconfrèresen égyptologie.Nousremarquons,en»effet,qu'ilseborneà annoncerunsecondrapport,sanshasarder» la moindrepromesse,quantà la divulgationdestrésorsqu'il a» recueillis.Cetterichecollectionira peut-êtres'enfouir,comme»tantd'autres,dansd'avaresportefeuilles.»
l'ourmesconfrèresdel'Académie,etpourleshommesstudieux
quisuiventassidûmentlesleçonsduCollègedeFrance,etquinereculentpasdevantletravailarduqu'ellesleurimposent,citerces
paroles,c'estenfairejustice.Maisil fautquela réponsesoitconnue
partoutoùl'inainuationpourraitpénétrer.Apeinearrivéd'Kgypteet dansunmomentoima santéaltéréepar lesfatigueseûtexigéle repos,j'ai néanmoinsreprismoncours,parcequ'on m'a té
moignéle désirdeconnaitrcle premierfruit de nosrecherches.Mes«portefeuillesavares»étaienttellementempressésà sevider,quej9n'aipasmêmeprisle tempsnécessairepourcoordonnermes
matériaux,pensantquela richesseet la nouveautédesfaitssuf-firaientpour rendreles leçonsutiles.Leschaleureuxremercie-mentsquej'ai reçusm'ontprouvéquemonempressementétait
apprécié.J'ai rédigé,aussirapidementquemesforcesmel'ontpermis,un
longmémoireoùtoutesmesnotessur lessixpremièresdynastiesontété employéesquoiqueretardépar la maladieet pardesmalheursdefamille,ce travaila néanmoinssubiaujourd'huilaformalitédela doublelectureacadémique,et vaêtrelivréà l'im-
pression.Il n'ya pasunan quema missionest terminée,et je
APROPOSDELAPUBLICATIONDELALISTEROYALE395
croisavoirfait toutce que permettaientles forcesd'un hommepourhâterla publicationde cettepremièrepartie.
Quantà la publicationdesplanches,c'étaitunequestionbeau-coupplusdifficileà résoudre.Le Ministèredel'Instructionpu-bliquea peuderessourcesellessontd'ailleursengagées,commechacunsait,pourd'autrespublications.Fallait-ildoncsubirdeslenteurs,inévitablesquandil s'agitdedemanderune subvention
spéciale,commeon l'a faitpourM. Place?Je ne l'ai pascru,etla générositédu photographehabilequi m'avaitaccompagné.ainsique le couraged'un savant professeur,JI. Samson,ontrésolule problème.L'albumdela missionestenpleineexécutionet paraitratoutentieravant deuxmois.Il sera composédecent
cinquante-cinqphotographies,précédéesd'unenoticesommaire,indiquantle sujetde chaqueplanche.Toutesles personnesquiontvules photographiesde M.de Banvillesaventquelsadmi-rablesrésultatsil aobtenusà forcedepatienceet d'adresse.Vuesdestemples,statuesetautresobjetsd'art,bas-reliefsetinscriptions,toutestéralemcntréussi.Lesépreuvesphotographiquesontl'in-convénientd'untirageassezdispendieuxmaisquelestle crayonouleburinquipourraitleségaler,quantà lafidélitédansle styledesfigures,età l'exactitudeabsoluedeshiéroglyphes?C'estvéri-tablementsur la murailleelle-mêmequ'on travaille,quandonétudiecesbellesreproductions.
J'adressecesdétailsauxnombreuxamisde la science,quiontétéconfidentsdetoutesmestentatives,et quiconnaissentles dif-ficultésqu'éprouventenFrancedepareillespublicationsje suisheureuxdeleurannoncerlesuccèsdemesefforts,touten rendantpublic le témoignagede mes remerciements,pour les habilesartistesouiveulentbienmeseconderdanscettepublication.
VicomteEMM.DEROUGÉ.
C'esi« cettelettreque Chabasréponditdanslemémoireim-
priméci-dessous,à partirdelapryle397.
REVUE RÉTROSPECTIVE
A PROPOS DE LA
DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE D'ABYDOS
(DEUXIÈMEARTICLE)
1
En publiant ma Revue rétrospective, sur Il fin de février
dernier, j'ai obéi au sentiment de l'indignation que m'a
causée la lecture de l'article inséré au Moniteur du 25 jan-
vier. Mon but n'était pas uniquement de défendre deux
savants étrangers contre d'injustes accusations, je voulais
aussi protester au nom de la science française, dont l'auteur
de l'écrit calomnieux se disait l'organe; enfin, et c'est lit,
au regard des intérêts de la science, le point le plus essen-
tiel, j'ai tenu à m'élever contre le système de séquestration
des textes égyptiens, mis depuis longtemps en pratique,
système que la publication de M. Dümichen est venue dé-
concerter dans 1'une de ses chères espérances.
Mais alors les faits n'étaient connus que par la note du
Moniteur, oit sont ailirmés les points suivants
1" Que M. Mariette, avait découvert la liste royale;
2" Qu'une copie de cette liste lui avait été dérobée par
M. Dümichen;
3" Que M. de Rougé avait été témoin de la découverte de
M. Mariette, et se trouvait présent a la séance de l'Institut
398 REVUERÉTROSPECTIVE
du vendredi 20 janvier, dans laquellela nouvellede l'acte
coupablea été communiquéeà l'Académie.L'accusationétait formelle, précise; placée sous la ga-
rantie d'une communicationfaite à l'Institut deFrance,elle
semblait commanderla confiance,au moins pour les actes
attribués u des membresde l'Institut. Je me suis donc, en
toute assurance,établi sur le terrain des faitsainsiaffirmés,et, si j'ai démenti le vol de copieattribué aLM. Dümichen,cen'est pasquej'eussele moindrerenseignementpersonnel,mais tout simplementparcequ’à mes yeuxcette accusation
tombait d'elle-mêmesous le poids de sonabsurdité.
Depuis lors, la lumières'est faite. Sansquej'en fussein-
formé,le Aloniteurdu 9 févrieravait inséréune lettre dans
laquelleM. de Rougedéclarequ'il n'a pas été témoindelà
découverte.Le savantégyptologue,dans l'article clu'ilm'a
consacré (Revuearchéologique,avril 1865,p. 317 h 349;,
prétend que la lecture de cette lettre m'aurait «épargné» deux pagesde conjectureserronéeset de déclamationsau
» moinsinutiles1».C'est leneuvièmeparagraphedemahro-
chure (lUlse trouveainsi richement qualifié.J'ai moins de
chancequeleshonteusesinventionsde lanote du Moniteur,
pour laquelleM. de Rougé a trouvé l’épithètede «malen-
contreuse» suffisammentsévère.Lepublicappréciera;mais,
pour que lesopinionsne s'égarentpas, pour que ce regret-table conflitportedes enseignementsutiles, il faut aujour-d'hui faire connaitrc tous les documentsde l’affaire.
II
Répétonsd'abordl’articledu Moniteurdanssesmentionsessentielles
« Nous extrayonsd'une lettre d'AugusteMariette-Beyà
1. Voirllushaut,p.393duprésentvolume. G.M.
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 399
)) notre collaborateur, M. Ernest Desjardins, le passage sui-
n vant: « J'ai découverte it Abydos un magnifique pendant» de la table de Saqqarah. Séti 1er, accompagné de son fils,» qui sera plus tard Ramsès II (Sésostris), fait une offrande
à soixante-seize rois rangca devant lui.
» Notre étonnement a été grand d'apprendre, en recc-
n vant communication de cette découverte, une des plus» belles que l'illustre archéologue français ait faites en
» Egypte, que cette liste de rois venait d'être publiée a
» l3erlin, sans même que le nom de notre compatriote fût
» mentionné. Il nous apprend qu'une copie de cette liste
» royale lui a, en effet, été dérobée. Pour que la bonne foi
» publique ne soit pas trompée it l'avcnir, ct pour qu'un» acte aussi déloyal ne rapporte aux spoliateurs et it leur
» complices que la honte qui leur est duc, il suffit de rap-
peler que personne en Egypte ne peut fouiller le sol sans un
» firman, et que Mariette-Bey est seul possesseur de ce fir-
» man; or, il n'est pas probable que des monuments comme
» la table royale et géographique d'Abydos soient sortis
n tout seuls de terre.
» M. de Rougé, témoin de la découverte de Mariette, a
u été le premier à protester énergiquement, au nom de la
» science française, dans le sein de l'Institut, contre de pareils» procédés. L'indignation a été générale à la séance de ven-
» dredi dernier, 20 janvier, lorsque la lettre qu'on vient de
» lire a été communiquée à l'Académie, en même temps que» la nouvelle de l'acte coupable qu'elle signale à la cons-
» cience publique de tous les pays. Ce n'est pas à AugusteMariette seulement qu'on fait tort; mais c'est aussi au
» vice-roi, dont l'inépuisable munificence donne si large-» ment à notre compatriote les moyens de prendre posses-» sion, en son nom, de l'histoire pharaonique qui se dresse à
» sa voix dans toute la vallée du Nil, et vient se ranger a sa
400 REVUE RÉTROSPECTIVE
» place dans le Musée de Boufaq, lequel compte aujour-» d'hui 27,000 monuments trouvés et classés par Auguste» Mariette seul. »
III
Voici maintenant les explications échangées, à ce propos,entre M. Dümichen et M. Mariette. Elles ont été insérées
dans le journal L'Égyypte du 9 mnrs dernier. Ce numéro de
l'organe ofliciel du gouvernement égyptien, qui se publie au
Caire, m'est arrivé par le dernier courrier d'Alexandrie.
DÉFENSE
Contre l'accusation faite par M. Mariette-Bey, concernant
le prétendu vol rle la liste d'Abydos
« D'après le Moniteur, M. Auguste Mariette commu-
» nique, par une lettre adressée à M. Ernest Desjardins, la
» découverte d'une liste complète de soivantc-seize Pha-
» raons, etc., etc., faite par lui à Abydos, dans une petite» salle du grand temple. Il prétend, selon l'article du Mo-
» nitcrtr, clu'une copie de cette liste précieuse lui a été
» DÉROBÉEpar moi, car c'est moi qui l'ai envoyée à un
» mcmbrc de l'Académie de Berlin, lequel l'a publiée dans
» le journal allemand Zeitschrift für Ægyptische Sprache» und Alterthumskunde.
» A cette occasion, le Moniteur dépeint l'indignation
» générale des membres de l'Académie française, dans la
» séance du 20 janvier, et proteste, au nom de la science
» française, contre de pareils procédés et contre les SPOLIA-
» TEURS ET LEURS COMPLICES.
» Avant de se prononcer publiquement d'une manière
aussi blessante contre les égyptologues allemands, l'Aca-
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 401
BIBL. ÉGYPT.,T. x. 26
» demie française aurait agi plus loyalement si elle s'était
» mieux informée avant de prononcer son jugement. Les
» personnes signalées en de tels termes offensants par l'Aca-
demie française, dans un accès d'indignation tout à fait
» mal fondé, sont des confrères, sont des membres de l'Aca-
» demie de Berlin qui, comme moi, sauront à leur tour
» répondre à de pareilles politesses. Pour commencer, fi mon
tour, je proteste hautement contre l'accusation contenue
» dans l'article cite du Moniteur.
Voici le fait dans toute sa vérité, pour lequel je suis il
» même de citer des témoins compétents, comme M. Therc-
min, consul général de S. M. le roi de Prusse en Égypte,
et mon célèbre compatriote, M. Brugsch.
» Entraîné par le zèle pour la science a laquelle je me
» suis voué, accompagné seulement de mes deux serviteurs,
» simples Arabes, j'ai parcouru, pendant la durée de deux
années, de 18G2 il 1864, la vallée du Nil et les dé-
» serts de la Nubie, pour y étudier et copier les monu-
» ments importants, chose jusqu'à présent permise par les
»augustes princes de l'Egypte à tous les voyageurs français
et non français.
L'article du Moniteur nous apprend que personne en
» Égypte ne peut fouiller le sol qui contient les monuments
» intéressants de l'antiquité sans un firman, et que M. Ma-
» rietteest le seul possesseur d'un tel firman. Certainement,
» personne ne pourra douter que le privilège que donne le
» firman ne touche que le côté matériel des explorations;
10 côté intellectuel n'est pas à prohiber. Ce n'est vraiment
» pas pour enrichir la science française, comme l'article
» du Moniteur dit si naïvement, que S. A. le vice-roi,
» dont l'esprit cultivé est reconnu partout, avait l'inten-
tion magnanime de faire révéler pour la science uni-
» verselle les monuments intéressants pour lesquels une
» grande partie des savants de toutes les nations civilisées
» font le pèlerinage il son vaste royaume. Moi-même, j'ai
402 REVUE RÉTROSPECTIVE
» fait un tel pèlerinage au risque de ma santé et de ma
» vie.» Si M. Mariette, qui habite depuis si longtemps l'Égypte,
))qui doit si hien connaître les monuments, et iLqui, comme» nous l'apprelld le Moniteur, la munificence de Son Al-» tesse a fourni tous les moyens possil)lcs de prendre pos-» session en son nomde l'histoire pharaoniquequi sedresse» à sa voix dans toute lci callee clztNil; si M. Mariette estu la seule personne qui possède un firman pour fouiller le» sol, je lui souhaite tout le bonheur du monde pour ré-» compense de ses fatigues désintéressées, et j'attends im-» patiemment avec toute l'Europe savante l'apparition de» son ouvrage sur les fouilles. On me reproche d'avoir
fouillé sans posséder un firman; je rejette ce reproche.» Je n'ai pas fouillé! Je n'ai jamais fouillé le sol pour en
tirer ses trésors cachés; j'ai agi honnêtement, suivant» l'exemple de tous les savants, qui ont étudié, copié et
pul)lié les textes monumentaux dans le seul et unique» but de les mettre à la disposition de la science. Au lieu» d'avoir commis un acte déloyal, je crois plutôt clue tous» les savants de tous les pays me sauront gré d'avoir tra-» vaillé pour la science,qui, selon moi, est libre et accessible» à tous, et nullement le domaine exclusif d'une nation ou» d'un homme quelconque.
» Sans fouiller, sans dérober, j'ai trouvé des richesses» scientifiques jusqu'alors inconnues, j'ai fait une récolte» considérable que je ne tarderai pas de mettre sous les» yeux desgens de lettres. Parmi ces richesses, lisibles pour» des yeux initiés, se trouvait la liste royale en question.» Le mérite incontestable de M. Mariette est d'avoir fait
mettre au jour la salle du grand temple d'Abydos, qui» contient la liste précieuse; mais, commela direction de ces» travaux fait partie des fonctions du directeur du Musée» à Boulaq, chose connue même il Berlin, on n'y a pas cru» commettre un crime en passant sous silence ce fait me-
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 403
» morable. Un trésor exhumé acquiert incontestablement» son importance par celui qui sait l'apprécier et faire con-» naître sa valeur, et si M. Mariette en a fait mystère vis-
à-vis de la science française, il n'a pas le droit de calom-» nier et de blâmer ccltti qui, par la révélation empressée» de son contenu précieux, a voulu enrichir non seulement» la science allemande, mais universelle. Le fait est que» M. Mariette ne doit uniquement la première connaissance» de la liste en question qu'à ma publication, faite par les» soins du plus célèbre savant sur ce champ d'histoire,
M. Lepsius. C'est M. Brugsch qui l'a remise à M. Ma-» riette j'en appelleà son témoignage! Ce n'est qu'après
l'avoir vue dans le journal allemand que M. Marietteu s'est rendu il Abydos pour y copier la liste des Pharaons,» de son côté. Si le Moniteur cite M. le vicomte de Rouge
comme témoin de la découverte de M. Mariette, l'ana-)) chronisme est d'autant plus frappant que la liste des
rois n'a vu le jour qu'après le départ de M. de Rougé.» Outre les preuves chronologiques, je ne crains nulle-)) mentd'en appeler au témoignage de M. de Rouge lui-1)même, qui, en homme d'honneur, n'hésitera pas it se
prononcer en ma faveur après avoir pris connaissance)) des faits.
Heureusement M. Mariette n'est pas le maitre en
Égypte, et tant que S. A. le vice-roi ne défend pas d'étu-
» dier les inscriptions hiéroglyphiques; tant que des qUi-
ches et des gardiens n'empêchent pas l'approche des
» monuments, tout le monde est libre d'en tirer profit pour
ses études. A présent je demande où est le voleur, oit
» sont les spoliateurs et leu1's complices, où est l'acte cou-
)) pable et déloyal qui mérite l'indignation générale d'une
» assemblée comme l'Académie française.
Pour en finir, je déclare que l'article caustique du
» Moniteur, basé sur des données calomnieuses de M. Ma-
404 REVUE RÉTROSPECTIVE
» riette, est un acte déloyal de la part de ce dernier, pour
» lequel je lui demande une satisfaction éclatante.
» Au Caire, 19 février 1865.
» JOHANNES DÜMICHEN. »
« Boulaq. 2 mars 1865.
» Mon cher Monsieur Dumichen,
A mon retour de la Haute-Égypte, je trouve dans les
» journaux l'extrait du Moniteur qui concerne la publica-
tion faite il Berlin de la nouvelle table d'Abydos.
» Mes principes d'urbanité et de bonne confraternité
» m'obligent il vous écrire spontanément pour vous déclarer
que, loin d'approuver le langage du journal français, je
» proteste, au contraire, contre tout ce qui peut s'y trouver
» d'offensant pour M. Lepsius et pour vous. Quels que
soient vos torts ou quels que soient les miens (ce que je
)) n'examine pas en ce moment), il n'était pas nécessaire de
» faire de si grandes phrases et de présenter la question au
» lecteur avec tant d'acrimonie; il n'était pas surtout néces-
u saire de dénaturer les faits pour en faire sortir une accu-
» sation dont je conçois que vous puissiez être ému.
Il est, en effet, un mot que, pour votre véracité com-
munc, je tiens autant que vous il relever c'est celui où
» on laisserait croire que la table d'Abydos m'a été dérobée.
» Le mot est des plus vifs; mais je me hâte d'ajouter que ce
n'est point moi qui l'ai écrit.—J'ai pu me plaindre, avec
» certain droit, de la publication d'un monument que j'ai
découvert, publication où mon nom n'est même pas mcn-
» tionné; mais jamais, ni dans mes paroles, ni dans ma
» correspondance, il ne m'est venu il l'idée de formuler
» contre vous un aussi abominable grief. La vérité est que la
» table d'Abydos a été légitimement copiée par cous, en
» vertu d'un droit que donne à tout le monde le gouverne-
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 405
» ment égyptien d'étudier les monuments qui, par ses soins,» sont,rendus au jour.
» Quant au fond do la question, je vous en dirai mon
» avis.
» Le gouvernement égyptien entretient, avec des frais
» refativement considérables, un service de fouilles, non pasM il son profit, mais au profit de la science. Par conséquent,» à raisonner logiquement, vous étiez autant dans votre droit
» en copiant la table d'Abydos qu'à la rigueur M. Lepsius» était dans le sien en publiant le premier cet important
document. Mais, il côté de cette question de droit strict
» sur laquelle je ne diffère d'opinion avec personne, il y» avait la question de délicatesse et de convenance que je» n'envisage pas de la même façon que M. Lepsius. Ici le
» Moniteur raison. M. Lepsius, qui connait à fond l'anti-
» quité égyptienne, sait aussi bien que personne que la
» table d'Abydos n'était pas connue il y a un an, et que, si» depuis cette époque elle a vu le jour, ce n'est pas d'elle-
même qu'elle est sortie du fond des montagnes de décom-
» bres qui rendaient inaccessible le temple d'Abydos. Je
» n'hésite donc pas à dire qu'en llullliant le premier un
» monument inédit sans même nommer celui il qui la dé-
» couverte en est due, M. Lepsius a mal agi envers moi.
» Depuis de longues années, je sacrifie mon temps, mes
soins, mes fatigues, je dirai même ma santé, à une œuvre
» plus ingrate et plus difficile qu'on ne pense. A ce point
de vue, je méritais de la part de M. Lepsius plus d'égards,1) et si M. Lepsius avait tenu absolument passer par-» dessus les convenances en ne me laissant pas cueillir le
» premier fruit d'un arbre que j'ai planté, il eut dû tout au
» moins prononcer mon nom.
» Tel est, exempt de toute passion et de tout entraine-
» ment, mon avis sur la question. En vous le donnant, ne
» croyez pas qu'il en conte quoi que ce soit à ma dignité.» S'il était vrai que l'article du Moniteur ait été écrit sous
406 REVUE RÉTROSPECTIVE
mon inspiration, s'il était vrai qu'un seul jour j'aie pu
» croire qu'effectivement vous m'avez dérobé quelque chose,
)) je mettrais à défendre le Moniteur la même franchise et
le même empressement spontané que je mels en ce mo-
» ment il le désavouer. Pour ma propre considération, ne
» m'attribuez donc pas un langage qui n'est pas dans mes
)) habitudes. Comme vous, je fais métier d’égyptologie, et
» tous deux nous suivons la même voie. Cultivons en paix
notre chère science les satisfactions que donne l'étude
sont de celles qui font oublier les misères de cette
pauvre vie.
H Agréez, mon cher Monsieur Dùmichen, mes salutations
)) empressées.
Signé AUG. MARIETTE. »
« P.-S. Cette lettre était écrite et prête à vous être
» envoyée quand un autre égyptologue, en ce moment au
» Caire, M. Devéria, m'a remis le numéro du journal Lc
» Commerce, qui contient votre article que jusqu'ici je ne
» connaissais pas. Il me serait facile do déchirer cette
» lettre et d'en rédiger une autre dans le ton même que
)) vous avez adopté. Je ne le ferai pas. Permettez-moi seu-
)) lemcnt une observation. Votre colère est juste. Mais elle
tombe it tort sur moi. — C'est au Moniteur qu'il faut vous
adresser. Le Moniteur a entassé erreur sur erreur; à moi
)) insu, sans m'en prévenir, sans que je l'en aie chargé, ni
» directement, ni indirectement, sans même que j'aie pro-
)) nonce ou écrit un seul mot qui tende à le pousser dans
)) cette voie, il a légèrement formulé une accusation indigne
)) de son habituelle gravité. Moi, je n'en suis pas respon-
» sable. La querelle vient de lui, et je ne l'épouse pas. Bien
» plus, j'ai écrit hier même il M. de Rougé pour me plaindre
» de l'étrange abus qu'on a fait de mon nom. La logique, le
bon sens, aussi bien que l'amour de la vérité, me poussent
donc à ne pas vous suivre sur le terrain où vous vous êtes
A PROPOS DF LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 407
» engagé, et, en vous envoyant ma lettre telle que je l'ai
rédigée sous ma première impression, je veux vous faire» voir que je me donne contre vous tout au moins le mérite
de la modération.
Pour copieconforme l'original
» LeCaire,leu mars1865.
» Le vice-consulde Prusse,
p. a.
FRINSTRALEH.»
« En publiant la lettre ci-dessus, que M. Mariette a bien
» voulu m'adresser quelques jours après son arrivée de la
» Haute-Égypte au Caire, je ne peux me dispenser d'y)) ajouter une remarque, relative la prétendue découverte» de la table d'Abydos par M. Mariette-Bey.
» M. Mariette commence sa lettre, adressée à M.Desjar-» dins, par les mots surprenants «J'aidécouvert»; éga-» lement, comme dans cette lettre rendue ci-dessus, on
» lit HJ'ai pu me plaindre avec certain droit de la puhli-cation d'un monument que j'ai découvert, publication où
» mon nom n'est pas mentionné.
» C'est une illusion. On fait une découverte en remar-
quant le premier une chose et en faisant valoir son im-
» portance. Les paysans de la Haute-Égypte ayant nettoyé,» aux frais de S. A. le vice-roi, non pas à son profit, mais
» au profit de la science, le temple d'Abydos, M. Mariette
» n'a rien su de la présence de la table royale en question,et ce n'est qu'après en avoir vu ma publication dans un
» journal scientifique de Berlin qu'il est allé Abydos pours'assurer du fait au lieu même, et puis le communiquer
» dans une lettre à M. Desjardins.J'ai cité dans ma défense,» outre les preuves les plus évidentes, des témoins les plus» honorables. C'est moi qui ai vu, copié et publie le pre-» mier la table d'Abydos. La découverte, par conséquent, —
40S ITEVUE RÉTROSPECTIVE
» si l'on veut en parler, —appartient Ú moi et nullement a
H M. Mariette. Du reste, il est de nulle importance si c'est
1) M. Mariette-Bey ou à moi que revient le mérite d'avoir
reconnu le premier la valcur de ladite table la science
devra à jamais et uniquement a la munificence de Son
Altesse le vice-roi un des plus importants documents de
H l'histoire d'Égypte.
» Au Caire, le 5 mars 1865.
JOHANNES DÜMICHEN. »
IV
Ainsi donc, M. Dumichcn. usant d'un droit qui appartient
it tous, a vu et copié le premier à Abydos, dans la Haute-
Égypte, une nouvcllc et très importante liste royale; il l'a
adressée il Berlin, pour être insérée dans le journal égypto-
logique que dirige M. le docteur Lepsius, et cette insertion
a eu lieu en vertu d'un droit que M. Mariette veut bien ne
pas contester.
Voilà les faits dans toute leur simplicité.
V
M. de Rougé et M. Mariette invoquent les convenances
et la délicatesse. Sur ce chapitre, quelques réflexions se pré-
sentent d'elles-mêmes Ú l'esprit. Si nous avions affaire à un
explorateur travaillant à ses frais, pour son propre compte,
la délicatesse exigerait qu'aucune publication ne fût faite
sans son consentement. Mais les choses sont fort différentes
lorsqu'il s'agit d'un service public de fouilles, payé par un
gouvernement qui a entrepris ce service, non pas en vue des
intérêts particuliers du savant qui les dirige, mais au profit
de la science; elles sont encore fort différentes si l'on con-
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 409
sidèreque,dansle casparticulier, lapublicationporte sur
un document dont le directeur des fouilles n'a connu l'exis-
tence que longtemps après sa découverte par les fellahs em-
ployés au déblaiement du temple d'Abydos. La direction
des fouilles n'est pas uniquement un travail de dévouement,
d'abnégation ct de sacrifices c'est aussi une fonction fort
enviable, à laquelle sont attachés, a très juste titre du reste,
honneurs, autorité, émoluments; l'œuvre peut être difficile,mais à coup sûr elle n'est pas ingrate; le vice-roi n'est
point exposé au danger de la voir abandonner, faute de
titulaires.
VI
Il est donc bien vrai de dire que, dès l'instant que S. A. le
vice-roi d'Égypte, seul maître des fouilles et des monu-
ments qu'elles produisent, n'interdit a personne le droit
d'étudier ces monuments, de les copier et de les faire servir
au but général des fouilles, c'est-a-dirc au progrès de la
science, il n'existe aucune considération qui doive détourner
un explorateur de profiter de cette faculté, ni l'empêcherd'en faire au plus tôt profiter tous les égyptologues, alors
surtout qu'en agissant de la sorte il se trouve qu'on ne pré-judicie iLaucune publication entreprise, soit par le gou-vernement égyptien, soit par le directeur des fouilles, et
qu'au contraire on ne fait qu'arracher des monuments l'essen-
tiels à l'étude, à une séquestration que le passé nous auto-
rise il redouter.
VII
Mais, après tout, avons-nous bien entendu le langagedigne et calme de l'homme qui réclame contre un simpleoubli des convenances? Ce vol de M. Dumichen, cette com-
410 REVUE RÉTROSPECTIVE
pli cité de M. Lcpsius, cette indignation de l'Institut, quelles
passions les ont improvisés dans les colonnes du Journal
officiel? Qui les a répétés dans le journal La Presse ? Et,
bien que la vérité soit connue depuis longtemps, qui donc a
élevé la voix en France pour les démentir ou même pouren atténuer la portée? Qui donc a averti le pubiic trompe
que « le Moniteur a entassé erreur sur erreur; qu'à l'insu
» de :\1. Mariette et sans l'en prévenir, sans en avoir été
chargé, ni directement, ni indirectement, sans même queM. Mariette ait prononcé ou écrit un seul mot pour le
o pousser dans cette voie, le Journal officiel a formulé une
» accusation indigne de sa gravité habituelle?» 1\-1-on su
que « M. Mariette avait écrit it M. de Rougé pour se plaindre» de l'étrange abus qu'on a fait de son nom))? Toutes les
rectifications se sont bornées a la déclaration que la note
» du Moniteur était malencontreuse !» II faudrait étendre
considérablement la signification de cette expression pouren faire découler un témoignage contre la véracité de l'ar-
ticle calomnieux du Journal officiel.
Ce n'est pas, d'ailleurs, le seul article qu'ait inspiré le dé-
sappointement. On vient de m'en signaler un autre quimontre toute la fécondité de l'esprit des mécontents. Il
mérite d'être reproduit en entier dans un travail destiné,comme celui-ci, à faire connaitre l'an'aire sous toutes ses
faces; je l'emprunte a la chronique du Monde, illustré du
25 février 1865
« Depuis peu, on ne cesse de crier urt vol! dans le monde
intullcctucl. Romanciers, auteurs dramatiques, chanson-
niers se dénoncent des plagiats quotidiens. Les antiquaireseux-mêmes se mettent de la partie. Tout récemment, un
» égyptologue français s'est vu traîtreusement enlever parun Prussien l'honneur d'une grande découverte. Il s'agis-
» sait d'une suite importante d'inscriptions permettant d'éta-
blir un ordre nouveau dans la suite interminable des
» dynasties égyptiennes. M. Mariette avait fait déblayer
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 411
» ces inscriptions dans Ic tcmnplcd'Abydos, et il préparait un
» mémoire explicatif, lorsqu'il se voit devancé dans un
» recueil prussien. Grande fut sa stupéfaction, car per-» sonne, il era était sûr, n'avait pu marcher ainsi sur ses
» brisées. En allant aux renseignements, on a fini par recon-
» naître l'auteur du méfait en un jeune Berlinois, qui,» après s'éti-e insinué dans les bonnes grâces de M. Ma-
» riette, aaait, par une belle nuit, avec l'assistance d'un
» gardien corrompu, fait cles estampages qui lui avaient
» permis plus tard de tromper son hôte.
» Pour être bien appréciée, cette indélicatesse comporte
quelques renseignements sur le personnage qui en a été
» victime.
» Bien que docteur en droit, bien qu'ami de Daunou, le
» père de M. Mariette resta secrétaire de la mairie de Bou-
» logne-sur-Mer. Son fils se contentait du titre plus mo-
» deste encore de maitre d'études et de professeur de dessin
» au collège de la ville, lorsque lu vue d'un sarcophage
» égyptien, conservé dans le musée local, décida sa vraie
» vocation. Les hiéroglyphes irritèrent sa curiosité, et,
» sans autre aide qu'un Champollion, il vint à bout de la
» satisfaire. Son interprétation fut transmise à Paris; elle
» trahissait des dispositions telles qu'elle intéressa Lenor-
» mant. Le crédit de cet académicien fit entrer M. Mariette
» comme employé au Musée du Louvre. En 1850, on l'en-
» voie pour lu première fois en Egypte, pour acheter des
» manuscrits syriaques que nous enlève un agent du Bri-
» tish Museum, toujours en lice avec nous dès qu'il s'agit
» d'acquisitions de ce genre.
» Notre hiéroglyphiste s'en console noblement par sa
» grande découverte du Sérapéum de Memphis, qui lui vaut
» au retour la croix et le grade de sous-conservateur du
» Musée des Antiques. Mais, toujours infatigable, il repart.
» Son énergie et sa sagacité captivent le vice-roi malgré
» une tendresse médiocre pour l'archéologie, celui-ci le fait
412 REVUE RÉTROSPECTIVE
» directeur général de ses musées, aux appointements de
» vingt-cinq mille francs.
» Il y avait tout v créer dans un pays pauvre en res-
» sources, M. Mariette sut faire honneur à sa tache. Grâce
» à lui, l'I?gypte respecte et fait respecter les ruines gran-» dioses qui la rendent célèbre.
» Entoure cl'tcrze palissade, surveillé par tzn gardien,
» chaque monuments n'en est pas moins accessible aux tou-
» ristes. Le nouveau directeur les protège et les uccom-
» pagne, selon le cas, dans des trajets que facilite encore
» zcn bateau à vapeun nais à sa disposition spéciale.
» Par le seul fait de leur classement, tous les débris de
» cette civilisation primitive ne sont plus aussi accessibles
» aux convoitises européennes. Il faut que le vice-roi veuille
» faire réellement acte de galanterie vis-à-vis d'un illustre
» touriste pour lui permettre d'emporter des trophées de ce
» genre. Aussi dit-on que plus d'un fouilleur avide n'a trouvé
» que ce qu'on avait bien voulu lui laisser trouver. L'his-
» toire classique et tout égyptienne du poisson sec attaché
» au bout d'une ligne a, plus souvent qu'on ne le croirait,
» son pendant en archéologie.
» Que d'anecdotes piquantes s'offriraient a notre plume
» si on ne courait pas le risque de froisser de terribles
» amours-propres! Les souverains ne sont pas a l'abri de
» ces déconvenues. Nous connaissons un roi, aujourd'hui
» sans couronne, qui récompensa d'une façon éclatante son
» cruel mystificateur. Celui-ci n'avait pas, il faut le dire à
» sa décharge, prémédité le coup. Il fouillait au contraire,
» il faisait piocher avec ardeur un sol ingrat, lorsque la
» visite du souverain lui fut annoncée.
» Vite on court aux marchands de bric-à-brac delà ville
» voisine, on achète quelques vases plus ou moins intacts,
» une tête de marbre et une douzaine de médailles; on pro-
» cède à leur enfouissement nocturne avec le plus d'habileté
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 413
possible, et le lendemain voit une exhumation dont s'émer-
» veille l'Europe savante.
» Le mystificateur était au pinacle, et tout aurait con-
» tinué a marclter pour le mieux s'il eut été diplomate» jusqu'au bout; mais il parla, mais il rit même un peun trop haut de ses succès, et il se vit invité à les conter
plus loin. En fait de médailles, il avait vu bien d'autres
revers; son heureuse philosophie n'a pas tardé a le con-
» soler de ceux-là.
VIII
Je serais bien aise de savoir ce que va penser S. A. le
vice-roi d'Égypte des burlesques déconvenues et du poissonscc préparés aux explorateurs scientifiques de ses domaines,
lorsqu'ils ne sont pas couverts par une protection que les
têtes couronnées n'obtiennent pas toujours. Pour ma part,
je rirais peut-être de ces grossières farces, si elles étaient
rapportées dans les curieux récits du capitaine Speke; mais
lorsqu'au lieu des principicules de l'Afrique centrale, il
s'agit du souverain éclairé qui régénère l'Egypte, ces anec-
dotes piquantes me paraissent toute autre chose que gaies,Laissons toutefois ce détail car, nous rappelant les circons-
tances de la découverte de la iahle royale, nous pourronsrire tout à notre aise de la nouvelle version qu'a prise sous
sa responsabilité le spirituel chroniqueur caché sous le
pseudonyme d'Alter. Ce mémoire de M. Mariette sur un
monument dont il ignorait l'existence, cet insinuant Berli-
nois, cette helle nuit et ce gardien corrompu sont d'un fan-
tastique acllcvé.
Il est, d'ailleurs, bien évident que ces mensonges, qui l'em-
portent en ridicule sur ceux de l'article du Moniteur, sont
complètement étrangers a l'inspiration de M. Mariette. Et
l'on se tromperait grandement si l'on s'imaginait que les
thuriféraires compromettants qui semblent avoir pris sa
414 REVUE RÉTROSPECTIVE
cause en main per fas et nejas sont mus, dans cette violente
croisade, par les seuls intérêts du savant directeur des
fouilles de l'Égypte. L'illustration de M. Mariette est fondée
sur des titres trop sérieux pour avoir quelque chose à craindre
de la divulgation des trésors scientifiques dont l'exhumation
lui est due; tout au contraire, elle ne peut que s'accroître
notablement par les services que de semblables publicationsrendent iLla science; le système du monopole, auquel il a
eu le tort de faire quelques sacrifices, lui dira peut-être le
contraire et cherchera a l'entraîner à des mesures violentes.
Déjà il a été beaucoup trop fait dans ce sens; déjà une cer-
taine hésitation se manifeste parmi les égyptologues quiont conçu la pensée d'explorer a leur tour le pays de leurs
rêves. Que M. Mariette les rassure franchement, ouverte-
ment qu'il n'oblige pas la science il faire une halte inutile.
IX
Je lis dans un article de M. Ch.-Em. Ruelle, destiné à an-
noncer le travail à M. de Rougé sur les six premières dynas-ties égyptiennes, que la récente mise en lumière des tables
de Saqqarah et d'Abydos sera l'honneur de M. Aug. Ma-
riette et de la France. J'ai le regret de ne pouvoir partagercette illusion. Séquestrée et tenue cachée pendant plus de
quatre années, alors que l'ardente curiosité des égypto-
logucs était irritée par des communications pleines de réti-
cences, la liste de Saqqarah n'a vu le jour que pour se perdredans l'importance de celle d'Abydos; et, quant à cette dcr-
nière, je me demande quelle espèce d'honneur la France peutretirer des circonstances qui en ont accompagné et suivi la
mise au jour. Heureusement la gloire de la France n'est
point solidaire des écarts de quelques savants déconcertés.
Mais, malgré les listes de Saqqarah et d'Abydos, il y a une
chose qui demeurera vraie, c'est que M. Mariette est déjà
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 415
et restera une des gloires de la France; je n'ai jamais ltésité
dans cette appréciation. La génération présente des égyp-
tologues,qui a vieilli dans l'attente des résultats des fouilles,
passera ayant d'avoir pu en tirer parti mais les générations
qui nous suivront trouveront le monument tout édifié et
sauront honorer le nom du savant clui en a jeté les fonde-
ments.
Il ne faut cependant pas s'étonner que, parmi nos con-
temporains, il se rencontre dans l'école de Champollion
beaucoupd'impatients. Pour ce qui me concerne,jc confessc
que je suis de ce nombre, et, de plus, que les nouvelles dé-
couvertes de M. Mariette, à Assouan et il Dcndérah, loin
d'être une réponse a mesréclamations, ne font qu'accroitreconsidérablement mon impatience. J'ajouterai, sans crainte
d'être démenti, qu'il n'est pas un seul égyptologue qui ne
soit aussi impatient que moi. Je dois cependant faire une
cxception a l'égard de M. le vicomte de Rouge, puisqu'iltrouve que M, Mariette a répondu a nos plaintes, sans avoir,
cependant, encore rien publié de nouveau. Le savant acadé-
micien «a cru que la délicatesse l'obligeait il ne point pu-» blicr, avant M. Mariette, ni la table de Saqqarah ni
» l'inscription de l'an 400 du roi Noubti, quand il savait
que son savant ami rédigeait des mémoires sur le même
sujet. Et il me demande de lui permettre de ne changer,sur ce point, ni de conduite, ni de manière de voir ».
Cecin'est pas mal perfide, surtout pour quiconque n'ad-
met pas qu'en manière de délicatesse chacun en soit juge iL
sa manière. Mais que M. de Rougé me permette, a son tour,de lui demander où et quand je l'ai engagé ivvioler les droits
de M. Mariette. C'est de M. Mariette qu'il tenait ses copies,et M. Mariette ne les avait livrées que sous conditions. Si
je me plains que les monuments ne soient pas publiés, mes
reproches s'adressent v celui qui possède ou s'arroge le droit
d'empêcher cette publication, mais nullement à celui qui
respecte ou subit ce droit. M. de Rougé se trompe s'il croit
416 REVUE RÉTROSPECTIVE
être seul dans cette situation, qu'il faut déplorer sans s'en
faire un mérite.
X
Il parait que l'interdit de M. Mariette portait seulement
sur les textes, mais non sur l'explication des monuments;
car M. de Rougé n'a pas senti sa délicatesse engagée lors-
qu'il a publié la traduction de la stèle de Burkal, l'expli-cation et l'appréciation historique de celle de l'an 400,
appréciation que M. Mariette a été ensuite obligé de com-
battre, et contre laquclle je me suis élevé, de mon côté,
aussitôt que le texte a été accessible lorsqu'enfin il a expli-
qué il. son cours la table royale de Saqqarah, avec des réti-
cences qu'un critique anglais a trouvées regrettahles, mys-tificatrices même, mais en ayant bien soin de constater quele savant professeur n'en était nullement responsable. Ces
publications et ces leçons, que n'accompagnaient pas les
textes, ne se ditférencicnt d'ailleurs, sous ce rapport, en au-
cune manière, de quelques autres publications du même
savant, sur lesquelles ne portait cependant aucune prohibi-tion. Je suis obligé de rclever ce fait pour contester a M. de
Rougé le droit de parlcr au nom des impatients, lui clui
reçoit la communication confidentielle des plus importantesdécouvertes de M. Mariette, et qui les utilise selon la manière
qui lui est llhituellc pour les travaux de ce genre. Dans ces
conditions, plus d'un impatient trouverait l'uttentc suppor-table. Mais je suis loin de demander pour moi une part de
ces précieuses confidences, car je ne les accepterais qu'avecl'autorisation expresse d'en faire immédiatement profitertous mes collègues en égyptologie.
XI
Oui, M. Mariette est l'une des gloires de la France, et ses
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 417
BIBL.ÉGYPT.,T. X. 27
titres à la gloire consistent dans le nombre immense de mo-
numents que son génie a su faire sortir des sablesde l'Égypte,dans l'assistance puissante que l'étude de ces monuments,
quand elle sera possible, apportera aux progrès d'une science
toute française dans son origine, mais aujourd'hui devenue
universelle. Il ne suffit pas toutefois de proclamer, tardive-
ment peut-être, la gloire de M. Mariette, il fallait s'y asso-cier, il fallait y associer la France, qui n'a encore rien fait,
je l'ai démontré, pour le développement de la découverte
deChampollion,l'un de sesplus illustres enfants. Naguère, et
il s'agissait alors de millions, on a pu dire que la France
était assez riche pour payer sa gloire; serions-nous réduits
aujourd'hui a tendre la main à l'Egypte, lorsque quelquesmilliers de francs suffiraient? En quoi consistent donc ces
obstacles que le vice-roi a enfin levés et qui s'opposent de-
puis si longtemps à la publication des monuments? En
a-t-on, par hasard, depuis tant d'années, entretenu nos mi-
nistres ? Les a-t-on exposés il l'Empereur, ce protecteur si
vigilant de toutes nos gloires nationales? Qu'on le diseenfin,et qu'on montre a M. Mariette que l'on ne s'est pas contenté
d'un hommage stérile et inactif rendu it son mérite! Il est
presque honteux pour la France qu'on puisse se faire une
arme de la difficulté qu'éprouveraient dans notre patrie de
pareilles publications. Cette difficulté, je la nie. Il arrive
bien que les subventions de l'État sont absorbées par des
travaux d'une autre nature, mais cette préférence persis-tante ne peut résulter que de l'appréciation du mérite relatif
des ouvrages recommandés. Or, je le demanderai, depuis
cinquante ans, quelle publication subventionnée par l'État
pourrait le disputer en importance scientifique et nationale
au recueil des papyrus, inscriptions et monuments de toute
espèce découverts en Egypte par M. Mariette, depuis treize
années? Il fallait faire rcssortir cette importance, et la tâche
n'était pas plus difficile que ne l'a été celle de décider M. le
ministre d'Etat à fournir les fonds nécessairespour enlever
418 REVUE RÉTROSPECTIVE
à l'Amérique l'avantage de publier, la première, le fameux
manuscrit dans lequel l'abbé Domenecli a découvert la
pictographie des Peaux-Rouges Ne calomnions pas la
France, mais défions-nous des passions, des rivalités et desvues intéressées, qui toujours assiègent, et quelquefois gas-
pillent les ressources précieuses de l'État.
XII
M. Mariette n'a pas eu autant de bonheur que l'abbé
Domenech, il faut bien le reconnaître. Il en a eu moins aussi
que M. Edmond Leblant, dont l'ouvrage intitulé: Inscrip-tions chrétiennes cle la Gaule antérieures au VIIIe siècle,a été imprimé par ordre de l'Empereur, à l'Imprimerie im-
périale, en 1856. Cet avantage n'a rien qui étonne à proposd'un livre couronné par l'Institut de France. Mais je cite ici
cet exemple pour rappeler que ce recueil comprend les
soixante-quatorze inscriptions mérovingiennes trouvées à la
chapelle Saint-Éloi (Eure) par M. Ch. Lenormant, et quece célèbre académicienavait annoncées ie l'Institut comme
une découverte rare en un siècle. Or, cette mêmedécouverte
avait été le sujet d'un rapport fait, en août 1855,à la Société
libre d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres de
l'Eure, par une commissioncomposéede Messieurs le mar-
quisdeBlosseville,vice-présidentdelaSociété; EmileColom-
bel, secrétaire perpétuel; Sauvage, président de la sectiondes
Lettres; Dumont,secrétaire dela même section; Arnoux, in-
génieur desponts-et-chaussées,secrétaire de lasectiond'Agri-
culture Lapierre, rédacteur en chef du Courrier de l'Eure;
Bourguignon, architecte du département, correspondant de
la commissiondes Monuments historiques; Bonnin, corres-
pondant des Comités historiques l'abbé Lebeurier, archi-
viste du département, ancien élève de l'École des chartes,
rapporteur. Une polémique s'engagea, et la Société de
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TAULE ROYALE 419
l'Eure conclut en ces termes « Que reste-t-il de cette prodi-
u gieuse découverte annoncée au monde avec tant de bruit?
»Deux fours à chaux de l'espèce la plus vulgaire; duns leur
» enceinte et aux alentours, un amas de moellons et de frag-
» ments de colonnes propres à faire de la chaux; des tuiles
» romaines et quelques objets antiques; sur ces fragments
» de colonnes et sur ces tuiles, des inscriptions dont les unes
» sont fausses, et dont les autres peuvent venir d'un éta-
» blissement voisin, le prieuré de Saint-Eloi. Mais il reste
invinciblement démontré qu'au moyen de ces inscriptions
» M. Charles Lenormant a bâtai un roman indigne de sa ré-
» putution et de sa science.
» Nous dirons avec plus de justice que si, par des influences
» de position, M. Charles Lenormant parvenait à détourner
» l'indignation du monde savant et la sévérité de l'opinion
»publique, notre travail resterait au moins comme une pro-
» testation d'honnêtes gens, et l'avenir, il faut l'espérer,
» vengerait la vérité des complaisances du présent. »
Notons, en passant, que la Société de l'Eure s'est bercée,
dans cette dernière phrase, d'une espérance illusoire. Ses
protestations passeront, et les inscriptions de Saint-Éloi,
timorées à l'approbation de l'Institut de France dans le
Recueil de M. Edmond Leblant, demeureront et formeront
titre scientifique. On peut lire, dans le cahier de mai dernier
de la Revuc Britannique, une notice sur les inscriptions
chrétiennes publiées par M. Rossi et par M. Edmond Le-
blant. Au nombre de celles qui ont eu l'honneur de la repro-
duction dans cette notice, se trouve l'une des conquêtes de
M. Lenormant à la chapelle Saint-L:loi c'est une légende
en runes germaniques, constatant que Clovis porta réelle-
ment le titre de consul, quoique son nom ne figure pas dans
les Fastes. Des énergiques réclamations de la Société de
l'Eure, des exploits du faussaire Rouillon, pas un mot; le
420 REVUERÉTROSPECTIVE
rédacteurde la noticene les connaîtpasou les juge indignesd'arrêter son attention.Clovisrestera donc consul romain,et lesrunes deM. Lenormantmarqueront,commele dit laRevueBritannique à la suite de la Revue d'Édimbourg, lecours de la grande migration des peuples teutoniquesauIVeet au Ve siècle.
A l'encontrede cesconstatationsscientifiquesaussi facile-ment acceptées,il m'est impossiblede ne pas rappelerquele mêmeM. CharlesLenormantavait égalementenrichi lascienceégyptologiqued'un très grand nombrede faits, nonmoinsnouveauxet inattendus, que je crois avoir réussi àfairedisparaîtrebiendéfinitivement;s'il evistaitencorequel-quesdoutesà cet égard, je suis tout prêt a reprendrela dis-cussionanalytique de tous les textes égyptiens interprétéset commentés par ce savant hardi, et à montrer qu'il nedoit rien rester de ses traductionsni de ses commentaires,
pas plus en ce qui touche l'explicationdu Rituel funéraire
qu'à l'égarddesmonumentshistoriqueset littérairesdel'an-cienneEgypte. Pour ma part, je n'hésite pas à penser qu'ilne doit rien rester non plus de ses inscriptions mérovin-
giennes,maiscelarcgardeles savantsen runesgermaniques.Seulementil s'agit ici de la question d'affectationdes res-sourcesde l'État à la publicationdes documentsoriginauxutilesà la science,et je m'étonneque les soixante-quatorzeinscriptionsarguées de fauxpar une compagniede savantset d'hommesau-dessusde tout soupçonaient pu trouveraccèsdansle RecueildesInscriplionschrétiennesdela.Gaule,
ouvrage imprimépar ordre de l'Empereur, et cela sans lamoindrediscussiondes accusationsgraves qui les rendentsi justement suspectes.Qu'on n'en appelledonc pas, je le
répèteencoreune fois, aux lenteurs et aux diliicultésqu'é-prouvent en France de pareilles publications; n'est-il pasmanifestequ'il suffit de la bonne volonté ou des secretsdésirs d'un savant en crédit, et que si, par ce moyen,desdocuments très critiquables ont vu le jour, à plus forte
APROPOSDELADÉCOUVERTEDELATABLEROYALE421
raison aurait-on pu faire paraître des textes et des monu-mentsque l'on proclamedevoirêtre une des gloires de laFrance?
XIII
J'ai dit dans monpremier article (§ XXII)que la science
pouvait compter sur la collectionde textes recueillisparM. Dümichen Ce n'est pas que j'aie été, sousce rapport,dansles confidencesde ce savant;ce n'est pasque je mesois
imagincqu'il aurait, moins que d'autres, besoinde litho-
grapheset de rcssourccsfinancières;mais j'étais convaincu
que M. Dumichen, envoyé par son souverainpour pro-curer dcsmatériauxà la science,rempliraitcette honorablemissionde la seule manièreà monavis convenable.Or, enmêmetemps que j'exprimais ma convictionivcet égard, le
jeune igyptologue allemand écrivait ces paroles « Sans» fouiller, sans dérober, j'ai trouvé des richessesscienti-» fiqucsjusqu'alorsinconnues; j'ai fait une récolteconsidé-
rable, que je ne tarderai pas à mettre sous les yeux des» gensde lettres.»
M. de Rougéa aussi fait une récolteconsidérable;c'estlui qui nousl'apprend dans son rapport à M. le Ministredel'Instruction publique:Six volumesd'inscriptionsinédites,
copiéesilla main; deuxcent vingtplanchesphotographiées,tel est l'inventaired'une «missionorganiséepar les Minis-» tères d'État et de l'Instructionpublique,sousl'inspiration» de Sa Majesté». Quantaux progrèsque doiventapporterà la sciencecesprécieuxmatériaux, ils sont très considé-
rables, nous dit le savant académicien,et personnen'ensaurait douter, ne fût-il mêmequestionque «desadditions» heureuseset des correctionsimportantesaux textes de-
l. Voirplushaut.p,389-390duprésentvolumes.G.M.
422 REVUERÉTROSPECTIVE
» venusclassiquesdans la science», signaléesh la page 16du Rapport.
Je me suis demandé avec anxiété si les égyptologuesseraient admis au partagede cestrésors, dont M.de Rougéest loin d'exagérer la haute valeur, ou si l'écoleentière de
Champolliondevait être condamnéeà se servirindéfinimentencorede textes reconnuserronéspar un juge compétent.Je constataisavec regret que M. de Rougé se borne à an-noncerSon Excellence«un rapport plusdétaillé, oùseront» développésles faitsnouveauxque l'étude des inscriptions» lui auront successivementrévélés(page 24 du Rap-port).
Une courtedigressionest ici nécessaire.Au nombre desdocumentssortis desfouillesde M. Mariette, et dont nousdevonsla révélationà M. Dümichen.est une liste de nomes
où, pour la première fois,l'on trouve inscrite la ville de
Soutensinen,qui y figurecommecapitaledu XXenomedelu Haute-Égypte. DiversrapprochementsingénieuxavaientconduitM. le docteur Brugschà reconnaitredans Souten-siuenle nom égyptien de l'oasis d'Ammon,et, moi-même,j'ai partagé et soutenu les vuesdu savant allemand à lasuite du déchiffrementde certainesmentionsempruntéesau
papyrus de Berlin n°2, d'après lesquellesla ville en ques-tionapparaissaitcommevoisined'unecontréedite «la cam-
pagnede sel t. En vertu d'autres renseignementsdont ilétait seul juge, puisque le texteen est resté inédit entre ses
mains,M.de Rougéa suggérél'idéeque Soutensinendevait
correspondreivHéracléopolis,et la publicationde M. Dû-michendonne, selontoute apparence,raisona cette conjec-ture du savantacadémicien.Or, l'un desprincipauxmotifs
qui avaientfait songer ial'oasisd'Ammon,c'est qu'un texte
parle d'un personnagequi s'embarquasur le Ouat-oerpouraller à Soutensinen.Ouat-oerest très certainementle nom
1.Voirplushaut,p.304-319duprésentvolume. G.M.
APROPOSDELADÉCOUVERTEDELATABLEROYALE423
de la Méditerranée;mais il n'y a pas à songerà cette mer
lorsqu'ilest questiond'un voyagedans laHaute-Egypte.Enreconnaissantque Soutensinenest lacapitaledu XXenome,il faut doncaussi rceonnaitreque la dénominationde Ouat-oer n'a pas une significationaussi restreinte qu'on l'avaitcru. Autourde ce point de difficultése groupent une foulede questionsintéressantesque lesmonumentsse chargerontquelquejour de résoudre. J'ai vu, il y a déjà plusieurs an-
nées,entre lesmainsd'un égyptologueparisien,lacopied'un
magnifiquetableauprovenantdes fouillesde M. Mariette,àEl-Assassif.Le chefde Pount, accompagnédesonfilset deson épousedont les proportionsrappellent l'excessiveobé-sité qui constitue la distinctiondes femmeschez quelquestribus de l'Afriqueéquatorialc,viennentrendrehommageauPharaon et lui amènentdesprésentsde toutessortes,parmilesquelson remarque des singes de plusieurs espèces etl'animal encoreinconnu,nommé tosem; les barques, leur
gréement, leur chargement, sont admirablement figurés,et l'ensembledu tableau et de ses légendesconstituel'undesmonumentsles plus curieuxet les plus instructifs quenous ait léguésla vieilleÉgypte. Dansl'unedeceslégendeson lit ce qui suit
« Navigation sur le Ouat-oer, départ heureux pour le» Neter-tu, ahordageen paix il Pount, des troupesdu sei-» gneur du monde»,etc.
Ici le Ouat-ocr,qui conduità Pount et àNeter-to, semble
désignerla merRouge. Mais ce texte précieuxn'a pas vula lumière. Si l'égyptologuequi le possèdeconsent h nous
expliquer pourquoila publicationen a été entravée, M. de
Rougé ne s'étonnerapas de la liberté que j'ai prisede luidemander s'il n'a été autoriséà copierque pour son usageparticulier. C'est, cependant,à proposde cette questionquele savantacadémicienparle de suppositionsétranges,de pa-rolesdont il faut faire justice, d'insinuationqui exige une
réponse connue partout. Où sont les suppositions?Où se
424 REVUERÉTROSPECTIVE
trouve l'insinuation? J'ai demandea M. de Rougés'il avaitl'autorisation de publier ses copies; cette question, je la
répète encoreet j'en ajouteunesecondc S'il y est autorisé.M. de Rouge fera-t-ilcette publication?Il peut répondreCes textes m'appartiennentet je les garde; que ceux quime les envient obtiennent commemoi une missionet des
subventions,et aillent les chercheren Egypte. Nous nous
résigneronsalors, mais non sans regret, et, commenous ysommesdu reste fort habitués,nousnous tourneronsvers lessavantsétrangers, versM.Brugsch,,qui annoncela troisième
partie de sonRecueil;versM.Dümichen,qui nousfait aussiunepromessea courte échéance.
Queles lecteurs ne prennent pas le change. Il ne s'agitpoint ici de l'intérêt descours deM. de Rougé.Heureuxleshommesstudieuxquipeuventen profiter,surtout silesavant
professeura, commeil l'affirme,vidé pour eux ses porte-feuilles Quelques-unsde ces hommesstudieux serontsansdoute un jour des cgyptolngaessérieux, et voudrontbiennousdire aloiscommentilsle sontdevenus;quantàprésent,je parle au nom des égyptologues,et je réclame,non desdisscrtationsorales, mais des textes avec ou sans disserta-tionsécrites.
XIV
M. de Rougéprendla peinede justifier sonactivitéscien-
tifiqueet l'intérêt de ses leçonsau CollègedeFrance; c'estunemanièrefort simpledem'attribuerle ridiculedelesavoir
attaqués. Le public, cluia touteslespiècesen mains,appré-ciera cette insinuation, au moyen de laquelle l'éminent
professeurse dispense d'introduire, dans sa réponse, unseul mot relatif aux six volumesd'inscriptionscopiéesà lamainqu'il a annoncéeset dont il a fait pressentirla grandeimportance: « Fallait-ilsubir, ainsi s'exprimeM.deRougé,» des lenteurs inévitables,quandil s'agit de demanderune
A PROPOSDELADÉCOUVERTEDELATABLEROYALE425
o subvention speciale; je ne l'ai pas cru, et la générosité du
o photographe habile qui m'avait accompagné, ainsi cluc le
o courage d'un savant professeur, M. Samson, ont résolu le
» problème. »
Or, le problème résolu consiste dans la publication d'un
album de soixante-six planches contenant cent cinquante-
cinq photographies « Vues des temples, statues et autres
objets d'art, bas-reliefs et inscriptions, tout est égalementréussi u. Les inscriptions, ainsi que nous l'apprend l'annonce
commerciale de l'album, proviennent du temple d'Edfou et
du Musée du Caire. Les égyptologues qui pourront consa-
crer quatre cents francs à cette splendide publication, se
rendront compte du nombre des textes qu'elle contient,abstraction faite des monuments, statues, etc.; mais, dès à
présent, je me demande quel rapport il peut exister entre
ce choix limité d'inscriptions « et la récolte si abondante
o qu'une longue vie de travail ne suffirait pas à l'épuiser ».
Ce qu'il est possible de comprendre dans les explicationsfournies par M. de Rougé, c'est qu'il n'a pas cru devoir sol-
liciter une subvention du Ministère, et qu'il s'agissait, dans
tous les cas, non de ces copies de textes, mais des photo-
graphies de M. de Banvillc. M. de l3anville a généreusementlevé la difficulté en faisant l'avance des fonds nécessaires
pour la préparation d'un album dont l'honneur me semble
devoir revenir en entier à cet habile photographe. Il est
juste d'applaudir à cette publication, mais les questions que
j'ai posées n'en subsistent pas moins dans toute leur portée.
XV
Si quelques avances d'argent, quelques sacrifices même,
sont indispensables pour des collections de textes d'une cer-
taine importance, tel n'est pas le cas quand il s'agit d'un
petit nombre de planches destinées à accompagner des mé-
426 REVUERÉTROSPECTIVE
moiresscientifiques.Tousmes travaux de ce genre ont été
acceptés,avec les planchesnécessaireset sans sacrificedema part, partout où ils ont été imprimés,et en particulierdans la Revue archéologique.C'est donc il d'autres motifs
qu'il faut attribuer la suppressiondes textes dans un si
grand nombredepublications.J'ai signaléles inconvénientsde cette suppression;onpeut dire, d'ailleurs,qu'ils sautentaux yeux. Aussi est-ce un devoir étroit pour la critiquede les releversans relâche,jusqu'à ce qu'onait, enfin,con-senti à traiter leshiéroglyphescommeon traite toute autre
langue morte.Une publicationrécentevient de faire ressortircesincon-
vénients d'une manière tout à fait frappante.Je vcuxparlerd'une très bonne dissertation de M. de Rougéfils sur lestextes géographiquesd'Edfou, dont la premièrepartie est
imprimée dans lecahierde mai de la Revuearchéologique.Quoiqueje nepartage pas toutes les vuesde l'auteur, je suisheureux de rendrejusticeà la méthodesuivieparcenouvel
adepte de la scienceégyptologiqueet d'acclamerun heureux
début, qui n'aura pas à compter avec les obstaclespar les-
quels la marchede tant d'autres est entravée.M. de Rougé filsa lu dans les textes qu'il analyse, mais
dont aucune copie n'accompagneson mémoire,que huit
peuples étrangers,voisinsde l'Égypte, sont désignés,cha-cun en particulier, par l'expressionbien connue de NeufArcs, et il en tire la conséquenceque ce terme qu'on a cru
s'appliquer à un groupe déterminédeneufpeuples,est tout
simplementune dénomination générale pour les nations
étrangères,danslaquellele nombre neuf n'est qu'unplurield'excellence.
Or, les mêmesinscriptions font le sujet d'une disserta-tion insérée par M. Brugschdans le numéro d'avril du
journal égyptologiquede Berlin; c'est unecirconstancetrès
heureuse que cellequi rapprocheainsi,sur un mêmesujet,deux mémoiresd'une véritable valeur et tout il fait indé-
APROPOSDELADÉCOUVERTEDELATABLEROYALE427
pendantsl'un de l'autre, car les divergencesinévitablesen
pareil cas sont presquetoujours l'occasionde discussionsetd'éclaircissementsutilesau progrès.
Au lieude l'expressionNeuf Arcs qu'a vueM. de Rougefils, M. Brugsch,d'après une copie de M. Dümichen,a lucellede HacitArcs; si M. Dümicltenne s'est pas trampé, ilserait bien acquisque les ÉgyptiensnommaientNeuf Arcs
un groupedeneufpeuples,et Huit Arcs, ungroupede huit,commec'est précisémentlecasdansl'inscriptionétudiéeparles deux savants.Ainsi s'évanouiraitabsolumentla signifi-cation généraleentrevuepar M. de Rouge fils.
Dansun autre passage,le jeune égyptologue trouve lamention des « Barbaresdu Nord, du pays du Nord, nom» qu'on donneaux nationsde Syrie (Kharu)». M. Brugsch,au contraire, y a vu: « le Huit-Peuples' du sud du pays» septentrional,nomdesKharu ».La donnéegéographiqueprésente, commeon le voit, une différencetrès notable, et
M. Brugsch serait dans le vrai si le texte qu'il reproduitd'après M. Dümichenest exact; mais M. de Rougé fils
disposede photographiesqui ne sauraientl'avoir égaré, s'illes a bien regardées.Quel'erreur soitde soncôté ou qu'elleproviennede M.Brugsch,elle aurait été évitéesicessavantsavaient copiéleur textepour le faire lithographierà l'appuide leurs dissertations;il s'agit en effetd'ungroupehuit fois
répété,sur lequelil serait impossiblede setromper huit foisconsécutives.En attendant que les photographiesde M.deBanvilletranchentla question,la sciencenepeut enregistrerni lesunesni les autresdes solutionsproposées.
XVI
Notre incertitude ne doit pas être de longue durée à
1. Commenousdisonsuncent-suisse.uncent-garde.
428 REVUERÉTROSPECTIVE
l'égard dece que disent réellementles textesgéographiquesd'Edfou; mais je ne serais pas embarrassépour citer un
grand nombrede cas d'erreurs de vieilledate et dues tou-
joursà la mêmecause,c'est-à-direà la suppressiondestextes
originaux.Ce sujet sera traité ailleurs d'une manièreplusscientifiqueet aveclesdéveloppementsqu'il comporte,mais
je dois, dès à présent, relever un mot injuste échappé a
M. le professeurMunk, dans son discours d'ouvertureducoursde languehébraïque,clmldaïqueet syriaqueau Collègede France.Cesavantdiscute avecbeaucoupd'autorité l'opi-nion de M. Renan, qui avait attribué a la race sémitiquetout entièrel'instinct du monothéisme;il établit victorieu-
sement,selonmoi, cette vérité, consolantepour quiconqueaime à sentir la main de Dieudansl'humanité, clue,« dans» le monothéismed'Abrahamet deMoïse,on ne peut voir
qu'un fait providentiel,l'interventiondirectede la Pro-videncedansles destinéesde la racehumainen.M. Munk
dit avecraisonque la sagessedesprêtres égyptiensnousest
peu connue;maisoù a-t-il pris queleRituel funérairen'est
qu'ungalimathias? Ignorerait-ilqueleségyptologuesnesont
pas encore parvenus à se mettre d'accord, même sur letitre généraldu Livre funéraire,et qu'à plus forteraisoniln'en existe aucunepartie de quelque importance dont latraductionsoit reconnueacceptable?La tache est rude et
peut être comparéeà cellequi aurait pour objet d'analyserun commentairerabbiniquedu Maasèmerkaba,s'il arrivait
que l'hébreu et le chaldéendevinssent des langues aussi
imparfaitementconnuesque leshiéroglyphes.Telle qu'ellefut exposéeà Cambysepar le restaurateur du temple de
Saïs, la doctrineégyptiennen'a certainementrien de com-munavec la majestueusesimplicitéde la révélation sinaï-
tique, maiscette expositionmêmen'a pas encoreété bien
comprise.Et, faute de posséder le texte, les lecteurs dumémoiredeM. de Rougésur les inscriptionsde la statuette
naoplioreont admis sans suspicionque (1le dieu Soleil est
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 429
» un premier-né qui n'est pas engendré, mais seulement» enfanté». Or, le texte dit, selon moi, toute autre chose.Il est faux. d'ailleurs, que les Égyptiens aient cru que tousles scarabéesétaient mâles et qu'ils aient fait de cet insecte
le symbole exclusifde la génération paternelle; il n'est pasvrai davantage que, pour ce peuple éclairé, les vautours
fussent tous femelleset conçussent en s'exposant au vent.Je voudrais bien que les savants fussent pénétrés d'un
grand principe, «c'est qu'il est périlleux de toucher à la» scienceégyptienne sans bien connaître les hiéroglyphes»;il en est un autre non moins important, qui s'adresse plusspécialementaux égyptologues, « c'estqu'ils doivent refuser» toute confianceaux notions présentées commerésultant de» l'explication des textes, aussi longtemps que les textes leurn seront tenus cachés ».
XVII
Des erreurs comme celle que je signale abondent dans
toutes les traductions; il n'en saurait être ditféremment,
puisque nous ne connaissons pas à beaucoup près la moitié
des mots de la langue, et qu'il n'est peut-être aucun terme
égyptien dont toutes les acceptions nous soient nettement
révélées; mais le progrès est incessant et découle exclusi-
vement de l'étude directe des textes; l'erreur d'aujourd'hui
se rectifiera demain peut-être, si le traducteur ne met pas
les égyptologues dans l'impossibilité de l'apercevoir. Un
exemple rendra ce fait très sensible: lorsque j'ai traduit le
Papyrus magique Harris, la découverte de plusieurs formes
négatives n'avait pas encore été faite, et ces formes étaient
toujours rendues par l'aflirmatif. Elles sont maintes fois
répétées dans l'écrit magique, et l'on conçoit aisément à
quel point ma traduction a dû étre fautive dans les passages
correspondants. Mais un fac-simile du texte accompagnait
430 REVUE RÉTROSPECTIVE
ma publication, et chaque investigateur a pu, selon la marche
du progrès et ses observations personnelles, reconnaître et
rectifier les erreurs. Quand la chance de se tromper est en-
core si grande, même pour les plus exercés, quand des tra-
ductions d'imagination pure, faisant leur chemin dans le
monde savant, éveillent contre notre science au moins de
légitimes susceptibilités, il me sera bien permis de dire
qu'il est une seule voie loyale et sûre: « Lvpublication des
n textes originaux avec les explications qu'on en donne, au
n moins lorsque ces textes n'ont pas été publiés ailleurs. »
Cette voie, je l'ai constamment suivie et ne.m'en écarterai
jamais. Si l'on persiste à parler de difficultés, je demanderai
tout simplement quelle espèce de difficulté ne pèse pas sur
moi plus que sur tout autre égyptologue. Des ouvrages que
j'entreprends aujourd'hui, d'autres pour lcsclucls on a bien
voulu me consulter, prouveront bientôt qu'il n'existe en
réalité d’obstacles que dans les vues particulières des au-
teurs.
XVIII
La belle science dont le monde est redevable au génie de
Champollion n'est le domaine exclusif de personne, et jecrois posséder, autant que tout autre, le droit de réclamer
la suppression des écluses qui barrent devant moi le courant
de l'information scientifique; les hommes studieux, pour
qui la science est un but et non un moyen, diront si mes
réclamations sont opportunes. Tel n'a pas été l'avis d'un
rédacteur du journal La Presse, M. Georges Bell, qui s'ex-
prime ainsi, dans le numéro du 10 avril de ce journal, il
propos de ma Revue rétrospective« M. Aug. Mariette fait des fouilles avec privilège exclu-sif. Il découvre un monument très curieux pour la science.
Quelqu'un se trouve dans le voisinage, copie l'inscription,» l'envoie à Berlin, où elle est publiée, sans même que le
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 431
» nom de M. Mariette soit prononcé. Au nom de la science,» M. F. Chabas excuse ce procédé. Elle a lwofité de la publi-
cation de Berlin. Libre à lui de penser ainsi; mais en
n France, généralement, nous avons d'autres idées, même
n sur les convenances scientifiques. o
M. Georges Bell s'associe aux rédacteurs de l'article du
Moniteur et du Monde illustré; puis il s'écrie «Nous
autres Français o Je lui laisse tout l'avantage de cette
situation, et j'accepte avec orgueil l'ostracisme dont il me
frappe. Mais si de longs services civils et scientifiques, quiont au moins le mérite de n'avoir jamais coûté un seul
centime it l'Etat, ne portent pas atteinte une indiscutable
nationalité d'origine, je chercherai une place parmi les Fran-
çais qui pensent qu'on peut être juste envers les savants
étrangers sans compromettre les gloires de notre patrie, et
qui trouvent la tâche de concilier les vieilles rancunes inter-
nationales plus utile et plus noble que celle de les raviver.
XIX
La presse périodique exerce un droit légitime lorsqu'elle
prend part aux polémiques scientifiques; a mon avis, c'est
même plus qu'un droit, c'est un devoir. En présence d'une
publicité impartiale et sévère, les abus hésiteraient à se pro-
duire, et la science ne serait pas aussi souvent compromise
par d'audacieuses tentatives ou par de déplorables erreurs.
Afin qu'un chapitre essentiel ne manque pas à l’histoire lit-
téraire de notre époque, je crois devoir rappeler ici quelques
publications qui ne doivent pas être oubliées. Je comprends
l'enthousiasme, l’entraînement de la science, et j'en absous
volontiers les erreurs; mais c'est à la condition que ces
erreurs ne seront pas maintenues et ne s’imposeront pas
peu à peu comme des vérités scientifiques. A ce point de
vue, voici quelques indications bibliographiques dont la
432 REVUE RÉTROSPECTIVE
critique indépendante ferait bien de discuter les résultats
I. Les Livres chez les Égyptiens, par M. F. Lenormant.
1erarticle, le Correspondant, 25 février 1857.
2° article, ibid., 25 février 1858.
II. Le Rituel funéraire des anciens Égyptiens, fragmentstraduits pour la première foissur lespapyrus hiéro-
glyphidues, par M. Ch. Lenormant.
Traduction et analyse de l'inscription d'Ihsam-
boul, par F. Chabas (Revuearchéologique, t. XV,
p. 593 et 699 [p. 1-62 du présent volume]); Sur
les Papyrus hiératiques, par M. C.Wycliffe Good-
win 1°rarticle, Revue archéologique, 1860; 2ear-
ticle, ibid., 1860 [çf. p. 63-106du présent volume];Observations sur le chapitre VI du Rituel, parF. Chabas [cf. p. 229-247 du présent volume].
III. Découverte d'un cimetière mérovingien, par M. Ch.
Lenormant.
IV. L’Athenœumfrançais, 7 octobre 1854, p. 937.
V. Le Moniteur universel, 7 novembre 1854.
VI. Le Correspondant, année 1854, p. 116.
VII. Inscriptions chrétiennes de lccGaulc, antérieures au
VIII- siècle, ouvrage couronné par l'Institut de
France: texte, p. 186-224; fig. 62 et suivantes.
Rapports sur la Découverte cl'rtnprétendu cime-
tière mérovingien, etla chapelleSaint-Éloi (Eure),
par M. Ch. Lenormant, insérés dans le Recueil des
travaux de la Sociétélibre d’Agriculture, Sciences,Arts et Belles-Lcltres clc l'Eccrc, t. IV. Premier
rapport, p. 297; deuxième rapport, p. 312; un
dernier mot, p. 337; appendice, p. 345.
VIII. Manuscrit pictographique amérvcccin,précédé d'une
Notice sur l’idéographie clcs Peaux-Rouges, parM. l'abbé Em. Domenech. Paris, Gide, 1860,in-8°.
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 433
BIBL. ÉGYPT.,T. X. 28
IX. Notice bibliographique sur cet ouvrage. Revue an-
chéologique, 1861, p. 182.
X. La Vérité sur le Livre des Sauvages, par l’abbé Em.
Domenech. Paris, Dentu, 1864.
Gazette d’Augsbourg, 20 juin 1861: Eine litera-
rische Mystification ohne gleichen.
Le journal Le Temps, du 6 juillet 1861: Cour-
rier de Paris de l’Indépendance belge, etc., etc.
Chalon-sur-Saône, 15 juin 1865.
La publication de ce second mémoire décida M. de Rougé à
insérer dans la Revue archéologique une lettre nouvelle,dont roici
le texte
Monsieur,
Une seconde brochure de M. Chabas m’oblige à vous demander
encore l'insertion d'une courte réponse. Je n'ai plus i1 parler de
convenance ou de délicatesse, et c'est fort heureux pour moi, car
il parait que cela me rend perfide! C'est M. Chabas qui trouve
sous sa plume cette jolie expression, et l'on doit convenir qu'ellene fait pas dissonance avec le ton général de sa brochure.
M. Chabas est obliy de reconnaitre aujourd'hui que ma rectifica-
tion avait été insérée au Moniteur le 9 février, c'est-à-dire bien
avant la date de ses accusations. Mais il ne l’avait pas lue: on n'a
jamais lu les rectifications, et c'est là un des grands inconvénients
des fausses nouvelles! La conséquence naturelle eut été de recon-
naitre loyalement qu'on s'était trompé en me faisant complice de
M. Mariette, pour déroberau public pendant un an la connaissance
d'un monument, qu'en fait nous n'avions vu ni l'un ni l'autre.
Mais M. Chabasl'entend autrement, il parait même s'étonner quela supposition ait pu me blesser. Après de nouveaux détails con-
cernant M.Mariette et M. Dümichen, il se rejette sur MM. Le-
1. Extrait de la Revuearchéologique,2' série,1865,t. II, p. 156-158.
G. M.
434 REVUE RÉTROSPECTIVE
normant, Leblant, etc. J'ai aussi ma part de nouvelles allégations:
voici quelques faits qui me paraissent mériter éclaircissement, on
pourra juger facilement si ces inconcevables attaques sont réelle-
ment inspirées par le sentimentqu'annoncerait l'épigraphe magisanrica veritas.
Premièrement j'ai publié (c'était en 1851) la traduction des ins-
criptions gravées sur la statuette naophore du Vatican, sans en
donner le texte égyptien.Or, la statue est dans un musée public ou
Champollion et Ampèrel'ont successivement étudiée. Les inscrip-tions ont été publiées en entier dans les Miscellanées duMuséePio
Clementino (t. VII, p. 90). De plus, j'ai fait venir de Home, pourcontrôler les copies, un moulage de la ligure; je l'ai mis à la dis-
position de tous mes confrères dans mon cabinet du Louvre, que,faute d'une salle d'étude commode, j'ai l'habitude de leur offrir
pour étudier les papyrus. (Il n'en est qu'un seul qui ne m'en ait
jamais remercié, quoiqu'il y ait passé de longues heures sur les
planches de M. Lepsius mais il parait qu'il s'est cru dans un lieu
public.)Voilà un texte bien mal caché Mais,malgré tous ces secours,
M. Chabas prétend que les lecteurs ont admis une erreur, sur ma
parole, et « faute de posséder le texte n. Il oublie que j'ai donné
précisément les hiéroglyphes pour les mots controversés (an yeper
mes), le commencement de la phrase étant déjà connu par le Dic-
tionnaire de Champollion, qui avait traduit sa. mes par primo-
genitus. C'est en suivant cette première indication que j'ai traduit:
« Neith, la grande mère génératrice dn soleil, lequel est un pre-mier-né et qui n'est pas engendré, (mais seulement) enfanté. u Sans
aucun doute, le texte très important que je signalais peut donner
lieu à diverses interprétations la matière n'est pas de celles ou le
sens saute aux yeux. Mapremière impression avait même été dif-
férente je trouve dans mes notes une autre traduction pour les
mots sa mcs an Zepermes, « elle a commencé à l'cnfanter; maisil n'est pas devenu né», en prenant Zeper pour lc verbe être, cle-
venir. Je l'entendais en ce sens que le soleil, qui semble naître au
matin, reste néanmoins dans le sein de sa mère, la déesse du ciel.Mais cette traduction m'a paru se concilier moins facilement avec
la qualification qui précède « grande mère génératrice du soleil ».
D'autres explications seront sans doute proposées, et je suis loin
A PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE LA TABLE ROYALE 435
de croire que nous ayons pénétré toutes les subtilités du symbo-lisme appliqué par les prêtres de cette époque aux mystères égyp-tiens. J'ai seulement voulu rappeler ici que les savants avaient eu
entre les mains tous les éléments nécessaires à la discussion.
Le second texte, « qui est resté inédit entre mes mains », c'est
l'inscription de Pianzi-meriamum. Or, j'ai eu soin d'avertir, dans
mon Essai sur ce monument, que le seul document a ma disposi-tion avait été un demainfait, par un Arabe, des fouilles, et que j'airendu à M. Mariette après m'être épuisé en conjectures pour la
restitution des textes. Copie informe et travail deviné d'un bout
a l'autre, qui m'a laissé dans les plus cruelles incertitudes. Je
n'étais pas même d'accord avec M. Mariette sur le nom du prin-
cipal personnage, qu’il lisait Tafta, et que je corrigeais Tafnet. La
stèle est enfin arrivée au Caire après mon départ, et je n'en ai ni
empreinte ni copie; voilà le texte que j'ai le tort de posséder seul
On comprendra donc facilement que personne n'est plus impatient
que moi devoir les textes de Barkal arriver à la publicité.
Quelques mots encore pour éclaircir d'autres nuages habilement
amenés sur l'horizon si j'avais eu le désir de conserver pour moi
seul pendant quelque temps nos grands textes photographiés, il
ne s'agissait que d'en proposer la publication par les méthodes
ordinaires. Ce sont précisément lea retards inévitables en pareilcas auxquels nous avons échappé. Je publierai sans aucun doute tout
ce que mcs livres de voyage contiennent d'intéressant et de la ma-
nière qui me semblera la plus utile pour la science je n'ai, pour
cela, de permission à demander à personne, et je n'ai pas attendu
les sommations de M. Chabas pour me mettre à l'œuvre.
Le prix de l’Album de la mission l’empêchera d'arriver entre les
mains d'un grand nombre de savants, car les frais du tirage restent
toujours considérables. M. Chabas a soin de le faire remarquer,mais il oublie de dire que j'ai paré de mon mieux acet inconvénient
en stipulant que les feuilles seraient aussi vendues séparément. On
pourra donc se procurer tout ou partie des inscriptions sans sacri-
fices trop considérables. Quelle copie peut d'ailleurs remplacerl'autorité d'une photographie, quand il y a discussion sur l'exacti-
tude d'un passage? M. de Banville a généreusement donné tous
ses négatifs, produit d'un travail très pénible et d'un voyage dis-
pendieux il n'a épargné, depuis son retour, ni son temps, ni ses
436 REVUE RÉTROSPECTIVE
soins, pour diriger notre publication, et j'ai du l'en remercier. Mais
il n'a pas eu l'occasion « d'avancer des fonds pour la publication n,
comme le suppose M. Chabas dans une intention qu est inutile
de rechercher. Les textes se sont probablement choisis tout seuls;
leur nouveauté et leur intérêt étaient écrits sur chaque muraille en
bon français; car :\1. Chabas constate que « tcut l’honneur de la
publication doit revenir au photographe n. C'est dans le même
esprit qu'est conçu tout ce qui me concerne dans ta nouvelle Revue
rétrospective de M. Chabas je lui laisse la responsabilité de ses
appréciations mais je n'ai pu me dispenser de rendre aux faits
leur véritable caractère.
Vicomte E. DE ROUGÉ
Chabas envoya aussitôt Ii la Revue archéologique une lettre
explicative que M. Alexandre Bertrand refusa d’insérer, pour les
raisons indiquées sommairement dans la note suivante1
Nous avons reçu de M. Chabas une lettre assez développée,
que nous croyons inutile de reproduire in extenso. M. Chabas y
exprime le regret qu'une discussion scientifique et d'un intérêt
général dégénère en débat personnel entre M. de Rougé et lui.
Il espérait, dit il, dana cette campagne qu’il a entreprise en faveur
des études hiéroglyphiques, avoir M. de Rougé pour auxiliaire et
non pour adversaire. Nos lecteurs savent que ce n'est ni notre faute,
ni cette de M. de Rougé, si des attaques personnelles, qui ne
pouvaient rester sans réponse, ont enlevéaux Revues de M. Chabas
le caractère purement scientifique qu'il voulait leur donner. Nous
sommes heureux de voir qu'il en sent l’inconvénient. Quant aux
vwux qu'il forme pour que les papyrus et autres monuments égyp-tiens soient le plus tôt possible livrés au public, et l’accès de ces
trésors rendu pour tous aussi facile que possible, nous ne pouvons
que nous y associer avec tout le monde savant. A. B.
C’est pour répondre à la seconde lettre de M. de Rougé et à la
note de M. Alexandre Bertrand, que Chabas adressa ri kl. 7'e-
ladan le troisième et dernier mémoire dont se compose cette Revue
rétrospective. G. M.
1. Extrait de la Revue archéologique, 2' série, 1865, t. II, p. 2t8.
LETTRE
A M. LE DIRECTEUR DE LA FRANCE LITTÉRAIRE
AF SUJET DES DISCUSSIONSSOULEVÉESPAR LA PUBLICATION
DE LA NOUVELLE TABLE ROYALE D’ABYDOS
Monsieur le Directeur,
Dans les bienveillants articles que vous avez consacrés a
mes deux Revues rétrospectives, vous avez bien voulu
m’offrir la publicité de votre estimable journal. Cette offre
m’a d’autant plus touché que mes réclamations n’ont ren-
contré en France d’autre écho que le vôtre1. Je laisse de
côté, bien entendu, les félicitations particulières, qui, n'ayant
pas emprunté la voie des journaux, restent forcément à
l’état confidentiel et n'ont, dès lors, aucune portée dans le
débat.
Mais, si aucun organe de publicité ne m’a soutenu, il s’en
est trouvé un qui s'est empressé d’accueillir les réponses de
M. de Rougé2. Certes, je serais bien loin de m’en plaindre
si le journal en question eût tenu la balance égale, s’il eût
fait connaître mes articles de Revues, si tout au moins il en
eût expliqué l’objet. Mais ses lecteurs n'ont pu lire que les
notes émanées de mon adversaire, et ces notes sont conçues
dans un style qui ne m'est pas familier; je le comprends
peut-être mal; les suggestions, les restrictions y abondent;
1. Voir France littéraire, articles de M. Adrien Peladan fils, juillet,
p. 623, et août suivant, p. 6752. Voir Revue archéologique, avril 1865. p. 3'«!. et août suivant,
p. 156 [p. 392-395 et 434-436 du présent volume].
438 LETTRE A M. LE DIRECTEUR
il y est question de fausses nouvelles dont on n'a jamaislu les rectifications, de conséquences qu’il fallait loyale-ment reconnaître, d’intentionqu’il est inutile de rechercher.Ce qui m'apparaît de plus clair dans tout cela, c'est que lesabonnés de la Revue archéologique, journal répandu dansle monde entier, doivent se trouver aujourd'hui fort dis-
posés à me taxer de mensonge et à suspecter ma loyauté.C'est là un résultat fort singulier et fort inattendu; j'en
appelle à tous les lecteurs désintéressés de mes deux écrits.Dans cette situation des choses, un sentiment de justice
aurait dû faire accueillir par la Revue archéologique une
réplique de ma part. C'est ce qui n'a point eu lieu, et lerefus d'insertion n'a été expliqué que par une nouvelle
attaque; on en jugera; voici les termes de la chose« Nous avons reçu de M. Chabas une lettre assez déve-
» loppée, que nous croyons inutile de reproduire in extenso.n M. Chabas y exprime le regret qu'une discussionscienti-
fique et d'un intérêt général dégénère en débat personnel» entre M. de Rougé et lui. Il espérait, dit-il, dans cette» campagne qu'il a entreprise en faveur des études hiéro-» glyplriclues, avoir M. de Rougé pour auxiliaire et non» pour adversaire. Nos lecteurs savent que ce n'est ni notre» faute, ni celle de M. de Rougé, si des attaques person-» nelles, qui ne pouvaient rester sans réponse, ont enlevé» aux Revues de M. Chabas le caractère purement scienti-» fique qu'il voulait leur donner. Nous sommes heureux de» voir qu'il en sent l'inconvénient. Quant aux vœux qu'il» forme pour que les papyrus et autres monuments égyp-
tiens soient le plus tôt possible livrés au public, et l'accès» de ces trésors rendu pour tous aussi facile que possible,» nous ne pouvons que nous y associer avec tout le monde» savant'. »
1. Recucarchéologique,septembre1865,p. 2.t8[p.436du présentvolume).
DE LA « FRANCE LITTÉRAIRE » 439
Tout d'abord, Monsieur le Directeur, permettez-moi deme récrier bien fort contre l'attitude de coupable repentant
que la note qui précède réussit à me donner. M. Alexandre
Bertrand, qui l'a signée de ses initiales, a ma correspon-dancc en mains et sait, a n'en pouvoir douter, que je suis
loin de me trouver dans de pareilles dispositions. Dictées
par un profond sentiment d'indignation contre d'odieuses
calomnies,mes Revues rétrospectives me paraissent aujour-d'hui aussi indispensables qu'à l'époque de leur apparition,et je n'ai rien à regretter dans cette double manifestation
en faveur de la vérité et des intérêts de la science, si ce
n'est toutefois d'avoir rencontré M. de Rougé sur mon che-
min et de constater que, sans toucher au fond du débat, il
continue la discussion uniquement par son côté personnel.M. Alexandre Bertrand n'a pas grand effort faire pour
disculper la Revue archéologique d'être pour quelque chose
dans ce qu'il lui plaît d'appeler des attaques personnelles;la Revue s'est contentée de se faire l'écho adouci de la
fameuse scène qui paruit avoir eu lieu a l'Institut le 20 jan-vier dernier, dans laquelle deux savants étrangers ont été
si courtoisement ciualifiés,au nom de M. Mariette. Pour ma
part, je ne croiespas que des attaques personnelles cessent
d'être des attaques personnelles, parce qu'elles s'adressent
à d'autres qu’à des savants français. Ce n'est pas ma faute,iamoi, pour me servir de l'expression de la Revue archéo-
logique, si les noms de M. Mariette, de M. Lepsius et de
M. Dümichen ont été mis en évidence par la publicité, et
si celui de M. de Rougé y a été associé, d'une manière
d’ailleurs fort accessoire et sans importance pour ce qui le
concerne. Ces noms, je les ai trouvés dans les documents du
débat, et j'ai pris part au débat pour défendre deux hono-
rables égyptologues allemands contre des imputations aussi
odieuses qu’inexactes.Il ne s'agissait donc pas de disserta-
tions purement scientifiques, commeM. Bertrand feint de le
penser, mais bien de questions de personnes, que je ne
440 LETTRE A M. LE DIRECTEUR
pouvais traiter sans citer des noms propres. Mais voyons
donc de quelle manière j'a.i fait intervenir celui de M. de
Rougé et quelles sont les inconcevables attaques qu'on me
reproche. M. de Rougé me L'apprend dans sa note d’août
« M. Chabas est obligé de reconnaître aujourd'hui que ma
» rectification avait été insérée an Moniteur du 9 février,
c'est-à-dire bien avant la date de ses accusations. Mais
il ne l'avait pas lue on n'a jamais lu les rectifications,
» et c'est lit l'inconvénient des fausses nouvelles! La consé-
» quence naturelle eût été de reconnaître loyalement qu'on
» s'était trompé en me faisant complice de M. Mariette,
» pour dérober au public, pendant un an, la connaissance
» d'un monument, qu'en fait nous n’avions vu ni l’un ni
l'autre. Mais M. Chabas l'entend autrement; il parait
» même s'étonner que la supposition ait pu me blesser1. »
J'ai déjà fait connaissance avec ce système commode qui
consiste à créer un grief imaginaire pour se donner le facile
plaisir d’en triompher, tout en se dispensant en même temps
de s'expliquer sur les griefs sérieux, et déjà j'ai eu l'occasion
de le signaler'. Ne nous tassons pas que M. de Rouge
veuille bien me dire quand et comment j'ai fait à M. Ma-
riette, ou à lui, un crime d'avoir caché pendant un an la
table d'Abydos? Uh j'en conviens, ma curiosité est ardente,
surtout quand elle est excitée par des déceptions conti-
nuelles mais un an d'attente ne serait rien pour moi. Ce
ne sont point des retards de cette nature qui m'ont inspiré
les plaintes et les réclamations dont le monde savant a pu
juger la légitimité. Si M. Mariette avait découvert la nou-
velle table d'Abydos et qu'il l’eût publiée au bout d'une
année, il n'aurait rencontré chez moi qu'entière approba-
tion. A plus forte raison n’aurais-je pas songé il. critiquer
M. de Rougé à propos d'une publication qui ne dépendait
1. Voir plus haut, p. 433 du présent volume. G. M.
2. Revue rètrospective, II, p. 17 [p. 415 du présent volume].
DE LA « FRANCE LITTÉRAIRE ü 441
pas de lui, lors même qu'il eût été témoin de la découverte.
Il faut être bien habile pour trouver dans mes écrits, soit
contre M. Mariette, soit contre M. de Ronge, une accusa-
tion quelconque à propos de la non-publication par l'un ou
par l’autre de cette liste royale. Encore une fois, la questionn'est pas la; i] s'agissait uniquement de savoir si M. Dümi-
chen avait commis le crime de vol en publiant ce même
monument avant M. Mariette, qui nous était donné comme
l'ayant découvert sous les yeux de M. de Rougé. Dans le
paragraphe qui a excite si fort les susceptibilités du savant
académicien', j'ai tout simplement cherché à calculer la
date probable de cette découverte en prenant pour base le
retour en France de M. de Rouge, et j'arrivais à conclure
que M. Mariette, s'il avait voulu publier sa découverte,aurait eu six mois d’avance sur M. Dümichen Tel est le
crime énorme dont je me reconnais coupable envers M. de
Rougé, et c'est à ce propos que ma loyauté et ma véracité
sont mises en suspicion
Or, ce calcul était parfaitement inutile; la prétendue
priori té, qui seule eût pu expliquer, non pas excuser, l'étrangelevée de boucliers qui a suivi l'apparition inattendue de la
lithographie de M. Dümichen, n'existait nullement, puisquece fut seulement cette lithographie qui révéla soit il M. Ma-
riette, au Caire, soit à M. de Rougé, i6 Paris, l’existence
de la liste royale mise au jour par les fouillcurs d'Abydos,et copiée sur les lieux mêmes par le savant allemand. M. de
Rouge, on le conçoit, avait du se hâter de démentir la nou-
velle de sa présence une découverte de M. Mariette,
laquelle n'avait pas été faite. En agissant ainsi, il allait au-
devant d'un appel que lui adressa plus tard M. Dümichen,à qui profite naturellement le désaveu; on conçoit qu'en me
faisant le défenseur de ce dernier, je n'eusse pas manqué de
m'emparer de ce désaveu au profit de ma thèse, s'il fut
1. Revuerétrospective,I. p. la et 14 [p. 373-374du présentvolume].
442 LETTRE A M. LE DIRECTEUR
arrivé à ma connaissance avant l'impression de mon premierarticle1. Je me demande en vain ce qui peut en cela offusquerM. de Rougé, et pourquoi il constate d'un air triomphant
que je suis bien forcé de reconnaître sa rectification insérée
au Moniteur le 9 février, comme si j'avais quelque intérêt
à nier ce fait matériel et of!1ciel, quelque envie ou quelque
possibilité de le faire. C'est me supposer bien maladroit et
les lecteurs bien candides. Mais unc autre question Com-
ment le savant académicien a-t-il pu prendre ainsi au séricux
une accusation de complicité dans un crime de ce genre,lors même que cette accusation ne serait pas purement ima-
ginaire ? S'était-il cru complice de M. Mariette, pour déro-
ber au public, selon son expression, la table de Saqqarah,demeurée plus de quatre ans inaccessible aux égyptologue,
malgré leurs réclamation? Ne nous a-t-il pas fait savoir,
dans sa première réponse', que la délicatesse l’obligeait à
ne point publier cette lablc acanl M. Mariette, quand il
savait que son savant ami préparait zcn mémoire sur le
mêmesujet? Cette explication, d'ailleurs excellente, pouvaitbien servir deux fois de suite. Ainsi donc, lors même que
j’eusse reproché à M. Mariette, ce qui n'est pas, d'avoir
dérobé au public pendant un an la table d’Abydos, cela ne
regardait en rien M. de Rougé. Je continue donc à ne pas
comprendre cc qui a pu le blesser; mais je me sens blessé
moi-même par la manière dont il se défend à ce propos.Constatons en passant qu'il y a des rectifications qu'on
ne lit pas, indépendamment de celles qui échappent a l’œil
dans les colonnes d'un grand journal ce sont celles qu'on
n'imprime pas; dans ce cas, les fausses nouvelles ont tout
leur inconvénient. J'ai bien lu dans le Moniteur, un peu
tard, il est vrai, car je ne vois ce journal que lorsqu'il m'est
1. Revuerétrospective,Il, p. 6 [p. 403-404du présentvolume].2. Revue archéologique,avril 1865.p. 347 [p. 393-394du présent
volume];Revuerétrospective,II, p. 17 [p. 415du présentvolume].
DE LA « FRANCE LITTÉRAIRE » 443
envoyé par un ami, la fausse nouvelle que M. Mariette avait
fait une belle découverte et que M. Dûmichen la lui avait
dérobée, mais je n'ai lu que dans mes propres écrits la rec-
tification de cette fausse nouvelle; j'ai lzcencore dans le
Journalofficiel une autre nouvelle, que je souhaite vivement
être fausse, c'est que l'indignation de l'Institut a été excitée
contre la conduite des deux savants allemands impliquésdans l'a.ffaire, cela, à la suite des protestations énergiquesde M. de Rougé; j'ai bien lzz, toujours un peu tard peut-être, que M. de Rougé démentait, non pas ses protestations
énergiques, mais seulement le fait de sa présence lors de la
découverte attribuée à M. Mariette; à l'exception d'une
hypothèse portant sur une généralité, c'est-à-dire sur la
possibilité pour un explorateur d'apercevoir avant M. Ma-
riette un monument sorti des fouilles, je n'ai lu, dans les
notes de M. de Rougé, aucune rectification de nature à
atténuer la portée de l'article du Moniteur, qu'il se contente
d'appeler une malencontreuse note. J'ai lu, dans le journalLa Presse, une reproduction abrégée de l'article mensongerdu Journal officiel,puis j'y ai lu encore, et cela, à proposde la publication de ma première Revue rélrospective, la
confirmation de cette reproduction et, de plus, ma mise au
ban des savants français Enfin, j'ai lu, dans le Monde
illustré, bien tard sans doute, surtout s'agissant d'un journal
auquel je suis abonné, le petit roman calomnieux que j'ai
reproduit dans ma dernière Revue, et, voyez ma maladresse
je n'en ai pas lit la rectification.
Il est un fait malheureusement acquis au débat, et je le
rappelle ici pour déplorer amèrement l'isolement où l'on
m'a laissé, c'est que, moi seul en France, j'ai osé prendreen mains la défensede deux savants illustres contre un griefarticulé au nom de M. Mariette et que M. Mariette appellelui-même un abominable grief1. J'ajouterai que mes récla-
1. Revuerétrospective,II, p. 7[p.404du présentvolume].
444 LETTRE A M. LE DIRECTEUR
mations sont restées sans écho dans la presse parisienne, et
que les journaux qui s'étaient faits les organes de la.calomnie
ont volontairement fermé les oreilles aux réclamations de la
vérité. Est-ce bien moi qu'il faut accuser dc faillir à la
devise Amicus Plato, magis amica veritas ?
Toutes les pièces du procès sont à la disposition du public
qui n'aurait pas de peine ;i rendre aux faits leur véritable
caractère, selon l'expression de M. de Rougé. Malheureuse-
ment les organes de la presse périodique qui ont disséminé
les accusations mensongères possèdent une vaste publicité.Au regard du public, en général, mes notes rectificatives,tirées à une centaine d'exemplaires, restent bien impuis-
santes je sens que la partie n'est pas égale; vous l'avez
pensé vous-méme, Monsieur le Directeur, lorsque vous m'avez
offert l'hospitalité dans vos colonnes. Grâces vous en soient
rendues.
Le surplus de la réclamation de M. de Rougé porte sur
des publications égyptologiques que j'ai signalées comme
étant dépourvues des textes originaux sans lesquels, à mon
avis, elles ne peuvent être d'aucune utilité pour la science.
Si l'expression de cette opinion devient aux yeux du savant
académicien un reproche, une accusation, je le regretteinfiniment. J'eusse bien préféré ne paraître désagréable â
aucune de mes collègues dans le coup d’œil que j'ai eu à jetersur l'état des études égyptiennes en France. Mais quand
j'aperçois un déclin marqué et progressif, quand je constate
qu'aujourd'hui nous arrivons tout au plus au troisième rangen Europe comme force philologique et que nous comptonsà peine sous le rapport des publications de textes, je sens
mon amour-propre national humilié, je rougis pour la patriede Champollion et ne puis m’empêcher de rechercher et de
faire connaitre les causes de cette décadence. Ces causes, jeles ai signalées dans ma première Revue rétrospective; elles
se réduisent, du reste, à ce fait qu'il n'a été publié en France
aucune collection de textes sur lesquels un égyptologue
DE LA « FRANCE LITTÉRAIRE » 445
puisse s'exercer tous les ouvrages de cette nature nous
viennent d’Angleterre. d'Allemagne et des Pays-Bas, et
l'Italie elle-même a le pas sur nous, grâce aux travaux de
Rosellini et d'Ungarelli. Les Français n'ont pas l'habitude
d'étudier les langues modernes, et c'est fort regrettable; ils
hésitent presque toujours il acheter des livres dont les titres
seuls les épouvantent, parce qu'ils ne les comprennent pas.Aussi arrivc-t-il qu'après avoir étudié Champollion et quel-
ques dissertations isolées, les débutantes s'aperçoivent qu'ilssont acculés dans une impasse et se dégoûtent de l'étude.
Cet effet est inévitable; je l'ai éprouvé moi-même, et, aprèsavoir surmonté la difficulté, j'ai eu le bonheur d'aider plusd'un débutant à franchir ce pas périlleux.
Ce tableau est-il chargé? Qu'on le discute alors et que la
discussion s’établisse sur le point de savoir si mes réclama-
tions dans l'intérêt de la, science égyptologique sont super-flues. S'il est reconnu que j'ai raison et qu'il était nécessaire
de publier en France des textes et des papyrus, comme on l'a
fait en Angleterre, en Allemagne, dans les Pays-Bas, etc.,il s'élèvera alors une autre question, celle de savoir pour-
quoi on nc l’a has fait et pourquoi l'égyptologie a été systé-
matiquement exceptée dans la distribution des ressources
dont, au contraire, ont largement profité d'autres brancltes
de la science, beaucoup moins importantes, a mon avis.
Eh bien! je le répète, parce que j'en sens la conviction
intime, l'école française de Champollion a failli à sa mis-
sion La France pouvait et devait viser à être le centre de
l'activité scientifique dans cette nouvelle branche des con-
naissances humaines, dont la clef a été trouvée par un de
ses illustres enfants; les écoles étrangères, loin de nous
disputer cet avantage, s'olfraicnt iLnous d'elles-mêmes et
regardaient l'égyptologie comme une science fratnçaise; dans
plusieurs de leurs plus importantes publications, des savants
allemands et hollandais se sont servis de notre langue; les
égyptologues anglais recherchaient la publicité des Revues
446 LETTRE A M. LE DIRECTEUR
françaises, et, de mon côté, je me faisaisun devoir, en même
temps qu'un plaisir, de me mettre à leur disposition pourtraduire et faire imprimer leurs dissertations. Malheureuse-
ment mes vues ne furent pas du goût de tout le monde; on
m'opposa d'abord des délais et des lenteurs qui ne me sem-
blaient pas justifiés; puis, un beau jour, j'entendis de mes
oreilles ces parolesque je me garde d'oublier Que chacun
imprime chez soi Je dus alors prévenir mes amis d'Angle-terre de ces difficultés inattendues et renoncer à la publica-tion des beaux articles de M. Goodwin sur les papyrus
hiératiques. Mon tour vint ensuite, et j'eus l'occasionde
constater qu'un de mes manuscrits était sorti des mains de
l'éditeur pour aller se perdre ailleurs que chez l'imprimeur.On ne put le retrouver, et, malgré des promesses réitérées,il ne me fut jamais renvoyé.
Remarquez à ce propos, Monsieur le Directeur, que je ne
conteste nullement au rédacteur en chef ou au directeur
d'une publicité périodique le droit de choisir iason goût les
articles qui lui conviennent et d'éliminer ceux qui ne lui
paraissent pas de nature à intéresser la généralité de ses
lecteurs; ce que ma dignité ne saurait admettre, c'est quemes ouvrages soient soumis à une censurepréalable et n'ar-
rivent à la publicité qu'après avoir pu servir à des personnes
interposées.Ainsi s'évanouissait pour moi, non seulement toute espé-
rance de concentrer en France le mouvement scientifique,mais encore la possibilité de publier convenablement dans
mon pays mes propres travaux.
Je ne me suis pas découragé portant j'ai fait les frais
de mes publications, gravé des types, calqué des planches,et mes publications n'ont pas été moins nombreuses qu'au-
paravant elles n'ont jamais manqué des citations textuelles,ni des discussions philologiques dont j'ai proclamé la néces-sité. Et, d'un autre côté, ces publications n'ont pas été moins
bien accueilliesen France et à l'étranger, et mes amis d'An-
DE LA « FRANCE LITTÉRAIRE » 447
gleterre ne m'ont pas refusé leurs précieuses communica-
tions, dignes sans contredit d'un théâtre bien plus élevé.
Mais la force humaine a des limites, et l'énorme travail
qu'il m'a fallu faire pour graver des milliers de mots égyp-tiens était toujours à recommencer; je l'ai continué jusqu'à
compromettre ma santé, puis j'ai cédé et me suis rejeté sur
l'autographic, que j'ai trouvée tout aussi fatigante et qui ne
donne que des résultats médiocres. Après la publication de
ma deuxième série de Mélanges égyptologiques, j'étais défi-
nitivement à bout de courage et de forces.
C'est alors que j'ai songé it demander un petit assortiment
de la fonte hiéroglyphique de l'Imprimerie impériale; c'était
pour moi une question de vie ou de mort scientifique. Aussi,
quoique je ne sois pas né solliciteur, je me suis senti le
courage de supplier l'Empereur, de conjurcr les ministres.
Vains efforts! On m'opposa la lettre d'un règlement impé-
ratif, et tout fut dit'.
Je dirai ailleurs comment une amitié dont je suis fier m'a
aidé a sortir d'embarras comment, de la situation désespéréeoù j'étais placé, je me suis trouvé presque subitement en
position de n'avoir plus rien a envier à personne, plus rien
à demander aux casiers de l'Imprimerie impériale. Mais, sur
ces entrefaites, un savant berlinois fondait un journal égyp-
tologique et conviait les savants de tous les pays à lui prêterleur concours. Ainsi se trouvait réalisé à Berlin le plan que
j'avais espéré réaliser à Paris. Le mouvement scientifiques'est concentré en Allemagne, et aujourd'hui les égypto-
logues français y portent leurs écrits. La science y trouvera
son compte; mais je ne puis m'empêcher de regretter la
continuelle abstention de mon pays et la décadence progres-sive à laquelle il semble s'accoutumer.
J'ai beaucoup parlé de moi-même, Monsieur, et je m'en
1. Voir, sur ce sujet, la nuticebiographiquede Chabas. par Vircy,p. LX-LXV,au tome1de ses Œuvres diverses.— G. M.
448 LETTRE A M. LE DIRECTEUR
sens tout confus; il est utile cependant que l'on sache bien
ce qu'il faut de courage, de ténacité et de patience, si l'on
veut réussir dans l’étude lorsqu’on n'a pas l’avantage de
posséder un titre officiel.En relisant les considérations que j'ai détaillées dans ma
première Revue rétrospective et en les rapprochant de celles
qui précédent, on s'expliquera aisément le sentiment de dou-
leur et de regret dont je me suis senti atteint en constatant
les colères soulevéesparla publication de la table d'Abydos.Était-il possible de ne pas être frappe par les rapproche-ments it faire entre ce hruit scandaleux et la politiqued'abstention en matière de divulgation des textes, qu'on
peut reprocher à l'école française d'égyptologie? Cette poli-
tique, je voulaisen démontrer les regrettables conséquences,même à l'égard de ceux qui la mettent en pratique, et
j'espérais déterminer une politique contraire. Telle est la
pensée, telles sont les espérances qui m'ont porte à me per-mettre quelques questions relativement à l'éventualité de la
publication des textes rapportes par M. de Rougé. Six
volumes d'inscriptions inédites copiées à la main par cet
hahile égyptologue et deux cent vingt planches photogra-
phiées, c'était une bonne fortune rare, une occasion unique
pour la Franchede faire enlin un effort utile. Or, cet effort,on n'a pas voulu le teinter, et tout se borne il l'album photo-
graphique dont j'ai parlé et dont j'ai signalé l'insullisance
et les inconvénients. Je n'ai pas à revenir sur ce point; mais
M. de Rouge se plaint que j'aie attribue au photographetout l'honneur de cette publication, l'examinonsce grief.
Voici les paroles de M. de Ituugc dans sa première ré-
ponse« Fallait-il donc subir des lenteurs inévitables quand il
» s'agit de demander une subvention spéciale, commeon l'a» fait pour M. Place? Je ne l'ai pas cru, et la générosité du» photographe habille(lui m'avait accompagné, ainsi que le
» courage d'un savant professeur, M. Samson, ont résolu le
DE LA « FRANCE LITTÉRAIRE » 449
BIRI.. ÉGYPT., T. X. 29
»problème.
L'album de la mission est enpleine
exécution
» et paraîtratout entier avant deux mois; il sera composé
» de cent cinquante-cinq photographies. précédéesd'une
» notice sommaire, indiquantle sujet de chaque planche'.
»
M. deRougé
a ainsi fait lapart
de chacun, il n'a pas
voulu demander de subvention; il s'cst contenté d'indiquer
le sujet de chaque planchedans des notices sommaires, et
la générosilé du photographe a fait le reste et résolu le
problème.
Pour ma part, j'ai quelque expérience pratique, et je
déclare que jamais il ne m'est arrivé de rencontrer plus de
deux sortes de difficultés; c'est à savoir le travail prépa-
ratoire et la question d'argent. Sauf les notices sommaires
sur lesquelles je dirai tout a l'heure quelques mots, ces
deux difficultés me paraissaient, d'après les explications de
M. de Rougé, avoir été levées par le photographe et par
M. Samson. Mais il parait que M. de Banville n'a pas eu a
avancer de l'argent. On pouvait s'y tromper, et ce n'est pas
ma faute. Ne nous arrêtons pas toutefois, comme le propose
M. de Rougé, qui m'attribue une intention qt'il serait
inutile de rechercher. J'ai l'habitude de parler clairement.
Si j'avais eu l'honneur d'être investi d'une mission scienti-
fique officielle et le honlicur de recueillir une riche moisson,
je me serais considéré comme obligé d'en presser la puhli-
cation, et j'aurais tout d'abord demande une allocation au
gouvernement. Si j'eusse échoue, j'aurais avancé six mille
francs pour faire tirer à cent cinquante exemplaire trois
cents planches de choix, sur petit in-folio, et j'en aurais fait
vendre la collection à raison de cent francs l'exemplaire,
c'est-il-dire iL trente centimes environ chaque planche.
Ces chiffres sont ceux qui me servent de base à Chalon-
sur-Saône pour des planches du même genre. Est-ce un
grand crime d'avoir fait remarquer que l'album de la mis-
1. Cf. p. 303 du présent volume. G. M.
450 LETTREA M. LEDIRECTEUR
sion, soit par son prix, soit par son étendue,ne remplitpasles mëmes conditions? Ce n'est, du reste, pas la questiond'intérêt personnel qui est ici en jeu; car la collectionde
textes, tellc que je la conçois,aurait été une opération in-
contestablementmeilleureque cellede l'album.
L'hommageque j'ai rendu au photographe,à la suite deM. de Rougé lui-même,devientpource dernierun sujet denouvellesplaintes; il trouve que je ne rends pas suflisam-ment justiceaux noticessommairespar lesquellesil a con-tribué a la publicationen question.
« Les textes, écrit-il, se sont probablementchoisis tout
seuls; leur nouveauté et leur intérêt étaient écrits sur
chaque rnzcrailleen bonfrançais. » A cette observation
légèrementironique,la réponsen'est pasdifficile.Personne
plus que moi n'est convaincude la haute valeur de tout ce
qui sort de ]a plume de M. de Rougé, et, quoique je neconsidère pas comme bien difficilepour un égyptologuequelconquela tâche d'apprécier l'intérêt et la nouveautéd'une inscription égyptienne, néanmoinset sans les con-
naître, je suis persuadéque lesnoticessommairesde M. de
Rougé méritent une sérieuse attention. Mais, le savantacadémicienne l'ignore pas, ce ne sont pas des notices,maisdes textes en abondanceque la scienceréclame; l'ab-sonce de noticcs n'enlùve rien au métritede l'admirablecollectionpubliée par M. Lepsius sous le titre de Denk-müler aus Ægypten und Æthiopien. Si M. Lepsius eûtvoulusubordonnercette publicationà la préparationd'ex-
plicationssur chaqueplanche,la scienceserait aujourd'huide quinzeansen arrière. Lesnoticesfautivesde M. Sliarpcn'enlèventrien iLla valeur de la riche collectioncla'ilalivrécà l'étude, et les noticessommairesque j'ai ajoutéesla collectiondes pa pyrushiératiquesdu Muséede Leyde'
1. Cf.p.436dupréscntvolume. G.M.2. le mémoirereproduitp. 131-171duprésentvolume. G.M.
DELA« FRANCHELITTÉHAIHE) » 451
n'ajoutent rien iLl'utilité de cette collection précieuse.Nousmettons ici, Monsieurle Directeur, le doigt sur la
plaie en France, les détenteursdes textes ne consententa.lescommuniquerau publicque lorsqu'ilsse croient certainsd'en avoirtiré, au profitde leur réputationscientifique,toutle résultat utile possible; ils prétendent ne nous jeter, ivnous, les ilotes de la science,quedesos vidésde moelle. Sivous voulez bien faire l'application de cette remarque àl'ensembledes faits relevésdans la discussionque je conti-nue aujourd'hui, vous vous expliquerez bien facilementl'absencede toutepublicationde textesoriginauxen France.Vous comprendrezpourquoi il n'a été fait d'exceptionquepour des textes déjà publicaet traduits à l'étranger; vous
comprendrezaussi ce fait très singulierclu'ilne s'est formécheznous que trois égyptologues,et ce sont trois conser-vateurs du Musée égyptien; je m'excepte, parce que lasciencem'est venued'ailleurs, et j'excepteencoreceux quiont reçude moiuneinitiationspéciale etcenesont passeu-lementleségyptologuesqui nousmanquent,maisencoreles
lithographeshabituésà dessinerles écritures égyptiennes,car M. Mariette s'est trouvé obligéde confierà un dessi-nateur allemandl'exécutiondes planches dont naguère onnousannonçaitla prochaineapparition.Nousa-t-onrendusassezimpuissants
Le Muséeégyptien du Louvre possèdeune bibliothèqueassezcomplèted'ouvragesd'égyptologie;sansboursedélier,on peut y consultertoutesles grandespublicationsde textes,et les conservateursy onta leurdispositionungrandnombrede papyrus et de monuments jusqu'à présent fort malconnus.Cecinousamènea nousoccuperd'un nouveaugriefde M. de Rougé il rappelle qu'il m'a laissé étudier dansson cabinetdu Louvre et ajoute, entre parenthèses,quejene l'en ai jamaisremercié, quoiquej'y aie passéde longuesheures sur lcs plccrtchcsclcM. Lepsius, Il paraît, ajoute-
452 LETTREA M.LEDIRECTEUR
t-il, que M. Chabas se croyait dans nn lieu public'!M. deRougén'a pas la mémoireheureuse,car nonseule-
ment je l'ai remercié devivevoix,maisje l'ai fait aussiparécrit en lui adressant le premier exemplaire de mon mé-nutire sur les inscriptions de Radesiéh. Je suis vraimenthonteuxde descendreilcesmisérablesdétails; mais l'obser-vationde M. de Rougeest uncongéen bonneet dueforme;je veuxbien l'accepter, maisnon pas sans me défendredel'avoir méritépar une impolitesse.
Ce (piej'ai étudié au MuséeduLouvre, c'est une splen-dide publication allemande. Quant aux monuments duMusée,j'ai été aussi admisil copierles inscriptionsde ceuxqui sont exposés à la vue du public; comme il n'y a nichaise,ni table, ni encre, et qu'onne doit pas s'appuyersurles monuments,c'est une rudebesognepourquiconquen'estpas dessinateur, et je suis dans ce cas. Aussi n'a-t-il pusortir rien de sérieux de cette partie de mes travauxauLouvre, tandis que mon étude des plancllcsde M. Lepsiusa été très fructueuse. Dureste, il est une classede docu-mentsqui a toutes mespréférences.Je veux parler des pa-pyrus. Ceuxdu Musée du Louvre sont entassés dans degrands meublesqui garnissent le cabinet, que M. deRougenousapprend être son domaineexclusif. Je pouvais m'ytromper, car il ne m'est pas urrivc de l'y rencontrer; et,pourmoi, ce cabinet représentela salle la plus importantede tout le Musée. Ala vérité,danscette appréciation,j'en-visagele contenudes grandsmeubles;mais, hélas!je ne leconnaispas. N'y existât-ilque desRituels, ce serait déjà untrésora consulter. En effet, les égyptologuesne disposentencoreque de l'éditionde Turin, qui a été publiéea Berlin
par M. Lepsius, sous un formatcommodeet pour un prixqui ne dépassepas 40 francsà Paris, et de celle du Rituelconnusousle nom de liitnel Caclet,qui est reproduit dans
1.Cf.p.434duprésentvolume.—G.M.
DELAKFHANCELITTÉRAIRE» 453
29"
legrandouvragede la Commissiond'Égypte. La publicationd'une série de rituels comparés,surtout de ceux qui re-montent aux anciennesépoques,ferait faireà la sciencedes
pas énormes.Une premièresatisfactionallait être donnéeàcebesoindes études, par la publication,d'un bonexemplairedu Louvre,entreprisedepuisde longuesannéeset terminée,quant à la lithographiedu texte, depuisde longuesannéesaussi. Toutefoiscette publication,attendue avecune légi-time impatience, n'a pas vu le jour, et la seuleexplicationque j'aie pu obtenir sur ce point, c'est qu'il reste une pré-face à faire Préface ounoticesommaire,toujoursle mêmeécucil
Je crois que les rituels abondent au Muséedu Louvre;mais je n'ai pas réussi à m'assurer de leur mérite. A en
juger par la réponsequi m'a été faite, et aussi d'après lesilencegardé par ceux qui ont pu les examiner, il n'y au-rait rien d'intéressant l'avenir le dira sans doute. Maisn'oublionspas que le motde réserven'est pas inconnuau
Louvre, et que si quelqu'un d'influent tenait à empêcherle public d'étudier certainsdocuments,rien ne serait plusfacile. Je ne dis pas que cela soit, mais je constateque les
papyrus du Muséedu Louvresont, quant à présent, lettrecloseou tout au moinsinutilisée.
Le même cabinet contient un moulage de la statuette
naophore,dont le texte,a cequenousapprendM.deRougé,a été publié en entier dans les MisccllancSesdu MuséePio
Clenientino', ce qui n'a pas empêchéque ce beautexte soitresté inconnu aux égyptologues,en général, et n'ait pascontribué à enrichir le trésor commun de l'iuforumfion
scientifique.M. de Rougépensaitde la mêmemanièrelors-
qu'il annonçait à très bref délai la publicationdes inscrip-tions accompagnéesd'un commentaire philologique; lesdeuxhiéroglyphesqu'il a insérés dans son mémoire,joints
1.Voirp.434duprésentvolume.—G.M.
454 LETTREA NI.LEDIRECTEUR
au troisièmequi n'est pas à sa place, et mêmeà un qua-trièmemot qui se trouveraitdansle DictionnairedeCham-
pollion, tout celan'estabsolumentrien, et nous tombonsici
fort mal à proposdans l'infinitésimal.
Remarquezbien, Monsieur le Directeur, qu'en refusantmon assentimentà quelques-unesdes vuesscientifiquesdeM. de Rougé, je suis bien loin de tonte intentioncritique.Dans une sciencetoute nouvelle et qui marche vite, nousdevonsnous attendre tous à reconnaître tôt ou tard quenous nous sommestrompéssur une foulede points. Si j'aicontesté la valeurqueM. de Rougé a donnée au scarabée,d'âpres Horapollon,si je n'acceptepas sa traductiond'une
phrase très importantepour la mythologie', je n'enpersistepas moinsà regardeurle mémoirede ce savantégyptologuesur la statuette naophorecommele meilleur travailqui aitencore été fait sur un textehistorique quelqueserreurs dedétail ne font rien à la chose. M.de Itougé n'aura pas dedifficulté à en signaler dans mes propres écrits. Cela me
porte à un aveudontvousnemanquerezd'abuser,Monsieurle Directeur, c'est qu'enma qualité d'égyptologue,j'ai prisvingt fois le Pirée pour un homme,et queje suis tout prêtà recevoir les pierresque voudront mejeter ceux quin'ont
jamais péché.Que sont donc, endéfinitive, mes Revuesrétrospectives,
qu'on veut aujourd'hui transformer en attaques contreM. de Rougé?Peut-on s'y tromper et ne pasy reconnaîtrele cri d'un hommehonnête, la légitime réclamationd'un
égyptologuedécouragé,un plaidoyer contre d'ignoblesca-
lomnies,un regard de douleur jeté sur l'état de la sciencedans notre pays?Est-cemafauteà moisi l'onnepeut louerM. Lepsiuspour ses innombrablespublicationsde textes,ni M. Birch, a proposdes papyrus du MuséeBritannique,ni M. Leemans,pour l'ensembledu Muséede Leyde, sans
1.Voirp.428-429duprésentvolume. G.M.
DELA« FHANCELITTÉRAIRE» 455
critiquer par ceseul fait leurs collèguesen France?Fallait-il se taire, commel'a fait tout le mondesavant? Fallait-ilseborner in pettoà de stériles vœuxpour que lespapyrus etautres monuments égyptiens soient le plus tôt possiblelivrés au lublic, vœux auxquelsM. A. Bertrand veut biens'associeret associertout le monde savant'? C'est un rôle
facile, et rien n'empêche les porte-clefsde se mêler aux
groupes d'impatients, qui réclament contre les portes fer-mées
« La,lbi qui n'agit pas, est-ce unefoi sincère?»J'ai agi, et je suis loin de le regretter; je continuerai à
insister jusqu'à ce que justice soit faite; jusqu'à ce qu'ilsoit loisibleà tout le monded'étudier les richessesentasséesdans les Muséeset dans les Bibliothèquespubliques,sanssubir des faveurs qui laissent, au bout de douze ans, dessouvenirssi amerset si inexacts à ceux qui les ont consen-
ties jusqu'à ceque l'on ne puisse plus parler de l'impuis-sancede la France; jusqu'à ce qu'on ait entreprisdespubli-cations, comme il s'en fait partout ailleurs; en un mot,jusqu'à ce que l'écoleégyptologiquepuissese recruter cheznous avec la mêmefacilitéqu'à l'étranger, mêmeparmi les
personnesdépourvuesde titres officiels.Je ne me le dissimulepas, tout cela, c'est une montagne
à soulever;mesforcespourront bienn'y passuffire,surtoutsi je n'ai pour appui que lesvœux secretsde tout le mondesavant. M'aider, c'est braver de puissantesinimitiés Veri-tas odiumparit. Il faut cependantquelquesCurtius dans le
gouffrede l'abusAu lieu des vœux du mondesavant, qui ne mènerontà
rien, je présenteraisvolontiersau Gouvernementun projetde loi contenant,entre autres dispositions,les articles ci-
aprèsARTICLEPREMIER. Les Bibliothèquespubliqueset les
1. Voirp.436duprésentvolume. G.M.
45G LETTREA M. LEDIRECTEUR
Musées sont des lieux où sont déposés et conservés les
livres, manuscrits et monuments de toute espèce qui serecommandentpar un intérêt quelconque; le but de cessortes decollectionsest uniquementde favoriserles progrèsdes arts, des lettres et dessciences.
Leur organisationintérieure sera régléede telle manière
quece but soit complètementatteint, toutefoissanscompro-mettre la bonneconservationdesobjetslivrés h l'étude.
ART.2. Les conservateurset les bibliothécairessont
chargésde veiller au' maintien de cette organisationet àl'observationdes règlements.II ne leur est pas interdit dese livrer à l'étude des manuscrits, mais ils n'ont droit àaucunepréférenceet ne devront jamais refuser ni mêmedifférer la communicationd'aucun des objets catalogués.Touslesfondsdits de réserve sont supprimés.Lesmembresde l'Institut n'ont aucun droit de priorité, non plus que lesconservateursni lesbibliothécaires.
Dispositionsspéciales att Muséeégyptien
ARTICLEPREMIER. Deux jours par semaine,les sallesdes grands monumentsseront réservéesaux personnesquivoudrontdessinerles monumentsou copier les textes; des
tables, des pupitres mobiles,garnis des objets nécessaires,ainsique desmarche-pieds,seront mis à leur disposition,àcet effet.
ART.2. II sera permis de calquer, d'estamper et de
photographier, mais seulement sous la surveillance des
agentspréposésà cette partie de service.ART.3. Il sera, par les soins du conservateur,dressé
un cataloguedescriptif de tous les papyrus du Musée. Ce
catalogueindiquera le sujet desmanuscritset lesdivisions
qu'ils comportent; s'il s'agit de rituels, les chapitres quis'y trouvent, oula circonstancequ'ils contiennentdes cha-
pitres nouveaux.Les papyrus y serontclassésd'après leurs
DELA« FRANCELITTÉRAIRE» 457
datesapproximativesdans les trois grandes divisions An-
cien-Empire, Nouvel-Empireet BassesÉpoques.Ce cata-
loguesera impriméet livré à la publicité.Lesnouvellesacquisitionsseront annoncéesdans le Mo-
niteur, par les soinsdu conservateur,deux moisau plusaprès qu'ellesauront été faites; tous les ans, cesmentionsdu Moniteur seront impriméesen additions au catalogue,et le cataloguesera refondutouslessix ans.
ART.4. Toutepersonneaura le droit de se faire com-
muniquer, pour l'étudier et le copier, tout papyrus men-tionnéau catalogueou au Monilecir.Les papyrus peuventaussi être calqués,mais seulementsous verre.
ART.5. Tous lesmonumentsdu Muséeserontpubliésaux fraisdel'État, à commencerpar lesmanuscritset autresdocumentsépigraphiques.A cet ellet, un dessinateur sera
placésouslesordresduconservateuret prépareralesdessinssur les indicationsde ce dernier, qui sera cliargéde la cor-rection et de la revision,ainsi que des noticessommaires.Il ne pourra être publiémoinsde vingt-quatreplanchesparannée;unesommede deuxmillefrancsseraalïect6eannuel-lementauxdépensesqu'entraineracettepublication,laquellesera miseen venteau prix de dix francschaquelivraisonde
vingt-quatreplanches.
Si l'on eût procédéainsi depuis trente ans, l'État, loinde faire un sacrifice,aurait reçu plus d'argent qu'il n'enaurait dépensé, et nous ne serionspas obligésde faire surnous-mêmesun si triste retour. Aujourd'hui que tant de
tempsa été perduet que notre situationdansla scienceest
gravementcompromise,on pourraitaller un peu plus vite;mais, a tout prendre, qu'on s'en tiennelà, si l'on vcut, mais
qu'enfinl'on fassequelquecliose
Chalon-sur-Saône.15octobre1805.F. CIIAI3AS.
TABLE DES MATIÈRES
Traduction et analyse de l'inscription hiéroglyphique
d'Ibsamboul, contenant le récit d'un épisode de la
guerre de Ramsès II contre la confédération des
H'itas. 1·61
Sur les Papyrus hiératiques, par C. W. Goodwin 63-105
Note sur un poids égyptien de la collection de M. Harris,
d'Alexandrie. 107-114
De la circoncision chez les Égyptiens. 115-118
Le cèdre dans les hiéroglyphes. 119-124
Scène mystique peinte sur un sarcophage égyptien. 125-130
Notices sommaires des Papyrus hiératiques égyptiens
I. 343-371 du Musée d'antiquités des Pays-Pas a
Leyde. 131-171
Lettre à M. l'Éditeur du journal The Literary Gazette
sur quelques singularités de la médecine égyptienne. 173-179
Lettre à M. le docteur Schnepp, secrétaire de l'Institut
égyptien, sur la longévité prétendue des Égyptiens. 181-182
Les inscriptions relatives aux mines d'or de Nubie (avec
deux planches). 18:3-230
Observations sur le chapitre VI du Rituel égyptien, a
propos d'une statuette funéraire du Musée de Langres
(avec deux planches). 231-247
Recherches sur le nom égyptien de Thèbes, avec quelques
observations sur l'alphabet sémitico-égyptien et sur les
singularités orthographiques. 249-287
460 TABLE DES MATIÈRES
Les Papyrus hiératiques de Berlin, récits d'il y a quatremille ans, avecun index géographique et deux planchesdefac-similé. 289-364
Revue rétrospective à propos de la publication de la
liste royale d'Abydos (premier article). 365-395
Revue rétrospective propos de la découvertede la table
royale d'Abydos (deuxième article). 397-436
Lettre à M. le Directeur de la France littéraire, au sujetdes discussionssoulevéespar la publication de la nou-
velle table royale d'Abydos 437-456
CHALON-S-S., IMP. FRANÇAISE ET ORIENTALE DE L. MARCEAU, E. BERTRAND, SUCCr
TABLE DES MATIERESTraduction et analyse de l'inscription hiéroglyphique d'Ibsamboul, contenant le récit d'un épisode de la guerre de Ramsés II contre la confédération des H'itasSur les Papyrus hiératiques, par C. W. GoodwinNote sur un poids égyptien de la collection de M. Harris, d'AlexandrieDe la circoncision chez les EgyptiensLe cèdre dans les hiéroglyphesScène mystique peinte sur un sarcophage égyptienNotices sommaires des Papyrus hiératiques égyptiens L 343-371 du Musée d'antiquités des Pays-Pas à LeydeLettre à M. l'Editeur du journal The Literary Gazette sur quelques singularités de la médecine égyptienneLettre à M. le docteur Schnepp, secrétaire de l'Institut égyptien, sur la longévité prétendue des EgyptiensLes inscriptions relatives aux mines d'or de Nubie (avec deux planches)Observations sur le chapitre VI du Rituel égyptien, à propos d'une statuette funéraire du Musée de Langres (avec deux planches)Recherches sur le nom égyptien de Thèbes, avec quelques observations sur l'alphabet sémitico-égyptien et sur les singularités orthographiquesLes Papyrus hiératiques de Berlin, récits d'il y a quatre mille ans, avec un index géographique et deux planches de fac-similéRevue rétrospective à propos de la publication de la liste royale d'Abydos (premier article)Revue rétrospective à propos de la découverte de la table royale d'Abydos (deuxième article)Lettre à M. le Directeur de la France littéraire, au sujet des discussions soulevées par la publication de la nouvelle table royale d'Abydos