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PRESENTATION DU FONDS NORMAND
D’APRES L’ARTICLE DE M. Innocent DIEZOU
Capter le temps pour illustrer l’oralité – Mémoires oubliées de Louis Normand – Côte d’Ivoire :
cent ans d’histoire de l’Afrique de l’OUEST
Avertissement :
Le chercheur‐consultant M. Innocent Diezou a consacré ses recherches au Fonds Normand.
Pour l’information de la presse et des partenaires, cette note reprend des extraits de l’un de
ses articles, qui fera l’objet d’une présentation analytique complète lors de la conférence.
Le Fonds Normand comporte un répertoire riche de cent mille photographies
argentiques, de négatifs, de fichiers d’inventaires et de bons divers1, rattachés à un
photographe qui a longtemps exercé en Côte d’Ivoire (Afrique de L’ouest) de 1950 à 2000,
en l’occurrence le français Louis Normand, dont plus de 50 ans de clichés, de négatifs,
minutieusement agencés2 constituent un ensemble remarquable.
Qui est Louis Normand ?
Louis Normand est né le 22 juin 1930 à Paris. Très jeune orphelin, il est placé par sa
mère comme commis photographe, où il perfectionne sa technique. Louis Normand
(influencé ou encouragé par la politique d’incitation à investir dans la colonie suivant la
doctrine Sarraut, ou simplement par goût pour l’aventure ou l’exotisme) émigre en Côte
d’Ivoire vers 1953 et travaille avec un photographe professionnel dont le studio se situe en
face de l’hôtel du Bardon (Hôtel du Parc) dans l’actuelle commune du Plateau à Abidjan. Par
la suite, il loue un estanco3 et se spécialise dans les petits reportages. En 1954, en début
d’année, en pleine émergence des studios photos en Afrique, Louis Normand crée « Photo
service » à l’image des studios photos de la métropole française, et deviendra l’un des plus
grands professionnels de l’A.O.F (l’Afrique Occidentale Française). Il opère un marketing
réussi en installant son studio en plein centre ville : aux soixante logements du Plateau, le
centre d’affaire en pleine émergence en Côte d’ivoire. Il cumule durant cette période, en
1 Nous entendons par bons divers, l’ensemble des factures, des bons de commande et de livraison. 2 Travail rendu possible par le truchement de M. Michel BUITRUILLE, dépositaire de ce riche répertoire et qui en assure la précieuse conservation. 3 Estanco est un mot espagnol très utilisé dans les années soixante en Côte d’Ivoire qui équivaut aux tabacs actuels en France.
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homme de métier expérimenté et ayant acquis un savoir faire exceptionnel, les fonctions de
« Reporter », « Portraitiste », « Agence de presse », de « Publicitaire » et « Éditeur ».
Louis Normand sillonne l’Afrique, même si son domaine de prédilection reste l’A.O.F.
Il photographie avec art une diversité de champ d’activité, couvrant par sa maitrise des
techniques de l’image, les chantiers de réalisation des infrastructures économiques, les
différents aspects sociaux et leurs mutations, les hommes et leurs activités socio‐ politiques.
L’ensemble de son œuvre est un témoignage riche et édifiant des transitions opérées
dans les jeunes États Africains. Ses différentes activités dans le domaine de l’image lui ont
permis de capter l’époque de la transition coloniale vers les indépendances, avec son lot de
mutation rurale et urbaine, et la mobilité des savoirs et des technologies qui ont contribué à
accélérer le développement de ces pays pour en faire des États modernes.
Grâce à son art, il a réussi à croiser des vies parallèles d’Européens et d’Africains dans
des destinées communes et sur des chantiers communs d’un territoire en pleine émergence,
tel que celui de la Côte d’Ivoire. Cependant Louis Normand devra rompre ses attaches avec
ce pays suite au décès tragique de son épouse. Le traumatisme de ce décès le conduira à
« disparaître » du monde de la photographie car il n’a pas laissé d’adresse à la suite de la
fermeture de son studio photo. Toutefois, le professionnalisme de l’homme a été mis à jour,
suite à la découverte fortuite sur un marché aux puces d’Adjamé à Abidjan4 et des
investigations sur les quais parisiens, de ses archives photographiques comprenant des lots
de négatifs et toutes ses productions documentaires d’une rare qualité, soigneusement
rangés, classés et annotés. Ces négatifs dont certains sont encore inédits, racontent sans
voyeurisme, avec un talent indéniable et une émotion certaine, l’Afrique des nouvelles
capitales, à travers la vie des hommes qui les peuplent.
Ils témoignent de façon édifiante de l’implantation des majors du pétrole (les sièges
sociaux et les premières stations services), de l’urbanisation (caractérisé par les programmes
immobiliers, les immeubles administratifs, la construction des ponts et des routes), de
l’industrialisation (les brasseries, les savonneries, les usines de montage automobile, les
scieries …), de l’industrie du transport (l’aviation, le chemin de fer, le port, les transports en
commun…), des hommes politiques Africains et Européens, des grandes manifestations
festives telles que les indépendances, les cérémonies d’accueil de personnalités et les
4 Adjamé est la commune dont le marché est le carrefour commercial des pays de l’Afrique de l’Ouest. Cette commune est située dans la ville d’Abidjan devenue depuis lors la capitale économique de la Côte d’Ivoire.
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inaugurations d’infrastructures de développement, les sociétés de commerce de grande
consommation et enfin la traçabilité des grandes « batailles » concurrentielles des « big
three » de l’import‐export, à savoir la C.F.A.O (Compagnie Française de l’Afrique
Occidentale), la S.C.O.A (Société Commerciale de l’Ouest Afrique) et la Compagnie du Niger
Français.
Photo Portrait de Louis normand
Le studio « photo service »
Le foisonnement des photographes à la fin des années 50 fait que la sédentarité est
reconnu par l’opinion publique comme une marque de professionnalisme. Prenant en
compte la concurrence, le local se doit d’être attrayant et être la vitrine du savoir‐faire du
photographe. Ce local doit être facilement identifiable avec un insigne facile à retenir. Louis
Normand nomme par conséquent son studio « photo service ». En homme avisé, il s’est
orienté vers une offre de prestige louant un espace au rez‐de‐chaussée du plus grand et du
plus luxueux des immeubles (l’une des premières tours construites) à Abidjan. La
structuration du studio « photo service » correspondant au modèle des studios en Afrique
de l’époque, se subdivise en plusieurs compartiments : La vitrine de façade, le bureau qui
sert de lieu réception des clients, le hall d’accueil, l’espace de prise de vue et la chambre
noire ou le laboratoire de traitement des images.
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La vitrine
Le prestige du studio « photo service » se remarque par sa vitrine à l’image des studios des
galeries commerciales de Paris. Enseignes lumineuses, excellente organisation des espaces
avec une bonne mise en évidence du partenaire Kodak et de ses derniers modèles
d’appareils photographiques. Ensuite, dans un décor assez épuré qui sert en réalité d’espace
d’exposition, l’on peu observer en premier plan, l’indice lumineux Ferrania color qui
renseigne sur la réalisation de photographies en couleur, en second plan et bien en évidence,
apparaît une série de portraits de personnes, toutes européennes, femmes et hommes bien
départagés par un décor floral et enfin en troisième plan, l’exposition des photographies les
plus significatives réalisées par Louis Normand. Elles comprennent la carte de la Côte d’Ivoire
au centre avec de nombreuses photos « satellites » bien agencées autour, avoisinant la
photo grand format de la première exploitation industrielle du pays à partir de laquelle s’est
amorcée le développement, à savoir l’industrie du bois.
Studio « Photo service » ‐Louis Normand
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Le bureau de réception
Comme cela se remarque à cette époque chez les photographes Africains, les murs des
espaces de réception de la clientèle sont exploités comme des galeries d’exposition pour
valoriser le savoir faire du photographe. Le hall d’accueil de la clientèle du studio « photo
service» est superbement aménagé et spacieux. Louis Normand a opté pour la convivialité
en l’organisant selon le modèle des grands hôtels qui mettent à la disposition de leurs
clientèles des tables circulaires avec des sièges autour, en y ajoutant des fleurs qui sont un
décor de luxe assez prisé chez les photographes Africains qui n’hésitent pas pour certains à
utiliser des modèles en plastique que l’on trouve à bon marché. Le bureau de réception de
Louis Normand qui est d’un grand confort (climatiseur en arrière plan, téléphone et abat‐
jour bien mis en évidence sur le bureau…) ne déroge pas à cette règle. Sur le mur en arrière
plan sont exposées les photographies de l’industrie, des innovations technologiques, de
l’architecture traditionnelle et moderne, des personnalités politiques et de « l’exotisme »
anthropologique.
Le hall d’accueil de la clientèle du studio « photo service ». Louis Normand
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La chambre noire ou le laboratoire de développement photo.
A la différence des autres studios dont les compartiments sont délimités par des cloisons en
contreplaqués (bois)5, celui de Louis Normand est compartimenté dans la structure de
l’immeuble construit selon les normes européennes. Le studio « photo service » comprend
deux chambres noires. L’une d’elle est munie de bacs à eau construits comme de petites
piscines pour le lavage des photos, avec des agrandisseurs en arrière plan. Et une autre
chambre comporte exclusivement des agrandisseurs, avec des mobiliers en bois. La
première plus spacieuse possède un système d’aération assez important tandis que la
seconde en est moins pourvue. Elles disposent toutes de système d’éclairage avec des
lumières halogènes et des tubes néons. Les caisses de produits chimiques sont aisément
remarquables. Les agrandisseurs lui permettent de tirer des photos de 6x6, 9x12 et 24x36.
Nous avons pu identifier sur la première photographie, à gauche en premier plan et à droite
en second plan deux agrandisseurs de modèle Leitz Leica.
Le premier est un Leitz Leica focomat II (assez difficile à trouver de nos jours) qui permet de
tirer du 6x6 et du 24x36. Le second est un Leitz Leica focomat 1c (semi professionnel avec
des qualités de stabilité et de précision attestées) encore utilisé par les développeurs de
photo argentique noir et blanc. Il permet de tirer les 24x36.
La qualité de son matériel lui permet de développer des photos en provenance d’autres
photographes majoritairement Africains, sédentaires ou ambulants. Pour les formats
spéciaux et pour les commanditaires exigeants tels que les entreprises ou les industriels, le
développement des photos se fait en France.
5 WERNER Jean‐François. « Le crépuscule des studios ». In : TERVONEN Taina. Anthologie de la photographie africaine et de l’océan indien, sous la direction de Pascal Martin Saint‐Léon. Éd Revue Noire, p 96.
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Chambre noire 1 – Louis Normand
Chambre noire 2 – Louis Normand
(…)
Louis Normand ayant beaucoup été influencé par les grands studios Français tels que
Harcourt (studio) en a fait son apanage pendant un moment. Par la qualité de son savoir
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faire, il est devenu à la suite d’Harcourt, le photographe portraitiste attitré du premier
président de la république de Côte d’Ivoire.
Portrait officiel du président Félix Houphouët Boigny Portrait officiel du président Félix Houphouët Boigny Harcourt Louis Normand .
Durant cette période, la photographie de portrait connait une certaine
professionnalisation en Afrique (…).
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Photo portrait d’un chef Crewmen dans un village a proximité de l'exploitation forestière de Victor Ballet à San PEDRO1961 ‐ Louis Normand
André Blohorn cinquième à Partir de la droite posant avec ses ouvriers et collaborateurs à l’entrée du bâtiment de l’usine. 1958 ‐ Louis Normand.
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L’autre caractéristique de l’action photographique est l’instantané, c'est‐à‐dire la
photographie prise sans pose. Prise dans ce sens, la photographie s’attribue le rôle du
témoin. Le témoin d’un évènement ou d’une chose qui ne sera plus ; un évènement fugace,
qui n’aura pas pris le temps de la pose. En captant l’instantané, la photographie n’est plus un
simple support de signes, ni une figuration indicielle, mais vise à être la chose elle‐même,
qu’elle veut capturer, emprisonner.
(…)
Dans le cadre des photographies de Louis Normand, ce sont 50 ans environ de faits
capturés pour la plupart en instantané, qui marquent la mutation d’un territoire et les
grands évènements illustrant les faits majeurs du développement tels que voulu par les
pouvoirs publics français et ivoiriens après 1960.
La première visite du Général De Gaulle à Abidjan en 1958. On peut identifier sur l’image le futur président de la République de Côte d’Ivoire ( la 2
ème personne au 2
ème rang à partir de la gauche).
Louis Normand
L’instantané trouve par ailleurs un riche terreau d’expression dans le
photojournalisme. Activité dont Louis Normand fut l’un des précurseurs en Côte d’Ivoire.