PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
de Cornelio Fabro
Note de lecture et saute drsquohumeur
1deg- UN VRAI FILS DE THOMAS 2
2deg- LrsquoldquoESSE INTENSIFrdquo UN TRAIT DE GENIE 2
3deg- PRISONNIER DE MAUVAISES INFLUENCES 4
- Un cadre de dichotomies deacutesastreux 5
- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote 7
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas 7
- Thomas un neacuteo-platonicien 8
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique 10
- Une quantiteacute drsquoesse 13
4deg- TRADUIRE ldquoESSErdquo 14
- Eacutequivoque en franccedilais 14
- Esse est un verbe 15
- Esse vivere intelligere 18
5deg- LE CHEMIN DE CROIX DE FABRO 20
- Forma dat esse 22
- Participation 25
- La causaliteacute eacutequivoque 26
6deg- CONCLUSION 31
Note de lecture et saute drsquohumeur
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1deg- Un vrai fils de Thomas
La quecircte de la ldquoMeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo passe ineacutevitablement par Cornelio Fabro La
ldquoBibliothegraveque de la Revue Thomisterdquo avec le concours des eacuteditions ldquoParole et Silencerdquo a eu la bonne
ideacutee de reacuteeacutediter son maicirctre ouvrage Participation et causaliteacute selon Saint Thomas drsquoAquin1
Je mrsquoattendais comme dans mes explorations preacuteceacutedentes chez Gilson Mercier et autres agrave
deacutecouvrir un auteur didactique plus dialecticien et historien que philosophe pour qui les peacutetitions
de principe pegravesent peu devant la faconde des dissertations Mais au contraire je dois reconnaicirctre
que nous avons devant les yeux un exercice de philosophie de tregraves grande classe sans comparaison
avec les preacuteciteacutes Tout le mal que jrsquoen pourrai dire par la suite agrave cause de mon tempeacuterament
atrabilaire doit ecirctre mesureacute agrave lrsquoaune de ce jugement premier Il y a longtemps que je nrsquoavais lu un
ouvrage de philosophie drsquoune telle longueur largeur et profondeur En geacuteneacuteral lorsqursquoun critique
commence comme je viens de la faire crsquoest tregraves mauvais signe pour la suite qui promet drsquoecirctre une
mise agrave mort en bonne et due forme Mais lagrave il nrsquoen est rien jrsquoai reacuteellement eacuteprouveacute du plaisir agrave lire
Fabro Eacutegalement reccedilu une grande deacutemonstration de pratique philosophique
Lrsquoauteur nous apprend en effet comment utiliser Thomas agrave pleines tirades et non avec de petites
citations de fortune en suivant sa cadence et non en vadrouillant agrave droite et agrave gauche et dans le
contexte de lrsquointention premiegravere indeacutependamment de nos propres viseacutees Il nous montre comment
traiter des lieux parallegraveles qui se confortent mutuellement sans jamais se superposer Il nous fait
deacutecouvrir la complexiteacute de la penseacutee de Thomas drsquoAquin qui nrsquoest pourtant nulle part ni
contradictoire ni redondante toujours tendue vers lrsquouniteacute Lire Fabro est une extraordinaire leccedilon de
lecture de Thomas Au-delagrave drsquoune parfaite connaissance de son œuvre on sent chez lui une
admiration une affection oui un amour filial de celui qui repreacutesente agrave ses yeux le seul maicirctre du
moins agrave lrsquoeacutechelle simplement humaine
Ce seul beacuteneacutefice meacuterite largement drsquoouvrir son livre Une bonne recension devrait drsquoailleurs srsquoen
tenir lagrave car aller plus loin dans la preacutesentation devient tregraves difficile sauf agrave reacuteeacutecrire lrsquoouvrage en
entier tant la lettre de Fabro est de celles qui ne se reacutesument pas sans perte Par ailleurs la
progression de sa penseacutee nrsquoest pas lineacuteaire et il est presque impossible de tirer un fil conducteur
Mecircme la table des matiegraveres nrsquoest drsquoaucun secours Se deacutegage au cours de la lecture le sentiment
drsquoune reacuteflexion eacutevolutive et sinueuse Ce livre ne fut sans doute pas eacutecrit drsquoune traite mais tout au
long drsquoune peacuteriode de sa vie intellectuelle Fabro est un deacutefricheur qui se fraye un chemin dans la
jungle de la penseacutee au hasard des opportuniteacutes drsquoouvertures et de passages Souvent il revient sur
ses pas parfois il se contredit agrave quelques pages de distance Mais cela est sans conseacutequences graves
tant qursquoil reste tendu vers les intuitions de fond qui constituent la valeur et la personnaliteacute du livre
Certainement cela ne contribue pas peu agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoœuvre elle est comme le deacuterouleacute drsquoune vie
intellectuelle agrave lrsquoeffort
Pour ces raisons et drsquoautres dont nous parlerons par la suite nous ne pourrons pas en faire une
preacutesentation seacutequentielle chapitre apregraves chapitre
2deg- Lrsquoldquoesse intensifrdquo un trait de geacutenie
Fabro est le pegravere de lrsquoldquoesse intensifrdquo Pourtant le terme ne se trouve nulle part chez Thomas encore
moins sa justification2 Drsquoambleacutee le sens nrsquoen est pas aiseacute Fabro consacre presqursquoentiegraverement agrave
1 Participation et causaliteacute selon S Thomas drsquoAquin Ed Parole et Silence Coll laquo Bibliothegraveque de la Revue thomiste raquo 2015 Reprint de lrsquoeacutedition franccedilaise de 1961 2 Tout de mecircme Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire page 253 note 18 laquo Cette terminologie drsquoldquoesse intensifrdquo se rencontre explicitement chez saint Thomas dans la discussion sur lrsquoinfini cf de Veritate q 29 a 3 laquo Si enim
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lrsquoesse les trois cents premiegraveres pages de son livre Il brasse les perspectives historiques de
Parmeacutenide agrave Heidegger sans heacutesiter agrave soutenir une querelle sur ce qursquoon pourrait appeler un ldquooubli
de lrsquoesserdquo propre agrave lrsquoEacutecole Une de ses grandes preacuteoccupations fut de montrer que la notion drsquoesse
thomiste eacutechappe totalement agrave la mortelle critique heideggeacuterienne drsquoldquoontotheacuteologismerdquo Il eut
eacutegalement agrave cœur de manifester ndash jrsquoy reviendrai pour protester ndash combien la meacutetaphysique de
Thomas drsquoAquin meacutetamorphose et mecircme subvertit de fond en comble celle drsquoAristote jusque dans
le sens des mots
Il me semble avoir mieux compris ce qursquoil entendait par ldquoecirctre intensifrdquo en eacutevoquant pour moi-mecircme
des notions comme ldquoeffort intensifrdquo ldquolumiegravere couleur ou goucirct intenserdquo Un rouge est intense
lorsqursquoil est plus rouge que les autres au point mecircme drsquoeacuteblouir la vue par son rayonnement Tous les
autres rouges paraissent plus ou moins fades en comparaison agrave proportion du meacutelange avec une
autre couleur du blanc ou du noir Plus le rouge se purifie de ce qui nrsquoest pas rouge en lui plus il
srsquointensifie et srsquoapproche du ldquorouge intensif par soirdquo qui serait le rouge pur sans aucun meacutelange de
non-rouge Le rouge le plus intense qui soit est donc la cause de la rougeur de ce qui srsquoen approche
plus ou moins et ce qursquoil y a de non-rouge dans lrsquoobjet est la cause du fait qursquoil srsquoen eacuteloigne
Comme dit saint Thomas laquo esse simpliciter et absolute dictum de solo divino esse intelligitur Unde
quantum creatura accedit ad Deum tantum habet de esse quantum vero ab eo recedit tantum
habet de non esse raquo3 Plus son esse srsquoaffadit en quelque sorte comme notre rouge Ainsi lrsquoesse de
Dieu qui est pur esse sans meacutelange est lrsquoesse par soi dont la gloire eacuteblouit toute intelligence creacuteeacutee
drsquoune intensiteacute insupportable Comme lrsquoœil ne supporte pas sans dommage la vue de lrsquoacier porteacute au
rouge incandescent
Lrsquoesse intensif est donc lrsquoexact symeacutetrique de lrsquoesse commune Les seacutepare toute la distance entre la
causaliteacute universelle intensivement concentreacutee en un seul ecirctre et la preacutedication universelle
extensivement disseacutemineacutee parmi tous les ecirctres Autant le dernier est pauvre en signification pour
pouvoir srsquoadapter indiffeacuteremment agrave nrsquoimporte quel ecirctre autant le premier reacuteunit en lui la reacutealiteacute de
tous les esse deacutegradeacutes des creacuteatures et plus encore et dans lrsquouniteacute et la simpliciteacute parfaites Le
terme drsquoesse pris en ce sens ne peut donc convenir qursquoagrave un seul ecirctre parfait et simple Lrsquoesse absolu
est intenseacutement tout ce que les autres esse deacutegradeacutes sont pour partie
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension Lrsquoesse subsistens intensif embrasse toute perfection et
contient la pleacutenitude du vivere et intelligere en Dieu lrsquoens au contraire au
premier degreacute formel par exemple dans le mineacuteral le plus simple exprime le
degreacute le plus eacuteleacutementaire du reacuteel raquo4
intelligatur corpus album infinitum non proter hoc albedo intensive infinita erit sed solum extensive et per accidens poterit enim aliquid albius invenirirdquo raquo - laquo Si lrsquoon conccediloit un corps blanc infini ce nrsquoest pas pour cela que la blancheur sera infinie intensivement mais seulement extensivement et par accident on pourrait en effet trouver quelque chose de plus blanc raquo Avouons ne rien y voir du tout drsquoexplicite crsquoest pourtant la seule justification litteacuterale que donnera Fabro de lrsquoenracinement de lrsquoesse intensif dans la penseacutee de Thomas drsquoAquin 3 De Veritate q 2 a 3 ad 16 laquo Lrsquoesse absolu et simple ne se comprend qursquoen Dieu et plus une creacuteature lui est proche plus elle a drsquoesse en revanche plus elle srsquoen eacuteloigne et plus elle a de non-esse raquo 4 Page 446
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Ou encore
laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue
de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la
creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition
reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la
pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de
son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5
Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme
un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non
seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune
partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet
immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans
lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici
lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage
On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans
son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo
laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en
geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il
semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint
Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la
fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo
Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune
intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de
lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique
ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse
existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par
nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse
essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre
Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro
Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre
comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par
conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont
plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute
Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote
louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement
cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir
3deg- Prisonnier de mauvaises influences
Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de
mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du
19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis
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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et
Heidegger
On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la
penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes
mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre
- Un cadre de dichotomies deacutesastreux
Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales
eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en
effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo
au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou
de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave
ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo
Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue
dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne
transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave
Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le
point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)
Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions
heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit
laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins
prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui
est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au
Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses
qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie
laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et
Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne
Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas
monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave
propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en
est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans
un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans
gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte
qursquoil en va de mecircme des autres oppositions
Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro
entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce
terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et
praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait
lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des
preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les
cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour
parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour
lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique
8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777
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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la
reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa
pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest
mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des
Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas
une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces
modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent
analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une
aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique
Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon
nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez
Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres
strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien
Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez
cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas
drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections
du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient
On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre
des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les
platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12
Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en
continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil
qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association
de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee
drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote
contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est
ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute
Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est
deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote
Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se
libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne
10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo
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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote
Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite
eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les
Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions
ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest
surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous
semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se
reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge
veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les
opinions en question
Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun
contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque
Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition
de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors
Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin
de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas
Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en
assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese
centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature
drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13
comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est
impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour
premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc
difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee
de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien
En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains
augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses
thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit
siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee
comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de
nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez
les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en
dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais
pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci
centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens
drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre
composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse
De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave
cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme
13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
Note de lecture et saute drsquohumeur
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
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laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
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laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
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laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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1deg- Un vrai fils de Thomas
La quecircte de la ldquoMeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo passe ineacutevitablement par Cornelio Fabro La
ldquoBibliothegraveque de la Revue Thomisterdquo avec le concours des eacuteditions ldquoParole et Silencerdquo a eu la bonne
ideacutee de reacuteeacutediter son maicirctre ouvrage Participation et causaliteacute selon Saint Thomas drsquoAquin1
Je mrsquoattendais comme dans mes explorations preacuteceacutedentes chez Gilson Mercier et autres agrave
deacutecouvrir un auteur didactique plus dialecticien et historien que philosophe pour qui les peacutetitions
de principe pegravesent peu devant la faconde des dissertations Mais au contraire je dois reconnaicirctre
que nous avons devant les yeux un exercice de philosophie de tregraves grande classe sans comparaison
avec les preacuteciteacutes Tout le mal que jrsquoen pourrai dire par la suite agrave cause de mon tempeacuterament
atrabilaire doit ecirctre mesureacute agrave lrsquoaune de ce jugement premier Il y a longtemps que je nrsquoavais lu un
ouvrage de philosophie drsquoune telle longueur largeur et profondeur En geacuteneacuteral lorsqursquoun critique
commence comme je viens de la faire crsquoest tregraves mauvais signe pour la suite qui promet drsquoecirctre une
mise agrave mort en bonne et due forme Mais lagrave il nrsquoen est rien jrsquoai reacuteellement eacuteprouveacute du plaisir agrave lire
Fabro Eacutegalement reccedilu une grande deacutemonstration de pratique philosophique
Lrsquoauteur nous apprend en effet comment utiliser Thomas agrave pleines tirades et non avec de petites
citations de fortune en suivant sa cadence et non en vadrouillant agrave droite et agrave gauche et dans le
contexte de lrsquointention premiegravere indeacutependamment de nos propres viseacutees Il nous montre comment
traiter des lieux parallegraveles qui se confortent mutuellement sans jamais se superposer Il nous fait
deacutecouvrir la complexiteacute de la penseacutee de Thomas drsquoAquin qui nrsquoest pourtant nulle part ni
contradictoire ni redondante toujours tendue vers lrsquouniteacute Lire Fabro est une extraordinaire leccedilon de
lecture de Thomas Au-delagrave drsquoune parfaite connaissance de son œuvre on sent chez lui une
admiration une affection oui un amour filial de celui qui repreacutesente agrave ses yeux le seul maicirctre du
moins agrave lrsquoeacutechelle simplement humaine
Ce seul beacuteneacutefice meacuterite largement drsquoouvrir son livre Une bonne recension devrait drsquoailleurs srsquoen
tenir lagrave car aller plus loin dans la preacutesentation devient tregraves difficile sauf agrave reacuteeacutecrire lrsquoouvrage en
entier tant la lettre de Fabro est de celles qui ne se reacutesument pas sans perte Par ailleurs la
progression de sa penseacutee nrsquoest pas lineacuteaire et il est presque impossible de tirer un fil conducteur
Mecircme la table des matiegraveres nrsquoest drsquoaucun secours Se deacutegage au cours de la lecture le sentiment
drsquoune reacuteflexion eacutevolutive et sinueuse Ce livre ne fut sans doute pas eacutecrit drsquoune traite mais tout au
long drsquoune peacuteriode de sa vie intellectuelle Fabro est un deacutefricheur qui se fraye un chemin dans la
jungle de la penseacutee au hasard des opportuniteacutes drsquoouvertures et de passages Souvent il revient sur
ses pas parfois il se contredit agrave quelques pages de distance Mais cela est sans conseacutequences graves
tant qursquoil reste tendu vers les intuitions de fond qui constituent la valeur et la personnaliteacute du livre
Certainement cela ne contribue pas peu agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoœuvre elle est comme le deacuterouleacute drsquoune vie
intellectuelle agrave lrsquoeffort
Pour ces raisons et drsquoautres dont nous parlerons par la suite nous ne pourrons pas en faire une
preacutesentation seacutequentielle chapitre apregraves chapitre
2deg- Lrsquoldquoesse intensifrdquo un trait de geacutenie
Fabro est le pegravere de lrsquoldquoesse intensifrdquo Pourtant le terme ne se trouve nulle part chez Thomas encore
moins sa justification2 Drsquoambleacutee le sens nrsquoen est pas aiseacute Fabro consacre presqursquoentiegraverement agrave
1 Participation et causaliteacute selon S Thomas drsquoAquin Ed Parole et Silence Coll laquo Bibliothegraveque de la Revue thomiste raquo 2015 Reprint de lrsquoeacutedition franccedilaise de 1961 2 Tout de mecircme Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire page 253 note 18 laquo Cette terminologie drsquoldquoesse intensifrdquo se rencontre explicitement chez saint Thomas dans la discussion sur lrsquoinfini cf de Veritate q 29 a 3 laquo Si enim
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lrsquoesse les trois cents premiegraveres pages de son livre Il brasse les perspectives historiques de
Parmeacutenide agrave Heidegger sans heacutesiter agrave soutenir une querelle sur ce qursquoon pourrait appeler un ldquooubli
de lrsquoesserdquo propre agrave lrsquoEacutecole Une de ses grandes preacuteoccupations fut de montrer que la notion drsquoesse
thomiste eacutechappe totalement agrave la mortelle critique heideggeacuterienne drsquoldquoontotheacuteologismerdquo Il eut
eacutegalement agrave cœur de manifester ndash jrsquoy reviendrai pour protester ndash combien la meacutetaphysique de
Thomas drsquoAquin meacutetamorphose et mecircme subvertit de fond en comble celle drsquoAristote jusque dans
le sens des mots
Il me semble avoir mieux compris ce qursquoil entendait par ldquoecirctre intensifrdquo en eacutevoquant pour moi-mecircme
des notions comme ldquoeffort intensifrdquo ldquolumiegravere couleur ou goucirct intenserdquo Un rouge est intense
lorsqursquoil est plus rouge que les autres au point mecircme drsquoeacuteblouir la vue par son rayonnement Tous les
autres rouges paraissent plus ou moins fades en comparaison agrave proportion du meacutelange avec une
autre couleur du blanc ou du noir Plus le rouge se purifie de ce qui nrsquoest pas rouge en lui plus il
srsquointensifie et srsquoapproche du ldquorouge intensif par soirdquo qui serait le rouge pur sans aucun meacutelange de
non-rouge Le rouge le plus intense qui soit est donc la cause de la rougeur de ce qui srsquoen approche
plus ou moins et ce qursquoil y a de non-rouge dans lrsquoobjet est la cause du fait qursquoil srsquoen eacuteloigne
Comme dit saint Thomas laquo esse simpliciter et absolute dictum de solo divino esse intelligitur Unde
quantum creatura accedit ad Deum tantum habet de esse quantum vero ab eo recedit tantum
habet de non esse raquo3 Plus son esse srsquoaffadit en quelque sorte comme notre rouge Ainsi lrsquoesse de
Dieu qui est pur esse sans meacutelange est lrsquoesse par soi dont la gloire eacuteblouit toute intelligence creacuteeacutee
drsquoune intensiteacute insupportable Comme lrsquoœil ne supporte pas sans dommage la vue de lrsquoacier porteacute au
rouge incandescent
Lrsquoesse intensif est donc lrsquoexact symeacutetrique de lrsquoesse commune Les seacutepare toute la distance entre la
causaliteacute universelle intensivement concentreacutee en un seul ecirctre et la preacutedication universelle
extensivement disseacutemineacutee parmi tous les ecirctres Autant le dernier est pauvre en signification pour
pouvoir srsquoadapter indiffeacuteremment agrave nrsquoimporte quel ecirctre autant le premier reacuteunit en lui la reacutealiteacute de
tous les esse deacutegradeacutes des creacuteatures et plus encore et dans lrsquouniteacute et la simpliciteacute parfaites Le
terme drsquoesse pris en ce sens ne peut donc convenir qursquoagrave un seul ecirctre parfait et simple Lrsquoesse absolu
est intenseacutement tout ce que les autres esse deacutegradeacutes sont pour partie
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension Lrsquoesse subsistens intensif embrasse toute perfection et
contient la pleacutenitude du vivere et intelligere en Dieu lrsquoens au contraire au
premier degreacute formel par exemple dans le mineacuteral le plus simple exprime le
degreacute le plus eacuteleacutementaire du reacuteel raquo4
intelligatur corpus album infinitum non proter hoc albedo intensive infinita erit sed solum extensive et per accidens poterit enim aliquid albius invenirirdquo raquo - laquo Si lrsquoon conccediloit un corps blanc infini ce nrsquoest pas pour cela que la blancheur sera infinie intensivement mais seulement extensivement et par accident on pourrait en effet trouver quelque chose de plus blanc raquo Avouons ne rien y voir du tout drsquoexplicite crsquoest pourtant la seule justification litteacuterale que donnera Fabro de lrsquoenracinement de lrsquoesse intensif dans la penseacutee de Thomas drsquoAquin 3 De Veritate q 2 a 3 ad 16 laquo Lrsquoesse absolu et simple ne se comprend qursquoen Dieu et plus une creacuteature lui est proche plus elle a drsquoesse en revanche plus elle srsquoen eacuteloigne et plus elle a de non-esse raquo 4 Page 446
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Ou encore
laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue
de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la
creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition
reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la
pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de
son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5
Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme
un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non
seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune
partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet
immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans
lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici
lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage
On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans
son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo
laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en
geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il
semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint
Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la
fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo
Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune
intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de
lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique
ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse
existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par
nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse
essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre
Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro
Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre
comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par
conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont
plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute
Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote
louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement
cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir
3deg- Prisonnier de mauvaises influences
Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de
mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du
19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis
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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et
Heidegger
On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la
penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes
mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre
- Un cadre de dichotomies deacutesastreux
Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales
eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en
effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo
au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou
de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave
ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo
Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue
dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne
transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave
Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le
point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)
Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions
heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit
laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins
prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui
est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au
Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses
qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie
laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et
Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne
Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas
monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave
propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en
est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans
un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans
gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte
qursquoil en va de mecircme des autres oppositions
Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro
entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce
terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et
praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait
lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des
preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les
cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour
parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour
lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique
8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777
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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la
reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa
pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest
mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des
Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas
une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces
modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent
analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une
aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique
Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon
nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez
Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres
strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien
Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez
cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas
drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections
du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient
On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre
des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les
platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12
Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en
continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil
qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association
de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee
drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote
contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est
ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute
Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est
deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote
Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se
libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne
10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo
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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote
Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite
eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les
Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions
ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest
surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous
semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se
reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge
veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les
opinions en question
Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun
contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque
Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition
de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors
Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin
de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas
Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en
assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese
centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature
drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13
comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est
impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour
premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc
difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee
de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien
En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains
augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses
thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit
siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee
comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de
nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez
les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en
dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais
pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci
centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens
drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre
composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse
De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave
cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme
13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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lrsquoesse les trois cents premiegraveres pages de son livre Il brasse les perspectives historiques de
Parmeacutenide agrave Heidegger sans heacutesiter agrave soutenir une querelle sur ce qursquoon pourrait appeler un ldquooubli
de lrsquoesserdquo propre agrave lrsquoEacutecole Une de ses grandes preacuteoccupations fut de montrer que la notion drsquoesse
thomiste eacutechappe totalement agrave la mortelle critique heideggeacuterienne drsquoldquoontotheacuteologismerdquo Il eut
eacutegalement agrave cœur de manifester ndash jrsquoy reviendrai pour protester ndash combien la meacutetaphysique de
Thomas drsquoAquin meacutetamorphose et mecircme subvertit de fond en comble celle drsquoAristote jusque dans
le sens des mots
Il me semble avoir mieux compris ce qursquoil entendait par ldquoecirctre intensifrdquo en eacutevoquant pour moi-mecircme
des notions comme ldquoeffort intensifrdquo ldquolumiegravere couleur ou goucirct intenserdquo Un rouge est intense
lorsqursquoil est plus rouge que les autres au point mecircme drsquoeacuteblouir la vue par son rayonnement Tous les
autres rouges paraissent plus ou moins fades en comparaison agrave proportion du meacutelange avec une
autre couleur du blanc ou du noir Plus le rouge se purifie de ce qui nrsquoest pas rouge en lui plus il
srsquointensifie et srsquoapproche du ldquorouge intensif par soirdquo qui serait le rouge pur sans aucun meacutelange de
non-rouge Le rouge le plus intense qui soit est donc la cause de la rougeur de ce qui srsquoen approche
plus ou moins et ce qursquoil y a de non-rouge dans lrsquoobjet est la cause du fait qursquoil srsquoen eacuteloigne
Comme dit saint Thomas laquo esse simpliciter et absolute dictum de solo divino esse intelligitur Unde
quantum creatura accedit ad Deum tantum habet de esse quantum vero ab eo recedit tantum
habet de non esse raquo3 Plus son esse srsquoaffadit en quelque sorte comme notre rouge Ainsi lrsquoesse de
Dieu qui est pur esse sans meacutelange est lrsquoesse par soi dont la gloire eacuteblouit toute intelligence creacuteeacutee
drsquoune intensiteacute insupportable Comme lrsquoœil ne supporte pas sans dommage la vue de lrsquoacier porteacute au
rouge incandescent
Lrsquoesse intensif est donc lrsquoexact symeacutetrique de lrsquoesse commune Les seacutepare toute la distance entre la
causaliteacute universelle intensivement concentreacutee en un seul ecirctre et la preacutedication universelle
extensivement disseacutemineacutee parmi tous les ecirctres Autant le dernier est pauvre en signification pour
pouvoir srsquoadapter indiffeacuteremment agrave nrsquoimporte quel ecirctre autant le premier reacuteunit en lui la reacutealiteacute de
tous les esse deacutegradeacutes des creacuteatures et plus encore et dans lrsquouniteacute et la simpliciteacute parfaites Le
terme drsquoesse pris en ce sens ne peut donc convenir qursquoagrave un seul ecirctre parfait et simple Lrsquoesse absolu
est intenseacutement tout ce que les autres esse deacutegradeacutes sont pour partie
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension Lrsquoesse subsistens intensif embrasse toute perfection et
contient la pleacutenitude du vivere et intelligere en Dieu lrsquoens au contraire au
premier degreacute formel par exemple dans le mineacuteral le plus simple exprime le
degreacute le plus eacuteleacutementaire du reacuteel raquo4
intelligatur corpus album infinitum non proter hoc albedo intensive infinita erit sed solum extensive et per accidens poterit enim aliquid albius invenirirdquo raquo - laquo Si lrsquoon conccediloit un corps blanc infini ce nrsquoest pas pour cela que la blancheur sera infinie intensivement mais seulement extensivement et par accident on pourrait en effet trouver quelque chose de plus blanc raquo Avouons ne rien y voir du tout drsquoexplicite crsquoest pourtant la seule justification litteacuterale que donnera Fabro de lrsquoenracinement de lrsquoesse intensif dans la penseacutee de Thomas drsquoAquin 3 De Veritate q 2 a 3 ad 16 laquo Lrsquoesse absolu et simple ne se comprend qursquoen Dieu et plus une creacuteature lui est proche plus elle a drsquoesse en revanche plus elle srsquoen eacuteloigne et plus elle a de non-esse raquo 4 Page 446
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Ou encore
laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue
de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la
creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition
reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la
pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de
son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5
Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme
un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non
seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune
partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet
immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans
lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici
lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage
On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans
son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo
laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en
geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il
semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint
Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la
fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo
Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune
intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de
lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique
ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse
existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par
nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse
essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre
Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro
Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre
comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par
conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont
plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute
Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote
louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement
cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir
3deg- Prisonnier de mauvaises influences
Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de
mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du
19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis
5 Page 513 6 Page 62 7 Page 63
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et
Heidegger
On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la
penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes
mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre
- Un cadre de dichotomies deacutesastreux
Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales
eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en
effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo
au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou
de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave
ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo
Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue
dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne
transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave
Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le
point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)
Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions
heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit
laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins
prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui
est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au
Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses
qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie
laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et
Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne
Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas
monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave
propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en
est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans
un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans
gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte
qursquoil en va de mecircme des autres oppositions
Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro
entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce
terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et
praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait
lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des
preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les
cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour
parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour
lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique
8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777
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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la
reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa
pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest
mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des
Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas
une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces
modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent
analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une
aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique
Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon
nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez
Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres
strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien
Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez
cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas
drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections
du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient
On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre
des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les
platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12
Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en
continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil
qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association
de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee
drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote
contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est
ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute
Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est
deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote
Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se
libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne
10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo
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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote
Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite
eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les
Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions
ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest
surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous
semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se
reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge
veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les
opinions en question
Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun
contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque
Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition
de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors
Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin
de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas
Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en
assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese
centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature
drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13
comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est
impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour
premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc
difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee
de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien
En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains
augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses
thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit
siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee
comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de
nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez
les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en
dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais
pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci
centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens
drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre
composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse
De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave
cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme
13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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Ou encore
laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue
de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la
creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition
reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la
pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de
son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5
Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme
un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non
seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune
partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet
immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans
lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici
lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage
On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans
son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo
laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en
geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il
semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint
Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la
fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo
Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune
intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de
lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique
ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse
existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par
nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse
essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre
Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro
Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre
comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par
conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont
plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute
Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote
louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement
cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir
3deg- Prisonnier de mauvaises influences
Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de
mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du
19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis
5 Page 513 6 Page 62 7 Page 63
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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et
Heidegger
On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la
penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes
mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre
- Un cadre de dichotomies deacutesastreux
Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales
eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en
effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo
au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou
de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave
ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo
Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue
dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne
transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave
Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le
point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)
Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions
heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit
laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins
prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui
est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au
Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses
qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie
laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et
Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne
Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas
monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave
propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en
est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans
un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans
gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte
qursquoil en va de mecircme des autres oppositions
Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro
entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce
terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et
praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait
lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des
preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les
cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour
parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour
lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique
8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777
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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la
reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa
pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest
mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des
Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas
une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces
modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent
analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une
aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique
Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon
nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez
Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres
strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien
Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez
cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas
drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections
du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient
On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre
des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les
platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12
Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en
continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil
qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association
de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee
drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote
contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est
ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute
Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est
deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote
Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se
libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne
10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo
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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote
Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite
eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les
Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions
ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest
surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous
semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se
reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge
veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les
opinions en question
Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun
contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque
Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition
de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors
Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin
de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas
Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en
assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese
centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature
drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13
comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est
impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour
premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc
difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee
de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien
En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains
augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses
thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit
siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee
comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de
nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez
les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en
dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais
pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci
centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens
drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre
composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse
De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave
cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme
13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et
Heidegger
On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la
penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes
mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre
- Un cadre de dichotomies deacutesastreux
Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales
eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en
effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo
au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou
de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave
ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo
Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue
dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne
transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave
Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le
point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)
Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions
heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit
laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins
prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui
est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au
Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses
qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie
laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et
Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne
Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas
monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave
propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en
est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans
un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans
gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte
qursquoil en va de mecircme des autres oppositions
Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro
entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce
terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et
praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait
lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des
preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les
cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour
parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour
lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique
8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777
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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la
reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa
pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest
mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des
Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas
une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces
modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent
analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une
aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique
Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon
nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez
Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres
strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien
Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez
cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas
drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections
du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient
On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre
des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les
platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12
Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en
continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil
qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association
de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee
drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote
contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est
ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute
Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est
deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote
Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se
libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne
10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo
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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote
Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite
eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les
Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions
ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest
surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous
semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se
reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge
veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les
opinions en question
Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun
contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque
Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition
de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors
Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin
de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas
Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en
assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese
centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature
drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13
comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est
impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour
premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc
difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee
de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien
En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains
augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses
thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit
siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee
comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de
nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez
les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en
dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais
pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci
centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens
drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre
composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse
De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave
cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme
13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la
reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa
pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest
mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des
Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas
une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces
modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent
analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une
aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique
Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon
nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez
Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres
strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien
Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez
cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas
drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections
du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient
On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre
des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les
platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12
Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en
continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil
qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association
de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee
drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote
contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est
ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute
Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est
deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote
Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se
libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne
10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo
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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote
Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite
eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les
Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions
ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest
surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous
semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se
reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge
veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les
opinions en question
Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun
contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque
Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition
de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors
Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin
de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas
Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en
assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese
centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature
drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13
comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est
impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour
premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc
difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee
de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien
En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains
augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses
thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit
siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee
comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de
nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez
les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en
dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais
pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci
centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens
drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre
composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse
De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave
cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme
13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
Note de lecture et saute drsquohumeur
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote
Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite
eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les
Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions
ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest
surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous
semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se
reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge
veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les
opinions en question
Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun
contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque
Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition
de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors
Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin
de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement
- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas
Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en
assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese
centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature
drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13
comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est
impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour
premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc
difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee
de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien
En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains
augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses
thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit
siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee
comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de
nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez
les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en
dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais
pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci
centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens
drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre
composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse
De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave
cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme
13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
Note de lecture et saute drsquohumeur
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur
deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest
drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint
Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro
qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo
ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct
secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont
partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique
thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro
- Thomas un neacuteo-platonicien
Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun
aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple
suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont
eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote
Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des
preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position
Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le
geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves
Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il
nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute
ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee
drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des
deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut
dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter
laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre
eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve
de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi
ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi
15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma
formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de
lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo
page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas
drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus
essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en
deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages
sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens
dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas
puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee
neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
Note de lecture et saute drsquohumeur
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de
divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais
Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres
avec attention raquo 22
Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution
meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-
platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires
drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se
contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux
auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement
inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote
bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie
Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en
meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave
sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la
Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre
une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de
personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil
srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la
geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de
mecircme pour Aristote
Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout
drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une
aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique
majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si
ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait
inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie
grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire
que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui
Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement
attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style
reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne
pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir
qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours
de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute
Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non
pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au
contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus
freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet
toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23
Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs
drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout
22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le
passage suivant
[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration
aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute
drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de
la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant
drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24
Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle
seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est
authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut
donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de
ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident
Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un
raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur
Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de
maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore
laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond
speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des
principes aristoteacuteliciens raquo26
La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme
de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est
avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-
t-il qui est le plus important
- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique
Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes
a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle
eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de
traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la
chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de
lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse
b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en
puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont
leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que
lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait
neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel
c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest
lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte
Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car
autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne
24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
Note de lecture et saute drsquohumeur
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est
LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27
Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes
Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des
termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute
autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et
saint Thomas formulent
Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ
ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave
lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les
traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme
nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere
dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister
en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions
notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way
which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in
which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les
langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en
puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est
aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de
concept anteacuterieur auquel le rattacher
Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer
les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire
lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en
puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif
de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment
ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre
acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris
univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de
ldquola forme de toutes les formesrdquo
Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la
mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-
scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions
aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais
univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste
Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte
agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave
lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou
lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo
27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
Note de lecture et saute drsquohumeur
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme
nous disons en puissancerdquo
ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme
lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et
de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les
substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere
individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip
diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une
constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin
Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la
forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la
forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme
lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien
de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or
les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip
quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes
mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme
Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par
voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun
cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant
drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest
donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution
reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme
puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse
pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance
dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que
soutiendra Fabro
laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute
nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39
Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip
comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une
telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun
contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse
La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues
pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept
Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des
choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois
33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
Note de lecture et saute drsquohumeur
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
Note de lecture et saute drsquohumeur
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est
reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout
acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne
pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la
limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence
laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans
un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas
une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42
Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-
mecircmerdquo raquo43
Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des
choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore
moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte
infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au
contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique
neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a
priori sans jamais se poser de question
- Une quantiteacute drsquoesse
On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44
Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des
rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On
dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation
divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les
composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette
quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des
sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo
Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois
dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque
substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave
41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
Note de lecture et saute drsquohumeur
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
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Note de lecture et saute drsquohumeur
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles
qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue
laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la
reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est
lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme
agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance
simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la
perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation
immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47
Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption
par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer
de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves
avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et
drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et
le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour
revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet
implicitement lrsquoanalogie
laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier
fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans
lrsquoordre de la puissance raquo48
La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des
incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique
Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu
par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de
mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison
4deg- Traduire ldquoesserdquo
Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme
sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse
drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment
anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe
ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant
seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique
pour la neacuteo-scolastique
- Eacutequivoque en franccedilais
Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions
certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute
prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au
mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo
En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire
47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
Note de lecture et saute drsquohumeur
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant
la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee
Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et
des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et
non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune
substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre
et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves
certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant
et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme
Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute
une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le
nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre
se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire
esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait
pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce
parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver
esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres
franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la
communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et
non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a
substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)
- Esse est un verbe
Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro
laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple
verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et
ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des
substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans
le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif
qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo
renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre
les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et
srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme
cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo
Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales
laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-
esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de
la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet
esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute
50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour
exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo
Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus
au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre
comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne
deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte
et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-
scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise
laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut
signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi
comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo
ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la
substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave
lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance
ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de
lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule
cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce
qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment
comme une chose raquo56
Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le
confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que
pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre
marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave
preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml
Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine
srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte
des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des
formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de
la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58
comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave
ses propres limites
55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
Note de lecture et saute drsquohumeur
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui
deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions
CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE
FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion
que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de
puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit
pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere
qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme
ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme
lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un
acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite
principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre
comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu
propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par
conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni
drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi
quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance
entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle
est deacutenommeacutee eacutetant 59
On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de
substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans
le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de
puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte
reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est
en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave
un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action
Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive
mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le
pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer
possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la
lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune
neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit
neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune
forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute
union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil
ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire
parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute
Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui
srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque
Mais en eacutecrivant
laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est
lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip
59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel
est lrsquoesse raquo61
Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur
ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la
matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve
pas de la mecircme notion helliprdquo
Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences
laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum
decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex
principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62
Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des
principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la
Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et
qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De
Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas
reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle
conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave
la perplexiteacute de notre auteur
Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc
srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme
verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la
forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances
de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la
matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du
nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre
nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de
lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme
- Esse vivere intelligere
Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte
de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas
deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident
qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin
2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote
Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa
parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute
agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion
drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre
61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature
des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant
reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse
au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection
possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et
identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse
eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a
nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66
Et encore
laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections
transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive
et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur
alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension
diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel
commence son ascension raquo67
Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le
carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant
comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le
commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis
laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum
intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo
Metaphysicorum dicitur68 raquo69
Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a
exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote
presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul
nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash
une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger
laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates
participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere
includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa
principia sed in unumrdquo raquo71
Et Fabro eacutenonce ce principe final
65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
Note de lecture et saute drsquohumeur
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere
dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73
Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas
totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-
Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit
Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest
rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la
marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une
eacutetape suppleacutementaire
laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque
materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime
remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est
intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud
intelligentia intelligentiaelig raquo74
Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous
devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle
est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo
comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de
cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere
Tout juste peut-il prononcer les mots
laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75
Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son
vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme
Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais
activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas
eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee
et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question
disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre
5deg- Le chemin de croix de Fabro
La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet
propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon
la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes
laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76
72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas
drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette
proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans
lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine
quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans
lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite
laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui
le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou
une libellulerdquo raquo78
Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au
sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire
laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle
dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel
si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence
qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79
Processus qursquoil explique ainsi
laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip
Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des
actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental
commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la
pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse
commune participeacute raquo80
Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de
pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins
grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant
exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple
speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale
laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le
devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier
profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa
causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse
et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81
Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde
physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le
transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel
reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa
faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il
77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
Note de lecture et saute drsquohumeur
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique
lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier
Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien
nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas
- Forma dat esse
Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme
reacutecurrent chez lui
laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque
instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime
explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83
Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la
reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme
selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves
Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro
Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-
scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes
assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement
que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le
premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le
sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen
avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre
Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola
forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que
le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe
Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre
la grammaire latine
Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent
ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu
Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint
Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une
ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier
une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre
drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit
laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel
dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque
ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc
dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84
On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de
Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave
entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa
83 Page 341 84 Page 347
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
Note de lecture et saute drsquohumeur
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe
ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)
lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote
Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre
Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter
laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans
lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental
Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme
nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85
Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la
forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous
couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule
forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest
pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique
laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y
a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout
ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec
la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au
fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle
qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi
La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme
elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance
reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86
Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui
ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle
part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes
reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore
modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee
explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave
lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine
inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En
gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit
Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest
bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-
scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave
propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte
drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate
elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien
que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre
celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance
85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est
apparu drsquoaucun inteacuterecirct
Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un
sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette
formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de
fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que
lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir
ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme
ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas
drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer
mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement
laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves
les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original
ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de
lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de
la meacutetaphysique raquo88
Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel
renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par
exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons
que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience
Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les
expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la
meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait
que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de
sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de
son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese
laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum
esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon
lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans
la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses
apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle
entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90
Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-
scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa
faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que
lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)
Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash
interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de
lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une
speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la
88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
Note de lecture et saute drsquohumeur
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total
contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro
- Participation
Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa
profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme
accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus
que Fabro commentera longuement91
laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle
une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette
autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas
la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe
drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la
forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se
voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause
surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de
dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit
nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92
Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque
chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun
drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle
ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication
lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme
dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la
flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas
Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation
platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute
fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se
fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur
une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette
surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que
la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du
seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de
lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept
Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien
participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de
reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir
serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en
veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une
sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens
pour Aristote et saint Thomas
91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord
selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par
soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute
creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse
particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre
ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute
Comme Thomas le preacutecise toutefois
laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient
impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux
premiegraveres sortes raquo93
Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement
par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes
laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode
de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation
transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second
mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi
rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94
Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas
malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre
Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre
le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment
dans ce passage
laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui
parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu
est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la
chaleur raquo96
Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette
paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il
nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion
aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque
- La causaliteacute eacutequivoque
Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la
prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave
la question de la participation
laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio
praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito
93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu
solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio
quaedam divinae claritatis99 raquo100
Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de
faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute
en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme
si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle
Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant
laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de
lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le
meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause
anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la
communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure
raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute
peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du
meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous
disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la
cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte
quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus
son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave
son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus
universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des
ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la
matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la
primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors
le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101
La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun
gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la
Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et
universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause
propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la
gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires
Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton
deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre
lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant
98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
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30 juillet 2016
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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou
parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece
de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras
ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce
changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier
qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc
finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas
Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en
geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait
meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou
contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si
cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute
degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer
un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes
synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant
serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la
cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le
long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute
La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des
intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute
deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier
contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage
attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un
seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant
progressivement selon la nature des supports qui le transmettent
Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement
veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les
piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en
effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des
causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement
inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la
Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai
progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique
Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et
le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers
Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le
Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux
passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en
parsegraveme son livre
Page 17 il eacutecrit
laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au
ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement
preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
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laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
Page 203
laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
Note de lecture et saute drsquohumeur
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Page 356
laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
Note de lecture et saute drsquohumeur
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier
de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la
compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait
forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet
effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est
pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de
tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun
Aristote videacute de sa substance
Page 31
laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle
atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas
lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique
de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo
Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas
Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable
ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre
Page 185
laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne
reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle
que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo
Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par
le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne
porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du
mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au
parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid
generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les
vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105
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laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez
Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui
est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre
des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo
On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois
deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote
est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante
ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour
Aristote lrsquointellect pur est cause universelle
103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543
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laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
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On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
Note de lecture et saute drsquohumeur
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
Note de lecture et saute drsquohumeur
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laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et
aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans
lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement
agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo
(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves
lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa
participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de
lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un
soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu
nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo
Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves
bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa
propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon
sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre
singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne
diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne
peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous
avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de
transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale
de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo
De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)
il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo
Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107
est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut
pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque
Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement
de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave
cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est
cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute
entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la
geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit
laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee
Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve
en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des
effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause
produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure
certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner
par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure
commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont
produits par une cause par soi
106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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(hellip)
On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
Note de lecture et saute drsquohumeur
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN
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On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable
autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais
mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et
changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets
speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur
Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier
Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui
viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute
motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de
mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la
premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite
Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son
effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit
deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108
Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de
lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer
qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence
humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme
au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est
divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave
lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la
plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final
6deg- Conclusion
Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir
donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant
Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire
parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs
Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui
le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui
revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu
des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose
drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee
de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout
108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend
les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni
une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature
inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016
Note de lecture et saute drsquohumeur
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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais
donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo
En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne
rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint
Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors
qursquoil est le plus intensif
Guy Delaporte
30 juillet 2016