Diaporama sur un un texte de Guillemette de Grissac
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voidrummer
Les personnages sont interprétés respectivement par :
Nicolas Duvauchelle dans le rôle de Clément
Marie Trintignant dans le rôle du « professeur de littérature »
Clémence Poésy dans le rôle de «Lisa la fille du CPE »
Léa Seydoux dans le rôle de Ludivine
Il s’appelle Clément.
Il s’est installé près de la fenêtre,
contrairement à d’autres qui visent plutôt le radiateur.
C’est un rêveur.
Nous partageons le même goût pour les levers de soleil.
halle-bopp
Mon corps est vissé à l’estrade, mon regard sort par la fenêtre :
encore la nuit en décembre et, en ce moment, déploiement d’or et de
blanc vaporeux. Brume et flamme.
Suis-je ré-mu-né-rée pour observer les levers de soleil sur le miroir de la Saône ? Dommage. Il y a de quoi
rêver.
Certains écrivent des poèmes : ode à l’alouette, demain dès l’aube, etc.
C’est ça, mon job,
maintenant, ma vie :
diffuser les rêves des
autres ou les débiter en tranches
discursives.
Clément, lui, il est là pourquoi ?
Il a souvent l’air de se poser la question.
Par chance, le lycée est situé sur une hauteur, au milieu d’un parc,
autrefois, celui d’un château. Alors, à la première heure de
cours, on voit monter le soleil.
Clément regarde toujours ce qui se
passe à l’extérieur.
Cheveux longs, visage lisse, à la fois enfantin et
grave, vous savez, le Jeune chevalier dans un paysage,
un portrait par Carpaccio,
( reportez-vous, s’il vous plaît, à la page 56 de votre
manuel de littérature ou,
mieux , baladez-vous au Museo
Thyssen, à Madrid).
Au loin, on devine la brume naissant de la Saône.
halle-bopp
Dans le parc du lycée de très vieux arbres : un gingko (
ça y est me voilà partie au Japon, le
gingko, c’est l’arbre d’Hiroshima, l’arbre premier qui clame
la survie par-dessus le désespoir et la
folie, il faut absolument que je
leur en parle )
des cèdres bleus ( l’arbre du Liban, est-ce le moment
d’aborder la question avec eux ? ),
des chênes bicentenaires ( regardez … ce symbole de la pérennité …ça c’est quand on
abordera les blasons ).
Mes collègues ont raison, je suis trop souvent « absente » du white-board, du
rétro-projecteur et de l’analyse sémantico-typologique, une rêveuse. Comme Clément.
Passe encore, pour une débutante. La Conseillère souligne dans son rapport me
concernant : un déficit en efficacité pragmatique, attachez-vous davantage aux
programmes.
Pourtant, je ne vis pas seulement des illuminations du ciel et des peintures de
Carpaccio, j’aime bien enseigner la littérature, j’aime le monde clos et
ronronnant de la classe, tout ce qui s’y joue d’affrontements, de partage et
d’enthousiasme, tout ce qui éclate parfois, crevant la surface lisse de l’indifférence.
J’avoue tout de même, madame la Conseillère, j’ai quelque difficultés avec la
littérature du XVI° siècle. A quinze ans, seize ans les garçons vivent encore vissés à leur console de jeux, les
filles aussi, quand elles ne sont pas à l’affût de passions romantiques et friandes de
films d’horreur.
Ils veulent bien compter les rimes du sonnet : abba abba ccd eed ...
mais s’émouvoir, impossible.
Rassasiés sans doute depuis des années, à force
d’ingurgiter Heureux qui
comme Ulysse.... L’amertume du sire du Bellay
exilé à Rome les laisse de glace, j’abandonne.
Est-ce que je suis rémunérée pour
faire compter des syllabes ?
Et si j’avais plus de succès avec Louise Labé ?
Je vis,, je meurs; je me brûle et me
noie; J’ai chaud extrême en endurant froidure...
voidrummer
Et voici – ô étonnement, presque au sens fort du terme - que la belle
rebelle rencontre une écoute attentive ! Vont-ils, vont-elles,
s’identifier à la pauvre âme amoureuse ?
Kirsten Duns
Miracle : Clément, le jeune chevalier ( s’il savait que je
vois en lui un chevalier de
Carpaccio, il se dresserait furieux sur ses Converse),
le voilà plongé dans la
biographie de Louise, il lit chacun des
sonnets, il les interprète à sa
manière, sans se soucier de la
distance qui le sépare des poètes du milieu du XVI°
siècle.
Comment on sait tout ça ? demanda Ludivine, qui a toujours les meilleurs notes en Lecture Méthodique, quand j’explique qu’on appelait Louise la
« cortisana honesta » tant sa manière d’affirmer sa sensualité déconcerte ses
contemporains.
Savez-vous que les lois des hommes interdisaient aux
femmes l’accès à la science et au plaisir
? Et que pensez-vous de cette façon de
parler de l’amour ?
C ‘est Folie qui fait Amour grand et redouté...
Alannah
Ludivine a les yeux qui brillent. Sans doute, c’est folie aussi pour elle d’aimer Antoine, un garçon de
Terminale, qui ne la regarde même pas...
Le lendemain, elle commente avec sensibilité, les vers qui, malgré leur
apparence anodine, suggèrent l’absolu du désir :
Tant que ma main pourra la corde tendre
Du mignard luth pour tes grâces chanter...
le joueur de luth-carravage
Et Clément ?
Il ne détache pas ses
regards de la fenêtre. Le soleil se lève avec
une crinière
superbe et la brume flotte en lambeaux
sur la pelouse.
En déambulant comme font tous les profs dans leur cage, je me place derrière lui, j’observe sa nuque
immobile, ce n’est pas aux pages du manuel qu’il est attentif.
Suivant son regard, je
m’égare un peu en
direction du parc et de la terrasse, sur laquelle se
tient quelqu’un
(attention, le proviseur
n’aime pas que les élèves
traînent dans le parc quand les cours sont commencés ).
Tiens, des rires peu discrets me
ramènent du côté du premier rang. Ludivine et Pernette ont découvert dans
leur livre ce vers divin de
Louise qui commence ainsi
:
Baise m’encore ...
voidrummer
Il me faut apaiser la houle et revenir ( à ma grande joie) sur l’histoire du langage
amoureux, son évolution, les mots cryptés, les allusions, l’art de dire à demi-mot.
Que nous reste-t-il de cette habileté et de ces raffinements ?
Niktamère, dit quelqu’un, les autres prennent des notes
Je montre sur Internet le visage de
Louise, son front haut
sous le béguin, ses
paupières un peu lourdes, sa bouche
fine.
« La meuf » « ringard » « moche » - ça fuse –
Voilà un portrait qui les déconcerte : trop sévère, trop convenu pour une femme qui dit sans cesse son « aise », son plaisir et
son contentement. Entendez par là : volupté.
Allons, c’est un portrait, pas un
instantané. Madame, on pourrait la
reconstituer en numérique ?
Ainsi amour inconstamment
me mène; Et quand je
pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve
hors de peine...
voidrummer
Sonnerie. C’est la « fin de l’heure », comme on dit, encore une heure enfuie, faisons honneur à la suivante. Encore
une tranche.
Dois-je faire remarquer à Clément qu’il n’a « pas suivi » ? Ou le
féliciter d’avoir suivi sa rêverie ?
Le lendemain, il n’est pas là. Moi, je fais lire encore un poème. Sans y
penser, je déambule en direction de la fenêtre.
Il y a encore quelqu’un dans le parc, sous le gros chêne où
s’attardent des écharpes de
brume. C’est la forme entrevue
la veille, une longue robe, une coiffure étrange
qui contraste avec les cheveux
libres des lycéennes.
Clément est là lui aussi.
Il s’approche très près de la
femme à la robe de brume et lui tend ses bras ou peut-
être il se laisse prendre par elle, va-t-il s’agenouiller ?
On reprend au début, madame ? C’est sur un ton
exaspéré qu’elle me parle, la jolie Pernette.
Eh bien quoi, on reprend à partir de :
Je vis, je meurs... C’est bien ça ?
Hilary-Duff
Oh, mais attention, chers élèves ! Un peu de respect pour la magicienne !Voilà que j’ai réussi à faire surgir des fantômes, à redonner vie et chair amoureuse à un
spectre, réussi à faire pénétrer un garçon d’aujourd’hui dans la dimension amoureuse du XVI° siècle, que peut-on
rêver de mieux ?
Isild Le Besco
Donner corps au poème !
rendre une âme sensible au
sortilège des mots amoureux ! Et je
suis entrée dans le rêve que j’ai initié ! O mes collègues ! O
madame la Conseillère ! Pourquoi ne
regardez-vous pas plus souvent par la fenêtre les cèdres bleus ? Pourquoi pas plus souvent
par les rêveries des adolescents ? Est-ce
que vous êtes fâchés avec vos
fantômes ?
voidrummer
Tiens, chuchote Ludivine, y a Clément sur le lac, encore en retard, t’as vu il est avec Lisa, la fille du CPE, vont se faire engueuler grave, mais
non, Clément, personne lui dit jamais rien et surtout pas la prof de français
…
Eh bien, Ludivine ? Pernette ? Finis les commérages ? Bien
sûr, on reprend, voici un texte qui appelle davantage
de sentiment, voulez-vous?
Un poème d’amour c’est le
jaillissement du désir, c’est plus fort que la mort,
écoutez :
Je vis, je meurs; je me brûle et
me noie; J’ai chaud extrême en endurant froidure:
La vie m’est trop molle et
trop dure J’ai grands
ennuis entremêlés de
joie.....
voidrummer
Texte de :Guillemette de Grissac
Musique: JS Bach - Concerto pour violon BWV
1056 - Largo Photos: Internet
Daniel 20 novembre 2008 [email protected] Ce diaporama numéro 55 est strictement privé. Il est à usage non commercial.