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\1.1.1
, ECHA-NGES N° 122- Automne 2007 - 3 euros
bulletin du réseau
« Échanges et mouvement »
CHIAPAS, le nouveau visage de la guerre, p. 3
Dans les publications : Amérique latine, p. 9
Les tentatives d'insertion de l'INDE dans le capitalisme mondial, p. 10
Dans les publications: Monde. Etats-Unis: une seconde
révolution industrielle, 1 'exemple de la Caroline du Nord, p. 28
FRANCE :La descente aux enfers ou la lutte, p. 33 +Crise, union nationale
et bruits de bottes, p. 38 +Dans les publications, p. 39
Correspondance. Réactions à la brochure« ICO ET L'IS »:<<Etaient-elles
incompatibles, la critique de la vie quotidienne et la critique du système
d'exploitation?>>, p. 40 +<<Le problème de l'égale participation
de tous», p. 42 +A propos des TÉLÉOLOGUES, p. 43, et réponse:<< Questions
anciennes, conditions nouvelles», p. 44
Economie. LA CRISE FINANCIERE vue d'en bas, p. 50
Les mouvements ouvriers et la mobilité du capital,
tiré du livre de Beverly J. Silver, << FORCES OUVRIERES Les conflits ouvriers
et la mondialisation depuis 1870 »,p. 56
Dans les publications: théorie, organisations, histoire, p. 71
NOTE DE LECTURE.« MIL, Mouvement ibérique de libération. Mémoires
de rebelles>>, Jean-Claude Duhourcq et Antoine Madrigal, p. 74
ÉCHANGES Bulletin du -réseau " Echnn ges ct mouvement'~
pour abonnement. informations et correspondance · BP 241, 75866 Pans Cedex 18. france C'ourriel
echanges. mouvement
@lapuste.nct
Sur Internet http // \\ww mondialisme.org
Abonnement· 15 euros pour quatre numéros comprenant les brochures publiées dans l'année.
Les publications d'Echanges et mouvement sont régulièrement déposées dans les librair'ies SUivantes à Paris
La Brèche, 27 rue Tatne, 12' Parallèles , 47 rue SaintHonoré, 1" La Passerelle, 3 rue Saint-Hubert. 11' Le Point du JOUr, 58 rue Gay-Lussac , 5' Publico, 145 rue Amelot, 11' Ouilombo.23 rue Voltaire, 11' à Lyon La Gryffe, 5 rue Sébastien-Gryphe. 7'
2- ÉCHANGES 122 · AUTOMNE 2007
DERNIÈRE PARUTION
Le mouvement des Piqueteros Argentine 1994-2006
Première partie : des origines à décembre 2001.
Deuxième partie :
la période 2002-2006
Conclusions et commentaires nature exceptionnelle
du ph~mène: limites floues du monde piquctcro les revendications des piqueteros; frange radicale
Une brochure de 60 pages au format 14,8 x 21 cm. 3 euros
BROCHURES DISPONIBLES ICO et I'IS
(Echanges et mouvement, octobre 2006. 3 euros) Présentation du réseau« Echanges et mouvement » (Echanges et mouvement. décembre 2006, 1.50 euro)
La Révolte des cités françaises, symptôme d'un combat social mondial (Echanges et mouvement, mai 2006, 4 euros)
Aux origines de l'« antitravail » Bruno Astarian (Echanges et mouvement. décembre 2005. 3 euros)
La Classse ouvrière sous le III· Reich Tim Mason (Echanges et mouvement, mars 2004, 3 euros)
Pour une compréhension critique du mouvement du printemps 2003 (Echanges et mouvement, septembre 2004. 3.50 euros)
Militantisme et responsabilité suivi de Le Crime des bagnes nazis: le peuple allemand est-il coresponsable ~Henry
C'hazé (Echanges et mouvement. mars 2004. 3 euros)
Derrière l'Intifada du XXI' siècle, Aufhehen (Echanges et mouvement, octobre 2003,2,50 euros)
Les Grèves en France en mai-juin 1968, Bruno Astarian (Echanges ct mouvement, mai 2003. 3,50 euros)
Humanisme et socialisme/Humanism and socialism, Paul Mattick (Echanges et mouvement. mai 2003, 2 euros)
L'Argentine de la paupérisation à la révolte. Une avancée vers l'autonomie (Echanges et mouvement, juin 2002. 2.50 euros)
Correspondance 1953-1954, Pierre Chaulieu (Cornélius Castoriadis)-Anton Pannekoek, présentation et commentaires d'Henri Simon
(Echanges ct mouvement, septembre 2001.2 euros) Pour une histoire de la résistance ouvrière nu travail. Paris et Barcelone, 1936-1938, Michael Sc id man (Echanges et mouvement. mai 2001. 1.50 euro)
Fragile prospérité, fragile paix sociale. Notes sur les Etats-Unis, Curtis Priee (Echanges et mouvement, février 2001. 1,80 euro)
La Sphère de circulation du capital, G. Bad (Echanges et mouvement. octobre 2000, 1,50 euro)
Les droits de l'homme bombardent la Serbie, G. Bad (Echanges et mouvement. octobre 1999, 1.50 euro)
Entretien avec Paul Mattick Jr., réalisé par Han nu Rcimc en novembre 1991. Ed. bilingue (Echanges et mouvement, septembre 1999,1,50 euro)
Pourquoi les mouvements révol;~tionnaires du passé ont fait faillite. -Grèves.- Parti et classe. Trois textes d'Anton Pannekoek,
précédés de :Le Groupe des communistes internationalistes de Hollande, par Ca jo Brendel (Echanges et mouvement, avril 1999. 1,50 euro)
Enquête sur le capitalisme dit triomphant, Claude Bitot (Echanges ct mouvement, janvier 1999, 1.50 euro)
La Lutte de classe en France, novembre-décembre 1995. Témoignag~s et discussions (Echanges et mouvement, mars 1996, 1,50 euro) Mais alors, et comment? Réflexions sur une société socialiste
(Echanges et mouvement, 1,50euro)
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -78
NOTE DE LECTURE
Mouvement Ibérique de Libération. Mémoires de rebelles Jean-Claude Duhourcq & Antoine
Madrigal,
éditions CRAS, 2007, 22 euros
Ceux qui ont atteint l'âge de déraison
dans les années 1970 seront nom
breux à voir des souvenirs resurgir à
la lecture des trois lettres M I L. Et, certai
nement, plus encore à 1 'évocation de 1 'exécution
de Salvador Puig Antich le 2 mars 1974.
La 1 utte des classes n'épargnait pl us 1 'Es
pagne depuis la fin des années 1960. Le pays
s'était modernisé économiquement sous la
d1ctature franquiste et avait créé un prolé
tariat avide de faire éclater les contraintes
d'une société sclérosée. Heureusement privé
d'expression politique et syndicale, il s'était
pris en mains dans de multiples coordina
tions ou comités d'usines. En Catalogne, au
Pays basque et dans les Asturies, hauts lieux
de 1 'industrialisation espagnole, les ouvriers
d'industrie s'organisaient en commissions
nu plate-formes pour défendre leurs intérêts
contre le syndicat unique, 1 'Etat et le patro
nat. Souvent abrités par 1' Eglise, Etat dans
1· Etat, ces regroupements autonomes de tra
vailleurs sont rapidement devenus le lieu de
la confrontation entre la classe ouvrière et
ses ennemis internes, les partis sociaux-dé
mocrates et léninistes.
Le MIL. groupe armé actif en 1972 et
\97], est né de ces luttes. Il revendiquait sa liai
son avec le mouvement ouvrier et croyait à
l'importance de la volonté d'une minorité
dans la lutte de classes. La mythologie veut que
son ac ti vi té essentielle, l'attaque de banques
L'Il Catalogne espagnole, ali servi à financer la
cause lÏc 1 'autonomie nuvrière. S1 les
membres du MIL ont appurté de l'argent à
74- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
des caisses de grévistes et traduit quelques
textes théoriques qui firent connaître en Es
pagne les conseils ouvriers de 1917 -192·1 en
Allemagne, les révoltes ouvrières en Alle
magne del 'Est en 1953 et en Pologne en 1970,
leur temps fut surtout consacré à récolter 1 'ar
gent qui devait servir à financer leur fuite en
avant dans la clandestinité.
Jean-Claude Duhourcq et Antoine Ma
drigal montrent dans leur ouvrage que les
meilleures intentions ne résistent pas au prin
cipe de réalité, grâce à une exposition des
faits entremêlant leur évocation par des ob
servateurs extérieurs (journaux, justice, té
moins, etc.) et par les acteurs mêmes (ex
traits d'entretiens ou d'écrits). L'isolement
croissant des hors-la-loi par rapport aux gens
ordinaires leur impose de se replier sur eux
mêmes. Leur rêve d'un avènement im·mé
diat de relations communistes au sein d'un
groupe résolu devient peu à peu rancœur
contre soi-même et les autres, parfois même
méfiance, sans épargner les proches. Enfin la
répression, qui oblige à quémander 1 'aide de
ceux que 1 'on avait vilipendés auparavant,
parachève 1 'avilissement de tous les espoirs
passés.
I 1 est dommage que cet ouvrage souffre
de nombreuses coqui Iles, cl' une orthographe
erratique des noms propres et de traductions
souvent défaillantes.
J.-P. V.
CRAS. HP 5 1 0 26, 3 1 0 1 Il 1 ou 1 ou sc cc d c' 6 .
cr<!:-. .l!lU l ouse (f.~' wanadol). r r
MEXIQUE
CHIAPAS : LE NOUVEAU VISAGE
DE LA GUERRE
Les Européens ont parfois du mal à saisir ce qui se passe en Amérique latine parce qu'ils conservent une vision passée de la lutte de classes qu'ils veulent plaquer sur le présent partout dans Je monde. Comment, par exemple, comprendre les événements au Chia pas ? Les a/termondia/istes et leurs adversaires s'esbignent à coup de discours abstraits sans rien savoir des réalités concrètes que cache le cirque médiatique, aspirateur de tout un ramassis de vedettes de la politique et du show business dans la forêt lacandone. En traduisant l'article "Chiapas: la nueva cara de la guerra "*, nous avons voulu pallier en partie cette méconnaissance.
" Ca/avera Catrina •, de José Guadalupe Posada (~852-~9~3).
·''l'a ru dans le 11° -+2 (Juin 2007) de la revue espagnole
Etcéraa (p. -+3-46). Cet article a été rédigé par André
Auhry, mort dans un accident de la route au Chiapas,
j l'Ct ge de 80 ans, jeudi 20 septembre. Ccl ancien prêtre
dncnu anthropologue avait fondé un institut de re
cherche sur les Mayas cl dirigeait les Archives hislo-
riqucs du diocèse de San Crîstôhal Il était un des
meilleurs connaisseurs Ju Chia pas, oü il vivait depuis
trente-cinq ans.
11 avait publié plusieurs ouYragcs, dont L(!s T::.ot:1/s
{Jar eux-mèmej. Rée us l!f écrus Je fW_\'.\uns incilen.\ du
MexiiJUe (éd. L'Harmattan).
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 _: 3
C E t)IIE 1 'oN APPELLE la zone de
conflit est perturbée par une infection
nouvelle due à des acteurs anciens
qui ont changé de tactique. de visage et de
nom: URCI et Opddic. Nous voulons, avant
de préciser leur identité et analyser la trans
formation préoccupante, profonde et pleine
de dangers du présent panorama de la forêt
lacandone. reprendre le processus depuis le
début jusqu'ilia situation actuelle telle que
nous la montre la salve de communiqués
issus non pas tant du Commandement gé
néral que des juntes du bon gouvernement (lus
juntas de /){(en gobierno* ( 1) de tous ses
caracole.\* L'objectif immédiat de la
contre-insurrection apparaît comme une re
mise en cause de la géographie territoriale
en vue de rendre à leurs anciens proprié
taires" les terres récupérées>> ou progres
sivement 1 i bérées par l'Armée zapatiste de
libération nationale (Ejército Zapatista de
Liberaci6n Nacional, EZLN) (2) depuis sapé
riode clandestine.
Avant que le conflit n'éclate, la forêt a
appartenu successivement aux exploitations
forestières (monter/as*) qui pillèrent ses
richesses, aux récolteurs de la gomme du
sapotier, aux propriétés latifundiaires (jin -cas latifundistas*) anti-constitutionnelles
converties progressivement en fermes d'éle-
11) Tmncs les notes sont du traducteur. Afin de ne pas
trop charger la lecture de cet article, j'ai reporté dans
un glossaire (page 6) les explications de certains termes
propres JU MLxîqut. signalés par un astérisque. Merci à Quim pour sun aick
(2) Selon Antonio Garcia de Lcc'm, ù partir de 1984.
des survivants des luttes urbaines des années 1970 ont
in\'esti le Chia pa~, une région insoumise depuis long·
temps, i..ipportJnt leur militantisme Jans ct.:tlc région. L'EZLN est issue de celle conjonction entre militants urhaîns ct mou\·cments paysans indigènes (voir Antonio G~ncîa de Lc6n. « PrOiogo ((à EZLN. Docu mentos v comu~J.icados. edicione~ Era. 199-+. 2tomcs.
tome l, p. 26 ct SUÎ\antcs, cet ouvrage a été traduit en français sous le titre Sous-Commandant Marcos.; Yo hasru f Les I!IS!Irgé."i ::.apo.tiste) raconte11t 1111 an de ré -
4 -ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
vage, aux narcotraficants et aux 400 La
candons finalement « concentrés>> par
Echeverrfa (3) dans ce qui est aujourd'hui
la réserve nationale de la biosphère Montes
Azules (les Monts bleus). Ces domaines
étaient séparés par des espaces déserts, les
terres de la Nation, que la promulgation de
<<l'ouverture de la frontière agricole>> par
José L6pez Portillo (4) offrit aux migra
tions de paysans sans terre. C'est dans cet
espace quel 'EZLN est née en 1983. Dans la deuxième moitié des six années
de la présidence de Carlos Salinas de Gor
tari (5), les Zapatistes formaient déjà un
mouvement puissant, bien que clandestin ;
il attirait des dizaines de milliers de mi
grants qui aspiraient à prendre possession de
la forêt. berceau de leur civilisation, éta
blissaient de nouveaux ejidos* et formu
laient des requêtes embarrassantes qui n'en
finissaient jamais. L'EZLN se présentait
comme une armée défensive qui allait les
protéger contre leurs anciens maîtres. Au
trefois, le président Lazaro Cardenas· (6)
avait distribué des armes aux paysans pour
défendre leurs premiers ejidos* et leurs
écoles rurales; aujourd'hui, l'EZLN libérait
progressivement la forêt de ses usurpateurs.
Les narcotrafiquants furent les pre
miers à partir. La police, à cette époque
volte au Chiapas, éditions Dagorno, 1996, 2 tomes.
mais sans le prologue d'Antonio Garcia de Leon).
L'EZLN est devenue célèbre pour son occupation
armée de San Cristôbal de las Casas, chef-lieu du Chia
pas (une région située à l'extrême sud du Me,iquc), le 1" janvier 1994, date de J'entrée en vigueur de l'Accord
de libre-échange nord-américain (Aiena), liant le
Mc,ique, les Etals-Unis ct le Canada.
(3) Luis Echevcrria Àlvarez, président du Mexique de
1970 à 1976. (4) José Liipcz Portillo, président du Mexique de 1976 il \982. .
(5) Carlos Salinas de Gortari. président du Mexique
de 1988 à 1994. (6) Làzaro Càrdcnas (1895-1970), président du
MC\ iquc de 191~ il 1940.
de Gernika " dans les no 82,
83 et 84 de Jakilea (Le Té -
main) (CDDHPB, Maison de
la Vie Citoyenne Polo Beyris,
64100 Bayonne).
Brest 1.950 en BD + Dans Présence marxiste
no 58, septembre 2007, pré
sentation critique d'une BD
" Un homme est mort " (Kris
et Etienne Davodeau, éd. Fu
turopolis/Gallimard) sur une
tragédie ouvrière a Brest en
avril 1950.
Gorter +"Réponse a Lénine, la ma
ladie infantile du commu
nisme "sur le site de Collec
tive Action Notes :
www.geocities.com/Capitoi
Hiii/Lobby/2379/Brici1.htm
Rappelons que cet ouvrage
est disponible sur papier aux
éditions Spartacus (8 im
passe Crozatier, 75012 Paris)
ou à Echanges. 7 euros.
Kenneth Rexroth +Toujours dans Commun!
cating Vessels no 18 : " Ad
ventures in American History
and the Lite of Kenneth Rex
roth " (S'aventurer dans
l'histoire américaine et la vie
de Kenneth Rexroth), une re
cension de l'ouvrage de Rex
roth (poète américain, 1905-
1982) An Autobiographical
Novel (Un roman autobio
graphique) (Communicating
Vessels, 3527 NE 15th Ave
nue, no 127, Portland, OR
97211, USA).
IWW + Communicating Vessels
(no 18, été 2007) publie
deux textes "The Dying
Wobbly "et, de Loren Gold
ner, "Joe Hill, les IWW et
la formation d'une contre
culture ouvrière ,que nous
avons publié en français
dans Echanges no111 (hiver
2003-2004), p 66
KSL: l'anarchisme des Etats-Unis à la Lettonie et à la Pologne + KSL - Kate Sharpley Li -
brary no 50-51' juillet 2007
(en anglais) retrace l'histoire
de Sacco et Vanzetti et des
campagnes pour empêcher
leur exécution et donne des
biographies de Zolotarov,
animateur du Jewish Wor
kers' Movement in America,
et de Peter the Painter
(Janis Zhaklis). Il raconte le
siège de Sydney Street,
d'où un groupe d'anar
chistes lettons échappèrent
a la police en exécutant trois
flics, et qui plus tard, ayant
cru en la révolution russe
aurait fini dans les camps si
bériens.
Et des documents sur l'anar
chisme et l'anarcho-syndi-
calisme en Pologne dans la
première moitié du XIX'
siècle.
Souci pédagogique +" Peut-on aborder des su
jets complexes de manière
pédagogique et conctse ? ,
On ne sait qui se trouve der
rière le collectif Les rensei
gnements généreux, qui ré
pond par l'affirmative en
cette question en publiant
des brochures, sur papier et
sur Internet. La dernière en
date : Connaissez-vous Ni -
colas Sarkozy ?. Parmi les
autres- Révolutionner notre
rapport aux animaux, ren
contre avec Yves Bonnar
del, militant du mouvement
anttspéciste ; Pourquoi suis
je révolutionnaire ?, où
Cornélius Castoriadis ex
plique ici, de manière péda
gogique, les raisons de
son idéal révolutionnaire.
CroÎtre, croire, obétr ques
tionne les actions possibles
de désobéissance civile
face aux OGM, à la publi
cité, à la carte d'identité bio
métrique et au travail http //www.les-renseigne
ments-genereux. o rg
Pétrole + " Pétrole du marché au
marchandage , dans La Ga -
zette de la société et des
techniques no 42, mai 2007
(copie a Echanges).
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 - 73
local pour l'automne et ses
nouvelles trouvailles de bi
bliothèque. (BP 259, 84011
Av1gnon Cedex 01.)
Castoriadis, Debord, Blanchard + Error del sistema; notas a
partir de Daniel Blanchard
[Pr6/ogo a Cris1s de pa/a -
bras; notas a part1r de Cor -
nelius Castoriadis y Guy De -
bord, Acuarela Libros & A.
Machado, 2007] (en cas
tillan) et Les Luttes du vide
(en français), approfondis
sement des thèmes d'une
conférence tenue lors de la
présentation de la revue
Espai en Blanc, (Amador
Fernandez Savati, Margerita
Padilla (copies à Echanges,
sur papier ou par internet.
(Voir la lettre de ce cama
rade p. 40-42 )
Surréaliste portugais + " Un couteau entre les
dents " recueil bilingue de
poésies d'un surréaliste por
tugais ayant eu des relations
avec les situationnistes.
Editions Ab lrato
Mai 68: Novlangue (suite) + Dans A Contre courant
no 187' septembre 2007' dou
Zième livraison de " La nov-
' langue du libéralisme ", d'Alain
1 B1hr. l __
/CO réédité + !CO, La grève généralisée en
France, mai-juin 1968. (Spar
tacus, mai 2007) :réédition de
la brochure publiée à chaud
au cours de l'été 1968 par le
groupe Informations Corres
pondance Ouvrières et portant
témoignage des implications
des participants à ce groupe
aux 1 uttes sur leurs lieux de
travail. Le texte est précédé
d'une préface qui retrace la
genèse du groupe ICO, ses
positiOns et une activité mili
tante de dix-sept années, qui
fut à l'origine d'Echanges (bro
chure disponible à Echanges,
10 euros).
Victor Serge + Sandra Sagg10ro, "Les
dernières années de Victor
Serge 1900-194 7 (en fran
çais) sur papier ou par Inter
net (Dis)continwté no 27, juin
2007.
+ Dans Présence marxiste
no 58, septembre 2007, pré
sentation critique de ce texte
de Saggioro.
Rudolf Rocker + Sous le titre " Penser
l'émancipation", le "bulletin de critique bibliogra
phique " A contretemps consacre une deuxième li
vraison (no 28, octobre 2007)
à Rudof Rocker Ce numéro
cont1ent un texte de Rocker,
" Fr1tz Kater et les origines
72- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
du syndicalisme révolution
naire en Allemagne ",annoté
par son traducteur, Gaël
Cheptou, qui lui a adjoint,
sous le titre de " Scolies ",
des éclaircissements histo
riques, ainsi que d'utiles notices
biographiques des personnes
citées, une étude de la pen
sée de Rocker, " La liberté
par en bas. De l'anarcho-syn-
\ Rudolf Rocker dessiné par son
fils Fermin.
dicalisme au pragmatisme li
bertaire "· et une bibliographie.
a-contretemps@wanadoo. fr
http :1 /acontretemps. org
Classiques + Des textes de Marx, de Bordiga et autres, sur le site
http ://classiques. ugac. ca/
Guernica Gernika + " La controverse histo
rique sur le bombardement
déji:t omniprésente, se débarrassa de ses armes et les offrit aux Zapatistes sans se
poser de questions parce qu'elle les pre
nait pour des hommes de main (pistole ros) à la solde des grands propriétaires fonciers
(jinqueros*) ; bien que les vendant illé
galement, évidemment, elle ne manquait
pas d'apprendre à leurs clients à s'en ser
vir. Ce fut 1 'origine des malheurs des grands propriétaires terriens et du bonheur
des paysans qui récupérèrent peu à peu les
terres pour en faire des ejidos* jusqu'à ce
que Salinas, en 1992, réforme l'article 27
de la Constitution et déclare qu'il n'y avait
plus de terres à répartir. Finalement, les
grands propriétaires terriens (latifundis tas*), pressés par le 1" janvier 1994, aban
donnèrent à leur tour la forêt. C'est à partir de ce moment-là que
1 'EZLN est entrée dans une phase pu
blique. Afin de créer les conditions aux
premiers pourparlers de paix, ceux de la Cathédrale en 1994 (7), la diplomatie du
commissionnaire Camacho parvint à créer
une« zone grise>> démilitarisée corres
pondant grosso modo aux ex-terres de la
(7) Pourparlers de la Cathédrale . après l'occupation armée de San Crist6bal de las Casas par I'EZLN le
l" janvier 1994, l'archevêque du diocèse de San Crist6-bal, Samuel Ruiz Garcia fait office de médiateur entre
les insurgés et le gouvernement. Le 21 février, des dé
légués de I'EZLN ct le commissionnaire du gou,·cr
nemcnt, Manuel Camacho Soifs, entrent en pourpar
lers dans la cathédrale de San Crist6bal." Pendant les
conversations de la cathédrale, qui ont traîné en longueur à cause de la traduction en différentes langues, il n'y a cu aucun accord ; nous avons seulement dialogué. >>
(\oir EZLN. Documentas y comwzicados, op. cit.. tome
1, p. !59; passage non traduit dans 1 'édition française). (8) Journée du 9 février 1995 "Le 9 février. à 18 heures, le président Ernesto Zcdillo fait en direct d d l'improviste une déclaration solennelle à la télévision.
Il annonce la découverte de caches d'armes ct de do
cuments de 1 'EZLN qui indiqueraient que les Zapa
tistcs préparent des actions violentes hors du Chiapas.
Il annonce que des mandats d'arrêt ont été lancés contre
Ire ize membres de la direction de I'EZLN. dont il donne
Nation; en contrepartie, l'EZLN libérait l'ancien gouverneur Absalon Castellanos
Domfnguez.
Ultérieurement, après la journée tra
gique du 9 février 1995 (8) qui mit en péril
la trêve conclue le 12 janvier de 1' année
précédente, fut promulguée la loi du dialogue
du Il mars (dont on a fêté récemment 1 'anniversaire), qui permit la tenue d'autres pourparlers, ceux de San Andrés (9). La
zone grise de Camacho se convertit. à son
insu en l'occurrence, en un espace où,
conformément à la nouvelle loi, l'EZLN
allait se transformer de mouvement armé en
<<force politique», avec la création pro
gressive et pacifique de municipalités au
tonomes zapatistes. A partir de ce moment, les paysans, nouveaux propriétaires de la
forêt, vont gagner en force. Dès 2003, la
formation des caracoles* est à l'origine
d'un énorme effort pacifique et politique,
nourri en retour par les écoles et cliniques
alternatives, les programmes agro-écologiques et un commerce prometteur singu
lier de produits biologiques, direct, sans
intermédiaires.
les noms et pscudonyrnt:s, ct 4u'il accuse d'être "rcspon"tble.s de nombrcu.\ délits."( ... ) L'armée a com
mencé dès le matin du 9 février ü avancer dans la zone zapatistc. ( ... ) I~'armée pénètre simultanément par
toutes les "portes" de la Lacandona, mais I'EZLN s'est
repliée, refusant d'engager le combat et emmenant avec
elle dans les montagnes des mil lie" de villageois qui redoutent les représailles et les exactions des soldais.,
(Voir Sous-commandant A1arros. i Ya busta .'Les in surgés zapatistes racontent lill an de révolte au Chia pas. op. cir .. tome Il, note 1, p. 183.) (9) Pourparlers de San Andrés le 4 mars 1995, le Congrès adopte la loi pour le dialogue, la conciliatÎ()I\ ct la paix digne au Chiapasqui OU\'rt.~ la voie à de nouveau.\ pourparlers entre insurgés ct gou\·crncmcnt. Ces Uis<.:ussions d~butcront dans le \ i liage de San Migut;l
le 9 avril 1995, puis sc poursuivront dans celui de San Andrés à partir du 20 <lv ri\ (voir Sou~-cnmmandwu Marcoj.; Y a ba.\ ta .1 Les insurgés :.apatisre~ racontent un an de révoltt' au Cll!apa.L op. c1t.. tnm~ Il. note 1. p. 268 ct note 2. p .132)
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 - 5
Glossaire
+Caraco! :ce mot fait référence à une an
cienne organisation communautaire maya.
JI désigne depuis 2003 les structures mises
en place dans les villages sous administra
tion des insurgés du Chiapas.
+ Ejido : terme désignant un pâturage com
munal à l'époque coloniale. Par extension,
il a pris le sens de terres attribuées en indi
vision aux municipalités lors de la réforme
agraire sous la présidence de Làzaro Càr
denas ; ces terres sont partagées périodi
quement en lots entre les membres de la
commune pour leur usage personnel.
+ Finca/finquero : la finca est une grande
propriété foncière (terres ou immeubles) aux
mains d'un finquero.
+ Juntas de buen gobierno : la junta désigne
à l'origine (1055), en espagnol, une as
semblée d'individus nommée pour diriger
les affaires d'une collectivité. Le mot, selon
les circonstances, revêt des caractères op
posés et peut se référer à un organe de
consultation ou de subversion. A la fin du
XIX' siècle et au début du XX', les divers
, soulèvements militaires en Espagne et en
1
Amér1que latme, menés par des JUntes mili
taires, ont fa1t que le mot JUnte a pr1s, en
\ ::~nça1s, àpart1r du XIX' s1ècle, le sens resLmt de" gouvernement m111ta1re s'étant
6 - ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
emparé du pouvoir par un coup d'Etat " (voir
Dictionnaire historique de la langue fran -
çaise, Le Robert, 1992). J'ai conservé le mot
junte en français dans son sens large, tou
jours attesté dans les dictionnaires français
modernes malgré son sens restreint.
+ Latifundio/latifundista :le latifundia (du
latin latifundium) est une grande propriété
terrienne aux mains d'un latifundista.
+ Mapaches et pinedistas : les deux
groupes les plus importants dans le Chia
pas pendant la révolution mexicaine née en
191 O. Se réclamant de Pancho Villa, ces
groupes semble avoir eu pour but de conte
nir les ferveurs révolutionnaires de leurs
membres. Les mapaches étaient actifs dans
la vallée centrale de l'Etat du Chiapas ; les
pinedistas, moins influents, venaient des
hauts plateaux. + Monteria :grande exploitation forestière,
de cèdres et d'acajou principalement. Plusieurs
romans de B. Traven décrivent les condi
tions de travail effroyables dans les mon -
terîas du Tabasco et du Chiapas pendant
les années 1920-1930. On lira par exemple
La Révolte des pendus (la plupart de ses ro
mans sont parus en traduction française aux
éditions 1 0/18). B Traven est mort au
Mexique en 1969.
1
DANS LES PUBLICATIONS/ THÉORIE, ORGANISATIONS, HISTOIRE
Allemagne "Kosmoprolet "• n" 1 + Nous avons lu le premier
numéro (cahier no 1' 2007)
d'une nouvelle revue théo
rique allemande, Kosmoprolet,
sous-titrée Revue des ami(e)s
de la société sans classe.
Dans leur éditorial, les édi
teurs la présente ainsi : " Le
nom [Kosmoprole4 fait réfé
rence à la cité cosmopolite, à
l'idée de citoyen du monde,
mais l'addition du " r , s'op
pose au joli rêve du citoyen
(kantien) et en rappelle la
pomte radicale : la société
mondiale existe sous sa
forme inversée d'une prolé
tarisation universelle. ,
Les articles de cette revue ont
été rédigés en vue d'apporter
des éléments pour une dis-
cussion sur les conditions mo
dernes de la lutte de classes.
" Vingt-huit thèses sur la so
ciété sans classe , posent les
bases d'un débat théorique ;
des analyses de la situation
au Venezuela et des avatars
de l'opéraisme italien, ainsi
que le soutien exprimé à des
camarades de Rome (Coor
dinamento per l'autonomia di
classe) pour leurs critiques de
l'anti-impérialisme et des évé
nements au Proche-Orient
montrent comment ces posi
tions théoriques peuvent s'ap
pliquer concrètement. Il semblerait que d'autres
groupes germanophones
aient entrepris une même dé
marche. Kosmoproletcite • en
Suisse, Eiszeit de Zurich
(www.eiszeit.tk), et en Alle-
Résurgence des grèves en Allemagne et en Pologne dans« Wlldcat" n" 79: + Nous venons de recevoir un nouveau numéro de la
revue allemande Wildcat. Ce no 79 (automne 2007)
comble un vide de presque une année d'absence.
Le collectif n'est pas resté inactif ; il a organisé
plusieurs réunions autour du DVD sur les luttes de
Porto Marghera, en Italie, qui était joint
au no 78 (hiver 2006-2007) (voir Echanges no 120,
magne, K-21 de Francfort
(projekte.free de/k-21) et La
Banda Vaga de Fribourg
( www .labandavaga.antifa. net)
Kosmoprolet, c/o Rotes Anti
quariat, RungestraBe 20,
10179 Berlin, Allemagne
www.klassenlos.tk
Salaire, salariat + Le Coquelicot rééd1te un
ouvrage (en français et en
espagnol) de Gaston Britel,
La Foire aux ânes, ou De
l'abolition du salanat, paru
en 1951 sur les différentes
formes de salaire et l'aliéna
tion du salariat (10 euros à
Le Coquelicot, BP 4078,
31029 Toulouse Cedex 4.
Une anthologie d'" Oiseau tempête " + De Godzilla aux classes
dangereuses, recueil de
textes publiés dans Oiseau
Tempête de 1998 à 2005 sur
la thématique de l'idéologie et
de la dérive autoritaire de la
société existante.
abirato @internetdown .org
1
p. 15). Une façon, selon lui, d'appréhender les luttes Les Chemins non d'une manière différente. Constatant, comme dans le tracés déménagent
1
no 78, une résurgence des grèves en Allemagne, + Non Tracés, bulletin de la i ce no 79 fait la part belle aux conflits dans les bibliothèque des Chemins 1
1
entreprises, en Allemagne mais aussi en Pologne. non tracés et de J'Jnfokiosk 1
N'ayant pas eu le temps de le lire entièrement, nous y d'Avignon, no 8, juillet 2007
Lrevie~drons dans not: pr~~hain ~umér~-------· annonce un changement de
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 -71
duction s'effondrait partout dans les centres
capitalistes en raison de la crise pétrolière
et du mi 1 i tantisme ouvrier), 1 'industrie bré
silienne continua à progresser de 4,5% par
an (26). Tout en réduisant leurs opérations
dans les centres capitalistes, les multina
tionales investirent lourdement au Brésil
dans les années 1970 : Ford. par exemple.
investit plus de 300 millions de dollars et
accrut la capacité de ses usines de 100%
(27)
L'expansion rapide de 1 'industrie ma
nufacturière en général et automobile en
particulier créa une nouvelle classe ou
vrière: nouvelle par sa taille et son expé
rience. De 1970 à 1980, 1 'emploi doubla
dans le secteur 1ndustriel (Humphrey, op.
cir.. 1987, p. 120). Dans la banlieue in
dustrielle de Sao Bernardo do Campo. où était
concentrée l'industrie automobile, le
nombre d'ouvriers employés à la fabrication
passa cie 4 030 en 1950 à 20 039 en 1960
et~~ 75 118 en 1970 (Humpfrey, op. cit., 1982. p. 128-129). Cette nouvelle classe
ouvrière avait tendance à se concentrer
dans d'énormes usines. Trois usines à Sao
Bernardo - Yolkswagen, Mercedes et
Ford- employaient plus de 60 000 per
sonnes (Humpfrey, op. cir .. 1982, p. 137).
Comme les protagonistes des luttes du
CIO des années 1930 et de la vague de
grèves en Europe de 1 'Ouest de la fin des an
nées 1960. les ouvriers de l'automobile
brésiliens étaient placés de façon straté-
(2()) .lt)hJl Humphrey. Capua/n·t CtJn!rol and Worken · Srrugglc Ill tl1c Bra::.J!wn Auto /nd1ntry. Princ~_;Lon. New
.lcrsc).l'r~nccton Llni,ersit) Press, 1982, p. -lH-'iO. ( 27 r.IL>hn Hnmphrc). « Econumic Cris.rs and StJbi lit) o\ 1-.mplo) merU in the Bra;.ilian Mo tor lndustr) "· 111 W. Hricrle) eLl .. Trade Unwns and the Economie Cri.\i.\ of tire /VBO'.\. Guwcr. AIJcrshot. 19R7, p. 129.
70- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
gique dans une division techni4ue et com
plexe du travail au sein des usines brési
liennes. Mais cette nouvelle classe ouvrière
était aussi située de manière stratégique
cians ce qui était à présent le secteur clé
d'exportation de l'économie brésilienne:
les équipements de transport constituaient
la principale exportation du Brésil et lui
rapportaient 3,9 milliards de dollars en
1988 (28). Les grèves et le militantisme
dans 1 'industrie automobile affecteraient
non seulement les profits des entreprises
concernées, mais aussi les capacités du
gouvernement brésilien à rembourser aux
banques étrangères les i ntérèts de son
énorme dette .
Pendant les dernières années de la dé
cennie 1970, alors que les mouvements
ouvriers subissaient d'importantes défaites
cians tous les centres capitalistes, un nou
veau mouvement syndical fit une soudaine
apparition au Brésil, mettant fin à presque
une décennie et demie de passivité ou
vrière. En 1978, une intense vague de
grèves inaugura une période d'activisme
qui survécut (et même prospéra) pendant
dix ans de répression et de récession dans
les années 1980. Les ouvriers de l'auto
mobile brésiliens étaient au cœur de ce
mouvement. les ouvriers de l'automobile
et de la métallurgie avaient à leur actif
presque la moitié de toutes les grèves de
1978 à 1986 (29). (à suivre)
(2X) economisl lnLl'lligcncc Unit. Cou11try Profile.
BraZ!I. n' 1. \990, p .. 1 . (29) Gay Scidrnan, Mwrujucturu1g /vlilltunt e · Wor
ker.\ 'A1ovement~ in Braz.,il and South A/nca, /970-
N!J5. Berkeley. Uni,·crsity ofCaliforni<l Press, 1994, r 16.
C'est cet espace d'ejidos*, voulu par la
présidence mais jamais mis en place, que
I'EZLN appelle<< terres récupérées>>, non
seulement sous son aspect agraire mais
aussi en termes de gestion sociale. Il est
aujourd'hui de nouveau menacé par
I'URCI, i'Oppdic et même les anciens pro
priétaires fonciers, dont les terres furent
pourtant payées un bon prix par le gou
vernement; et, en dépit de 1 'abrogation du
partage des terres agricoles par Salinas en
1992, le Tribunal des affaires agricoles
s'apprête à légiférer en faveur de ces nou
veaux usurpateurs. Ce qui est en jeu c'est
un retour au statu quo d'avant-guerre in
cluant les anciens propriétaires. Les vic
times n'en sont pas seulement les Zapa
tistes, mais aussi les autres paysans qui.
quoique sans lien avec I'EZLN, bénéficient
de 13. gestion pluraliste des caracoles*
Depuis 1995, au mépris des sessions ré
currentes des pourparlers de San Andrés,
on a structuré les politiques contre-insur
rectionnelles telles que définies dans les
deux tomes du Manual de la guerra rédigé
par le secrétariat de la Défense nationale
(Secretarfa de la Defensa Nacional, Se
dena). Cette théorie militaire rappelle les pa
roles de Mao selon lesquelles" le peuple est
à la guérilla ce que 1 'eau est au poisson>>,
mais adopte une tactique inverse: <<On
peut rendre la vie impossible au poisson
dans l'eau (dans les communautés pay
sannes) en agitant celle-ci, en y introduisant
des éléments hostiles à sa survie, ou bien des
poissons pius féroces qui 1 'attaque, le per
sécute et 1 'oblige à disparaître ou à courir
le risque d'être mangé par ces poissons vo
races et agressifs,, (tome Il, no 547). Les
dits poissons regroupant des paramilitaires
connus sous le nom de<< civils armés >>.
De fait, la Sedena a fait le vide dans
l'eau des communautés, et elie les a péné
trées. Les poissons les plus féroces ne sont
plus comme autrefois des agents extérieurs,
pistoleros de fortune qui rentraient en ville
une fois leur mission accomplie. ni des
gardes blancs, une élite exogène qui dis
paraissait après avoir commis ses crimes;
ce sont maintenant des indigènes des com
munautés,« employés,, à plein temps et
vivant sur place. Ils étaient au début orga
nisés dans le Mouvement indigène révolu
tionnaire anti-zapatiste (Movimiento Indf
gena Revoiucionario Antizapatista, MIRA)
dont 1 'action fut très discrète. Cette nou
velle formule exige un financement qui,
parce qu'il est officiel, doit se justifier par
cie nobles causes, dans ce cas la<< révolu
tion». D'autres ont suivi avec plus de
" La Ca/avera de Cupido "• de José Guadalupe Posada (détails). Extraits de " Vi va Posada " (L'Insomniaque).
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007- 7
constance. parés des devises du« déve
loppement>>, de la" paix>> ou des« droits
de l'homme''· comme Paix et justice (Paz
y Justicia), récrutée au sein du Parti révo
lutionnaire institutionnel (Partido Revo
lucionario Institucional, PRI), avec pour
laboratoire lu zone nord de 1 'Etat du Chi a
pas et pour victimes de nombreuses per
sonnes emprisonnées ou déplacées. Cette
violence et des temps nouveaux ont en
traîné des scissions. Les scissionnistes ont
essaimé au sein du Parti révolutionnaire
démocratique (Partido Revolucionario De
mocn\tico, PRD), dans J'Union régionale
paysanne indigène (Union Regional Cam
pesina lndfgena, URCI); et, au cœur de la
jungle autour de Teniperlas, le fondateur
elu MIRA a créé l'Organisation pour la dé
fense des droits indigènes et paysans (Or
ganizaciôn para la Defensa de los Dere
chos lndfgenas y Campesinos, Opddic).
nouveau fer de lance de 1 'actuelle prési
dence dans la forêt lacandone.
Ces vieux nouveaux poissons féroces, à
l'instar des folkloriques mapaches* et pi
nedista.1 1 de la Révolution qui se disaient
vil listes (partisans de Pancho Villa), sont eux
mêmes des paysans et des indigènes fidèles
aux vieux maîtres priistes (partisans du
PRI) oufinqueras*, et leur servent de chair
à canon. Drapés dans les nobles causes de
leurs slogans, ils occupent maintenant
3 000 hectares des ex-terres de la Nation.
du nord au sud aux alentours du Nuevo
Mo môn. Parce qu'ils offrent des terres sur
leurs nouveaux ejidos*, légalisés ou en voie
de légalisation. ils drainent de nombreux
paysans qui pâtissent de J'insécurité
agraire. Mais. à la différence de l'EZLN
qui applique une gestion pluraliste- un
monde qui contient plusieurs mondes; ne
pas diviser. unir ; ne pas vaincre.
convaincre; ne pas se mettre en avant, re-
8 - ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
présenter-, 1 'Opddic exige l'adhésion des
nouveaux possédants. Les récalcitrants se
voient retirer maisons, récoltes ou camions,
et sont expulsés, donnant ainsi naissance
à une nouvelle génération de personnes
déplacées.
Dans cette zone réoccupée, les poissons
féroces désorganisent les municipalités au
tonomes, menacent leurs écoles et cliniques
alternatives, souillent les terres régénérées
ou reboisées par 1 'agro-écologie zapatiste,
s'opposent ~~e marché')ibéré des cha
c~ mis en~J!.Y.ec-Silccès par les co
opératives. Commence alors un délitement
de la voie politique patiemment organisée
par les caracoles* Si l'EZLN décidait à nouveau de défendre ses terres récupérées
par les armes comme du temps de la clan
destinité, on dirait que la trêve et la loi sur
le dialogue ont été violées, on l'accuserait
de mener une guerre intestine, et on qua
lifierait le conflit d'intra- ou d'intercom
munautaire, indigènes contre indigènes.
C'est le nouveau visage de la guerre qui
se cache derrière des masques politiques, la
guerre des slogans trompeurs des poissons
féroces. Quelle stratégie cache cette tac
tique mensongère? Pour le comprendre.
nous devons, à l'inverse du premier pro
cessus, partir du but qu'ils poursuivent. Ce
qui se profile à l'horizon, c'est la privati
sation des ressources naturelles de la forêt,
le Chiapas étant la porte du corridor bio
logique qui mène de Puebla à Panamâ ( 1 0) :
la zone pétrolière dont les puits ont été fer
més depuis que 1 'EZLN a été repérée en
1993. l'eau douce des fleuves et des lacs
dans les vallées, la richesse arboricole, les
plantes médicinales convoitées par l'in-
(JO) Sur k plan Puebla Panamà et J'opposition qu'il ren
contre. \OÎr << l~a Commune de Oaxnca a vécu)),
Echanges n" 1 19, p. 7.
entre 1967 et 1975 (21 ). Chez Fiat, d'autre
part, on insista sur la robotisation massive,
y compris l'automatisation complète de la
chaîne d'assemblage des moteurs (22).
L'impact sur le pouvoir de négociation
des ouvriers fut semblable au cas améri
cain. Dès le début des années 1980 , les
mouvements ouvriers en Europe de l'Ouest
(y compris dans 1 'automobile) étaient en
généralsur la défensive et on cessa d'en
courager le'' syndicalisme responsable«.
Dès 1980, Fiat put contourner les conseils
ouvriers et mettre en œuvre unilatérale
ment une politique agressive d'automati
sation et de rationalisation qui fit passer le
nombre de salariés de 140 000 à
90 000 (23). Les gains de la fin des années
1960 avaient été largement réduits il zéro.
Toutefois, la face cachée de ce processus fut
la création (et le renforcement) de nou
veaux prolétariats de 1 'industrie automo
bile sur les sites d'expansion industrielle
en vogue dans les années 1970 et 1980 (24).
(21) International lnvestment and Multinational En
terprises: Recenr International Direct /nvestment
Trends, Paris, OCDE, 1981 ; Robert J. S. Ross,« Capital Mobility, !:lranch Plant Location and Class
Power», rapport au Congrès annuel de la Society for
the Study of Social Problems, San Francisco. 19X2 .
Beverly J. Sllver, op. cil .. 1992. p. 80.
(22) Giuseppe Yolpato." The Automobile lndustry in
Transition · Product Market Changes and Firm Strdtegic>
in the 1970s and 19ROs ».in S. Tollida) and J. Zeitlin,
The Automobile lndustrv and /rs Workers: fJL'fween
Fordl.\111 and F/exrhiluv. New )'ork, St Martin's Press, 1987, p. 218.
(2:li Matteo Rollier, np ru. 19R6, P 117ct p 12C)
(2~) Le c<1s argentin ajoute une autrl.? \ariantc J. la même histo1rc de base rac0ntée ici. C'est le cas d'une Cl'PÎ<>S<lllCl' ra ri dL de la prnùuction de ml.iSSC dans 1 'in
dustrie automobile gràce à 1 'ISI (unpnrt substitution in
dusrnalisaitan) dans ks années 1950 et 1960. La mu
ù-élisatînn t.:l la SJ nchronisation de l'expansion de 1 'industrie ct du déferlement d'une importante vague J'agitation ouvrière est scmhlablc;) cc qui est décrit pour
1 'Europe de l'Ouest, sauf que le niveau de richc"c re
lati\·cmcnt bas en Argen!! ne rendait k financement
d'un contrat social stable plus difficik. Pour l'Ar-
+ Le Brésil et le Fordisme dit EOI (Export Oriented lndustrialization). Le
«miracle économique>> brésilien, qui a
duré de 1968 à 1974, a correspondu exac
tement à une période pendant laquelle les
centres capitalistes cherchaient à échapper
aux luttes ouvrières militantes chez eux.
Le Brésil semblait fournir un site parfait
pour leurs investissements: le coup d'Etat
militaire de 1964 avait mis en place un ré
gime extrêmement répressif qui réussit à
écraser le vieux mouvement syndicaliste
corporatiste et à éradiquer toute opposi
tion de la classe ouvrière, aussi bien au ni
veau de 1 'usine qu'au niveau politique na
tional (25)
L'industrie automobile brésilienne
connut une expansion rapide dans les années
1970. Dès 1974, le Brésil faisait partie des
dix premiers producteurs mondiaux de vé
hicules. De 1969 à 1974, la production aug
menta selon un taux annuel moyen de
20,7% :de 1974 3 1979 (alors que la pro-
gcntinc. comme pour k Japon. l'agitation ou\·rière fut un rroblème dès le Jéhut Mais contrairement au
Japon. l'agitation Oll\'rièrc ne provoqu" pas une rup
ture imponan\e a\·ec Je !ordismc (vo!f no\fc discus
sion du cas japonais plus J\'ant dans ce chapitre). En Argentine, la croissance de lJ fabrication automobile. bien qu'intermittente, renlorça la classe ouvrière ct
culmina Jans l'important soulèvement de la fin Jes annél'S \9()0 connu sous k nom de Cordoba;o, sui\'i d'un
coup d'Ftal militaire ct d'une période Je Jésindus
trialisation brutale (Elisabeth Jclin, « Lahour Conllicts
unJcr the Second Pcron1st Regi mt:, Argcntina, Jl)73-1976 »,in Dn elopmcnts and Change, 10 (2). 1979: ct
Daniel JJ.rne.;;, << Ration;:llisatÎùn and W\1r\..ing Cl;\\\
Res ronse The Conte't and Lirnits of Facluf\ Flom Ac
tivity in Argentin;..~ H, tn .Journal of Latrn Amcncan
Srudtcs. Il (2). 19RI. et .lames P. Brcnnan. Labur Wras 111 Cardo ba. 1955· 1976. 1deolngv. Work and Po ·
/mn u1 w1 Argentrnc lndusrriol Cit\'. C'amhridge. Mas· sachussclts. Harvard.Uni1 crstt) Press. 1994
(2.)J De rlus, les tentotinns Jlnstcurcr I'ISI (voir note
précédente) ailleurs en Amérique latine (particulièrement en Argentine) rroJuisaicnt des ragues J'agitatinn ou\ rièrc. renforçant 1 'attrait c.xerct': p<lr !c Hrt.:
sil en tant que site altcrnatif'J'in\·estissement
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007- 69
Ccci avait des conséquences à la fois sur le
marché et dans la politique sociale. Alors
4ue les pays de 1 'Europe du Nord-Ouest avaient de multiples sources de main
d ·œuvre immigrée, 1' Italie et 1 'Espagne dé
pendaient de leurs ressources internes où
d'autres pays puisaient aussi. Cette double
configuration du marché du travail raidit
les réactions italienne et espagnole aux
mouvements protes ta tai res et con tri bu a
ainsi à les rendre plus explosives. De plus, le fait que les ouvriers en Ita
lie et en Espagne étaient des citoyens de
ces pays ouvrait une brèche dans laquelle
d'autres mouvements sociaux pouvaient
venir se greffer sur les luttes des ouvriers de
l'automobile dans un cadre plus large de luttes pour la démocratisation économique
ct politique. Dans les deux cas, comme dans
celui des prétendus pays en voie d'indus
trialisation récente (NIC, new/y industria -
li;.ing countries) dont nous reparlerons pl us
tard. le mouvement ouvrier renforçait (et
était renforcé par) d'autres mouvements
dont le but était de larges transformations sociales, économiques et politiques (20).
La réaction des producteurs automo
biles en Europe de l'Ouest à la réussite sur
prenante des mouvements ouvriers fut sembl<:Jbie à celle de leurs homologues
américains lors des victoires du CIO dans les années 1930 et 1940. «Des innovations
( 20) JoL Fo\\·crakcr .tHaking Democrary 111 S[!atll. Carnb1 id ge, ( ·amhridgt: Uni\ ersity Press, 1 Y89; Sidney Tarrow, Dcnw -[ mrv und Ot~order. Prote.\f\ und Poliltc:o. 111 lruly. i<J65-Ii.J75.
lhlmu. (hlord Uni1c:rsity Press. 1986. HcnJ"min Martin, The AgcmyojA1odenH;:aTun.: L,aborand lndusrnali:nrwn 111
Spwn. lthaca, NY. C<>rncll University Press. 1990. p. -+17--+2o. Tcd Pcrlmuncr." ( :omparing Fordist Ci tics: The Logic of llrh<~n Crisis a nu LI ni on Rcsponsc in Turin 1950- 1975 and 1 ktruit 19J.:;;-J9.:.l.5 n. ( 'cnlèr for Europccm Studics \Vorking
P~trxr Senes 1(' 31. H<Jr\ an..l Universit), 199\ ; et Ruhcrt Fishm~tll. \Vorkmg Cla.u Orgu.IJI;:ation and 1he Return of Demu · tTU< \ 111 .S'pauL lthaca. Comc!l University Prt:ss. 1990.
68- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
.
·"'""·'·.··. .
.
·. .. .... ; .. ~
•.• · ••••• f::IJJJ(."'•
Grève à l'usine Scan/a de Sao Paulo, au Brésil.
dans le procès» (y compris la robotisation rapide des tâches nécessitant une main
d'œuvre importante), tentatives d'encou
ragement d'un << syndicalisme respon
sable ''·et déiocalisation de la production, tous ces moyens furent énergiquement mis en œuvre. Pour Volkswagen, on adopta
principalement une stratégie de déiocali
sation géographique- glissement des in
vestissements sur des sites pius périphériques. surtout le Brésil et le Mexique. Globalement, les investissements directs del' Allemagne à l'étranger quintuplèrent
dus trie pharmaceutique, la mise à sac de la diversité végétale d'ores et déjà bio-piratée
(c'est-à-dire exportée clandestinement ou
candidate à la transgénération), les rivières
abondantes, les paysages et la faune exotique
pour une élite touristique en quête d'aventure. Une aubaine, en pleine crise du système
financier et productif, pour l'accumulation
(étrangère) de capital qu'un discours éco
logique habile excuse facilement.
C'est cette richesse, soulignée par les accords de San Andrés et propriété territoriale grâce à la récupération des terres,
que surveille 1 'armée sous le prétexte de
contenir l'EZLN, comme l'a montré An
drés Barreda en en dressant la carte: zone
grise et ressources naturelles occupent le même espace. Si cette zone restait sous le
contrôle des Zapatistes, sa privatisation se
rait impossible; avec la docilité de l'Opp
dic et autres poissons féroces vis-à-vis du
pouvoir, elle devient faisable.
Comment? Par la réforme de Salinas de l'article 27 de la Constitution et son ins
cription dans la loi. En légalisant la récu
pération des terres des anciens propriétaires par les nouveaux ejidos* de 1 'Oppdic, ces
terres deviennent ipso facto privatisables
grâce au Procede (Programme de certifi
cation des droits sur les ejido.1*). Pour le moment encore facultatif, ce qui exclut que
les Zapatistes l'acceptent, ce programme
est maintenant entre les mains des avocats de 1 'Oppdic. Quand viendront des temps
<<meilleurs», les caracoles*. les munici
palités autonomes et les juntes de bon gou
vernement se transformeront en échelons
de gouvernement, sans terri toi re ni appui : leurs écoles n'auront plus d'élèves, leurs
cliniques plus de patients. leurs cultures
agro-écoiogiques seront livrées aux plantes
transgéniques et leurs commerces alterna
tifs privés de clientèle. Si cette stratégie réussissait, les Zapatistes seraient réduits
à l'impuissance. Et les paysans et indigènes de 1 'Oppdic '!Ils se convertiraient tout sim
plement, sur leurs propres ejidos*, en fan
tassins des multinationales installées sur
les terres autrefois récupérées, maintenant
réoccupées non plus par des poissons fé
roces mais par de gros poissons. les nou
veaux opérateurs du système portés par la dernière vague.
A. A
DANS LES PUBLICATIONS 1 AMÉRIQUE LATINE
Mexique + " Retour sur un pays, le
Mexique. Une lutte, celle du
Chiapas. Une organisation sociale autonome, celle des communautés, dans Courant alternatifno 172 (été 2007).
Chili + Après la mort sous les balles de la police, en mai,
d'un jeune ouvrier forestier
en grève, Cette semaine
no 93 (août 2007) reproduit
un texte qui a circulé au Chili
et sur Internet (www. klinamen.org), appelant à ne pas
craindre la violence(" C'est
lorsque nous attaquons non
seulement leurs intérêts mais aussi leurs corps qu'ils commencent à avoir peur").
Venezuela + "Venezuela, chronique
d'une très bourgeoise révo
lution bolivarienne , dans Le
Prolétaire, no 484-485 (maiseptembre 2007)
+ "Chavez vs. Working Glass , ) (Chavez contre la
classe ouvrière). dans Pro -letarian Revolution no 80 (automne 2007)
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 - 9
ASIE
LES TENTATIVES D'INSERTION DE L'INDE
DANS LE CAPITALISME MONDIAL
L'heure n'est pas celle d'un développement national, mais de l'exploitation des facteurs promettant à un capitalisme globalisé les meilleurs profits. Une main-d'œuvre pléthorique pour des zones économiques spéciales, une classe moyenne parlant anglais pour le développement d'Internet et des centres d'appel en sont des exemples
0 N l'AR LE FlFAliCOUP de 1 'Inde ces
temps-ci, mais d'une manière très
biaisée en ce qui concerne le déve
loppement du capital et les conditions d'ex
ploitation du travail. Les propos et les analyses
sont souvent faussés par le fait que ces consi
dérations sont orientées par les considéra
tions géopolitiques du moment: celles-ci veu
lent voir, dans le développement capitaliste
"démocratique>> de l'Inde (au quatrième
rang mon di al par son PIB) un contrepoids,
éventuellement une barrière. au développe
ment capitaliste<< autoritaire>> de la Chine.
Alors que les considérations sur 1 'exploitation
du travail en Inde insistent particulièrement
sur les secteurs<< nobles >>de 1 'informatique
et de la recherche délocalisés des vieux pays
industrialisés. nous tenterons de montrer que
les conditions d'exploitation dans le secteur
industriel sont bien plus le cœur d'une ac
cumulation du capital dans ce pays. (Nous
devons msister dans tout ce qui suit sur la
fragilité des chiffres et statistiques, qui ne
peuvent donner que des ordres de grandeur.)
Nous n'évoquerons pas en détail l'im
broglio complexe de l'intervention des in
nombrables partis politiques et des syndi
cats qui leur sont plus ou moins affiliés dans
d'indéchiffr-ables relations avec les struc-
10- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
tures sociales traditionnelles, tant au niveau
national que dans les Etats. L'ensemble se
superpose aux structures de classes, le tout
dans une certaine dynamique économique
et sociale, source supplémentaire d'affron
tements souvent d'une violence démesurée.
Au XVIII' siècle, l'Inde et la Chine contrô
laient 50% du commerce mondial ; à la fin
de 1 'époque coloniale (la fin des années
1940), ces deux pays n'en contrôlaient plus
que 0,2 %. Des projections capitalistes rê
vent que la Chine et l'Inde, la<< Chinindia >>,
comme elles dénomment déjà cet assem
blage, en contrôleraient bientôt 50%. Quelle
en serait la signification pour l'ensemble du
monde capitaliste? A ne voir que l'Inde, une
nuée de problèmes s'opposent en fait·à la
constitution d'une entité ca pi tai iste natio
nale: au contraire, cette nuée paraît porteuse
d'orages pl us que d'ondées bienfaisantes.
Le capital global n'a que faire d'un déve
loppement national mais cherche avant tout
à exploiter les facteurs qui sur le marché
mondial sont prometteurs des plus grands
profits.
Les carences de J'agriculture Comme pour tout pays engagé dans un
processus d'accumulation primitive et d'in-
" Automne chaud "1969 en Italie.
Les grèves ponctuelles, tournantes et
éclair visaient à créer le maximum de
désordre dans le flux de production en ciblant
les maillons les plus sensibles de la chaîne
de production. Les ouvriers de l'automo
bile eurent recours à des techniques sem
blables dans toute l'Europe de l'Ouest à la
fin des années 1960 et au début des années
1970 (18).
L'exploitation réussie de ces tactiques
l eut pour résultat une extension rapide du
! rôle des syndicats, du contrôle ouvrier dans
les ateliers et une explosion sans précédent
des salaires dans les années 1970. On imposa
des limites conséquentes aux prérogatives
du management. Par exemple chez Fiat, on
instaura des consigli dei delegati (conseils
de délégués ouvriers) au niveau de 1 'usine
dans le but de donner aux ouvriers (par 1 'en
tremise de leurs délégués) un peu de
contrôle direct sur l'organisation de la pro
duction et 1 'occasion de donner leur avis
dans l'exercice quotidien de ce qui était
jusque là réservé au management commt>
( 1 Ri Colin Crouch ct AlessanJro Pi uorno éJ . Of>. nt.
1 'assignation des
tâches. leur quan
tité et leur rapi
dité: les modifi
cations dans l'or
ganisation de la
production et 1' in
troduction de nou
velles technolo-
gies.
On demandait
au management
d'informer, de
consulter et de né
gocier avec les dé
légués des ou-
vriers sur toutes
les décisions concernant l'organisation de
l'atelier (19). Cependant. il faut ici faire la
distinction entre l'Europe du Nord-Ouest
d'une part et 1 'Europe du Sud-Ouest d'autre
part. Dans l'Europe du Sud-Ouest, les luttes
des ouvriers de 1 ·automobile furent bien
plus explosives que leur modèle du Nord
Ouest. De plus, à l'époque, les luttes des
ou v ri ers de 1 · automobi 1 e en Espagne et en
Italie étaient plus centrales (y compris au
niveau symbolique) que les luttes politiques
et sociales au sens large clans chaque pays.
On peut relier ces deux différences à la
nature de la réserve de main-d'œuvre mi
grante. Les industries européennes du Nord
Ouest reposaient sur de la main-d'œuvre
immigrée non naturalisée (y compris les
ouvriers italiens et espagnols) tandis que
celles du Sud-Ouest dépendaient d'une
main-d'œuvre migrante mais naturalisée.
( 19) Be\ cri y Si lv cr. La bor Unresr and capital Ac('! lill//
/arion an" World Sr·a/c. PhD Jisscrtali on. 1 '!86. S liNY· Binghampton. 1992. p. 29-.10 . cl Matteo Rnllicr.
«Changes in lndustrial relations at Fiat ».Ill O. Jacobi ct al éJ., Teclwulogical Change. Rutionali!.aflon wu( ln -dtotrwl Relations. LPndres, Croom Hclm, 1986
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 - 67
combinée des entreprises et des gouvernements en Europe permit la croissance rapide des entreprises européennes de l'automobile grâce à la consolidation et à 1 'introduction des techniques de production de masse les plus récentes. C'est ainsi, par exemple, que 1 '111dustrie automobile en Italie (qui avait reçu peu d'investissements directs de la part de fabricants de voitures étrangers) fit plus que tripler sa production pendant les années !950 et puis la doubla pendant les années 1960. Dès 1970. 1 'Italie produisait presque deux millions de véhicules, et Fiat en produisait la plus grande partie ( 16 ).
L'extension rapide des techniques de production de masse en Europe de J'Ouest eut des effets contradictoires sur la force de travail, identiques à ceux dont les ouvriers américains avaient fait l'expérience au début du xx' siècle. D'une part, son pouvoir de négociation sur le marché déclina alors que les artisans (et leurs syndicats) étaient écartés de la production et que 1 'on puisait dans de nouvelles réserves de maind'œuvre. D'autre part, l'expansion et la transformation de cette industrie créa une c!::tsse d'ouvriers semi-qualifiés composée de travailleurs migrants prolétarisés depuis peu de temps. Dans le cas des Etats-Unis du début du xx' siècle, les immigrants venaient de l'Europe de l'Est et du Sud (et du Sud des Etats-Unis). Dans le cas de 1' Europe de 1' Ouest des années 1950 et l960.les immigrants venaient des régions périphériques de l'Europe (Italie du Sud. Espagne. Portugal. Turquie et Yougoslavie) Dans les deux cas, la première génération de travailleurs migrants ne protesta généralement pas contre les dures condi-
( !6) .L.1mc~ Lau.\, The Europeun Automolnlc /Juhutr.v. Ne" Yurk. Twaync Publi,hc"· 1992. p. 17H-200
66- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
tions de vie et de travail. Les syndicats étaient faibles et le pouvoir arbitraire de la direction concernant l'embauche, lerenvoi, la promotion et l'assignation des tâches n'était pas contesté dans les usines automobiles. Mais dans les deux cas, la deuxième génération devint le fer de lance des luttes militantes qui réussirent à transformer radicalement les relations à l'intérieur de l'usine et dans la société.
A la fin des années 1960, la vague de grèves en Europe de 1 'Ouest prit les syndicats, 1 es managers et les états au dépourvu. Au cours de ces grèves, les ouvriers des industries de production de masse, comme leurs collègues américains des années 1930, purent exploiter le pouvoir de négociation qui leur était échu en raison de leur place dans la division du travail complexe. Dans les usines d'Europe del' Ouest, les ouvriers de 1' automobile prirent conscience du fait que des grèves bien placées et bien synchronisées pouvaient causer d'importants dommages à une entreprise, tout en réduisant au minimum les sacrifices faits par les ouvriers. Peut-être que l'exemple le pl us dramatique fut celui de« l'automne chaud» de 1969 chez Fiat.
Pour les grévistes italiens, la contestation coordonnée à 1 'intérieur d'une unité de production à grande échelle fut entreprise dans le but de paralyser la production au moindre coût pour les ouvriers. Une application judicieuse de la grève a singhiozzo (dans l'atelier) et a sacchiera (arrêts coordonnés sur tout le site) mène rapidement au chaos dans la production. ( 17)
( 17) Pierre Dubois, "New Forms ol Indus trial Conflict. 1960·1974 "· "' C. Crouch ct Alessandro Pizzorno cd., The Resurgence ofC/as; Conf/tet ill Wes -rcr11 Europe !lin ce /96X. 2 \ ol .. New York, Holmcs and Meier, 1978, p 9
-... Jammu -., '~- ·x·'"·--~ i~ ....... et· ........ '', ' j :. • Srinagar , -' U.. Cachemire
-Laquedives-=.-. ----l. ----2'-Kavaratt" -laquedives+:----
';------------- /195--,---t------------- Nicobar_,_().___
-MALDIVES-:.-OCÉAN----------INDIEN-------
terriroires de l'Union : 1. Dadra-et-Nagar Have li 2. Laquedives 3. Pondichéry 4. Delhi • 5. Chandigarh 6. Andaman-et-Nicobar 7. Daman-et-Diu
- frontières internationales
-·- territoire revendiqué par l'Inde
-- limites d'États
ligne de contrôle (limite effective de l'Inde au Nord) ligne effective de l'Inde à l'Est
Bombay Capitale d'État
0 500km
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -11
L'Inde dans " Echanges " + « C:c qui est arrivé ü Kanpur (Uttar Pradesh) le 30 mai)), lettre J'un camarad~: des Indes. 11° 16 (<>etohrc 1978):
+ Les n"' 1 ct 2 de Kcunwust Kranri. no 56 (m<u 1988).
+«Les ouvriers bloquent les chemins de fer>> (Kamunist Kranti) et commentaire critique par un camarade hollandais (Cujo Brendel), no 64 (avril l'J'lU).
+Débat avec Kamunist Kranti. ((Sur h.J "révolution verte"'>, Inde. la grève du s1t:cle. !98/-1983. de (;érard Hcuzé (éd. L'Harmattan) (o
trait). n° 69 (octobre 1991):
+Débat uvee Kamunisl Kranti: une grève Jcs docker<, n° 70 (janvier 1992).
+ " A perçu sur la réa 1 ité de 1 '1 nde. dé hat "'cc 1 e groure Kamunist Kranti >>;«L'aciérie de Bil-hai "(Kamunist Kranti). Chattisgarh Mukti Morcha. un mouvement d'organisation des travailleurs temporaires ct intérimaires (lndustrial Workn), no 77 (janvier 1994),
+ ((Syndicalisme, pression mondiale \crs la libl-ralisation t:l dirigimc national» (après l'assassinat du leader syndicaliste Datta Samant): « Apcr<;US Je la lutte de classe en Inde":« Un siècle Je S)ndicalisme »:,,A bal!ad against work >>, 0° 84 (avril 1997);
+"De nouvelles méthodes contre la collusion ùirection-syndicut-Etat >>,une lettre de Kamunist K ranti ", n" 85 (septembre 1997) ,
• «Brève notice sur nos origines>,, par Kamunist Kranti, n" R7 (été 1998)
dustrialisation. dans un univers capitaliste basé sur la compétition internationale, le maintien de la compétitivité donc du main
tien d'un bas coùt de production supposait en Inde un bas coût de tout ce qui est né
cessaire à la reproduction de la force de travail, notamment des produits alimentaires. D'oü 1 'importance du problème agraire avec une redistribution des terres en
courageant la petite propriété, des programmes d'irrigation, de modernisation
(pompes, mécanisation, engrais, pesticides
[li). Mais 1 'ensemble ne fut pas spéciale-
( 1) Ce qui fut appelé la« révolution ,·crte >>aboutit en
12- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
ment concluant car c'étaient les différ~nts Etats qui étaient chargés de 1 'exécution de
ces programmes. Ce qui entraîna de grandes disparités entre Etats pauvres et riches ; d'autre part. c'étaient les grands
et moyens propriétaires fonciers qui gou
vernaient les Etats et réglaient ces problèmes à leur profit. Ce que l'on a appelé la<< révolution verte» (engagée à partir de 1965-1966), outre qu'elle permit aux trusts américains des semences et des pro
duits chimiques agricoles de s'implanter
durablement, n'aboutit qu'à 1 'accomplis
sement du slogan << Dans la révolution verte, les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent» (57% des terres sont accaparées par 12% de la population active agricole - avec une moyenne de
quatre hectares ou pl us alors que les " sans-terre >>forment 26% de cette population agricole). La production essentielle de blé et de riz permettait à peine de satisfaire
les besoins alimentaires de base d'une population en forte croissance, rendant sou
vent nécessaire le recours aux importations; de plus, le manque de transports (un autre problème crucial en Inde) et d'installations de stockage faisaient qu'un quart à un tiers de la production agricole était régulièrement perdu.
Aujourd'hui, près de 60% de la popu
lation vit dans les zones rurales, alimen
tant un exode rural constant garantissant la permanence d'une main-d'œuvre abon
dante et, partant, d'une force de travail à bas coût pour 1 'industrie et les services. On estime que les deux tiers de la population dépendent d'une agriculture à très basse
productivité. La moitié de la population
fait à une mainmise des trusts américains de la semence et des pesticides (dont la catastrophe de Bhopal fut un Jcs exemples de la manière dont se faisait cette domination)
bien avant que le régime de Vichy n'assumât le pouvoir (12).
A part les résultats à moyen terme beaucoup plus assurés des vagues de grèves américaines. la base du succès dans les deux mouvements était clairement diffé
rente. Les deux vagues de grèves étaient remarquables par 1 'utilisation de la grève sur le tas et la tactique d'occupation d'usine. Mais le pouvoir des grèves parisiennes était basé sur un énonne mouvement de masse po
litisé, et les occupations d'usine étaient
« soutenues avec enthousiasme par la population ouvrière des banlieues rouges de Paris», y compris celle associée aux syndicats anticommunistes. Au contraire,<< la grève chez GM était un mouvement minoritaire« qui dut résister à un important contre-mouvement de « retour au travail >>.
En somme. alors que le pouvoir de négociation sur le lieu de travail relativement faible de 1 'ouvrier parisien était compensé
en partie par un fort pouvoir d'association, on obtenait la dynamique inverse dans le
cas des grèves américaines. Le pouvoir d'association relativement faible des grévistes de Flint était plus que compensé par leur capacité de« paralyser le circuit hautement intégré de production automobile>> ( 13).
Néanmoins, dès les années 1950 et 1960. les niveaux de pouvoir de négocia
tion sur le lieu de travail des deux côtés de
1 'Atlantique commençaient à converger. Le centre de croissance dans le monde de 1 'industrie automobile se déplaça vers 1 'Europe de 1 'Ouest à la suite des recrudescences
( 12) W. Kendall, The Lal){)ur Movement in Europe.
Londres. Allen Lanc. 1975, p. 43-48; ct Arrighi ct Silver, op. cil., 1984, p. 186-190. ( 13) Michael Torigian." The Occupation of the Factorics »,Paris 1936, Flint 1937 »,in Comparative StuJics in Society and History "· 1999, p. 329-330,.
de militantisme ouvrier des années 1930 et 1 940 chez 1 es ou v ri ers américains de l'au
tomobile. Pour Altshuler et al. ( 14), la première grande vague d'expansion de l'industrie automobile dura de 1910 à 1950 et
eut pour centre les Etats-Unis. La deuxième
grande vague d'expansion se produisit dans les années 1950 et 1960 et eut pour centre 1 'Europe de l'Ouest. La production de voitures fur multipliée par cinq en Europe de 1 'Ouest pendant les années 1950. pass<lnt
de 1.1 million en 1950 à 5.1 millions en
1960 ; elle doubla dans les années 1960 pour atteindre 10,4 millions en 1970 (Alt
shuler et al.. 1984. op. cir. p. 19) La dynamique derrière cette expansion
était un mélange de« défi américain »et
de réaction européenne. Les Etats-Unis avaient commencé 8 investir directement
dans l'industrie de l'automobile européenne dans les années 1920 pour tenter d'éviter les barrières douanières et économiser sur les frais de transport et de main-d'œuvre.
Mais ces investissements montèrent en flèche dans les années 1950 et 1960. G M
investit plus de 100 millions de marks dans un grand développement d'Ope! (Allemagne) entre 1950 et 195 5 et conti nua en
suite 8 agrandir ses usines chaque année GM investit aussi 36 millions de livres chez Vauxhall entre 1952 et 1956 pour agrandir son site de Luton et construire une nouvelle
usine à Dunstable. De même, dans les années
1950, Ford développa rapidement son site de Dagenham au Royaume- Uni et son usine de Cologne en Allemagne ( 15). Une réac ti on
( 14) Alan Altshulcr el al .. The Fu/lire ofthe Auto/1/{)IJIIe · The Report ofi\1/T's lnternarional Auromohi!e Program, Cambridge, Massachussetts, MIT Press. 1984, ch. 2 ( 151 Carl Dasshach. Global Enterpriscs and the Wnrld
Economv : Ford. General /Y1oron u11d IBM. The Enu·r ge11ce of the TrWL\IWtional Enterpri.H'. PhD Dissertatinn, S\INY -Bi nghamton. 1988. p. 254-255 et 296-:100.
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 - 85
plus importantes hors des Etats-Unis. Le
pouvoir de négociation des ouvriers amé
ricains de l'automobile, déjà affaibli par
des décennies de restructurations, s'écroula
dans les années !9RO. L'assaut politique
contre les travailleurs organisés associé à
la« révolution reaganienne »ne fut que la
cerise sur le gâteau.
+ L'Europe de l'Ouest. Pendant
l'entre-deux-guerres, l'Europe de l'Ouest
était très loin derrière les Etats-Unis pour
la généralisation des techniques fordistes de
production de masse à l'industrie automo
bile. Dans les années 1920, 1 'industrie eu
ropéenne se composait surtout de nom
breuses petites entreprises qui fabriquaient
cles voitures sur commande et à façon, au
cune d'entre elles n'avait les ressources ou
les parts de marché suffisantes pour faire les
énormes investissements en usines et en
machines spécialisées nécessaires pour
,, rattraper>> les Etats-Unis. Dans les an
nées 1930, la centralisation elu capital pro
gressa rapidement avec l'aide des gouver
nements, mais la capacité de profiter des
économies d'échelle inhérentes aux mé
thodes fordistes était tout simplement ab
sente. Les obstacles au commerce intra-eu
ropéen et des salaires généralement bas
excluaient l'existence d'un réel marché cie
masse. Les ouvriers cie 1 'industrie auto
mobile américaine pouvaient se permettre
d'acheter le produit qu'ils fabriquaient
(même clans les années 1920); ce n'était
pas le cas des ouvriers européens (Il).
1 Il) Da1·id Landes, The Unhound Prmnetheus. Cam
/mdge Un1versity Prns. Cambridge, 1969, p. -+-+5-
-l., 1 :ct Ste ven Tollida). « Management iand Labour 111 Hritai11. IR96-19:19 "· 111 S. Tollida) ct J. Zcitlin cd , The A1.tonwbile /ndustr\' and lB Worker.\ : Ber -w..:en Fordtsm and F/e.rthi/ur. Ne\\ York, St Martin's
l're,, 1987. p. :12-:17
64- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
Etant donné l'extension limitée des
techniques de production de masse, le pou
voir de négociation des ouvriers européens
sur le lieu de travail était relativement
faible entre les deux guerres. Par contraste.
leur pouvoir d'association était relative
ment fort pendant les années qui suivirent
la première guerre mondiale. Mais malgré
1 'émergence de mouvements ouvriers.mi
litants et de partis politiques de gauche,
avec parfois de grandes victoires dans les
usines et les urnes, la plupart de ces avan
cées avaient été anéanties dès le milieu des
années 1920. (Le Biennio Rosso italien
1919-20, au cours duquel les ouvriers de
Fiat jouèrent un rôle très important en est
un exemple).
Dès le début des années 1930, des gou
vernements fascistes étaient au pouvoir en
Italie et en Allemagne, et au Royaume-Uni
le Parti travailliste fut évincé au profit des
Conservateurs. Même les gains obtenus
lors des stupéfiantes victoires du Front Po
pulaire en France qui ressemblent le plus
(et l'ont peut-être inspiré) aux luttes du
CIO aux Etats-Unis -furent de courte
durée. Très vite après l'accord de Mati
gnon de 1936, une offensive renforcée des
employeurs réussit à bloquer la mise en
place d'accords nationaux de négociation
collective.
En l'espace de deux ans, les substan
tielles augmentations de salaire obtenues
par l'accord de Matignon furent réduites ù
zéro par 1 'inflation ; et, en 1 'espace de trois
ans, les adhésions à la CGT représentèrent
le quart des cinq millions de membres dé
clarés en 1936. Dès 1940, dans la France
en guerre, des,, règlements quasi esclava
gistes ... enfermaient les ouvriers dans les in
dustries de production cie guerre>>, et selon W. Kendall, le fascisme s'était préparé"
sous couvert cl' une lutte contre Hitler,
( 1,1 milliard) a moins de 25 ans, 40%
moins de 18 ans et, dans les cinq pro
chaines années, le réservoir d'une nouvelle
main-d'œuvre s'élèvera à 762 millions de
candidats à 1 'exploitation du travail.
Les obstacles au développement industriel
Bien des obstacles s'opposaient à un
développement industriel de l'Inde en
1947, indépendamment des questions que
nous venons de soulever. Elles n'étaient
qu'en partie le legs du colonialisme, et te
naient aussi aux structures sociales an
cestrales de 1 'Inde; et elles tenaient pour
une autre part à tout un ensemble de pro
blèmes politiques qui faussaient totale
ment 1 'application d'un programme d'in
dustrialisation planifié et de modernisation
des infrastructures nécessaires au déve
loppement économique. Aujourd'hui en
core, bien que la force de travail soit bien
disponible et exploitée intensivement, les
mêmes freins à un développement industriel
existent toujours et expliquent 1 'expansion
de certains secteurs pouvant outrepasser
lesdits obstacles. Comme nous l'avons
souligné, le capital, national et mondial,
n'en a cure, exploitant dans la situation
réelle ce dont il peut tirer profit dans la di
vision mondiale du travail.
Tout le secteur des infrastructures est un
des principaux goulots d'étranglement du
développement industriel. Un industriel
indien constatait que le pays se trouvait
elevant « une demande explosive cie
chambres d'hôtel, de sièges clans les avions
de ligne, de fournitures régulières d 'élec
tricité, de ports, de routes et de chemins
de fer, etc. »Une demande à laquelle ne
répondent en aucune façon les dépenses actuelles, qui représentent seulement 4,6%
du PIB pour la période 2008-2012, alors
que 8% cie ce PIB suffiraient à peine à ré
soudre les problèmes les plus cruciaux ;
par comparaison, la Chine dépense sept
fois plus que l'Inde pour ses infrastruc
tures et a déjà construit dix fois plus d'au
toroutes :
+électricité: de nombreuses coupures
de sorte que les entreprises importantes
doivent construire des centrales ther
miques ; le plan de cinq ans d'équipement
électrique qui s'est terminé en mars 2007
prévoyait d'arriver à une production· de
41 000 MW; elle n'arrivera qu'à
18 400 MW. 30 %de la production se per
drait au long des lignes électriques, contre
8 % en moyenne dans le monde ; mais ce
n'est pas seulement une question de fi
nancement du gouvernement fédéral.
L'électricité est un problème hautement
politique: dans les zones rurales, elle est
supposée être gratuite, mais son approvi
sionnement est chaotique à cause du mau
vais fonctionnement des installations ; les
Etats et les particuliers qui le peuvent fonc
tionnent comme les compagnies privées
avec leurs propres générateurs, ce qui ac
croît la pénurie de pétrole et de gaz natu
rel ; le charbon abonde mais ne peut suffire
à la demande ;
+ routes: 500 km construits. contre
2 500 en 2005 (vu l'état cles routes, l'Inde
qui possède 1 %du parc mondial de véhi
cules connaît 10% des accidents). Les en
combrements routiers sont tels que le
temps de trajet a doublé en quarante ans
et que la livraison par camions en toute in
cohérence pèse sur la production indus
trielle et sur la productivité:
+les chemins de fer, hérités pour une
bonne part de l'occupation britannique,
sont particulièrement vétustes ; les deux tiers du trafic concernent le fret mais les
trains de marchandises roulent à une vi-
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -13
tesse moyenne de 25 km/h, contre 60 km/h
dans le monde. Pour décongestionner les
ports et écouler la production des zones
industrielles de l'intérieur, des« corri
dors>> de fret ont été construits entre le
nouveau port de Bombay et Delhi. C'est
encore pire pour les trains de voyageurs:
dans la banlieue de Bombay. les trains sup
posés transporter 200 passagers en trans
portent régulièrement plus de 500; +le port le plus moderne de l'Inde, au
niveau technique des ports européens, est
Jawaharial Nehru Port. situé près de Bom
bay. Il peut traiter 2 500 conteneurs/jour
alors que le plus grand port chinois en
traite 12 000;
fèrent investir hors de l'Inde ou dans des
secteurs de pointe rattachés à l'informatique,
de sorte qu'il existe un décalage impor
tant entre ces secteurs ultramodernes et l'ensemble des infrastructures obsolètes.
Le président de Wipo, l'une des plus
grandes sociétés d'informatique, basée à
Bengalore, l'exprimait ainsi:<< C'est à la
porte de l'entreprise que le problème sur
git. Vous surfez toute !ajournée entre Bos
ton et Hong Kong et en sortant du bureau
vous vous étalez dans les ordures» :
+le nouveau plan prévoit de construire
ou moderniser en cinq ans 35 aéroports,
76 ports et 6 000 km d'autoroutes; malgré
l'appel aux capitaux privés, ceux-ci pré-
+ des problèmes d'éducation et de
santé sont aussi des obstacles à certaines uti
lisations de la force de travail pour une
meilleure productivité. Il est certain que
la grande diversité linguistique de l'Inde
(23 langues officielles, sans compter les
dialectes et une langue co mm une l'anglais)
tout comme la persistance des castes ou
De l'Empire britannique au capitalisme d'Etat
L'Inde est sortie du système
de domination capitaliste
colonial avec
l'" indépendance, en 1947.
La classe bourgeoise
dominante devait alors
assumer un développement
économique capitaliste
dans un cadre national,
développement obéré par le
legs du colonialisme. On
pourrait faire une
comparaison à ce sujet avec
la Chine qui accéda à cette
" indépendance, trois ans
plus tard dans un pays
ravagé par des décennies de guerre mais qui, dans
son cadre national a réussi
à se hisser à un niveau
économique bien supérieur
à celui de l'Inde.
Sur le plan politique, le
même legs colonialiste
exploitant les divisions pour
mieux dominer faisait que l'Inde héritait d'une
hétérogénéité de territoires
qui avaient été, les uns sous
gouvernement direct
britannique, les autres des
Etats princiers sous tutelle.
Même rassemblé en une
fédération de 28 Etats et
7 territoires, ce patchwork
n'a jusqu'à aujourd'hui pas
réussi à réaliser une
unification réelle : cette
structure révèle une grande disparité et la persistance
14- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
de grandes inégalités
sociales dont le maintien du
système des castes n'est
qu'un des aspects. Cette
situation a fait que l'Inde a
été constamment secouée
par des conflits sanglants,
ouverts ou larvés, qui ont
joué un rôle non négligeable
dans le retard du
développement
économique, masquant
souvent la lutte de classe.
Sur le plan économique, la
puissance coloniale
-l'Angleterre- avait
amorcé un certain
développement agricole 'et
industriel, mais
spécifiquement orienté en
fonction de besoins de la
" métropole"· Si des
entreprises sans syndicat ou ne pratiquant
pas le monopole d'embauche.<< Dès 1914,
lorsque la chaîne de montage mobile de
Ford transforma la production automobile en déqualifiant les emplois, le concept
d'entreprise sans syndicat... s'était fortement
implanté à Détroit et dans l'industrie au
tomobile en particulier << (Rubenstein, op. cit., p. 234-235).
Avec le succès d'UAW, la délocalisation
de la production loin des bastions d'UAW
devint une des stratégies logiques adop
tées par les entreprises automobiles au
cours du demi-siècle suivant. Immédiatement
en 1937. GM acheta une usine de moteurs
à Buffalo pour réduire sa dépendance par rap
port à Flint et peu après commença à dis
séminer ses sites de production dans les
zones rurales et le Sud des Etats-Unis (Ru
benstein, op. cit., p. 240-241 ).
Mais la délocalisation géographique de
l'industrie automobile ne fut pas, dans la
période de l'après-guerre, principalement
un phénomène intérieur aux Etats-Unis. La
dislocation du marché mondial- depuis
l'effondrement de 1929 jusqu'au retour à la
convertibilité des monnaies en 1958 -
ferma la sortie de secours du capital inter
national. Et dès que l'Europe d'aprèsguerre se fut stabilisée, en particulier avec
la création du Marché Commun et la res
tauration de la convertibilité des monnaies,
les multinationales américaines (y compris
les fabricants d'automobiles américains)
investirent lourdement en Europe.
Pendant les décennies qui suivirent les
victoires du CIO (Congress of Industrial
Organizations), trois réactions des em
ployeurs: la délocalisation de la produc
tion (désinvestissement dans les bastions
syndicalisés), des innovations dans le pro
cès de fabrication (principalement l'auto
matisation) et<< l'échange politique» (la
défense du<< syndicalisme responsable >>a
répression du << syndicalisme irrespon
sable >>) minèrent progressivement la force
structurelle de la main-d'œuvre américaine
en général, et des ouvriers de l'automobile
en particulier. Lorsqu'une recrudescence
d'agitation de la base à la fin des années
1960 (symbolisée par les << Lordstown Blues>>) poussa UA W à réutiliser les
vieilles tactiques de la confrontation lors
de 1'<< Opération Apache>> (une campagne
de grèves peu importantes. courtes. mais
fortement perturbatrices), les fabricants
automobiles cessèrent d'encourager le
<<syndicalisme responsable>> et s'engagè
rent dans la délocalisation géographique
et l'automatisation de la production avec
un zèle renouvelé.
Au cours des années 1970, GM
construisit ou planifia l'implantation de 14
usines dans le Sud des Etats-Unis. surtôut
dans des zones rurales ou des petites villes.
Mais la<< stratégie sudiste» de GM pour
éviter les ouvriers militants devint obso
lète dès l979lors d'une épreuve de force avec
UA W dont cette dernière sortit vainqueur
en obtenant que l'accord national du syn
dicat avec GM s'applique à toutes les
usines du Sud. A l'occasion de cette confrontation, UA W exploita une fois de
plus le positionnement des ouvriers dans
une division du travail complexe: en faisant
grève dans 7 usines stratégiquement si
tuées, UA W était crédible en menaçant
d'arrêter la production des deux modèles
les pl us vendus de l'entreprise. Avec 1 'ex
tension des accords UA W à toutes 'les
usines du Sud, le Sud américain perdit son
principal attrait (Rubenstein, op. cit., p. 240-241 ). Les entreprises automobiles
réagirent en intensifiant leur stratégie déjà en cours de déplacer la production vers des
régions avec des réserves de main-d'œuvre
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007-83
chaîne à l'improviste
et ens 'asseyant dans
1 'usine ... catalysa un
sentiment favorable
aux syndicats chez
une grande maJorité
d'ouvriers apa-
thiques " (8). La vague de grèves mon
tra les limites du
contrôle techmque des ouvriers par le travail
:1 la chaîne un nombre relativement
réduit de militants
' \ pouvait arrêter 1 a pro- Des ouvriers occupent l'usine Fisher Body de Genarl Mo tors à Flint
duct1on de toute une(Michigan), début 1.937.
usine. Comme Edwards (9) J'a dit: <<le contrôle [technique} soli
darisait tous les travailleurs de J'usine, et
quand la chaîne s'arrêtait, chaque ouvrier par-
ticipait forcément à la grève.,, De plus, tout comme une minorité mi
litante pouvait arrêter la production dans une usine entière, si l'usine était un maillon
important dans un empire industriel. son
occupation pouvait paralyser toutes les en
treprises. En occupant les usines Fisher
Body et 1 'usine de Flint qui produisaient la plupart des moteurs Chevrolet, les ou
vriers r~ussirent à nuire à la production de
voitures de General Motors. Le taux de pro
duction de l'entreprise passa de 50 000 voi
tures par mois en décembre à seulement 125 pour la première semaine de février. GM fut obligé d'abandonner sa posture antisvndJcale inflexible et de négocier une
convention avec UA W concernant les ouvriers
to 1 Mel' 1 n Dubuloh) ct W.' an Tine. John 1.. Le>~ 1.1.
A Bin~ruehv. ChiCClgn. QuaJranglc, IH77. p. 2S5.
(S>) Richarct.Cdwards, ContcsleJ Terrain. The Tra!ls formatwn of the Workpluce 111 the Twentii!!h Ccntury.
New York. Basic Ruuhs. 1979. p. 12H
62- ÉCHANGES 122 · AUTOMNE 2007
dans vingt usines afin de mettre fin à la
grève et de reprendre la production (10).
L'expérience précoce de 1' industrie au
tomobile montre que la stratégie de mobi
lité du capital n'est pas une nouveauté introduite lors de la phase la plus récente (fin
du xx' siècle) de la mondialisation. En réa
lité.<< éviter la concentration de militants
ouvriers a influencé les décisions d'im
plantation des entreprises même dans les
premiers jours de 1 'industrie automobile. ,,
Parmi les nombreuses raisons qui expliquent pourquoi l'industrie de 1 'automobile
s'était concentrée dans la région de Détroit
au début du XX' siècle figurait l'environ
nement le plus anti-syndical imposé par
J'Association des Employeurs de Détroit au moyen d'une campagne en faveur des
( 10) Melvyn Duboi"sky ct W. van lïnc. ''l' Cil.. p. 26~-21)<), Giovanni Arrighi ct Beverly Sil ver.« La bor Movcmenls
and Capital Migration :The lJS and Western Europe in
WuriJ-Historical Perspective "·in C. Bcrquist éd., Lahor 111 the Capua/i.\t Wnrld-Economv. Beverly Hi lis, Ca!iforntt:,
éJ. Sage. 198-t, p. 184-185 et 194-195 , ct James Rubenstein . The Changing US Allio !ndustry: A C<ograpfucal Ana
'"'''·Londres. Routlcdge, 1992, p. 235-2.17 ·
des discriminations religieuses (voire en
cadré page 18) peuvent cons ti tuer un frein
à 1 'expansion économique bien que cette diversité ne joue qu'un rôle relatif dans la
formation d'un prolétariat indus triel. Mais
là aussi, le sous-développement est un obs· tacle: en 2002, le taux d'alphabétisation était
de 73 %pour les hommes et de 48% pour
les femmes, ce que masque le fait qu'il sort des universités ou écoles d'ingénieurs 400
000 diplômés chaque année, pratiquement
tous issus des classes moyennes et supé
rieures (300 millions en 2006) ;
des inondations ou des sécheresses ca
tastrophiques.
DANS SON EXI'ANSIUN mondiale, Je
capital a cherché à tirer profit des
situations locales lui permettant de
maximiser le profit dans les zones ou Etats
où certains facteurs économ1ques s'avé
raient particulièrement favorables à J'exploitation du travail d'une certaine main
d'œuvre et aux échanges commerciaux
nécessaires (notamment stabilité politique
et infrastructures). L'Inde avec tous les pro
blèmes que nous venons d'évoquer offra1t
peu de chances à une exploitation capita
liste traditionnelle, ceci d'autant plus que les
capitaux accumulés par les entreprises in
diennes sur le plan intérieur cherchaient, à
cause de ces problèmes, à s'investir ailleurs
pour une rentabilité meilleure et ne contri-
+un autre problème est celui de l'eau
conjuguant à la fois le réseau de distri
bution vétuste, qui connaît de nombreuses
pertes et coupures, et les sources de pol
lution. A l'origine de maladies récurrentes et d'empoisonnements suite aux déver
sements industriels, pour ne pas parler
travaux avaient été
entrepris pour l'irrigation, l'" encouragement,
colonial avait visé
essentiellement la
production de thé et de
jute :les famines
récurrentes dues autant aux Incertitudes du temps qu'à la surpopulation des
campagnes montraient que
rien n'avait été fait même
pour une subsistance
minimale, un problème qui se posera d'emblée au nouvel Etat ind1en. Quant à l'industrie, si elle avait
connu un développement
au-delà des traditionnelles
industries coloniales, alimentaire et textile, c'était
surtout dû aux deux guerres
mondiales au cours
desquelles la métropole,
plus ou moins coupée de sa colonie, avait dû improviser
sur place des industries de
base, notamment
métallurgiques, pour
approvisionner ses armées d'Orient.
Lors de l'" mdépendance" J'Inde pouvait prétendre
ainsi être la dixième
puissance mondiale (bien
que représentant 4 % du PIB mondial pour 14% de la population de la planète),
mais c'était un trompe-l'œil,
le principal et crucial
problème pour le nouvel
Etat national, en proie aux difficultés politiques et
sociales déjà mentionnées,
étant qu'une population
agricole excédentaire alimentant un important
exode rural ne pouvait être
absorbée par le faible
développement industriel.
Comme tous les Etats
nationaux devant se fa1re une place dans le monde
capitaliste déjà dominé par
quelques grandes
puissances économiques, le
développement capitaliste à
l'intérieur des frontières nationales ne pouvait se faire que sous la forme
d'une variante capitaliste
d'Etat, seule forme
économique permettant dans cette circonstance de réaliser l'accumulation
primitive, transformant la
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 ~15
L'exploitation des cerveaux à distance
Dans le monde capitaliste globalisé, à la re
cherche de moindres coûts de production, le
capital a pris en Inde ce que 1 'arriération des
infrastructures l'autorisait à prendre sans trou
ver d'obstacles majeurs C'est ainsi qu'Inter
net lui a permis, sans gros investissement et
par la voie des ondes, d'utiliser le potentiel
oftert par les jeunes issus d'une classe
moyenne cultivée parlant anglais. Cette ex
ploitation couvre des secteurs variés, depuis
les centres d'appel jusqu'à la recherche dans
toutes les technologies En trois ans, l'Inde
est devenue un redoutable compétiteur dans
la création, la transformation et la mainte
nance des programmes à distance. Cette ac
tivité touche tout traitement de données, la
comptabilité, l'analyse financière, toute la re
cherche et développement depuis la phar
macie jusqu'à l'aéronautique. Une heure de
travail dans ce secteur coûte trois fois moins
cher qu'en Europe.
La classe moyenne indienne (200 à 300 mil
lions de personnes, dont 4% parlent bien l'an
glais) offre un marché de 400 000 diplômés
par an. Les cinq grands de l'informatique in
dienne lnfosys, Tata, Wipro, Satyam, Cogni-
rani recrutent chaque année 125 000 jeunes
et 100 000 autres s'orientent vers des firmes
plus petites. Beaucoup vont se former aux
Etats-Unis, le quota annuel de 65 000 entrées
offert pour cette émigration temporaire est
rempli en un jour. Les 30 000 Indiens déjà
fixés dans la Silicon Valley en Californie re
viennent au pays.
Le système de recrutement pour une société
comme lnfosys est confié à des sous-traitants
et traité par informatique : un million decan
didats sont triés chaque année par ordinateur,
160 000 sont sélectionnés, puis, après
entretien, 80 000. Les " heureux " vont être as
treints à un stage de formation de dix-huit se
maines dans un camp spécial ultra-perfec
tionné, une sort'e d'hôtel quatre étoiles Le
coût total de cette sélection représente 4 %
des ventes. Mais étant donné l'expansion ra
pide du secteur, le turn-over est de 14% et
on estime qu'en 2010 il manquera 500 000
travailleurs dans ce secteur où les entreprises
mondiales délocalisent entre 5 %et 20% de
leurs effectifs mondiaux.
La capitale de cette envolée économique est
Bengalore, une ancienne ville de garnison bri
tannique dans l'Etat de
Karnataka (Deccan,
Sud de l'Inde) passée
en cinquante ans de
150 000 habitants à
7 millions. Peu importe
qu'autour toute l'infra
structure ne suive pas :
tout s'exporte par la
voie des ondes.
Les Indiens vus par 1. Type dra:vldien; 2. Négrlto du GonJvana; 3. Hindou Radjpout; 4. Tblbéta.in de l'HimD.lo.ya;
6. Prêtre de Vlc.huou; G. Birman; 1. Djât.h ·, 8, 9. Homme t't femme du Deccan méridional; 10. Cbtttmeur <le aerpcnb (Delhi).
le " Nouveau Larousse
illustré " (1.900).
16- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
du capital face à J'action directe des tra
vailleurs sur le lieu de production.
Comme nous le verrons, les pics de
grève étaient non seulement semblables par
leur forme et leur style de militantisme,
mais ils subissaient aussi le même confi
nement, leurs victoires suscitant une suc
cession de stratégies managéria!es qui
affaiblissaient structurellement les mou
vements ouvriers. A court terme, on en
couragea le« syndicalisme responsable >>et
l'institutionnalisation de la convention col
lective pour obtenir la coopération des di
rigeants syndicaux dans l'endiguement des
perturbations issues de la base. A court et
moyen terme, le travail fut de plus en plus
automatisé, et les nouveaux investisse
ments dirigés loin des bastions syndicaux.
Cette restructuration du capital minait il la
fois le pouvoir de négociation des tra
vailleurs sur le lieu de production et les
ressources sur lesquelles la résistance pou
vait s'appuyer.
Les efforts répétés des entreprises pour
trouver une solution spatiale au problème
du contrôle de la main-d'œuvre signifient
que ces pics de grèves ne sont pas qu'une
série d'occurrences indépendantes dans un
processus général. Mais plutôt qu'ils sont
étroitement 1 iés aux dél oc ali sa ti ons suc
cessives de la production loin des forces
de travail militantes. C'est pourquoi la par
tie suivante de notre récit est aussi l'his
toire d'un processus historique unique de mi
litantisme ouvrier et de mobilité du capital.
Au fur et à mesure que le capital s'éloi
gnait des sites de production établis. le
pouvoir de négociation des travailleurs était
freiné. et pourtant de nouvelles classes ou
vrières se créaient sur les lieux choisis pour
l'expansion industrielle.
Le résultat est une trajectoire qui com
mence dans les années 1930 et traverse les
années 1990, entraînant à sa suite les tech
niques de production de masse dans 1 ·au
tomobile et une forme particulière de mi
litantisme qui ont envahi le monde, partant
des Etats-Unis, traversant l'Europe de
l'Ouest pour aboutir dans les pays en voie
d'industrialisation rapide.
Deuxième partie
De Flint à Ulsan : déjà-vu dans les principales vagues de grèves dans l'industrie automobile
+ Les Etats-Unis. Le 30 décembre
1936, des ouvriers occupèrent à Fit nt dans
1 e Mi chi gan, les usines n'" l et 2 Fisher
Body de General Motors. Dès le 12 mars
!937, General Moturs (GM. la plus gre1ndc
société industrielle des Etats-Unis. avec
d'énormes ressources financières et un ré
seau d'espions anti-syndicats) furent obli
gés de capituler et de signer un accord avec
UA W (United Auto Workers =Union des
Ouvriers de l'Automobile). C'était le début
d'un déluge de grèves qui apportèrent la
syndicalisation aux industries américaines
de production de masse. à une époque ca
ractérisée à la fois par un fort taux de chô
mage (c'est-à-dire un pouvoir de négocia
tion faible sur le marché) et par une timide
organisation ouvrière (c'est-à-dire un pou
voir d'association faible).
Un des critères de réussite d'UA W était
le pouvoir de négociation des travailleurs
sur le lieu de travail la capacité des ou
vriers à exploiter leur position à l'intérieur
de la division du travail complexe carac
téristique de la production de masse. La
grève sur le tas de Flint qui paralysa 1 'usine
Fisher Body de G M fut planifiée et orga
nisée par une" minonté militante» d'ou
vriers de l'automobile qui en" arrêtant la
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 - 61
1930 1935 1940 1945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990
1934 11939 1944 1949 1954 1959 1964 1969 1974 1979 1984 1989 1996
Etats-Un1s x
Canada
Royaume-Un1 x
France x
1tal1e x x
Allemagne x
Espagne x
Argentine x
Afnque du Sud x
Bréstl x
Corée du Sud x
Note Les pays c1tés sont ceux qw contribuent à au mo ms 1 %des ment1ons d'agitation ouvnère dans l'automobile dans la banque de
données WLG Les cro1x 1nd1quent des" p1cs ".au cours desquels le nombre de ment1on représente au moms 20% des ment1ons
Tableau 2. Les pics d'agitation ouvrière dans l'industrie automobile mondiale, 1930-.1996.
la sulte de notre récit que ces vagues d'agi
tation ouvrière- tout en se produisant dans
des environnements très différents politi
quement et culturellement et à des époques
différentes de 1 'histoire mondiale- parta
gent des caractéristiques étonnamment si
mitai res. Elles faisaient irruption avec une
souLlaineté et une force auxquelles les
contemporains ne s'attendaient pas. Elles
remportaient rapidement d'importantes vic
toires, même confrontées à des employeurs
hostiles aux syndicats (et. dans certains
cas. à des gouvernements hostiles). Toutes
s'appuyaient sur des formes de contesta
tion non conventionnelles- surtout la grève
sur le tas- qu1, chaque fois, paralysaient
la production d'énormes complexes in
dustriels, mettant efficacement en évidence
la vulnérabilité de la division techmque et
complexe du travail dans l'industrie face
à l'action directe des travailleurs sur le lieu
de production. Dans tous les cas. les travailleurs
étaient principalement des migrants (in
ternationaux et mterrégionaux) de la première
60- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
et de la seconde génération, et le soutien
d'une communauté vigoureuse était un in
grédient essentiel des luttes. Enfin, les
luttes des ouvriers de l'automobile revêti
rent une signification politique, au sens
large du terme, pour le reste de la nation
par-delà le secteur industriel concerné et
ses travailleurs. En tant que telles, ces
grèves représentaient aussi des« tournants
décisifs« dans les relations travail-capital
dans chaque pays.
L'industrie automobile semble aussi
produire une forme caractéristique d'ac
tion directe. Les grèves stratégiques. surtout
les grèves sur le tas visant un point sen
sible dans la division du travail technique
de bout en bout de l'entreprise automobile,
étaient des armes de choix lors de chacun
de ces pics de grève. On peut relier la ré
currence de cette forme (et son succès) au
fort pouvoir de négociation sur le lieu de
travail des ouvriers de l'automobile. La di
vision du travail technique et complexe qui
caractérise la production de masse dans
l'industrie automobile accroît la vulnérabilité
huaient nullement à résoudre ces problèmes
par des investissements dans le pays même.
Mais, faute d'investissements du capital in
dien ou étranger dans les secteurs tradi
tionnels (comme en Chine par exemple),
pour exploiter une force de travail à très
bas coût (voir encadré p. 16) les capitaux
étrangers ont su exploiter ce qui pouvait
l'être d'une façon qui éludait à la fois la ca
rence des infrastructures et toutes les dif
ficultés sociales.
Inde, paradis des délocalisations de tou.t le
monde industrialisé ..
C'est ainsi que l'économie de l'Inde ac
tuelle offre une juxtaposition:
• d'un paysannat pléthorique et sou
vent misérable (50% de la population) ;
• d'un prolétariat industriel surexploité
en raison d'un réservoir inépuisable de
force de travail (on ne parle pas de« mi
grants » comme en Chine bien que 1' exode
rural peuple d'énormes bidonvilles.
350 millions d'Indiens (27% de la popu
lation] vivent avec mois de 1 dollar par jour
[0,70 euro]);
Legs historique, l'Inde disposait d'une
classe moyenne importante (300 millions de
personnes) éduquée (500 000 diplômés du
supérieur par an) et de langue anglaise ( 4%
de la population parle couramment l'an
glais). Tout ce qui pouvait se traiter à dis
tance sans recours important aux infra
structures défaillantes, par l'usage intensif
de l'informatique, s'est ainsi déversé en
• d'une bourgeoisie et d'une classe
moyenne prospères (les différentiels de sa
laires sont passés de l à 5 en 1991 à 1 à
14 en 2001) œuvrant essentiellement dans
des secteurs technologiques de pointe de
venant presque un énorme centre de re-
(suite de la page 15)
surpopulation agricole en
prolétariat Industriel. Ce
développement, sous
l'égide du nouvel Etat et
d'une classe dominante
nationale en formation, prit
la forme d'une planification
Impliquant un important
investissement de 1 'Etat
indien. Plusieurs plans
qu1nquennaux (le modèle
russe) se succédèrent ainsi
à partir de 1951 autour de
quelques nationalisations
(aviation, assurances) et du
développement d'un secteur
étatique de base (aciéries,
armement, énergies
hydraulique, thermique et
nucléaire, chimie)
parallèlement à un secteur
privé, dans une sorte
d'économie mixte. Aucun
secteur n'était
monopolistique ma1s en
1970, le secteur public
assurait 40 % de la
production industrielle (8%
en 1961) et l'Etat indien
imposait un contrôle des
prix.
Comme sous tous les
systèmes capitalistes
d'Etat, l'impéritie des
gouvernements et la
corruption d'un appareil
bureaucratique jointes à la
pression indirecte et directe
du capital International
firent qu'après une certaine
fuite en avant (avec de
nouvelles nationalisations,
un contrôle renforcé de
l'économie et notamment la
limitation des
investissements étrangers),
l'état global catastrophique
de l'économie indienne
contra1gnit au recours en
1991 à l'intervention du FMI
et de la Banque mondiale
qui imposèrent 1 'ouverture
au " marché libre , et la fin
progressive de tous les
contrôles étatiques. Cela
coïncidait avec la chute du
système soviét1que qui avait
été quelque peu le modèle
et le soutien de l'Inde
engagée dans la politique
du " non-alignement "·
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -17
r---~--~- Castes, minorités et religions
1
La persistance des problèmes séculaires de
castes et des affrontements religieux masque
des conflits de classe, leur violence n'étant
qu'un exutoire à la misère sociale.
Le très complexe système des castes em
poisonne la vie économique, sociale et poli
tique. Schématiquement, il se réfère à cinq
grands ensembles qui définissent 1 'accès à
une certaine fonction sociale .
• trois castes supérieures · les brahmanes
(lettrés et prêtres), les Kshatriya (guerriers
et militaires), les Vaishya (marchands) ;
• les basses castes, shundra, dans lesquelles
on classe une catégorie de minorités bapti
sées " classes arriérées " ;
• les hors-caste, les intouchables : 17% de
la population totale cantonnés dans l'agri
culture, la domesticité et l'équarissage.
Jusqu'à récemment, les basses classes et
les intouchables étaient exclus notamment
de la fonction publique, des entreprises d'Etat
et de nombreuses activités dans le secteur
privé. En 1990, un système de quotas leur a
ouvert, en principe, les emplois dans la fonc
tion publique et le secteur d'Etat. Récemment
ces quotas ont été portés à 27 % des postes
à pourvoir. Mais même si le système bouge en
raison de l'évolution économique, il fait l'objet
de manipulations politiques et est parfois le
théâtre d'affrontements violents, relatifs no-
tamment à l'attribution des quotas.
Une autre source d'affrontements, d'ordre re
ligieux, est l'opposition entre hindouistes et mu
sulmans. Ces derniers (140 millions de per
sonnes, soit 14% de la population,
concentrées dans certains Etats), soumis eux
aussi au système des castes, sont particu
lièrement victimes d'une discrimination exa
cerbée par les affrontements avec les pays
musulmans voisins, Pakistan et Bangladesh.
18- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
Comme le soulignait un commentateur, les
musulmans en Inde ont toutes raisons de se
considérer comme des exclus (accusés d'an
tipatriotisme et d'être des suppôts du Pakis
tan) même si certains d'entre eux appartien
nent à la classe des riches. Une récente
enquête officielle a établi qu'ils devaient se
battre avec les stigmates de cette exclusion,
qu'ils se retrouvent parqués dans des ghettos
fuyant la persécution des Etats où ils sont mi
noritaires (le grand ghetto musulman de l'Etat
de G ujarrat compte 400 000 habitants et
s'agrandit chaque jour au rythme des émeutes
dans l'Etat). De plus, marquant leur identité par
des signes extérieurs, ils sont victimes de
persécutions au faciès. La discrimination
touche l'emploi, le logement et l'école ; les
taux d'alphabétisation, de durée d'études,de
pauvreté sont sensiblement plus élevés que
pour la moyenne nationale. Ils sont relégués
dans des métiers traditionnels de l'artisanat,
du tissage, de la viande, métiers menacés
par l'industrialisation.
Le dernier cycle de violence dont ils sont vic
times et acteurs a débuté en 2005. Mais au
paravant, entre 1950 et 1995, les affronte
ments religieux avaient fait 40 000 morts et
blessés dans les quelque 700 000 villes. et
villages de l'Inde, essentiellement des mu
sulmans. En juillet 2005, les émeutes de Bom
bay ont fait 200 morts et 700 blessés. En
2007, le 22 juillet, un train de pèlerins hin
douistes a été attaqué, semble-t-il par des
extrémistes musulmans : 58 voyageurs ont
été brûlés vifs. En réplique, dans l'Etat de Gu
jarat, on a assisté à un véritable pogrom où
2 500 musulmans de toutes classes ont été
massacrés.
Cette situation explosive ne favorise en au
cune manière le développement économique.
-Jlr,nl '> \:J"
!\.lh '~l'"" \r<,;L"J\Ior••
("'"''"'
mmD l' (
Tableau 1.. Répartition géographique des mentions
(dans la base de données WLG) de mouvements
1960 et 1970, avant de baisser dans
les années 1980 et 1990. L'augmen
tatitJn importante de la part de J'Eu
rope du Sud (5) a lieu dans les années
1970, s'élevant de 2% dans les années
1 950 à 10% dans 1 es années 1 960 et à
32% dans les années 1970. Le dernier
changement important est l'augmen
tation du total pour le sud en voie
d'industrialisation rapide, dont la part
saute de 3% dans les années 1970 à
28% dans les années 1980 et à 40%
dans les années 1990.
Le tableau 2 renforce cette Image
d'une succession de modifications
spatiales dans le militantisme des ou-de résistance ouvrière dans l'industrie automobile,
1.930-1.996.
t::~nt sur l'épicentre du militantisme de
1 'Amérique du Nord dans les années 1930
et 1940, vers l'Europe du Nord-Ouest (et
ensuite du Sud) dans les années 1960 et
1970, puis vers un groupe de pays en voie
d'industrialisation rapide dans les années
1980et 1990(4)
Alors que l'Amérique du Nord totalise
une écrasante majorité du nombre de re
censions d'agitation ouvrière dans les an
nées 1930 et 1940 (75% dans les deux dé
cennies), dès les années 1970 et 1980, elle
totalise une minorité caractéristique de
1' ensemble des recensions (respectivement
1 5% et 20%). Par contraste, les pays d'Eu
rope du Nord-Ouest se partagent des aug
mentations du nombre total de recensions
de J'agitation ouvrière de 23% dans les an
nées 1930 et 1940 à 39% d::~ns les années
1950 et à presque 50% dans les années
(-1) Les Il pays inclus Jans les tableaux 1 ct 2 satisfaisaient à un critère seuil : le nombre de mcntiflns de
J'agitation ouvrière Jans l'industrie automobile représenter plus de 1% Ju nomhre total Je mentions dans la hase de données WLCJ concernant l'industril' :tutumobile mondiale.
vriers de J'automobile, en identifiant les«
pics« de J'agitation ouvrière dans J'auto
mobile pour Il pays où le militantisme des
ouvriers de 1' automobile est un phénomène
social significatif. (6).
La partie suivante de ce chapitre décrit
brièvement les" vagues de pics" identi
fiés dans Je tableau 2(7). Il se dégagera de
(5) L'Argentine est comprise dans\' cnsemh\e sud-européen pour des raisons qui seront expliquées dans la note 21 (6) Les pics (indiqués dans le tableau 2 par un X) sont définis comme l'année record d'agitation OU\ rîèrc pour
un pays donné ct/ou l'année ou cours de laquelle le-"
mentions d'Jgitation uu\TÎèrc sont supérieure.;; Je 2()Cf,
au total des mentions pour ce pays. (7) Le Japon ne figure pas Jans la liste des pays sujets à des vagues d'agitution des ouYricrs de \'automohile choisis à des fins d'analyse Jans k tahleau 2. L'expansion rapide de J'industrie automobile au Japon n'a pas ahouti à une vague importante d'agitation ouvrière
-anomalie sur laquelle sc concentre la partie trois.
Toutefois, comme il en sera aussi question dans la partic trois. il; a bien cu une rague importante d'agitation
ouvrière au Japon dans ks années de l'immédiat après
guerre et que la hase de données du WLG relève. Celte
\'aguc d'agitation a affecté toute~ les industncs. y compris 1 'industrie automobile. Pourtant, parce que 1 'industrie automohilc n'était pas l'une des industries print:ipa!cs du Japon immt-.diatcmcnt après guerre, les in tic\ dcsjournau\ ne sl:kctionnent p<.~s l'industrie automo
bile lorsqu'ils parlent Je la vague Je grèves
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 -59
tendue lean production [3]) et, du coup, de
triompher dans la compétition mondiale
des années 1980. Dans les années 1980 et 1990, les mé
thodes de lean production ( 1 ) se répandi
rent dans le monde entier, puisque partout
dans le monde, les producteurs de style for
diste cherchaient à imiter les producteurs ja
ponais de manière sélective et puisque les
entreprises automobiles japonaises elles
mêmes devenaient des entreprises trans
nationales importantes. On pense généra
lement que cette combinaison de processus
a créé une «bête» post-fordiste fonda
mentalement différente face à laquelle les
bases traditionnelles du pouvoir de négo
ciation des ouvriers sont fragilisées( ... ).
Pourtant, comme nous le soutenons dans
la troisième partie de ce chapitre, cette ré
organisation post-fordiste de la production
sc démarquait du modèle japonais sur des
points cruciaux. On adoptait les mesures
de réduction des coùts de ln lean produc
tion. mais on ne prévoyait pas de gnrantie
de l'emploi; c'est pourquoi la base de mo
tivation nécessaire à la coopération active
des ouvriers avec les employeurs n'exis
tait pas. De plus, l'impact de ces transfor
mations sur le pouvoir de négociation des
ouvriers n'a pns été franchement négatif.
En vérité, dans certaines >ituations, les mé
thodes de lean production ont en fait accru
())Lean proJuctton litléralcrnLill '< production
mo~rgrL~ >}Concept global qui rJsscmhlcpnl)\etlence, trc~vai! Je groupe. f!u\ tendus t:l 1.éro défaut. L'nh
jt:ctif central est dt: réduire les coùts (fnirc fondre lit gra1ssc) autour des Jtt:lier::. taylori~és, c'cst-à-din: dans
les dctiv îté~ de maintenance. de qualité. Jans la gestion
de rroUuctÎL)Il. En effet, ces se n'lees occupaient rci<Jtivcment de rlus en plus Je rnlllldc. La taylorisation de cc~ tf1chc~ permet de rédu1rc kurs èffcctifs ct Li~.:
ré.llllt;grcr !'co.;scnticl de ct:s fonctions dans le !ot Lie~ t~ch~s qui ~euvcnt être prises L'il charge par des opérateur~ rcu qualifiés. La hiérarchi~ intermédiaire \'Oit.
elle aussi, ses effectifs fondre.
58- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
la vulnérabilité du capital face à des irré
gularités des flux de production et à un pou
voir de négociation des ouvriers sur le lieu
de travail plus important.
Donc nous découvrons que ni le rafis
tolage technologique post-fordiste, ni les
rafistolages spatiaux successifs, n'ont
fourni de solution durable pour les pro
blèmes de contrôle de la main-d'œuvre
dans 1 'industrie mondiale de 1 'automobile.
Comme nous l'affirmons dans la dernière
partie, les tentatives récentes des grandes
entreprises automobiles pour obtenir la co
opération active de leurs ouvriers tout en
réduisant les coûts, sont en train de créer
une stratification géographique accrue de
la force de travail dans l'automobile selon
une ligne de partage centre-périphérie ainsi
que selon des lignes entre les sexes, les eth
nies et les nationalités. De plus, les contra
dictions et les limites de ces tentatives, à
tour de rôle, révèlent au niveau entre
prise/industrie comment le conflit tra
vail/capital est prisonnier d'une tension in
hérente (chapitre 1) entre des crises de
légitimité et des crises de rentabilité.
Première partie
Les tendances historiques et mondiales du militantisme ouvrier dans l'industrie automobile.
La description de l'agitation ouvrière
à l'échelle mondiale dans l';wtomobile,
extraite de la base de données du WLG (World Labor Group), est résumée dans les
tableaux 1 (ci-contre, page 59) et 2 (page 60).
Le tableau 1 montre la répartition des men
tions d' ngi tati on ouvrière dans l' automo
bile par décennie et par région. Au cours
du temps, on peut distinguer une succes
sion de modifications géographiques por-
cherche mondial. Plus de 100 000 Indiens
avouent en 2001 une fortune supérieure à 1 million de dollars (700 000 euros), chiffre
en augmentation de 20% en 2005 ;
+d'énormes disparités non seulement
entre les différentes classes sociales mais,
au sein d'une mêm~ classe, à cause du pro
blème des castes et des minorités (voir en
cadré page 18), des différences tenant à la
géographie physique (fertilité des terres,
possibilités d'irrigation, climat, etc.)
Un seul exemple permet une approche de
ces disparités: le téléphone portable ne né
cessitant qu'un minimum d'investissement
en infrastructure a fait un bond énorme
comme dans tous les pays en développe
ment (bien que la construction de relais pose
des problèmes locaux). En 1947, 0,2% de
la population était équipé d'un téléphone
(fixe) et en 1998 2% ; en 2007, 18% des In
diens ont un téléphone, dont 200 millions
de mobiles :à Delhi, la capitale, ce pour
centage est en 2006 de 50% des habitants,
et il est de seulement de 0,4% dans l'Etat
de Bihar (nord-est sur les contreforts de
l'Himalaya).
60 % de la population possèdent un
compte en banque à Delhi et 5% dans le
Bihar.
La tentative des zones économiques spéciales
Ces énormes disparités, freins de toute
façon à l'accumulation du capital tant national
qu'étranger, sont pourtant l'objet d'une at
tention globale. Leur réduction était le but des différents plans de développement de
puis les années 1950, et l'abandon partiel
et progressif de cette économie planifiée
n'a fait que modifier les tentatives plus ou
moins avortées de mesures destinées à lever
les plus criants des obstacles à ce développement capitaliste.
Une des dernières tentatives a été de
copier le développement chinois avec l' ins
titution de zones économiques spéciales
(ZES), qui avaient grandement contribué
à 1 'exploitation du potentiel chinois de
force de travail par le capital chmois et
étranger. En février 2006, a été promul
guée une loi dont le but avoué était de fa
voriser l'implantation d'entreprises étran
gères et de résorber - en le rendant
productif- le surplus de force de travail
des paysans chassés des campagnes. Les
capitalistes et les autorités locales (sauf
dans quelques Etats à base paysanne im
portante) n'ont pas manqué de répondre à
cet appel, offrant des conditions particu
lièrement favorables pour une exploitation
à bas coût de la force de travail.
Plus de 400 projets de ZES furent ainsi
soumis au gouvernement central et 63
étaient déjà acceptés quand il apparut que
ces projets rencontraient une opposition
déterminée, essentiellement de la part des
paysans dépossédés de leurs terres, en
traînant leur annulation. D'un point de vue
purement capitaliste, le nombre des avan
tages prévus pour les entreprises de ces
ZES prévues a surpris: indépendamment
des investissements en capital fixe (dont
le bas coût des terrains et la concentration
des équipements publics de base), la pro
ductivité des installations pouvait bénéfi
cier à la fots des exemptions diverses de
taxes et facilités d'exportation, et de la
concentration du prolétariat (il était prévu
un pool de main-d'œuvre) autorisant d'une
part son contrôle policier. et éventuelle
ment syndical, et sa dispersion hors de la ZES
vers les lieux d'habitation exténeurs.
Cependant dans l'Etat de Haryana
(celui dans lequel est enclavée la capitale,
la ville-Etat Delhi). la plus grande ZES de
1 'Inde reste prévue ( l 0 000 ha. en vi ron la
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -19
Inde-Chine-Etats-Unis : quelques éléments de comparaison
INDE
+ Superficie (km') 3 291 000 + Population (en milliers) 1 095 000 + Population 15/69 ans (milliers) 662 000 + Population urbaine (millters) 109 000 + Densité de population au km' 335 + Espérance de vie 63 ans
+ Structure du PIB (en%)
- Agriculture 20 - Industrie 26 - Services 54
+ Production électrique
(milliards de kwh) 614 + Nombre de téléphones fixes 123 Nombre de téléphones portables 105 pour 1 000 habitants + Alphabétisation 57 (%de la population) +Médecins 0,5 (pour 1 000 habitants) + Exportations 125 (milliards de dollars) + Importations 189 (milliards de dollars) + Investissements directs étrangers (IDE) 6,2 (en milliards de dollars)
(chiffres de 2005 ou 2006)
superficie de Paris) avec un aéroport de fret, une centrale de 2 000 MW et qui ex
ploiterait entre 200 000 et 500 000 travailleurs dans des industries diverses sur
tout de pointe. D'autres sont plus spécialisées, comme cette entreprise textile qui sur 30 ha veut exploiter 30 000 travailleurs.
20- ÉCHANGES 122 -AUTOMNE 2007
CHINE ÉTATS-UNIS
9 584 000 9 640 000 1 305 000 290 000
890 000 146 000 250 000 203 000
250 30 72 ans 77 ans
12 2,6 42 23 42 74
2 469 4 147 570 547 395 680
91 97
1,6 2,7
970 960
755 1 200
63 837
Partout où l'on a essayé d'établir de telles zones industrielles sont survenus des
grèves, des grèves de la faim, des barrages routiers, des émeutes et autres formes de violence. Une des plus importantes oppositions a vu dans le Bengale occidental (région de Calcutta), le 14 mars 2007, un affrontement entre les paysans dépossé-
JO u.
mondiale suggère que là où va le capital,
le conflit suit. Ou, pour paraphraser David Harvey, la délocalisation géographique de
la production est un<< rafistolage spatial » qui ne fait que<< reprogrammer les crises» ; il ne les résoud pas de façon permanente.
L'analyse présentée dans les deux premières parties du chapitre insiste sur les ressemblances et les rapports entre les vagues d'agitation ouvrière sur les princi
paux sites de l'industrie automobile en expansion. L'industrie japonaise del 'auto
mobile brille par son absence dans cet examen, car sa grande expansion après guerre n'a pas déclenché une vague importante de militantisme ouvrier. Pourtant, comme nous le soutenons dans la quatrième partie, une vague importante d'agitation
ouvrière est cruciale pour expliquer cette «exception japonaise».
Le Japon a connu une montée du militantisme ouvrier à grande échelle à la fin
de la seconde guerre mondiale (c'est-à-dire juste avant le décollage de l'industrie automobile japonaise). Afin de venir à bout des contraintes imposées par cette vague de militantisme ouvrier, les entreprises automobiles ont choisi de se démarquer clairement du style fordiste de production de masse. Renonçant à leurs tentatives pre-
" Le montage à la chaîne " décrit par le magazine " L '/llustration " du 4 octobre 1924 : " Le montage à la chaîne, dont les journaux ont souvent parlé cette année, a pour but de supprimer, dans la fabrication de l'automobile en grandes séries, à la fols le plus possible de la ma if}· d'œuvre et le plus possible des erreurs dont elle est fatalement cause. Ce procédé tend donc à produire des voitures qui soient à la fois de prix beaucoup plus petit et de valeur usuelle beaucoup plus grande. " (Texte complet sur http:j jpboursin.c/ub.frjpdgusine.htm)
mières d'intégration verticale, les produc
teurs d'automobiles japonais constituèrent un système de sous-traitance à niveaux multiples qui leur permit simultanément de garantir un emploi à (et d'établir des
liens de coopération avec) un noyau es
sentiel de la force de travail, tout en obtenant des contributions flexibles à bas coüt de la part du réseau de fournisseurs au bas de l'échelle.
Cette combinaison n'a pas seulement permis au Japon d'échapper au genre d'agitation ouvrière qu'ont connue tous les autres principaux producteurs, mais a aussi permis aux grandes entreprises japonaises d'introduire un train de mesures de réduction des coüts dans les années 1970 (la pré-
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -57
THÉORIE
LES MOUVEMENTS OUVRIERS
ET LA MOBILITÉ DU CAPITAL
Ce texte est la traduction du chapitre 2 du livre de Beverly J. Si/ver " Forces ouvrières Les conflits ouvriers et la mondialisation depuis 1870» (1}.
C f: CHAPITRE ANALYSE à ] 'échelle
mondiale la dynamique de 1 'agita
tion ouvrière dans ce qu'on considère comme J'industrie dominante du capitalisme du vingtième siècle: J'industrie mondiale de 1 'automobile. La première partie du chapitre présentera la structure temporelle et spatiale de 1 'agitation ouvrière clans 1 'industrie automobile mondiale depuis 1930 jusqu'à nos jours, basée sur des indicateurs provenant de la base de données elu WLG (2). Nous identifions une série de modifications spatiales dans la répartition de J'agitation ouvrière, J'épicentre
du militantisme se déplaçant tout au long du xx· siècle depuis l'Amérique du Nord, traversant l'Europe de l'Ouest, pour se fixer
( 1) Force.\ of Lahor. Worker ·, Aiovemcnts and Cio hu!I::arzon \/!lee JR70. Camhridge Stud1c~ in Corn ra~ rati'c J'olitics. Carnhridgc (Rovaurnc-llnil. 200.1. llc\ erl~ J S'1lvcr est prnft:sscLJr Je sociologie ~l l'uni,crsité Johns Hopkins (Haltirnorc. MMyland). r21 l.a banque de données du Worlcl Labor Group (WLCi) cq une des sources principales du li\TC Je B. J. Sii\Cf. Elk a t.:té crête en !986 par un grourc Je Lhcrchcurs du centre fernand-Braudel de l'uni\'er~ilé Hinghamtnn Elle se fonde sur la notion de« lahor un-1c~t >>,que nous avons tradu'tt rar « agit<ttinn ou\ !Îl'IL "·ct qui désigne toute forme Je résistance à la dégr.~Uatinn des conditions de travail. à la b;.1Îsse des ~d[alfl'~, ;J la (1fO\étarisatJOfl Ct Ù la destruction des hahl tUde~ de \~ic par la violence ou la destruction des
mudes Je\ ie alternatifs au travail salarié
56- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
clans un groupe de pays en voie d'indus
trialisation récente. Ensuite, la deuxième partie décrit la dy
namique de ces modifications spatiales et leur corrélation avec la succession de délocalisations du capital. Nous soutenons que la production de masse dans J'industrie automobile a eu tendance à recréer des contradictions sociales similaires partout où elle s'est développée, et qu'en conséquence, des mouvements ouvriers puissants et efficaces se sont produits pratiquement sur chaque site où la production de masse fordiste s'est étendue rapidement. Pourtant, chaque fois qu'un mouvement ouvrier fort a émergé, les capitalistes ont délocalisé la production vers des sites où la force de travail était moins coûteuse et en principe plus docile, affaiblissant les mouvements ou
vriers sur les sites en voie d'abandon, mais donnant des armes aux travailleurs sur les nouveaux sites en voie d'expansion.
Notre description de la corrélation e'ntre les mouvements ouvriers et les délocalisations du capital dessine ainsi une image beaucoup plus ambiguë que celle que donne la théorie de la course vers le bas [pour le.1 wlaircs ct les conditions de travail, NDTJ
... ).Pour Je résumer en une seule phrase, la trajectoire de J'industrie automobile
dés par Je projet de création d'une ZES de 4 000 hectares par Je gouvernement communiste de 1 'Etat, à Nardigram: 14 tués, 45 blessés. Des paysans s'étaient déjà opposés à des installations industrielles, comme des populations tribales J'ont fait à Orissa contre 1 'installation d'une mine. Plus récemment, à Singar, les manifestations d' opposition à la construction d'une nouvelle usine par le trust Tata ont fait des morts. D'une certaine façon on peut voir dans ces luttes des résistances à la prolétarisation sous le capital (on peut comparer avec des événements similaires en Chine).
La dimension de cette opposition fut telle que Je gouvernement fédéral a été contraint de réformer la loi de 2006 en limitant la dimension des ZES à 5 000 ha, en imposant J'obligation de procurer un emploi à chaque personne déplacée et une interdiction par les Etats de procéder à des
expropriations pour la création d'une ZES. Ce qui a eu pour effet de geler pas mal de projets et d'en limiter la portée. Cet épisode est assez symptomatique des difficultés du développement capitaliste en Inde et des entraves à la modernisation des infrastructures: constamment, les politiques conscients de J'ampleur de ce problème sont coincés dans la contradiction entre leurs appels à des investissements dans des secteurs clés et Je maintien de secteurs protégés tant par J'Etat fédéral que dans chaque Etat.
Pourtant, les projets industriels des sociétés privées ne manquent pas; on ne sait pas s'ils peuvent venir contrebalancer la priorité donnée aux sous-traitances et installations directes diverses autour de 1 'exploitation de 1 'informatique, profitant d'une certaine façon des carences qui s'opposent à une expansion industrielle à
la chinoise. Faut-il croire les pronostics d'un ponte planificateur qui affirme que «la prochaine révolution automobile aura lieu en Inde«, prévoyant que les 10 millions de travailleurs exploités aujourd'hui pour une production en 2006 de 1,3 million de véhicules seront 25 millions en 2016, exploités par Tata Motors, Renault-Nissan associé à Bajaj, Hyunda1, etc. C'est à voir. car cela suppose qu'un réseau routier à la hauteur de cette production ait ·été construit ou amélioré si cette production doit alimenter un marché intérieur, et que des ports et autres installations aient été prévus s'il s'agit d'alimenter une exportation.
Le commerce protégé Un autre secteur protégé- pour des rai
sons de paix sociale et électorales- est Je commerce, dont la concentration est ré
glementée en vue de la protection de millions de petits commerçants et artisans. Cette activité qui manque totalement d'équipements (notamment pour la chaîne du froid) représente 40 %du PIB. Les chaînes de supermarchés ne sont autorisées qu'en tant que grossistes et celles qui ont pu s'établir ne représentent que 1 %à 3 %du commerce de détail. On peut aussi mesurer ici la distance entre cc'' petit commerce» disséminé dans tout le pays et la prolifération, dans Je voisinage des centres d'appel ou autres ac ti vi tés délocalisées autour de l'informatique, de centres commerciaux à 1 'occidentale et magasins de luxe. Comme le soulignait un observateur de la montée des nouveaux riches, la classe bourgeoise (industriels, entrepreneurs divers, professions libérales) n'achète plus à l'étranger, mais clans le pays même, les produits de luxe d'ici et d'ailleurs.
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 - 21
Faut-il voir dans cette mutation et dans
1' accroissement d'une classe bourgeoise et
petite-bourgeoise, ou dans les besoins de
l'expansion industrielle, le besoin récent
de « nettoyer,, les grandes villes des bi
donvilles colossaux peuplés des << mi
grants , de 1 'exode rural '1
Ainsi les 500 000 habitants de Mol
chand, près de Delhi, ont-ils été, pour cause
de spéculation immobilière, déplacés ;
300 000 d'entre eux seulement ont trouvé
un gîte précaire dans une plus lointaine << GG
Colony , ; à Delhi 400 000 familles (2 mil
lions de personnes) doivent être déplacées
d ' i ci 2 0 1 0 . dans le rn ê rn e but de << co rn
mercialisation de la terre,,; à Bombay, un
plan de" réhabilitation,, vise les 600 000
habitants de Dharavi, le plus grand bidon
ville d'Asie, qui seront relogés aussi loin du
centre ; un autre bidonville, Nanglamaa
chi, a été balayé au bulldozer le 29 mars
2007, sélectivement, en démolissant
d'abord les lieux de lien social (écoles,
lieux associatifs, centres de soins ... ).
Qui profite du développement chao
tique de 1 'Inde '1 Un disciple de Gandhi
constatait avec amertume : « Nous sommes
1 milliard, il est triste que seuls 300 mil
lions bénéficient du boom. Gandhi est mort
plus que jamais.,,
Voulait-il dire que la résistance passive
n'est plus de mise et que la violence so
ciale de la lutte de classe la remplace '1 La
prolétarisation progressive de toutes les
couches sociales exclues de leurs bases
campagnardes et leur appauvrissement peut
se mesurer à de simples chiffres : la pro
portion d'enfants de moins de trois ans
souffrant d'anémie à cause de la malnutri
tion était évaluée à 74% en 1998; elle
s'élève à 85 %en 2007.
H. S.
LE SORT DES PROLÉTAIRES AUJOURD'HUI
ET LA LUTTE DE CLASSE Les précisions et récits qui suivent sont empruntés à 1111 bulletin ouvrier en anglais, Gurgaon Workers News ( 1 ), qui tire la plupart de ses informations d'un mensuel en hindi, Faridabad
Madjoor Samaachaar (FMSJ. Faridabad et Gurgaon sont des vif les industrielles de l'Etat de Haryana (dans lequel est enclavée la capitale de l'Inde, Delhi).
G URGA()N, DANS LE HARY ANA, est pré
senté comme la lumière de l'Inde,
un symbole de la réussite capitaliste
promettant une vie meilleure à tous ceux
qui peuvent franchir le seuil du dévelop
pement. A première vue, les tours des im
meubles de bureaux et les centres com
merciaux rèf!ètent cette chimère et même
22- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
les façades des usines de confection res
semblent à l'entrée d'hôtels trois étoiles.
Derrière la façade, derrière les murs des
usines et dans les rues adjacentes des zones
industrielles, des milliers de travailleurs
entretiennent cette course frénétique au
<< progrès >>, produisant des voitures et des
scooters pour la classe moyenne qui s'em
pilent dans les blocages routiers de la nou
velle autoroute entre Delhi et Gurgaon. Des
milliers de jeunes des classes moyennes
perdent leur temps, leur énergie et leurs es-
( 1) Cinq numéros parus, disponibles sur Internet. (toute correspondance en anglais) :
www .gurgaon workersncws. wordprcss.corn gurgaon_ [email protected]. uk Majdpor Library. Autopin Jhuggi. NIT. Faridabad \2001
les Européens, inquiets de cette offensive,
veulent mettre en place des mécanismes pour
contrer les prises de participation des pays du
Golfe dans leurs secteurs stratégiques. La
mondialisation auraient-elle atteint pour eux
ses li mi tes '1
La crise actuelle est le résultat d'une
overdose de liquidités, de crédit, de valeurs
circulant sous la forme de titres et produits
financiers, n'ayant aucune correspondance avec
une valorisation réelle. Elles ne sont que des
valeurs fic ti v es, elles représentent le choc
dont parle Patrick Artus, qui veut que 30 mil
liards de dollars de pertes peuvent engen
drer 7 000 à 8 000 milliards de perte d'ac
tifs financiers (14). Ce n'est donc pas parce
que les banques centrales injectent des li-
Les crises financières dans" Echanges "··· + " Les crises monétaires, reflets de la
crise mondiale du capital" : n"78 (Juillet 1994), 79 (janvier 1995) et 81 (janvier 1996) ;
+ " L'emprunt international et la dette du tiers monde " :supplément au no 84 (avril 1997);
" La dévalorisation financière internationale " :no 86 (janvier 1998) ; + " La crise financière internationale, crise
du mode de production capitaliste :La crise
asiatique acte Il " :no 88 (automne 1998)
+ " Réflexions sur la crise finale " et " A propos de La Loi de l'accumulation et de
l'effondrement du système capitaliste
d'Henryk Grassmann " : no 93 (printemps
2000);
1
+ " La croissance mondiale en berne l'exemple américain " :no 115 (hiver 2005-
l:~06~--------------
quidités que le système de crédit se remettra
sur pied: cela revient ü vouloir sauver un
noyé en lui faisant boire de l'eau.
Nous reviendrons sur cette crise. qui va
perdurer, le pire étant devant nous.
Gérard Bad
6 septembre 2007
( 14) P. Anus indique« Cc sont les moins fragiles qui
revendent leurs risques cU\ plus fragiles Si les banques <..~méricaincs ct européennes avaient gardé lutH
le "suhprime" dans leurs \ines. elles auraient fait au
jourd'hui 26 ou 30 milliards de dollars de pene cl on en parlerait il peine. Leurs profits ont atteint en 2006 300 milliards de dollars. Elles auraient donc essuyé
une perle de 10 S'o, cc qui n'csl pa-; un gr<lnd drame.
ct il n'y aurait pas cu Je crise de marché. C'est btcn parce que les banques ont n.~pJssé ces risques à des gens plu~ frllgilcs que la crise s'est tiL~\'eloppl·c n
... et dans les autres publications + Dans A Contre Courant no 187 (septembre
2007) : " Les premiers pas d'une criSe fi
nancière généralisée. " + Dans Left Business Observer no 115
(31 mai 2007) : une série de scandales fi
nanciers aux Etats-Unis avait contraint en 2002 le gouvernement Bush à signer tout un
ensemble de textes - dénommé SOX - imposant aux dirigeants d'entreprise une sorte de code de conduite assorti de pénalités par
fois sévères. Tout comme en France on
s'achemine vers la dépénalisation des délits
financiers, se fait Jour aux Etats-Unis le pro
jet de revenir sur ces dispositions, sans doute 1
en raison de la dimension des prévarications
du capital et de ses agents à travers la cirse 1
:"E:~.~::,:E~:::~~::~::::;:~:::~~:: 1
investisseurs. , (en anglais, cop1e à \
Echanges.) _j
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -55
La déconfiture de nombreux organismes
financiers n'allait pas faire que des mal~
heureux. Déjà des prédateurs se position
naient en augmentant leurs taux ct' intérêts
interbancaires de 4,1 %à 4,7% (11). En met
tant à la disposition des banques des fonds à
4 %, la BCE indiquait vouloir freiner la
monté des taux et la dégringolade des cours
boursiers. Loin de rétablir la« confiance»,
ces interventions des banques centrales ont
affolé les'' petits actionnaires>>. Comme les
Bourses ont continué de chuter, la BCE est
de nouveau intervenue, injectant une somme
globale de ... 156 milliards d'euros ... et, le 5
septembre, la BCE a injecté de nouveau
42,24 milliards d'euros dans le système ban
caire. Cette interventiOn massive de liqui
dités par les banques d'Etat est la troisième
en vingt ans (les deux autres sont celle de la
Fed en 1998 et celle de septembre 2001).
Chaque crise financière ayant son ca
ractère spécifique, nous devons nous inter
roger pour savoir ce qui distingue cette«
crise immobilière des subprimes >> des
grandes crises précédentes : caisses
d'épargne américaines (1985), krach de
1987, crise asiatique, crise mexicaine (1994),
LTCM (12) (1998), bulle Internet (2001),
banqueroute de 1' Argentine (2002).
« Ce qui fait 1 a spécificité de lia cri se
actuelle!, estime Patrick Artus dans l'en
tretien déjà cité, c'est que le choc tnitial est
cette fois beaucoup pl us petit. Les pertes cu
mulées sur le secteur immobilier à risque
aux Etats-Unis- (jUI correspondent à 1 'aug
mentation de 10% à 14% des défauts de
paiement- sont actuellement de 30 milliards
( ll) Il s'agil des tau\ Uïntérêtt:s que les banques s'appliquent entre elles. celte hausse montrait que les banques
n'ont rlus confiance les unes dans les amr~s ct ne croient
donc pJs à leur propre!'l communiqués
( 12) !:l'CM (LongTcrm Capital Management), un<< hcJgc fund, (fonds spéculatif) sauvé de la faillite par la Fed.
54- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
de dollars. En 1998, le fonds L TCM avait
coulé Il 0 milliards. Le dégonflement de la
bulle Internet s'est traduit par une perte de
capitalisation boursière de 6 000 milliards entre
2001 et 2003 ! Ce que 1 'on peut comprendre
lorsque sur le Nasdaq, en 2000, on payait
les boîtes à 100 fois le résultat. Mais, au
jourd'hui, une perte initiale de 30 milliards
a produit depuis juin une baisse de 4 500
milliards de dollars de la capitalisation bour
sière, 2 000 milliards de pertes sur les déri
vés sans compter les 5 000 milliards de dol
lars de titres ABS (13) qui n'ont plus
d'acheteurs. Rendez-vous compte! ltll choc
de 30 milliardi engendre 7 000 à 8 000 mil -
liards de pertei potentielles de valeur de
marché [souligné par nous}.Ce qui veutdire
que la crise touche essentiellement des ac
tifs irréprochables. C'est ça qui est nouveau
et qui explique qu'on ne l'a pas vue venir. "
S'agit-il d'une crise de liquidités 0 Au
niveau purement superficiel, nous pourrions
dire qu'il y a une crise des liquidités, c'est
à-dire des moyens de paiement mis en cir
culation- mais pas dans le sens ou elle est gé
néralement présentée. La crise de liquidités
ne vient pas d'un manque, mais d'un excédent
de liquidités.
Faire boire le noyé Les pays du Golfe, que la rente pétro
lière enrichit jusqu'à la démesure, ne sayent
plus oü placer leurs liquidités. Depuis 2002,
les monarchies pétrolières prennent des par
ticipations dans les aéroports, les ports, et
même dans le fleuron militaro-industriel de
1' Europe, EADS (European Aeronautic De
fence and Space co). Les Américains comme
( i).l Obligations acqu1ses par les investisseurs ct JitL:s «adossées» au portefeuille d'actifs. on parle d'A;5e1
Backed Securities (ABS).
Conditions de travail et luttes dans le groupe Escorts, une grande entreprise automobile locale
En 1960, le groupe Escorts était un des dix plus
grands groupes industriels de l'Inde, un géant
produisant des tracteurs, des machines agri
coles, des motos, des grues, du matériel de
travaux de terrassement et de chemin de fer.
Escorts collaborait aussi dans l'automobile
avec Yamaha et Ford.
Jusqu'au milieu des années 1990, 24 000
travailleurs permanents y étaient exploités
dans plusieurs usines, situées essentielle
ment à Faridabad. Des centaines de petites
unités industrielles et d'ateliers de la région
étaient ses sous-traitants. A la fin des an
nées 1980, ces travailleurs furent attaqués
de différentes façons à travers des plans di
vers pour accroître la charge de travail et la
productivité, souvent avec la coopération des
dirigeants syndicaux. Un combat souterrain
fut poursuivi au début des années 1990 à tra
vers différentes stratégies pour briser toute
résistance ouvrière :fermeture d'usines pour
une ou deux semaines, pression sur les plus
anciens pour qu'ils partent en préretraite,
etc. Cette pression fut même accrue par l'uti
lisation des hauts et bas du marché pour me
nacer de licenciements collectifs.
A partir de 1996, la restructuration s'accé
léra. Différentes sociétés cessèrent de s'ap
provisionner chez Escorts, la division télé
communications fut cédée. La purge se
concentra alors sur le secteur des machines
agricoles qui vit ses effectifs de travailleurs
permanents, remplacés par des temporaires
ou des intérimaires, fondre de 24 000 à
6 000. Le nombre des temporaires qui n'était
que de 2% des effectifs totaux en 1992 peut
osciller actuellement entre 10% et 50% sui
vant la demande.
Voici le témoignage, recuetlli en février 2007,
d'un ouvrier d'une des usines Escorts :
" A l'usine Farmtrack secteur 13, la chaîne fonc
tionne avec deux équipes alors que l'atelier
peinture a trois équipes. L'atelier peinture
comporte 35 ouvr1ers permanents, presque
tous de l'équipe A, le reste dans l'équipe B.
L'équipe C ne comporte pratiquement que
des temporaires et des intérimaires. 35 tem
poraires et 190 intérimaires venant de diffé
rentes boites d'intérim font que l'atelier pein
ture fonctionne avec 13 % à 14 % de
permanents, 13% à 14% de temporaires et
72% à 74% d'intérimaires.
Parmi ces derniers, ceux d'une boîte spéci
fique dot vent préparer la peinture et dot vent
aussi assurer le nettoyage avec différents
solvants puis finalement de l'eau. Ils reçoivent
90 roupies (1 ,61 euro) pour huit heures
d'équipe; ils ont droit à l'ES! (Employee's
State Insu rance- voir page 26) et au PF (Em
ployee's Provident Fund) (mais cela entraîne
bien des contestations car les papiers ou
vrant ces droits ne sont pas toujours fournis
ou sont mal remplis). Ceux qui manipulent
les pistolets à peinture reçoivent 180 rou
pies (3,22 euros) ... Les heures supplémen
taires sont sans majoration
Selon son statut, un travailleur de l'atelier de
peinture peut recevoir pour le même travail
96, 125, 160, 164, 600 roupies par jour
(1,72 €, 2,24 €, 2,86 €, 2,93 €, 10,73 €).
D'autres problèmes surgissent constamment,
ne serait-ce, pour les équtpes les plus nom
breuses, la queue à la cantine où le termps
d'attente peut atteindre une heure et demie
alors que la pause de mtdi esL d'une heure
et demte.
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 -23
Les ateliers des arrière-cours des bidonvilles
Voici un autre récit extrait de la Newsletter de
Gurgaon ·
L'industrie automobile est d'une importance
primordiale à Gurgaon et à Faridabad. Selon
une publication officielle, la moitié des quatre
roues et 60% à 70% des deux-roues produits
en Inde sont fabriqués là. La moitié des tra
vailleurs de l'Etat de Haryana sont exploités dans
ce secteur. Comme près de 70% des effectifs
exploités dans l'industrie n'ont pas d'existence
officielle, parce que non enregistrés, on peut
penser que cette masse ouvrière se situe entre
8 à 9 millions de personnes pour l'ensemble des
activités, y compris domestiques et travailleurs
agricoles, ce qui laisse pour l'industrie de 5 à
6 millions de travailleurs, parmi lesquels ceux
de l'automobile sont difliciles à dénombrer.
Les chaînes de montage terminales em
ploieraient environ 50 000 travailleurs. Mais Ma
ruti compte 400 sous-traitants, Honda 240,
etc. et la chaîne d'approvisionnement en
pièces détachées sombre dans l'obscurité de
toute la zone.
Avant de finir sur la chaîne de montage, les
pièces détachées doivent franchir de nom
breuses étapes. Par exemple les durites pour
lies carburateurs arrrivent en bloc d'un village
proche de Faridabad. Ce village n'est qu'un
amas de taudis près duquel paissent vaches
Î et chèvres et des ouvriers travaillent dans de
jpetits ateliers, sur des tours allemands des
années 1970 ou sur des presses antédilu
viennes. La chaîne d'approvisionnement de
Maruti commence là, dans l'arrière-cour des
taudis d'habitation. Dans l'un de ces ateliers
des charnières de portes sont galvanisées,
les ouvriers trempent jusqu 'aux chevilles dans
le_l!quide chimique. Dans un autre, une femme
travaille da.ns l'obscurité, près d'un généra-
24- ÉCHANGES 122 - AUTOMNE 2007
teur bruyant ébarbant des pièces de métal.
Dans un troisième, deux enfants couverts
d'une poussière noire font la finition des durites
sur un engin électrique rudimentaire. Pr.ès
d'eux, deux ouvriers finissent de mouler et de
couper ces durites dans une presse manuelle.
La femme et les enfants gagnent 800 à 1 200
roupies par mois (14 à 21 euros) pour une
équipe de dix à douze heures, six à sept jours
par semaine. Un des ouvriers est le patron of
ficiel de la société qui fabrique ces durites,
mais il n'est que l'ouvrier permanent, le sous
tratant, d'une société plus importante. Les du
rites finissent chez Mahindra, chez Suzuki et
dans l'industrie ferroviaire. Mais entre-temps
elles passeront par quatre ou cinq sous-trai
tants et les mains de centaines d'ouvriers.
L'importance du capital fixe investi dans ces
opérations s'accroît de plus en plus à mesure
que l'on approche de l'usine finale principale.
Cela commence avec la production dans les
bidonvilles d'assemblages de pièces plas
tiques que collent des femmes assises de
vant leur portes. Ensuite cela va dans les pe
tits ateliers que nous venons de décrire, puis
dans des ateliers de taille moyenne assurant
le travail sur les tôles métalliques. Pour finir chez
Delphi (filiale de General Motors, de Bosch,
etc. Le nombre total de ces sous-traitants avoi
sinerait 6 000 dans le secteur, de 400 à 800 pour
une firme comme Maruti Suzuki.
L'industrie automobile s'étend ainsi dans un ré
seau fragile d'unités manufacturières exploi
tant une masse d'ouvriers temporaires pas
sant souvent de l'une à l'autre, et il est fréquent
de rencontrer des ouvriers ou d'anciens ou
vriers ayant travaillé dans une usine ou une
autre à un degré quelconque de la chaîne
d'approvisionnement.
avoir del 'argent qui leur permette de se
débarrasser de cette dette. Mais au fur et à
mesure que le temps passe et que le prix
de l'immobilier chute, ils se retrouvent
coincés, ne pouvant vendre à un prix suf
fisamment élevé pour rembourser le capi
tal et les intérêts (8).
Surtout, alors que ces petits emprun
teurs bénéficient pendant les deux ou trois
premières années d'un taux d'appel (teaser
rate) particulièrement bas, de 1 %à 3,5 %, ce taux est << re fixé » au terme de cette pé
riode en fonction du marché financier, et les
taux montent alors à 6,5 % et même
jusqu'à 18 %, en fonction du<< risque»
fixé par le prêteur; d'où l'importance du
taux directeur de la Fed. Alors ils doivent
se saigner à blanc pour continuer à payer des
traites révisées à la hausse. Quand ils ne
pourront plus faire face à la situation, ils se
ront expulsés et leur bien vendu à perte.
Mais ils ne seront pas pour autant libérés
de leur dette et devront continuer à rem
bourser traite sur traite. Cependant, selon
le Center for Responsible Lending (Centre
pour le crédit responsable), près d'un em
prunt sur cinq, contracté au cours des deux
dernières années, ne pourra pas être rem
boursé.
Un à trois millions de personnes, sub
mergées par l'envolée des mensualités,
pourraient perdre leur logement, a déclaré
le 21 août le sénateur démocrate Christo
pher Dodd, président de la commission
bancaire du Sénat. Le I1ombre de saisies
de logements commence à inquiéter sé
rieusement le pouvoir, et ce d'autant plus
qu'aux Etats-Unis, comme l'indique Pa
trick Artus dans un entretien au quotidien
(?\)!l'après le quotidien Lu Tnf>IIIU' du6 aoùt 2007. il ) aurait 900 000 maisons ne trouvant pas preneur; ct. selon les experts, les prix dans les grandes villes pourraient chuter lie 15 ü 20 LJr: d'iri deLL\ à trois ans
La Tribune (9) sous le titre<< Le pire de la
crise financière est devant nous»,
«qu'aux Etats-Unis il y a quatre
millions de logements invendus, soit
trois années de stock. Evidemment les
prix chutent(- 4% sur un an du prix
des maisons). Comme un prêt immo
bilier finance souvent 80 % de la
consommation aux Etats-Unis, c'est
toute la demande des ménages qui est
touchée. La consommation américaine
va donc fléchir et amputer d'un point
à un point et demi la croissance 1 'an
prochain qui, au lieu d'atteindre 3,5 %, pourrait ne pas dépasser 2%. Ce n'est
guère bon pour l'Europe qui, par
ailleurs, est directement affectée par la
crise via ses banques .. "
Le scénario est le même en Angleterre,
où des ménages se sont eux aussi endettés
jusqu'à cinq fois leur revenu brut annuel
sur des prêts à long terme ou variables.
La signification de l'intervention des banques centrales
Le jeudi 9 août, après l'annonce de BNP
Paribas, la Banque centrale européenne
(BCE) volait au secours du système mo
nétaire international et de sa montagne de
capitaux fictifs. Balayant tout le discours mo
nétariste sur la rétention de création mo
nétaire, pour juguler l'inflation, elle in
jectait la somme de 94,8 milliards d'euros
( 10) pour enrayer la crise. Les banques cen
trales des Etats-Unis, du Japon. du Canada,
de l'Australie lui emboîtèrent le pas
(9) (<Le pire de la crise financière est devant nous ~>.
entretien avec Patrick Anus, directeur de la recherche
économique ch et Nati.\IS, La Tnbunc du 27 au Lit 2007 ( 10) Pour se faire une petite idée de cc que représente cette somme, une centrale nucléaire de type El'R coûte 3,3 milliards d'euros.
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007- 53
vé!é par la crise. Quand le souffle de la
crise intervient au niveau de la sphère fi
nancière, cela signifie que cette crise cou
vait déjà depuis longtemps clans la sphère
de production de plus-value, que J'écono
mie réelle ne trouvait plus de liquidités
pour se régénérer ; bien que ces liquidités
soient en excédent sur tout les marchés fi
nanciers, elles ne trouvent pas à s'investir
dans J'économie réelle jugée peu rentable
et à risque. La crise dite des« subprime
mortgage" va en quelques jours secouer
lès principales Bourses de la planète et
contraindre les banques centrales à intervenir
rapidement et à la hauteur des risques
(325 milliards de dollars) pour que Je« vrai
argent ''(dollar, euro, yen) conserve sa
fonction de valeur refuge, et que les capi
taux ne se retirent pas en masse.
Pendant que les banques centrales in
tervenaient, les matières premières (6) ac
cusaient déjà des baisses importantes et la
première visée en pareil cas, celle qui se
déprécie immédiatement, c'est la mar
chandise force de travail. Elle est alors li
quidée en masse : rien que pour le secteur
financier américain. une étude (7) chiffre à
87 962 les emplois perdus depuis Je début
de l'année (75% de plus qu'en 2006). Ef
fectivement il ne se passe pas une semaine
sans qu'une entreprise financière licencie
ou se mette en faillite. Les banques et les or
ganismes de crédit hypothécaire ont an
noncé 50 000 suppressions d'emplois entre
le début et la mi-septembre, principalement
les commerciaux chargés de placer ces cré
dits auprès des particuliers, et qui avaient
été recrutés à tour de bras ces dernières an-
161 Baisse des cours du rétro le hrul de la mer du Nmd. du
plomb, du cuivre. (7) t:tuLlc Jl,lcabinct Challenger. Gra) ~1nd Christmas Jont lès pnncipau\ résultats ont été publiés sur k site
W\\''' .info.RSR.ch
52- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
nées. Les statistiques officielles améri
caines annonçaient pour le mois d'août,
pour 1 'ensemble du pays tous secteurs
confondus, 4 000 emplois perdus, prerpier
solde négatif depuis quatre ans, alors que les
économistes prévoyaient 110 000 emplois
créés.
Quelques exemples parmi bien
d'autres: Novostar Financial va supprimer
37 % de ses effectifs ; American Home
Mortgage vire la quasi-totalité de ses sa
lariés (7 000); Lehman Brothers ferme sa
filiale BNC Mortgage et licencie 1 200 per
sonnes; Accredite Home Leaders, en sur
vie, supprime deux tiers de ses collabora
teurs; Senti na! Management Group et First
Magnus Financial (6 000 personnes licen
ciées) demandent à être mis sous la loi de
protection américaine des faillites. Selon
J'agence d'information économique e.t fi
nancière Bloomberg, il y aurait entre 70 et
84 dépôts de bi Jan d 'organismes financiers
pour le moment.
Propriétaires ... de dettes Quand le président Bush et son homo
logue français Sarkozy prétendent faire de
leurs pays respectifs des« nations de pro
priétaires» c'est de nation de« proprié
taires de dette» qu'il faudrait parler. Aussi
des millions de salariés, et même des chô
meurs, seront-ils mis en coupe réglée par
les banques et 1 'endettement« subprime
mort gage >> ; introduit à ses débuts pour
l'achat de taudis et de caravanes, le sys
tème s'est étendu rapidement aux appar
tements et maisons. Chaque petit proprié
taire pensant pouvoir spéculer à son niveau
en revendant plus cher sa maison, en réa
lité la plus grande partie d'entre eux se
ront surtout propriétaires de dettes, car la
chute des prix de 1 'immobilier et du foncier
va les pousser à vendre au plus vite, pour
poirs de promotion sociale dans les équipes
de nuit des centres d'appel, en vendant des
crédits à la classe ouvrière américaine ou
des plans de consommation d'électricité
pré payés aux pauvres du Royaume Uni. A
la porte à côté des milliers de migrants ru
raux déracinés par la crise agraire cousent
pour l'exportation en compétition avec leurs
frères et sœurs de misère au Bangladesh ou
au Vietnam. Et la course frénétique n'ar
rête pas: à la périphérie de Gurgaon la plus
grande ZES du pays est en construction
Mais dans 1 'industrie, les petites entreprises
représentent 40 % de la production industrielle
occupant 65% de l'emploi total
Plutôt qu'une vision d'ensemble, pra
tiquement impossible dans le peu de pages
dont nous disposons, nous ne donnerons
que quelques données sur la condition ou
vrière en Inde et un exemple parmi une
foule d'autres sur les conditions de travail
et les luttes dans une grande entreprise au
tomobile.
Quelques données sur la condition ouvrière en Inde
Dans les entreprises, plusieurs catégo
ries de travailleurs:
+ 1 'encadrement sous statut permanent :
dirigeants, contremaîtres, sécurité, em
ployés;
+ ouvriers sous contrat recrutés pour
un emploi professionnel défini et payés
selon cet emploi. L'accès à cet emploi peut
se faire après une période de formation de
6 mois à 2 ans, mais en pratique les patrons
font ce qu'ils veulent;
+ temporaires embauchés pour un
temps limité;
+intérimaires légalement supposés être
embauchés définitivement après 240 jours
de travail dans la même société- mais la
loi est facilement tournée. Dans beaucoup
Haryana
N
t d'entreprises, ils forment de 60% à 80% de
la fore~ de travail avec des salaires entre
1/8 et 116 du salaire des permanents.
Les salaires sont fixés d'après un mi
nimum légal dans chaque Etat. Dans le Ha
ryana, ce salaire est en mars 2007 d'envi
ron 2 500 roupies (environ 45 euros) par
mois pour 8 heures par jour et 4 JOurs de
repos dans le mois. Mais ce minimum n'est
nullement respecté. Un nettoyeur dans un
centre d'appel à Gurgaon. un ouvrier
d'usine à Faridabad ou un conducteur de
rickshaw à Delhi gagnent 2 000 roupies
(36 euros) pour 70 heures par semaine
(pour situer ce que signifie ces salaires,
1 kg de riz coûte 0,25 euros, une livre. de
lentilles 0,50 euro, le loyer mensuel d'une
chambre sans cuisine 20 euros). Les heures
supplémentaires au-delà de 8 heures par
jour devraient être majorées légalement de
100% avec un plafond de 50 heures par
trimestre. Mais en pratique, elles sont quasi
Illimitées et payées sans majoration. Sou
vent le paiement des salaires est différé
jusqu'au milieu du mois sutvant ou plus.
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 -25
Un système d'assurances sociales (Employee's State Insurance, ES!) garantissant maladie, accidents du travail et séjours hospitaliers ne s'applique officiellement qu'aux entreprises de plus de dix travailleurs pour tous ceux qui y travaillent (4,75% du salaire à charge de 1 'employeur, 1, 75 % à charge du travailleur. Mais différentes manipulations des paperasseries bureaucratiques font que la plupart des temporaires ou intérimaires ne peuvent en bénéficier et sont sans couverture santé). Em
ployee's Provident Fund (PF) ne garantit une retraite qu'aux travailleurs des entreprises de plus de vingt salariés.
Mais là aussi bien des travailleurs n'ont pas de documents officiels prouvant leur qualité pour faire valoir ces droits et ne reçoivent rien. De plus il y a souvent des plans pour se débarrasser des travailleurs âgés .. de plus de 35 ans (2)
Pour garantir le bas coût dans la reproduction de la force de travail, des<< avantages<< de l'ancien système capitaliste d'Etat ont été maintenus. Des cartes de rationnement permettent d'avoir accès à des « boutiques gouvernementales à prix contrôlés» oü, en principe, les plus pauvres peuvent se procurer à prix réduits les denrées de base : farine, riz. kérosène pour foyers domestiques. La délivrance de ces
(2) Un e\cmrk parmi d'autres de la manièn: dont sc font ces mises ù la retraite anticipée. Escorts a un ou\'rtCI permanent à trois an.;; de la retraite. Elle lui pn•posc un marchandage. embaucher son fils, si celuici remplit les conditions requises ct si le père accepte la retraite anticipée de trois ans en lui versant l'indemnité légale ùc -HlO 000 rourics (environ () 'iiiO euros) l'our être embauché définitivement, le _jeune doit :-.uhir une formation qui \'a lui coütcr
-100 000 rou ries, sans même garantie J'une embauche définitive. Lo" de cette embauche il percevra un salaire mensuel de 5 000 ù 7 000 roupies alors que son rère au moment Q.c sa mtsc ~1 la retraite perccYait 15 000 roup1cs
26- ÉCHANGES 122 -AUTOMNE 2007
cartes dépend des autorités locales et elles sont souvent un instrument de corruption politique.
Les syndicats sont étroitement liés à des partis politiques. Parmi les cinq plus grands :
- AITUC, << Ali lndia Tracte Union Congress >> le pl us ancien et 1 'organisation centrale en Inde. affilié au Parti communiste de l'Inde;
- CITU « Centre of India Trade Unions>>, une fédération nationale liée au CPI(M), Parti communiste de 1 'I·nde (marxiste) fondé en 1970;
Il serait trop long d'expliquer la complexité des situations, de la présence éventuelle des syndicats dans les grandes entreprises lorsque cela apparaît nécessaire pour l'encadrement des travailleurs trop revendicatifs ou de leur exclusion totale parfois avec violence, leurs liens et manipulations politiques.
Mais le fait est que la grande majorité des travailleurs, précaires s'il en est, ne peuvent faire valoir un droit quelconque en raison, pas tant de l'absence de syndicat que d'un rapport de forces qui laisse carte blanche aux patrons petits et grands dans l'exploitation du travail.
H. S.
Bientôt la césarienne
mulé comme prévu les investissements productifs: mais les familles américaines en ont profité pour s'endetter davantage au moyen de crédits hypothécaires. Ces crédits leur permettant de disposer d'une manne financière pour continuer à consommer au-dessus de leurs moyens (4).
Tout fut fait pour que davantage de citoyens américains empruntent de l'argent, même ceux à qui leurs revenus ne permettaient pas de le faire. Les fameux prêts immobiliers à risque (subprimes) vont se développer de manière exponentielle jusqu'à la débâcle financière d'août 2007.
Cette crise n'est une surprise pour personne. Tout le monde savait que la bulle immobilière allait crever, mais personne ne pouvait dire quand, ni envisager le mon-
(4) Depuis la récession de 2001, la baisse des salaires réels américains est un fait, qui va jouer négntivcment sur toute la partie du salariat concerné par ks prêts h;'pothécaircs ù taux variables. Le salaire stagne ou baisse alors que les traites augmentent. li arrive vite un momcn~ oll k grand écart n'est plus possible. <.~lors \c drame des non-remboursements commence, a\t'C les con5équences que nous évoquons.
0 m (/) if>
z Gl m :0 "p
:Il 0
tant de la future dé
valorisation tïnancière internatio
nale. La sonnette d'alarme était ré
gulièrement agitée par les économistes, qui ne cessaient de dire que le capital fictif avait dangereu-sement décroché de
1 'économie réelle: celui-ci atteignant maintenant trois
~ fois le PIB mon-o
dia!, alors qu'il
était en 1980 équivalent à ce PIB. Comme un fil invisible relie l'ensemble
des dettes privées et publiques de la planète, la moindre survenance d'un impayé à
un endroit ébranle plus ou moins fortement tout le système financier globalisé. C'est ce que nous constatons depuis quinze ans : les crises financières s'enchaînent à la cadence d'une tous les quatre ans. Les Etats. éternels garants de la reproduction du capital, sont alors contraints d'intervenir par le truchement de leur banque centrale pour sauver la reproduction du capital lui-même et sa représentation qui est 1 'argent et son
système financier global. Alors, comme toujours en pareil cas, le
capital fait le choix de liquider les marchandises et les forces productives pour sauver la représentation du capital luimême, c'est-à-dire son rôle fictif (5) ré-
(.5) Le« capital rtctir)) est en fait un non-G}pital, c1u st:n:-. oü, pour les mJ.rxistcs, seul a valeur de capital le cJpital argent engagé dans la rroUuction de plus-\aluc. On ar pelle« capital fictif>> la valeur du caplti.il J~ prêts sur des revenus anticipés, non C\Îstants, virtuels. ne pouVJnt sc réaliser. ct qui donc doivent se dévaloriser.·
ÉCHANGES 122 - AUTOMNE 2007 -51.
ÉCONOMIE
LA CRISE VUE D'EN BAS
L'impossibilité pour des ménages insolvables de rembourser des prêts immobiliers qui leur ont été consentis en masse aux Etats-Unis entraÎne, par une réaction en chaÎne, une débâcle qui ne touche pas seulement cette économie " fictive " que sont les produits monétaires, mais touche aussi J'économie réelle et détruit nombre d'emplois. Le pire de la crise est cependant à venir
L r. H:UDI 9 AOUT, la banque française
BNP Paribas a décidé de geler trois
fonds de placement composés de titres
liés à des prêts immobiliers américains« à
risques>>, en raison de la crise connue aux
Etats-Unis en rai son de ces " su bpri mes >>,
des prêts hypothécaires consentis à des mé
nages peu solvables ( 1 ). Cette décision
d'une banque n'a été que le signal en France
d'une crise financière généralisée, les
Bourses du monde entier accusant de fortes
baisses et les banques centrales se voyant obli
gées d'« injecter >>de fortes sommes dans les
circuits financiers, c'est-à-dire d'avancer
de l'argent aux banques. Cette crise finan
cière aux nombreuses répercussions éco
nomiques sera sans doute de longue durée.
Pour comprendre cette crise et ce qui
se passe aux Etats-Unis actuellement, il
faut remonter à la ïécession de 200 l, et à la
( l) L·c,rression amént:ain~ combine dt.:U\ termes.« su~
rrirn::: ~,est un terme hancairc: banques et assuranct:s
c!J~SL:nL leurs clients en<( non-prime)),<< prime>> et« sub
pri mc ,, , ~elon les ri:.qucs cs ti més de ùéfai lia nec de ['cm
pruntcur. Lt.:s « suhprimcs )) sont les plus potentielle
ment défaillants (en France cc systèml.! n'existe pa . ..,
ufficJcllcmcnt mais les \.ariJ.tions des taux d'assurance agissent en réalité sur le montant total de J'intérêt); quant au mut" mortgagc ».il s1gnifie hypotheque. On pcullraùuin.: •< suh,)rime mortgage » par<< crédil hypothécaire ù risque>>.
50- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
débandade de la nouvelle économie (2).
Cette année-là, la Réserve fédérale (Fed,
la banque centrale américaine) a été
contrainte de réduire onze fois les taux
d'intérêts en moins de douze mois- ce qui
ne s'étaitjamais vu depuis 1961. Pour re
lancer la consommation (3), la Fed baissa
en juin 2003 ses taux d'intérêts à 1 %, très
en dessous du taux d'inflation.
Mais si le crédit facile résout en appa
rence les difficultés du moment, il ne fait que
reporter le problème à plus tard, et donc
réduit la demande future, qui pâtit en plus
du paiement de l'intérêt que les banques
réclament. La triche du crédit facile arri
vera vite en bout de course et, si jusqu'à la
fin juin 2004, la Fed maintint des taux bas.
elle reprit à partir de cette date le chemin
du crédit cher- et son principal taux di
recteur, le loyer de 1 'argent au jour le jour,
qui était de l % en mai 2004, est au
jourd'hui de 5,25 %. Force était de consta
ter que la baisse des taux n'avait pas sti-
(2)" Nouvelle économie>> est le terme utilisé puurdésigncr l'économie Je J'information el des nouvelles technolo
gies, Internet.. (3) L'Etal fédéral a abaissé fortement le tau.\ dlmposition des ménages ct accordé un amortissement fiscal accéléré aux entreprises qui investissaient entre .JUin 2003 cl décembre 2004. La relance par la consommation à enSdit a tout au plus maintenu le tau.\ de consommation.
SÉCURITÉ ET LIBERTÉ
DE NOUVEAUX MURS
N OUS AVIONS TENTÉ de montrer, SOUS le
titre<< Murs virtuels ou murs réels>>,
dans le no 120 d'Echanges, comment
s'édifiaient dans les sociétés capitalistes
<< modernes >> à la fois des murs réels, bien
matériels et/ou des murs virtuels, ceux-ci
non visibles et pas du tout imaginaires. Tous
ces<< murs» donnent l'illusion d'une sé
curité garantie d'une pseudo-liberté dans
un espace restreint. Mais, dans le même
temps, cet espace, cette<< liberté», sont soi
gneusement enfermés dans un réseau le plus
souvent virtuel d'une surveillance de tous
les instants dans un luxe de fichiers, de
caméras et autres contrôles informatiques
-un autre mur peut-être beaucoup plus dan
gereux que les murs matériels.
La liste s'allonge avec de nouvelles
«murailles de Chine>> destinées, en prin
cipe, à prévenir des invasions pacifiques
de migrants non désirés.
Murailles bien réelles avec 1 'idée de
construction d'un mur de 473 km entre la
Tt•rquie et le Kurdistan irakien pour empê
cher 1 'incursion de séparatistes kurdes ré
gulièrement en conflit avec 1 'armée turque,
m3is aussi pour empêcher les Kurdes ira
kiens de se mêler à leurs frères turcs ; ou
encore avec le projet de construire le long
des 900 kilomètres de frontière entre 1 'Ara
bie saoudite et l'Irak une barrière électri
fiée. En plus petit, mais à relier aux murs
déjit construits un peu partout pour isoler
les classes sociales ou les communautés, la
construction par les Américains à Bagdad
d'un mur réel de 1 km de long pour sépa
rer les quartiers ch ii tes et sunnites de la ca-
pitale, comme si cela devait résoudre les
affrontements que leur présence entretïent
et devant lesquels ils doivent s'avouer im
puissants.
Dans la même direction de l'isolement
d'une couche ou classe sociale déterminée,
avec une fonction économique autant que
sécuritaire, l'extension des zones écono
miques spéciales (ZES) qui, parties des an
ciennes << zones franches >> portuaires oc
cidentales, ont fleuri en Chine pour se
répandre dans le monde entier et plus ré
cemment en Inde (voir page 19). Elles ap
paraissent d'ailleurs, avec un souci plus
grand de sécurité et de contrôle des tra
vailleurs qui y sont surexploités, comme le
prolongement sous d'autres formes des
zones industrielles et/ou commerciales Ins
tallées à la périphérie des villes, vidées de
l'entremêlement d'usines et d'ha bi tati ons
qui était autrefois la caractéristique du tissu
urbain -et pas seulement dans les ban
lieues.
Dans l'érection des murs virtuels, on
peut voir la prolifération des lois destinées
au contrôle de 1 'immigration dont les der
niers avatars sont le contrôle génétique et
l'exigence de connaissance du français
avant l'entrée sur le territoire, afin de mettre
une barrière au regroupement familial des immigrants.
Dans 1 'accélération de l'enfermement
national ou individuel, chacun p.eut ajou
ter sa pierre à cette liste qui, comme nous le
soulignions dans l'article cité d'Echanges,
ne fait que témoigner de la vulnérabilité du
système capitaliste. •
ÉCHANGES 122 -AUTOMNE 2007-27
1 ::~é: LES PUBLICATIONS
Etats-Unis + " Après la grève générale,
calme précaire en Guinée",
dans Le Prolétaire no 484-485
(mai-septembre 2007).
Philippines + Dans A Contre Courant
no 186, août 2007 · " Philip
pines : violences contre des
grévistes "·
Immigration + " Laws, Raids and Depor
tations · Immigrant Workers
Face Crackdown , (Lois,
raids et déportations · lestra
vailleurs immigrés devant une
dure répression) (en anglais)
dans Proletarian Revolution
no 80 (automne 2007) (copie
à Echanges).
+ " Derrière les rafles et la
xénophobie spectaculaires,
marché des ombres, marché
de dupes " · les faits et mé
faits de la chasse aux clan
destms en France. Dans
CQFO no 48, (septembre
2007)
Une seconde révolution industrielle en Caroline du Nord Alors que les Etats-Unis pa
raissent ravagés par les dé
localisations, par le poids de la
dette extérieure et les vicissi
tudes de la spéculation im
mobilière (voir page 50), ce
pays affiche des taux de crois
sance respectables Laques
tion que l'on peut se poser est
de savoir d'où est tirée son
act1vité économique actuelle.
Si nous accordons une place
particulière à l'article suivant
du quotidien américain Wa
shington Post, titré " L'essor
de la biotechnologie montre
que l'industrie est encore la
clé de l'économie améri
caine", c'est qu'il apporte un
début de réponse, même si
ce reportage est limité à un
seul Etat. la Caroline du Nord.
" Jusqu'à la fin des années
1950, le long bâtiment en
briques dans le centre de la
petite ville de Pittsboro [comté
de Chatham] hébergeait
l'usine textile (bonneterie)
Kayser-Roth, écrit le journa
liste, Peter S. Goodman.
Quelque 400 travailleurs,
dans le bruit des métiers, y fa
briquaient des collants. ,
28 - ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
L'entreprise a aujourd'hui dis
paru, comme bien d'autres
sociétés textiles de Caroline,
dans une réorganisation glo
bale qui a concentré cette pro
duction en Asie et en Amé
rique latine. Mais la vieille
usine en briques est encore
debout, occupée par une so
ciété de biotechnologie, Biolex
Thérapeutics.
"Quatre-vingt-dix personnes
travaillent à J'aide de coûteux
équipements de laboratoire
pour traiter des lentilles d'eau
venant des mares voisines,
afin de produire un médica
ment utilisé pour traiter les
problèmes du foie. Même le
moins payé des techniciens
du labo ramène à la maison
beaucoup plus que ce que
pouvaient gagner les ou
vrières du textile. Si cette nou
velle entreprise prospère, elle
sera beaucoup plus rentable
que la confection des collants.
Alors que les législateurs ten
tent de concevoir des lois pour
amortir le choc des ferme
tures d'usine et que la réduc
tion de certaines industries
devient un des sujets de
débat de la campagne pour
l'élection présidentielle de
2008, on peut penser que
l'économie américaine vit la
mort de J'industrie manufac
turière. Mais la reconversion de
imposant ses vues pour son compte
>>.Cela semble particulièrement spé
cieux, car d'une part le capital a tou
jours. par une voie ou une autre, les
moyens d'imposer son idéologie (il ne
peut fonctionner sans un mélange de
contrainte et de consensus) et d'autre
part l'information n'est jamais qu'un
instrument entre les mains des repré
sentants du capital, et ne possède nulle
ment cette autonomie qu'ils lui prêtent
elle est encore moins« une force organisée
>> (la récente élection présidentielle
pourrait parfaitement illustrer cette do
mination du capital sur les médias).
Nous devons arrêter là ce débat car.
à notre avis il peut se poursuivre éter
nellement sans arriver à une conclusion
1 es << tél éol agi ens >> sem bi ent assem
bler tant d'éléments à notre avis dispa
rates qu'il faudrait des pages et des
pages non seulement pour contester leurs
analyses des faits (dont ils n'ont
connaissance. comme nous pour 1 'es-
sentie!, qu'à travers J'information) mais
pour rejeter les liens qu'ils peuvent éta
blir entre des événements si différents.
Bien sûr, tu peux continuer ce débat
(. .. ).
H S.
Chazé et les Allemands D'un camarade français (mars 2007)
« ... J'ai dévoré la brochure sur Chazé
(Militantisme et responsabilité). Et ai
retrouvé dans ses souvenirs de guerre (la
fraternité avec des Allemands de base)
la même banalité que ceux de mon père qui
"ne fut que" prisonnier de guerre.
D'ailleurs, le point de vue démocra
tique occidental sur la responsabilité col
lective du peuple allemand souffrait
d'une contradiction de taille: comment
une dictature totalitaire aurait pu béné
ficier de l'assentiment de ceux qu'elle
terrorisait. Vieux débat que Chazé
illustre à merveille avec la chair de ses
souvenirs ... >>
a Les désastres de la
guerre "• de Goya.
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007-49
parentent à une libération totale et peu~
vent faire penser à ce que serait un
monde communiste. Mais ce n'est nul~
le ment spécifique à 1 'émeute. De plus,
vu les circonstances extrêmement di~
verses et le type de société où se pro~
duisent ces émeutes, celles~ci ont des
caractères très différentGême sj elJe
expriment pour un court m()me_n~t __ 5ette
li~on, libér~tion très différente
selon la société dans laquelle l'émeute sur~
git. Il semble y avoir un certain para~
doxe à décréter que seuls les premiers
moments J'une émeute valent la peine
J'une considération et d'y consacrer des
pages et des pages d'analyses sur leur
signification A relire ce que les« té~
léologues, pouvaient écrrre il y a plus
de quinze ans sur les émeutes de ce
temps. on peut relativiser ce qu'ils peu~
vent dire aujourd'hui.
Voici par exemple ce qu'ils écri~
vaient dans leur bulletin n" 2 de mai
1991 au sujet de la France:<< Mais c'est
en France où 1 'émeute depuis si long~
temps absente, est revenue et dans des
secteurs si variés et si complémentaires,
qu'avec un peu plus de recul que le
nôtre, on doit forcément penser que c'est
l'ensemble des Français qui se sont em~
brasés, comme aux moments les plus
glorieux de leur passé: en mars. les co~
Ionisés assistés de La Réunion. au large
de Madagascar, ouvrirent le bal, les pay~
sans s'y joignirent à la fin de 1 'été. imi~
tés par les banlieusards lyonnais en oc~
tobre. puis les lycéens parisiens, vite
submergés par les banlieues de la capi~
tale en novembre. enfin les ouvriers mi~
neurs de Lorraine en finirent en dé~
cembre avec la courtoisie sociale .. Car
la con~lusion et la plaisanterie de cette
année si dense qu'on doive en résumer
48- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
malheureusement chacun des formi~
dables assauts contre la loi et la sérénité
imposées, aura été le "Mondial" de foot
ball.. >> [Remarquons par ailleurs leur
absence de réaction après novembre
2005.1 -Quant à considérer la révolution
iranienne de 1979 comme Je mouvement
fondateur de notre époque, c'est, à mLJn
avis une autre absurdité: aucun événe~
ment n'est historiquement fondateur de
quoi que ce soit. Le 14juillet 1789 ou
la révolution d'octobre 1917, même si
ces dates sont devenues des repères my
thiques, n'ont jamais constitué le point
de départ de quoi que ce soit~ chacune
a été un événement parmi tant d'autres
marquant une évolution historique qui
avait débuté quelquefois des siècles au
paravant et qui s'est poursuivie des dé
cennies après (par exemple il a fallu près
d'un siècle après Je 14 juillet 1789 avant
que la bourgeoisie française consolide
définitivement son pouvoir sur 1 'aristo~
cratie foncière tenant de la monarchie).
D'ailleurs, considérant l'événement en
question (la révolution iranienne) en lui~
même, nous ne pensons pas gu' i 1 ait été
fondateur de quoi que ce soit à l'échelle
du dév~~-lllent capitaliste nwndial. -Le rôle que l-es- téléologues attn
bue nt à 1 'information, comme une sorte
de processus autonome entièrement dé
taché de tout le système capitaliste. Sans
insister sur ce point (le rôle de l'infor~
mation dans la domination idéologique
du capital) ce qui nous semble très
contestable. c'est ce qu'ils appellent«
1 'effondrement de 1 'idéologie marxiste»
(qui pour juste que ce soit est formulée
assez vaguement pour penser à un rejet
du marxisme) qui amène" 1 'émergence
de l'information comme force organisée
ce vieux bâtiment de briques
souligne qu'en dépit des fré~
quents sombres pronostics, l'in~
dustrie manufacturière améri~
caine est sous bien des aspects
plus forte que jamais.
Les Etats~ Unis fabriquent plus
de produits manufacturés que
dans aucune période de leur
histoire si on mesure cette pro~
duction en valeur dollar (ajus~
tée pour tenir compte de l'in~
flation) ~trois fois plus que dans
le milieu des années 1950, sup~
posées être le sommet de la
prospérité de l'industrie améri~
caine. Entre 1877 et 2005, la
valeur de la production indus~
trie lie américaine s'est accrue de
1 300 milliards de dollars pour
atteindre le record historique
de 4 500 milliards de dollars,
selon les chiffres du Bureau of
Economie Analysis.
Avec moins de 5% de la popu~
lation mondiale, les Etats~Unis
sont responsables depuis des
décennies de presque un quart
de la production manufacturière
globale mondiale. Les Etats~
Unis sont la plus grande unité in~
dustrielle mondiale, loin devant
le Japon, son seul rival pour ce
titre, et dont l'importance a dé~
cliné. La Chine se développe
mais représente seulement en~
vtron un dixième de la produc~
tian industrielle mondiale.
Mais si cette image est plus
brillante que certams le pen~
Vu de Grèce Nous avons reçu le dernier numéro de TPTG (Ta Paidia Tis Galerias} (en grec, avec la présentation suivante: + TPTG contient d'abord un long texte sur les causes profondes de la grève des enseignants du primaire qui dura six semaines (septembre-octobre 2006}. Y
figurent aussi le tract que nous avons distribué durant cette grève, et ceux que nous avons distribués au cours des longues luttes des étudiants contre l'entrée des entreprises dans le secteur universitaire, de mai 2006 à mars 2007 ; +un texte encore plus long consacré au mouvement
social en France 14an passé. Nous pensons que votre brochure La Révolte des cités françaises est un des meilleurs écrits sur le sujet. Nous avons utilisé la chronologie qui y figure dans une série de textes sur le mouvement social en France: l'histoire de la précarisation des relations de travail en France depuis
les années 1970; une chronologie de la lutte anti-CPE
et quelques notes sur le mouvement étudiant, que nous considérons comme un mouvement de la classe ouvrière ; l'histoire des lois sur l'immigration en France depuis les années 1970 ; une chronologie des
émeutes de banlieues (basée sur la vôtre et celle de Mouvement communiste} ; une traduction de
" Incendies sans paroles '' de Charles Reeve ; nous avons aussi beaucoup emprunté aux ouvrages dont nous dressons la liste page 122 ;
+ un texte, " La guerre contre le terrorisme est une guerre contre la classe ouvrière par d'autres
moyens ••, sur la crise aux Etats-Unis au début des
années 2000, la guerre consécutive à cette crise, à la fois contre la classe ouvrière américaine et celle du Moyen-Orient, et les luttes récentes en Amérique. Nous discutons sur le point de savoir si l'hégémonie américaine arrive ou non dans une crise terminale (ce que pas mal prétendent) ; +le texte final est un entretien avec l'auteur italien Nan ni Balestrini sur littérature et lutte de classe, le mouvement des années 1970 en Italie ... et bien plus.
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007- 29
,-1 sent, l'industrie américaine 1 subit néanmoins des chan
j gements fondamentaux qui
1 exercent une énorme pres-
Sion sur les travailleurs.
Les importations augmentent
et représentent maintenant un
tiers de toutes les marchandises consommées dans le
pays, alors qu'elles n'en for
maient que 10% dans les an
nées 1970.
Les exportations américaines augmentent plus vite que les
importations mais les entre
prises doivent subir avec la
Chine, l'Inde, le Brésil et des
douzaJnes d'autres pays à
bas salaires une intense compétition jouant sur les prix ( ... ).
Les industriels do1vent modi
fier les chaînes de production
pour les rendre plus efficaces,
substituant des machines à la
force de travail partout où cela
est possible.
Le résultat en est que si la
production industrielle ne dé
cline pas, l'emploi industriel
s'est contracté dramatique
ment. Après avoir atteint un
sommet en 1979 avec 19 millions de travailleurs, l'indus
trie américaine n'emploie plus
que 14 millions de travailleurs,
le chiffre le plus bas depuis
1950.
( .. ) En 1973, plus de la moitié
des Amér'lcains ouvriers d'In
dustrie n'avaient pas terminé
leurs études secondaires et
seulement à % avaient fré-
quenté une université, selon
la National Association of Ma
nufacturers. En 2001, près de
la moitié ont terminé leurs
études secondaires et un
quart sont allés à l'université.
Nouveaux secteurs La Caroline du Nord est un
modèle des forces qui remo
dèlent l'industrie manufacturière
américaine Entre 2002 et
2005, l'Etat a perdu 72 000
emplois industriels, dont les
trois quarts dans le textile,
l'ameublement et l'électro
nique, selon la Commission
de Caroline du Nord pour le
développement de l'emploi.
En même temps, l'Etat a
connu une croissance remar
quée de nouveaux secteurs
industriels rentables comme
la biotechnologie, les produits
pharmaceutiques et les tex
tiles sophistiqués
Comme ils doivent se battre
dans cette mutation, lestra
vailleurs de la Caroline du
Nord tout comme les proprié
taires d'usines doivent ré
pondre à une question immé
diate quel est l'avenir de
l'industrie aux Etats-Unis?
Le reportage s'attache en
suite au personnage de Mi
chael K Dugan, un ancien fa
bricant de meubles en bois
sculpté de Spruce Pine, an
cienne ville minière de l'ouest
de l'Etat (comté de Mitchell).
Il a employé jusqu'à 1 000 tra-
30- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
vailleurs, la plupart sans di
plôme et parfois illettrés,
payés environ 14 dollars de
l'heure (12 euros) avec des
garanties santé et vieillesse.
Les chambres à coucher Hen
redon se vendaient au détail environ 5 000 dollars (4 000
euros) au début des années
1990. Quelques années plus
tard, les mêmes modèles ve
nant des Philippines se ven
daient 2 000 dollars (1 600 euros). Maintenant on tes
trouve à 799 dollars (640
euros) produites par des tra
vailleurs de Chine qui ne ga
gnent pas plus de 40 cents de
l'heure (30 centimes d'euro).
La fermeture de l'usine éli
mina les 350 travailleurs res
tants qui vinrent gonfler la
vague de licenciements du
comté de Mitchell, qui a vu un
cinquième des emplois ba
layés depuis 2000, selon la
Commission pour l'Emploi en
Caroline du Nord. La plupart
des devantures des bâtiments
de briques du centre de
Spruce Pi ne sont vides. Les
restaurants et les boutiques
sont fermés, ayant succombé
à la mort du pouvoir d'achat
local. Les jeunes vont cherher
du travail ailleurs. "Ici il y a
Wai-Mart et c'est tout. ,
Pendant vingt-six ans, Philip
Wilson a travaillé chez Hen
redon comme maître sculpteur sur bois. Maintenant, il se
lève avant l'aube pour gagner
par d'autres qu'eux-mêmes (par lestra
vailleurs eux-mêmes).
Les téléo/ogues et la
" Bibliothèque des émeutes " Nous ne connaissions pas les <<té
léologues »et la<< téléologie» tout au
moins dans ces termes qui sonnent à mes oreilles comme une sorte de secte. Le
sens du mot téléologie- <<Etude de la fi
nalité>• «Science des fins de l'homme••
et <<Doctrine qui considère le monde
comme un système de rapports entre
moyens et fins••- et ce que tu en décris
ne nous en apprend guère plus.
Mais la fin de ta lettre et cette réfé
rence à la révolution iranienne comme
acte fondateur du début d'une ère nouvelle
m'a fait personnellement ressouvenir de
brefs contacts que j'avais eus au début des
années 90 avec la« Bibliothèque des
émeutes''· J'ai même conservé les premiers numéros de leur publication
quelque peu luxueuse et montrant une
connaissance approfondie de l'informa
tique. Comme nous procédions à une re
cherche intensive des luttes partout dans
le monde, leur quête, bien que ciblée dif
féremment, nous avait alors semblé suf
fisamment identique à la nôtre, même
indépendamment des critiques que je
pouvais déjà leur faire, pour justifier des
contacts, ne fût-ce que pour un échange
d'informations de base.
J'ai effectivement rencontré dans
cette période une jeune femme à laquelle
j'ai exposé les positions d'Echanges et les
fondements de notre collecte d'infor
mations en proposant cet échange d'in
formations. Un refus clair et net fut la
réponse avec l'affirmation catégorique que
la lutte de classe ne les intéressait nul
lement.
Chacun en resta là; j'ai continué à
acheter les numéros de la<< Bibliothèque
des émeutes"· et même acquis trois volumes (que je ne retrouve pas, les ayant
prêtés) détaillant Jeu1·s positions théo
riques. Je pense que j'ai cessé de m'y
intéresser à la fois parce qu'il apparais
sait que nous n'avions rien de commun et parce que leur publication cessa de
paraître. Je ne savais pas qu'ils étaient
passés d'un recensement des émeutes et
à leurs analyses d'une théorie plus glo
bale bien que cela se trouvât sans
doute dans les documents que je viens
de mentionner.
Je dois dire que le peu que je sais des
positions que tu mentionnes et qui se trouvent déjà dans le bulletin no 1 Bibliorhèque des émeurcs ne nous incitent
guère à aller plus avant; je ne mention
nerai que trois points: -«L'émeute est le seul moment pra
tique où J'aliénation est critiquée comme
1 'organisation d'une société qui empêche
tout débat sur la finalité de l'humanité.
Dès qu'une émeute est organisée, elle cesse d'être une émeute .. elle n'est
qu'un jaillissement de v1e sans
conscience .. le seul mouvement de pen
sée plus rapide que 1 'aliénation .. " Le
reste est de la glose sur cette affirma
tion péremptoire. A mon avis, cela ne
tient guère debout. Tout mouvement so
cial, émeute ou pas, s'inscrit dans. un
processus historique avec une cause et
ne tombe pas du bleu du ciel: elle s'ins
crit dans un processus dialectique avec
des forces qui, d'une manière ou d'une
autre, vont tenter de la faire disparaître
par la répression ou l'intégration (qui
n'est qu'une autre forme de répression)
Il est évident que toute lutte, tant qu'elle
dure, présente des caractères qui 1 'ap-
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007-4 7
les grands syndicats ont contrôlé les mou
vements de base s'est considérablement
modifiée: l'apparition au cours ùe luttes sous des formes diverses d'organismes
spécifiques de lutte et de ce que 1' on pour
rait appeler une démocratie de base les a
contraints, pour tenter de garder ce contrôle et accomplir leur fonction de mo
difier leur pratique. Si j'insiste sur cette
question, c'est qu'elle n'est que la consé
quence de l'évolution globale à laquelle
j'ai fait allusion ci-dessus et qui influe
également sur l'analyse que tu livres des
relations entre !CO et I'IS.
Sur ces relations (tu as raison de sou
ligner que s'il n'y eut pas relations di
rectes il y eut quand même débat pratique), j'aborderai la question par une
constatation: pourquoi les deux groupestendances ont-ils disparu dans l'après-
1968, comme si l'un et l'autre ne répon
daient plus à une situation nouvelle, figés
qu'ils étaient dans des débats appartenant à un autre âge') Si j'ai une
réponse pour !CO, je n'en ai pas pour I'IS. mis à part ce que les situs eux-mêmes (individuelle
ment et non collectivement) ont
pu écrire à ce sujet. A mon avis,
d'après les rapports personnels de ceux qui ont approché le CMDO ( 1) en mai 1968 (certains
y ont même participé). leur pra
tique apparaissait assez contra
dictoire avec ce qu'ils pouvaient prôner par ailleurs et s'apparentait
plus à l'activité de ceux qu'ils criti
quaient qu'à quelque chose d'innovant. Même si ce débat peut m'intéresser,je le
laisse volontiers à ceux qui auraient le
loisir de l'approfondir.
Le véritable débat, et c'était au cœur
des critiques de I'IS vis-à-vis d'ICO, ne
portait pas tant sur les pratiques de 1' IS (jus
tifiant une certaine forme de rejet), mais
le concept même de groupe et de son activité (le débat sur ce point se prolon
gea au sein même d'ICO après 1968). Il
n'était d'ailleurs pas un des moindres pa
radoxes de I'IS, que son refus (justifié)
d'être une organisation politique, et la
construction dans 1 'événement d'une structure ayant un but défini et par
ailleurs le fait de se poser en quelque
sorte comme les gardiens du temple ré
volutionnaire, formulant des jugements
sur les organisations existantes qui ne ré
pondaient pas à 1 'organisation modèle,
dont ils affirment souhaiter la création
( l) Le Comité pour k maintien des occupatiun\ (CMDO) rCunitjusqu'd son autoùisso
lllllun. le l.ijuin 196R. (( ks situationnistes. !c'i Enragés. et de ln.::ntc ù sot :xante autres ré\Olutionnaircs conscillistes )) (/S n° 12,
p. 23), retranchés dans l'Institut national pétLtgngiquC'""'<..lu'ils occuraicnt rue J'Ulm.
Emeute aux Tuileries, le 10 août 1792.
46- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
Caroline du Nord.
en voiture son nouvel emploi,
gardien de la maison de cor
rection de moyenne sécurité de Mountain View. Sa paie a diminué de 15 %, ce qui le
contraint à prendre un second
travail dans un magasin de
matériel d'occasion.
Dans tout l'Etat et à vrai dire
dans tout le pays, les ouvriers
licenciés sont pratiquement
assurés de retrouver du tra
vail, mais la plupart du temps
avec une paie diminuée.
Selon une étude publiée en
juin 2002 par le Justice and Cornrnunity Development
Center de Caroline du Nord, les ouvriers qui avaient perdu
leur emploi industriel en 1999 et 2000 gagnaient six mois
plus tard seulement 72% de
leur précédent salaire.
Programmes d'Etat Dans nombre d'industries de
main-d'œuvre, si les usines ne peuvent s'automatiser,
elles disparaissent L'indus
trie textile a été particulière-
ment agressive. Il y a cin
quante ans un ouvrier de Ca
roline du Nord surveillait cinq machines à la fois, chacune
d'elles étant capable de tirer un
fil dans un métier cent fois à la minute. Maintenant les ma
chines tournent six fois plus
vite et un seul travailleur en
surveille cent. Les machines se
trouvant de plus en plus au
centre de la production, les chefs d'entreprise recher
chent pour le contrôle des tra
vailleurs instruits et de grande
expérience.
Pour répondre à ces besoins et aider les travailleurs à re
trouver un emploi sûr, la Ca
roline du Nord a organisé des
cours spéciaux dans les ly
cées de l'Etat
Il y a trois ans, l'Etat a créé Bionetwork, un programme de formation basé dans les lycées pour fournir des tra
vailleurs qualifiés au secteur
grandissant de la biotechnologie. "Toutes les qualifica
tions sont étroitement liées au
poste de travail ", déclare
Norman Smit, le directeur du
recrutement de Bionetwork Srnit cherche des étudiants dans les zones industrielles
sinistrées. D'après lui, avec
une formation intensive et une
volonté de s'adapter, un ou
vrier du textile ou de l'ameu
blement peut devenir un tech
nicien biotech bien payé. ( .. )
Les économistes suggèrent que c'est l'avenir de l'indus
trie américaine . partir de zéro
pour fabriquer des marchan
dises de grande valeur utili
sant les avances technologiques des Etats-Unis, ce qui peut compenser le coût élevé
de la force de travail. Cette
stratégie a alimenté un boom
des exportations des produits
industriels américains . rnachines, matériel divers, aéro
spatial, produits pharmaceu
tiques.
L'Etat de Caroline du Nord
s'est lancé dans cette voie de façon agressive, poussant au
développement de la bio-
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 ~ 31
1
technologie. Depuis dix ans,
selon le North Carolma Blo
technology Center, le nombre
de sociétés de biosciences
est passé de 131 à 386, et le
nombre de travailleurs dans
cette branche de 20 000 à 47 000 Dans le complexe de Re
search Triangle Park, proche
de Raleigh-Durham, Biogen
Idee a établi un des plus
grands sites de biotechnologie
des Etats-Unis, fabriquant des
produits pharmaceutiques très pointus. Les débutants
ayant reçu la formation re
quise gagnent de 27 000 à
1 35 000 dollars par an (de
19 000 à 25 000 euros). Les
travailleurs expérimentés
peuvent se faire considéra
blement plus.
Le Washington Post décrit en
suite l'exemple de Glen
Raven Custom Fabrics, une
autre société textile de Caro
line du Nord reconvertie dans
des matériaux textiles spé
ciaux pour le mobilier urbain,
les navires et les bâches- des
matériaux coûteux qui né
cessitent une clientèle spéci
fique, une expertise technique
et des machines perfection
nées.
A la place des 225 travailleurs
qui à Norlina fabriquaient
avant 1990 des articles de
bonneterie, poussant à la
vaille urs manipulent les ordi
nateurs qui contrôlent des
mètres et des mètres de ro
bots et de bobines. En 2006,
la Caroline du Nord a exporté
pour 52 millions de dollars (40
millions d'euros) de textiles et
autres dérivés vers la Chine,
cinq fois ce qui était exporté
en 2003.
Les usines chinoises utilisent
de plus en plus les matériels
produits par Glen Raven pour
faire des parasols et de
l'ameublement de salon. Leurs ouvriers gagnent moins
en un mois que le prix d'un
parasol chez un détaillant
américain. Le succès de Glen
Raven autonse la société à payer à ses travailleurs amé
ricains de 10,50 à 22 dollars de
l'heure (de 7 à 15 euros) avec
en plus les avantages santé
et retraite. Même avec ces sa
laires, le coût du travail ne re
présente finalement que 5%
du coût total de la transfor
mation de la fibre en tissu.
" Pour le dire d'une autre
façon, conclut le journal, l'ef
ficience des machines qui ont
éliminé des emplois a permis
à Glen Raven de payer aux
travailleurs restants suffi
samment pour se permettre
d'avoir des voitures, une mai
son et une assurance santé.
Quelques-unes de ces mai-
. main des panerées chargées sons avec des patios et des
~_:ylon, aujourd'hui 157 tra- pelouses s'abritent du soleil
32- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
avec des parasols fabriqués
en Chine avec des matériaux
produits juste un peu plus bas
dans la rue. "
+ Dans Street Voice no 79,
toujours des nouvelles ·et
textes des exclus des rues de
Baltimore avec quelques slo
gans comme " Make waves,
not graves " (" Faites des
vagues, pas des tombeaux ")
ou " War is not the answer .. But what is the question
? " (" La guerre n'est pas la
réponse ... Mais quelle est la
question?"). POB 39521, Baltimore, Md
21212, Etats-Unis; courriel .
[email protected]. En anglais,
copies à Echanges).
+ " Who is running the
show ? " (Qui mène le bal ?), un article sur la classe domi
nante aux Etats-Unis, dans
Left Business Observer no 115 (31 mai 2007).
gardes organisées ont fait place à des
avant-gardes diffuses. ce qui rejoint les
conséquences de l'individualisation dans
l'organisation du travail et la précarisa
tian.
Il en est ainsi en particulier du rôle des
syndicats que tu soulèves dans ta lettre. Il
est certain qu'objectivement, les syndi
cats jouent toujours le même rôle d'inter
médiaires dans les relations capital-tra
vail et la fixation du prix de la force de
d'exercer même la fonction réformiste qui
leur était dévolue. Ce qui fait que la distance
entre la base des travailleurs (membres ou
pas) et leur bureaucratie s'est accrue d'au
tant, renforçant leur pouvoir légal et la
connaissance par cette base de leur fonc
tion réelle dans le système (je ne men
tionne pas ici J'existence de syndicats pa
rallèles très minoritaires. une situation
très spécifique à la France). Au cours des
trente dernières années, la manière dont
travail. Mais là Emeute à la Constltuci6n
aussi, les conditions
dans lesquelles ils
exercent cette fonc
tion ont été grande
ment modifiées, ne
fut-ce que depuis
1968. D'une part ils
subissent les consé
quences de 1 'évolu
tion des structures
du capital (dispari
tion de ce qui était
leurs bastions tradi
tionnels), de l'indi
vidualisation dans
1 'exploitation qui en
résulte et de 1 'effri
tement du rôle qu'ils
pouvaient jouer dans
l'information su~ les
conditions d'exploi
tation et les luttes.
D'autre part, comme
pour tout ce qui re
lève de l'activité
politique, la mon
dialisation et acces
soirement la consti
tution de l'Union
européenne font res
sortir leur incapacité
~ Un VOUP't brlle une fen!tre ~ de b Sa.lla d'attenttl ct
19_45 commonco .i rlnc~ndlcr. ------""11
~ A~; Burt";;~.u dos lnfornu.(lont.
~ 1;~. poUc~ et le1. cmplo~\ \·c,Jul<'nt
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EU<' briS<' lt'1 pon~et les lf'ICfl'\dle.Ellt
]t'tl:~ uM thOtO
au leu.
9
Comment s'est passé l'émeute de la gare Constituci6n, à Buenos Aires,
le 1." novembre 2005. Ce schéma illustre le récit d'un Argentin paru
dans" Cette semaine" n• 93 (août 2007), qui rappelle d'autres
événements semblables (Temperley, Argentine, 21. juin 2007, Gare du
Nord à Paris, mars et septembre 2007, Santiago-du-Chili, août 2007 ... )
en ajoutant: " La vraie question reste la même que celle concernant le
grand incendie de novembre 2005 en France : non pas pourquoi ça
explose, mais pourquoi ça n'explose pas plus souvent ? "
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 -45
même, je crois que leur démarche, leur mé
thode apportent quelque chose, et que leurs
textes (certains sont publiés, tous sont sur Internet) sont intéressants au moins à titre informatif, voire pour en faire une critique
de fond (j'en suis moi-même incapable, et
me contente de tenter de bien les com
prendre- pas seulement par pure curiosité
intellectuelle, mais aussi et d'abord parce que je me sens concerné par le problème
pratique qu'ils abordent, tout comme pour
Echanges).( ... )
Questions anciennes, conditions nouvelles
Réponse :
F. C.
Il est tout à fait normal que tu ne
prennes pas pour du bon pain ce que nous
pouvons écrire. Même si une brochure
comme celle sur les relations entre ICO et
I'IS est le reflet de ce que certains d'entre
nous ont alors vécu, nous n'estimons pas pour autant anormal que d'autres, au nom
de leur expérience présente, puissent en
tirer d'autres conclusions. Il est bien cer
tain que les questions d'alors sur les re
lations entre travailleurs et intellectuels,
sur le rôle de la théorie, sur la diffusion éventuelle de cette théorie restent tout à
fait d'actualité mais il est tout autant évi
dent que les réponses peuvent se modi
fier en fonction de l'évolution actuelle
des rapports de production, des structures
du capital et de la lutte des classes consé
cutive. Si, fondamentalement, la société ca
pitaliste fonctionne sur la même base de l'exploitation du travail et de l'accumulation. ce ne sont pas seulement 1 'en
semble des techniques de production et
J'exp<rllsion du capital (à la fois géogra
phiquement et en profondeur) qui ont pu
44- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
modifier ces données concernant les re
lations capital-travail. Mais aussi, pour
tout travail militant ou tout simplement pour la connaissance des faits sociaux (et
leur analyse critique éventuelle), l'ir
ruption de ces mêmes techniques a consi
dérablement modifié les réponses aux
questions ainsi posées.
-on peut sans aucun doute critiquer
1 'utilisation par le système des médias, mais les innombrables possibilité d'accès
à toutes sources d'information mo di fie
sensiblement la connaissance des faits
y compris ceux de la lutte de classes
même si cette profusion d'information
est la cause d'une grande confusion qui nécessite un travail de confrontation et
d'analyse critique;
-il en est de même de la théorie. De
même qu'il y a un libre-service dans un su
permarché de 1 'information, on trouve
tout sur Internet, dans le supermarché de
la théorie alimenté tant par des groupes que par des individus. S'il y a confrontations
et débats, où cela mène-t-il, car qui y a
accès et en fait autre chose qu'un passe
temps (par exemple dans une activité mi
litante ou tout simplement dans son com
portement face à l'exploitation)'!
-la connaissance étendue des faits et
de la théorie par ces nouveaux canaux a
considérablement réduit le rôle que s'as
sumaient les organisations tradition
nelles, partis et syndicats grands ou petits,
ce que l'on peut aussi relier à l'élévation du niveau global de l'instruction. Ce
qu'ils prétendaient faire par la propagande liée à l'action et à 1 'intervention, un travail de formation et d'éducation (de recrutement bien sür) en gros d'« éléva
tion de la conscience de classe>> est battu
en brèche par cette connaissance paral
lèle aisément accessible. Les avant-
FRANCE
LA DESCENTE AUX ENFERS
OU LA LUTTE
Loi anti-grève, règlements diminuant les prestations de la Sécurité sociale et enchérissant le coût de la santé, suppression de postes dans l'éducation, promotion de valeurs morales, réapparition de l'inflation ... La liste est longue des projets du gouvernement, auxquels seule la lutte pourra s'opposer
LE GOUVERNEMENT Sarkozy-fillon-La
garde veut aller vite, très vite dans ses réformes anti-sociales, dans sa mise
au pas des salariés. Depuis le mois de mai le gouvernement n'a pas chômé et Chris
tine Lagarde, ministre des Finances, est
montée au créneau pour affirmer:« Nous
nous sommes engagés dans une course pour
faire rentrer notre pays dans le XXI' siècle.
C'est, sachez-le, une cause que nous allons
courir à fond et qui durera cinq ans. >>Et
effectivement tous les projets inspirés du
rapport Camdessus de 2004 (1) sont votés en enfilade: après le Sénat, l'Assemblée
nationale a approuvé le 18 juillet la loi dite
«contre la récidive>>, puis la loi sur les universités, puis la loi anti-grève sur le<< service minimum>>, etc.
( l) Le Sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France. rapport du groupe de travail présidé par Michel Cam dessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, 200-+. Disponible en volume à la Documentation française, pour 6 euros, ou gratuitement en PDF à 1 'adresse Internet http:/ilesrapports.ladocumentationfmnçaisc.fr/BRP/044000498 /OOO.pdf- Nous avons évoqué déjà cc rapport à propos des lict:ncicmcnts cl des indemnités de chômage (Echon~es 118, automne 2006, p. 58) ct à propos du contrat unique (Echanges n' 120, printemps 2007, p. 10). (2) C est tout le système de la hiérarchisation des textes ct du principl: de faveur qui est remis en cause. C\~st surtout la durée du travail (actuellement de 35 heures hebdomadaires
Après avoir fait en sorte qu'un accord
d'entreprise puisse se substituer- à la baisse -aux conventions collectives (loi Fillon) (2),
on met sur le grille code du travail et le droit
de grève. En ce qui concerne la santé, après
l'absurdité du médecin traitant, nous passons
à l'éternel déficit, voulu, de la Sécurité so
ciale, qui fait bien l'affaire de la Cades (3).
Chaque fois qu'une nouvelle mesure anti -so
ciale est appliquée, le gouvernement cherche
à la justifier au nom d'un humanisme pré
tendument <<solidaire » et << responsable >>.
Pour mémoire, les 15 000 décès consécutifs
à la canicule de 2003, que le gouvernement Raf
farin a fait payer aux salariés en supprimant
le lundi de Pentecôte habituellement chômé. Durant sa campagne électorale, Nicolas Sar
kozy avait lancé l'idée d'appliquer des fran-
annualisées) qui est visée par la loi Fi lion , La Trib11ne du 10 août le confirme: "La durée du travail légale, nationale et interprofessionnelle ayant été supprimée, chaque entreprise est désormais libre de déterminer par accord avec les organisations syndicales, la Jurée Ju travail qui convient le mi eu\ à son activité.)) Cet article du code ùu travai 1 n' e\ istc pas encore ... Mais qu'en sera-l-i 1 en 2012 ? 0) La Caisse d'amortissement de la delle sociale (Cades) chargée de gérer la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) a été créée pour" une durée de treize ans ct un mois à compter du 1 ".Janvier 1996 "·Voir" CSCJ ct CRDS, un racket permanent de l'Etal fran<;ais »,
Echanges n' Il 0 (automne 200-+).
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -33
chises pour financer la Sécurité so
ciale et<< responsabiliser>> les ma
lades. Comme l'idée avait scandalisé.
et que les élections étaient proches.
l'idée fut mise en réserve, comme
d'ailleurs celle de la TV A sociale.
Sarkozy est revenu à la charge
après avoir été élu président de la Ré
publique française. C'est mainten<ll1t
le cancer et la maladie d'Alzheimer
qui servent d'alibi pour faire passer
la pilule des franchises. Voici donc
annoncée l'application d'une fran
chise à hauteur de 50 euros par an et
par assuré social, à travers un méca
nisme touchant chaque médicament
et chaque acte paramédical. Le but
officiel de 1 'opération étant de finan
cer un plan de lutte contre le cancer
et la maladie d'Alzheimer à la hau
teur de 850 millions d'euros.
Pas besoin de donner des argu
ments chiffrés ou autres petites ré
formes pour dire qu'il s'agit d'unnou
veau racket, dans la continuité de la
politique de déremboursement des
médicaments.
Au regard des critères fixés par le traité de
Maastricht, les déficits sociaux font partie
des déficits publics. Les gouvernements na
tionaux sont donc conviés, par la nomenkla
tura européenne dont ils sont 1 'exécutif. à
transférer une part de plus en plus importante
des dépenses de santé vers les assurances
complémentaires. tout en laissant une charge
de pl us en plus importante au compte des pro
létaires (chômeurs, précaires, retraités). Dans
tous les pays européens, patronats et gou
vernements mènent des offensives contre les
systèmes de protection sociale.
Même le FMI s'est inquiété des consé
quences sociaJes à moyen terme de ce<< trans
fert du risque patrimonial (de pertes) vers les
34- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
·.]
0 m (/)
!!' z C> m :0 )> :0 0
"' )> 0
particuliers , . « Alors que les banques, les
assureurs, et les fonds de pension cherchent
à réduire la volatilité de leurs bilans( ... ).
toute une série de risques, traditionnellement
gérés par ces instances, passent directement
au secteur des ménages >> (La Tribune du
6 avril 2005) .
Dès l'automne 2004, le ministre de la
santé d'alors, Jean-François Mattei, s'est at
telé à faire aboutir sa réforme de 1 'assurance
maladie en créant le « Haut conseil de J'as
surance-maladie >>qui doit exécuter cette
tâche. Il n'hésitera pas à reconnaître que le dé
ficit « le trou de la Sécu >> provient entre
autres de ce que le patronat bénéficie de mul
tiples exonérations de cotisations sociales: au
rarchie (par un certain point en tout cas) en
son sein. Je ne crois pas qu'il faille y voir
un élément léniniste: l'IS n'était pas un
parti, encore moins de masse, et l'exclusion
en eile-même ne se présentait pas comme
une infamie mais comme le rétablissement
formel de relations d'indépendance. La to
lérance et la liberté dans ICO se justifient
évidemment aussi; elles permettent d'être
plus nom breux. de ne pas se priver de l' ap
port de personnes moins disponibles, etc.
Encore une fois. cela dépend de ce qu'on
\·eut faire ensemble.
C'est un peu comme le style tranchant,
l'emploi de l'insulte, une autre caractéristique
de I'IS très étrangère à !CO. On comprend,
et vous l'expliquez, la position de relative
ment vieux militants identifiant cette atti
tude à !:1 violence et au sectarisme des sta
liniens. Mais l'intérêt de systématiquement
refuser d'éluder les désaccords entre ceux
qui tiennent des positions plutôt proches est
de pousser chacun à l'approfondissement.
à la vérification, plus fmctueuses sans doute,
pour la recherche théorique en tout cas. Là
encore, il s'agit au fond de définir le mini
mum d'accord pour travailler ensemble en
fonction de ce que l'on veut faire, de sa fin.
A propos des " téléo/ogues "
Je voudrais. à propos, vous parler d'une
autre de mes lectures- j'ignore si vous les
connaissez : les téléologues. Ce groupe a
a priori beaucoup de divergences, impor
tantes, avec Echanges (beaucoup de théo
rie, langage, rejet du matérialisme, orga
nisation, style ... ). Mais ille rejoint aussi
sur certains points fondamentaux: l'ob
servation, la recherche de connaissance du
" négatif dans l'histoire », de la cri tique
pratique, bref des luttes. est leur point de dé
part, et ils y reviennent constamment Leur
élaboration théorique, dense et,, difficile »,
n'est pas faite pour tourner à vide, pour
elle-même. Je crois donc que la critique
d'idéalisme qui leur a été faite ne tient pas.
Leur méthode est très intéressante : le dé
tournement systématique des médias. de
l'information dominante. Leur recours à
daull·es types d'informations est secon
daire, ce qui a l'avantage d'être exhaustif
dans la recension qu'on peut faire à partir
des médias (ce n'est pas si facile que
cela ').Par rapport à ICO, leur observation
est donc bien sûr beaucoup plus condi
tionnée par les médias (et la critique qu'ils
en font) mais aussi plus globale, mondiale.
Cela s'explique bien sûr par l'abondance
récente d'informations sur toutes les ré
gions du monde. et Echanges n'est pas en
reste ; mais leur relevé systématique des
récits d'émeutes est inédit, et leur permet
des analyses inédites. Par rapport à l'lS.
ils vont donc bien plus loin, en se concen
trant davantage qu'elle sur cette observa
tion systématique. Leur référence à 1' IS est
en partie critique, par exemple sur laques
tion de J'antitravail individuel (voir leur
critique du<< modedevitisme >>).
L'un de leurs apports est donc la rel:1tion
et l'analyse de certains faits. qu'on ne
trouve pas ailleurs- c'est aussi la raison
pour laquelle je vous parle de ce groupe.
La révolution iranienne de 1979 constitue
par exemple, selon eux, le moment fonda
teur de notre époque. Le rôle d'Internet. et
notamment lndymedia, est analysé et critiqué
à propos de l'Argentine en 2001-2002 (1).
Au-delà donc (ou en deçà; peu importe)
de l'intérêt qu'on peut ou non ressentir à
discuter et critiquer cette téléologie elle-
( 1) On trouve les te.\tes des téléologucs sur les sites
www .http://w\\'\\ .tclculogic. org
ct \\'\\'W .http://www .bel !esc mot ions.orf!
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 -43
l'expérience. Je ne connais pas assez l'his
toire d' !CO : est-ce qu'elle a produit cette
sorte de conceptualisations en prise avec l'expérience qui fournissent de la force aux luttes., Ou bien y avait-il séparation entre
des récits informatifs d'un côté et des dis
cussions abstraites sur l'avenir (Conseils
ouvriers, etc.) de J'autre~ ( ... )Je crois aussi que l'idée cl' organisation
est plus" contemporaine,, chez ICO que
chez l' JS, mais il serait trop long d'expliquer
tci ce que j'en pense.( ... ) Je t'envoie ci
JOints deux textes :dans le premier (en fran
çais. mais pas cians une traduction défini
tive), j'essaie avec une copine à moi de
rendre compte et de réfléchir sur l 'expé
rience politique d'" accompagnement >'des victimes des attentats du 1 1 mars 2004 à Madrid (une expérience assez étrange peut
être): le deuxième (cette f01s en espagnol)
est la préface à une anthologie cie textes de
Daniel Blanchard (4) qu'on vient de publier
chez Acuarela (là j'exprime quelques idées
sur le rapport entre théorie et pratique).( ... )
Sur" /CO et 1'/S " : " Le problème de l'égale participation de tous "
A.
C 'est la /ectllre de la brochure /CO et
1'/S qui m'a fait m'intéresser à !CO
( ... ).Puisque vous m'y invitez, et
aussi parce que ce que vous pouvez répondre
m'intéresse, je vous livre quelques com
mentaires. Je précise que ceux-ci ne se fon-
i-l) Uaniel Blanchard, poète, traducteur de Murra) Bookchin. fMrttcipa à Socialtsmc ou Harharic sous le rscudun; mc de P C<Jnjucrs ct rédigea en 1 (.)60 a\ cc Guy l)eborù le~ ((Préliminaires pour une définition de
l'unité ùu programme révolutionnaire}). Cc texte csL rcprodurt n<J!amment Jans Daniel Blanchard. Dcbord dan' ft' hnut de ia cataracze Ju temp.\. éd Sens~\
lon ka, 2000 Voir références de ces tntcs p. 72
42- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
dent pas sur une expérience particulièrement
intéressante et qui me donnerait qualifica
tion spéciale, seulement sur ma vie de tous les jours et la réflexion politique qui 1 'ac
compagne. La plupart des questions soulevées par ·!CO
restent d'actualité: celle des relations entre
un groupe constitué et animé hors d'une
lutte intense et massive et les« gens nor
maux» ou en tout cas les autres; celle de
l'importance et du rôle de la théorie (com
prise comme tentative de compréhension,
d'analyse rigoureuse et cohérente du monde)
et de l'observation et de l'information sur
les luttes dans le monde (qui d<;ent être le
pot nt de départ et de confrontation constante
avec toute théorie). Le contenu des numéros d'ICO m'a aussi
paru intéressant à titre dcumentaire, sur
l'histoire sociale de son époque (grèves,
conditions de travail, rôle et évolution des syn
dicats à l'époque, etc.). Et on peut dire.que
beaucoup de choses n'ont pas vraiment
changé depuis- rôle des syndicats et autres
organisations existant en dehors des luttes, par exemple. Il y a aussi le cumul des dif
férentes sources d'information: expérience
directe des participants sur leur lieu de tra
vail. renseignemenb obtenus par enquête et
par la presse. Sur la question de l'organisation à adopter par un groupe indépendant de
luttes particulières, je crois qu'il ne faut pas
conclure (pour !CO ou pour l'IS, par
exemple) sans prendre en compte le but
qu'un tel groupe se donne. Même si, comme vous le dites, il n'y eut
que communication imparfaite entre !CO et 1' IS, on pourrait di re qu'il y a eu débat pra
tique, par l'existence de chaque groupe et leur confrontation. Le problème de l'égale
participation de tous se posait dans 1 es deux
cas, mais pas pour faire la même chose. L' IS a utilisé l'exclusion afin d'éviter toute hié-
Qu'est-ce que la TVA sociale ?
La presse aux ordres titre : " Sécu : taxer la
consommation plutôt que le travail ? , ou
bien :" Nous pouvons évoluer d'un système
taxant la production à un système taxant les
produits, ce qu'ont déjà compris le Danemark et l'Allemagne» ... Ils n'étaient pas élus, que
déjà les principaux candidats à l'élection pré
sidentielle parlaient de nouvelles taxes et no
tamment de TVA sociale (Sarkozy et Bayrou
notamment).
Qu'est-ce donc que cette TVA sociale (1)?
C'est une sorte de continuité avec la CSG
que nous devons au socialiste Rocard. le pre
mier à avoir de ce fait commencé à fiscaliser la sécurité sociale (2).
Vous aurez compriS, qu'il s'agit de faire dis
paraître progressivement le salaire différé des
salariés, pour en reporter la charge sur les
produits de consommation qui augmenteront
de ce fat! Le sénateur UMP Philippe Marini
propose de relever la TVA de 19,6% à 25%.
(+ 5,4 %). Les gouvernants pensent en lai-
total 19 milliards d'euros pour 2002, près de
Jeux fois le déficit annoncé, environ 8% du
budget de la Sécu' En fait, c'est le déficit du
paiement patronal des cotisations qu'il s'agit de combler.
Alors l'Etat se retourne contre les ma
lades, qui devraient être« responsabilisés>> (4).
Pour éponger le déficit patronal, se souvenir
des mesures de l'année 2004: hausse du forfait hospitalier, augmentation de certaines
taxes ou déremboursement de médicaments ( 6 17
(-l) Dans le cadre de la réforme de l'assurancc·mala
die, les contrats complém.:ntaires santé doivent (depuis janYicr 2006) être" responsables». lin nouveau tcrml:,
4ui signifie nous faire payer notre irrc~ponsahililé.
sant ce transfert lutter contre les délocaltsa
tions en baissant le coût du travail, et rafler
la plus-value de 1 'économie souterraine (15 %
du PIB). Mais il y a plus grave :ils vont aussi
commettre le hold-up du siècle, en taxant ré
troactivement les économies des classes po
pulaires et des classes moyennes de France, qui devront payer 5,4 % plus cher tout achat
qu'ils auraient pu faire avant (seulement taxé
à 19.6% ou 5,5 %).
Non seulement les satanés se font escroquer,
mais que dire des retraités. chômeurs,
Rmistes .. ?
( 1) Vous remarquerez que toutes les saloperies se feint
avec l'adjectif" soc1al "(plan soc1al. contribution
sociale. CSG. contribution au remboursement de la
dette sociale ... ) Nous finissons par ha ir le social 1
(2) Les cotisations sociales n'assurent plus que 60 %
des ressources de la Sécurité sacrale contre 90 %il
y a vingt ans. Il veulent après les élections faire bas
culer 200 milliards d'euros de cotisations sur la TVA.
réductions de remboursement et clérembour
sement complet de 84 médicaments). La mise
en place pour certains médicaments du« tarif forfaitaire de responsabilité>>, qui, sous cou
vert de développement des génériques, baisse
le remboursement de 450 médicaments. Et ce
n'est pas fini: le !er mars 2006,282 spéèia
lités seront ajoutées à la liste: aujourd'hui,
c'est l'instauration de franchises.
La loi anti-grève est votée En mettant tous les fers au feu en même
temps, le gouvernement pense pouvoir dis
perser les répliques qu'il craint. Dans ce cadre
il s'attaque à la<< grève>> qu'il veut régle
menter de nouveau et réduire à néant- en gé-
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007 -35
néralisant la loi anti-grève des transports à
d'autres secteurs. Cette loi anti-grève, donc,
a été votée à 1 'Assemblée nationale le 2 août
2007 par 96 voix pour, 22 contre, 0 absten
tion. Sachant qu'il y a 577 députés à l'As
semblée nationale. nous voyons que même
sur le terrain de la légalité bourgeoise nous
avons affaire à une bouffonnerie.
Le texte de la loi prévoit diverses nou
velles mesures applicables aux entreprises
de transport pour rendre le droit de grève in
opérant et finalement mettre la grève hors la
loi:
«Art 3- Délai de prévenance et« obli
gation de négocier" qui imposent un délai
pouvant aller jusqu'à onze jours entre
1 'appel à la grève et son déclenchement. In
terdiction des préavis successifs sur le
même sujet.
Art 5- préavis individuel de grève:
Obligation de se déclarer gréviste deux jours
avant, au risque de sanctions pour les sala
riés.
Art.6- Possibilité pour la direction ou un
syndicat non gréviste d'organiser une
consultation après huit jours de grève, pour
en contester la validité. »
Comme le fait remarquer l'ex-inspecteur
du travail Gérard Filoche:<< Cela fera de la
grève, d'un acte collectif, entraînant, soli
daire, un parcours individuel, dissuasif. sélectif.
Des millions de salariés le savent: "Ce genre
de loi. y' a qu'une saleté d'ami de taulier de
choc pour inventer cela.">>
Les syndicats mis au secret Les syndicats étaient au parfum, depuis des
lustres, que le patronat et le gouvernement
allaient de nouveau passer à la vi tesse supé
rieure pour valoriser la valeur travail et donc
extraire plus de travail gratuit sur les sala
riés. Les syndLcats maintenaient la paix sociale
et entamaient des négociations secrètes avec
36- ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007
le patronat. Pour se dédouaner du Waterloo
social, ils ont organisé. le 31 juillet 2007, une manifestation de façade, un véritable pé
tard mouillé, histoire de culpabiliser les ad
hérents qui ne se déplacent plus. Aussi les
lois Pécresse, Dati, Bertrand ... seront-elles
votées à la chaîne au Parlement sans aucune
opposition.
Sous le titre<< Un accord bien balancé»,
Le Monde du 10 juillet révélait que le Medef
et les syndicats français étaient parvenus.
après dix-huit mois de négociations et quinze
réunions confidentielles, à un" relevé de dis
cussions». Pas plus secret que les autres, cet
accord, non formalisé par un écrit, relèverait
d'une tradition de« dialogue économique»
qui remonterait au Commissariat du Plan
(1945-1952) de Jean Monnet, tradition ré
activée par Laurence Parisot dès son él ec
tion à la tête du Medef en 2005. Ce n'est pas une découverte, il y a belle
lurette que le<< dialogue social» tripartite
s'opère dans les salons parisiens et même à la
Mutualité. L'accord est non écrit pour ne pas
mouiller les syndicats, mais tout le monde
peut se faire une idée de son contenu en li
sant le discours de Christine Lagarde à l'As
semblée nationale du 10 juillet 2007. Ce discours en appelle à l'union natio
nale : « Mettons nos intelligences en com
mun au service de la France, au lieu de les
dresser les unes contre les autres. Il ne sert
à rien de se chamailler quand il est 1 'heure
de travailler.» Puis elle prononce tout un
plaidoyer visant à défendre des valeurs : la
valeur travail, la démocratique, la républi
caine, l'économique et la sociale.
Après avoir reconnu une valeur chère,
celle qui produit la richesse pour les riches et
la pauvreté pour les pauvres, elle s'en prend
à Paul Lafargue et à son li v re le Droit ·à la
paresse, qu'elle oppose à Alexis de Toc
queville, pour finir par sortir: «Le grand pa-
tuationniste n'est pas
« bolchevique >> ma1s
,, artistique». A l'image
des surréalistes. l'ISse
prenait par une sorte
d'« unité mystique » qui
monopolise le sens et
1 'intelligence révolution
naires. L' IS identifie la
subjectivité révolution
naire avec la subjectivité
artistique et la considère
non comme un processus
mais comme une totalité
idéale, un donné absolu.
C~:He publimi de; lo:r. -C1l:tt~,:~··Eumi~ (rt~ 1'?-G7) évo_q~c_oftJs. lU~t'llo_ll_~~:~i:t l:t.gl::.cDtion de:_ ù.. 'oo't.~ _!,-..,1t~·îd~!_h: _qui:~~c:~t. ry:n~Cl'-'""" rJI'lll$ (~ ·p_enp~:ctj:tç: spo:t;~t.UIAJra :.1~ V!"~O't ::~H;:. d~nnoe. ~ vl'l~~ ~l~~·••.t~Î!:~trnem comn1.i!·-t..ouv4ni.-.)"'Ù Cil!~~ rp:t.:i<Jilsulon .dl! ta.-t·~·~~ r~u-i·l~t-. tr.o:;~v~ SQ.Uf!:'IIS::: l.:~rd~~ mu~~r~ d:'u-n ~r't:cni '::~teti~~lfl.~ C'fl perrn.n'~r'lCt. ·~c:. !.<::rhf::O ù.( !.o vi~ Opt _êt.t. p!'rd:J~ cn~1h';..:l,
L'IS- d'abord l'IS,
puis son comité central.
et finalement Debord
incarne cette subjectivité.
D'où le fait que l'IS ne
soit pas capable de dialo-" La domination du spectacle sur la vie " : extrait de la revue Internationale situationniste, no 11 (octobre 1967), p. 57.
guer avec tous ceux qui
n'étaient pas identiques à elle-même (et
cela dans un groupe qui théorise sur la
puissance subversive du dialogue face au
spectacle').
les ouvriers, et ceux-ci étaient inspirés par
l'exemple des premiers, les deux se rencon
trent parfois, à Censier par exemple).
En tous cas, si je crois que les générali
tés de Le Giou (2) furent idéologiques, ce
n'est pas parce qu'il aurait été hors du circuit
de production (je ne pense pas que le mou
vement des droits civiques ait été idéolo
gique, par exemple), mais plutôt parce qu'il
ne parlait pas à partir d'une pratique réelle 1
Dans son livre sur les situationnistes
(3), l'Italien Mario Perniola a très bien ana
lysé comment la racine du sectarisme si-
(2) Jacques Le Giou, producteur de cinéma. alors jeune membre du" Groupe révolutionnaire de Ménilmontant n, intervint à des rencontres organisées en 1967 par
llO. Voir /CO er /'!S. op. cir .. p. 20 ct sui l' (:l) Mario Perniola. 1 Sirua~innisri. Roma. Castelvccchi. 1998, 200'i. cl 15. L'A!icnaz)one arrisrica. Milono, Mursia, 197l,trad. fr. L'Aliénation artistique, Poris. LIGE 10118, 1977.
Pourtant, la sui-référence narcissiste de
l'JS était loin d'être stérile: ses membres
ont reniflé et théorisé beaucoup de phéno
mènes et de tendances de leur époque.
même si leur lien avec la réalité n'était pas
fait à partir du« témoignage ouvrier».
Mais c'est aussi vrai que leur théorie
conserve toujours une présomption diri
geante :elle explique la révolte incons
ciente qui a lieu ici et là-bas (Watts, etc.),
et la révolution devrait tout simplement
l'exécuter après en termes pratiques.
Je trouve que la procédure d' !CO est
plus intéressante (et actuelle): l'idée que la
théorie vient des mouvements politiques
mêmes. que la théorie doit être« le point de
vue des luttes». J'union entre la théorie et
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007-41
CORRESPONDANCE
Réactions à la brochure« !CO et l'JS »:«Etaient-elles incompatibles,
la critique de la vie quotidienne et la critique du système d'exploitation 'J »,p. 40
« Le problème de 1' égale participation de tous. »,p. 42 + <<A propos des
tdéologues, p. 43, et réponse :<<Questions anciennes, conditions nouvelles>>, p. 44
Sur u /CO et 1'/S , : u Etaient-elles incompatibles, la critique de la vie quotidienne et la critique du système d'exploitation ? " D'un camarade espagnol de la revue
<< Archipielago »:
J 'Al PU fiNALEMENT lire la brochure ( ... )
sur les rapports entre !CO et 1 · IS ( l ),
très intéressante 1 Merci, il ne s'agit
pas d'un simple règlement de comptes his
torique (à la seule attention des fétichistes,
parmi lesquels je m'inclus'). mais elle es
saie de ti rer de cet épi sode-là des problèmes
politiques actuelles: la tension entre la théo
rie et la pratique. la question del 'organisa
tion. les points possibles de politisation et de
lutte (le travail, la vie quotidienne, etc). On
ressent le pulse militant de celui qui 1 'a écrit
Je crois que les problèmes dont tu parles
sont toujours d'actualité, même si parfois
les conditions<< objectives>> ont changé:
Je pense que la production et la reproduc
tion sociale ont une tendance à se confondre
auJourd'hui l'une avec l'autre, la plupart
de ceux des travailleurs précaires qui ont
mené des grèves dans des call-centers à Ma
drid sont allés à 1 'université, la culture et
l'information sont devenus des secteurs éco
nomiques clefs. etc.
(! J !CO et f'JS. Rerour liU' /('1 rc!utLons entre lnfor
mullni/S cr~rrespvnd.unn· uuvrii:res ct 1'/ntr!rnatwnale
.liruarionnl.;te. d'Henri Sirnun. Echange::; ct Mouve
ment. octobre 2006.
40- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
Je crois qu'on pourrait parler déjà d'un
nouveau type d'aliénation et de malheur
qui a beaucoup à voir avec l'instrumenta
lisation de ce qu'il y a de plus intime: le lan
gage, les affections, les dispositions
éthiques (l'obligation de mentir pour les
travai lieurs des call-centers, par exemple),
les capacités créatrices, la pensée, etc.
Peut-être que\' un des problèmes que
les<< formes>> des prédateurs de 1 'JS ont
empêché de poser est celui qui parle des
points de politisation. On dirait qu'ICO
considérait (de façon juste à ce moment
là, je crois) qu'il y avait un processus au
cœur de la société capitaliste (exploita
tion), un lieu privilégié de l'action poli
tique (l'usine) et un acteur fondamenta·l (le
prolétariat).
L'IS, malgré ses références un peu
vagues et très générales au prolétariat en tant
que sujet de l'histoire, invitait à penser
(comme Socialisme ou Barbarie [Sou 8] de
puis 1963 '1) qu'il y avait aussi d'autres
<< points de politisation >>possibles, à savoir
:l'art, la ville. la communication, la culture,
les rapports, la sexualité, l'université, le
désir, etc. C'est peut-être la raison pour la
quelle l ïS était en prise plutôt avec les gé
nérations les plus jeunes '1 Cela pourrait peut
être expliquer l'influence durable de l'IS '1
Etaient-elles incompatibles, la critique de
la vie quotidienne et la cri tique du système
d' exploitation " En 1968, ces deux cri tiques
avaient toutes les deux besoin de 1 'autre,
n'est-ce pas vrai? (les étudiants cherchaient
tron comme le petit employé savent ce que
cela signifie, une journée de boulot. >>
Après cette tautologie, la valeur républi
caine se résume par<< 1' égalité des chances >> ;
elle est en dessous de celle de la Française
des jeux ou de « Gagner des millions » ; la
valeur économique est circonscrite à« On
ne peut plus croire que travailler moins per
met de travailler mieux. Il faut travailler pl us
et mieux. »Les 35 heures au pilori, la chasse
aux glandeurs est ouverte. Quant à la valeur
sociale, elle se résume par:« Retroussons
nos manches. >>
La rentrée sociale La rentrée sociale s'annonce extrême
ment tendue et les CRS vont pouvoir gagner
plus et cogner plus et mieux en faisant des
heures sup, mais, problème, cela va creuser
le déficit de 1 'Etat... L'Education nationale,
elle, va devoir lutter contre la suppression
programmée de Il 000 postes ...
L'inflation (qui devait théoriquement être
terrassée par les<< libéralisations>>, les« dé
réglementations >>,la« concurrence >> ... )me
nace de nouveau et pour une période durable.
La flambée de plusieurs matières premières
agricoles (céréales, graines oléagineuses,
protéagineuses). Leur prix a augmenté de
40 % à RO % en une année. Les conséquences
ne vont pas se faire attendre : les prix du pain,
des pâtes alimentaires, des biscuits, des
pizza ... ainsi que ceux de 1 'huile, de la mar
garine et d'autres graisses vont subir des
hausses de 3% à 10%.
La ha usse des prix de ces produits de base
va se répercuter sur les volailles (le groupe LOC
[Loué et Le Gaulois) procède déjà à une
hausse de prix des volailles de 4% à 5 %).
La filière lait est elle aussi victime de la
politique de pénurie organisée et réglemen
tée par 1' Union européenne (5), parce que les
tmsts poussent à réglementer pour empêcher
les cours de s'effondrer. Alors les produits
lai tiers devraient eux aussi prendre 4 % de
hausse. En Allemagne, selon 1 'institut ZMP.
spécialisé dans le calcul des prix des produits
agro-alimentaires, les prix des produits laitiers
devraient s'envoler. La Fédération allemande
de 1 'industrie laitière a ainsi estimé que le
prix d'une plaquette de beurre allait grimper
de 50%, celui du fromage blanc de 40%, et
celui du litre de lait d'environ 10% à 20%.
A cela il faut ajouter la TV A sociale, qui
devait s'appliquer dès l'automne, mais est
provisoirement reportée pour les raisons sui
vantes : « La dégradation de la conjoncture rend
plus difficile de céder dès 1 'automne à la ten
tation d'instaurer cette mesure, qui transfé
rerait en partie le financement de la protection
des entreprises vers les ménages via une
hausse de la TV A, en échange d'un allé·ge
ment des cotisations patronales pesant sur le
travail. C'est qu'avec le resserrement du cré
dit consécutif à la crise des "subprimes'' (6)
une hausse de la TV A pourrait porter un coup
au seul moteur valide de 1 'économie fran
çaise, la consommation » (La Tribune du
5 septembre 2007, p. 25).
Gérard Bad
août-septembre 2007
(5) Bruxelles a longtemps été préoccupé pat· les montagnes
Je hcurre ct de poudre de lait qui pesaient sur le budget
Je la Communauté. La production Je lait Je la cam
pagne 2006-2007 (aHil-mars), avec 121i milliards de
litres, a atteint son ni\ cau de collecte le plus bas de
puis quinze ans.,, Il manque un milliarJ dt litres. es
sentiellement en Allemagne ct t:n france <•, aflïrmc
M. Picot. La France. Ucu\Îèmc pa) s producteur avec 2
milliards de litres fournis par 3,8 millions de vaches ct
100 000 producteurs. n'arrive même plus ù réaliser le maxi
mum du quota qui lui a été accordé jusqu'en 2015
(6) Subprimcs pour« suhprimc mortgage ''·crédits
hypl)thêcaircs J risques. ces prêts accordés J des mé
nages insolvables dont le non-remboursement entraîne
la crise financière <lctuclle (voir page 50).
ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007 -37
CRISE, UNION NATIONALE
ET BRUITS DE BOTTE
Même si des propos ministériels disant en substance qu'il fallait se préparer à la guerre ont été démentis, ils s'inscrivent dans Je climat de " guerre contre le terrorisme " et de la diffusion de peurs mal définies. Questions
H istoriquement. chaque fois 4u'une crise profonde menace la domination capitaliste et impose une des
truction de valeur, capital constant et capital variable, une des issues est la guerre sous une forme ou sous une autre.
La guerre, quelle qu'elle soit est une défaite pour le prolétariat, car elle signifie essentiellement pour les travailleurs des sacrifices tant en chair humaine que dans l'imposition d'une dictature de fait par des <<états d'urgence» et autres variantes totalitaires impliquant la suppression de toutes" libertés» et l'instauration d'une exploitation forcée du travail.
Dans notre précédent numéro, nous avions souligné sous le titre<< Réflexions sur quelques mythes électoraux »qu'en paroles comme en actes. l'emprunt aux<< valeurs et mythes de gauche » et l'« ouverture» ministérielle à des têtes marquantes del 'immigration se voulaient un pas vers une << union nationale >> face à des << dangers» réels ou extrapolés par le battage médiatique tant sur la plan économique que sur l'échiquier international.
Nous avions alors restreint ces considérations au champ français del 'exploitation d'un prétendu déclin de 1 'économie française (l) qui serait gravement mena-
(1) \ln po.lnt d~\·uc de Jérôme (;uillct," polytechnicien ct banquier''· publié par Le Monde du Il sep-
38- ÉCHANGES 122- AUTOMNE 2007
cée si des mesures drastiques n'étaient pas prises, mesures concernant avant tout les conditions d'exploitation du travail et les systèmes de protection sociale. Ce qui bien sOr nécessite un large consensus d'où ces amalgames auxquels se prêtent complaisamment les acteurs politiques et syndicaux y compris d'<< opposition», d'où leurs atermoiements désorientés.
Un degré vient d'être franchi dans ce << sauvetage de la patrie menacée »par les propos d'un ministre qui de pl us représente bien cette tentative d'intégration de l'opposition politique: une menace de guerre. On aura reconnu Bernard Kouchner, médecin fondateur de l'organisation humanitaire Médecins sans frontières, ex-ministre (alors socialiste) de la Santé (2), aujourd'hui ministre des Affaires étrangères
tembrc 2007 sous Je titre" Non, la France n'est pas en déclin», souligne, chiffres à J'appui, que" J'évidence très répandue que les blocages français nécessitent d'urgentes "réformes" repose sur un constat partiel et partial. ))
(2) S'il a (hrièvement) appartenu au Parti socialitc, Bernard Kouchncr s'est depuis distingué entre autres en rédigeant pour la société Total (ct pour la somme de 25 000 euros), un rapport exemptant cette société de toute utilisation du travail forcé au Myanmar (ex-Birmanie). Pourtant cette société, en novemhre 2005, a versé JO 000 euros à chacun des sept Birmans qui l'accusaient alors d'a,·oir travaillé pour elle sous la contrainte de 1 'armée birmane sur le chantier du gazoduc Y adana. Et elle a accepté de consacrer 5.2 millions d'euros à l'indemnisation d'autres personnes qui
pourraientjusti fi cr d'un travai 1 forcé.
par la grâce de Sarkozy. Il a déclaré le J 6 septembre, interrogé sur RTL-LCI-Le Figaro, qu'il fallait<< se préparer au pire» C'est-à-dire? lui demande-t-on alors-" la guerre». Même si de tels propos, aussitôt repris partout et démentis dès le lendemain "Je n'ai pas voulu dire cela ... >>peuvent paraître dérisoires et ne sont peut-être qu'une carte jetée dans un jeu diplomatique et économique indéchiffrable (et où levéritable<< ennemi» n'est pas formellement identifié), c'est le couronnement d'une<< guerre contre le terrorisme» déjà à 1 'origine de la distillation médiatique d'un<< danger »multiforme générateur de peurs diffuses conduisant à s'unir en courbant le dos.
L'union nationale est-elle nécessaire parce que la France prend du retard par rapport à ses concurrents (malgré la bonne productivité de l'ouvrier français) <J Estce que ça explique aussi les attitudes agres-
sives de Sarko vis-à-vis des autorités européennes ?
Une hypothèse serait que la lutte contre le terrorisme est en réalité une lutte- de chaque capital contre ses concurrents, et que c'est pour ça qu'il n'y a pas d'ennemi désigné- hormis le prolétariat.
C'est en tout cas une nouvelle étape dans le conditionnement global. Celui-ci pourrait-il fournir au capital les moyens de surmonter la crise et d'accroître le taux d'exploitation du travail ? Une baisse du niveau de vie du prolétariat suffira-t-elle à éviter la crise? Celle-ci n'a pas pour seule origine le niveau des salaires, mais aussi la suraccumulation de capital. Seule une résistance de classe sous toutes les formes peuvent être un mur contre cette évolution qui. sans cela, peut s'avérer particulièrement dangereuse.
• DANS LES PUBLICATIONS/FRANCE
• " Buffalo Grill .On a arraché des régularisations ", sur la lutte des sans-papiers exploités par cette enseigne de restaurants, dans La Forge no 476 (juillet-août 2007).
• Dans Cette Semaine no 83 (été 2007), outre les articles habituels sur action et répresSion principalement en Europe, un échange au sujet de la Picharlerie, un hameau des Cévennes squatté depuis le printemps 2002 et que son propriétaire a fait détruire en faisant intervenir préfet et gendarmes. Au texte des oc-
cupants, " Un bulldozer est passé près de chez vous ", répond une " lettre ouverte " qui critique essentiellement la référence à la Résistance des squatteurs de " la Pich' "· http://lapicharlerie.internetdown.org. Courriel :la[email protected] • Dans Le Prolétaire no 484· 485 (mai-septembre) : " La leçon des grèves à Airbus. " • Dans A Contre Courant no 186, août 2007 : "Accord discret entre Mede! et syndicats, "Waterloo" du droit social. " Et aussi " Vauve-
nargues et le smic mondial. " • " Les ex-Lustucru refusent de passer à la casserole ", dans La Lettre de liaison du Garas no 19 (2' trimestre 2007) : un ensemble de témoignages sur cette lutte et ses suites. • Dans la même Lettre du Garas, présentation et extraits d'une BD :Amiante, chro -
nique d'un crime social( Editions du 7' Choc)
/ \ ~J.
~ ~·-~·---. ....... ·.,,..::: .. ;....~1/!-....... .- _ _,.____ ~
ÉCHANGES 122 ·AUTOMNE 2007- 39