Enquête terrain Projet Passion Data Collection App
Observatoire de la e-Santé dans les pays du Sud Fondation Pierre Fabre
Collecter les données-patients
Géraldine Fischer, Fondation Pierre Fabre
Mars 2019, Vientiane, Laos
1
A. Comment est-ce que tout a démarré ?
Vientiane Rescue est né en 2010. Ce service d’urgence est rattaché à l’association « Foundation for
Assisting Poor People of Lao PDR” créée en 2005. Il a été créé grâce à l’action commune de 7
volontaires dont Sebastien Perret, pompier volontaire français installé au Laos. Leur but est de pallier
au manque de service d’ambulance dans le pays et donc améliorer les chances de survie des patients
en situation d’urgence.
Ils sont en mesure d’intervenir sur différents types de situations : incendies, accidents de la route,
accouchement, inondation, noyade, éboulement… notamment grâce à des équipes spécialisées
(plongeurs, pompiers…) et du matériel de pointe. Ici, l’exemple de leur scie hydraulique alimentée
grâce à un petit générateur portable et installée dans l’un de leurs véhicules :
B. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Aujourd’hui, les interventions « Pre Hospital emergency care » à Vientiane sont assurées à 90% par VR
qui est le seul service fiable, gratuit, disposant de presque 20 ambulances et de 4 stations réparties
dans la ville. Depuis peu, l’équipe s’est étendue en ouvrant 2 stations en province : une à Pakse (2017)
et une à Vang Vieng (2019). Ce service est disponible en discontinu, tous les jours de l’année, de jour
comme de nuit.
Il fonctionne sur le modèle des services d’urgence « pré-hôpital » anglosaxon (en opposition au modèle
franco-allemand). Ce modèle propose d’amener le patient au médecin plutôt que le médecin au
patient. Il s’agit donc de sécuriser le patient et de l’amener au plus vite vers un centre hospitalier de
référence.
2
Les équipes de Vientiane Rescue travaillent en partenariat avec les principaux hôpitaux de la ville :
Mittaphab, Mahosot et Setthathirath. Les cas de traumatologie sont envoyés à Mittaphab, hôpital de
référence. Pour tous les autres cas, les patients sont envoyés dans l’hôpital le plus proche.
Les équipes postées sur Vientiane réalisent en moyenne 500 interventions par mois. Des variations
sont observées en fonction des périodes de l’années (ex : forte augmentation pendant les fêtes de
Nouvel An Lao, diminution pendant les mois du carême bouddhiste).
Également, des collaborations internationales ont déjà été réalisées comme lors de l’intervention
réalisée en 2018 en Thaïlande lorsqu’une jeune équipe de football s’était retrouvée coincée dans une
grotte, surprise par la montée des eaux.
C. Qui sont les « volunteers » ?
En 2019, plus de 500 bénévoles sont engagés dans le travail de VR. La plupart des bénévoles est très
jeune (entre 17 et 25 ans).
Lorsqu’ils se présentent pour la première fois aux équipes de VR et manifestent leur envie de se joindre
à l’équipe, les bénévoles bénéficient d’une semaine de formation délivrée par les plus anciens, ceux
ayant pu bénéficier de la formation « Emergency Medical Technician » en Thaïlande. Cette deuxième
formation est offerte aux bénévoles les plus impliqués à raison de 2 à 3 personnes formées par an.
Afin d’assurer un service continu, des « chefs de station » sont en charge des différents points de base
de VR. Ils sont choisis pour leur ancienneté, leur leadership et leur expérience de terrain et de
management. Ce sont également eux qui gèrent les dépenses quotidiennes (essence, maintenant
automobile, consommables) et qui s’assurent de la réponse adéquate de la part des bénévoles en cas
de besoin.
Également, certains bénévoles sont désignés comme conducteurs des ambulances dans la mesure où
cet exercice requiert sang-froid, agilité et maitrise du véhicule et du code de la route.
A noter que chaque bénévole a son propre uniforme. Une cérémonie de remise d’uniforme est
organisée après 6 mois d’engagement du bénévole dans les actions de VR.
D. Quid de la solution de l’application
Jusqu’à présent, les informations sur chaque intervention sont enregistrées sur des formulaires papier.
Ces formulaires sont partagés avec les autres services d'aide médicale urgente et connus des hôpitaux.
3
Vientiane Rescue souhaite mettre en place une application mobile/ tablette pour enregistrer les cas
directement pendant l’intervention : données sur le patient, lieu de l’intervention, gravité des blessés…
Ce système est déjà utilisé en pilote uniquement sur les cas d’accident de la route.
En plus de l’enregistrement facilité des données, il s’agirait de transmettre l’ensemble des informations
directement à l’hôpital de destination dès le départ du lieu de l’accident. Grâce à une connexion directe
avec un ordinateur et une imprimante de l’hôpital, l’ensemble des informations seraient regroupées
sur un formulaire similaire à celui utilisé actuellement et imprimé automatiquement. Grâce à la
fonction localisation de l’outil informatique, le temps de trajet pourrait être estimé. Cela permettrait
à l’équipe médicale de mettre du personnel à disposition ainsi que du matériel adéquat, notamment
en cas de blessures sévères. Ce système serait uniquement utilisé pour les cas graves. Il n’est pour
l’instant pas encore en expérimentation.
A plus long terme, l’application aura de multiples bénéfices :
- Augmenter l’efficacité du service Vientiane Rescue
o Formation continue des bénévoles en fonction des lacunes visibles après analyse des
informations rentrées dans l’application (ex : pas de supplémentation en oxygène avec
une saturation en O2 à 70%)
o Assurer la préparation en amont des équipes hospitalières pour assurer la meilleure
prise en charge possible du patient
- Mettre en place la collecte de données statistiques. La collecte actuellement faite ne permet
pas d’analyser de façon optimale les données par manque de temps et de personnel qualifié.
Cependant, l’obtention de données précises comporte de nombreux aspects positifs :
o Achat de matériel technique adapté en fonction de la fréquence de situations
spécifiques (ex : attèles spécifiques pour la prise en charge des fractures du tibia).
o Diffuser et transmettre des données conformes à la réalité (données du
gouvernement environ 7x inférieures à celles de Vientiane Rescue)
4
o Sensibiliser la population)
o Plaidoyer auprès des autorités pour faire changer la réglementation (intersections ou
routes dangereuses, port du casque obligatoire…)
Il est prévu de partager cette application et de fournir du matériel adéquat (tablettes) également aux
autres services d'aide médicale urgente de la ville. Il s’agit notamment de la Croix-Rouge Lao qui
dispose actuellement de 5 ambulances.
E. Et concrètement, comment ça marche ?
J’ai pu accompagner les équipes de VR pour comprendre le fonctionnement de ce service d’urgence.
Je me suis rendue sur l’une des bases nouvellement refaites. Ici, les bénévoles ont à disposition 2 salles
de repos (2 containers), une cuisine ainsi que des sanitaires (douches et toilettes).
Premier point à souligner, les bénévoles ne manquent pas. En général, au moins 4 bénévoles sont
présents dans les stations 24h sur 24. Certains sont là tôt et d’autres prennent le relai à leur départ.
Toutes les 15 minutes, un nouveau bénévole arrive ou repart et dans l’ensemble, il y a ce soir-là
toujours 7 bénévoles ou plus sur place.
Une des stations (la première créée et la plus grande) fait également office de centre d’appel. Le
numéro 1623 est diffusé très largement au Laos et est même visible sur les ambulances.
5
Chaque jour, des bénévoles différents se relayent pour assurer une réponse à l’ensemble des appels.
Le bénévole se renseigne sur les informations importantes (type de prise en charge demandé, nombre
et état de la (des) victime(s), lieu, environnement ou circonstances particulières…) et transmet les
informations par radio à la station la plus proche de l’évènement. Depuis peu, VR a remplacé son
système de radio analogique par un système numérique. Ce nouveau système a plusieurs avantages,
non seulement, il évite les frétillements sur la ligne et permet d’assurer la confidentialité des
informations échangées mais également, ces radios sont équipées d’un système GPS qui permet de
localiser les ambulances en permanence.
En fonction du nombre de personnes présentes sur la base, entre 2 et 4 personnes partent dans
l’ambulance pour répondre à l’appel de potentielles victimes. Bien qu’équipées de gyrophares et de
sirènes, les équipes font face à une nouvelle réglementation qui empêche l’utilisation de tout signal
sonore après 18h. L’attention du chauffeur est donc d’autant plus primordiale. Leur connaissance
parfaite de la ville et de ses quartiers fait de ces conducteurs des atouts indispensable dans un véhicule
d’urgence.
Nous partons donc ce soir-là pour prendre en charge une femme enceinte sur le point d’accoucher. A
notre départ, un des bénévoles présents enregistre dans l’application partie « Dispatch », les
informations concernant l’équipe et le véhicule qui part en intervention (nombre et identité des
bénévoles, type de véhicule) ainsi que la raison du départ.
6
A l’arrivée sur place, l’équipe prend directement en charge la patiente et l’installe dans l’ambulance
avant de prendre ses constantes vitales. En parallèle, un membre de l’équipe prend des photos de
l’environnement et du patient afin de constituer le dossier.
Au moment du départ de l’ambulance vers l’hôpital, un des bénévoles doit sélectionner la destination.
A terme, la sélection de cette destination devra pouvoir envoyer automatiquement les informations
clés à l’hôpital concerné en cas de cas grave (rouge).
7
Lors du trajet, les volontaires ont la possibilité de remplir autant de fois que souhaités la partie « VS »
pour Vital Signs afin de faire le suivi de l’évolution des constantes vitales du patient. Un suivi toutes
les 5 minutes est recommandé. A l’arrivée à l’hôpital, la patiente est amenée dans le bâtiment par
l’équipe VR avant d’être prise en charge par le personnel hospitalier. Un des volontaires est alors
chargé de compléter les informations manquantes sur le formulaire ou sur l’application (notamment
les circonstances plus précises de l’intervention si l’équipe n’a pas eu la possibilité de le faire plus tôt).
Également, l’équipe VR se voit attribuer un numéro d’intervention par le centre d’appel VR. Cela
permet aux équipes de police de contacter les équipes VR afin d’obtenir plus de détails sur
l’intervention en cas de besoin.
8
Dès que le formulaire a été signé par l’équipe VR, le patient
(ou un accompagnant), ainsi que l’équipe hospitalière, une
copie du formulaire est laissée à l’établissement et l’équipe
VR rentre à la base pour se tenir prête en cas de nouvelle
intervention.
F. Financement et modèle économiques/ Partenaires
VR s’est bâti sur des financements divers et souvent ponctuels : Ambassades (France, Australie, USA…),
donations d’entreprises privées lao ou internationales, boîtes de collectes disposées dans les 49
franchises de la chaine de supermarchés « M point » au Laos. Cette dernière initiative leur permet de
récolter 3000$/ mois ce qui représente la moitié de leurs dépenses courantes (consommables,
essence, maintenance des véhicules).
VR bénéficie également du soutien de l’entreprise JIRISS (basée à Osaka, Japon) qui fournit des
ressources financières (financement de la mise en place de la géolocalisation notamment) et RH
(ingénieurs pour le développement du pilote de l’application).
G. Perspectives et besoins
VR est en constante évolution. On sent une volonté forte auprès des équipes d’améliorer leurs
pratiques et leur efficacité. Dans les prochains projets de VR :
- Ecrire des procédures, aussi bien sur la gestion globale de l’entité VR que pour la prise en
charge des patients. Cela permet d’harmoniser les pratiques et de former les nouveaux
arrivants.
- Mettre en place un centre de formation. Pour l’instant, les formations sont suivies en
Thaïlande. La proximité et le partage de la langue rendent cette collaboration possible,
cependant, vue l’importance de l’action de VR qui s’étend de jour en jour, il serait nécessaire
que des formations reconnues puissent être mises en place au Laos. Cela contribuerait
également à augmenter la visibilité et les échanges avec les équipes de secours des pays de la
région afin de créer un vrai réseau des services d’urgence dans l’ASEAN.
- S’étendre à d’autres provinces. En 2019, il est prévu d’ouvrir encore deux stations : une dans
la région de Luang Prabang et l’autre dans la région de Bokeo.
9
- Améliorer la collecte des données, d’où le souhait de développement de cette application.
L’application n’en est pour le moment qu’à sa version pilote. Il est encore nécessaire de travailler
dessus notamment :
- Les différentes informations demandées (difficulté
de demander précisément les circonstances de
l’accident sans assimiler ces questions à un travail
de forces de police qui peut être mal perçu par la
population)
- La précision des informations demandées : il faut
obtenir des informations assez précises (ex sur le
schéma : pouvoir sélectionner le pied ou la jambe
séparément) sans pour autant emboliser le travail
des bénévoles et noyer les informations
importantes.
- Les données à envoyer à l’hôpital : quelles
informations mettre sur le formulaire ?
- Les statistiques : afin d’obtenir des statistiques
pertinentes, un appui technique est nécessaire. Celui-ci permettrait de sortir les données
pertinentes à des buts d’informations, de prévention ou de plaidoyer.
Par ailleurs, les bénévoles, souvent tous mobilisés lors d’une intervention soulèvent les difficultés à
compléter l’application en simultané et doivent encore être formés afin de comprendre l’utilité à
terme d’une solution telle que cette application.
Également, j’ai pu constater que l’ensemble du formulaire est rempli uniquement une fois arrivé au
centre hospitalier. Or, pour que la transmission des informations essentielles au lieu de prise en charge,
les équipes de VR devront les intégrer dans l’application avant le départ de l’ambulance du lieu de
prise en charge. Des sessions de formations sont donc primordiales.
H. Conclusion
Vientiane Rescue est quasiment seul acteur des urgences préhospitalières au Laos. Leur travail est
indispensable, surtout compte tenu du contexte. Forts de leurs 10 ans d’expérience, ils sont bien
implantés et connus de tous à Vientiane.
Leur volonté de s’améliorer est très visible, notamment par le travail déjà débuté sur le projet pilote
de l’application. De nombreuses utilités sont mises en avant aussi bien pratiques (amélioration de la
prise en charge) que sur le long terme, notamment pour le plaidoyer.
10
Ce projet est également intéressant dans la mesure où, au-delà d’un support financier, les équipes de
VR ont surtout besoin d’un support technique pour rendre l’application la plus efficace possible sans
pour autant alourdir le traitement par les bénévoles. VR étant seule organisation de ce type à
Vientiane, les financements de matériel ne sont pas trop compliqués à obtenir pour eux. Cependant,
un soutien technique qui pourrait les appuyer pour le lancement de l’application semble plus difficile
à obtenir.
Ils sont en permanence en contact avec de potentiels bailleurs pour financer leur organisation.