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UNIVERSITE PARIS IX DAUPHINE
U.F.R. Sciences des Organisations
THESE pour l’obtention du titre de
DOCTEUR ès SCIENCES DE GESTION (arrêté du 30 mars 1992)
présentée et soutenue publiquement par
Stéphanie DAMERON FONQUERNIE
GENERATION DE LA
COOPERATION DANS L’ORGANISATION
Le cas d’équipes projet
Tome I
JURY
Directeur de Thèse Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université de Paris IX-Dauphine
Rapporteurs Albert DAVID Professeur à l’Université d’Evry
Yvonne GIORDANO Professeur à l’Université de Nice
Suffragants Daniel MARTEAU Directeur de la coopération industrielle de Peugeot Citroën SA
Pierre ROMELAER Professeur à l’Université de Paris IX-Dauphine
06 décembre 2000
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Remerciements
Alors que je suis en train de mettre un point final à quatre années de travail et que celles-ci vont
être évaluées dans quelques semaines, le chemin parcouru me revient en mémoire. S’il se présenta
parfois large et dégagé, il fut généralement sinueux et tortueux et j’y crus souvent m’y embourber.
Dans ce parcours, quasi initiatique, j’ai bénéficié de nombreux secours et soutien ; certains
ponctuels, mais essentiels, d’autres furent de tous les instants. Pour m’avoir écoutée, soutenue,
encouragée, réorientée, calmée, consolée, merci à tous.
Merci à Bernard de Montmorillon pour sa chaleur et son soutien sans cesse renouvelés lors de nos
rencontres. En tant que directeur de recherche, il a su m’accorder sa confiance et elle ne s’est
jamais démentie. Il m’a aidé à structurer ma pensée par des questionnements constructifs. Il m’a
encouragé à poursuivre toujours plus avant ma réflexion. Pour la patience dont il a fait preuve, les
connaissances et l’expérience qu’il a partagées, pour le temps également qu’il a su me consacrer,
notamment cette dernière année où son emploi du temps était plus que chargé, je ne le remercierai
jamais assez. D’autre part, je lui suis également reconnaissante d’avoir toujours soutenu ma
candidature, que ce soit pour l’attribution d’une allocation de recherche, d’un poste de monitorat
puis d’ATER, ou encore pour intégrer la formation du CEFAG.
Une autre personne a également joué un rôle de tout premier plan durant ce travail de doctorat, non
seulement par ses précieux conseils, mais aussi dans ma socialisation au sein du milieu
universitaire. Pour m’avoir confié la coordination de l’Ecole Doctorale avec les doctorants, et pour
avoir organisé de nombreux séminaires, notamment avec P.S. Ring sur les relations de confiance et
de coopération, merci au directeur de l’Ecole Doctorale de Gestion de Dauphine. Pour m’avoir
formé au sein des séminaires doctoraux du programme CEFAG, merci au directeur du CEFAG.
Pour m’avoir nommé correspondante du réseau de recherche FROG, dirigé par Hervé Dumez que
je remercie également, merci au coordinateur de ce réseau. Cette même personne a suivi cette thèse
du premier document jusqu’à la présoutenance, puis la soutenance. Pour toutes ces raisons, merci
au Professeur Pierre Romelaer.
Les Professeurs Yvonne Giordano et Albert David ont accepté la lourde tâche de rapporteur à une
période de l’année où l’on connaît l’effervescence du monde universitaire. Je suis très honorée de
leur présence dans le jury de cette thèse. Je tiens également à leur exprimer ma reconnaissance pour
leurs travaux qui ont été particulièrement utiles dans la définition de la démarche méthodologique
de la thèse, ainsi que pour éclairer l’analyse des données du terrain.
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Je tenais tout particulièrement à associer à cette soutenance le Directeur de la Coopération
Industrielle du groupe PSA Peugeot Citroën, Daniel Marteau. Il m’a ouvert toutes grandes les
portes de son entreprise et m’a laissé une grande marge de manœuvre dans la conduite et dans la
restitution de mes travaux.
Cette recherche demandait beaucoup au terrain. Merci au Professeur Jean-Gustave Padioleau pour
m’avoir incité à commencer très tôt le volet empirique de cette recherche et m’avoir fait rencontrer
le directeur du Développement d’une filiale du groupe SITA, Michel Genesco. Merci à ce dernier
pour son accueil ainsi qu’à tous les membres des deux équipes projet étudiées et notamment
Jacques Siegwald, directeur de Projet au sein de la société PSA. Merci pour m’avoir inclus dans
l’aventure qu’est un projet et avoir partagé votre temps et vos réflexions. Sans eux, un tel travail
n’aurait pu se faire et j’espère de tout cœur qu’il leur sera utile. J’espère également que nous
garderons contact et, pourquoi pas, peut-être retravaillerons-nous ensemble.
Je tiens également à remercier tous les membres du centre de recherche CREPA pour le soutien
affectif, intellectuel et matériel qu’ils m’ont apporté durant ces années de recherche. Je ne peux
malheureusement les citer tous, mais je pense notamment à Julie Tixier, Michel Barabel, Damon
Golsorkhi, Henri Isaac, Nicolas Ederlé, Xavier Lepers, ou encore à Lotfi Karoui. Grâce à la
dynamique de travail du centre, j’ai pu présenter régulièrement mes travaux dans les séminaires de
suivi des doctorants, merci à tous les participants pour leurs remarques et notamment au Professeur
Michel Kalika pour ses conseils si justes et sa disponibilité.
J’ai pu également améliorer la fiabilité du traitement des données grâce à Judith Ryba, Alain
Klarsfeld et Christophe Torset. Je leur suis infiniment reconnaissante d’avoir accepté sans hésiter,
et malgré la charge de travail que cela représente, de procéder au double codage des entretiens et du
processus. Geoffrey Carpentier a également accepté la tâche délicate et fastidieuse de relecture de
ce document, travail qu’il a accompli avec une grande rigueur. Si des problèmes de forme
demeurent, ils me sont d’autant plus imputables.
L’architecture générale de cette recherche ainsi que les méthodes de collecte et de traitement des
données ont largement bénéfic ié des séminaires du Centre Européen de Formation Approfondie en
Gestion. Merci à la Fondation Nationale pour l’Enseignement et la Gestion des Entreprises pour
m’avoir permis de participer à ce programme de formation de très haut niveau.
La thèse s’inscrit dans une logique plus large, dans une évolution au sein de l’université. Je tiens
notamment à remercier Daniel Paul pour m’avoir confié très tôt des charges d’enseignement.
Je ne pouvais fermer cette page de remerciements sans m’adresser à ma famille et à mes proches,
pour leur soutien sans faille et leur affection. Je tiens à remercier tout particulièrement mon mari,
Guillaume Fonquernie. Sans sa confiance en moi, ses encouragements, sa patience et sa tendresse,
cette thèse, telle qu’elle est aujourd’hui, n’aurait pu aboutir.
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~ SOMMAIRE ~
Introduction Générale 5
PREMIERE PARTIEPREMIERE PARTIE 19
CHAPITRE I ~ LA COOPERATION COMPLEMENTAIRE 23
I.A. Les fondements de la coopération complémentaire dans l’organisation 23
I.B. L’organisation de la coopération complémentaire autour du contrat 40
I.C. Le processus de coopération complémentaire 54
Conclusion du chapitre I 65
CHAPITRE II ~ LA COOPERATION COMMUNAUTAIRE 69
II.A. Le groupe : manifestation de la coopération communautaire 70
II.B. L’identité commune comme fondement de la coopération communautaire 80
II.C. Le processus de coopération communautaire 92
Conclusion du chapitre II 112
CHAPITRE III ~ RECONCEPTUALISATION TRANSVERSALE DE LA COOPERATION
118
III.A. Des dimensions transversales 119
III.B. La dynamique des relations de coopération 125
III.C. Questions de recherche et grille de lecture des mécanismes générateurs de la coopération
138
Conclusion du chapitre III 144
Conclusion de la première partie 145
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Seconde partieSeconde partie 147147
CHAPITRE IV ~ POSITIONNEMENT EPISTEMOLOGIQUE ET METHODOLOGIQUE
149
IV.A. Architecture de la recherche 149
IV.B. La collecte des données 170
IV.C. Les modalités de traitement des données 192
Conclusion du chapitre IV 207
CHAPITRE V ~ ANALYSE DES CAS 208
V.A. Cas SITA : l’équipe projet « appel d’offre » 210
V.B. Cas PSA : l’équipe projet « véhicule » 265
Conclusion du chapitre V 342
CHAPITRE VI ~ LA GENERATION DE LA COOPERATION AU SEIN D’EQUIPES PROJET
343
VI.A. Mécanismes générateurs propres à une forme de coopération 344
VI.B Mécanismes générateurs du passage d’une forme de coopération à une autre 355
VI.C. Un processus dialectique et téléologique 365
VI.D. La génération de la coopération comme processus de structuration 379
Conclusion du chapitre VI 391
Conclusion générale 393
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INTRODUCTION GENERALE
écloisonnée et transversale, l’organisation change » titre l’un des
derniers articles de l’Expansion Management Review1 ; « Les
nouvelles formes organisationnelles » est le thème du numéro
spécial de 1996 de la Revue Française de Gestion ; « L’entreprise horizontale »,
« L’organisation créatrice »… qu’ils soient français ou anglo-saxons, les exemples
d’articles et de livres sur le thème d’une transformation des organisations sont légions ces
dix dernières années.
Les mutations des organisations prennent la forme d’alliances et de partenariats (Blanchot
1997)2, de réseaux d’entreprises et d’organisations en réseau (Josserand, 1998)3, de
management par la qualité (Isaac, 1998)4 ou encore d’équipes plurifonctionnelles dédiées
temporairement à un projet (Midler, 1993)5.
Selon le numéro spécial de l’Academy of Management Journal (1995) consacré aux
relations coopératives intra et inter-organisationnelles, ces évolutions organisationnelles
ont un point commun : elles développent des relations de coopération entre des entités
interdépendantes afin d’entreprendre une action commune. La compétitivité des entreprises
dépend alors de leur capacité à développer et exploiter des relations coopératives non
seulement avec l’externe, mais aussi en interne.
1 M. Kalika et alii, Décloisonnée et transversale, l’organisation change, L’Expansion Management Review, n°98, septembre 2000, pp. 68-80. 2 F. Blanchot, Modélisation du choix d’un partenariat, Revue Française de Gestion, n°114, juin-juillet-août 1997, pp. 68-82. 3 E. Josserand, L’intégration des unités périphériques dans les entreprises en réseau, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Dauphine, 1998. 4 H. Isaac, Les référentiels normatifs de qualité dans les services professionnels : une lecture des pratiques au travers de la théorie des conventions, Finance, Contrôle, Stratégie, vol. 1, n°2, 1998. 5 C. Midler, L’auto qui n’existait pas ; management des projets et transformation de l’entreprise, InterEdition, Paris, 1993.
« D
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INTRODUCTION GENERALE
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Cependant, la nécessité de mettre en œuvre cette « compétence relationnelle » n’est pas
tout à fait une nouveauté. La volonté de développer des relations de coopération dans
l’organisation est en effet présente dès les premiers écrits en management.
Pour l’ingénieur américain F.W. Taylor (1911) par exemple, la coopération entre les
ouvriers et le management est un des quatre principes qui fondent l’organisation
scientifique du travail. De même, le principe « d’Empowerment », qui repose sur la
responsabilisation des employés pour favoriser la coopération entre les niveaux
hiérarchiques, peut être retrouvé dès le début du XXème siècle. La politologue M.P. Follett
(1918) évoque ainsi déjà le « pouvoir coactif » pour désigner la capacité de faire les choses
en commun, et préconise le développement des équipes de travail dans les entreprises.
La nouveauté réside en fait dans l’institutionnalisation des relations coopératives
transversales dans les organisations, entre employés de même rang hiérarchique, provenant
de différentes fonctions. Il apparaît ainsi de plus en plus délicat de schématiser par des
organigrammes une structure organisationnelle d’une complexité croissante sans la
dénaturer. Si les relations coopératives dans les organisations avaient un caractère diffus et
essentiellement vertical, elles apparaissent maintenant au cœur même de la coordination
des activités d’une entreprise. Les raisons de cette mutation sont multiples et ont été déjà
maintes fois évoquées. Elles peuvent se résumer en deux points : l’exigence de réactivité
face à une intensité concurrentielle croissante et au pouvoir grandissant des clients
premièrement et, deuxièmement, le développement de nouvelles technologies favorisant
les échanges tant à l’intérieur d’une organisation qu’avec l’extérieur.
La capacité à comprendre, et donc à maîtriser, comment ces relations de coopération
inter et intra-organisationnelles se développent est ainsi une nécessité pratique.
Or, si la coopération entre organisations fait l’objet de nombreuses recherches depuis une
dizaine d’années, l’étude spécifique des relations coopératives à l’intérieur de
l’organisation n’apparaît pas comme un champ de recherche balisé et reste même encore
peu explorée de manière explicite. Pourquoi ?
Les fondements de cette différence entre les recherches sur la coopération intra et inter-
organisationnelles sont à rechercher dans ce qui définit la frontière d’une organisation, ce
qui distingue l’intérieur de l’extérieur. Etablir le périmètre organisationnel, c’est interroger
la spécificité de l’organisation.
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INTRODUCTION GENERALE
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La notion d’organisation est probablement un des termes les plus difficiles à cerner et les
définitions qui en sont données sont souvent critiquables. Les organisations possèdent
cependant des traits communs et se différencient d’autres groupements sociaux comme les
foules ou la famille et plus largement des marchés. Dans son usage courant, l’organisation
est définie comme la « façon dont un ensemble est constitué en vue de son
fonctionnement » (Dictionnaire Le Robert). Dans une volonté de synthèse, les chercheurs
en gestion G. Charreaux et J.-P. Pitol-Belin (1992 :258) retiennent la définition suivante :
« les organisations sont des systèmes sociaux créés par des individus afin de satisfaire,
grâce à des actions coordonnées, certains besoins et d’atteindre certains buts »6.
L’économiste C. Ménard (1995 :48), propose une conception de l’organisation comme
« un ensemble structuré de participants, coordonnant leurs ressources en vue d’atteindre
des objectifs »7. Quelle que soit la définition, la première caractéristique d’une organisation
est d’être orientée vers un but : produire des biens, instruire et former, soigner ou encore
conquérir le pouvoir politique. Sa deuxième caractéristique est d’assurer la coordination
des actions individuelles. Selon C. Ménard (1995, op. cit.), et d’un point de vue formel,
cette coordination est fondée sur la hiérarchie, sur la subordination du pouvoir de décision
à d’autres acteurs, mécanisme incité par le rapport salarial. Par ce principe de
subordination, la hiérarchie introduit une relation d’ordre entre les membres d’une
entreprise, ceux-ci occupant un rang dans l’organisation. Toujours selon l’économiste,
l’organisation se distingue par ce principe hiérarchique, contrairement au marché qui est,
lui, régi par le prix. Le périmètre d’une entreprise peut donc, dans un premier temps, être
défini par ce rapport de subordination précisé dans le contrat de travail.
En définissant le périmètre d’une organisation, nous avons dans le même temps pointé une
différence fondamentale entre la coopération entre organisations et celle ayant lieu dans
l’organisation. Lorsque deux entreprises coopèrent, les parties en collaboration n’ont pas
un supérieur hiérarchique commun qui peut imposer ses décisions, au sein d’un même
rapport salarial.
Cette différence fondamentale met en exergue la difficulté, voire l’incohérence, de la
juxtaposition de deux logiques qui paraissent antagonistes : coopération et hiérarchie ne
6 G. Charreaux & J.-P. Pitol-Belin, « Les théories des organisations », in J.-P. Helfer & J. Orsoni (eds), Encyclopédie du Management, Vuibert, 1992. 7 C. Ménard, L’économie des organisations, La Découverte, Collection Repères, première édition 1990, p. 24.
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INTRODUCTION GENERALE
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semblent pas faire bon ménage et étudier la coopération dans l’organisation paraît
paradoxal. Peut-il y avoir des relations de coopération sous la contrainte hiérarchique, le
rapport de subordination est-il compatible avec le développement d’une collaboration ?
Finalement, le fait de parler de coopération dans l’organisation a-t-il un sens ?
Pour répondre à cette question arrêtons-nous un instant sur la notion de coopération. Le
terme coopération vient de l’association de la racine operare et du préfixe co, c’est-à-dire
travailler ensemble, conjointement. Cette notion de travail conjoint peut être précisée avec
le Robert pour lequel « la coopération implique dépendance et solidarité vis-à-vis d’un
groupe », tandis que le Larousse ajoute une autre dimension, téléologique, par le fait de
« concourir à une œuvre commune ».
La coopération est donc du domaine de « l’agir » ; la coopération, c’est de l’action
collective finalisée. Parce qu’elle est une construction empirique finalisée, elle
nécessite, au niveau de l’individu, de partager consciemment une tâche commune
dans des relations de réciprocité avec les autres individus au sein d’un groupe donné.
R. Boyer et A. Orléan (1997) précisent cette « conscience » de la coopération, en y faisant
présider une certaine intentionnalité8.
Nous pouvons tirer deux conséquences de ces deux niveaux de définition de la
coopération : sa nature fondamentalement dynamique tout d’abord, et ses relations avec la
hiérarchie ensuite.
En se situant sur le plan de l’action, la coopération est fondamentalement un processus, une
dynamique. Face à l’institutionnalisation de cette dernière dans les structures
organisationnelles, la question qui se pose est celle du développement de relations
coopératives, de leur « génération ».
Selon le dictionnaire Le Robert, la notion de génération renvoie à l’ « action de faire
naître », Le Larousse précise le terme en le définissant comme les « fonctions par
lesquelles les êtres organisés se reproduisent ». La génération renvoie aux mécanismes de
8 R. Boyer & A. Orléan, “Comment emerge la cooperation? Quels enseignements des jeux évolutionnistes”, pp. 19-44, in Les limites de la rationalité, Colloque de Cerisy, B. Reynaud (eds), La découverte, 1997.
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INTRODUCTION GENERALE
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(re)production, aux forces causales d’un processus (Abbot, 1992)9. B.P. Pentland (1999) la
caractérise comme la structure sous-jacente à un processus10. Questionner la génération de
la coopération, c’est interroger les « moteurs » de son processus ; c’est à la fois chercher à
comprendre le contenu de l’action coopérative et sa dynamique. Pour H. Tsoukas (1999),
la notion de « generative mechanisms » est au cœur de l’explication dans les études
« qualitatives », elle implique la recherche des conditions qui permettent l’actualisation
d’un phénomène11. Une recherche sur la coopération comme action nécessite donc de
s’interroger sur la nature de sa génération, les conditions de son développement et son
évolution dans le temps.
Nous abordons maintenant la seconde implication de notre définition de la coopération,
c’est-à-dire la possibilité de son existence dans l’organisation hiérarchique.
Parce qu’elle apparaît fondamentalement intentionnelle, la coopération ne semble pouvoir
se construire sous la contrainte ; elle paraît brimée par la hiérarchie, incompatible avec le
lien de subordination ; son existence entre deux individus de même rang semble même à
proscrire pour le bon fonctionnement d’une organisation. Selon A. Breton & Wintrobe
(1982)12, les relations coopératives transversales ne sont pas productives pour une
organisation ; elles portent en elles le risque de non soumission, elles peuvent aller à
l’encontre de l’autorité hiérarchique et entraîner un blocage des ressources de
l’organisation. Cette proposition semble même être vérifiée par la recherche sur les
relations entre département de C. St John et L. Rue (1991) : la hiérarchie est corrélée
négativement aux mécanismes de coordination coopératifs, favorisant la collaboration
entre les divisions13.
Pourtant les actes de coopération sont nombreux dans l’organisation et, sans eux, le
fonctionnement d’une organisation productive ne pourrait être assuré. Ce fameux lien de
9 A. Abbot, From causes to events, notes on narrative positivism, Sociological methods and research, vol. 20, n°4, pp. 428-455, mai 1992. 10 B.P. Pentland, Building process theory with narrative : from description to explanation, Academy of Management Review, vol. 24, n°4, pp. 711-724, 1999. 11 H. Tsoukas, The validity of idiographic research explanations, Academy of Management review, vol. 14, n°4, 1989, pp. 551-561. 12 A. Breton & R. Wintrobe, The logic of bureaucratic conduct, Cambridge University Press, 1982. 13 C. St John & L. Rue, Research notes and communications: Co-ordinating mechanisms, consensus between marketing and manufacturing groups and marketplace performance, Strategic Management Journal, vol. 12, pp. 549-555, 1991.
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INTRODUCTION GENERALE
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subordination, constitutif de l’organisation, ne peut lui-même être compris sans faire
référence à la notion de coopération. Pour qu’il puisse s’exercer, ce lien doit en effet être
auparavant reconnu comme légitime par l’employé. L’individu s’impose lui-même cette
autorité, l’acte structurant de la relation d’emploi est bien la signature du contrat de
travail ; il peut être considéré comme le premier acte d’une coopération entre l’employeur
et l’employé.
P. Romelaer (1998 :2)14 évoque ainsi un niveau minimum de coopération nécessaire au
fonctionnement de l’organisation. Cette « coopération contrainte » est fondée sur un
“ degré minimum de bonne volonté que toute personne, dans toute organisation, manifeste
ou doit manifester pour que l’organisation fonctionne ”. Parce que le contrat de travail est
fondamentalement incomplet, tout individu doit « s’accomoder un minimum des
incertitudes, des ambiguïtés et des incohérences qui existent dans le travail qui lui est
prescrit ». Cette coopération n’existe pas seulement dans le cadre de la relation entre
employeur et employé ; elle se développe également entre salariés comme « le degré
minimal de communication et d’entraide nécessaire pour que le salarié ne soit pas rejeté
par les personnes et les groupes parmi lesquels sa vie de travail se déroule. » (Romelaer,
1998 :3, op. cit.).
Avec le développement de logiques transversales dans l’organisation, différentes
compétences d’un même niveau hiérarchique sont désormais combinées pour la réalisation
d’un travail ponctuel. La coopération se construit dans la réalisation d’un produit commun
et s’achève en même temps que son objet. Elle n’est pas simple échange mais processus de
production de valeur. P. Romelaer (1998 :5, op. cit.) qualifie cette forme de coopération
d’autonome, car les acteurs « définissent leur propre loi commune » tout en se coordonnant
avec le reste de l’entreprise. Son objectif premier n’est pas de faire face ponctuellement à
l’incertitude, mais de réaliser une mission, un projet, au travers duquel le groupe se
construit en tant qu’équipe et développe des référentiels communs.
Si des relations de coopération sont compatibles avec le lien hiérarchique et existent dans
le fonctionnement d’une organisation, les transformations actuelles placent la coopération
au centre de l’organisation et nécessitent ainsi d’autant plus son étude.
14 P. Romelaer, Atelier 1 : la coopération, groupe permanent de réflexion, CNAM, journée de travail du 27 mai 1998.
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INTRODUCTION GENERALE
12
Besoin pratique et nécessité théorique s’additionnent pour légitimer une recherche
sur la génération de la coopération dans l’organisation. C’est l’objet de cette thèse.
Mais comment faire ? Comment aborder les relations coopératives dans l’organisation ?
L’équipe de travail, et plus particulièrement l’équipe plurifonctionnelle centrée sur un
projet peut constituer notre « cheval de Troie ».
L’équipe est en effet la structure coopérative par nature ; elle est définie par Le Robert
comme « un groupe de personnes unies dans une tâche commune », elle évoque des
images d’élan, d’effort collectif, de solidarité (Maisonneuve, 1999)15. Assez souvent, le
système d’équipe reste plutôt une aspiration, un idéal, voire une invocation quasi magique
à partir du mot lui-même et reste conditionnel : il faudrait, dit-on, promouvoir un
« véritable travail d’équipe ».
Le caractère incantatoire du terme pousse d’ailleurs les psychosociologues à utiliser plutôt
la notion de groupe dont l’équipe est l’horizon. Le terme de groupe est en effet
essentiellement descriptif tandis que le mot équipe inclut un aspect normatif positif : les
deux notions sont souvent associées comme synonymes, l’une et l’autre étant les deux
extrémités d’un même continuum (Maisonneuve, 1999, op. cit.). En ce sens, le terme
équipe implique un processus de développement, un apprentissage du travail en commun
qui ne connaît pas de fin.
De manière générale, l’équipe est une clé de l’organisation traditionnelle du travail16. Dans
sa genèse et son management tout d’abord, derrière le terme générique « d’entrepreneur »
se cache souvent une équipe participant aux fondations et à la direction d’une entreprise.
Dans son fonctionnement ensuite, tout département ou atelier s’organise suivant un travail
d’équipe effectif réunissant des individus, en principe égaux, autour d’un chef détenant une
autorité quasi complète. Depuis le milieu des années 80, se développe cependant une autre
forme d’équipe, plurifonctionnelle, centrée autour d’un projet et donc temporaire.
15 J. Maisonneuve, La dynamique des groupes, Collection Que sais-je ?, PUF, 1ère édition 1968, 13ème édition corrigée, 1999. 16 F.D. Hertog & T.Tolner Merit, Groups and teams, International Encyclopedia of Business and Management, vol. 2, Routledge, 1996, pp. 1705-1715.
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INTRODUCTION GENERALE
13
Les équipes projet sont fréquemment citées lorsque les mutations organisationnelles sont
énumérées. Leur caractère novateur réside dans l’intégration, au sein d’un même collectif
de travail, des processus de conception, de fabrication et de commercialisation le temps du
développement d’une innovation. Dans ce cas, le travail conjoint, et non plus séquentiel, de
plusieurs départements sur un même projet innovant est présenté comme propice à une
conception plus rapide, mieux adaptée aux contraintes des différents acteurs de l’entreprise
et comme un moyen de répondre efficacement aux besoins du client. Des acteurs porteurs
de compétences diverses sont ainsi impliqués le plus en amont possible d’une innovation
sous la tutelle d’un directeur de projet, puissant acteur transversal.
L’équipe projet présente plusieurs intérêts pour l’étude de relations coopératives. Elle est
tout d’abord temporaire. La dynamique des relations coopératives peut donc être située
dans le temps. Elle réunit ensuite des acteurs porteurs de compétences différentes et de
même niveau hiérarchique, elle cherche explicitement ainsi à favoriser des relations de
coopération entre fonctions. Elle est enfin centrée sur un projet concret qui peut jouer le
rôle de « miroir » de la dynamique des relations coopératives à travers celle des savoirs
collectifs.
De plus, cette équipe est pour l’instant essentiellement étudiée de manière statique. En
effet, plus que les équipes projet, c’est la gestion de projet qui est l’objet d’analyses et qui
est d’ailleurs en train de constituer un véritable champ de recherche. Selon une étude de B.
Ulri et D. Ulri (2000), la vision nord-américaine de ce champ est essentiellement centrée
sur les outils de la gestion de projet17. En Europe, la recherche sur la gestion de projet est
plutôt centrée sur son mode de fonctionnement et son impact sur les structures
organisationnelles18. Lorsque la dynamique de l’équipe projet est étudiée, c’est pour
s’intéresser aux modes d’apprentissage qui permettent la combinaison de différents savoirs
et la production de connaissances (Nonaka, 1994 ; Hatchuel, 1994, Charue-Duboc, 1995 ;
Friedberg & de Terssac, 1996)19, les recherches se concentrent alors sur la co-élaboration
17 B. Ulri & D. Ulri, Le management de projets et ses évolutions en Amérique du Nord , juin-juillet-août 2000, pp. 21-31. 18 Les travaux du CRG et du CGS, déjà cités, apportent des éclairages très importants dans ce domaine, notamment dans l’industrie automobile, précurseur dans le développement de cette gestion de la conception. Une revue de cette littérature où le caractère novateur de ce type d’équipe est développé, peut être trouvée dans S. Dameron, Equipes projet, relation d’emploi et performance, mémoire majeur, DEA 101, 1996. 19 I.Nonaka, A dynamic theory of organizational knowledge creation, Organization Science, vol. 5, n°1, pp. 14-37. A. Hatchuel, Apprentissages collectifs et activités de conception, Revue Française de Gestion, juin-juin-août 1994. F. Charue-Duboc (dir.), Des savoirs en action, l’Harmattan, 1995. G. de Terssac & E. Friedberg (dir.), Coopération et conception, Octares Edition, 1996.
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INTRODUCTION GENERALE
14
du projet mais sans décortiquer la dynamique relationnelle dans ses mécanismes de
génération.
Dans les recherches sur la gestion de projet, il semble ainsi manquer un pont, un lien, entre
la structure qui articule les compétences et la production de nouveaux savoirs ; ce lien peut
se trouver dans l’étude de la dynamique relationnelle.
L’équipe projet est donc la structure sur laquelle nous allons nous appuyer pour
comprendre la génération de relations coopératives dans l’organisation. Nous la
définissons comme l’horizon d’un groupe inséré au sein d’une organisation
productive, elle est constituée d’un leader et d’acteurs porteurs d’expertises
différentes réunis durant la réalisation du projet.
La question posée est donc celle de la génération de la coopération dans l’organisation,
avec pour point d’entrée l’équipe projet comme une des formes structurelles de cette
coopération intra-organisationnelle. La problématique générale de la recherche est ainsi la
suivante :
Comment la coopération se « génère »-t-elle dans l’organisation ?
Pour répondre à cette problématique, notre processus de recherche est caractérisé par des
aller-retours entre le terrain et la théorie, aller-retours qui sont explicités dans le chapitre
méthodologique.
Le point d’achoppement dans la restitution de ce type de recherche est la grille de lecture.
Sa construction est en effet au cœur du travail d’aller-retour entre la revue de littérature, la
collecte et les premiers traitements des données. Dans la présentation écrite de la thèse,
quelle grille de lecture présenter au lecteur avant la restitution de l’analyse des données ?
Celle initiale à la démarche de collecte des données, même si elle est finalement dépassée
et qu’elle n’est pas utilisée dans le traitement des données empiriques ? Ou la grille de
lecture finale, même si elle présente, par son enrichissement, des éléments essentiels de
résultats de la recherche ?
-
INTRODUCTION GENERALE
15
Dans ce travail de restitution de la recherche, nous avons choisi la seconde solution. Nous
défendons une thèse, et ceci tout au long de ce document. Nous défendons l’idée qu’il
existe deux formes de coopération dans l’organisation, et que ces deux perspectives ne
peuvent être pensées l’une sans l’autre lorsque l’on rentre dans la dynamique
coopérative. Expliquons notre démarche de restitution.
La thèse est scindée en deux parties.
La première partie se découpe en trois chapitres et présente la justification théorique de la
grille de lecture finale de la recherche, les lunettes en quelque sorte que nous avons
chaussées pour traiter nos données. Cette grille de lecture est un des résultats de la
recherche et un des éléments essentiels de notre thèse.
En effet, face à la polysémie de la notion de coopération, mot à la mode donc sujet à
projection, associations, emplois métaphoriques, l’ordonnancement de la littérature en
gestion s’avérait une tâche délicate, en soi originale, et dans le même temps nécessaire.
Dans l’analyse théorique des organisations, nous avons repéré une première forme de
coopération générée par une rationalité calculatoire ; elle repose sur la complémentarité des
ressources et soulève la problématique de la congruence des intérêts individuels. Nous
l’avons qualifiée de « coopération complémentaire. ». L’étude de ce que peut nous
apporter la littérature sur ses modalités et conditions de génération, ainsi que son
déroulement, est l’objet du premier chapitre.
Mais si la littérature en gestion se concentre sur les relations stratégiques et
institutionnelles dans les rapports coopératifs, une première analyse des données a fait
émerger une seconde forme de coopération générée par le besoin identitaire,
d’appartenance à un groupe. Un retour à la littérature, en psychosociologie plus qu’en
gestion, nous a permis d’ordonnancer des modèles théoriques qui donnent des pistes de
réflexion sur les fondements, les conditions de potentialisation et le déroulement de cette
coopération. Nous l’avons ainsi qualifiée de « coopération communautaire ». Son ancrage
théorique est l’objet du deuxième chapitre.
Nous avons donc construit, théoriquement, deux formes de génération de la coopération
dans l’organisation. Mais si les deux perspectives théoriques sont contrastées dans la
détermination des fondements et des conditions de génération de la coopération dans
l’entreprise, elles deviennent en revanche ambivalentes quand on rentre dans son
-
INTRODUCTION GENERALE
16
processus. Comprendre la génération de la coopération nécessite de dépasser le dualisme
théorique.
Le troisième chapitre présente comment nous avons agencé ces deux formes de
coopération ; nous justifions ainsi le cadre conceptuel qui a guidé la collecte des données et
la grille de traitement de nos données sur la génération de la coopération au sein d’équipes
projet. Ce chapitre propose en effet de dépasser le dualisme apparent de la coopération
complémentaire et de la coopération communautaire en définissant trois dimensions
transversales aux deux perspectives. Cette re-conceptualisation transversale de la
coopération permet de préciser la problématique qui se décline en trois questions
principales de recherche centrées sur le dualisme apparent des deux modes de génération
de la coopération. Elle donne également le cadre conceptuel de cette recherche en
définissant à la fois la grille de collecte des données et la grille de traitement des données
qui va servir de guide dans la présentation et l’analyse des données.
L’objet de cette première partie théorique est ainsi de proposer une grille de lecture
originale des mécanismes générateurs de la coopération dans l’organisation, par un
ordonnancement d’une littérature foisonnante, mais partielle en gestion, et éparpillée. Sa
construction permet dans le même temps de préciser la problématique de la recherche et de
la décliner en questions de recherche.
La seconde partie de cette thèse se décompose également en trois chapitres et propose de
démontrer la capacité descriptive et explicative de cette grille de lecture.
Le quatrième chapitre présente l’architecture générale de la recherche. Nous cherchons à
explorer et à réconcilier deux formes d’action coopérative dont les fondements
épistémologiques s’opposent ; notre positionnement cherche à sortir du clivage entre
l’individu et la structure pour interroger les interactions entre acteurs. Nous présentons
ensuite notre stratégie de recherche. L’aspect multidimensionnel de la notion de
coopération et le fait de s’intéresser à un processus fait d’interactions entraînent l’adoption
de méthodes qualitatives et plus particulièrement de l’étude longitudinale de cas avec
observation participante. Dans la détermination de notre niveau principal d’analyse, nous
montrons explicitement l’intérêt et la représentativité théorique des équipes projet pour
répondre à nos questions de recherche : elles constituent notre point d’entrée dans la
coopération au sein d’une organisation. La démarche de collecte des données est présentée.
-
INTRODUCTION GENERALE
17
Elle s’étend sur plus de 16 mois, avec près de 50 journées d’observation retracées dans un
journal de bord, la participation à des réunions et séminaires et la conduite formalisée de
36 entretiens d’une durée moyenne d’une heure trente. Le traitement des données suit deux
voies qui s’alimentent mutuellement. Une analyse de contenu, qualifiée de
« dimensionnelle », permet de saisir l’interprétation des interactions par les acteurs. Une
analyse processuelle de ces mêmes interactions a pour objet de repérer leur déroulement
dans le temps.
Sur les trois équipes suivies initialement, chacune dans une organisation différente, deux
équipes projet sont finalement retenues pour leur congruence avec notre échantillon
théorique et rendues typiques en fonction du projet qui les détermine et de leur
configuration structurelle. La première équipe étudiée est constituée au sein du groupe
SITA, filiale environnement de la société Lyonnaise des Eaux, afin de répondre à un appel
d’offre concernant le retraitement des déchets de la région Rhône Alpes. La seconde se
situe dans l’industrie automobile, chez PSA, société exemplaire dans la mise en place de la
gestion de projet ; elle a en charge le développement d’un nouveau moteur HPi, à injection
directe essence, qui est le pendant du moteur HDi diesel ; sa réussite peut constituer le
début d’une nouvelle génération de moteurs dans les gammes de produits proposées par le
constructeur. Ces deux cas traitent des équipes projet telles que nous les avons définies,
mais se distinguent par leur contexte et leur structure.
Dans le chapitre cinq, chacun des deux cas est analysé suivant les mêmes procédures et en
trois temps. Tout d’abord le contexte organisationnel dans lequel est insérée chaque équipe
est étudié afin de comprendre comment leur action se coordonne avec le reste de
l’entreprise. Nous le verrons, cela n’est pas sans incidence dans la construction de leurs
propres interactions, dans la génération d’une forme de coopération plutôt qu’une autre.
Ensuite, l’analyse suit une double voie. Dimensionnelle, elle permet d’illustrer et de
compléter notre grille de lecture, ce qui constitue le lien coopératif au cœur de la
coordination de cette action collective. Processuelle, elle saisit les étapes, détours ou
passages obligés dans la construction de ce lien. Ainsi les mécanismes générateurs de la
coopération, à la fois état et processus, sont compris dans leurs deux acceptions,
inséparables l’une de l’autre.
Cette grille d’analyse commune entre les cas permet de comparer dans un sixième et
dernier chapitre nos différentes situations, typiques de cette forme d’action collective.
Cette comparaison est au cœur de la construction des outils conceptuels et de la
-
INTRODUCTION GENERALE
18
modélisation nécessaire à la compréhension de la génération de la coopération dans les
équipes de projet.
Nous concluons ce travail par ses apports théoriques et l’utilisation managériale qui peut
en être faite pour le pilotage des équipes projet. Nous mettons en exergue les principales
difficultés et limites de cette recherche qui permettent dans le même temps d’envisager des
voies de recherche futures.
Ce qu’on voudrait donc proposer ici, c’est en quelque sorte une conceptualisation
dynamique du lien coopératif dans l’organisation, en l’appliquant au cas des équipes projet.
-
INTRODUCTION GENERALE
19
Présentation de la démarche de la thèse
Introduction
• Développement des modes de coordination coopératifs au sein des organisations • L’équipe projet comme «cheval de Troie» pour analyser la coopération au sein d’une organisation
Comment la coopération se génère-t-elle dans l’organisation ?
PARTIE I
VERS UNE GRILLE DE LECTURE DE LA COOPERATION DANS L’ORGANISATION
Chapitre 1 La coopération complémentaire
Chapitre 2 La coopération communautaire
Conclusion Apports conceptuels et managériaux Limites et voies futures de recherche
Chapitre 3 Reconceptualisation transversale de la coopération
PARTIE II
LA GENERATION DE LA COOPERATION AU SEIN D’EQUIPES PROJET
Chapitre 5 Analyse des cas
Chapitre 6 Mécanismes générateurs
Chapitre 4 Positionnement épistémologique et méthodologique
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20
PREMIERPREMIERE PARTIEE PARTIE
« Notre devoir est-il de chercher à devenir un être achevé et
complet, un tout qui se suffit à soi-même, ou bien au contraire
de n’être que la partie d’un tout, l’organe d’un organisme ? »
Emile Durkheim (1930), De la division du travail social, PUF, 1996, page 4.
-
Introduction à la Première Partie
21
Le développement de logiques transversales dans les organisations positionne le lien
coopératif au cœur des transformations actuelles. La mise en place pour une durée
déterminée d’équipes plurifonctionnelles en charge d’un projet d’innovation dans
l’organisation est exemplaire de cette tendance. Afin de pouvoir gérer ce capital
relationnel, la connaissance des mécanismes générateurs de la coopération, qui à la fois la
constitue et la dynamise, est une question essentielle à laquelle certaines analyses en
gestion, mais aussi en économie, en sociologie et en psychosociologie, peuvent nous
donner des éléments de réponse.
Parce que la notion de coopération est le fondement de toute société en ce qu’elle donne
sens aux relations entre individus, elle est centrale dans la réflexion en sciences sociales.
Or il existe deux grands paradigmes du lien social : le paradigme holiste, considérant la
société comme une totalité, et le paradigme individualiste, l’analysant comme une
collection d’individus autonomes (Boudon & Bourricaud, 1982)20. Cette dichotomie va
nous servir de trame et guider la réflexion sur les mécanismes générateurs de la
coopération.
L’évidence de cette distinction existe dès la Politique d’Aristote où l’auteur décline sa
perception centrée sur l’individu dans la vie de la Cité et critique la vision collectiviste de
la République de Platon. Cette dichotomie se retrouve avec des concepts similaires dans la
sociologie européenne où le sociologue allemand F. Tönnies distingue la Société, pure
juxtaposition d’individus ayant des relations passagères et apparentes, de la Communauté
d’obligations partagées et de liens irréductibles. M. Weber (1917) s’en inspire
explicitement lorsqu’il différencie la socialisation sociétaire, comme relations émergentes
établies de façon purement rationnelle par finalité, de la socialisation communautaire, issue
du respect de valeurs partagées et présupposant une collectivité d’appartenance21. A la
20 R. Boudon & F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, 1982. 21 M. Weber (1917), Economie et société, Plon, 1971.
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Introduction à la Première Partie
22
même époque, le sociologue français E. Durkheim (1930) distingue la solidarité organique
de la solidarité mécanique22.
L’objet de cette première partie est ainsi de repérer les mécanismes générateurs de la
coopération dans l’organisation en suivant la même dichotomie. Présentons brièvement
cette dichotomie de la relation coopérative.
Durkheim appelle organique une solidarité fondée sur la différenciation des individus par
analogie avec les organes de l’être vivant qui, remplissant chacun une fonction propre et ne
se ressemblant pas, sont tous également indispensables à la vie. Cette solidarité est issue de
la division du travail et fonde une forme de coopération qui se développe suivant des
modalités contractuelles. Cette coopération est stratégique ; elle repose sur des calculs
d’intérêts individuels dans la relation à autrui ; la coopération dure tant que ses gains
excèdent ses coûts. L’individu, dans sa rationalité calculatoire, est ici au centre de
l’analyse. Nous qualifions cette forme de coopération de complémentaire : c’est la
complémentarité des fonctions divisées qui pousse les individus à coopérer.
La solidarité mécanique en revanche est basée sur la ressemblance ; les individus
s’assimilent au groupe et diffèrent peu les uns des autres ; ils adhèrent aux mêmes valeurs,
éprouvent les mêmes sentiments et partagent les mêmes objectifs. Cette solidarité renvoie à
la conscience collective définie comme « l’ensemble des croyances et des sentiments
communs à la moyenne des membres d’une société » (Durkheim, 1930 :46, op. cit.). Cette
solidarité fonde une forme de coopération qui se développe dans la construction, la
protection et la défense de cette identité. On s’intéresse ici à la rationalité identitaire de
l’individu, et c’est le groupe, comme entité porteuse de l’identité commune, qui est au
centre de l’analyse. Nous qualifions cette forme de coopération de communautaire : c’est la
préservation et la défense de cette communauté des croyances qui poussent les individus à
coopérer.
Bien entendu les deux formes de coopération peuvent se retrouver à des degrés divers dans
toute action organisée. Ce qui nous intéresse ici c’est d’analyser la pertinence de cette
typologie dans l’analyse des mécanismes générateurs de la coopération dans l’organisation.
Cependant, le développement de formes organisationnelles coopératives comme les
équipes projet, nécessite de dépasser le dualisme entre ces deux formes de coopération. Si
22 E. Durkheim (1930), De la division du travail social, PUF/ Quadrige, 1996. La première publication de sa
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Introduction à la Première Partie
23
les deux perspectives s’opposent dans la détermination des fondements de l’action
coopérative, elles se rejoignent dans son caractère intrinsèquement dynamique et
deviennent même ambivalentes dans la caractérisation de son processus. Pour sortir de ce
dualisme, une reconceptualisation transversale de la coopération est nécessaire afin de
réconcilier la tension entre complémentarité et homogénéité. Nous pouvons alors proposer
une grille de lecture des mécanismes générateurs de la coopération dans l’organisation.
Nous nous situons ainsi dans la problématique traditionnelle, mais qui n’a jamais été autant
d’actualité, de la différenciation et de l’intégration initiée par P. Lawrence & J. Lorsch
(1967)23.
thèse date de 1898 ; 1930 correspond à une version retravaillée et modifiée de sa thèse initiale. 23 P. Lawrence & J. Losch (1967), Adapter les structures de l’entreprise, Collection “Les classiques”, Les Editions d’Organisation, 1994.
-
24
Chapitre I
LA COOPERATION COMPLEMENTAIRE
La mise en place de structures qualifiées de « coopératives » dans l’organisation reflète
l’intérêt croissant pour le développement de relations de coopération à l’intérieur d’une
entreprise. Pour maîtriser ces relations, nous cherchons à déterminer des mécanismes de
génération de la coopération dans l’organisation.
Certains courants s’intéressent à la question de la coopération autour de la différenciation
des ressources et des compétences. Nous qualifions cette forme de coopération de
« complémentaire », car elle est fondée sur le partage de ressources complémentaires ; elle
se développe si ses gains excèdent ses coûts, dans un calcul d’intérêts dans la relation à
autrui. L’individu, dans sa rationalité calculatoire, est ici au centre de l’analyse.
L’objet de ce chapitre est ainsi de construire théoriquement cette forme de coopération, à la
fois dans son principe générateur, son organisation et son processus.
Dans l’organisation économique, la coopération commence dès la signature du contrat de
travail, se soumet à une relation fondamentalement hiérarchique, et se construit dans des
rapports de contribution-rétribution. Elle se déploie dans la pratique dans des
comportements stratégiques, dans une recherche de gains de pouvoir (section I.A) . Les
modalités structurelles de cette forme de coopération cherchent à résoudre la
problématique de la divergence des intérêts individuels autour de mécanismes d’incitation
spécifiques (section I.B). La coopération complémentaire se construit alors dans un
processus de négociation dépendant de la répétition des interactions (section I.C).
I.A. Les fondements de la coopération complémentaire dans
l’organisation : une coopération contrainte et stratégique
Au sein d’une organisation, le partage d’une tâche commune dans des relations de
réciprocité peut se réaliser du fait de la complémentarité des ressources individuelles.
-
Chapitre I ~ La coopération complémentaire
25
Certains courants en théorie des organisations permettent de construire théoriquement cette
forme de coopération. Suivant une perspective historique, la recherche des mécanismes
générateurs de la coopération se concentre dans un premier temps sur la relation entre
employeur et employés, notamment avec les analyses de F. Taylor (1911) et C. Barnard
(1938), pour s’étendre à toute l’organisation avec la contribution de la sociologie de
l’acteur (Crozier & Friedberg, 1977).
I.A.1. Une coopération verticale assurée par des lois scientifiques
Une première réflexion sur les formes de coopération au sein d’une organisation
productive voit le jour avec l’école classique24.
Le point commun à ces travaux est l’accent mis sur la rationalité des modes d’organisation
et la formulation des principes d’un management efficace, que ce soit dans le domaine de
l’organisation scientifique du travail25, du contenu de la fonction d’administration avec
l’unité de commandement26, ou de la bureaucratie27. Dans une démarche pragmatique,
F.W. Taylor et son contemporain H. Fayol (1916) définissent des préceptes dans la
recherche de l’efficacité de l’organisation du travail. Si la coopération transversale est
considérée comme contre-productive, Taylor, notamment, s’attache à favoriser les relations
de coopération entre employeur et employés : l’auteur cherche en effet à déterminer des
lois scientifiques assurant la réciprocité des gains d’une meilleure productivité.
I.A.1.a) L’organisation du travail selon H. Fayol et F. Taylor28
Le développement des premières théories de l’organisation est lié à l’essor de la production
de masse qui nécessite des innovations organisationnelles autant que des innovations
techniques. A la fin du siècle dernier, la situation est en effet caractérisée par le faible
24 « L’école classique » en théorie des organisations désigne les « premiers » écrits relatifs au management, qui datent de la fin du 19ème siècle au début du 20ème siècle. Cependant, cette naissance des théories des organisations est à relativiser. Les travaux d’Adam Smith au XVIIIème siècle, avec son célèbre exemple de la fabrique d’épingle, sont déjà précurseurs. 25 F.W. Taylor, Les principes de la direction scientifique des entreprises, 1911. 26 H. Fayol, Administration industrielle et générale, 1916. 27 M. Weber, 1917, op. cit.. 28 Ce paragraphe s’appuie notamment sur l’analyse historique de D. Chabaud des formes d’équipes dans l’organisation dans Equipes et coûts de transaction, une analyse néo-institutionnelle de l’organisation du travail dans l’industrie automobile, Thèse en Sciences Economiques, Université Paris I Sorbonne, 1998.
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Chapitre I ~ La coopération complémentaire
26
contrôle de l’organisation par les propriétaires (Chandler, 1977)29. Ces derniers
s’interrogent peu sur les méthodes de direction des usines, les ateliers sont régis par des
systèmes de sous-traitance interne dans lesquels le contremaître a la haute main sur la
gestion des processus de production et de gestion du personnel30. Ce système de contrats
internes conduit le chef d’entreprise à se focaliser sur la coordination entre les groupes, via
ses relations avec les contremaîtres, mais fait négliger la coordination au sein des groupes
de salariés. F. Taylor (1911, op. cit.) souligne alors un phénomène de « flânerie
collective », qui se traduit par la définition collective d’une norme de rendement, et est
symptomatique de la collusion : la maîtrise de la coordination intra-groupe apparaît donc
essentielle.
Dans ce contexte, la recherche de F. Taylor (1911, op. cit.) se présente comme une
démarche rationnelle de conception de l’organisation qui vise à éliminer le contrôle des
ouvriers sur le processus de production. Elle se base sur la détermination de règles perçues
comme universelles propres à assurer le meilleur rendement des ouvriers. Quatre principes
sont à l’œuvre dans cette « gestion scientifique » marquée fondamentalement par la
croyance dans l’importance de la spécialisation du travail et l’évitement de tout phénomène
coopératif entre ouvriers, phénomènes systématiquement porteurs pour l’ingénieur de
collusion à l’encontre du patronat.
La spécialisation du travail, au centre des principes de cette organisation du travail, est à la
fois verticale et horizontale. Elle consiste tout d’abord en un clivage entre la conception et
l’exécution du travail ; la première est assurée par la direction, via le bureau des méthodes,
la seconde par les ouvriers. Elle repose aussi sur la décomposition des tâches en séries
d’opérations, cette parcellisation permet d’étudier la technique propre à chaque opération,
et de transmettre par une formation systématique la technique à l’ouvrier.
Cette spécialisation se retrouve même au niveau du commandement, le contremaître se
démultiplie en autant d’experts spécialisés qu’il y a de fonctions. C’est sur ce dernier point
qu’H. Fayol (1916, op. cit.) est en désaccord avec la conception taylorienne. Selon
l’entrepreneur français, cinq principes de direction et douze principes de fonctionnement
29 A.D. Chandler (1977), La main visible des managers, Economica, 1998. 30 Ce système constitue pour un ouvrier qualifié (contremaître) à s’engager par contrat à livrer un nombre déterminé de pièces pendant une période définie. Le titulaire du contrat recrute et paye sa propre main d’œuvre. Le propriétaire s’engage de son côté à fournir au contractant l’appareil de production et les matières premières. Le contremaître touche un salaire en tant que chef d’atelier et d’une partie du bénéfice généré par la production. (D. Chabaud, 1998, op. cit.)
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Chapitre I ~ La coopération complémentaire
27
doivent guider les entreprise efficaces ; parmi les premiers, le principe d’unité de
commandement, selon lequel un individu ne doit obéir qu’à un seul chef, ouvre le débat sur
la modalité optimale d’encadrement des ouvriers. A l’impossibilité de trouver un supérieur
universel connaissant tout et étant en mesure de statuer sur tout est opposé le risque de
confusion et d’incohérence engendré par un commandement à plusieurs têtes. La
conception de H. Fayol (1916) semble l’emporter à la fois sur le plan de la pratique et des
idées (Chabaud, 1998, op. cit.)
Atomisation des tâches et description précise a priori du poste de travail s’accompagnent
ainsi de l’unicité de la supervision hiérarchique. Ces deux principes fondent l’organisation
hiérarchique du travail qui prévaut encore aujourd’hui.
I.A.1.b) Conséquences sur la perception de la coopération
L’apport de Taylor (1911, op. cit.) est d’avoir perçu la nécessité d’une répartition nouvelle
du travail par la préparation des tâches à accomplir. Tout travail doit subir une analyse
préalable qui se fera à travers un examen minutieux de l’existant, décomposition la plus
poussée possible des gestes préalables. Son erreur, pointée par P. Bernoux (1985)31, est
d’avoir imposé une pratique sur le modèle de l’analyse ; de la décomposition des tâches,
nécessaire à l’étude préalable, on est passé à la tâche décomposée.
Ce cloisonnement a pour objet d’empêcher toute forme de coopération transversale,
porteuse, selon F.W. Taylor (1911, op. cit.), du risque de collusion entre ouvriers qui
cherchent à s’entendre pour s’écarter des procédures de contrôle. Cette vision de la
coopération est proche de la théorie X de l’être humain considéré comme intrinsèquement
paresseux et cherchant par tous les moyens à travailler moins tout en gagnant plus (Mc
Gregor, 1960)32. Le regroupement des ouvriers est alors, pour l’auteur, un de ces moyens.
Dans l’organisation scientifique du travail, l’ouvrier est un individu isolé, jamais situé à
l’intérieur d’un groupe. Toute coopération transverse va ainsi à l’encontre de la bonne
collaboration entre ouvriers et patronat.
En effet, l’auteur ne cesse d’affirmer concevoir une organisation du travail qui permette
une coopération verticale, entre les ouvriers et la direction. La direction doit fournir des
moyens de stimulation au travailleur pour qu’il accomplisse sa tâche selon la meilleure
31 P. Bernoux, La sociologie des organisations, Editions du Seuil, 4ème édition corrigée, 1990. 32 D., Mc Gregor, The human side of enterprise, McGraw Hill, 1960.
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Chapitre I ~ La coopération complémentaire
28
méthode et à une bonne cadence. L’ingénieur américain souligne l’importance de la
coopération patronnat-travailleurs : « Le système de direction scientifique a pour base la
ferme conviction que les deux parties, patrons et ouvriers, sont uns et identiques ; que la
prospérité de l’employeur ne peut exister d’une façon durable si elle n’est pas
accompagnée de celle du salarié et, inversement, qu’il est possible de donner à l’ouvrier
ce qu’il recherche ardemment de son côté » (cité par D. Chabaud, 1998 :24)33.
Pour cela, le rôle de la direction est de rassembler les connaissances détenues de prime
abord par les ouvriers, de les enregistrer, de les classer et de les réduire en règles et lois.
Ces lois scientifiques, donc non discutables selon Taylor (1911)34, sont les vecteurs de la
coopération entre les ouvriers et la direction, en assurant l’intérêt commun de la
collaboration : « Quand ces lois sont appliquées dans le travail journalier des entreprises,
grâce à la coopération intime et cordiale de ceux qui appartiennent à la direction, elles
entraînent invariablement, tout d’abord, une production unitaire beaucoup plus
importante, qui est d’une qualité bien meilleure, ensuite l’entreprise peut payer des
salaires plus élevés aux ouvriers et elle peut elle-même gagner un bénéfice plus
important » (cité par P. Bernoux, 1985 :66).
Selon cette perspective normative, la coopération doit être uniquement verticale, entre les
ouvriers et la direction35. Elle se fonde sur la diffusion et le respect des lois scientifiques de
l’organisation du travail qui permettent de retirer un gain pour les deux parties.
33 F. Talor, 1911, op. cit., page 21. 34 F.W. Taylor est marqué par la vision, à cette époque dominante, de la science comme bienfait de l’humanité, vision sublimée par M. Berthelot dans Science & Morale, en 1897, qui est contemporain de l’auteur. Les écrits de K. Popper, positionnant la capacité de réfutation au centre des critères de scientificité, sont postérieurs de plus d’un demi siècle. 35 On retrouve cette dichotomie entre relation horizontale et relation verticale dans les travaux de A. Breton & R. Wintrobe, The logic of bureaucratic conduct, Cambridge University Press, 1982. Les partenaires sont immergés dans des réseaux informels de confiance, compris comme un actif stockable, que l’on peut développer mais aussi laisser dépérir. Selon les auteurs, les stocks de confiance verticaux entre supérieurs et subordonnés sont des transactions efficaces alors que les réseaux horizontaux sont des transactions inefficaces tendant à abaisser la productivité. Pour reprendre l’analyse de B. de Montmorillon & J.-P. Pitol-Belin, ceci « proviendrait du fait que dans les réseaux horizontaux, les agents ont tout intérêt à se coaliser pour capter le maximum de ressources à leur profit collectif et donc particulier, tandis que, dans les réseaux verticaux, l’avantage particulier de l’individu passe par la satisfaction des objectifs du supérieur et donc in fine de l’organisation », Organisation et gestion de l’entreprise, Litec, 1995, p. 217. L’analyse de A. Breton et R. Wintrobe complète la perspective de F. Taylor sur la coopération en l’étendant aux relations informelles. Plus récemment, certains articles ont opposé hiérarchie (relation verticale) et coopération (relation horizontale), il est alors montré que l’intensité des contacts hiérarchiques sont inversement corrélés avec la fréquence des relations entre les départements ; C. St John & L. Rue, Research notes and communications :
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Chapitre I ~ La coopération complémentaire
29
Cependant, cette « coopération intime et cordiale » semble délicate, à la fois du côté de la
direction qui devra faire appliquer le plus rigoureusement possible les lois, et du côté des
ouvriers qui se retrouvent dépossédés des connaissances qu’ils avaient. Un des objectifs du
système est de supprimer la négociation, or peut-il y avoir coopération sans négociation ?
L’effet pervers du système taylorien est de donner tout pouvoir à la direction en attribuant
à ce pouvoir l’épithète de scientifique. La seule raison de la coopération est ici le salaire ;
mais s’il est une condition nécessaire, il ne peut être une condition suffisante. Ainsi, selon
P. Bernoux (1985 :66, op. cit.), « le reproche principal fait au taylorisme d’être l’antithèse
d’une collaboration (principe que Taylor pourtant ne cesse d’affirmer) est justifié »36.
En ce sens, cette vision du travail confère une place limitée à une manifestation structurelle
de la coopération transversale : l’équipe (Chabaud, 1998, op. cit.). Elle n’est qu’une
instance de base du contrôle hiérarchique, l’équipe est l’unité au bas de l’organisation,
premier lieu de surveillance et de transmission des ordres. Le terme équipe est en fait
usurpé. Elle reste en effet un simple groupe tant les potentialités relationnelles de celle-ci
sont abhorrées par cette conception du travail. L’équipe, par définition porteuse de
coopération transverse, est donc ici potentiellement source de conflits et son
développement est fortement limité37.
L’analyse de C. Barnard (1938) place au contraire l’équipe au centre de la structure
organisationnelle en conceptualisant l’organisation comme système de coopération, tout en
positionnant le dirigeant au cœur de ce système38.
I.A.2. Dirigeants et systèmes d’incitations au centre des rapports
coopératifs
Le questionnement sur la nature des motivations des parties prenantes à collaborer entre
elles est au cœur des théories organisationnelles ; c’est l’objet des analyses sur la relation
d’emploi, sur la relation contribution-rétribution entre employés et employeurs, qui
co-ordinating mechanisms, consensus between marketing and manufacturing groups, and marketplace performance, Strategic Management Journal, vol. 12, 1991, pp. 549-555. 36 P. Bernoux, op. cit. page 66. 37 Encyclopédie du management, article Groups and teams. 38 C. Barnard (1938), The functions of the Executive, Harvard University Press, 1968.
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Chapitre I ~ La coopération complémentaire
30
dépasse largement la seule interrogation sur le salaire. Chez C. Barnard (1938, op. cit.), la
réflexion questionne explicitement la notion de coopération au sein de l’entreprise et tente
sur cette base de fonder une théorie globale de l’organisation.
I.A.2.a) L’entreprise comme structure complexe de coordination
L’auteur analyse l’organisation complexe qui repose sur la combinaison d’un ensemble de
groupes élémentaires de travail. « Toute organisation de caractère complexe naît
d’organisations petites, simples. La masse [des participants] doit être décomposée en
petits groupes avec des chefs de groupe ». Or l’important dans le groupe est la structure
d’interactions, dans un système fondé sur la nécessaire volonté de coopérer : « le système
d’interactions apparaît être la base pour le concept de « groupe » dans le sens où ce mot
est employé en connexion avec les systèmes coopératifs. » (Barnard :1938, 70, op. cit.) La
coopération est au centre du fonctionnement de l’organisation.
Quelle qu’elle soit, « l’organisation, simple ou complexe, est toujours un système
impersonnel qui coordonne les efforts humains ; il y a toujours un but comme principe
unificateur et coordinateur ; il y a toujours une capacité de communiquer ; il y a toujours
la nécessité d’une volonté personnelle de participer et de maintenir l’efficacité par rapport
à l’objectif défini et la continuité des contributions. »
Capacité de communication, objectif commun et volonté personnelle fondent ainsi la
coopération dans l’organisation, où l’équipe est l’unité élémentaire de travail. La capacité
de communiquer est multipliée par la combinaison de structures simples, elle est la
contrainte structurelle de la coopération. En revanche, but commun et volonté de participer
fondent plutôt les ressorts de la motivation à coopérer. Développons ces trois dimensions.
D’une part, l’auteur se préoccupe du fonctionnement de ces unités élémentaires, qui
s’apparentent pour nous à des équipes, et de leur insertion au sein de l’organisation
complexe, en soulignant les nécessités de la communication. En effet, la structuration de
l’équipe doit permettre une économie des coûts de communication, et pour cela doit limiter
le nombre de canaux. Ainsi préconise-t-il de placer le leader de l’équipe au centre de celle-
ci, comme canal central de communication. Cependant « un tel leader est limité en temps
et en capacité de communication » (Barnard, 1938 :112, op. cit.) ; les besoins et les
difficultés de communication déterminent alors la structure de coopération, plus
précisément la taille de l’équipe afin que le leadership reste efficace.
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Chapitre I ~ La coopération complémentaire
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Les exigences de communication comme contrainte structurelle positionnent ainsi l’équipe
comme unité élémentaire de travail, sa taille est limitée suivant les capacités du leader à
centraliser les informations. Cependant, si la capacité de communication est une condition
nécessaire de la coopération, elle n'est pas suffisante ; les individus doivent être d’autre
part motivés pour coopérer. Selon le manager américain, cette motivation repose sur un
calcul coût-avantage de l’intérêt de la participation.
La décision de coopérer dépend d’un calcul rationnel de l’individu : celui-ci participe dès
lors qu’il en retire une satisfaction. C’est la capacité de l’organisation à satisfaire les
besoins de ses employés qui est la source de leur coopération, tout repose alors sur les
systèmes d’incitation mis en place.
Au cœur de la coopération de l’employé avec l’organisation, se tient ainsi le jeu des
récompenses et des sanctions sur lequel le détenteur de l’autorité ou du pouvoir s’appuie
pour obtenir les comportements désirés. Le rôle du dirigeant est alors au centre du système
contribution-rétribution. Le dirigeant contrôle les stimulants parce qu’il sert
d’intermédiaire dans le processus d’échange ; c’est par ses efforts que des contributions
sont obtenues, coordonnées et converties en stimulants. Il est le pivot de ce système, et tous
les échanges passent par lui.
L’organisation est ainsi un système coopératif distribuant des récompenses incitatives, où
le dirigeant a une position centrale.
I.A.2.b) Une coopération qui demeure toutefois essentiellement verticale
La contribution de C. Barnard (1938, op. cit.) au développement d’une étude spécifique
des organisations est non seulement centrale, mais également unique. L’auteur établit
l’importance d’une analyse des organisations distincte d’une conception soit strictement
technique, dans le prolongement de la doctrine taylorienne, soit strictement administrative
telle que trouvée les travaux de H. Fayol (1916). C. Barnard (1938, op. cit.) conçoit
l’organisation comme un système social d’interactions complexes et place la coopération
entre ses membres au centre de la permanence des organisations ; H. Simon (1945)
s’inspire ainsi de l’auteur lorsqu’il écrit : « la cohésion de l’ensemble humain que constitue
une organisation et la cohérence des actions individuelles qu’elle requiert sont le produit
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d’un consensus et de la coopération qui s’instaure entre ses membres. »39 Contrairement à
l’approche de F. Taylor (1911, op. cit.), l’auteur reconnaît l’existence d’une dimension
informelle dans la structure organisationnelle ; le management est alors, avant tout, la
capacité d’intégrer les composantes formelles et informelles des organisations.
La notion de coopération allie donc ces deux dimensions. La première plus formelle est
celle de la contrainte structurelle liée aux capacités de communication ; l’équipe, centrée
autour d’un chef, est la réponse à cette contrainte. La seconde interroge les ressorts de la
motivation autour d’un but commun et de la volonté de participer.
Le second apport de l’auteur dans la compréhension de l’organisation complexe est d’avoir
mis l’accent sur les facteurs qui peuvent inciter les employés à mobiliser leurs capacités au
service des buts de l’organisation. En parlant de système de coopération, C. Barnard met
au centre de ses propos la relation d’emploi, unissant employeur et employé au travers du
système de contribution et de rétribution. Sa vision de la coopération est ainsi proche de la
notion de contrat psychologique définit par E.H. Schein au travers duquel s’articule le
consentement des membres d’une organisation au système d’autorité en vigueur : « Mon
hypothèse centrale est que l’efficacité du travailleur, l’ardeur et le dévouement qu’il
manifeste à l’égard de l’organisation et des buts qu’elle poursuit, la satisfaction qu’il tire
de son travail dépendent dans une large mesure de deux conditions : 1° du degré de
concordance entre ce qu’il pense pouvoir attendre de l’organisation et lui devoir, et ce
qu’elle compte donner et recevoir ; 2° cette concordance étant supposée, de la nature de
l’échange : salaire en échange du temps de travail ; satisfaction des besoins de sécurité
[…] ; ou diverses combinaisons de cela et d’autres choses »40
Cependant, tout comme l’ingénieur américain, C. Barnard analyse la génération de
relations coopératives comme dépendante d’un un calcul rationnel identifié dès le contrat
de travail. Tout l’accent est mis sur les systèmes d’incitation.
Si l’intuition forte que la coopération dans l’entreprise n’est pas le fruit spontané d’un
quelconque lien communautaire est un apport indéniable, la thèse du manager américain
demeure abstraite. Elle ne décrit en effet pas des formes organisationnelles facilitant ou
non ce système de coopération, elle ne rentre pas dans le processus, et n’explicite pas les
39 H.A. Simon, Administrative behavior, New York, The Free Press, 1945 ; trad. : Administration et processus de décision, Paris, Economica, 1983. 40 A. Desrumeaux (1998, op. cit.) cite E.H. Schein, Psychologie et organisations, Hommes & Techniques, 1971, page 69.
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problèmes de mesure des contributions et rétributions. Ainsi, dans l’unité élémentaire de
travail qu’est l’équipe, si le système d’interactions est présenté comme central, seul le rôle
du leader est explicité.
En outre, le dirigeant est présenté comme omniscient et omniprésent, au centre du système
d’incitation, distribuant des stimulants à ses collaborateurs selon l’importance de leur
contribution. Cependant, s’il est juge, l’analyse oublie qu’il est en même temps partie de ce
système. Comme tous les autres collaborateurs, le dirigeant apprécie généralement
l’organisation non pour ce qu’elle est, mais pour les récompenses qu’elle lui apporte
(Gergiou, 1973)41 ; en ce sens, il se peut que son engagement soit considérablement
inférieur à celui des autres membres de l’organisation, notamment dans l’entreprise
managériale au sens de Berle et Means (1932)42.
Enfin, cette glorification du dirigeant est erronée lorsqu’elle place ce dernier à la source
des récompenses organisationnelles. La plupart des échanges ne passent en effet pas par lui
et même ont lieu sans qu’il en ait connaissance, voire contre son gré. En développant le
modèle des incitations : « l’organisation dans son ensemble est constituée d’une série
complexe d’échanges ramifiés et entrecroisés entre les individus et les groupes, ayant pour
but de maximiser les récompenses qu’ils tirent de l’organisation » (Gergiou, 1973 , op.
cit.). Le pouvoir des collaborateurs dépend des contributions qu’ils font aux autres
individus et groupes plutôt que de l’appréciation du dirigeant quant à leur contribution à la
survie de l’organisation.
L’ingénieur et le manager américain placent ainsi la rationalité calculatoire au cœur de la
génération de la coopération dans l’organisation. Cependant, leur apport à notre
construction théorique, la coopération complémentaire, reste intrinsèque au modèle
hiérarchique ; cette dernière est envisagée uniquement dans une perspective verticale, dans
la relation employeur-employé. Elle ne permet pas de comprendre les relations de
coopération qui peuvent se construire entre employés. C’est une coopération contrainte qui
repose sur le soutien des employés aux chemins donnés par la direction générale, une
forme de bonne volonté construite et entretenue.
41 P. Gergiou, The goal paradigm and notes toward a counter paradigm, Administrative Science Quaterly, 18 (3), sept. 1973, pp. 291-310, traduit dans J.-F. Chanlat & F. Seguin, L’analyse des organisations, une anthologie scientifique, Gaëtan Morin, 1992. 42 A.A. Berle & G.C. Means, The modern corporation and private property, Macmillan, New York, 1932.
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En ce sens, la méfiance à l’égard des relations horizontales semble perdurer ; de manière
générale, pour l’entreprise, l’équipe est une force à son service, mais qui peut se retourner
contre elle. D’où la circonspection à l’égard de la notion de coopération au sein de
l’équipe : tout groupe qui s’isole est un groupe qui conspire, ou qui peut conspirer (Azieu
& Martin, 1997)43.
I.A.3. Une vision plus stratégique de la coopération intra-organisationnelle
Les approches précédentes permettent de placer la rationalité calculatoire au cœur de la
coopération complémentaire. Dans le même temps, elle mettent l’accent sur des
mécanismes de coordination et d’incitation à mettre en œuvre pour s’attacher la
coopération des salariés, ceci en vue d’atteindre les objectifs des dirigeants. Elles cherchent
alors à définir des modes de coordination et d’incitations.
L’approche de M. Crozier et E. Friedberg (1977) suit le mouvement inverse ; elle
privilégie l’intention stratégique de l’acteur sur les déterminismes structurels44. Si les
auteurs reconnaissent l’influence des modes d’organisation du travail, ces derniers ne sont
pas l’objet de l’analyse mais y servent plutôt de cadre : les stratégies des acteurs sont
étudiées en fonction de l’organisation dans laquelle elles se déploient. De plus, les
sociologues étendent le champ d’analyse de la coopération dans l’organisation aux
relations entre acteurs et leurs réflexions dépassent le seul cadre de la relation de l’employé
avec son employeur. La grille de lecture des deux sociologues permet de relire la
coopération dans l’organisation ; elle devient « stratégique » suivant la terminologie de P.
Romelaer (1998)45.
I.A.3.a) L’intention stratégique : entre liberté et déterminisme
Au-delà d’une vision mécaniste de l’organisation comme « problème technique », comme
une machine qu’il faut agencer rationnellement, l’organisation est ici considérée comme un
43 D. Anzieu & J.-Y. Martin, La dynamique des groupes restreints, PUF, treizième édition 1997, première édition 1968. De la même manière, on peut comprendre la méfiance que la plupart des civilisations ont témoignée aux petits groupes spontanés, ou encore la méfiance des églises à l’égard des sectes. 44 M. Crozier & E. Friedberg, L’acteur et le système , Editions du Seuil, 1977 45 P. Romelaer, Atelier 1 :la coopération, miméo, groupe permanent de réflexion, CNAM, journée de travail du 27 mai 1998, p. 4. Le terme « coopération stratégique » lui est emprunté.
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lieu de confrontation des rationalités partielles, locales. L’individu joue son rôle attendu,
appris tout au long des processus de socialisation, mais il n’est jamais enfermé dans celui-
ci. En tant qu’acteur, il ne joue d’ailleurs pas seulement son rôle mais aussi avec son rôle ;
il est capable d’interprétation en mettant à profit les ambiguïtés et contradictions que celui-
ci recèle.
Comme C. Barnard (1938, op. cit.), les auteurs articulent relations formelles et informelles.
Surtout, leur questionnement est centré sur les phénomènes de coopération dans l’action
collective comme construit social. Mais contrairement au manager américain, les
sociologues ne se limitent pas aux phénomènes de coopération verticale, à l’acceptation du
système d’autorité ; ils élargissent son étude à l’ensemble des interactions au sein d’une
organisation. Dès l’introduction de L’acteur et le système, les auteurs posent ainsi
clairement le problème : les modes d’organisation « ne constituent rien d’autre que des
solutions toujours spécifiques, que des acteurs relativement autonomes, avec leurs
ressources et leurs capacités particulières, ont créées, inventées, instituées pour résoudre
les problèmes posés par l’action collective et notamment, le plus fondamental de ceux-ci,
celui de leur coopération en vue de l’accomplissement d’objectifs communs, malgré leurs
orientations divergentes » (Crozier & Friedberg, 1977 :15, op. cit.).
De plus, et c’est là la divergence fondamentale avec les visions antérieures de la
coopération, les auteurs dénoncent la rationalité a priori du modèle
contribution/rétribution : « l’acteur ne se détermine pas du tout en fonction d’un bilan qu’il
établirait, de ce qu’il a donné et de ce qu’il a reçu, mais, au contraire, en fonction des
opportunités qu’il distingue dans la situation et de ses capacités à s’en saisir » (Crozier &
Friedberg, 1977 :49, op. cit.). L’acteur saisit dès qu’il le peut les opportunités d’obtenir un
profit, une augmentation, un promotion ; les arguments pour justifier ses demandes sont
généralement découverts chemin faisant, voire après coup. Le modèle contribution-
rétribution est alors une rationalisation a posteriori d’une argumentation en vue d’obtenir
un profit. Les auteurs opèrent ainsi un retournement, l’équilibre contribution-rétribution
n’est plus la cause de l’action collective mais bien un de ses produits.
M. Crozier et E. Friedberg opposent une seconde critique à ce modèle ; cet équilibre a un
sens si les deux notions de contribution et de rétribution sont mutuellement exclusives, or
l’opacité du contexte organisationnel « oblige les acteurs à des compromis, à des détours
dans leur action, les forçant à la limite à tricher avec leurs propres objectifs ou « biaiser »
avec les « besoins » de leur personnalité » (Crozier & Friedberg, 1977 :50, op. cit.). Si elle
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s’inscrit dans le cadre d’une rationalité procédurale, cette critique repose aussi sur la
volonté des auteurs de montrer la nature artificielle de la séparation conceptuelle entre
l’idée d’organisation et celle d’acteur. On ne peut comprendre l’une sans l’autre ; il en va
alors de même pour les notions de rétribution et de contribution.
Quatre postulats président ainsi à l’analyse stratégique : l’organisation est un construit
contingent, l’acteur est relativement libre, il existe un écart entre les objectifs