GESTION DES RELATIONS SOCIALES
Dr Joao de SOUZA
Les relations de travail ou relations professionnelles ou relations sociales
L’expression relations de travail — ou relations professionnelles — désigne le système dans
lequel les employeurs, les travailleurs et leurs représentants, ainsi que le gouvernement par
voie directe ou indirecte, échangent leurs points de vue et conjuguent leurs efforts pour fixer
les règles de base de la conduite des relations de travail. Cette expression désigne aussi un
champ de recherche voué à l’étude de ces relations. Il s’agit d’un legs de la révolution
industrielle, dont les excès ont conduit à l’émergence de syndicats pour représenter les
travailleurs et au développement de régimes collectifs de relations professionnelles. Tout
système de relations de travail ou de relations professionnelles est à l’image des interactions
entre ses principaux acteurs: l’Etat, l’employeur (ou des employeurs ou une association
d’employeurs), les syndicats et les travailleurs (qui peuvent adhérer ou non aux syndicats et à
d’autres organismes se proposant de les représenter). Les expressions «relations de travail» et
«relations professionnelles» sont également employées à propos de diverses formes de
participation des travailleurs; elles peuvent aussi englober la relation individuelle d’emploi
entre un employeur et un travailleur aux termes d’un contrat de travail écrit ou tacite, bien que
cette relation soit habituellement qualifiée de «relation d’emploi». L’usage de ces expressions
varie considérablement selon les époques et les endroits et reflète en partie l’évolution qui
caractérise ce domaine. Toutefois, on convient généralement qu’elles comprennent la
négociation collective, diverses formes de participation des travailleurs (comme les comités
d’entreprise et les comités d’hygiène et de sécurité) et les mécanismes de règlement des
différends collectifs et individuels. La grande diversité des systèmes de relations
professionnelles dans le monde suppose d’assortir les analyses comparatives et les
classifications de certaines mises en garde au sujet des risques de généralisation et d’analogies
trompeuses. Traditionnellement, on distingue quatre types de gestion en milieu de travail:
dictatoriale, paternaliste, institutionnelle, participative; ce chapitre traite principalement des
deux derniers types.
Tout système de relations professionnelles met en jeu des intérêts à la fois privés et publics.
L’Etat en est également partie prenante, mais son rôle va de l’interventionnisme à la passivité
selon les pays. La nature des rapports entre le monde syndical, le patronat et le gouvernement
en matière de sécurité et de santé est révélatrice de la situation globale des relations
professionnelles dans un pays, une branche d’activité, et vice versa. Un système de relations
professionnelles sous-développé tend à l’autoritarisme, l’employeur dictant des règles sans la
participation directe ou indirecte des salariés qui se bornent à accepter un emploi aux
conditions offertes.
Tout système de relations professionnelles comporte à la fois des valeurs de société (liberté
syndicale, sens de la solidarité au sein du groupe, recherche du profit maximum) et diverses
techniques (méthodes de négociation, organisation du travail, consultation et règlement des
différends). Par tradition, les systèmes de relations professionnelles sont classés par modèles
nationaux, mais la validité de cette façon de voir s’estompe devant la diversité de plus en plus
marquée des pratiques dans les pays et la montée en puissance d’une économie mondiale,
aiguillonnée par la concurrence internationale. Certains pays sont connus pour avoir des
modèles de relations professionnelles de type coopératif (Allemagne, Belgique), tandis que
d’autres ont des modèles qualifiés de conflictuels (Bangladesh, Canada, Etats-Unis). Divers
systèmes ont également fait l’objet d’une distinction sur la base de leur régime centralisé de
négociation collective (par exemple, les pays nordiques, bien qu’ils tendent à s’en éloigner,
comme on le voit en Suède), la négociation par branche sectorielle ou industrielle
(Allemagne), ou la négociation par entreprise ou par établissement (Etats-Unis, Japon). Dans
les pays qui sont passés d’une économie planifiée à une économie de marché, les systèmes de
relations professionnelles sont en période de transition. Par ailleurs, de plus en plus d’études
analytiques portent sur la typologie des relations individuelles d’emploi en tant qu’indicateurs
des types de systèmes de relations professionnelles.
Même les descriptions classiques des systèmes de relations professionnelles ne sont pas du
tout figées, car ces systèmes évoluent et s’adaptent aux nouvelles situations, qu’elles soient
d’ordre économique ou politique. La mondialisation de l’économie de marché,
l’affaiblissement de l’Etat en tant que réelle force agissante et le déclin du pouvoir syndical
dans bon nombre de pays industrialisés constituent autant de sérieux défis lancés aux
systèmes traditionnels de relations professionnelles. Le progrès technologique a modifié le
contenu des tâches et l’organisation du travail; ces changements, en retour, influent
profondément sur la capacité d’épanouissement des régimes collectifs de relations
professionnelles et sur leur orientation. Le schéma traditionnel — horaires de travail
communs pour tous les salariés dans un même lieu — cède graduellement la place à des
horaires plus variés et à l’exécution décentralisée des tâches en divers endroits, y compris à
domicile, avec moins de surveillance directe de la part de l’employeur. Les relations d’emploi
dites «atypiques» méritent de moins en moins ce qualificatif puisque les effectifs de la main-
d’œuvre précaire ou occasionnelle continuent de grossir. Par ricochet, cette situation exerce
une pression sur les systèmes établis de relations professionnelles.
Des formes nouvelles de représentation et de participation des salariés sont en train de donner
une dimension supplémentaire au tableau des relations professionnelles dans un certain
nombre de pays. Tout système de relations professionnelles établit les règles de base,
formelles ou non, qui déterminent la nature des régimes collectifs de relations
professionnelles, ainsi que le cadre de la relation d’emploi individuelle entre un travailleur et
son employeur. Du côté patronal, de nouveaux acteurs viennent compliquer la situation,
notamment les bureaux de placement temporaire ou agences d’intérim et les sous-traitants
fournisseurs de main-d’œuvre qui peuvent avoir des responsabilités envers des travailleurs
sans exercer pour autant de contrôle sur les conditions d’exécution du travail, ou sans avoir la
possibilité d’assurer la formation à la sécurité. De plus, les employeurs des secteurs public et
privé sont régis par une réglementation distincte dans la plupart des pays; il existe souvent des
écarts considérables entre ces deux secteurs pour ce qui est des droits et de la protection des
salariés. En outre, le secteur privé est exposé à la concurrence internationale, qui n’influe pas
directement sur les relations professionnelles dans le secteur public.
Enfin, l’idéologie néolibérale, qui privilégie la conclusion de contrats d’emploi individuel au
détriment des conventions collectives, constitue une autre menace pour les systèmes
traditionnels de relations professionnelles. Ces systèmes sont nés de l’émergence de la
représentation collective des travailleurs, le passé ayant démontré qu’isolés, ceux-ci sont en
position de faiblesse par rapport à l’employeur. L’abandon de toute représentation collective
risquerait de rétablir une notion largement répandue au XIXe siècle selon laquelle chaque
personne est libre d’accepter un travail dangereux, et que c’est là une question de libre arbitre.
La mondialisation croissante de l’économie, le rythme accéléré des changements
technologiques et, partant, l’appel à une flexibilité accrue des institutions de relations
professionnelles lancent à ces dernières de nouveaux défis dont dépendent leur survie et leur
prospérité. En fonction de leurs traditions et de leurs institutions actuelles, les parties à un
système de relations de travail peuvent réagir très différemment à des pressions identiques,
exactement comme les gestionnaires peuvent choisir une stratégie établie en fonction des
coûts ou, plutôt, une stratégie axée sur la valeur ajoutée pour affronter une concurrence accrue
(Locke, Kochan et Piore, 1995). Le degré de participation des travailleurs ou le rôle de la
négociation collective dans un système de relations professionnelles influe sans aucun doute
sur l’approche des gestionnaires face aux problèmes de sécurité et de santé dans l’entreprise.
Par ailleurs, une autre constante demeure, celle de la dépendance économique du travailleur
individuel par rapport à l’employeur; cette réalité qui sous-tend leur relation comporte de
graves conséquences potentielles en matière de sécurité et de santé. On considère que
l’employeur a l’obligation générale de garantir un milieu de travail sûr et salubre, de former
son personnel et de lui fournir l’équipement nécessaire pour qu’il puisse effectuer son travail
en sécurité. Réciproquement, il incombe au travailleur de se conformer aux règles de sécurité
et de santé et d’éviter de se blesser ou de blesser autrui dans l’accomplissement de ses
fonctions. Tout manquement à ces obligations ou à d’autres prescriptions peut aboutir à des
conflits, dont le règlement repose sur le système de relations professionnelles. Les
mécanismes de règlement des différends comprennent les règles qui régissent non seulement
les arrêts de travail (grèves, ralentissements de travail ou grèves perlées, grèves du zèle, etc.)
et les lock-out, mais encore les mesures disciplinaires et le licenciement des salariés. De plus,
dans de nombreux pays, les employeurs sont tenus de cotiser à divers organismes de
prévention, d’assurer la surveillance de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail, de
déclarer les accidents du travail et les maladies professionnelles et, indirectement,
d’indemniser les travailleurs victimes d’un accident du travail ou d’une maladie
professionnelle.
La gestion des ressources humaines
La gestion des ressources humaines est définie comme «la science théorique et pratique qui
traite de la nature de la relation d’emploi et de la totalité des décisions, actions et enjeux qui
ont trait à cette relation» (Ferris, Rosen et Barnum, 1995; voir figure 21.1). Elle englobe les
politiques et les pratiques formulées par l’employeur qui envisagent l’utilisation et
l’administration du personnel comme une ressource commerciale dans la stratégie globale de
l’entreprise visant à améliorer la productivité et la compétitivité. Cette expression est
fréquemment employée pour désigner une conception de l’administration du personnel qui
met l’accent sur la participation des salariés, normalement dans une organisation non
syndiquée (mais pas toujours), afin d’encourager les travailleurs à améliorer leur productivité.
Cette discipline, qui a vu le jour à l’époque de la première guerre mondiale, s’est constituée à
partir de la convergence des théories scientifiques sur la gestion, des travaux portant sur
l’assistance sociale et la psychologie du travail; elle a considérablement évolué depuis lors.
Actuellement, elle met en valeur les techniques d’organisation du travail, les méthodes de
recrutement et de sélection du personnel, l’évaluation du rendement, la formation, le
perfectionnement professionnel et l’organisation des carrières, ainsi que la participation
directe du personnel et la communication. La gestion des ressources humaines est présentée
comme une solution de rechange au «fordisme», le type classique de la production à la chaîne
où les ingénieurs sont chargés de l’organisation du travail et où les tâches assignées aux
travailleurs sont fractionnées et étroitement délimitées. Les formes courantes de participation
du personnel comprennent des systèmes d’incitation à l’initiative et aux suggestions, des
enquêtes sur les attitudes, des programmes de valorisation du travail, le travail en équipe et
d’autres formes de responsabilisation du même ordre, des programmes de qualité de la vie au
travail, des cercles de qualité et des groupes de travail spéciaux. Le cas échéant, une autre
caractéristique de la gestion des ressources humaines consiste à lier, individuellement ou
collectivement, le salaire au rendement. Signalons que l’un des trois objectifs définis par le
Comité mixte OIT/OMS de la santé au travail est «l’adoption de systèmes d’organisation du
travail et de cultures d’entreprise susceptibles de contribuer à la sécurité et à la santé au travail
et de promouvoir un climat social positif et le bon fonctionnement de l’entreprise» (BIT,
1995b). C’est ce que l’on appelle la recherche d’une «culture de la sécurité» dans l’entreprise.
Figure 21.1 La gestion des ressources humaines: une valeur ajoutée aux personnes et aux
organisations
L’exemple d’un programme de gestion de la sécurité au travail illustre certaines théories de la
gestion des ressources humaines sur le plan de la sécurité et de la santé des travailleurs.
Comme l’ont expliqué Reber, Wallin et Duhon (1993), cette approche a beaucoup contribué à
la diminution des absences dues aux accidents. Elle consiste à déterminer quels sont les
comportements sûrs et les comportements dangereux, à enseigner aux salariés à les
reconnaître et à encourager ceux-ci à observer les règles de sécurité en leur fixant des
objectifs et en les informant des résultats. Le programme fait largement appel à une technique
de formation consistant à montrer aux travailleurs les méthodes sûres et correctes par des
montages vidéo ou des démonstrations. Ils ont alors la possibilité de s’exercer afin de changer
de comportement et sont régulièrement informés des résultats. De plus, certaines entreprises
décernent des prix et des récompenses aux salariés qui adoptent un comportement respectueux
de la sécurité et y participent activement (au lieu de se contenter d’avoir moins d’accidents).
La consultation du personnel est aussi un élément important du programme.
Les répercussions de la gestion des ressources humaines sur la pratique des relations
professionnelles continuent de prêter à controverse. C’est particulièrement vrai des
programmes de participation du personnel qui sont perçus par les syndicats comme une
menace. Dans certains cas, des stratégies de gestion des ressources humaines sont menées
parallèlement à la négociation collective; dans d’autres, la gestion des ressources humaines
s’inscrit dans une perspective visant à supplanter ou à entraver les activités des organisations
indépendantes qui défendent les intérêts des travailleurs. Des partisans de la gestion des
ressources humaines soutiennent que, depuis les années soixante-dix, la fonction de gestion
du personnel dans la gestion des ressources humaines a évolué; autrefois simple soutien des
relations professionnelles, elle occupe maintenant une place de premier plan qui revêt une
importance cruciale pour l’efficacité d’une organisation (Ferris, Rosen et Barnum, 1995). La
gestion des ressources humaines étant un outil à la disposition de la direction pour mener sa
politique de personnel plutôt qu’un élément de rapprochement entre l’employeur et les
représentants choisis par les salariés, elle n’occupe pas une place prépondérante dans le
présent chapitre.
Les articles de ce chapitre décrivent les principales parties à un système de relations
professionnelles et les principes fondamentaux qui en charpentent l’interaction: la liberté
syndicale et le droit de représentation. Le corollaire naturel de la liberté syndicale est le droit
de mener des négociations collectives, phénomène qu’il faut distinguer des arrangements
concernant la consultation et la participation des travailleurs non syndiqués. La négociation
collective a lieu entre les représentants choisis par les travailleurs et ceux de l’employeur; elle
aboutit à une convention conclue d’un commun accord et liant les deux parties et peut porter
sur une gamme étendue de sujets. D’autres formes de participation des travailleurs, les
organismes consultatifs au niveau national, les comités d’entreprise et les délégués à la
sécurité et à la santé dans l’entreprise sont également des éléments importants de certains
systèmes de relations professionnelles; ils sont donc étudiés dans ce chapitre. La consultation
peut prendre diverses formes et se dérouler à différents niveaux: national, régional, branche
d’activité, entreprise. Les représentants du personnel qui siègent aux organismes consultatifs
peuvent avoir été choisis ou non par les travailleurs, et rien n’oblige l’Etat ou l’employeur à
donner suite aux souhaits exprimés par ces représentants ou à se plier aux résultats de la
consultation. Dans certains pays, la négociation collective et la consultation coexistent, mais
elles ne peuvent alors fonctionner convenablement que si l’on a pris soin d’en harmoniser les
dispositifs. Dans les deux cas, le droit à l’information en matière de sécurité et de santé et le
droit à la formation revêtent une importance cruciale. Enfin, ce chapitre tient compte du fait
que, dans tout système de relations professionnelles, des différends peuvent survenir, qu’ils
soient individuels ou collectifs. Les questions de sécurité et de santé peuvent mener à un
conflit en matière de relations professionnelles et entraîner des arrêts de travail. Après une
analyse du rôle de l’inspection du travail dans les relations professionnelles, le chapitre se
termine par la description des modes de règlement des différends en matière de relations
professionnelles, dont l’arbitrage, la médiation ou le recours aux tribunaux ordinaires ou aux
juridictions du travail.
Les acteurs du système de relations professionnelles
On identifie habituellement trois acteurs en tant que parties à un système de relations
professionnelles: l’Etat, les employeurs et les représentants des travailleurs. Il faut maintenant
y ajouter les forces qui dépassent ces catégories: les accords d’intégration économique
régionaux, multilatéraux et autres passés par les Etats et les multinationales en tant
qu’employeurs qui n’ont pas une identité nationale, mais peuvent être considérées comme des
institutions du marché du travail. L’impact de ces phénomènes sur les relations
professionnelles étant encore mal connu à bien des égards, l’analyse portera surtout sur les
acteurs traditionnels, en gardant à l’esprit les limites d’une telle démarche dans une société de
plus en plus mondialisée. En outre, il faudrait affiner l’analyse du rôle de la relation d’emploi
individuel dans les systèmes de relations professionnelles et l’impact des nouvelles formes de
travail.
L’Etat
Depuis toujours, l’Etat a exercé une action sur l’ensemble des relations professionnelles, fût-
ce indirectement. Source de la législation, il influence inévitablement l’apparition et le
développement de tout système de relations professionnelles. Les lois peuvent entraver ou
faciliter, directement ou indirectement, la création d’organisations représentant les travailleurs
et les employeurs. La législation établit aussi un niveau minimal de protection des travailleurs
et fixe «les règles du jeu». Par exemple, elle peut accorder une protection plus ou moins
grande aux délégués à la sécurité et à la santé, ou aux salariés qui refusent d’exécuter un
travail qu’ils ont des motifs valables de considérer comme trop dangereux.
Par l’orientation qu’il imprime à son administration du travail, l’Etat pèse aussi sur le
fonctionnement du système de relations professionnelles. S’il fait appliquer efficacement la
loi grâce à l’inspection du travail, la négociation collective peut prendre le relais au point où
s’arrête le droit. En revanche, si l’infrastructure étatique permettant de faire valoir des droits
ou contribuant au règlement des différends entre employeurs et travailleurs est faible, les
parties devront elles-mêmes créer d’autres institutions ou mettre au point d’autres
arrangements.
L’attention que l’Etat porte à la mise en place d’un mécanisme — judiciaire ou autre — de
règlement des différends peut également influer sur la tournure des relations professionnelles.
La simplicité d’application des droits reconnus aux travailleurs, aux employeurs et à leurs
organisations respectives peut se révéler tout aussi importante que les droits proprement dits.
En effet, la décision d’un gouvernement de créer des juridictions spécialisées ou des instances
administratives pour trancher les différends collectifs ou individuels peut signaler la priorité
accordée à ces questions dans la société.
Dans de nombreux pays, l’Etat joue un rôle direct dans les relations professionnelles. Dans les
pays qui ne respectent pas les principes de la liberté syndicale, ce rôle risque de se résumer à
dominer purement et simplement les organisations d’employeurs et de travailleurs ou à
s’ingérer dans leurs activités. L’Etat peut tenter d’invalider les conventions collectives quand
il y voit un obstacle à ses objectifs de politique économique. Il faut toutefois admettre qu’en
règle générale le rôle de l’Etat dans les pays industriels tend à promouvoir des relations
professionnelles ordonnées en établissant le cadre législatif indispensable, y compris un
minimum de protection pour les travailleurs et des services mis à la disposition des parties en
matière d’information, de conseil et de règlement des différends. Cela peut aller de la simple
acceptation des institutions de relations professionnelles et des parties prenantes à l’incitation
active de ces institutions. Dans quelques pays, l’Etat participe activement au système de
relations professionnelles, y compris aux négociations tripartites à l’échelle nationale. Depuis
plusieurs décennies en Belgique et, plus récemment, en Irlande, les représentants
gouvernementaux siègent avec ceux des milieux patronaux et syndicaux pour conclure un
contrat ou pacte national portant sur une vaste gamme d’enjeux sociaux et de problèmes liés
au travail. Autre exemple: le système de relations professionnelles en Argentine et au
Mexique compte depuis longtemps un mécanisme tripartite de fixation du salaire minimum.
L’intérêt de l’Etat à agir de la sorte réside dans sa volonté d’orienter l’économie nationale
dans un certain sens et de maintenir la paix sociale pendant la durée du pacte; ces accords bi-
ou tripartites créent le «dialogue social» tel qu’il est pratiqué en Australie (jusqu’en 1994), en
Autriche, en Belgique, en Irlande et aux Pays-Bas, par exemple. Les avantages et les
inconvénients de ce que l’on appelle l’esprit «corporatiste» ou «néocorporatiste» en matière
de relations professionnelles ont été largement débattus au fil des ans. Elle-même dotée d’une
structure tripartite, l’Organisation internationale du Travail prône de longue date une
coopération tripartite soutenue, où les «partenaires sociaux» jouent un rôle important dans
l’élaboration des politiques gouvernementales sur de nombreux sujets.
Dans certains pays, l’idée même de voir l’Etat intervenir comme négociateur dans des
négociations du secteur privé est impensable; tel est le cas en Allemagne ou aux Etats-Unis.
Abstraction faite de sa fonction législative, l’Etat se limite, en général, dans ce type de
systèmes, à aider les parties à conclure une entente, par exemple en offrant des services
volontaires de médiation. Actif ou passif, l’Etat n’en demeure pas moins un partenaire
incontournable dans tout système de relations professionnelles. De plus, chaque fois qu’il est
lui-même l’employeur ou qu’il s’agit d’une entreprise publique, l’Etat participe bien entendu
directement aux relations professionnelles avec les salariés et leurs représentants. Dans ce
contexte, la motivation de l’Etat ressortit à son rôle de prestataire de services publics ou
d’acteur de la scène économique.
Enfin, l’impact des accords d’intégration économique régionaux sur les politiques de l’Etat se
ressent également dans le domaine des relations professionnelles. Les Etats membres de
l’Union européenne ont adapté leurs pratiques aux directives concernant la consultation des
travailleurs et de leurs représentants, notamment les directives en matière de sécurité et de
santé. Des accords commerciaux multilatéraux, comme l’accord de coopération dans le
domaine du travail conclu dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain
(Canada, Etats-Unis, Mexique) (ALENA), ou les accords relatifs à la mise en œuvre du
Marché commun du cône sud (Argentine, Brésil, Chili, Paraguay, et Uruguay auxquels se
joindra bientôt la Bolivie) (MERCOSUR), contiennent aussi parfois des clauses ou des
dispositifs relatifs aux droits des travailleurs qui, avec le temps, peuvent avoir des
répercussions indirectes sur les systèmes de relations professionnelles des signataires.
L’Organisation internationale des employeurs (OIE)
L’Organisation internationale des employeurs (OIE), dont le siège est à Genève, regroupait, en
1996, 118 organisations centrales nationales d’employeurs de 116 pays. La structure particulière
des organisations affiliées peut différer d’un pays à un autre, mais pour pouvoir adhérer à l’OIE,
elles doivent toutes satisfaire à certaines conditions: être l’organisation la plus représentative des
employeurs (des employeurs exclusivement) de leur pays, être une organisation libre, entièrement
indépendante, sans contrôle ou ingérence extérieurs d’aucune sorte; soutenir et défendre le
principe de la libre entreprise. On trouve parmi les membres de l’OIE des fédérations et des
confédérations patronales, des chambres de commerce et d’industrie, des conseils, des
associations. Les organisations régionales ou sectorielles ne peuvent en faire directement partie,
pas plus que des entreprises particulières, quelles que soient leur taille ou leur importance. L’OIE
peut se présenter ainsi en porte-parole de l’ensemble des employeurs, et non de tel ou tel secteur
ou de telle ou telle entreprise.
La principale activité de l’OIE, au demeurant, est de défendre les positions patronales sur les
problèmes du travail et les questions sociales au niveau international, c’est-à-dire principalement
au sein de l’OIT — institution des Nations Unies chargée de ces questions — où elle a un statut
consultatif. L’OIE a également le statut consultatif (catégorie I) auprès du Conseil économique et
social des Nations Unies, où elle intervient lors de l’examen de problèmes qui intéressent les
employeurs.
L’OIE est l’une des deux organisations que les entreprises ont constituées pour représenter leurs
intérêts au niveau international. L’autre, dont le siège est à Paris, est la Chambre de commerce
internationale, qui se préoccupe principalement des questions économiques. De structure très
différente, les deux organisations se complètent. Leur coopération est régie par un accord qui
définit leurs compétences respectives; elle est favorisée par les bonnes relations qu’entretiennent
leurs représentants et, dans certains cas, par la présence en leur sein des mêmes organisations.
Bien des questions chevauchent les mandats de l’une et de l’autre; elles sont traitées de façon
pragmatique, sans nulle friction. Sur d’autres sujets, les entreprises multinationales, par exemple,
les deux organisations agissent de concert.
par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de BIT, 1994)
Les employeurs
Les employeurs — au sens de fournisseurs de travail — font habituellement l’objet d’une
distinction dans les systèmes de relations professionnelles en fonction de leur appartenance au
secteur privé ou au secteur public. D’un point de vue historique, le syndicalisme et la
négociation collective ont d’abord pris leur essor dans le secteur privé, mais ces dernières
années, le phénomène s’est répandu aussi dans de nombreux milieux du secteur public. La
situation des entreprises appartenant à l’Etat — dont le nombre diminue de toute façon dans le
monde entier — en tant qu’employeur varie selon les pays (ces entreprises continuent à jouer
un rôle clé en Chine, en Inde, au Viet Nam et dans de nombreux pays africains). En Europe
centrale et orientale, l’une des gageures du postcommunisme a résidé dans la constitution
d’organisations indépendantes d’employeurs.
La situation dans le secteur privé se résume comme suit:
Les employeurs ont des intérêts communs à défendre, des causes précises à faire avancer. Les
buts qu’ils poursuivent en constituant des organisations déterminent le caractère de celles-ci:
chambres de commerce ou d’industrie, associations économiques, organisations patronales
(pour les problèmes du travail et les questions sociales) [...] Pour ce qui touche au domaine
social — droit du travail, négociation collective, salaires et conditions de travail, sécurité et
santé au travail, mise en valeur des ressources humaines, les employeurs se regroupent, pour
coordonner leur action, dans des organisations de type patronal de nature toujours volontaire
[...] (BIT, 1994a).
Certaines organisations d’employeurs ont été constituées initialement en réponse à la pression
exercée par les syndicats en vue de négocier, mais d’autres s’inscrivent dans le droit-fil des
guildes médiévales ou autres, fondées pour défendre des intérêts commerciaux particuliers.
Les organisations d’employeurs sont définies comme des associations patronales structurées
dont la mission est de défendre et de représenter les employeurs affiliés, de les conseiller et
d’en renforcer la position au sein de la société en général en ce qui concerne les questions de
relations professionnelles, par opposition aux questions économiques [...] Contrairement aux
syndicats qui sont composés d’individus, les organisations d’employeurs sont composées
d’entreprises (Oechslin, 1995).
Comme l’a constaté Oechslin, trois fonctions principales (avec un certain chevauchement)
sont en général communes à toutes les organisations d’employeurs: la défense et la promotion
des intérêts de leurs membres, la représentation dans la structure politique et la prestation de
services à leurs membres. La première fonction se traduit en grande partie par des pressions
exercées sur le gouvernement pour le convaincre d’adopter des politiques favorables aux
intérêts des employeurs et par des actions visant à influencer l’opinion publique, surtout au
moyen de campagnes dans les médias. La fonction de représentation peut s’exercer dans la
structure politique ou les institutions chargées des relations professionnelles. La
représentation politique est présente dans les systèmes où la consultation des groupements
d’intérêts économiques est prévue par la loi (par exemple, en Suisse), où des conseils
économiques et sociaux assurent la représentation patronale (par exemple, en France, dans les
pays francophones d’Afrique et aux Pays-Bas), et où il y a participation à des forums
tripartites tels que la Conférence internationale du Travail et d’autres activités de l’OIT. De
plus, les organisations d’employeurs peuvent exercer une influence considérable au niveau
régional (en particulier dans l’Union européenne).
Le mode de représentation dans le système de relations professionnelles dépend étroitement
du niveau de la négociation collective dans un pays donné. Ce facteur détermine aussi en
grande partie la structure de l’organisation patronale. Si la négociation est centralisée au
niveau national, cela transparaîtra dans la structure interne et le mode de fonctionnement de
l’organisation patronale (banque centrale de données statistiques et économiques, création
d’un système d’assurance mutuelle en cas de grève, fort sens de la discipline au sein du
groupe, etc.). Même dans les pays où la négociation a lieu au niveau de l’entreprise (comme
aux Etats-Unis ou au Japon), l’organisation patronale peut procurer à ses membres de
l’information, des lignes directrices et des conseils. Bien entendu, la négociation sectorielle
(comme en Allemagne où, cependant, certains employeurs se sont récemment dissociés de
leurs associations) ou multisectorielle (comme en France ou en Italie) influe aussi sur la
structure des organisations patronales.
Quant à la troisième fonction, «il n’est pas toujours facile de tracer une ligne de démarcation
entre les activités de soutien des fonctions susmentionnées et celles qui sont entreprises dans
l’intérêt des membres», fait observer Oechslin (1995). La recherche illustre parfaitement cette
situation, car elle peut servir à des fins multiples. Dans le domaine de la sécurité et de la santé,
les employeurs appartenant aux diverses branches d’activité peuvent utilement partager des
données et de l’information. Souvent, des concepts nouveaux ou des réactions à des
développements novateurs dans le monde du travail sont le produit d’une vaste réflexion au
sein des organisations patronales. Ces groupes offrent aussi à leurs membres de la formation
sur de nombreux sujets concernant le management et mènent une action sur le plan social, par
exemple en favorisant la création d’habitations pour les travailleurs ou en soutenant les
activités communautaires. Dans certains pays, les organisations patronales aident leurs
membres en cas de saisine des tribunaux du travail.
La structure des organisations d’employeurs dépend non seulement du niveau de la
négociation, mais encore de l’étendue du pays, du système politique et, parfois, des traditions
religieuses. Dans les pays en développement, le défi principal réside dans l’intégration des
membres qui forment un groupe très hétérogène pouvant comprendre des petites et moyennes
entreprises, des sociétés d’Etat et des filiales de multinationales. La force d’une organisation
patronale correspond aux ressources que ses membres sont disposés à lui consacrer, qu’il
s’agisse de cotisations et de contributions, ou de savoir-faire et de temps.
La taille d’une entreprise est un facteur déterminant de l’approche en matière de relations
professionnelles, l’employeur dont la main-d’œuvre est peu nombreuse étant plus susceptible
de recourir à des moyens informels pour traiter avec ses travailleurs. Les petites et moyennes
entreprises, dont les définitions varient, se trouvent parfois au-dessous du seuil légal qui
commande la participation des travailleurs. Quand la négociation collective se situe au niveau
de l’entreprise, il y a beaucoup plus de chances d’en constater l’application concrète dans les
grandes entreprises; quand elle se déroule aux niveaux sectoriel ou national, ses effets se
feront généralement sentir là où, historiquement, les grandes entreprises dominent le marché
du secteur privé.
En tant que groupes d’intérêts, les organisations patronales — comme les syndicats — sont
aux prises avec leurs propres problèmes pour ce qui est du leadership, de la prise de décisions
interne et de la participation des membres. Toutefois, les employeurs ayant tendance à être
individualistes, il est encore plus difficile pour les organisations patronales de maintenir la
discipline parmi leurs adhérents. Comme le signale van Waarden (1995), «en général, les
associations patronales comptent des ratios de densité élevés [...] Pourtant, les employeurs ont
beaucoup plus de mal à se plier aux décisions et aux règlements pris par leurs associations
parce que cela empiète sur la sacro-sainte liberté d’entreprise». Les tendances constatées dans
la structure des organisations patronales correspondent dans une large mesure à celles du
marché du travail — pour ou contre la centralisation, pour ou contre la réglementation de la
concurrence. Van Waarden poursuit: «quand bien même la pression en faveur d’une flexibilité
accrue se maintiendrait dans ‘l’après-fordisme’, cela ne rendrait pas pour autant les
associations patronales superflues ou moins influentes [...] Elles continueront de jouer un rôle
important en coulisses pour la coordination des politiques relatives au marché du travail,
comme conseillères des entreprises ou des associations sectorielles qui pratiquent la
négociation collective». Elles peuvent aussi assurer une fonction de solidarité; par l’entremise
des associations patronales, les petits employeurs ont accès à des services de conseils ou à des
services juridiques qui seraient, sinon, hors de leurs moyens.
Dans le secteur public, les employeurs ne se considèrent comme tels que depuis peu. A
l’origine, les gouvernements estimaient que la syndicalisation des fonctionnaires était
incompatible avec le service de l’Etat souverain. Par la suite, ils ont opposé un refus aux
appels à la négociation collective, sous le prétexte que le pouvoir législatif, et non
l’administration publique, était le véritable trésorier-payeur et qu’il était donc impossible à
l’administration de conclure une convention. Cependant, ces arguments n’ont pas empêché
des grèves (souvent illégales) de fonctionnaires dans bien des pays; ils ont été peu à peu
abandonnés. En 1978, la Conférence internationale du Travail a adopté la convention (no 151)
et la recommandation (no 159) sur les relations de travail dans la fonction publique, portant
sur le droit des fonctionnaires de s’organiser et sur les procédures de détermination de leurs
conditions d’emploi. La négociation collective dans le secteur public est à présent entrée dans
les mœurs dans de nombreux pays développés (Australie, France, Royaume-Uni), ainsi que
dans plusieurs pays en développement (par exemple, dans de nombreux pays francophones
d’Afrique et des pays d’Amérique latine).
Le niveau de représentation de l’employeur dans le secteur public dépend en grande partie du
système politique du pays. Dans certains pays, la représentation est centralisée (comme en
France), tandis que dans d’autres elle correspond aux divers paliers de gouvernement (comme
aux Etats-Unis où l’une des parties à la négociation peut être le gouvernement fédéral, un Etat
fédéré ou une municipalité). L’Allemagne présente un cas intéressant: les milliers de
collectivités locales ont formé un front commun représenté par un seul agent négociateur
chargé de traiter avec les syndicats du secteur public dans tout le pays.
Les employeurs du secteur public faisant partie de l’Etat, ils ne sont pas assujettis aux lois
exigeant l’enregistrement des organisations patronales. La désignation de l’agent négociateur
dans le secteur public varie considérablement d’un pays à un autre; ce peut être une
commission de la fonction publique, le ministère du Travail, le ministère des Finances ou
n’importe quel autre organe gouvernemental. Les positions adoptées par un employeur du
secteur public pour traiter avec ses employés tendent à s’aligner sur l’orientation politique du
parti au pouvoir. Cela peut aller d’une prise de position donnée dans la négociation au refus
catégorique d’accorder aux fonctionnaires le droit de se syndiquer. Bien que la fonction
publique devienne un employeur beaucoup moins important dans de nombreux pays, on
constate malgré tout une ouverture croissante de la part des gouvernements pour entreprendre
des négociations et des consultations avec les représentants des salariés.
Les syndicats
Selon la définition classique, un syndicat est «une association permanente de salariés ayant
pour but de maintenir ou d’améliorer leurs conditions d’emploi» (Webb et Webb, 1920). Les
origines du syndicalisme sont aussi anciennes que les premières tentatives d’action collective
concertée au début de la révolution industrielle. Toutefois, le syndicalisme moderne a vu le
jour vers la fin du XIXe siècle lorsque les gouvernements ont commencé à reconnaître
l’existence légale des syndicats (auparavant, ceux-ci étaient perçus comme des coalitions
illégales entravant la liberté du commerce, ou comme des groupes politiques hors la loi). Les
syndicats incarnent la conviction que les travailleurs ne peuvent améliorer leur situation qu’en
unissant leurs forces. Les droits syndicaux sont nés de luttes économiques et politiques dans
lesquelles des sacrifices individuels ont été consentis dans l’immédiat au profit de gains
collectifs à long terme. Les syndicats ont souvent une action importante dans la politique
nationale et influent sur l’évolution du monde du travail aux niveaux régional et international.
Pourtant, leurs rangs se sont clairsemés ces dernières années dans plusieurs pays (en
Amérique du Nord et dans certains pays européens), et leur rôle est contesté par plusieurs
observateurs (voir figure 21.2). Toutefois, il ne s’agit pas d’une tendance uniforme dans le
monde entier: les effectifs syndicaux augmentent dans la fonction publique de nombreux pays
et on assiste à un renouveau du syndicalisme dans des endroits où les syndicats étaient
inexistants ou les activités syndicales sévèrement restreintes (par exemple, en Corée, aux
Philippines, dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale). L’épanouissement des
institutions démocratiques va de pair avec l’exercice des libertés syndicales, comme le
montrent à l’évidence le Chili et la Pologne dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.
Dans plusieurs pays, on peut également constater un mouvement de réforme interne et de
réorientation du monde syndical pour diversifier les effectifs et attirer un plus grand nombre
de personnes, notamment les femmes. Seul le temps dira si ces efforts et d’autres facteurs
seront suffisants pour faire contrepoids aux tendances à la «décollectivisation», qualifiée aussi
d’«atomisation» des relations professionnelles, qui accompagne la mondialisation croissante
de l’économie et la poussée de l’individualisme idéologique.
Figure 21.2 Taux de syndicalisation, 1980-1990
Dans les systèmes contemporains de relations professionnelles, les fonctions remplies par les
syndicats et les organisations d’employeurs sont, pour l’essentiel, les suivantes: défense et
promotion des intérêts des membres; représentation politique; prestations de services aux
membres. La fonction de représentation des syndicats comporte un autre aspect, le contrôle de
leur légitimité qui dépend en partie de leur capacité à maintenir la discipline dans leurs rangs,
par exemple lorsqu’il s’agit de déclencher une grève ou d’y mettre fin. Pour les syndicats, le
défi permanent consiste à renforcer leur représentativité, c’est-à-dire le nombre de leurs
membres exprimé en pourcentage de la main-d’œuvre recensée dans le secteur structuré. Les
membres des syndicats sont des individus dont les cotisations, appelées contributions dans
certains systèmes, alimentent les activités syndicales (les «syndicats maison», financés par les
employeurs, et les syndicats financés par les gouvernements, comme c’était le cas dans les
anciens pays communistes, ne sont pas pris en compte ici, car seules les organisations de
travailleurs indépendantes sont de véritables syndicats). En règle générale, l’affiliation est une
question de choix personnel et volontaire, bien que certains syndicats qui ont réussi à négocier
des clauses d’exclusivité ou de sécurité syndicale soient tenus pour les représentants de tous
les travailleurs visés par une convention collective donnée (par exemple, dans les pays où les
syndicats sont reconnus comme les représentants des travailleurs au sein d’une unité de
négociation définie). Les syndicats eux-mêmes peuvent s’affilier à des fédérations ou
confédérations au niveau d’une branche d’activité ou aux niveaux national, régional ou
international.
Les syndicats sont structurés selon divers schémas: par métier ou occupation, par branche
d’activité, parfois même par entreprise ou selon qu’ils rassemblent des cols blancs ou des cols
bleus. Il existe aussi des syndicats interprofessionnels qui groupent indifféremment les
travailleurs de plusieurs métiers ou branches d’activité. Même dans les pays où les fusions de
syndicats industriels et de syndicats interprofessionnels sont à l’ordre du jour, la situation des
travailleurs agricoles ou ruraux favorise souvent la mise sur pied de structures spéciales pour
ce secteur. En outre, un syndicat est souvent divisé en unités territoriales et en sous-unités
régionales et, parfois, locales. Dans certains pays, le mouvement ouvrier a été le théâtre de
scissions autour de lignes idéologiques (politique de parti), voire de convictions religieuses,
que l’on retrouve ensuite dans la structure même du syndicat et chez ses adhérents. Le
personnel de la fonction publique tend, pour sa part, à préférer une représentation syndicale
distincte des salariés du secteur privé, mais cette règle connaît des exceptions.
Les syndicats peuvent avoir le même statut juridique que les autres associations, mais sont
parfois assujettis à des règles spéciales. Dans un grand nombre de pays, les syndicats sont
tenus de s’enregistrer et de donner certains renseignements de base aux autorités (nom,
adresse, identité des dirigeants, etc.). Dans certains pays, ces exigences vont au-delà des
simples formalités administratives et constituent une ingérence; dans les cas extrêmes de
négation des principes de la liberté syndicale, les syndicats ont besoin de l’autorisation du
gouvernement pour exercer leurs activités. En tant que représentants des travailleurs, les
syndicats sont habilités à contracter des obligations au nom de leurs membres. Certains pays
(dont les Etats-Unis) exigent préalablement la reconnaissance des syndicats par l’employeur
pour toute négociation collective.
La représentation syndicale varie grandement d’un pays à un autre et à l’intérieur d’un même
pays. Dans certains pays d’Europe occidentale, par exemple, elle est très élevée dans le
secteur public, mais assez faible dans le secteur privé, surtout dans le tertiaire. Les taux de
syndicalisation des cols bleus dans cette partie du monde sont variés: élevés en Autriche et en
Suède, bas en France où, pourtant, le pouvoir politique des syndicats est bien supérieur à ce
que le nombre de leurs adhérents laisserait penser. Il existe une certaine corrélation positive
entre la négociation centralisée et la syndicalisation, mais elle n’est pas absolue.
En tant qu’associations volontaires, les syndicats établissent leurs propres règles, d’habitude
sous la forme d’un acte constitutif et de statuts. Dans une structure syndicale démocratique,
les membres choisissent leurs dirigeants syndicaux par scrutin direct ou par l’entremise de
délégués à une assemblée générale. Les règles qui régissent l’administration interne d’un petit
syndicat très décentralisé au sein d’un groupe professionnel donné seront généralement très
différentes de celles qui prévalent dans un grand syndicat centralisé interprofessionnel ou de
branche. Le syndicat doit répartir les tâches entre ses dirigeants, les délégués syndicaux
rémunérés et les autres, et coordonner le travail. Les ressources financières dont dispose un
syndicat varient aussi en fonction de son effectif et de la facilité de perception des cotisations.
L’instauration d’un système de prélèvement des cotisations syndicales à la source et de
versement direct au syndicat simplifie grandement ce problème. Dans la majeure partie de
l’Europe centrale et orientale, les syndicats qui étaient dominés et financés par l’Etat sont en
train de se transformer et d’être rejoints par de nouvelles organisations indépendantes; tous
luttent pour prendre leur place et fonctionner avec succès dans la nouvelle structure
économique. Les salaires extrêmement bas (et, partant, les faibles cotisations syndicales) qui
sont versés dans cette partie du monde et dans les pays en développement où les syndicats
sont encadrés par les gouvernements font qu’il est difficile d’y bâtir un mouvement syndical
fort et indépendant.
En plus de leur importante fonction de négociation collective, les syndicats mènent une action
politique qui, dans de nombreux pays, constitue l’une de leurs principales activités. Elle peut
prendre la forme d’une représentation directe, un certain nombre de sièges leur étant réservés
au parlement (par exemple, au Sénégal) ou dans des organismes tripartites qui participent à
l’élaboration de la politique économique et sociale nationale (par exemple, en Autriche, en
France et aux Pays-Bas), ou encore dans des organes consultatifs tripartites en matière de
travail et d’affaires sociales (par exemple, dans de nombreux pays d’Amérique latine et dans
certains pays d’Afrique et d’Asie). Dans l’Union européenne, les fédérations syndicales ont
une nette influence sur l’élaboration de la politique sociale. Cependant, les syndicats font
évoluer les choses en exerçant leur pouvoir (au besoin appuyé par la menace de grèves) et en
faisant pression sur les décideurs politiques au niveau national. Les syndicats ont, certes,
réussi à obtenir une protection accrue de la loi pour tous les travailleurs dans le monde entier;
pourtant, d’aucuns pensent qu’il s’agit là d’une victoire à la Pyrrhus qui saperait, à long
terme, leur raison d’être. Souvent, les objectifs et les enjeux de l’action syndicale sur le plan
politique dépassent de loin les seuls intérêts du mouvement syndical; ce type de situation a été
parfaitement illustré par la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et par la solidarité
internationale exprimée par des syndicats dans l’ensemble du monde, non seulement en
paroles mais aussi en actes concrets (par exemple, en organisant avec l’aide des dockers le
boycottage du charbon importé d’Afrique du Sud). Il va de soi que le caractère offensif ou
défensif de l’action syndicale sur le plan politique dépend largement de l’orientation
prosyndicale ou antisyndicale du gouvernement en place. Il dépend aussi des relations des
syndicats avec les partis politiques; certains syndicats, notamment en Afrique, ont pris part à
la lutte pour l’indépendance de leur pays et entretiennent des liens très étroits avec le parti
politique au pouvoir. Dans certains pays, le mouvement syndical entretient traditionnellement
des rapports privilégiés avec un parti politique (Australie, Royaume-Uni), tandis qu’ailleurs
les alliances se font et se défont au fil du temps. Quoi qu’il en soit, le pouvoir des syndicats
dépasse souvent ce que le nombre de leurs adhérents pourrait laisser supposer, surtout quand
ils représentent les travailleurs de la fonction publique ou d’un secteur économique clé
comme les transports ou les mines.
Outre le syndicalisme proprement dit, on a assisté à l’émergence de nombreux autres types de
participation des travailleurs visant à assurer une représentation directe ou indirecte des
salariés. Ils coexistent parfois avec les syndicats; d’autres fois, ils constituent le seul mode de
participation ouvert aux travailleurs. Les fonctions et les pouvoirs des représentants des
travailleurs aux termes de ces arrangements sont décrits dans l’article «Les formes de
participation des travailleurs» du présent chapitre.
La troisième fonction principale des syndicats — fournir des services à leurs membres —
s’exerce essentiellement sur le lieu de travail. Un délégué d’atelier dans une entreprise se
trouve sur place pour veiller à ce que les droits reconnus aux travailleurs en vertu de la
convention collective et de la loi soient effectivement respectés et, si ce n’est pas le cas, pour
prendre les mesures qui s’imposent. Le travail du délégué syndical est de défendre les intérêts
des travailleurs face à la direction, ce qui justifie sa fonction de représentation. Cela peut
consister à présenter une réclamation individuelle en matière disciplinaire ou au sujet d’un
licenciement, ou à coopérer avec la direction aux travaux d’un comité mixte de sécurité et de
santé. Hors du lieu de travail, de nombreux syndicats offrent d’autres types d’avantages,
notamment des modalités préférentielles de crédit et la participation à des programmes
sociaux. La salle de réunion du syndicat peut également servir à des manifestations
culturelles, voire à des cérémonies familiales réunissant un grand nombre d’invités. La vaste
gamme des services qu’un syndicat peut offrir à ses membres reflète sa créativité, les
ressources dont il dispose, ainsi que son milieu culturel.
Visser fait observer ce qui suit:
Le pouvoir des syndicats dépend de divers facteurs internes et externes. Nous pouvons établir
une distinction entre le pouvoir organisationnel (quelles sources internes de pouvoir les
syndicats peuvent-ils mobiliser?), le pouvoir institutionnel (sur quelles sources externes de
soutien les syndicats peuvent-ils compter?) et le pouvoir économique (quelles forces du
marché font le jeu des syndicats?) (Visser, 1995).
Selon Visser, les facteurs qui contribuent à une forte structure syndicale sont la mobilisation
d’un nombre important et stable d’adhérents bien formés qui paient leurs cotisations (cet
effectif correspondant à la composition du marché du travail, pourrait-on ajouter), la capacité
d’éviter la fragmentation de l’organisation et les dissensions d’ordre politique ou idéologique,
ainsi que la mise sur pied d’une structure organisationnelle garantissant une présence dans
l’entreprise tout en centralisant le contrôle des fonds et la prise de décisions. Ce modèle, qui a
jusqu’ici bien réussi au niveau national, peut-il s’adapter à la mondialisation croissante de
l’économie? C’est le défi que les syndicats ont à relever.
Les fédérations internationales du travail
Le mouvement syndical international sur le plan mondial, par opposition aux niveaux régional et
national, est formé d’associations internationales de fédérations nationales de syndicats. A l’heure
actuelle, il existe trois internationales syndicales qui sont animées par des tendances idéologiques
distinctes: la Confédération internationale des syndicats libres (CISL); la Fédération syndicale
mondiale (FSM); la Confédération mondiale du travail (CMT), relativement petite et, à l’origine,
chrétienne. La plus importante, la CISL, comptait, en 1995, 174 syndicats affiliés dans 124 pays et
représentait 116 millions de syndiqués. Ces groupes font du lobbying auprès des organisations
intergouvernementales sur des questions de politique économique et sociale et militent en faveur
d’une protection des droits syndicaux fondamentaux dans le monde entier. On peut les qualifier de
force politique qui appuie le mouvement syndical international.
La force du mouvement syndical international réside dans les associations internationales de
syndicats organisés habituellement autour d’un métier, d’une branche d’activité ou d’un secteur de
l’activité économique. Appelés Secrétariats professionnels internationaux (SPI) ou Unions
internationales de syndicats (UIS), ils peuvent être indépendants, affiliés ou contrôlés par les
organisations internationales. Traditionnellement, ils sont organisés par secteur, mais aussi, dans
certains cas, par catégorie professionnelle (par exemple, les cols blancs) ou par employeur (du
secteur public ou du secteur privé). C’est ainsi qu’en 1995 il y avait en fonction 13 SPI dont les
vues étaient alignées sur celles de la CISL et qui étaient répartis dans les secteurs suivants:
bâtiment et bois; chimie, mines; énergie; activités commerciales, professionnelles, techniques et de
bureau; enseignement; spectacles; alimentation, agriculture, restauration; industries graphiques;
journalisme; métallurgie; postes et télécommunications; fonction publique; textile, confection et
travail du cuir; transports. Les SPI se concentrent surtout sur des enjeux particuliers aux branches
d’activité — conflits de travail et salaires et, aussi, application des dispositions en matière de
sécurité et de santé. Ils assurent, à leurs syndicats affiliés, des services d’information, d’éducation
et de formation. Ils contribuent également à coordonner la solidarité internationale entre syndicats
de différents pays et ils représentent les intérêts des travailleurs dans divers forums régionaux et
internationaux.
L’action des SPI est illustrée par la réponse syndicale internationale à la catastrophe de Bhopal, en
Inde (fuite de méthylisocyanate, qui a fait des milliers de victimes le 3 décembre 1984. A la
demande des syndicats nationaux indiens qui lui sont affiliés, la CISL et la Fédération
internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l’énergie, des mines et des industries
diverses ont envoyé une mission d’enquête à Bhopal pour étudier les causes et les effets de ce
dégagement accidentel de gaz. Cette mission a permis d’établir un rapport contenant des
recommandations pour prévenir ce genre de catastrophe et une liste de principes de sécurité; ce
rapport a été utilisé par les syndicalistes de pays industriels comme de pays en développement et a
servi à l’élaboration de programmes de base visant à améliorer la sécurité et la santé au travail.
Source: Rice, 1995.
LES DROITS D’ASSOCIATION<="" article="">
Breen Creighton
Le rapport entre les droits d’association et de représentation et la sécurité et la santé au
travail
La consultation et la participation ne peuvent se révéler efficaces que dans un milieu où le
droit des employeurs et des travailleurs de s’associer librement et le droit de leurs
organisations respectives de pouvoir représenter efficacement les intérêts de leurs adhérents
jouissent d’une reconnaissance et d’un respect adéquats. Très concrètement, on peut donc voir
dans le droit de s’organiser un préalable fondamental de toute stratégie efficace en matière de
sécurité et de santé au travail, aussi bien à l’échelon national et international que sur le lieu de
travail. Cela étant, il convient d’examiner plus attentivement les normes internationales du
travail en matière de liberté syndicale, tout en ayant à l’esprit la manière dont elles
s’appliquent à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et à
l’indemnisation et la réadaptation des victimes. Les normes en matière de liberté syndicale
appellent une reconnaissance appropriée, en droit et en pratique, du droit des travailleurs et
des employeurs de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier, et la
reconnaissance correspondante du droit de ces organisations, dès qu’elles sont constituées, de
formuler et de mettre en œuvre librement leurs programmes d’action.
Les droits d’association et de représentation soulignent aussi la nécessité d’une coopération
tripartite (gouvernements, employeurs et travailleurs) dans le domaine de la sécurité et de la
santé au travail. Pareille coopération est préconisée dans les activités normatives de l’OIT, par
exemple:
en enjoignant aux gouvernements de consulter, à l’échelle nationale, les organisations
représentatives des employeurs et des travailleurs sur la définition et la mise en œuvre
d’une politique en matière de sécurité et de santé au travail (par exemple, l’article 4 de
la convention (no 162) sur l’amiante, 1986, et les articles 1 et 8 de la convention
(no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981);
en recommandant la consultation et la coopération concernant les questions de sécurité
et de santé au travail au niveau de l’installation (par exemple, l’article 9,
alinéas f) et g), de la convention (no 174) sur la prévention des accidents industriels
majeurs, 1993);
en demandant la participation des employeurs et des travailleurs à la définition et à la
mise en œuvre d’une politique en matière de sécurité et de santé en milieu de travail
(voir en particulier les articles 19 et 20 de la convention (no 155) sur la sécurité et la
santé des travailleurs, 1981, et le paragraphe 12 de la recommandation (no 164) sur la
sécurité et la santé des travailleurs, 1981).
L’OIT et les droits d’association et de représentation
Le «droit d’association en vue de tous objets non contraires à la loi aussi bien pour les salariés
que pour les employeurs» faisait partie des méthodes et principes stipulés à l’article 41 de la
première Constitution de l’OIT (art. 427, 2) du Traité de Versailles). A présent, ce principe est
expressément reconnu dans le Préambule de la Constitution comme l’un des préalables
fondamentaux de la justice sociale, elle-même considérée comme le préalable fondamental
d’une paix universelle et durable. Une reconnaissance expresse est également accordée à ce
principe et à celui du tripartisme au paragraphe I de la Déclaration de Philadelphie, annexée à
la Constitution en 1946. Cette confirmation constitutionnelle de l’importance du respect des
principes de la liberté syndicale contribue à asseoir l’un des fondements juridiques du pouvoir
de la Commission d’investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale et du
Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT d’ouvrir une information
concernant les allégations de violation des principes de la liberté syndicale.
Dès 1921, la Conférence internationale du Travail adoptait la convention (no 11) sur le droit
d’association (agriculture), laquelle dispose que les Etats la ratifiant s’engagent «à assurer à
toutes les personnes occupées dans l’agriculture les mêmes droits d’association et de coalition
qu’aux travailleurs de l’industrie». Cependant, cette convention est muette au sujet des droits
à accorder aux travailleurs de l’industrie avec lesquels les personnes occupées dans
l’agriculture doivent être traitées sur un pied d’égalité! Les tentatives amorcées dans les
années vingt en vue d’adopter un instrument plus général portant sur la liberté syndicale se
heurtèrent à l’intransigeance des employeurs et des gouvernements, qui exigeaient que le droit
de constituer des syndicats et de s’y affilier fût obligatoirement assorti du droit corrélatif de ne
pas s’y affilier. La question a été rouverte tout de suite après la seconde guerre mondiale et
réglée par l’adoption de la convention (no 84) sur le droit d’association (territoires non
métropolitains), 1947, de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit
syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation
collective, 1949.
Les conventions nos 87 et 98 figurent parmi les plus importantes et les plus ratifiées de toutes
les conventions internationales du travail: au 31 décembre 1997, la convention no 87 avait été
ratifiée par 121 Etats, la convention no 98 par 137. Ensemble, ces deux conventions énoncent
ce que l’on peut considérer à juste titre comme les quatre éléments clés de la notion de liberté
syndicale. Elles sont tenues pour le point de référence de la protection internationale de la
liberté syndicale, comme le dénotent par exemple l’article 8 du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels, et l’article 22 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Dans la structure de l’OIT, elles forment l’assise des principes de la liberté
syndicale élaborés et appliqués par la Commission d’investigation et de conciliation en
matière de liberté syndicale et le Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration
du BIT, bien que, d’un point de vue technique, la compétence de ces organes dérive de la
Constitution de l’Organisation plutôt que des conventions. Elles sont aussi au cœur des
délibérations de la Commission d’experts pour l’application des conventions et
recommandations et de la Commission de l’application des normes de la Conférence
internationale du Travail sur l’application des conventions et des recommandations.
Il faut comprendre qu’en dépit de leur rôle de pivot les conventions nos 87 et 98 ne sont
nullement les seuls instruments normatifs qui aient été adoptés sous les auspices de l’OIT
dans le domaine de la liberté syndicale. Au contraire, depuis 1970, la Conférence
internationale du Travail a adopté quatre autres conventions et quatre autres recommandations
qui traitent de manière plus approfondie des divers aspects des principes de la liberté
syndicale ou de leur application dans certains contextes précis:
la convention (no 135) et la recommandation (no 143) concernant les représentants des
travailleurs, 1971;
la convention (no 141) et la recommandation (no 149) sur les organisations de
travailleurs ruraux, 1975;
la convention (no 151) et la recommandation (no 159) sur les relations de travail dans
la fonction publique, 1978;
la convention (no 154) et la recommandation (no 163) sur la négociation collective,
1981.
Les principes de la liberté syndicale
Les éléments fondamentaux
Les éléments fondamentaux des principes de la liberté syndicale énoncés aux conventions
nos 87 et 98 sont les suivants:
«les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans
autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de
s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces
dernières» (art. 2 de la convention no87);
dès qu’elles sont constituées, les organisations d’employeurs et de travailleurs ont le
droit «d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs
représentants, d’organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme
d’action» (art. 3, 1) de la convention no87). De plus, les autorités publiques doivent
«s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice
légal» (art. 3, 2) de la même convention);
«les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de
discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi» (art.
1, 1) de la convention no 98);
«des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises
pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de
procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs
et les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs,
d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi» (art. 4 de la
convention no 98).
Toutes les garanties données par la convention no 87 sont subordonnées à la condition
énoncée à l’article 8, 1): «dans l’exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente
convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus [...]
de respecter la légalité». Cette disposition est elle-même subordonnée à la condition suivante:
«la législation nationale ne devra pas porter atteinte ni être appliquée de manière à porter
atteinte aux garanties prévues par la présente convention» (art. 8, 2)).
Il convient également de signaler qu’en vertu de l’article 9, 1) de la convention no 87 il est
permis, mais pas obligatoire, de déterminer la mesure dans laquelle les garanties prévues par
cette convention s’appliqueront aux forces armées et à la police. L’article 5, 1) de la
convention no 98 est identique, tandis que l’article 6 dispose que: «la présente convention ne
traite pas de la situation des fonctionnaires publics et ne pourra, en aucune manière, être
interprétée comme portant préjudice à leurs droits ou à leur statut».
Le droit de s’affilier
Le droit des travailleurs et des employeurs de constituer des organisations de leur choix et de
s’y affilier est la clé de voûte de toutes les autres garanties inscrites dans les conventions
nos 87 et 98 et les principes de la liberté syndicale. Ce droit n’est assujetti qu’à la réserve
énoncée à l’article 9, 1) de la convention no 87. Autrement dit, il n’est pas permis de priver
quelque groupe de travailleurs que ce soit, hormis les membres des forces armées ou de la
police, du droit de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier. Il s’ensuit que
le refus ou la limitation du droit des fonctionnaires, des travailleurs agricoles, des enseignants,
etc., de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier est incompatible avec les
dispositions de l’article 2.
Toutefois, le règlement d’un syndicat ou d’une organisation patronale peut limiter les
catégories de travailleurs ou d’employeurs habilités à s’affilier. L’important est que cette
limitation résulte du libre choix des membres de l’organisation et ne soit pas imposée de
l’extérieur.
Le droit d’association prévu à l’article 2 n’est assorti d’aucun droit corrélatif de ne pas
s’associer. On se souviendra que les tentatives faites antérieurement visant à adopter une
convention générale sur la liberté syndicale ont échoué en raison de l’intransigeance des
délégués employeurs et de certains délégués gouvernementaux qui exigeaient que le droit de
s’associer comportât automatiquement son corollaire, à savoir le droit de ne pas s’associer.
Cette question a été soulevée à nouveau lors des débats sur les conventions nos 87 et 98. A
cette occasion, un compromis a permis à la Conférence internationale du Travail d’adopter
une résolution déclarant que la mesure dans laquelle les dispositifs de sécurité syndicale
(notamment les arrangements en matière de monopole syndical d’embauche («closed shop»),
de versement d’une cotisation de solidarité pour les travailleurs non syndiqués («agency
shop») ou de prélèvement des cotisations à la source sont permis ou s’appliquent relève de la
pratique et de la réglementation de chaque Etat. Autrement dit, les conventions ne sauraient
être interprétées comme autorisant ou comme interdisant le monopole d’embauche et les
autres clauses de sécurité syndicale, bien que ces mesures soient tenues pour inacceptables
quand elles sont imposées par le pouvoir législatif, et non adoptées d’un commun accord par
les parties (BIT, 1994b; 1995a).
La question la plus délicate concernant l’article 2 est la suivante: jusqu’à quel point confirme-
t-il la notion de pluralisme syndical? En d’autres termes, le pouvoir législatif peut-il, sans
contrevenir à l’article 2, limiter directement ou indirectement le droit des travailleurs (ou des
employeurs) de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier en appliquant des
critères administratifs ou législatifs?
Cette question soulève deux ensembles d’intérêts contradictoires. D’une part, l’article 2 vise
indiscutablement à protéger le droit des travailleurs et des employeurs de choisir
l’organisation à laquelle ils souhaitent s’affilier et de ne pas s’affilier aux organisations dont
ils ne partagent pas les vues politiques, confessionnelles ou autres. D’autre part, les
gouvernements (et en vérité les syndicats) peuvent soutenir que la multiplication excessive
des syndicats et des organisations patronales à laquelle l’exercice illimité du libre choix risque
d’aboutir n’est pas propice à l’épanouissement d’organisations libres et efficaces, ni à
l’établissement et au maintien de procédures de relations professionnelles ordonnées. Le
problème se posait de manière particulièrement aiguë à l’époque de la guerre froide, lorsque
les gouvernements cherchaient souvent à restreindre, pour des motifs idéologiques, le choix
des syndicats auxquels les travailleurs pouvaient adhérer. Cette question demeure très délicate
dans de nombreux pays en développement où les gouvernements, pour de bonnes ou de
mauvaises raisons, veulent empêcher ce qu’ils jugent comme une prolifération excessive des
syndicats, en imposant des restrictions quant au nombre ou à l’importance de ceux qui
peuvent exercer leur activité dans un milieu de travail donné ou dans un secteur précis de
l’économie. Les organes de contrôle de l’OIT tendent à adopter une attitude assez restrictive:
ils autorisent le monopole syndical quand il résulte du libre choix des travailleurs dans le pays
en question et admettent l’adoption de critères «raisonnables» d’enregistrement, mais ils
désapprouvent fermement tout monopole imposé par voie légale et tous critères
«déraisonnables» d’enregistrement. Ce faisant, les organes de contrôle de l’OIT se sont
exposés à d’innombrables critiques, en particulier de la part de gouvernements de pays en
développement qui les accusent d’adopter une approche eurocentriste pour l’application de la
convention; ce reproche renvoie au fait que les préoccupations typiquement européennes en
matière de droits de la personne sont réputées incompatibles avec les coutumes de
nombreuses cultures non européennes où l’intérêt général de la collectivité l’emporte sur celui
des individus.
L’autonomie des organisations et le droit de grève
Si l’article 2 de la convention no 87 protège le droit fondamental des employeurs et des
travailleurs de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier, l’article 3 peut être
considéré comme son corollaire logique, qui protège le libre fonctionnement des organisations
dès qu’elles sont constituées.
L’article 3, 1) précise clairement le droit d’élaborer, d’adopter et d’appliquer les statuts et
règlements administratifs des organisations et de tenir des élections. Cependant, les organes
de contrôle ont accepté qu’il soit permis aux autorités publiques d’imposer des conditions
minimales visant la teneur ou l’administration des statuts et règlements «dans le but de
protéger les droits des membres en assurant une bonne gestion et en prévenant des
complications juridiques qui pourraient surgir en cas d’obscurité ou d’imprécisions des statuts
et des règlements» (BIT, 1994b). Toutefois, si l’application de ces conditions est trop
compliquée ou restrictive, il est probable que celles-ci seront déclarées incompatibles avec les
exigences de l’article 3.
Depuis des années, les organes de contrôle ont constamment affirmé que «le droit de grève est
un corollaire indissociable du droit d’association syndicale protégé par la convention no 87»
(BIT, 1994b):
La Commission [d’experts] est d’avis que le droit de grève est un des moyens essentiels dont
disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs
intérêts économiques et sociaux. Ces droits se rapportent non seulement à l’obtention de
meilleures conditions de travail ou aux revendications collectives d’ordre professionnel, mais
englobent également la recherche de solutions aux questions de politique économique et
sociale et aux problèmes qui se posent à l’entreprise et qui intéressent directement les
travailleurs.
C’est l’un des aspects les plus controversés de toute la jurisprudence concernant la liberté
syndicale; ces dernières années surtout, il a fait l’objet de critiques vigoureuses de la part des
membres employeurs et gouvernementaux de la Commission de l’application des normes à la
Conférence internationale du Travail (voir, par exemple, Conférence internationale du
Travail, 80e session, 1993: Compte rendu des travaux, no 25, pp. 10-12 et pp. 58-64;
Conférence internationale du Travail, 81e session, 1994: Compte rendu des travaux, no 25, pp.
92-94 et pp. 179-180). C’est pourtant un point solidement ancré dans la jurisprudence sur la
liberté syndicale. Ce droit est clairement reconnu à l’article 8, 1) d) du Pacte relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et a été approuvé par la Commission d’experts dans son
Etude d’ensemble de 1994 sur la liberté syndicale et la négociation collective (BIT, 1994b).
Toutefois, il faut bien comprendre que le droit de grève, tel qu’il est reconnu par les organes
de contrôle, n’est pas inconditionnel. Tout d’abord, il ne s’applique pas aux groupes de
travailleurs pour lesquels il est permis de limiter les garanties énoncées à la convention no 87,
à savoir les membres des forces armées et de la police. Par ailleurs, il a été décidé que le droit
de grève peut être légitimement refusé aux «fonctionnaires publics agissant comme organes
de la puissance publique» et aux travailleurs assurant des services essentiels, c’est-à-dire ceux
«dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population,
la vie, la sécurité ou la santé de la personne». Cependant, toute restriction visant le droit de
grève des travailleurs de ces deux catégories doit être assortie de garanties compensatoires,
«par exemple de procédures de conciliation et de médiation, aboutissant en cas d’impasse à un
mécanisme d’arbitrage recueillant la confiance des intéressés. Il est impératif que ces derniers
puissent participer à la définition et à la mise en œuvre de la procédure, qui devrait par
ailleurs présenter des garanties suffisantes d’impartialité et de rapidité; les décisions arbitrales
devraient avoir un caractère obligatoire pour les deux parties et, une fois rendues, pouvoir être
exécutées rapidement et complètement» (BIT, 1994b).
Il est également permis de restreindre temporairement l’exercice du droit de grève «dans une
situation de crise nationale aiguë». Sur un plan plus général, il est possible d’imposer d’autres
conditions préalables comme la tenue d’un vote sur le déclenchement d’une grève,
l’épuisement des procédures de conciliation et ainsi de suite, qui restreignent l’exercice du
droit de grève. Toutefois, toutes ces restrictions doivent être «raisonnables» et ne pas
restreindre considérablement les possibilités d’action des organisations syndicales.
Le droit de grève est souvent qualifié d’ultime carte de la négociation collective. Si l’article 3
est interprété de manière à le protéger, il semble alors raisonnable de présumer que cet article
doit aussi protéger la négociation collective proprement dite. Les organes de contrôle ont
effectivement adopté ce point de vue à plusieurs reprises, mais en général ils ont préféré
fonder leur jurisprudence concernant la négociation collective sur l’article 4 de la convention
no 98 (pour une analyse plus détaillée de la jurisprudence de l’OIT sur le droit de grève, voir
Hodges-Aeberhard et Odero de Dios, 1987; Ben-Israel, 1988).
L’autonomie des organisations d’employeurs et de travailleurs est également traitée aux
articles 4 à 7 de la convention no 87 et à l’article 2 de la convention no 98. L’article 4 dispose
que ces organisations «ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie
administrative». Cela ne signifie pas qu’il ne soit pas possible d’annuler leur enregistrement
ou de les dissoudre, par exemple lorsqu’elles commettent des fautes graves en matière de
relations professionnelles ou lorsqu’elles ne sont pas gérées conformément à leurs statuts; cela
signifie que, le cas échéant, toute sanction de cet ordre doit être imposée par un tribunal
dûment constitué ou par tout autre organe approprié, et non par décision administrative.
L’article 5 protège le droit des organisations de constituer des fédérations et des
confédérations ainsi que celui de s’y affilier, et le droit de toute organisation, fédération ou
confédération de s’affilier à des organisations internationales de travailleurs et d’employeurs.
De plus, selon l’article 6, les garanties énoncées aux articles 2, 3 et 4 s’appliquent aux
fédérations et aux confédérations de la même façon qu’elles visent les organisations du
premier niveau, et l’article 7 prévoit que l’acquisition de la personnalité juridique par les
organisations d’employeurs ou de travailleurs ne peut être subordonnée «à des conditions de
nature à mettre en cause l’application des dispositions des articles 2, 3 et 4».
Enfin, l’article 2, 1) de la convention no 98 dispose que «les organisations de travailleurs et
d’employeurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes d’ingérence des
unes à l’égard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres, dans leur
formation, leur fonctionnement et leur administration». En pratique, il paraît peu probable que
des syndicats veuillent ou puissent effectivement entraver le fonctionnement interne des
organisations d’employeurs. En revanche, il est tout à fait concevable que, dans certaines
circonstances, des employeurs ou leurs organisations cherchent à s’immiscer dans les affaires
internes d’organisations de travailleurs — par exemple, en les finançant partiellement ou
intégralement. Cette éventualité est expressément évoquée à l’article 2, 2):
Sont notamment assimilées à des actes d’ingérence au sens du présent article des mesures
tendant à provoquer la création d’organisations de travailleurs dominées par un employeur ou
une organisation d’employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des
moyens, financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle
d’un employeur ou d’une organisation d’employeurs.
La protection contre les actes de discrimination antisyndicale
Pour que les garanties énoncées aux conventions nos 87 et 98 s’appliquent concrètement, il
convient que les personnes qui exercent leur droit de constituer des organisations de
travailleurs et de s’y affilier soient protégées de toutes formes de discrimination ou de
représailles et qu’elles n’en soient pas victimes à la suite de leur décision. Cette logique est
reconnue à l’article 1, 1) de la convention no 98, lequel dispose en effet que «les travailleurs
doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à
porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi». L’article 1, 2) précise:
Une telle protection doit notamment s’appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but
de:
a) subordonner l’emploi d’un travailleur à la condition qu’il ne s’affilie pas à un syndicat ou
cesse de faire partie d’un syndicat;
b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son
affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de
travail ou, avec le consentement de l’employeur, durant les heures de travail.
Les actes de discrimination antisyndicale commis à ces fins comprennent le refus d’embauche
et le licenciement, ainsi que d’autres mesures: «transfert, mutation, rétrogradation, privations
ou restrictions de tous ordres (rémunération, avantages sociaux, formation professionnelle)»,
qui peuvent causer un très grave préjudice au travailleur qui en est victime (voir aussi les
articles 5 a), b) et c) de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, ainsi que BIT,
1994b, paragr. 212).
Ainsi, il doit non seulement exister une protection complète contre toute discrimination
antisyndicale au sens de la convention no 98, mais, en vertu de l’article 3, il faut aussi disposer
de moyens efficaces pour appliquer ces garanties:
Les normes législatives sont insuffisantes si elles ne s’accompagnent pas de procédures
efficaces et rapides, et de sanctions suffisamment dissuasives pour en assurer l’application.
[...] L’obligation faite à l’employeur de prouver que la mesure alléguée comme antisyndicale
était liée à des questions autres que syndicales, ou l’établissement d’une présomption en
faveur des travailleurs constituent des moyens complémentaires pour assurer une protection
efficace du droit syndical garanti par la convention. Une législation qui permet, en pratique, à
l’employeur de mettre fin à l’emploi d’un travailleur à condition de payer l’indemnité prévue
par la loi pour tous les cas de licenciement injustifié [...] n’est pas suffisante au regard de
l’article 1 de la convention. La législation devrait également prévoir un mécanisme efficace
de mise en œuvre des moyens de réparation, la réintégration du travailleur licencié avec
dédommagement rétroactif constituant le remède le plus approprié aux actes de discrimination
antisyndicale (BIT, 1994b).
La négociation collective
La garantie énoncée à l’article 4 de la convention no 98 est interprétée comme protégeant à la
fois le droit d’engager une négociation collective et l’autonomie des parties à la négociation.
Autrement dit, le fait de refuser à des employeurs et à des travailleurs le droit d’entreprendre
une négociation collective s’ils le désirent est incompatible avec l’article 4; toutefois, il n’est
pas contraire à la convention de refuser ce droit aux membres des forces armées et de la
police, car «la convention ne traite pas de la situation des fonctionnaires commis à
l’administration de l’Etat». Non seulement les parties doivent être libres d’engager une
négociation collective si elles le veulent, mais encore, il faut leur permettre de mener la
négociation comme elles le jugent bon et de parvenir à une entente qu’elles auront elles-
mêmes négociée sans ingérence des autorités publiques — sous réserve de certains critères
liés à «des raisons impérieuses d’intérêt national économique» (BIT, 1994b) et de conditions
raisonnables quant à la forme, à l’enregistrement, etc.
Toutefois, l’article 4 n’est pas interprété comme protégeant le droit des syndicats d’être
reconnus aux fins de la négociation collective. Les organes de contrôle ont souligné à maintes
reprises que pareille reconnaissance était souhaitable, mais ils se sont abstenus de passer à
l’étape suivante: ils n’ont pas déclaré que le refus de reconnaître un syndicat ou l’absence
d’un mécanisme pouvant obliger l’employeur à reconnaître le syndicat auquel les salariés sont
affiliés constituaient des violations de l’article 4 (BIT, 1994b, 1995a). Ils ont motivé cette
interprétation en indiquant que la reconnaissance obligatoire amputerait la négociation
collective du caractère volontaire prévu à l’article 4 (BIT, 1995a). On peut répliquer à cela
que le droit apparent de pratiquer la négociation collective est inévitablement compromis si
les employeurs sont libres de refuser d’y participer, nonobstant leur droit de négocier s’ils le
désirent. Par ailleurs, l’idée de permettre aux employeurs de refuser de reconnaître les
syndicats dont leurs salariés sont membres semble assez difficile à concilier avec le devoir de
«promouvoir» la négociation collective qui est manifestement l’objet principal de l’article 4
(Creighton, 1994).
L’application des principes de la liberté syndicale à la sécurité et à la santé au travail
Les normes internationales du travail relatives à la sécurité et à la santé au travail consacrent
le concept de participation bi- ou tripartite dans trois contextes principaux: 1) formulation et
mise en œuvre d’une politique nationale; 2) consultation entre employeurs et travailleurs sur
le lieu de travail; 3) participation conjointe des employeurs et des travailleurs à la formulation
et à la mise en œuvre d’une politique sur le lieu de travail. La participation effective des
employeurs et (surtout) des travailleurs dans ces trois contextes dépend donc absolument
d’une reconnaissance adéquate de leurs droits d’association et de représentation.
Le respect du droit de constituer des organisations et de s’y affilier est manifestement un
préalable fondamental des trois formes de participation conjointe. La consultation et la
participation au niveau gouvernemental sont possibles uniquement s’il existe des
organisations puissantes et efficaces pouvant être considérées comme représentatives des
intérêts de leurs membres. Cela est indispensable à la fois pour faciliter la communication et
pour amener le gouvernement à prendre au sérieux les opinions exprimées par les
représentants des employeurs et des travailleurs. A fortiori, la consultation et la participation
dans l’entreprise ne constituent une proposition réaliste que si les travailleurs ont le droit de
former des organisations et de s’affilier à celles qui sont en mesure de représenter leurs
intérêts dans les discussions avec les employeurs et leurs organisations, de fournir des
ressources pour soutenir les représentants des travailleurs, d’intervenir utilement dans les
échanges avec les services publics d’inspection du travail, etc. Théoriquement, les
représentants des travailleurs devraient pouvoir exercer leurs fonctions dans l’entreprise sans
qu’il soit nécessaire d’entretenir des liens avec une organisation de niveau supérieur, mais les
rapports de force dans la plupart des entreprises sont tels que les représentants des travailleurs
ont peu de chances de pouvoir exercer leurs fonctions avec efficacité sans le soutien d’une
telle organisation. En tout état de cause, il faut au moins que les travailleurs puissent se faire
représenter et faire valoir leurs intérêts de cette façon s’ils le souhaitent.
Le libre fonctionnement des organisations d’employeurs et de travailleurs est également un
préalable fondamental à toute participation significative, et ce, à tous les niveaux. Par
exemple, il est indispensable que les organisations de travailleurs aient le droit de formuler et
de mettre en œuvre, sans ingérence extérieure, leurs politiques en matière de sécurité et de
santé au travail, aux fins de la consultation avec le gouvernement concernant: 1) les questions
telles que la réglementation des matières et des procédés dangereux; 2) la formulation de la
politique législative relative à la réparation des accidents du travail ou à la réadaptation des
travailleurs accidentés. Cette autonomie est d’autant plus importante dans l’entreprise que les
organisations de travailleurs ont besoin d’établir et de maintenir la capacité de défendre les
intérêts de leurs membres dans les discussions avec les employeurs en matière de sécurité et
de santé au travail, notamment sur les points suivants: droits d’accès aux lieux de travail pour
les dirigeants syndicaux ou les spécialistes de la sécurité et de la santé; recours aux autorités
publiques et à leur aide dans les situations dangereuses; dans certaines circonstances,
lancement d’une action syndicale afin de protéger la sécurité et la santé de leurs membres.
Pour être efficace, le libre fonctionnement requiert aussi que les membres et les dirigeants des
syndicats bénéficient d’une protection suffisante contre toute forme de discrimination ou de
représailles motivée par leur affiliation syndicale ou leurs activités syndicales, ou parce qu’ils
seraient à l’origine de poursuites judiciaires en matière de sécurité et de santé au travail ou
qu’ils y auraient participé. Autrement dit, les garanties contre la discrimination énoncées à
l’article 1 de la convention no 98 sont tout aussi pertinentes dans le cas de l’activité syndicale
relative à la sécurité et à la santé au travail que pour toutes les autres formes d’activité
syndicale comme la négociation collective, le recrutement, etc.
Le droit d’engager une négociation collective en toute indépendance est aussi un élément
capital de la participation effective des travailleurs en matière de sécurité et de santé au
travail. Les garanties énoncées à l’article 4 de la convention no 98 sont importantes dans ce
contexte. Toutefois, il convient de répéter qu’elles ne s’étendent pas au droit à la
reconnaissance aux fins de la négociation. D’un autre côté, des dispositions comme celles
contenues à l’article 19 de la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs,
1981, peuvent être perçues comme imposant quasiment la reconnaissance syndicale dans les
questions relatives à la sécurité et à la santé au travail:
Des dispositions devront être prises au niveau de l’entreprise aux termes desquelles:
«[...] c) les représentants des travailleurs dans l’entreprise recevront une information
suffisante concernant les mesures prises par l’employeur pour garantir la sécurité et la
santé; ils pourront consulter leurs organisations représentatives à propos de cette
information, à condition de ne pas divulguer de secrets commerciaux;
d) les travailleurs et leurs représentants dans l’entreprise recevront une formation
appropriée dans le domaine de la sécurité et de l’hygiène au travail;
e) les travailleurs ou leurs représentants et, le cas échéant, leurs organisations
représentatives dans l’entreprise seront habilités, conformément à la législation et à la
pratique nationales, à examiner tous les aspects de la sécurité et de la santé liés à leur
travail et seront consultés à leur sujet par l’employeur; [...]».
En pratique, il serait très difficile d’appliquer ces dispositions sans accorder une certaine
reconnaissance officielle au rôle des organisations de travailleurs. Par conséquent, cette
situation met une fois de plus en relief l’importance d’une reconnaissance adéquate des droits
d’association et de représentation, comme condition préalable de la mise au point et de
l’application de stratégies efficaces en matière de sécurité et de santé au travail, tant au niveau
national qu’à celui de l’entreprise.
LA NÉGOCIATION COLLECTIVE ET LA SÉCURITÉ ET LA SANTÉ
Michael J. Wright
La négociation collective est le processus par lequel les travailleurs, en tant que groupe,
négocient avec leur employeur; elle peut avoir lieu à divers niveaux (entreprise, branche
d’activité ou niveau national). Traditionnellement, cette négociation porte sur les salaires, les
avantages sociaux, les conditions de travail et un traitement équitable. Elle peut aussi avoir
trait à des questions qui ne touchent pas directement les travailleurs occupés dans l’entreprise,
comme dans le cas de l’augmentation des pensions des travailleurs retraités. Il est plus rare
que la négociation collective déborde vraiment le cadre du milieu de travail et porte, par
exemple, sur la protection de l’environnement.
Dans une très petite entreprise, les travailleurs en tant que groupe peuvent négocier
collectivement avec leur employeur. Ce genre de négociation collective officieuse existe
depuis des siècles. Néanmoins, de nos jours, la négociation collective est surtout le fait
d’organisations de travailleurs ou de syndicats.
La convention (no 154) de l’OIT sur la négociation collective, 1981, en donne une définition
très générale à l’article 2:
[...] le terme [...] s’applique à toutes les négociations qui ont lieu entre un employeur, un
groupe d’employeurs ou une ou plusieurs organisations d’employeurs, d’une part, et une ou
plusieurs organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de:
a) fixer les conditions de travail et d’emploi; et/ou
b) régler les relations entre les employeurs et les travailleurs; et/ou
c) régler les relations entre les employeurs ou leurs organisations et une ou plusieurs
organisations de travailleurs.
La négociation collective permet de faire progresser le niveau de vie et d’améliorer les
conditions de travail, d’où son importance. Même si la sécurité et la santé au travail sont
régies par la législation nationale de presque tous les pays, la négociation collective constitue
souvent le mécanisme d’application pratique de ces lois sur les lieux de travail. Ainsi, la
législation peut prescrire l’établissement de comités d’hygiène et de sécurité ou de comités
d’entreprise, mais laisser à l’employeur et à l’organisation de travailleurs le soin d’en
négocier les modalités d’application.
Malheureusement, la négociation collective est contestée par des employeurs autoritaires et
des gouvernements répressifs, et ce, dans des pays développés comme dans des pays en
développement. Elle existe rarement dans le secteur non structuré ou dans les petites
entreprises traditionnelles. Par conséquent, la majorité des travailleurs dans le monde ne jouit
pas des avantages d’une réelle négociation collective dans un cadre où les droits des
travailleurs sont garantis par la loi.
Historique de l’action syndicale en faveur de la sécurité et de la santé au travail
Il existe une longue tradition d’action collective des organisations de travailleurs en faveur de
la sécurité et de la santé au travail. En 1775, le chirurgien anglais Percival Pott a dressé le
premier constat connu de cancer professionnel — le cancer de la peau chez les ramoneurs de
Londres (Lehman, 1977). Deux ans plus tard, la guilde des ramoneurs danois ordonnait que
l’on permette aux apprentis de prendre un bain tous les jours: c’est là la première intervention
connue d’une organisation de travailleurs pour prévenir le cancer professionnel.
Toutefois, la sécurité et la santé furent rarement au cœur des premières luttes ouvrières, du
moins d’une manière explicite. Les travailleurs exerçant des métiers dangereux étaient
accablés de problèmes plus pressants, comme les salaires de famine, la durée exténuante du
travail et les pouvoirs arbitraires des propriétaires d’usines et de mines. Le nombre des
accidents et des décès témoignait bien des dangers quotidiens qui guettaient les travailleurs,
mais la santé au travail n’était pas un concept très bien compris. Les organisations de
travailleurs étaient faibles et constamment en butte aux attaques des propriétaires et des
gouvernements. A l’époque, elles avaient pour seul souci de chercher à survivre. En
conséquence, les revendications des travailleurs au XIXe siècle ont rarement pris la forme de
campagnes pour des conditions de travail plus sûres (Corn, 1978).
Malgré tout, il est parfois arrivé que la sécurité et la santé viennent se greffer sur d’autres
revendications lors des premières luttes ouvrières. Au XIXe siècle, vers la fin des années
vingt, les ouvriers du textile aux Etats-Unis ont commencé à se mobiliser pour obtenir une
réduction de la durée du travail. La main-d’œuvre était surtout composée de femmes, comme
les dirigeantes des syndicats embryonnaires qui allaient devenir les associations ouvrières
féministes de la Nouvelle-Angleterre. Elles avaient fait de la journée de 10 heures pour
laquelle elles militaient une question de bien-être général. Mais, lors de leurs dépositions
devant l’Assemblée législative du Massachusetts, des travailleurs dénoncèrent aussi les effets
de journées de 12 à 14 heures de travail, dans des filatures mal aérées, et firent état d’une
«terrible maladie insidieuse» qu’ils attribuaient à la poussière de coton et à la mauvaise
ventilation; ces témoignages figurent maintenant parmi les premiers constats de byssinose.
Les travailleurs, hommes et femmes, n’obtinrent pas vraiment gain de cause, que ce soit
auprès des propriétaires d’usines ou du législateur (Foner, 1977).
D’autres actions syndicales engagées à l’époque portaient davantage sur les effets des risques
professionnels, plutôt que sur leur prévention. Au XIXe siècle, de nombreux syndicats ont
créé des programmes d’assistance sociale à l’intention de leurs membres, notamment sous
forme de prestations versées aux invalides du travail ou aux survivants. Au Canada et aux
Etats-Unis, les syndicats de mineurs sont allés plus loin en ouvrant des hôpitaux, des cliniques
et même des cimetières pour leurs membres (Derickson, 1988). Pendant que les syndicats
tentaient de négocier de meilleures conditions de travail avec les employeurs, en Amérique du
Nord, la plupart des mouvements de revendication en faveur de la sécurité et de la santé au
travail avaient lieu dans les mines et s’adressaient au pouvoir législatif des Etats ou des
provinces (Fox, 1990).
En Europe, la situation a commencé à changer vers la fin du XIXe siècle, avec l’apparition
d’organisations de travailleurs plus puissantes. En 1903, les syndicats français et allemands de
peintres lancèrent une campagne contre les risques de la peinture au plomb. En 1911, le
syndicat allemand des ouvriers de fabriques établit un programme énergique d’hygiène du
travail, avec publication de documents à vocation pédagogique sur les risques chimiques; sa
campagne pour l’adoption de mesures de prévention du cancer du poumon provoqué par les
chromates se solda par des changements dans les méthodes de production. Au Royaume-Uni,
les syndicats allèrent en justice pour représenter leurs membres qui demandaient réparation et
luttèrent pour l’amélioration de la législation et de la réglementation. Leurs interventions
mirent en évidence l’interaction entre la négociation collective en faveur de la sécurité et de la
santé et le système d’inspection du travail dans les usines. En 1905, par exemple, les syndicats
déposèrent 268 plaintes auprès de l’inspection du travail britannique (Teleky, 1948). Dès
1942, la Confédération patronale suédoise (SAF) et la Confédération suédoise des syndicats
(LO) ont conclu un accord national sur le milieu de travail, relatif aux services locaux de
sécurité et d’hygiène. Cet accord a été revu et élargi à plusieurs reprises; c’est ainsi qu’en
1976 la Fédération des salariés de l’industrie et des services (PTK) s’est associée aux deux
premières parties à l’origine de cet accord (Joint Industrial Safety Council of Sweden, 1988).
L’Amérique du Nord restait à la traîne. Certains grands employeurs ont officiellement institué
des programmes internes de sécurité au tournant du siècle (voir Brody, 1960, pour une
description de ces programmes dans la sidérurgie, ou encore le complaisant Year Book of the
American Iron and Steel Institute for 1914 (AISI, 1915)). Ces programmes étaient très
paternalistes et misaient davantage sur la discipline que sur l’éducation; ils partaient souvent
du principe que les travailleurs étaient eux-mêmes responsables des accidents du travail. Des
catastrophes, comme le grand incendie à la Triangle Shirtwaist Company où 146 personnes
perdirent la vie à New York en 1911, conduisirent les syndicats à faire campagne pour
améliorer la situation et aboutirent à l’adoption d’une législation plus efficace en matière de
protection contre les incendies. Il fallut toutefois attendre l’arrivée de syndicats puissants dans
les années trente et quarante pour voir la sécurité et la santé figurer au nombre des grandes
revendications ouvrières. Ainsi, en 1942, la constitution adoptée par le Syndicat unifié des
travailleurs de la sidérurgie d’Amérique (USWA) lors de sa fondation prévoyait que chaque
section locale devait établir un comité de sécurité et d’hygiène. Vers le milieu des années
cinquante, des comités paritaires de sécurité et d’hygiène avaient été créés dans la plupart des
mines et des manufactures syndiquées et dans de nombreuses autres entreprises du bâtiment et
des services; la majorité des conventions collectives comprenaient une section sur la sécurité
et l’hygiène.
La convention collective entre la Bethlehem Steel Corporation et le Syndicat unifié des
travailleurs de la sidérurgie d’Amérique (USWA)
La convention entre la Bethlehem Steel Corporation et l’USWA est un exemple caractéristique
d’accord conclu dans une grande entreprise syndiquée de l’industrie manufacturière aux Etats-
Unis. Les conventions collectives de la sidérurgie contiennent depuis plus de cinquante ans des
dispositions sur la sécurité et la santé. Bon nombre des dispositions négociées par le passé
accordaient aux travailleurs et au syndicat des droits qui ont ensuite été garantis par la législation.
Malgré cela, elles demeurent inscrites dans le texte de la convention: elles protègent ainsi les
travailleurs contre toute modification de la législation et permettent au syndicat de soumettre toute
infraction à un arbitrage impartial, au lieu d’aller en justice.
La convention conclue avec la Bethlehem Steel Corporation est entrée en vigueur le 1er août 1993
et doit prendre fin le 1er août 1999. Elle concerne 17 000 travailleurs répartis dans six
établissements; le document compte 275 pages, dont 17 sont consacrées à la sécurité et à la santé.
L’article 1 du chapitre sur la sécurité et la santé engage l’entreprise et le syndicat à coopérer en
vue d’éliminer les accidents et les risques pour la santé. L’entreprise est tenue de garantir la
sécurité et la salubrité des lieux de travail, de se conformer à la législation fédérale et à celle des
Etats, de fournir gratuitement aux travailleurs l’équipement de protection nécessaire; elle doit
également informer le syndicat sur la sécurité des produits chimiques et les travailleurs sur les
risques des substances toxiques et les moyens de prévention technique. Pour comprendre les
risques potentiels, le service central de sécurité et de santé du syndicat a droit à toute information
«pertinente et essentielle» dont dispose l’entreprise. Cette dernière doit surveiller l’atmosphère des
lieux de travail et les autres facteurs environnementaux à la demande du coprésident syndical du
comité de sécurité et de santé de l’établissement.
L’article 2 institue des comités paritaires de sécurité et de santé dans l’établissement et au niveau
national, en établit le règlement, impose la formation de leurs membres, garantit à ces personnes
l’accès à toutes les parties de l’établissement pour faciliter leurs travaux et fixe les modalités de
leur rémunération dans l’exercice de leurs fonctions. L’article prévoit aussi le règlement des
différends relatifs à l’équipement de protection, oblige l’entreprise à informer le syndicat de tous
les accidents potentiellement invalidants, institue un système d’enquête paritaire sur les accidents,
oblige l’entreprise à rassembler certaines données statistiques sur la sécurité et la santé et à les
transmettre au syndicat, et établit un vaste programme de formation à la prévention à l’intention de
tous les salariés.
L’article 3 autorise les travailleurs à se retirer d’une situation de travail comportant des risques
supérieurs à ceux qui sont «inhérents à l’exploitation», et prévoit un mécanisme d’arbitrage pour
régler tout litige portant sur le refus de travailler dans ces circonstances. En vertu de cet article, un
travailleur ne peut faire l’objet d’aucune mesure disciplinaire pour avoir agi de bonne foi et en
fonction de faits concrets objectifs, même si une enquête ultérieure révèle qu’en réalité le risque
n’existait pas.
L’article 4 précise que le rôle du comité est consultatif et que, dans l’exercice de leurs fonctions
officielles, les membres du comité et les dirigeants du syndicat ne sauraient être tenus pour
responsables des accidents ou des maladies.
L’article 5 précise que l’alcoolisme et la toxicomanie sont des états pathologiques qui se soignent
et instaure un programme de réadaptation.
L’article 6 établit un grand programme de prévention des émanations de monoxyde de carbone qui
constituent un grave danger au cours de la première transformation du fer et de l’acier.
L’article 7 prescrit la remise de bons aux travailleurs pour l’achat de chaussures de sécurité.
L’article 8 dispose que l’entreprise préservera le caractère confidentiel des dossiers médicaux, sauf
dans certaines circonstances limitées. Il précise en outre que les travailleurs peuvent consulter leur
dossier médical et le communiquer au syndicat ou à leur médecin traitant. Les médecins de
l’entreprise sont tenus pour leur part d’informer les travailleurs de toute constatation médicale
grave.
L’article 9 instaure un programme de surveillance médicale.
L’article 10 établit un programme d’enquête et de prévention des risques liés aux terminaux à
écran de visualisation.
L’article 11 prévoit la nomination, dans chaque établissement, de délégués à la sécurité; ces
délégués sont choisis par le syndicat, mais payés par l’entreprise.
De plus, une annexe de la convention impose à l’entreprise et au syndicat de réviser, dans chaque
établissement, le programme de sécurité du matériel roulant sur rails (ce type de matériel sur rails
fixes est en effet la cause première des décès par traumatisme dans la sidérurgie américaine).
La négociation collective
On considère généralement la négociation collective comme un processus formel qui se
déroule à intervalles réguliers et qui se conclut par une convention écrite entre l’organisation
de travailleurs et l’employeur (ou les employeurs). De telles négociations supposent une série
de demandes ou de propositions, suivies de contre-propositions et de longues délibérations qui
débouchent éventuellement sur la signature d’une convention collective, d’un protocole
d’entente, de déclarations conjointes ou de codes de bonnes pratiques établis d’un commun
accord.
Cependant, on peut aussi considérer que la négociation collective est un processus continu de
règlement des problèmes au fur et à mesure qu’ils se posent. Ce genre de négociation a lieu
chaque fois qu’un délégué d’atelier rencontre un cadre pour régler un différend ou un grief,
chaque fois qu’un comité paritaire de sécurité et d’hygiène se réunit pour discuter des
problèmes qui se posent dans l’établissement, chaque fois qu’une équipe paritaire patronale-
syndicale étudie un nouveau programme d’entreprise.
C’est cette souplesse qui est le gage de la pérennité de la négociation collective. Formelle ou
non, la négociation repose toutefois sur une condition préalable: pour qu’elle aboutisse, les
représentants respectifs des deux parties doivent être investis du pouvoir de négocier, de
conclure un accord et de le faire respecter.
La négociation collective est parfois envisagée comme une épreuve de force au cours de
laquelle un gain pour une partie équivaut à une perte pour l’autre. L’employeur verra, par
exemple, dans une hausse salariale une menace pour ses profits et dans un accord de non-
licenciement une entrave à sa liberté de manœuvre. Si la négociation est assimilée à une
épreuve de force, le pouvoir relatif ou pouvoir de marchandage des parties devient l’élément
déterminant le résultat. Pour l’organisation des travailleurs, ce pouvoir se traduit par la
capacité d’arrêter la production au moyen d’une grève, d’organiser le boycottage du produit
ou du service de l’employeur, ou d’user d’autres moyens de pression, tout en s’assurant de la
loyauté de ses membres. Pour l’employeur, le pouvoir réside dans sa capacité de résister à ces
pressions, de remplacer les grévistes dans les pays où cela est permis, ou de tenir bon jusqu’à
ce que les travailleurs soient contraints de reprendre le travail aux conditions arrêtées par la
direction.
Bien évidemment, dans la grande majorité des cas, les négociations collectives sont
couronnées de succès et se terminent sans arrêt de travail. Néanmoins, c’est précisément la
crainte d’un arrêt de travail qui incite les deux parties à parvenir à un règlement. Ce genre de
négociation est parfois appelé négociation de positions: au départ, les parties exposent leurs
points de vue respectifs, puis elles lâchent du lest et progressent jusqu’à ce qu’un compromis
soit trouvé, selon le rapport des forces en présence.
Il existe un second modèle dans lequel la négociation collective est qualifiée de recherche
mutuelle d’une solution optimale (Fisher et Ury, 1981). On présume alors qu’un accord bien
négocié permettra aux deux parties d’y trouver avantage. Une augmentation de salaire, par
exemple, sera compensée par une amélioration de la productivité. Un accord de non-
licenciement pourra inciter les travailleurs à être plus efficaces puisque leur emploi ne sera
pas menacé. Ce genre de négociation est dit «à la satisfaction des deux parties» ou «gagnant-
gagnant». L’important, c’est que chaque partie comprenne les intérêts de l’autre et trouve les
solutions les plus avantageuses pour tous. La sécurité et la santé au travail sont souvent tenues
pour un sujet idéal de négociation au profit mutuel des parties, car toutes deux ont intérêt à
éviter les accidents du travail et les maladies professionnelles.
En pratique, les deux modèles ne s’excluent pas, chacun ayant son importance. Les
négociateurs chevronnés chercheront toujours à comprendre leurs vis-à-vis et à trouver les
points sur lesquels une convention intelligemment négociée pourrait bénéficier aux deux
parties. Toutefois, il est peu probable qu’une partie sans pouvoir de marchandage puisse
atteindre ses objectifs. Il restera toujours des domaines où les parties percevront différemment
leurs intérêts et où le meilleur remède restera le maniement de la carotte et du bâton. La
négociation de bonne foi réussit le mieux lorsque chaque partie craint le coup de bâton de
l’autre.
Le pouvoir de marchandage demeure important même dans les négociations sur la sécurité et
la santé. Ainsi, une entreprise sera moins disposée à réduire son taux d’accidents si elle peut
en faire porter les coûts par la collectivité. S’il est possible de remplacer facilement et à bon
compte les travailleurs accidentés, sans avoir à leur verser des indemnités substantielles, la
direction peut être tentée de se dispenser d’améliorer la sécurité, qui peut coûter cher. C’est
particulièrement vrai dans le cas des maladies professionnelles à longue période de latence:
l’installation de moyens de prévention technique est onéreuse, mais leur utilité ne se
manifeste pas avant de nombreuses années. En conséquence, le syndicat aura
vraisemblablement plus de succès si les travailleurs peuvent bloquer la production ou faire
intervenir un inspecteur de l’Etat lorsque les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord.
Le cadre juridique
Les conventions internationales du travail de l’OIT, qu’elles portent sur la liberté syndicale et
la protection du droit syndical, sur le droit d’organisation et de négociation collective ou sur la
sécurité et la santé au travail, reconnaissent le rôle des organisations de travailleurs. Ces
instruments établissent un cadre international, mais seules la législation et la réglementation
nationales garantissent dans la pratique les droits des travailleurs.
Naturellement, le fondement juridique, le niveau et même les modalités de la négociation
collective varient selon les pays. La législation de la plupart des pays industriels comporte un
système de réglementation de la négociation collective. Même dans l’Union européenne, la
réglementation diffère grandement, passant d’une approche minimaliste en Allemagne à un
cadre beaucoup plus élaboré en France. La portée légale des conventions collectives n’est pas
non plus la même partout. Dans la plupart des pays, la loi oblige les parties à se conformer
aux conventions collectives qui les lient. Par contre, au Royaume-Uni, les conventions sont
considérées comme dépourvues de caractère obligatoire, et leur application dépend de la
bonne foi des parties, renforcée par la menace d’un arrêt de travail. Ces écarts devraient se
réduire au fur et à mesure des progrès de l’unification de l’Europe.
Le niveau de la négociation est lui aussi très différent. Aux Etats-Unis, au Japon et dans la
plupart des pays d’Amérique latine, la négociation se fait dans chaque entreprise, bien que les
syndicats essaient souvent de négocier des conventions «types» avec tous les grands
employeurs d’une branche. A l’autre extrême, l’Autriche, la Belgique et les pays nordiques
ont tendance à centraliser fortement la négociation; la plupart des entreprises sont régies par
une convention-cadre négociée entre des fédérations nationales représentant les syndicats et
les employeurs. Les ententes sectorielles portant sur des branches d’activité ou des
professions particulières sont courantes dans certains pays, notamment en Allemagne et en
France.
Les pays francophones d’Afrique tendent à suivre l’exemple de la France et à négocier par
branche d’activité. C’est aussi le cas dans certains pays anglophones en développement,
tandis que dans d’autres, plusieurs syndicats négocient au nom de différents groupes de
travailleurs d’une seule entreprise.
Le niveau de la négociation détermine en partie la portée de la convention collective. En
France et en Allemagne par exemple, la convention collective vise habituellement quiconque
entre dans la profession ou la branche d’activité où elle s’applique. Par contre, aux Etats-Unis
et dans d’autres pays où la négociation se déroule au niveau de l’entreprise, la convention
collective s’applique uniquement aux établissements qui ont reconnu le syndicat comme agent
négociateur.
La mesure dans laquelle la loi nationale facilite ou entrave la syndicalisation et la négociation
collective est un facteur encore plus important pour déterminer la portée de cette négociation.
Dans certains pays, par exemple, les salariés du secteur public ne sont pas autorisés à négocier
collectivement. Dans d’autres, les syndicats du secteur public connaissent une croissance
rapide. Il s’ensuit que le pourcentage des travailleurs régis par des conventions collectives
varie énormément selon les pays: il culmine à près de 90% en Allemagne et dans les pays
nordiques, et tombe à moins de 10% dans de nombreux pays en développement.
Le cadre juridique influe également sur la manière dont la négociation collective s’applique à
la sécurité et à la santé au travail. Par exemple, la loi américaine sur la sécurité et la santé au
travail confère aux organisations de travailleurs le droit à l’information sur les produits
chimiques dangereux et autres risques dans l’établissement, le droit d’accompagner un
inspecteur du travail et un droit limité de participation aux poursuites en justice intentées par
le gouvernement contre un employeur pour infraction aux normes.
De nombreux pays vont plus loin. La plupart des pays industriels imposent aux entreprises de
mettre sur pied des comités d’hygiène et de sécurité. La province de l’Ontario, au Canada,
exige la nomination de délégués à la sécurité et à la santé par les travailleurs dans la plupart
des lieux de travail, ainsi que leur formation aux frais de l’employeur. La loi sur le milieu de
travail adoptée par la Suède dispose que chaque section locale d’un syndicat nomme des
délégués à la sécurité. Ces délégués ont de larges droits à l’information et à la consultation,
mais, surtout, ils sont habilités à suspendre l’exécution de tout travail dangereux en attendant
la décision de l’inspection du travail.
Ces lois renforcent la négociation collective en matière de sécurité et de santé au travail. Les
comités paritaires obligatoires de sécurité fournissent un mécanisme à l’usage de la
négociation. La formation donne aux représentants syndicaux les connaissances dont ils ont
besoin pour participer efficacement aux travaux des comités. Le droit d’interrompre tout
travail dangereux incite les deux parties à éliminer les sources de danger.
L’application des conventions et de la législation du travail
En l’absence d’un mécanisme d’application, les conventions collectives n’ont à l’évidence
qu’une valeur limitée. La grève est un des moyens dont disposent les organisations de
travailleurs pour réagir à une violation présumée de la part de l’employeur; de son côté,
l’employeur peut décréter un lock-out et priver les membres de l’organisation de travailleurs
de leur emploi jusqu’à ce que le différend soit réglé. Cependant, la plupart des conventions
collectives conclues dans les pays développés reposent sur des modalités d’application moins
conflictuelles. De fait, maintes conventions collectives interdisent tout simplement la grève ou
le lock-out pendant toute la durée de leur validité (clauses de non-recours à la grève et
obligation de paix sociale). D’autres conventions restreignent l’exercice du droit de grève et
de lock-out à des situations spécifiques; par exemple, les contrats négociés aux Etats-Unis
entre le syndicat unifié des travailleurs de l’automobile et les grands constructeurs
automobiles permettent le recours à la grève quand les conditions de travail ne sont pas sûres,
mais non pour régler des questions concernant les salaires ou les avantages sociaux pendant la
durée de la convention.
L’arbitrage est un mécanisme d’application courant dans les pays développés; les conflits sont
renvoyés devant un arbitre impartial choisi d’un commun accord par l’employeur et
l’organisation de travailleurs. Dans certains cas, les conflits peuvent être tranchés par le
système judiciaire — tribunaux ordinaires, tribunaux spéciaux du travail ou commissions
spéciales. Aux Etats-Unis, par exemple, tout litige concernant l’interprétation de la
convention est habituellement soumis à l’arbitrage. Cependant, si la partie déboutée refuse de
se conformer à la décision de l’arbitre, la partie ayant obtenu gain de cause peut s’adresser
aux tribunaux pour la faire appliquer. Un organisme quasi judiciaire, la Commission nationale
des relations professionnelles (National Labor Relations Board), connaît des plaintes relatives
aux pratiques de travail déloyales, comme le refus de négocier de bonne foi de la part d’une
partie. Dans de nombreux autres pays, ce sont les tribunaux du travail qui remplissent ce rôle.
La négociation collective aujourd’hui
La négociation collective est un processus dynamique dans tous les systèmes de relations
professionnelles où elle est pratiquée. En Europe, la situation évolue rapidement. Les pays
nordiques se caractérisent par des conventions collectives globales sur le milieu de travail qui
sont négociées au niveau national et intégrées dans des lois très élaborées. La syndicalisation
est très forte; les conventions collectives et la loi prescrivent la création de comités d’hygiène
et de sécurité et la nomination de délégués à la sécurité dans la plupart des lieux de travail.
Les autres pays européens ne disposent pas de mécanismes de négociation collective aussi
pointus en matière de sécurité et de santé et le taux de syndicalisation n’y est pas aussi élevé.
Les Etats membres de l’Union européenne sont appelés à harmoniser leur législation nationale
aux termes de l’Acte unique européen et de la directive-cadre concernant la sécurité et la santé
(Hecker, 1993). Les syndicats cherchent à coordonner leurs efforts, principalement à travers la
Confédération européenne des syndicats. Certains signes montrent qu’en définitive la
négociation nationale sera remplacée, ou plus vraisemblablement complétée, par des
conventions au niveau européen, quoique cette perspective suscite une forte résistance des
employeurs. Le congé parental est le premier exemple de ce type de négociation à l’échelle
européenne. En matière de sécurité et de santé, le GMB, syndicat des employés municipaux,
de la métallurgie et des industries diverses, au Royaume-Uni, a proposé la constitution d’un
ambitieux fonds paneuropéen du milieu de travail, qui s’inscrirait dans la lignée des fonds de
ce genre établis dans les pays nordiques.
En Europe centrale et orientale, ainsi que dans les anciens pays membres de l’Union
soviétique, les choses changent encore plus rapidement. Sous le régime communiste, la
réglementation en matière de sécurité et de santé était très étendue, mais rarement appliquée.
Il existait certes des syndicats, mais ils étaient placés sous le contrôle du parti communiste.
Dans les entreprises, les syndicats tenaient lieu de services de relations professionnelles
contrôlés par la direction, sans aucune négociation bipartite. Les nouveaux syndicats
indépendants ont précipité la chute du communisme; parfois, leurs revendications portaient
sur les conditions de travail ou des mesures sanitaires aussi élémentaires que la fourniture de
savon dans les douches pour les mineurs de charbon. Aujourd’hui, les anciens syndicats ont
disparu ou luttent pour se reconstituer. Quant aux nouveaux syndicats indépendants, ils
s’efforcent de se départir de leurs réflexes d’organisations politiques habituées à affronter le
gouvernement pour devenir des organisations pratiquant la négociation collective et
représentant leurs membres sur les lieux de travail. Les mauvaises conditions de travail qui,
souvent, ne cessent de se dégrader vont demeurer une question importante.
Prônant la participation, le perfectionnement permanent et la formation continue des
travailleurs, le système japonais encourage effectivement la sécurité et la santé, mais
uniquement lorsque celles-ci font explicitement partie des objectifs de l’entreprise. La plupart
des syndicats japonais n’existent qu’au niveau de l’entreprise; les négociations se déroulent
dans un système de consultation permanente (Inohara, 1990). Des comités d’hygiène et de
sécurité sont établis en application de la loi de 1972 sur la sécurité et l’hygiène du travail, telle
que modifiée.
Les conventions collectives aux Etats-Unis comportent des dispositions assez détaillées sur la
sécurité et la santé, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la sécurité et la santé sont des
enjeux importants pour les syndicats nord-américains, comme c’est le cas pour leurs
homologues dans tous les pays industriels. Toutefois, la législation comporte de nombreuses
lacunes par rapport à celle d’autres pays, ce qui force les syndicats à négocier des droits et des
protections qui sont déjà garantis par la loi ailleurs dans le monde. Par exemple, les comités
paritaires d’hygiène et de sécurité constituent un important mécanisme de négociation et de
coopération au jour le jour entre les travailleurs et les employeurs, mais rien dans la loi des
Etats-Unis sur la sécurité et l’hygiène en matière d’emploi n’exige la formation de tels
comités. Par conséquent, les syndicats doivent négocier pour obtenir leur création, et comme
le taux de syndicalisation est faible aux Etats-Unis, la majorité des travailleurs n’ont pas accès
à ces comités. La protection juridique étant peu importante et peu claire, bon nombre de
syndicats américains ont dû par ailleurs négocier dans leurs conventions des clauses
interdisant toutes représailles contre les travailleurs qui refusent de travailler dans des
conditions présentant des risques imminents et sérieux pour leur vie ou leur santé.
Au Canada, la législation diffère d’une province à une autre, mais elle est généralement plus
contraignante que celle des Etats-Unis. Les syndicats n’ont pas à négocier pour obtenir la
création de comités d’hygiène et de sécurité, mais ils peuvent le faire pour les élargir ou leur
donner des pouvoirs accrus. La loi mexicaine impose aussi la constitution de comités
d’hygiène et de sécurité.
Dans les pays en développement, la situation varie. Les organisations de travailleurs du
Brésil, de l’Inde et du Zimbabwe, entre autres, accordent de plus en plus d’importance à la
sécurité et à la santé, en organisant des campagnes pour améliorer la législation et en
recourant à la négociation collective. Ainsi, le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU)
s’est battu pour que le Code national du travail — y compris les dispositions sur la sécurité et
la santé — s’applique aussi dans les zones franches d’exportation (voir encadré). Dans bien
des régions du monde, les syndicats sont très contrôlés, voire carrément interdits, et la grande
majorité des travailleurs des pays en développement n’appartient à aucune organisation et ne
bénéficie pas de la négociation collective.
L’action syndicale au Zimbabwe
Afin de faire modifier la législation et d’améliorer les conventions collectives, le Congrès des
syndicats du Zimbabwe (Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU)) a lancé une campagne
nationale en faveur des droits des victimes d’accidents du travail, qui conjugue des mesures à
prendre au niveau national et dans les entreprises.
Depuis 1990, la législation du Zimbabwe prévoit l’établissement de comités de sécurité, la
nomination de délégués à la sécurité et à la santé au travail et de surveillants de la sécurité dans
tous les lieux de travail. Le ZCTU insiste pour que les délégués soient élus par les travailleurs. Sa
campagne nationale comporte trois revendications:
1. Travail en sécurité. Il s’agit de déterminer les risques sur les lieux de travail au moyen
d’enquêtes sur les accidents et de négocier pour obtenir de meilleures conditions.
2. Participation des travailleurs et des syndicats aux questions de santé des travailleurs. Les
travailleurs doivent pouvoir élire leurs propres délégués à la sécurité et à la santé, obtenir des
informations, par exemple des fiches de données de sécurité et des rapports d’inspecteurs du
travail, participer aux enquêtes et à l’établissement de rapports sur les accidents et les lésions
professionnelles (comme c’est le cas en Suède).
3. Réparation et prestation de soins adéquats aux victimes d’accidents de travail. Ce point
s’étend à la révision des barèmes d’indemnisation.
4. Sécurité de l’emploi pour les victimes d’accidents du travail. Les représentants syndicaux ont
négocié le droit des victimes d’accidents du travail de retrouver un emploi et de bénéficier de
mesures facilitant leur placement.
Pour le ZCTU, le programme de formation visant à accroître la participation réelle des travailleurs
à la sécurité et à la santé dans l’atelier est une étape cruciale dans la prévention des accidents. La
formation des représentants des travailleurs a consisté en visites des lieux de travail et en
préparation de rapports sur tous les risques identifiés; ces rapports sont d’abord communiqués aux
travailleurs avant d’être remis à la direction aux fins de discussion. Une fois en fonction, les
délégués syndicaux à la sécurité et à la santé participent aux inspections et veillent à ce que les
accidents soient déclarés. Il s’agit là d’une mesure particulièrement importante dans des secteurs
qui, sans cela, seraient inaccessibles, comme l’agriculture.
Le ZCTU exige également l’imposition de sanctions plus élevées aux employeurs reconnus
coupables d’infractions à la législation relative à la sécurité et à la santé.
par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de Loewenson, 1992).
L’avenir de la négociation collective
Les organisations de travailleurs et la négociation collective devront relever des défis
importants au cours des années à venir. Pratiquement, toute la négociation collective a lieu
dans les entreprises, les branches d’activité ou encore au niveau national. Or, la
mondialisation de l’économie ne cesse de progresser. En dehors de l’Europe, les organisations
de travailleurs n’ont pas encore mis au point des mécanismes efficaces de négociation
transfrontalière. La négociation collective multinationale est un objectif prioritaire des
fédérations internationales du travail. Le meilleur moyen de la promouvoir passe par des
structures syndicales internationales plus fortes et plus efficaces, de solides clauses sociales
dans les accords sur le commerce international et des instruments internationaux adaptés à la
situation, comme ceux qu’a mis en place l’Organisation internationale du Travail. Par
exemple, la Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et
la politique sociale contient des dispositions précises sur la négociation collective, ainsi que
sur la sécurité et la santé au travail. De nombreux syndicats nouent des liens directs avec leurs
homologues d’autres pays pour coordonner leurs négociations et se prêter assistance. Les
relations entre les syndicats de mineurs des Etats-Unis et ceux de la Colombie en sont un bon
exemple (Zinn, 1995).
Les progrès technologiques et l’évolution rapide de l’organisation du travail risquent de
balayer les conventions collectives en vigueur. Les organisations de travailleurs cherchent à
mettre en place une forme de négociation continue pour faire face aux changements qui
affectent les lieux de travail. Elles ont pris conscience depuis longtemps des liens qui existent
entre le milieu de travail et l’environnement. Certains syndicats ont commencé à intégrer les
enjeux de l’environnement dans les conventions collectives et dans les programmes éducatifs
qu’ils organisent à l’intention de leurs membres. C’est le cas, par exemple, du syndicat des
industries manufacturières-sciences-finances (Manufacturing-Science-Finance (MSF)) au
Royaume-Uni, qui propose un accord modèle sur l’environnement.
L’un des buts fondamentaux des syndicats est de mettre les droits de l’homme et le bien-être à
l’abri de la concurrence économique — afin d’empêcher une entreprise ou une nation
d’appauvrir ses travailleurs et de les forcer à travailler dans des conditions dangereuses pour
s’assurer un avantage concurrentiel. La négociation collective est primordiale pour la sécurité
et la santé. Pourtant, les organisations de travailleurs, essentielles à la négociation collective,
sont en butte à des attaques dans de nombreux pays, qu’ils soient développés ou en
développement. Seules leur pérennité et leur vitalité permettront à la plupart des travailleurs
de jouir d’un meilleur niveau de vie et de meilleures conditions de travail; sinon, ils
s’enfonceront dans le cycle de la pauvreté, des accidents et des maladies.
LA COOPÉRATION BI- ET TRIPARTITE AU NIVEAU NATIONAL EN MATIÈRE
DE SÉCURITÉ ET DE SANTÉ
Robert Husbands
La coopération entre les travailleurs, les employeurs et le gouvernement pour l’élaboration et
la mise en œuvre de mesures de sécurité et de santé au travail, au niveau national ou régional,
est chose courante dans un grand nombre de pays. Il est fréquent également que les groupes
d’intérêts et les spécialistes participent à ce processus. Cette coopération est très poussée et
elle a été institutionnalisée dans plusieurs pays par la création d’organismes de consultation et
de collaboration. Ces organismes sont en principe très bien acceptés par tous les acteurs du
marché du travail pour lesquels la sécurité et la santé au travail constituent une préoccupation
commune et qui attachent une grande importance au dialogue entre les partenaires sociaux, le
gouvernement et les autres parties intéressées.
La forme des institutions qui ont été mises sur pied pour faciliter cette coopération varie
considérablement. Une approche consiste à établir des organismes consultatifs ad hoc ou
permanents pour conseiller le gouvernement sur les questions relatives à la politique de
sécurité et de santé au travail. Techniquement, le gouvernement n’est pas obligé de suivre les
recommandations qui lui sont faites mais, en pratique, il lui est difficile de ne pas en tenir
compte.
Une autre approche veut que les partenaires sociaux et les autres parties intéressées coopèrent
activement avec le gouvernement au sein des institutions publiques chargées de mettre en
œuvre la politique de sécurité et de santé au travail. La participation des intervenants non
gouvernementaux dans les institutions publiques responsables de ces questions passe
normalement par la représentation des organisations d’employeurs et de travailleurs et, dans
certains cas, d’autres parties, au conseil d’administration de l’institution; parfois, la
participation s’étend à la gestion et même à la réalisation des projets. Dans la plupart des cas,
les représentants en question sont nommés par le gouvernement sur recommandation des
parties représentées; dans d’autres, les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le
droit de nommer directement leurs représentants. Les organes au niveau national (ou de la
région, de l’Etat ou de la province) sont normalement dotés de structures ou de dispositifs
intéressant la branche d’activité, l’entreprise ou l’établissement.
Les conseils sur l’élaboration des politiques et des normes
La constitution d’organismes consultatifs chargés de conseiller le gouvernement sur
l’élaboration des politiques et des normes est sans doute la forme la plus courante de
coopération. On en trouve des exemples très divers — de la version modeste nécessitant peu
de ressources, aux approches plus institutionnalisées qui en appellent de plus considérables.
Les Etats-Unis sont un bon exemple d’un pays retenant une approche restrictive. Au niveau
fédéral, la Commission consultative nationale de sécurité et d’hygiène du travail (National
Advisory Committee on Occupational Safety and Health), établie en vertu de la loi de 1970
sur la question, est le principal organe consultatif permanent. Cette commission comprend des
représentants des employeurs et des salariés, des spécialistes de la sécurité et de l’hygiène du
travail, ainsi qu’un représentant de l’intérêt général qui assure la présidence. La Commission
est chargée de faire des recommandations au secrétaire au travail et au secrétaire à la santé et
au bien-être. En pratique, toutefois, la Commission ne s’est pas réunie souvent. Ses membres
ne sont pas rémunérés et le secrétariat au travail finance, sur son budget, les services d’une
personne chargée du secrétariat général et, au besoin, d’autres services de soutien. Les frais de
fonctionnement de cette commission sont donc très modiques, bien que les contraintes
budgétaires actuelles menacent même ces services de soutien. Un organe permanent similaire,
le Conseil consultatif fédéral de la sécurité et de la santé au travail (Federal Advisory Council
on Occupational Safety and Health), a été établi en juillet 1971, aux termes du décret-loi
11612; il a pour mission de conseiller le secrétaire au travail sur les sujets concernant la
sécurité et la santé des travailleurs fédéraux.
La loi de 1970 sur la sécurité et l’hygiène du travail prescrit aussi l’établissement de comités
consultatifs spéciaux pour aider à l’élaboration des normes. Ces comités sont nommés par le
secrétaire au travail et se composent de quinze membres au maximum, dont un ou plusieurs
sont désignés par le secrétaire à la santé et au bien-être. Chaque comité doit comprendre un
nombre égal de représentants des organisations de travailleurs et d’employeurs. Le secrétaire
au travail peut aussi nommer un ou plusieurs représentants des organismes responsables de la
sécurité et de l’hygiène dans les Etats fédérés, ainsi que des experts, par exemple des
représentants des organisations professionnelles de techniciens ou de spécialistes de la
sécurité et de la santé au travail, ou d’organisations nationales de normalisation. On recourt
abondamment à ces comités qui demeurent parfois en exercice durant plusieurs années pour
remplir leur mandat. Les réunions peuvent être fréquentes, selon la nature des travaux à
accomplir. Bien que les membres de ces comités ne soient en principe pas rémunérés, le
secrétaire au travail leur rembourse leurs frais de déplacement sur une base raisonnable et paie
les services de soutien comme par le passé. Des comités ont ainsi été constitués pour élaborer
des normes sur l’agriculture, les poussières d’amiante, les substances cancérogènes, les
émissions des fours à coke, les risques de contamination cutanée, l’étiquetage des produits
dangereux, les contraintes thermiques, les installations des terminaux maritimes, le bruit, la
sécurité et la santé des dockers, l’emploi sur les chantiers navals, le montage des structures
d’acier, etc.
D’autres comités spéciaux du même type établis aux termes de lois analogues relèvent du
secrétaire au travail. C’est notamment le cas des comités établis en application de la loi
fédérale de 1977 sur la sécurité et la santé dans les mines. Malgré tout, les coûts liés à la
constitution et au fonctionnement de ces comités restent plutôt modestes: frais administratifs
réduits; infrastructure légère; participation bénévole des intervenants externes; dissolution du
comité dès la fin de son mandat.
D’autres pays ont adopté des formes plus élaborées et institutionnalisées de consultation.
Ainsi, aux Pays-Bas, le Conseil du milieu de travail est l’organisme supérieur établi en
application de la loi de 1990 sur le même sujet. Sur demande ou de son propre chef, le
Conseil donne des avis au ministère des Affaires sociales et de l’Emploi et fait part de ses
observations concernant les nouveaux projets de loi; il peut aussi proposer une nouvelle
politique ou une nouvelle mesure législative. Il est également appelé à se prononcer sur
l’octroi des subventions et des bourses de recherche sur le milieu de travail, sur les
autorisations d’exemption, sur la formulation des directives gouvernementales et sur la
politique de l’inspection du travail. Le Conseil comprend huit représentants des organisations
centrales d’employeurs, huit des organisations centrales de travailleurs et sept des organismes
gouvernementaux. Seuls les représentants des employeurs et des travailleurs ont le droit de
vote et la présidence du Conseil est confiée à une personne indépendante. Le Conseil se réunit
tous les mois. Il a établi une quinzaine de comités de travail sur des sujets spécifiques; de
plus, des groupes de travail ad hoc sont constitués au besoin sur des questions plus précises.
Les experts externes jouent un rôle important au sein des comités et des groupes de travail;
ces organes préparent des rapports et des documents qui sont examinés lors des réunions du
Conseil et forment souvent la base des positions que celui-ci adoptera par la suite. Le Conseil
présente des recommandations générales qui sont publiées. Le plus souvent, les parties
essaient de parvenir à un consensus; les opinions dissidentes sont transmises au ministre des
Affaires sociales et de l’Emploi. Plus d’une centaine de personnes participent aux travaux du
Conseil et à ceux de ses organes affiliés; le Conseil mobilise d’importantes ressources
administratives et financières.
D’autres organismes consultatifs de moindre envergure existent aux Pays-Bas et traitent de
questions plus spécifiques de sécurité et de santé au travail. On peut notamment citer la
Fondation pour le milieu de travail dans le bâtiment, la Fondation pour les soins de santé en
agriculture, la Commission pour la prévention des catastrophes causées par les substances
dangereuses et la Commission de l’inspection du travail et de la politique d’application.
Parmi les autres pays dotés d’organismes consultatifs bipartites, tripartites ou multipartites
chargés de faire des recommandations sur les politiques et les normes de sécurité et de santé
au travail figurent le Canada (Comités spéciaux sur la réforme législative et l’établissement
des normes, au niveau fédéral; Forum pour l’action en matière de santé et de sécurité au
travail, en Alberta; Comité directeur mixte sur les substances dangereuses utilisées en milieu
de travail, en Ontario; Comité consultatif pour la prévention des dorsalgies, à Terre-Neuve;
Comité de sécurité et de santé au travail, à l’île du Prince-Edouard; Conseil consultatif sur la
sécurité et la santé au travail, au Manitoba; Conseil de la sécurité et de la santé au travail, dans
la Saskatchewan; Forum pour la sécurité dans la foresterie, en Colombie-Britannique). On
peut aussi ajouter le Danemark (Conseil du milieu de travail); la France (Conseil central pour
la prévention des risques professionnels et Commission nationale de l’hygiène et de la
sécurité du travail en agriculture); l’Italie (Commission consultative permanente pour la
prévention des accidents du travail et la santé au travail); l’Allemagne (Conseil consultatif
auprès de l’Institut fédéral de la sécurité et de la santé au travail); et l’Espagne (Conseil
général de l’Institut national pour la sécurité et la santé au travail).
L’application de la politique
Dans plusieurs pays, des organismes bipartites, tripartites ou multipartites collaborent aussi à
l’application de la politique. Il s’agit habituellement d’instances publiques qui regroupent des
représentants des employeurs et des travailleurs et, dans certains cas, d’autres personnes ou
groupes d’intérêts, et qui élaborent la politique et la mettent en œuvre. Normalement, ces
organismes sont d’une taille beaucoup plus importante que les comités, commissions ou
conseils consultatifs et sont responsables de l’application de la politique gouvernementale; ils
gèrent souvent des budgets importants et disposent d’un nombreux personnel.
La Commission de la sécurité et de la santé (Health and Safety Commission (HSC) du
Royaume-Uni), établie aux termes de la loi de 1974 sur la sécurité et l’hygiène au travail, est
un bon exemple de ce genre d’organisme. Elle s’assure que des mesures adéquates sont prises
pour garantir la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs, protéger la population contre
les risques professionnels, contrôler l’entreposage et l’utilisation des explosifs, des produits
hautement inflammables et autres substances dangereuses, et limiter l’émission de substances
nocives ou sensibilisantes en milieu de travail. Cette commission relève du secrétariat d’Etat à
l’éducation et à l’emploi, mais rend également compte à d’autres secrétariats d’Etat —
commerce et industrie, transports, environnement et agriculture. Elle est composée de
9 personnes, toutes nommées par le secrétaire d’Etat à l’éducation et à l’emploi: un président,
3 membres nommés après consultation de l’organisation d’employeurs la plus représentative,
3 membres nommés après consultation de la principale centrale syndicale, et 2 membres
nommés après consultation d’associations d’autorités locales.
La commission est assistée de plusieurs organismes subsidiaires (voir figure 21.3), dont le
plus important est la Direction de la sécurité et de la santé (Health and Safety Executive
(HSE)), organe statutaire distinct dirigé par trois personnes nommées par la commission avec
l’approbation du secrétaire d’Etat à l’éducation et à l’emploi. Cet organe est chargé de
l’exécution des tâches de la commission, notamment l’application des normes établies en
vertu de ladite loi de 1974 sur la santé et la sécurité et exerce d’autres fonctions qui lui sont
déléguées par la commission. Les autorités locales assument aussi des responsabilités
relatives à l’application de certains volets de la législation en matière de sécurité et de santé.
De plus, plusieurs comités consultatifs bipartites, tripartites ou multipartites, selon le cas,
assistent la commission dans ses travaux. Ces comités sont organisés soit par sujet d’étude:
substances toxiques, agents pathogènes virulents, substances dangereuses, modifications
génétiques, santé au travail, émissions dans l’environnement, installations nucléaires et
rayonnements ionisants, soit par branche d’activité: agriculture, céramique, construction,
enseignement, fonderies, santé, pétrole, papier et carton, imprimerie, transports ferroviaires,
caoutchouc, coton et textiles. Les comités par sujet à caractère multipartite comptent de 12 à
18 membres et un président; ils comprennent souvent des experts ainsi que des représentants
des organisations centrales de travailleurs et d’employeurs, du gouvernement et d’autres
groupes d’intérêts. Pour leur part, les comités par branche d’activité sont surtout bipartites et
comprennent une dizaine de membres représentant en nombre égal les organisations centrales
de travailleurs et d’employeurs, la présidence étant assurée par un représentant du
gouvernement. La HSC et le HSE disposent de ressources considérables. En 1993, ils
employaient 4 538 personnes et avaient un budget de 211,8 millions de livres sterling.
LES FORMES DE PARTICIPATION DES TRAVAILLEURS
Muneto Ozaki et Anne Trebilcock
L’expression participation des travailleurs est très large et englobe diverses formes de
participation à la prise de décisions, habituellement au niveau de l’entreprise. Elles s’ajoutent
à d’autres formes de participation dans la branche d’activité et au niveau national, par
exemple au sein des organismes de coopération tripartites. Les modalités de la participation
des travailleurs diffèrent grandement selon leurs fonctions et leurs pouvoirs, qui vont de la
simple suggestion d’un employé à la cogestion de certaines activités par les représentants des
travailleurs et la direction. Les mécanismes utilisés pour stimuler la participation des salariés
varient tellement qu’il est impossible de les passer ici tous en revue. Nous nous limiterons aux
principales formes de participation qui ont suscité de l’intérêt ces derniers temps,
particulièrement dans le domaine de l’organisation du travail; on peut y ajouter l’exemple
historique de l’autogestion telle qu’elle était pratiquée par les travailleurs dans l’ancienne
Yougoslavie. Particulièrement pertinents de nos jours, les comités mixtes de sécurité et de
santé sont examinés comme une forme particulière de participation des travailleurs dans le
contexte plus large des relations professionnelles.
L’idée de la participation des travailleurs est née en Europe, où la négociation collective se
déroule habituellement par branche ou par industrie; auparavant, cette situation laissait
souvent un vide sur le plan de la représentation des travailleurs au niveau de l’entreprise ou de
l’établissement, vide que les conseils d’usine, les comités de travailleurs, les comités
d’entreprise, etc., ont comblé. De nombreux pays en développement ont également adopté des
dispositions législatives en vue de se doter de comités d’entreprise ou de structures similaires
(Pakistan, Thaïlande, Zimbabwe, par exemple) pour promouvoir la coopération entre la
direction et les travailleurs. Les relations entre ces comités et les syndicats et la négociation
collective ont donné lieu à nombre de négociations et à un travail législatif important.
L’article 5 de la convention (no 135) de l’OIT concernant la protection des représentants des
travailleurs dans l’entreprise et les facilités à leur accorder, 1971, reflète cette situation:
«lorsqu’une entreprise compte à la fois des représentants syndicaux et des représentants élus,
des mesures appropriées devront être prises [...] pour garantir que la présence de représentants
élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats [...].»
La participation directe
Les travailleurs peuvent participer directement à la prise de décisions, ou indirectement par
l’entremise de leurs représentants — syndicats ou représentants élus. A compter des années
quatre-vingt, la participation directe des travailleurs s’est développée, pour peu que l’on
comprenne la participation comme un moyen d’influer sur le travail ou sur la façon dont il
doit être exécuté. Ainsi, les travailleurs peuvent «participer» à des décisions concernant le
travail même quand l’établissement n’est pas doté d’un organe établi à cet effet, un cercle de
qualité par exemple. En conséquence, un simple exercice d’enrichissement des tâches peut
constituer une forme de promotion de la participation directe des travailleurs.
La participation directe peut intervenir sur le plan individuel — par exemple, dans le cadre de
programmes de suggestions ou d’enrichissement des tâches. Elle peut aussi se faire en groupe
— comme dans les cercles de qualité ou des groupes analogues restreints. Le travail en équipe
constitue en soi une forme de participation directe de groupe. La participation directe peut être
intégrée dans la prise de décisions concernant le travail de tous les jours, ou se faire en dehors
du quotidien, notamment en cas d’adhésion volontaire à un cercle de qualité qui se démarque
de la structure de groupe utilisée habituellement. La participation directe peut aussi revêtir un
caractère «consultatif» ou «délibératif». Dans une étude, la Fondation européenne pour
l’amélioration des conditions de vie et de travail s’est penchée de manière relativement
approfondie sur cette facette particulière de la participation directe (Regalia et Gill, 1996). La
participation consultative encourage les travailleurs à s’exprimer à titre individuel ou collectif,
et elle leur en donne les moyens, mais il appartient à la direction d’accepter ou de rejeter leurs
propositions. La participation délibérative confie aux salariés certaines responsabilités
traditionnelles de la direction, comme c’est le cas pour le travail en équipe ou les groupes de
travail semi-autonomes dans lesquels certains pouvoirs sont délégués aux travailleurs.
Les comités d’entreprise et structures similaires; la cogestion
L’expression comités d’entreprise désigne des organes de représentation des travailleurs,
d’ordinaire au niveau de l’établissement, mais aussi à des niveaux supérieurs (société, groupe
de sociétés, branche d’activité, Union européenne). La relation avec les syndicats est souvent
définie par la loi ou précisée dans la convention collective, mais il arrive parfois que des
tensions persistent entre ces institutions. Le recours aux comités d’entreprise, parfois appelés
conseils d’entreprise, conseils d’usine, comités de travailleurs, comités de coopération, etc.,
est très répandu; c’est une pratique bien ancrée dans plusieurs pays européens, notamment en
Allemagne, en Belgique, au Danemark, en France et aux Pays-Bas; sous l’impulsion de la
directive 94/45/CE de 1994 sur les comités d’entreprise européens, on peut s’attendre à ce
qu’elle se développe encore au sein des grandes entreprises de cette région. Plusieurs pays
d’Europe centrale et orientale, dont la Hongrie et la Pologne, ont adopté des lois qui
favorisent l’instauration de comités d’entreprise. Ces comités existent également dans certains
pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie; par exemple, la réforme du droit du travail
entreprise en Afrique du Sud après l’abolition de l’apartheid porte en partie sur l’instauration
d’un régime particulier de comités d’entreprise, parallèlement aux structures syndicales.
C’est l’Allemagne qui offre le meilleur exemple des prérogatives qui peuvent être accordées
aux comités d’entreprise, bien qu’à certains égards il s’agisse d’un cas unique. Weiss (1992)
décrit les comités d’entreprise dans ce pays comme une forme de représentation
institutionnalisée des intérêts des travailleurs dans un établissement. Le comité d’entreprise
jouit de droits à l’information, à la consultation (comme dans tous les pays) et à la cogestion
(ce qui est beaucoup plus rare). La cogestion est la forme la plus poussée de participation; elle
prévoit la participation aux dispositions sur la sécurité et la santé au travail et l’adoption
officielle d’un plan visant à concilier les intérêts des parties et d’un «plan social» dans
l’éventualité d’une modification importante dans l’établissement, comme la fermeture d’un
atelier. Les droits de cogestion s’étendent aussi aux directives concernant la sélection et
l’évaluation du personnel, la formation en cours d’emploi et les mesures touchant les
travailleurs à titre individuel — classification, mutation et licenciement, par exemple. Le
comité d’entreprise allemand est habilité à conclure des conventions à son niveau et à porter
plainte s’il estime que la convention n’est pas respectée. Au nombre des questions relevant
obligatoirement de la cogestion figurent notamment: la prévention des accidents et la
protection de la santé, le règlement interne de l’entreprise, l’organisation du temps de travail,
la détermination des taux de rémunération au rendement, le mode de paiement et les principes
généraux régissant les congés. Pour toutes ces questions, l’employeur ne peut agir sans le
consentement du comité. Le comité d’entreprise est également habilité à décider de saisir la
commission d’arbitrage de l’établissement de toute question visant à faire appliquer les
dispositions prises. Comme l’explique Weiss (1992), le rôle du comité est de participer à
l’application des décisions après que l’employeur les a prises. Le droit de consultation permet
au comité d’influer sur les décisions de l’employeur, mais l’absence de consultation n’a pas
pour effet d’invalider celles-ci. Voici quelques-uns des sujets pour lesquels la consultation est
obligatoire: la protection contre le licenciement; la protection contre les risques techniques; la
formation; la préparation d’un plan social.
Le comité d’entreprise doit observer les principes de la coopération avec l’employeur et
préserver la paix dans l’entreprise (aucun arrêt de travail); il doit aussi coopérer avec les
syndicats en place et avec l’organisation d’employeurs compétente. Il doit mener ses activités
en toute impartialité, sans discrimination fondée sur la race, la religion ou la croyance, la
nationalité, l’origine, l’activité politique ou syndicale, le sexe ou l’âge des salariés.
L’employeur fournit au comité d’entreprise les installations et les moyens financiers
nécessaires et est responsable de ses actions.
En Allemagne, les comités d’entreprise sont élus par les travailleurs manuels et les employés
dans des élections distinctes. Bien qu’il n’y ait aucun lien juridique entre les représentants
élus au comité d’entreprise et les délégués syndicaux, en pratique il s’agit souvent des mêmes
personnes. En Allemagne et en Autriche, une représentation particulière est garantie aux
travailleurs handicapés, aux jeunes travailleurs et aux stagiaires. Les membres du comité ne
sont pas rémunérés, mais les dépenses qu’ils sont appelés à faire dans l’exercice de leurs
fonctions leur sont remboursées. A l’expiration de leur mandat, les membres retrouvent le
même niveau de rémunération et de classification et jouissent d’une protection spéciale contre
le licenciement. Ils doivent bénéficier du temps libre nécessaire aux activités du comité et aux
cours de formation. Toutes ces garanties sont conformes à l’article 1 de la convention (no 135)
de l’OIT concernant les représentants des travailleurs, qui dispose qu’ils «bénéficient d’une
protection efficace contre toutes mesures qui pourraient leur porter préjudice, y compris le
licenciement, et qui seraient motivées par leur qualité ou leurs activités de représentants des
travailleurs [...]».
Dans de nombreux pays, les modèles de comités d’entreprise sont moins ambitieux et ne
confèrent que des droits à l’information et à la consultation. L’établissement d’un comité
d’entreprise ou d’un comité de travailleurs, surtout lorsque le syndicat est faiblement implanté
dans les ateliers, offre au personnel une bonne occasion de se faire entendre sur le lieu de
travail.
Les cercles de qualité et le management total de la qualité
Les cercles de qualité et autres activités de groupe se sont rapidement implantés dans un grand
nombre d’entreprises de quelques pays d’Europe occidentale (notamment en France et au
Royaume-Uni) au début des années quatre-vingt, comme cela s’était produit un peu plus tôt
aux Etats-Unis. Ils s’inspirent des programmes de «qualité de la vie au travail» (QVT) ou
d’«humanisation du travail» qui ont été lancés au début des années soixante-dix. Ils se sont
répandus beaucoup plus tard dans d’autres pays occidentaux (Allemagne) et sont encore très
peu nombreux, semble-t-il, dans les pays où les groupes de projet paritaires sont la formule la
plus courante pour traiter de l’organisation du travail, comme en Suède. A l’époque, leur essor
reposait sur la conviction que la capacité du Japon de fabriquer à bas coût des produits
innovants de haute qualité était due à ses méthodes de gestion des ressources humaines; les
cercles de qualité étaient l’élément caractéristique le plus visible et le plus facilement
transposable du modèle japonais. On s’attend généralement à ce que les cercles de qualité
produisent deux effets: d’une part, améliorer la qualité et la productivité et, d’autre part,
susciter chez les travailleurs le sentiment de participer aux décisions, ce qui entraîne une plus
grande satisfaction au travail et l’amélioration des relations professionnelles. Le Japon a misé
surtout sur le premier aspect, alors que l’Amérique du Nord et l’Europe ont privilégié le
second. On constate également des différences structurelles: au Japon, les animateurs de ces
cercles sont normalement nommés par la direction, mais en Allemagne, ils sont souvent élus.
A l’heure actuelle, les programmes de QVT s’emploient surtout à améliorer la productivité et
la compétitivité (Ozaki, 1996).
Dans certains pays où ils ont été expérimentés à grande échelle dans les années quatre-vingt,
notamment en France et au Royaume-Uni, les cercles de qualité n’ont pas donné les résultats
escomptés et se sont révélés relativement inefficaces, d’où une certaine désaffection à leur
égard. De nombreux cercles ont disparu quelques années à peine après leur création; bien
d’autres existent encore sur le papier, mais sont en fait moribonds. Cet échec tient à plusieurs
facteurs: les cercles tendaient à court-circuiter les voies hiérarchiques normales; la direction
n’exerçait aucun contrôle sur les membres; les cercles fixaient leurs propres objectifs sans
tenir compte des priorités de la direction; le manque d’enthousiasme, voire l’hostilité, des
cadres intermédiaires; l’absence d’engagement durable de la part de la haute direction; le
champ d’action des cercles était restreint à des questions professionnelles d’ordre mineur.
La constatation de ces défauts a débouché sur l’élaboration de la théorie du «management
total de la qualité» (TQM). Certains principes du TQM ont une incidence sur la participation
des travailleurs: tous sont tenus de participer au processus d’amélioration des activités de
l’entreprise, et la responsabilité de la qualité incombe aux personnes qui, de fait, contrôlent la
qualité de ce qu’ils font. Le TQM favorise donc l’élargissement du champ de compétence
professionnelle et l’enrichissement des tâches qui conduisent aux groupes de travail semi-
autonomes. Elle facilite aussi la coordination horizontale dans l’entreprise, entre autres, par
des équipes de projet spéciales, multifonctionnelles ou interdépartementales.
Les groupes de projet paritaires
La constitution de groupes de projet paritaires pour étudier les meilleures façons d’introduire
des changements technologiques et organisationnels en misant sur les efforts communs des
cadres et des travailleurs est une caractéristique constante des relations professionnelles dans
certains pays, comme la Suède. Un groupe de projet paritaire est normalement composé de
membres de la direction, de délégués d’atelier et de travailleurs de base, qui sont aidés par des
experts de l’extérieur. La direction et le syndicat intéressés constituent souvent des groupes de
projet paritaires distincts chargés de quatre sujets: nouvelle technologie, organisation du
travail, formation et milieu de travail. Le modèle suédois est un exemple remarquable de la
participation directe des travailleurs dans l’atelier, qui s’insère dans un système de relations
professionnelles solidement établi. On retrouve également ce système dans d’autres pays,
notamment en Allemagne et au Japon.
Le travail de groupe en semi-autonomie et le travail en équipe
Le travail de groupe en semi-autonomie et le travail en équipe sont deux formes de
participation directe des travailleurs d’un atelier aux décisions concernant le travail, et ce, à
l’intérieur de la sphère de production, contrairement au groupe de projet paritaire qui est une
forme de participation hors de la sphère de production. La principale différence réside dans le
degré d’autonomie dont jouissent les membres de l’équipe ou du groupe pour organiser leur
travail. Le travail de groupe en semi-autonomie est un modèle très répandu en Scandinavie,
quoique ces derniers temps, on revienne à une approche plus traditionnelle; il est également
expérimenté ailleurs en Europe.
Les expériences de travail de groupe en semi-autonomie sont généralement sur le déclin, mais
le travail en équipe se répand rapidement dans tous les pays occidentaux. Le degré
d’autonomie accordé à l’équipe et sa structure varient considérablement d’une entreprise à
une autre. Dans de nombreux pays, le chef d’équipe est habituellement nommé par la
direction, mais dans quelques-uns (Allemagne), il est souvent élu par ses collègues. Bien
souvent, la création des équipes modifie substantiellement le rôle des cadres qui voient leurs
responsabilités grandir. Ils conseillent les membres de l’équipe et facilitent la communication
verticale et horizontale, mais ils perdent leur fonction de surveillance proprement dite. Les
employeurs manifestent un intérêt grandissant pour le travail en équipe, parce qu’il stimule
généralement l’amélioration des compétences des travailleurs et élargit l’éventail des tâches
que ces derniers sont capables d’accomplir, permettant ainsi une plus grande souplesse dans
les processus de production. Toutefois, cette formule est parfois critiquée par les travailleurs
qui y voient un moyen de les amener à travailler plus «de leur propre chef», en substituant la
pression de leurs collègues à celle exercée naguère par la direction.
La représentation des travailleurs dans les conseils de surveillance; les salariés
actionnaires
Certains commentateurs considèrent les formes d’actionnariat ouvrier et de représentation des
salariés au conseil d’administration de l’entreprise comme des manifestations de la
participation des travailleurs. En Allemagne et dans les pays nordiques, entre autres, les
travailleurs participent indirectement, c’est-à-dire par leurs représentants, aux conseils de
surveillance des sociétés. Les représentants des travailleurs sont intégrés dans la structure
traditionnelle du conseil d’administration de la société, dans lequel ils sont en minorité
(malgré leur nombre parfois élevé, comme c’est le cas en Allemagne). Cette formule ne
comporte pas nécessairement une participation à la direction active de l’entreprise, mais les
représentants des travailleurs ont le même statut que les autres membres du conseil.
Autrement dit, ils doivent d’abord et avant tout se soucier des intérêts de l’entreprise et
respecter le secret des délibérations comme les autres membres du conseil d’administration.
Néanmoins, le fait de siéger au conseil peut donner accès à une meilleure information et
plusieurs syndicats veulent obtenir le droit d’être représentés dans les conseils
d’administration des entreprises. C’est un phénomène que l’on constate aujourd’hui en
Europe orientale et occidentale ainsi qu’en Amérique du Nord, mais qui demeure plutôt rare
ailleurs.
Détenir des actions d’une société à responsabilité limitée représente un autre mode de
participation des travailleurs: ils parviennent parfois à réunir suffisamment de capital pour
acheter une entreprise qui, autrement, serait contrainte de fermer ses portes. Cette situation
s’explique ainsi: un travailleur qui s’associe financièrement à une société se donnera
beaucoup de mal pour qu’elle réussisse. Ce type de participation comporte d’importantes
variantes: la forme (droit au rendement des capitaux investis ou droits de contrôle); le degré
(montant des dividendes et date de paiement); les raisons qui motivent cette participation
financière. De toute manière, cette pratique a surtout cours en Europe et en Amérique du
Nord. Cependant, si on tient les coopératives pour une variante de ce type de participation, la
notion de travailleurs actionnaires est alors beaucoup plus répandue dans le monde. Il serait
intéressant d’étudier si, et dans quelle mesure, l’actionnariat ouvrier a une incidence sur la
sécurité et la santé au travail.
Les comités d’hygiène et de sécurité et les représentants des travailleurs
L’instauration de comités d’hygiène et de sécurité et la nomination de délégués constituent
une forme particulière de participation des travailleurs (pour le modèle danois, voir encadré)
prescrite par la législation de plusieurs pays (par exemple, en Belgique et dans plusieurs
provinces canadiennes, au Danemark, en France, aux Pays-Bas et en Suède). Les petites
entreprises — dont la définition varie selon le pays — en sont habituellement exemptes, mais
à l’instar des grandes entreprises et de leur propre chef, elles mettent souvent sur pied des
comités d’hygiène et de sécurité. De plus, dans nombre de cas, les conventions collectives
prévoient la création et la désignation de délégués (Canada, Etats-Unis).
Danemark: la participation des travailleurs à la sécurité et à la santé
Le Danemark est un bon exemple de pays où de nombreuses institutions jouent un rôle en matière
de sécurité et de santé au travail. Voici les principales caractéristiques des relations
professionnelles dans ce pays.
LA NÉGOCIATION COLLECTIVE: négociation de conventions par lesquelles les syndicats et les
employeurs fixent les salaires, les conditions de travail, etc. Il convient de signaler les points
suivants:
les délégués d’atelier sont élus par les travailleurs aux termes des conventions collectives; ils
jouissent d’une protection légale contre le licenciement et assurent la liaison entre les travailleurs
et la direction pour ce qui touche aux conditions de travail;
la convention collective sur la coopération et les comités de coopération dispose que les
travailleurs à titre individuel et les groupes de travailleurs reçoivent des informations en temps
utile pour pouvoir faire connaître leur avis avant qu’une décision soit prise; elle prévoit
l’établissement de comités de coopération;
un comité de coopération doit être mis sur pied dans toutes les entreprises employant plus de
35 travailleurs (25 dans la fonction publique). Il s’agit de comités paritaires chargés de promouvoir
la coopération dans les opérations quotidiennes. Ils doivent être consultés sur l’introduction de
nouvelles technologies et sur l’organisation de la production; ils jouissent de certains droits de
cogestion en ce qui concerne les conditions de travail, la formation et les données personnelles;
la convention collective nationale sur les conflits du travail (de 1910) confère aux travailleurs le
droit (rarement exercé) de cesser le travail pour des motifs d’absolue nécessité («vie, bien-être ou
honneur»). D’autres conventions collectives contiennent des dispositions sur la formation et les
syndicats se chargent aussi de la dispenser.
LA LOI-CADRE: la loi sur le milieu de travail est l’instrument qui permet aux entreprises de
résoudre elles-mêmes les questions relatives à la sécurité et à la santé, sous l’égide des
organisations patronales et syndicales, avec les conseils et sous le contrôle de l’inspection du
travail (art. 1 b)). La législation établit un système complet, qui part de l’établissement et remonte
au niveau national, pour favoriser la participation des travailleurs:
les délégués à la sécurité sont obligatoirement élus dans les entreprises qui emploient au moins 10
travailleurs; ils jouissent de la même protection contre le licenciement et les représailles que les
délégués d’atelier et ils ont droit au remboursement des dépenses encourues dans l’exercice de
leurs fonctions officielles;
le groupe de sécurité est formé du délégué à la sécurité et de l’agent responsable du service. Ses
attributions sont les suivantes:
surveiller les conditions de travail;
inspecter les équipements, outils et matériaux;
déclarer tout risque qui ne peut être évité ou éliminé immédiatement;
arrêter au besoin la production pour prévenir un danger grave et imminent;
veiller à ce que le travail soit exécuté en toute sécurité et à ce que des instructions
adéquates soient données;
enquêter sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
participer aux activités de prévention;
coopérer avec le service de santé au travail;
assurer la liaison entre les travailleurs et le comité de sécurité.
Les membres du groupe de sécurité ont droit à la formation et à l’information nécessaires.
Un comité de sécurité doit être constitué dans toute entreprise qui emploie au moins 20
travailleurs. Dans les entreprises comptant plus de deux groupes de sécurité, ce comité est formé
de travailleurs élus parmi les délégués à la sécurité, de deux agents responsables de services et
d’un représentant de l’employeur.
En voici les fonctions:
il planifie, dirige et coordonne les activités en matière de sécurité et de santé;
il est consulté sur ces sujets;
il coopère avec les autres entreprises qui effectuent des travaux sur le même lieu de travail;
il coopère avec le service de santé au travail de l’entreprise;
il surveille les activités des groupes de sécurité;
il fait des recommandations pour la prévention des accidents et des maladies.
LE CONSEIL DU MILIEU DE TRAVAIL (ARBEJDSMILJØRÅDET): les organisations
d’employeurs et de travailleurs participent à la définition et à l’application des politiques de
prévention au niveau national. Composition du Conseil: 11 représentants des organisations
représentant les travailleurs manuels et non manuels, un représentant du personnel de maîtrise, 10
représentants des organisations d’employeurs, plus un médecin du travail, un technicien et des
représentants gouvernementaux sans droit de vote. Voici ses fonctions:
il est consulté sur les projets de loi et de règlements;
il peut, de son propre chef, soulever toute question de sécurité et de santé;
il présente tous les ans des recommandations sur la politique du milieu de travail;
il coordonne les activités des conseils de sécurité des professions;
il contrôle les activités du fonds pour le milieu de travail.
LE FONDS POUR LE MILIEU DE TRAVAIL (ARBEJDSMILJØFONDET): est géré par un
conseil tripartite. Sa mission première est l’information et la formation, mais il s’occupe aussi du
financement des programmes de recherche.
LES CONSEILS DE SÉCURITÉ DES PROFESSIONS (BRANCHESIKKERHEDSRÅDENE): 12
conseils examinent les problèmes propres à leur profession ou à leur branche et conseillent les
entreprises sur les mesures à prendre. Ils sont également consultés sur les projets de loi. Ils
comptent un nombre égal de représentants des organisations d’employeurs et des responsables de
services d’une part, et des organisations de travailleurs, d’autre part.
LES AUTORITÉS GOUVERNEMENTALES: en outre, le ministère du Travail, l’inspection du
travail, et l’Institut danois du milieu de travail qui en dépend, offrent divers services et conseils
dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail. Les conflits collectifs du travail sont
entendus par les tribunaux du travail.
par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de Vogel, 1994)
Souvent, les conventions collectives viennent renforcer les pouvoirs que la loi garantit et
confère aux délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé. Les relations entre, d’une part,
ces comités et ces délégués et, d’autre part, les syndicats et les comités d’entreprise, leur
élection ou leur nomination, leurs tâches, leurs fonctions et leur influence varient selon les
pays. En tant que forme de participation des travailleurs dans le domaine spécialisé de la
sécurité et de la santé, les comités et les délégués peuvent contribuer à l’amélioration des
conditions de travail et des relations professionnelles. Les critères les plus propices à leur
succès sont les suivants: faire partie intégrante du programme de sécurité et de santé mis en
place par la direction; obtenir des informations suffisantes; faire participer le personnel
subalterne à leurs activités pour assurer la continuité; s’appuyer sur un programme
gouvernemental efficace en matière d’inspection du travail. Quand les employeurs offrent des
services de santé au travail ou disposent de spécialistes de la sécurité, une relation fructueuse
avec ces intervenants peut aussi favoriser le succès des comités d’hygiène et de sécurité. Une
enquête menée dans des entreprises au Royaume-Uni a révélé que «les comités consultatifs
paritaires, dont tous les représentants des salariés sont nommés par les syndicats, ont permis
de réduire considérablement le nombre des accidents du travail, en comparaison avec celui
des accidents du travail survenus dans des établissements où la direction décide seule des
dispositions relatives à la sécurité et à la santé» (Reilly, Paci et Holl, 1995). Selon ces auteurs,
les comités consultatifs paritaires jouent un rôle important même lorsque les représentants des
salariés sont nommés d’une autre façon. Toutefois, selon d’autres études, les comités
d’hygiène et de sécurité ne comblent pas vraiment les attentes qu’ils suscitent, et ce, pour de
multiples raisons: manque de soutien de la part de la direction; participants mal informés ou
insuffisamment formés; faible représentation des travailleurs, etc.
Les représentants des travailleurs peuvent être nommés par la direction (c’est le cas dans de
nombreuses entreprises non syndiquées), désignés par le syndicat (Royaume-Uni) ou élus
directement par les travailleurs au niveau de l’entreprise ou à un niveau supérieur
(Danemark). Un système parallèle sera utilisé pour les représentants des travailleurs dans un
comité mixte de sécurité et de santé qui, tout en étant bipartite, ne sera pas toujours paritaire.
Les institutions générales de représentation des travailleurs sont souvent complétées par des
structures spéciales de représentation en matière de sécurité et de santé (Espagne). Le
mécanisme choisi correspond souvent aux autres institutions de relations professionnelles en
place dans un pays: en France, par exemple, les salariés membres des comités d’hygiène, de
sécurité et des conditions de travail sont désignés par un collège constitué par les membres
élus du comité d’entreprise et les délégués du personnel; en Allemagne, les membres désignés
par le conseil d’entreprise sont choisis parmi ceux qui siègent aux comités d’hygiène et de
sécurité. Les comités d’entreprise aux Pays-Bas peuvent déléguer leurs pouvoirs à un comité
chargé de la sécurité, de la santé et du bien-être. Un lien solide, sinon une identification, entre
les représentants syndicaux et les délégués à la sécurité et à la santé est habituellement jugé
souhaitable (Irlande, Norvège, Québec (Canada), Suède), mais lorsque la syndicalisation est
faible, on court le risque de priver de très nombreux travailleurs du droit de faire entendre leur
voix sur ces questions. La théorie selon laquelle les comités d’hygiène et de sécurité ont un
effet d’entraînement et peuvent stimuler une participation accrue des travailleurs dans d’autres
domaines reste donc encore à prouver.
Normalement, les délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé bénéficient des droits
suivants: droit d’accès à l’information sur la santé, la sécurité et l’introduction des nouvelles
technologies; droit d’être consultés sur ces questions; droit de participer à la surveillance des
conditions de travail; droit d’accompagner les inspecteurs (parfois appelé «droit de
circulation»); droit de participer aux enquêtes après accident; droit de présenter des
recommandations à la direction en vue d’améliorer les conditions de travail. Dans certains
pays, leurs pouvoirs sont plus étendus et comprennent le droit de codécision, celui de
demander des inspections et des enquêtes sur les accidents, et celui d’étudier les rapports
présentés au gouvernement par la direction. Et surtout, certains délégués des travailleurs ont le
pouvoir d’ordonner l’arrêt d’une opération présentant un risque imminent (intervention
également appelée «red-tagging» ou «alerte rouge» en raison du panneau indicateur installé
sur place), comme au Danemark, en Finlande, en Norvège et en Suède. Dans certains cas,
notamment en France et dans certaines provinces du Canada, ils participent directement à
l’application des règlements d’hygiène et de sécurité. La consultation préalable du comité
paritaire est parfois obligatoire avant qu’un employeur puisse apporter des modifications
importantes aux conditions d’hygiène, de sécurité ou de travail (en France et aux Pays-Bas).
En Belgique, les services de santé interentreprises relèvent d’un comité paritaire. En Italie, le
rôle du comité englobe la promotion de la prévention; en Grèce, les comités peuvent, avec
l’accord de l’employeur, demander l’opinion de spécialistes sur des questions d’hygiène et de
sécurité.
Dans l’exercice de leurs fonctions, les délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé sont
nécessairement protégés contre la discrimination ou les représailles. Ils ont au minimum droit
à un peu de temps libre, sans perte de salaire, et aux moyens nécessaires (dont la définition
est souvent controversée) pour exercer leurs fonctions. De plus, pendant qu’ils sont en
fonction, certains sont en particulier protégés contre toute mise à pied pour raisons
économiques (compressions de personnel), ou bénéficient d’une protection supplémentaire
contre le licenciement (Belgique). Bien souvent, ils ont droit à une formation spécialisée
(Danemark).
L’influence que peuvent avoir les délégués des travailleurs et les comités paritaires d’hygiène
et de sécurité dépend évidemment non seulement des droits et des devoirs prescrits par la loi
ou la convention collective, mais encore de la façon dont ils sont mis en pratique. D’autres
facteurs interviennent, qui influent sur la participation des travailleurs en général. Les
délégués et les comités paritaires ne remplacent ni une application effective des normes de
sécurité et de santé par le gouvernement, ni ce que l’on peut accomplir par la négociation
collective. Toutefois, «la plupart des observateurs estiment qu’en la matière les comités
[paritaires d’hygiène et de sécurité dûment autorisés] offrent un cadre réglementaire plus
efficace que l’inspection du travail ou les programmes fondés sur la responsabilité civile»
(Kaufman et Kleiner, 1993). Quoi qu’il en soit, la tendance va nettement dans le sens d’une
participation accrue des travailleurs aux questions de sécurité et de santé, du moins dans la
législation et les conventions collectives des grandes entreprises. Lorsqu’ils fonctionnent bien,
les comités paritaires d’hygiène et de sécurité peuvent constituer un excellent outil
d’identification des problèmes et de sensibilisation aux risques et sont donc dotés du potentiel
voulu pour réduire la fréquence des accidents du travail, des maladies professionnelles et des
décès attribuables au milieu de travail. Leur efficacité dépend toutefois d’un grand nombre de
facteurs inhérents aux différents systèmes des relations professionnelles et de l’approche
stratégique adoptée dans le milieu de travail à l’égard de la sécurité et de la santé.
Evaluation
Schregle (1994) fait observer ce qui suit:
En pratique, aucune de ces formes de participation des travailleurs n’a donné les résultats
escomptés, et ce, pour de multiples raisons. En particulier, les syndicats et les employeurs
n’ont généralement pas la même idée de la participation. Alors que les travailleurs désirent
exercer une influence tangible et concrète sur les décisions de l’employeur, au sens d’un
partage du pouvoir, les employeurs se réclament catégoriquement des droits ou des
prérogatives de la direction, qui dérivent du principe de la propriété privée, à savoir le droit de
diriger l’entreprise selon leurs propres critères et l’exclusivité du pouvoir de décision; tout au
plus reconnaissent-ils aux travailleurs le droit d’exprimer leurs opinions sans lier la direction.
Tout cela a pour effet de semer la confusion autour des notions de consultation, de
participation des travailleurs, de participation des travailleurs à la gestion, de codécision, de
cogestion, etc.
Il n’en reste pas moins que sur la plupart des lieux de travail du monde, il y a très peu de
véritable participation des travailleurs dans l’entreprise. Le premier niveau de participation et,
certes, le préalable à toute participation, est l’accès à l’information, suivi de la consultation.
En Europe, des recherches ont révélé des écarts considérables dans le degré d’application de
la directive du 12 juin 1989 sur la sécurité et la santé pour ce qui est de la participation des
travailleurs; peut-être la participation connaîtra-t-elle un regain de vie sous l’impulsion de la
directive 94/45/CE du 22 septembre 1994 sur les comités d’entreprise européens. D’autres
régions sont caractérisées par une forte non-participation, mais on nourrit toujours de grands
espoirs dans le renforcement des mécanismes de participation des travailleurs dans
l’entreprise.
La manière traditionnelle d’envisager la participation des travailleurs en tant que moteur
d’une plus grande coopération entre travailleurs et direction est loin d’être satisfaisante sur le
plan de la sécurité et de la santé. Que les relations professionnelles soient conflictuelles ou
marquées par une volonté de coopération ne fait pas vraiment avancer le débat. Comme le
signale Vogel (1994):
[...] de toute évidence, le problème de la participation des travailleurs ne se limite pas aux
formes institutionnalisées de participation à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise. Le
fondement de la participation réside dans la reconnaissance des intérêts distincts en jeu, ce qui
donne lieu à des interprétations spécifiques [...] La légitimité essentielle de la participation
doit être trouvée en dehors de l’entreprise, dans l’exigence démocratique qui refuse
d’admettre que l’autodétermination des individus doive se limiter aux règles de la
représentation politique, et dans l’idée que la santé est un processus social réfléchi par lequel
les individus et les collectivités développent leurs propres stratégies d’épanouissement et de
défense.
En définitive, les divers modèles de participation des travailleurs ont des fonctions différentes
qui rendent difficile une analyse comparative de leurs retombées respectives. Toutefois, la
portée de la négociation collective s’amenuisant, il faut s’attendre à un recours accru à des
dispositions prises sur l’initiative de la direction en faveur de la participation des travailleurs.
LA CONSULTATION ET L’INFORMATION EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ET DE
SANTÉ
Marco Biagi
La participation des travailleurs aux questions de santé et de sécurité
La participation des travailleurs à l’organisation de la sécurité dans les établissements
industriels peut être planifiée de bien des manières, suivant la législation et la pratique
nationale. Cet article ne traite que des dispositions prises en vue de la consultation et de
l’information et non des formes connexes de participation des travailleurs. Les autres aspects
particuliers ayant un lien avec la consultation et l’information (par exemple, la participation
aux inspections ou aux activités de formation, la demande d’inspection) sont abordés dans
d’autres articles du présent chapitre.
L’idée que les employeurs et les travailleurs doivent travailler ensemble pour améliorer la
sécurité et la santé au travail se fonde sur plusieurs principes:
1. Les travailleurs peuvent contribuer à la prévention des accidents du travail en décelant
et en signalant les risques potentiels, et en avertissant des dangers imminents.
2. La participation sensibilise les travailleurs et les encourage à coopérer pour
promouvoir la sécurité.
3. Les idées et l’expérience des travailleurs sont considérées comme une contribution
utile à l’amélioration de la sécurité.
4. Les gens ont le droit de participer à des décisions qui auront des répercussions sur leur
vie professionnelle, en particulier sur leur santé et leur bien-être.
5. Essentielle à l’amélioration des conditions de travail, la coopération entre les deux
parties devrait reposer sur une participation paritaire.
Ces principes ont été énoncés dans la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des
travailleurs, 1981, de l’OIT. L’article 20 de cette convention prévoit que «la coopération des
employeurs et des travailleurs et/ou de leurs représentants dans l’entreprise devra être un
élément essentiel des dispositions prises en matière d’organisation et dans d’autres domaines
[...]» liés à la sécurité et à la santé au travail. En outre, le paragraphe 2, 1) de la
recommandation de l’OIT (no 129) sur les communications dans l’entreprise, 1967, précise
que:
[...] les employeurs et leurs organisations, de même que les travailleurs et leurs organisations
devraient, dans leur intérêt commun, reconnaître l’importance, dans les entreprises, d’un
climat de compréhension et de confiance réciproques, favorable à la fois à l’efficacité de
l’entreprise et aux aspirations des travailleurs.
Ces textes partent de l’idée que les employeurs et les travailleurs ont un intérêt commun à
établir un système d’autoréglementation dans la prévention des accidents du travail; de fait, ils
s’intéressent davantage à la sécurité qu’à la santé au travail, parce qu’il est plus simple de
prouver que le travail est à l’origine des accidents et donc plus facile d’obtenir réparation.
C’est également pour cette raison que, dans de nombreux pays, les délégués à la sécurité ont
été les premiers représentants des travailleurs sur les lieux de travail à voir leurs droits et leurs
devoirs définis par la loi ou des conventions collectives. Aujourd’hui, il n’existe
probablement aucun autre sujet des relations professionnelles et de la gestion des ressources
humaines à propos duquel les partenaires sociaux soient aussi désireux de collaborer.
Cependant, dans certains pays, les syndicats n’ont pas investi suffisamment de ressources
dans leurs initiatives sur la sécurité et la santé pour faire de cette question un enjeu important
des négociations ou de la surveillance au jour le jour de l’application des conventions.
Les droits en matière d’information et de consultation dans les instruments de l’OIT et
de l’Union européenne
L’obligation générale de l’employeur d’informer les travailleurs et/ou leurs représentants sur
les questions de sécurité et de santé et de solliciter leur avis au moyen de consultations est
énoncée à l’article 20 de la convention (no 174) de l’OIT sur la prévention des accidents
industriels majeurs, 1993. Cet article dispose que:
Dans une installation à risques d’accident majeur, les travailleurs et leurs représentants
doivent être consultés selon des procédures appropriées de coopération, afin d’établir un
système de travail sûr.
Plus précisément, les travailleurs et leurs représentants doivent:
a) être informés de manière suffisante et appropriée des dangers liés à cette installation et de
leurs conséquences possibles; b) être informés de toutes exigences, instructions ou
recommandations émanant de l’autorité compétente; c) être consultés lors de l’élaboration des
documents suivants et y avoir accès: i) rapport de sécurité; ii) plans et procédures d’urgence;
iii) rapports sur les accidents.
Ces droits de consultation et d’information permettent donc aux travailleurs de «discuter avec
l’employeur de tout danger potentiel qu’ils considèrent susceptible de causer un accident
majeur» (art. 20 f)).
De façon plus générale, la convention no 155 de l’OIT fixe des règles qui concernent la
sécurité et la santé des travailleurs et le milieu de travail, et contient des dispositions efficaces
au niveau de l’entreprise (qu’elles soient régies par la loi ou par la négociation collective,
voire par des pratiques locales ou internes), comme l’article 19 c): «les représentants des
travailleurs […] recevront une information suffisante concernant les mesures prises par
l’employeur pour garantir la sécurité et la santé; ils pourront consulter leurs organisations
représentatives à propos de cette information, à condition de ne pas divulguer de secrets
commerciaux». Il est également précisé, à l’alinéa e) du même article, que «les travailleurs ou
leurs représentants [...] seront habilités [...] à examiner tous les aspects de la sécurité et de la
santé liés à leur travail et seront consultés à leur sujet par l’employeur; à cette fin, il pourra
être fait appel, par accord mutuel, à des conseillers techniques pris en dehors de l’entreprise».
La recommandation 164 complète la convention no 155 et précise, au paragraphe 12, que des
droits de consultation et d’information en matière de sécurité et de santé devraient être
accordés à divers organismes participants: délégués des travailleurs à la sécurité; comités
ouvriers ou conjoints de sécurité et d’hygiène; autres représentants des travailleurs. Ce texte
énonce également des principes importants influant sur la nature et le contenu de
l’information ou de la consultation. Ces pratiques devraient avant tout permettre à ces groupes
spécialisés de représentation des travailleurs de «contribuer au processus de prise de décisions
au niveau de l’entreprise en ce qui concerne les questions de sécurité et de santé»
(paragr. 12, 2) e)).
Il ne suffit pas de reconnaître ces droits et d’en parler de manière abstraite; les travailleurs et
leurs représentants devraient, aux termes du paragraphe 12, 2):
«a) recevoir une information suffisante sur les questions de sécurité et d’hygiène, avoir la
possibilité d’examiner les facteurs qui affectent la sécurité et la santé des travailleurs et être
encouragés à proposer des mesures dans ce domaine;
b) être consultés lorsque de nouvelles mesures importantes de sécurité et d’hygiène sont
envisagées et avant qu’elles ne soient exécutées, et s’efforcer d’obtenir l’adhésion des
travailleurs aux mesures en question;
c) être consultés sur tous changements envisagés quant aux procédés de travail, au contenu du
travail ou à l’organisation du travail pouvant avoir des répercussions sur la sécurité ou la santé
des travailleurs.»
Le principe selon lequel «les représentants des travailleurs […] devraient être informés et
consultés préalablement par l’employeur sur les projets, mesures et décisions susceptibles
d’avoir des conséquences nocives sur la santé des travailleurs [...]» (recommandation (no 156)
de l’OIT sur le milieu de travail (pollution de l’air, bruit et vibrations), 1977, paragr, 21, 2)),
traduit l’idée d’une «politique efficace de communication» énoncée en termes généraux au
paragraphe 3 de la recommandation no 129, qui prescrit que «des informations soient
diffusées et que des consultations aient lieu entre les parties intéressées avant que des
décisions sur des questions d’intérêt majeur soient prises par la direction». Pour rendre ces
méthodes efficaces, il faut donc «prendre des mesures nécessaires pour former les personnes
qui utiliseront ces méthodes de communication» (paragr. 6).
En relations professionnelles, la méthode participative dans le domaine de la sécurité et de la
santé est corroborée par d’autres textes de droit international. A cet égard, la directive
89/391/CEE offre un bon exemple de l’introduction de mesures visant à encourager
l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs des Etats membres de l’Union
européenne. L’article 10 dispose que l’employeur a l’obligation de prendre les mesures
appropriées: 1) pour que les travailleurs et/ou leurs représentants reçoivent, conformément
aux législations et/ou aux pratiques nationales, toutes les informations nécessaires concernant
les risques pour la sécurité et la santé, les mesures de protection et de prévention (premiers
secours, lutte contre l’incendie, évacuation des travailleurs, risque de danger grave et
immédiat); 2) pour que les employeurs des travailleurs des entreprises ou établissements
extérieurs intervenant dans son entreprise ou son établissement reçoivent des informations
adéquates concernant les points susmentionnés. De plus, «les travailleurs ou les représentants
des travailleurs ayant une fonction spécifique de protection de la sécurité et de la santé des
travailleurs» doivent avoir accès à l’évaluation des risques et aux mesures de protection, aux
rapports sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dont ont été victimes des
travailleurs, et à l’information provenant tant des activités de protection et de prévention que
des services d’inspection et organismes compétents pour la sécurité et la santé.
L’article 11 de cette directive établit un lien entre consultation et participation. En réalité, les
employeurs ont l’obligation de consulter «les travailleurs et/ou leurs représentants et [de
permettre] leur participation dans le cadre de toutes les questions touchant à la sécurité et à la
santé au travail. Cela implique la consultation des travailleurs, le droit des travailleurs et/ou de
leurs représentants de faire des propositions, la participation équilibrée, conformément aux
législations et/ou pratiques nationales». L’article poursuit ainsi:
Les travailleurs ou les représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière
de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs participent de façon équilibrée,
conformément aux législations et/ou pratiques nationales, ou sont consultés au préalable et en
temps utile par l’employeur [...]
Ces droits ont pour objectif de couvrir tout le champ des mesures susceptibles d’influer
fortement sur la sécurité et la santé, comme la désignation des salariés chargés de pratiquer
certaines interventions (premiers secours, lutte contre l’incendie et évacuation des
travailleurs), ainsi que la planification et l’organisation d’une formation adéquate en matière
de santé et de sécurité pendant toute la durée de la relation d’emploi (dès l’embauche et y
compris toute mutation, sans oublier l’introduction de nouvelles technologies et la mise en
service de matériel nouveau).
Le choix est clair: non au conflit, oui à la participation aux relations professionnelles dans le
domaine de la sécurité et de la santé. Tel est le sens de la directive 89/391/CEE, qui va au-
delà de la simple logique du droit à l’information. Le système repose sur une véritable forme
de consultation, puisque l’action d’informer doit avoir lieu «au préalable et en temps utile» —
autrement dit, non seulement avant que les décisions soient prises par l’employeur, mais assez
tôt pour permettre aux travailleurs et à leurs représentants de les commenter et de présenter
des propositions.
La directive emploie également l’expression ambiguë «participation équilibrée», qui ouvre la
porte à diverses interprétations. C’est une notion plus large (ou du moins différente) que celle
de la consultation, mais pas au point de constituer une forme de partage du pouvoir de
décision qui empêcherait les employeurs de prendre des mesures qui n’auraient pas été
approuvées au préalable par les travailleurs ou leurs représentants. De toute évidence, il s’agit
d’une forme de participation qui dépasse la simple consultation (autrement, le titre de l’article
11 «consultation et participation» n’aurait aucun sens) sans aller nécessairement jusqu’à la
prise de décisions conjointe. La notion reste dans le vague; elle englobe de multiples formes
de participation des travailleurs, qui varient considérablement d’un Etat membre à un autre
dans l’Union européenne. Quoi qu’il en soit, la directive n’impose nullement l’obligation
d’instaurer une forme particulière de participation équilibrée.
Dans les textes de l’OIT et des CE, l’information semble être un concept selon lequel la
direction informe de sa décision l’organisation représentant les travailleurs, par écrit ou dans
le cadre d’une réunion, tandis que la consultation appelle la création de comités paritaires
dans lesquels les représentants des travailleurs sont non seulement informés par la direction,
mais peuvent également exprimer leur avis et attendre une justification de la décision en cas
de divergence d’opinions. Ces notions diffèrent assurément de la négociation (lorsqu’un
accord à caractère obligatoire, au niveau de l’entreprise ou interentreprises, est conclu à
l’issue de discussions dans un comité de négociation) et de la cogestion (lorsque les
travailleurs ont un droit de veto et que les décisions exigent l’accord des deux parties).
Dans le cas d’entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire, la directive
94/45/CE du Conseil de l’Union européenne du 22 septembre 1994 prévoit la création d’un
comité d’entreprise européen ou d’une procédure en matière d’information et de consultation.
Les informations «portent notamment sur des questions transnationales qui affectent
considérablement les intérêts des travailleurs» (art. 6, 3)). L’avenir nous dira si cette
disposition sera appliquée aux fins de la sécurité et de la santé.
Le rôle des représentants des travailleurs dans l’évaluation des risques et l’amélioration
du milieu de travail: tenue des dossiers
La nature dynamique de la consultation est également soulignée dans l’article 11, 3) de la
directive 89/391/CEE, selon laquelle les représentants de travailleurs exerçant une fonction
spécifique dans ce domaine «ont le droit de demander à l’employeur qu’il prenne des mesures
appropriées et de lui soumettre des propositions en ce sens, de façon à pallier tout risque pour
les travailleurs et/ou à éliminer les sources de danger».
Dans ses dispositions relatives à la gestion du risque, la directive attribue indiscutablement
des responsabilités précises aux employeurs, mais encourage aussi une plus grande
participation des travailleurs et de leurs représentants aux consultations concernant les
stratégies de la direction en matière de sécurité et de santé. Les employeurs doivent évaluer
les risques et présenter leurs systèmes de prévention sous forme de plan ou de déclaration.
Dans tous les cas, ils sont tenus de consulter les travailleurs et/ou leurs représentants ou de les
faire participer à la conception, à la mise en œuvre et à la surveillance de ces systèmes. Il est
néanmoins indéniable qu’en conférant des droits de participation pertinents aux travailleurs
cette directive adopte par la même occasion une approche «d’auto-évaluation». D’autres
directives des CE exigent, entre autres, la consignation des résultats des mesures et des
examens, et affirment le droit d’accès des travailleurs à ces dossiers.
La recommandation de l’OIT no 164 prévoit, au paragraphe 15, 2):
Les employeurs devraient être tenus d’enregistrer les données relatives à la sécurité, à la santé
des travailleurs et au milieu de travail jugées indispensables par l’autorité ou les autorités
compétentes et qui pourraient inclure les données concernant tous les accidents du travail et
tous les cas d’atteintes à la santé survenant au cours du travail ou ayant un rapport avec celui-
ci et donnant lieu à déclaration; les autorisations et les dérogations se rapportant à la
législation ou aux prescriptions de sécurité et d’hygiène ainsi que les conditions éventuelles
mises à ces autorisations ou à ces dérogations; les certificats relatifs à la surveillance de la
santé des travailleurs dans l’entreprise; les données concernant l’exposition à des substances
et à des agents déterminés.
Dans le monde entier, on s’accorde à reconnaître que les employeurs doivent établir des
dossiers sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, par exemple, ou encore
sur l’utilisation ou l’existence d’une surveillance biologique ou environnementale.
La législation et la pratique nationales
Dans certains systèmes de relations professionnelles (Italie), la loi ne confère aux
représentants des travailleurs aucun droit spécifique à l’information et à la consultation dans
le domaine de la sécurité et de la santé au travail, bien que ces droits soient souvent inscrits
dans les conventions collectives. La législation italienne accorde aux travailleurs le droit de
contrôler eux-mêmes l’application des normes relatives à la prévention des accidents du
travail et des maladies professionnelles, ainsi que le droit d’effectuer des études et d’adopter
des mesures appropriées pour garantir la sécurité et la santé au travail. Dans d’autres systèmes
(Royaume-Uni), pour que l’information sur les questions de santé et de sécurité soit divulguée
comme le prévoit la loi, il faut d’abord nommer des délégués à la sécurité. Pour cela, il faut
qu’il existe une organisation syndicale reconnue dans l’entreprise. Si l’employeur refuse le
statut requis à une organisation syndicale reconnue ou lui retire sa reconnaissance, les droits
de consultation et d’information ne peuvent être exercés.
Ces cas nationaux posent la question de savoir dans quelle mesure la participation réelle des
travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé dépend de l’adoption de dispositions
légales. Un certain encadrement juridique paraît certes utile et semble donner les meilleurs
résultats quand la législation prévoit l’élection de représentants des travailleurs et leur confère
des droits suffisamment forts pour leur permettre d’exercer leurs fonctions indépendamment
de la direction, tout en permettant une certaine diversité au niveau de l’organisation de la
participation dans différents secteurs et sociétés.
En règle générale, les systèmes de relations professionnelles s’appuient sur la loi qui impose
d’informer et de consulter les représentants des travailleurs sur les affaires de sécurité et de
santé. Lorsque des comités paritaires composés de membres de la direction et de représentants
des travailleurs sont formés, ils sont investis de pouvoirs considérables. En France, par
exemple, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut proposer des
mesures préventives; un employeur qui refuse de s’y conformer doit justifier sa position.
Pourtant, dans la pratique, les délégués à la sécurité semblent parfois plus efficaces que les
comités paritaires parce qu’ils dépendent moins de l’existence d’une relation de coopération.
Grâce à diverses formes de participation représentative, les travailleurs bénéficient
généralement des droits que leur reconnaissent les conventions et les recommandations
internationales du travail susmentionnées (ainsi que les directives des CE, le cas échéant), en
particulier dans les pays industrialisés régis par les principes de l’économie de marché. Les
délégués à la sécurité ou les membres des comités d’entreprise ont le droit d’être informés et
consultés par l’employeur au sujet de toutes les questions concernant les opérations de
l’entreprise et l’amélioration des conditions de travail, y compris la sécurité et la santé. Ils ont
le droit de consulter tous les documents pertinents que l’employeur est légalement tenu de
conserver, ainsi que toutes les déclarations y relatives et les résultats de toutes les recherches.
Au besoin, ils peuvent également en obtenir copie.
L’efficacité des droits à l’information et à la consultation
Certains aspects (comme le recours à des experts, le déclenchement d’une inspection ou la
participation à une inspection, et la protection contre les représailles) ont une forte incidence
sur l’efficacité des droits à l’information et à la consultation sur la sécurité et la santé, mais il
existe en outre des facteurs généraux qu’il ne faut pas négliger. Premièrement, la taille de
l’entreprise: les dispositifs de contrôle sont moins efficaces dans les petites unités dont les
syndicats et d’autres formes de représentation des travailleurs sont pratiquement absents. De
plus, ce sont les petits établissements qui sont les plus susceptibles de ne pas respecter les
obligations légales.
Deuxièmement, quand les délégués à la sécurité font partie de l’organisation syndicale
officielle du lieu de travail, les améliorations attendues ont plus de chances d’être mises en
œuvre.
Troisièmement, les dispositions relatives à la consultation et à l’information sur la sécurité et
la santé font ressortir le climat de conflit (Italie, Royaume-Uni) ou de coopération
(Allemagne, Japon, pays nordiques) qui prévaut dans les relations professionnelles. Et, en
général, la collaboration entre employeurs et travailleurs favorise la divulgation de
l’information et la consultation.
Quatrièmement, il ne faut pas sous-estimer l’esprit d’initiative de la direction. La consultation
et l’information sont plus efficaces que les droits reconnus par la loi lorsqu’elles sont
imprégnées d’une culture d’entreprise qui les favorise. Selon leur attitude à l’égard de la
formation, leur engagement à diffuser l’information et leur empressement à répondre aux
questions, les employeurs sont à même de créer un climat d’affrontement ou de collaboration.
Il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur la loi pour garantir aux représentants des travailleurs
une totale indépendance afin qu’ils aient les mains libres pour intervenir dans ce domaine,
mais le succès des dispositions relatives à l’information et à la consultation repose en grande
partie sur la volonté des deux parties.
Enfin, le succès de toute représentation des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la
santé au travail dépend essentiellement de la prise de conscience de la population en général.
Cette forme particulière de participation exige que tous les travailleurs en comprennent la
nécessité et y attachent l’importance voulue. Les données dont on dispose montrent que les
travailleurs considèrent la sécurité et la santé comme l’une de leurs principales préoccupations
professionnelles.
Les sauvegardes concernant l’usage de l’information
En règle générale, un délégué à la sécurité est réputé commettre un abus de confiance s’il
divulgue une information quelconque ayant trait aux procédés de production d’un employeur
ou à d’autres secrets professionnels. En outre, il est tenu à la discrétion au sujet de toute
information qui lui est confiée et dont l’employeur indique le caractère confidentiel. La
convention no 155 de l’OIT en tient dûment compte et dispose que les représentants des
travailleurs dans l’entreprise pourront consulter leurs organisations représentatives à propos
de l’information relative à la sécurité et à la santé au travail, «à condition de ne pas divulguer
de secrets commerciaux» (art. 19 c)).
Dans certains systèmes (Grèce), les représentants des travailleurs siégeant dans des comités
d’entreprise sont tenus de ne pas communiquer à des tiers les informations reçues qui revêtent
une importance primordiale pour l’entreprise et nuiraient à sa capacité de concurrence si elles
venaient à être divulguées. Les représentants des travailleurs et l’employeur sont censés
décider ensemble de ce qui peut être divulgué. Dans d’autres systèmes (Luxembourg), lorsque
les représentants des travailleurs sont en désaccord avec l’employeur quant à la classification
confidentielle de l’information, ils peuvent en référer à l’inspection du travail, qui tranchera.
Dans certains pays, l’obligation de garder le secret est uniquement implicite (en Italie, par
exemple). Par ailleurs, en l’absence de dispositions précises à cet égard (comme au Royaume-
Uni), les représentants des travailleurs ne peuvent prétendre obtenir des renseignements
relatifs à la santé d’une personne (sauf si celle-ci donne son consentement), ni d’information
susceptible de nuire à la sécurité nationale ou à l’entreprise de l’employeur. Enfin,
l’obligation de respecter la confidentialité (en Suède, par exemple) n’empêche pas forcément
les délégués à la sécurité de transmettre l’information reçue à l’organe exécutif de leur
organisation syndicale qui, lui aussi, est légalement tenu de garder le secret.
LA FORMATION ET LES RELATIONS PROFESSIONNELLES
Mel Doyle
Tout programme ou toute politique d’ensemble concernant le développement des ressources
humaines devrait comprendre un élément de formation, que ce soit dans l’entreprise, dans la
branche d’activité ou au niveau national. La formation pourra d’autant plus facilement être
mise en œuvre que l’on offrira un congé-éducation payé (voir encadré). Lorsque des
dispositions à cet effet ne sont pas inscrites dans la législation nationale (comme elles le sont
dans les Codes du travail de la France et de l’Espagne, par exemple), les représentants des
employeurs et des travailleurs devraient négocier l’obtention d’un congé pour recevoir une
formation appropriée à la sécurité et à la santé au travail.
Points importants de la convention (no 140) de l’OIT sur le congé-éducation payé, 1974
Objectif de la norme
Promouvoir l’éducation et la formation pendant les heures de travail, avec versement de
prestations financières.
Obligations
Tout Etat signataire qui ratifie la convention doit formuler et appliquer une politique visant à
promouvoir l’octroi de congé-éducation payé à des fins de formation à tous les niveaux,
d’éducation générale, sociale ou civique et d’éducation syndicale.
Cette politique doit tenir compte du stade de développement et des besoins particuliers du pays et
doit être coordonnée avec les politiques générales relatives à l’emploi, à l’éducation, à la
formation et à la durée du travail.
Le congé-éducation payé ne doit pas être refusé aux travailleurs en raison de leur race, de leur
couleur, de leur sexe, de leur religion, de leur opinion politique, de leur ascendance nationale ou
de leur origine sociale.
Le financement des arrangements relatifs au congé-éducation payé devra être assuré de façon
régulière et adéquate.
La période de congé-éducation devra être assimilée à une période de travail effectif pour
déterminer les droits à des prestations sociales et les autres droits découlant de la relation de
travail.
par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de la convention internationale du travail no 140, 1974)
Tout accord négocié devra préciser les questions qui feront l’objet de la formation et arrêter
les dispositions administratives, financières et organisationnelles. La formation à la
prévention devrait englober les points suivants:
la législation en matière de sécurité et de santé et les moyens de sa mise en
application;
l’attitude des employeurs envers la sécurité et la santé;
l’attitude des travailleurs envers la sécurité et la santé;
les problèmes relatifs à la sécurité et à la santé et les moyens d’améliorer les pratiques
dans ce domaine.
Toute formation comprend deux éléments principaux: le contenu et les méthodes. Ces
éléments seront déterminés en fonction des objectifs de la formation et des aspirations des
participants et des formateurs. En l’occurrence, la formation se proposera de contribuer à
l’amélioration de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail; son contenu sera donc axé sur
les moyens pratiques d’atteindre cet objectif. Cette approche appelle une évaluation des
problèmes de prévention qui se posent aux travailleurs, à savoir:
les risques liés à la sécurité: soulèvement, transport et pose de charges, machines,
chutes, échelles;
les risques d’atteinte à la santé et les problèmes de salubrité: fatigue oculaire, produits
chimiques, bruit, poussières, douleurs, etc.;
les questions de bien-être: installations sanitaires, premiers soins, logement.
Cette approche méthodologique permet de traiter systématiquement les questions: chaque
problème est décrit et on examine comment et par qui il a été détecté, les mesures prises, le
résultat obtenu.
Elle permet d’identifier les «bonnes» et les «mauvaises» pratiques de sécurité et de santé au
travail, ce qui peut donner lieu, du moins en théorie, à une action commune de la part des
employeurs et des travailleurs. Cette méthodologie ne porte des fruits qu’une fois satisfaite
une forte demande d’information: textes de loi, règlements et normes, renseignements
techniques sur la prévention, élimination des risques ou solution des problèmes, notamment
les mesures prises ou les accords conclus entre d’autres syndicats et d’autres employeurs,
ainsi que les solutions et les stratégies de remplacement.
Toute activité de formation réussie nécessitera l’utilisation de techniques actives
d’apprentissage fondées sur l’expérience, les qualifications, les connaissances, l’attitude et les
objectifs des participants. L’expérience et les connaissances sont examinées, les attitudes
analysées et les qualifications étoffées et perfectionnées grâce à un travail collectif. Les
participants sont incités à mettre en pratique dans leur milieu de travail les connaissances
acquises au cours de leur formation. Ainsi, résultats concrets et contenu pertinent demeurent
au cœur de l’activité de formation.
Le formateur et les stagiaires doivent se poser les questions suivantes quant aux méthodes
d’apprentissage et au contenu de la formation: qu’avons-nous appris qui puisse s’appliquer à
notre milieu de travail? La formation accroît-elle nos qualifications et nos connaissances?
Nous aide-t-elle à travailler plus efficacement dans notre milieu de travail?
Le formateur devrait se poser ces questions au stade de la planification, de la mise en œuvre et
de l’évaluation de tout programme de formation; la méthodologie encourage les participants à
avoir les mêmes exigences au cours de leur formation.
Cette méthode, souvent désignée par l’expression «apprentissage par l’action», fait largement
appel à l’expérience, à l’attitude, aux qualifications et aux connaissances des participants. Il
faut toujours ramener les objectifs d’une formation à des résultats concrets, et cette méthode
devrait donc en faire partie intégrante. Ainsi, les activités énumérées au tableau
21.1 pourraient être intégrées dans des programmes de formation à la sécurité et à la santé.
Tableau 21.1 Les activités pratiques — formation à la sécurité et à la santé
Activité Compétences connexes
Identifier les risques Analyse critique
Echange d’information
Examen de l’information
Résoudre les problèmes Analyse critique
Echange d’information
Travail collectif
Elaboration de stratégies
Trouver l’information Utilisation des ressources
Compétences en matière de recherche
Réutilisation de l’information
Modeler les comportements Analyse critique
Réévaluation des attitudes
Argumentation efficace et débat
constructif
La formation à la sécurité et à la santé au travail permet de sensibiliser les travailleurs et les
employeurs aux enjeux dans ce domaine et peut servir de point de départ à une action
commune et à un accord sur la façon de surmonter les problèmes. Concrètement parlant, de
bonnes pratiques en matière de sécurité et de santé permettent non seulement d’améliorer le
milieu de travail et éventuellement la productivité, mais d’encourager également les
partenaires sociaux à avoir une attitude plus positive à l’égard des relations professionnelles.
L’INSPECTION DU TRAVAIL ET LES RELATIONS PROFESSIONNELLES
María Luz Vega Ruíz
Le rôle clé que joue l’inspection du travail dans l’évolution des relations professionnelles est
incontestable. De fait, l’histoire du droit du travail est calquée sur celle du système
d’inspection du travail. Avant la création des premiers de ces services, les lois du travail
n’étaient que de simples déclarations d’intention qui n’entraînaient aucune sanction en cas
d’infraction. Le droit du travail est véritablement né au moment où un organe spécifique a été
chargé de faire appliquer la réglementation et, partant, de donner effet à la loi en appliquant
des sanctions.
Les premières tentatives nationales visant à établir un système d’inspection du travail étaient
axées sur la création d’organismes qui intervenaient, à titre gracieux et en réaction à la nature
particulière du libéralisme économique, pour protéger les femmes et les enfants occupés dans
l’industrie. L’expérience révéla rapidement qu’il fallait instituer un organe de coercition
véritablement habilité à protéger l’ensemble de la population active. La première loi instituant
un corps d’inspection officiel dans les fabriques a été adoptée au Royaume-Uni en 1878, au
motif que les modalités relatives à la nomination d’agents honoraires n’avaient pas été
respectées et que, par conséquent, les mesures de protection n’avaient pas été appliquées.
Cette première loi conférait aux inspecteurs des fabriques les pouvoirs suivants: accès sans
restriction aux fabriques, liberté d’interroger les travailleurs et les employeurs, obtention de
documents sur demande et pouvoir de régler les litiges et de constater les infractions.
Au cours des années suivantes, l’évolution des diverses réglementations a eu pour effet de
réaffirmer l’autorité des inspecteurs en tant qu’agents de l’administration, en distinguant et en
supprimant finalement leur fonction de juges. La notion d’inspecteur, fonctionnaire rémunéré,
mais aussi intervenant dans le système de relations professionnelles, a alors fait son
apparition: par sa présence sur les lieux de travail, ce serviteur de l’Etat incarne directement
l’action gouvernementale et lui donne un visage humain. A cette fin, l’inspection du travail a
été convertie en un organe chargé de la mise au point et de l’application de la législation; en
fait, elle est devenue le pilier de la réforme sociale.
Cette double fonction (stricte surveillance et observation active des faits) caractérise les
origines de l’activité d’inspection au sein des institutions juridiques. D’une part, l’inspection
du travail s’appuie sur des textes de loi clairs et précis qui doivent être appliqués; d’autre part,
l’articulation et l’exercice correct de ses fonctions la conduisent à interpréter la lettre de la loi
par l’action directe. Non seulement l’inspecteur doit connaître la lettre de la loi, mais encore il
doit en maîtriser l’esprit. Il doit être sensible au monde du travail et posséder une
connaissance approfondie tant des règlements que des procédés techniques et des méthodes de
production. L’inspection est donc un instrument de la politique du travail, mais aussi une
institution créative axée sur le progrès qui est essentiel à l’évolution même du droit du travail
et des relations professionnelles.
L’évolution du monde du travail a eu pour effet d’approfondir et de renforcer le rôle de
l’inspection du travail en tant qu’organe de contrôle indépendant au cœur du système des
relations professionnelles. Parallèlement, les transformations du monde du travail ouvrent de
nouvelles perspectives et créent de nouvelles formes de relations internes dans le microcosme
complexe qu’est le lieu de travail. L’idée originelle d’une relation paternaliste entre
l’inspecteur et les personnes faisant l’objet de l’inspection a vite cédé le pas à une action plus
participative de la part des représentants des employeurs et des travailleurs, l’inspecteur
incitant les parties intéressées à prendre part à ses activités. C’est pourquoi la législation de
nombreux pays a confié à l’inspecteur du travail le rôle de conciliateur dans les conflits
collectifs.
En même temps que le rôle de l’inspecteur du travail mandaté par l’Etat s’affirmait, les
percées du mouvement syndical et des organisations professionnelles suscitèrent chez les
travailleurs un intérêt plus vif à l’égard de l’inspection du travail et les poussèrent à y
participer activement. Après diverses tentatives des travailleurs pour obtenir leur intégration
dans l’inspection (par exemple, en cherchant à créer des postes de travailleur-inspecteur
comme il en existait dans les pays communistes), le statut indépendant et objectif de
l’inspection du travail a fini par l’emporter lorsqu’elle a été instituée en organe étatique formé
de fonctionnaires. Néanmoins, les représentants des travailleurs et des employeurs n’ont pas
perdu leur volonté de participation au contact de la nouvelle institution: l’inspection du travail
est certes un organe indépendant, mais elle est devenue aussi un acteur qui occupe une place
privilégiée dans le dialogue entre les deux parties.
Dans cette perspective, l’inspection du travail s’est développée progressivement et
parallèlement à l’évolution économique et sociale. Par exemple, la tendance des Etats au
protectionnisme durant le premier tiers du XXe siècle a entraîné des modifications importantes
du droit du travail, un nombre considérable de diplômés ayant rejoint ceux qui avaient déjà
été embauchés comme inspecteurs. Une des conséquences immédiates de ces développements
a été la création d’une véritable administration du travail. De même, l’apparition de nouvelles
formes d’organisation du travail et la pression des forces du marché sur la fonction publique à
la fin du XXe siècle ont évidemment eu des répercussions sur l’inspection du travail dans
nombre de pays.
Conçue à l’origine comme un corps de contrôleurs chargés de faire respecter la loi,
l’inspection du travail a révisé ses propres activités au fil des années et s’est transformée en
un mécanisme utile et bien intégré, réceptif aux besoins technologiques des nouvelles formes
de travail. De même, le droit du travail s’est adapté aux nouveaux besoins de la production et
des services et s’est étendu à des règlements de caractère technique. D’où l’apparition de
sciences connexes comme la sociologie du travail, l’ergonomie, la sécurité et la santé au
travail, l’économie du travail, etc. Ces nouvelles disciplines débordent le cadre purement
juridique et l’inspecteur joue un rôle dynamique dans l’application véritable de la
réglementation sur le lieu de travail, non seulement en imposant des sanctions, mais aussi en
conseillant les représentants des travailleurs et des employeurs.
Généraliste ou spécialiste?
Les Etats ont adopté deux modes d’organisation de l’inspection du travail: l’inspection
générale (qui a vu le jour en Europe continentale) et l’inspection spécialisée (née au
Royaume-Uni). Sans débattre de leurs avantages respectifs, ces deux systèmes ont chacun leur
propre appellation qui témoigne de deux points de vue très différents. Selon le mode
généraliste (ou unitaire), l’inspection est effectuée par une seule personne, aidée de diverses
institutions techniques, car ses tenants partent de l’hypothèse que l’expertise générale d’un
inspecteur unique a de meilleures chances de déboucher sur une solution logique et cohérente
des divers problèmes liés au travail. L’inspecteur généraliste est un arbitre (au sens de ce mot
dans la Rome antique) qui, après consultation des organismes spécialisés pertinents, essaie de
régler les difficultés et les problèmes que présente un lieu de travail précis. Il règle
directement les conflits de travail. Pour sa part, l’inspection spécialisée agit directement par
l’entremise d’un agent avant tout technicien chargé de résoudre des problèmes spécifiques
dans un champ d’action plus restreint. Parallèlement, les questions relevant des relations
professionnelles proprement dites sont laissées à des mécanismes bipartites ou parfois
tripartites (employeurs, syndicats, autres organismes gouvernementaux), qui tentent de régler
les conflits par le dialogue.
Malgré leurs divergences, les deux tendances ont ceci de commun: généraliste ou spécialiste,
l’inspecteur du travail demeure l’incarnation vivante de la loi. Dans le système généraliste, la
position centrale lui permet de déterminer les besoins immédiats et d’apporter des
modifications en conséquence. Le cas de l’Italie illustre particulièrement bien cette situation:
la loi habilite l’inspecteur du travail à prendre des mesures exécutoires pour compléter la
réglementation générale ou pour lui substituer des règles plus spécifiques. Dans le cas de
l’inspection spécialisée, l’inspecteur connaît à fond les problèmes et les normes techniques et
peut donc évaluer les éventuels manquements aux obligations légales et à la prévention des
risques, et proposer des solutions de rechange applicables sur-le-champ.
Le rôle actuel de l’inspection du travail
Outre ses fonctions de surveillance, l’inspecteur joue un rôle central et devient souvent le
pilier des institutions sociales dans le domaine du travail. Non seulement il exerce un contrôle
général des obligations légales concernant les conditions de travail et la protection des
travailleurs, mais encore, dans nombre de pays, l’inspecteur du travail surveille l’exécution
d’autres obligations — services sociaux, emploi de travailleurs étrangers, formation
professionnelle, sécurité sociale, etc. Pour être efficace, l’inspection du travail devrait être
dotée des caractéristiques énoncées dans la convention (no 81) de l’OIT sur l’inspection du
travail, 1947: nombre suffisant d’inspecteurs, indépendance, formation et ressources
appropriées, et pouvoirs nécessaires pour procéder aux inspections et imposer des solutions
afin de remédier aux défectuosités constatées.
Dans de nombreux pays, l’inspection du travail est également chargée de régler les conflits de
travail, de participer à la négociation des conventions collectives à la demande des parties, de
prendre part aux activités de collecte et d’analyse des données socio-économiques, de rédiger
des mémoires et, dans son domaine d’expertise technique, de conseiller les autorités du travail
et de remplir d’autres fonctions d’ordre purement administratif. L’élargissement et la
multiplicité de leurs tâches découlent du fait que les inspecteurs sont considérés comme des
experts en relations professionnelles ayant en outre des connaissances techniques spécifiques.
Cela reflète également une vision particulière du cadre de l’activité de l’entreprise, selon
laquelle l’inspection du travail est tenue pour l’institution idéale aux fins de l’évaluation et de
la solution des problèmes qui se posent dans le monde du travail. Toutefois, ce caractère
multidisciplinaire se heurte dans certains cas à l’écueil de la dispersion. On peut se demander
si les inspecteurs du travail, tenus d’assumer de multiples responsabilités, ne courent pas le
risque de favoriser les activités de nature économique ou autre, au détriment de celles qui
devraient constituer l’essentiel de leur mission.
La principale controverse au sujet de la délimitation des fonctions typiques et prioritaires de
l’inspection du travail porte sur la fonction relative à la conciliation dans les conflits de
travail. Le contrôle et la surveillance composent assurément la majeure partie de l’activité
quotidienne d’un inspecteur, mais, de toute évidence, le lieu de travail n’en demeure pas
moins le siège des conflits de travail, qu’ils soient individuels ou collectifs. On peut se poser
la question de savoir si toutes les activités de contrôle et d’évaluation de l’inspection du
travail ne constituent pas, jusqu’à un certain point, un traitement «palliatif» des conflits
proprement dits. Prenons par exemple le cas de l’inspecteur qui demande l’application des
dispositions légales sur le bruit. Dans bien des cas, son intervention fait suite à une plainte
déposée par les représentants des travailleurs qui considèrent que le nombre élevé de décibels
nuit à leur rendement. En conseillant l’employeur, l’inspecteur propose une mesure visant à
résoudre un conflit individuel né des relations de travail quotidiennes. L’employeur peut
adopter ou rejeter la solution proposée, sans préjudice de l’action en justice qui pourrait être
intentée contre lui. De même, l’inspecteur qui se rend sur un lieu de travail pour vérifier si un
acte de discrimination antisyndicale a été commis entend diagnostiquer et, si possible,
éliminer les divergences internes qui opposent en l’occurrence les parties.
Dans quelle mesure la prévention des conflits diffère-t-elle de leur règlement dans les activités
quotidiennes de l’inspecteur du travail? La réponse n’est pas aisée. L’imbrication de toutes les
sphères qui composent le domaine des relations professionnelles fait que l’inspection du
travail est non seulement l’incarnation de la loi, mais encore une institution qui occupe une
place névralgique dans le système des relations professionnelles. Un service d’inspection qui
examine l’ensemble du monde du travail sera en mesure de garantir de meilleures conditions
de travail, un milieu de travail sûr et, par conséquent, de meilleures relations professionnelles.
LES CONFLITS COLLECTIFS PORTANT SUR LA SÉCURITÉ ET LA SANTÉ
Shauna L. Olney
Ces dernières années, la législation, les instruments internationaux et les études sur la sécurité
et la santé au travail ont mis en lumière l’importance de l’information, de la consultation et de
la coopération entre les travailleurs et les employeurs. Prévenir les conflits plutôt que les
régler, voilà le mot d’ordre. D’aucuns prétendent que, dans le domaine de la sécurité et de la
santé au travail, les travailleurs et les employeurs partagent des intérêts communs et que les
conflits peuvent donc être évités plus facilement. Et pourtant, il continue d’en surgir.
La relation d’emploi est tributaire d’intérêts et d’objectifs prioritaires divergents, ainsi que
d’enjeux en évolution constante, y compris en matière de sécurité et de santé. Il ne manque
donc pas d’occasions de désaccord susceptibles de dégénérer en conflits de travail. A
supposer que l’importance de la sécurité et de la santé en général soit largement reconnue, la
nécessité de prendre des mesures spécifiques ou leur mise en œuvre constituent des motifs
potentiels de discorde, surtout lorsqu’elles exigent un surcroît de temps ou d’argent ou
entraînent une baisse de la production. Lorsqu’on parle de sécurité et de santé, il y a peu
d’absolus: ainsi, la notion de risque «acceptable» est relative. De nombreux enjeux appellent
un débat pour trouver le juste milieu, en particulier compte tenu du fait qu’il faudra peut-être
traiter des situations complexes avec une aide technique limitée et sans preuves scientifiques
concluantes. De plus, les perceptions fluctuent continuellement au gré des nouvelles
technologies, de la recherche médicale et scientifique, de l’évolution des comportements
sociaux, etc. Ce domaine comporte donc un fort potentiel de divergences d’opinions et de
conflits.
Le règlement équitable et efficace des conflits est essentiel dans tous les secteurs des relations
professionnelles, mais peut-être davantage encore dans celui de la sécurité et de la santé. Les
conflits peuvent être résolus à un stade précoce lorsqu’une des parties porte à la connaissance
de l’autre des faits pertinents, que ce soit conformément aux procédures établies ou en dehors
de celles-ci. On peut également recourir à la procédure interne de plaintes, ce qui exige
d’habitude la participation de différents échelons de la hiérarchie. La conciliation ou la
médiation permettent parfois de régler le différend ou encore un tribunal ordinaire ou un
arbitre peuvent imposer une solution. Dans le domaine de la sécurité et de la santé,
l’inspecteur du travail a également un rôle important à jouer dans le règlement des conflits. Il
arrive que certains litiges mènent à un arrêt de travail qui, dans le cas de la sécurité et de la
santé, peut être tenu ou non pour une grève au sens de la loi.
Les catégories de conflits
La sécurité et la santé peuvent donner lieu à divers types de conflits. Bien que le classement
par catégorie ne soit pas toujours évident, il importe souvent de définir le conflit avec
précision pour déterminer les mécanismes de règlement qui seront appliqués. Les conflits sont
soit individuels, soit collectifs, selon leur origine ou selon la personne habilitée à les
déclencher. En règle générale, un conflit individuel concerne un seul travailleur, alors qu’un
conflit collectif touche un groupe de travailleurs, habituellement représenté par un syndicat.
Une distinction supplémentaire est souvent faite entre conflit de droits et conflit d’intérêts. Un
conflit de droits (également appelé conflit juridique) porte sur l’application ou l’interprétation
de droits conférés par la loi ou par une disposition inscrite dans le contrat de travail ou la
convention collective, tandis qu’un conflit d’intérêts porte sur la création de droits et
d’obligations, ou sur la modification de ceux qui existent. Les conflits d’intérêts surviennent
principalement en rapport avec la négociation collective.
Si le caractère — collectif ou individuel — du différend détermine parfois la procédure de
règlement, c’est d’habitude l’interaction entre les catégories qui importe: les conflits de droits
collectifs, d’intérêts collectifs et de droits individuels appellent d’ordinaire un traitement
différent. Le présent article porte uniquement sur les deux premières catégories, mais il ne
faut pas oublier que certaines étapes sont communes au règlement des conflits collectifs et à
celui des plaintes individuelles.
Le conflit est qualifié de collectif ou d’individuel selon que la loi permet au syndicat de
contester le point en litige. Dans un certain nombre de pays, le pouvoir de négocier en matière
de santé et de sécurité ou autre n’est dévolu qu’à un syndicat dûment enregistré auprès des
autorités publiques ou reconnu comme représentant un pourcentage donné des travailleurs
intéressés. Dans plusieurs pays, ces préalables s’appliquent également au pouvoir de soulever
des conflits de droits. Dans d’autres, il faut que l’employeur accepte de son plein gré de
négocier avec le syndicat pour que celui-ci puisse intervenir au nom des salariés.
Un syndicat peut être en mesure d’engager la procédure de règlement de l’un des droits
lorsque des obligations en matière de santé et de sécurité touchant le milieu de travail dans
son ensemble sont en question, notamment si l’employeur ne se conforme pas à des
dispositions conventionnelles ou légales établissant un niveau de bruit maximum, ou exigeant
des précautions particulières en ce qui concerne les machines, ou la fourniture d’équipements
de protection individuelle. Des conflits juridiques peuvent également survenir quand, par
exemple, l’employeur s’abstient de consulter le comité de sécurité ou de santé (ou le délégué
à la sécurité) ou de transmettre des informations comme la loi ou la convention collective l’y
obligent. La convention étant par définition collective, tout manquement présumé est
considéré dans certains pays comme un conflit collectif, en particulier quand cela concerne la
mise en œuvre de dispositions d’application générale comme celles qui ont trait à la sécurité
et à la santé, même si, en réalité, un seul travailleur est touché immédiatement et directement
par l’infraction de l’employeur. Un conflit occasionné par une violation des dispositions
légales peut être qualifié de collectif lorsque le syndicat intervient au nom de tous les
travailleurs intéressés et qu’il est autorisé à le faire en raison de cette violation.
Les conflits d’intérêts collectifs en matière de sécurité et de santé peuvent revêtir bien des
formes. Ce type de conflit peut découler des négociations entre le syndicat et l’employeur au
sujet de la création d’un comité de sécurité et de santé ou des responsabilités de celui-ci, de
l’introduction d’une nouvelle technologie, des mesures spécifiques concernant les matières
dangereuses, de la protection de l’environnement, etc. Les négociations peuvent donner lieu à
des déclarations de principe générales relatives à la sécurité et à la santé, à des améliorations
spécifiques ou à des limites précises d’exposition. Lorsque les parties se retrouvent dans une
impasse en cours de négociation, le traitement des points de désaccord est considéré comme
une extension de la liberté de négocier collectivement. La convention (no 154) de l’OIT sur la
négociation collective, 1981, a souligné l’importance de concevoir des organes et des
procédures de règlement des conflits de travail de telle manière qu’ils contribuent à
promouvoir la négociation collective (art. 5, 2) e)).
La procédure de règlement des réclamations
L’expression procédure de règlement des réclamations désigne généralement une procédure
interne prévue par la convention collective pour aplanir les différends concernant l’application
ou l’interprétation de la convention collective (conflits de droits). Cependant, des procédures
semblables sont souvent établies même en l’absence d’un syndicat ou d’une convention
collective, afin de régler les problèmes et les plaintes des travailleurs, car elles sont perçues
comme un moyen plus équitable et moins coûteux de mettre fin aux conflits que le recours à
la justice (McCabe, 1994). Normalement, la convention collective prévoit que la plainte sera
examinée selon une procédure à plusieurs étapes en remontant la voie hiérarchique de
l’organisation. Par exemple, un conflit sur la sécurité et la santé peut d’abord être soumis au
chef immédiat. S’il n’est pas réglé à ce stade, le chef et le délégué à la sécurité et à la santé
ont alors la possibilité d’entreprendre une enquête, dont les conclusions sont remises à un
cadre ou, peut-être, au comité de sécurité et de santé. Si aucune solution n’est trouvée, un
cadre supérieur peut alors intervenir. Il est possible qu’il faille épuiser plusieurs recours
internes avant de faire appel à la procédure externe. La convention peut ensuite prévoir
l’intervention d’une tierce partie, sous forme d’inspection, de conciliation et d’arbitrage,
sujets qui seront abordés plus en détail ci-après.
Adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1967, la recommandation (no 130) sur
l’examen des réclamations souligne l’importance d’une procédure de règlement dans le cas
des conflits de droits, qu’ils soient individuels ou collectifs. Il y est précisé que les
organisations de travailleurs ou les représentants des travailleurs dans l’entreprise devraient
être associés aux employeurs pour établir et mettre en œuvre des procédures d’examen des
réclamations dans l’entreprise. Ces procédures devraient être rapides, simples et ne comporter
qu’un minimum de formalisme. Lorsque les procédures internes sont épuisées et qu’aucune
solution acceptable pour les deux parties n’a été trouvée, la recommandation prévoit d’autres
mesures pour parvenir à un règlement final, dont l’examen conjoint du cas par les
organisations de travailleurs et d’employeurs, la conciliation ou l’arbitrage, et le recours à un
tribunal du travail ou à une autre autorité judiciaire.
La conciliation et la médiation
La convention collective ou la loi peuvent exiger que les conflits collectifs soient soumis à la
conciliation ou à la médiation avant de recourir à d’autres procédures de règlement. Même
sans être forcées de recourir à la conciliation, les parties peuvent volontairement demander à
un conciliateur, un médiateur ou à une autre tierce partie neutre de les aider à aplanir leurs
divergences en vue d’arriver à un accord. Certains systèmes de relations professionnelles
distinguent, du moins en théorie, la conciliation et la médiation. En pratique, la différence
n’est pas évidente et il est difficile de tracer une ligne de démarcation bien nette entre les
deux. Le rôle du conciliateur est de rétablir la communication si les pourparlers ont été
interrompus, d’aider les parties à trouver un terrain d’entente pour parvenir à un règlement et,
peut-être, d’établir certains faits. Toutefois, le conciliateur ne fait aucune proposition formelle
pour résoudre le conflit (bien qu’il se cantonne rarement, en pratique, à un rôle aussi passif).
Le médiateur est tenu de proposer les conditions d’un règlement, mais les deux parties
demeurent libres d’accepter ou de refuser ses propositions. Dans beaucoup de pays, il n’y a
pas de véritable distinction entre la conciliation et la médiation: médiateurs et conciliateurs
s’emploient les uns comme les autres à aider les parties au litige à trouver une solution, en
usant de la stratégie la plus appropriée en l’espèce, tantôt passive, tantôt interventionniste.
La conciliation est l’une des procédures les plus répandues et elle est tenue pour l’une des
plus efficaces en matière de règlement de conflits d’intérêts. En cours de négociation
collective, on peut envisager la conciliation comme un prolongement des négociations avec
l’aide d’une tierce partie neutre. Un nombre croissant de pays recourent aussi à la conciliation
dès les premières étapes du règlement des conflits de droits. Le gouvernement peut offrir des
services de conciliation ou constituer un organisme indépendant à cet effet. Dans certains
pays, les inspecteurs du travail prennent part à la conciliation.
La recommandation (no 92) de l’OIT sur la conciliation et l’arbitrage volontaires, 1951,
préconise l’établissement d’organismes de conciliation volontaire, gratuite et rapide, «en vue
de contribuer à la prévention et au règlement des conflits de travail entre employeurs et
travailleurs» (paragr. 1 et 3). La conciliation vise à garantir l’exercice réel du droit de
négocier collectivement, objectif repris à l’article 6,3 de la Charte sociale européenne, adoptée
le 10 octobre 1961.
L’arbitrage
L’arbitrage consiste en l’intervention d’une tierce partie neutre qui, bien que ne faisant pas
partie de l’appareil judiciaire établi, est autorisée à imposer une décision. Dans plusieurs pays,
la quasi-totalité des conflits de droits se rapportant à l’application ou à l’interprétation de la
convention collective sont réglés par voie d’arbitrage exécutoire, parfois après l’échec de la
conciliation obligatoire. Dans de nombreux pays, l’arbitrage est facultatif et volontaire, tandis
qu’il est obligatoire dans d’autres. Lorsque l’arbitrage est imposé afin de résoudre des conflits
d’intérêts, il se limite d’habitude à la fonction publique ou aux services essentiels. Ailleurs,
toutefois, notamment dans certains pays en développement, l’arbitrage des conflits d’intérêts
est plus généralisé.
La question de l’arbitrage fait l’objet de la recommandation (no 92) de l’OIT sur la
conciliation et l’arbitrage volontaires, 1951. Comme dans le cas de la conciliation, cet
instrument porte sur les conflits qui sont soumis volontairement à l’arbitrage et recommande
aux parties de s’abstenir de recourir à la grève ou au lock-out pendant la durée de l’arbitrage
et d’accepter la décision arbitrale. Le caractère volontaire de l’acceptation des conclusions de
l’arbitre est également souligné dans la Charte sociale européenne. Si l’une des parties ou les
autorités publiques peuvent engager la procédure d’arbitrage, celui-ci est alors réputé
obligatoire. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations
de l’OIT a déclaré que, dans le cas des conflits d’intérêts, l’arbitrage obligatoire va en général
à l’encontre des principes énoncés dans la convention (no 98) de l’OIT sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, parce qu’il porte atteinte à l’autonomie des
parties à la négociation (BIT, 1994b). De plus, toute décision arbitrale définitive liant les
parties intéressées risque d’être considérée comme limitant de manière déraisonnable le droit
de grève si le conflit n’a pas été soumis volontairement à l’arbitrage. La commission a indiqué
que pareille interdiction limite considérablement les moyens dont disposent les syndicats pour
promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres, ainsi que leur droit d’organiser leur
activité et leur programme d’action, et n’est pas compatible avec l’article 3 de la convention
(no 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 (BIT, 1994b,
paragr. 153).
Les autorités de l’administration du travail
L’administration du travail assume dans la plupart des pays des responsabilités variées, dont
l’une des plus importantes consiste à inspecter les lieux de travail pour s’assurer qu’ils sont
conformes à la législation sur l’emploi, notamment en matière de sécurité et de santé. Il n’est
pas nécessaire qu’un conflit de travail éclate pour qu’un inspecteur intervienne. Toutefois,
lorsqu’un conflit résulte d’une infraction présumée à la loi ou à la convention, l’inspecteur
peut jouer un rôle important dans la recherche d’une solution.
L’administration du travail remplit habituellement une fonction plus active dans les conflits
portant sur la sécurité et la santé que dans les autres. Le rôle de l’inspecteur dans les conflits
est parfois défini dans les conventions collectives ou dans la législation relative à la sécurité et
à la santé, au droit du travail, à la réparation des accidents du travail ou à une branche
d’activité. Dans certains pays, le délégué à la sécurité ou le comité d’hygiène et de sécurité
sont habilités à porter plainte contre l’employeur auprès de l’inspecteur du travail, d’un autre
fonctionnaire de l’administration du travail ou d’un préposé à la sécurité et à la santé.
L’inspecteur peut être appelé à intervenir si une partie allègue que la réglementation en
matière de prévention n’est pas respectée. L’administration du travail peut également être
tenue d’intervenir en raison de sa compétence en vertu des régimes d’indemnisation des
travailleurs.
Les inspecteurs peuvent être investis du pouvoir d’ordonner des améliorations, des
interdictions ou des arrêts de travail, d’imposer des amendes ou des sanctions, voire
d’entamer des poursuites. Le cas échéant, l’action en justice sera intentée devant une instance
civile ou pénale selon la nature de l’infraction, la gravité des conséquences, la connaissance
préalable des conséquences éventuelles, et la répétition de l’infraction. Normalement, la
décision d’un inspecteur peut faire l’objet d’un recours auprès de son supérieur hiérarchique,
d’un organe spécialisé dans le domaine du travail ou de la sécurité et de la santé, ou d’un
tribunal. Il peut exister des mécanismes distincts de recours administratif ou judiciaire pour
les différentes branches d’activité (par exemple, les mines).
Adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1947, la recommandation (no 81) sur
l’inspection du travail encourage la collaboration entre les inspecteurs du travail et les
représentants des travailleurs et des employeurs. En 1989, le Conseil des Communautés
européennes a adopté la directive 89/391/CEE sur la sécurité et la santé des travailleurs, aux
termes de laquelle les travailleurs et leurs représentants ont le droit de faire appel à l’autorité
compétente en la matière s’ils ne sont pas convaincus que les mesures prises par l’employeur
garantiront la sécurité et la santé au travail. Conformément à la directive, les représentants des
travailleurs doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations pendant les visites
effectuées par l’autorité compétente (art. 11, 6)).
Les tribunaux ordinaires et les tribunaux du travail
Comme les conflits juridiques portent sur des droits ou des obligations qui existent déjà, leur
règlement est régi par le principe général implicite selon lequel, en dernier ressort, ils relèvent
de la compétence des tribunaux ou des arbitres et ne doivent pas être réglés par un recours à
l’action directe, comme la grève. Certains pays laissent aux tribunaux ordinaires le soin de
trancher tous les conflits de droits, qu’ils portent ou non sur les relations professionnelles. En
revanche, dans beaucoup de pays, les tribunaux du travail ou certains tribunaux spécialisés
sont saisis de conflits de droits. Ils connaissent des conflits de droits en général ou de certains
types de conflits en particulier, par exemple les plaintes pour mesures disciplinaires ou pour
licenciement injustifié. Ces organismes judiciaires spécialisés, compétents en matière de droit
du travail, répondent à la nécessité de disposer de procédures rapides, peu onéreuses et sans
formalités superflues. Les retards et les frais qu’entraîne le système judiciaire ordinaire sont
jugés inacceptables lorsqu’il est question d’emploi, question d’une importance capitale pour
la vie d’une personne et qui concerne souvent une relation qui doit être maintenue après le
règlement du conflit. Il arrive que les tribunaux ordinaires et les tribunaux du travail se
répartissent la juridiction en matière de conflits de droits collectifs. Par exemple, dans certains
pays, le tribunal du travail peut uniquement trancher les conflits collectifs qui portent sur la
violation présumée d’une convention collective, les violations de la loi relevant des tribunaux
ordinaires.
Les tribunaux du travail sont souvent composés des représentants des travailleurs et des
employeurs et d’un juge indépendant. Il existe aussi des tribunaux du travail formés
uniquement de représentants des travailleurs et de représentants des employeurs. Par cette
composition bi- ou tripartite, on veut s’assurer que les membres du tribunal ont une bonne
connaissance des relations professionnelles et que, par conséquent, les questions pertinentes
seront examinées à fond et résolues en fonction des réalités du monde du travail. Ainsi, les
décisions rendues par le tribunal inspireront d’autant plus confiance et seront d’autant plus
convaincantes. Les représentants des travailleurs et des employeurs peuvent s’exprimer à
égalité pour trancher le conflit, ou encore agir uniquement à titre consultatif. Dans d’autres
pays, des juges sans lien avec les parties tranchent les conflits juridiques collectifs.
Dans quelques pays, les tribunaux du travail règlent les conflits collectifs portant sur le droit
et sur les intérêts. Le principe évoqué à la section «L’arbitrage» vaut aussi pour les tribunaux:
la nature volontaire de la négociation collective est mise à mal dès que le recours à la voie
judiciaire est imposé pour régler un conflit d’intérêts.
Les arrêts de travail
Un arrêt de travail concerté peut être décidé pour toutes sortes de raisons. Le plus
couramment, cette mesure est comprise comme un moyen de pression pour amener
l’employeur à accepter certaines conditions, en cas d’impasse de la négociation collective.
L’arrêt de travail est tenu pour une grève dans la plupart des pays et considéré normalement
comme un moyen légitime à la disposition des travailleurs et de leurs organisations pour
promouvoir et protéger leurs intérêts.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (adopté le 16
décembre 1966) reconnaît à l’article 8, 1) d)) que le droit de grève est un droit fondamental.
La Charte sociale européenne, à l’article 6, 4)) associe le droit de grève au droit de
négociation collective et déclare que les travailleurs et les employeurs disposent du droit
d’action collective dans les cas de conflits d’intérêts, sous réserve des obligations dérivant de
la convention collective. La Charte internationale américaine de garanties sociales (adoptée à
Bogota le 30 avril 1948), article 27, reconnaît aux travailleurs le droit de faire grève; le droit
de grève est donc un élément intrinsèque de la liberté syndicale, au même titre que le droit de
négociation collective. La Commission d’experts pour l’application des conventions et
recommandations et le Comité de la liberté syndicale, qui relèvent du Conseil
d’administration du BIT, reconnaissent que le droit de grève est inhérent aux principes
généraux de la liberté syndicale énoncés dans la convention (no 87) de l’OIT sur la liberté
syndicale et la protection du droit syndical, 1948, bien qu’il ne soit pas expressément fait
mention du droit de grève dans le texte de la convention. Selon la Commission d’experts,
«l’interdiction générale des grèves limite considérablement les possibilités qu’ont les
syndicats de promouvoir et de défendre les intérêts de leurs membres [...] et le droit qu’ont les
syndicats d’organiser leur activité» (BIT, 1994b, paragr. 147).
Dans certains pays, le droit de grève est reconnu au syndicat. Les grèves qui ne sont pas
organisées ou autorisées par lui sont considérées comme «non officielles» et illégales. Dans
d’autres pays, au contraire, le droit de grève est un droit individuel bien qu’il soit
généralement exercé par un groupe, auquel cas la distinction entre grève «officielle» et «non
officielle» importe peu.
Même dans les pays où le droit de grève est reconnu en principe, certaines catégories de
travailleurs ne peuvent s’en prévaloir, par exemple les membres de la police ou des forces
armées, ou encore les hauts fonctionnaires. Il arrive aussi que ce droit soit assujetti à certaines
restrictions d’ordre procédural, par exemple l’obligation de donner un préavis ou de tenir un
vote sur la grève. Dans plusieurs pays, les parties doivent s’abstenir de déclencher une grève
ou d’imposer un lock-out tant que la convention collective est en vigueur, cette interdiction
étant absolue ou visant certaines questions réglementées dans la convention. Souvent,
l’obligation de «paix sociale» est expressément inscrite dans la législation ou dans les
conventions collectives, ou reconnue implicitement par les décisions judiciaires. Dans
beaucoup de pays, l’exercice du droit de grève est rigoureusement limité, voire carrément
interdit, dans les services essentiels. Cette restriction aux principes généraux de l’OIT est
permise à condition que soient tenus pour essentiels uniquement les services dont
l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie,
la sécurité et la santé de la personne (BIT, 1994b, paragr. 159).
Dans le cas des conflits qui portent sur la sécurité et la santé, il faut établir une distinction
entre ceux qui concernent la négociation de certains droits (par exemple, la définition des
fonctions précises d’un délégué à la sécurité aux fins de la mise en œuvre d’une politique
générale en la matière) et ceux qui ont trait à des situations de danger imminent. La législation
ou les conventions collectives accordent généralement aux travailleurs le droit d’arrêter le
travail en cas de situation dangereuse ou quand ils croient qu’une telle situation existe. Ce
droit s’exerce souvent sous la forme d’un droit individuel du travailleur ou des travailleurs
directement exposés au risque. Il existe de multiples formules pour justifier un arrêt de travail.
La conviction de bonne foi qu’il existe un danger peut suffire, ou bien il faudra peut-être en
démontrer objectivement la réalité. Les avis divergent sur le point de savoir qui court un
risque: le travailleur menacé d’un danger imminent peut arrêter de travailler, ou encore ce
droit peut avoir une portée plus étendue et comprendre le danger pour autrui. En général, les
arrêts de travail collectifs par solidarité (grève de solidarité ou de sympathie) ne sont pas
prévus dans la législation ou les conventions collectives (et peuvent donc être déclarés
illégaux), bien qu’en fait ils existent. Il arrive aussi que le pouvoir d’ordonner l’arrêt des
opérations soit dévolu aux délégués à la sécurité dans l’établissement, qui peuvent les
interrompre jusqu’à ce que l’administration du travail rende une décision finale.
La convention (no 155) de l’OIT sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, dispose en
son article 13 que les travailleurs devront être protégés contre toutes conséquences injustifiées
s’ils s’écartent du danger lorsqu’ils ont un motif raisonnable de croire qu’il existe un risque
imminent et sérieux pour leur sécurité ou leur santé. L’article 8, 4) de la directive 89/391/CEE
du Conseil des Communautés européennes comporte une disposition analogue — en cas de
«danger grave, immédiat et qui ne peut être évité». Souvent, le droit d’interrompre le travail
en raison d’un danger imminent est inscrit dans la législation sur la santé et la sécurité. Dans
certains pays, ce droit trouve place dans la législation du travail, et l’arrêt de travail imposé
pour des raisons de sécurité n’est pas tenu pour une grève; partant, il n’est pas nécessaire de
suivre la procédure qui doit précéder une grève et l’obligation de paix sociale n’est pas
transgressée. De même, lorsque l’employeur interdit l’accès du lieu de travail pour se
conformer à une ordonnance d’arrêt de travail ou lorsqu’il a un motif raisonnable de croire
qu’il existe un risque imminent pour la sécurité ou la santé, cette action patronale n’est
généralement pas tenue pour un lock-out.
LES CONFLITS INDIVIDUELS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ET DE SANTÉ
Anne Trebilcock
Les types de conflits
Un conflit individuel survient quand il y a désaccord entre un travailleur et son employeur sur
un aspect de leur relation d’emploi. Un conflit individuel est un cas typique de «conflit de
droits», puisqu’il porte sur l’application des conditions énoncées dans la loi ou dans un accord
en vigueur, qu’il s’agisse d’une convention collective ou d’un contrat de travail individuel
verbal ou écrit. Le montant du salaire versé ou le mode de paiement utilisé, l’horaire de
travail, les conditions de travail, les congés, etc., sont des sujets possibles de litige. Dans le
domaine de la sécurité et de la santé, le conflit individuel peut porter sur l’utilisation de
l’équipement de protection individuelle, le paiement d’une indemnité supplémentaire pour
l’exécution de tâches dangereuses, ou prime de risque (cette pratique est maintenant
condamnée en faveur de l’élimination des risques), le refus d’exécuter un travail présentant un
danger imminent et l’observation des règles de sécurité et de santé.
Un conflit individuel peut être déclaré par un travailleur qui fait valoir ses droits, réels ou
présumés, ou qui conteste la mesure disciplinaire ou le licenciement imposé par l’employeur.
Lorsque le litige est identique sur le fond aux plaintes déposées au nom d’autres travailleurs
individuels ou qu’il soulève une question de principe importante pour le syndicat, le conflit
individuel peut aussi mener à une action collective et, quand l’enjeu réside dans l’obtention de
nouveaux droits, le conflit individuel peut se transformer en conflit d’intérêts. Par exemple, le
travailleur qui refuse d’accomplir un travail qu’il estime trop dangereux risque une sanction
disciplinaire, voire le licenciement; si le syndicat juge que ledit travail expose les autres
travailleurs à un danger constant, il s’attaquera peut-être à cette situation en déclenchant une
action collective, arrêt de travail compris (par exemple, une grève légale ou sauvage). Il est
donc possible qu’un conflit individuel aboutisse à une action collective et devienne ainsi un
conflit collectif. De même, le syndicat peut voir dans le litige une question de principe qui,
s’il n’y est pas fait droit, le conduira à formuler de nouvelles exigences, ce qui se soldera par
un conflit d’intérêts lors de futures négociations.
Le règlement d’un conflit individuel est en grande partie tributaire de trois facteurs: 1) la
portée de la protection juridique accordée aux travailleurs dans le pays; 2) le fait que le
travailleur soit protégé ou non par une convention collective; 3) la facilité avec laquelle le
travailleur peut faire respecter ses droits en vertu de la loi ou aux termes d’une convention
collective.
Les conflits pour cause de représailles ou de licenciement
Malgré tout, certains droits individuels sont universels dans la plupart des pays, quelles que
soient la durée de l’engagement ou la taille de l’entreprise. Au nombre de ces droits figure
normalement la protection des travailleurs contre les représailles lorsqu’ils exercent une
activité syndicale ou lorsqu’ils dénoncent aux autorités une violation présumée de la loi par
leur employeur; dans ce dernier cas, il s’agit de la protection accordée à la personne «qui tire
la sonnette d’alarme» et divulgue certaines informations. Dans la plupart des pays, la loi
confère à tous les travailleurs une protection contre la discrimination fondée sur la race ou le
sexe (y compris la grossesse) et, dans bien des cas, la religion, l’opinion politique,
l’ascendance nationale ou l’origine sociale, l’état matrimonial et les responsabilités familiales.
Ces motifs énumérés dans la convention (no 158) de l’OIT sur le licenciement, 1982, sont
considérés comme ne constituant pas des motifs valables de licenciement; la convention en
ajoute d’autres: l’affiliation syndicale ou la participation à des activités syndicales; le fait de
solliciter, d’exercer ou d’avoir exercé un mandat de représentation des travailleurs; le fait
d’avoir déposé une plainte, ou participé à des procédures engagées contre un employeur en
raison de violations alléguées de la législation, ou d’avoir présenté un recours devant les
autorités administratives. De toute évidence, ces trois derniers motifs non admis sont
particulièrement pertinents pour la protection des droits des travailleurs à la sécurité et à la
santé. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de
l’OIT a mis en relief la gravité des mesures de représailles, notamment sous forme de
licenciement, contre un travailleur qui aurait dénoncé la non-application, par son employeur,
de règles en matière de sécurité et d’hygiène du travail alors que l’intégrité physique des
travailleurs, leur santé, leur vie même pouvaient être mises en danger. Lorsque des droits
fondamentaux ou l’intégrité physique ou la vie des travailleurs sont en jeu, il serait
souhaitable que les modalités de preuve (renversement de la charge de la preuve) et les
mesures de réparation (réintégration) soient de nature à permettre aux travailleurs de dénoncer
les pratiques illégales sans crainte de représailles (BIT, 1995c).
Cependant, pour ce qui est du maintien en emploi du travailleur, les deux déterminants
principaux des droits de cette personne sont, d’une part, le mécanisme d’application de la loi
dont elle dispose pour faire valoir ses droits et, d’autre part, le type de contrat de travail aux
termes duquel elle a été embauchée. En général, plus la durée de l’engagement est longue,
meilleure est la protection. Ainsi, un travailleur en période d’essai (quelques mois dans la
plupart des pays) sera peu protégé contre le licenciement, voire pas du tout. Il en va de même
du travailleur occasionnel (embauché à la journée) et du travailleur saisonnier (engagé pour
une période limitée, chaque année à la même époque). Le travailleur bénéficiant d’un contrat
de travail de durée déterminée sera protégé pendant la durée du contrat, mais en règle
générale, sans droit de reconduction. Par comparaison, la situation des travailleurs embauchés
aux termes d’un contrat de travail de durée indéterminée est la plus sûre, mais ces travailleurs
peuvent quand même être licenciés pour des raisons particulières ou, plus généralement, pour
ce que l’on qualifie de «faute grave». De plus, leurs postes peuvent être supprimés lors d’une
restructuration de l’entreprise. Vu les pressions croissantes pour la flexibilité du marché du
travail, la tendance la plus récente de la législation régissant les contrats de travail accorde
plus de facilité aux employeurs désireux de «dégraisser l’effectif» au cours d’une
restructuration. En outre, de nouvelles formes de relations de travail hors du cadre traditionnel
employeur-salarié sont apparues; or, dans ces cas-là, le travailleur individuel sans statut risque
d’être peu protégé par la loi.
Les conflits nés du refus d’un travailleur d’exécuter un travail dangereux
Un conflit individuel peut souvent découler du refus d’un salarié d’exécuter un travail qui, à
son avis, présente un risque imminent; il doit avoir des motifs raisonnables de croire à
l’existence de ce risque et agir de bonne foi. Aux Etats-Unis, le travailleur doit avoir des
motifs raisonnables de croire que l’exécution du travail constitue un danger imminent de mort
ou de lésion corporelle grave. Dans certains pays, ce droit fait l’objet de la négociation
collective; dans d’autres, il découle de la loi ou des interprétations des tribunaux.
Malheureusement, ce droit important n’est pas encore universellement reconnu, bien qu’il soit
énoncé en tant que principe fondamental à l’article 13 de la convention (no 155) de l’OIT sur
la sécurité et la santé des travailleurs, 1981. Même quand ce droit est inscrit dans la loi, les
salariés qui l’exercent peuvent redouter des représailles ou la perte de leur emploi, surtout
s’ils ne sont pas soutenus par un syndicat ou des services d’inspection du travail efficaces.
Le droit de refuser un travail dangereux est normalement assorti du devoir de signaler
immédiatement cette situation à l’employeur et, parfois, d’informer le comité paritaire de
sécurité. Tant que le problème n’est pas réglé, l’employeur ne doit (ré)affecter à ce travail ni
le travailleur qui a refusé de l’exécuter ni une autre personne à sa place. Si l’employeur passe
outre à cette interdiction et qu’un travailleur est victime d’un accident, l’employeur peut être
légalement passible de graves sanctions civiles et pénales (comme en France et au
Venezuela). Au Canada, le travailleur qui refuse d’accomplir un travail dangereux et le
délégué à la sécurité ont le droit d’être présents lorsque l’employeur entreprend une enquête
sur place. Si le travailleur refuse toujours d’exécuter le travail après que l’employeur a pris
des mesures correctives, une inspection gouvernementale accélérée peut être effectuée.
L’employeur n’est pas en droit d’exiger que le salarié exécute ce travail, jusqu’à ce que
l’autorité gouvernementale rende sa décision à la suite de l’inspection. De plus, l’employeur
est censé donner au travailleur une autre affectation, de manière à ce que ce dernier ne subisse
pas de perte de salaire. Quiconque est désigné pour exécuter le travail à la place du salarié qui
a refusé de l’accomplir doit être mis au courant du refus de celui-ci.
La reconnaissance du droit de refuser un travail dangereux constitue une exception importante
à la règle générale voulant que, d’une part, l’employeur attribue le travail et l’employé
l’exécute et, d’autre part, que l’employé n’abandonne pas son poste et ne refuse pas de se
conformer aux instructions de l’employeur. La justification conceptuelle du droit de refus
réside dans l’urgence de la situation et dans la présence d’intérêts d’ordre public visant à
sauver des vies (Bousiges, 1991; Renaud et Saint-Jacques, 1986).
La participation à une grève
La participation d’un travailleur à une grève pour protester contre des conditions de travail
dangereuses est une autre source de conflit individuel. Le sort du travailleur dépendra de la
légalité de l’arrêt de travail et de la mesure dans laquelle le droit de grève est garanti en
l’espèce. Il ne s’agit pas seulement de la situation du droit de grève en tant que droit collectif,
mais aussi de la façon dont le système juridique interprète la décision de se retirer du travail.
Dans bon nombre de pays, faire la grève constitue une rupture du contrat de travail par le
salarié. Que cette rupture soit pardonnée ou non dépend du rapport de forces entre le syndicat
et l’employeur et, éventuellement, le gouvernement. Le travailleur assuré d’un solide droit de
grève théorique, mais susceptible d’être remplacé de façon temporaire ou permanente,
hésitera à en faire usage par crainte de perdre son emploi. Dans d’autres pays, la loi interdit
explicitement le licenciement pour participation à une grève légale (Finlande, France).
Les moyens de régler un conflit
Les moyens permettant de régler un conflit individuel sont généralement les mêmes que ceux
dont on dispose pour régler les conflits collectifs. Cependant, les divers systèmes de relations
professionnelles abordent chacun la question sous un angle différent. Dans certains pays
(Allemagne, Israël, Lesotho et Namibie), les tribunaux du travail ont compétence pour
résoudre les conflits collectifs et individuels. Les tribunaux du travail au Danemark et en
Norvège connaissent uniquement des conflits collectifs, les plaintes des travailleurs
individuels étant du ressort exclusif des tribunaux civils ordinaires. Dans d’autres pays,
notamment en France et au Royaume-Uni, des mécanismes spéciaux sont réservés au
règlement des conflits entre les travailleurs individuels et leurs employeurs. Aux Etats-Unis,
les individus ont le droit d’intenter des poursuites pour discrimination illégale dans l’emploi
devant des organes distincts de ceux qui sont saisis de pratiques de travail déloyales.
Cependant, en milieu de travail non syndiqué et malgré les critiques des praticiens du monde
du travail, l’arbitrage des conflits individuels à l’initiative de l’employeur est favorablement
accueilli. En milieu de travail organisé, le syndicat peut donner suite au grief d’un travailleur
protégé par une convention collective qui, habituellement, renvoie le conflit à l’arbitrage
volontaire. La capacité d’un individu d’obtenir gain de cause est souvent tributaire de l’accès
à des procédures équitables, rapides et d’un coût abordable, ainsi que de l’appui d’un syndicat
ou d’un service d’inspection du travail compétent sur lequel il peut compter.