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HISTOIRE DE LA REPUBLIQUE
INTRODUCTION
- Une histoire de la république impose tout d’abord de chercher à donner une définition
du mot « république »
- La république renvoie à la res publica, soit la « chose publique », c’est-à-dire l’intérêt
général, le contraire des intérêts privés.
- La république se comprend alors comme étant la gestion des affaires communes de la
cité indépendamment de la forme du gouvernement
- En ce sens, la république ne concerne pas seulement notre histoire des institutions depuis
la Révolution de 1789, laquelle n’a d’ailleurs pas connu que des « républiques » au sens
commun du terme.
- D’ailleurs, dès l’Antiquité, l’on emploie le mot république : ainsi, la définition du mot
république est-elle évolutive.
- Les origines des idées républicaines remontent à l’Antiquité grecque.
- L’idée de république est liée à la naissance de la politique avec la démocratie
athénienne : c’est en Grèce que se construit une notion de la politique comme un domaine
spécifique lié à la gestion des affaires communes de la cité et opposé à celles de la famille,
appartenant à la sphère privée.
- L’idée de république est également liée à la notion de liberté.
- Au IVe siècle avant notre ère, dans La République le philosophe grec Platon (428-348)
distingue la timocratie, le gouvernement des riches, l’oligarchie, le gouvernement d’un petit
groupe, la démocratie, le gouvernement du peuple, et la tyrannie, le gouvernement d’un tyran.
- Platon veut créer une république qu’il définit comme un Etat stable, doté d’une
constitution et respectueux de la philosophie.
- Celle-ci doit, selon lui, permettre à chacun d’apprendre les règles de la constitution, c’est
à dire du bon gouvernement.
- Platon craint la démocratie car il la considère comme étant potentiellement incertaine,
il fait confiance à la sagesse du roi pour assurer la pérennité du régime : la république ne
nécessite donc pas la disparition de la monarchie.
- Au troisième siècle, le philosophe Aristote (384-322) définit et précise à son tour le
concept de république dans La politique.
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- Pour Aristote, précepteur du futur Alexandre le Grand, le pouvoir politique s’adresse
des hommes naturellement libres : c’est un pouvoir d’hommes libres et égaux où chacun peut
être amené à gouverner
- Il s’oppose ainsi au pouvoir du chef de famille sur ses membres
- Au sein de la famille, entendue au sens large, c'est-à-dire comme unité domestique, tous
les membres dépendent naturellement du chef de famille et n’ont donc aucun droit qu’ils
puissent lui opposer ; ils sont comme des esclaves livrés à l’autorité du maître de la famille
- Par contre, dans la société politique, les membres de celle-ci ont des droits, ce sont des
hommes libres, ils sont dotés de statuts et de pouvoirs et peuvent par conséquent élever des
obstacles à l’exercice de l’autorité par le chef
- La cité est donc une communauté de citoyens habitant sur un même territoire et
participant aux fonctions judiciaires et aux fonctions publiques en général.
- L’individu n’existe pas en tant que tel puisqu’il n’a de sens qu’au sein de la société qui
seule lui permet de vivre
- Quant au citoyen, il est le membre de la cité qui participe ou peut participer à l’exercice
de la fonction législative au sein des assemblées populaires et à l’administration de la justice
- Cette définition donnée par Aristote est profondément marquée par l’observation de la
Grèce de son temps et s’adapte à la démocratie athénienne qui connaît la pratique de la rotation
des charges renvoyant aux principes démocratiques.
- Le citoyen doit pouvoir être tour à tour gouvernant et gouverné.
- Sont cependant exclus de la citoyenneté les esclaves, et les étrangers qui ne peuvent
participer au pouvoir délibératif et judiciaire.
- Quelle est la meilleure forme de gouvernement, synonyme de constitution pour lui ?
- Aristote a construit ici une théorie qui influencera la tradition républicaine.
- Pour Aristote, ni la démocratie, ni la tyrannie, ni l’oligarchie ne peuvent servir l’intérêt
commun : ces régimes sont donc contraires à la justice
- Aristote met en exergue l’existence de trois « bonnes » constitutions : la monarchie,
l’aristocratie et la politeia que l’on peut traduire par « république » ou « gouvernement
constitutionnel
- En face, il présente trois formes mauvaises : la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie.
- Aristote considère donc que la démocratie est une forme dégénérée de la république,
comme la tyrannie est une forme dégénérée de la royauté, et comme l’oligarchie est une forme
dégénérée de l’aristocratie.
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- Pour lui, la recherche de la satisfaction de l’intérêt général est le critère fondamental
pour l’appréciation de la valeur d’un régime politique
- Il n’y a pas de bon gouvernement si les gouvernants en place cherchent à satisfaire leur
propre intérêt
- On constate ici qu’Aristote ne défend pas une forme particulière de gouvernement mais
simplement une manière d’organiser le gouvernement
- Ainsi la royauté est aussi bonne que l’aristocratie ou encore la politeia dans la mesure
où ces régimes s’efforcent de réaliser l’intérêt général de la société
- Par contre, chaque fois qu’il y a recherche d’un intérêt personnel, on se trouve en face
d’une forme de gouvernement condamnable
- Peu importe qu’il s’agisse de la tyrannie, de l’oligarchie ou de la démocratie, elles sont
toutes également mauvaises
- La « république modérée » d’Aristote est donc une sorte d’aristocratie n’ayant pas
dégénérée en un gouvernement de quelque uns comme l’oligarchie
- Elle réalise un « juste milieu » entre démocratie et oligarchie
- Elle correspond à la politeia ou république et est formée d’un mélange harmonieux entre
démocratie et oligarchie
- La liberté est également au cœur des réflexions des Romains sur la république.
- La liberté à Rome se définit comme étant la somme des droits civils garantis par la loi,
elle ne correspond donc pas à un droit inné.
- C’est aussi l’idée du gouvernement des lois qui s’oppose à l’arbitraire du pouvoir
personnel : les Romains fondent donc la république sur la haine de la royauté.
- Cicéron (106-43) a notamment rédigé des traités politique souvent d’inspiration
platonicienne en s’efforçant de dégager l’idéal d’un gouvernement modéré combinant les
avantages de la monarchie, de l’aristocratie et de la démocratie
- Cicéron reste aussi très proche d’Aristote
- Mais il dépasse certaines idées grecques et se place dans un contexte tout autre que celui
de la petite démocratie athénienne.
- Alors que la république romaine (509-27) est en crise, Cicéron publie De republica (54-
51) et De legitibus (vers 52) sur les lois, l’origine du droit et l’organisation du pouvoir.
- Il y définit la philosophie politique de la Rome républicaine.
- Du point de vue de Cicéron en effet, la république renvoie une réalité durable et non à
un type de régime idéal comme pour les Grecs.
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- Il estime que le pouvoir politique doit être exercé dans l’intérêt du peuple par les
magistrats et le sénat
- Cela n’implique donc pas la participation directe du peuple aux affaires de la cité
- D’ailleurs, la république romaine n’est pas démocratique : c’est un régime censitaire
(répartition des citoyens en fonction de leur fortune).
- Dans De republica, Cicéron fait l’éloge de l’engagement au service de la cité
- La république est donc pour Cicéron la « chose de tous » : la « chose publique » est la
« chose du peuple », c’est-à-dire la chose d’un groupe d’hommes associés par leur « adhésion
à une même loi et par une certaine communauté d’intérêts ».
- Ainsi, pour Cicéron, la forme du gouvernement importe peu par rapport à l’existence de
la république.
- Ce qui importe, c’est l’existence d’une cité, d’un peuple organisé et d’un
« gouvernement qui veille sur lui ».
- Comme les Grecs, Cicéron craint la dégénérescence d’un régime et estime nécessaire
de défendre le gouvernement populaire.
- On le voit pour les Grecs et les Romains, la république intéresse l’intérêt commun et ne
renvoie pas à un gouvernement précis.
- Au Moyen Age, la notion res publica n’a pas disparu surtout pour les hommes d’Eglise.
- Les Carolingiens l’emploient volontiers dans la langue administrative.
- Cela est principalement dû à l’idéal du ministerum regis fondé sur le refus de la
conception patrimoniale du pouvoir des royautés barbares et qui repose sur le devoir de
protection générale des sujets par le roi devant s’exercer avec piété et justice.
- La république renvoie donc à la distinction existant en Grèce et à Rome entre sphère
privée de la famille et gestion publique de la cité.
- Au XIIe siècle, la res publica revêt deux significations : le royaume ou bien la
communauté toute entière ; à la fin du XIIe siècle, elle peut signifier aussi certaines collectivités
dotées d’une personnalité morale.
- La res publica ne renvoie que timidement à la notion d’Etat en construction en raison
de la prédominance des termes de royaume et de couronne.
- Avec le XVIe siècle, débute une période de rénovation des idées et de la pensée : La
Réforme et plus tard la philosophie des Lumières ont largement contribué à ce renouveau
- Ces périodes contiennent un certain nombre de réflexions parfois accompagnées de
violence sur la nature du régime de l’Etat et son représentant
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- A la veille de la Révolution de 1789, la république peut être employée comme
synonyme d’Etat.
- Mais plus important, il peut également correspondre à une forme spécifique de régime
politique et se distinguer de la monarchie : cette signification est dominante au XVIIIe siècle.
- En tant que régime politique, la République des Etats-Unis d’Amérique (1787) constitue
la référence en Europe où l’on pensait que la République ne pouvait exister que dans un petit
Etat.
- En France, la République n’est pas réclamée dans les premiers temps de la Révolution
car les Français sont encore attachés à la monarchie.
- Le divorce entre le roi et le peuple ne sera vraiment consommé qu’avec la fuite de Louis
XVI à Varennes en juin 1791.
- La République est proclamée pour la première fois en France qu’en 1792.
- Durant la période révolutionnaire, la République connaitra plusieurs formes de
régimes politiques : Convention, Directoire et Consulat.
- Et même l’Empire ne fait pas disparaître tout de suite la République.
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Première partie
Le concept de république de l’Antiquité à la fin de l’Ancien Régime
Chapitre 1
La République dans l’Antiquité romaine
- Plus que la Grèce, la notion de « république » se rattache à Rome et plus précisément à
l’époque consécutive à l’expulsion des rois étrusques
- Conçue sur la base d’une citoyenneté active mais bornée à une partie de la population
(en sont exclues les femmes, les esclaves et les pérégrins des régions conquises), elle s’incarne
par excellence dans un régime dont les institutions sont élaborées entre 509 et 367 AC
- Sans pouvoir être assimilé à une démocratie, celle-ci est agencée autour de 3 pôles : un
Sénat, instance permanente composée d’anciens magistrats ; des assemblées populaires dont les
comices (assemblées) centuriates, notamment chargées de se prononcer sur les projets de loi ;
des magistrats supérieurs temporaires et responsables
- L’histoire de la République à Rome est celle d’une lutte entre l’aristocratie patricienne
qui s’arroge le pouvoir en 509 par haine de la royauté, et la plèbe composée surtout d’une
population urbaine qui se crée et l’oblige à partager son pouvoir.
- La noblesse des siècles passés prend donc une part active dans la révolution qui a lieu à
Rome en 509.
- Elle crée la constitution républicaine des origines, laquelle est en réalité une oligarchie.
- Elle invente le consulat, qui est une magistrature républicaine, et l’instrument de sa
puissance.
- En 493, éclate une deuxième révolution menée par le peuple urbain qui refuse ce pouvoir
oligarchique.
- Il donne l’exemple d’une organisation populaire, voire démocratique, en se constituant
en commune insurrectionnelle.
- La plèbe romaine qui vit à côté des gentes (grandes familles) et fait partie de la cité, est
née de cette révolution.
- Précisément, en tant que corps constitué, elle naît progressivement aux Ve et IVe siècles
alors qu’elle lutte pour obtenir l’égalité politique.
- Deux Etats se font alors face : l’Etat de droit, Etat oligarchique prétendant représenter
toute la cité et l’Etat de fait, de la plèbe.
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- Les premiers siècles de la République sont l’histoire de ce conflit de ces deux
communautés opposées jusqu’en 367, où il y aura un accord qui partagera le gouvernement de
la cité entre l’oligarchie patricienne et l’oligarchie plébéienne.
Section 1
L’élaboration des institutions de la République consulaire
- La révolution de 509 est une réaction de l’aristocratie patricienne contre le roi : la
république consulaire résulte de cette révolution.
- Le Consulat est bicéphale et annuel.
- Il représente une innovation
- Néanmoins, il reste d’essence monarchique comme le montre les pouvoirs des consuls,
dont la supériorité est d’essence royale : il s’agit de l’imperium consulaire
- L’imperium est une puissance laïque civile et militaire : c’est le pouvoir suprême de
l’Etat
- Les consuls sont des magistrats, ils incarnent l’autorité de l’Etat
- Ils ont le pouvoir d’ordonner et de décider et exercent un pouvoir sans partage (comme
le roi de jadis).
- L’imperium prend deux formes distinctes : l’imperium domi ou civil qui s’exerce dans
la ville et l’imperium militiae ou militaire qui s’exerce en dehors de la ville.
- L’imperium est attribué en deux phases :
- La première fait intervenir le peuple sous la forme d’une loi votée par les comices
curiates qui est une assemblée où le critère d'appartenance était la naissance (cela laisse donc
pleinement s'exercer l'influence des patriciens via leur vaste clientèle).
- Les comices curiates votent la lex curiata de imperio qui n’est que la reconnaissance
civile et préalable accordée par le peuple de l’investiture religieuse.
- Mais le peuple ne choisit pas les magistrats
- Le peuple n’est ni le titulaire, ni le dépositaire de l’imperium : l’intervention du peuple
est donc purement formelle.
- L’investiture religieuse est la véritable source de l’imperium (comme à l’époque
royale) : c’est dans cette seconde phase que l’imperium trouve sa vraie source.
- Ce pouvoir est exercé sans limite.
- La grande rupture entre le consulat et la royauté est que le pouvoir des consuls est
annuel
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- Au début de la République, les consuls sont choisis et nommés par les consuls sortants
avec l’accord du Sénat.
- C’est un système de cooptation qui fait que les consuls sont automatiquement des
sénateurs nobles
- Ainsi, l’aristocratie se réserve la magistrature toute puissante du consulat.
- Le pouvoir de la République consulaire a été en effet confisqué par une nouvelle
noblesse politique, le patriciat républicain.
- Le consulat n’appartient donc qu’à un petit nombre de familles (ce patriciat républicain
subsiste jusqu’au début de l’Empire).
- La République consulaire est en fait et en réalité une oligarchie.
- Le peuple reste étranger à cette République, il ignore de plus les coutumes et le droit
connus uniquement des pontifes (prêtres) et des patriciens.
Section 2
Les institutions de la plèbe face à l’imperium consulaire
- En 493, la plèbe se retire sur l’Aventin (mont sacré situé en dehors de Pomerium) et ne
rentre à Rome qu’après avoir obtenu la signature d’un traité lui accordant le droit d’avoir des
représentants, des défenseurs, en face de la cité et de ses magistrats.
- Ce sont les tribuns de la plèbe (tribuni plebis)
- Ils ne sont ni des prêtres, ni des magistrats, ils n’ont pas l’imperium et ne peuvent pas
convoquer le Sénat
- Ils ont cependant un pouvoir important, celui du droit de veto
- Avec celui-ci, ils peuvent paralyser toute mesure leur paraissant susceptible de nuire à
la plèbe.
- Les tribuns de la plèbe sont élus pour un an.
- De deux en 493, ils sont passés à 4 en 471, à 10 en 457.
- Au départ, leur élection est faite par l’assemblée du peuple, les comices curiates mais
en 471, la plèbe se dote de son assemblée (assemblée de la plèbe ou concilia plebis) organisés
par les tribuns de la plèbe.
- Les conciles de la plèbe ont une fonction électorale pour le choix des tribuns mais aussi
des édiles de la plèbe (Les tribuns ont des auxiliaires : les édiles de la plèbe chargés de la
surveillance des marchés et des distributions de blé à la plèbe en cas de grave disette)
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- Ils ont aussi une fonction législative par le vote des plébiscites : le plébiscite n’oblige
que la plèbe contrairement à la loi qui concerne le populus, soit l’ensemble du peuple
- En 286, avec la loi Hortensia, il est décidé que les plébiscites ont valeur de loi.
- Chaque tribun a autant de pouvoir que les autres et peut donc s’opposer à la décision
d’un autre
- Leur mission est de représenter les intérêts face à l’imperium consulaire : Il représente
donc un élément tendant à équilibrer le pouvoir des magistrats.
- Par le veto, un tribun de la plèbe peut paralyser l’autorité officielle d’un membre de la
République consulaire.
- Il peut suspendre la décision d’un consul prise dans le cadre de l’imperium domi mais il
ne le peut pas pour une décision prise dans la sphère de l’imperium militiae (aucun pouvoir par
exemple sur les soldats enrôlés)
- Ce pouvoir du tribun de la plèbe a permis d’obtenir des concessions pour la plèbe
d’autant qu’au départ, il est inviolable et sacré (la plèbe a juré par serment de conduire à la
mort toute personne, qui ne respecterait pas son organisation et donc ses représentants).
- A partir de 449, le tribunat de la plèbe est devenu légal : Il est donc un véritable contre-
pouvoir à l’imperium des consuls.
- Si la plèbe a voulu s’opposer à l’oligarchie consulaire sur le plan politique, c’est aussi
le cas sur le plan institutionnel.
Section 3
Les conquêtes légales de la plèbe
- Depuis 462, la plèbe réclame des lois écrites fixant l’imperium afin que le droit puisse
être connu de tous et que les limites du pouvoir consulaire soient fixées.
- Le patriciat cède au milieu du Ve siècle et confie à un collège de 10 magistrats
extraordinaires, les décemvirs, le soin de rédiger une constitution et un code juridique.
- Dix tables sont rédigées en 451 et deux en 450 : la loi des douze tables est affichée au
forum sur 12 tables de bronze et a pu ainsi être apprise par cœur par les Romains.
- Le but des législateurs a été de faire triompher l’égalité du droit entre tous les citoyens
et de remplacer le droit coutumier par un droit écrit.
- La loi des douze tables est la première loi votée par les comices centuriates (assemblée
composée de patriciens et de plébéiens).
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- Ce texte donne à l’assemblée une fonction législative : les comices centuriates sont ainsi
entrées dans le « jeu constitutionnel républicain »
- Trois lois vont donner à la constitution romaine sa nature patricio-plébéienne.
- En ce qui concerne les institutions proprement dites, en 449, la loi Valeria Horatia
consacre l’efficacité de la puissance tribunicienne (inviolabilité des tribuns de la plèbe) et
reconnaît une autorité officielle aux plébiscites, c’est-à-dire aux décisions des concilia plebis.
- Puis, en 286, la loi Hortensia donne aux plébiscites force de loi
- La plèbe se mobilise ensuite pour avoir accès au consulat
- Elle l’obtient en 367 par le compromis licino-sextien (3e loi) accepté par le Sénat : Un
consul sur deux désormais pourra être plébéien
- Le principe du partage est respecté jusqu’en 356 et reprend en 343 (Entre 356 et 342,
les patriciens ont essayé de rompre avec ce principe) ; en 172, deux consuls plébéiens sont élus.
- La plèbe a donc peu à peu conquis l’accès à toutes les charges importantes de l’Etat.
- Le gouvernement est aux mains d’une aristocratie la « nobilitas » (caractère
oligarchique des magistratures et du gouvernement) constituée à la fois par les familles
patriciennes et plébéiennes.
Section 4
Les organes du gouvernement républicain
- Les magistratures sont l’élément le plus important dans la République romaine ;
Viennent ensuite le sénat puis le peuple.
Les magistratures :
- 2 pouvoirs caractérisent les magistratures romaines : la potestas et l’imperium
- Les magistrats inférieurs (questeurs, édiles) n’ont que la première, les magistrats
supérieurs (préteurs, consuls, dictateurs) ont à la fois la potestas et l’imperium
- La potestas désigne de façon générale toute forme d’autorité reconnue par le droit à une
personne sur une autre personne ou sur des biens
- La potestas implique la capacité d’exprimer la volonté de la cité sous la forme de
prescriptions qui seront obligatoires pendant la durée des fonctions du magistrat et la possibilité
d’exercer un certain pouvoir de contrainte qui lui permet d’assurer l’observation de ses
prescriptions
- Trois principes dominent l’organisation des magistratures : l’annalité, la
collégialité et la responsabilité
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- Afin de se prémunir contre l’abus d’autorité des magistrats, la république romaine a
étroitement mesuré la durée de leur fonction : celle-ci est en principe annuelle
- L’autre trait des magistratures romaines est la collégialité dans un souci d’éviter que la
concentration de trop de pouvoirs en une même main ne prépare la voie à la tyrannie
- Enfin, pendant leur magistrature, les magistrats ne peuvent pas être critiqués ; à la fin
de celle-ci, ils doivent jurer qu’ils n’ont rien fait de contraire aux lois
- Ils doivent rendre des comptes et peuvent être jugés par le Sénat même si cette
responsabilité est assez théorique puisque le Sénat est lui-même composé d’anciens magistrats
- Remarque sur la dictature qui est aussi une magistrature
- C’est une création de la République : Le dictateur arrive au pouvoir en cas de péril
militaire ou de révolution
- La dictature est fréquente aux Ve et IVe siècles et disparaît au IIIe siècle lors des guerres
puniques (entre Rome et Carthage).
- Elle ne réapparaît qu’avec Sylla et César pour être officiellement abolie en 44 avant JC.
(Cicéron est à l’origine de la loi d’abolition de la dictature).
- Le dictateur est nommé pour 6 mois seulement par les consuls sur proposition du sénat
- Il est investi du pouvoir par les comices curiates
- Il dispose de l’imperium lui permettant d’exercer seul le pouvoir dans le domaine civil.
- Le maître de cavalerie, son subordonné nommé par lui, s’occupe des affaires militaires
- Le dictateur a en fait l’imperium des deux consuls ; Son pouvoir ne supprime pas les
autres magistratures qui néanmoins doivent lui obéir.
Le Sénat républicain :
- Le caractère aristocratique et oligarchique de la cité républicaine n’apparaît pas
seulement dans les magistratures, il ressort aussi de la structure et du rôle du Sénat, second
élément de la constitution républicaine
- Le Sénat est directement issu de la Rome royale.
- Les sénateurs sont 600 à l’époque de la République contre 300 sous la royauté
- Les sénateurs ont d’abord été nommés par les consuls, puis par les censeurs (ils
procèdent au classement des individus et établissent leurs fortunes).
- Au départ, le Sénat est aux mains du patriciat (patres) mais à partir du IIe siècle, la
majorité des sénateurs est d’origine plébéienne (conscripti).
- Le Sénat n’a aucune souveraineté et ne peut pas se réunir de sa propre initiative.
- Il doit être appelé par un magistrat disposant de l’imperium
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- Si le Sénat n’a en principe aucun pouvoir de décision, la tradition romaine depuis
l’époque royale, est que toute décision est prise en conseil.
- De ce fait, jadis, conseil du roi, le Sénat est devenu conseil de la République.
- Le Sénat surveille la gestion des biens de l’Etat, il lève les troupes, reçoit les
ambassadeurs et à cette occasion, il représente l’Etat romain, il négocie les traités, organise les
pays conquis et les attribue aux magistrats
- Enfin, le Sénat peut inciter les magistrats à prendre telle ou telle décision qu’il juge
utile.
- Le Sénat ratifie également les décisions des assemblées, les lois, les élections des
magistrats, les sentences judiciaires.
- A l’origine, seules les concilia plebis lui échappent.
- Le contrôle exercé par le Sénat s’appelle l’auctoritas patrum (autorité des sénateurs),
il se manifeste dans ses décisions les senatus-consulte (opinion majoritaire du Sénat,
expression de son auctoritas).
- Donc avec l’auctoritas patrum, le Sénat rend une décision sur le fond de l’acte et lui
donne une puissance juridique
Les assemblées populaires de la République :
- Ce sont des organes de gouvernement direct.
- Le peuple n’est pas un élément inorganisé et le populus est divisé en différentes unités
- Celles-ci sont à la base de la spécificité des assemblées même si chacune des assemblées
représente le peuple dans son ensemble.
- Les comices curiates existaient à l’époque royale et lui ont survécu.
- C’est une assemblée de patriciens où les plébéiens ne sont pas admis jusqu’au IIIe siècle.
- Mais à partir de cette époque, les comices curiates n’ont plus aucun intérêt pratique :
Elles ne votent que quelques actes rituels comme celui d’investir les magistrats de l’imperium.
- Les comices centuriates datent aussi de l’époque royale.
- Patriciens et plébéiens se rencontrent dans cette assemblée
- Elles constituent donc l’assemblée du peuple romain par excellence
- Les citoyens y sont répartis en fonction de leur fortune
- Les comices centuriates élisent tous les magistrats supérieurs, votent les lois, rendent la
justice, votent la guerre sur proposition du sénat et ratifient les traités de paix.
- Les comices tributes datent de 350
- Patriciens et plébéiens s’y réunissent
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- Elles ont les mêmes attributions que les comices centuriates sauf que les citoyens y sont
répartis selon leur domicile.
- Les conciles de la plèbe datent de 493.
- Elles élisent les magistrats de la plèbe et votent les plébiscites.
- Les assemblées du peuple doivent être convoquées par un magistrat.
- Les séances sont peu nombreuses.
- Elles ne décident pas de leur ordre du jour et n’ont pas de pouvoir d’initiative
- Aucun citoyen n’y prend la parole
- La tribune de l’assemblée est réservée au magistrat entouré de son conseil et de
sénateurs.
- L’assemblée ne peut répondre que par oui ou non aux questions posées par le magistrat
présidant l’assemblée.
- Le vote est oral et public
- Chaque citoyen s’avance à tour de rôle devant le rogator (l’interrogateur officiel) et lui
déclare son intention.
- Ce système est source de multiples pressions (pression du patron sur ses clients).
- Au cours de la deuxième moitié du IIe siècle, trois lois (qui sont en réalité des
plébiscites) imposent le secret du vote (139 : secret pour les élections ; 137, secret pour la
juridiction ; 131, secret pour la législation).
- Si le vote ne donne pas le résultat attendu, le magistrat présidant l’assemblée peut
ajourner la réunion de l’assemblée.
- Donc, la volonté du peuple ne devient exécutoire que si le magistrat présidant
l’assemblée l’a décidé.
- Pour conclure sur la République romaine :
- Les Romains ont élaboré une constitution mixte
- Elle conserve bon nombre de notions héritées de l’autorité royale, mais elle les a limitées
- Ainsi, elle a conservé les magistratures et le Sénat, mais elle a admis le contrepoids des
assemblées populaires.
- Toutefois, cette constitution n’est mixte qu’en apparence.
- Au Ve siècle, elle est nettement aristocratique
- Du V au IIe siècle, avec la lutte de la plèbe, elle devient oligarchique car le pouvoir reste
aux mains d’une minorité, la nobilitas patricio-plébéienne
- L’influence, la fortune, le prestige social réservent à quelques milliers de Romains la
direction de la masse des citoyens bien que les citoyens soient en principe égaux.
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- Pourtant, en face de cette réalité politique, la souveraineté du peuple est affirmée et
personnifie l’Etat, la res publica.
- Mais la fin de la République est ponctuée d’actes commis en violation de la
constitution et connaît de nombreux coups d’Etat.
- La fin de la République est notamment marquée par la dictature de César qui n’a aucun
lien avec la dictature républicaine : C’est une monarchie sans le titre
- César porte le titre d’imperator et établit le principe du gouvernement personnel.
- Il est assassiné en 44 et remplacé par Marc Antoine élu consul la même année
- Puis ce dernier s’entend avec Octave et Lépide pour constituer une magistrature
extraordinaire appelée triumvirat et tous trois se partagent le monde (A Octave l’Occident, à
Lépide, l’Afrique et à Antoine, l’Orient).
- A la suite de la bataille d’Actium en 31 gagnée par Octave sur Antoine, l’Egypte est
annexée à l’Empire et Octave devient le seul maître.
- Octave fonde un Empire qui durera parce qu’il saura donner l’illusion de rétablir
la République dans le respect des institutions.
- Il refuse le plus souvent d’être assimilé à un monarque, au contraire, il est un guide qui
se dévoue pour la République
- Mais c’est en fait la fin de la République car progressivement, les assemblées populaires
ne représentent plus rien, le sénat non plus.
- Le 13 janvier 27, Octave propose habilement d’abandonner ses pouvoirs et les remet
au sénat.
- Celui-ci le prie de les reprendre et il accepte
- Ainsi, Octave a en apparence reçu l’approbation du sénat et du peuple conformément au
régime républicain.
- C’est donc une transition souple entre le régime républicain et l’Empire
- Le 16 janvier 27, il reçoit du Sénat le titre d’Augustus et l’auctoritas (autorité
supérieure aux autres)
- Le pouvoir d’Auguste repose sur deux attributs, la puissance tribunicienne à vie et
l’imperium proconsulaire (qui donne le pouvoir de commandement sur tout l’Empire) sans
limite dans le temps et dans l’espace).
- Il s’agit de pouvoirs traditionnels de type républicain
- Mais deux choses sont nouvelles : la dissolution du pouvoir de la personne de son
titulaire habituel : Auguste a la puissance tribunicienne sans être tribun et il a le pouvoir
proconsulaire sans être proconsul
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- En outre, ces deux pouvoirs sont détenus à vie par une seule personne.
- C’est en cela que consiste la transformation du régime républicain en régime impérial.
Chapitre 2
L’idée républicaine au Moyen Age
- Pendant le haut Moyen Age, l’expression de res publica est occultée mais ne disparaît
pas complètement.
- Elle demeure dans le vocabulaire des hommes d’Eglise.
- Saint-Augustin (354-430) considère déjà qu’un gouvernement fondé sur l’injustice
s’oppose à la République.
- Pour lui, cette justice se trouve dans la république « dont le Christ est le fondateur et le
gouverneur ».
- De fait, là où il n’y a pas de justice, il n’y a pas de république.
- Les Mérovingiens (5e-7e siècle, première dynastie franque) utilisent très peu le terme
de république.
- Ces derniers ont une conception personnelle du pouvoir.
- Celui-ci réside dans la personne d’un chef régnant sur ses sujets
- Le roi mérovingien s’intitule roi des Francs.
- Ce roi est obéi non pas parce qu’il gère la res publica mais parce qu’on le reconnaît
comme chef et que l’on s’est engagé envers lui par serment
- Le pouvoir et le royaume sont assimilés à un patrimoine privé.
- D’ailleurs, la transmission du pouvoir royal s’effectue comme celle d’un patrimoine
ordinaire, c’est-à-dire au moyen de la transmission héréditaire.
- Le mot république réapparait avec les Carolingiens, notamment avec l’avènement
de Louis le Pieux (778-840) comme empereur.
- L’expression apparaît d’abord dans les documents officiels, signe qu’une volonté
politique au plus haut niveau a présidé à sa réhabilitation
- C’est le signe que cette réhabilitation est bien liée au retour de l’idée impériale en
Occident : celle-ci a brisé le monopole de l’empereur byzantin comme gestionnaire de la res
publica et a donné à la royauté franque la conscience qu’elle gérait elle-même sa part de « chose
publique »,
- Au temps de Charles le Chauve (823-877), res publica demeure très employée dans les
actes officiels, signe que le mot a finalement survécu au déclin de l’idée d’Empire
16
- Elle fait notamment irruption dans les œuvres littéraires du temps dans des formules
manifestement empruntées par les lettrés carolingiens à de grands auteurs romains qui
permettent de cerner le sens que lui assignent les hommes du IXe siècle
- La formule romaine « princeps rei publicae » (prince de la république) réapparaît au
profit du roi carolingien
- Les comtes, serviteurs ou ministres dénommés « ministri rei publicae » en sont les
administrateurs
- Cette expression est significative de la volonté de ceux qui l’utilisent de présenter les
agents royaux comme dépositaires d’une fonction de service dans l’intérêt du peuple, comme
gestionnaire de l’intérêt général
- S’ils sont « dirigés par le roi », ils sont d’abord au service de la res publica
- Celle-ci est donc bien au IXe siècle comme dans la Rome antique, cette entité supérieure
à la personne de ses gouvernants et administrateurs, à la prospérité de laquelle tous doivent
œuvrer
- Cette résurgence terminologique est aussi intimement liée au refus de la conception
patrimoniale du pouvoir des royautés barbares
- Le roi exerce un ministère, il a la charge de la res publica et la finalité de sa fonction
demeure le bien commun de ses sujets
- Son ministère lui commande d’agir dans l’intérêt collectif, de conduire le peuple
chrétien vers son salut et protéger l’Eglise et les faibles
- De ce fait, la res publica est comprise comme étant porteuse d’une double exigence de
primauté de l’utilité commune sur les intérêts égoïstes des gouvernants, et de distanciation entre
le principe d’autorité et la personne exerçant cette autorité
- La res publica peut donc convenir à l’Empire conçu comme une sorte de cité de Dieu
dans laquelle l’Eglise et l’Etat semblent ne former qu’un seul tout
- Dès lors, le gouvernement carolingien est un régime théocratique qui ne sépare
plus le domaine politique du domaine religieux
- Il faut rappeler que Pépin le Bref, qui a évincé le dernier roi mérovingien Childéric III,
se fait sacrer deux fois en 751 à Soissons par le légat du pape Boniface, puis en 754 à Saint-
Denis par le pape Etienne II
- Le sacre donne au roi un rayonnement spirituel car il reçoit la caution de l’Eglise et de
la papauté.
- Le roi carolingien a une légitimité nouvelle, celle d’être l’élu de Dieu dont il devient le
mandataire : Il ne peut donc plus exercer le pouvoir dans son intérêt personnel.
17
- A l’époque capétienne, le terme res publica persiste mais son emploi est fonction de la
situation politique du roi capétien.
- Il est rare en période de crise (première moitié du Xe siècle, deuxième moitié du XIe
siècle).
- Les sujets restent attachés à la conception archaïque du pouvoir basée sur l’existence
d’un lien bilatéral entre un vassal et son seigneur.
- Or, la vassalité représente le contraire de la politique d’autorité publique.
- Lors de la chute de la dynastie carolingienne, l’autorité publique s’est disloquée, parfois
même elle s’est émiettée
- Cela s’est produit au cours des Xe et XIe siècles et en plusieurs étapes : du niveau du
roi et du cadre du royaume, elle est tombée au niveau des princes territoriaux dans le cadre des
principautés territoriales ; puis au dernier degré de chute, elle se situe au niveau des seigneurs
dans le cadre de la seigneurie qui ont usurpé les prérogatives régaliennes
- L’installation de la féodalité entraîne l’effondrement de l’autorité royale.
- Jusque vers le milieu du XIIe siècle, la coutume règne sans partage et il y a une absence
quasi-totale de législation royale.
- A partir du milieu du milieu de la deuxième moitié du XIIe siècle, la coutume perd son
monopole en raison de la renaissance du droit romain (les légistes s’en sont inspirés pour
développer les prérogatives royales) et de la réapparition d’une législation royale mais il
faudra attendre le XIIIe siècle pour que se développe une véritable législation royale qui
marque la renaissance du pouvoir royal.
- Aux intérêts des seigneurs considérés à bien des égards comme particuliers, les juristes
royaux opposent celui supérieur du royaume : l’intérêt public dont le roi, dans la plénitude
retrouvée de sa fonction, se voudrait l’unique interprète et gardien, le seul juge et dépositaire
suprême
- La notion met en exergue la dimension publique de l’activité royale et contribue à libérer
la royauté de la féodalité.
- Incontestablement, le droit romain a joué un rôle fondamental dans la résurgence du
phénomène étatique.
- Mais si les jurisconsultes emploient le terme de res publica pour désigner l’Etat en
gestation, la res publica n’a forcément pas le sens précis du mot Etat dans les deux derniers
siècles du Moyen Age.
- En effet, les mots de royaume ou de couronne sont préférés à celui de res publica.
18
- Dès le XIIe siècle, la couronne en vient progressivement à être considérée comme le
siège abstrait et permanent du pouvoir, déterminant ainsi les prérogatives du souverain
- Avec l’affirmation des lois fondamentales, la couronne acquiert « une personnalité
juridique distincte de son titulaire ».
- Ces principes statutaires se sont dégagés dès le début de la dynastie capétienne sans
plan ni idéologie préconçus, de façon toute pragmatique sous la seule inspiration des
évènements
- Faits naturels, crises politiques ou nécessités, ces évènements ont permis d’ériger
progressivement en coutumes certains principes qui ont donné à la Couronne son statut
- Ces normes supérieures font de la Couronne une réalité de droit public à l’abri de
l’arbitraire du prince (hérédité qui s’est peu à peu substituée au système électif, primogéniture
qui enracine au profit du fils ainé l’indivisibilité du royaume)
- De la même façon, avec le sacre d’Henri II en 1547, la remise de l’anneau au roi au
cours de la cérémonie suggère aux juristes l’idée que le roi devient l’époux de la respublica et
reçoit en dot le domaine.
- Cette métaphore du mariage du roi et de la couronne permet de transposer au domaine
la règle de l’inaliénabilité dotale du droit romain.
- Cette fiction mystique annonce l’avènement du statut de l’inaliénabilité du domaine
(Edit de Moulins de 1566).
Chapitre 3
La république, un concept pluriel (XVIe-XVIIe siècles)
- L’engouement pour l’Antiquité qui caractérise la Renaissance est à l’origine du
prodigieux succès au XVIe siècle du mot République.
- Dans l’Antiquité romaine, la République renvoie au régime ayant succédé à celui des
rois étrusques et à la notion de chose publique.
- Cette dualité de sens réapparaît au XVIe siècle avec Machiavel (1469-1527) et Bodin
(1530-1596).
- Elle débouche sur la conceptualisation d’un Etat moderne qui conforte dans un premier
temps le pouvoir royal
- Au départ, au début du XVIe, la République désigne une communauté subordonnée,
composée d’hommes ayant des intérêts communs, réunis sous l’autorité du prince
19
- Mais à l’heure des premiers conflits religieux, le développement d’un courant critique
vis-à-vis d’une royauté potentiellement tyrannique provoque l’autonomie du concept de
république qui commence à être défini en dehors de toute référence à la monarchie
- Les monarchomaques (libellistes s’opposant à l’absolutisme royal à la fin du XVIe)
vont plus loin en dotant la république, vue comme la chose publique, de droits politiques
supérieurs.
- En la dissociant, voire en l’opposant au roi, ils l’érigent en concept autonome
Section 1
Machiavel et la reformulation des idéaux républicains
- Machiavel a renouvelé les théories sur la république dans ses Discours sur la première
décade de Tite-Live (1513-1520 environ), dans L’Art de la guerre (1521) et surtout dans
Histoires florentines (1525).
- Dans un premier temps, Machiavel refuse l’idée de l’origine divine du pouvoir
- Il tranche en cela avec la pensée du Moyen Age et souhaite dégager la politique de
l’emprise des théologiens en supprimant l’image d’un prince élu de Dieu agissant pour le bien
de ses sujets sans limite.
- Et puisque Dieu ne légitime plus le prince, le citoyen peut, estime-t-il, ne pas se
soumettre de manière inconditionnelle à son autorité.
- Chez Machiavel, le mot République désigne l’Etat, même s’il songe à un Etat
gouverné collégialement par opposition à un gouvernement dirigé par un prince.
- Il préfère la république à la monarchie
- Il la juge en effet « plus forte, plus durable, plus sage et plus souple que toute forme de
monarchie »
- Il la juge également plus conforme « à la nature de la cité »
- Il ne songe toutefois pas à laisser l’exercice du gouvernement au peuple qui détient
cependant la souveraineté
- Il estime que l’autorité doit venir de l’élection d’une ou deux personnes devant remplir
des fonctions strictement déterminées par un cadre constitutionnel.
- Mais le pouvoir doit être limité et contrôlé, notamment par le peuple et l’aristocratie.
- Machiavel songe donc à un régime mixte et prône un « régime populaire, administré
par un vigoureux pouvoir central assisté d’une organisation fortement hiérarchisée ».
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- Cependant, il estime que la République ne peut convenir qu’aux petits Etats : il constate
que les grands Etats ont toujours un régime monarchique tandis que la République n’est
effective que dans les cités italiennes.
- Machiavel donne aussi un contenu idéologique à la République
- Il met en évidence un esprit républicain, soucieux de l’intérêt collectif qui seul fait la
puissance d’un Etat
- Dans une République, l’intérêt général tend à s’y confondre avec l’intérêt populaire,
assure-t-il.
- Machiavel explique aussi que la satisfaction de la multitude ne peut s’exercer que si
l’esprit républicain s’organise autour de la valeur principale qu’est la liberté
- C’est la liberté qui contribue à la prospérité d’un Etat et elle suppose la sécurité, propice
à toute activité, et la participation aux affaires de la cité, sinon de tous, du moins de ceux qui
s’avèrent les plus dignes, les plus vertueux.
- La liberté est enfin intimement liée à l’égalité qui place tous les citoyens sur le même
plan face à la loi, ce qui leur permet d’être libres
- Dès lors l’inégalité ne peut plus être réputée naturelle, elle ne peut être que sociale, liées
aux différences d’esprit ou aux différences de fortune.
Section 2
République et guerres de religion
- La république, ordre légal et ordre civil :
- A partir de 1560, dans la période de troubles que connaît la France, le respect
inconditionnel des lois devient une exigence aiguë de la paix civile ; Seul le respect des lois
peut éviter la « destruction des royaumes, républiques et communautés ».
- C’est le moment du déclenchement des guerres de religions qui ruine le pays.
- La Réforme protestante, amorcée au XVIe siècle, est en principe cantonnée au domaine
de la religion, mais elle allait nécessairement avoir des conséquences politiques et alimenter le
débat institutionnel dans un régime où le pouvoir politique repose largement sur le fondement
divin
- Elle est le point de départ d’un conflit d’une violence extrême qui conduit les rois de
France à réprimer sévèrement les hérétiques provoquant une controverse explosive sur le
fondement du pouvoir
21
- Beaucoup considèrent que la diversité des croyances n’est pas acceptable pour la
survie de la république
- Michel de l’Hospital (1505-1573), considère que cette sédition a pour origine
l’ambition démesurée de quelques-uns au caractère peu civil qui profitent du différend religieux
- Pour y répondre, il est nécessaire que tous reprennent conscience de ce qu’un royaume
ou une république (tous deux sont synonymes) est un ensemble organique uni par une même foi
dépendant exclusivement du souverain et entièrement soumis à ces lois : il est donc impératif
que l’ordre civil prenne le pas sur les problèmes religieux : « Le fondement d’une République
est de n’y avoir qu’une religion »
- Etienne de La Boétie (1530-1563) abonde dans le même sens
- Convaincu que la coexistence de deux religions entraînerait la création de « deux
diverses républiques opposées de front l’une à l’autre », il refuse d’envisager durablement cette
hypothèse
- L’admettre conduirait à la destruction de la communauté de vie et de destin qui
rassemble les Français, ce qui semble déjà se réaliser en 1561-1562
- Selon lui, les 2 factions manifestent vis-à-vis des magistrats royaux une défiance
préjudiciable à l’autorité du roi et attentatoire aux intérêts nationaux
- Loin de promouvoir la tolérance, il défend l’idéal d’un catholicisme réformé, purgé des
travers apportés par le temps et la corruption mais se révèle franchement hostile au
protestantisme
- Tout autre est la thèse d’Etienne Pasquier (1528-1615) dans son Exhortation aux
princes et seigneurs du Conseil privé du roi pour obvier aux séditions qui semblent nous
menacer pour le fait de la religion (1561) qui songe au contraire que seule une politique de
tolérance est à même de maintenir la cohésion de la république menacée, d’abord par
l’apparition de deux factions puis ébranlée par la guerre civile.
- L’histoire proche ou ancienne montre que deux religions ont pu subsister pacifiquement
dans des républiques bien ordonnées, c’est à dire dans lesquels le Prince n’incline ni vers l’une
ni vers l’autre
- Le pouvoir se doit donc d’être indifférent aux croyances ne contrariant pas ses buts
même s’il peut condamner le prosélytisme (ceux qui cherchent de nouveaux adhérents à leur
foi) générateur de conflits.
- Ces réflexions de Pasquier annoncent la solution de l’Edit de Nantes de 1598.
- Elles dénotent une vision particulière de la république perçue comme un espace
politique soumis à un pouvoir en voie de laïcisation, prenant ses distances avec la religion.
22
- La république vue par les monarchomaques :
- Les monarchomaques étaient des libellistes (opposants) qui s'élevaient contre
l’absolutisme royal qui s'établit à la fin du XVIe siècle, en Europe occidentale.
- Ils furent actifs au cours de la deuxième moitié du XVIe et du début du XVIIe.
- Les premiers auteurs monarchomaques émergèrent dans le camp protestant en France
après les massacres de la Saint-Barthélemy : François Hotman, Théodore de Bèze.
- Les thèses monarchomaques furent ensuite reprises par des auteurs catholiques de la
Ligue quand Henri de Navarre (le futur Henri IV) devint l'héritier présomptif du trône de France
à la mort de François d’Alençon frère du roi Henri III en 1584.
- Le principal auteur monarchomaque catholique fut le théologien Jean Boucher
- Jusqu’au début des guerres de religion, la république est assujettie au roi comme le corps
l’est à la tête ou la femme au mari.
- Avec les monarchomaques protestants et catholiques, les choses changent radicalement.
- Malgré leurs divergences doctrinales, les monarchomaques s’entendent sur un point :
le non-respect par le prince des normes suprêmes appelle une sanction en raison de l’idée selon
laquelle le roi n’est qu’un magistrat investi contractuellement d’une mission précise et
impérative.
- C’est donc bien fini de l’union mystique indissoluble du princeps et de la respublica.
- Désormais, le pacte qui remplace cette union mystique est souscrit à l’avantage
imprescriptible de la communauté des sujets-citoyens.
- Les monarchomaques protestants et ligueurs vont en tirer les plus larges conséquences.
- La contribution des monarchomaques protestants :
- L’affirmation des droits politiques de la république s’inscrit dans une logique
« contractualiste ».
- Elle découle des écrits de François Hotman (1524-1590), de Théodore de Bèze (1519-
1605).
- Pour eux, le roi et le peuple sont liés par un contrat synallagmatique.
- François Hotman écrit à ce sujet que « ce sont des choses relatives et enchaînées l’une
avec l’autre par un respect mutuel et obligation réciproque, que le roi et son royaume » (Franco-
Gallia, 1573).
- En cas de manquement aux obligations prévues, l’éventualité d’une sanction est admise.
- Hotman est le premier à doter la république de droits politiques : Il assimile la
république au royaume ou au peuple et la conçoit comme une entité qui demeure alors que les
souverains passent.
23
- Cette idée de continuité de la communauté affermit la distinction entre le roi et le
royaume.
- Aussi, affirme-t-il que le peuple peut exister sans roi, alors que celui-ci ne pourrait pas
être en l’absence d’un peuple.
- Théodore de Bèze écrit la même chose en assurant que « les peuples ne sont pas créés
pour les magistrats mais au contraire les magistrats pour les peuples ». (Droit des magistrats,
1574).
- Ces deux auteurs ont été profondément marqués par le massacre sanglant de la Saint-
Barthélemy qui montre qu’un homme seul ayant tous les pouvoirs peut mal faire.
- Pour eux, au moment de la Saint-Barthélemy, le roi s’est comporté en tyran.
- Donc, pour eux, il faut revenir au système politique originel, inscrit dans le caractère
des Francs.
- Hotman croit trouver dans l’étude de leur histoire l’idée d’un profond attachement à la
liberté les conduisant à rejeter la domination d’un roi ou d’une royauté.
- Cette volonté de liberté a conduit au plan institutionnel à obtenir la possibilité d’élire et
de déposer leurs rois.
- Fondé abusivement sur la loi salique (l'expression désigne les règles de succession au
trône de France fondées sur le principe de masculinité qui écarte les femmes du trône et sur le
principe de primogéniture qui désigne le premier né comme héritier de la Couronne), le droit
héréditaire qui sera invoqué plus tard en faveur d’Henri de Navarre doit céder devant le droit
de la république, sans pour autant disparaître.
- Il existe certes une préférence en faveur des héritiers du défunt mais il est toujours
loisible de choisir un roi dans une autre lignée
- A l’inverse, si le peuple fait le roi, il peut le renverser en cas de dérive absolutiste ou
tyrannique.
- A propos des Francs, Hotman explique lorsqu’ils élisaient leurs rois, ce n’était pas pour
qu’ils se transforment en tyrans, mais pour être des gouverneurs, des gardiens et des défenseurs
de la liberté.
- Théodore de Bèze développe les mêmes thèses et est favorable à une monarchie
combinant les principes électif et héréditaire ; l’élection devant servir à exprimer la
souveraineté de l’ensemble du peuple.
- Tous les monarchomaques protestants s’entendent sur un autre point : jamais le
peuple n’a conféré au prince une autorité absolue.
24
- D’ailleurs, pour Hotman, la fonction royale est limitée et contrôlée dans son exercice
par l’assemblée des états, les Etats généraux (réunissent les trois ordres, noblesse, clergé et
Tiers-Etat) qui sont la véritable incarnation de la république et d’un peuple organisé
- En tant que tels, ses membres se posent en concurrents du roi puisqu’ils sont les
« patrons et tuteurs de la chose publique »
- Il y voit au final la combinaison de l’élément monarchique, l’élément aristocratique et
l’élément populaire, selon une formule qui renvoie à la structure du régime mixte.
- Il en résulte que la préservation des libertés — sous l’Ancien Régime, on appelait
libertés, les privilèges — la neutralisation de l’arbitraire, voire la résistance à l’oppression
passent par la reconnaissance de droits politiques collectifs.
- Ceux-ci sont exercés, pour la république et en son nom, par une instance représentative
dont l’existence et les prérogatives sont d’ordre constitutionnel.
- Cette instance représentative institue et peut destituer le roi.
- Elle est aussi concernée par « toute l’administration politique du royaume », à savoir la
législation et la nomination des agents publics.
- Les Etats généraux se voient donc reconnaître par les monarchomaques protestants, la
possibilité d’exprimer, de manière autonome, la volonté collective de la république-universitas
dont ils sont les interprètes privilégiés.
- Dans un tel système, le roi n’intervient plus que selon une délégation de pouvoirs
révocable.
- Aussi, n’a-t-il plus qu’un rôle subalterne d’exécution.
- Il s’efface devant la communauté politique et ses représentants qui sont les véritables
détenteurs du pouvoir constitutif et les seuls maîtres du gouvernement.
- Les monarchomaques protestants retrouvent le lien établi par Cicéron entre république
et res-populi.
- Celle-ci, la chose du peuple, se matérialise à travers les Etats généraux.
- Et ils insistent sur le caractère imprescriptible des droits des peuples.
- Mais, attention, comme l’écrit bien Hotman, les monarchomaques ne songent pas à un
régime démocratique : Les protestants se méfient du peuple, à cette époque royaliste et plutôt
catholique.
- L’apport de la Ligue :
- La Ligue catholique, la Sainte Ligue ou la Sainte Union est le nom donné au parti
ultra-catholique qui se forme en 1570 et qui a pour but d’extirper définitivement le
protestantisme de France
25
- Les ligueurs réussissent à imposer au roi le principe de catholicité et énoncent à cette
occasion la prépondérance des Etats généraux.
- Eux seuls peuvent déterminer et abroger les règles de valeur constitutionnelle
- Ils peuvent aussi déposer le roi s’il contrevenait à la loi de catholicité.
- Rappel : Au lendemain de la disparition d’Henri III en 1589, le successeur désigné ne
pouvait être qu’Henri de Navarre
- Etant de religion réformée, chef du parti protestant et excommunié par le pape en 1585,
son ascension à la royauté ne pouvait que soulever l’opposition farouche des catholiques, et
plus particulièrement des Ligueurs.
- Voulant parer à une telle situation, et dominant Henri III, les ligueurs l’avaient donc
conduit dès 1588 à promulguer, avec l’appui des Etats généraux, un édit d’union posant la règle
selon laquelle le roi devait obligatoirement être catholique.
- Ainsi, s’est affirmé le principe de catholicité.
- Les Etats généraux de Blois de 1588 ont ratifié cet édit et lui ont donné une valeur de
loi fondamentale.
- Rappel sur les lois fondamentales : ce sont des principes statutaires qui se sont dégagés
dès le début de dynastie franque le plus souvent à l’occasion de crise politique ; ces évènements
ont permis d’ériger en coutumes certains principes qui ont donné à la Couronne son statut : ces
normes supérieures font de la Couronne une réalité de droit public à l’abri de l’arbitraire du
prince (principe d’hérédité, principe de masculinité, principe d’indisponibilité du royaume)
- Henri III assassiné en 1589 par le moine fanatique Jacques Clément, les ligueurs se sont
appuyés sur cet édit pour contester la légitimité d’Henri de Navarre et ils ont affirmé que la
règle de catholicité devait l’emporter sur celle de primogéniture.
- Ils ont d’ailleurs déclaré le trône vacant et désigné le cardinal de Bourbon, oncle paternel
d’Henri III et archevêque de Rouen.
- Mort en 1590 avant d’avoir pu être sacré, la question revenait en pleine actualité.
- En janvier 1593, le duc de Mayenne qui avait reçu le titre de lieutenant général du
royaume, convoque les Etats généraux.
- Les ligueurs tentent de leur imposer la fille de Philippe II d’Espagne, l’infante claire-
Isabelle qui, par sa mère Elisabeth de Valois, était la petite fille du roi Henri II.
- Le principe de masculinité risquait d’être violé et le royaume pouvait tomber en mains
étrangères.
26
- Les Etats généraux ont rejeté l’initiative des ligueurs tandis que le parlement a confirmé
cette décision par l’arrêt Lemaistre de juin 1593 en affirmant qu’il était hors de question que
sous prétexte de religion, un prince étranger monte sur le trône de France.
- S’il prend acte de l’existence parmi les lois fondamentales du principe de catholicité, il
estime que celui-ci ne doit pas conduire à écarter les autres formés par la coutume et établissant
les règles de la transmission de la couronne.
- Avant de monter sur le trône, Henri IV abjurera la religion protestante et montera sur le
trône en tant que roi catholique, comme ses prédécesseurs et ses successeurs.
- L’avènement d’Henri IV sur le trône, et l’assassinat du duc de Guise en 1588, chef
du parti catholique transforme les protestants en loyalistes et les ligueurs en rebelles.
- Aussi, les ligueurs complètent-ils les anciennes théories des monarchomaques
protestants en invoquant le tyrannicide pour justifier l’assassinat d’Henri III par Jacques
Clément (Le moine fanatique n’avait pas supporté qu’Henri III cherche à s’entendre avec
Henri de Navarre et accepte l’idée qu’il lui succède)
- Ils ne changent rien à leur perception de la république qu’ils préfèrent cependant appeler
« Etat ».
- Pour Jean Boucher (1551-1646), comme pour Guillaume Rose (1542-1602), la
république des catholiques ressemble fort à celle des protestants.
- Elle s’identifie, elle aussi, à la chose du peuple.
- Elle est définie comme une communauté naturelle et originelle d’hommes libres, le
peuple (la république) possède des droits politiques primordiaux.
- De ce fait, la république établit les rois, leur survit, et peut se passer de l’institution
monarchique.
- Le pouvoir royal ne vient donc pas directement de Dieu et les rois sont liés par les lois.
- Les rois ne sont pas propriétaires des biens de leurs sujets et c’est un « pacte de
gouvernement » qui lie le prince à la république
- Or ce pacte contient des engagements qu’Henri III a bafoués.
- En outre, ce contrat exclut un éventuel renoncement du peuple à ses prérogatives
initiales
- Aussi, le peuple conserve-t-il son droit imprescriptible de démettre un tyran en exercice.
- Comme le peuple fait les rois, il peut les défaire, les renverser
- Les ligueurs estiment par ailleurs, le principe de l’élection supérieur à celui de l’hérédité
ce qui justifie la compétence des Etats généraux de Paris de 1593.
- Boucher a une représentation structurée du peuple
27
- Par peuple, il entend les instances habilitées à renverser le tyran : les princes, et les
assemblées des communes et des provinces, autrement dit les éléments constitutifs des Etats-
Généraux en l’absence de ceux-ci
- En revanche, si l’urgence et la nécessité de justifier le régicide de Jacques Clément
commandent en 1589 une telle attitude, Boucher adopte en 1593 un autre point de vue alors que
les Etats Généraux sont réunis à Paris selon le vœu de la Ligue pour désigner un nouveau
monarque
- La supériorité des intérêts de l’Etat prend le pas sur toute autre considération, ici l’unité
de la religion entre le roi et son peuple et le refus d’un roi étranger à la tête de l’Etat.
- Boucher tire donc toutes les conséquences du dogme de la suprématie des Etats et
affirme seuls ceux-ci ont le pouvoir de destituer et de changer les rois.
- Boucher, comme Rose, démontre plus une défiance vis-à-vis de l’absolutisme royal et
un souci de modération qu’un rejet pur et simple de la monarchie
- C’est un fait incontestable que les ligueurs ne souhaitent pas changer de régime, ils
veulent simplement un roi catholique de la même façon que les réformés désirent l’accession
au trône d’un prince protestant
- Pourtant Boucher et Rose en soulignant la faculté des peuples de choisir leur
gouvernement ont en cela développé des théories dangereuses pour la royauté.
- Les partisans de la royauté tenteront de désamorcer ces potentialités révolutionnaires,
notamment Bodin qui s’est le défenseur de la monarchie absolue.
- Seul un pouvoir fort et incontesté pourra rétablir l’unité compromise de la république.
Section 3
Fronde et « républicanisme »
- La Fronde est une période de troubles graves qui frappent le royaume de France pendant
la minorité de Louis XIV (1643-1661), alors en pleine guerre avec l’Espagne (1635-1659) et
qui provoque un brutal fléchissement de l’autorité monarchique
- Cette période de révoltes marque une brutale réaction face à la montée de l’autorité
monarchique en France initiée sous Henri IV et Louis XIII, renforcée par la fermeté de
Richelieu et qui connaîtra son apogée sous le règne de Louis XIV.
- Après la mort de Richelieu en 1642, puis celle de Louis XIII en 1643, le pouvoir
royal est affaibli par l'organisation d'une période de régence, par une situation financière et
fiscale difficile due aux prélèvements nécessaires pour alimenter la Guerre de Trente ans (série
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de conflits armés qui a déchiré l’Europe de 1618 à 1648), par l'esprit de revanche des grands
du royaume réduits au silence par Richelieu.
- Cette situation provoque une conjonction de multiples oppositions aussi bien
parlementaires qu’aristocratiques et populaires.
- Il est très difficile de délimiter avec précision les bornes chronologiques de la Fronde.
- Les historiens ont des avis divergents sur la question.
- On peut toutefois proposer comme point de départ la date du 15 juin 1648 qui est
marquée par la déclaration des 27 articles.
- Cette déclaration faite au Parlement de Paris énonçait la limitation des pouvoirs du
souverain.
- La soumission de la ville de Bordeaux, le 3 août 1653, est l'événement qui clôture les
troubles de la Fronde.
- La chronologie est complexe en raison d'événements multiples.
- Toutefois, l'historiographie a pris l'habitude de distinguer plusieurs phases : la première
correspond à l’opposition des cours souveraines (fronde parlementaire, 1648-1649) ; la seconde
à l’opposition des Grands (fronde des princes, 1651-1653).
- Les frondeurs ont été accusés de « républicanisme » par la régente Anne d’Autriche, au
moment de l’arrêt d’union (1648) (Fronde parlementaire, 1648-1649) : le roi se voit arracher
l’essentiel de son pouvoir législatif ; dans ce système, le roi présente les projets de loi et les
cours souveraines les votent
- Mais les frondeurs sont en réalité des partisans de la monarchie mais ils estiment qu’ils
sont les plus aptes à conseiller le roi ; la noblesse frondeuse connaît trop bien ses intérêts pour
vouloir mettre à mal le régime qui défend le corporatisme et la société des trois ordres.
- Elle défend l’idée de la monarchie absolue limitée par la loi divine, la loi naturelle et les
lois fondamentales du royaume.
- Certains peuvent se montrer favorables à une monarchie plus conforme à un passé
idéalisé (monarchie franque), mais ils demeurent bien en deçà des monarchomaques, même
s’ils s’en inspirent.
- Ils soutiennent l’idée que les rois ont été faits pour les peuples qui originairement
détenaient une souveraineté contractuellement transmise au prince.
- De ce fait, l’autorité royale n’est pas sans limites.
- Le roi n’est maître absolu ni de la vie, ni des biens de ses sujets : Il doit obéir aux lois,
déférer aux remontrances des parlements et ne prendre aucune décision sans le consentement
des Etats généraux.
29
- Ils ne remettent cependant pas en cause le système et n’envisagent pas son
remplacement mais ils mettent l’accent sur la faiblesse du régime de la régente et de Mazarin
- Ils insistent notamment sur la faiblesse ou la vulnérabilité des institutions (le roi est
mineur) ; le système du ministériat joue à ses dépens dans un contexte international défavorable
à la royauté
- Cela participe à un républicanisme diffus qui s’exprime dans les rues de Paris au début
de 1649 mais qui ne dure pas : le roi est très chaleureusement accueilli dans Paris à son retour
d’exil à Saint-Germain en Laye, le 18 août 1649.
- Pour autant, en 1652, alors que sévit toujours la Fronde des princes, les critiques
vis-à-vis de la monarchie vont se durcir
- Le roi est désormais majeur et peut-être tenu pour responsable de la politique jusque-là
attribuée à Anne d’Autriche ou à Mazarin.
- La légitimité monarchique est mise en cause.
- Certains estiment en effet que tous les rois sont plus ou moins des tyrans d’origine et
que seule compte la manière dont ils gouvernent.
- Pourtant, les frondeurs ne prônent pas la république et n’emploient d’ailleurs pas le
terme
- Tout au plus, songe-t-on à l’établissement d’un parti face au roi.
- L’objectif des parlements était de prétendre posséder une puissance seconde destinée
à modérer la puissance du roi qui s’exercerait par les refus d’enregistrer et les remontrances
- L’objectif de la Fronde des princes est de ressusciter une France féodale dans laquelle
les grands seigneurs maîtres du Conseil du roi gouverneraient le royaume
- En réalité, il n’y a pas de traces de républicanisme chez les Frondeurs : La Fronde a été
populaire et monarchiste.
Section 4
L’équation République/Etat et l’émergence de l’Etat moderne
- Au sortir des guerres de religion, l’unité nationale sembla acquise.
- Le dogme de l’unité religieuse s’efface devant la diversité confessionnelle instaurée par
l’Edit de Nantes (1598).
- Les Français se reconnaissent désormais dans la soumission à un même prince
catholique tolérant la minorité protestante.
30
- Pourtant un siècle plus tard, l’édit de l’Edit de Fontainebleau en 1685 supprime l’Edit
de Nantes, et consacre l’unité religieuse retrouvée.
- On associe à nouveau unité religieuse et unité de la république.
- Cardin Le Bret (1558-1655) écrit d’ailleurs vers 1630 : « il est impossible de conserver
en paix l’Etat de son pays autrement que par l’unité de la religion ».
- Louis XIV en tirera les conséquences donc en 1685, date qui peut désigner l’apogée de
la monarchie absolue
- Tout ploie devant l’autorité du roi qui gouverne en monarque absolu.
- Les Etats généraux n’ont pas été réunis depuis 1614 et ne le seront pas avant 1789.
- Quant aux parlements, ils sont muselés : La Déclaration royale de 1673 leur supprime
le droit d’émettre des remontrances au roi avant l’enregistrement d’une lettre patente
- Ainsi, les parlements s’abstiennent de toute remontrance pendant 42 ans.
- L’œuvre de Bodin sera-t-elle une réponse aux théories subversives pour la royauté des
monarchomaques en défendant la thèse de la monarchie absolue.
- Pour Bodin, la république par excellence est la monarchie royale
- Jusqu'au début du XVIe siècle, c'est à partir de la notion d'imperium qu'est appréhendée
la souveraineté, ce faisceau de prérogatives conquises ou reconquises par le roi comme
monarque indépendant
- Il convenait désormais de mieux définir la conjonction de l'indépendance du roi avec
son autorité souveraine en déconditionnant la notion de souveraineté de son origine impériale
et de la reconstruire de façon à exprimer la concentration nécessaire du pouvoir entre les mains
du roi.
- Le mérite d'avoir forgé le concept moderne de souveraineté revient au jurisconsulte
angevin Jean Bodin dans son ouvrage publié en 1576 sous le titre Les six livres de la
République.
- Bodin et la défense de l’idée d’une république monarchique :
- Sa définition
- Pour assurer son unité et sa conservation, un corps politique, par nécessité, requiert un
pouvoir suprême : « La République est un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce
qui leur est commun, avec puissance souveraine »
- La souveraineté apparaît à travers cette métaphore comme une forme de cohésion,
d’union de communauté politique sans laquelle elle se disloquerait
- Cette souveraineté qui donne ainsi sa forme à l'Etat, Bodin, la définit doublement
comme « une puissance absolue et perpétuelle d'une république »
31
- La souveraineté est perpétuelle pour la simple raison qu'elle est l'attribut fondamental
de l'Etat : elle ne peut jamais cesser car sans elle ce dernier n'existerait plus.
- Le pouvoir souverain, comme tel, doit donc rester dans son intégralité ; il ne peut être
ni partagé, ni divisé ; dissociée de la personne du roi ; la souveraineté ne disparaît pas à sa mort,
elle demeure intacte et se transmet automatiquement au successeur selon les lois fondamentales
(sens de l’adage « le roi est mort, vive le roi » qui illustre la continuité royale)
- La souveraineté est aussi absolue, non seulement au sens de ce qui n'est pas lié
juridiquement, mais encore au sens déjà évoqué, selon lequel, étant indivisible, elle ne tolère ni
restrictions ni conditions qui n'en feraient plus une réalité pleine et entière : la souveraineté est
nécessairement associée à l'unité.
- La perpétuité et le caractère absolu, avec leurs corollaires, l'unité et l'indivisibilité,
n'auraient cependant aucune signification si le pouvoir ne remplissait pas une autre condition
pour être réellement souverain.
- Il doit être ultime, c'est-à-dire ne pas émaner de quelque pouvoir supérieur : « Il n'y a
que celui absolument souverain qui ne tient rien d'autrui » ; dans ce sens, la souveraineté n'est
rien d'autre que l'indépendance totale du prince dans le domaine international.
- Ainsi Jean Bodin clôt l'œuvre commencée avec les légistes des XIIIe-XIVe siècles : la
souveraineté apparaît comme un concept construit dans le but d'interpréter le système de la
monarchie pure dans laquelle le roi est seul maître des structures du pouvoir.
- Les marques de la souveraineté
- Déduite de la souveraineté, l'analyse unitaire du pouvoir conduit Bodin à faire la
synthèse des prérogatives royales qu'il qualifie de « marques de la souveraineté ».
- Sur ce point il introduit deux changements notables.
- A l'énumération d'une mosaïque de droits régaliens, il substitue une souveraineté
s'offrant comme un pouvoir abstrait et contraignant dont les diverses « marques » sont
l'émanation.
- Ensuite, parmi ces dernières, « la puissance de donner et de casser la loi » est
l'expression naturelle et distinctive de la puissance suprême, en sorte que les autres « marques
» découlent en définitive toutes de cet attribut essentiel.
- La traditionnelle juridiction en dernier ressort, privilégiée par les juristes
médiévaux, cède donc le premier rang à la puissance législative
- Ce pouvoir de donner la loi à tous en général et à chacun en particulier et de la casser,
le roi l'exerce sans partage, sans qu'il ait besoin du consentement d'aucun
32
- La formule « Car tel est notre plaisir » figurant à la fin de chaque ordonnance, n'exprime
pas l'arbitraire royal, mais fait entendre que la loi, issue de la raison bienfaisante du roi
s'accordant au bien commun, ne dépend que de « sa pure et franche volonté ».
- En conséquence, le souverain est legibus solutus, libre vis-à-vis des lois de ses
prédécesseurs comme vis-à-vis des siennes propres.
- Il peut accorder des dérogations et des privilèges exemptant du droit commun, et toutes
espèces de grâces ; s'il le juge bon il peut modifier les coutumes générales et particulières.
- Les autres marques de souveraineté - faire la guerre et décider de la paix, battre
monnaie, lever tailles et impôts, nommer les officiers, juger enfin en dernier ressort par
l'exercice de la justice retenue - procèdent toutes de la puissance législative.
- C'est ainsi que la royauté française, par sa mainmise sur l'ordre juridique, sans violence
et sans heurts crée les bases efficaces de l'Etat moderne
- Les bornes de la législation royale
- Du point de vue de la législation positive, si le souverain est techniquement legibus
solutus, cela ne signifie pas que son pouvoir est sans frein car ce serait là une contradiction avec
la notion de souveraineté « légale ».
- Par conséquent, pour qu'il y ait une vraie respublica, la puissance législative du roi doit
faire corps avec la nécessité du « droit gouvernement ».
- Les sujets obéiront au prince parce qu'il assigne à ses lois un contenu conforme à la
justice et à la raison, aux lois divines et naturelles, sous peine de se rendre coupable de « lèse-
majesté divine »
- Ces normes excluent par elles-mêmes toute autorité tyrannique : le roi n'est roi que s'il
s'identifie à la loi, s'il est la loi vivante conditionnée par l'héritage religieux et politique du
Moyen Age qu'exprime le terme de Très Chrétien.
- Le souverain est donc lié par un certain nombre de chaînes qui sont autant de
bornes au contenu de sa législation.
- Il en est de morales : la conscience chrétienne du roi le soumet aux règles divines et
naturelles.
- Il en est de constitutionnelles : une loi du roi ne peut déroger aux Lois fondamentales,
ces dispositions spéciales qui concernent le statut de la Couronne.
- Il en est aussi qui tiennent au domaine de la législation.
- Les ordonnances continuent d'être pour l'essentiel de droit public : exercice de la justice,
finances et fiscalité, police du royaume, c'est-à-dire maintien de l'ordre et administration
générale, réglementation économique, armée et cultes.
33
- Pour le reste, le roi est tenu de respecter les coutumes territoriales régissant le droit
privé ; de même a-t-il normalement égard pour les libertés naturelles et les privilèges de ses
sujets que lui-même et ses prédécesseurs ont concédés ou confirmés.
- Certes dans ces deux derniers domaines, il peut intervenir mais sa prérogative législative
ne doit s'utiliser que dans l'intérêt commun.
- Ainsi il réformera les coutumes de droit privé si elles sont déraisonnables ou s'il faut
prendre des mesures exigées pour le bien de tous : à ce titre, les interventions royales se font
plus nombreuses à partir du XVIe siècle
- A l'endroit des privilèges des sujets, le roi est toujours libre vis-à-vis de la concession
ou confirmation qu'il a faites ; il lui arrive de les réduire ou de les supprimer, mais toujours avec
modération car ces privilèges, ceux de possession immémoriale surtout, rentrent - c'est l'avis
d'un Bodin - dans ce qui appartient en propre aux sujets et qu'un « droit gouvernement » doit
respecter.
- Ce qui caractérise une « monarchie royale » éloignée de tout arbitraire, c'est le souci
qu'a son chef de laisser la société civile vivre selon les coutumes et poursuivre ses activités dans
le cadre de règles d'action, de libertés et de privilèges qui lui sont propres.
- La modération de l'autorité législative dans ces domaines comme son opportunité dans
le domaine qui est naturellement le sien - le droit public - sont tributaires de la pratique du
conseil.
- Pour être vraiment « royale », la monarchie introduit la délibération dans le processus
d'élaboration des ordonnances.
- C'est ainsi que pour un publiciste comme Bodin, la consultation - mais la seule
consultation - des Etats généraux, en entremêlant les trois ordres sociaux du royaume autour du
prince, renforce la responsabilité de celui-ci envers le salut de la respublica ; le « roi en ses
Etats », c'est donc le roi dont l'autorité, reconnue par tous, s'identifie complètement avec la
souveraineté de l'Etat.
- En définitive la pondération du conseil exalte le législateur souverain.
- Cependant, contenue dans ces bornes et bien qu'elle ne soit pas toujours respectée dans
la pratique, la législation royale permet au souverain, du XIVe au XVIe siècle, d'accroître sa
mainmise sur le royaume.
- Ces idées de Bodin seront développées après l’avènement d’Henri IV en 1598 et elles
vont dominer.
- La royauté sort renforcée de l’épreuve des guerres de religion et réunit les Français
autour de la ferveur monarchique pour longtemps.
34
- L’idée de république démocratique s’efface pour ne réapparaître qu’à la fin du XVIIIe
siècle et avec le déclenchement de la Révolution de 1789.
- Néanmoins, entre temps, la notion de république continue à intéresser les théoriciens.
- Prédominance de la notion de souveraineté, éclipse de celle de la république :
- La doctrine absolutiste : les successeurs de Bodin.
- A la fin du XVIe siècle, l’essor des idées absolutistes ainsi que l’affirmation théorisée
du droit divin des rois sont dans une large mesure le contrecoup de la période troublée des
guerres de religion : temps de la lutte armée des factions et des révoltes contre une autorité
royale méconnue et bafouée ; temps, aussi de la violence, des massacres, des pillages, de
l’insécurité des personnes et des biens
- Aussi voit-on dans les dernières décennies du XVIe, les meilleurs esprits placer tous
leurs espoirs dans le rétablissement d’un pouvoir royal fort et respecté, capable de faire revenir
la paix civile et la sécurité
- Mais pour parvenir à ce résultat, il était nécessaire de mettre au service de la restauration
de l’autorité monarchique des doctrines capables de faire pièce aux argumentations des
théoriciens d’un pouvoir royal limité, soumis au contrôle et éventuellement à la sanction du
peuple
- Absolutisme et droit divin sont avant tout des contre-théories lancées contre les
idées des auteurs monarchomaques
- Dans ce contexte, les définitions de la république données par les juristes après Bodin
présentent d’évidentes similitudes avec sa pensée
- Leurs écrits se placent dans la première moitié du XVIIe siècle, et ils sont seuls, ou
presque, à s'exprimer.
- Pour l'essentiel, ils ne font que reprendre et illustrer la pensée de Bodin.
- Du moins ces jurisconsultes ont-ils su mettre au service d'une monarchie pure, titulaire
d'une souveraineté entière et non partagée, quelques formules célèbres
- Ainsi Guy Coquille écrit que « le roi... n'a point de compagnon en sa majesté royale »
(Institution au droit français, 1607).
- Ou bien Charles Loyseau, avec sa fameuse comparaison de la souveraineté à la
couronne
- De même que l'on ne peut plus parler de couronne s'il y manque un seul fleuron, de
même la souveraineté n'existe qu'en l'absence de toute trace de division ou de partage : « La
souveraineté n'est point si quelque chose y défaut » (Traité des seigneuries, 1609).
35
- Ce qu'exprime peut-être mieux encore la belle image toute mathématique, et en cela
bien caractéristique de son temps, de Cardin Le Bret, pour qui la souveraineté est, par nature,
« non plus divisible que le point en la géométrie » (De la souveraineté du roi, 1632).
- Parallèlement, les mêmes auteurs ont d'ailleurs contribué à poser les fondements d'une
autre doctrine, qui vient compléter celle de l'absolutisme.
- La théorie du droit divin :
- L'idée de la royauté de droit divin n'est pas propre à la France.
- Catholiques ou protestantes, toutes les monarchies européennes des XVIIe et XVIIIe
siècles - hormis l'Angleterre d'après 1688 et la Prusse de Frédéric II - justifient la souveraineté
du prince par le droit divin.
- Mais c'est en France que la construction doctrinale a été la plus achevée.
- Portée de la théorie
- Elle repose sur l'idée que le roi reçoit directement son pouvoir de Dieu, sans nul
intermédiaire.
- En conséquence, c'est à Dieu seul qu'il doit rendre des comptes : Nul homme, nul groupe
humain n'est en droit de lui en demander.
- N'étant responsable que devant Dieu, le roi est irresponsable devant les hommes.
- Concrètement, cela veut dire deux choses.
- Tout d'abord, le pape, qui n'est qu'un homme, ne possède nullement le droit de s'ériger
en juge du roi au temporel.
- Certes, le pouvoir du pape vient directement de Dieu mais celui du roi également
- Le roi n'est donc en rien inférieur au pape, qui ne peut le sanctionner, ni le déposer.
- Le second point est que les sujets du roi se trouvent eux aussi dépourvus de tout droit
de contrôle et de sanction envers le roi.
- L'affirmation de l'origine divine directe du pouvoir royal balaie toute les thèses
contractuelles, fondées sur l'idée d'une autorité venant de Dieu par l'intermédiaire du peuple et
pouvant faire l'objet d'une révocation par celui-ci lorsqu'il la juge mal exercée.
- Rien n'autorise donc les sujets du roi à se révolter contre lui ainsi que certains d'entre
eux l'ont fait depuis un demi-siècle.
- Rien ne peut justifier a fortiori des assassinats comme ceux dont viennent d'être
successivement victimes le dernier des Valois et le premier des Bourbons.
- Le droit divin jusqu'à Bossuet
36
- Lors des Etats généraux de 1614-1615, tandis que la France se trouve encore sous le
coup de l'assassinat d'Henri IV, le Tiers Etat souhaite que la doctrine du droit divin reçoive un
maximum d'éclat et d'autorité.
- Le cahier général du Tiers demande que soit arrêté « pour loi fondamentale du
royaume » que le roi ne tient « sa couronne que de Dieu seul ».
- Mais le clergé, blessé que l'on parût douter de son loyalisme envers le roi s’opposa
vivement à ce projet et il gagna la noblesse à ses vues si bien que le pouvoir royal, soucieux
d'éviter un affrontement entre les ordres, évoqua l'affaire à lui, interdisant aux Etats de continuer
à s'en occuper, et promettant de prendre une décision, ce qu'il se garda bien de faire.
- Cela n'empêcha pas la théorie du droit divin de s'imposer.
- Elle se trouve présente chez Loisel : « Le roi ne tient que de Dieu et d’épée » (Institutes
coutumières, 1607).
- On la retrouve chez Le Bret, pour qui « nos rois ne tenant leur sceptre que de Dieu seul
ne sont obligés de rendre aucune soumission à une puissance de la terre ».
- Cette doctrine est aussi celle des Parlements désormais dociles après l’avènement de
Louis XIV qui condamnent systématiquement tous les ouvrages contenant des thèses contraires
au droit divin des rois.
- La Faculté de Théologie se rallie d'ailleurs progressivement à celui-ci.
- Elle proclame en 1663 que le roi « n'a d'autre supérieur au temporel que Dieu seul »,
doctrine qui, par l'intermédiaire des universités, va très largement gagner le clergé.
- Et c'est un évêque, d'extraction bourgeoise il est vrai, qui va donner à la théorie du droit
divin son visage achevé.
- La théocratie royale selon l'Aigle de Meaux
- C'est alors qu'il était précepteur du dauphin que le futur évêque de Meaux écrivit, de
1670 à 1679, à l'intention de son royal élève, l'ouvrage intitulé La politique tirée des propres
paroles de l'Ecriture sainte.
- S'appuyant principalement sur celle-ci, Bossuet formule de manière définitive le dogme
politico-religieux de la théocratie royale.
- Le point fondamental est que Dieu « gouverne tous les peuples et leur donne à tous leurs
rois »
- En conséquence, « le trône royal n'est pas le trône d'un homme mais le trône de Dieu
même » et quiconque s'oppose à un roi qui est le « ministre de Dieu » se comporte en « ennemi
de Dieu ».
37
- La théorie de Bossuet exige donc du sujet la même soumission envers le roi
qu'envers Dieu.
- L'obéissance au souverain est un devoir sacré : « Le respect, la fidélité et l'obéissance
qu'on doit aux rois ne doivent être altérés par aucun prétexte. »
- Le pape comme le peuple sont impuissants face au roi.
- La déclaration royale gallicane de 1682 (doctrine religieuse et politique française qui
cherche à organiser l'Église catholique de façon autonome par rapport au pape) dont Bossuet
fut l'inspirateur, proclame solennellement que, dans le domaine temporel, « les rois et les
souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique ».
- Et le texte ajoute que « leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de
l'obéissance qu'ils leur doivent ».
- En un mot, la théorie du droit divin telle que l'exprime Bossuet constitue la justification
religieuse du pouvoir absolu des rois : C'est le sceau de la volonté divine mis sur l'absolutisme.
- C'est donc parce qu'il est de droit divin que le roi peut légitimement exercer une autorité
absolue.
- Et c'est bien ainsi que Louis XV présentera les choses dans l'édit de décembre 1770,
enregistré d'autorité, et dirigé contre les menées des Parlements : « Nous ne tenons notre
couronne que de Dieu. Le droit de faire des lois, par lesquelles nos sujets doivent être conduits
et gouvernés, nous appartient à nous seuls sans dépendance et sans partage. »
- Pourtant, le pouvoir royal n’a rien gagné avec ces doctrines :
- Constatation qui contredit bien des idées reçues.
- Quasi divinisée, absolue, dégagée de toute responsabilité devant les hommes, la
monarchie française semble avoir tiré un immense profit du double mouvement doctrinal du
XVIIe siècle mais ce n'est dans une large mesure qu'une apparence.
- La théorie du droit divin n'ajoute rien à la dimension religieuse traditionnelle
du roi
- Depuis des siècles, le sacre fait de lui le représentant de Dieu sur terre et lui confère
un pouvoir miraculeux.
- Et l'absolutisme ne donne pas au roi de prérogative supplémentaire, hormis, celui
de décider seul de la création de nouveaux impôts (conséquence indirecte de la désuétude
des Etats généraux)
- Mais, ce point mis à part, le roi d'Ancien Régime s'inscrit dans la continuité de ses
prédécesseurs.
38
- La signification concrète de la doctrine absolutiste est la suivante : c'est le roi qui
décide en dernier ressort, il tranche et il a toujours le dernier mot.
- Quand la décision personnelle du roi est prise, il n'y a plus de recours et il ne reste
qu'à obéir
- Or tout cela n'est pas nouveau.
- Les rois de la Renaissance et du Moyen Age décidaient eux aussi en dernier ressort
- Simplement, en raison de circonstances de fait, certains rois n'ont pas toujours pu
exercer leur autorité aussi vigoureusement qu'ils l'auraient souhaité.
- Mais cet aspect conjoncturel ne doit pas masquer la permanence du comportement
politique des rois.
- Pas plus que Louis XIV, ils ne concevaient de partager leur pouvoir avec quiconque.
- Certains y furent parfois contraints sous la pression des événements, mais ils
n'eurent de cesse de recouvrer leur indépendance de décision.
- Si absolutisme et pouvoir personnel caractérisent la monarchie de Louis XIV, c'est
tout aussi vrai pour celle de François 1er, de Louis XI, de Charles V ou de Philippe le Bel
- D'ailleurs, c'est depuis le début du XVe siècle que figure couramment dans les lettres
patentes la fameuse formule, à tort reprochée à l'absolutisme, « car tel est notre plaisir »,
qui exprime, on le sait, non pas le caprice mais la volonté réfléchie du souverain.
- L'absolutisme de droit divin n'a pas créé le pouvoir personnel du roi.
- Il lui a simplement permis de résister au choc des théories visant à l'abattre.
- Mais le lourd appareil doctrinal qui assure la sauvegarde de l'autorité royale
ne présentait pas que des avantages pour celle-ci.
- Le point le plus faible en est paradoxalement celui qui semble le plus fort : le
droit divin.
- Cette doctrine présente l'inconvénient de lier trop exclusivement l'autorité du roi à
une investiture divine directe.
- C'est fort efficace tant que la foi reste profonde dans toutes les couches de la société
mais que survienne une poussée d'irréligion, comme ce sera le cas au XVIIIe siècle, et, son
support religieux se trouvant ébranlé, la royauté sera en situation de fragilité.
- Le grand gagnant est en fait l’Etat
- Héritier de la res publica des Romains, l'Etat, entité supérieure et permanente
constitue le véritable bénéficiaire des doctrines absolutistes et de la théorie de droit divin.
- Le roi travaille pour l'Etat.
39
- Le roi d'Ancien Régime n'est donc pas autre chose que le premier serviteur de l'Etat, le
premier agent public du royaume.
- Si le roi est qualifié de souverain, c'est à l'Etat qu'appartient en réalité la souveraineté.
- Elle est « inséparable de l'Etat » (Loyseau)
- Le roi ne fait qu'exercer au nom de l'Etat l'autorité souveraine.
- Dans ces conditions, les doctrines affirmant le caractère absolu de la souveraineté
aboutissent en définitive à proclamer l'absolutisme de l'Etat.
- Malgré ses préférences monarchiques, Bossuet écrit : « Dieu prend en sa protection tous
les gouvernements légitimes, en quelque forme qu'ils soient établis. »
- C'est l'Etat en lui-même, quelle que soit sa forme, qui reçoit la caution divine.
- Rien d'étonnant, donc, si l'Etat aspirait à étendre son champ d'action qu’il prétende,
à la limite, régir intégralement la vie de la nation.
- Rien ne devrait pouvoir se faire sans que l'Etat l'ait décidé, ou du moins autorisé.
- Il y a là une logique de l'absolutisme étatique, qui n'est d'ailleurs pas propre à la
France
- Elle caractérise l'ensemble des pays d'Europe, et cela indépendamment des formes
de gouvernement.
- Tantôt le régime est mixte comme en Angleterre, tantôt il s'agit d'un despotisme
comme en Prusse, ou d'une monarchie pure comme en France, mais partout l'Etat se veut
absolu.
- Et encore est-ce paradoxalement en France que cet absolutisme de l'Etat est le
moins entré dans les faits.
- Il n'empêche que, sous l'Ancien Régime, plutôt que du bien commun, comme
autrefois, on préfère en général parler du bien de l'Etat.
- C'est le second, et non plus le premier, que le roi, lors du serment du sacre, s'engage
à respecter.
- C'est lui qu'il invoque quand il expose, dans le préambule d'un texte, les motifs de
sa décision.
- Et, s'il ne lui paraît pas opportun d'expliciter ses mobiles, il précise tout de même
qu'il a été déterminé par « des raisons d'Etat », c'est-à-dire des considérations d'intérêt
général.
- Le bien de l'Etat se trouve donc identifié au bien de tous, au bien de la Nation de
sorte que le roi, qui sert et représente l'Etat, se trouve être du même coup le représentant de
l'universalité de la nation.
40
- La royauté est absorbée par l'Etat.
- Le roi ne s'appartient pas
- Il n'a ni vie privée, ni patrimoine privé.
- La personne du roi tout comme ses biens sont la chose de l'Etat.
- Le roi ne peut rien posséder en propre.
- L'idée d'un domaine privé du roi, qui existerait à côté d'un domaine public, est en
complète opposition avec les principes constitutionnels de l'ancienne France.
- Concrètement, cela signifie que tout ce que possède un roi au jour de son avènement
tombe automatiquement dans le domaine de la couronne.
- Ce principe, qui n'a pas été admis sans résistance, ne s'est définitivement imposé
qu'au début du XVIIe siècle
- L'Etat existe indépendamment du roi.
- L'Etat n'appartient pas au roi.
- Certes, celui-ci emploie souvent l'expression : « mon Etat » mais ce n'est qu'une façon
de parler.
- L'Etat est simplement confié au roi, qui en a la responsabilité son règne durant.
- Louis XIV n'a sans doute jamais prononcé la fameuse parole : « L'Etat, c'est moi » ;
formule que, sans preuve, on lui attribuait autrefois, et dont on s'autorisait pour affirmer
que le Roi-Soleil considérait l'Etat comme sa chose.
- Il est par contre certain que Louis XIV, mourant, a dit : « Je m'en vais, mais l'Etat
demeurera toujours. »
- L'Etat reste tandis que les rois passent et il est resté tandis que passait la
royauté elle-même.
- L'Etat fut créé progressivement par la royauté, qui visait à améliorer son
fonctionnement et à assurer sa pérennité.
- La royauté était une vieille réalité historique ayant un très fort contenu humain,
affectif, religieux : elle était profondément concrète.
- L'Etat était une construction théorique et juridique, c'est-à-dire abstraite
- Et on greffa ceci sur cela.
- La notion d'Etat fut utile au roi, elle lui servit à légitimer son pouvoir, à le défendre
contre les agressions idéologiques et les révoltes ; à le faire pénétrer efficacement dans la
vie de la nation.
- Il fut commode au roi de pouvoir se dire le serviteur de l'Etat et donc le représentant
de la nation.
41
- Mais, d'un autre côté, en installant et fortifiant l'idée d'Etat, le roi œuvrait à la
puissance d'une entité totalement distincte de sa personne, une entité permanente et
autonome, qui se trouve en l'occurrence servie par une monarchie, mais qui existe
indépendamment de la forme du gouvernement.
- Dès lors, le roi ne peut se passer de l'Etat, tandis que celui-ci peut fort bien se
passer du roi, il peut changer de serviteur et c'est ce qui se produira avec la Révolution
- Ayant bien absorbé la royauté, s’étant nourri et fortifié de sa substance, l’Etat finit
par la rejeter : la royauté disparut, et l’Etat continua sans elle
Chapitre 4
La contestation idéologique de l’Ancien Régime
- Depuis la fin du règne de Louis XIV, un mouvement contestataire se développe, les
institutions de la royauté sont discutées.
- La seconde moitié du règne de Louis XV est marquée par une accélération du
mouvement des idées
- Deux siècles de monarchie absolue ayant habitué les esprits à la stabilité des institutions,
les enjeux se sont déplacés
- Il ne s’agit plus d’affermir un Etat chargé d’assurer la paix civile
- Désormais, toutes les énergies intellectuelles sont employées à prévenir une dérive
arbitraire de l’autorité
- De ce fait, la république gagne plus encore en légitimité car s’enracine l’idée qu’elle
peut être le contre-exemple du despotisme même si dans un premier temps personne ne songe
encore à priver le roi de la souveraineté
Section 1
La république : l’antithèse de la monarchie
- L’accusation de républicanisme portée contre les protestants :
- Tous ceux qui contestent l’autorité représentée par la monarchie sont qualifiés de
« républicains », même s’ils ne sont pas les partisans d’un régime républicain.
- Aussi n’est-il pas surprenant de voir les dissidents religieux supportés l’accusation de
républicanisme
42
- Les protestants sont accusés d’être républicains car ils s’opposent à une monarchie ayant
révoqué l’Edit de Nantes (1685), à un ordre politique fondé sur le catholicisme
- Ainsi, leur requête en faveur de la tolérance civile est tenue pour une contestation
- Déjà Louis XIII aurait dit qu’ils « avaient des principes républicains et qu’ils étaient les
ennemis de la hiérarchie et des mœurs de la monarchie ».
- Delamare (1641-1723), évoque ainsi l’esprit d’indépendance qui caractérise les
protestants sous Louis XIII et souligne que « leur premier dessein avait été d’établir entre eux
une espèce de république, et de former, un Etat au milieu de l’Etat »
- Le magistrat ici amplifie la menace protestante qui peut prendre les traits de la sécession
et l’instauration d’un régime non monarchique
- De son côté, Saint-Simon rappelle les volontés indépendantistes des protestants : tant
en raison de son statut que de sa situation géographique, La Rochelle était « presque
république »
- Voltaire, célèbre pour ses plaidoyers en faveur de la tolérance, partage ce point de vue.
- Selon lui, c’est justement l’esprit républicain des premières communautés protestantes
dirigé contre l’autorité, qui est la véritable cause des guerres de religion.
- Il note que la Réforme s’est d’ailleurs implantée dans des Etats hostiles au
gouvernement absolu.
- Voltaire établit un lien très fort entre protestantisme et républicanisme.
- Selon lui, la Réforme conduit à la république et celle-ci ne s’accommode que du
protestantisme.
- Voltaire explique que la plus grande partie de la Suisse n’a eu aucune peine à concevoir
la république : Genève est devenu un Etat entièrement républicain en devenant calviniste
- Dans cet esprit, l’action entreprise par le cardinal de Richelieu en 1627-1628 est saluée
comme une œuvre de restauration de l’autorité engagée pour éviter la dissolution de l’unité
nationale par la constitution d’un ensemble concurrent
- La chute de La Rochelle mit un terme définitif au péril politique protestant
- Pourtant malgré une telle défiance, le loyalisme des protestants est indubitable et
explique la tolérance de fait dont ils vont bénéficier au XVIIIe
- Des parlements suspectés d’un certain républicanisme :
- Le conflit entre le roi et les parlements ne date pas du XVIIIe : les parlements en France
ont en certaines occasions cherché à usurper un rôle politique de premier plan, harcelant
systématiquement le pouvoir et entravant son action
43
- Mais au XVIIIe siècle, ce conflit se radicalise : c’est l’idée que face au roi, la nation,
désormais revêtue de droits distincts, est présumée maître de son destin.
- La nation est réputée être au-dessus du roi, elle doit participer à la loi par la voie des
parlements qui la représentent.
- Cette idée fait craindre une dérive vers un système britannique
- En 1689, après la révolution de 1688 qui avait renversé Jacques II, les Anglais ont obligé
Guillaume III d’Orange et son épouse, d’accepter la Déclaration des Droits, le Bill of Rights,
avant de monter sur le trône.
- Le Bill of Rights reconnaît au parlement le droit de se réunir à son gré, de voter l’impôt,
de veiller à l’exécution des lois, et aux citoyens le droit d’élire leurs représentants et d’être jugés
par des jurys.
- A propos de cette critique, rappelons que le parlement est étroitement associé à
l’élaboration des ordonnances royales.
- Dès le début du XIVe siècle, le roi fait lire en audience publique, devant le parlement,
ses ordonnances afin qu’elles soient enregistrées pour y être connues et appliquées.
- Cette formalité donne l’occasion au parlement de faire valoir son point de vue.
- Et progressivement, le parlement s’est mis à adresser des observations au roi, des
remontrances lorsque le texte ne lui paraissait pas conforme à la coutume, au droit et à l’ordre
monarchique.
- La royauté a tout d’abord encouragé cette démarche
- Puis, le parlement est parvenu à faire admettre qu’en l’absence d’enregistrement, les
textes royaux n’avaient aucune valeur exécutoire.
- Le roi tenait cependant à conserver une certaine liberté face au parlement, notamment
en lui ordonnant l’enregistrement par l’envoi d’une lettre de jussion (jubere : ordonner)
- La plupart du temps, le parlement obtempérait.
- Quand ce n’était pas le cas, le roi pouvait se déplacer au parlement et donnait l’ordre
d’enregistrer le texte visé, c’est la procédure du lit de justice (Le roi siégeait au parlement sur
un trône placé sous un ciel de lit).
- Dans cette situation, aucune discussion n’était possible car se déplaçant, le roi reprenait
momentanément aux magistrats, le mandat qu’il leur avait donné.
- Durant le règne de Louis XIII, la tension entre le roi et les parlements ira croissant.
- Les parlements bloquent systématiquement la procédure d’enregistrement des lettres
patentes et comme le roi ne réunit plus ni les Etats généraux, ni les assemblées de notables, ils
se considèrent comme les grands défenseurs des intérêts de la nation.
44
- En 1648, au moment de la Fronde parlementaire, la Chambre des comptes, la Cour des
aides et le parlement de Paris se réunissent et rendent l’arrêt d’union qui vise à changer la
constitution de la France et à réformer l’administration.
- Le roi se voit arracher l’essentiel de son pouvoir législatif : les édits fiscaux et ceux
créant des offices doivent recevoir l’accord des cours souveraines ; le roi est tenu de respecter
leur « liberté de suffrage »
- Cela signifie qu’il ne pourra plus ordonner un enregistrement avec la procédure du lit
de justice.
- Dans ce contexte, le roi présente des projets de loi et les cours souveraines les votent.
- Les parlementaires se prononcent aussi pour la diminution des impôts et deviennent
donc très populaires.
- Mais en 1653, la victoire complète de la monarchie voit la défaite totale de la rébellion
parlementaire.
- Très marqué par cet épisode et sa fuite à Saint-Germain en Laye, Louis XIV réussit à
réduire les parlements au silence pendant 42 ans après leur avoir interdit tout droit de
remontrance préalable à l’enregistrement.
- Mais les parlements retrouvent ce droit en 1715 après la mort de Louis XIV (Il a cassé
le testament de louis XIV sur la demande du régent, le duc d’Orléans, dont le roi se méfiait et
avait limité son pouvoir par la création d’un conseil de régence. D’où la récompense faite au
parlement).
- Les parlements multiplient de nouveau de leur droit de remontrance, notamment en
matière fiscale.
- Ils n’ont de cesse de dénoncer la tyrannie du pouvoir royal, accusé de violer les droits
de la nation et d’écraser le peuple d’impôts.
- Et ils remettent en avant la théorie des classes au moment de l’affaire de Bretagne, un
conflit fiscal qui conduisit le parlement de Rennes à démissionner collectivement pour faire
pression sur la royauté.
- Le parlement fut alors reconstitué avec de nouveaux juges, ce qui provoqua un
mouvement solidarité de la part des autres parlements, et notamment celui de Paris.
- Pour justifier leur intervention dans l’affaire bretonne, les parlements invoquèrent donc
cette vieille théorie pseudo-historique des classes.
- Il s’agit d’une thèse selon laquelle les parlements seraient tous issus, par
fractionnements successifs, des plaids généraux des rois francs et à leur suite de la Cour des
premiers Capétiens.
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- En conséquence, tous les parlements du royaume ne seraient que les diverses sections,
les classes, d’une institution unique le grand « parlement de France »
- D’où le nom de théorie des classes.
- En outre, en raison de leur origine prétendue, les parlements s’affirment être les
dépositaires, face au pouvoir royal, des droits de la nation.
- Ils assurent en particulier que la vérification avant enregistrement des lettres patentes
n’est pas une tâche qui leur a été confiée par la royauté, mais une prérogative intangible, leur
appartenant et ne pouvant pas leur être retirée.
- Si bien que selon cette théorie, l’enregistrement des lettres patentes par les parlements,
qui ne sont que des cours de justice, se trouve assimilé au vote des lois par le parlement anglais,
qui est une assemblée politique.
- Les parlements prétendaient donc usurper le pouvoir législatif du roi.
- Il n’eut conservé qu’un simple pouvoir de proposer les lois, nécessairement votées par
les parlements.
- La combinaison de la théorie des classes et la revendication du droit de vérifier
« librement » les lettres patentes était radicalement révolutionnaire : Il s’agissait de transformer
la monarchie en un régime dans lequel le roi n’aurait eu qu’un rôle résiduel.
- Pour en finir avec cette menace pour la royauté, en 1771, le chancelier Maupeou a
supprimé les parlements et complètement réorganisé l’échelon supérieur de la justice.
- Les critiques dont la monarchie est l’objet sont perçus comme allant dans le sens de la
république.
- Le juriste Moreau écrit qu’il faut combattre ces systèmes porteurs de maximes
républicaines qui dénaturent la monarchie et tendent à instituer une aristocratie parlementaire
- De ce point de vue, la république se présente bien comme un régime contraire en tous
points à la royauté
- La royauté victime de la désinformation :
- Les idées nouvelles viennent saper dangereusement les fondements intellectuels de
l'Ancien Régime.
- Celui-ci vénère le passé, et repose sur la coutume et la tradition.
- Ayant fait l'objet au cours des siècles d'une lente élaboration, les institutions politiques
et sociales présentent un caractère disparate et souvent complexe : multiplicité des instances,
variété de leurs appellations et parfois de leurs pouvoirs, fréquentes rivalités de compétence,
non-harmonisation des circonscriptions administratives, judiciaires, militaires, fiscales,
ecclésiastiques ...
46
- Cependant, jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, cette diversité ne choque pas, car on
y est habitué, et elle constitue un legs de l'histoire.
- Or, à la tradition, les philosophes opposent la raison critique et la nouveauté à tout prix
- Ce qui est ancien, par définition, ne peut être bon et cela s'applique aux institutions,
que l'on discrédite systématiquement en dénonçant leur caractère « gothique », insupportable
pour des esprits éclairés.
- On affirma que la France n'avait pas de constitution, dès lors que « ses règles
constitutionnelles » étaient restées coutumières » et on en persuada l'opinion, au point que l'un
des grands thèmes des cahiers de 1789 fut la nécessité de donner une constitution à la France
alors qu'il s'agissait en réalité de jeter bas l'ancienne constitution pour lui en substituer une
nouvelle.
- Autre cible privilégiée des philosophes : l'Eglise catholique
- Mais les Lumières ne touchèrent pas la masse des Français, qui demeura profondément
religieuse, croyante et pratiquante.
- En revanche, la haute société et la bourgeoisie cultivée furent largement atteintes par la
propagande antireligieuse de Voltaire ou de Diderot
- Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une partie non négligeable des élites est, soit
déiste (Qui reconnaît l’existence d’un Dieu en dehors de toute religion comme Voltaire), soit
franchement athée.
- Or sans le christianisme, la monarchie traditionnelle devenait incompréhensible.
- Pour un lecteur de l’Encyclopédie, athée ou, vaguement déiste, quelle valeur pouvait
avoir l’explication du pouvoir royal par une délégation de l'autorité divine ?
- Et quelle garantie contre l'arbitraire pouvait-il trouver dans le fait que cette délégation
était assortie d'une obligation pour le monarque de rechercher le bien commun et de respecter
la morale chrétienne ?
- En l'absence de la religion, les esprits « éclairés » ne voient plus de raison de respecter
l'autorité royale et ne perçoivent plus les limites auxquelles celle-ci se soumet volontairement.
- Cette incompréhension n'épargne pas le personnel gouvernemental, et la haute
administration.
- Bien des hommes d'Etat et des grands, administrateurs furent appelés à utiliser ou à
défendre une autorité dont les fondements et les limites reposaient sur des croyances qu’ils ne
partageaient plus ou qu'ils partageaient à peine
- Et les croyants eux-mêmes, tel un d’Aguesseau, n’osent plus invoquer la théorie de droit
divin
47
- Jusqu'à la Révolution, et même pendant la Révolution, le prestige du roi reste
malgré tout immense
- Dans son ensemble, le peuple a en lui une foi inébranlable, de nature religieuse.
- Mais la propagande philosophique, les remontrances continuelles des Parlements ainsi
que toute une campagne de pamphlets calomnieux, souvent lancés par des salons aristocratiques
frondeurs, va entamer la foi monarchique du public « éclairé », et même mordre sur certaines
fractions du peuple, notamment dans la capitale.
- La monarchie d'Ancien Régime a été en outre victime d'une foule d'idées reçues,
considérées par l'opinion « éclairée » comme autant d'articles de foi, et qui n'étaient pourtant
que d'énormes contre-vérités.
- Ainsi, l'affirmation que la France est écrasée d'impôts, alors qu'elle est, à la fin du
XVIIIe siècle, un pays moyennement imposé.
- Ou bien la dénonciation des inégalités sociales, qui sont, en dépit de leur ampleur
objective à nos yeux, parmi les plus faibles de l'Europe du temps.
- Ou aussi la critique relative aux folles dépenses du roi en matière de bâtiments,
inintelligente car elle méconnaît le rôle positif du mécénat royal, et au surplus inexacte pour le
XVIIIe siècle.
- Plus gravement encore, la désinformation vise à donner aux Français l'idée qu'ils vivent
dans un régime tyrannique, d'un autoritarisme exceptionnel alors que la France du XVIIIe siècle
est l'un des Etats européens où le gouvernement est le plus modéré.
- Et, Louis XVI régnant, on peut même parler d'un pouvoir faible.
- D'ailleurs, le roi n'a que très peu de moyens de se faire obéir.
- Hormis des officiers, qui n'obéissent pas, il n'existe pratiquement pas de corps
administratif au-dessous de l'intendant et de ses subdélégués.
- Et, en ce qui concerne l'ordre public dans Paris, où la police est très insuffisante, la
royauté a commis l'immense erreur de supprimer pour raison d'économie les meilleures troupes
de la Maison du roi, et notamment les mousquetaires en 1775
- Par cette mesure suicidaire, Louis XVI a placé son pouvoir à la merci d'une émeute
- Pourtant la royauté aurait pu domestiquer la pensée des Lumières en la mettant au
service de la construction de l’Etat
- C'est ce que firent les despotes éclairés, qui se réclamèrent des philosophes et utilisèrent
systématiquement les concepts et le vocabulaire des Lumières pour fonder et justifier leur
entreprise de renforcement de l'Etat.
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- C'était d'ailleurs logique, car une large part de la pensée du XVIIIe siècle - Voltaire,
bien sûr, mais aussi Rousseau, et même Montesquieu - pouvait aisément servir à cautionner
l'affermissement d'un pouvoir monarchique.
- La royauté française eût pu, elle aussi, en tirer parti.
- Sans renier sa nature de monarchie chrétienne, il lui suffisait de continuer à parler
fermement au nom de l'Etat pour ranger dans son camp l'essentiel du parti philosophique.
- Politique qu'elle adopta, et avec succès, à la fin du règne de Louis XV.
- Mais, à l'avènement de Louis XVI, la logique des privilèges, dans ce qu'elle avait de
plus dangereux politiquement (le système de la patrimonialité des offices), l'emporta
radicalement sur la logique de l'Etat.
Section 2
Montesquieu : la république, contre-exemple du despotisme
- La réflexion politique du XVIIIe est dominée par la crainte du despotisme
- Dans l’Esprit des lois qu’il publie en 1748, Montesquieu (1689-1755) érige la
république en contre-exemple du despotisme.
- Pour Montesquieu, il existe trois formes de gouvernements, le républicain, le
monarchique et le despotique.
- Ce qui permet de les différencier est l’attitude des gouvernants face aux lois plus que
leur nombre.
- Comme dans une monarchie, dans une république, le pouvoir a une assise légale.
- Elle doit également être modérée et posséder une constitution
- En ce sens, la république assure la liberté des citoyens et le droit de faire tout ce que les
lois permettent sans crainte d’être inquiété.
- La république se distingue aussi par « une certaine distribution des trois pouvoirs » que
Montesquieu définit.
- Un peuple n’est pas libre parce qu’il est souverain ; en réalité, la liberté politique résulte
d’un équilibre entre les pouvoirs.
- A ce titre, elle concerne les monarchies modérées comme les républiques
- Cependant, Montesquieu remarque que la république se sépare de la monarchie car la
souveraineté n’appartient pas à un seul homme.
- La république peut dès lors être une aristocratie quand « la souveraine puissance est
entre les mains d’une partie du peuple ».
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- Elle peut aussi être une démocratie lorsque « le peuple en corps a la souveraine
puissance ».
- Mais partant du principe que le peuple est incapable de gouverner, de traiter les affaires,
Montesquieu explique que si le peuple adopte les lois, il choisit au sein des classes supérieures
les magistrats et les représentants du conseil (ou sénat) appelés à gouverner.
- Montesquieu imagine donc une république favorable aux notables.
- Montesquieu insiste sur la nécessaire présence de la vertu politique (et non morale) dans
une république qui se traduit par une recherche permanente de l’intérêt public
- Si la vertu disparaît, le bien commun est négligé au profit des intérêts particuliers.
- Cependant, pour Montesquieu, la république n’est viable que dans des petits Etats
et appartient donc au passé
- L’heure est plutôt aux royaumes et aux empires.
- Ceci étant, Montesquieu propose une solution pour les grands Etats : la république
fédérative qui offre « tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain et la force
extérieure du monarchique ».
- Elle se présente comme « une société qui penche du côté de la confédération, chaque
Etat restant souverain et conservant la possibilité de quitter l’union »
- Les constituants américains s’en souviendront même si Montesquieu songeait, quant à
lui, aux Pays-Bas et à la Suisse.
- Appartenant sans conteste au passé, du moins dans sa forme démocratique, la république
pourrait donc devenir le régime de l’avenir, dans sa version fédérative, parfaitement admissible
- Pour autant, Montesquieu n’est pas un adepte de la république, ses préférences vont au
modèle de gouvernement modéré que lui inspire l’Angleterre
Section 3
Rousseau : la république identifiée à la démocratie
- Rousseau s’accorde avec Montesquieu pour considérer que la république s’oppose au
despotisme.
- Mais ensuite, les deux hommes ont des perceptions différentes de la république.
- Rousseau affirme que le contrat social, produit de la volonté générale, est l’acte
juridique fondateur de la république.
- Par ce contrat, chaque associé demeure libre bien qu’ayant accepté d’aliéner une partie
de ses droits à la communauté.
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- En posant le postulat du fondement humain de la société, Rousseau retire tout crédit à
la thèse de l’origine divine du pouvoir et supprime toute justification de l’absolutisme royal.
- L’autorité politique procède d’un accord de volonté
- Les magistrats sont investis de leurs pouvoirs non en raison d’un pacte de soumission
mais en vertu d’une commission.
- Leurs compétences sont donc nécessairement limitées par le droit naturel et par un
contrat.
- Les hommes, naturellement libres et égaux, se sont donnés des chefs pour les défendre
et non pour les asservir.
- Pour Rousseau en effet, dans la mesure où le souverain et l’unique garant de l’ordre
social, il doit nécessairement s’identifier au corps social, c’est-à-dire au peuple, assimilé à un
corps.
- De ce fait, la souveraineté ne peut pas se déléguer car elle est la volonté générale,
laquelle ne se partage pas : La puissance souveraine doit donc demeurer au peuple.
- Et Rousseau rejette toute crainte de despotisme en affirmant que le souverain est formé
d’individus libres et égaux qui ne sauraient souhaiter d’intérêts contraires aux leurs.
- Rousseau affirme la primauté de l’intérêt général qui est la volonté de l’ensemble.
- Il se méfie donc des inclinations particulières des princes ou des individus formant le
corps politique ou même de tous, car elles mettent en péril la république en s’écartant du bien
commun.
- Pour Rousseau, l’éducation forgeant un homme nouveau libéré des passions égoïstes, et
la vertu engendrant l’amour de la patrie, doivent prévenir toute divergence.
- En outre, la contrainte peut remédier à ces écarts dangereux pour la république car « le
pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens ».
- En toute chose, la volonté générale doit prévaloir de manière à ce qu’il n’y ait ni
opposition ni dissidence.
- La loi édictée en vue de l’utilité publique émane du peuple souverain réuni en
assemblées fixes ou extraordinaires qui statue à la majorité sans bénéficier cependant de
l’initiative des lois
- Cette dernière appartient à certains magistrats, ou à un législateur, qui mieux que le
peuple ignorant sait déceler le bien commun et dont les compétences sont clairement établies
- Rousseau au final se modère sur le procédé représentatif moyennant l’introduction du
mandat impératif et le renouvellement fréquent des députés
- Après Bodin, Rousseau différencie le souverain et le gouvernement.
51
- Le premier adopte les lois et le second est chargé de son exécution.
- Le premier est la volonté, le second est la force de la république.
- Rousseau ne manque pas d’ailleurs de souligner la différence fondamentale entre l’Etat
monarchique dans lequel les pouvoirs sont concentrés ou confondus et l’Etat républicain qui
les distingue
- Le gouvernement est un organe intermédiaire qui procède du souverain auquel il est
subordonné et qui le contrôle
- Il est formé d’un ou plusieurs membres, demeure subordonné aux lois comme chacun
des citoyens, et pour Rousseau, c’est en cela que consiste la liberté.
- Le gouvernement a pour tâches exclusives de faire observer les lois, de défendre la
liberté, de maintenir les mœurs et de pourvoir aux besoins publics
- Trois types de dérive sont à craindre : soit le gouvernement change de forme pour
arriver par étapes successives à la royauté ; soit le gouvernement usurpe le pouvoir souverain ;
soit les individus qui composent le gouvernement s’investissent séparément du pouvoir dont ils
sont revêtus en corps
- Dans tous les cas, la suprématie d’une volonté différant de la volonté générale fait peser
un risque notable sur les institutions
- Pour y remédier, Rousseau propose de mettre en œuvre périodiquement la responsabilité
des magistrats
- Pour Rousseau, la démocratie est le régime qui permet la plus grande correspondance
entre la volonté de corps et la volonté générale, parce que l’un et l’autre se confondent.
- Quant à la monarchie, elle penche volontiers vers le despotisme car la volonté du prince
tend à prévaloir sur la volonté générale.
- La république doit en conséquence s’imposer dans tous les Etats
- Après avoir pensé que la république ne pouvait exister que dans un petit Etat tel celui
de Genève, Rousseau se met à songer lui aussi au régime fédératif pour assurer l’existence de
la république dans un grand Etat.
- Ce régime fédératif revêt un système à deux degrés combinant démocratie et
représentation.
- Le gouvernement fédératif est organisé à partir d’assemblées locales elles-mêmes
relayées par une assemblée nationale composée de représentants investies d’instructions
précises et tenus de rendre des comptes à leurs commettants dans le but de préserver la
souveraineté du peuple
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- Ces idées ont valu à Rousseau d’être suspecté de créer un despotisme sans despote qui
conduira à l’éradication de toute forme de liberté individuelle et à la Terreur révolutionnaire
53
Deuxième partie
La Première république (1789 à 1814) : De la république des Lumières à la république
impériale
- Pendant cette période, on assiste à la mise en place de la res publica après la
disparition du roi.
- Les législateurs révolutionnaires sont pétris de culture antique comme tous les gens
instruits de l’époque
- L’Antiquité va donc constituer chez les législateurs révolutionnaires une référence
continuelle.
- A côté, il y a le modèle de la République américaine bien connu des Français qui ont
participé à la guerre d’indépendance du pays (1775-1783) (La Fayette).
- D’ailleurs, la séparation des pouvoirs, le droit de veto, le critère censitaire sur le modèle
américain sont repris dans le première Constitution française.
- De l’Ancien Régime, le législateur rejette notamment les privilèges de toutes sortes (de
personnes, de professions…), les particularismes, et le régionalisme.
- C’est donc toute une nouvelle philosophie qui vient animer la res publica qui met en
avant les thèmes de la liberté, égalité et fraternité.
- Trois ans seulement s’écoulent entre la réunion des Etats Généraux le 5 mai 1789
et la naissance de la Première République, le 22 septembre 1792
- Après la chute de la royauté le 10 août 1792, le nouveau régime connaît une sorte de
prologue jusqu'au 20 septembre 1792, jour de la victoire de Valmy, où la Législative cède la
place à la Convention.
- Cette période voit la Commune de Paris s'affirmer face à l'Assemblée
- Bras armé des Jacobins, elle lui impose, dès le 17 août, l'institution d'un tribunal
d'exception, destiné à juger les défenseurs des Tuileries et dont le point d’orgue est à l'origine
des massacres de septembre où un millier de détenus, pour la plupart de droit commun, sont
assassinés.
- C'est dans un climat de haine, de suspicion qu'est proclamée la République.
- Lors de sa première séance publique, le 21 septembre, la Convention abolit la royauté
et rompt ainsi le dernier lien par lequel la Révolution tenait encore à l'Ancien Régime.
- Le lendemain, elle décrète que les actes seront désormais datés de « l'an premier de la
République ».
54
- Le 25, la formule « la Royauté une et indivisible » cède la place à la formule « la
République française une et indivisible ».
- Tiraillée entre la démocratie directe, au nom de laquelle elle est instituée, et le système
représentatif, dont elle hérite de la Constituante, elle ne parvient pas à se donner une constitution
à laquelle elle puisse se conformer.
- Aux tensions entre les légitimités royale et parlementaire succèdent celles opposant la
légitimité populaire à la légitimité représentative.
- La Première République passe ainsi d'un gouvernement révolutionnaire à un
régime scandé par des coups d'Etat.
- Quant au nouveau régime instauré par Bonaparte après l’échec du Directoire, il ne se
laisse pas facilement saisir.
- Faut-il y voir une dictature militaire ou une expérience de despotisme éclairé ?
- C’est en fait une autre approche qui permet la meilleure qualification politique de la
période : celle qui consiste à la considérer comme organisant une dictature de Salut public à la
romaine, recherchant la sanction populaire.
- A ceci près que Bonaparte va, comme jadis César, tenter de faire de cette institution
dictatoriale, initialement conçue comme circonstancielle, donc provisoire, une institution
définitive.
- De là résulte l’ambiguïté fondamentale du régime, qui utilise la démocratie en vue de
fonder le pouvoir personnel avec un renforcement de l’autorité exécutive transformant la
république consulaire en une monarchie consulaire puis en un Empire.
Chapitre 1
La république reportée
- La période de la monarchie constitutionnelle s’étend de 1789 à 1792
- Elle débute juridiquement le 17 juin 1789, lorsque le Tiers Etat se proclame assemblée
nationale et se termine par la chute de la royauté le 10 août 1792
Section 1
La fin de l’Ancien Régime et le rejet de la république
- Les cahiers de doléances rédigés au niveau des paroisses pour les Etats généraux de
1789 manifestent certaines préoccupations politiques.
55
- La plupart des cahiers de bailliages admettent l’idée d’une constitution.
- Celle-ci devrait contenir la garantie de la liberté individuelle (liberté de pensée, liberté
de la presse, d’écrire…).
- On envisage aussi la convocation régulière des Etats généraux pour le vote des impôts
et des lois, ainsi que l’égalité devant l’impôt.
- Le pouvoir législatif aurait alors été exercé par le roi et les Etats généraux.
- La noblesse comme le Tiers demandent une Déclaration des Droits de l’homme que l’on
oppose souvent aux droits féodaux. : Ces droits doivent protéger l’homme de l’oppression par
l’homme.
- La presque totalité des cahiers demande la suppression de la féodalité et la suppression
des privilèges fiscaux.
- Au contraire, les nobles veulent conserver leurs privilèges et l’organisation de la société
en ordres.
- En revanche, très rares sont les cahiers révolutionnaires et aucun ne prévoit le
renversement de la monarchie.
- Les cahiers de doléances expriment tous sans exception des sentiments de loyauté et de
respect à l’égard du roi
- Ses sujets sont alors persuadés que Louis XVI est tout disposé à réaliser les réformes
auxquelles ils aspirent
- Les députés aux Etats généraux se présentent le 2 mai 1789 : Ils sont 1 196 dont 598 du
Tiers.
- La déclaration du roi est très restrictive
- Il ne parle pas de constitution et entend limiter les pouvoirs des Etats aux questions
financières.
- Le conflit éclate vite entre les ordres.
- Le premier problème est de savoir comment l’on vote, par ordre ou par tête.
- Le 10 juin, les députés du Tiers se proclament « Chambre des Communes ».
- Des députés du clergé se joignent au Tiers et forment alors la majorité absolue des Etats
généraux.
- Le 17 juin, la Chambre des Communes se déclare « Assemblée Nationale » et prend
aussitôt un pouvoir autonome.
- Le 20 juin, elle décide qu’il est nécessaire de rédiger une constitution et prend le titre
d’Assemblée Constituante.
- Le roi cède et consacre le titre d’Assemblée nationale.
56
- Il donne l’ordre au clergé et à la noblesse de se joindre au Tiers.
- Juridiquement, la Révolution est faite, la monarchie absolue cesse, l’Assemblée
nationale est mandatée par le peuple.
- Dans ces évènements, l’abbé Sieyès a eu une influence considérable
- Dans Qu’est-ce que le tiers Etats ? (1789), Sieyès explique notamment que le Tiers est
tout.
- Sans les ordres privilégiés, le Tiers ne perd rien, au contraire, il aurait un poids en moins.
- Or, jusqu’ici ses droits politiques étaient nuls, il n’est pas libre et la Nation ne peut pas
devenir libre si le Tiers ne l’est pas.
- Or le Tiers est écarté par l’aristocratie qui domine le roi
- Sieyès n’est pas hostile au roi, au contraire, mais il faut, écrit-il, un roi appuyé par le
peuple
- Il y a 25 millions de personnes du Tiers contre 200 000 privilégiés
- Donc le Tiers peut constituer une assemblée représentative de la nation parce que le
nombre, notion démocratique balaie la hiérarchie, notion aristocratique
- Il faut, écrit-il encore, que le tiers devienne « quelque chose » et pour cela, il faut rédiger
une constitution proposée par le roi, ou par le Tiers si le roi ne présente pas de projet.
- En 1789, rares sont ceux qui songent à abolir la monarchie.
- La forme républicaine du gouvernement est en effet écartée : Ni la Nation, ni ses
représentants n’en veulent.
- En même temps, Louis XVI se trouve dans la situation inédite d’un monarque qui ne
gouverne pas.
- C’est l’Assemblée qui dirige le pays et s’attelle à l’œuvre constitutionnelle.
Section 2
L’échec momentané de la république (1789-1791)
- Les fondements du nouveau régime sont contenus dans le fameux décret du 5-11 août
1789 portant abolition des droits féodaux et surtout dans la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789
- Si l’assemblée vote dans la nuit du 4 août l’abolition des droits féodaux et de la dîme,
la rédaction du texte donne lieu à de vives discussions dans les jours suivants
- Finalement l’article 1er du décret voté le 11 août commence par la formule solennelle
suivante : « l’assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal »
57
- Mais la suite du décret établit une distinction entre les droits féodaux qui sont abolis
purement et simplement et ceux qui ne sont abolis que moyennant rachat
- Or les modalités du rachat furent fixées de manière peu pratique pour les paysans (de
nombreux droits ne pouvaient en fait être rachetés)
- La Déclaration des droits de l’homme est, elle, souvent présentée comme une « machine
de guerre » contre l’Ancien Régime.
- Les constituants ont voulu en faire une déclaration de principe, de portée universelle
valable dans leur esprit pour tous les temps tous les lieux et tous les régimes politiques : c’est
la raison pour laquelle l’emploi du terme roi a été soigneusement évité
- En 1789-1791, la Révolution est relativement modérée, c’est la révolution de la noblesse
libérale et de la grande bourgeoisie
- Ces membres de la Constituante s’inspirent de Montesquieu, ce qui donne la séparation
des pouvoirs, dans une monarchie constitutionnelle où cohabitent Assemblée nationale et roi ;
ils rédigent la première constitution qui sera celle du 3 septembre 1791 et dans laquelle les
Constituants accordent la souveraineté non pas au peuple, mais aux seuls citoyens actifs, le
suffrage étant censitaire et indirect.
§ 1
L’abolition des droits féodaux
- Le 4 août 1789, la Constituante avait décidé de détruire la féodalité ; mais des précisions
étaient nécessaires, car certains droits féodaux, étaient, en réalité, fondés sur un contrat et
paraissaient devoir être maintenus
- La tentative de maintien de certains droits
- Pour résoudre la difficulté, l’Assemblée désigne, le 12 août un comité des droits féodaux
qui prépara le décret des 25-28 mars 1790 et introduisit dans ce texte modéré une distinction
subtile : la féodalité dominante, englobant tous les droits réputés usurpés sur l’Etat (justices
seigneuriales, tailles seigneuriales, péages, banalités, hommages, corvées personnelles,
dîmes…), était abolie sans indemnité tandis qu’était maintenue la féodalité contractante, c'est-
à-dire l’ensemble des droits fondés sur un contrat de concession de terre (cens, corvées réelles,
droits de mutation, rentes…)
- La preuve de l’origine contractuelle des droits n’était pas strictement exigée, on s’en
tenait à la coutume et à un système de présomptions ; mais ils devenaient rachetables et ne
donnaient plus aucune supériorité à leur titulaire
58
- La libération totale de la terre
- Cette distinction mécontenta vivement ceux qui avaient cru que cette nuit du 4 août avait
tout aboli et, le progrès des idées révolutionnaires aidant, un décret de l’assemblée législative
des 25-28 août 1792 adopta une solution plus rigoureuse : désormais, pour que les droits fussent
maintenus, il fallait rapporter l’acte de concession et, en fait, cette preuve était presque toujours
impossible
- La Convention adopta plus tard une attitude plus franche : le décret du 17 juillet 1793
supprima sans indemnité tous les droits féodaux
§ 2
La Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen
- Il s’agit d’un texte pris en avance sur la constitution à venir : les constituants le votent
en précisant qu’il s’agit d’un texte général qui sera inséré en préambule à la constitution qu’ils
vont écrire et publier plus tard
- Ainsi la fameuse déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789 sera
insérée en tête de la Constitution de 1791 qui sera la première constitution écrite de la
France
- Composée d’un petit préambule et de 17 articles, cette déclaration va avoir un grand
retentissement en Europe et par la suite se retrouver dans les constitutions d’Etats nouveaux
comme par exemple les pays d’Amérique latine dans la première moitié du XIXe siècle ; surtout
elle reste un texte de référence pour les constitutions françaises, celle de 1958 s’y réfère
explicitement
- La déclaration affirme avec éclat le principe de la liberté, avec nuances le principe
d’égalité
- La liberté avec éclat
- Il s’agit évidemment tout d’abord des libertés individuelles de l’homme mais également
des libertés collectives
- Dans les deux cas, les libertés qui sont énoncées trahissent bien l’esprit de l’époque, car
elles apparaissent surtout comme une condamnation implicite des abus qui étaient reprochés à
l’Ancien Régime, tandis que d’autres libertés sont passées sous silence
- Les trois libertés individuelles consacrées :
- La « sûreté » est la garantie contre les arrestations, détentions et condamnations
arbitraires
59
- Le citoyen qui obéit aux lois et qui ne nuit pas à autrui doit pouvoir jouir de cette sûreté
en toute tranquillité : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art.
4) ; « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société » (art. 5); « Nul homme
ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi » (art. 7) ; non-
rétroactivité des lois (art. 8); « Tout homme (est) présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré
coupable » (art. 9).
- La liberté d'opinion consiste tout d'abord dans la liberté de pensée « pourvu que (sa)
manifestation ne trouble pas l'ordre public », (art. 10), et son prolongement nécessaire réside
dans la liberté de « parler, écrire, imprimer » (art. 11).
- Depuis 1789 tous les moyens d'expression politique (journaux, livres, clubs) échappent
en fait à tout contrôle répressif.
- La liberté de conscience est introduite maladroitement, d'une manière incidente et
presque réticente, par l'article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même
religieuses, ... »
- En 1789, dans une France encore officiellement catholique, il est difficile de faire
admettre sur un même plan toutes les religions indifféremment : l'article 10 garantit donc à
chacun la liberté de conscience, mais ne dit mot de la liberté de culte.
- D'autre part, la reconnaissance de la liberté de conscience impliquait logiquement une
certaine laïcisation de l'Etat : celui-ci ne pouvait plus imposer à tous les citoyens la loi de
l'Eglise catholique, à partir du moment où chaque citoyen était libre de n'être pas catholique.
- Ainsi se justifient les deux mesures votées in extremis par l'Assemblée législative, le
20 septembre 1792, au moment de se séparer : d'une part, l'introduction du divorce, découlant
du principe de la liberté individuelle, « dont un engagement indissoluble serait la perte »; d'autre
part, la laïcisation de l'état civil, mesure déjà adoptée par l'Ancien Régime en 1787, mais pour
les protestants seulement.
- Désormais les naissances, mariages et décès seront constatés par les officiers de l'état
civil de chaque municipalité, et non plus par les curés comme auparavant.
- Les trois libertés individuelles méconnues
- L'esclavage colonial n'est pas aboli, ni condamné
- La Société des Amis des Noirs, fondée à Paris par Brissot en 1788 et animée par
Condorcet, Mirabeau, Sieyès, l'abbé Grégoire, La Fayette, a fait une active propagande
humanitaire pour obtenir d'abord l'abolition de la traite des esclaves entre l'Afrique et
l'Amérique, et ensuite l'abolition de l'esclavage lui-même.
- A l'opposé, le Club de Massiac, du nom du marquis de Massiac chez qui il se tenait,
60
défendait les intérêts des planteurs, soutenus à l'Assemblée constituante par Barnave, et qui
invoquaient l'argument technique de la prospérité économique des colonies, indispensable à la
métropole.
- Les Constituants passèrent donc sous silence la question de l'esclavage.
- Les esclaves des colonies françaises d'Amérique furent déçus dans leur espérance et,
faute d'avoir obtenu la liberté désirée par la loi, ils se soulevèrent à Saint-Domingue, principale
colonie française aux Antilles, en août 1791, et la colonie fut définitivement perdue
- A la Martinique, les esclaves s'agitèrent aussi, mais les colons blancs parvinrent à
maîtriser la situation.
- La liberté d'association et de réunion n'est pas évoquée non plus, soit qu'elle ait été
considérée comme une simple modalité de la liberté d'opinion (et de fait les clubs ont librement
prospéré), soit qu'elle ait été considérée comme contraire au troisième principe, l'individualisme
- Les libertés économiques sont passées sous silence aussi : ne voulant mécontenter
personne, les Constituants évitèrent de statuer aussi longtemps que possible, et, quelques jours
avant de se séparer, ils votèrent un Code rural (26 septembre 1791), chef-d'œuvre de
contradiction
- Les trois libertés collectives : elles sont conçues comme la garantie des libertés
individuelles
- La souveraineté nationale est affirmée évidemment sous l'influence de Rousseau qui,
dans son Contrat social (1762), demande au citoyen d'abdiquer totalement sa liberté individuelle
entre les mains de l'Etat, car, d'après lui, la loi, expression de la volonté générale du peuple
souverain, ne peut que garantir les droits individuels.
- Suivant l'article 3 de la Déclaration des droits, « le principe de toute souveraineté réside
essentiellement dans la Nation ; nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane
expressément. »
- La Nation souveraine est composée de l'ensemble des citoyens, et « la loi est l'expression
de la volonté générale » (art. 6), donc « tous les citoyens ont le droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants, à sa formation », la volonté générale étant la
garantie suprême contre l'arbitraire, la loi est la meilleure garantie de la liberté.
- A noter que la formule de l'article 6 est assez large pour justifier aussi bien la démocratie
directe et la démocratie plébiscitaire (« concourir personnellement »), que la démocratie
représentative (« ou par leurs représentants »).
- La séparation des pouvoirs : La Constitution a établi une stricte séparation des
pouvoirs, moins peut-être sous l'influence de Montesquieu, que par une profonde méfiance à
61
l'égard du pouvoir royal, elle est cantonnée maintenant dans le seul pouvoir exécutif, et abaissé
au profit des autres.
- A noter ici encore le lien établi par l'article 16 de la Déclaration, entre la garantie des
droits individuels et la séparation des pouvoirs : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a pas de constitution »
- L’égalité avec nuances
- L'égalité civile :
- Elle résulte du fameux article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droits. »
- « Egaux en droits », et non pas simplement « égaux » : l'égalité de tous devant la loi (art.
6) est la négation du privilège de l'Ancien Régime, et elle conduit à l'abolition du droit d'aînesse
en mars 1790 à l'abolition de la noblesse héréditaire ou personnelle en juin 1790
- L'égalité civile entraîne également l'accès de tous aux « dignités, places et emplois
publics » (art. 6), ainsi que l'égalité de tous devant l'impôt (art. 13).
- Il convient enfin de remarquer, à propos de l'égalité civile, que si l'article 1er de la
Déclaration l'associe à la liberté (« libres et égaux en droits »), l'article 2 ne mentionne comme
« droits naturels et imprescriptibles de l’homme » que la liberté, la propriété, la sûreté et la
résistance à l'oppression.
- Or la sûreté et la résistance à l'oppression peuvent être comprises comme des
explications redondantes de la liberté, et par conséquent, après avoir dit que les hommes
naissent et demeurent « libres et égaux en droits », la Déclaration ne reconnaît comme droits
naturels de l'homme que la liberté et la propriété : liberté-égalité d'un côté, liberté-propriété
de l'autre.
- Toute l'ambiguïté de la Déclaration est contenue dans cette opposition.
- Or, si l'égalité n'est pas reconnue comme l'un des droits naturels et imprescriptibles de
l'homme, c'est bien parce que, à l'inverse de la liberté, elle est susceptible de limitations et
d'abolitions, dans le domaine de l'égalité sociale ou de l'égalité politique, sans même parler de
l'égalité physique, intellectuelle ou morale.
- L'égalité sociale :
- Comme tous les hommes n'ont pas naturellement les mêmes qualités intellectuelles ou
morales, il s'ensuit, à propos des fonctions publiques, que celles-ci ne doivent être attribuées
aux citoyens que « selon leur capacité, leurs vertus et leurs talents ».
- D'autre part, après avoir élevé la propriété à la dignité de « droit naturel et
imprescriptible » dans son article 2, la Déclaration se termine par un article 17 qui fait de la
62
propriété « un droit inviolable et sacré », dont nul ne peut être dépouillé si ce n'est pour cause
de « nécessité publique », et « sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».
- Les hommes de 1789 ont un profond respect pour la propriété privée : leur égalité
civile n'a rien à voir avec un égalitarisme social.
- Tout au plus doit-on tenir compte dans l'établissement de l'impôt, des facultés
contributives de chacun (art. 16) : de là vient le caractère proportionnel de l'impôt, chacun
payant le même pourcentage du revenu frappé (par exemple 10 % du revenu foncier).
- Dès avant la Déclaration des droits, le décret du 11 août, portant abolition de la féodalité,
avait proclamé l'égalité fiscale (art. 9), ainsi que l'admission de tous à tous les emplois civils et
militaires (art. 11), ce qui impliquait l'abolition de la vénalité et de l'hérédité des charges (art.
7).
- Avec cette Déclaration, les Constituants font preuve d’un grand optimisme : Ils sont
persuadés que tous les maux de la société sont facilement évitables.
- Il suffit, selon eux, de proclamer les droits imprescriptibles de l’homme pour éclairer
tous les esprits et rendre la société parfaite.
- C’est une idée caractéristique de l’idéalisme optimiste de la philosophie du XVIIIe
siècle.
- Par ailleurs, on note le caractère abstrait de la Déclaration qui n’accompagne pas les
principes énoncés de garanties concrètes, assorties de procédures et de délais
- Par comparaison, les Déclarations américaines comportent des garanties juridiques qui
limitent le pouvoir du législateur.
- Le caractère abstrait de la Déclaration de 1789 va de pair avec le culte de la loi.
- Les Constituants estiment que le législateur ne peut se tromper.
- Donc, ils ne conçoivent pas leur Déclaration comme un rempart pour le citoyen contre
les errements éventuels du législateur (ce qui est la conception américaine).
Section 3
Le système politique instauré par l’Assemblée Constituante
- Le premier élément de ce système est la notion de souveraineté nationale avec ses
corollaires, un régime représentatif et la restriction des droits de suffrage.
63
§ 1
Le refus de la république
- Le cadre monarchique est fixé dès le début de la Révolution.
- En 1789, la France est indiscutablement royaliste
- Aussi, personne n’envisage réellement d’instaurer une république.
- Sont mises en avant l’idée qu’à un grand Etat, seule la monarchie peut convenir, les
républiques n’étant viables que dans les petits Etats
- On dénonce aussi l’inaptitude politique du peuple, les divisions inhérentes aux
assemblées populaires, le poids de la démagogie, le triomphe de l’injustice et la persécution des
bons citoyens.
- On craint aussi la remise en cause de l’unité du pays avec une république susceptible de
devenir fédérative.
- Aussi, le nouveau découpage territorial en départements a-t-il pour objectif de
réaliser l’unité française.
- Thouret voit dans la multiplicité des départements « une garantie contre des institutions
fédératives ».
- La nouvelle structure administrative a été uniformément appliquée à tout le territoire
national afin d’effacer tous les particularismes locaux
- On rejette aussi un législatif à deux chambres.
- On peut se poser la question, pourquoi une chambre unique ?
- Pourquoi la Constituante a-t-elle décidé que la France n'aurait qu'une Chambre de
représentants et pas deux, comme l'Angleterre et l'Amérique
- La première explication est la suivante : ce n'est pas la peine d'avoir deux chambres
comme dans ces deux pays
- Il n'y a pas en France de justification.
- L'Angleterre a deux chambres parce qu'il y a une chambre pour la noblesse, The House
of Lords.
- Or, dans la nuit du 4 août, la France a aboli la noblesse.
- Une Chambre des représentants de la noblesse serait donc non seulement inutile, mais
illogique.
- On ne peut non plus imiter les États-Unis où le Congrès comprend le Sénat et la
Chambre des représentants.
- En effet, les États-Unis sont un pays fédéral : si la Chambre des représentants est
64
fonction du nombre d'habitants électeurs, le Sénat est la représentation égalitaire des Etats (13
à cette époque).
- Mais la France n'est pas un Etat fédéral, même si bien des députés -la future tendance
girondine en particulier - n'excluent pas une telle possibilité.
- La deuxième explication, plus pratique, c'est que lorsqu'il y a deux chambres, les choses
vont beaucoup plus lentement.
- Le travail législatif en est ralenti, par la fameuse navette (que nous connaissons
actuellement en France, sous la Constitution de 1958).
- Or, les constituants savaient qu'il y aurait énormément de lois à voter, que le nouveau
régime aurait à reconstruire la France, et que cette reconstruction de nos institutions devait se
faire rapidement.
- La coexistence de deux chambres aurait tout ralenti, tout gêné.
- En outre, on savait l'effet de tempérament d'une deuxième chambre, et on s'en méfiait
- Telles sont les explications d'une seule chambre dans la Constitution de 1791.
- En outre, l'unité renforçait la puissance du législatif vis-à-vis de l'exécutif, c'est-à-dire
du roi.
§ 2
La souveraineté nationale et ses aménagements constitutionnels
- La Constituante a voulu rendre au peuple la souveraineté
- Mais il existe bien des manières pour le peuple d’exercer sa souveraineté : il peut en
user directement ou bien la déléguer à des représentants
- En ce cas qui jouira du droit de vote ? Qui pourra être élu représentant ?
- La souveraineté nationale est réglé par le titre III de la constitution qui écarte
délibérément la démocratie directe ; non seulement le peuple ne participe au gouvernement que
par l’intermédiaire de représentants mais ni le référendum ni le plébiscite ni le droit d’initiative
ne sont prévus
- Siéyès estimait que la très grande majorité des Français « n’avait ni assez d’instruction
ni assez de loisirs pour vouloir s’occuper directement des lois qui gouvernent la France »
- La nation n'exerce donc sa souveraineté que par l'intermédiaire de ses
représentants, les députés élus ; d'aucuns y ajoutent le roi, considéré comme premier
représentant du peuple.
- La constitution précise que les représentants ne peuvent recevoir de « mandat
impératif » (titre III, chapitre l, section III, article 7).
65
- En effet, le député représente la nation tout entière, et non sa seule
circonscription électorale.
- Celle-ci ne saurait donc lui donner de mandat impératif.
- La Constituante restreint en fait la souveraineté nationale à un simple droit
d'élire.
- Par-là, elle montre son vrai visage ; elle craint la démocratie.
- Cette peur apparaît encore dans le partage du droit d'élire.
- En effet, le droit de suffrage n'est accordé qu'à une minorité de Français ; les
femmes sont écartées en masse malgré l'intervention de Robespierre à l'Assemblée
- Les jeunes gens sont également exclus du droit de vote, puisque l'âge électoral
est fixé à 25 ans.
- Mais ce n'est pas tout ; l'Assemblée constituante a suivi le subtil raisonnement
de Sieyès qui distinguait des « citoyens passifs » et des « citoyens actifs ».
- Tous les citoyens, disait Sieyès, sont « passifs », par rapport aux droits civils ;
un petit nombre est « actif » par rapport aux droits politiques.
- En fait, la France était habituée du système censitaire qui était en usage pour les
élections municipales sous l'Ancien Régime, dans les 'villes où un système électoral
avait subsisté.
- De plus, le système censitaire était aussi en vigueur en Angleterre et aux États-
Unis, les deux pays dont les institutions servirent de modèles à l'assemblée
constituante.
- Il ne faut donc s'étonner, ni du projet de Sieyès, ni de son adoption.
- La bourgeoisie libérale ne pouvait guère plus consentir au suffrage universel
qu'à l'égalité économique.
- Pour être « citoyen actif », il fallait donc : être âgé de plus de 25 ans, être
domicilié depuis un an dans la ville ou le canton, ne pas être domestique, être inscrit à
la garde nationale de son domicile, avoir prêté le serment civique, n'être, ni en état
d'accusation, ni failli, ni insolvable non libéré et surtout, payer une contribution directe
égale à trois journées de travail
- C’était là une condition fondamentale : le suffrage était donc censitaire
- Non seulement le suffrage était censitaire, mais il était à deux degrés, nouvelle
précaution contre toute tentative de régime démocratique
- Les citoyens actifs en effet n’élisaient pas directement les députés
- Ceux-ci étaient élus par des électeurs nommés eux-mêmes par les assemblées
66
primaires composées de la totalité des citoyens actifs
- C’est une idée reprise de l’Antiquité selon laquelle, ceux qui contribuent à la vie de
l’Etat par le paiement de contributions sont dignes et capables de s’intéresser à la chose
publique.
- Le système a une coloration oligarchique incontestable.
- La bourgeoisie entend exercer le pouvoir en dehors des classes populaires jugées peu
éclairées, peu favorables au progrès et dans leur majorité attachées au roi et à la religion.
- Sur le plan des doctrines politiques, le système s’appuie sur Rousseau, mais le trahit
également.
- Il emprunte à Rousseau toute l’argumentation selon laquelle il établit la souveraineté de
l’intérêt général (et à travers elle, celle du corps social).
- Le système s’écarte de Rousseau pour qui toute délégation du pouvoir législatif rend la
société illégitime.
- Rousseau ne conçoit en effet que la démocratie directe.
- Sur le plan politique, le système organise une concentration du pouvoir législatif aux
mains de la bourgeoisie qui est la classe victorieuse de la Révolution. Elle détient en pratique
le monopole législatif.
§ 3
La nouvelle organisation des pouvoirs publics
- Cette nouvelle organisation est dominée par la séparation des pouvoirs proclamée dans
l’article 16 de la Déclaration du 26 août 1789.
- Elle constitue une des grandes caractéristiques de la Constitution de 1791 avec le régime
représentatif.
- Ainsi, la nation est titulaire de la souveraineté qui est exercée par ses représentants qui
sont l’Assemblée (unique de 751 membres) dans l’ordre législatif et le roi avec ses ministres
(6) dans l’ordre exécutif.
- Mais ces ministres n'ont rien de politique, ils ne sont pas constitués en cabinet
responsable devant l'Assemblée, comme c'était le cas en Angleterre, comme c'est le cas en
régime parlementaire.
- Les ministres sont simplement des technocrates pris par le roi à ses côtés pour lui
permettre d'exécuter les lois.
- Tout au plus l'Assemblée peut-elle convoquer les ministres pour leur demander des
explications, mais elle ne peut émettre une censure à leur égard.
67
- Ces pouvoirs sont séparés, indépendants l’un de l’autre.
- L’Assemblée ne peut pas renverser les ministres nommés par le roi, et encore moins
celui-ci, qui est inviolable et sacré.
- Le roi ne peut pas dissoudre l’Assemblée.
- Cependant, par-delà cette séparation des pouvoirs, les constituants ont organisé une
profonde inégalité des pouvoirs.
- Il existe un pouvoir principal, le législatif, et un pouvoir secondaire, l’exécutif.
- Cela s’explique par le culte de la loi.
- Cela est accentué par le fait que le roi ne dispose pas du pouvoir réglementaire.
- Le roi ne peut donc faire que « les proclamations nécessaires pour assurer l’exécution
littérale de la loi »
- La proclamation ne peut rien ajouter par rapport à la loi, même au niveau du détail et
des mesures d’exécution.
- C’est à la limite une négation de la fonction gouvernementale.
- Le roi, chef de l'exécutif, est le chef de l'Administration ; c'est du moins l'aspect
officiel.
- Mais en regardant les choses d'un peu plus près, on s'aperçoit que celle-ci ne dépend pas
réellement de lui.
- En effet, il avait été décidé que dans les diverses branches de l'Administration, que ce
soit la Justice, les Finances publiques, l'Administration locale, les cadres seraient élus par la
Nation, par les citoyens
- Le roi est donc le chef d'une Administration qui n'a pas été choisie par lui, même
si théoriquement il envoie aux administrateurs élus une lettre de nomination qui ne fait
qu'entériner l'élection populaire.
- Le roi doit travailler avec des gens qu'il n'a pas nommés et qu'il ne peut pas révoquer,
qui, tout en dépendant théoriquement de lui, se sentent indépendants.
- Le système est donc faussé et c'est sciemment que l'exécutif a été vidé de sa puissance
réelle : Les constituants de 1789-1791 ont voulu réduire le pouvoir royal, face à celui de
l'Assemblée.
- Et pourtant le roi n'est pas totalement dépouillé, loin de là.
- Si ses châteaux, domaines, biens de la Couronne, ont été repris par la Nation, on lui a
laissé les Tuileries, Saint-Cloud, Compiègne et Pau, on lui a affecté une liste civile importante.
- Il dispose du droit de veto sur toutes les lois qui ne sont pas financières ou militaires.
68
- Surtout il reste le chef de la diplomatie française, c'est auprès de lui que sont accrédités
les ambassadeurs, c'est lui qui en envoie et il semble que l'Assemblée, qui se désintéresse des
problèmes extérieurs, ait laissé concrètement au roi le monopole des relations extérieures de la
France.
- Logiquement, dans ce système, l’Assemblée dispose du monopole de l’initiative
législative.
- Toutefois, en raison du poids de la tradition monarchique, les textes votés par
l’Assemblée ne deviennent applicables qu’après avoir reçu l’approbation, la sanction du roi.
- Le roi dispose donc d’un pouvoir d’empêcher, d’un droit de veto suspensif.
- Mais ce pouvoir donné au roi n’est pas dans la logique du nouveau système et le jour où
le roi voudra en faire usage, cela sera considéré comme de la provocation.
- Précisons-en plus que le veto royal ne vaut que pour deux législatures, c'est-à-dire quatre
ans au maximum.
- Si une troisième assemblée revote la loi, le roi ne peut plus opposer son veto et doit
promulguer la loi.
- Également le roi n'a pas le droit d'appliquer son veto aux lois financières ; cela veut donc
dire qu'en matière de finances, c'est-à-dire le nerf de la vie politique, l'Assemblée est seule
maître.
- C'est elle qui tient donc les comptes de la Nation et vote les impôts et les dépenses, donc
les recettes et leur affectation, ce qui est une garantie contre le roi.
- L'Assemblée est aussi seule maîtresse du contingent militaire, ce qui peut paralyser le
rôle diplomatique du roi, privant l'exécutif d'armée avec force suffisante.
- L'Assemblée s'est réservée - comme en Angleterre - les deux points essentiels, l'argent
et l'armée, et déjà en cela elle prive l'exécutif d'une partie de ses moyens.
- Le judiciaire est le troisième pouvoir.
- Confié à des juges élus, donc à leur façon représentants de la Nation, et surtout libres,
c'est un pouvoir indépendant par rapport aux deux autres.
- Mais on ne veut pas qu'il prenne trop de puissance par rapport à l'exécutif et surtout au
législatif.
- On crée bien un Tribunal de cassation auprès du Corps législatif (on ne disait pas
encore Cour) mais on s'arrange pour qu'il n'ait pas du tout les mêmes pouvoirs que la Cour
suprême des Etats-Unis.
- Le Tribunal de cassation n'a pas le droit de prendre de décisions à portée générale, il n'a
pas le droit d'interpréter lui-même une loi, et doit demander au pouvoir législatif par référé
69
d'interpréter les lois obscures.
- Son rôle est conçu comme très inférieur à celui de notre Cour de cassation actuelle dont
il est pourtant la forme initiale.
- Les choses ne changeront qu'à partir de 1830.
- Sommet de la pyramide judiciaire sous la Révolution française, il doit s'incliner devant
les deux autres pouvoirs qui le précèdent de loin.
- Les constituants avaient gardé le souvenir des difficultés créées par les parlements au
pouvoir monarchique.
- Passés de l'autre côté de la barricade, ils ne tenaient pas à voir se dresser, cette fois-ci
contre eux, contre le nouveau régime, un judiciaire indépendant et doté de pouvoirs
d'obstruction considérables.
- Au final, C'est donc un régime différent à la fois de l'Angleterre (il n'est pas un
régime parlementaire) et des États-Unis (il y aura une seule chambre, un exécutif affaibli, un
judiciaire mineur) que la Constitution de 1791 établissait.
- Constitution en principe idéale - la première constitution écrite de la France, rédigée par
les cerveaux les plus éminents du pays qui avaient eu deux ans pour la faire - la Constitution de
1791 ne marchera pas et le régime de monarchie constitutionnelle qu'elle avait prévu aboutira
à une véritable impasse.
- En moins d'un an, elle fera preuve de son inadaptation à la conjoncture politique que
traversait la France.
- Pourquoi cet échec ? Pour des raisons, d'abord de mécanique constitutionnelle, pour
des raisons de pure politique ensuite.
- Échec pour des raisons de mécanique constitutionnelle.
- On n'a pas pu ou pas voulu jouer le jeu de la séparation des pouvoirs à fond.
- On avait bien déclaré qu'il y aurait trois pouvoirs, mais on avait établi a priori un
décalage entre l'exécutif et le législatif d'une part, et d'autre part le judiciaire.
- On avait donné par-dessus le marché la primauté au législatif en vidant sournoisement
l'exécutif d'une grande partie de sa force.
- On n'avait pas prévu suffisamment de moyens de communication, de pression, d'un
pouvoir sur l'autre.
- Le seul mécanisme de rapport entre les deux consistait dans la possibilité pour le roi de
faire veto aux lois votées par l'Assemblée.
- L'initiative de la pression d'un pouvoir sur l'autre était au roi, mais c'était une initiative
négative, destructrice.
70
- Elle mettait le roi dans la position de l'empêcheur de danser en rond, de l'obstructeur.
- Chaque fois que le roi met son veto aux décisions de l'Assemblée, refuse de les
promulguer, il est celui qui bloque le système, s'oppose aux représentants élus de la Nation, à
la Nation elle-même.
- Le roi va se bâtir ainsi une réputation détestable en se servant d'un outil qui est pourtant
constitutionnel, absolument valable.
- Chaque fois qu'il va l'employer, il soulèvera un tollé, non seulement à l'Assemblée
législative, mais surtout dans le peuple, principalement dans le peuple parisien qui finit par
donner à Louis XVI et à la reine le nom de « Monsieur Veto » et de « Madame Veto ».
- Échec pour des raisons politiques.
- On avait voulu faire un peu la copie du régime britannique, de la vie politique anglaise ;
on s'était dit l'Angleterre vit très bien de façon parlementariste, la nation y est libre depuis les
Révolutions du XVIIe siècle, en particulier depuis la Constitution de 1689 (Bill of Rights) qui
a séparé les pouvoirs entre le roi et le Parlement.
- On avait donc imaginé de copier ce régime.
- Seulement en Angleterre, en 1689, lorsqu'on avait établi un nouveau modus vivendi
entre les chambres et le monarque (sur lequel l'Angleterre vit toujours en principe) on avait
alors changé de roi et même de dynastie
- On commençait un régime nouveau avec un nouveau monarque qui avait accepté de
n'avoir que des pouvoirs extrêmement réduits.
- En 1789-1791, l'erreur a été de vouloir commencer un nouveau régime
constitutionnel avec l'ancien monarque absolu, qui n'oubliait pas son droit divin, et qui
n'avait plus que l'exécutif.
- Louis XVI n'avait pas réussi à changer ses façons de voir, la reine non plus
- Ils n'avaient pas accepté au fond du cœur cette constitution, cet ersatz de pouvoir
- Le jeu normal en a été complètement faussé.
- L'autre explication d'ordre politique c'est que par rapport à ces deux pouvoirs se crée
dans la réalité quotidienne un autre pouvoir qui n'est pas inscrit dans la Constitution, mais dont
il faut tenir compte : l'opinion publique, le peuple de Paris, les clubs, les groupes de pression.
- Les clubs politiques les plus connus sont le Club des Jacobins, révolutionnaire, et le
Club des Feuillants, conservateur.
- On les appelle ainsi parce qu'ils s'étaient installés dans des couvents désaffectés.
- Si ces clubs mènent la vie politique, le peuple parisien manifeste souvent ses exigences,
entoure l'Assemblée quand il ne l'envahit pas, fait pression sur ses décisions.
71
- Les Tuileries, palais du roi, sont eux aussi envahis à plusieurs reprises.
- La nouvelle assemblée, la Législative, se réunit le 1er octobre 1791.
- Pourtant la monarchie constitutionnelle n'a plus que quelques mois à vivre.
- En effet, depuis la fuite du roi et son arrestation à Varennes en juin 1791, la rupture est
consommée entre la Révolution et la royauté.
- La guerre qui est ouverte contre l'Europe coalisée, à partir d'avril 1792, va amener à une
radicalisation révolutionnaire.
- L'utilisation maladroite du veto suscite contre Louis XVI la journée insurrectionnelle du
20 juin 1792 au cours de laquelle le peuple parisien envahit les Tuileries et force le roi à se
coiffer d'un bonnet phrygien.
- Le 25 juillet suivant, un manifeste du chef des armées coalisées, le duc de Brunswick,
menaçant Paris d'une exécution militaire en cas d'agression contre Louis XVI et sa famille,
achève de confirmer la collusion du roi avec l'ennemi.
- Le 10 août, les Parisiens prennent d'assaut les Tuileries forçant Louis XVI à se réfugier
auprès des députés qui ne peuvent qu'ordonner son arrestation et son transfert à la prison du
Temple.
- Le 10 août 1792, la royauté est tombée !
- La Constitution de 1791 est caduque de facto et la Législative doit se séparer pour laisser
la place à une nouvelle assemblée, la Convention nationale.
Chapitre 2
La première République dans la tourmente révolutionnaire (1792-1799)
- Le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative cède la place à une nouvelle assemblée
élue, la Convention, dont le nom a été inspiré par le vocabulaire politique anglo-américain, et
dont la compétence est double : établir une nouvelle constitution et, en attendant que celle-ci
soit mise en application, exercer toute la souveraineté de l'Etat et gouverner la France.
- Les élections eurent lieu au suffrage universel à deux degrés, sans conditions censitaires
dans les assemblées primaires, mais l'indifférence, la peur ou la violence écartèrent de celles-ci
90 % des électeurs (il n'y eut environ que 700 000 votants sur une population mâle majeure
évaluée à 7 millions).
- C'est donc une toute petite minorité de révolutionnaires exaltés qui désigna les 749
conventionnels : ceux-ci, presque tous issus de la bourgeoisie moyenne ou petite sont de fermes
partisans des conquêtes révolutionnaires réalisées depuis 1789, mais attachés à la conservation
72
sociale.
- Ils ont en général une solide expérience de la vie politique et administrative : un tiers
d'entre eux sont des juristes, les deux cinquièmes d'anciens constituants ou d'anciens
législateurs, la moitié a déjà exercé des fonctions dans les administrations locales ou
départementales.
- Ils sont dans la situation difficile d'une minorité politique, portée au pouvoir par une
révolution qui est menacée de l'extérieur par la guerre de coalition européenne, et à l'intérieur
par les forces contre-révolutionnaires où se mêlent les royalistes et les catholiques persécutés.
- De surcroît, ils risquent d'être débordés par l'émeute parisienne car, comme Louis XVI,
ils sont les otages des quartiers populeux de Paris : la Révolution libérale, respectueuse de la
propriété, est dépassée par les revendications égalitaristes des sans-culottes
(révolutionnaires issus de la partie modeste et laborieuse du peuple).
- Le régime républicain, issu du coup de force du 10 août 1792, vicié en quelque sorte par
les conditions mêmes de sa naissance, a perpétuellement vécu dans l'instabilité, en raison d'une
succession ininterrompue de coups de force, soit populaires, soit politiques, soit militaires,
réussis ou avortés, qui ont jalonné son histoire.
- L'histoire politique de la France se présente alors comme une succession zigzagante de
coups de force alternés, tantôt à droite contre les excès ultra-révolutionnaires, tantôt à gauche
contre le danger de restauration monarchique.
Section 1
La République jacobine (1792-1794)
- Correspondant à la phase radicale de la révolution française et s’étendant de septembre
1792 à juillet 1794, cette période voit l’installation du régime républicain et la mise en œuvre
du gouvernement révolutionnaire
- Le 20 septembre 1792, la Convention nationale, élue au suffrage universel et forte de
749 députés, se réunit pour la première fois, le jour même où, à Valmy, les armées françaises
reprennent l'initiative contre la coalition européenne.
- Le lendemain, la Convention décrète l'abolition de la royauté en France.
- Le 22 septembre, l'assemblée décide de dater désormais les actes officiels de l'an 1 de
la République.
- Enfin, le 25 septembre, sur la proposition de Danton, un décret proclame la république
française « une et indivisible »
- La nouvelle assemblée est vite divisée entre plusieurs tendances politiques.
73
- A droite, se trouvent les Girondins, emmenés par Brissot : Ils se méfient de Paris et
veulent renforcer le poids des provinces.
- À gauche, siègent les Montagnards, parmi lesquels Danton, Robespierre, Saint-Just ou
encore Marat.
- Ces députés se retrouvent principalement au club des jacobins et dans celui des
cordeliers.
- Ils s'appuient sur Paris
- Au centre, la majorité des représentants se regroupent dans un ensemble disparate, le
Marais ou la Plaine, qui rejoint au gré des ordres du jour et des questions la Gironde ou la
Montagne.
- La grande question qui anime les premiers mois de la Convention est celle du devenir
du roi.
- Depuis le 10 août 1792, Louis XVI est prisonnier au Temple.
- Sur le rapport de son comité de législation, la Convention nationale décide de juger le
roi pour atteinte à la sûreté générale de l'État et conspiration contre la liberté des Français.
- Le procès s'ouvre en décembre 1792 dans une atmosphère lourde et Louis XVI est
reconnu coupable des crimes dont on l'accuse le 15 janvier 1793.
- L'appel au peuple ayant été rejeté, la mort est votée le 19 janvier par une courte majorité
et le roi est exécuté le 21.
- L'événement a une portée considérable.
- Comme l'a dit Danton, « les ponts sont rompus » et tout retour en arrière est rendu
impossible par cet acte terrible.
- L'une des conséquences du procès au plan interne est la rupture irrémédiable entre la
Gironde, accusée d'avoir tenté de sauver le roi, et la Montagne.
- La question de la légitimité du jugement de Louis XVI n'a cessé d'être au cœur des
controverses depuis.
- Il est vrai qu'au plan juridique, il est difficile de justifier le procès fait au roi par la
Convention, celle-ci étant à la fois juge et accusateur.
- Force est de constater que l'affaire ne répond qu'à une logique politique.
- Comme l'ont soutenu certains conventionnels, la condamnation du roi est une mesure
de salut public ; Les députés ont donc dû choisir entre la Révolution et la royauté, entre l'avenir
et le passé.
- Robespierre est celui qui a sans doute le mieux résumé ce dilemme en déclarant à la
tribune de la Convention : « Louis doit mourir parce qu'il faut que la patrie vive ».
74
- Dès octobre 1792, la Convention a mis sur pied en son sein un comité chargé d'élaborer
une nouvelle constitution.
§ 1
La Constitution fantôme de l’an I (1793)
- Réunie le 21 septembre 1792 (date aussi du point de départ du calendrier
révolutionnaire), la Convention proclame le jour même l’abolition de la monarchie et
l’avènement de la République.
- Il s’agit de la première république française
- Dans cette période de fin septembre 1792 à octobre 1795, il faut distinguer d’une part
le gouvernement conventionnel ou révolutionnaire, issu des élections de septembre 1792, qui
agit sans autre base et d’autre part, l’élaboration de la constitution de l’an I (1793) qui ne sera
jamais appliquée
- Elle comporte une Déclaration des droits et 377 articles
- La Déclaration des droits reprend bien les thèmes essentiels de celle de 1789 - liberté,
égalité -, mais elle va plus avant dans certains domaines
- Si elle réaffirme le droit de propriété (art. 2 et 16), elle affirme à l'article 21 que « les
secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux,
soit en leur procurant du travail », soit par l'assistance sociale.
- Elle affirme également le droit à l'instruction (art. 22).
- Ainsi toute une série de droits sociaux apparaissent.
- Elle insiste comme nous l'avons dit sur l'égalité : C'est ainsi que l’article 18 interdit la
vente d'un individu (esclavage) et même ne reconnaît plus la domesticité, mais simplement « un
engagement de soins et de reconnaissance envers l'homme qui travaille et celui qui l'emploie ».
- Du point de vue politique, apparaissent des éléments nouveaux : la déclaration de 1793
reconnaît au peuple un droit - et même un devoir à l’insurrection (art. 35) « quand le
gouvernement viole des droits du peuple » et à la mise à mort immédiate de « tout individu qui
usurperait la souveraineté » (art. 27).
- La souveraineté populaire
- La Constitution de l'an 1 repose se sur la souveraineté du peuple (art. 24), et non plus
sur cette entité qu’était la nation de la Constitution de 1791.
- La Déclaration des droits emploie le terme « peuple » onze fois, pas une seule fois le
mot de « nation ».
- Elle instaure le suffrage universel (art. 29 ; art. 7 de l'acte constitutionnel) (bien
75
évidemment les femmes sont exclues).
- L'électorat est désormais un droit et non plus une fonction.
- C'est le peuple concret qui exerce ce droit, le plus directement possible ; le suffrage à
deux degrés est supprimé pour le mandat législatif (art. 8 de l'acte constitutionnel).
- Ainsi est-ce une sorte de démocratie semi-directe qui aurait été mise en place si cette
constitution avait été appliquée.
- Si l'on avait suivi Rousseau jusqu'au bout, il aurait fallu faire voter les lois par le peuple
tout entier, sans créer de corps législatif.
- Ce système de démocratie directe, possible dans un canton suisse, était inimaginable
dans un grand pays comme la France.
- Mais il est certain que le mécanisme prévu par la Constitution de l'an 1 prévoit le
maximum de ce qui est possible pour donner au peuple la souveraineté la plus concrète, le
contrôle le plus étroit sur ses représentants.
- Outre le suffrage universel pour tous les hommes majeurs de 21 ans (au lieu de 25 en
1791), il est prévu que le corps législatif soit réélu tous les ans (art. 40), ce qui donne aux
députés l'obligation de se représenter très fréquemment devant leurs électeurs qui peuvent ainsi
mieux les sanctionner.
- Surtout un contrôle est exercé par les électeurs sur le travail législatif.
- Chaque loi, imprimée, reste en projet et doit être envoyée par l'Assemblée à toutes les
communes de la République.
- Ce projet ne devient définitif que si dans les quarante jours, la moitié des départements
n'a pas formé de réclamations (art. 56 à 60).
- Dans la logique de cette constitution, c'est le peuple qui exerce ainsi le veto royal de la
Constitution de 1791.
- Un pouvoir exécutif faible
- Sous l'étroite dépendance du législatif, l’exécutif est assuré par un Conseil exécutif de
vingt-quatre membres.
- Il n’y a aucune séparation des pouvoirs
- Certes, ceux-ci sont élus directement par les assemblées des départements, mais le choix
des vingt-quatre sur la liste totale plus vaste appartient au corps législatif.
- Le Conseil est renouvelé par moitié tous les ans.
- Il doit résider auprès du Corps législatif, il ne peut agir qu'en exécution de ses décrets,
il est surveillé pour la nomination des agents de l'Administration.
- C’est un organe collégial qui décide à la majorité de ses membres (24 !), on imagine le
76
peu de cohésion qu'il aurait pu avoir.
- L'exécutif n'est donc plus un pouvoir, cette notion a disparu avec la nouvelle
constitution : Il n'est plus qu'un instrument du législatif.
- Pour résumer : la totalité des pouvoirs, législatif et exécutif, est donc entre les mains
de l’Assemblée (loi du 14 frimaire an II, 4 décembre 1793).
- L’Assemblée vote les lois et les décrets (les décrets correspondent aux matières
secondaires qui relèvent de l’administration plus que de la législation).
- Pour l’exécution matérielle des tâches gouvernementales, l’Assemblée a recours à un
système de comités.
- Elle élit 21 comités renouvelables chaque mois.
- Sous la surveillance de ces comités, on trouve un Conseil exécutif de 24 membres.
- Il n’existe donc pas de véritable pouvoir exécutif.
- Autre caractéristique de la constitution rédigée par la Convention : la révision de la
constitution devait pouvoir se faire avec une très grande facilité, et ceci à l'initiative populaire.
- La Déclaration des droits (art. 28) précisait qu’« un peuple a toujours le droit de revoir,
de réformer et de changer sa constitution, une génération ne pouvant assujettir à ses lois les
générations futures ».
- Aussi la constitution proprement dite (art. 115) prévoyait-elle qu'il suffisait que dans la
moitié des départements plus un, un dixième des électeurs demande la révision de la
constitution, du moins de quelques-uns de ses articles, pour que le Corps législatif convoque à
un référendum constitutionnel, pour l'établissement de la nouvelle Convention constituante.
- Approuvée elle-même par un référendum populaire, organisé de juillet à décembre 1793
selon les départements, le scrutin étant public et oral, il y eut 1 800 000 « oui » et seulement 11
600 « non » ; en revanche, le nombre d'abstentions s'élevait à 4 300 000
- Mais le gouvernement constitutionnel devait être réservé au retour de la paix, la
Convention se rendant compte du besoin d’un exécutif fort pour mener la guerre, ce qui était le
contraire de celui prévu par la constitution de l’an I
- Aussi son application fut-elle remise à plus tard
- Promulgué, son texte fut enfermé dans une arche en bois de cèdre déposée dans la salle
de la Convention
- Elle n’en sortit jamais et ne fut jamais appliquée
77
§ 2
Le gouvernement révolutionnaire et la Terreur
- S’il faut attendre 1793 pour que la Convention renonce officiellement à fonder la
République sur une constitution, une nouvelle conception juridique de la Révolution se fait jour
au printemps 1793
- La naissance du gouvernement révolutionnaire :
- Les premières mesures d'exception sont adoptées avant même la chute des Girondins,
en mars-avril 1793 : institution de représentants en mission, envoyés dans les départements pour
y « réchauffer le patriotisme » (9 mars) ; création d'un Tribunal criminel extraordinaire (10
mars) ; organisation des comités de surveillance communaux (21 mars) ; suspension de
l'inviolabilité des députés (1er avril)
- Le Salut public supplante ainsi rapidement les droits de l'homme.
- Débute, selon l'expression de Marat, le « despotisme de la liberté ».
- Paradoxalement, c'est Barère, député de la Plaine, rallié à la Montagne en raison des
nécessités, qui donne de ces mesures la meilleure justification.
- Dans un discours prononcé le 18 mars, il dégage les trois données du moment : on ne
gouverne pas en temps d'exception selon des méthodes normales ; la bourgeoisie doit conserver
son alliance avec les groupes populaires, quitte à en payer le prix par des concessions
économiques et politiques ; la Convention doit demeurer l'élément dirigeant de cette alliance,
prendre l'initiative des mesures révolutionnaires qui risqueraient, sinon, d'être dictées par la rue.
- C'est à cette exigence que répond l'institution du Comité de Salut public, le 6 avril
1793.
- C'est initialement un des 21 comités de la Convention.
- Composé au départ de 9 membres, désignés par l'Assemblée en son sein, il est chargé
de « surveiller et d'accélérer l'action de l'administration confiée au Conseil exécutif », pouvant
même suspendre les arrêtés de celui-ci.
- Il est par ailleurs autorisé à prendre, si les circonstances l'exigent, des mesures de
défense générale extérieure et intérieure.
- Ses arrêtés doivent être exécutés sans délai par le Conseil exécutif.
- Il peut enfin décerner des mandats d'arrêt et d'amener contre les agents d'exécution.
- Pour éviter de se laisser déborder, la Convention prend la précaution de rendre la
trésorerie nationale indépendante du Comité, ne lui accordant que 100 000 livres pour dépenses
secrètes.
- Elle n'institue pas de président ; Plus encore, elle soumet le Comité à un renouvellement
78
mensuel.
- Le Comité de Salut public ressemblait ainsi à un ministère responsable devant la
Convention, au moins sur un plan théorique, car la réalité fut tout autre.
- Délibérant en secret, maître des ministres et des fonctionnaires, il devait rapidement
concentrer le pouvoir à son profit.
- Il fut dans un premier temps dominé par Danton qui, usé par les défaites de l'été 1793,
demanda à la Convention de l'écarter le 10 juillet.
- Robespierre y pénétra le 27 juillet.
- Avec lui se constitua le Grand Comité de l'an II, complété en septembre, sous la pression
hébertiste, par Collot d'Herbois et Billaud-Varenne, amputé d’Hérault de Séchelles, le
rapporteur de la constitution montagnarde, ... guillotiné en avril 1794.
- Restait une équipe de douze hommes, unis par leur jeunesse - l'aîné ayant 47 ans et le
benjamin 26 - et par leur formation au service de l'Etat.
- Pour eux, le Salut public fut un apostolat et la violence une arme privilégiée.
- Un pas restait toutefois à franchir : légitimer les mesures d'exception.
- La systématisation du gouvernement révolutionnaire :
- Trois textes sont ici importants : le décret du 19 vendémiaire an II (10 octobre 1793),
portant que le gouvernement provisoire de la France est révolutionnaire jusqu'à la paix (rapport
Saint-Just) ; le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) sur le mode de gouvernement
provisoire et révolutionnaire (rapport Billaud-Varenne) ; le discours de Robespierre à la
Convention, le 5 nivôse an II (25 décembre 1793) sur les principes du gouvernement
révolutionnaire.
- Le décret du 19 vendémiaire an II constitue la première formulation de la théorie du
gouvernement révolutionnaire.
- Dans son rapport au nom du Comité de Salut public, Saint-Just déclarait : « Votre
Comité de Salut public, placé au centre de tous les résultats, a calculé les causes des malheurs
publics. Il les a trouvées dans la faiblesse avec laquelle on exécute vos décrets, dans le peu
d'économie de l'administration, dans l’instabilité des vues de l'Etat ... Il a donc résolu de vous
exposer l'état des choses et de vous présenter les moyens qu'il croit propre à consolider la
Révolution, à abattre le fédéralisme, à soulager le peuple et lui procurer l'abondance à fortifier
les armées à nettoyer l'Etat des conjurations qui l'infestent. Il n'y a point de prospérité à espérer
tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. »
- Le gouvernement révolutionnaire est donc un gouvernement de guerre, d'où la
nécessité d’une dictature.
79
- Observons toutefois que celle-ci, sur le modèle de la Rome républicaine, se veut que
provisoire.
- Le texte, relativement bref - quatorze articles - est politiquement instructif à deux
égards.
- Il confirme en premier lieu le rôle essentiel du Comité de Salut public.
- Le Conseil exécutif provisoire, les ministres, les généraux, les corps constitués sont
placés sous sa surveillance (art. 2), à charge pour lui d'en rendre compte à la Convention.
- A cette même condition, toute mesure de sûreté est prise par le Conseil exécutif sous
son autorisation (art. 3) : Il présente les généraux au choix de l'Assemblée (art. 5) ; Il dresse le
tableau des productions en grain de chaque district (art. 7) ; C'est également lui qui présente le
plan de direction et d'emploi de l'armée révolutionnaire (art. 12).
- En second lieu, le texte développe une nouvelle conception de la loi et c'est
juridiquement là le point le plus intéressant : « Les lois révolutionnaires doivent être exécutées
rapidement. Le gouvernement correspondra immédiatement avec les districts des mesures de
Salut public » (art. 4) ; « L'inertie du gouvernement étant la cause des revers, les délais pour
l'exécution des décrets et des mesures de Salut public seront fixés. La violation des délais sera
punie comme un attentat à la liberté » (art. 6)
- En ajournant l'application de la constitution, le décret du 19 vendémiaire an II tente de
récupérer le concept de loi : Telle est l'utilité de la référence aux « lois révolutionnaires »,
exigées par les circonstances, donc provisoirement en contradiction avec la constitution.
- Pour ce faire, le texte glisse de la notion de loi à celle d'application de la loi.
- Ce glissement est bien exprimé par le rapport de Saint-Just : « Les lois sont
révolutionnaires, ceux qui les exécutent ne le sont pas. Dans les circonstances où se trouve la
République, la constitution ne peut être établie... Elle deviendrait la garantie des attentats contre
la liberté parce qu'elle manquerait de la violence nécessaire pour les réprimer. Il est impossible
que les lois révolutionnaires soient exécutées si le gouvernement lui-même ne s'est constitué
révolutionnairement », c'est-à-dire en dehors de la constitution.
- Cet abandon de ce qui avait été par excellence la conquête de l'Assemblée
constituante caractérise la deuxième période de la Révolution.
- La notion de loi perd son sens originel.
- La loi révolutionnaire n'est plus que la nécessité circonstancielle d'une violence
arbitraire contre les ennemis de la liberté.
- L'arsenal de légitimation de la Terreur est désormais en place et il ne reste plus, en
quelque sorte, qu'à régler les détails d'application : C'est là l'objet du décret du 14 frimaire an
80
II.
- Le décret du 14 frimaire an II, riche de 69 articles, constitue une véritable charte du
gouvernement révolutionnaire.
- Il se caractérise politiquement par une extrême concentration du pouvoir et par une
farouche volonté d'efficacité dans l'exécution des lois révolutionnaires.
- La concentration du pouvoir s'exprime tout d'abord au niveau central.
- Jamais la France moderne n’a eu gouvernement plus exécutif, ni plus concentré que ce
gouvernement qui, théoriquement, demeurait le fait de la Convention.
- Certes, la fiction juridique est conservée : L'article 1er prévoit que « la Convention est le
centre unique de l'impulsion du gouvernement », mais l'article 2 s'empresse d'ajouter que « tous
les corps constitués et les fonctionnaires publics sont mis sous l'inspection immédiate du Comité
de Salut public » (section II).
- A moyen terme, cette politique aboutira à la suppression du Conseil exécutif le 12
germinal an II (1er avril 1794) et à son remplacement par douze commissions rattachées au
Comité de Salut public.
- Un même souci de concentration se manifeste en matière diplomatique, où le Comité se
voit chargé des opérations majeures (art. 1er section III).
- Les promotions militaires dépendent également de lui (art. 4).
- Il est en outre autorisé à prendre toute mesure nécessaire pour procéder au changement
d'organisation des autorités constituées (art. 1er, section IV).
- Le décret opère en effet sur le plan local un vaste réaménagement.
- Dans le cadre de la lutte contre le fédéralisme, les administrations départementales, dont
le personnel est sérieusement amputé, subissent une importante réduction de leurs attributions
- Dans les districts et les communes, qui du coup voient leur rôle s'accroître, sont institués
des agents nationaux, nommés par la Convention, mais devant correspondre tous les dix jours
avec le Comité de Salut public pour tout ce qui touche aux mesures de gouvernement et de Salut
public (art. 14 s., section II).
- L'élection s'efface devant la nomination.
- Les administrations locales sont ainsi reconstituées par voie d'épuration par les
représentants du peuple en mission, astreints eux aussi à des comptes rendus décadaires au
Comité de Salut public (art. 2, section III ; art. 2, section IV).
- L'orthodoxie est de rigueur.
- Tâche, à la base, des municipalités et des comités de surveillance, elle est au sommet
l'objet de la vigilance du Comité de Salut public et du Comité de Sûreté générale, chargé de la
81
police générale et intérieure (art. 6 et 8, section II).
- Alors que les décrets du 13 juin et du 25 juillet 1793 avaient favorisé le développement
des sociétés populaires, celles-ci se voient désormais privées de toute autonomie, le décret du
14 frimaire an II proscrivant notamment entre elles les possibilités de liaisons horizontales
« comme subversives de l'unité d'action du gouvernement et tendant au fédéralisme » (art. 17,
section III).
- L'urgence l'exigeant, il convient par ailleurs d'accélérer l'exécution des lois.
- C'est à ce but que répond la création d'un Bulletin des lois, qui servira désormais à leur
notification aux diverses autorités (art. 1er, section I).
- Dans chaque lieu, la promulgation de la loi se fait dans les vingt-quatre heures de sa
réception, à son de trompe ou de tambour, la loi devenant dès lors obligatoire (art. 9).
- Pour plus d'assurance, les lois sont lues par le maire ou un officier municipal, ou un
président de section chaque 10 jours (art. 10).
- Des peines sévères frappent les agents qui se rendraient coupables dans la surveillance
ou l'exécution des lois (section V) : privation des droits de citoyen pouvant aller de trois à huit
ans, confiscation de la moitié des biens, voire cinq années de fer.
- Quant aux contrefacteurs du Bulletin des Lois, ils encourent la peine de mort.
- Authentique machine de guerre de la Révolution contre ses ennemis, le décret du
14 frimaire an II concentrait le pouvoir entre les mains du Comité de Salut public, organe certes
de la Convention, mais dictant à celle-ci ses volontés.
- Le processus qui menait à la dictature personnelle de Robespierre devait rapidement se
préciser.
- Le rapport de Robespierre sur les principes du gouvernement révolutionnaire (5
nivôse an II) offre, trois semaines seulement après le décret du 14 frimaire, la théorie la plus
élaborée du gouvernement révolutionnaire.
- En voici un extrait éloquent : « La théorie du gouvernement révolutionnaire est
aussi neuve que la révolution qui l'a amenée. Il ne faut pas la chercher dans les livres
des écrivains politiques, qui n'ont point prévu cette révolution, ni dans les lois des
tyrans qui, contents d'abuser de leur puissance, s'occupent peu d'en rechercher la
légitimité ; aussi ce mot n'est-il pour l'aristocratie qu'un sujet de terreur ou un texte de
calomnie ; pour les tyrans, qu'un scandale ; pour bien des gens, qu'une énigme ; il faut
l'expliquer à tous pour rallier au moins les bons citoyens aux principes de l'intérêt
public. La fonction du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de
la nation vers le but de son institution. Le but du gouvernement constitutionnel est de
82
conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder. La
révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ; la constitution est le régime
de la liberté victorieuse et paisible. Le gouvernement révolutionnaire a besoin d'une
activité extraordinaire, précisément parce qu'il est en guerre. Il est soumis à des règles
moins uniformes et moins rigoureuses parce que les circonstances où il se trouve sont
orageuses et mobiles, et surtout parce qu'il est forcé à déployer sans cesse des
ressources nouvelles et rapides, pour des dangers nouveaux et pressants. Le
gouvernement constitutionnel s'occupe principalement de la liberté civile et le
gouvernement révolutionnaire de la liberté publique. Sous le régime constitutionnel,
il suffit presque de protéger les individus contre l'abus de la puissance publique ; sous
le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre
contre toutes les factions qui l'attaquent. Le gouvernement révolutionnaire doit aux
bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la
mort. Ces notions suffisent pour expliquer l'origine et la nature des lois que nous
appelons révolutionnaires. »
- Forme inédite de pouvoir, le gouvernement révolutionnaire échappe au domaine de
la légalité, dans le sens traditionnel de ce terme.
- Il obéit à « des règles moins uniformes et moins rigoureuses ».
- Il constitue pourtant le prélude à l'ordre constitutionnel : ce n'est que lorsque les ennemis
de la Révolution auront été vaincus que pourra être appliquée la constitution.
- Fonder la République consiste donc à en préserver l'existence, non seulement contre
l'ennemi extérieur, mais aussi contre les factions internes.
- Dès le 12 octobre 1793 avait été dénoncée par Fabre d'Églantine une « conspiration de
l'étranger », un complot fomenté par certains étrangers pour perdre la République par des
mesures outrancières.
- Certains siégeaient même à la Convention dont Cloots, qui poussait à des mesures
extrémistes, comme l'annexion de pays étrangers ou la déchristianisation, mesures « ultra-
révolutionnaires ».
- Toujours est-il que le Comité de Salut public crut à une véritable machination : « Les
barons démocrates sont les frères des marquis de Coblentz et, quelquefois, les bonnets rouges
sont plus voisins des talons rouges qu'on ne pourrait le penser. »
- Aussi, le décret des 5-6 nivôse an II (25-26 décembre 1793) exclut-il de la Convention
les quelques étrangers qui y siégeaient depuis l'été 1792.
- Par le même texte, l'Assemblée renvoyait à son Comité de Salut public « la proposition
83
d'exclure les individus nés en pays étranger de toutes autres fonctions publiques et la charge de
faire un prompt rapport sur cet objet ».
- Quant aux factions - antonyme de la volonté générale ~ visées par le discours, ce sont
les Hébertistes - qui, sous l'impulsion d'Hébert, avaient repris le flambeau des revendications
sociales laissé vacant par les Enragés, arrêtés en septembre 1793 - et les Indulgents - ces
derniers étant emmenés par Danton qui, dès novembre, avait protesté contre les mascarades
antireligieuses
- C'est la campagne du Vieux Cordelier, de Camille Desmoulins, qui mit le feu aux
poudres : Les deux premiers numéros -5 et 10 décembre -, s'en prenant aux « agents de
l'étranger », n'éveillèrent pas les soupçons ; Mais le troisième numéro - 15 décembre - remit
directement en cause le système du gouvernement révolutionnaire, les Indulgents signant ainsi
leur arrêt de mort.
- Le gouvernement révolutionnaire doit en effet, selon Robespierre, « voguer entre deux
écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l'excès ».
- L'Incorruptible en appelle ainsi à une « voie moyenne », mais « qui tracera la ligne de
démarcation entre tous les excès contraires. L'amour de la patrie et de la vérité ».
- C'est donc en dernier ressort un critère moral qui domine la vie politique.
- La suspension du droit se trouve de la sorte légitimée, au-delà même de la théorie
circonstancielle du Salut public, par l'exigence supérieure de fonder la société sur la vertu des
citoyens.
- On retrouve là la problématique de fond du Contrat social, le passage de l'homme au
citoyen.
- La Révolution a hérité de l'Ancien Régime des hommes corrompus.
- Avant de régner par la loi, elle doit les régénérer.
- Cet objectif permet de comprendre le succès du modèle spartiate, qui illustre la prise
en main par la cité de l'éducation, le mythe de la vie égalitaire et communautaire, l'idéal
d'austérité et de vertu.
- La référence même à la vertu des Anciens n'a rien d'un exercice de style : Elle a pour
but de légitimer l'action de la minorité radicale de la Convention.
- Dans ces conditions, la souveraineté même change de sens.
- Elle n'est plus le droit pour le peuple d'exercer le pouvoir constituant ou celui de
contrôler l'action des représentants qu'il a élus.
- Elle se transforme en une sorte de communauté éthique entre gouvernants et gouvernés.
- La Convention doit dicter au peuple la voie de son salut, mais elle ne doit pas moins
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répondre à l'appel qu'il formule.
- Si la « partie pure » de l'Assemblée représente le peuple, c'est parce que celui-ci prend
lui-même en charge l'épuration, par les comités de surveillance et les sociétés populaires.
- La politique devient ainsi le théâtre d'une logique de guerre qui, après avoir frappé les
Girondins, divise les Montagnards.
- Seule la Terreur semble susceptible de fonder durablement l'unité.
- La Terreur :
- La Terreur est mise à l'ordre du jour le 5 septembre 1793, sous la pression des
militants sans-culottes qui, ayant envahi la Convention dès le matin, réclament du pain et la
guillotine.
- Ces circonstances indiquent que, avant d'être un ensemble d'institutions répressives, la
Terreur est une revendication, un trait caractéristique de l'activisme révolutionnaire.
- De fait, elle existe dès le début de la Révolution, liée à l'idée du « complot
aristocratique » : adversaire mal déterminé, donc surestimé, qui engendre une suspicion
générale, dont les massacres de septembre 1792 sont une lugubre illustration.
- Cela dit, il faut se garder de considérer la Terreur comme un phénomène monolithique.
- L'épisode terroriste de la République connaît une évolution qu'il nous faut retracer pour
mieux la comprendre.
- Dès avant que la Terreur ne soit mise à l'ordre du jour, son appareil est en place.
- Des deux Comités centraux - Salut public et Sûreté générale - aux comités de
surveillance locaux, s'appuyant sur l'armée révolutionnaire et les représentants du peuple en
mission, sa structure administrative se révèle déjà efficace.
- A partir de septembre 1793, son action apparaît tout d'abord étroitement liée aux
circonstances du Salut public.
- Cependant, au printemps 1794, ce lien donne de sérieux signes de relâchement.
- La radicalisation progressive de la Terreur (septembre 1793 - printemps 1794).
- Durant cette première phase, la Terreur, dans la logique directe des exigences du Salut
public, qualifie les ennemis de la Révolution et se donne les moyens de les combattre.
- C'est dans ce but qu'est institué en mars le Tribunal criminel extraordinaire.
- Le 5 septembre, il est l'objet d'une réorganisation destinée à accélérer sa marche.
- Divisé en quatre sections dont deux fonctionnent simultanément, il est constitué de 16
juges chargés de l'instruction, de 60 jurés, d'un accusateur public entouré de substituts, tous
nommés par la Convention sur proposition des deux Comités.
- La justice est clairement subordonnée au pouvoir politique.
85
- Le 29 octobre, pour expédier le procès des Girondins, les débats sont limités à trois jours
et le Tribunal est officiellement proclamé révolutionnaire.
- Si on ajoute à cela que, selon le décret du 11 mars précédent, les juges opinent à haute
voix et que leurs sentences sont sans recours, la réalité terroriste apparaît dans toute sa brutalité
et le Père Duchesne de vanter, dans son numéro 312, les vertus de Sainte Guillotine ... Qui donc
passerait sous le « rasoir national » ?
- En mars 1793, la Convention avait entrepris de mettre hors-la-loi certaines catégories
d'individus - contre-révolutionnaires, prêtres, émigrés - mais la « synthèse » n'intervient que le
17 septembre avec le décret relatif aux gens suspects.
- Aux termes de l'article 2 du décret, sont réputés suspects, pour s'en tenir aux catégories
les plus significatives : « ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs
propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme, et ennemis de
la liberté ;... ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ; les fonctionnaires publics
suspendus ou destitués de leurs fonctions ... ; ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris,
femmes, pères, mères, fils et filles, frères ou sœurs, et agents d'émigrés ».
- Les comités de surveillance furent chargés de dresser les listes de suspects et de les
adresser sans délai au Comité de Sûreté générale (art. 3 et 9).
- En tenant compte des suspects non incarcérés - pour cause -, on atteint le nombre de 800
000 personnes.
- Ces dispositions se doublèrent de mesures économiques dirigistes - maximum général,
voté le 29 septembre ; institution d'une commission des subsistances le 27 octobre - et de
mesures antichrétiennes -la plus importante étant, selon Aulard, l'adoption du calendrier
révolutionnaire le 5 octobre -.'
- Si on dresse un bilan de cette première phase de la Terreur, on constate que c'est
durant la période la plus critique de la République (printemps-été 1793) qu'elle est la moins
sanglante.
- Elle s'amplifie en revanche à partir d'octobre avec le redressement et avec les victoires.
- Cette distorsion, a priori paradoxale, marque un relâchement du lien primordial existant
entre Terreur et Salut public.
- L'intensification de la dictature terroriste procède d'une logique interne, portée à son
paroxysme au printemps 1794.
- La Grande Terreur (printemps 1794 – 9 thermidor an II) :
- A partir de mars 1794, avec l'avènement de la dictature personnelle de Robespierre, on
observe une inflation relative des peines de mort, bientôt suivie par une augmentation
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vertigineuse du nombre des procès.
- Cette évolution résulte de deux facteurs, d'ailleurs indissociables : la lutte entre les
factions et la centralisation à Paris de la justice révolutionnaire
- Dès décembre 1793, Robespierre définissait sa propre ligne politique et jetait l'anathème
sur les Hébertistes et les Dantonistes.
- Fin mars - début avril 1794, ces « hérétiques » sont guillotinés.
- La mort devient la sanction généralisée des conflits politiques.
- La notion d'ennemi de la Révolution acquiert sa signification la plus large.
- Tout ce qui ne relève pas du clan robespierriste est désormais suspect.
- Ce resserrement de l'étau terroriste se traduit institutionnellement par la centralisation
de la justice révolutionnaire.
- Le 27 germinal an II (16 avril 1794) est voté, à l'instigation de Saint-Just, un décret
étendant la compétence du Tribunal révolutionnaire.
- Selon l'article 1er de ce texte, « les prévenus de conspiration seront traduits, de tous les
points de la République, au Tribunal révolutionnaire de Paris »
- Le processus est couronné par le décret du 22 prairial an II (10 juin 1794) : « Il ne
s'agit pas de donner quelques exemples », déclare Couthon, rapporteur du texte, « mais
d'exterminer les implacables satellites de la tyrannie ».
- La notion d'« ennemi du peuple » amplifie celle de suspect de manière spectaculaire.
- L'article 6, qui en fournit la liste, ne comprend pas moins de onze alinéas
- La variété des griefs retenus n'a d'égale que son imprécision.
- Modèle du genre, l'article 5 dispose que « les ennemis du peuple sont ceux qui cherchent
à anéantir la liberté publique, soit par la force, soit par la ruse »
- En tout cas, une seule peine est prévue : la mort (art. 7)
- Les poursuites peuvent être le fait de tout citoyen (art. 9) ; S'il existe des preuves, soit
matérielles, soit « morales », il n'est pas entendu de témoins (art. 13) ; Toutes les dépositions
doivent être faites en public (art. 15) ; Les « conspirateurs » sont en outre privés de défenseurs
(art. 16), ceux-ci étant réservés aux « patriotes calomniés »...
- En bref, comme l'affirme l'article 8, la procédure se ramène aux « moyens simples que
le bon sens indique pour parvenir à la connaissance de la vérité ».
- Cette machine infernale prononça quelque 700 jugements en prairial et près de 1 000 en
messidor, dont environ 800 exécutions.
- Les prisons parisiennes abritèrent près de 8 000 « ennemis du peuple » début thermidor.
- Née pour exterminer l'aristocratie, la Terreur finit, avec la dictature de Robespierre, en
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moyen de fonder le règne de la vertu.
- Ce glissement suppose une définition du bien et du mal, que donne l'Incorruptible dès
son discours de nivôse
- Dans la même logique, en érigeant la vertu en principe de gouvernement, « cette vertu
magique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome », il rappelle qu'elle consiste
en « l'amour de la patrie et de ses lois » (17 pluviôse an II - 5 février 1794).
- Il ne s'agit pas moins en l'espèce que de créer un homme nouveau, qui devra, selon le
décret du 18 floréal an II instaurant le culte de l'Etre suprême, « détester la mauvaise foi et
la tyrannie, secourir les malheureux, respecter les faibles, défendre les opprimés »
- Telles sont les nouvelles Tables de la loi données par la Montagne à l'humanité.
- Le discours terroriste abandonne donc le terrain circonstanciel pour un ancrage plus
fondamental : la Révolution elle-même, dont la Terreur devient inséparable, coextensive
- Elle seule peut permettre de produire une authentique République de citoyens
- Elle finit ainsi par s'affirmer comme une idéologie indépendante des circonstances de
Salut public, une idéologie qui s'exprime d'autant plus radicalement que le pouvoir
robespierriste est politiquement isolé et que n'existe aucun mécanisme juridique susceptible de
le neutraliser.
- Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), la chute du Tyran mit un terme à ce processus,
qui allait littéralement empoisonner la vie politique française du XIXe siècle.
- En associant l'avènement de la République démocratique à une dictature fanatique, la
Terreur devait donner des arguments aux contre-révolutionnaires, alimenter les craintes des
libéraux, gêner les républicains et isoler les socialistes
- Dans l’immédiat comment sortir de la Terreur ?
Section 2
La république conservatrice (1795-1799)
- Au printemps 1794, la République est sauvée.
- Les insurrections intérieures ont été réduites et les armées révolutionnaires sont
victorieuses à l'extérieur.
- La Terreur qui s'est amplifiée à partir d'avril n'a plus de raison d'être
- L'acharnement des robespierristes va causer leur perte
- Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), à la suite d'une séance dramatique à la Convention,
Robespierre, Saint-Just et certains de leurs partisans sont mis hors la loi et exécutés le
lendemain.
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- C'est la fin de la République jacobine
- Le reflux de la Révolution s'amorce au cours d'une période conservatrice
- La chute de Robespierre est une réaction des conventionnels contre la Terreur.
- Pour autant, certains instruments de l'appareil terroriste, comme le Tribunal
révolutionnaire, sont dans un premier temps maintenus afin d'éliminer la faction robespierriste.
- Toutefois, la réaction thermidorienne n'ouvre aucune possibilité de restauration
monarchiste.
- Il s'agit de maintenir la République comme le montre le décret du 21 nivôse an III (10
janvier 1795) instituant une fête commémorative de « la juste punition du dernier roi des
Français ».
- La convention thermidorienne souhaite donc naviguer entre ces deux écueils : le
jacobinisme et le royalisme.
- La dernière partie de la vie de la Convention est ainsi scandée par l'opposition de ces
deux tendances et la répression dont elles font l'objet.
- Les insurrections populaires de Paris du 12 germinal an III (1er avril 1795) et des 1er-4
prairial an III (20-23 mai 1795) sont réprimées par l'armée.
- Quant aux royalistes, le débarquement qu'ils tentent dans la presqu'île de Quiberon est
repoussé par Hoche en juin 1795 et les prisonniers sont exécutés sur ordre de la Convention.
- Les Thermidoriens souhaitent enfin doter la France d'une constitution.
- Celle de l'an 1 leur paraissant inapplicable en raison de ses caractères démocratiques
trop affirmés, il est nécessaire d'envisager une nouvelle loi fondamentale.
- La commission chargée à partir du 4 floréal an III (23 avril 1795) de la rédaction d'un
nouveau projet est composée de modérés, parmi lesquels Boissy d'Anglas, Daunou,
Cambacérès et Sieyès.
- Leur projet est adopté par la Convention, le 5 fructidor an III (22 août 1795).
- Le même jour, les conventionnels, soucieux de ne pas perdre le pouvoir décident que
les deux tiers d'entre eux devront être réélus dans le prochain corps législatif.
- C'est le fameux décret des deux tiers.
- Ainsi débute le Directoire, le régime que connaît la France sous l'empire de la
Constitution de l'an III jusqu'en 1799.
89
§ 1
La constitution de l’an III
- Selon le mot de Pierre Gaxotte, c’est « la Constitution de la peur »
- En effet, l’objectif fondamental de la Constitution est de maintenir au pouvoir et en
vie le personnel politique qui a survécu aux tourmentes des années 1792-1794.
- Une Déclaration des devoirs et des droits :
- Elle a comme première caractéristique d'être la première - et la dernière - de nos
constitutions à doubler la Déclaration des droits (la 3e !) d'une Déclaration des devoirs de
l'homme et du citoyen en neuf articles dont le style, le fond ont discrédité le genre.
- On y trouve par exemple : « Tous les devoirs de l'homme et du citoyen dérivent de ces
deux principes, gravés par la nature dans tous les cœurs : ne faites pas à autrui ce que vous ne
voudriez pas qu'on vous fit. Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en
recevoir ».
- Un peu plus loin : « Nul n'est bon citoyen s'il n'est bon fils, bon père, bon frère, bon ami,
bon époux ».
- Bref une sorte de morale à mi-chemin d'un évangile laïque et de la comtesse de
Ségur.
- La Déclaration des droits supprimait en revanche plusieurs droits posés par 1789 et
surtout 1793.
- Disparaissait en particulier la fameuse phrase de la Déclaration de 1789 : « Les hommes
naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
- Néanmoins, l'égalité était réaffirmée mais uniquement comme égalité civile.
- En 1789, on l’avait défini négativement par rapport aux ordres et aux privilèges, il fallait
donc la définir maintenant positivement : « l’égalité consiste en ce que la loi est la même pour
tous » : il s’agit donc d’une égalité strictement juridique
- La liberté économique est de nouveau affirmée mais tous les droits sociaux de la
Constitution de l'an 1 ont disparu : le droit à l’assistance, le droit à l’instruction et le droit à
l’insurrection : Pas de démocratie sociale
- La Déclaration des devoirs tente de substituer à la morale chrétienne, maintenant ignorée
par l'Etat laïcisé, une morale civique, fondée sur la « Nature » et la « Raison », mais qui n'est
en réalité qu'une morale chrétienne pratique séparée de son fondement religieux qui se termine
explicitement par deux formules qui consacrent l'intangibilité de la propriété, et récusent donc
implicitement tout bouleversement de l'ordre social établi : « C'est sur le maintien des propriétés
90
que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail et tout l'ordre
social » (art. 8) ; « Tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de
l'égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l'appelle à les défendre » (art. 9).
- La propriété est mise sur le même rang que la liberté et l'égalité.
- Le mot « peuple » a disparu du texte de la déclaration
- La Révolution finissante revenait à l'idée de nation, et ceci entraînait une autre vision
politique des choses : abandon du suffrage universel pour le retour au suffrage censitaire à deux
degrés, représentativité, séparation et équilibre du législatif et de l'exécutif.
- Longue et compliquée.
- L'acte constitutionnel lui-même était extrêmement long : 377 articles (contre 210 en
1791, 124 en 1793), et les mécanismes qu'il mettait au point ont fait de tout temps la joie des
constitutionnalistes par leur extrême complication.
- Non seulement le nouveau régime se caractérisait par un retour très net à la séparation
des pouvoirs - la plus forte que notre histoire constitutionnelle ait connue -, mais pour la
première fois était introduit en France le bicamérisme.
- L'intention était de créer un équilibre : le résultat fut une impasse, un échec.
- En outre, jamais autant que sous le Directoire, le modèle - ou le pastiche - de l'Antiquité
gréco-romaine ne fut aussi éclatant.
- Les rédacteurs de la Constitution de 1795 viennent de subir pendant trois ans un pouvoir
central unique, surconcentré, dictatorial et perpétuellement soumis à la menace d'une
insurrection populaire locale.
- Pour conjurer tout risque de pression insurrectionnelle ou de dictature, ils ont donc
divisé et séparé les pouvoirs autant qu'ils l'ont pu
- Pour la première fois le bicamérisme :
- Le pouvoir législatif est coupé entre deux assemblées aux pouvoirs à peu près équilibrés
mais différents ; rien à voir avec la « navette » des constitutions françaises du XXe siècle.
- Un Conseil des Cinq-Cents (dont le nom et le nombre rappellent le Conseil d'Athènes,
dit aussi la Boulê) devait être « les idées », « l'imagination de la République ».
- Aussi était-il composé de 500 représentants jeunes, éligibles dès l'âge de 30 ans (et même
de 25 momentanément, jusqu'en 1798) et c'est à lui qu'était attribué exclusivement le soin de
proposer les lois.
- Le Conseil des Anciens (dont le nom était inspiré de la Gérousia de Sparte) représentait
« la raison ».
- II était composé de gens plus mûrs, qui devaient avoir au moins 40 ans, être mariés ou
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veufs.
- C'est donc à lui qu'était réservé de délibérer sur les propositions de lois faites par le
Conseil des Cinq-Cents, de les approuver, de les rejeter.
- Les membres des deux chambres devaient siéger en toge et toque.
- Les gravures de l'époque nous ont conservé le souvenir de ces costumes aussi recopiés
de l'Antique.
- Un exécutif collégial :
- II est confié à un collège de cinq membres (donc divisé) baptisé « le Directoire de la
République ».
- C'est cette institution particulière qui donnera au régime de la Constitution de l'an III le
nom sous lequel il est généralement connu.
- Le Directoire, c'est en somme un président de la République démultiplié en cinq
directeurs.
- Mais il n'en reste pas moins que le régime est assimilable à un régime présidentiel, du
point de vue des catégories modernes constitutionnelles.
- Le Directoire est élu pour cinq ans, selon des modalités assez subtiles : les directeurs ne
peuvent être choisis que parmi des gens de plus de 40 ans ayant été membres de l'une des
assemblées (présentes ou précédentes) ou ministres.
- Les Cinq-Cents établissent une liste comportant dix fois plus de noms que nécessaire.
- Les Anciens, par vote, retiennent le nombre exact et font donc le choix définitif.
- Mais le mécanisme fut vite faussé.
- Si au début il fallut nommer les cinq directeurs d'un coup, la constitution prévoyait qu'ils
étaient renouvelables au sort chaque année.
- Chaque année donc, les Cinq-Cents présentaient aux Anciens une liste de dix noms
parmi lesquels ils avaient glissé au milieu de neuf incapables le nom de leur vrai candidat, que
les Anciens étaient bien forcés ainsi de désigner.
- Ce renouvellement par 1/5 était destiné à éviter les changements brusques d'orientation
à l'intérieur du collège directorial.
- Pour la présidence du Directoire, il existait entre ses membres un roulement de trois
mois.
- Les Directeurs devaient loger ensemble au palais du Luxembourg aux frais de la
République, ne pouvaient s'éloigner de Paris sans autorisation du Corps législatif, devaient
paraître revêtus du pompeux costume qui leur était fixé ; une garde de 210 hommes à pied et à
cheval leur était affectée.
92
- Ils sont aidés de ministres qu'ils nomment et révoquent à leur gré.
- Peu de noms ont traversé les siècles ; de ces directeurs, seuls Carnot, Barras, La
Revellière-Lépeaux, le grand juriste Merlin de Douai, Sieyès connu lui aussi autrement, ont
laissé un souvenir.
- Une séparation minutieuse des pouvoirs :
- L'intérêt de la Constitution de l'an III, c'est la séparation minutieuse et absolue des
pouvoirs.
- Le Directoire ne peut ni dissoudre ni ajourner les assemblées.
- Les assemblées, de leur côté, ne peuvent mettre en cause la responsabilité politique des
directeurs.
- Des précautions minutieuses sont prises par la constitution pour que les deux
pouvoirs ne se rencontrent pas, même matériellement.
- II est prévu des « messagers d'État » qui, tels Mercure, porteront les textes de l'un à
l'autre organe.
- Les Assemblées siégeaient sur la rive droite de la Seine, aux Tuileries, les directeurs,
nous l'avons dit, résidaient au palais du Luxembourg, sur la rive gauche.
- Si l'on observe de plus près la constitution, en ce qui concerne l'exécutif on peut
constater que celui-ci s'est bien renforcé par rapport au pouvoir qui avait été reconnu au roi en
1791.
- II a repris une vraie place dans l'équilibre constitutionnel : Les directeurs gouvernent
par les ministres (6 à 8) qu'ils choisissent et révoquent à leur gré et qui ne forment point un
conseil.
- Le Directoire détient de grands pouvoirs : relations extérieures, force armée,
nomination des fonctionnaires en général - et même des juges - lorsque les places électives
venaient à être vacantes par décès, démission ou destitution.
- En revanche, il est bloqué dans les matières financières.
- En effet, s'il nomme les receveurs généraux des contributions directes, les agents
supérieurs des contributions indirectes et garde la surveillance générale sur toutes les
contributions, le Trésor lui échappe : la constitution l'attribue à cinq commissaires élus par les
deux assemblées, totalement indépendants de lui.
- Le Directoire ne peut donc manipuler les fonds de la nation.
- Mais il va conserver de la Convention l'habitude d'envoyer des représentants en
province.
- Il héritera ainsi du centralisme mis au profit par les Jacobins, qui jouera au profit de
93
l'exécutif cette fois.
- Ce sont les « commissaires du Directoire » dans les départements, qui continuent les
représentants en mission et préparent le préfet napoléonien de l'an VIII.
- Quant au système électoral, il est aussi, comme en 1791, un système censitaire à deux
degrés : les citoyens mâles majeurs, âgés de vingt et un ans, et payant une contribution directe,
quel qu'en soit le montant, désignent les électeurs, à raison de 1 pour 200.
- Les électeurs doivent être âgés de vingt-cinq ans au moins, et répondre à des conditions
de fortune variables selon la localité de leur domicile : au total, il n'y a pas pour toute la France
plus de 30 000 électeurs, soit moitié moins qu'en 1791.
- Ce sont ces électeurs qui élisent les députés des deux Conseils, des Cinq-Cents et des
Anciens.
- C'est ce corps politique étroit de propriétaires fortunés qui détient la réalité du
pouvoir.
§ 2
Le coup d’Etat, seul moyen d’action
- Trop peu de rapports étaient prévus par la constitution entre directeurs et
assemblées
- Le Directoire pouvait inviter les Cinq-Cents à « prendre un objet en considération »,
mais il ne pouvait lui présenter un projet de loi.
- A l'inverse, les assemblées pouvaient demander des comptes et des éclaircissements sur
son action au Directoire qui les fournissait par' écrit, de même qu'il devait chaque année
présenter aux assemblées l'aperçu des recettes et dépenses de l'exécutif.
- A part cela, aucun moyen de communication, de pression, n'était prévu d'un organe à
l'autre, le « veto » de 1791 avait même disparu, cela devait fatalement amener des tensions, des
coups d'État
- L'instabilité du régime de l'an III tient à son vice congénital : le Directoire a été conçu
par les Thermidoriens afin de s'y perpétuer au pouvoir.
- Deux logiques s’affrontent donc : celle de la permanence, exprimée par le décret des
deux tiers, et celle du renouvellement prescrit par la constitution
- Chaque élection est ainsi vécue comme une nouvelle menace pour le pouvoir en
place
- L’équilibre est en outre fragilisé par l’absence de synchronisme entre les
renouvellements des conseils (par tiers) et du Directoire (par cinquième) si bien que la
concordance politique entre les deux organes risque d’être annuellement mise en cause
94
- De là la pratique du coup d’état préventif
- Et, comme les Conventionnels, les hommes du Directoire ont été en butte au même
double danger, de la contre-révolution royaliste à droite, et de l'ultra-révolution jacobine à
gauche.
- Pour conjurer ces dangers renaissants, ils ont recouru au coup de force répété, et pour
cela ils ont dû s'assurer les services ou la complicité de militaires complaisants.
- D'où la vie malsaine de cette république soumise périodiquement aux coups d'Etat
réalisés avec l'aide des militaires
- Face à la gauche babouviste : le général Brune (1796) :
- Lorsque le Directoire s'installe, quelques jours après le coup de Vendémiaire, le 26
octobre 1795 (4 brumaire an IV), la débâcle financière léguée par la Convention tourne à la
catastrophe
- A ces difficultés s’ajoutent une poussée de la mortalité, la persistance des émeutes de la
faim, la recrudescence de la mendicité et de la délinquance (brigandage sur les routes, sévices
contre les possédants attaqués chez eux).
- Dans de telles conditions sociales et économiques, le mécontentement populaire
entraîne à Paris une renaissance de l'agitation jacobine avec la fondation de club comme le
Club du Panthéon, qui devient le centre de ralliement des nostalgiques de Marat, Hébert et
Robespierre.
- Ces extrémistes jacobins vont trouver un propagandiste véhément dans la personne d'un
journaliste, Babeuf, qui n'est pas membre du club, mais qui publie une feuille, Le Tribun du
Peuple, où sont développées les idées essentielles de Marat et d'Hébert : le peuple, asservi et
trompé, ne peut être libéré que par une minorité insurrectionnelle organisée et décidée à
s'emparer du pouvoir pour exercer une dictature populaire.
- Or Babeuf, sous l'influence de ses lectures, en particulier les philosophes Morelly et
Mably, et sous l'influence de ses expériences professionnelles (issu lui-même d'un milieu très
pauvre, il a été avant 1789 expert en questions féodales, et à ce titre il a bien connu la misère
d'une certaine petite paysannerie picarde), est devenu communiste avant l’heure.
- En réalité, il est plus héritier que précurseur, car son communisme agrarien est fondé
sur un partage des terres et sur la répartition égalitaire des récoltes entre les paysans : il reste
étroitement soumis à la double obsession de l'économie préindustrielle, la terre et la pénurie.
- Pour Babeuf, la Révolution a échoué parce qu'elle n'a pas été poussée jusqu'au bout, à
cause de Thermidor.
- Il faut donc revenir aux mesures du temps de Robespierre (Maximum, réquisitions,
95
emprunt forcé sur les riches, répartition autoritaire des denrées, etc.), afin de préparer
l'instauration du communisme, par l'abolition de la propriété foncière individuelle et de
l'héritage
- Le rigoureux hiver 1796 donne un grand retentissement à la campagne de presse du
Tribun du Peuple.
- Le Directoire s'en émeut, et se décide à sévir : le 27 février 1796 il fait fermer le Club
du Panthéon par le général Bonaparte
- Babeuf et un groupe de rescapés du jacobinisme extrémiste organisent une société
secrète, la Société des Egaux, qui prépare une conspiration, la Conspiration de l'Egalité, pour
s'emparer du pouvoir : il s'agissait d'obtenir l'insurrection des troupes du camp de Grenelle, près
du Champ-de-Mars.
- Le Directoire, qui a été mis au courant par l'un des conjurés, fait arrêter Babeuf et ses
complices (10 mai 1796).
- Cependant, quatre mois plus tard, le 10 septembre 1796, quelques centaines d'individus,
venus de Vaugirard, tentent d'entraîner les soldats du camp de Grenelle contre le Directoire :
Dernier sursaut des Jacobins extrémistes ?
- Provocation policière destinée à faciliter la liquidation définitive de ceux-ci ?
- Les deux thèses sont plausibles, séparément et simultanément.
- Toujours est-il que le général Brune se trouvait tout justement et fort opportunément au
camp de Grenelle à l'arrivée des insurgés, et il fit échouer le putsch.
- Les assaillants sont repoussés et arrêtés.
- Le Directoire commet d'urgence une commission militaire, installée au Temple, pour
les juger, et elle s'empresse d'en faire fusiller 31, dont trois anciens Conventionnels
montagnards.
- Quant à Babeuf, il venait d'être transféré à Vendôme avec ses complices : après un long
procès il a été condamné à mort et guillotiné en mai 1797.
- Face à la droite royaliste : le général Augereau (1797) :
- A la fin de 1796 et au début de 1797, les royalistes pensent que leur heure va bientôt
sonner de nouveau : ils reportent leurs espoirs sur le premier renouvellement des assemblées.
- Un tiers des députés est soumis à réélection au printemps 1797.
- Des clubs monarchistes se fondent, dans l'atmosphère de répression antijacobine et
d'ouverture à droite qu'entretient la politique de Carnot
- Des notables modérés, anciens Feuillants et bourgeois catholiques, se réunissent dans
un hôtel particulier de la rue de Clichy : ils se proposent de restaurer légalement une
96
monarchie constitutionnelle et de négocier la paix avec l'Angleterre.
- Cependant, la grande faiblesse de leur entreprise, et qui sera au XIXe siècle celle du
royalisme, tient à ce qu'ils n'ont pas réellement de candidat : les frères de Louis XVI, le « roi-
martyr » pour ses fidèles, s'obstinent dans leur intransigeance, tandis que le duc d'Orléans, le
fils du citoyen Egalité, est déshonoré par le vote régicide de son père à la Convention.
- Parmi les royalistes, entre les « absolutistes » et les « constitutionnels », on retrouve le
divorce des « aristocrates » et des « patriotes », et on devine l'opposition des « légitimistes » et
des « orléanistes ».
- De 1789 à 1873, le royalisme a été victime de ses propres partisans,
irrémédiablement divisés entre eux.
- Cependant, la plupart des électeurs, appelés à décider par leur vote, souhaitent la fin des
troubles : ce sont des possédants, satisfaits d'avoir obtenu l'abolition des privilèges, la liberté
individuelle et l'égalité civile, et qui tremblent encore au souvenir des « dépassements » de
1793-1794.
- Mieux vaut encore une monarchie constitutionnelle, garante de la conservation sociale,
qu'une république à laquelle sont associées les images de la guillotine, des assignats, des Sans-
Culottes, de la guerre civile et étrangère, de la persécution religieuse.
- Les élections de mars-avril 1797 sont un désastre pour le tiers sortant des députés,
soit la moitié des « perpétuels » : sur 216 sortants, 11 seulement sont réélus, et il y a au moins
170 élus royalistes.
- Quand les Conseils se réunissent le 20 mai, la majorité se dessine en faveur des
royalistes : les trois candidats de la rue de Clichy sont élus à la présidence des Cinq-Cents
(général Pichegru), à la présidence des Anciens (Barbé-Marbois), et à celui des cinq postes de
directeur soumis au renouvellement annuel (Barthélemy).
- La nouvelle majorité veut abroger les lois contre les prêtres réfractaires, et faire renvoyer
quatre ministres jugés trop jacobins.
- Trois des cinq directeurs (Barras, Reubell et La Revellière) s'entendent entre eux, à
l'écart des deux autres (Carnot et Barthélemy), pour briser la majorité royaliste en recourant
au coup de force.
- Dès la fin de mai 1797, Barras prend contact avec Bonaparte pour s'assurer l'appui de
l'armée d'Italie, considérée comme jacobine.
- Non seulement Bonaparte donne son accord, mais encore il livre à Barras des papiers
saisis en Italie, et qui prouvent la collusion de Pichegru avec le prétendant royaliste, le comte
de Provence.
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- En juillet, Barras fait nommer Hoche ministre de la Guerre
- Comme Bonaparte ne peut alors quitter le commandement de l'armée d'Italie, il envoie
un de ses lieutenants, le général Augereau, pour porter main-forte aux trois directeurs conjurés.
Augereau est nommé commandant de la division militaire de Paris.
- Dans la nuit du 17 au 18 fructidor an V (4-5 septembre 1797), Paris est occupé
militairement par les troupes d'Augereau : Pichegru et Barthélemy sont arrêtés, Carnot
s'enfuit.
- Le putsch politico-militaire a parfaitement réussi.
- Quelques députés présents aux Cinq-Cents et aux Anciens cassent les élections dans
49 départements (198 députés se trouvent ainsi invalidés : on les appela les « fructidorisés »),
et ils votent la déportation à la Guyane sans jugement de 53 de ces députés invalidés, des deux
directeurs Barthélemy et Carnot, et d'un lot de journalistes royalistes.
- Face à la gauche jacobine : le général Bonaparte (1799) :
- Après Fructidor, les royalistes pourchassés s'abstiennent de paraître aux assemblées
électorales : à quoi cela servirait-il, puisque, lorsqu'ils gagnent les élections, ils sont
« fructidorisés » par les républicains...
- Comme les invalidés de Fructidor n'ont pas été remplacés, ce n'est pas le tiers, mais plus
de la moitié des sièges qu'il faut pourvoir (437 sur 750) aux élections de l'an VI (avril-mai
1798).
- Malgré les pressions directoriales, les assemblées électorales dominées par la gauche
seule, puisque la droite royaliste est absente, élisent 300 Jacobins, mais les directeurs, là où les
partisans du gouvernement étaient minoritaires, ont suscité des scissions dans les assemblées
électorales.
- Cette manœuvre leur permet de réaliser le coup de force du 22 floréal an VI (11 mai
1798) : les députés des Cinq-Cents et des Anciens invalident 106 élus de gauche, proclament
élus à leur place 53 élus des assemblées scissionnaires minoritaires, et laissent vacants les 53
autres sièges.
- Réalisé avec la complicité des « perpétuels », le coup de force du 22 floréal dirigé
contre la gauche jacobine, a donné un an de répit au Directoire, mais s'il a contenu la poussée
à gauche, il n'a pas pu l'arrêter.
- Ceux des Jacobins qui n'ont pas été « floréalisés » exploitent à leur profit le discrédit
du régime, en axant leur propagande sur le thème de la guerre aux riches et de la chasse aux
corrompus, qui leur attire la sympathie de tous les mécontents.
- Or, en 1798, le Directoire a repris la politique extérieure d'annexions territoriales, de
98
conquêtes et de « républicanisation » des pays « libérés », ce qui provoque la formation de la
seconde coalition européenne contre la France au début de 1799.
- Les armées françaises sont battues partout, et perdent l'Italie.
- Les Jacobins s'appuient sur les généraux mécontents, qui se plaignent du Directoire
(Augereau, Jourdan, Bernadotte, Joubert, Brune, Masséna...).
- Bonaparte est alors en Egypte, où il s'est enlisé dans une expédition militaire contre
l'Angleterre.
- Le Directoire n'a pas été mécontent de se débarrasser ainsi temporairement d'un général
trop populaire, trop indépendant et surtout trop mêlé à tous les coups de force du régime depuis
1795. Cependant le régime survit, impuissant.
- Politiciens et généraux mécontents discutent entre eux de la révision de la
Constitution.
- En mai 1799, Sieyès est élu directeur.
- Cet ex-conventionnel régicide présente l'avantage d'appartenir au syndicat des
Thermidoriens, sans avoir été éclaboussé par le discrédit où est tombé le régime, dont il avait
dénoncé par avance les tares, en critiquant le projet de constitution de Daunou.
- Depuis 1795 il s'est tenu à l'écart, et lorsqu'en 1799 il revient de Berlin, où il avait été
envoyé en ambassade, pour devenir directeur, il apparaît aux yeux de tous comme l'homme de
la « révision ».
- Les élections de l'an VII (avril-mai 1799) viennent d'exprimer une hostilité générale
au Directoire : les royalistes, les catholiques, les modérés ne pouvant faire passer leurs candidats
ont préféré, par haine d'un gouvernement qui les a fructidorisés, faire passer l'extrême gauche
jacobine.
- La vague est si forte que le Directoire n'ose pas recommencer le coup de floréal an
VI.
- D'ailleurs, faute d'un soutien militaire, le peut-il ?
- Disposant maintenant de la majorité aux Assemblées, les Jacobins prennent leur
revanche : le 29 prairial an VII (17 juin 1799), ils annulent l'élection d'un directeur
(Treilhard), et le 30 ils en contraignent deux autres à démissionner (Merlin de Douai et La
Révellière) en les accusant d'avoir préparé un complot contre les assemblées.
- A leur place Sieyès fait élire trois comparses obscurs (Gohier, Moulin, Roger-Ducos),
avec l'accord du cinquième directeur, Barras.
- Une purge ministérielle chasse le personnel le plus corrompu, remplacé par des amis de
Sieyès, anciens Conventionnels de renom, voire de sympathie jacobine marquée (Fouché à la
99
Police, Cambacérès à la Justice, Lindet aux Finances), et c'est un général jacobin, Bernadotte,
qui reçoit la Guerre.
- Le Club des Jacobins se reconstitue en juillet 1799, et s'installe dans l'ancienne salle du
Manège aux Tuileries ; au milieu des défaites militaires qui font craindre de nouveau l'invasion,
l'été 1799 va-t-il recommencer l'été 1793 ?
- Le Directoire sur la défensive
- Malgré d'indéniables réussites, comme l'œuvre d'assainissement financier, réalisée en
1798 par le ministre des Finances Ramel, le Directoire est victime d'une profonde
impopularité ; il est tenu pour responsable de l'anarchie intérieure qu'il ne parvient pas à
maîtriser (recrudescence du grand banditisme) et des conséquences des défaites militaires qu'il
a provoquées (mobilisation des hommes, création d'impôts nouveaux).
- Au cours de l'été 1799, la lassitude et la peur sont générales.
- A droite, on a peur des Jacobins, appelés « anarchistes », « buveurs de sang », on
s'insurge contre les réquisitions, l'emprunt forcé sur les riches (rétabli le 28 juin), et la loi des
otages, votée le 12 juillet (Celle-ci permet de prendre en otages tous les parents d'émigrés, tous
les ci-devant nobles, tous les parents des contre-révolutionnaires « notoires », et de déporter
quatre de ces otages pour chaque fonctionnaire, chaque militaire, chaque acquéreur de biens
nationaux assassiné)
- A gauche, on a peur des royalistes : on leur impute la responsabilité de la recrudescence
du grand banditisme.
- Le pays souhaite la poigne d'un pacificateur, au-dedans comme au-dehors.
- En 1789, la France aspirait au changement, en 1799, elle aspire à la stabilisation.
- Ce qu'elle attend confusément, c'est en quelque sorte un roi de la Révolution, un roi qui
lui garantisse les fruits de la Révolution de 1789.
- En continuant à prêcher la violence et l'intolérance à un pays qui désirait retrouver sa
tranquillité, en se croyant revenus en 1793, les Jacobins se trompaient grandement, et ils
faisaient obstacle au dénouement
- Plus avisé, Fouché le comprit : cet ancien clerc renégat, cet athée virulent, cet ultra-
terroriste de 1793, ce massacreur impitoyable des royalistes à Lyon, vint procéder
personnellement à la fermeture du Club des Jacobins (13 août 1799).
- Simultanément, Sieyès était de son côté « à la recherche d'une épée », ainsi qu'il le
disait.
- Bonaparte était bloqué en Egypte, Brune en Hollande (où il contraignait le corps
expéditionnaire anglo-russe à rembarquer, le 18 octobre, tandis que Masséna battait les
100
Austro-Russes à Zurich le 25 septembre), Jourdan, Augereau et Bernadotte jouaient la carte
jacobine.
- Le choix de Sieyès se porta sur Joubert, un ancien de la campagne d'Italie de 1796-1797,
mais Joubert se fit battre et tuer à Novi (15 août 1799).
- Sieyès se tourne alors vers Moreau, lorsque le 9 octobre - coup de théâtre imprévu
Bonaparte, qui a quitté l'Egypte et qui est parvenu à tromper la surveillance anglaise, débarque
en France.
- Apprenant la nouvelle, Moreau répond à Sieyès ; « Voilà votre homme, il fera votre
coup d'Etat bien mieux que moi ! »
- Le coup d’Etat du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) :
- Un vaste complot est ourdi à la fin du mois d'octobre entre Sieyès et Bonaparte, avec la
complicité de deux autres directeurs (Roger-Ducos, et Barras qui s'est laissé acheter), de
quelques ministres (Talleyrand, Fouché, Cambacérès), du financier Ouvrard, du banquier
Perregaux, de l'industriel Claude Périer, et de généraux (Moreau, Leclerc, Murat : Leclerc est
déjà marié à une sœur de Bonaparte, et Murat en épousera une autre quelques jours plus tard).
- Quant à Lucien Bonaparte, frère de Napoléon, il est député du département corse du
Liamone, et il vient d'être élu président du Conseil des Cinq-Cents.
- La tactique adoptée par les conjurés consiste à invoquer un prétendu complot jacobin
pour obtenir le transfert des assemblées hors de Paris : tandis que Sieyès paralyserait le
gouvernement directorial, Bonaparte contraindrait les Conseils à lui conférer les pleins
pouvoirs, sous la·menace de ses soldats.
- La première partie du plan fut réalisée facilement : convoqués le 18 brumaire à 6 heures
du matin, les Anciens apprennent l'imminence d'une insurrection terroriste.
- Pour mettre les Conseils à l'abri du coup de main jacobin, ils votent le transfert des
Conseils à Saint-Cloud, sous la protection du général Bonaparte, investi du commandement de
la garnison de Paris.
- Barras part pour son château de Grosbois, Sieyès et Roger-Ducos démissionnent, et les
deux derniers directeurs (Gohier et Moulin) sont arrêtés par Moreau : il n'y a plus de
Directoire !
- Le lendemain, à Saint-Cloud, tout faillit se gâter.
- Invectivé par ceux des députés qui n'étaient pas complices, Bonaparte, qui n'a guère
l'habitude d'affronter des assemblées parlementaires, perd contenance, et il n'est sauvé que par
le sang-froid et l'habileté de son frère qui suspend la séance, au moment où les Cinq-Cents
commençaient à voter un décret mettant le général hors la loi, procédure qui le destinait au sort
101
de Robespierre.
- Ameutés par Lucien Bonaparte, les soldats, qui cernaient le château, s'engouffrent dans
la salle pour « défendre leur général », et ils n'ont guère de peine à exécuter l'ordre bref que
Murat a tonitrué, de sa voix de stentor : « Foutez-moi tout ce monde dehors ! » En quelques
instants, les députés, empêtrés dans leurs toges chamarrées et leurs chapeaux empanachés,
sautent par les fenêtres, et s'enfuient en désordre à travers le parc du château : il n'y a plus de
Conseils !
- Ce dénouement ridicule allait au-delà des ambitions des conjurés, car ceux-ci voulaient
une abdication en douceur du Directoire, et non une fin brutale.
- On envoya donc chercher, à travers le parc, quelques députés pour les convaincre de
revenir jouer la dernière scène de cette tragi-comédie : sous la présidence de Lucien Bonaparte,
ils votèrent, aux chandelles, tard dans la nuit, le remplacement du Directoire par une
Commission de trois Consuls (Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos), chargée de modifier la
Constitution, après avis de 25 députés des Anciens et 25 députés des Cinq-Cents.
- Paris n'a pas bougé.
- Après vendémiaire an IV, après fructidor an V, après floréal an VI, après prairial an VII,
brumaire an VIII apparaissait comme une « journée » révolutionnaire de plus, un coup de barre
à droite cette fois-ci contre le péril jacobin, dans cette succession annuelle et alternée de coups
de force de droite et de gauche.
- Or Brumaire a terminé la Révolution : il revenait à Sieyès, qui avait frappé les trois
coups de la pièce en janvier 1789 avec sa fameuse brochure « Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? »,
d'en faire tomber le rideau dix ans plus tard avec le coup d’Etat de Brumaire.
- Comme les Thermidoriens, les Brumairiens entendaient conserver les conquêtes civiles
et sociales de la Révolution de 1789, mais, à leur différence, après l'expérience décevante du
Directoire, ils voulaient les mettre sous la sauvegarde d’un militaire à poigne, une sorte de « roi
républicain », de « Washington français » : mais ils ne doutaient pas que le général Bonaparte
serait l'empereur Napoléon.
Chapitre 3/
La marche vers la mort de la première République : le Consulat et l’Empire (1799-1814)
- Les Brumairiens désiraient fortifier la république, et consolider l’œuvre de la
Révolution : libertés publiques, égalité civile, propriété affranchie de la féodalité, tolérance
religieuse, frontières naturelles.
102
- Or, loin d’être un instrument neutre, le sabre du coup d’Etat s’empare du pouvoir, et
établit une république autoritaire et plébiscitaire.
- Les Brumairiens formaient cet extraordinaire petit groupe d’hommes (quatre à cinq
cents), qui, élus à la Convention par une infime minorité des électeurs en septembre 1792,
s’étaient emparés du pouvoir en Thermidor, et s’y étaient résolument accrochés et perpétués
grâce à Vendémiaire, à Fructidor, à Floréal, et enfin à Brumaire.
- La plupart de ces hommes étaient liés entre eux par le régicide de 1793, qui identifiaient
pour eux la cause de la Révolution à leur propre maintien au pouvoir.
- Mais Brumaire a transformé leur homme de main en homme providentiel, qui va exercer
un pouvoir personnel fort dans l’intérêt du plus grand nombre.
- En effet, les Français se donnent à lui, parce qu’il apparaît comme le seul pacificateur
possible à l’extérieur, et comme un homme d’ordre à l’intérieur.
- Ce pouvoir personnel se transforme rapidement en monarchie viagère puis
héréditaire.
- Or la pacification souhaitée par les Français n’a pas été possible : pas plus qu’il n’a
été réalisable entre le roi et la Révolution en France, le compromis n’a pu être trouvé entre les
monarchies européennes et la Révolution française stabilisée par Bonaparte.
- Consolider la Révolution en France signifiait donc fatalement poursuivre la guerre
contre les coalitions européennes reconstituées.
- Si donc le Consulat est né du désir de paix, l’Empire naîtra de la reprise de la
guerre : pour les Français, Napoléon restera longtemps le général de la Révolution, poursuivant
le combat mené depuis Valmy par la « grande nation » pour sauvegarder les acquis du nouveau
régime qu’elle s’est donné, et que l’Europe coalisée veut détruire.
- Par une logique inverse, il apparaîtra que la Révolution ne sera définitivement
consolidée en France que si l’Europe tout entière en adopte les principes.
Section 1
De la république consulaire à la monarchie consulaire (1799-1804)
- Par le coup d'État du 18 Brumaire An VIII (9 novembre 1799), Napoléon Bonaparte,
général républicain qui s'était couvert de gloire en Italie et en Égypte, met un terme à la
Révolution.
- Ce qui est officiellement proclamé, d'ailleurs, en décembre 1799 : « La Révolution est
fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ».
- Bonaparte entend stabiliser les institutions françaises en retenant l'héritage de 1789,
103
mais également en assurant l'ordre.
- Pour ce faire, il inaugure un régime nouveau, le césarisme, qui emprunte son nom à la
figure tutélaire du dictateur romain Jules César.
- Ce régime, ou plutôt cette pratique gouvernementale, repose sur la rencontre d'un
homme charismatique, auréolé de la gloire militaire, et du peuple.
- En réalité, derrière un démocratisme de façade qui utilise abondamment la technique
du plébiscite, se cache la réalité du pouvoir personnel.
- Les institutions républicaines sont dans un premier temps théoriquement préservées,
même si la monocratie bonapartiste les vide de leur contenu.
- Mais, indiciblement, le régime glisse vers l'empire qui est établi en 1804.
§ 1
La république consulaire (1799-1802)
- Au lendemain du 18 Brumaire, Bonaparte se présente comme l’artisan de la
réconciliation nationale.
- Il se défend d’être de droite ou de gauche, déclarant : « Ni bonnet rouge, ni talon rouge,
je suis national » (Bonnet rouge, symbole vestimentaire du sans-culotte jacobin ; talon rouge,
symbole vestimentaire de l’aristocrate réactionnaire).
- Cependant le passé de l’homme fait de lui un Robespierre à cheval, un jacobin botté : il
aimera à répéter qu’il est « le fils de la Révolution », et cet ancien robespierriste a fait de sa
carrière politique un obstacle permanent à la restauration royaliste.
- En 1795 (vendémiaire), en 1797 (Fructidor), en 1799 (brumaire), c’est toujours lui qui,
au nom de la Révolution, a barré au roi la route du retour.
- Utilisant simultanément la séduction et la terreur, il impose « sa » réconciliation
nationale. Il inaugure ainsi le régime de Brumaire par une série de mesures d’apaisement :
abrogation de la loi des otages, rappel des proscrits de toute tendance (Barère, Carnot), clôture
définitive de la liste des émigrés, rétablissement du culte dans les édifices religieux, suppression
de la célébration officielle de l’anniversaire du 21 janvier.
- Mais, en même temps, pour bien montrer qu’il reste le général Vendémiaire, il fait
fusiller quelques chouans.
- La réconciliation nationale qu’il offre aux Français est donc fondée sur l’acceptation
de l’héritage révolutionnaire de 1789 : libertés publiques, égalité civile, abolition de la
féodalité, vente des biens nationaux, tolérance religieuse.
104
- Pour le reste, la grande entreprise de remise en ordre, opérée sous le Consulat, a
récupéré dans l’édifice de l’Ancien Régime, ruiné depuis 1789, tous les matériaux qui
pouvaient être utilisés pour construire un édifice solide et durable, sur le fondement des
nouveaux principes.
- En particulier, abandonnant les règles décentralisatrices de la Révolution en matière
administrative, Bonaparte rétablit l’administration telle que l’Ancien régime l’avait façonnée.
- L’acceptation du legs révolutionnaire ne signifie donc nullement la répudiation de
l’héritage monarchique.
- Le génie de Bonaparte a su allier dans une synthèse durable le double héritage que son
entreprise de réconciliation devait assumer.
- Un pouvoir politique fort :
- Sieyès a élaboré un projet de constitution compliqué qui traduisait tout à la fois le désir
d’instaurer le règne des notables, et la crainte d’une dictature personnelle.
- Bonaparte modifia complètement le projet, et dicta une constitution en 95 articles,
volontairement « courte et obscure » afin de ne pas être entravé.
- Sieyès s'inclina et désigna Bonaparte comme premier consul.
- Dès le 24 décembre 1799, avant même d'être ratifiée par le vote populaire, la
Constitution de l'an VIII fut mise en vigueur.
- Dans la proclamation consulaire qui accompagnait le texte soumis au plébiscite,
Bonaparte déclarait : « La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée ; elle est
finie » et il se posait en garant « des droits des citoyens et des intérêts de l'Etat ».
- Le vote, à registre ouvert, donna trois millions de oui, contre 1 562 non.
- Par l'agencement constitutionnel qu'il a adopté, Bonaparte s'est réservé l'essentiel du
pouvoir, en escamotant la souveraineté populaire, en fragmentant le pouvoir législatif, et en
majorant le pouvoir exécutif.
- D'autre part, par le choix de ses collaborateurs, il s'est assuré un personnel d'exécutants
zélés et dociles.
- Une souveraineté populaire détournée :
- La Constitution établit en principe le suffrage presque universel, mais en fait elle
supprime les élections directes de représentants, pour instituer un système de présentation de
candidats aux fonctions publiques
- Suivant le système imaginé par Sieyès (une pyramide de listes de notabilités), tous les
Français, mâles majeurs de vingt et un ans, non domestiques à gages, élisent un dixième d'entre
eux, qui forment les listes communales de confiance (environ 600 000 notables communaux).
105
- Ces derniers élisent à leur tour un dixième d'entre eux, qui forment les listes
départementales de confiance (environ 60 000 notables départementaux).
- Enfin, ceux-ci, par une sélection analogue, désignent la liste nationale de confiance.
- Dans ces listes doivent être choisis respectivement les fonctionnaires des communes,
des départements et de la Nation, c'est-à-dire les membres des assemblées politiques, les
membres du gouvernement et les hauts fonctionnaires.
- En réalité, ces listes de notabilités ne furent établies qu'une seule fois, en l'an IX (1801),
et elles ne servirent à rien, car le gouvernement consulaire avait alors déjà organisé à sa guise
tous les pouvoirs, et désigné les représentants politiques, ainsi que les fonctionnaires.
- Le suffrage universel a été escamoté, et réduit à l'approbation plébiscitaire d'une
constitution qui, en ce qui concerne les élections, ne fut appliquée qu'une seule fois, lors du
premier renouvellement du Corps législatif en l'an X.
- Bonaparte qui était hostile à ce système des listes de notabilités le supprimera lors
de la réforme constitutionnelle de l'an X.
- Un pouvoir législatif écartelé :
- La procédure de confection des lois est divisée en quatre phases, auxquelles
correspondent quatre assemblées différentes.
- L'initiative des lois appartient au seul premier consul : son projet de loi est étudié
et mis en forme au Conseil d’Etat, première assemblée, dont il nomme les membres
(conseillers d'Etat, maîtres des requêtes, auditeurs) et qu'il préside.
- Le Conseil d'Etat est la résurrection du Conseil d'Etat du roi de l'Ancien Régime.
- Le projet élaboré par le Conseil d'Etat est soumis ensuite au Tribunat, seconde
assemblée, composée de cent tribuns, et qui conclut ses délibérations par le vote d'un vœu
favorable ou défavorable au projet.
- Celui-ci vient ensuite devant le Corps législatif, troisième assemblée, composée de
trois cents législateurs, dont le rôle consiste à écouter les conseillers d'Etat et les tribuns
rapporteurs, lesquels peuvent parler contradictoirement ; le Corps législatif les écoute en
silence, puis il vote par scrutin secret, n'ayant pas d'autre choix que d'accepter le projet tel quel,
sans discussion ni amendement, ou de le rejeter.
- Cela valut au Corps législatif le cruel surnom de « corps des muets ».
- Si le projet est adopté par le Corps législatif, le premier consul promulgue la loi ou
la renvoie, pour juger de sa constitutionnalité, devant le Sénat conservateur, quatrième
assemblée.
- Le Sénat était considéré par Bonaparte comme une pièce essentielle de la
106
construction constitutionnelle : c'est lui qui nomme les consuls, pour dix ans, ainsi que les
membres du Tribunat et du Corps législatif ; d'autre part, il est juge de la constitutionnalité
des lois, à la demande soit du premier consul, soit du Tribunat.
- Sieyès et Roger-Ducos, consuls sortants, sont nommés sénateurs, et avec l'accord
des deux nouveaux consuls, Cambacérès et Lebrun (les hommes de Bonaparte), ils
désignent 31 sénateurs.
- Ceux-ci se coopteront ensuite jusqu'à 60, puis en dix ans, jusqu'à 80.
- Ce qui fait qu'en réalité toutes les assemblées étaient directement ou indirectement
composées, au moins à l'origine, par les consuls.
- Fragmenté, le pouvoir législatif était donc de surcroît dépendant du pouvoir
exécutif.
- Un pouvoir exécutif prépondérant :
- Le pouvoir exécutif est confié à trois consuls, nommés par le Sénat pour dix ans,
et rééligibles ; mais un article de la Constitution désignait déjà les trois consuls en exercice,
Bonaparte, Cambacérès et Lebrun.
- En fait, l'essentiel du pouvoir est concentré entre les mains du premier consul,
Bonaparte, qui, irresponsable politiquement, nomme et révoque les ministres, les membres du
Conseil d'Etat et les fonctionnaires ; il nomme aussi les magistrats, sauf les juges de paix (élus
pour trois ans par les citoyens du canton) et les juges du Tribunal de Cassation (élus à vie par
le Sénat).
- Seul le premier consul a l'initiative des lois, et c'est lui seul qui les promulgue ; il a le
pouvoir de faire des règlements pour l'application des lois ; les ministres ne sont que ses commis
- C'en est bien fini de la collégialité : après les neuf, puis douze membres du Comité de
Salut public, après les cinq directeurs, la triade consulaire dissimule mal le pouvoir exclusif du
premier consul.
- Choix symbolique : Bonaparte s'installe au palais des Tuileries, ancienne résidence
royale, et non au palais du Luxembourg, où siégeait le Directoire.
- Bonaparte est l'incarnation de l'idée prêtée par Cabanis à Mirabeau en 1791 : dans un
vaste empire, dont le peuple n'est pas encore éclairé, et dont les mœurs sont encore fortement
marquées par des siècles de monarchie, une force concentrée dans les mains d'un seul est
nécessaire pour faire respecter les lois, qui sont la garantie des libertés conquises grâce à la
Révolution.
- Ce nouveau souverain qui cache encore son nom est inspiré par les Lumières du siècle :
pour exercer son autorité, le nouveau maître de la France s'entoure d'un personnel remarquable,
107
et remarquablement zélé, propre à l'éclairer et à le seconder.
- Un personnel politique docile :
- Inspiré par le souci d’opérer une réconciliation nationale aussi large que possible, le
choix du personnel allie dans un heureux amalgame les talents représentatifs de l'esprit
révolutionnaire modéré, et de l'esprit royaliste opportuniste : jacobins régicides assagis et
royalistes ralliés vont se retrouver ensemble à la tête de l'Etat.
- Le choix même et le rang même du second et du troisième consul sont à cet égard
parfaitement éclairants : le second consul est Cambacérès, un conventionnel régicide, un
thermidorien, qui s'est acquis une réputation de juriste compétent, intelligent et souple (c'est lui
qui, à la Convention, a rapporté des projets de lois particulièrement « avancés » pour l'époque,
tels que la loi sur les droits successoraux de l'enfant naturel du 2 novembre 1793, ou le projet
de Code civil du 9 août 1793, qui se voulait hardiment novateur, et qui rompait avec les
principes séculaires du droit ; et c'est lui qui, sous le Consulat, sera un des principaux
rédacteurs du Code civil de 1804, œuvre très largement traditionnelle !...).
- Le troisième consul est Lebrun, ancien inspecteur des Domaines du roi, ancien
secrétaire du chancelier de Maupeou sous Louis XV, ancien constituant, incarcéré en 1792,
libéré après Thermidor, élu aux Anciens en 1795, de sympathie royaliste, bon connaisseur de
l'ancienne administration royale.
- En prenant en second un conventionnel régicide, et en troisième un royaliste rallié,
Bonaparte donnait tout son sens à son opération de réconciliation : celle-ci ne pouvait se
concevoir que si la tendance révolutionnaire conservait la primauté ; elle ne pouvait être une
revanche des fructidorisés.
- On retrouve le même souci dans le choix des ministres : Lucien Bonaparte, le héros de
Brumaire, républicain autoritaire, devient ministre de l'Intérieur ; les deux complices du coup
d'Etat, Talleyrand et Fouché, gardent leur portefeuille des Relations extérieures et de la Police ;
Carnot reçoit la Guerre ; Gaudin, ancien fonctionnaire des Finances de la monarchie, puis de la
république, reçoit les finances.
- Même éclectisme au Conseil d'Etat, dont les cinq sections sont présidées par Boulay
de La Meurthe (ex-député des Cinq-Cents), Roederer (ex-feuillant), Defermon (ex-girondin),
le général Brune (dont le passé jacobin et les liens avec les Thermidoriens et Bonaparte nous
sont bien connus), et l'amiral Ganteaume (un marin sans passé politique, mais qui s'est lié à
Bonaparte pendant l'expédition d'Egypte).
- Au Sénat se côtoient des gloires scientifiques (Monge, Berthollet, Lacépède, Laplace,
Lagrange, Cabanis...), militaires (Kellermann, Sérurier, Bougainville...), artistiques (le peintre
108
Vien), ainsi que le banquier Perrégaux, ou l'économiste et ancien directeur François de
Neufchâteau.
- Au Tribunat ont été placés de nombreux écrivains et philosophes libéraux, animés d'un
esprit critique, parmi lesquels se détachent Jean-Baptiste Say, disciple de Turgot, vulgarisateur
en France du libéralisme économique, Benjamin Constant, littérateur politique genevois, l'ami
de Mme de Staël (fille de Necker), Marie-Joseph Chénier, dramaturge politicien, ancien
conventionnel et ancien député aux Cinq-Cents...
- Quant au Corps législatif, sur ses 300 membres, 277 provenaient des anciennes
assemblées révolutionnaires, toutes nuances confondues, généralement des hommes obscurs et
neutres, à l’exception de l’évêque constitutionnel Grégoire, qui deviendra sénateur en 1802.
- La caractéristique commune à tout ce haut personnel politique est la docilité qu’exige
le Premier consul dans l’exécution du double programme qu’il a esquissé dans sa proclamation
consulaire avant le plébiscite : garantir « les droits sacrés de la propriété, de l’égalité et de la
liberté », rendre la république « chère à tous les citoyens, respectables aux étrangers,
formidables aux ennemis ».
- Rapidement des esprits indociles, comme Lucien Bonaparte et Carnot, républicains
hostiles au gouvernement personnel, doivent quitter leur ministère.
- De même, les tribuns, par l’exercice de leurs critiques, s’aliènent la non sympathie du
Premier consul.
- Un Etat centralisé :
- Aux Tuileries, du fond de son bureau, où seuls pénètrent son secrétaire particulier,
Bourienne, ainsi que le secrétaire d'Etat Maret (secrétaire général du gouvernement), et parfois
Talleyrand ou Fouché, le premier consul décide seul de tout en dernier ressort.
- Contrairement à l'usage de la monarchie, où le roi écoutait en conseil les avis de ses
ministres et se bornait la plupart du temps à adopter l'avis de la majorité, il n'y a pas de véritables
conseils des ministres.
- Les opinions personnelles des ministres ne doivent pas prévaloir.
- Les conseils des ministres ne sont que des réunions d'agents individuels, présentant des
rapports et soumettant des projets au premier consul, investi du pouvoir de décision.
- Situation d'autant plus dépendante que, outre le pouvoir de décision, Bonaparte a le goût
de contrôler les détails de l'exécution.
- Par précaution supplémentaire, autant que par souci de spécialisation, le premier consul,
puis l'empereur dédoublera certains ministères (par exemple, le ministère des Finances, doublé
d'un ministère du Trésor), ou détachera certains services pour les ériger en « directions
109
générales » confiées à des conseillers d'Etat (ainsi, pour les Ponts et Chaussées, les Douanes,
les Cultes, l'Instruction publique, les Postes, etc., qui forment autant de petits ministères
techniques).
- A l'agitation politique du Directoire succède une intense activité bureaucratique : après
le temps des politiciens, voici arrivé le temps des fonctionnaires.
- L'administration consulaire a non seulement rétabli l'administration centralisée et
hiérarchisée de l'Ancien Régime, mais elle a bénéficié de l'œuvre de la Révolution : celle-ci a
en effet supprimé tous les corps, communautés, coutumes, privilèges, franchises, etc., qui
faisaient obstacle sous l'Ancien Régime à la volonté gouvernementale.
- En faisant table rase du passé et en uniformisant l'administration, la Révolution a
grandement facilité l'établissement d'un Etat bureaucratique autoritaire et centralisé dans les
trois domaines essentiels des finances, de l'administration générale et de la justice
- Une république pacifiée :
- Pour établir définitivement son autorité sur la Nation, Bonaparte devait vaincre ses
ennemis tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.
- A l'extérieur, les victoires militaires aboutissent à la conquête de toute l'Italie, à la paix
avec l'Autriche (traité de Lunéville, 9 février 1801), et à la paix avec l'Angleterre (traité
d'Amiens, 26 mars 1802).
- Pour la première fois depuis le 20 avril 1792, la France n'est plus en guerre.
- La pacification générale paraissait devoir rendre plus de liberté aux opposants à
l'intérieur, mais Bonaparte parvint à renforcer son pouvoir, en liquidant, d'une part, les
oppositions et en obtenant, d'autre part, le ralliement des catholiques.
- Une opposition brisée.
- Bonaparte se sent menacé à gauche par les Jacobins, républicains ardents, nostalgiques
de l'été 1799, hostiles à Brumaire et à l'affermissement du pouvoir personnel, mais peu
nombreux, étroitement surveillés par la police, et sans prise sur les milieux populaires parisiens
neutralisés depuis 1795 ; à droite par les royalistes, qui bénéficient de larges sympathies dans
la population, et qui espèrent que Brumaire leur offrira enfin l'occasion de réussir la restauration
dont ils ont été frustrés en 1795 et en 1797.
- A gauche, il semble que l'agitation jacobine ait été créée artificiellement, bien que la
fronde de généraux républicains (Moreau, Bernadotte) ait pu inquiéter le gouvernement.
- Trois obscurs complots jacobins, dénoncés de septembre à novembre 1800, paraissent
n'avoir été que des machinations policières, conduites par Fouché et par le préfet de police,
Dubois.
110
- Ils se terminent par quelques exécutions (5 fusillés, 4 guillotinés).
- Le gouvernement préparait un projet de proscription des agitateurs jacobins, lorsque les
menées royalistes lui fournirent à point nommé un excellent prétexte.
- A droite en effet, les royalistes étaient très actifs provoquée par la poussée jacobine de
l'été 1799, la reprise de la guerre des Chouans dans l'Ouest conduit Bonaparte à pratiquer avec
détermination sa politique à double face, accueil bienveillant des ralliés et élimination sans pitié
des irréductibles.
- Certains chefs chouans déposent les armes et se rallient, d'autres sont vaincus et fusillés
en grand nombre par une armée de 50 000 hommes, commandée par Brune, puis Bernadotte.
- A la fin de 1800, il n'y a plus de chouannerie militaire.
- Malgré les défections et les ralliements le parti royaliste restait puissant : le premier
frère de Louis XVI, le comte de Provence, qui s'est proclamé Louis XVIII à l'annonce de la
mort du fils de Louis XVI en 1795, vivait en exil en Russie.
- Après Brumaire, il écrivit deux lettres flatteuses à Bonaparte pour lui demander
implicitement d'être l'artisan de sa restauration.
- Bonaparte attendit que les succès militaires contre la coalition européenne eussent
consolidé son pouvoir, pour répondre à ces avances par un refus ferme et sec.
- Pour couper court à ces manœuvres, certains brumairiens songent déjà à transformer le
Consulat en monarchie.
- Voyant que le Premier consul repoussait dédaigneusement les propositions du
prétendant, des royalistes organisèrent un attentat à la bombe pour l'assassiner : le 24 décembre
1800 ils firent exploser une « machine infernale » sur son passage, rue Saint-Nicaise, près des
Tuileries.
- Bonaparte sortit indemne de l'attentat, qui fit 22 morts et 56 blessés.
- Bonaparte accusa immédiatement les Jacobins, et ordonna une répression sévère, sous
le prétexte que, même si les Jacobins n'étaient pas responsables de cet attentat, ils en avaient
commis d'autres, et en commettraient d'autres !
- Docile, Fouché, ex-jacobin terroriste, dressa une liste de 130 républicains notoires, dont
98 furent déportés aux Seychelles et à la Guyane.
- La proscription fut ordonnée par un acte de type nouveau, un sénatus-consulte, c'est-à-
dire une décision du Sénat, prise sans le concours des autres assemblées.
- Simultanément, une centaine de royalistes furent arrêtés, et les auteurs de l'attentat
guillotinés.
- Le gouvernement déposa un projet de loi qui autorisait le Premier consul à créer des
111
tribunaux criminels spéciaux, jugeant sans jury et sans appel, et pouvant prononcer la peine
de mort : c'était rétablir les tribunaux des prévôts des maréchaux de l'Ancien Régime.
- Le projet fut vivement critiqué au Tribunat, où Benjamin Constant le déclara
inconstitutionnel, et où il ne fut voté que par 49 voix contre 41 ; au Corps législatif, il n'obtint
que 192 voix contre 88, et devint la loi du 18 pluviôse an IX (7 février 1801).
- Par ces tribunaux spéciaux, le gouvernement entendait mettre un terme non seulement
au banditisme politico-criminel, mais aussi à l'agitation éventuelle des miséreux, car les deux
mauvaises récoltes successives de 1799 et de 1800 faisaient monter le prix du pain, et on pouvait
craindre le retour des émeutes de la faim.
- La peur sociale des possédants renforçait le pouvoir de Bonaparte qui apparaissait
comme le rempart de l'ordre, non seulement contre les royalistes chouans et contre les
républicains jacobins, mais aussi contre les émeutiers de la faim.
- Des catholiques ralliés
- Depuis septembre 1794, la France vit pratiquement sous un régime de séparation. Le
catholicisme a beaucoup souffert de la Révolution : schisme opposant le clergé réfractaire au
clergé constitutionnel, persécution violente, déchristianisation.
- L'armée révolutionnaire, très jacobine, affiche une bruyante hostilité aux « calotins » et
aux « capucinades ».
- Les jeunes générations, nées depuis 1789, ont souvent été élevées dans une atmosphère
au moins irréligieuse, sinon antireligieuse.
- L'athéisme, qui n'était répandu avant 1789 que dans la haute société et chez les
intellectuels, s'est largement répandu dans la bourgeoisie.
- Pourquoi Bonaparte s'est-il donc rapproché du catholicisme romain ?
- Pour deux raisons essentielles.
- Une raison sociale d'abord : au-delà d'une indifférence dédaigneuse à l'égard de toute
croyance religieuse, Bonaparte a une conception utilitaire de la religion, dans la mesure où
celle-ci prêche la soumission aux déshérités (« l'opium du peuple », comme le dira bientôt Karl
Marx).
- Une raison politique ensuite : malgré un recul certain, le catholicisme n'a pas été détruit
par la Révolution et peut servir sa politique.
- De plus, l'épreuve révolutionnaire a revivifié la foi et provoqué un renouveau.
- Bonaparte entend récupérer ce mouvement religieux au profit de l’Etat.
- Deux de ses déclarations résument alors parfaitement son point de vue : au royaliste
d'Andigné, il déclare en janvier 1800 : « La religion, je la rétablirai, non pas pour vous, mais
112
pour moi », et à l'ex-conventionnel régicide, Thibaudeau, de la première fournée de préfets en
1800 : « Cinquante évêques émigrés et soldés par l'Angleterre conduisent aujourd'hui le clergé
français. Il faut détruire leur influence. L'autorité du pape est nécessaire pour cela. »
- Pour soustraire le catholicisme à l'influence du royalisme émigré, Bonaparte va négocier
avec le pape sa mise en tutelle par l'Etat français.
- D'où le paradoxe : c'est Bonaparte qui a provoqué cette transformation capitale de
l’Eglise de France, jusqu'alors jalouse de son indépendance « gallicane », en bastion de
l'ultramontanisme romain (orientation favorable à la primauté, spirituelle et juridictionnelle, du
pape sur le pouvoir politique en matière religieuse et notamment de nomination des évêques
par opposition au gallicanisme)
- Mais si le Premier consul fait mine de soumettre l'Eglise nationale à Rome par le
Concordat, c'est en réalité pour mieux la soumettre à l'Etat français, et ceci apparaît clairement
dans les articles organiques additionnels au concordat.
- L’entente avec le pape : le Concordat de 1801.
- L'accord fut préparé par des négociations longues et laborieuses, conduites du côté
français par un ancien chef chouan rallié, l'abbé Bernier, et du côté romain par un légat d'abord,
puis par le cardinal secrétaire d'Etat en personne, Consalvi, qui vint à Paris à cet effet.
- Il y eut essentiellement trois points litigieux : la place du catholicisme dans l’Etat (le
pape voulait que le catholicisme redevînt religion d'Etat comme sous l'Ancien Régime), le sort
du clergé (le gouvernement français voulait la démission de tous les évêques, tant réfractaires
que constitutionnels, afin de reconstituer après une hiérarchie concordataire), et le sort des biens
(le gouvernement français voulait que le pape reconnût la confiscation des biens du clergé de
1789, garantie pour les acquéreurs des biens nationaux).
- Les négociations aboutirent à la Convention de Messidor, ou Concordat de 1801, signé
le 16 juillet 1801, texte court composé d'un préambule et de 17 articles, et qui s'inspire
largement du Concordat de Bologne de 1516.
- Malgré le désir du pape, la religion catholique n'est pas rétablie comme religion d'Etat,
mais, au terme de l'article Ier, elle est déclarée religion « de la plus grande majorité des
Français », et les trois consuls font, dans le texte même du Concordat, profession de
catholicisme, à titre personnel.
- En contrepartie le Saint-Siège reconnaît le gouvernement français, impose au clergé le
serment de fidélité et des prières publiques pour la République.
- En ce qui concerne le clergé, le pape promet de demander aux évêques réfractaires leur
démission (en effet, il ne peut pas la leur imposer, car il n'y a contre eux aucun motif canonique
113
de déposition !), tandis que le Premier consul impose leur démission aux évêques
constitutionnels.
- Ensuite, les évêques seraient nommés par le Premier consul, et ils recevraient
l'institution canonique du pape.
- C'était le rétablissement pur et simple de la pratique de l'Ancien Régime, réglée par le
concordat de 1516.
- Cependant, ici encore, à cause de l'œuvre destructrice et uniformisatrice de la
Révolution, on allait plus loin que sous l'Ancien Régime dans le sens de la monarchie
épiscopale : les évêques devenaient maîtres absolus dans leurs diocèses, puisqu'ils recevaient le
droit de nommer tous les curés et desservants, ce qui n'était pas le cas avant 1790.
- Le nombre des évêchés est considérablement réduit, ramené à 60, dont 10 archevêchés :
des sièges aussi anciens et glorieux que Reims, Sens ou Chartres sont supprimés.
- Enfin, en ce qui concerne les biens, par une formule subtile, l'article 13 ne reconnaît pas
formellement la confiscation de 1789, mais l'incommutabilité des ventes, et le pape renonce
pour l'Eglise à toute revendication ultérieure ; en contrepartie, l'article 14 prévoit que l'Etat
français servira un traitement convenable aux évêques et aux curés.
- Enfin, à noter que le Concordat ne dit rien des ordres religieux, qui étaient interdits en
France depuis le décret de la Constituante de 1790.
- Conformément à l'esprit de réconciliation qui définissait sa politique, Bonaparte confia
l'application du Concordat à Portalis, royaliste rallié, député des Anciens, fructidorisé,
catholique fervent.
- Le nouvel épiscopat fut constitué dans cet esprit : après avoir exigé et obtenu du pape
que celui-ci déclarât vacants les sièges épiscopaux des prélats réfractaires qui refusaient de
démissionner, le Premier consul pourvut les 60 sièges de l'épiscopat concordataire en y
nommant 16 anciens évêques réfractaires, 12 anciens évêques constitutionnels et 32 nouveaux
promus.
- L’administration des cultes : les articles organiques (1802).
- Rédigés par Portalis à l'insu du pape et publiés le 8 avril 1802, les Articles organiques
se présentent en apparence comme le règlement de police prévu par l'article 1er du Concordat
pour sa mise en application pratique.
- En réalité les 77 articles de ce règlement de la police des cultes faussaient l'esprit du
Concordat.
- Celui-ci a été très mal accueilli par le personnel politique républicain (Fouché parmi les
ministres, plusieurs sénateurs et tribuns représentant l'athéisme intellectuel du XVIIIe siècle).
114
- Bonaparte eut l'habileté de faire semblant de donner en partie satisfaction à ces
mécontents, tout en profitant de l'occasion pour renforcer la mainmise de l'Etat sur l'Eglise de
France.
- Les Articles organiques interdisent la publication en France des actes pontificaux sans
l'autorisation du gouvernement, et la tenue de conciles nationaux ou de synodes provinciaux
sans la permission du gouvernement ; ils attribuent toute compétence aux préfets pour
réglementer les cérémonies extérieures du culte et l'usage des cloches ; ils imposent aux
professeurs de séminaires l'obligation d'enseigner la fameuse Déclaration des Quatre Articles
de 1682, le manifeste du gallicanisme qui affirmait l'indépendance du pouvoir temporel, dans
le domaine temporel, à l'égard du pouvoir spirituel, la supériorité du concile œcuménique sur
le pape, l'existence des libertés de l'Eglise gallicane, et contestait l'infaillibilité pontificale.
- De même les Articles organiques soumettent le rétablissement des congrégations et la
création de fondations par les fidèles à l'agrément préalable de l'Etat.
- C'est ainsi que le rétablissement des congrégations ne fut autorisé que si celles-ci étaient
jugées utiles à l'Etat : tout à la fois inspiré par Colbert et par les despotes éclairés du XVIIIe
siècle, Bonaparte était hostile à la vie contemplative, jugée inutile et nuisible à la société.
- Ne furent donc autorisées que les congrégations enseignantes (Frères des Ecoles
chrétiennes pour les garçons, Ursulines pour les filles), charitables (Filles de la charité) ou
missionnaires (Lazaristes).
- Malgré les protestations du pape, Bonaparte maintint les Articles organiques, qu'il
affectait de confondre avec le Concordat, et son exemple fut suivi par tous les gouvernements
jusqu'à la séparation de 1905.
- D'autre part, pour mieux souligner que le catholicisme n'était plus religion d'Etat, le
successeur de Lucien Bonaparte au ministère de l'Intérieur, Chaptal, avait rédigé de son côté
des Articles organiques des cultes protestants, publiés le même jour, 8 avril 1802, qui
soumettaient les pasteurs, les consistoires et les synodes à l'étroite surveillance de l'Etat, tout en
accordant un traitement aux pasteurs.
§ 2
La monarchie consulaire (1802-1804)
- Dix jours après la publication des Articles organiques, fut célébrée solennellement la
messe de Pâques à Notre-Dame de Paris, rendue au culte après dix ans d'interruption (18 avril
1802) : un Te Deum en présence de tous les Corps de l'Etat célébra tout à la fois la pacification
extérieure (traité d'Amiens, 26 mars) et la pacification intérieure (adoption du Concordat et des
115
Articles organiques, réunis en une seule loi, par le Corps législatif, 8 avril).
- Le 26 avril les émigrés sont amnistiés : ils peuvent désormais rentrer librement en
France.
- Aux yeux de tous, au printemps 1802, le Premier consul Bonaparte est le pacificateur
du monde.
- Ayant opéré la pacification générale extérieure et intérieure, Bonaparte entreprend
immédiatement de couronner son œuvre par la création d'institutions sociales de consolidation.
- En effet il déclare alors au Conseil d'Etat : « Il y a un gouvernement, des pouvoirs, mais
tout le reste de la nation, qu'est-ce ? Des grains de sable... Tant que j'y serai, je réponds de la
République ; mais il faut prévoir l'avenir. Il faut jeter sur le sol de la France quelques masses
de granit. »
- Et le meilleur moyen d'assurer cet avenir commence évidemment par le renforcement
des pouvoirs du Premier consul.
- Des pouvoirs accrus :
- Le consulat viager
- Lorsque, à la suite de la grande pacification extérieure et intérieure de mars-avril 1802,
Bonaparte jette les fondements de sa stabilisation sociale en mai, il se heurte à l'opposition des
généraux désœuvrés que la paix a ramenés à Paris : « Pas un qui ne se croie les mêmes droits
que moi », ironise le Premier consul.
- L'armée reste foncièrement républicaine.
- Certains généraux jacobins critiquent ouvertement la politique de pacification religieuse
et la conclusion du Concordat, en particulier Brune, Augereau, Lecourbe ou Delmas : ce dernier
a même manifesté hautement son mécontentement pendant le Te Deum de Pâques à Notre-
Dame.
- D'autres tels que Moreau ou Bernadotte sont de surcroît plus ou moins jaloux de
l'ascension de Bonaparte.
- A Rennes, autour de Bernadotte et de son chef d'état-major, le général Simon, se trame
un complot qui se manifeste par un « Appel aux armées françaises par leurs camarades », où
l'on peut lire : « Soldats ! Vous n'avez plus de patrie, la République n'existe plus. Un tyran s'est
emparé du pouvoir... Votre ouvrage ne subsiste plus. Les émigrés sont rentrés de toutes parts ;
des prêtres hypocrites sont salariés par le tyran. »
- Simon et ses complices sont arrêtés, Bernadotte, qu'il faut bien ménager parce qu'il est
le beau-frère de Joseph Bonaparte, n'est que déplacé.
- Ce « complot des libelles » donne au Premier consul l'occasion d'affirmer avec éclat le
116
principe de la subordination de l'armée au pouvoir civil et de se débarrasser de l'opposition
militaire, soit en destituant plusieurs généraux (dont Lecourbe), soit en les nommant à de
lointains commandements départementaux ou coloniaux, ou dans des ambassades (Brune à
Constantinople, Lannes à Lisbonne).
- Le 6 mai 1802, au moment où l'on découvrait le complot des libelles, le Tribunat,
récemment épuré, proposa qu'il fût donné au pacificateur « un gage de la reconnaissance
nationale ».
- Le 8 mai le Sénat ne se contenta que de réélire pour dix ans « Napoléon Bonaparte »,
dont le prénom apparaissait pour la première fois dans un acte officiel.
- Cambacérès donna au Premier consul l'idée d'une habile manœuvre : il acceptait, mais
à condition de tenir ses nouveaux pouvoirs du peuple.
- Le 10 mai le Conseil d'Etat décida que le peuple serait consulté par plébiscite, mais la
question formulée allait plus loin que le vote du Sénat : « Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul
à vie ? »
- On vota pendant trois mois, toujours à registre ouvert : 3 millions et demi de oui, 8 000
non.
- Le bonapartisme, nouvelle force politique, défini par la démocratie autoritaire et
plébiscitaire garantissant les acquis de la Révolution, obtenait un large appui populaire, renforcé
par les ralliés (le clergé rétabli et les émigrés amnistiés).
- Le 2 août 1802 le Sénat proclame officiellement Napoléon Bonaparte consul à vie.
- Le « roi de la Révolution » :
- Le Premier consul viager dicte une nouvelle Constitution qui est adoptée sans
discussion par un sénatus-consulte du 4 août 1802 (16 thermidor an X).
- Le Premier consul désigne son successeur, ce qui annonce le retour à l'hérédité du
pouvoir ; le second et le troisième consul sont nommés à vie par le Sénat sur présentation du
Premier.
- Le Premier consul devient un vrai souverain sans le titre : droit de grâce, conclusion
des traités, désignation des candidats au Sénat (qui continue à se recruter par cooptation),
nomination de tous les fonctionnaires.
- Les pouvoirs du Sénat sont accrus, mais il est étroitement domestiqué : le Sénat reçoit
le droit de régler par sénatus-consulte organique « tout ce qui n'est pas prévu par la Constitution
et qui est nécessaire à sa marche », ce qui facilitera l'instauration de l'Empire, mais c'est le
Premier consul qui a l'initiative des sénatus-consultes et des lois qui préside le Sénat, et qui crée
les sénatoreries (dotations foncières viagères, constituées de belles résidences ci-devant
117
seigneuriales prélevées parmi les biens nationaux).
- Le nombre des sénateurs est porté à 120, tandis que le nombre des tribuns est réduit à
50.
- La Constitution de l'an X a supprimé les listes de notabilités de la Constitution de l'an
VIII et les a remplacées par des collèges électoraux hiérarchisés et restreints qui les citoyens
domiciliés forment l'assemblée de canton : celle-ci désigne des candidats aux conseils
municipaux et aux justices de paix, sur la liste cantonale de cent citoyens les plus imposés, et
elle nomme à vie les électeurs du collège électoral d'arrondissement et du collège électoral de
département (pour ces derniers, le choix doit être fait sur la liste des six cents citoyens du
département les plus imposés).
- Ces collèges d'électeurs présentent des candidats aux places vacantes dans les conseils
d'arrondissement et les conseils généraux de département, ainsi que dans les assemblées
nationales (Tribunat, Corps législatif, Sénat).
- Ce système électoral, qui survivra jusqu'au début de la Restauration, annonce l'essentiel
du système électoral qui sera pratiqué jusqu'en 1848, et qui reposait sur des collèges électoraux
restreints et censitaires, réunis au chef-lieu d'arrondissement ou de département.
- La Constitution de l'an X a créé une oligarchie de notables inamovibles, tout dévoués
au gouvernement, puisque, selon une déclaration de Lucien Bonaparte, « les principes du
nouveau droit électoral reposent sur la propriété qui inspire un sentiment conservateur de l'ordre
public ».
- Dès la fin de 1802 l'évolution du régime apparaît clairement : le 15 août 1802, date
anniversaire de la naissance de Bonaparte, a été célébré comme fête nationale ; en 1803, l'effigie
du Premier consul, comme celle d'un souverain, apparaît sur les pièces de monnaie.
- Dix ans après la chute de Louis XVI, la France s'est donné un nouveau roi, un roi issu
de la Révolution.
- Une élitiste société juridiquement encadrée :
- Les grains de sable qui inquiètent Bonaparte en 1802 sont le produit de la Révolution,
individualiste et libérale, qui a poursuivi la destruction de tous les corps intermédiaires entre la
Nation et les citoyens.
- Le Premier consul ressent la nécessité de rétablir des corps intermédiaires républicains
(les masses de granit), entre l'Etat et les citoyens : la réorganisation de l'enseignement
secondaire est décidée en même temps que la création de la Légion d'honneur, au début de mai
1802.
- Ces deux réformes se tiennent dans l'esprit de Bonaparte : il s'agit d'assurer le
118
recrutement et la formation des élites, destinées à être agrégées dans des corps sociaux
nouveaux, dont la Légion d'honneur est le prototype.
- D'autre part, le franc germinal (avril 1803) et le Code civil (mars 1804) définissent les
moyens économiques et les règles juridiques des relations sociales : l'un est le symbole
économique, l'autre, la charte sociale du nouveau régime.
- Tous les deux expriment le désir de stabiliser la société.
- L’encadrement juridique de la société :
- La monarchie n'est pas parvenue à réaliser l'unification du droit civil ; chaque province
avait sa coutume dans le Nord, et dans le Midi c'était le droit romain qui était appliqué.
- L'affirmation du principe d'égalité en 1789, entendu dans ce sens que la loi est la même
pour tous, imposait implicitement l'unification du droit.
- Ce n'est pas par hasard que le besoin d'opérer cette unification s'exprime au cours de
l'été 1793 : c'est au moment où les Montagnards jacobins sont aux prises avec l'insurrection
girondine, et où ils mènent le combat sur le thème de l'unité de la république.
- En août 1793, Cambacérès présente donc le premier projet de Code civil, œuvre très
brève en 695 articles, car les Conventionnels professaient un profond mépris pour le droit
romain et le droit coutumier, qu'ils traitaient de législations barbares et corrompues : d'après
Barère, il fallait réaliser le rêve des philosophes, et faire par conséquent des lois brèves, simples,
claires, démocratiques, accessibles à tous les citoyens.
- La Convention estima cependant que le projet n'était pas encore assez révolutionnaire
à son goût, elle le rejeta, et décida de nommer une commission de philosophes pour rédiger un
nouveau projet (décret du 3 novembre 1793).
- Les choses en restèrent là.
- Après Thermidor, Cambacérès déposa un second projet, encore plus bref, en 297
articles, tous très laconiques (23 fructidor an II, 14 septembre 1794) : quelques articles en furent
discutés et votés.
- Sous le Directoire, Cambacérès, toujours lui, déposa un troisième projet au Conseil des
Cinq-Cents (24 prairial an IV, 12 juin 1796), mais en raison des difficultés politiques du régime,
ce projet ne vint même pas en discussion : par ses emprunts au droit ancien, il signifiait
l'apaisement de l'ardeur révolutionnaire et la recherche d'un compromis pratique.
- Enfin, dès le lendemain du coup d'Etat de brumaire, un quatrième projet de Code
civil fut déposé par Jacqueminot : il marquait la fin des rêves philosophiques, et le retour aux
techniques juridiques éprouvées par des siècles d'expérience humaine.
- Destiné à satisfaire l'opinion publique, en montrant le désir du nouveau régime de
119
conserver ce qui méritait d'être gardé du passé, le hâtif projet Jacqueminot ne fut même pas
examiné, mais le Premier consul désirait réaliser enfin cette œuvre d'unification et de
compromis.
- Une commission de quatre membres fut nommée le 24 thermidor an VIII (13 août
1800), et si l'achèvement définitif du Code n'est intervenu que le 21 mars 1804, c'est parce que
la volonté de Bonaparte s'est heurtée à des oppositions qu'il a dû vaincre.
- La confection du Code civil a donc été une des occasions pour le Premier consul de
transformer son consulat républicain en consulat monarchique : œuvre de compromis, le Code
civil a été une œuvre d'autorité.
- La Commission de quatre membres était composée de magistrats expérimentés, d'âge
mûr (entre cinquante et quatre-vingts ans), deux Méridionaux bons connaisseurs du droit
romain (le Provençal Portalis et le Périgourdin Maleville) et deux Septentrionaux bons
connaisseurs du droit coutumier (le Parisien Tronchet et le Breton Bigot de Préameneu).
- Conformément au désir du Premier consul, la Commission travailla vite : en quatre mois
elle acheva son projet, qui fut soumis pour avis aux tribunaux d'appel et au Tribunal de
Cassation.
- Le projet et les observations des tribunaux vinrent ensuite devant le Conseil d'Etat, pour
l'élaboration du texte définitif qui devait être soumis au Tribunat et au Corps législatif.
- C'est ici que s'exerça l'influence de Bonaparte et de Cambacérès.
- Or, quand les premiers textes parvinrent au Tribunat à la fin de 1801, les choses se
gâtèrent : ce fut un concert de critiques.
- Les tribuns leur reprochaient de n'être qu'une copie servile du droit romain et du droit
coutumier.
- Portalis répondait avec bon sens qu'il ne s'agissait pas de faire une œuvre originale, mais
pratique et claire, destinée à un peuple qui avait des habitudes et une mentalité séculaires, en
dépit des innovations de la Révolution.
- Sensible aux arguments du Tribunat, le Corps législatif rejeta le premier titre du Code,
et il allait rejeter le second, lorsque le Premier consul, ulcéré, arrêta la procédure en retirant les
projets de loi déposés par le gouvernement (3 janvier 1802).
- Le 7 janvier le Conseil d'Etat consulté déclara possible le premier renouvellement du
cinquième des tribuns et des législateurs : comme la Constitution ne précisait pas le mode de
désignation des sortants, le Sénat, docile, désigna ceux dont le Premier consul voulait se
débarrasser, ce qui permit d'éliminer les opposants trop gênants, tels que Benjamin Constant ou
Marie-Joseph Chénier.
120
- Puis Lucien Bonaparte, nommé tribun, proposa le règlement du ler avril 1802 : le
Tribunat était divisé en trois sections (législation, intérieur, finances), qui délibéraient à huis
clos sur les projets de loi.
- Par surcroît de précaution, on imagina de pratiquer la communication officieuse : le
Conseil d'Etat communiquait confidentiellement les projets de loi au Tribunat pour qu'il lui
donne son avis.
- Le projet revenait ensuite devant le Conseil d'Etat pour d'éventuelles retouches, et ce
n'est qu'alors que commençait la procédure officielle devant le Tribunat et le Corps législatif.
- Grâce à cette domestication du Tribunat, accentuée par la réforme constitutionnelle
de thermidor an X, les différents titres du Code civil purent être votés, entre mars 1803 et mars
1804, par 36 lois successives.
- L'ensemble, composé de 2281 articles, fut enfin réuni en un seul code, sous le nom de
Code civil des Français, par la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804).
- Le Code civil a puisé ses composants à cinq sources différentes.
- La source principale a été l'ancien droit coutumier, en particulier la Coutume de Paris
de 1580, qui a fourni la plupart des dispositions sur l'incapacité de la femme mariée, la puissance
maritale, la communauté de biens entre époux, et nombre de règles successorales.
- L'autorité du père de famille, affaiblie par la Révolution, est renforcée sur la femme et
les enfants : dans la reconstitution des corps où doivent s'agréger les « grains de sable », la
famille joue le premier rôle, sous la conduite de son chef, le père de famille.
- Viennent ensuite, parmi les autres sources, le droit romain qui a surtout inspiré le droit
de la propriété, des obligations, et le régime dotal.
- En ce qui concerne la propriété, le fameux article 544 lui confère un caractère absolu,
qui s'explique par le désir d'empêcher la reconstitution de la féodalité avec sa propriété divisée
et relative.
- C'est ainsi qu'il faut comprendre historiquement la propriété du Code civil, dite « à la
romaine », et qui deviendra ensuite le symbole du capitalisme individualiste du XIXe siècle :
en réalité les rédacteurs de l'article 544 entendaient confirmer implicitement l'abolition de la
féodalité.
- Troisième source, les grandes ordonnances royales de l'époque moderne ont été
conservées pour les actes de l'état civil, pour les donations et testaments, pour le régime de la
preuve, et pour la purge des hypothèques.
- Le droit canonique, pour sa part, a inspiré une partie des règles du mariage et de la
légitimation.
121
- Reste enfin le droit révolutionnaire dont les dispositions sont maintenues dans divers
domaines : la liberté civile justifie l'interdiction de tout contrat de louage par lequel une
personne aliénerait sa liberté pour sa vie entière (article 1780, qui veut empêcher la résurrection
du servage) ; l'égalité civile inspire le droit des personnes, des biens et des successions (pas de
« privilège » pour les personnes nobles, les terres nobles, les successions nobles : la loi est la
même pour tous) ; la tolérance religieuse, qui implique la laïcité de l'Etat, justifie le maintien
de l'état civil laïc, du mariage civil et du divorce.
- C'est par ces trois principes essentiels, de liberté individuelle, d'égalité civile et de
laïcité, que le Code civil est devenu en Europe le symbole de la Révolution, et qu'il est apparu
aux yeux de Bonaparte comme une des pièces maîtresses de sa reconstruction sociale.
- Alliage solide de la Tradition et de la Révolution, il devait assurer la stabilité de la
société nouvelle : sa célébrité et son prestige au XIXe siècle prouvent le succès de l'œuvre
consulaire.
- Cependant il convient de noter que le rétablissement de l'esclavage aux colonies (20 mai
1802) a ramené le Consulat sur les positions de la Constituante.
Section 2
La monarchie impériale (1804-1814)
- La paix, conclue à Lunéville avec les Autrichiens en 1801, et à Amiens avec les Anglais
en 1802, et qui avait permis à Bonaparte de parvenir à un pouvoir monarchique quasi absolu,
ne dura pas longtemps.
- La guerre reprit donc en mai 1803 : les menées des royalistes français, soutenus par
l’Angleterre, ont donné à Bonaparte l’occasion d’achever la transformation de son pouvoir en
monarchie héréditaire, conçue comme la garantie de la stabilité définitive de la Révolution, et
du refus de la restauration royaliste.
- Pendant 10 ans, Bonaparte devenu l’empereur Napoléon Ier va exercer un pouvoir de
plus en plus despotique et de moins en moins fidèle à l’esprit de la Révolution et la République
§ 1
La naissance de l’Empire
- La menace royaliste :
- Dès la reprise des hostilités avec la France, le gouvernement anglais donne son appui au
projet d'enlèvement ou d'assassinat du Premier consul, élaboré dans les milieux royalistes
émigrés de Londres, gravitant autour du second frère de Louis XVI, le comte d'Artois (futur
122
Charles X).
- La direction de l'opération est confiée au Chouan Cadoudal, qui a déjà organisé
l'attentat de la rue Saint-Nicaise en 1800.
- Installé à Paris, Cadoudal réunit secrètement autour de lui une vingtaine d'émigrés, dont
les frères Polignac et le général Pichegru : ce dernier, après avoir été fructidorisé et déporté à
la Guyane en 1797, s'est évadé et a rejoint l'émigration royaliste à Londres.
- Les conjurés essaient de rallier Moreau à leur projet, mais celui-ci, toujours indécis, se
dérobe.
- Au début de mars 1804 la police arrête, non sans mal, Cadoudal et ses complices.
- Sous la torture, un des conjurés finit par dire qu'on attendait l'arrivée d'un prince qui
devait mener l'opération.
- La police, sur l'indication d'un agent double, signale alors à Bonaparte la présence à
Ettenheim, dans le duché de Bade, à sept kilomètres du Rhin, du jeune duc d'Enghien, petit-
fils unique du prince de Condé.
- Celui-ci, émigré en 1789, avait commandé longtemps en Allemagne l’armée des
émigrés
- En réalité, le jeune duc est totalement étranger au complot de Cadoudal
- Répondant par l’assassinat aux menaces d’assassinat qui pèsent sur lui, Bonaparte fait
enlever le duc d’Enghien et le fait fusillé
- En endossant la responsabilité personnelle d’avoir fait couler le sang des Bourbons,
Bonaparte entrait à son tour dans le clan des conventionnels régicides et donc il devenait une
garantie contre le retour des Bourbons
- L’entourage du Premier consul et en particulier les anciens conventionnels régicides
comme Fouché, le poussèrent à profiter de la situation : l’hérédité monarchique découragerait
les velléités de la restauration royaliste
- La garantie impériale :
- Un obscur tribun, ancien conventionnel régicide, proposa le 30 avril 1804 que Napoléon
Bonaparte devînt l'empereur héréditaire de la République française
- Le Tribunat l'adopta par 47 voix contre une seule, celle de Carnot, républicain
irréductible.
- Le Sénat approuva : le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII (18 mai 1804)
(Constitution de l'an XII) déclare que « le gouvernement de la République est confié à un
empereur », et que Napoléon Ier est « empereur héréditaire des Français » ; il fixe la liste civile
à 25 millions par an (chiffre de la Constitution de 1791).
123
- Un plébiscite sur l'hérédité, mais non sur le titre impérial, donna une fois de plus
officiellement 3 millions et demi de oui contre 2 500 non.
- Nominalement, l'Empire fut une modalité du régime républicain, tout au moins au
début : le calendrier républicain fut utilisé jusqu'au 1er janvier 1806, et les pièces de monnaie
portèrent jusqu'en 1808 la double mention « République Française, Napoléon Empereur ».
- En réalité l'Empire est une monarchie militaire destinée à barrer la route du trône au
prétendant royaliste ; en effet l'article 53 de la Constitution de l'an XII impose à l'empereur un
serment qui garantit les acquis de la Révolution: « Je jure de maintenir l'intégrité du territoire
de la République [c'est-à-dire les frontières naturelles du Rhin et des Alpes] ; de respecter et
faire respecter les lois du Concordat et la liberté des cultes; de respecter et faire respecter
l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux »
- Par les plébiscites Napoléon s'est fait l'unique représentant de la nation, le seul député
du corps souverain.
- La nouvelle Constitution fixe le règlement de la « famille impériale » :
- L'empire est héréditaire dans la descendance de Napoléon, ou à défaut dans la
descendance de deux de ses frères, Joseph et Louis, et non des deux autres, Lucien et Jérôme,
qui se sont mariés contre la volonté de Napoléon.
- Une cour impériale est prévue, avec six grands dignitaires (qui sont Cambacérès,
archichancelier, et Lebrun, architrésorier, plus quatre membres de la famille : les deux frères,
Joseph, grand électeur, et Louis, connétable; Eugène de Beauharnais, beau-fils, archichancelier
d'Etat, et Murat, beau-frère, grand amiral) et six grands officiers (qui sont : trois officiers
favoris du maître, le grand écuyer Caulaincourt, le grand veneur Berthier, le grand maréchal du
palais Duroc; plus un oncle de l'empereur, le cardinal Fesch, grand aumônier, Talleyrand, grand
chambellan, et le comte de Ségur, grand maître des cérémonies).
- Ce choix souligne évidemment le caractère dynastique et militaire du haut personnel de
Cour, et annonce l'évolution ultérieure du régime avec le comte de Ségur, « ci-devant » rallié,
chargé de donner aux ex-citoyens de la Révolution le bel air et le bon ton de l'ancienne Cour de
Versailles...
- Dès le 19 mai sont nommés quatorze maréchaux d'empire, pour la plupart d'anciens
généraux de l'armée d'Italie.
- Issu de la Révolution, dynastique et militaire, le pouvoir impérial a enfin reçu la
consécration de l’Eglise
- Après avoir hésité et espérant obtenir peut-être l'abrogation des Articles organiques, ou
la restitution de la partie de ses Etats que la république lui avait enlevée, le pape Pie VII accepta
124
de venir à Paris sacrer Napoléon à Notre-Dame, le 2 décembre 1804.
- Mais, après avoir reçu du pape l'onction du sacre, Napoléon se couronna lui-même
pour bien montrer qu'il ne tenait sa couronne que de lui
§ 2
L’évolution despotique de l’Empire
- L'organisation des pouvoirs publics n'a plus guère changé entre 1804 et 1814, mais
l'esprit du gouvernement a évolué, en fonction du durcissement du caractère de Napoléon,
surtout après son second mariage en 1810 avec une archiduchesse d'Autriche, ce qui le fit neveu
de Louis XVI !
- Entré dans « la famille des rois », peuplant sa Cour et son administration d'anciens
émigrés, sa domination autoritaire l'isole peu à peu de la Nation et rend son pouvoir absolu de
plus en plus fragile.
- Son despotisme s'est affirmé par la concentration des pouvoirs, par la soumission des
âmes et par la direction des esprits.
- La concentration des pouvoirs :
- Elle s'est faite tout d'abord par l'effacement des organes du pouvoir législatif : le
Tribunat a été tout simplement supprimé en 1807.
- Le Corps législatif, composé de fonctionnaires et de militaires dociles, s'est transformé
en chambre d'enregistrement ; d'ailleurs dans certains domaines délicats, Napoléon préfère se
passer de son concours, et utilise la procédure du sénatus-consulte (ainsi pour la levée des
conscrits, mesure particulièrement impopulaire).
- La Constitution de l'an XII a donné à l'empereur le pouvoir de nommer les sénateurs en
nombre illimité : 80 en 1804, ils sont 141 en 1813, gavés d'avantages matériels et serviles à
proportion.
- Quant au Conseil d'Etat, après l'achèvement de l'œuvre de codification (Code de
procédure civile de 1806, Code de commerce de 1807, Code d'instruction criminelle de 1808,
Code pénal de 1810), il fut confiné dans les affaires contentieuses.
- L'empereur légiférait finalement par sénatus-consulte, ou plus simplement par
décret.
- L'évolution du pouvoir exécutif aboutit au même résultat, le renforcement de la volonté
de l'empereur : les ministres devinrent de grands commis, sans personnalité ni pouvoir de
décision.
- Dès 1807, un premier remaniement ministériel écarte de fortes personnalités, comme
125
Talleyrand remplacé aux Affaires étrangères par Champagny, effacé et docile.
- A partir de 1810 le gouvernement perd ses derniers représentants de la Révolution :
Fouché est remplacé à la police par un militaire brutal et expéditif, Savary, celui-là même qui
avait été chargé de l'exécution du duc d'Enghien et qui avait montré à cette occasion une
remarquable ponctualité dans l'exécution rapide des ordres reçus !
- A la fin de l'Empire plusieurs ministres appartiennent à la noblesse de l'Ancien Régime
- La soumission des âmes :
- Celle-ci devait être, aux yeux de Napoléon, la conséquence de sa politique
concordataire, mais sa brouille avec le pape lui aliéna finalement le clergé.
- Un peuple fidèle
- L'application du concordat fit de l'Eglise un instrument de domination politique au
profit de l'empereur, qui ne voyait en elle qu'un rouage administratif de l'Etat, dont la
mission était de gouverner les consciences dans le sens du loyalisme et de l'obéissance.
- Le clergé, fonctionnarisé par le traitement reçu de l'Etat, était étroitement surveillé
dans son administration ecclésiastique par le ministère des Cultes et dans sa prédication
religieuse par le ministère de la Police.
- En contrepartie il bénéficiait de larges faveurs : les séminaristes furent exemptés de
service militaire, les processions furent autorisées de nouveau.
- Portalis, directeur des Cultes, voulait aller encore plus loin à propos du respect du
repos dominical, ou des marques de respect au passage des processions.
- Napoléon s'y opposa, voulant maintenir strictement la laïcité de l'Etat.
- Les congrégations féminines purent se développer librement, mais les congrégations
masculines restèrent soumises à une autorisation de l'Etat, qui ne fut accordée que très
parcimonieusement, en raison de la vive hostilité de Napoléon à l'égard des moines.
- L'Eglise concordataire fut reconnaissante et soumise : sauf exception, les évêques
acceptèrent le catéchisme rédigé par l'évêque d'Orléans Bernier, approuvé par l'empereur
(1806).
- Ce catéchisme impérial insiste sur la doctrine traditionnelle de l'Eglise, fondée sur
l'Ecriture sainte, qui fait obligation aux chrétiens d'être soumis aux autorités légitimes.
- Concrètement le catéchisme impérial traduit ce principe en énumérant ainsi les devoirs
des fidèles envers l'empereur Napoléon : « L'amour, l'obéissance, la fidélité, le service militaire,
les tributs (= les impôts) ordonnés pour la conservation et la défense de l'empire et du trône. »
- Et le catéchisme enseigne que manquer aux devoirs envers l'empereur, c'est commettre
un péché mortel, qui destine le coupable à l'enfer.
126
- Malgré le manque de prêtres (60000 environ en 1789, 36000 en 1815), et malgré le
manque de vocations sacerdotales (6000 ordinations seulement pour l'ensemble de la France de
1802 à 1814), le culte fut rétabli peu à peu, et sous l'influence de quelques prêtres à l'esprit
missionnaire la reconquête des âmes commença dans une société qui avait fortement subi les
effets d'une active déchristianisation de dix ans.
- Un clergé finalement rebelle
- Les relations de Napoléon et de l'Eglise se détériorèrent à la suite du conflit qui l'opposa
au pape.
- Conflit temporel à l'origine : le pape, souverain temporel, n'admet pas l'occupation de
ses Etats par les troupes françaises.
- A la suite de l'annexion de Rome (17 mai 1809), Pie VII excommunie l'empereur, et
celui-ci fait arrêter le pape qu'il fait interner à Savone, en territoire français.
- Malgré les persécutions de la police de Fouché, le texte de la Bulle pontificale
d'excommunication se répand en France.
- Le pape pratique la résistance passive : il refuse de donner aux évêques nommés
l'investiture canonique prévue au concordat.
- Les uns après les autres de nombreux évêchés deviennent ainsi vacants.
- Napoléon réunit en juin 1811 un concile national, présidé par son oncle le cardinal
Fesch, archevêque de Lyon : les évêques décident que, passé le délai de six mois, faute
d'investiture pontificale, celle-ci serait conférée à un évêque par l'évêque métropolitain (Titre
attribué à l’archevêque placé à la tête d’une province ecclésiastique et ayant autorité sur
d’autres diocèses), et à un évêque métropolitain par le plus ancien évêque de sa province.
- C'était revenir à la Constitution civile du clergé de 1790, condamnée par Pie VI.
- Malgré les concessions apparentes de Pie VII, aucune solution ne fut trouvée, et
Napoléon accentua ses persécutions : le pape fut interné à Fontainebleau, des évêques furent
emprisonnés, les rares congrégations masculines existantes furent dissoutes, les séminaristes
récalcitrants astreints au service militaire.
- Or, si le conflit avec le pape n'a guère ému l'ensemble des fidèles, il n'en fit pas moins
perdre à Napoléon le bénéfice de sa politique concordataire, en réveillant dans le clergé les
sympathies royalistes.
- Paradoxalement, Napoléon, qui a voulu se servir de la papauté pour détacher l'Eglise
nationale des évêques réfractaires royalistes, a fortement contribué à briser les traditions
gallicanes et à former une Eglise ultramontaine, toute dévouée à Rome.
- Contrairement à ce qu'il recherchait, en ayant concédé au pape de grands pouvoirs sur
127
l'Eglise de France, il a retourné son œuvre contre lui : pour échapper à l'ingérence de l'Etat dans
le domaine spirituel, l'ancienne Eglise gallicane s'est faite ultramontaine, tout en ralliant
de nouveau le camp royaliste.
- La négation des libertés individuelles :
- La justice fut réorganisée, afin de la mieux soumettre à l'autorité du gouvernement :
malgré l'inamovibilité, il y eut deux épurations, en 1808 et en 1810.
- L'instruction redevint entièrement secrète comme sous l'Ancien Régime.
- De plus, des juridictions d'exception (cours martiales ordinaires ou extraordinaires)
dessaisirent souvent les juridictions ordinaires : tout comme le duc d'Enghien en 1804, le
général Malet sera envoyé au peloton d'exécution par une telle cour martiale en 1812
- La police devint un instrument de gouvernement particulièrement développé et actif,
qui utilisa les méthodes les plus décriées de l'Ancien Régime : ouverture des lettres par le
service des Postes (Cabinet noir), détention arbitraire dans des prisons ou des asiles d'aliénés,
résidence surveillée.
- En ce qui concerne la liberté d'expression, elle fut strictement limitée et surveillée par
une censure vétilleuse qui s'étendit à la presse, à l'imprimerie et au théâtre.
- En fait la liberté de parole et celle de presse disparurent : c'est le gouvernement qui fixait
la liste des journaux autorisés à paraître, et ils ne pouvaient rien publier qui pût lui déplaire.
- La désaffection finale :
- L'évolution despotique du régime et la reprise indéfinie de la guerre suscitèrent à la
longue la désaffection du pays.
- En 1813, l'Europe coalisée de nouveau contre la domination française se libère de celle-
ci, et en janvier 1814, comme en 1792, l'invasion de la France recommence.
- Il faudra toutes les brutalités des armées alliées occupantes pour faire oublier ensuite la
figure du despote belliqueux, de l'« Ogre » sanguinaire, dont la chute fut ressentie en 1814 avec
soulagement.
- Au final, l'impossibilité du compromis avec la monarchie d'Ancien Régime a conduit
les hommes de la Révolution à déclarer la guerre à l'Europe monarchique.
- La guerre, comme l'avait prophétisé Robespierre dès janvier 1792, a produit Bonaparte,
le fils et le soldat de la Révolution, mais la logique d'un tel combat reposait sur son postulat
initial, l'impossibilité du compromis entre la Révolution et l'Ancien Régime monarchique : issu
de la Révolution, le régime impérial était condamné à vaincre l'Europe monarchique tout
entière, ou à être vaincu par elle.
128
- Au total, le Consulat, l’Empire, et la démocratie césarienne de Napoléon représentent
un phénomène important dans l’histoire constitutionnelle française des XIXe et XXe siècles.
- Souvent, en effet, les Français ont pensé que la solution à leurs difficultés, le remède
aux erreurs et fautes des régimes d’assemblées, se trouve dans la remise de tous les pouvoirs
aux mains d’un homme désigné par la nation.
- C’est la tentation de l’homme providentiel.
- Cela correspond à la coexistence entre un goût parfois profond des solutions
monarchiques, dans un contexte de mentalités restant attachées au concept de souveraineté
populaire.
- La Révolution semblait vaincue : la France était-elle ramenée au 23 juin 1789 ?
- La Révolution avait coupé le cordon ombilical entre la France et la monarchie légitime :
Le pouvoir d’un seul ne pourra plus s’exercer qu’au nom d’une délégation populaire explicite
ou implicite.
- Toutefois, en 1815, la rupture entre la France et la monarchie paraît n’avoir été que
provisoire et la République paraît discréditée.