LEurope des Libertesn°27 - septembre 2008
Horizons
COMITE DES DROITS DE L'HOMME DES NATIONS UNIES
www.ohchr.org
Quatre-vingt-rreizieme session (du 7 au 25 juillet 2008)
Toutes les decisions rendues lors de fa 93e session sont accessibles sur documents. un.org
EXTRADITION
CDH, DEc., ZHAKHONGIR MAKSUDOV, MILRAKHIMoV, YAKUB 'EtSHBAEV ET RASULDZHON PIRMATOV
C. KIRGHIZISTAN, 16 jUILLEf 2008, N" 1461, 1462,1476 & 147712006
Peine de mort, Torture et peine ou traiternent cruel,Inhumain ou degradant, Non-refoulement, Extradition,Proces equitable
Les faits de l' cspccc sont assez simples et similaires pour
les quatre rcqucrants. Les quatre hommes sont de natio
nalite ouzbeke. Le 13 mai 2005, une manifestation a eulieu aAndijan. Celle-ci a mal tourne et plusieurs person
nes ont trouve la mort. Les quatre hommes ont pris part
ala manifestation mais ont toujours clame n' avoir jamaiseu recours ala violence. Le jour meme les quatre rcquc
rants ainsi que 520 autres personnes ont fui Andijan et
rejoint un camp du HCR au Kirghizistan. A leur arrive
au Kirghizistan, les quatre rcqucrants ont dernande etobtenu le statut de refngies auprcs du HCR. Cependant,ils avaient egalement so llicite le statut de refngies auprcs
des autorites Kirghizes. Ces demandes ont ete rcjctccs aumotif que si leur situation leur permettait d'entrer dans
le champ d' application de la convention de New York, lacirconstance qu'ils aient ete soupccnncs d'un meurtre ou
de cornpliclte de meurtre durant la manifestation relevaitde la clause d'exclusion visee al' article 1er de la Conven
tion. Ces refus ont ete contirmes par les differentes juri
dictions saisies. De ce fait, l'Ouzbekistan a demande leur
extradition et les rcqucrants ont ete places en detentionprovisoire. Les rcqucrants ont ensuite saisi le Comite des
droits de l'homme, qui a demande le sursis aleur extra
dition. Le Kirghizistan n' a pas rcspccrc les mesures provisoires prises par le Cornite en application de l'article 92
de son reglement interieur et a extrade les rcqucrants. Le
Comite deplore le non-respect des mesures provisoires
et rappelle que les mesures provisoires prises en vertu del'article 92 du reglement interieur jouent un role essentiel
dans son travail et que la non-observation des mesures
provisoires « compromet la protection des droits consacres
dans Ie Pacte »,
S'agissant du fond, les rcqucrants invoquaient le ris
que d'etre juges sans avoir eu le temps de prcparcr leur
defense (article 14 § 3b du Pacte). Ils craignaient egalement d' etre condamnes amort en Ouzbekistan (arti
cle 6, lu scparcmcnt et conjointement avec l'article 2 § 3)
et d'y subir des actes de torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou degradants (article 7, lu
scparcmcnt et conjointement avec l'article 2 § 3). Enfin,
ils soulevaient la question de leur privation de liberte des
lors qu'ils ont ete places en centre de detention [usqu'aleur extradition (article 9). Le Comite declare tous ces
griefs recevables.
Les rcqucrants avaient enfin avarice qu'ils ne beneficiaient d' aucun recours utile contre la decision d' extradi
tion des lors que le reexamen ne peut avoir lieu qu'aprcs
la realisation de l' extradition. Sur ce point, le Comite
abonde dans leur sens et decide qu'un tel reexamen neconstitue pas un recours utile au sens des articles 6 § 2et 7, Ius conjointement avec l'article 2 du Pacte. S'agis
sant des autres griefs, le Comite insiste sur le fait que lesautorites Kirghizes savaient, ou auraient dli savoir que le
recours ala torture contre les detenus etait systematique
et generalise en Ouzbekistan. De l'avis du Comhe, les
auteurs risquaient reellement d' etre soumis ala torture enOuzbekistan s'Ils etaient extrades. De plus, les infractions
pour lesquelles l'Ouzbekisran demandait l'extradition desauteurs emportaient la peine capita]e. Par consequent, leComite conclut ala violation par le Kirghizistan des arti
cles, 6 § 2,7, tous deux Ius scparcmcnt et conjointement
avec les articles 2 et 9 § 1. On regrettera neanmoins que
le Comite ne se soit pas prononce sur l' allegation de violation de l'article 14 § 3b.
ARRESTATION ARBITRAlRE
CDH, DEc., LEONID KOMAROVSKl c. TfJRKMENISTAN,
24 jUILLEf 2008, N" 145012006
Arrestation arbirraire, Detention arbirraire, Traitementsinhumains et degradants, Atteinte aI'honneur et alareputation
Le rcqucrant. Leonid Komarovski, journaliste et com
merc;ant americain, denonce les violations par le Turk-
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menistan, de 1'article 9 § 1 a 4 (privation de llberre),article 10 § 1 et 2a (conditions de detention) et de l'article 17 § 1 (atreinre a1'honneur et ala reputation) duPacte. Le 23 novembre 2002, M. Komarovski est entre
au Turkmenistan. Avec un ami journaliste, Guvanch
Dzumaev, il avait decide de participer a un rassemble
ment dernocratique devant le Parlement pour protestercontre le regime du president Niyazov. Constatant le peu
de personnes presences sur place, ils sont pards. Lapresmidi meme le president a accuse M. Shikhmuradovd'avoir rente de l'assassiner. Le 26 novembre, le rcquc
rant et M. Dzumaev ont etearretes. M. Komarovski a etedeclare en etat d' arrestation, sans mandat d' arret et n' a
ete informe des raisons de son arrestation que trois joursplus tard. II allegue avoir ete maintenu au secret pendant
les sept premiers jours. Pendant les cinq mois qu' a dure sa
detention, il n' a ete prcscntc aaucun juge et n' a par suitejamais ete juge. Si une avocate a ete commise d' office,
il ne pouvait pas prendre contact avec elle et elle venait
tres rarement. Par crainte de represailles, elle a refuse deporter plainte pour son client pour mauvais traitements.
Le rcqucrant allegue egalement quon lui a administre
des psychotropes a plusieurs reprises pour lui arracher
des aveux. II denonce les conditions de sa detention:absence de lumiere naturelle, temperatures tres basses et
conditions d'hygiene deplorables. Malgre son diabete,il n' a jamais pu voir de medecin. Le rcqucrant allegueque ces conditions de detention etaient inhumaines etdegradantes au sens de l'article 10 § 1 du Pacte. Ce n'estqu'a la suite d'une intervention de l'ambassade des Etats
Unis qu'il a pu beneticier d'une grace presidentielle enavril 2003. Apres sa liberation, il allegue qu'un ouvrage aete publie, qu'il aurait ecrit et dans lequel il reconnai:trait
la tentative d' assassinat sur le president. II nie avoir ccritce livre. II considere que la publication de ce livre porte
atteinte ason honneur et asa reputation.
Le Comite constate la violation de toutes les disposi
tions du Pacte visees dans la communication. Pour par
venir a cette solution, il retient simplement que malgreses explications, le gouvernement Turkmene ne conteste
pas les allegations de violations presentees par le rcquc
rant et n' apporte aucun element de nature aremettre en
cause la veracite de ses dires.
DETENTION ARBITRAIRE
CDH, DEc., RONALD VAN DER PLAAT C. NOUVELLE
ZELANDE, 22 JUILLEf 2008, N° 149212006
Detention arbirraire, Rerroactivhe de la loi penale plussevere
Dans cette communication, le rcqucrant. Ronald van
der Plaat avait ete juge coupable de deux viols et plusieurs agressions sexuelles. Le 18 octobre 2000, il a ainsi
ete condamne a quatorze ans de reclusion criminelle.
A la date de sa condamnation, les detenus pouvaientbeneticier d' une liberation conditionnelle aprcs avoir
efiectue les deux tiers de leur peine. En application de
cette loi, M. van der Plaat aurait donc pu etre libere des
fevrier 2009. Le 30 juin 2002, une nouvelle loi fut adoptee aux termes de laquelle le rcqucrant pouvait cspcrcr
etrc libere des juin 2007. Cependant, du fait de sa nonretroactivite, cette nouvelle loi ne pouvait s'app[iquer alui. 11 alleguait done que le refus d' app[iquer cette loi asa situation rendait impossible une liberation condition
nelle plus rapide et constituait une detention arbitraireau sens de l'article 9 § 1 du Pacte.
Le Comite, au regard des multiples conditions qu'il
faut remp[lr pour obtenir une liberation conditionnelle,
et donc du caractere aleatoire et hyporherique d' une telle
liberation, rappelle sa jurisprudence selon laquelle il neressort pas de ses fonctions de se prononcer sur ce qui
serait arrive si la nouvelle legislation lui avait ete applica
ble. En realite, le Cornite procede aun examen au fondde l'affaire pour considerer que la liberation condition
nelle n'est pas un acquis et qu'il etait impossible de deter
miner si M. van der Plaat aurait pu en beneticier si la
nouvelle loi avait eu un effet retroactifLe Comite considere ainsi que la non-application
retroactive de la loi pena]e moins severe au rcqucrant ne
constitue pas une violation des articles 9 § 1 et 26 du
Pacte. Par consequent, le Comite conclut que le rcqucrant n' a pas la qualite de victime et declare la communi
cation irrecevable.
LIBERTE DE RELIGION
CDH, DEc., GRANT TwMAN ETJEFF PRENTICE
C. CANADA, 22 JUILLEf 2008, N" 148112006
Recevabilite, Discrimination fondee sur la religion,Recours utile
Par cette communication, les deux rcqucrants met
taient en cause le projet de loi 30 ado pte en 1986 par la
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province de l'Ontarlo, en vertu duquelles eccles catho
liques primaires et secondaires du systcmc scparc (c'est
a-dire du sysrcmc dispensant un enseignement religieuxau sein de l'ecole) seraient cntiercment financees par des
fonds publics en Ontario. Cette loi avait pour conse
quence de pouvoir donner la faveur aux coreligionnaires
en matiere d' emploi, d' avancement et de promotion ausein du systcmc scparc.
M. Tadman, enseignait depuis 1975 dans le sysrcmcscolaire public. En 1986, il a ete mute de la commissionde North York (North York Board) du systcmc public alaCommission metropoliraine des eccles scparccs (Metro
politan Separate School Board). 11 a ensuite occupc differents postes, mais malgre ses demandes rcpctccs. il n' ajamais pu obtenir de poste permanent. 11 allegue qui] asouffert d'un traitement discriminatoire parce qu'il n'est
pas d'origine catholique. En 1994, ua done saisi la Commission ontarienne des droits de la personne invoquant
une discrimination sur la base de la croyance. La Commission s'est declaree inccmpctcntc. La meme annee,
M. Tadman a depose plainte devant la Commission desrelations de travail de I'Ontario contre le syndicat des
enseignants auquel il etait affilie. Sa plainte a ete rcjctcc.la Commission se declarant incompctcnrc pour connai
tre des litiges entre un enseignant et le syndicat. II a enfinengage une action contre la Commission scolaire devant
la Cour de 1'Ontario. En aout 1995, la Cour a rcjcrc sademande au motif qu'il n'avait pas cpuisc les proceduresd' arbitrage obligatoires. Cette decision n' a pas ete [rap
pee d' appel.M. Prentice, professeur de mathematiques et de scien
ces, a pour sa part sollicite un poste permanent qui lui aete refuse. II allegue que ce refus etait motive par le fait
qu'il n'etait pas catholique pratiquant.
Pour les auteurs de la communication, le refus de leur
attribuer un poste permanent constitue une discrimination fondee sur la religion et est contraire a l'article 26 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Pour statuer sur ces allegations, le Comite des droitsde l'homme note tout d'abord qu'il avait deja ete saisi
par M. Tadman sur la question du financement public
des eccles confessionnelles. Le Comite avait alors conclu
que M. Tadman n' avait pas la qualite de victime et que sacommunication etait par suite irrecevable. Sur les autres
points, le Comite constate d' une part le non-cpuiscmcnt
des voies de recours internes s'agissant de la procedureengagee devant la Cour et l'absence de saisine des juridic
tions arbitrales. Pour le reste, le Comite considere que les
allegations sont insuflisamment ctayccs pour conclure a la
violation de I'article 26 du Pacte. S'agissant de M. Prentice, le Comite note que le rcqucrant n' a efiectue aucune
demarche pour contester le refus et les motifs de refus denomination a un poste permanent. Sa rcquctc est donc
egalement irrecevable pour non-cpuiscmcnt des voies de
recours internes.
En bref
Notons que le Comite considere quun delai de treizeans pour le saisir a.pres l'cpuiscmcnt des voies de recours
internes, sans que le rcqucrant puisse justifier un tel
delai, constitue un abus du droit de presenter une communication au sens de l' article 3 du Protocole faculta
tif (CDH, Dec., Gordon Brown c. Namibie. 23 juillet2008, n" 159112007). Messieurs O'Flaherty et NatwarlalBahgwati expriment quant a eux une opinion individuelleet considerent que le Protocole facultatif n'instaurant pas
de delai pour saisir le Comhe, la communication n' est
pas contraire a l'article 3.
Dans trois decisions rendues contre laRepublique tcheque, le Comite confirme sa jurisprudence traditionnelle
sur la restitution des biens. II decide qu'en subordonnant
la restitution des biens perdus so us le regime communiste a la condition, pour leurs propricraircs. d' etre de
nationalite tcheque, le gouvernement enfreint le principe
de non-discrimination fixe a l'article 26 du Pacte (CDH,Dec., Zdenek Vlcek c. Republlque tcheque, 10 juillet 2008,n" 1485/2006; CDH, Dec., IvankaKohoutek c. Republlque tcheque, 17 juillet 2008, n" 1448/2006; CDH, Dec.,Richard Preiss c. Republlque tcheque, 17 juillet 2008,1497/2006).
Le Comite confirme sa jurisprudence relative au defaut
de saisine, dans les delais fixes par la loi des juridictions
nationales compctcntcs par des rcqucrants contestant unemesure d' expulsion, et declare done leur communicationirrecevable (CDH, Dec., Claudia Aduhene et DanielAgyeman c. Allemagne, 22 juiUet 2008, n" 1543/2007).
Enfin, saisi d'une communication relative a une mesure
d'expulsion d'une famille des Pays-Bas (dont les enfantsont la nationalite) vers le Cap Vert (pays de naissance des
parents), le Comite considere que les rcqucrants « nonspas suffisamment etaye, aux fins de receoabilite, la plainteselon laquelle eux ou leurs enfants sont victimes de violationsdu paragraphe 1 de l'arricle 17 et du paragraphe [lire article} 23 du Pacte » (CDH, Dec., VitalMarla Fernandez etconsorts c. Pays-Bas, 22 juillet 2008, n" 1513/2006).
ORIANNE ANDREINI