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Jean-FrançoisRabardel
StationUtopibus-4
©Jean-FrançoisRabardel,2019
ISBNnumérique:979-10-262-4142-3
Courriel:[email protected]
Internet:www.librinova.com
LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.
–2120–Nous,lesHommesBleusrestéssurTerre,avonsvoulusavoircommentnous
enétionsarrivéslà,dialogueraveclesCosmo-Sapiens.Àcetteprochepériode,lareconstitutionhistoriqueàpartirdesfaitsantérieurs
tire son origine des contextes épisodiques sur les conséquences postérieures,d’oùl’absencedefilconducteur.Oudumoins,plutôtlesconcoursdecirconstancesnousarticulentleprocédé
de«déchronologieanthologique»aulieudefaireépoque.Racontéesenflash-back successifs, les années deviennentmineures au cours de la « Synthèse dupassédocumenté».Réflexionfaite,lecosmoshabitéarriveàdégagerdavantagenosintuitionspoétiquesquenosdoutesexistentiels.Parcontre,la«Chronologiedupassécommenté»récapitulelesévénements,
rebondissements, contingences et maturations qui accompagnent notre prochehistoireàl’endroitjusqu’en2080.En filigrane, la lignenarrative emprunte la transitionde la formuled’André
Malraux » Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas » en une simplecooccurrence«LeXXIIesiècleseraraisonnableouneserapas».Peu importe l’ordre des recueils philosophiques, technologiques,
sociologiques, spatiaux, et même économiques, nous comprenons dorénavantcommentdesaudacieuxontréenchanténotremonde,bienrevisité.Également, avec la floraison des citations textuelles en bas de page nous
touchons du doigt lamotivation de nos aïeuls qui décrivaient àmerveille leurclimat passionnel d’antan. Nous approchons donc la frontière de leurs sensconflictuels, émotionnels, charnels, voire atténuants, cela dit sans nospréoccupationsdudeveniravecleradieuxciel.Au-delà commencera la philo-fiction à ce dénouement saisissant et quelque
peunonconventionnel.Seulosermettreendoute l’imaginaire terrestrepermetdes’yretrouverpourplustard !
Synthèseactuelledupassédocumenté.
Chapitre1:2084–Printemps.— Houuulllaaaï ; hoouulaï ; Houlaï, réponds-moi, où te caches-tu ? criait
Dianetouteseuleetaffoléeparmilescarcassesdeblindésrouillés,dorésparlesoleilomniprésentdansledésertduNéguev.Dianes’étaitéloignéedesonclubdesquatreamisaprèslafindurepassous
un arbre oasien. Évidemment, Houlaï, sa petite chienne, l’avait suivie pourgambader inlassablement devant tout objet animé. Au bon moment, unemésange, intriguée par elles, s’était mise à virevolter rituellement à distanceégale, telle une voltige sans filet enroulée à nos deux curieuses. D’une raretétouchante, ce regard de bon augure de la part de l’oiselet les a captivéesensemble. Celui-ci les avait vraiment accompagnées jusqu’à l’inattendu. Sansdoute,illesavaitpilotéesselonsonintersigneaviaire.Au loin, elles aperçurent leurguide
1 «nature»posé sur le canond’un tank
après son ultime triple périple autour de Diane et Houlaï. Puis subitement,Houlaï courut dans la direction de notre pinson qui s’était bien sûr envolé.Mystérieux à souhait, le lien disparut instantanément de leur fascination. Lecompères’étaitvolatilisé !Àlalumièredelamassed’objetsdetouteantiquité,Diane avait perdu de vue nos deux fidèles complices qui s’étaient engouffrésdanscemuséeferrugineux.Plusd’oisillonquichante.Plusdejappements.Justequelques aboiements de danger. Diane stressa. Elle accourut dans unessoufflementaprèsceparcoursd’unetrentainedemètres.Pluselles’approchaitdublindé,moinselleentendaitsonclabaudagefamilier.Àl’entréedulabyrintheformépardeuxvéhiculesmilitairesenpiteuxétats,ellecriaitàtue-tête:—Houuulaï;hoouulaï ;houlaï.—Ouah…Enfin,Houlaï répondit sporadiquement.Diane la localisaaisémentparmi les
ferraillesimmobilisées,par-ciuneautomitrailleusepar-làuntanketpar-deçàungroschar.Letoutétaitdisposécommeuneexpositionabandonnéeparl’insuccèsdupittoresque
2.
—Houlaï,répétaitdoucementDianecettefois-ci.Semblableàungémissementplaintif,elleseretournaversunechenillettequi
restaitmuettemalgrétout,parsanatureblindée.Hélas,unmouvementrampantattiraleregarddeDiane.Unreptilevenaitdisparaîtreprestementsousleflancdela seule fusée allongée et à merveille conservée. Et puis à côté, elle aperçutHoulaï qui gisait dans des convulsions létales après la lutte acharnée et
silencieused’aprèslestracesduserpentsurlesol.—Oh,mapetitepuce !s’exclama-t-elleenlaprenantdélicatementdansses
brasagitésdetressaillementsdepeur.Or, l’affolement de Diane accentua les trépidations d’» houlaï », car
dorénavantsachiennes’éteignit.Àcetinstant,riennesuscitaunespoirpourcetanimalcourageuxetespiègle.Dianerestaitsansvoix,àmoitiésourdeauxappelsdesesamisquicriaientàchacun:—Diaaane,Diaane,Diane,oùes-tu ?s’époumonaitDavy.—Diannne,Dianne,Diane ?s’égosillaitClarisse.—HouhouDiane ?rugitPacômeàl’entréedumusée.L’effetéchométalliqueamplifiaitle«houhou»dePacôme.Ausursaut,Diane
sortitdesonémoietdelapaniquemémorable.—Oui,jesuislà,Pacôme.Viensvitemechercher,unserpentrampeici.—J’arrive !Ilnet’apasmordue,j’espère ?—Non,ilnem’apasmordue.Houlaïmeurtd’unemorsureaumuseau.Tiens,
regarde,ilaenfléàvued’œiletquandjel’aitrouvéeelletremblaitparsaccadeetunevipèreàcornes’estenfuielà-dessous,sanglotait-elledepuisladécouverte.Les pleurs si oxydés à travers les monstres artistiques intriguèrent Davy et
Clarisse.Beaucoupd’émotionsdanslavoixleurétreignaientlagorgesousl’effetinanimédeleurcompagnonàquatrepattes.Lesretoursdeparolesrenforçaientleurcrainte.Demême,notreattroupementtranspireraitdelachaleurconfinéeàcetendroit.Les deux derniers arrivants, qui examinaient, palpaient la tête pendante
d’Houlaï,luidemandèrentdeconcert:—Diane,tutesensbien ?—Oui, je vais bien. Je n’avais rien vuquand ça s’est passé.Le serpent l’a
mordue !Tiens,ilrevientetrampeàreculons !Ilnoussurveillesanscesse.—Apparemment,ilessaiedesecacherlà-dessousetiln’yparvientpas.Alors
attention.Reculez ; regardez,maintenant il ondule, fonce vers son trou là-bas.Oh, la pauvreHoulaï ! s’attendrissaitDavy tout en étreignantDiane dans sesbras.—Ilfaittrèschaudencelieu !Doncunniddeserpentsexistemanifestement
àcetendroit,s’exclamaClarissequienmêmetempsinspectaitdesyeuxlafuséecouchée.Cet objet de couleur sable éveilla l’anthropologue qui remarquait quelque
chosed’inhabituel.—Oui,cetenginsuscite lacuriositén’est-cepas,suggéra-t-elle.Sapeinture
date comme neuve, sans rayures, rien que de la poussière dessus. Parmi desblindéstoutrouillés,commentest-ilarrivéici ?Par endroit, elle époussetait de la main. Elle recherchait le début d’oxyde
devantsonentouragequimanifestementessayaitd’oublierlatragédiedelavie.Or, lapauvrechiennependillaitdesesbras.Dianeséchaitsesyeuxetcheveuxcollés à sa joue. Davy continuait de l’enlacer, dodeliner avec sa concubine,écouterClarisse.Pacômes’étaitapproché,etcaressaitdetempsentempsl’objet«astronef»àpeineidentifié:—Laformedelafuséenousrenvoieànotreenfance,n’est-cepas ?rêva-t-il.
On la visualiserait comme de juste sur la lune avec un fox-terrier, cela net’évoquerien ?—Si,si ;etavecNeilArmstrong,enchérissaitClarissequireculaitenmême
temps pour invoquer la perspective adéquate à leur vision commune. Eh…oui…, il lui manque l’habillage en prince-de-Galles et le tour serait joué.Comment ont-ils osé construire ce « spoutnik » qui sort du moyen-âge ? Jetrouve ça incroyable !Aucune poussière n’a trôné dessus et il reste flambantneuf !Iln’ajamaisvoléenraisondesonallurepimpante.—Viensparici,jepensequecelat’intéressera !demandaPacômeàsonamie
d’enfance.Enfin, l’étrange engin était étenducette fois-ci auxproportions réelles, avec
moins de huit mètres de haut, diamètre bombé de deux mètres cinquante. Àl’étage unique, il a dû quitter le sol quelque part, et il aurait dû atterrirverticalement sur ses trois superbes ailerons à défaut de trépied. Peut-être, sapositioncouchéecachequelquechosed’autre,s’écoutaitPacôme !Enfaire
3 le
tourcomplet,ilcontournaallègrementlaquestion.Ilsemitdoncàlarecherched’une porte, d’un hublot, d’un logo, d’une étrangeté au-delà de tout missilemilitaire,terroriste,oustratégique.Sonintuitionsurcetappareillerécompensalorsqu’il se fut baissé à la jonction du corps ventru avec les deux aileronsencastrésàmoitiédanslesoletletroisièmeàl’airlibre.—Tuvoislà,insista-t-ilavecsondoigtpointé.Ledébutd’unsigletesemble
familiern’est-cepas ?Vraisemblablement,ilnousindiquel’entréeavecleseulindicejusqu’àprésent.—Mais oui !Tu as raison, confirmaClarisse. J’aperçois distinctement une
main en haut de la pointe. Si cet astronef lunaire s’était tenu debout, nousremarquerionssûrementsanssurpriseunpiedenbas,letoutcintréentreuncarréetunecirconférence.Oh !Regardelaressemblancefortuite
4aveclesdessinsde
Léonardo Da Vinci, hein ? La fameuse quadrature du cercle de l’homme
communément formulé« l’hommedeVitruve » symbolise l’humanisme !Quesignifie-t-ilici,surcetteincroyablefusée ?Delamêmeplace,DianeetDavys’impatientaientpourchangerd’airviciépar
la chaleur stagnante du décor morbide. Ils ne pensaient plus qu’au fardeauintrépideauparavantetinanimédésormaisquiattendaitunepaixlégitime.—Bon,alorsquefabriquez-vousdel’autrecôté ?demandèrent-ilsensemble
entouteconjurationdecirconstance.—On a trouvé quelque chose, répondit Clarisse. Si tu as le temps, Diane,
vienscontemplercequ’onaunpeudégagé.Dianeserraithumainementetintensémentsonanimalsursesseins.Dèslors,
Davyrelâchasonétreintepourmieuxl’embrassersurleslèvres.Dianefortementtroubléeavançaitlentementverslasortie.Muette,samarchefunèbrecommençadanscecimetièremétallifèreavec«houlaï»àpleinsbras.Davyallaobserver,seul,l’exhumationinopinéedutrésor.Unefoisdevantle
dessin à moitié déterré par le geste perspicace de Pacôme, Davys’enthousiasma:—Fantastique,tuasrepéréd’instinctcecroquisd’antan,lafélicita-t-il.Cette
curieuse machine devait sûrement revêtir une haute signification pour notretroisièmemillénaire.Etcettegravureinterpellelecinéastequej’incarne.—Trouvons-nousdevantunpastiche ?Maispourquelleparodie ?Ouvrons-
nous les yeux à l’infini comme des soucoupes ? Un message d’une autrecivilisation ? Se reconnaît-on dans la description signalétique inquiétante,bienheureuse ou négligeable ? Ou plutôt en présence de cette coïncidencehéraldique, manque-t-on de pertinence avec ce lieu sérieusement scolastique,maisdepréférenceavecleCosmos ?Grandesquestions,n’est-cepas !DucœurdeClarisse,fusaientengerbesesconfidences
5.
—Cela paraît anachronique ; sauf dans la galaxie peut-être ; le temps resterelatif, tu sais, répliquaDavy.Dans l’ordredes événements spatiaux,nous, lesterriens,avionsenvoyédansl’espaceunesonde.Commeunebouteilleàlamer,ceschémal’accompagnadel’intérieur,complétéd’unenfant,d’unefemmeauxcôtés de l’homme, et de son de baleines enregistrées ! J’espère que Pacômedonnerasonpointdevueethnologique,n’est-cepas ?Ravi de partager sa passion linguistique sans écriture, Pacôme exprima son
principalfief:—Parlesinimitablesformesdelangages,ons’attendtoujoursàdessurprises.
Parexemple,danslafamilledeslanguesDogons,existeaussiunidiomesecret,le«sigiso».Lasociétédesmasquesdirigecesociolectesacrépourorganiser
les danses masquées, lors des différentes cérémonies. Extrêmement codifiés,leursballets expriment à leursyeux la formationdumonde, la constitutiondusystèmesolaire,lecultedesdivinitésoulesmystèresdelamort.Demême,desdauphins, phoques et autres mammifères marins nous ont servi d’exemplesphoniques pour refléter notre minuscule univers. Bien entendu, la baroquecompilationd’imagessonoriséesn’apasoubliénospropreslanguesparléespuisécrites. Ceci égayera les éventuels auditeurs-lecteurs cosmiques par notre« métalangue
6 » largement exposée, symbolisée pour les entités présumées
empathiques.Noseffortsdecommunicationinhabituelle,lessensibiliseront-ellesdavantage,enespérantuneréponseintelligibledeleurpart ?Àcemoment-là,nossexagénaires,ClarisseetPacômen’imagineraientpasle
tourbillonoccasionnéparcesecondchaînontrouvéici.Etce jusqu’ànosjoursduXXIIesiècle.
— Assistons-nous donc au début d’un rébus métalinguistique ? s’écriaClarisse ? Parbleu, nous avons sous les yeux le dessin d’une porte ! Nousdevrons évidemment relever cet objet monolithique pour l’ouvrir. Enfin, pasaujourd’hui, car je suis venue lesmains vides, n’est-ce pasPacôme ?Oh, tesmainssontécorchées !Pendant cette digression occasionnelle, Diane regrettait profondément son
petit chien et l’attitude quelque peu « lâche7 » de ses compagnons. Diane
souhaitaitoffrirà«houlaï»desobsèquessansdélai,dignesànosriteshumains.Pour montrer sa douleur à ses camarades peu animistes, elle s’était assise entailleurdans leurbreak, face à son canidé
8 enveloppédansun linceul ; haillon
ouvert !