La gestion du risque d'accidents liés à la fatigue chez le
conducteur professionnel Samira Bourgeois-Bougrine
Maître de conférences
Institut de Psychologie - Université Paris Descartes
Résumé
La fatigue au volant est la cause la plus fréquente d'accidents chez les chauffeurs professionnels.
Ces accidents sont souvent graves et mettent en danger la sécurité des autres usagers de la route
parce que les conducteurs qui s'endorment ne freinent pas et prennent l'obstacle de plein fouet.
Cet article concernera dans une première étape, les causes et les manifestations de la fatigue à
travers des exemples issus du domaine des transports urbains, routiers, ferroviaires et aériens. La
deuxième partie abordera les stratégies pour éliminer le risque lié à la fatigue ou en limiter les
conséquences. Elle comprendra les innovations technologiques permettant de détecter les
premiers signes de la somnolence au volant ainsi que les systèmes de gestion du risque
d’accidents liés à la fatigue (SGS-RF). Ces systèmes vont au-delà de l’approche réglementaire
prescriptive des horaires de travail et de repos et doivent faire partie intégrante des Systèmes de
Gestion de la Sécurité (SGS) des exploitants.
Mots clés: fatigue, conducteur, accident, gestion du risque
Introduction : L’impact de la fatigue en chiffres
L’exigence croissante de productivité expose particulièrement les conducteurs professionnels
(conducteurs de poids lourds, autocars, voitures de société, bus, taxi) à de longues périodes de
conduite et donc à un manque de sommeil qui augmente le risque d’accident lié à la fatigue.
Les statistiques des accidents de la route en France indiquent, qu’un accident mortel sur trois
est lié à l’endormissement au volant ou à la fatigue1 des conducteurs de véhicules légers
(http://www.securite-routiere.gouv.fr/). Toujours en France, il a été reporté que, sur autoroute,
60% des accidents des véhicules poids lourds sur autoroute sont dus à la fatigue. En Grande
Bretagne, les chiffres indiquent également que les véhicules commerciaux sont impliqués
dans deux fois plus d’accidents liés à la fatigue alors qu’ils ne représentent que 2% du trafic et
1 Pour des besoins de simplification, les termes fatigue, somnolence et endormissement sont utilisés de façon interchangeable dans cet article.
6% de la distance totale parcourue. Aux Etats Unis, chaque année, environ 4.000 personnes
sont tuées et 100 000 sont blessées, en moyenne, dans des accidents impliquant des véhicules
lourds (Traffic Safety Facts, 2012) causant des préjudices estimés à près 100000 dollars par
poids lourd grand gabarit accidenté (Zaloshnja & Miller, 2007).
Selon l’agence Européenne pour la sécurité et la santé au travail, « le transport routier est l’un
des secteurs d’activité les plus dangereux de l’UE . Les statistiques sur les accidents de la base
de données CARE font état d’environ 10 000 personnes tuées par an sur les routes en Europe.
Ces chiffres englobent en moyenne 1 300 conducteurs d’autobus, d’autocars, de poids lourds et
de camions» (https://osha.europa.eu/fr/sector/road_transport/index_html). Les accidents des
véhicules de grand gabarit affectent non seulement les conducteurs de ces véhicules mais encore
plus les autres usagers de la route (Prévention routière, 2013). En effet, la plupart des victimes
sont des tiers automobilistes, piétons, motocyclistes parce que les conducteurs qui s'endorment
ne freinent pas et prennent l'obstacle de plein fouet. Ceci nuit à l’image du transport routier dans
l’opinion publique, augmente le coût pour les entreprises et pour la société. De ce fait, les
entreprises de transport doivent s’engager dans la réduction des risques auxquels sont exposés
les chauffeurs qu’elles emploient.
La structure temporelle des accidents liés à la fatigue
Les accidents liés à la fatigue du conducteur présentent deux pics au cours des 24heures (figure
1) : un pic principal est observé pendant la nuit (entre minuit et 7h) et un pic secondaire a lieu
dans l’après-midi (entre 14h-16h). Cette structure temporelle de l’accidentologie se retrouve
d’un pays à l’autre et rappelle fortement les pics de la somnolence ou de l’envie de dormir au
cours des 24 heures appelés respectivement la porte principale et secondaire de sommeil.
Par ailleurs, lorsqu’on considère les industries à risque, il est bien établi que les accidents les
plus graves tels que Three Mile Island, Tchernobyl, Bhopal, Exxon Valdez résultent de la
combinaison de plusieurs causes (défauts de conception, problèmes de maintenance, erreurs
humaines…). Cette combinaison de facteurs contributifs a tendance à se produire la nuit,
moment où la vigilance est à son minimum. Il convient de signaler que les deux accidents de
la route les plus meurtriers au Maroc impliquant des véhicules de grand gabarit se sont
produits pendant la porte principale de la sommeil : l’accident d’autocar de Tizi n'Tichka (4
septembre 2012) qui a fait 42 morts a eu lieu la nuit et l’accident de Tan Tan entre un autocar et un
semi-remorque qui a coûté la vie à 35 personnes (10 avril 2015) est survenu tôt le matin. Pour ce
récent accident, les résultats de l’enquête indiquent que « le chauffeur de l'autocar a perdu le
contrôle du véhicule et a dérapé vers le camion qui roulait en sens inverse, le percutant de
plein fouet sur le côté gauche de la remorque, ce qui a provoqué un incendie ». On peut se
demander si la fatigue n’aurait pas joué un rôle dans ces deux accidents graves.
Figure 1: Véhicules lourds impliqués dans un accident mortel lié à la fatigue selon l'heure de la journée. Source : http://www.saaq.gouv.qc.ca/
Quelles sont les causes et les manifestations de la fatigue ?
La cause principale de la fatigue au volant est le manque de sommeil. Les études montrent
que dormir 5 heures ou moins la veille du départ multiplie par trois le risque d’accident. Selon
une étude australienne (Dawson & Reid, 1997), conduire après 17 heures de veille active
provoque les mêmes effets négatifs sur la performance du conducteur que la présence de 0,5 g
d’alcool dans le sang (figure n°2). Différents facteurs contribuent au manque de sommeil tels
que (Bourgeois-Bougrine et coll, 2003 a ; Fourie et coll., 2010 a):
- facteurs individuels (âge, santé, hygiène de vie, apnée de sommeil, narcolepsie,
insomnies, substances et médicaments psychoactifs…)
- facteurs environnementaux (chaleur, bruit, disponibilité et confort des aires de repos
sur autoroute, monotonie du trajet, environnement prévisible, vibrations, absence
d’aire de repos « couchette » dans le véhicule, la circulation, l’état de la route, les
conditions climatiques…)
- facteurs liés au travail (travail de nuit ou très tôt le matin, changement fréquent
d’horaires, pression de temps, durée élevée de conduite, retard et temps d’attente,
chargement/déchargement, pannes, rémunération au nombre de kilomètres parcourus
ou bien au nombre de livraisons réalisées…)
Le manque de sommeil entraine des altérations du niveau d’éveil qui se traduisent par la
survenue fréquente de baisse de la vigilance et par des micro sommeils. La baisse de vigilance
est une diminution transitoire du niveau d'éveil (stade 1 de sommeil), non perçue de manière
consciente et présentant une périodicité de 90 à 120 minutes en situation monotone. Les
omissions de réponse à des stimuli sont plus fréquentes. Les ruptures de monotonie
(alternance des tâches) favorisent le maintien de la vigilance. Les micro sommeils sont des
intrusions de sommeil léger (stade 2 de sommeil) de 2 à 8 secondes, même pendant des
activités intenses liés à la dette de sommeil et à l'amplitude de la période d'éveil. Une micro
panique qui peut y être associée et seule une sieste ou un sommeil constitue une solution
efficace pour les combattre. Les manifestations de la fatigue (tableau 1) se traduisent par des
signes physiques et cognitifs plus ou moins sévères qui affectent la performance de conduite
et peuvent conduire à des accidents (Bourgeois-Bougrine et coll, 2003 b ; Fourie et coll., 2010
a).
Signes'physiques!
• Désir!de!changer!fréquemment!de!posi6on,!impression!d’être!serré!dans!ses!vêtements.!
• Besoin!de!se!gra=er!la!tête,!de!se!masser!la!nuque.!
• Picotement!des!yeux!• Se!fro=er!les!yeux!• bâillements!à!répé66ons!• Regard!fixe,!regarder!dans!le!vide!• Clignements!oculaires!lents!(fermeture!des!paupières)!
• Difficultés!à!garder!les!paupières!ouvertes!• Tête!lourde;!Hochement!de!la!tête!
Signes'cogni/fs'!
• Humeur!néga6ve,!irritabilité,!perte!de!mo6va6on!
• Baisse!des!communica6ons!• Lapsus!• Baisse!de!l’a=en6on,!distrac6on,!ennui!• Réac6ons!lentes!et!inadéquates,!• Erreurs!de!coordina6on!• Incapacité!à!maintenir!la!trajectoire!• Difficultés!à!maintenir!une!vitesse!constante!• Pertes!de!mémoire,!n'avoir!aucun!souvenir!des!derniers!kilomètres!parcourus!
• Dégrada6on!de!la!capacité!à!résoudre!des!problèmes!
• Prise!de!risque!
Tableau 1 : Manifestations de la fatigue sur le plan physique et cognitif
Comment détecter (détecter) la fatigue ?
De nombreuses innovations technologiques ont été développées ces dernières années afin de
détecter la fatigue du conducteur et réduire le risque d’accident (Pour une revue critique
consulter : Dawson et coll, 2013). Dans l’idéal et d’un point de vue scientifique et légal un outil
de détection de la fatigue doit mesurer la fatigue et la performance du conducteur en continu et
pouvoir prédire les niveaux futurs de fatigue. Quatre catégories de dispositifs existent sur le
marché (tableau 2): tests de l’aptitude à conduire, surveillance en continu du conducteur, suivi de
la performance du conducteur, (les) mesures combinées et (les) aides à la conduite.
Test de l’aptitude à conduire !
• Test%de%vigilance%psychomotrice!!• PVT!(Psychomotor!vigilance!test)!
• OSPAT!(Occupa<onal!safety!performance!assessment!test!–!AU)!
• OCPT!(Online!con<nuous!performance!test)!
• Reflexe%pupillaire/Clignements%• EyeCheck!(US)!• FIT!(Fitness!impairment!testerEUS)!
• Safety!Scope!
Surveillance en continu du conducteur!
• Mesures des mouvements oculaires!• Optalert • CoPilot DD850 • Seeing Machines DSS • Eye-Com • Smart Eye
• Electroencephalogramme • Smart Cap • B-Alert
• Posture/Hochement de la tête !• NapZapper • StayAwake • Driver Fatigue Alarm • NoNap • Dozer’s alarm- MicroNod-
TravelMate - StayAlert • Réponse électrodermale
• EDVTCS (Engine driver vigilance telematic control system)
Suivi de la performance de conduite!
• Performance de conduite!• SafeTrak • MobilEye • AutoVue • Delphi
• Mesures combinées • ASTiD (UK) • L’algorithme considère
le sommeil préalable (input), l’heure, la durée de la conduite et la performance de conduite
Tableau 2 : Dispositifs techniques de détection de la fatigue du conducteur.
Tests de l’aptitude à conduire. Ces tests sont généralement effectués avant qu'un employé
commence à travailler, afin de déterminer si son niveau de vigilance à la prise de poste est
optimal pour travailler. Ils comprennent deux sous-catégories : les tests psychomoteurs de
vigilance (PVT) et la pupillométrie. Les tests de vigilance psychomotrice (qui) évaluent les
temps de réaction et la coordination mains/yeux. Le dispositif pour les PVT est généralement
informatisé, relativement portable, les tests prennent environ 10 min, sont peu susceptibles
d'interférer avec la tâche de travail et demandent peu d’apprentissage. La pupillométrie,
mesure les réflexes oculaires, la rétraction des pupilles et la rapidité des mouvements
oculaires. Pour ce qui concerne le comportement des yeux, le reflexe pupillaire est
indépendant de la volonté du sujet et donc difficile à « tromper ». Cependant, ces tests ne
mesurent la fatigue qu’au moment du test et non pendant la période de travail consécutive.
Surveillance en continu du conducteur. Différentes technologies permettent d’évaluer la fatigue
en temps réel et en continue grâce à des mesures des mouvements oculaires,
d’électroencéphalogramme, la posture/Hochement de la tête, ou bien la réponse électrodermale.
Les recherches ont montré qu’une augmentation de la durée et la diminution de la fréquence du
clignement de l’œil sont corrélées à une augmentation de la somnolence. Le PERCLOS
(percentage of eye closure), système assez populaire, permet de mesurer le temps durant lequel
les yeux sont fermés à 80% ou plus. Son capteur est placé sur le tableau de bord du véhicule,
mesure la fermeture des paupières et alerte le conducteur si besoin est (figure 2).
Le PERCLOS (percentage of eye closure).
Modifica(on*de*la*durée*et*de*la*forme*des*clignements*(numérotés*de*1*à*5)*
dont*l’évolu(on*correspond**à*une*baisse*de*vigilance**
Figure 2 : Le Perclos, système de détection des clignements oculaires
Un autre système appelé Optalert ou lunette intelligente est utilisé dans le domaine du
transport routier notamment en Australie (figure 3). Le dispositif monté sur une lunette
enregistre la fréquence des battements des paupières du porteur. La lunette est équipée de
deux capteurs infrarouges, l'un placé à l'intérieur d'une branche, l'autre positionné sous le
pont. Les données enregistrées sont transmises à un moniteur fixé sur le tableau de bord. Un
écran traduit en chiffres le niveau de fatigue du conducteur, qui est averti en cas de
somnolence avancée. Les informations de l’état de fatigue de tous les conducteurs sont
transmises en temps réel aux gestionnaires.
Optalert: lunette intelligente
La#lune(e#est#équipée#de#deux#capteurs#infrarouges#
Les#données#enregistrées#sont#transmises#à#un#moniteur#fixé#sur#le#tableau#de#bord#
Un#écran#traduit#en#chiffres#le#niveau#de#fa>gue#du#conducteur#et#
aver>#le#conducteur#en#cas#de#somnolence#
Informations de l’état de fatigue de tous les conducteurs transmises en
temps réel au manager
Figure 3: Optalert ; la lunette intelligente
Suivi de la performance du conducteur. Les études ont montré une baisse de la qualité de
conduite avec la fatigue qui se traduit par exemple par des mouvements brusques du volant au
lieu de « micro-corrections » et une grande variabilité de la position latérale du véhicule par
rapport aux lignes blanches (Mortazavi et coll, 2009). Une caméra face à la chaussée permet
d’enregistrer les déviations par rapport aux lignes blanches, un algorithme traite ces
informations et alerte le conducteur en cas de dégradation de la performance de conduite.
Mesures combinées. Il s’agit de combiner différentes technologies de surveillance du
conducteur et d’informations telles que le sommeil préalable, l’heure, la durée de la conduite
et la performance de conduite.
Aide à la conduite. Une tendance de plus en plus offerte en option dans certains véhicules
(figure 4) permet aux conducteurs d’avoir une assistance pour une meilleure vision nocturne,
la stabilisation du véhicule (surveillance de la vitesse et du mouvement pour éviter le
dérapage et le renversement), et l’évaluation de la distance avec le véhicule le plus proche, et
des systèmes de Communication entre les véhicules et entre les véhicules et l’infrastructure…
Système d’aide à la conduite
• Avertisseur d’obstacle et de collision – Un radar à l’avant du véhicule permet de mesurer la distance
avec le véhicule le plus proche et donc de prévenir le conducteur en cas de risque.
• Visibilité en conditions dégradées (visibility enhancement) – Caméras infrarouge capables de « voir » la nuit ou dans le
brouillard/ Détection d’objet jusqu’à 4x plus loin que les phares/ écran embarqué pour l’affichage
• ESP (Electronic Stability Program) – Equipement électronique permettant de stabiliser les
trajectoires.
• LDW latérale (Lane Departure Warning) – Systèmes de surveillance de trajectoire.
• IntelliDrive – Systèmes de Communication entre les véhicules et entre des
véhicules et l’infrastructure – Détection des mouvements aux intersections – Détection de la vitesse des véhicules par des senseurs pour
déceler les embouteillages et transmettre des informations aux autres conducteurs
– Détection des véhicules circulant en sens inverse
Surveillance+de+la+vitesse+et+du+mouvement+pour+éviter+le+
dérapage+et+le+renversement+
Vision+nocturne:+écran+embarqué+pour+l’affichage+
Communica<on+entre+les+véhicules/+l’infrastructure+
Figure 4: Système d'aide à la conduite
Il semble qu’aucune de ces technologies ne remplisse tous les critères de validation scientifique
pour fournir une solution complète de gestion du risque lié à la fatigue au niveau individuel et en
temps réel (Dawson et coll, 2013). En attendant la voiture « sans conducteur »…le mieux est de
s’arrêter dans un endroit sécuritaire pour se reposer dès les premiers signes de fatigue
Comment gérer le risque lié à la fatigue ?
Avant d’aborder la gestion du risque lié à la fatigue, il convient de rappeler les définitions ci-
après :
- danger : situation, événement ou circonstance susceptible d’engendrer un incident ou
un accident. Ex. Conduire une voiture
- événement indésirable (EI) (dans la chaîne causale) : événement non souhaité au
regard des services attendus. L’événement indésirable est une situation dangereuse ou
danger, se situant juste avant l’accident. Ex. S’endormir au volant
- Evénement ultime (EU) (dans la chaîne causale) : accident ou incident grave
- Risque : un risque associé à un EI est la combinaison de la probabilité d’occurrence de
l’EI et de la gravité de ses conséquences
La gestion du risque d’accidents liés à la fatigue consiste à mettre en place des barrières
efficaces (lois, procédures, formation, infrastructure…) pour empêcher l’apparition de l’EI
(barrières de maîtrise), de récupérer l’EI une fois arrivé pour éviter l’accident (barrières de
récupération) et de limiter la gravité des conséquences de l’UE une fois arrivé (barrières de
protection).
La prévention des accidents liés à la fatigue dans les systèmes à risque passe par une approche
prescriptive encadrant les limitations des temps de service et de repos minimum. Une analyse
critique des réglementations des durées de travail et de repos (Cabon et coll., 2002) met en
évidence les limites d’une telle approche dans la mesure où elle est plus adaptée à la fatigue
physique qui tend à augmenter de façon linéaire avec l’effort physique et à se dissiper
linéairement lors du repos. La récupération d’une dette de sommeil et de la fatigue mentale
obéit quant à elle à une dynamique non linéaire liée aux variations de nos rythmes biologiques
qui font qu’une durée équivalente de repos n’a pas le même potentiel de récupération selon
l’heure de la journée (Bourgeois-Bougrine et coll., 2004 ; Dawson et McCullough, 2004 ;
Fourie et Coll., 2009a ; Holmes et Coll., 2012). Les approches prescriptives trouvent
également leurs limites par le fait qu’elles sont généralement peu adaptées à la prise en
compte de la forte diversité des situations rencontrées par les entreprises, des relations
sociales et les enjeux économiques qu’elles rencontrent dans un secteur très concurrentiel
(Fourie et Coll., 2009b). A partir de ces constats, a émergé l’idée des Système de Gestion de
la Sécurité- Risque fatigue (SGS-RF) qui ont vocation à compléter, voire remplacer
partiellement ou en totalité, les limitations prescriptives des temps de service et des exigences
de repos (Fourie et Coll., 2009b).
Un SGS-RF fait partie intégrante du Système de Gestion de la Sécurité (SGS) qui est une
approche raisonnée de la sécurité. C'est un processus systématique, précis et complet pour
gérer les risques liés à la sécurité. Dans le domaine du transport routier différents pays, et en
particulier le Canada et l’Australie, ont mis en place un SGS-RF dont les guides de mise en
place peuvent être téléchargés sur les sites gouvernementaux.
L’exemple francophone concernant le transport routier est celui du PNAGF (programme nord
américain de gestion de la fatigue) qui traite la fatigue au volant selon une approche globale
comprenant (http://pnagf.com/fr/) :
- Des renseignements sur la façon de mettre en œuvre une culture d’entreprise qui
favorise la réduction de la fatigue chez les conducteurs;
- Une formation sur la gestion de la fatigue qui s’adresse aux conducteurs et à leur
famille, aux dirigeants et aux gestionnaires de transporteurs, aux expéditeurs et aux
réceptionnaires ainsi qu’aux répartiteurs;
- De l’information sur le dépistage et le traitement des troubles du sommeil;
- De l’information sur la planification des horaires et des trajets des conducteurs;
- Des renseignements sur les technologies de gestion de la fatigue
Conclusion
Le domaine du transport routier constitue une activité à risque et comme dans tous les
systèmes à risque (le nucléaire, industrie pétrochimique, etc.) la sécurité des individus et des
matériels est une priorité majeure. Le risque « zéro accident » n’existant pas, il est important
de contrôler réactivement, proactivement et prédictivement2 les risques et les maintenir à un
niveau acceptable. La gestion du risque d’accident lié à la fatigue du conducteur doit être un
processus continu d’identification des dangers et de juxtaposition de “défense
multicouches” ou de “filets de protection” successifs au niveau des différents maillons de la
chaîne de responsabilités. La gestion du risque d’accidents liés à la fatigue chez le conducteur
professionnel est donc de la responsabilité de tous, à savoir les autorités de régulation au
niveau de l’Etat, les entreprises des transports, les sociétés d’autoroutes, les concepteurs des
véhicules et enfin les conducteurs (figure 5).
2 La méthode réactive répond aux évènements déjà produits, tel qu’incidents et accidents ; La méthode
proactive cherche activement l’identification de risques potentiels par l’analyse des activités de
l’organisation ; La méthode prédictive documente la performance spontanée du personnel en temps
réel lors des opérations de routine
Cycles''ac)vité.repos'
Temps'de'service'
Entreprises)de)transport'
Véhicule))Conducteur'
Autorités'
Sociétés))d’autoroutes'
'Infrastructure''
Hygiene'de'vie'
Croyances'Concep)on''
Réglementa:ons)))))Culture)posi:ve)de)sécurité)<))Horaires)et)condi:ons)de)travail)
)))Aires)de)repos,)Bandes)rugueuses…))
Aide)à)la)conduite)/)Sytème)de)détec:on)de)la)fa:gue)
Apnée)obstruc:ve)du)sommeil)/drogues/)médicaments/)percep:on)
du)risque/…))
Adapté'de'Reason,1990'
Incidents)liés)à)la)fa/gue'
Gérer)les)risques)liés)à)la)fa:gue)est)la)responsabilité)de)tous)
Figure 5 : Les filets de protection ou barrières dans le système du transport professionnel. Les barrières sont comme des « tranches de gruyère » dont les trous représentent les défaillances latentes et des erreurs actives. L’accident, dont la trajectoire est symbolisée par la flèche, survient en cas d’alignement de ces trous reflétant une combinaison indésirable de défaillances au niveau de toutes les défenses.
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