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LA NOTION DE SOLIDARITE DANS LA PENSEE SOCIALE
DE JEAN-PAUL II.
(Par Abbé Dieudonné MOULOUNGUI MOUSSAVOU)
Comme philosophe, théologien et Pape, JEAN-PAUL II n’est pas le premier à aborder
la question de la Solidarité. Dans l’histoire de la question l’on retrouve certains philosophes
tels que Pierre LEROUX, Auguste COMTE, Henri MARION, Emile DURKHEIM ; des
théologiens tels que Heinrich PESCH, Joseph TISCHNER ; des Papes tels que Léon XIII,
Jean XXIII. Chacun de ces penseurs essaie de donner une définition de la Solidarité selon
l’axe d’intérêt choisi. Toutefois, avec Karol WOJTYLA, la notion de Solidarité revêt une
coloration particulière.
Cette réflexion veut faire un retour historique, dans le contexte politique et socio-
économique de la patrie mère de JEAN-PAUL II, d’une part ; et dans sa pensée sociale,
d’autre part ; le but étant de démontrer la genèse sociale et ecclésiale de la réflexion du
Souverain Pontife. Mais, ce parcours ne se contentera pas d’une simple approche historique,
il fera ressortir l’évolution de la notion.
Définition de la Solidarité chez JEAN-PAUL II
Pour comprendre l’orientation que donne JEAN-PAUL II à la notion de Solidarité, il
faut partir du contenu qu’il y met lui-même. C’est au cours de son troisième voyage en
Pologne qu’il va définir de façon laborieuse, mais ambitieuse, la réalité de la Solidarité. Le
cinquième jour de sa visite, plus précisément, le 12 juin 1987, dans la ville de Gdansk, dans
une homélie aux ouvriers1, le Souverain Pontife définissait de manière programmatique ce
qu’est la Solidarité :
« ‘’Portez les fardeaux les uns des autres’’ : cette
phrase concise de l’Apôtre résume le programme de la
solidarité interhumaine et sociale. Solidarité veut dire
l’un et l’autre, et s’il y a un fardeau, il est porté par
l’ensemble de la communauté. Et donc : jamais l’un
contre l’autre. Jamais les uns contre les autres et jamais
1 Domingos Lourenço VIEIRA, La solidarité au cœur de l’éthique sociale, La notion de solidarité dans l’enseignement social de l’Eglise catholique, Paris, Mare et Martin, 2006, p. 188.
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le fardeau porté par un seul, sans l’aide d’autrui. Il ne
peut y avoir de lutte plus efficace que la solidarité. Il ne
peut y avoir un programme de lutte au-dessus de celui de
la solidarité ».
De cet extrait, nous pouvons retenir trois caractéristiques de la Solidarité.
Primo, le Pape donne un fondement théologique à sa démarche. Il prend pour socle de
son argumentation le donné scripturaire : « Portez les fardeaux les uns des autres ». L’image
la mieux adaptée, pour comprendre la gravité de cette affirmation, est la passion du Christ2,
où un certain Simon de Cyrène est réquisitionné pour porter la croix de Jésus. En effet, là où
les évangélistes déroulent la pédagogie divine dans la participation humaine à la Passion de
l’homme-Dieu, JEAN-PAUL II actualise par l’approche horizontale, où l’homme participe à
l’humanisation de l’homme. Le modèle par excellence étant toujours le Christ, ce dernier
invitera les femmes de Jérusalem à ne plus pleurer sur la situation de Dieu, mais sur la
situation de l’homme : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! pleurez plutôt sur
vous-mêmes et sur vos enfants ! »3. Le regard de l’homme est invité à croiser le regard de
l’homme ; c’est autrui-avec-moi qu’il faut désormais considérer, ici et maintenant, et non
lever les yeux au ciel, en signe d’impuissance et d’inconsidération de la réalité actuelle.
Secundo, le Pape pose l’altérité comme signification de la Solidarité : l’un et l’autre.
Une inclusion qui dit que l’homme appelle l’homme. Le « Je » n’a de sens qu’avec le « Tu »
ou/et le « Il ». Dire la Solidarité c’est d’abord dire « Nous ». C’est pourquoi l’insistance de
l’expression « l’ensemble de la communauté ». Autrui devient, alors, caractéristique et
incontournable de l’épanouissement du « Moi ». La question de la socialisation et de la
sociabilité est posée, en ce sens qu’elle rappelle le caractère social de l’homme : « jamais de
fardeau porté par un seul, sans l’aide d’autrui ».
Tertio, la Solidarité est désignée comme l’action par excellence, d’autant qu’il la
présente comme lutte au-dessus de toutes les luttes, mais, et surtout, comme un programme :
« il ne peut y avoir un programme de lutte au-dessus de celui de Solidarité ». Pour mieux
appréhender la notion de programme chez JEAN-PAUL II, nous-nous permettons d’aller
comprendre ce que ce terme signifie dans le champ politique. Ainsi nous référant au
Professeur NGOMA-BINDA, celui-ci définit le programme comme étant « l’ensemble
2 Mt 27, 32 ; Lc 23, 26 et Mc 15, 21. 3 Mc 23, 28.
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ordonné d’actions qu’un parti se propose de réaliser ». Concrètement il se définit par sept
éléments fondamentaux :
« La détermination des objectifs généraux, la fixation
des objectifs spécifiques, la définition des activités à réaliser,
l’élaboration des stratégies d’intervention pour réaliser ces
actions, la détermination des moyens nécessaires, la fixation du
calendrier pour la réalisation du programme, et enfin
l’estimation du coût chiffré de chacune des activités de
l’ensemble du programme »4.
Ces éléments fondamentaux trouvent leur terrain idéal d’assise dans la situation
sociale polonaise, avec la naissance du mouvement syndical « Solidarnosc », et montrent que
la Solidarité n’est pas une action spontanée, mais un ensemble d’actions concertées,
organisées et obéissant à une logique interne propre.
Contexte historique et social d’émergence de la notion de Solidarité chez Jean-Paul II :
La situation Polonaise dans les discours du Souverain Pontife
Dans le discours qu’il prononce dès son arrivée à l’aéroport d’Okécie, de Cracovie,
lors de son premier voyage pontifical, en terre polonaise, JEAN-PAUL II esquisse déjà le
contenu de son projet programmatique sur la Solidarité. De manière diplomatique, et par des
paroles chaleureuses, mais lourdes de sens, il donne le ton de manière marquée de ce qui sera
la lutte majeure de son pontificat :
« Je souhaite aussi vivement que mon présent voyage en
Pologne puisse servir la grande cause du rapprochement et de
la collaboration entre les nations ; qu’il serve la
compréhension réciproque, la réconciliation et la paix dans le
monde d’aujourd’hui. Je désire enfin que le fruit de cette visite
soit l’unité interne de mes concitoyens »5.
4 P. NGOMA-BINDA, La Participation politique. Ethique civique et politique pour une culture de paix, de démocratie et de bonne gouvernance, Kinshasa, Ifep, 2005, p. 505. 5 JEAN-PAUL II, Discours à l’aéroport d’Okécie, Cracovie, 2 juin 1979. Disponible sur le site web : http://www.vatican.va
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Au-delà des raisons religieuses qui motivent sa présence en Pologne, le vicaire du
Christ voudrait se faire le porte-parole déterminé et résolu, plus marqué par la recherche de
l’unité interne de ses concitoyens, et la situation dramatique de cette Nation qu’il présente,
poétiquement, par un tableau avilissant la dignité humaine : pays où « on ramasse, par
respect des dons du ciel, toute miette de pain qui tombe par terre »6. Il terminera son propos
par le même appel :
« Je désire que mon séjour en Pologne contribue à
raffermir cette indéfectible volonté de vivre dont sont animés
mes compatriotes sur cette terre qui est notre mère commune,
notre patrie ; je désire qu’il serve le bien de tous les Polonais,
de toutes les familles polonaises, de la nation et de l’État.7
Au palais du Belvédère, à Varsovie, lors de sa rencontre avec les autorités civiles,
JEAN-PAUL II tient un discours sur la promotion humaine, la paix entre les Nations, le
respect objectif des droits de la Nation, le droit à l’existence et à la liberté. Reprenant à son
compte les enseignements du Concile Vatican II, le Souverain Pontife rappelle le rôle de
l’Eglise, et sa mission fondamentale qui a toujours, et partout, été l’ambition de rendre
l’homme meilleur, plus conscient de sa dignité, plus dévoué à ses engagements familiaux,
sociaux, professionnels, patriotiques. De rendre l’homme plus confiant, plus courageux,
conscient de ses droits et de ses devoirs, socialement responsable, créateur et utile8. Et, sur un
ton de Solidarité avec le peuple polonais il ajoutera : « avec la même intensité, peut-être
même avec une intensité encore accrue par la distance, je continuerai à ressentir dans mon
cœur tout ce qui pourrait menacer la Pologne, ce qui pourrait lui nuire, ce qui pourrait lui
porter préjudice c’est-à-dire tout ce qui pourrait signifier une stagnation ou une crise9 ».
Dans son homélie, sur la Place de la Victoire, à Varsovie, le style prend la forme de
l’interpellation et du défi, des consciences polonaises, dans une relecture des Saintes
Ecritures et de l’histoire de l’humanité, mais surtout, aussi, l’histoire particulière de la
Pologne :
6 Idem. 7 Avec ce discours JEAN-PAUL II donne le ton de son séjour ! Nous y entrevoyons déjà la dynamique de solidarité qu’il veut insuffler dans la conscience de ses concitoyens. 8 Jean-Paul II, Rencontre avec les autorités civiles, Palais du Belvédère, 2 juin 1979. Disponible sur le site web : http://www.vatican.va 9 Idem ; Le Pape dit sa ferme solidarité vis-à-vis du peuple polonais.
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« Le Christ exigeait de Pierre et des autres Apôtres qu’ils
fussent des « témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la
Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). En nous
référant donc à ces paroles du Christ, n’avons-nous pas le droit
de penser que la Pologne est devenue, en notre temps, une terre
d’un témoignage particulièrement lourd de responsabilité ?
Que d’ici précisément — de Varsovie et aussi de Gniezno, de
Jasna Gora, de Cracovie, de tout cet itinéraire historique que
j’ai tant de fois parcouru dans ma vie et que je suis heureux de
parcourir à nouveau ces jours-ci — il faut annoncer le Christ
avec une singulière humilité, mais aussi avec conviction ? Que
c’est précisément ici qu’il faut venir, sur cette terre, sur cet
itinéraire, pour relire le témoignage de sa croix et de sa
résurrection ? Mais si nous acceptons tout ce que je viens
d’oser affirmer, combien grands sont les devoirs et les
obligations qui en découlent ! Sommes-nous capables d’y
répondre ? »10
JEAN-PAUL II n’y va plus en direction de « la caresse dans le sens du poil ». Il veut
réveiller les consciences de ses concitoyens à la considération responsable de la situation qui
est la leur, et à répondre de manière déterminée, par une réponse précise : la réponse radicale
de l’engagement social et de la lutte. C’est pourquoi, le 10 juin, dernier jour de son pèlerinage
dans sa patrie, Karol WOJTYLA va galvaniser ses propres compatriotes par des paroles qui
méritent d’être citées en intégralité :
« Vous devez être forts, très chers frères et sœurs ! Vous devez être
forts de cette force qui prend sa source dans la foi ! Vous devez être
forts de la force de la foi !(…) Aujourd’hui plus qu’à aucune autre
époque, vous avez besoin de cette force. Vous devez être forts de la
force de l’espérance qui conduit à la parfaite joie de vivre et ne
permet pas de contrister l’Esprit-Saint ! Vous devez être forts de
l’amour, qui est plus fort que la mort (…) Vous devez être forts de
10 Homélie de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, Place de la Victoire, Varsovie, 2 juin 1979. Disponible sur le site web : http://www.vatican.va
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cette charité qui « est patiente et longanime (…) n’est pas envieuse
(…) ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas, ne fait rien
d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient
pas compte du mal, ne se réjouit pas de l’injustice et met sa joie dans
la vérité. (…) Vous devez être forts de la force de la foi de
l’espérance et de la charité, de cette force consciente mûre, et
responsable qui nous aide à établir ce grand dialogue avec l’homme
et avec le monde en l’étape actuelle de notre histoire (…) Je vous
prie : De ne jamais perdre confiance, de ne pas vous laisser abattre,
de ne pas vous décourager(…) Ne perdez jamais la liberté d’esprit
par laquelle il « rend libre » l’homme ; Ne dédaignez jamais la
charité, qui est la chose « la plus grande » qui s’est manifestée à
travers la croix, et sans laquelle la vie humaine n’a ni racines ni sens
11».
Pour JEAN-PAUL II, la force spirituelle est le moteur de l’engagement et de l’action
libératrice. En prenant le temps de sa visite en Pologne comme un Kaïros12, il invite à
développer, dans l’imminence, l’esprit de la force. Non pas dans une perspective physique et
violente, mais plutôt, psychologique, morale, intellectuelle et spirituelle. Et cela passe par la
redécouverte de la force de l’unité de la communauté fraternelle ; par la force des vertus
théologales, foi, espérance et charité ; par la force de la maturité et de la responsabilité, qui ne
trouve sa source que dans la confiance inébranlable en Jésus-Christ, malgré toutes les
faiblesses humaines.
Dans ce qui précède, l’élément catalyseur, implicite, de la démarche de JEAN-PAUL
II, est le fait d’avoir instillé dans la conscience polonaise la notion de communauté de destin.
Le style de ses homélies consistait en une démarche de relecture de l’histoire, dans le style de
l’Exode, où l’on voit Moïse faire un retour en Egypte, inviter les israélites à se former en une
communauté de même origine et de destinée commune. De la même manière que Moïse se
sert de l’idée de Dieu et des ancêtres pour fédérer les israélites émigrés au pays des
pyramides : « Yahvé, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de
11 Messe Pontificale en l’honneur de Saint Stanislas, homélie de Sa Sainteté Jean-Paul II, Blonia Krakowskie, Cracovie, Dimanche 10 juin 1979. Disponible sur le site web : http://www.vatican.va 12 Moment favorable.
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Jacob m’a envoyé vers vous »13, JEAN-PAUL II se sert de plusieurs figures historiques,
politiques et religieuses pour adouber le peuple. A ce moment précis, chaque polonais s’est
senti comme investi d’une mission divine et patriotique; chaque polonais a pris conscience de
son besoin de liberté et de sa responsabilité d’acteur de sa propre histoire, dans une démarche
collective. La réaction, la plus connue du monde entier, à ces discours s’était traduite par
l’explosion non violente dans les grèves de Gdansk et la naissance de Solidarnosc en
Pologne.
Solidarnosc
L’objectif de ce paragraphe n’est pas de faire l’historique du syndicat Solidarnosc.
Mais, en toute modestie, il veut démontrer la conséquence des discours de JEAN-PAUL II,
dans son appel à la Solidarité. Le but est de faire apparaître ce syndicat comme la réponse
aux grandes questions soulevées par le natif de Wadowice.
Solidarnosc, Solidarité, est le nom par lequel le grand mouvement syndical, né des
grèves d’août 1980 en Pologne, s’est fait connaître dans le monde entier. A la base il y a la
grève des ouvriers des chantiers navals Lénine à Gdansk, qui aboutit à une augmentation de
certains avantages. L’accord qui est négocié et co-signé par GNIECH, pour l’Etat, et
WALESA, pour les ouvriers, aboutit à la levée de la grève. Mais il se produit une chose
incroyable, jamais pensée en pays et régimes communistes. « De nombreux ouvriers
demandèrent la poursuite de la grève car les autres entreprises de la région n’avaient pas
obtenu les mêmes avantages14 ». Cet événement va déterminer le contenu de la suite des
autres événements, certes, mais aussi, la dynamique nouvelle que l’histoire politique
mondiale va prendre. Rapportant le récit de Lech WALESA, voici comment cette tournure
est décrite par VIEIRA :
« En fait, Gniech… s’efforça de faire un nouvel appel au
loyalisme du personnel, et il reprocha à Walesa d’avoir rompu
leurs accords. C’est alors que Gniech aurait répondu
textuellement à Walesa qui en témoigne : « cela ne dépend plus
de moi. Ce n’est plus la grève des Chantiers, c’est une GREVE
13 Ex 3, 12. 14 Domingos Lourenço VIEIRA, La solidarité au cœur de l’éthique sociale, La notion de solidarité dans l’enseignement social de l’Eglise catholique, Paris, Mare et Martin, 2006, p. 173.
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DE SOLIDARITE ». Walesa de poursuivre : « Nous devons
continuer la grève de solidarité jusqu’à la victoire de tous »15.
La notion de Solidarité, consciemment, n’entre pas d’abord dans la catégorie qui sera
la nôtre, celle de principe moral, mais simplement, dans celle d’un constat fait par un
fonctionnaire de l’Etat, et qui limite ses compétences en matière de satisfaction des doléances
des ouvriers grévistes. Et pourtant, dans la réponse de WALESA, les choses changent. Car,
dans sa réponse, il donne au mot Solidarité son contenu « Wojtylien » : celui de porter le
fardeau ensemble, et jamais seul. Nous pouvons renchérir à ce qui précède que GNIECH a
posé le cadre, et WALESA le contenu. En effet, WALESA a saisi la balle au rebond de
GNIECH, pour donner aux ouvriers un espace plus approprié de revendication, selon l’esprit
posé par les visites de leur compatriote « romain ».
La suite de l’histoire polonaise et de son avenir ne sera rythmée, dorénavant, que par
l’esprit de solidarité. Comme en témoigne WALESA il s’agissait d’un heureux dérapage
verbal de GNIECH qui va poser les fondations, même si le contenu n’était pas clairement
défini : « Pour l’heure, nous ne disposons pour toute boussole que de ce mot,
SOLIDARNOSC, lequel apparu opportunément (…) Le mot avait jailli spontanément, juste à
propos, (…), et il resterait le nôtre à jamais ». En effet, l’histoire de la lutte ouvrière
polonaise va se charger de significations par l’adoption du mot Solidarité comme nom du
Syndicat national rassemblant tous les ouvriers de Pologne, unis pour la même cause, pour
finalement se muer en un programme déterminé :
« Ce n’est que pendant la grève de Gdansk que le nom
de Solidarnosc devient une évidence au milieu de leurs
aspirations. Solidarnosc rassembla des milliers de polonais sur
cette idée, alors qu’ils ne se connaissaient pas les uns les
autres. Le contenu symbolique fortement mobilisateur, et la
charge emblématique du terme indiquait à lui seul une direction
et un modèle à suivre, dont la réalisation connaîtrait des
adaptations au fur et à mesure de son avancement, sans jamais
15 Ibidem, pp. 173-174.
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reculer, en se régénérant sans cesse, en puisant indéfiniment
ses forces au cœur de son principe »16.
De là naîtra un mouvement émancipateur, porte-parole des consciences, selon l’esprit
d’une réponse existentielle plus large, allant au-delà des revendications purement ouvrières.
Solidarnosc sera le porte étendard d’une société aspirant à une vie propre, indépendante de
tous les appareils d’Etat. Toutefois, ce réveil de la conscience polonaise ne sera pas très
apprécié par le système en place. En effet, le Général JARUZELSKI déclarera l’état de
guerre, et mettra fin aux activités syndicalistes, le 31 décembre 1981. Mais avant cela, de
manière ouverte, JEAN-PAUL II fit son entrée en jeu, en dévoilant ses positions, dans une
lettre frappée de ses armoiries personnelles, le 16 décembre 1980. Lettre adressée à Léonide
BREJNEV, dans laquelle il présente la Solidarité comme essentielle à la reconstruction de la
Pologne, et soutient la nécessité des grèves :
« Les événements qui se sont déroulés ces derniers mois
en Pologne ont été provoqués par la nécessité inéluctable d’une
reconstruction économique du pays, qui exige, en même temps,
une reconstruction morale fondée sur l’engagement conscient,
dans la solidarité, de toutes les forces de la société. Je suis sûr
que vous ferez tout votre possible pour dissiper la tension
actuelle, afin que l’opinion publique soit rassurée au sujet d’un
problème aussi délicat et urgent17 ».
Et pourtant, cette correspondance ne suffira pas. Pour signifier son indéfectible
soutien au syndicat Solidarnosc. Dans son discours du 15 janvier 1981, adressé à la
délégation dudit syndicat en visite au Vatican, JEAN-PAUL II dit sa joie de la tournure des
événements en ce qu’ils disent la Solidarité telle qu’il la conçoit :
« Je me réjouis du fait que les événements de l’Automne
passé en commençant par les grèves d’août , ont donné
l’occasion de manifester cette solidarité qui a attiré sur elle
l’attention de vastes cercles de l’opinion publique du monde
entier (…) Je salue cette manière d’agir dépourvue de violence
16 Domingos Lourenço VIEIRA, Op. cit., p. 175. 17 George WEIGEL, Jean-Paul II. Témoin de l’espérance, Paris, J-C Lattès, 1999, pp. 503-504, cité par Domingos Lourenço VIEIRA, Op. cit., p. 179.
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et de force qui recherche les solutions par l’intermédiaire du
dialogue réciproque (…) L’énorme effort qui continue à être
devant vous n’est tourné contre personne (…) il est
exclusivement orienté vers le bien commun 18».
Avec une telle adresse de bienvenue au Vatican, Solidarnosc ne pouvait pas espérer
un meilleur soutien public, d’une autorité morale aussi élevée et, surtout, impliquée
personnellement dans une lutte légitime, pacifique et historique. Cette adresse était aussi la
reconnaissance officielle et mondiale du syndicat, et un encouragement à poursuivre la lutte
jusqu’à la victoire finale, comme avait répondu WALESA à GNIECH : « « Nous devons
continuer … jusqu’à la victoire de tous ». D’ailleurs, JEAN-PAUL II continuera, lui-même,
ce combat pacifique, mais déterminé, en se servant d’un autre cadre : celui des encycliques.
Les encycliques sociales de Jean-Paul II
Pape prolifique, Jean-Paul II a laissé à la postérité trois grandes encycliques, qui sont
son une œuvre majeure en matière sociale. Nous les présenterons par ordre chronologique de
publication : Laborem Exercens, donné à Castel Gandolfo, le 14 septembre 198119 ;
Sollicitudo Rei Socialis, qui date du 30 décembre 1987, et donné à Rome20 ; enfin,
Centesimus Annus, de Rome, le 1er mai 199121. De la même manière que chacune d’elle
soulève, de façon spécifique, les questions sociales et économiques, chacune des encycliques
expose aussi, de manière spécifique, la question de la Solidarité.
Laborem Exercens ou la Solidarité-Ethique
Dans cette encyclique, JEAN-PAUL II « désire consacrer sa réflexion au travail
humain et à l’homme dans le vaste contexte de la réalité qu’est le travail »22. Le point de
départ du Souverain Pontife, dans ce qu’il estime comme étant le devoir de l’Eglise de
rappeler la dignité et les droits des travailleurs, de stigmatiser leur violation, tout en orientant
ces changements vers le progrès, est l’homme. Il s’appuie sur le fait que « l’homme est la
première route et la route fondamentale de l’Eglise », et que cette même route se déploie
18 Domingos Lourenço VIEIRA, Op. cit., p. 180. 19 JEAN-PAUL II, Laborem Exercens, Kinshasa, Médiaspaul, 1995. 20 JEAN-PAUL II, Sollicitudo Rei Socialis, Kinshasa, Saint Paul Afrique, 1988. 21 JEAN-PAUL II, Centesimus Annus, Kinshasa, Saint Paul Afrique, 1991. 22 JEAN-PAUL II, Laborem Exercens, Kinshasa, Médiaspaul, 1995, n° 1.
11
sous divers aspects, dont le travail humain23. Ainsi il faut considérer le problème du travail
comme la clé de la question sociale :
« Si, dans le présent document, nous revenons de
nouveau sur ce problème (…) ce n’est pas tellement pour
recueillir et répéter ce qui est déjà contenu dans l’enseignement
de l’Eglise, mais plutôt pour mettre en évidence (…) le fait que
le travail humain est une clé, et probablement la clé essentielle
de toute la question sociale, si nous essayons de la voir
vraiment du point de vue du bien de l’homme.24 »
JEAN-PAUL II invite à la découverte de nouvelles significations du travail humain,
de la formulation de nouvelles tâches qui se présentent à ce secteur, sous un regard
actualisé25. A première vue, l’approche de JEAN-PAUL II prendra la connotation d’une
action sociale politique. La notion de Solidarité va revêtir une valeur importante : celle
d’éthique. Car elle sera une visée en deux étapes : solidarité comme « Appel à l’action
commune » et solidarité comme « Réaction contre la dégradation de l’homme »26. En fait, les
deux étapes sont liées, car entremêlées. Il s’agit, en effet, de la quête de la justice sociale. En
ce sens, le Pape « vise l’instauration d’un ordre social, qui appelle le concours, non seulement
du législateur, mais de tous les citoyens et de toutes les institutions, (…) cette démarche
s’exerce de la communauté aux citoyens et des citoyens à la communauté »27. Une telle
entreprise exige, nécessairement, l’accomplissement de la part de tous, et non seulement des
employeurs, des devoirs relatifs à la nature sociale de l’homme. Dans son principe de « tous
avec tous, tous pour tous »28, il en appelle à une vraie collaboration de tous, en vue du bien
commun, qui ne s’établira que dans la mesure où tous auront l’intime conviction d’appartenir
à une même communauté, à une grande famille, à un seul corps dont ils sont réciproquement
les membres. Un lieu qui donnera de vivre les paroles du Concile Vatican II :
« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des
hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui
23 Ibidem. 24 Ibid, n° 3. 25 Ibid, n° 2. 26 Ibid, n° 8. 27 FONTELLE Marc-Antoine, Construire la civilisation de l’Amour. Synthèse de la Doctrine Sociale de l’Eglise, Paris, Pierre Téqui, 1997, pp. 395-396. 28 FONTELLE Marc-Antoine, Op. cit., p. 403.
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souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les
angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment
humain qui ne trouve écho dans leur cœur. 29»
Ce que propose Karol WOJTYLA n’est rien d’autre qu’une approche éthique
génératrice de cohésion sociale. Elle ne se dit pas dans une lutte contre un adversaire, mais
elle est une lutte de construction d’une Communauté. Cette éthique de la Solidarité consiste à
réunifier et à engendrer le respect du bien commun. En effet, avec Laborem Exercens, la
Solidarité se trouve dans une dimension téléologique, où l’agir individuel et communautaire,
en action sociale, se trouve constamment polarisé vers un but fondamental : le Bien de tous.
Tout le déploiement de l’activité humaine s’inscrivant dans ce but de remédiation à toutes les
causes de régression et de frein à la vie heureuse. JEAN-PAUL II rejoint, ici, et d’une part,
ARISTOTE qui n’hésitait pas à faire de cette quête du bonheur la réponse de la finalité
politique :
« Puisque toute connaissance et toute décision librement prise
vise quelque bien, quel est le but que nous assignons à la
politique et quel est le souverain bien de notre activité ? Sur son
nom du moins il y a assentiment presque général : c’est le
bonheur, selon la masse et l’élite, qui supposent que bien vivre
et réussir sont synonymes de vie heureuse30 ».
Et, d’autre part, Paul RICOEUR, qui définit la visée de la vie heureuse comme « éthique »,
en tant qu’objet poursuivi par toute praxis31.
Sollicitudo Rei Socialis ou la Solidarité-Vertu
Cette encyclique, entièrement consacrée à la question du sous-développement dans
certaines régions du monde, a été publiée le 30 décembre 1987, lors du vingtième
anniversaire de Populorum Progressio de Paul VI. JEAN-PAUL II dénonce les structures de
péché32 qui ralentissent le développement non seulement des pays en voie de développement,
mais le développement intégral de l’homme. Le Père MIKA, pour parler de ces structures,
résume le Pape en ces termes :
29 Gaudium et Spes, n° 1. 30 ARISTOTE, Ethique de Nicomaque, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 22. 31 Paul RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1996, p. 203. 32 JEAN-PAUl II, Sollicitudo Rei Socialis, Kinshasa, Saint Paul Afrique, 1988, n° 36 et 37.
13
« L’ensemble des faits qui pèsent négativement sur le
développement des pays en développement. Il ne s’agit pas de
fatalité, mais d’égoïsmes des individus, de politiques erronées,
de décisions économiques imprudentes, d’idéologies et
d’impérialismes divers, qui se sont progressivement constitués
en systèmes organisés, que seuls la solidarité entre riches et
pauvres et le souci du bien commun peuvent corriger »33.
Reprenant à son compte la question traitée par Paul VI, JEAN-PAUL II faisait
constater que, sur la voie du développement, l’humanité n’avait guère progressé. En effet, la
situation du monde, au moment de la rédaction de Sollicitudo Rei Socialis, donnait une
impression très négative34. Par conséquent, les espoirs, aussi, de la réalisation du
développement s’éloignaient35.
C’est dans cette perspective que JEAN-PAUL II va proposer la notion de Solidarité
comme vertu personnelle et sociale, comme « exigence de transparence des relations, de
justice sociale, de paix sociale, de participation et de coopération au développement plus
équitable »36. Au n° 38, il en appelle à la redécouverte urgente et nécessaire, face aux
obstacles moraux, de valeurs positives qui seront élevées au rang de catégorie morale37. Et
comme exemple parfait et réalisable, il présente « l’interdépendance » entre les nations, entre
les peuples. D’où il conclut : « Quand l’interdépendance est ainsi reconnue, la réponse
correspondante, comme attitude morale et sociale et comme vertu, est la solidarité »38. Une
relation de causalité est mise en branle entre « Interdépendance et Solidarité », en ce sens que
le deuxième élément est la conséquence logique du premier. Une équation peut être ainsi
posée :
Interdépendance = Solidarité39
33 Ruffin Laurent-Mathilde MIKA MFITZSCHE, Les Encycliques sociales du Pape Jean-Paul II. Relecture éthique pour les sociétés africaines, dans SANTEDI KINKUPU L. (dir), La Théologie et l’avenir des sociétés. Cinquante ans de l’Ecole de Kinshasa, Paris, Karthala, 2010, pp. 314-315. 34 JEAN-PAUL II, Op. cit., n° 13. 35 Ibid, n° 12. 36 Domingos Lourenço VIEIRA, Op. cit., p. 285. 37 JEAN-PAUL II, Op. cit., n° 38. 38 Ibidem. 39 Chaque élément, ici, étant compris comme englobant un ensemble d’éléments.
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Et il définit, une fois de plus, ce qu’est cette même solidarité : elle est une « détermination
ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et
de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous »40. La vertu de
Solidarité est directement mise en lien avec le développement social.
Au numéro 40, de la même encyclique, JEAN-PAUL II redit, avec insistance, sa forte
conviction de ce qu’est la Solidarité : « La Solidarité est sans aucun doute une vertu
chrétienne »41, qui englobe les notions-réalités de gratuité absolue, de pardon et de
réconciliation, où l’autre devient le reflet de l’image de Dieu, et mérite d’être aimé pour ce
qu’il est, et non pour ce qu’il possède. Cette affirmation nécessite de faire un retour
historique chez ARISTOTE et revoir ce que dit le Magistère officiel de l’Eglise sur la notion
de Vertu. Cela nous permettra de mieux percevoir la position de JEAN-PAUL II.
D’après ARISTOTE, « la vertu est une disposition acquise volontaire, consistant
par rapport à nous, dans la mesure, définie par la raison conformément à la conduite d’un
homme réfléchi »42. En d’autres termes, elle est une médiété dans la conduite, dans l’agir de
l’homme ; une juste mesure dans la vie. Une sorte de qualité du caractère qui consiste en
l’excellence des actions humaines, et la perfection de la vie de l’homme. Elle est sagesse
pratique et prudentielle qui s’acquiert par l’habitude et par l’exercice répété43. Bref, pour
ARISTOTE la vertu dispose l’homme à agir selon la raison44.
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique, quant à lui, présente sept vertus, et les
dispose en deux catégories. La première catégorie, les Vertus humaines, comprend quatre
vertus : la Prudence, la Justice, la Force et la Tempérance. La somme de ces vertus est
appelée « Vertus Cardinales »45. La deuxième catégorie, les Vertus Théologales, au nombre
de trois : la Foi, l’Espérance et la Charité46. Ces dernières sont infusées par Dieu, pour donner
à l’homme la capacité d’agir en enfant de lumière méritant la vie éternelle ; par elles seules, il
y a comme l’assurance de l’action de l’Esprit Saint dans les facultés humaines47. Aussi, de la
même manière qu’ARISTOTE présente, par la vertu, l’action de l’homme dans la conformité
de la raison, les vertus chrétiennes présente-elles l’action de l’homme sous la motion de
40 Ibidem. 41 Ibid, n° 40. 42 ARISTOTE, Op. Cit., p.54. 43 Ibid, pp. 45-46. 44 ARISTOTE, Op. cit., pp. 43-119. (Nous avons essaye de résumer les Livres II, III et IV). 45 C.E.C. nos 1803-1809. 46 C.E.C. nos 1812-1829. 47 C.E.C. n° 1813.
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l’Esprit Saint, en conformité avec la volonté divine de Salut de l’Homme. L’aspiration au
bonheur, placée en l’homme par Dieu, va mouvoir toutes les activités, les purifier ; ordonner
tout l’agir au Royaume des Cieux, avec la capacité d’affronter les découragements, malgré
les délaissements48.
Cette ouverture, loin d’être une digression, nous permet de mieux entrevoir la
portée du discours de JEAN-PAUL II, dans la mesure où il présente la Solidarité comme
« une vertu ». Pour cela, quatre grandes idées sortent de la définition de Sollicitudo Rei
Socialis. La Solidarité-vertu est une détermination ferme de travailler pour le bien de tous ;
elle est tendue vers le Christ ; elle transforme le cœur et aide à transformer les attitudes, et
enfin, la Solidarité a pour conséquence la paix49.
Centesimus Annus ou la Solidarité-Principium
Publié dans le contexte de la fin de règne du Communisme, Centesimus Annus
aborde la question du Capitalisme et de l’Economie de marché devenue dominante. Dans la
foulée de Rerum Novarum, JEAN-PAUL II, reconnaissant que les effets d’exploitation
inhumaine sévissaient encore dans plusieurs parties et secteurs du monde, disait :
« La solution marxiste a échoué, mais des phénomènes de
marginalisation et d’exploitation demeurent dans le monde,
spécialement dans le Tiers-Monde, de même que des
phénomènes d’aliénation humaine, spécialement dans les pays
les plus avancés, contre lesquels la voix de l’Eglise s’élève avec
fermeté. Des foules importantes vivent encore dans des
conditions de profonde misère matérielle et morale »50.
Et critiquant le Capitalisme sauvage, il le replaçait51 face à « un certain nombre d’exigences
éthiques fondamentales relatives au bien commun, aux droits sociaux, à la solidarité, à la
dignité intrinsèque de l’homme et à sa capacité de transcendance »52. Aussi, pour donner une
base éthique solide aux Etats qui sont censés intervenir directement dans la vie socio-
économique, érige-t-il la Solidarité en critère nécessaire en matière d’organisation politique et
sociale. Au numéro 10, de cette même encyclique, après avoir défini le rôle de l’Etat, en
48 C.E.C. n° 1818. 49 JEAN-PAUL II, Op. cit., n° 39. 50 JEAN-PAUL II, Centesimus Annus, Kinshasa, Saint Paul Afrique, 1991, n° 42. 51 Ibidem. 52 Ruffin Laurent-Mathilde MIKA MFITZSCHE, Art. cit., p. 316.
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rappelant que ce dernier « doit entourer de soins et d’une sollicitude toute particulière les
travailleurs qui appartiennent à la foule des déshérités, car ils ont besoin, par leur faiblesse, de
l’attention que leur porte les autres et les pouvoirs publics53 », JEAN-PAUL II affirme :
« Le principe de solidarité, comme on dit aujourd’hui, dont j’ai
rappelé, dans l’encyclique Sollicitudo Rei Socialis, la valeur
dans l’ordre de chaque nation comme dans l’ordre
international, apparaît comme l’un des principes fondamentaux
de la conception chrétienne de l’organisation politique et
sociale »54
La Solidarité revêt, ici, le caractère d’un vecteur fondamental orientant
l’organisation sociale, dans tout son dynamisme, aux niveaux politique, économique et
moral. Il s’agit, en effet, d’impliquer la responsabilité de l’Etat dans un processus de
développement direct « suivant le principe de solidarité, en imposant pour la défense des plus
faibles, certaines limites à l’autonomie des parties qui décident des conditions du travail »55.
Cela équivaudrait à la définition d’un cadre juridique ayant pour fondement éthique la
Solidarité. VIEIRA renchérit en disant : « Le principe énoncé (…) est l’expression d’un idéal
noble au profit de la vie sociale. En orientant l’intervention de l’Etat vers les individus et les
groupes les plus défavorisés, il encourage l’égalité éthique de tous, en dépit des conditions
inégalitaires dans lesquelles se trouvent les plus démunis 56». Ainsi, la Solidarité, comme
Principe de base d’un Etat, renvoie vers la transformation morale de la personne et vers la
transformation des structures sociales; vers un Etat social de droit.
Conclusion
La notion de Solidarité chez JEAN-PAUL II se situe directement dans la
catégorie éthique et morale. Suivant un mouvement de gravitation propre, elle se déploie en
spiral. D’abord, comme programme concerté de lutte légitime, pacifique et sociale. Ensuite,
elle se pose en une visée de la béatitude personnelle et collective. Puis, elle va se caractériser
comme qualité acquise et infuse, tout à la fois, sans laquelle la dynamique de départ ne sera
plus possible. Enfin, la Solidarité deviendra un critère incontournable de développement
social, dans une vision chrétienne de société organisée.
53 Jean-Paul II, Op. cit., n° 10. 54 Jean-Paul II, Op. cit., n° 10. 55 Ibid, n° 15. 56 Domingos Lourenço VIEIRA, Op. cit., p. 307.