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La stratification sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en questionpar Philippe COULANGEON
| Ophrys | Revue française de sociologie2003/1 - Volume 44ISSN 0035-2969 | ISBN 2-7080-1044-1 | pages 3 à 33
Pour citer cet article : — Coulangeon P., La stratification sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question, Revue française de sociologie 2003/1, Volume 44, p. 3-33.
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Philippe COULANGEON
La stratification sociale des goûts musicaux
Le modèle de la légitimité culturelle en question
RÉSUMÉ
La sociologie des goûts artistiques caractérise ordinairement le comportement des clas-
ses supérieures par le penchant pour les arts savants et le rejet simultané des arts populaires
et des produits de la culture de masse. Les évolutions enregistrées dans les enquêtes sur les
pratiques culturelles ne valident pourtant pas totalement cette représentation. Ce qui dis-
tingue le comportement des classes supérieures, c’est en effet moins, comme il est tradition-
nellement avancé, la familiarité avec la culture « légitime » que la diversité des préférences
exprimées, à l’opposé des membres des classes populaires, dont les préférences apparaissent
plus exclusives. On peut ainsi opposer au modèle traditionnel de la légitimité culturelle un
modèle de l’éclectisme, dont cet article s’emploie à mesurer la portée sur la base des don-
nées fournies par l’enquête sur les pratiques culturelles des Français de 1997 au sujet des
préférences musicales. De l’examen des habitudes des Français en la matière, il ressort en
premier lieu une confirmation sans équivoque du modèle de l’éclectisme, qui apparaît
cependant plus comme un prolongement apporté au modèle de la légitimité culturelle que
comme sa réfutation. La typologie des préférences construite par l’analyse des données et
l’examen des facteurs sociaux de la distribution des individus dans les différents profils de
mélomanes ainsi déterminés fait apparaître en second lieu la prédominance des clivages
générationnels et de l’inégale distribution du capital culturel et de la compétence musicale.
À la maison, en voiture, dans les magasins comme au restaurant, la
musique est partout. L’omniprésence de la musique dans le quotidien,
décuplée par la multiplication des supports offerts par le développement des
technologies numériques, s’accompagne d’une diversification de ses usages,
de l’écoute recueillie à la pratique active, en passant par les modalités les plus
ouvertement décoratives (musique de fond, musique d’ambiance). Cette
diversification amplifie la différenciation des styles et des genres, qui remplit
une fonction centrale dans l’économie du domaine musical. Cas-limite de la
concurrence monopolistique et de la spécialisation flexible, dans laquelle la
concentration de la distribution s’accompagne de longue date d’une forte
différenciation des produits et des publics (Hennion, 1981), l’industrie du
disque requiert de fait une forte segmentation des préférences. De ce point de
vue, la sociologie des goûts musicaux rencontre de manière très concrète les
3
R. franç. sociol., 44-1, 2003, 3-33
préoccupations des professionnels du marketing, et les enquêtes sur les prati-
ques culturelles saisissent les comportements relatifs à la musique sur la base
de systèmes de classement qui sont aussi ceux de l’industrie du disque (1).
Les préférences exprimées en matière musicale demeurent par ailleurs
particulièrement « classantes ». La musique ne faisant pas à proprement parler
partie du socle commun de la culture scolaire, il s’agit en effet d’un domaine
où l’on s’attend à voir jouer avec force l’influence des groupes primaires :
environnement familial, groupes des pairs, communautés ethniques. Les goûts
musicaux constituent de ce fait de longue date un objet de recherche réguliè-
rement investi par la sociologie des pratiques culturelles (Weber, 1977 ;
Schuessler, 1980). On envisage dans cet article les caractéristiques de la stra-
tification sociale des préférences musicales des Français, sur la base des
données de l’édition 1997 de l’enquête sur les pratiques culturelles du Dépar-
tement des études et de la prospective du ministère de la Culture (Donnat,
1997) (2). On se propose notamment d’évaluer la portée de l’opposition entre
le modèle de la légitimité culturelle (Bourdieu, 1979) et l’hypothèse « Omni-
vore/Univore » (Peterson, 1992), qui structure très fortement le champ des
recherches sur la stratification sociale des goûts depuis le début des années
quatre-vingt-dix.
La théorie de la légitimité culturelle à l’épreuve de l’hypothèseOmnivore/Univore
La robustesse des liens qui unissent l’orientation des préférences esthéti-
ques aux variables de statut, d’origine sociale et de capital culturel est empiri-
quement largement attestée (Bourdieu, 1979 ; Di Maggio et Mohr, 1985 ; Van
Eijck, 1997). Elle est au cœur de la sociologie de Bourdieu, qui produit une
vision de l’espace des préférences unifiée par une conception fonctionnaliste
du lien entre l’appartenance aux classes supérieures, le goût des arts savants et
le rejet simultané des arts populaires. Cette conception est toutefois perturbée,
depuis le début des années quatre-vingt-dix, par une série de travaux empiri-
ques qui mettent en évidence une progression de l’éclectisme des goûts des
classes supérieures, en particulier dans le domaine musical (Peterson et
Simkus, 1992 ; Peterson et Kern, 1996 ; Van Eijck, 2001).
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Revue française de sociologie
(1) Ce point rend du reste la comparaison
des données des quatre enquêtes du ministère
de la Culture sur les pratiques culturelles des
Français de 1974, 1981, 1988 et 1997 particu-
lièrement délicate, car la nomenclature des
genres musicaux est affectée d’une certaine
instabilité d’une édition à l’autre.
(2) Ce texte constitue une version retra-
vaillée d’une communication donnée en juillet
2002 à Brisbane dans le cadre du XVe
congrès
de l’Association Internationale de Sociologie. Il
a fortement bénéficié à cette occasion des
conseils et commentaires de Louis-André
Vallet, que je tiens à remercier, ainsi qu’Olivier
Donnat et Irène Fournier Mearelli, qui m’ont
permis d’accéder aux données de l’enquête
1997 sur les pratiques culturelles des Français,
et Ionela Roharik, pour l’aide technique et les
suggestions qu’elle m’a apportées tout au long
de ce travail. Toutes les imperfections de ce
texte restent bien entendu de la seule responsa-
bilité de l’auteur.
Habitus et distinction
La sociologie de la formation des goûts implique chez Pierre Bourdieu
deux concepts fondamentaux. Le concept d’habitus, en premier lieu, associe
l’orientation des préférences artistiques au déterminisme des dispositions
acquises au stade de la socialisation primaire, et qui encadrent durablement
l’ensemble des comportements (Bourdieu, 1980). Dans la mesure où il repose
en grande partie sur des mécanismes d’imprégnation informels, l’effet de
l’habitus ne relève pas à proprement parler d’un processus d’apprentissage, et
cette propriété prend un relief particulier dans le cas des goûts musicaux,
domaine par excellence de l’ineffable, où la production et la transmission des
dispositions relèvent de processus largement implicites et en grande partie
inconscients (Bourdieu, 1979, pp. 70-87). De ce point de vue, l’habitus n’est
pas un avatar du capital humain (Becker et Stigler, 1974).
En second lieu, l’espace des positions occupées dans la structure sociale et
l’espace des préférences esthétiques sont liés l’un à l’autre par un principe
d’homologie structurale qui est au cœur du modèle théorique développé dans
La distinction : l’identité sociale du sujet de goût tient au moins autant à
l’adhésion positive aux préférences de son milieu, pour laquelle il est en
quelque sorte programmé par ses dispositions, qu’au dégoût exprimé pour les
préférences attribuées aux autres groupes sociaux, auquel il est structurelle-
ment conditionné par sa position dans l’espace social des goûts (Bourdieu,
1979, pp. 64-65). Le goût des « dominants » se définit globalement ainsi, dans
le domaine musical, et si l’on se limite à une définition des préférences en
termes de « genres », par un penchant affirmé pour la musique savante
(musique classique, opéra et musique contemporaine), et par un rejet tout
aussi prononcé des genres populaires ou commerciaux.
Cette conception exige une vision unifiée et hiérarchisée de l’espace des
styles de vie qui est au principe de la théorie de la légitimité culturelle. Selon
cette approche, le style de vie des élites, par les comportements d’imitation
qu’il suscite au sein des autres catégories sociales, favorise l’intégration
culturelle de la société dans son ensemble. Cette vision fonctionnaliste de la
distribution sociale des goûts se fonde principalement sur l’idée d’une intério-
risation, à tous les niveaux de la structure sociale, de la hiérarchie des préfé-
rences culturelles, que manifeste l’opposition entre les arts savants
(highbrow) et les arts populaires (lowbrow) (Gans, 1974, 1985 ; Levine,
1988).
L’hypothèse Omnivore/Univore et l’affaiblissement de la frontière entre
genres savants et genres populaires
Dans un article de 1992 consacré à la distribution des préférences musi-
cales selon le statut professionnel, sur la base des données américaines du
SPPA (Survey on Public Participation in Arts) de 1982, Peterson et Simkus
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Philippe Coulangeon
apportent une inflexion importante au modèle de la légitimité culturelle, en
montrant que les classes supérieures diplômées ne se distinguent pas seule-
ment des autres catégories par un penchant particulier pour la musique
savante, mais aussi par l’éclectisme de leurs goûts (Peterson et Simkus,
1992). À l’opposé, c’est parmi les classes populaires que l’on rencontre le
plus grand nombre d’amateurs exclusifs, dont les « fans » représentent le cas
de figure extrême. L’analyse des données du SPPA de 1992 montre du reste
que ce phénomène tend à s’accentuer avec le temps : les « snobs », qui se
caractérisent par l’expression d’un goût exclusif pour la musique savante,
cèdent le pas aux « omnivores », dont les préférences se portent simultané-
ment sur des genres situés dans et hors du champ de la musique savante
(Peterson et Kern, 1996).
Le constat de la montée de l’éclectisme des goût musicaux des classes
supérieures s’intègre chez Peterson dans une réflexion plus large sur le déclin
du rôle de la fréquentation des arts savants dans l’identification symbolique
du mode de vie des groupes sociaux (Peterson, 1997), lié au développement
des industries culturelles, qui mettent formellement une grande diversité de
produits culturels à la portée du plus grand nombre du fait de l’unification
nationale, voire transnationale des marchés de la production culturelle
(Wilensky, 1964 ; Di Maggio, 1977 ; Peterson et Kern, 1996), et dont découle
un certain décloisonnement des arts savants et des arts populaires, l’élargisse-
ment du périmètre des arts subventionnés, qui se manifeste notamment, en
matière musicale, en direction du jazz, jouant simultanément dans le même
sens.
Cette transformation des attitudes culturelles des classes supérieures, qui
s’interprète généralement comme un recul des frontières dressées entre les
groupes sociaux par la différenciation des préférences esthétiques et des prati-
ques culturelles, offre prise aux thèses de la « postmodernité ». Selon ces
dernières la production industrielle des biens symboliques et l’avènement de
la société des loisirs auraient progressivement fait perdre aux élites culturelles
le monopole qu’elles exerçaient auparavant dans la production des normes et
des échelles de valeur esthétique, au profit de la coexistence d’une pluralité
d’échelles de jugements, d’une « invasion démocratique » du monde des arts
(Michaud, 1997), qui mettent en cause le modèle unificateur de la légitimité
culturelle qui est au principe des phénomènes de domination symbolique
décrits par Pierre Bourdieu (Featherstone, 1995). Il n’est pourtant pas assuré
que ce brouillage des frontières entre arts savants et arts populaires suffise à
invalider le modèle de la légitimité culturelle.
Éclectisme et légitimité
Deux arguments peuvent être principalement opposés à l’interprétation
« postmoderne » de la montée de l’éclectisme des goûts et au déclin du rôle
attribué à la familiarité avec les arts savants dans la construction de l’identité
des classes supérieures. Ces évolutions, tout d’abord, ne sont pas strictement
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Revue française de sociologie
assimilables à une transformation des comportements individuels. Les chan-
gements enregistrés au niveau des données agrégées révèlent pour l’essentiel
une certaine fragmentation de l’unité du style de vie des classes supérieures,
qui traduit l’effet de l’élargissement de la base sociale de leur recrutement, les
néo-recrutés, qui adoptent en partie les comportements caractéristiques de
leur nouveau groupe d’appartenance, conservant aussi la trace de leur envi-
ronnement culturel d’origine (Van Eijck, 1997). En ce sens, la montée de
l’éclectisme des goûts s’interprète prioritairement comme un effet secondaire
de la composante structurelle de la mobilité sociale.
À ce facteur morphologique s’ajoute le fait que la diversification des préfé-
rences exprimées n’entraîne pas nécessairement la progression de l’indiffé-
rence aux distinctions et aux hiérarchies esthétiques, comme le montrent les
prolongements empiriques donnés aux hypothèses de Peterson et Simkus, sur
des données américaines d’une part (Peterson et Kern, 1996 ; Bryson, 1996,
1997), et néerlandaises d’autre part (Van Eijck, 2001). Peterson et Kern
reprennent sur ce point à leur compte l’idée selon laquelle les stratégies de
distinction ne reposent pas seulement sur les objets consommés mais aussi sur
la manière de les consommer (Bourdieu, 1979). Le domaine musical fournit à
cet égard maints exemples de la manière dont les différences sociales trouvent
à s’exprimer dans la diversité des modes d’appropriation des œuvres et des
styles. On peut citer le cas du jazz et, plus largement, celui de l’ensemble de
la tradition musicale afro-américaine, qui ont fait l’objet, depuis les années
vingt, d’une esthétisation de l’écoute, au sein des milieux intellectuels, de
musiques qui se prêtaient originellement dans les classes populaires à des
usages relevant plutôt du divertissement et de la danse (Leonard, 1962). En ce
sens, il n’est pas de plus sûr moyen, pour les membres des classes supérieures,
d’affirmer leur domination symbolique que d’emprunter à des formes
d’expression extérieures au périmètre des arts savants, manifestant un pouvoir
d’habilitation ou de réhabilitation culturelle qui les distingue radicalement des
membres des classes populaires (3). À l’inverse, la popularisation relative de
certaines œuvres de la culture savante par l’industrie de la culture de masse
fournit aux membres des classes supérieures une incitation à l’éclectisme qui
se manifeste une fois encore de manière emblématique dans la progression du
goût cultivé pour le jazz, qui peut s’interpréter comme une conséquence
directe de la banalisation de la musique classique par le microsillon depuis le
début des années soixante-dix et de la marginalisation des avant-gardes de la
musique savante depuis l’après-guerre (Menger, 1986 ; Donnat, 1994).
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Philippe Coulangeon
(3) Ainsi, selon Jean-Claude Passeron
« [l’]asymétrie des échanges symboliques ne se
voit jamais autant que dans le privilège de
symétrie dont disposent les dominants, qui
peuvent à la fois puiser dans l’indignité cultu-
relle des pratiques dominées le sentiment de
leur propre dignité et dignifier en daignant les
emprunter les pratiques indignes, redoublant
ainsi, par l’exercice de ce pouvoir de réhabili-
tation, la certitude de leur légitimité. Pour dire
les choses plus crûment, il n’y a pas lieu de
décrire comme regard fasciné par la valeur ou
la beauté de la culture populaire ce qui n’est
jamais chez les dominants que l’exercice d’un
droit de cuissage symbolique » (Grignon et
Passeron, 1989, p. 61).
La distribution des préférences musicales dans l’enquête sur lespratiques culturelles des Français
Nous proposons dans cette seconde partie une évaluation de la portée et de
la signification des transformations apportées à la théorie de la légitimité
culturelle par le modèle Omnivore/Univore, à partir des réponses apportées à
la question portant sur les genres musicaux écoutés le plus souvent dans
l’enquête sur les pratiques culturelles des Français de 1997 (DEP/Ministère de
la Culture) (4). L’analyse porte sur 4 074 des 4 353 individus de 15 ans et plus
que comporte l’échantillon de l’enquête, dont on a exclu les lycéens en cours
d’études pour ne retenir que les individus ayant terminé leurs études secon-
daires au moment de l’enquête (5).
Éclectisme, génération, légitimité culturelle : les dimensions de la
stratification sociale des préférences
Le choix de faire porter l’analyse sur les réponses à la question concernant
les genres musicaux écoutés le plus souvent, et non à la question sur les
genres musicaux préférés résulte principalement des contraintes du question-
naire de l’enquête de 1997 dans lequel la question relative aux genres préférés
n’admet pas de réponse multiple, et ne permet donc pas de tester l’hypothèse
Omnivore/Univore. Cette approximation des goûts par les pratiques ne va
toutefois pas de soi, dès lors que les pratiques sont soumises à des contraintes
indépendantes des goûts, notamment en termes d’âge ou de localisation
géographique (Hugues et Peterson, 1983). Cet argument, retenu par Peterson
et Simkus pour privilégier l’approche par les goûts au détriment de l’approche
par les pratiques (Peterson et Simkus, 1992), apparaît pleinement opposable
dans le cas de la fréquentation des concerts. Il l’est moins dans le cas de
l’écoute de musique enregistrée, pour laquelle les contraintes de ce type
s’exercent a priori beaucoup moins fortement. En outre, la saisie des préfé-
rences « latentes », indépendamment des pratiques concrètes, paraît très
sensible aux effets de légitimation induits par l’enquête par questionnaire, en
sorte que l’argument de Hugues et Peterson peut être retourné. Sauf à faire
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Revue française de sociologie
(4) Enquête réalisée en mars et avril 1997
auprès d’un échantillon de 4 353 personnes,
constitué selon la méthode des quotas. Pour une
présentation complète de la méthodologie de
l’enquête et de la structure de l’échantillon,
voir Donnat (1997).
(5) On accorde dans la suite de l’analyse
une importance particulière à la distinction
entre bacheliers et non-bacheliers. Il s’agit
donc de faire en sorte, par cette restriction, de
ne pas traiter de manière identique les individus
« définitivement » non-bacheliers et les adoles-
cents « non encore » bacheliers. Ce choix est
toutefois contraignant, étant donné l’objet
étudié, dans la mesure où il conduit à exclure de
l’analyse une sous-population qui compte
pourtant parmi les plus fortes consommatrices
de musique enregistrée. Les préférences
musicales de cette sous-population mériteraient
de fait une étude spécifique. En outre, la mise à
l’écart des lycéens en cours d’études peut dans
une certaine mesure constituer un biais,
puisqu’elle induit une sur-représentation des
jeunes ayant terminé ou arrêté leurs études
précocement.
l’hypothèse d’une parfaite neutralité sociale et culturelle de la nomenclature
des genres musicaux, il est en effet probable que ce que l’on mesure par les
genres musicaux écoutés le plus souvent soit beaucoup plus proche des préfé-
rences réelles des individus que ce que l’on mesure lorsqu’on les interroge
abstraitement sur leurs goûts, le risque étant alors plus important que les indi-
vidus formulent une réponse valorisante au regard de la hiérarchie implicite
des genres musicaux cités dans le questionnaire. On considèrera donc que les
genres musicaux écoutés les plus souvent sur support enregistré constituent,
malgré les réserves qui viennent d’être évoquées, une approximation satisfai-
sante des préférences musicales.
La distribution des préférences musicales
La nomenclature des genres utilisée dans la suite de l’analyse correspond
strictement à celle proposée dans le questionnaire de l’enquête du ministère
de la Culture. Le Tableau I reproduit la liste des genres et, pour chacun
d’entre eux, le pourcentage de citation dans la population de l’enquête au titre
des genres écoutés le plus souvent. On note d’emblée que l’item correspon-
dant aux « variétés, chansons », qui est sans doute le plus hétérogène et le
plus polysémique de l’ensemble des genres proposés, est cité par près de la
moitié des répondants, et que seuls quatre autres genres sont cités par au
moins 10 % des répondants (6).
Le Tableau II fournit la distribution du nombre de genres écoutés le plus
souvent en fonction de la catégorie socioprofessionnelle des répondants.
Quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle, la citation d’un seul genre
constitue la situation modale, mais les modalités extrêmes (« aucun » genre
cité et plus de « deux genres ») exercent un effet séparateur significatif entre
les différentes catégories, comme l’indique le test d’indépendance du χ2
effectué sur ce tableau, dont l’examen fait ressortir trois groupes distincts : les
agriculteurs et les retraités, parmi lesquels ceux qui ne citent aucun genre
apparaissent sur-représentés, les ouvriers et les employés, dont plus de la
moitié ne citent qu’un seul genre, les cadres supérieurs, les professions inter-
médiaires et les étudiants, enfin, seules catégories à l’intérieur desquelles
ceux qui citent plus d’un genre sont majoritaires.
La suite logique du raisonnement consisterait à croiser l’indicateur du
degré d’éclectisme par catégories socioprofessionnelles du Tableau II avec
les genres cités dans le Tableau I, afin de faire apparaître la diversité des
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Philippe Coulangeon
(6) L’éclatement de la catégorie « chansons,
variétés » suggéré par le questionnaire, qui
offre la possibilité aux personnes citant l’item
correspondant de préciser s’ils écoutent surtout
des chansons d’avant-guerre, surtout des
chansons des années soixante, surtout des
chansons des années soixante-dix, surtout des
chansons des années quatre-vingt ou quatre-
vingt-dix ou surtout des chansons « à textes »
n’est pas pleinement satisfaisant, en ce sens
qu’il mélange une logique de genres et une
logique de périodes qui sollicite chez les répon-
dants un positionnement de type générationnel.
Le même procédé est repris, avec les mêmes
limites, pour la catégorie « rock ».
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Revue française de sociologie
TABLEAU I. – Genres musicaux écoutés le plus souvent
(en pourcentage)
Variétés, chansons 47,0
Variétés internationales (disco, dance, techno, funk, etc.) 19,9
Musique classique (dont musique baroque) 18,6
Musiques du monde (reggae, salsa, musique africaine, etc.) 10,4
Rock 10,2
Musique d'ambiance ou musique pour danser (tango, valse) 7,3
Jazz 7,3
Musique folklorique ou traditionnelle 4,9
Opéra 3,8
Musique de film ou de comédie musicale 3,5
Opérette 3,5
Hard rock, punk, trash, heavy metal 2,4
Rap 2,2
Musique contemporaine 1,3
Chansons pour enfants 1,0
Musique militaire 0,9
Autres genres 1,5
Source : Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 1997, DEP/Ministère de la Culture.
Lecture : 47 % des répondants citent les variétés et les chansons parmi les genres musicaux qu’ils écou-
tent le plus souvent. La question sur les genres musicaux écoutés le plus souvent admettant des réponses
multiples, le total des taux de citation associés à chaque genre est, logiquement, supérieur à 100.
TABLEAU II. – Nombre de genres cités au titre des genres écoutés le plus souvent
selon la catégorie socioprofessionnelle
(pourcentage en ligne)
Aucun Un Deux Plus de deux Ensemble N
Agriculteurs 23,1 44,8 26,1 6,0 100,0 76
Patrons de l'industrie et du commerce 12,7 44,4 24,4 18,5 100,0 150
Cadres supérieurs 2,4 43,0 31,6 23,1 100,0 279
Professions intermédiaires 2,2 45,2 33,8 18,9 100,0 448
Employés 6,1 53,6 26,5 13,8 100,0 701
Ouvriers 6,9 55,1 26,4 11,6 100,0 664
Étudiants 0,4 40,8 30,9 28,0 100,0 154
Retraités 32,4 38,4 19,1 10,1 100,0 987
Autres inactifs 17,4 45,0 26,0 11,6 100,0 615
Ensemble 14,0 46,2 25,9 14,0 100,0 4 074
χ2= 533
ddl=24
p < 0,001
Source : Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 1997, DEP/Ministère de la Culture.
combinaisons possibles entre les genres cités et le degré d’éclectisme des
choix, ce qui dépasse très rapidement les limites de l’analyse bivariée, et peut
être plus efficacement envisagé au moyen de l’analyse des correspondances
multiples (ACM) dont le paragraphe suivant présente les principaux résultats.
La prééminence de l’opposition Omnivores/Univores
Les 4 074 individus retenus dans l’ACM sont caractérisés par dix-sept
variables dichotomiques qui reprennent la liste des dix-sept genres musicaux
explicitement soumis aux enquêtés dans le questionnaire (Tableau I). Ces
variables prennent la valeur 1 lorsque les genres correspondant sont cités au
titre des genres écoutés le plus souvent et la valeur 0 dans le cas contraire (7).
S’y ajoute la variable du nombre total de genres cités au titre des genres
écoutés le plus souvent, codée selon les quatre modalités retenues dans la
distribution présentée dans le Tableau II. L’ensemble de ces variables sont
traitées en variables actives dans l’ACM, dont l’objectif est de faire apparaître
la variété des combinaisons entre les différents genres écoutés le plus souvent
et le degré d’éclectisme des pratiques.
Les individus de l’échantillon sont par ailleurs caractérisés par six autres
variables (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, niveau de diplôme et
revenu), traitées en variables illustratives, dont le positionnement par rapport
aux axes de dispersion construits par les variables actives participe à l’inter-
prétation des modèles de comportement et d’orientation esthétique que suggè-
rent les résultats de l’analyse factorielle.
Le premier facteur extrait par l’analyse (Figure I) est principalement cons-
truit par la variable du nombre de genres cités, et il hiérarchise les individus
selon le degré d’éclectisme des préférences exprimées indépendamment du
contenu des combinaisons entre genres, à la différence du deuxième facteur et
des facteurs suivants, qui sont plus nettement construits sur des oppositions
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Philippe Coulangeon
(7) L’architecture du questionnaire soumet
la question sur les genres musicaux écoutés le
plus souvent à deux filtres successifs. Le
premier porte sur la possession de disques ou
cassettes dans le foyer de la personne inter-
rogée et le second sur la liste des genres
musicaux possédés. C’est au sein de cette liste
que la personne interrogée est ensuite invitée à
désigner ceux qu’elle écoute, personnellement,
le plus souvent. La question sur les genres
écoutés le plus souvent restreint donc en
principe le champ de l’analyse des préférences
exprimées à l’écoute des disques ou cassettes
possédés au sein du foyer, à l’exclusion des
pratiques liées à la radio, notamment, et des
pratiques extérieures au foyer, qui, dans
certaines sous-populations, chez les jeunes
notamment, revêtent pourtant une certaine
importance. Rien n’interdit de penser toutefois
que les répondants incluent en fait implici-
tement leurs pratiques d’écoute radiophonique
dans leurs réponses. En tout état de cause, les
questions relatives à l’écoute de la radio
figurant dans le questionnaire de l’enquête sur
les pratiques culturelles ne permettent pas
d’approcher de manière satisfaisante la distri-
bution des préférences selon une nomenclature
de genres équivalente à celle qui est proposée
au sujet de l’écoute de disques et cassettes. Au
demeurant, rien ne permet d’accréditer
l’hypothèse de la présence massive, au sein de
l’échantillon, de pratiques d’écoute musicale
ayant la radio pour support exclusif. Le nombre
de phonogrammes possédés et la fréquence de
l’écoute de la radio apparaissent au contraire
très étroitement corrélés.
stylistiques (Figures I, II et III). L’écart entre la part de la variance totale du
nuage de points absorbée par ce premier facteur (12,5 %) et celle absorbée par
chacun des facteurs suivants indique au demeurant que le degré d’éclectisme
des goûts exprimé par le premier facteur contribue plus, en soi, à l’explication
de la dispersion des observations que la distribution des préférences entre les
différents genres musicaux traduite par les facteurs suivants. L’ordonnance-
ment des modalités des variables de revenu et de diplôme sur ce premier
facteur (Figure I) suggère par ailleurs un lien entre l’étendue des préférences
exprimées, abstraction faite de leur contenu, et le volume des ressources
monétaires et culturelles des individus qui n’est de fait pas clairement inter-
prétable en termes de stratification sociale et culturelle des goûts. Le mélo-
mane éclectique que suggère le premier facteur peut ainsi s’analyser comme
un consommateur éclairé qui maximise en quelque sorte sa satisfaction musi-
cale en diversifiant ses centres d’intérêt. En second lieu, le lien entre capital
culturel et tolérance esthétique, que fait apparaître l’étroite corrélation entre le
niveau de diplôme et la diversité des centres d’intérêt musicaux, tend à
valider, en matière de goûts artistiques, une hypothèse classique de la socio-
logie des attitudes politiques (Adorno, 1950 ; Lipset, 1960 ; Inglehart, 1990) :
le capital culturel se manifeste moins par le penchant aux arts savants que par
une capacité d’interprétation et d’assimilation de la nouveauté et de la diffé-
rence, et cette interprétation de l’effet du capital culturel en termes de tolé-
rance esthétique est au cœur du modèle Omnivore/Univore. En première
analyse, l’interprétation du premier facteur semble donc pleinement supporter
la thèse de Peterson. L’examen des facteurs suivants montre toutefois qu’à
niveau d’éclectisme fixé par le premier facteur, les mécanismes de stratifica-
tion sociale et culturelle des goûts demeurent très prégnants.
12
Revue française de sociologie
FIGURE I. – L’espace des goûts musicaux (I). Plan des deux premiers facteurs de l’ACM
13
Philippe Coulangeon
FIGURE II. – L’espace des goûts musicaux (II). Plan des facteurs 1 et 3
FIGURE III. – L’espace des goûts musicaux (III). Plan des facteurs 2 et 4
La stratification générationnelle des préférences
Le deuxième facteur, qui absorbe un peu plus de 9 % de la variance totale,
apparaît nettement structuré par l’opposition entre deux groupes de genres
musicaux : variétés internationales, musiques du monde, rap, hard rock, rock,
d’un côté, jazz, classique, opéra, opérette, de l’autre. Ce deuxième axe de
dispersion des observations n’est toutefois pas lui non plus aisément interpré-
table en termes de légitimité culturelle. Ainsi, les genres situés dans la partie
haute du plan formé par les deux premiers facteurs (Figure I), et qui apportent
une forte contribution au deuxième facteur, forment un ensemble assez hété-
rogène du point de vue de la hiérarchie culturelle des préférences : musique
classique, opéra, mais aussi opérette et musique d’ambiance. À degré d’éclec-
tisme donné, les préférences se différencient en fait davantage en fonction de
la variable de l’âge, dont les modalités s’étagent très distinctement le long du
deuxième facteur. La composition des deux groupes de genres musicaux que
distingue le deuxième facteur conduit au demeurant à considérer davantage la
variable de l’âge comme un indicateur d’appartenance générationnelle que
comme un indicateur de position dans le cycle de vie. Dans la partie basse du
plan des deux premiers facteurs, le rap et les genres rangés sous l’appellation
générique « variété internationale » apparaissent de fait parfaitement emblé-
matiques de la culture musicale des jeunes des années quatre-vingt et
quatre-vingt-dix, et non des jeunes en général.
Goût moyen et goût savant
Les facteurs suivants apparaissent eux aussi structurés par l’opposition
entre différentes combinaisons de genres musicaux. Le troisième facteur
distingue ainsi très nettement les chansons, genre de loin le plus cité, de
genres plus rarement cités et aux esthétiques plus marquées (hard rock, rap,
notamment). Le plan des facteurs 1 et 3 (Figure II) fait plus précisément
ressortir les caractéristiques du « goût moyen », qui peut se définir non seule-
ment par l’orientation des préférences vers le domaine des variétés, mais aussi
par un éclectisme mesuré (un ou deux genres cités, c’est-à-dire les deux
modalités les plus fréquentes, voir Tableau II).
L’interprétation du facteur 4, qui absorbe 7,15 % de la variance totale,
ressort plus clairement que les précédents d’une analyse en termes de légiti-
mité culturelle (Figure III). Il est nettement construit sur l’opposition entre
amateurs de musique classique, de jazz ou d’opéra, d’un côté, et amateurs de
genres tels que musique d’ambiance, musique de films et rap, de l’autre.
L’ambiguïté de la nomenclature des genres, qui mêle des éléments de défini-
tion esthétique et des éléments de définition de type fonctionnel, comme le
montre le cas de la musique d’ambiance ou celui de la musique de film,
signale par ailleurs, en marge de la stratification des goûts proprement dite,
une différenciation sociale des usages de la musique. À la musique appréciée
pour elle-même s’opposent aussi sur cet axe les musiques d’accompagnement
(musique de film, musique de danse ou d’ambiance), mais aussi celles dans
14
Revue française de sociologie
lesquelles le discours prime l’élément musical proprement dit (comme dans le
cas du rap). Il n’est pas anodin de remarquer à cet égard que l’incorporation
du jazz au pôle de la légitimité culturelle, tel qu’il ressort du positionnement
des préférences sur ce facteur, intervient à la suite de la défonctionnalisation de
cette musique, dont la dimension de musique de danse a quasiment disparu
aujourd’hui. Autrement dit, la légitimité culturelle ne se définit pas seulement
par rapport à la segmentation des genres mais encore par rapport à la différen-
ciation des usages, en opposant écoute « pure » et écoute « fonctionnelle » (8).
L’axe de la légitimité culturelle est, comme celui de l’éclectisme, forte-
ment lié à la variable du capital culturel et à celle de la catégorie socioprofes-
sionnelle. Sous ce rapport, cet axe tend en fait à isoler les cadres supérieurs de
toutes les autres catégories socioprofessionnelles, tandis que l’axe de l’éclec-
tisme faisait aussi ressortir la position des professions intermédiaires et des
étudiants.
Légitimité culturelle et génération
L’articulation des deuxième et quatrième facteurs (Figure III) permet de
visualiser la combinaison de deux principes complémentaires de stratification
des préférences musicales – stratification générationnelle et stratification en
termes de légitimité culturelle –, pour peu que la variable de l’âge soit prise
en compte comme un indicateur de génération plutôt que comme un indica-
teur de position dans le cycle de vie. La combinaison de ces deux principes
signale ainsi que l’attrait pour les genres savants, qui se définit plutôt, du
point de vue de l’étendue des préférences, par un éclectisme mesuré (deux
genres cités) que par l’exclusivité du goût pour la musique classique,
s’accompagne d’une redéfinition au cours du temps du périmètre du goût légi-
time. Le pôle du goût pour les genres savants, situé au bas du plan factoriel,
s’organise en effet secondairement selon le principe générationnel de stratifi-
cation des préférences décrit par le deuxième facteur. Alors que l’attrait pour
la musique classique et l’opéra peut s’interpréter graphiquement comme le
goût savant des classes supérieures cultivées des générations anciennes,
l’attrait pour le jazz occupe, sur le deuxième facteur, une position plus
centrale qui le désigne comme un des attributs de la légitimité culturelle au
sein des générations plus récentes.
Le cas du rock, dans le même ordre d’idées, est particulièrement intéres-
sant. Alors que l’attrait pour la musique classique, l’opéra et le jazz sont
nettement constitutifs du quatrième facteur, l’attrait pour le rock contribue
peu à la formation de ce facteur. Pourtant, le goût du rock apparaît à la lecture
15
Philippe Coulangeon
(8) Bien que la musique se prête, plus sans
doute que les autres arts, à cette différenciation
des usages, du fait de la diversité des supports
de sa diffusion, c’est à une différenciation de
même ordre que renvoient certaines analyses
relatives à l’expression des goûts en matière
d’arts plastiques. Voir notamment David Halle
(1992) sur la primauté des motifs « décoratifs »
chez les amateurs d’art abstrait.
du plan factoriel nettement plus proche du pôle des genres savants que le rap,
les variétés internationales, etc., genres les plus fortement associés à la culture
juvénile du moment, avec lesquels il partage cependant, dans le plan factoriel,
une même proximité avec les classes populaires salariées (ouvriers et
employés). Ce positionnement rappelle le schéma folk/pop/fine arts évoqué
par Peterson (1972) (9), et suggère que le rock pourrait en quelque sorte se
trouver au seuil d’un mouvement d’anoblissement culturel comparable à celui
qu’a connu le jazz depuis la fin des années soixante-dix (Leonard, 1962) (10).
L’interprétation des quatre premiers facteurs de l’ACM fait en définitive
apparaître l’éclectisme comme une dimension supplémentaire dans la stratifi-
cation sociale des goûts, et non comme une attitude culturelle en soi, indépen-
dante des genres sur lesquels se portent les préférences. On retrouve ici une
conclusion mise en avant par Van Eijck sur la base des données de l’enquête
néerlandaise sur la participation aux activités culturelles de 1987, qui fait
ressortir que les différences entre groupes sociaux ne sont significatives que si
l’on tient compte des combinaisons entre genres musicaux, et pas seulement
du degré d’éclectisme des préférences (Van Eijck, 2001). La prise en compte
simultanée de cette dimension et des effets de génération et de légitimité
culturelle permet de construire une typologie des attitudes à l’égard de la
musique enregistrée.
Typologie des attitudes à l’égard de la musique enregistrée
On effectue une classification ascendante hiérarchique (CAH) sur les
quatre premiers facteurs de l’ACM présentée dans la partie précédente, selon
la méthode de l’algorithme de Ward. Cinq classes d’attitudes sont retenues,
caractérisées par les genres musicaux cités et le degré d’éclectisme des préfé-
rences exprimées, d’une part, et par les variables socio-démographiques intro-
duites en variables supplémentaires dans l’analyse des correspondances
multiples, d’autre part (11).
16
Revue française de sociologie
(9) Les musiques d’origine afro-améri-
caines, qui eurent à l’origine une fonction
prépondérante d’affirmation identitaire et
communautaire (folk phase), ont été progressi-
vement happées, au cours des années vingt et
trente, par les industries de la culture de masse
(pop phase), avant d’être progressivement
réhabilitées et intégrées depuis l’après-guerre
dans l’univers de la culture savante (fine arts
phase). Selon Peterson, ce schéma décrit un
processus de portée plus générale et qui
s’inscrit dans la longue durée.
(10) Il est intéressant à ce titre de
rapprocher le rôle joué par la culture rock dans
l’élitisation des mouvements contre-culturels
au cours des années quatre-vingt-dix et le rôle
joué par le jazz dans les années soixante. Les
Inrockuptibles occupent de ce point de vue
depuis la fin des années quatre-vingt-dix dans
le champ de la presse culturelle une position
assez comparable à celle qu’occupait
Jazz-magazine à la fin des années soixante.
(11) La caractérisation détaillée des classes
d’attitudes figure en Annexe A.
Cinq profils de préférences
Le premier profil, qui regroupe 20 % de l’échantillon, s’organise autour
des trois genres relevant de la musique savante au sens large (ie incluant le
jazz). Ce premier profil renvoie ainsi à l’image de l’éclectisme éclairé qui se
rencontre prioritairement parmi les membres des classes supérieures, chez les
plus de 40 ans, les diplômés de l’enseignement supérieur et parmi les déten-
teurs de revenus élevés.
Le deuxième profil se situe, au regard des genres auquel il est le plus étroi-
tement associé, à l’opposé du pôle de la musique savante, et se caractérise par
la diversité des usages fonctionnels de la musique (musique d’ambiance,
musique de danse, musique folklorique, musique de film) et par l’opérette. Ce
profil semble plus difficile que le précédent à interpréter en termes de revenu,
de statut socioprofessionnel et de diplôme. Il est en revanche caractérisé, du
point de vue de l’âge, par un net ancrage chez les plus de 60 ans, et représente
une part relativement faible de la population (13 %).
Le troisième profil se distingue nettement des deux précédents sous le
rapport de l’âge. Ce sont en effet ici les moins de 25 ans qui dominent, et
l’examen des genres qui entrent dans sa composition (rap, rock, hard rock,
musiques du monde, variétés internationales) confirme cette dimension géné-
rationnelle, alors même qu’il semble plus difficile à caractériser sur le plan du
statut socioprofessionnel. Cet éclectisme juvénile et « contre-culturel » appa-
raît plus nettement minoritaire encore que le précédent (8 % de l’échantillon).
Le quatrième profil, qui avec 45 % des individus de l’échantillon est de
loin le plus répandu, est doublement marqué par la forte spécialisation des
préférences (un genre cité) et par l’attrait pour les musiques de variété. Il est
aussi nettement caractéristique, à la différence des précédents, de l’univers
esthétique des classes populaires (employés et ouvriers), mais plus difficile à
caractériser du point de vue du capital culturel (la valeur-test associée à la
modalité « moins que bac » est en effet trop faible pour être clairement inter-
prétable comme une caractéristique propre à cette classe). Il faut toutefois
prendre garde à l’effet de nomenclature engendré par le regroupement sous les
appellations génériques de « variétés » et « variétés internationales » d’une
grande diversité de styles, d’époques et de courants musicaux, en sorte que
l’unité esthétique des catégories populaires produite par cette classification
est en partie artificielle et s’estomperait très vraisemblablement s’il était tenu
compte de cette diversité dans la liste des genres soumis dans le question-
naire.
Le cinquième et dernier profil enfin, qui se définit négativement par
l’absence de citation et qui regroupe tout de même 15 % de l’échantillon,
apparaît moins nettement caractérisé, à l’examen des valeurs-test, par les
variables de statut socioprofessionnel et de capital scolaire que par la prépon-
dérance des plus de 60 ans, qui suggère que l’on a ici essentiellement affaire à
des individus issus de générations antérieures à la banalisation de la musique
enregistrée.
17
Philippe Coulangeon
Les propriétés distinctives de l’éclectisme éclairé
La caractérisation socio-démographique de chacune de ces cinq classes
d’individus souligne bien la persistance de phénomènes de stratification
sociale, culturelle et générationnelle des goûts dont le degré d’éclectisme ne
constitue qu’une dimension. Aucun des profils associés à chacune des cinq
classes ne correspond en effet à un éclectisme « tous azimuts » : si le rejet
« en bloc » de l’ensemble des expressions musicales semble définir l’un des
profils d’attitudes associés à ces classes (classe V), aucun de ces profils ne
correspond a contrario à la citation de tous les genres.
La liste des genres cités à l’intérieur de la première classe, à laquelle sont
associés des niveaux de diplôme et de rémunération élevés ainsi que l’appar-
tenance à la catégorie des cadres supérieurs, apparaît de ce point de vue
parfaitement éclairante. L’association du jazz et de la musique savante, mais
aussi le rejet des variétés internationales ou de la musique d’ambiance, dont la
non-citation s’accompagne de valeurs-test élevées, signalent ainsi que l’éclec-
tisme des goûts demande, pour conserver ses propriétés distinctives, à ne pas
s’exercer de manière indifférenciée. En matière musicale, seul l’éclectisme
« éclairé » constitue en effet une modalité particulière du raffinement esthé-
tique, là où l’éclectisme indistinct constitue à l’inverse la disqualification la
plus radicale de la compétence et du « bon goût » (Menger, 1986). Symétri-
quement, la liste des genres non cités au sein de la classe IV et auxquels sont
associées des valeurs-test élevées autorise à définir le goût populaire autant
par l’attrait pour la chanson et les variétés que par le rejet ou la méconnais-
sance des styles savants : musique classique, jazz, opéra.
Ces deux profils ont ainsi en commun, en premier lieu, de se définir plus
que les autres non seulement par les genres cités mais aussi par les genres non
cités. Ainsi, cette définition « par défaut » des orientations esthétiques, qui
occupe une place centrale dans le schéma théorique de la distinction (le goût
des uns est aussi le dégoût du goût des autres [Bourdieu, 1979], n’apparaît pas
elle non plus invalidée par l’hypothèse Omnivore/Univore (Bryson,
1996) (12). En second lieu, ces deux profils sont plus nettement caractérisés
que les trois autres du point de vue de l’appartenance socioprofessionnelle de
leurs membres, comme l’indique la distribution par classes des catégories
socioprofessionnelles (Tableau III). Pour l’ensemble des catégories, en effet,
la quatrième classe constitue la situation modale, à l’exception des cadres
supérieurs, dont plus de la moitié se trouvent dans la classe I, ainsi que dans
une moindre mesure les retraités, que l’on retrouve prioritairement dans la
classe V. Les employés et les ouvriers sont par ailleurs les seules catégories
majoritairement présentes, à 60 % et plus, dans la classe IV. Au-delà du degré
18
Revue française de sociologie
(12) Partant de l’analyse des jugements
portés, en réponse à une question du General
Social Survey de 1993, sur une liste de 18
genres musicaux, couvrant la diversité des
styles offerts sur le marché de la musique, cet
auteur montre en effet que la tolérance esthé-
tique des élites s’accompagne d’un rejet
prononcé des genres les plus fortement associés
à l’univers esthétique des fractions des classes
populaires les plus culturellement démunies,
dont le heavy metal fournit l’illustration emblé-
matique.
d’éclectisme des goûts manifestés, la préférence accordée à la musique
savante, définie de manière élargie, apparaît donc comme un attribut de
l’appartenance aux classes supérieures, de même que la préférence accordée
aux variétés semble caractériser fortement l’orientation esthétique des catégo-
ries populaires.
Pour autant, l’effet de la catégorie socioprofessionnelle, qui rend indirecte-
ment compte du niveau de qualification et du niveau de revenu, mais aussi,
dans une certaine mesure, de l’origine sociale, est difficile à spécifier. Ainsi,
la corrélation observée entre l’éclectisme « savant » ou « éclairé » et l’appar-
tenance aux classes supérieures peut s’interpréter comme un effet du capital
scolaire ou comme une conséquence de l’origine sociale, variables avec
lesquelles la catégorie socioprofessionnelle est elle-même fortement corrélée.
Plus généralement, la typologie construite sur la base de la classification sur
facteurs ne permet pas de séparer clairement les effets des différentes varia-
bles introduites dans l’analyse, pour ces deux profils, comme pour les trois
autres. D’où l’analyse toutes choses égales par ailleurs proposée dans la
dernière partie de ce texte.
Les facteurs sociaux de l’orientation des préférences
On présente dans cette dernière partie les résultats de l’estimation d’un
modèle logit multinomial dont la variable dépendante est définie par l’appar-
tenance à l’un des cinq profils déterminés par la classification sur facteurs
19
Philippe Coulangeon
TABLEAU III. – Distribution des catégories socioprofessionnelles par classes (en pourcentage)
Classe I Classe II Classe III Classe IV Classe V Total
Agriculteurs
Patrons de l’industrie et du commerce
Cadres supérieurs
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Étudiants
Retraités
Autres inactifs
Ensemble
10
20
54
27
15
8
12
25
15
20
16
10
9
12
10
10
6
20
12
13
4
12
10
11
9
11
34
1
6
8
47
45
25
48
60
62
45
23
49
44
23
13
2
3
7
9
3
32
18
14
100
100
100
100
100
100
100
100
100
100
χ2= 1101
ddl = 32
p < 0,001
Source : Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 1997, DEP/Ministère de la Culture.
décrite au point précédent (13). La méthode retenue a pour objet de mesurer
l’effet propre sur l’orientation des préférences musicales des caractéristiques
introduites en variables supplémentaires dans l’analyse factorielle des corres-
pondances multiples. Le sexe, le diplôme et le revenu sont introduits dans le
modèle sous forme de variables dichotomiques : homme vs femme ;
non-bacheliers vs bacheliers et diplômés de l’enseignement supérieur ; revenu
mensuel inférieur à 10 000 francs vs revenu supérieur à 10 000 francs.
La catégorie socioprofessionnelle comprend neuf modalités, soit huit caté-
gories d’actifs (agriculteurs, patrons de l’industrie et du commerce, cadres et
professions intellectuelles supérieures, professions intermédiaires, employés,
ouvriers) et trois catégories d’inactifs (étudiants [14], retraités et autres inac-
tifs). L’âge est une variable continue.
On introduit, en plus des variables présentes dans l’analyse factorielle, une
variable d’origine sociale, qui distingue origine populaire et origine supé-
rieure (père cadre supérieur ou chef d’entreprise), ainsi qu’un indicateur de
compétence musicale qui comprend trois modalités : non-musiciens (indi-
vidus n’ayant aucune formation musicale), personnes ayant suivi une forma-
tion musicale (école de musique, conservatoire, cours particulier, etc.),
autodidactes (individus ayant appris la musique seuls ou avec des amis).
La situation de référence est formée, du côté des variables indépendantes,
par les modalités « femme », « non-bachelier », « employé », « revenu infé-
rieur à 10 000 francs », « origine populaire » et « non-musicien ». Du côté de
la variable dépendante, la situation de référence est définie par la classe IV,
qui constitue la sous-population la plus importante en nombre à l’intérieur de
l’échantillon (45 %), et correspond à une orientation des préférences centrée
sur la musique de variété (15). L’estimation du modèle conduit ainsi à spéci-
fier les facteurs de distanciation à l’égard de cette orientation la plus
20
Revue française de sociologie
(13) Le modèle logit multinomial procède
d’une extension de la régression logistique au
cas de variables dépendantes comprenant plus
de deux modalités non ordonnées. Dans le
modèle logit dichotomique, la probabilité d’une
variable dépendante y en fonction d’une série
de k variables indépendantes x s’écrit :
Logy
y
Logy
y
Pr( )
Pr( )
Pr( )
Pr( )
=− =
= ==
=1
1 1
1
0
b xx
k
K
k
=∑
0
où les coefficients bk désignent les paramètres
associés à chaque variable estimés par le
modèle, avec x0 = 1 et b0x0 = constante.
Dans le modèle logit multinomial, la proba-
bilité de chacune des j modalités de la variable
dépendante y est contrastée par rapport à une
modalité de référence à laquelle on attribue la
valeur 1 et peut s’écrire :
Logy j
y
b xjk
k
K
j
J
k
Pr( )
Pr( )
==
===∑∑
1 01
où les coefficients bjk désignent les paramètres
estimés par le modèle qui, à la différence du
modèle dichotomique, comme le signale
l’indexation, varient en fonction des modalités
de la variable dépendante y. Pour une présen-
tation détaillée, voir Powers et Xie (2000,
pp. 223-252).
(14) Rappelons que les lycéens en cours
d’étude sont exclus de l’échantillon.
(15) Dans la mesure où les modalités de la
variable indépendante ne sont pas ordonnées, le
choix de la modalité de référence est bien
entendu arbitraire.
commune du goût musical, qui est décrite par le profil retenu en modalité de
référence (16).
La primauté de l’âge et du capital culturel
Afin de hiérarchiser l’effet des variables indépendantes introduites dans le
modèle, on compare dans un premier temps la qualité de l’ajustement d’une
série de modèles emboîtés obtenus par retrait successif d’une variable au
modèle complet incluant l’ensemble des variables (17). La hiérarchisation des
variables issues de la comparaison des modèles contraints et du modèle
complet fait principalement ressortir l’effet de l’âge dans la distribution des
préférences musicales enregistrées dans l’enquête sur les pratiques culturelles.
C’est en effet au retrait de cette variable qu’est associée la plus forte dégrada-
tion par degré de liberté de la qualité de l’ajustement du modèle aux données.
La composante générationnelle de la stratification sociale des goûts, que
suggérait déjà l’analyse factorielle, se trouve ainsi validée par l’analyse toutes
choses égales par ailleurs, qui souligne aussi la primauté de l’effet de cette
variable sur celui des autres variables socio-démographiques généralement
mises en avant dans la littérature consacrée à la sociologie des goûts.
La comparaison des modèles indique secondairement que le retrait du
diplôme, ainsi, dans une moindre mesure, que celui du revenu, induisent une
dégradation de la qualité de l’ajustement plus importante que celle causée par
le retrait de la variable d’origine sociale. L’ordre des variables suggéré par le
test d’ajustement de chaque modèle aux données affaiblit de ce point de vue la
théorie de l’habitus. La distribution des goûts apparaît significativement liée à
l’origine sociale, mais l’effet des ressources culturelles et, secondairement,
économiques dont disposent les individus semble en effet prévaloir sur celui
de la socialisation primaire. L’orientation des préférences apparaît en ce sens
prioritairement comme une attitude construite et non comme le reflet pur et
simple d’un héritage passif.
Enfin, l’ordre des paramètres déduit du test d’ajustement montre que, de
toutes les variables prises en compte, la catégorie socioprofessionnelle est
celle dont l’omission affecte le moins la qualité d’ajustement du modèle aux
données. Selon ce critère, la catégorie socioprofessionnelle des individus
paraît notamment affecter plus modestement l’orientation des préférences que
ne le fait leur compétence musicale. L’effet de cette dernière variable, qui
distingue les non-musiciens, c’est-à-dire les individus qui n’ont jamais eu ni
pratique instrumentale, ni pratique chorale et n’ont reçu aucune formation
spécifique dans ce domaine, de ceux qui ont reçu à un moment ou un autre un
21
Philippe Coulangeon
(16) En l’occurrence, la probabilité d’appar-
tenir à chacune des quatre modalités actives de
la variable dépendante s’écrit :
Log =P
P
j
1
= bj0 + bj1SEXE + bj2ÂGE +
bj3DIPLÔME + bj4PCS + bj6REVENU +
bj7ORIGINE + bj8COMP. MUSI.
(17) La démarche adoptée est décrite dans
l’Annexe B.
enseignement musical spécialisé (école de musique, conservatoire, cours
particulier) ou ont appris seul la pratique d’un instrument, dans le cadre fami-
lial ou avec des amis, autorise de ce fait une interprétation de la distribution
des préférences qui relâche la conception hétéronome de la stratification des
préférences qui prévaut généralement dans la sociologie des goûts artistiques
(Bourdieu, 1979 ; Di Maggio, 1987).
Génération, âge et orientation des préférences musicales
L’importance de l’effet global de l’âge mis en évidence par le test d’ajuste-
ment demande à être précisée. On considère à cette fin deux modèles succes-
sifs, dont le premier correspond au modèle saturé du test d’ajustement, auquel
le second ajoute deux termes d’interaction : un terme d’interaction
âge× diplôme, d’une part, et un terme d’interaction âge× pcs, d’autre part
(Tableaux IVa et IVb). Du premier modèle, il ressort que l’effet global de
l’âge ne semble pas s’exercer de manière univoque. L’avancée dans le cycle
de vie produit en effet un écart à la situation de référence qui se manifeste
alternativement par l’attrait pour les genres savants (classe I) et par l’attrait
pour les usages les plus classiquement fonctionnels de la musique (classe II),
voire par le retrait pur et simple de l’univers de la consommation musicale
(classe V). Inversement, le signe négatif du paramètre associé à l’effet de
l’âge pour la classe III suggère que l’éclectisme « contre-culturel » attaché à
ce profil constitue bien en soi un attribut de la jeunesse, puisque la probabilité
d’appartenir à cette classe décroît avec l’âge (Tableau IVa).
Dans le second modèle, l’ajout des termes d’interaction permet de préciser
l’effet du diplôme et de la pcs en un sens qui éclaire la portée du modèle
Omnivore/Univore dans l’analyse de la distribution des préférences musicales
(Tableau IVb). L’examen des paramètres estimés par ce second modèle
suggère en effet une différenciation générationnelle des effets de légitimité
culturelle qui souligne la contingence historique des deux modèles théoriques
discutés dans cet article.
L’atténuation de l’effet du capital culturel au sein des générations de la
massification scolaire
Le diplôme exerce un effet séparateur très marqué en ce qui concerne
l’attrait pour la musique savante (classe I), et cet effet, qui apparaît dans le
modèle sans terme d’interaction âge× diplôme (Tableau IVa), résiste à son
introduction dans le modèle suivant (Tableau IVb). La probabilité d’appar-
tenir à cette classe d’individus passe en effet de 19 à près de 40 %, toutes
choses égales par ailleurs, pour les bacheliers et diplômés de l’enseignement
supérieur. Cet effet du diplôme est toutefois assez délicat à interpréter. La
musique savante n’appartenant pas au même titre que la littérature classique à
l’univers de la culture scolaire, on conçoit mal en quoi peut consister le rôle
22
Revue française de sociologie
23
Philippe Coulangeon
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24
Revue française de sociologie
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de l’école en la matière, d’autant plus que celle-ci abrite parallèlement des
formes de sociabilités qui, en matière musicale, sont les principaux vecteurs
de diffusion des modes juvéniles et des mouvements contre-culturels. On peut
bien sûr penser ici au mécanisme d’« assignation statutaire » décrit par
Bourdieu dans La distinction, en vertu duquel la minorité d’élèves issus des
classes populaires se serait traditionnellement trouvée encouragée à adopter
les normes culturelles du milieu auquel le succès scolaire leur donnait accès
(celui des « héritiers »), ce mécanisme opérant ainsi paradoxalement de la
manière la plus visible dans les domaines les plus éloignés de l’univers
scolaire proprement dit (Bourdieu, 1979). Autrement dit, l’effet apparent du
capital culturel masquerait l’influence de la socialisation scolaire et de la
morphologie du groupe des pairs.
À cet égard, le terme d’interaction âge× diplôme introduit dans le modèle
développé dans le Tableau IVb suggère que l’effet du diplôme s’est vraisem-
blablement modifié au fil du temps. La significativité, pour la classe I, du
paramètre associé à ce terme d’interaction indique en effet que l’influence
positive du diplôme se renforce avec l’âge, ce qui signifie aussi, a contrario,
que l’effet propre du capital culturel sur l’orientation « savante » des préfé-
rences musicales s’atténue pour les membres des jeunes générations, sans
qu’il y ait lieu d’incriminer en la matière un quelconque déclin de la fonction
de l’institution scolaire, dans un domaine où elle a toujours été assez large-
ment défaillante. Il est vraisemblable, en revanche, que la massification
scolaire, en rompant l’homogénéité sociale et culturelle du recrutement des
établissements d’enseignement secondaire, ait contribué à un affaiblissement
progressif du mécanisme d’assignation statutaire évoqué par Bourdieu, auquel
l’effet du diplôme ne se réduit toutefois pas, puisqu’il subsiste à âge contrôlé,
par-delà les transformations de la structure sociale du public scolaire.
L’émergence de la figure de l’omnivore au sein des classes supérieures :
une affaire de générations
Les paramètres estimés par le modèle présenté dans le Tableau IVa confir-
ment que le goût pour la musique savante constitue bien un attribut des
classes supérieures, que l’on se place sur l’échelle du capital culturel
(diplôme), sur celle du capital social (origine sociale et catégorie socioprofes-
sionnelle) ou sur celle du capital économique (revenu). Le revenu affecte à cet
égard en sens contraire les probabilités d’appartenir aux classes I et V,
l’absence de consommation musicale apparaissant nettement comme un
attribut des revenus les plus modestes. Cette dimension proprement écono-
mique de la différenciation des comportements, dont il n’est pas toujours fait
grand cas dans la sociologie des pratiques culturelles, rappelle que les préfé-
rences saisies par les statistiques culturelles, qu’il s’agisse d’écoute de
musique enregistrée, comme c’est le cas ici, ou de fréquentation des concerts,
s’appuient sur des consommations de biens et services, et que celles-ci sont
affectées d’une forte élasticité-revenu. Elle suggère aussi que la contrainte
économique ne joue pas avec la même force selon les genres musicaux de
25
Philippe Coulangeon
prédilection, ce qui peut être relié à la différenciation des modes de diffusion
des différents styles musicaux. De ce point de vue, le goût « savant » est sans
doute plus fortement lié à l’achat de disques que le goût pour la musique de
variété et l’ensemble des musiques actuelles, dont le principal vecteur est la
radio.
L’estimation des paramètres du modèle logistique permet au demeurant de
séparer les effets de ces différentes espèces de capitaux, et suggère la cumula-
tivité de leurs influences. En outre, l’introduction d’un terme d’interaction
âge× diplôme et d’un terme d’interaction âge× pcs ne neutralise aucun des
effets mis en évidence par le modèle précédent en ce qui concerne le range-
ment dans la classe I (Tableau IVb). La catégorie socioprofessionnelle en
particulier, qui en soi contribue globalement assez faiblement, comme on l’a
vu, à l’orientation des préférences musicales, reste un paramètre prépondérant
en ce qui concerne le profil de préférence associé à la classe I, puisque la
probabilité d’être rangé dans cette classe est doublée pour les cadres supé-
rieurs (Tableau IVb). En d’autres termes, les frontières de la légitimité cultu-
relle évoluent au fil des générations, comme le suggère la liste des genres
musicaux caractéristiques de la classe I (musique classique, opéra, jazz), mais
l’orientation légitimiste du goût musical des membres des classes supérieures
demeure.
Pour autant, le modèle présenté dans le Tableau IVa suggère parallèlement
l’existence, au sein des classes supérieures, d’un autre profil, beaucoup moins
conforme au modèle de la légitimité culturelle. Le fait d’appartenir à la caté-
gorie des cadres et professions intellectuelles supérieures accroît en effet très
substantiellement la probabilité d’être rangé dans la classe III, dont les carac-
téristiques sur le plan des goûts musicaux exprimés se situent nettement en
dehors de la sphère de la musique savante, et cette probabilité est aussi accrue
par l’origine sociale supérieure. Ainsi, les classes supérieures se caractérise-
raient alternativement par un penchant à la légitimité culturelle et par un
penchant à la tolérance esthétique et aux mouvements contre-culturels
(Inglehart, 1990) conformes à la figure de l’omnivore théorisée par Peterson.
Ce penchant à la tolérance esthétique peut être rapproché de la diversité des
milieux sociaux avec lesquels les membres des classes supérieures sont en
contact, de par leurs activités professionnelles notamment (Peterson, 1992 ;
Bryson, 1996). De ce point de vue, la nature de l’effet de la catégorie socio-
professionnelle limite la portée du modèle de l’habitus. L’orientation des
préférences n’est en effet pas seulement corrélée au capital culturel et à
l’origine sociale. Elle se construit aussi partiellement à l’âge adulte et reflète
notamment les caractéristiques de l’environnement social et professionnel des
individus. À la différence du profil associé à la classe I, ces effets sont cepen-
dant neutralisés par l’introduction dans le modèle suivant (Tableau IVb) du
terme d’interaction âge× pcs. Tout indique, autrement dit, que le profil de
préférence associé à cette classe relève avant tout d’une composante généra-
tionnelle. On peut secondairement relever que l’orientation des préférences
oppose la composante masculine du profil associé à la classe III à la compo-
sante féminine du profil associé à la classe I (Tableau IVb).
26
Revue française de sociologie
L’effet propre de la compétence musicale
L’estimation des paramètres de l’orientation des préférences musicales fait
en dernier lieu ressortir l’influence de la compétence musicale et de ses moda-
lités d’acquisition. La robustesse de cet effet, qui résiste au contrôle par
l’ensemble des variables socio-démographiques introduites dans le modèle
présenté au Tableau IVb, interdit d’envisager l’acquisition de cette compé-
tence spécifique comme un avatar de l’origine sociale. Bien que les chances
d’accès à cette compétence non dispensée dans le cadre de la scolarité obliga-
toire soient à l’évidence très inégalement distribuées selon les groupes
sociaux, elle n’en exerce pas moins un effet propre qui, à la différence du
capital culturel, ne se manifeste pas seulement dans l’attrait pour les genres
savants. Celle-ci accroît aussi significativement la probabilité d’appartenir
aux classes II et III. Dans le premier cas, l’effet de la compétence musicale
s’exerce en l’absence de tout effet significatif autre que celui de l’âge.
L’attrait pour les genres musicaux caractéristiques de ce profil, distants tout à
la fois du pôle de la culture savante et de celui de l’industrie de la culture de
masse, peut être rapproché de ce point de vue de la subsistance de formes non
académiques d’acculturation musicale (harmonies, fanfares, orchestres de bal)
qui ont joué dans le passé un rôle essentiel dans la formation de la culture
musicale des classes populaires (Gumplowicz, 1987). Dans le second cas,
l’effet de cette variable s’exerce en l’absence d’effet significatif du capital
culturel, de l’origine sociale et du statut socioprofessionnel. En la matière,
l’apprentissage autodidacte prime la formation académique, comme le montre
la comparaison des effets marginaux associés à ces deux modalités d’acquisi-
tion de la compétence musicale (Tableau IVb), ce qui tend à renforcer la
dimension contre-culturelle de ce profil, que met aussi généralement en relief
la littérature consacrée à la formation des musiciens de rock (Bennett, 1980 ;
Mignon et Hennion, 1991). Plus généralement, cette influence de la pratique
musicale présente ou passée est à rapprocher de l’influence générale de
l’exposition aux arts par la pratique, en particulier dans l’enfance, dans
l’orientation des habitudes culturelles (Abbé-Decarroux, 1993).
*
* *
Trois remarques en guise de conclusion. En premier lieu, lorsqu’elle est
appréhendée à partir d’une nomenclature des genres, l’orientation des préfé-
rences musicales n’autorise pas de segmentation fine des univers symboliques
des différents groupes sociaux. Si les cadres supérieurs se distinguent nette-
ment des autres catégories par la diversité de leurs préférences et par une plus
grande familiarité avec la musique savante, l’appréhension de la stratification
des préférences à partir d’une nomenclature de ce type fait pour le reste
ressortir le constat d’une assez grande homogénéité des classes moyennes et
populaires dont l’environnement musical apparaît pour l’essentiel dominé par
la catégorie générique des variétés, ce qui contraste avec la très grande
27
Philippe Coulangeon
segmentation des goûts populaires qui prévaut dans d’autres sociétés occiden-
tales, en particulier dans la société nord-américaine (Peterson et Simkus,
1992 ; Peterson et Kern, 1996 ; Bryson, 1996). Cette unité peut être inter-
prétée comme le produit d’un effet de nomenclature, et l’on s’attend alors à ce
qu’elle ne résiste pas à l’adoption d’un découpage des genres plus fin. On
peut alternativement considérer que les facteurs ethniques et communautaires,
qui constituent les principaux facteurs de segmentation culturelle des classes
populaires américaines, ne connaissent pas d’équivalent dans la société fran-
çaise, où le principal facteur de segmentation des préférences demeure
d’ordre générationnel. Toutefois, les conclusions auxquelles nous parvenons
soulignent implicitement les limites d’une approche de la diversité des modes
de réception de la musique confinée à un découpage par genres, et appellent
des prolongements empiriques qui prennent appui sur la variété des formes
d’appropriation de la musique (Hennion, Maisonneuve et Gomart, 2000). Plus
généralement, la sociologie des pratiques culturelles, lorsqu’elle se fonde sur
des données d’enquête quantitatives, s’appuie sur des indicateurs qui ne
permettent pas véritablement de distinguer consommation et réception des
œuvres (Passeron, 1991), or le jeu des différenciations sociales dans les prati-
ques culturelles passe au moins autant par les objets consommés que par les
manières de les consommer et les finalités poursuivies par cette consomma-
tion.
En deuxième lieu, l’hypothèse de Peterson est confirmée sur les données
françaises mais elle ne constitue pas à proprement parler une alternative au
modèle de la légitimité culturelle et de la distinction, auquel elle ajoute en
quelque sorte une dimension supplémentaire. Les frontières symboliques que
les préférences musicales tracent entre les groupes sociaux se complexifient,
sans véritablement s’affaiblir. Le périmètre de la musique savante se recom-
pose mais il ne se dilue pas dans l’industrie de la culture de masse. Globale-
ment, les classes supérieures cultivées tendent à se démarquer nettement du
« goût moyen », caractérisé par l’écoute exclusive de la musique de variété, et
adhèrent en beaucoup plus grand nombre à une forme d’éclectisme éclairé qui
combine le goût de la musique classique et de l’opéra et l’attrait pour des
genres situés à la périphérie du domaine de la musique savante, comme le
jazz, en particulier. Au total, cet éclectisme éclairé met en œuvre les mêmes
ressources sociales et culturelles que celles décrites dans La distinction. Au
regard des données de l’enquête sur les pratiques culturelles de 1997 en
matière de goûts musicaux, il n’est donc pas possible de conclure que le
modèle de la légitimité culturelle constituerait le reflet d’une époque révolue.
La réévaluation nécessaire du modèle théorique proposé par la sociologie du
goût défendue par Bourdieu se situe en fait à un autre niveau, et il s’agit de la
troisième remarque qu’appelle l’examen des facteurs sociaux de la différen-
ciation des préférences musicales dans l’enquête sur les pratiques culturelles
des Français.
Si l’analyse sur les données françaises confirme la robustesse du lien entre
les caractéristiques sociales et l’orientation des préférences musicales des
individus, celui-ci apparaît sensiblement moins consistant que ne le suggère la
28
Revue française de sociologie
théorie de l’habitus. L’expression des goûts musicaux, qui apparaît aussi
spécifiquement liée à la compétence musicale des acteurs, n’est de fait réduc-
tible ni à une ressource de communication et de marquage symbolique des
identités sociales, ni à l’effet d’un schème générateur transposable d’un ordre
de pratiques à un autre. En ce sens, l’analyse des facteurs de différenciation
des préférences musicales souligne l’importance de la transmission explicite
des compétences qui interviennent dans la formation des goûts. Ce qui se joue
dans la différenciation sociale des goûts, ce ne sont donc pas seulement des
jeux de domination symbolique et d’arbitraire culturel mais, plus simplement,
l’inégale répartition de compétences génériques (capital scolaire) et de
compétences spécifiquement orientées (compétence musicale, en l’occur-
rence). Le rôle de l’apprentissage, sous toutes ses formes, ne peut en être que
conforté, ce qui indique l’espace qui demeure ouvert aux politiques de la
culture et de l’éducation.
Philippe COULANGEON
Centre de Sociologie du Travail et des Arts – EHESS-CNRS
105, boulevard Raspail – 75006 Paris
29
Philippe Coulangeon
30
Revue française de sociologie
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7.
ANNEXE B. – Test d’ajustement et hiérarchie des variables introduites
dans le modèle Logit
Pour les sept modèles décrits dans le Tableau a, on procède à un test qui
mesure la dégradation de la qualité de l’ajustement consécutif au retrait
successif de chacune des variables introduites dans le modèle complet. Cette
mesure est calculée sur la base du log-vraisemblance associé à chaque modèle
(– 2 Log L, noté ici L’), qui figure dans la deuxième colonne du Tableau b. On
reporte dans la cinquième colonne de ce tableau la différence entre L’ et L,
L mesurant le log-vraisemblance du modèle complet. Cette différence est
distribuée selon une loi du χ2, dont le nombre de degrés de liberté, égal à la
différence entre le nombre de degrés de liberté du modèle complet et celui du
modèle contraint (ddl-ddl’), traduit la réduction du nombre de paramètres
estimés pour chaque modèle par référence au modèle complet. Le test
présenté dans la septième colonne indique la significativité de la dégradation
associée au retrait de chacune des variables. Une dernière manipulation, qui
figure dans la colonne suivante, consiste à rapporter la différence L’-L à la
différence ddl-ddl’, ce rapport fournissant une mesure par degré de liberté de
la dégradation subie dans la qualité de l’ajustement du modèle aux données
lors du retrait de chaque variable. La comparaison des valeurs figurant dans la
dernière colonne du tableau permet de ce fait de hiérarchiser la contribution
apportée par chaque variable à la qualité de l’ajustement. Plus la valeur
reportée est élevée, plus cette contribution peut être considérée comme impor-
tante.
31
Philippe Coulangeon
TABLEAU a. – Description des modèles
Modèle complet : LogPj
P1
= bj0+bj1SEXE+bj2ÂGE+bj3DIPLÔME+bj4PCS+bj5REVENU+
bj6ORIGINE+bjMUSI
Modèle 1 (sans la variable SEXE) : LogPj
P1
= bj0+bj2ÂGE+bj3DIPLÔME+bj4PCS+
bj5REVENU+bj6ORIGINE+bj7MUSI
Modèle 2 (sans la variable ÂGE) : LogPj
P1
= bj0+bj1SEXE+bj3DIPLÔME+bj4PCS+
bj5REVENU+bj6ORIGINE+bj7MUSI
Modèle 3 (sans la variable DIPLÔME) : LogPj
P1
= bj0+bj1SEXE+bj2ÂGE+bj4PCS+
bj5REVENU+bj6ORIGINE+bj7MUSI
Modèle 4 (sans la variable PCS) : LogPj
P1
= bj0+bj1SEXE+bj2ÂGE+bj3DIPLÔME+
bj5REVENU+bj6ORIGINE+bj7MUSI
Modèle 5 (sans la variable REVENU) : LogPj
P1
= bj0+bj1SEXE+bj2ÂGE+bj3DIPLÔME+
bj4PCS+bj6ORIGINE+bj7MUSI
Modèle 6 (sans la variable ORIGINE) : LogPj
P1
= bj0+bj1SEXE+bj2ÂGE+bj3DIPLÔME+
bj4PCS+bj5REVENU+bj7MUSI
Modèle 7 (sans la variable MUSI – compétence musicale) : LogPj
P1
= bj0+bj1SEXE+bj2ÂGE+
bj3DIPLÔME+bj4PCS+bj5REVENU+bj6ORIGINE
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32
Revue française de sociologie
TABLEAU b. – Test d’ajustement des modèles
L L' ddl ddl' L'-L ddl-ddl' p (L'-L)/(ddl-ddl')
Modèle complet 9757 64
Modèle 1 9780 60 23 4 < ,0001 5,8
Modèle 2 10251 60 495 4 < ,0001 123,7
Modèle 3 9807 60 51 4 < ,0001 12,7
Modèle 4 9866 32 109 32 < ,0001 3,4
Modèle 5 9831 56 74 8 < ,0001 9,3
Modèle 6 9793 60 36 4 < ,0001 9,1
Modèle 7 9806 56 49 8 < ,0001 6,1
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