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UNIVERSITE PAUL CEZANNE AIX MARSEILLE III
ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
Doctorat
Droit public
Mlanie MACARIO
Lamnagement des centres-villes : la mobilit,
vecteur et acteur de la centralit urbaine
Thse dirige par le Professeur Jean-Claude RICCI, Professeur des Universits.
Soutenue le 20 janvier 2012.
Jury :
Madame Elise CARPENTIER, Professeure des Universits, Universit du Maine.
Monsieur Vincent RENARD, Directeur de recherches au CNRS, Conseiller la
direction de lInstitut du dveloppement durable et des relations internationales
Sciences Po.
Monsieur Jrme TREMEAU, Professeur des Universits, Universit dAix-Marseille 3.
Monsieur Jean-Claude RICCI, Professeur des Universits, Universit dAix-Marseille 3,
Directeur de lInstitut dEtudes politiques dAix en Provence (1996-2006).
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REMERCIEMENTS
Mes remerciements sadressent tout dabord mon directeur de thse, Monsieur Jean-Claude
RICCI, pour avoir accept de suivre ce travail qui avait dbut sous la direction de Monsieur
Albert LANZA, alors Directeur du Centre dEtudes Juridiques dUrbanisme, et pour mavoir
permis, par ses conseils, sa rigueur, et son professionnalisme, de mener cette thse son
terme.
Je tiens galement remercier Madame Franoise ZITOUNI, matre de confrences
lUniversit dAix-Marseille 3, pour sa disponibilit, sa gentillesse et son aide prcieuse au
dbut de cette recherche.
Je remercie bien-sr Stphane qui, depuis de nombreuses annes, ma paul dans cette tche,
a support mes tats dme ainsi que mes absences, et sans lequel cette thse naurait pas
abouti. Jadresse galement toute ma reconnaissance mes beaux parents, Michel et Daisy,
pour avoir pris le plus grand soin de ma petite Juliette afin de me permettre de terminer la
rdaction de ce travail.
De profonds remerciements vont aussi mes parents pour leur soutien au cours de ces
longues annes dtudes, lintrt quils ont port cette recherche, la patience et la
comprhension dont ils ont fait preuve aux moments les plus difficiles.
Je dois galement remercier Alexia, ma meilleure amie, ma moiti, ainsi que Marie-Thrse,
pour avoir lu lintgralit de cette thse et fais part de leurs remarques et suggestions. Mes
remerciements vont galement mon amie Chantal qui, par sa matrise de loutil
informatique, ma vit bien des soucis dans la mise en forme de ce travail. Enfin, je tiens
galement remercier mon beau pre, Yann, ainsi que Ppita et Linda, qui ont accept de
traduire le rsum de cette thse en anglais et en espagnol.
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A Juliette,
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SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE : La recherche dun quilibre entre la densit et le dveloppement
de la mobilit
TITRE I : La ddensification des centres-villes : compromis entre la qualit de vie et
lexigence de mobilit
Chapitre I : Lorigine des politiques de ddensification : lamlioration de la
qualit de vie
Chapitre II : Le paradoxe des politiques de ddensification : la paralysie du
centre-ville
TITRE II : La densification des nouvelles centralits : la recherche dune attractivit
fonde sur la mobilit
Chapitre I : Les dsquilibres induits par les concentrations mono-
fonctionnelles : lexemple des centralits commerciales priphriques
Chapitre II : De nouvelles centralits pour de nouveaux territoires : la
recherche dun quilibre entre densit et attractivit
SECONDE PARTIE : La recherche dun quilibre entre laccessibilit et la matrise de
la mobilit
TITRE I : Laccessibilit du centre-ville par llaboration dune politique de
stationnement
Chapitre I : Stationnement et diversits des situations
Chapitre II : Les outils de rgulation et de gestion du stationnement
TITRE II : Laccessibilit du centre-ville par llaboration dune politique de gestion
des temps
Chapitre I : Les nouvelles pratiques sociales et lvolution des rapports spatio-
temporels
Chapitre II : La prise en compte de laspect temporel par les institutions : une
rforme ncessaire mais inacheve
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IInnttrroodduuccttiioonn
Le risque est grand de vouloir enfermer la problmatique du centre dans une formulation
spatiale et une fois dlimites ses frontires, de sen tenir une analyse limite celles-ci
Jean-Paul LEVY1.
Lide de centre et, spcifiquement, de centre-ville est une fausse ide simple. Pour
galvaud et amplement utilis quil soit, le mot centre-ville ne se laisse pas aisment
dceler et percevoir. Certes, le sens commun permet de comprendre ce quest le centre et, en
un certain sens, il permet mme de voir o il est, surtout par rapport ses antinomies
conceptuelles fonctionnelles et physiques (ou topographiques) que sont la banlieue ou la
priphrie . Mais dune part, ce nest l quun aperu en creux de la notion de centre,
dautre part, et ce sera une constante de la difficult du sujet, le centre ne peut jamais tre
pens ou trait en soi. Bien au contraire, il est dans un rapport constant dinteraction avec ce
qui lentoure : centre sans priphrie ou priphrie sans centre donnerait lieu une
gymnastique intellectuelle des plus inconfortables. Chacun de ces deux grands ensembles agit
sur lautre dont il reoit, en retour, des effets. Ceci permet de comprendre que parler de
lamnagement des centres-villes est une manire cursive et donc, la limite, inexacte car
incomplte, de dire les choses. Une solidarit physique mais aussi conomique, culturelle,
sociale unit les diverses composantes du tissu urbain, que ce soit dailleurs sous la forme
dune complmentarit ou dune opposition.
Lide dengager une rflexion sur lamnagement des centres-villes est issue de lobservation
de situations conflictuelles rcurrentes dont les origines, particulirement anciennes, rvlent
un mode de raisonnement urbanistique dans lequel lhistoire, la gographie, la sociologie et le
bon sens souffrent dtre soit insuffisamment mobiliss, soit artificiellement mis en
opposition ou, encore, sur-estims ou sous-estims. Il faut reconnatre, la dcharge des
responsables de tous ordres ayant intervenir en cette matire, que la tche est ardue et que
lamnagement recouvre, en matire de centre-ville plus quailleurs, un champ dapplication
multi dimensionnel et pluridisciplinaire :
1 J-P. LEVY, Centres-villes en mutation , Paris, d CNRS, coll Sciences sociales, 1987, p. 30.
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- Multi dimensionnel parce quil est plus que jamais ancr dans un pass qui, aussi
lointain soit-il, semble toujours dactualit : outre laspect morphologique, les
questions qui touchent la qualit de vie, la fluidit des dplacements et au prestige
conomique ont de tout temps constitus le fondement des interventions ralises dans
les centres. Les motivations conomiques et sociales ont volues, mais demeurent
assises sur des principes identiques dans lesquels la fonction lemporte sur lindividu.
- Pluridisciplinaire parce que la multifonctionnalit des centres-villes suppose de
prendre en compte nombre daspects relevant de disciplines diffrentes et dont certains
saccommodent mal dune rglementation. Maintenir lattractivit dun centre-ville ne
se rsume pas de simples amnagements matriels visant disposer avec ordre les
habitants, les constructions, les activits, les quipements 2 : cela suppose une
volont des usagers de partager quelque chose en commun, une communaut
dintrts qui tend aujourdhui, dans un contexte de mondialisation conomique et
ethnique, disparatre. Le dfi est alors de taille puisquil sagit dsormais de concilier
des intrts de plus en plus divergents, mais surtout de les anticiper sachant que leur
volution nobit par au mme rythme que celui de lamnagement urbain.
A ces inconvnients qui coexistent dans lespace, sajoute un autre lment, facteur de
complexit du sujet : il sagit de la gestion du temps urbain. Un auteur fait trs justement
observer : Lamnagement est donc insparable de lhistoire, du patrimoine comme de la
prospective 3. Toute question contemporaine durbanisme suppose, pour sa correcte
rsolution, la fois, la prise en compte de lhritage historique et la capacit se projeter dans
le futur, sans oublier quentre les deux se placent les urgences et les limites (souvent
financires) du prsent. Dans le cas dun centre-ville, la difficult nest pas loin dtre une
quadrature du cercle dans la mesure o chacun des paramtres prendre en considration,
valuer correctement et combiner avec les autres aussi heureusement que possible, se trouve
amplifi tout simplement parce quil sagit du centre.
Enfin, last but not least, en matire de centre-ville, le choix du terme amnagement peut
paratre inappropri dans la mesure o prtendre amnager un lieu, cest avant tout prtendre
le matriser dans le but de ladapter lusage que lon souhaite en faire. Or le centre-ville
nest pas un lieu comme les autres sur lequel une action volontaire des pouvoirs publics
suffirait crer, recrer ou maintenir lattractivit. Sans doute est-ce la raison pour laquelle
cette action a pris les dnominations les plus diverses et les plus prtentieuses : de la
2 P. MERLIN, F.CHOAY, Dictionnaire de lurbanisme et de lamnagement , 2
me d, Quadrige, 2009, p. 40.
3 Ibid., p. XI.
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redynamisation la reconqute en passant par la revitalisation , le centre apparat
comme un espace-objet que lon pourrait se rapproprier et mme ressusciter ! A la diffrence
de lide positive qui dcoule du mot amnagement , ces diverses expressions laissent
entendre que les centres-villes seraient en danger et quil y aurait urgence mettre en place un
processus de sauvetage visant rtablir un tat antrieur. A ce titre, elles traduisent lannonce
par les pouvoirs publics dune action ponctuelle forte afin dinverser un processus de
pauprisation qui, partant du centre, gangrne progressivement lensemble de la ville. Le
choix du terme amnagement dans le cadre de notre tude vise au contraire insister sur
lintrt dagir dans la dure, de mener une action continue dans le temps en se fondant sur
une observation permanente des pratiques des usagers, c'est--dire en inversant la logique de
primaut de la fonction sur lindividu.
Cest pourquoi notre propos ne sera pas ici dlaborer une mthodologie damnagement des
centres-villes ; nous en serions bien incapable et ce pour deux raisons bien simples : la
premire est dordre subjectif et tient au fait que le centre-ville est empreint dune
symbolique, critre qui nest pas amnageable sauf considrer que lon puisse
sapproprier lhistoire et lidentit des individus; la seconde est plus concrte et se fonde sur la
rapidit dvolution de la socit moderne qui, en se cristallisant au centre des villes, entrane
une remise en cause permanente des projets. La nouvelle structuration des villes traduit
lvolution de cette socit qui repose sur des flux qui ne sont pas toujours localisables mais
qui irriguent dsormais le cur de nos villes.
Dans cette nouvelle structuration, les centres-villes doivent tre reconsidrs lchelle des
nouveaux paramtres qui fondent les socits modernes. Comme la analys Manuel Castells,
le centre se spcialise de plus en plus dans les tches de gestion, dinformation et de
dcision des grandes affaires capitalistes. Il devient changeur, coordinateur, dcideur
dactivits qui sont elles dcentralises 4. Autrement dit, son contenu tend devenir virtuel
ce qui nous conduit nous interroger sur les limites de lamnagement urbain en la matire.
Cette approche peut paratre paradoxale en ce sens quelle traite du matriel et de
limmatriel ; elle est nanmoins novatrice en ce quelle tente de faire tomber des frontires
disciplinaires qui constituent nos yeux la faiblesse des politiques damnagement ; elle est
enfin complexe et incomplte dans la mesure o elle aborde des domaines trangers au droit
qui, compte tenu de la finalit juridique de ce travail, ne seront dvelopps que partiellement.
Dans ce contexte, il nous incombait de revisiter le concept damnagement, de lactualiser en
4 P. BLANQUART, Une histoire de la ville, pour repenser la socit , Paris, d la Dcouverte, coll Cahiers
libres : essais, 1997, p. 151.
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lapprhendant dans son sens le plus large c'est--dire en amont des oprations : amnager les
centres-villes, certes, mais pour qui et pourquoi ? Quel rle sont ils appels jouer dans la
ville du XXIme
sicle ? Y ont-ils mme encore un rle ?
Cest donc parce que le centre-ville reprsente bien plus quune simple catgorie de lespace
urbain que nous avons choisi de dpasser le concept juridique damnagement, limit, par
larticle L. 300-1 al 1 CU, lensemble des actions ou oprations ayant pour objet de : ()
mettre en uvre un projet urbain, une politique locale de lhabitat, dorganiser le maintien,
lextension ou laccueil des activits conomiques, de favoriser le dveloppement des loisirs
et du tourisme, de raliser des quipements collectifs, de lutter contre linsalubrit, de
permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bti
ou non bti et les espaces naturels .
Il faut dire que ce choix nous est apparu au fur et mesure de nos recherches et quen
choisissant de faire porter cette thse sur lamnagement des centres-villes, nous avions pour
objectif initial de rechercher les dysfonctionnements du droit de lurbanisme dans un contexte
spatial limit : celui du Centre de la Ville, entendu comme centre unique, puissant, fdrateur
et symbolique. Essentiellement juridique, cette tude prsentait le risque de ne livrer quun
aperu partiel des problmatiques des centres en se limitant une tude des outils
oprationnels permettant de concilier densit, accessibilit, et multifonctionnalit. A ce titre,
elle prsentait plusieurs faiblesses :
- dune part, elle supposait de traiter le centre-ville de faon isole, comme sil eut t
possible que celui-ci fonctionne en autarcie ;
- dautre part, elle avait pour effet de laisser sans rponse nombre daspects spcifiques au
centre mais trangers au droit de lurbanisme ;
- enfin, elle ludait la question, ou plutt lnigme de la centralit urbaine.
De ce fait, cette vision sest rapidement rvle sans issue et cest en linversant quune tout
autre problmatique du sujet nous est apparue. Il sagissait en effet non pas de partir dune
tude exhaustive des outils juridiques couramment utiliss dans les centres : ces outils sont
principalement orients sur la protection du patrimoine, la production de logements et la
relance de lactivit conomique et une telle analyse ne rendait compte que de faon partielle
de la complexit inhrente llaboration de politiques damnagement en centre-ville. En
effet, alors que les centres-villes sont le terrain privilgi de la superposition de plusieurs
outils juridiques oprationnels et quils sont ce titre les lieux les plus rglements de la ville,
leur amnagement semble sans cesse inachev, voire inadapt.
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Aussi nous a-t-il sembl quil fallait plutt replacer la problmatique du centre-ville dans sa
globalit, c'est--dire dans son fonctionnement interne caractris par une importante densit
btie, humaine et fonctionnelle, mais galement dans sa relation avec le reste de la ville et les
autres territoires urbains, ce vaste ensemble pris globalement tant, dabord, caractris par
une mobilit gnralise. Cette double approche est en effet indispensable dans la mesure o
le centre-ville est une notion transversale qui touche, par ses multiples fonctions, matrielles
et immatrielles, lensemble de la question urbaine. Lemploi gnralis dun vocabulaire
mdical tmoigne en effet de sa fonction vitale dans lquilibre de la Cit : ainsi, Jean-Paul
Levy voque sa dimension matrielle en dsignant le centre comme le cur qui bat dans la
ville, le cerveau qui contrle et commande celle-ci, le poumon par lequel elle respire 5. Le
centre reprsente, dans une socit dsormais marque par la rapidit des changements de
toutes natures, le lien fondamental avec le pass qui contribue lquilibre et au prestige de
lensemble de la ville et se dcrit le plus souvent comme lespace urbain originel, celui qui a
donn naissance la cit et qui constitue un peu son me. Ainsi, et cest en cela que rside
toute la complexit de notre tude, on ne peut voquer le centre sans voquer la ville, ni
voquer la ville indpendamment de son centre. Pourtant, la reconnaissance du centre comme
moteur de la cit est particulirement rcente : elle remonte en effet la deuxime moiti du
XXe sicle, priode au cours de laquelle, aprs avoir t dlaiss au profit de lamnagement
priphrique, le centre sest vid de ses populations, de son commerce et de son attractivit.
Son dclin urbanistique, social et conomique est donc indiscutablement li au phnomne
dtalement urbain et tout ce que celui-ci implique. Ds lors, notre sujet sest complexifi,
slargissant au fur et mesure des dveloppements autour de deux notions finalement
centrales : celle de la mobilit et celle de la centralit.
Reflet des modes de vie, la mobilit se manifeste par de nouveaux modes dappropriation de
lespace et du temps dont linstabilit fragilise ce lien vital qui unit le Centre, entendu comme
centre unique, et le reste de la ville. On sait aujourdhui que lexplosion de la mobilit
individuelle a aggrav le phnomne dtalement urbain et que celui-ci a favoris lapparition
ou la cration de nouveaux lieux que lon a coutume de dsigner sous lexpression quivoque
de nouvelles centralits . Ces nouveaux centres auraient pu tre qualifis de nouveaux
centres-villes mais on a tenu maintenir une distinction qui repose davantage sur le contenu
de ces divers centres que sur leur localisation. De leur relation avec le centre dpend
lquilibre de la ville, quilibre quil convient de plus en plus souvent dapprhender dans le
5.J-P LEVY, Centres-villes en mutation , op. cit., p. 27.
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cadre dune organisation polycentrique. La centralit peut en effet tre unique ou multiple,
mais dans les deux cas, son pouvoir dattraction repose principalement sur son accessibilit et
partant, sur le dveloppement et la matrise de la mobilit qui est absolument ncessaire pour
se rendre dans le centre et pour en sortir. La centralit et la mobilit constituent donc un
principe organisateur de lespace urbain. En fait, on peroit trs vite quil sagit de deux
manires de dcrire une identique ralit ; ceci se comprend lorsque se constate combien elles
prsentent de nombreux points communs :
- dune part en ce quelles dpendent directement des processus de transformations de
la socit urbaine,
- dautre part en ce que les interactions qui sexercent entre le centre et la priphrie
sont du mme ordre que les interactions existant entre centralit et mobilit,
- enfin en ce quelles soulvent toutes deux des questions de justice sociale quil
convient de traduire dans un projet politiquement correct .
On comprendra donc que ce nest pas sans crainte que nous aborderons ces diffrentes
questions qui mlent la fois logiques spatiales et temporelles, flux matriels et flux
immatriels, relativisant ainsi le rle du Droit dans la possibilit de rglementer lorganisation
et lutilisation des centres-villes en fonction de ces logiques. Cette notation est dautant plus
renforce en matire de centre-ville quelle y est accrue par deux facteurs :
- dune part, le centre-ville est un espace extra et supra-territorial dans la mesure o son
rayonnement agit lchelle de la ville et en fait un lieu suprieur aux autres ;
- dautre part, la centralit urbaine est dtachable du centre-ville en ce sens quelle peut
tre produite 6 sur nimporte quelle partie du territoire urbain.
Il nous faut, prsent, pour bien fixer le cadre de ltude, analyser plus prcisment le sens du
mot centre pris ici dans sa ralit concrte comme espace, en un lieu dtermin dune ville
ou dune zone urbaine. A cet gard, sil tait permis, jusqu prsent, den rester une
acception somme toute fruste du centre , il convient dsormais den prendre toute la
mesure, la fois pour en montrer toute la richesse et donc la complexit, et pour sassurer de
lexacte comprhension de lobjet amnager. Or cet gard, deux observations simposent,
lourdes de consquence pour la suite de ce travail.
En premier lieu, concernant sa localisation, ce qui est, aprs tout, la fonction premire du
choix du mot centre-ville , force est de constater que cette localisation oscille en ralit
6 Nous reprenons ici la formulation consacre par J-S. BORDREUIL dans le titre de sa thse, La production de
la centralit urbaine , thse sociologie urbaine, Toulouse 2, 1987, 885p.
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entre deux ples : celui du centre-ville entendu comme centre de la ville , avec une
connotation quasi gomtrique, et celui du centre-ville comme tant au centre de la ville
o cest ici le fonctionnel qui lemporte sur le physique (I).
En second lieu, sagissant non plus de la localisation du centre-ville mais de celle de la
centralit urbaine, se dvoile un processus o la centralit est concurrence par les centralits
(II).
I. La localisation du centre-ville : du centre de la ville au centre dans la ville
Au sens littral du terme, le centre se dfinit comme un point situ gale distance de tous
les points dune circonfrence ou de la surface dune sphre 7. Dans cette acception, le
centre est donc le centre de quelque chose didentifiable, de mesurable et de concret. Pourtant,
le centre-ville saccommode mal dune dfinition aussi rationnelle : au contraire, la
subjectivit qui est la sienne en fait une notion glissante, insaisissable et qui a dj fait lobjet
de rflexions particulirement riches sans parvenir toutefois le dfinir prcisment. Cette
subjectivit tient dune part au fait que le centre-ville peut se concevoir en dehors de toutes
considrations gomtriques : le centre-ville ne se situe par forcment au centre de la cit
(A) ; dautre part au fait que son fonctionnement et son attractivit sont intrinsquement lis
la mobilit des personnes et des biens : il est, la fois et sans paradoxe, le symbole de la
fixit, donc de limmobilit et, dune certaine faon, le produit et le vecteur de la mobilit (B).
A/ Le paradoxe dun centre qui nest pas forcment au centre
Le centre de la ville nest pas un point mais un lieu qui, sil concide gnralement avec le
centre primitif et correspond au site originel qui a t choisi en fonction de
proccupations dune autre poque : dfense, march, administration() 8, ne constitue
plus forcment le centre actif de la ville moderne. En principe, il y adquation entre centre
gomtrique de la ville et centre topologique : cest notamment le cas dans les villes fortifies
o il abrite un chteau, un tablissement religieux, ou une abbaye, ainsi que dans les villes
construites autour dun carrefour fluvial ou ferroviaire. Toutefois, il peut galement tre situ
en dehors de toute considration gomtrique : il en est ainsi dans les villes portuaires o le
centre se situe en bordure de mer en raison de lattractivit conomique lie la prsence du
port. Si le centre de la ville en tant que centre topologique nest pas forcment le centre
7 Dictionnaire encyclopdique Hachette 2001.
8 P. MERLIN, F.CHOAY, Dictionnaire de lurbanisme et de lamnagement , op. cit., dfinition du centre
topologique, p. 159.
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gomtrique, cela signifie quil ne peut se contenter dune identification essentiellement
fonde sur sa situation. Le fait dtre au milieu de quelque chose ne suffit pas qualifier le
centre de la ville de centre-ville : cest ltablissement des principales fonctions de la
communaut qui qualifie le centre-ville, c'est--dire que cest parce que le site correspondait
avec lexploitation quentendait faire la communaut dune ou plusieurs fonctions quil a t
choisi. Le lieu et la fonction sont donc lis, mais les caractristiques du lieu ncessaires
lexercice de la fonction nobissent pas forcment des principes gomtriques : dans les
centres anciens, elles relvent galement de considrations dfensives, gographiques,
conomiques, politiques et religieuses.
Cest donc le but poursuivi par la communaut qui a dtermin le choix du lieu, ce qui
explique que le centre-ville initial ne concide plus forcment avec le centre-ville actuel. Les
proccupations de la socit civile ont volu et ont entran une remise en cause de la
localisation du centre de la ville et du rle du centre dans la ville. Ce constat nest pas rcent :
on le retrouve propos de lAcropole qui, alors quil abritait le Palais et constituait le lieu de
culte, verra un nouveau centre apparatre dans la plaine : lAgora. Centre vocation
essentiellement politique et civile, il symbolise alors la mise en place dun nouveau systme
social et dmocratique9. Form dune place rectangulaire sur laquelle donnaient les difices
les plus importants, cet espace libre, entirement lacis et qui navait pas daffectation
prcise, sest vu au fil du temps investi par les commerants et les artisans et a acquis une
importance conomique telle que lAcropole devint un simple lieu de culte et cessa dtre
utilis comme citadelle. A chaque mutation sociale, conomique ou politique correspond un
dplacement du centre de la ville et/ou une remise en cause du rle du centre dans la ville : en
ce sens, la suprmatie du centre-ville sur les autres espaces souffre dune certaine prcarit
puisque ces derniers peuvent venir le concurrencer jusqu le remplacer. Ainsi, durant le
premier millnaire, la multiplication des sites fortifis a remis en cause le monopole du centre
de la ville mdivale dans lexercice du pouvoir et du commerce : la dcadence de lautorit
souveraine et les antagonismes politiques et religieux ont alors favoris lapparition des
premiers chteaux ruraux et limplantation dtablissements religieux aux pieds des villes.
Pour certains dentre eux, en gnral ceux qui taient le mieux situs, lexercice du pouvoir et
de la protection qui y tait attache ont attir des activits commerciales et avec eux, des
plerins qui se sont sdentariss jusqu former de nouveaux noyaux urbains.
9 Il sagit du synoecisme, c'est--dire la runion de plusieurs villages en une cit avec galit des droits entre les
diffrentes composantes et formation dinstitutions politiques et culturelles unifies.
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Lieu et contenu du lieu constituent donc des lments de reconnaissance du centre-ville en ce
quils permettent de localiser ltablissement des principales fonctions de la communaut
urbaine. Pour autant, ils demeurent inoprants lorsquil sagit de le dlimiter prcisment.
Cette question est en effet rcurrente et aucun spcialiste de lurbain ne peut prtendre fixer
des limites tangibles au centre sous peine darbitraire : le centre-ville est spatialement
indlimitable parce quil fait lobjet dun processus de recomposition permanente qui nobit
pas seulement des logiques spatiales et rationnelles.
- Cette recomposition est tout dabord fonctionnelle et on observe que le dpart de
certaines activits est compens par limplantation dactivits diffrentes : le centre-
ville nest donc pas vou disparatre mais sadapter lvolution de lorganisation
urbaine et des modes de vie. Cette adaptation se traduit principalement par un
mcanisme de raffectation qui peut tre global lorsquil concerne un quartier entier
du centre-ville ou ponctuel lorsquil ne touche quun btiment isol.
- Ensuite, cette recomposition est galement sociale, historique et philosophique et ce
titre confre au centre une dimension immatrielle, intemporelle et symbolique qui se
prte mal tout exercice de dlimitation. Le centre est empreint dun vcu et vhicule
limage de lintensit de la vie urbaine dans tout ce quelle a pu et peut encore avoir de
positif comme de ngatif. Cest bien la raison pour laquelle il ne peut faire lobjet
dune approche essentiellement physique, cette intensit tant insaisissable et perue
diffremment selon les poques et les populations.
- Enfin, et lexpression quartier du centre-ville le confirme, cette recomposition est
galement spatiale : en effet, le centre avance, grandit, absorbant peu peu le
pricentre qui finit lui aussi par se retrouver au cur de la vie urbaine. On y distingue
dsormais plusieurs quartiers tels que le centre historique, le centre des affaires, le
centre politique Dans les mtropoles, ces quartiers centraux peuvent stendre sur
des surfaces particulirement vastes au point quil est apparu ncessaire didentifier le
cur du centre, de lui donner une dnomination distincte du centre-ville apte
retranscrire la puissance et lattractivit de ce lieu. Sorte de centre du centre-ville,
lhypercentre se caractrise par laccumulation dactivits de plus en plus
spcialises et raffines 10
. Lemploi du prfixe hyper contient une rfrence
implicite labondance, lexcs et la rapidit de la socit moderne, ce qui
constitue dailleurs un paradoxe dans la mesure o il correspond le plus souvent avec
10
P. MERLIN, F.CHOAY, Dictionnaire de lurbanisme et de lamnagement , op. cit., p. 157.
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le centre historique, reflet dune poque o le temps tait peru et utilis
diffremment.
Ce principe de recomposition permanente a pour effet de brouiller les pistes et saccorde
mal avec la vision sectorielle qui commande tant les dispositifs de planification et de
programmation que les outils oprationnels mobiliss dans les centres-villes. Il tmoigne du
fait quil est utopique de procder une identification prcise dventuelles limites spatiales,
le rle du centre tant par nature de les dpasser en produisant une dynamique lchelle de la
ville toute entire. Le centre-ville est un espace qui sidentifie davantage par rapport ses
enjeux, un territoire dinfluence qui ne comporte pas de limites franches. Cest pourquoi on ne
saurait se contenter dune approche purement gomtrique pour envisager le rle que ce
centre assure dans la ville. En tant que lieu de convergence des flux urbains, lapprhension
du centre des fins damnagement est donc plus dialectique quon ne le pense
ordinairement. Elle suppose danalyser les mouvements lorigine de ses forces, comme de
ses faiblesses, et de les intgrer, tant bien que mal compte tenu de la pluridisciplinarit de la
dmarche, au sein des politiques damnagement. Ces mouvements sont dorigine trs
diverses : ils sont la consquence des pratiques sociales, professionnelles et ludiques de la
population urbaine et sont la base de la dynamique des centres-villes.
B/ Le paradoxe dun lieu qui associe mobilit et immobilit
Le centre obit une double logique de rception et de rejet des flux de toutes natures quil
convient danalyser afin dvaluer dans quelles mesures celle-ci peut renforcer son attractivit
ou au contraire lui tre nfaste. Ce mouvement incessant daller-retour, cette force la fois
centripte et centrifuge pour reprendre une expression employe par les conomistes, illustre
le fait que la mobilit est pour le centre ce que le centre est pour la ville :
- dun point de vue interne, elle suppose que lon puisse y accder et sy dplacer ;
- dun point de vue externe, elle constitue son mode dapprovisionnement, sa nourriture
et conditionne par l mme son rle dans le systme urbain qui lentoure.
Nanmoins, si le centre et la mobilit ne peuvent se concevoir indpendamment lun de
lautre, la question se pose de savoir si, en ralit, il nen a pas toujours t ainsi ou sil faut
considrer quil sagit l dun aspect nouveau, inhrent la modernit des modes et des motifs
de dplacements ?
Si lon devait retenir la seconde branche de cette alternative, il faudrait admettre que la
dfinition du Centre est appele changer selon les poques, mais galement selon les pays
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en fonction de leur niveau de dveloppement. Pour dterminer dans quelle mesure cette faon
de voir et de dcrire les choses est, ou non, exacte, il nous a fallu retourner aux origines des
centres-villes, ces noyaux urbains qui se sont par la suite retrouvs au cur de villages, puis
de cits. La sdentarit qui caractrisait alors les modes de vie pourrait laisser penser que la
mobilit est un fait rcent et que les centres nont pu se dvelopper quen raison de la fixit
des populations. Ce nest pas tout fait le cas. Certes, lusage du terme de mobilit est
relativement rcent puisquil remonte, tout comme lexpression de phnomne urbain qui
lui est indirectement lie, aux annes cinquante, priode charnire pendant laquelle les modes
de vie urbains ont connu, sur un temps relativement court, de profonds bouleversements.
Lapparition concomitante de ces deux termes dans le vocabulaire urbain nest dailleurs pas
un hasard : alors que la mobilit se dfinit comme la propension dune population se
dplacer 11
, le phnomne urbain voque les changements en cours et constitue un des
traits les plus frappants de la civilisation contemporaine 12
. Pour autant, si le terme ntait
pas consacr, la mobilit a toujours t au cur du fonctionnement puis du
dysfonctionnement des centres-villes.
- Au cur du fonctionnement dabord, parce que celui-ci fut pendant longtemps dict
par des logiques tenant lexercice du pouvoir et du commerce : les cits antiques ne
pouvaient fonctionner en autarcie dautant que les conqutes, et donc les dplacements,
contribuaient renforcer le pouvoir du souverain rsidant au centre de la ville et assurer le
ravitaillement des populations. Ainsi, le prestige attach aux centres anciens tient au fait quils
ont dabord t un lieu o se sont cristalliss le pouvoir et la richesse dun peuple par rapport
un autre peuple. Lacropole, lagora, les oppida et les chteaux urbains participaient tous de
cette double fonction et leur rle de catalyseur dans la vie urbaine est indissociable des
victoires et des dfaites sur le monde extrieur. Ces externalits taient particulirement
visibles sur les places publiques o les changes entre les habitants et les trangers
symbolisaient la relation du centre avec lextrieur.
- Au cur du dysfonctionnement ensuite, parce que cest pour se protger des
invasions que les villes se sont dotes de fortifications lorigine dune surdensit btie et
humaine favorisant les embouteillages, la diffusion des pidmies et la fuite des populations.
Sil ne sagissait pas vritablement de mobilit rsidentielle ou professionnelle, du moins
lhistoire urbaine tmoigne-t-elle de limpact de ces mobilits guerrires sur la qualit ou
la mdiocrit des conditions de vie en centre-ville. Ce qui se passait lextrieur tait alors
11
P. MERLIN, F.CHOAY, Dictionnaire de lurbanisme et de lamnagement , op. cit., p. 542. 12
J. BEAUJEU-GARNIER, G. CHABOT, Trait de gographie urbaine , Paris, A. Colin, 2me
d, 1967, p. 7.
-
20
dterminant de ce qui se passait lintrieur ; bien y regarder, la situation na pas beaucoup
chang : les dplacements ne seffectuent plus, fort heureusement, pour les mmes raisons
mais continuent toutefois produire des effets plus ou moins pervers sur le fonctionnement du
centre-ville.
Entre ces deux schmas extrmes, il convient donc dadmettre que la mobilit constitue un
lment de dfinition du centre et de sa centralit. Pour autant, ce constat nest pas rassurant
car cest ajouter un concept difficilement dfinissable un autre concept tout aussi flou. Cest
rapprocher linstabilit de lattractivit dun point nvralgique linsaisissabilit des
mouvements matriels et immatriels qui animent la socit moderne. Car si la mobilit
saffirme aujourdhui comme un enjeu socital, cest avant tout parce quelle symbolise le
nomadisme de lre moderne : en ce sens, elle apparat en contradiction avec le centre-ville
qui symbolise la sdentarit. Alors quelle prenait la forme, dans les socits anciennes, de
simples dplacements physiques, elle se dcline aujourdhui au travers les formes les plus
varies de la vie moderne : on parle ainsi de mobilit rsidentielle, professionnelle,
tudiantetout comme lon parle dailleurs de centralit commerciale, symbolique,
politiqueFace cette mobilit gnralise, la relgation du terme de dplacement au
domaine des transports atteste de lampleur et de la diversit des mouvements luvre en
milieu urbain. A la diffrence du dplacement, notion en dfinitive assez stable, la mobilit
est une notion volutive dans lespace et dans le temps.
- Dans lespace, parce quelle traduit simultanment labolition des distances,
lurbanisation de la priphrie et lapparition de nouvelles centralits. Ces dernires, dans un
premier temps leves au rang de concurrentes du centre-ville, font dsormais partie du
paysage urbain et ont intgr, assez rcemment dailleurs, les politiques damnagement.
Reconsidres lchelle de la mtropole, elles rpondent des pratiques de mobilits
diffrentes de celles observes dans les centres-villes et sont, ce titre, appeles jouer un
rle distinct de ces derniers.
- Dans le temps, parce quelle est lexpression des modes de vie et des attentes des
individus. Elle constitue donc linstrument concret de la mise en uvre du droit lemploi,
lducation, au logement, la consommation, la culture et aux loisirs 13
: ce titre, elle
revt une dimension fluctuante en raison de linstabilit politique, sociale et conomique qui
caractrise ces domaines et saccommode mal de limmutabilit morphologique, mais
nanmoins rassurante, du centre-ville. En effet, face ces mutations conjoncturelles, les
13
F. ASCHER, Enjeux socitaux de la mobilit, Urbanisme, avril 1999, hors srie n12, p. 11.
-
21
centres-villes ont souffert dobsolescence et leur amnagement, ou plutt devrait-on dire leur
r-amnagement, se heurte des logiques socio-conomiques qui tendent modifier leur
quilibre interne.
Ainsi :
- la protection et aux commodits quoffrait autrefois le centre aux populations ont succd
linscurit et linconfort ;
- la convivialit quoffrait autrefois la prsence du march a succd lanonymat des
commerces issus des grandes enseignes ;
- aux valeurs et au pass communs vhiculs par la prsence de nombreux monuments a
succd un multi-culturalisme enrichissant mais dstabilisant ;
- lincarnation de la volont du vivre ensemble ont succd lindividualisation et
lindiffrence.
Paradoxalement, force est de constater que ces changements nont pas affect durablement
lattractivit du centre qui, si lon en crot lvolution du march foncier, demeure le lieu o la
vie urbaine est la plus prise. Cette capacit dadaptation rsulte, l encore, de phnomnes
internes et externes :
- internes dans la mesure o la protection des monuments historiques, la rhabilitation
des logements anciens et le maintien dactivits commerciales ont assur la
permanence de leur multifonctionnalit ;
- Externes parce que si les fonctions quil incarnait autrefois sont toujours prsentes,
elles sexercent dsormais sous des formes diffrentes rsultant des nouvelles
pratiques de mobilit qui sont elles mmes le reflet de nouveaux modes de vie.
Le centre-ville est donc un espace, au moins en partie, extra-territorial dans la mesure o son
quilibre interne conditionne lquilibre de lensemble de la ville. A ce titre, il apparat
comme un territoire dont le potentiel dpasse celui dun simple espace urbain et qui en fait un
lieu supra-territorial. Cest prcisment lanalyse de cette dynamique, de cette force tire
dune position centrale, qui nous a conduit nous intresser la dissociation, dsormais
classique, du centre et de la centralit.
II. La localisation de la centralit urbaine : de la Centralit aux centralits
Le centre-ville est donc une notion mouvante, un concept dont le contenu et les contours ont
volu et qui, selon la dfinition que lon en retient, sloigne peu ou prou du sens traditionnel
-
22
que lon a coutume de lui donner. Lvolution de ce concept ne sest pas ralise de faon
isole : elle est lie au processus dextension des villes et lurbanisation de nouveaux
espaces que lon tente dsesprment de hirarchiser afin de leur attribuer un rle plus quune
identit. Ces tentatives de hirarchisation se sont traduites par lintermdiaire de concepts
nouveaux, dits mergents, qui empruntent tous un ou plusieurs lments de dfinition au
centre-ville sans pour autant les runir dans sa globalit. Labondance des termes tmoigne
dailleurs de la difficult qualifier ces espaces qui, tout en tant excentrs, bnficient du
statut de centralit urbaine en ce quils possdent quelque chose de central. Nicolas
Lebrun soulignait juste titre le sens attribuer au suffixe it qui appos la racine
quivaut une formule du type - le fait dtre- place en exergue. La facilit, est le fait
dtre facile, la snilit le fait dtre snileEt par voie de consquence, la centralit serait le
fait dtre central, dtre en position centrale, dtre un centreParler de centralit serait
alors tout simplement parler de ce qui est central, et rien de plus 14
.
Nanmoins, doit-on entendre que cest le lieu qui est central en raison de sa position
gomtrique, ou que cela vise les fonctions quil englobe en raison de leur importance et de
leur raret ? Les sociologues distinguent en effet le centre, c'est--dire le contenant, et la
centralit, c'est--dire le contenu, le potentiel attribu un lieu indpendamment de sa
localisation au centre dun espace dlimit et/ou dlimitable. Mais quen est-il en droit ?
Comment le juriste aborde-til cette dissociation entre un centre de surface et une
centralit sous-jacente 15
? Lenjeu de notre travail tant dclairer lanalyse juridique de
ces notions par limplication de considrations gographiques et sociales, nous nous
inspirerons de la richesse des travaux raliss sur ces questions dans ces disciplines sachant
quil nexiste aucune dfinition prcise de ces concepts. Ds lors, la distinction entre centralit
urbaine priphrique (A) et centralit urbaine du centre-ville (B) nous permettra dapporter
certaines rponses ce que nous avons dsign au dbut de cette introduction dnigme de
la centralit .
A/ La centralit urbaine priphrique : la dcomposition fonctionnelle
La distinction entre le centre et la centralit a t formule pour la premire fois par Jean
Labasse, dans un article paru en 196416
dans lequel celui-ci attribue au centre-ville les
14
N. LEBRUN, Centralits urbaines et concentrations de commerces , thse gographie-amnagement,
Reims, Champagne-Ardenne, 2002, p. 20. 15
J-S BORDREUIL, La production de la centralit urbaine , op. cit., p. 7. 16
J. LABASSE, Centralit et centre urbain , Prospective, n11, juin 1964, pp. 125-131.
-
23
fonctions et les objets les plus nobles et dusage rare 17
, ce dernier restant le dpositaire
des fonctions symboliques, ludiques et affectives de la ville 18
et le dissocie de la centralit
priphrique vers laquelle sorientent les professions et les quipements tertiaires dusage
intermittents 19
. On sait aujourdhui que cette distinction a pris en sociologie et en
gographie valeur de rfrence : il existe un centre-ville , un foyer suprieur de vie, de
plaisir et daffaires, dou dune force toute puissante dattraction et dominant en beaut, en
richesse, en vitalit et en grandeur tous les autres points de la capitale 20
, et des
centralits qui sont issues de lextension des villes et de la ncessit de donner aux
habitants ex-centrs les avantages habituellement rservs au centre-ville. Vritable
manifestation dun droit implicite la centralit, ces nouveaux noyaux urbains sont appels
acqurir le statut de centralit urbaine pour les besoins dun intrt gnral mtropolitain.
Nanmoins, cette dissociation se rvle plus subtile quelle ny parat. Lurbanisation
polymorphe dans laquelle le centre nest plus au centre ou nest plus le Centre a engendr une
abondance smantique qui tmoigne de la difficult identifier les caractres propres de ces
espaces mergents. On assiste en effet une dcomposition de la centralit qui, lorsquelle se
cristallise ailleurs que dans le centre-ville, ne semble plus exiger une multifonctionnalit mais
une simple fonctionnalit.
Cest du moins dans cette conception restrictive que le droit de lurbanisme la apprhend
pour la premire fois dans la loi relative la solidarit et au renouvellement urbain (SRU) du
13 dcembre 200021
qui voquait aux termes de lancien article L. 123-1 du code de
lurbanisme (CU) la possibilit didentifier dans le projet damnagement et de
dveloppement durable (PADD) du plan local durbanisme (PLU) les espaces ayant une
fonction de centralit existants, crer ou dvelopper . Rejoignant ainsi la conception des
gographes, la centralit tait ici perue comme une qualit attribue un espace 22
, une
valeur politique, conomique, sociale, commerciale et mme daccessibilit essentielle la
reconnaissance de la centralit globale dans une ville 23
. Elle tend se rapprocher de ce que
les conomistes nomment la thorie de la polarisation dans laquelle le ple de dveloppement
17
Ibid., p. 129. 18
Ibid., p. 130. 19
Ibid., p. 126. 20
V.CONSIDERANT, Note sur les intrts gnraux de la ville de Paris et spcialement du Xme
arrondissement, AMM les lecteurs du Xme
arrondissement , Paris : Impr P. Renouard, 1843. 21
Loi n2000-1208 du 13 dcembre 2000 relative la solidarit et au renouvellement urbain, JO n289, 14
dcembre 2000, p. 19777. 22
J. MONNET, Les dimensions symboliques de la centralit , les Cahiers de Gographie du Qubec, volume
44, n123, dcembre 2000, pp. 399-418. 23
Ibid., p. 401.
-
24
est prsent comme un lieu, qui peut tre une localit ou une rgion qui, du fait des activits
qui y sont installes, exerce un effet dentranement sur limplantation dautres activits24
. Si
on suit ce raisonnement, tout lieu attractif peut tre constitutif dune centralit puisquil suffit
quil dveloppe telle ou telle fonction pour que dautres fonctions similaires viennent sy
greffer. Ainsi, le ple commercial est souvent assimil une centralit commerciale, cette
expression tant dailleurs couramment usite pour dsigner les espaces priphriques
coloniss par la grande distribution o lon retrouve cet effet dentranement lorigine
dune concentration de commerces. En revanche, lorsque la concentration porte sur les loisirs
ou la technologie, lusage du terme de ple25
sera prfr celui de centralit, ce qui laisse
supposer quil existe entre ces deux notions une diffrence fonde sur la nature des activits
concernes. Nous pencherions alors pour une interprtation empirique de cette subtilit de
langage : le fait que le commerce soit lorigine de la formation des premiers noyaux urbains
confre cette fonction une force de centralit dont les loisirs ou la technologie sont
dpourvus, quand bien mme ils exerceraient un effet dentranement. Ainsi, le commerce
attire par essence lhabitat, ce qui nest pas le cas des loisirs ou de la technologie qui attireront
plutt des fonctions similaires ou complmentaires. Le ple et la centralit dsignent donc le
contenu dun lieu ; nanmoins, ce lieu sera un ple ou une centralit selon que son contenu
attire des fonctions identiques ou pas.
Il faut donc se garder de dsigner sous le vocable de centralit urbaine tout lieu o se
concentrent des activits humaines gnrant une attractivit. Certes, cest prcisment cette
attractivit qui rend la fonction centrale et confre au lieu, par extrapolation, la qualification
de centralit ; mais il convient au pralable, sauf dnaturer le concept, de vrifier que cette
attractivit ne soit pas assise sur une monofonctionnalit. Cette hypothse nest bien sr
valable que si lon saccorde pour reconnatre que la centralit dsigne un contenu et non la
situation dun contenant. Cette vision prsente le mrite dtre concrte, permettant ainsi de
mesurer le caractre central dun lieu en fonction de son contenu, alors mme que ce lieu ne
peut tre qualifi de centre au regard de ce qui lentoure, sauf dlimiter de nouveaux
24
Ce concept a t dvelopp par Franois PERROUX ds 1955 et ne concerne que les conomies externes. Il
est galement lorigine du concept de ple de croissance qui concerne seulement lvolution quantitative de
lconomie. Le terme de ple a galement t employ propos des zones de reconversion industrielle cres par
le gouvernement franais le 8 dcembre 1984 et qui constituaient des villes ou des secteurs marqus par un
dclin industriel quil sagissait alors de reconvertir afin de les rendre attractives. Enfin, le terme de ple est
galement lorigine de celui de technople qui se caractrise par laccumulation de technologies
innovantes. 25
A propos de cet usage particulirement rpandu, voir P. YOLKA, Une brve exploration des ples, AJDA
2011, p. 1649.
-
25
primtres qui le placeraient au centre de quelque chose de palpable. Nanmoins, elle aboutit
une banalisation du concept de centralit dans la mesure o elle aligne la centralit du centre
et la centralit priphrique sur des considrations similaires et essentiellement fonctionnelles.
Or si la centralit dsigne effectivement le contenu dun lieu dit central parce que telle ou telle
fonction y produit une attractivit consquente, elle se distingue ncessairement de la
centralit du centre-ville dans la mesure o cette dernire ne se limite pas un contenu
fonctionnel. Ainsi, comme le soulignait Nicolas Lebrun dans sa thse, se limiter une tude
fonctionnelle de la centralit prsente le risque de basculer dans une tude fonctionnaliste,
c'est--dire de considrer la fonction indpendamment des aspects sociaux et humains quelle
implique, en faisant abstraction de toute la symbolique, de toutes les conceptualisations
diffuses vhicules par la centralit 26
. Comme nous le verrons au cours de notre tude, cette
dmarche peut ventuellement se concevoir en matire de centralits priphriques ; mais elle
ne peut en aucun cas suffire identifier la centralit propre au centre-ville. Or le lgislateur
apprhende la centralit comme une accumulation de fonctions matrielles quil tente
dsesprment dordonner et de rglementer sans jamais parvenir exciper leur force sociale,
symbolique et fdratrice. Il faut reconnatre que le juriste est sur ce point doublement limit :
tout dabord, et nous le vrifierons tout au long de cette thse, en raison du fait que nombre
daspects inhrents au fonctionnement des centres-villes ne peuvent faire lobjet dune
rglementation ; ensuite, parce quil existe dans le langage juridique une confusion totale des
notions faisant rfrence, de prs ou de loin, au centre et la centralit. Or il est important que
ces concepts, propos desquels on saccorde reconnatre quils ne peuvent tre dfinis en
droit, ne deviennent pas des expressions fourre-tout compte tenu des objectifs de densification
dont ils font dsormais lobjet.
B/ La centralit urbaine intra muros : la requalification des centres-villes en centres
urbains
La suppression de lexpression d espaces ayant une fonction de centralit par la loi
Urbanisme et Habitat (UH) du 2 juillet 200327
na engendr aucun dbat sur la notion de
centralit et rsulte simplement de la ncessit de redfinir le contenu du projet
damnagement et de dveloppement durable (PADD) du plan local durbanisme (PLU) afin
de rduire les risques contentieux susceptibles de rsulter dune trop imparfaite prcision de
ce document. Il faut cependant indiquer quinitialement, le projet de loi qui avait t adopt
26
N. LEBRUN, Centralits urbaines et concentrations de commerces , op. cit., pp. 39-40. 27
Loi n 2003-590 du 2 juillet 2003, Urbanisme et Habitat, JO n152, 3 juillet 2003, p. 11176.
-
26
par lAssemble nationale, recourait une autre terminologie prfrant, dans un souci
dallgement rdactionnel, la formule de centre urbain celle despace ayant une
fonction de centralit . Pour le reste, la rdaction ne changeait gure de celle de la loi SRU si
ce nest que le PADD se scindait dsormais en une partie obligatoire dfinissant les
orientations gnrales damnagement et durbanisme retenues par la commune et, une partie
facultative permettant de prvoir des dispositions particulires relatives notamment aux lots,
quartiers ou secteurs restructurer ou rhabiliter et aux centres urbains existants, crer
ou dvelopper . Cette rdaction na pas t retenue : le rle du PADD tant dexprimer le
projet politique de la collectivit territoriale, le Snat a considr, juste titre, quil ne devait
pas tre dtaill lexcs et empiter ainsi sur le rle du rglement. La rdaction dfinitive du
contenu du PADD sera donc beaucoup plus gnrale, celui-ci devant se limiter dfinir les
orientations gnrales damnagement et durbanisme retenues pour lensemble de la
commune 28
et ne faisant plus rfrence ni aux espaces ayant une fonction de centralit, ni
aux centres urbains. La loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle 229
et la proposition de loi relative
lurbanisme commercial ont cependant remis ces notions au got du jour.
A lexpression de centre urbain , la loi de 2010 a ajout celle de centre rural et a fait
figurer ces deux notions non pas dans un article consacr spcifiquement aux PLU comme
lavait prvu initialement le projet de loi Urbanisme et Habitat, mais dans le contenu mme
des principes noncs par larticle L. 121-1 CU applicables tous les documents
durbanisme30
, ainsi que dans larticle L. 122-1-4 CU au sein des dispositions relatives aux
schmas de cohrence territoriale (SCOT)31
. La porte confre ces notions, pour le reste
non dfinies, sen trouve ds lors tendue :
- Tout dabord, leur intgration au titre des dispositions gnrales communes aux
documents durbanisme tmoigne de leur importance au regard dun objectif bien plus
vaste : celui de la protection de lenvironnement. Elle illustre la ncessit de limiter
28
Art L. 123-1 dans sa version issue de la loi Urbanisme-Habitat. 29
Loi n2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour lenvironnement, dite Grenelle 2, JO
n0160, 13 juillet 2010, p. 12905. 30
Larticle L. 121-1 CU dispose que les documents durbanisme doivent dterminer les conditions permettant
dassurer, dans le respect des objectifs de dveloppement durable, lquilibre entre le renouvellement urbain, le
dveloppement urbain matris, la restructuration des espaces urbaniss, la revitalisation des centres urbains et
ruraux . 31
Larticle L. 122-1-4 CU dispose Dans le respect des dispositions dfinies par le projet damnagement et de
dveloppement durables, le document dorientation et dobjectifs dtermine les orientations gnrales de
lorganisation de lespace et les grands quilibres entre les espaces urbains et urbaniser et les espaces ruraux,
naturels, agricoles et forestiers. Il dfinit les conditions dun dveloppement urbain matris et les principes de
restructuration des espaces urbaniss, de revitalisation des centres urbains et ruraux, de mise en valeur des
entres de ville, de valorisation des paysages et de prvention des risques .
-
27
ltalement urbain et les dplacements automobiles en oprant une concentration des
fonctions urbaines en des points cls desservis par des rseaux de transport en
commun. Plus simplement, elle traduit le lien qui unit le centre, la centralit et la
mobilit et qui constitue lenjeu des politiques damnagement des centres-villes de
demain.
- Ensuite, si le lgislateur fait figurer la revitalisation des centres urbains et ruraux
parmi des dispositions gnrales o il est avant tout question dquilibre entre les
territoires, cest quil entend recentraliser les moyens pour y parvenir. Dans ce
contexte, la revitalisation des centres urbains et ruraux apparat comme prioritaire,
simposant toutes les communes mme si elles ne sont pas encore couvertes par un
SCOT. Le centre-ville na pas t oubli, mais volontairement, il a t relgu
lchelle qui est la sienne, savoir le cur de la ville. Cette distinction entre les
centres urbains et ruraux et le centre-ville rvle en fait une hirarchisation qui se
trouve par ailleurs confirme au sein des dispositions relatives aux SCOT : alors que la
revitalisation des centres urbains et ruraux a, comme nous lavons vu, une porte
gnrale et imprative, celle des centres-villes nest mentionne quau titre dobjectifs
plus spcifiques relatifs lquipement commercial et artisanal et aux localisations
prfrentielles des commerces32
. On peut donc conclure de ces variations et de ces
diffrenciations dans les appellations une absence dassimilation juridique entre ces
notions : la revitalisation des centres urbains et ruraux tant hisse au rang des
principes gnraux damnagement au titre de larticle L. 121-1 CU et des orientations
gnrales de lorganisation de lespace au titre de larticle L. 121-1-4 CU, il convient
donc de supposer que ces derniers sont destins assurer un rle distinct et suprieur
celui des centres-villes.
Cette distinction ne doit pas pour autant conduire une dissociation automatique de ces
notions:
- Tout dabord, le terme de revitalisation est employ indiffremment en matire de
centre-ville et de centre urbain ou rural. Il laisse donc entendre que ces centres sont
prexistants et quils reclent un certain potentiel auquel il sagit de redonner vie, ce qui
32
Larticle L. 122-1-9 CU dispose : Le document dorientation et dobjectifs prcise les objectifs relatifs
lquipement commercial et artisanal et aux localisations prfrentielles des commerces afin de rpondre aux
exigences damnagement du territoire, notamment en matire de revitalisation des centres-villes, de cohrence
entre quipements commerciaux, desserte en transports, notamment collectifs, et matrise des flux de
marchandises, de consommation conome de lespace et de protection de lenvironnement, des paysages, de
larchitecture et du patrimoine bti.
-
28
rappelle trangement le centre-ville. Le lgislateur sest donc attach la mise en valeur dun
potentiel existant : il ne sagit pas de planifier de nouveaux centres, mais de tirer parti de ceux
qui rsultent des pratiques des citadins, des usages de la ville.
- Ensuite, si lon sinspire de la littrature gographique et sociologique, les centres urbains
semblent dsigner les centres-villes. Ce rapprochement tait dj prsent dans larticle de Jean
Labasse en 1964 : intitul centralit et centre urbain , lauteur dissocie expressment la
centralit du centre-ville et assimile, si lon en croit la formulation du titre de larticle, le
centre urbain au centre-ville. La notion de centre urbain napparat en sociologie que dans le
cadre de la dissociation du centre et de la centralit : ainsi Manuel Castells dclarait Comme
il est frquent en matire de sociologie urbaine, le terme de centre urbain dsigne la fois un
lieu gographique et un contenu social. En fait, on peut les distinguer aisment, mais la
confusion ne fait que devenir connotation, c'est--dire que, mme sil y a disjonction
thorique, on suppose que, dans la pratique, le contenu social ainsi dfini sera localis en un
ou plusieurs sites, ce qui quivaut une fixation du contenu social de la centralit urbaine
considre en elle-mme hors de tout rapport avec lensemble de la structure 33
. De mme,
cest en introduisant les critres permettant de diffrencier le centre de la centralit que Jean-
Samuel Bordreuil emploie lexpression de centre urbain. Il semble donc que le centre urbain
dsigne le centre-ville, du moins le centre actif de la ville. En gnral, le centre urbain (ou
cur de ville) est la partie fondamentale de lorganisation urbaine : celle qui assure la vie et
lactivit. Cest le sige du pouvoir organisateur, public et priv, spontan ou rglement, qui
assure le dveloppement urbain et rgit les rapports avec la priphrie urbaine et rurale. 34
.
Nanmoins, si le centre urbain ou rural dsigne un centre-ville, un centre-ville ne dsigne pas
forcment un centre urbain ou rural. Cest prcisment ici que ces deux notions peuvent tre
distingues : le centre urbain ou rural nest pas le centre-ville mais le centre dun espace plus
vaste prdominance urbaine ou rurale, c'est--dire dune organisation qui sest sdimente
autour dune mtropole ou dune ville moyenne. A ce titre, le centre urbain ou rural rpond
la ncessit dorganiser lamnagement lchelle supra-communale, ncessit dont le
Grenelle 2 sest empar des fins de dveloppement durable. A la diffrence de la
revitalisation des centres-villes, la revitalisation des centres urbains et ruraux constitue un
instrument pertinent dorganisation des villes et non de la ville, organisation qui repose en
grande partie, mais nous lavons dj voqu, sur les pratiques de mobilit. Cette capacit
33
M. CASTELLS, La question urbaine , Paris, Franois Maspro, 1972, p. 280. 34
Dictionnaire de lurbanisme et de lamnagement , op. cit., p. 159.
-
29
rayonner sur un espace dpassant lchelle de la ville constitue selon nous le fondement de la
distinction entre centre urbain ou rural et centre-ville : la substitution du terme ville par
celui de urbain ou rural entrane un changement de rfrence, un changement de
lchelle par rapport laquelle on identifie traditionnellement le centre-ville. En rsum, ce
qui change nest pas le centre lui-mme mais ce quil y a autour et le lgislateur tente ainsi de
retranscrire cette volution dans le langage juridique, de faire voluer la smantique pour
quelle relate le mieux possible lvolution des villes et, au travers elles, celles des modes de
vie.
Tout serait peu prs clair si la proposition de loi relative lurbanisme commercial ne faisait
pas tat dune centralit urbaine dfinie comme tout secteur, notamment centre-ville ou
centre de quartier, caractris par un bti dense prsentant une diversit des fonctions
urbaines et qui comprennent, en particulier, des logements, des commerces, des quipements
publics et collectifs 35
. En dsignant expressment la nature des fonctions urbaines, le
lgislateur a adhr la dissociation du centre et de la centralit. Le centre est ici ramen un
simple secteur dont la densit btie et la diversit fonctionnelle en font une centralit. Celui-
ci, qui nexiste que par son contenu matriel, ne prsente aucune spcificit particulire par
rapport aux autres secteurs susceptibles dtre qualifis de centralit urbaine : quil soit de
ville, de quartier ou autre, il apparat au mme rang que nimporte quel secteur runissant les
mmes attributs. La centralit tend alors devenir un terme gnrique dpourvu de toutes
considrations sociologiques, historiques et gographiques : le fonctionnel prime sur le
symbolique et aucune distinction nest faite entre la Centralit du Centre-Ville, et celle
dautres secteurs pour lesquels la qualification de centre-ville ou centre de quartier semble
exclue.
Mme sil ne pouvait tre question, dans les lignes qui prcdent, de tirer toutes les
consquences de ces volutions smantiques, ces dveloppements nous ont nanmoins permis
de cerner plus prcisment les notions de centre-ville et de centralit urbaine :
- La centralit urbaine est effectivement dtachable du centre-ville puisquelle dsigne
son contenu. Nanmoins, alors quelle ntait aborde en 2001 que par le biais dune
dcomposition fonctionnelle, elle est en 2011 envisage comme une runion de
fonctions. On ne parle plus despace prsentant une ou plusieurs fonctions de
centralit, ce qui laissait entendre que les mmes dispositions taient applicables aux
espaces mono et multifonctionnels ; on exige au contraire la prsence simultane de
35
Proposition de Loi Urbanisme commercial, amendement nCOM-1, art 1er
, M. BRAYE.
-
30
plusieurs fonctions au sein dun mme secteur, la notion de secteur tant plus prcise
que celle despace et se prtant davantage la dlimitation.
- Le contenu de la centralit urbaine est dfini de faon non restrictive puisque le
lgislateur vise en particulier des logements, des commerces, et des quipements
publics et collectifs. Ces fonctions sont donc prsentes comme essentielles mais non
comme exclusives, ce qui permettra, terme, de faire voluer le contenu de la notion
de centralit urbaine avec son temps.
- Quant la notion de centre-ville, elle se distingue de celle de centre urbain ou centre
de quartier en raison dune diffrence dchelle : leur centralit se caractrise par un
bti dense et multifonctionnel, mais son rayonnement sera plus ou moins puissant en
fonction de leur territoire de rfrence et de la nature des activits quelle contient.
Ainsi, si la centralit urbaine peut exister en dehors du centre-ville, le centre-ville ne peut
exister sans la centralit. Il est dailleurs intressant de noter que si lon parle couramment de
revitalisation du centre-ville, des centres urbains ou ruraux, on ne parle pas de revitalisation
de la centralit prcisment parce que cest le rtablissement de la centralit qui permet de
redonner vie au centre. Lamnagement des centres-villes doit, ds lors, sentendre de
lamnagement de leur centralit sachant que celle-ci entretient, par un jeu de relations
complexes, des liens avec les autres centralits. Ces liens, qui sont au cur de notre tude,
dmontrent que la centralit urbaine est fondamentalement tributaire, ainsi que nous lavons
indiqu plus haut, de la mobilit, ce qui suppose dobtenir un consensus entre deux lments
opposs mais nanmoins essentiels : la densit, lment indispensable lexistence mme
dun centre et dune centralit, et laccessibilit, condition sine qua non de la prennit dun
centre et dune centralit.
Du droit la centralit au droit la mobilit, lamnagement des centres-villes repose sur un
arbitrage permanent, instable, et sans cesse fortifier, vivifier, voire rtablir, que nous avons
choisi de prsenter au moyen dune approche transversale impliquant une double recherche.
Celle-ci sappuie sur des exigences qui pourraient paratre contradictoires mais dont
lopposition est, en ralit, la condition mme de la dynamique du centre et de la centralit
prise dans un mouvement dialectique :
- celle dun quilibre entre la densit et le dveloppement de la mobilit dune part (1re
partie)
- celle dun quilibre entre laccessibilit et la matrise de la mobilit dautre part (2me
partie).
-
31
PPaarrttiiee II ::
LLAA RREECCHHEERRCCHHEE DDUUNN EEQQUUIILLIIBBRREE EENNTTRREE LLAA DDEENNSSIITTEE EETT
LLEE DDEEVVEELLOOPPPPEEMMEENNTT DDEE LLAA MMOOBBIILLIITTEE
Cest parce que la densit et la mobilit ont concouru la formation des premiers noyaux
urbains, alors quelles constituent aujourdhui des notions en apparence contradictoires, que
nous avons choisi de les envisager sous langle de la complmentarit. Cest galement parce
quelles reprsentent des points incontournables de lavenir des villes, et donc des hommes,
quil nous a sembl plus enrichissant de les mettre en parallle afin de comprendre comment
ces notions ont volues dans le temps et dans lespace. Ainsi, alors que lassociation de la
densit et de la mobilit36
a initialement permis aux villes de se construire, elle a
progressivement particip les dstructurer, leur conjugaison atteignant dans les centres un
seuil de saturation incompatible avec la qualit de vie. En approfondissant ces questions, nous
avons constat que cette problmatique est ancienne, et quelle dpasse les questions dordre
morphologique ou fonctionnel traditionnellement tudies en matire de centre-ville. Ainsi,
les explosions dmographiques, les exodes et les priodes conomiquement prospres ont, de
tout temps, perturb le fonctionnement des centres qui se sont, malgr tout, adapts ces
changements dans la mesure o ces derniers seffectuaient sur un temps relativement long. Un
parallle pourrait tre esquiss avec le rchauffement climatique qui, daprs la plupart des
spcialistes, constitue un phnomne qui sest dj produit mais sur une priode beaucoup
plus longue, laissant la plante le temps de sadapter. Il en est de mme pour la ville dont le
centre ancien laisse encore apparatre les strates des grandes priodes de lhistoire de France,
histoire qui tend se rpter en matire damnagement urbain. Cest en effet pour des
raisons lies la sant publique que le centre sest dabord ddensifi ; ce sont ces mmes
raisons qui ont amorc, de faon plus rcente, un mouvement inverse consistant, par le bais du
concept de dveloppement durable, contrler une urbanisation diffuse par la cration de
nouveaux lieux de centralit. Ainsi, de densifications en ddensifications, le centre sest tour
tour peupl, surpeupl puis dpeupl, au rythme de facteurs internes et externes la ville.
Reste analyser ces facteurs, tablir leur relation avec la perte ou le regain dattractivit des
centres-villes et sinterroger sur le rle du Droit dans lorganisation de ce quil est dsormais
convenu de nommer un systme complexe: la ville. Le choix de cette orientation nous
36
Sur lutilisation de ce terme, nous renvoyons le lecteur lintroduction dans laquelle nous expliquons que la
mobilit est une notion qui sest forge dans la seconde partie du XXme
sicle et quelle correspondait
auparavant des dplacements ou des migrations.
-
32
conduira envisager les apports de disciplines non juridiques mais essentielles la
comprhension du fonctionnement urbain, ce dernier tant rgi en grande partie, mais pas
seulement, par le droit de lurbanisme. Cet aspect nous permettra de relativiser le rle du
Droit dans lattractivit des centres : nous verrons que, si ces derniers sont traditionnellement
dfinis daprs une logique fonctionnelle, leur attractivit repose galement sur un certain
niveau de relations sociales, c'est--dire sur une certaine intensit des rapports humains qui,
compte tenu dune mobilit exacerbe, parvient de moins en moins se fixer, se concrtiser.
Dans ce contexte, la notion de proximit, chre aux centres-villes parce quelle constitue
llment principal dune convivialit impossible fabriquer , a t rnove et relativise :
alors que la proximit physique conserve une valeur symbolique cratrice durbanit, elle
tend, dans le cadre de la ville mergente et de la multiplication des lieux de centralit, se
rduire comme une peau de chagrin. Paradoxalement, tout devient accessible immdiatement :
les informations, les commerces, les loisirssont dsormais la porte de tous, si ce nest
quils sont en mme temps le support dune individualisation croissante des pratiques et des
modes de vie. Faut-il en dduire que la ville du XXIme
sera celle de lanonymat dans laquelle
le centre nincarne plus lexpression dune communaut dintrts mais une juxtaposition
dintrts contradictoires? Loin dapporter une rponse cette question, nous tenterons la
fois de dterminer les causes de ces comportements au travers des grands bouleversements de
notre histoire politique, conomique et sociale, tout en analysant quelles furent leurs
consquences sur le plan juridique. Aussi, le droit est la traduction-trahison des rgles dites
objectives de la rgulation conomique et sociale de la production des espaces vivre. Mais,
en mme temps, il est la manifestation subjective de lexpression des relations individuelles et
collectives des personnes qui habitent cet espace 37
. Or lheure o la ville tend
sorganiser en rseaux, la production des espaces vivre repose plus que jamais sur la
recherche dun quilibre entre la densit et le dveloppement de la mobilit. Cette question
sinscrit bien videmment dans le dbat rcurent sur la taille des villes qui confirme
limportance de lattention porter aux centres-villes et aux nouvelles centralits urbaines.
Elle suppose ncessairement de mener une rflexion gnrale lchelle dun territoire urbain
qui est de moins en moins celui de la ville mais celui de la mtropole, sorte darchipel urbain
compos dun continent, entour dles et dlots priurbains, o habite une fraction
37
M. HUET, La ville des juristes , in T. PAQUOT, M. LUSSAULT, S. BODY-GENDROT, La ville et
lurbain : ltat des savoirs , Paris, d La Dcouverte, coll Textes lappui, srie LEtat des savoirs, 2000, pp.
84-85.
-
33
croissante de la population38
. Ce travail nous conduira ncessairement engager une
rflexion sur larticulation de ce continent , le centre-ville, avec ces les et lots
priurbains vers lesquels la Centralit urbaine se dplace en ce quelle a de moins noble et
de moins prestigieux. Ainsi, au-del de la rpartition des activits, et en particulier du
commerce, cette articulation doit tre pense comme un systme de vases communicants,
dautant plus difficile cerner quil renvoie en permanence la question de la mobilit des
individus. Pilier de la socit moderne, lorigine du passage de la ville monocentrique la
ville multipolaire, la mobilit individuelle nest plus le talon dAchille de la centralit et fait
lobjet de diffrents paradigmes qui, en combinant densit et mobilit, aboutissent tant bien
que mal fabriquer de lattractivit. Entre gographie, gomtrie et sociologie, cette
instrumentalisation de la centralit nen demeure pas moins rvlatrice dune problmatique
qui relve du droit de lurbanisme : celle de limiter ltalement urbain. Les limites du systme
sont tout autant humaines et sociales quenvironnementales : cest la raison pour laquelle il
convient de ne pas raisonner en termes dopposition mais plutt en termes de conciliation. Le
retour la ville des courtes distances tant impossible, il faut chercher dautres alternatives.
La cration de centralits intermdiaires rpond cet objectif, et il nest donc pas surprenant
que cette tude sur lamnagement des centres-villes nous ait conduits intgrer celui des
priphries. Nous ne raisonnerons donc pas en termes dopposition entre le centre-ville et sa
priphrie, ces deux territoires tant appels, ainsi que nous tenterons de le dmontrer,
attnuer les effets de la rduction temporelle des distances et du mouvement de
ddensification. Pour autant, cette tche se rvle loin dtre simple car si la notion de
territoire implique celle de limite, les schmas qui polarisent les centralits mtropolitaines
prsentent la facult de pouvoir de reproduire linfini. Ils sont la reprsentation de lUrbain,
ce systme opratoire, valable et opratoire en tous lieux, constitus par des rseaux
matriels et immatriels ainsi que par des objets techniques et dont la manipulation retentit
dans un circuit boucl sur les rapports que nos socits entretiennent avec lespace, le temps
et les hommes 39
. Cest prcisment cette manipulation qui pose problme dans
lamnagement des centres-villes, la conciliation des rapports que la socit moderne
entretient avec lespace, le temps et les hommes tant conditionne par une densit btie qui
au contraire renvoie une socit rvolue dans laquelle les rapports spatiaux, temporels et
humains taient fondamentalement diffrents. La preuve en est que les principales
38
P.H. EMANGART, Des agglomrations aux archipels : limpact de lautomobilit sur les formes
urbaines , in Villes du XXIme
sicle, Quelles villes voulons nous ? Quelles villes auront nous ?, Actes du
colloque de la Rochelle, Certu, juillet 2001, p. 252. 39
P. MERLIN, F.CHOAY, Dictionnaire de lurbanisme et de lamnagement , prcit, p. 909.
-
34
interventions en centre-ville ont eu pour objet de le ddensifier, cette ddensification ayant
pour finalit de le moderniser, de ladapter aux nouveaux modes de vie et la mise en uvre
de ce qui nous avons dsign dans lintroduction comme un droit la mobilit. A linverse, en
priphrie on se trouve plutt en prsence dun droit la centralit qui se traduit par une
attractivit reposant sur la production dune certaine densit. Celle-ci est alors perue comme
un facteur positif de frquentation et danimation parce quelle est issue de labolition des
distances et de lvolution des modes de vie : en ce sens, les densits pratiques dans les
nouveaux lieux de centralits sont un facteur dattractivit parce quelles sont fondes sur le
droit la mobilit. Ds lors, la recherche dun quilibre entre la densit et le dveloppement
de la mobilit nobit pas aux mmes impratifs selon quon intervient en centre-ville ou dans
un nouveau lieu de centralit :
- en centre-ville, la prsence de nombreux logements a conduit effectuer un
compromis entre la qualit de vie et lexigence de mobilit : ce compromis a le plus
souvent t trouv dans la ddensification (titre I);
- dans les nouvelles centralits, lattractivit dcoule de la proximit des rseaux
autoroutiers et se trouve donc fonde sur les pratiques de mobilit : les logiques
conomiques et environnementales aidant, elles sont au contraire commandes par un
principe de densification (titre II).
-
35
La ville, terrain dlection de la dialectique mobilit/centralit, tout la fois souvre et
attire. Le centre devient ce point paradoxal o lintrieur souvre sur lextrieur, o transite
ce qui vient de loin, o se localise le dlocalis (le global).
Jean-Samuel BORDREUIL40
.
Titre I :
LA DEDENSIFICATION DES CENTRES-VILLES:
COMPROMIS ENTRE LA QUALITE DE VIE ET
LEXIGENCE DE MOBILITE
Parler de densit en matire urbaine, cest en gnral susciter un rflexe de rejet dans la
mesure o ce terme est encore ce jour assimil une mauvaise qualit de vie. Cette attitude
est fonde : comme nous le verrons, les fortes densits bties et humaines sont lorigine de
nombreux flaux qui ont largement altr la qualit de vie en centre-ville. Cependant, il faut
reconnatre quelles ont permis aux premiers noyaux urbains de se consolider pour atteindre le
stade de ville et quelles font partie intgrante de leur centre. Ainsi, si la densit peut exister
en dehors du centre-ville, en revanche celui-ci ne peut exister sans une certaine densit. Son
attractivit repose donc sur un quilibre fragile entre densit et qualit de vie : nous verrons
que ces deux lments apparaissent trs tt dans lhistoire urbaine et quils sont lorigine
dun phnomne rcurrent de densification-ddensification des centres-villes. En effet, avant
dtre dsigne comme responsable du dclin des centres, la densit tait un facteur positif :
elle tait synonyme de proximit physique des hommes et des activits, donc de richesses.
Elle est dailleurs lorigine de la multifonctionnalit du centre, caractristique principale
permettant de le distinguer des autres quartiers. Nanmoins, si elle fut un temps renforce par
la prsence denceintes dans un souci de protection, elle fut, sous leffet de lexode rural et de
la promiscuit, rapidement condamne au nom de la sant publique, celle-ci tant lorigine
de la notion de qualit de vie. La ddensification qui sen est suivie sest dabord traduite par
un exode urbain qui ne proccupa les dirigeants que dans la mesure o leur pouvoir tait
troitement li au prestige de la ville : dans ce contexte, les interventions visant ddensifier
le tissu existant nont eu pour dautre objet que dinciter les classes riches rinvestir le
centre-ville et fut longtemps un facteur de sgrgation sociale. Linstrumentalisation politique
du centre-ville est donc ancienne : dans les socits capitalistes, elle saccompagne dune
40
J.S. BORDREUIL, Centralit urbaine, ville, mobilits , Le Courrier du CNRS, n81, 1994, p. 17.
-
36
instrumentalisation conomique dans laquelle la mobilit joue un rle prpondrant.
Lvolution de la mobilit des individus a sans aucun doute accentu le phnomne de
ddensification des centres : pour autant, elle a en mme temps contribu leur dclin. Ici
encore, ce constat nest pas nouveau : la surfrquentation et la prsence dun bti dense ont
toujours t un facteur aggravant les embouteillages en centre-ville tout en tant des lments
indispensables son attractivit. Ce jeu doppositions est la base de la dynamique des
centres et nous a conduit, comme par opposition une pratique trop rpandue, les tudier de
lextrieur. Pourquoi vient-on en centre-ville ? Pourquoi en sort-on ? Pourquoi choisit-on
dhabiter en centre-ville ou au contraire de le fuir ? Quelle est la relation exacte quentretient
le centre-ville avec la priphrie ? Visiblement, cest parce que cette relation na jamais t
prise en compte dans les politiques publiques que lurbanisation de la priphrie sest ralise
au dtriment des centres-villes, et que la ddensification na pu constituer un compromis entre
la qualit de vie et lexigence de mobilit. Aujourdhui, la mobilit fait partie intgrante de la
qualit de vie et la puissance attractive du centre sapprcie en fonction du temps quil faut
pour latteindre, pour en sortir, sy loger, y faire des courses ou sy dtendre. La premire
partie du XXme
sicle a marqu un dbut de rflexion sur la ncessit de concilier ces
nouvelles exigences : de la conception de cits-jardins, consommatrices despaces, celle de
villes en hauteur, le triptyque densit-qualit de vie-mobilit fait toujours lactualit des
centres. Si lamnagement de ces derniers a longtemps t poursuivi en fonction dimpratifs
religieux ou politiques, lurbanisme contemporain se veut plus social et a pour objectif de
contribuer au bien-tre des citadins. Pour autant, ces intentions, aussi louables soient elles,
apparaissent en contradiction avec lvolution de la socit moderne : ainsi, alors quelle
aurait d amliorer les conditions de dplacement des citadins, et par la mme leur qualit de
vie, la dmocratisation de lautomobile a finalement produit leffet inverse. Nous verrons que
les raisons lorigine de ce paradoxe tiennent des choix conomiques effectus en dpit
dune rflexion sur lvolution de la ville long terme. Elles auront pour effet de crer une
vritable opposition entre le cur de la ville, paralys, et sa priphrie, o tout reste encore
possible. Cette fragmentation des territoires se traduira par une crise de la centralit : autrefois
reprsentative dune volont de vivre ensemble et de partager des valeurs communes, elle
incarne dsormais lanonymat de ses habitants et de ses usagers. Sa multifonctionnalit ne
sinscrit plus dans un ensemble partag, et il est lgitime de sinterroger sur la capacit du
droit dpasser ces fractures urbaines pour maintenir ou recrer, selon le cas, du lien social.
-
37
Ce qui est central dans une ville, cest la relation entre lintrieur et lextrieur de la
ville 41
: lgifrer sans tenir compte de cet aspect qui, selon nous, pse lourd dans lhritage
urbain, quivaut se priver de la facult danticiper les problmes venir. Les centres-villes
sont riches dune histoire longue : cest parce que cette histoire est celle des hommes avant
dtre celle des monuments que nous essaierons dapprhender la question des centres-villes
autrement que par ltude des procdures spcifiques du patrimoine bti ancien. Leur relatif
chec illustre, dailleurs, lintrt dune nouvelle approche mme de faire ressortir les effets
pervers des expriences passes. Ainsi, alors que lamlioration de la qualit de vie fut
pendant longtemps lorigine des politiques de ddensification (chapitre I), il est paradoxal
de constater que ces dernires ont abouti leffet strictement inverse : celui de la paralysie du
centre-ville (chapitre II).
41
J. VIARD, Les chances de requalification des centres : point de vue du sociologue , in La rhabilitation