Download - L'ARCHITECTURE DU POUVOIR SOUS STALINE :
Je remercie Bernard Lamizet pour son aide, ses conseils et sa gentillesse durant toute la durée demon travail.
Je remercie aussi François Tran pour les réponses à mes questions et pour ses précieusesindications.
Enfin je remercie Jean-Louis Cantau pour m’avoir fait partager son amour de la langue et dela culture russe, pour me l’avoir transmis et pour m’avoir donné la chance d’aller à Saint-Petersbourg.
« L’art n’est pas là pour enregistrer, tel un grand miroir, toutes les péripéties, les variations,les infinies répétitions de l’Histoire. L’art n’est pas un orphéon qui talonne l’Histoire dans samarche. Il est là pour créer sa propre histoire. […] La seule chose qui a des chances de rester,c’est l’histoire des arts. » Milan Kundera, Le Rideau, ibid. p 42
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« une création d’œuvres d’une haute signification artistique, pénétrée del’héroïque impulsion du prolétariat international, de la grandeur de la victoire dusocialisme et reflétant la grande conscience et l’héroïsme du Parti communiste(…) la création d’œuvres dignes de la grande époque du socialisme. 1 »
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« La mise en œuvre de ces conceptions [le constructivisme] nuisibles etutopiques qui ne tiennent compte ni des ressources matérielles du pays, ni dudegré de préparation de la population, amènerait à d’extraordinaires dépenses etau discrédit de l’idée même d’une transformation socialiste du mode de vie 12 . »
« Tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir – soit parce qu’il leconsidère comme un moyen au service d’autres fins, idéales ou égoïstes, soitqu’il le désire « pour lui-même » en vue de jouir du sentiment de prestige qu’ilconfère. »
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« Elle [notre architecture] doit faire pénétrer l’entrain et l’assurance dans le cœurde millions d’hommes, allumer en eux la passion bolchevique, les passionner, lesémouvoir, les appeler à de nouvelles victoires (…) tel est le style architectural quiconvient à l’époque stalinienne. 30 »
« On ne peut dire que l’on reconnaisse (dans ce projet) la moindre matérialisationdes exigences du prolétariat. A tout le moins, le projet ne peut satisfaire que lepetit-bourgeois pour lequel le luxe (la coupole en or) et la grandeur (182 mètresde haut) sont en eux-mêmes objet d’enthousiasme. »
« La monumentalité, la simplicité, l’unité et l’élégance d la mise en formearchitecturale du Palais des Soviets, qui doit refléter la grandeur de notreédification socialiste, n’ont pas trouvé leur expression définitive dans l’unquelconque des projets présentés. Sans prendre parti pour un style défini, leConseil de construction estime que les recherches doivent être dirigées dans lesens de l’utilisation aussi bien des formes nouvelles que des meilleurs exemplesde l’architecture classique en s’appuyant sur les acquis de la techniquearchitecturale et constructive contemporaine. »
« 1) De prendre le projet du camarade Yofan comme base pour le Palais desSoviets. 2) De couronner la partie supérieure du Palais des Soviets d’unepuissante statue de Lénine de 50 à 70m de hauteur de manière à ce que ce palaisapparaisse comme le piédestal de la statue de Lénine. 3) De charger le camaradeYofan de la mise au point ultérieure du Palais des Soviets sur la base de lasolution actuelle mais en faisant en sorte que soient utilisées les meilleuresparties des projets des autres architectes. 4) D’admettre la possibilité de faireparticiper d’autres architectes à l’élaboration du projet. »
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« Le peuple soviétique est le plus heureux des peuples du monde, c’est pourquoinotre architecture doit être profondément optimiste et joyeuse 39 ».
« Il faut reconnaître que le théâtre de l’armée rouge constitue un exemple positifde la nouvelle image (obraz) de l’édifice théâtral soviétique. Le caractèreparticulièrement organique de l’ensemble de la composition provient du mode dedéveloppement de la forme, qu’il s’agisse de l’ensemble ou de ses élémentsconstitutifs, à partir de la forme de l’étoile. Ce faisant, les auteurs se conformentjustement à la loi de la formation des cristaux et arrivent à toute une série depropositions de formes nouvelles et originales pour les divers éléments dedétails. »
« Le camarade Staline appelle nos écrivains les ingénieurs de l’âme. Qu’est-ceque cela signifie ? Quelles obligations ce titre vous impose-t-il ? Cela signified’abord que vous devez connaître la vie pour la dépeindre fidèlement dans vosœuvres, la dépeindre non pas scolairement, comme un objet mort, ni mêmecomme une « réalité objective » mais dépeindre la réalité dans sa dynamiquerévolutionnaire. Ensuite, vous devez, conformément à l’esprit du socialisme,combiner fidélité et représentation artistique historiquement concrète avec le
travail de remodelage idéologique et d’éducation des travailleurs. C’est cetteméthode de littérature et de critique littéraire qui constitue ce que nous appelonsla méthode réaliste-socialiste .»
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« De tout ce qu’on donnait à voir se dégageait une impression d’élévationspirituelle ou de défi héroïque. […] Toutes les œuvres exposées donnaientl’impression d’une vie dépourvue de toute tension ou de tout problème propre àla vie moderne. 44 »
- « une métropole traditionnelle à croissance illimitée, - une structure en grappes
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préconisée par Sabsovitch, et constituée de noyaux, chacun de ces noyauxconstituant un « Sotsgorod » ou « ville socialiste » d’une taille limitée : de 30 000à 60 000 habitants. - la désurbanisation totale en « bande de colonisations » sanscentre ni noyau aucuns, méthode préconisée par Okhitovitch et la majorité dugroupe de l’OSA. »
« les tentatives extrémistes, non fondées et semi-fantastiques (…) faites parcertains camarades (…) dans le but de franchir « d’un seul bond » les obstaclesrencontrés sur le chemin de la transformation socialiste du mode de vie. C’est àde telles tentatives de la part de certains militants qui cachent leur natureopportuniste sous la « phrase de gauche », qu’il faut rattacher les projets (…) quiont trait à la transformation des villes existantes ou à la construction denouvelles villes (…) et qui prévoient la réalisation immédiate ou la transformationen services publics de tout ce qui constitue le mode de vie des travailleurs :alimentation, logement, éducation des enfants par la séparation d’avec leursparents, suppression des habitudes et du mode de vie familial, interdictionautoritaire de la préparation familiale des repas, etc. La mise en œuvre de cesconceptions nuisibles et utopiques qui ne tiennent compte ni des ressourcesmatérielles du pays, ni du degré de préparation de la population, amènerait àd’extraordinaires dépenses et au discrédit de l’idée même d’une transformationsocialiste du mode de vie. 47 »
« Prolétarienne dans son contenu, nationale dans sa forme, telle est cette cultureuniverselle vers laquelle va le socialisme. La culture prolétarienne ne supprimepas la culture nationale mais lui donne un contenu. Et, en retour, la culturenationale ne supprime pas la culture prolétarienne, mais lui donne une forme. »
« De cela découle que l’architecture (…) se développe suivant une formenationale et non dans une quelconque forme abstraite et non nationale. Et eneffet, la sage prédiction du guide (Staline) au sujet de la forme nationale de laculture prolétarienne, formulée il y a déjà de nombreuses années, a trouvé sapleine confirmation dans les brillantes créations des peuples de notre pays,spécifiques dans leurs formes et socialistes dans leur contenu. 50 »
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« L’idéal urbanistique russe consistait en un système de larges boulevards,encadrés d’une architecture imposante et menant, d’un anneau de gratte-cielpériphérique symétrique, à un gratte-ciel central, siège du gouvernement ou duParti, surmonté d’une flèche (le Palais des Soviets) : conçue sur le modèle des
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gratte-ciel moscovites, ce bâtiment central était toujours le plus haut de la ville.La hauteur des édifices et la richesse de leur finition dépendaient de l’importancede la ville en question ; mais ils reproduisaient toujours les tours du Kremlin,même s’ils étaient souvent situés à des milliers de kilomètres de distance. 54 »
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« Toute la pratique soviétique de la construction urbaine nous confirme dansl’idée que le développement de notre urbanisme passe par la lutte contre ladécentralisation de la ville, contre sa fragmentation en cités, comme contre ladécentralisation de la construction elle-même et sa dispersion hors des grandesavenues et des grands quartiers. C’est la création d’une ville unifiée et compacteavec un centre public développé et pourvu d’un haut niveau d’assainissement,d’équipements et de services, qui est la caractéristique principale de notreurbanisme. A ce contenu correspondent des formes mises en œuvre de plus enplus modernes : concentration de la construction sur les principales avenues etplaces ; mise en forme rapide architecturale et technique qui déterminent l’imagede la ville et le niveau de son équipement communal ; passage de la constructionde faible hauteur à une construction à nombreux étages, caractère complexe del’ensemble de la composition urbaine 56 . »
« Comme on le sait les termes classique et classicisme sont utilisés enarchitecture dans deux sens différents. Nous appelons classique un systèmearchitectural bien défini qui s’est constitué dans le monde antique grec et latin,qui a été retravaillé à l’époque de la renaissance et plus tard, à l’époque duclassicisme. Dans un tout autre sens nous appelons « classiques » les meilleursartistes de toutes les époques. 59 »
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« Nous qui nous nous nommions architectes dans les années vingt n’étions ensomme que des barbares qu’il fallait civiliser. Nous ne connaissions rien de cequ’était la beauté et nous avions le front d’affirmer qu’il nous était possible decréer des œuvres architecturales supérieures à celles du passé. Puis une foisnotre enthousiasme révolutionnaire apaisé, nous avons commencé à nous poserdes questions. Il nous manquait quelque chose et ce quelque chose étaitprécisément cette beauté que nous ignorions. C’est alors que nous avonsdécouvert Joltovski : ce fut une révélation. 60 »
« On peut [à propos de l’assimilation de l’héritage du passé] dégager plusieursorientations : la première c’est le pastiche. C’est là une position parfaitement
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conséquente. Elle consiste à choisir dans l’histoire de l’architecture un belexemple et d’en faire une copie conforme (…) Mais pour ce faire, il faut un instantoublier que de nombreux siècles sont passés et que, de plus, sur un sixième duglobe, il y a eu « quelques petits changements ». La deuxième orientation (…)consiste (…) à prendre un « bon » édifice du passé, à lui faire subir une opérationchirurgicale ; on lui ajoute ceci, on lui retire cela, on rallonge autre chose, etc.Enfin, il existe une troisième orientation, relativement radicale. (…) Elle peut serésumer de la façon suivante : « N’imitez pas les formes du passé, maisseulement les règles compositionnelles. 62 »
« Nos peintre, écrivains et artistes, lorsqu’ils créent une œuvre artistique, doiventtoujours avoir en tête que le « typique » n’est pas ce qui se rencontre le plusfréquemment, mais ce qui exprime avec le plus de pouvoir de convictionl’essence de la force sociale considérée. D’un point de vue marxiste-léniniste, le« typique » ne signifie pas une quelconque moyenne statistique. Le typique est lepivot et la charnière où s’exprime l’esprit partisan de l’art réaliste. Le problème du« typique » est toujours un problème politique. 63 »
« une sublimation esthétique qui réside dans la mise en mouvement de la pensée
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à l’occasion de l’ aisthesis , puis une sublimation créatrice qui engendre unsignifiant de cette aisthesis sous la forme d’un universel d’imagination, et,finalement, une sublimation normatrice qui tient dans la croyance en la réalité dece signifiant, et en l’adoption d’une « conception » systématique du monde et del’action humaine. 69 »
« Le camarade Staline a beaucoup à faire. Il dirige tout le pays. Il est plongé dansles problèmes de l’industrie, de l’agriculture et des transports. Mais je vais vousdire sur la base de ma propre expérience, que le camarade Staline aimeparticulièrement et se préoccupe de la reconstruction de la ville de Moscou, ettout particulièrement de la construction de son métropolitain et du canalVolga-Moscou. Il entre dans tous les détails de nos travaux : (…) commentconstruire le métro pour s’assurer de la haute qualité de ces réalisations et deleur achèvement dans les délais prévus. C’est plus d’une fois qu’il nous a formulé
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ses exigences : veillez à ce que la qualité du métro soit élevée, exemplaire.Chacune de ses remarques soulevait et mobilisait les bolcheviks de Moscou pourcombattre avec encore plus de résolution pour la construction et la qualité (…)sous la surveillance vigilante et amicale de ce géant de notre grande patrie : lecamarade Staline. »
« Le métro de Paris est (…) parfaitement pratique ; il n’y a rien à redire en ce quile concerne sous le rapport du « fonctionnalisme ». Mais quel sentiment le métroinspire-t-il à l’ouvrier parisien, dont il est le principal moyen de transport ? Quand(…) il entre dans ces gares souterraines répondant parfaitement à leursfonctions, c’est le sentiment de vide, de désolation, de désespoir, de corvée quenourrit en lui la froide « utilité pratique » du métro parisien. Et le métro deMoscou ? Avec son architecture ornée de statues, avec, oserai-je dire, son luxe, ilnourrit chez le travailleur se rendant à son travail, le sentiment qu’en UnionSoviétique c’est jour de fête, même quand ce n’est pas dimanche. L’un et l’autresont fonctionnels, mais il ne s’agit pas de la même fonction. 74 »
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Ragon Michel, 1972, Histoire mondiale de l’architecture et de l’urbanisme modernesTome 2 – Pratiques et méthodes 1911-1976 , Ed. Casterman, 428 p.
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