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Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 1
LE REGARD LIBRE
Journal d’opinion réalisé par des étudiants depuis janvier 2014
Janvier 2015 | N° 08
02 | Éditorial et image du mois
03 | L’entretien : Pour un Valais
durable
06 | Cinéma : « La vita è bella »
de Cecchi Gori
08 | Musique : Les
polnarévolutions
13 | Spiritualité : Insieme – une
approche différente
15 | Citations
Le Regard Libre sera présent à la Matinée
Portes Ouvertes du samedi 31 janvier 2015 au
Lycée-Collège des Creusets avec un stand au
premier étage.
galerie.parismatch.com À la découverte de l’Œuvre et du personnage de Michel Polnareff – Page 8
Vos articles portant sur la philosophie, la politique, la littérature, la musique, la
spiritualité, le cinéma ou un autre domaine digne d’intérêt sont les bienvenus. Nous
nous réjouissons de vos commentaires et de vos propositions.
Contact : Jonas Follonier | Classe 5A | [email protected]
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Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 2
02 DIVERS
JONAS FOLLONIER – Rédacteur en chef
Éditorial
Gare aux effets de groupe et aux réactions réactionnaires
Après le 7 janvier, la masse s’émeut. La médiocrité s’émeut, ou plutôt publie son
émotion. En même temps, nombre de « citoyens » répondent à la haine par la haine :
« Tuons-les ! », « Rétablissons la peine de mort », s’exclame-t-on. « C’est le Coran qui dicte
ces actes ! » En France, la Marine ne manque pas de surfer sur la vague : c’est tellement
facile. Les Zemmour et autres populistes ne tarderont pas non plus.
Rappelons aux réactionnaires SANS CERVELLE que les premières victimes des
terroristes sont les musulmans. Qu’en Suisse, pour citer Pascal Couchepin dans l’Hebdo
paru peu après l’attentat, « 99% des musulmans veulent vivre paisiblement, gagner leur
vie, élever leurs enfants et s’intégrer. »
Au-delà des réactions auxquelles on pouvait aisément s’attendre, il est certain qu’il faut
s’indigner contre l’atteinte à nos valeurs chères. Certes, Charlie Hebdo symbolise la
liberté d’expression entaillée. Personnellement, je ne suis pas Charlie, mais simplement
un partisan de la liberté.
L’image du mois (Photo de Florent Aymon)
Malgré le manque de neige, quelques belles journées de ski ont quand même pu se dérouler.
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03 L’ENTRETIEN
L’interview d’ISABELLE DARBELLAY MÉTRAILLER, présidente
d’Avenir Ecologie
Pour un Valais durable
Une interview réalisée par Jonas Follonier
Isabelle Darbellay Métrailler, l’actuelle présidente d’Avenir Ecologie, une association
valaisanne, a accepté de répondre à nos questions. Très active dans le PLR Valais depuis
une dizaine d’années, elle a également été présidente des Femmes libérales-radicales
valaisannes et responsable du bureau valaisan de l’égalité.
Décrivez-nous l’association Avenir Eco-
logie que vous présidez.
Avenir Ecologie est une association,
créée en 2011 dans le cadre des élections
nationales pour lesquelles elle avait pré-
senté une liste apparentée au PLR.
Notre association défend une écologie
responsable qui réconcilie écologie et
économie. Nous pensons en effet que
l’écologie a beaucoup d’atouts qu’il fau-
drait mieux mettre en avant. C’est la
seule façon d’assurer un développement
durable pour notre pays et notre pla-
nète.
Qu’est-ce qui vous a fait choisir cette
démarcation dans votre propre parti ?
Mon parti prône la responsabilité, or la
responsabilité environnementale est une
des plus importantes qui soit. Notre en-
gagement pour le développement du-
rable a donc toute sa place dans l’enga-
gement de notre parti. Il faut d’ailleurs
relever qu’en Valais, la préoccupation
environnementale a toute sa place dans
les priorités du parti, grâce notamment
à des précurseurs comme Narcisse Cret-
tenand. Avenir Ecologie a par exemple
un siège au Comité Directeur.
D’aucuns vous diront que le libéralisme,
ou le capitalisme, est contraire, dans sa
logique même, à l’écologie : le libre mar-
ché engendre une extension infinie des
biens, alors que l’écologie vise à donner
des limites au niveau de la population,
de l’utilisation des res-sources naturelles
etc. Que leur ré-pondez-vous ?
Je ne crois pas que le capitalisme soit
contraire à l’écologie. Tout bon capita-
liste sait qu’il faut investir pour s’as-
surer des revenus futurs. Or l’écologie
n’est rien d’autre qu’un investissement
pour l’avenir ! De même que le capi-
talisme a évolué en matière de droits
sociaux, il est en train d’évoluer en ma-
tière d’écologie. Plus personne au-
jourd’hui en Europe n’accepterait les
conditions de travail qui existaient au
début du siècle passé. Le libéralisme a
évolué, intégrant des droits sociaux
comme les vacances, la semaine de cinq
jours etc. Il en va de même de l’écologie
je pense. Le développement durable
comprend d’ailleurs ce volet social éga-
lement, en plus des volets écologique et
économique.
Suite p. 4
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04 L’ENTRETIEN
L’une des grandes préoccupations de
l’écologie actuelle est l’élevage indus-
triel, qui engendre la souffrance et le
mal-être de milliards d’êtres sensibles
par année. Êtes-vous personnellement
pour interdire, ou pour encadrer ce type
d’ « agriculture » avec des lois strictes ?
Je suis bien sûr pour une limitation de
ces pratiques pour des raisons éthiques
(éviter la souffrance des animaux), sani-
taires (limiter le risque de maladies et
améliorer la qualité de notre alimen-
tation) et économiques (la production de
qualité amène aussi une plus-value in-
téressante).
L’agriculture locale est un thème de pré-
dilection d’Avenir Ecologie. Quels sont
les moyens politiques pour la mettre en
pratique ?
C’est une raison de plus pour limiter les
élevages industriels ! Les petits éleveurs
locaux tirent d’ailleurs de plus en plus
leur épingle du jeu. Les consommateurs
apprécient les produits de qualité et sont
prêts à payer plus pour cela. Pour la
viande, mais aussi pour les fruits et les
légumes, la production locale a de gros
atouts et va se développer encore.
Politiquement, il s’agit surtout d’édicter
des conditions-cadres, mais l’essentiel
est à faire ensuite par les producteurs
eux-mêmes. Et je crois que le Valais
n’est pas du tout à la traîne, contrai-
rement à certains préjugés. Regardez
par exemple le mouvement de soutien à
une institution comme La Potagère qui
s’est récemment développé. Enfin, les
citoyens et les citoyennes ont un rôle
essentiel à jouer. Au final, c’est à nous
de choisir ! Choisir de consommer des
produits locaux et de qualité est béné-
fique pour notre santé, pour l’environ-
nement et pour l’économie. Le dévelop-
pement durable est bien l’affaire de
toutes et tous.
Le développement durable, justement,
inclut également les énergies renou-
velables, qui occupent une place impor-
tante dans votre programme. Dans
quelle mesure le Valais a-t-il le potentiel
de réformer ses sources d’énergie ?
En Valais, les choses sont malheu-
reusement souvent compliquées… Les
lobbies sont forts et peinent à voir le
potentiel des nouvelles énergies. Le
lobby hydraulique, par exemple, peine à
comprendre que le développement des
énergies renouvelables est son meilleur
atout. Pour stocker de l’éolien ou du
solaire, les barrages sont indispensables.
Mais l’inverse est également vrai. Quand
il n’y aura plus d’énergie nucléaire bon
marché pendant la nuit, le pompage des
eaux devra trouver d’autres sources
d’énergie. Et je ne parle pas uniquement
Suite p. 5
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05 L’ENTRETIEN
des installations de pompages-
turbinages. Les eaux qui sont récoltées
dans toutes les alpes valaisannes pour
être acheminées vers les barrages ne le
sont pas seulement par gravité. C’est
donc particulièrement dommage que le
Valais peine à se réformer et à imaginer
son futur avec les nouvelles énergies
renouvelables. Nous avons été avant-
gardistes lors de la construction des
grands barrages au siècle dernier. Mais
cet esprit visionnaire manque
aujourd’hui, alors même que nous
pourrions devenir la place forte de
l’Europe énergétique grâce aux barrages,
au soleil et au vent. Au lieu de cela,
chacun se bat pour défendre ses droits
d’eau, ses subventions, ses acquis.
Autant je suis optimiste sur la prise de
conscience écologique de nos concitoyens
et concitoyennes, autant je suis
pessimiste sur la capacité du Valais à se
réformer. En tout cas tant que la défense
des acquis mobilisera toutes nos
énergies, car il faut innover pour créer
l’avenir. Reste à espérer que l’arrivée de
chaires de recherche en énergie dans le
cadre du pôle EPFL Valais-Wallis fera
souffler un vent nouveau…
Enfin, si vous deviez vous définir en un
mot : êtes-vous avant tout une radicale ?
Une femme ? Une verte ?
Tout cela ! Pour moi, la responsabilité
individuelle est la valeur principale, et
elle inclut l’engagement radical,
l’engagement féministe et l’engagement
vert.
Merci infiniment du temps que vous
avez consacré à cet entretien.
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Répercussions, long métrage réalisé par Axel Oztas, étudiant au LCC, sortira en 2015
Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 6
06 CINÉMA
Une présentation de LORIS MUSUMECI
« La vita è bella »
Ouverture. Brouillard. Bruit du vent.
VOIX OFF : Cette histoire est simple, et pourtant elle n’est pas facile à raconter. Comme
un conte, elle est douloureuse et comme un conte elle est pleine de merveilleux et de
bonheur.
La vie est belle. Roberto Benigni n’aurait pu trouver meilleur titre à son chef-d’œuvre
cinématographique réalisé en 1997. En effet, il est vrai que la vie, comme cette histoire,
comporte bien des douleurs, mais elle est aussi pleine de merveilleux et de bonheur, c’est
pourquoi l’on peut dire que La vie est belle. Cependant, ce titre ambitieux pourrait
sembler paradoxal avec le contexte tragique dans lequel le film est ambiancé. Comment
peut-on chanter cet hymne à la vie au cœur de la période si dramatique pour l’humanité
qu’est la Shoah ? Benigni y parvient d’une manière à la fois exceptionnelle et simple, il
s’adresse aux cœurs en traitant ce drame avec une douce et poétique tragicomédie, entre
larmes et sourires.
Suite p. 7
La vita è bella, Cecchi Gori, 2000
Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 7
07 CINEMA
En 1938, Guido Orefice, un jeune et joyeux Toscan, quitte la campagne avec son ami
poète, Ferruccio, pour travailler en ville, à Arezzo. Les deux compagnons logent chez
l’oncle de Guido, Eliseo, qui est directeur au Grand Hotel (où Guido travaillera comme
serveur). Une fois en ville, Guido tombe follement amoureux d’une charmante petite
maîtresse d’école, Dora. Elle aussi éprouve une certaine sympathie pour lui, mais elle
malheureusement déjà promise en mariage à Rodolfo, un antipathique bureaucrate
fasciste. De ce fait, le jour des fiançailles qui a justement lieu au Grand Hotel, Dora
décide de s’échapper avec Guido. Celui-ci l’« enlève » alors au grand moment de la
cérémonie, au gâteau, après quoi les deux tourtereaux se réfugient chez Guido, et de cet
amour naît Giosuè. Suite à une ellipse de cinq ans, la famille Orefice apparaît dans la
plus parfaite des sérénités. Toutefois, la situation politique et sociale se dégrade
rapidement, en effet les lois raciales deviennent toujours plus nombreuses et sévères,
surtout pour les Juifs, et Guido est Juif. La petite famille n’est cependant pas affectée
par ce contexte difficile, jusqu’au jour du cinquième anniversaire du petit Giosuè, où lui-
même, son père et le grand-oncle Eliseo sont capturés pour être déportés. Dora, n’étant
pas Juive, n’est pas arrêtée, mais exige d’être déportée elle aussi avec sa famille. Arrivés
au camp de concentration, Eliseo est envoyé avec les vieillards, Dora avec les femmes,
mais Giosuè et Guido restent ensemble. Ce dernier, voulant protéger l’innocence
infantile de son fils de l’horreur de la tragique réalité dans laquelle ils se trouvent, lui
fait croire que tout n’est qu’un jeu et que le premier qui arrive à mille points gagne un
vrai char d’assaut…
Le film est visiblement « divisé » en deux parties : la première raconte la joyeuse et
romantique histoire de Guido ainsi que la sereine vie de famille des Orefice, alors que la
deuxième témoigne de la véritable mission du protagoniste de préserver son fils des
horreurs de l’holocauste. On pourrait alors penser que de la « première » à la
« deuxième » partie il y a un passage de la comédie à la tragédie, mais ce n’est pas le cas.
Et c’est justement là que se trouve le cœur de la compréhension du film. Certes, le
contexte est des plus dramatiques (et le film le montre à chaque fois en suggérant
l’horreur, mais sans jamais l’exposée) mais l’histoire n’est pas triste, elle est même
profondément heureuse. Et c’est l’amour « inconditionnel » (même l’horreur de
l’holocauste n’est pas une condition) d’un père pour son fils qui donne au film tout son
Bonheur et sa Beauté. En effet, qu’y a-t-il de plus beau que le Don complet de soi. Guido
donne sa vie pour son fils pour le sauver, pour sauver l’Espérance. Il y a là une certaine
« folie de l’amour », un amour christique. En évoquant le Christ, on peut penser à l’une
de ses plus belles sentences : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie
pour ses amis. » (Jn 15:13)
En fait, La vie est belle n’est autre qu’un témoignage de l’omnipuissance de l’Amour,
celui-ci qui résiste et se renforce même dans un camp d’extermination, et comme l’a dit
Benigni pour conclure un entretien durant le tournage : « Le film est un hymne au fait
que nous sommes poétiquement condamnés à aimer la vie : parce que la vie est belle. »
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08 MUSIQUE
Portrait actuel par JONAS FOLLONIER
Les polnarévolutions
Qui est Michel Polnareff ? Que peut-on retenir de son œuvre, de ses révolutions
musicales ? Tels seront les deux grands défis de cet article, auxquels je vous invite
naturellement à vous intéresser : le jeu en vaut la chandelle. En effet, méfiez-vous de
l’image que vous vous faites de cet homme, qui, bien au-delà de ses lunettes et cheveux
blonds ondulés qui le caractérisent pour un public large, n’est rien d’autre qu’un génie.
C’est dans la froideur et la tristesse d’une enfance rythmée par le ceinturon facile de son
père et la pression qu’il subissait quant à son niveau musical que le jeune Michel, très
bon élève, s’avéra très vite (et dut surtout s’avérer) être un pianiste virtuose. La rigueur
extrême et étouffante de son cadre familial le poussa à claquer la porte de son foyer à
l’âge de seize ans pour aller, beatnik, jouer de la guitare sur les marches du Sacré-Cœur.
Il est donc très important de bien prendre en compte l’ambivalence qu’il y eut durant son
enfance entre le bagage musical classique qu’il acquit et la cruauté du père : par
exemple, son fils lui ayant demandé qu’il lui achète une fleur pour l’offrir à une jeune
fille qu’il convoitait, L. Polnareff alla acheter un cactus pour son fils pourtant très sage.
Ce dernier pointant une mine surprise, l’autorité paternelle lui jeta le cactus à la figure.
Et c’est peut-être ce climat très particulier qui devait faire que Michel, désormais
adolescent, devînt vite l’un des grands maîtres de la musique française des Trente
Glorieuses. Il sortit son premier album en 1966, Love Me Please Love Me, qui marqua
l’arrivée du Pop-Folk en France. Outre l’innovation au niveau musical (inspirée par Bob
Dylan et le groupe The Byrds), incluant des expérimentations sur le mixage par exemple,
les thèmes qui font la couleur de cet album se veulent absolument "adolescents", tantôt
existentiels avec Sous quelle étoile suis-je né ?, tantôt prônant la liberté sexuelle avec le
titre célèbre L’Amour avec toi, interdite à la radio avant 22 heures.
Se faisant connaître grâce à cet envol très anglosaxon, Michel Polnareff imbibera la
France d’un nouveau genre musical, le Pop Baroque, qui se manifestera le plus dans son
album Le Bal des Laze (1968). Cette forme de pop se caractérise par une appropriation
d’instruments très utilisés dans la période baroque et créant ainsi une atmosphère
ancienne, caverneuse, lugubre parfois. Ainsi, des chansons belles à pleurer mettent en
valeur le clavecin (Mes regrets), l’orgue d’église (Le Bal des Laze, interdite elle aussi à la
radio) ou encore des cordes et cuivres dramatiques et passionnées (Jour après jour).
Suite p. 9
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09 MUSIQUE
1971, c'est l'année d'une grande déprime pour Michel Polnareff. Il perd son ami Lucien
Morisse, qui l'avait mené au succès, et lui compose alors une chanson-hommage
renversante par sa musicalité et son fond, Qui a tué Grand-maman ?. Polnareff venait
également de subir une agression lors d'un concert en 1970, or Johnny Hallyday lui offre
l'opportunité de renouer avec la scène en lui proposant d’être le pianiste de son show au
Palais des Sports. C'est également en 1971 que Polnareff sort l'album quadriphonique
Polnareff's, qui est généralement considéré comme l'apogée de sa carrière : un Polnareff
expérimental surprend avec des titres comme Né dans un Ice-Cream et confirme son
style habituel avec le titre formidable Nos mots d'amour. 1971, c'est enfin l'année où
Polnareff crée les musiques du film Ça n'arrive qu'aux autres (avec Catherine Deneuve),
l'histoire d'un couple heureux dont l'enfant de neuf mois meurt un beau matin. La
chanson est à nouveau sublime, elle devient un grand succès. « Ça n'arrive qu'aux
autres... Mais c'était le nôtre... Tu sais la différence c'est le chagrin. » Comme quoi,
toujours et encore, on constate que c'est lors de moments difficiles que les artistes
produisent les choses les plus abouties, et les plus sincères.
Outre les innovations musicales, il y a les
provocations de Michel Polnareff. Elles aussi ne
seront pas des conséquences de la « révolution »
sociétale en marche à l’époque, mais en
constitueront des agents principaux. Ses
provocations provoqueront un progrès, ou du
moins, des changements dans la mentalité
française très formatée par le général de Gaule.
Ainsi, outre la teneur de chansons comme La
poupée qui fait non, On ira tous au paradis ou
L’amour avec toi, c’est également par ses choix
vestimentaires que Polnareff provoquera, en
étant le premier chanteur connu à se montrer
en habits très féminins. Sa technique de
publicité elle aussi divisera l’opinion publique :
à l’affiche de son concert Polnarévolution, dont
le nom a inspiré le titre du présent article,
Polnareff se met en scène travesti et montrant
ses fesses. Une amende s’ensuivera.
Polnarévolution, son concert à l’Olympia,
intégrant – c’est une innovation – le son 5.1 et
des instruments fabriqués en plexiglas, ac-
compagnera deux chansons qui feront vraiment Michel Polnareff à l’Olympia (1972)
www.lefigaro.fr
Suite p. 10
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10 MUSIQUE
de l’année 1972 une période très percutante en ce qui concerne Michel Polnareff : On ira
tous au paradis et Holidays, deux grands tubes. L’une tire la langue à la culpabilisatrice
Eglise, l’autre transpose en chanson douce la peur polnarévienne de l’avion et offre une
deuxième lecture du texte, plus fine, dénonçant le contexte de l’apartheid à New York, où
le chanteur se rendait par la voie des airs.
Alors chargé de trois grandes étapes de sa carrière, Polnareff entrera dans cet enfer qu’il
dénonçait avec son plus grand tube, cité plus haut. Afin d’éviter de devoir fermer ses
portes, l’Olympia demanda à Michel Polnareff de refaire son spectacle quatre mois après
celui qui lui valut tant de succès tant pour sa publicité que pour son contenu. Mais ce
dernier refusa ; il voulait en effet monter un nouveau concert, avec une nouvelle mise en
scène et de nouvelles chansons. Afin de créer celles-ci, il sollicita Jean-Loup Dabadie,
l’un des plus grands auteurs de la chanson française à cet époque, et l’invita à se rendre
avec lui dans une oasis du sud afin de profiter de l’eau, du soleil et des femmes et laisser
parler sa créativité. Cependant, Polnareff se montra très paresseux : il repoussa toujours
les moments de travail à plus tard, et les titres furent créés en très peu de temps avant
l’échéance de l’Olympia. Le concert fut détesté ; l’album qui en résulta deçut.
Parallèlement à cela, Polnareff se rendit compte, peu à peu, qu’il se faisait rouler par son
homme de confiance. Ce dernier le ruina : Polnareff dut au fisc plus d'un million de
francs. Ne pouvant payer cette somme car l’autre lui avait tout volé, le chanteur s’exila
aux Etats-Unis à bord du France, qui se trouvera être l’un des plus grands titres de
Michel Sardou.
Polnareff avait grand espoir dans l’Amérique, qui devait lui offrir une compétition
honnête entre les chanteurs et un Etat plus respectueux fiscalement. Il fut d’ailleurs le
premier artiste français à signer un contrat international avec une maison de disque
américaine. Cependant, malgré de belles chansons comme Holding Hope To Smoke, celui
qu’on appelle « le Roi des Fourmis » n’atteint pas le succès espéré et retrouva le
châtiment de la censure avec son titre Jesus for tonight. C’est là que Michel Polnareff,
après avoir avalisé un mauvais concert en France, après s’être fait escroqué, après avoir
râté sa carrière aux Etats-Unis et apprenant la mort de sa mère, envisagea de tout
arrêter. Polnareff avait fait trop de tubes, trop vite. Rien ne lui suggèrait une lueur
d’espoir.
Rien, si ce n’est la nostalgie qui grandit lentement dans son cœur. Invité par la célèbre
RTL pour un concert spécial à Bruxelles, cette nostalgie se concrétisera en larmes devant
un public fou de joie de retrouver enfin leur idole française. La France, oui, c’est bien elle
qui était sa patrie. Et le prodige fut : Michel Polnareff soigna ses plaies en composant
une Lettre à France. Cette chanson mélancolique se manifesta comme un véritable coup
de tonnerre auprès du public francophone. Son retour était annoncé. Et quel retour.
Suite p. 11
Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 11
11 MUSIQUE
L’album qui accompagnera ce grand succès épistolaire, Coucou me revoilou, ne sera
cependant pas à la hauteur des attentes du public. Certains titres de l’opus dénoncent
son exil forcé, comme J’ai tellement de choses à dire, qui fait partie des chansons
réussies, bien qu’elle ait un ton de variété épique frisant le cliché. La variété, Michel
Polnareff l’aura toujours snobée, malgré quelques exceptions comme la chanson précitée
ou deux titres remarquables de 1970 : « Un train ce soir » et « Gloria ». Il l’évite donc
pour mieux l’aborder que ses collègues de métier. Sous la roche un peu fade de l’album-
retour dont nous parlions, une source de beauté coule et nous montre que le génie
Polnareff a bien persisté : Une Simple Mélodie, voilà l’une de ses meilleures créations,
une adéquation parfaite entre l’orchestration, les mots et la mélodie, et qui compte sur la
participation en or du bassiste Jaco Pastorius, qui nous offre des notes exceptionnelles.
Puis, les années 80 auront une influence très néfaste sur l’Amiral : deux albums
seulement sortiront, dont Incognito, qui porte bien son nom. Les synthétiseurs des
années disco seront-il la raison de son « déclin » ?
Assurément non, car l’un des épisodes les plus intéressants de la vie de Michel arrivera.
Depuis 1985, Michel Polnareff veut vivre enfermé sur lui-même : il se réfugie 18 mois
dans un manoir, n’écrit rien, ne compose rien. Une fois sorti du manoir, il décide de
rester dans ce village français car il s’y sent bien. C’est alors dans un bar-tabac qu’il
passe une vie "normale", demandant à tout le monde de garder le secret de sa
personnalité. Désormais, seules ses lunettes permettent de le reconnaître : Polnareff se
laisse pousser une barbe hirsute, ne se lave pas souvent, ne se teinte plus les cheveux en
blond. Une fois la rumeur parvenue, de nombreux producteurs musicaux de Paris
cherchent à le trouver pour lui proposer un contrat. Sony Music y parvient.
Seulement, fin 1989, Michel Polnareff a une condition spéciale pour réaliser son album :
il veut s’enfermer dans un palace de la capitale, le Royal Monceau. Le bar servira de
studio d’enregistrement de 4h à 8h du matin. Polnareff boit beaucoup, dort beaucoup, se
lève à 17 heures. Il gère les cordes, enregistrées à Londres, par téléphone. Tout paraît
irréaliste, et pourtant, tout aussi irréaliste, un chef d’œuvre de l’artiste, si ce n’est son
chef d’œuvre, en naîtra : Goodbye Marylou, une chanson dont l’harmonie n’avait été
utilisée dans aucun morceau auparavant. Polnareff dira avoir reçu ce thème musical
comme une aura, une révélation.
Or un malaise s’installe chez ses proches : pourquoi, une fois l’album terminé en 1990,
Polnareff désire-t-il encore rester dans cet hôtel, tel un ermite ? La réponse sera per-
cutante : depuis près de cinq ans, il devenait progressivement aveugle, et, ne voulant pas
le dire à son entourage, il s’est habitué aux contours des couloirs du Royal Monceau pour
pouvoir se déplacer. Convaincu par ses proches, il décidera finalement de détruire ce mal
profond qui le ronge en osant faire une opération très dangereuse, qui se passera bien.
Suite p. 12
Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 12
12 MUSIQUE
Un ironique événement pour cet
homme dont le premier com-
plexe fut ses yeux. En effet, Mi-
chel Polnareff adolescent s’est
vite trouvé laid ; il fut par-
ticulièrement complexé par sa
maigreur et ses yeux hagards et
très rapprochés. La fabrication
progressive de son personnage
semble dès lors avoir des rai-
sons très profondes. Ses lu-
nettes blanches, qui, bien sûr,
relèvent de quelque chose d’ac-
cessoire à côté de son oeuvre dé-
mentielle, comportent tout de
même quelque chose d’intrigant
et de mystérieux. De même que ses cheveux blonds ondulés ou ses tenues vestimentaires
variées, elles semblent en tout cas symboliser une grande transformation de soi.
Si Polnareff est si intéressant, c’est pour l’opacité qui le caractérise en de nombreux
points. Et cette dernière, passée la dimension physique, se retrouve dans quelques chan-
sons très ambiguës. Ainsi en est-il de Ballade pour toi (1966), qui a donné naissance à de
multiples débats pour savoir si le chanteur s’adressait à une fille ou à un garçon. Il est
vrai que l’atmosphère de la chanson laisse penser à la deuxième possibilité, renforcée par
une chanson de l’année 1967, Complainte à Michaël. Nombreuses furent les dénoncia-
tions d’une prétendue homosexualité, qui se lisait aussi dans les vêtements de l’artiste.
Puis, l’ambiguïté se transpose même dans des chansons exposant un certain amour pour
les enfants. L’exemple le plus frappant est le titre À midi à minuit, qui clot son album
mythique Polnareff’s de manière belle mais qui porte à confusion. « À minuit, les enfants
comme toi sont au lit. À minuit, qu’est-ce que tu fais dans mon lit ? »
De Kâma-Sutrâ à La mouche en passant par La maison vide, l’univers de Polnareff
mérite donc qu’on s’y faufile. Un monde à part n’existe jamais sans raison.
La rédaction vous suggère les nouveaux albums suivants :
Turn Blue (The Black Keys, 2014)
LØVE (Deluxe Version) (Julien Doré, 2014)
Michel Polnareff à son concert événement de 2007
http://it.wikirecent.com/topics/polnareff/
Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 13
13 SPIRITUALITÉ
Un partage d’HÉLÈNE IVEN
Insieme – une approche différente
L’association Insieme Valais, soutenue par le Lycée-Collège des Creusets dans le cadre
de la marche d’automne et de l’action de Noël 2014, bien que locale, n’a jamais parue si
éloignée. Eloignée de notre quotidien d’une part, parce que la prise en charge de
personnes handicapées est rarement abordée, ni dans le milieu scolaire, ni ailleurs ;
d’autre part du fait que le handicap est trop souvent considéré comme « hors-norme »
dans une société où la différence effraie. En effet, ce sont des commentaires facilement
entendus dans les conversations : les handicapés mettent mal à l’aise. Pourquoi ? Sont-
ils trop différents ? Cette pensée m’indigne, d’autant plus que je ressentais le même
trouble, jusqu’au jour où j’ai voulu dépasser les apparences, m’éloigner de la fausse
image que j’avais des handicapés mentaux et me rapprocher d’eux pour apprendre à
vraiment les connaître.
Le concept d’Insieme est de libérer les parents d’enfants handicapés de leur charge
pendant certains week-ends de l’année. C’est surtout une possibilité pour leurs enfants
de passer des moments riches en activités et en amitié, dans une autre ambiance que
celle de l’école. Ils sont encadrés de jeunes qui s’en occupent et qui se chargent de
l’animation. Bien que travailler comme accompagnant demande une certaine
responsabilité, le jeune passe un week-end dans un cadre de vacances et il est rétribué
pour cela. En outre, il apprend à créer des liens de confiance avec des personnes
différentes. Lorsque j’en ai entendu parler, j’ai saisi l’occasion de tenter l’expérience et,
après un entretien avec la responsable, j’étais engagée pour un mini-camp d’un week-end
durant les vacances de Noël.
Désormais, j’aime reprendre l’expression : « Il faut voir pour croire » car mon expérience
a réellement changé la vision que j’avais sur le sujet. Quand un enfant présente un
retard mental, il est facile de penser qu’il n’éprouve pas les mêmes sentiments qu’un
autre enfant. Pourtant, lorsque l’un d’eux vous devient familier, il apparaît clair que les
handicapés sont sujets aux mêmes accès de joie quand ils jouent et aux mêmes crises de
colère quand ils perdent que l’enfant que vous étiez. De même, ils apprennent, ils
dansent, ils chantent, ils boudent, ils tombent amoureux et sont jaloux, tout comme on
peut l’être.
Cependant, les aptitudes de chacun varient selon leurs maladies, qui sont autant
nombreuses que diverses chez Insieme (étonnamment, lors de mon camp, une seule
personne souffrait de trisomie). Par exemple, le jeune garçon dont je m’occupais
présentait des troubles de motricité, ses réponses n’étaient pas toujours compréhensibles.
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Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 14
14 SPIRITUALITÉ
Encore une fois, il était facile de sous-estimer sa compréhension. Malgré cela, j’ai
rapidement appris à le connaître : adorable mais taquin, il a directement compris que
j’étais nouvelle et comment utiliser mes préjugés. Pendant deux jours, il m’a laissé
mettre sa ceinture et lui brosser les dents, ce qu’il savait très bien faire lui-même ! Une
autre surprise a été de le voir rire aux éclats à de fines blagues ; il les comprenait, elles
l’amusaient.
Hélène Iven (auteur de l’article) et Simon, le jeune garçon dont elle s’est occupé
La différence a tendance à provoquer une méfiance, voire même une répulsion. Ainsi, à
travers les âges, il a toujours été difficile de dépasser cette première impression –
premier engrenage des ségrégations raciales et des discriminations sociales. Cependant,
une fois que l’on gratte cette différence pour l’examiner de plus près, elle s’atténue
étrangement. Finalement, mon expérience chez Insieme a atteint ses objectifs : je ne les
juge pas sur leur maladie. Ainsi, si l’un d’eux m’était antipatique, ce serait dû à son
caractère plutôt qu’à son handicap. Désormais, lorsque j’aperçois un handicapé dans la
rue, je ne ressens plus aucun malaise. Il m’arrive même de rencontrer des personnes
dont je me suis occupée pendant le week-end ; alors, c’est avec plaisir que nous nous
retrouvons et que nous discutons. C’est incroyable comme ils peuvent être adorables !
© Nathalie Rey
Le Regard Libre | Janvier 2015 | N° 08 15
« Si on ne voulait qu'être
heureux, cela serait bientôt fait.
Mais on veut être plus heureux
que les autres, et cela est
presque toujours difficile parce
que nous croyons les autres plus
heureux qu'ils ne le sont. »
Montesquieu
« Tout ce qui est grand fuit la
place publique et la renommée ;
c’est loin de la place publique et
de la renommée qu’ont toujours
vécu les inventeurs de valeurs
nouvelles. »
Friedrich Nietzsche
« L’art conteste le réel mais ne
se dérobe pas à lui. »
Albert Camus
« Cette phrase „Je hais les Juifs“
est de celles qu’on prononce en
groupe ; en la prononçant, on se
rattache à une tradition et à une
communauté : celle des mé-
diocres. Aussi convient-il de rap-
peler qu’on n’est pas nécessaire-
ment humble ni même modeste
parce qu’on a consenti à la mé-
diocrité. C’est tout le contraire :
il y a un orgueil passionné des
médiocres et l’antisémitisme est
une tentative pour valoriser la
médiocrité en tant que telle,
pour créer l’élite des médiocres.
[...] En traitant le Juif comme un
être inférieur et pernicieux, j’af-
firme du même coup que je suis
d’une élite. Et celle-ci, fort diffé-
rente en cela des élites modernes
qui se fondent sur le mérite ou le
travail, ressemble en tout point
à une aristocratie de naissance.
Je n’ai rien à faire pour mériter
ma supériorité et je n’en puis
plus déchoir. Elle est donnée une
fois pour toutes : c’est une
chose. »
Jean-Paul Sartre
15 CITATIONS
« La plus grave des fautes
consiste à n’en voir aucune. »
Thomas Cartyle
« L’angoisse est le vertige de la
liberté. »
Sören Kierkegaard