AZZI Jérôme
LES ASPECTS REPRESSIFS DE LA LUTTE CONTRE
LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX : ETUDE
COMPARATIVE DU DROIT BELGE ET DU DROIT
FRANCAIS
DEA Droit des Affaires 2003/2004
Université Robert Schuman de Strasbourg
Sous la direction de Mme Chantal Cutajar
Titre I : Les différences de qualification de l’infraction de blanchiment en
droit belge et en droit français p. 11 à 37
Chapitre 1. La définition des pratiques de blanchiment : la nécessité d’une
répression efficace conforme au principe de légalité criminelle p. 12 à 27
Section 1 : Une approche similaire quant aux auteur et objet de l’infraction
p. 12 à 17
Section 2 : La divergence d’approche quant aux actes constitutifs du
blanchiment p. 17 à 27
Chapitre 2. la détermination de la nature de l’infraction : les enjeux dans la
lutte contre les organisations criminelles p. 28 à 38
Section 1 : La position du droit belge : un pragmatisme qui dépasse les
restrictions traditionnelles p. 29 à 35
Section 2 : L’incertitude de l’approche française et le parallèle avec
l’infraction de recel p. 35 à 38
Titre II : les différences dans la mise en œuvre de la répression p. 38 à 64
Chapitre 1. Les divergences d’approches quant à la preuve de l’origine des
fonds blanchis : une menace pour la présomption d’innocence p. 38 à 50
Section 1 : La problématique sous-tendant cette opposition p. 38 à 40
Section 2 : La différence de position des juges belges et français p. 41 à 50
Chapitre 2. L’infraction générale de blanchiment et le principe
d’intentionnalité des crimes et délits p. 51 à 64
Section 1 : Le débat quant à l’élément moral dans l’infraction de
blanchiment p. 51 à 57
Section 2 : La preuve de l’élément moral dans l’infraction de blanchiment
p. 58 à 64
2
Si « Bien mal acquis ne profite jamais » rappelle le dicton, l’existence des blanchisseurs remet
cette affirmation en question.
L’activité des organisations criminelles de type mafieux tend toujours vers la réalisation de
profits pécuniaires. Au nombre des activités qui sont sources de profits pour ces groupes, on
peut compter entre autre le trafic de substances illicites, les drogues mais également tout autre
bien ou marchandises dont la circulation est réglementée ou interdite, ces biens étant
considérés comme plus ou moins dangereux selon les époques. La prohibition de l’alcool, qui
fit le bonheur des mafias aux Etats Unis dans les années 1930, en est un bel exemple.
D’importants bénéfices sont également dégagés de pratiques telles le proxénétisme, le racket,
l’escroquerie, où de fraudes fiscales a grande échelle. Ces activités, si elles apparaissent pour
le moins disparates, ont pour trait commun de se situer en dehors de l’économie légale et
d’être de ce fait fort rentables. Une économie souterraine se développe donc en marge de celle
que l’on étudie dans les livres, et elle génère des profits tels pour ses auteurs que leur
utilisation dans la sphère légale suscitera des vives interrogations et mêmes des soupçons des
pouvoirs publics quant à leur origine. C’est la raison d’être du phénomène du blanchiment
d’argent.
Ce processus a pour but de permettre l’utilisation d’argent d’origine illicite dans l’économie
légale, en faisant disparaître progressivement le lien entre cet argent et l’infraction dont il est
issu. C’est un phénomène complexe qui se défini plus facilement par son résultat que par ses
modalités, mais les criminologues et les juristes pénalistes se sont efforcés d’en distinguer les
éléments. On peut le décomposer en trois phases, que sont le placement, l’empilage et la
conversion, parfois appelée intégration.
La première étape, le placement, consiste à faire entrer les profits illicites dans le circuit
économique légal par différents moyens dont le placement bancaire est quantitativement le
plus important. En effet, les établissements de crédit sont depuis longtemps le vecteur
principal de circulation de l’argent. Cette étape est la plus risquée car c’est celle qui se situe le
plus près de l’infraction d’origine.
L’étape suivante est celle de l’empilage, terme qui désigne la multiplication de transactions
effectuées les unes après les autres de manière à créer un réseau d’une complexité telle que la
remontée à la source de l’argent devient très ardue voir impossible pour les autorités de
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police. Ces transferts sont faits dans un anonymat complet grâce aux montages de plus en
plus sophistiqués qui allient le jeu du secret bancaire, d’autres secrets professionnels et
l’intervention de sociétés écrans souvent domiciliées dans des paradis fiscaux et bancaires.
Entre tant d’autres, les réseaux interbancaires tels SWIFT et CHIPS sont pointés du doigt pour
être un moyen peu surveillé de faire circuler d’importantes sommes d’argent très rapidement à
travers le monde1.
La dernière étape du processus est la conversion, également appelée intégration, qui consiste
à réintroduire l’argent en fin de processus dans l’économie légale, en le mêlant de préférence
avec des fonds d’origine licites. L’achat d’œuvres d’art où les acquisitions immobilières sont
un très bon moyen de conserver l’argent de manière légale.
L’organisation criminelle est internationale, et le blanchiment de l’argent suppose par essence
un passage multiple des frontières étatiques, constituant traditionnellement autant de points de
contrôle de la nature des capitaux entrants ou sortants.
Le blanchiment d’argent était auparavant combattu en tant que conséquence d’une infraction,
dans le but d’en atteindre les auteurs et de la faire cesser. En témoigne la spécificité des
normes nationales et internationales adoptées dans les années 1980, qui n’instauraient des
mesures de lutte contre le blanchiment que dans le cadre de la lutte contre une pratique illicite
particulière. La convention des nations unies adoptée à Vienne le 20 décembre 19882 avait
pour objet la lutte contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes. C’est dans ce
cadre qu’elle enjoignait les Etats de prendre des mesures de lutte contre le blanchiment de
l’argent de la drogue. La France, anticipant l’application de cette convention, adoptait le 31
décembre 1987 une loi qui incriminait pour la première fois le blanchiment de l’argent de la
drogue, dit « narcodollars »3.
Depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, l’ouverture des marchés auparavant nationaux
s’est réalisée par la disparition progressive des barrières douanières. Celle ci ne s’est pas
accompagnée d’une internationalisation des pouvoirs de contrôle de la communauté
1 Cutajar, (Ch.), Juri-Dictionnaire Joly bourse, partie Traité, verbo blanchiment. 2 Convention des Nations Unies du 20 décembre 1988, contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, D. n° 91-271, 20 déc. 1988, JO 14 mars 1991, P.3622 3 Loi n° 87-1157 du 31 décembre 1987, insère l’article L 627 al 3 dans le code le la santé publique, devenu L 222-38 du code pénal.
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internationale. Ceci explique l’essor des pratiques de blanchiment et des montants blanchis,
l’argent d’origine illicite pouvant circuler rapidement et sans obstacle d’un pays à un autre.
L’ampleur du phénomène peut être évaluée de différentes manières plus où moins fiables,
dont M. Jerez détaille très bien les points forts et les faiblesses4. Parmi celles là figure
l’inexplicable fossé constaté par le Fond Monétaire International entre les recettes et les
dépenses au niveau du commerce mondial, le montant des recettes étant inférieur de plusieurs
milliards au montant des dépenses, comme si le monde entier devait de l’argent à de
mystérieux créanciers5. Les fantasmes peuvent donc librement courir sur le volume des fonds
dont se constitue cette économie souterraine.
On peut néanmoins chiffrer le montant des capitaux blanchis dans le monde comme
représentant de 2 à 5 pour cent du PIB mondial6. Le processus du blanchiment ayant pour
effet l’insertion de montants de cet ordre dans les circuits économiques et financiers légaux, il
s’est au cours des années 1990 avéré être en lui-même une menace pour l’économie et les
institutions démocratiques des pays.
Dans le secteur privé, les blanchisseurs vont, dans la dernière phase du processus, investir
dans l’immobilier, les produits de luxe ou encore la création d’entreprises. Ils vont donc
pouvoir influer sur les marchés derrière l’apparence d’hommes d’affaires honnêtes, illusion
entretenue par la confusion de cet argent avec des fonds provenant d’activités légales. Le
bénéfice issu des activités illicites est d’une importance telle que la rentabilité des placements
n’est que secondaire pour les blanchisseurs, dont les soucis principaux sont la sécurité et la
discrétion. Sur un marché légal dont la seule loi est en théorie celle de l’offre et de la
demande, des activités qui sont prolifiques et qui peuvent proposer des prix défiant toute
concurrence vont déstabiliser et mettre en danger des pans entiers de l’économie légale.
Dans le secteur public, la corruption et l’implication des milieux politiques dans l’industrie
du blanchiment menacent le fondement même des sociétés démocratiques. En effet, comme
l’explique M. Jerez, la corruption existe depuis qu’il existe des pouvoirs susceptibles de
prendre des décisions dont les effets sont inégaux sur les membres d’une société. Ces
4 Jerez (O.), « le blanchiment de l’argent », Banque, 1998, p. 17. 5 Jerez (O.), op. Cit. 6 Source, le Gafi : http://www1.oecd.org/fatf/MLaundering_fr.htm#ampleur. Alors que le déséquilibre de la balance mondiale des payements était entre 1977 et 1980 de 8 milliards de dollars, il était de 925 milliards en 1985, on peut aisément spéculer sur son montant à l’heure actuelle.
5
pouvoirs sont par exemple ceux de revenir sur des décisions prise selon le seul critère du
mérite. Ce type de décision concerne l’attribution d’un marché, l’octroi d’un permis de
construire, l’approbation d’une autorisation vétérinaire, tous les pouvoirs que la
réglementation étatique attribuent à certaines personnes. L’utilisation de l’argent sale dans
les hautes sphères publiques peut également servir à ce qu’une réglementation ne soit pas
appliquée, dans le cas ou un fonctionnaire soudoyé va fermer les yeux sur certaines
infractions. Cette menace souterraine pour la démocratie est donc bien réelle, elle permet
d’acheter les institutions d’un pays et donc de vicier les rouages de sociétés construites sur la
base du mérite et de l ‘égalité entre les individus.
Les États puis les professionnels bancaires et financiers ont alors pris conscience de
l’instabilité et de la menace à long terme des effets du blanchiment à l’échelle planétaire. La
lutte contre le blanchiment de capitaux s’effectue à deux niveaux, au niveau préventif pour
essayer de limiter l’hémorragie de capitaux illicites dans le système financier proprement dit,
et également au niveau répressif dans une optique de poursuite et de pénalisation des
agissements caractérisés.
La première réaction visait l’instauration de mesures de prévention de l’utilisation des
circuits financiers pour y faire transiter de l’argent sale ou noir. La principale difficulté en
effet pour distinguer les différents flux résidait dans l’anonymat des clients.
Au niveau international, la convention des nations Unies adoptée à Vienne le 20 décembre
1988 visait uniquement le blanchiment d’argent en matière de trafic illicite de stupéfiant et de
substances psychotropes, mais elle avait le mérite d’enjoindre les États à qualifier d’infraction
des comportements définis par elle comme constitutifs de blanchiment.
Du côté des professionnels, la Déclaration de principes de déontologie du comité sur le
contrôle bancaire, « déclaration de Bâle » du 12 décembre 1988, à également pour objectif de
développer des outils de prévention de l’utilisation du système bancaire pour le blanchiment
de fonds d’origine criminelle. Cette déclaration n’a pas de portée légale mais elle à eu un fort
impact du fait de la qualité de ses membres, qui comprenait les représentants des banques
centrales et des autorités de contrôle d’Allemagne, Belgique, Canada, Etats-Unis, France,
Italie, Japon, Pays-bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse et Luxembourg.
A sa suite, de nombreuses banques créèrent en leur sein un service de surveillance des risques
de blanchiment au sen de l’entreprise.
6
Les recommandations du groupe d’action financière ont assurément eu le retentissement le
plus important au sein de la communauté internationale (GAFI). Celui ci fut crée à l’occasion
de la réunion du G7 à l’Arche de la Défense à Paris en 1989. Sa mission est de prévoir et de
préconiser des mesures de lutte contre le blanchiment et étudier le rôle de banques en ce
domaine.
Il est composé des principaux pays industrialisés, à savoir les pays d’Europe et d’Amérique
du Nord, mais également le Japon, Hong Kong, Singapour, le Brésil, l’Argentine, et le
Mexique.
Le GAFI a émis 40 recommandations en 1990, qui constituent un plan d’action complet
traitant de la justice pénale, de la réglementation du système financier, et de la coopération
internationale en la matière.
Ces recommandations n’ont aucune force obligatoire, mais elles font office de référence
internationale des dispositifs de lutte contre le blanchiment et inspirent les législations
nationales des États.
Au niveau européen, La recommandation du conseil de l’Europe du 27 juin 1980, proposait
aux États de mettre en place dans leur droit interne quatre obligations à la charge des
établissements financiers, tenant pour l’essentiel à l’identification de leurs clients par les
établissements de crédit. Elles consistent à :
Vérifier l’identité des clients dès l’ouverture d’un compte ou la constitution d’un dépôt, lors
de la location d’un coffre, et au moment de l’exécution au comptant d’opérations portant sur
des sommes élevées ;
Limiter la location de coffres-forts à des personnes avec qui la banque a une relation d’affaire
ou qu’elle considère comme dignes de confiance ;
Constituer des réserves de billets dont la numérotation peut être signalée aux autorités en cas
d’utilisation à des fins criminelles ;
Former le personnel bancaire de guichet de manière adéquate, pour les contrôles d’identité et
le dépistage des comportements suspects.
La convention du conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la
confiscation des produits du crime, adoptée à Strasbourg le 8 novembre 19907, vise une
7 Recommandation R.80 du conseil de l’Europe, 27 juin 1980.
7
harmonisation de la législation des Etats membres et à améliorer le dispositif de coopération
internationale. Elle établit dans son article 6 la définition des pratiques constitutives de
blanchiment.
Mais c’est dans le cadre de la communauté européenne que des normes à valeur
supranationale pouvaient être adoptées et lier les États membres.
La directive 91/308/CEE du 10 juin 19918 relative à la prévention de l’utilisation du système
financier aux fins de blanchiment de capitaux. Cette directive étant une norme
communautaire, elle lie les États quant au résultat à atteindre et son contenu doit être
transposé par les Etats membres dans leur législation nationale. En la matière elle institue des
obligations vis à vis des États membres, ceux ci devant veiller à ce que le blanchiment soit
interdit, veiller à ce que les établissements de crédits et les institutions financières exigent
l’identification de leurs clients lors de l’entrée en relation d’affaire et lors de certaines
transactions. D’autres obligations concernent la conservation de document par les banques
concernant leurs clients, des obligations de vigilance et de déclaration de soupçons en cas de
transaction suspecte.
Elle fut complétée par une directive du 4 décembre 20019 qui élargi son champ d’application
rationae materiae, un éventail plus large d’infractions pouvant être à l’origine du blanchiment,
et élargi son champ d’application rationae personnae, un plus grand nombre de professionnels
étant soumis aux différentes obligations prévues, notamment l’obligation de déclaration de
soupçons. La directive de 2001, reprenant la définition donnée par l’article 6 de la convention
de Strasbourg, complète la définition insuffisante de la directive 1991. Elle prévoit que le
blanchiment est constitué dès lors que des agissements qu’elle énumère sont commis
intentionnellement, à savoir ;
a) La conversion, le transfert, de biens, dont celui qui s’y livre sait qu’ils proviennent
d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité, dans le but de
dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui
est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.
8 Directive du conseil n°91/908/CEE du 10 juin 1991, JOCE 28 juin, n°L 166-77. 9 Directive modificative n° 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001, JOCE 28 décembre, n° L 344, P.76.
8
b) La dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la
disposition, du mouvement ou de la propriété réelle des de biens ou des droits y
relatifs dont l’auteur sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une
participation à une telle activité ;
c) L’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens en sachant, au moment de la
réception de ces biens, qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une
participation à une telle activité ;
d) La participation à l’un des actes visés aux trois tirets précédents, l’association pour
commettre ledit acte, les tentatives de le perpétrer, le fait d’aider, d’inciter ou de
conseiller quelqu’un en vue de le commettre ou le fait d’en faciliter l’exécution.
La Commission européenne a présenté le 30 juin 200410 une proposition de directive destinée
à abroger celle en vigueur. Elle s’inscrit dans le mouvement d’actualisation des mesures de
prévention entamé par le GAFI qui, en juin 2003, avait procédé à une révision de ses quarante
recommandations. Sur le plan préventif, elle affine le contenu des obligations incombant aux
professions financières, en tenant compte de l’expérience accumulée. Sur le plan répressif,
elle modifie la définition du blanchiment de 2001 par l’ajout d’un alinéa entre le c) et le d) de
l’actuelle définition. Est considéré comme blanchiment de capitaux « le fait de fournir ou de
collecter des biens licites, de quelque façon que ce soit, avec l’intention de les utiliser,
totalement ou en partie, à des fins terroristes, ou en sachant que tel sera le cas. »
Devant la prolifération des textes aménageant des systèmes de prévention du blanchiment
d’argent, la confusion peut s’installer, d’autant plus qu’ils émanent de sources différentes,
n’ayant donc pas la même autorité, et que leur domaine d’application n’est pas toujours
identique. Néanmoins, au niveau européen, les directives ont harmonisé les dispositions
préventives, et la coopération des activités professionnelles vecteur de l’argent blanchi avec
les Etats membres.
C’est ainsi que le législateur belge a adopté la loi du 11 janvier 1993, relative à la prévention
de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment des capitaux, qui crée la cellule
de traitement des informations financières ( CTIF) ainsi que l’arrêté royal du 11 juin 1993
relatif à la composition, à l’organisation, au fonctionnement et à l’indépendance de la cellule
de traitement des informations.
10 http://europa.eu.int/prelex/liste_resultats.cfm?CL=fr
9
Plus récemment, l’arrêté royal du 6 mai 1999, porte exécution de l’article 14bis, §2, alinéa 2,
de la loi du 11 janvier 1993, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux
fins de blanchiment de capitaux.
De son côté la France s’est également dotée de deux organes destinés à la prévention de
l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment. La loi n° 90-614 du 12 juillet 1990
crée la cellule de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers
clandestins (Tracfin) et l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière
(OCRGDF)
Parallèlement, les aspects répressifs de la lutte contre le blanchiment n’ont pas été envisagés
par une norme européenne, la matière pénale relevant du troisième pilier des communautés
européennes, c’est à dire de la coopération entre les Etats membres et non pas du pouvoir
normatif des institutions communautaires. A défaut d’intervention européenne dans le droit
pénal et donc de l’application d’un corpus de principes régissant la matière au niveau supra
national, les Etats sont en charge de la lutte contre le blanchiment avec leur ordre juridique
interne, même si, à terme, on voit mal comment la position des instances communautaires
pourrait rester figée, alors que la plupart des Etats reconnaissent la menace grandissante que
constituent les organisations criminelles, dont le blanchiment n’est qu’une manifestation.
Néanmoins, en l’état actuel de la répartition des compétences, on peut observer le déséquilibre
des forces en présences, les blanchisseurs profitant de la libéralisation des marchés dans des
réseaux par définition transnationaux face aux Etats n’ayant pour moyen de lutte que le droit
et étant limités par le principe de territorialité. C’est donc dans ce contexte que la
comparaison entre les mesures nationales adoptées par la Belgique et la France peut donner
des indications précieuses sur les difficultés rencontrées par les institutions répressives
traditionnelles face à la menace nouvelle que représente le blanchiment.
Le législateur belge a, par la loi du 17 juillet 1990, modifié dans son code pénal l’article 505
dont l’alinéa 1 incriminait, en y ajoutant des aliénas 2, 3 et 4 qui répriment les actes
constitutifs de blanchiment.
La loi du 7 avril 1995, qui modifie la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de
l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, apporte également des
précisions relatives à la qualification de l’infraction de blanchiment.
10
Les parlementaires français adoptèrent dans un premier temps des délits de blanchiment
d’argent relatifs à des infractions particulières. C’est ainsi que la loi n° 87-1157 du 31
décembre 1987 fut insérée dans le Code de la santé publique sous l’article L.627 alinéa 3
devenu l’article 222-38 du nouveau code pénal et que la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988,
relative au délit de blanchiment, réprime la participation à une opération financière
transfrontalière portant sur des fonds provenant du trafic de stupéfiants.
Ce n’est qu’en 1996, à la suite des 40 recommandations initiales du GAFI, que le législateur
français introduisit dans notre droit l’infraction générale de blanchiment. La loi n° 96-392 du
13 mai 1996 instaure une définition plus large du délit de blanchiment, tel qu’il figure
actuellement à l’article 324-1 et suivants du Nouveau Code pénal.
L’objet de cette étude est de démontrer que derrière l’apparente harmonisation et exhaustivité
des législations répressives belge et française, l’infraction générale de blanchiment représente
un défi par rapport aux principes traditionnels du droit pénal, défi relevé de manière
sensiblement différente par les deux pays.
Nous étudierons sous un premier titre, les difficultés de qualification de l’infraction de
blanchiment selon les catégories traditionnelles du droit pénal et les différentes réponses
apportées par la Belgique et par la France.
Dans le second titre, nous nous pencherons sur les difficultés rencontrées par la mise en
œuvre de la répression.
Titre I : Les différences de qualification de l’infraction de blanchiment en
droit belge et en droit français
La nécessité d’englober tous les comportements constitutifs du blanchiment s’est matérialisée
dans les définitions qu’ont donné les législations pénales des deux pays au blanchiment
(Chapitre 1). La recherche de la place de l’infraction nouvelle de blanchiment à ensuite
permis de mesurer la détermination des Etats à rendre leurs juridictions compétentes. C’est ici
que l’on note les différences de nature que revêt l’infraction en droit français et en droit belge
(Chapitre 2).
11
Chapitre 1. La définition des pratiques de blanchiment : la nécessité d’une
répression efficace conforme au principe de légalité criminelle
Comment englober l’éventail le plus vaste de situations sans remettre en cause le principe de
légalité des délits et des peines ? Les Etats belge et français ont répondu de manière différente
à cette question en formulant l’incrimination de leur code pénal de manières différentes. Si le
champ d’application des personnes et de l’objet du blanchiment est similaire (Section 1), il
faut relever des divergences quant à l’approche des modalités de blanchiment (Section 2).
Section 1 : Une approche similaire quant aux auteur et objet de l’infraction
§ 1 Le champ d’application rationae personae
En droit belge, ce sont toutes les personnes, quelle que soit leur profession, qui effectuent
l’un des actes mentionnés à l’article 505. Selon la maxime qui veut que l’on ne distingue pas
là où la loi ne distingue pas, il est heureux qu’aucune exception ne soit faite pour telle ou telle
catégorie d’opérateurs. Une telle profession se serait de toute évidence vue submergée de
sollicitations dès la loi adoptée.
Autrement moins évidente était la question du cumul entre la qualité d’auteur de l’infraction
principale et celle de blanchisseur. Elle s’est posé tout d’abord en doctrine, puis en
jurisprudence. Les solutions traditionnellement adoptées en matière de recel, qui en est
l’infraction la plus proche, le rendaient incompatible avec l’infraction d’origine. En effet en
cas de concours réel d’infraction, le cumul n’est pas possible dès lors qu’une des infractions
est la conséquence inévitable d’une autre. Les juges belges ont sagement décidé que le recel
élargi de l’article 505 2°, qui est une des modalités de commission du blanchiment, ne pouvait
être commis par l’auteur de l’infraction principale. En effet il est inconcevable que l’auteur
d’un vol soit puni pour avoir dissimulé ou gardé la chose volée.
Par contre, le cumul de qualification est possible lorsque le blanchisseur, commettant les actes
prévus à l’article 505 3° et 4° est également l’auteur, le coauteur ou le complice de
l’infraction dont proviennent les avantages patrimoniaux illicites.
Ceci se comprend car le fait de convertir, transférer, dissimuler ou déguiser un bien nécessite
une intention et des actions supplémentaires. Cette autonomie fut retenue dans un arrêt de la
12
Cour d’appel de Bruxelles du 27 octobre 199911, qui se basait pour cela sur l’alinéa 2 de
l’article 505, introduit par la loi du 7 avril 1995.
La tentative de blanchiment est, depuis la même loi, punissable alors que la tentative de recel
reste en dehors du champ de la répression pénale. Il ressort en effet des débats parlementaires
précédents l’adoption de la loi que la tentative de blanchiment était un danger suffisant pour
que cela justifie son incrimination.
En France, l’auteur de l’infraction de blanchiment peut être toute personne dont le
comportement est visé à l’article 341-1 du code pénal, y compris les personnes morales, qui
en vertu de l’article 121-2, sont responsables pénalement. Sont donc notamment englobées les
institutions financières, principal lieu de transit de capitaux.
Le cumul de qualification semble possible dès lors que les comportements décrits à l’article
241-1 ne sont pas les conséquences inévitables de l’infraction principale. Il semble que la
facilitation de la justification mensongère puisse légitimer la double qualification de
blanchisseur et d’auteur de l’infraction principale. La cour d’appel de Montpellier, dans un
arrêt du 30 août 2000 « Albert c/ Talbaa »12 avait eu à statuer sur le caractère autonome de
l’infraction. Ayant constaté que l’auteur du délit principal en blanchissait entre autre le
produit, la cour confirma la condamnation d’un individu pour blanchiment par concours à une
opération de dissimulation et de conversion, alors qu’il était aussi l’auteur principal
d’infractions procurant certains fonds blanchis.
Dans un arrêt du 14 janvier 2004, la Cour de cassation à elle-même affirmé le principe de
l’autonomie de l’infraction de blanchiment. Dans cette affaire, la cour d’appel de Montpellier
avait relaxé un prévenu du chef de blanchiment, pour avoir apporté son concours à une
opération de placement, dissimulation ou conversion du produit direct ou indirect des délits de
travail clandestin et de fraude fiscale, en énonçant pour justification que « l’auteur principal
ne peut être poursuivi pour blanchiment des sommes produites par sa propre activité illicite et
qu’en l’espèce, il n’était pas établi que les fonds provenaient d’infractions commises par
d’autres personnes. »
11 CA Bruxelles, 27 octobre 1999, sous Spreutels (J.), Mûelenaere (Ph.), « La cellule de traitement des informations financières et la prévention du blanchiment de capitaux en Belgique », Bruylant, 2003, p.275. 12 CA Montpellier, 30 octobre 2000, n° 1658, sur appel du TGI de Perpignan, 30 août 2000
13
La Chambre criminelle a, sous le visa de l’article 324-1 alinéa 2 du code pénal, cassé l’arrêt
de la cour d’appel au motif qu’elle en a méconnu les dispositions, celui ci étant applicable à
l’auteur du blanchiment du produit d’une infraction qu’il à lui-même commise13.
§ 2 Le champ d’application rationae materiae
Le blanchiment est constitué par des actes intrinsèquement légaux, qui ne deviennent
répréhensibles que dès qu’ils portent sur certains biens. Les Etats, dans l’esprit de la directive
et du contexte international, se sont efforcés d’envisager toute modification illicite d’une
situation patrimoniale sur laquelle pourrait porter le blanchiment.
I. Une approche belge exhaustive quant aux biens pouvant être blanchis
Dans le droit belge, les biens susceptibles de blanchiment sont ceux visés à l’article 42, 3° du
code pénal belge, à savoir « les avantages patrimoniaux tirés directement d’une infraction, les
biens où valeurs qui leurs ont été substitués, ainsi que les revenus de ces avantages investis. »
Il doit être noté dès à présent que les infractions visées sont les crimes, délits et
contraventions, alors que nous verrons que le droit français n’incrimine que le blanchiment
des biens issus d’un crime ou d’un délit.
La notion d’avantage doit être appréciée positivement comme une augmentation illégitime du
patrimoine. Elle comprend entre autres les intérêts bancaires, les dividendes, les fruits de toute
nature découlant des biens ou valeurs14.
Une controverse naquît sur le point de savoir si les avantages négatifs pouvaient faire l’objet
d’un blanchiment, en particulier les fruits de la fraude fiscale15. Celle ci est un délit pénal,
constitué par l’omission de déclaration, la dissimulation de sommes sujettes à l’impôt,
l’organisation d’insolvabilité ou par toute autre manœuvre mettant obstacle au recouvrement
de l’impôt, dès lors qu’elle a un caractère intentionnel.
13 Cass.crim.14 janvier 2004, jurisdata n°2004-022086. 14 Exposé des motifs, Doc. Parl. , Chambre, 1989-1990, n° 987/1, p.3. 15 Cette question ne semble en revanche pas se poser pour les pratiques d’évasion fiscales. L’évasion fiscale internationale consiste pour une entreprise à localiser une partie de son bénéfice dans un pays à fiscalité privilégiée où il sera moins imposé. Cette pratique est réprimée par des sanctions administratives sous la forme d’un redressement fiscal accompagné d’une majoration d’impôts, mais ne constitue pas une infraction pénale aux sens de l’article 42, 3° du code pénal belge.
14
Dans ce cas, l’avantage n’est pas une augmentation de capital mais une absence de
diminution. Pour la majorité de la doctrine belge, l’avantage patrimonial doit être interprété de
manière large16.
Il devrait en effet en être ainsi, premièrement car le législateur belge à entendu punir le
blanchiment de toute infraction et qu’il serait incohérent de ne pas y inclure la fraude fiscale.
D’autre part, les paradis fiscaux et bancaires, situés le plus souvent dans les places off-shores,
sont autant le réceptacle de l’argent sale issu des activités illicites que celui de l’argent noir
issu d’activités légales non déclarées17. Il sera difficile dès lors de séparer l’argent issu
d’infractions enchevêtré inextricablement avec l’argent de la fraude fiscale.
La fraude fiscale grave et organisée, constituée notamment par les « carrousels T.V.A » qui
permettent le remboursement indu d’impôts au profit de leurs créateurs, est par ailleurs l’objet
d’une vigilance des opérateurs du secteur financier depuis la loi du 7 avril 199518.
II. L’ambiguïté du droit français dans la détermination des biens pouvant être blanchis
En France, au terme de l’article 324-1 alinéa 1 du code pénal, sont répréhensibles « les actes
de blanchiment qui portent sur les biens ou revenus de l’auteur d’un crime où d’un délit ayant
procuré à celui ci un profit direct ou indirect. » Distinguons les exigences de cet alinéa :
D’une part, il est nécessaire que les biens et revenus soient ceux de l’auteur d’un crime ou
d’un délit. D’autre part, il faut que le crime ou délit ait procuré à son auteur un profit direct ou
indirect.
Une interprétation de ce texte permet de conclure que la qualification de blanchiment serait
retenue dès lors qu’un crime où un délit a procuré un profit direct où indirect à son auteur, et
d’autre part qu’est établie la justification mensongère de l’origine de n’importe quel bien de
l’auteur de l’infraction principale, même si ce bien n’est pas issu du crime ou du délit en
question. C’est à dire que dans ce cas, l’origine criminelle où délictuelle de tous biens ou
revenus de l’auteur serait attestée dès lors que quelqu’un justifierai de manière mensongère de
leur origine, car en effet, la définition opère un schisme entre les biens et revenus d’un
criminel et le produit de son crime ou de son délit.
16 Doc. parl. chambre, 1989-1990, 987/4, p. 6. 17 Distinction mise en exergue in Jerez (O.), « le blanchiment de l’argent », Banque, 1998, p. 20. 8 Loi du 7 avril 1995 modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, M.B. du 10/05/1995, p. 12378.
15
Or il est possible de justifier mensongèrement de l’origine des biens où revenus dont l’origine
est légale ou même contraventionnelle. Dès lors qu’une personne ne peut plus justifier de la
provenance légale de ses biens ou revenus et qu’elle le fait frauduleusement, elle serait
considérée comme blanchisseur. Or, on l’a vu, les actes de blanchiment sont parfaitement
légaux et ils ne deviennent délictuels que lorsqu’ils portent sur le produit d’un crime ou d’un
délit. Comme le souligne M. Lebailly, les textes créent une sorte de fiction juridique qui, à
partir d’une justification mensongère et d’un profit frauduleux, va fabriquer artificiellement la
relation de causalité entre ces éléments19. Cette situation n’émeut pas cet observateur qui y
voit simplement une facilitation du régime de la preuve de l’existence d’un profit tiré de ces
infractions.
On peut par conséquent noter que le législateur français à adopté dans ce domaine une vision
plus large que celle de la convention de Strasbourg, de la directive du Conseil de 1991 et que
celle retenue en droit belge. La maladresse des rédacteurs de la loi vient une fois de plus
semer le trouble sur l’interprétation du texte pénal concernant l’objet de l’infraction de
blanchiment. Il aurait été plus judicieux de limiter le blanchiment à la justification
mensongère de l’origine des biens et des revenus qui sont le produit direct ou indirect d’un
crime ou d’un délit.
Mais les juges devraient de toute façon interpréter la loi dans ce dernier sens, bien que
l’article 111-4 du Code pénal français pose le principe de l’interprétation stricte de la loi
pénale et qu’il soit parfois plus efficace, notamment au regard des organisations criminelles,
de supposer que leurs fonds soient tous le produit d’une activité illicite. Un auteur estime à
juste titre qu’il est impératif, comme cela est requis dans le deuxième alinéa, que soit faite la
preuve de l’origine criminelle ou délictuelle des sommes objet du blanchiment20.
Mis à part cette difficulté, il semble que la définition soit assez large pour inclure tous les
avantages positifs où négatifs qui sont obtenus directement ou même de manière indirecte, par
le jeu de la subrogation réelle. Néanmoins, même s’il ressort des travaux préparatoires que la
notion de bien et de revenus était entendue de manière extensive21, il faut préciser qu’à la
différence de l’infraction belge, l’objet du blanchiment en droit français ne peut pas être le
produit d’une contravention.
19 Lebailly (B.), la répression du blanchiment en droit français, « Le blanchiment des profits illicites », Presses Universitaires de Strasbourg, 2000, p. 135. 20 Cattegno (P.), « Droit pénal spécial », 3e éd., Masson, 1988, p. 68.
16
Section 2 : La divergence d’approche quant aux actes constitutifs du
blanchiment
La définition du blanchiment proposée par la convention de Strasbourg du 8 novembre
199022, fut reprise ensuite intégralement par la directive du Conseil du 10 juin 1991,
complétée par la directive modificative du 4 décembre 200123. Les agissements constitutifs de
blanchiment sont énumérés par son article 1er. Ainsi le fait de convertir, transférer, dissimuler,
déguiser, acquérir, détenir ou utiliser des biens provenant d’une activité criminelle ou d’une
participation à une telle activité, quand son auteur le fait intentionnellement entrent dans la
définition. L’état actuel du droit communautaire sera amené à évoluer avec la proposition de
la Commission datant du 30 juin 200424. Son projet de nouvelle directive « relative à la
prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, y
compris le financement du terrorisme », est destiné à abroger la directive de 2001, pour la
remplacer par un nouveau texte indépendant. Celui ci actualisera le droit communautaire à la
lumière des quarante recommandations que le GAFI a révisé en profondeur depuis juin 2003.
La seule modification intéressant le cadre de cet exposé concerne la définition du blanchiment
de capitaux figurant à l’article 1er par l’ajout d’un alinéa d) qui considère comme blanchiment
« le fait de fournir ou de collecter des biens licites, de quelque façon que ce soit, avec
l’intention de les utiliser, totalement ou en partie, à des fins terroristes, ou en sachant que tel
sera le cas. » Cette disposition correspond plus à la volonté d’un effet d’affichage qu’à une
réelle amélioration de la lutte contre le blanchiment et peut même apparaître à première vue
hors de propos étant donné que le financement du terrorisme par la fourniture ou la collecte de
bien licites est exactement l’inverse du processus de blanchiment, qui se base sur des biens
illicites pour les destiner à l’économie licite.
En dehors de cet ajout, la directive affine et perfectionne le système de détection des flux
financiers illicites, ce qui n’entre pas directement dans cadre des développements ci dessous
mais sera néanmoins brièvement rappelé par la suite.
21 JO Sénat, CR 16 octobre 1995, p. 1866. 22 Convention signée par la France le 5 juillet 1991, son approbation a été autorisée par la loi française n°96-130 du 20 février 1996. Un décret n° 97-183 du 25 février 1997 porte publication de la convention : JO, 4 mars 1997, p.3417. 23 Directive du Conseil n° 91/908/CEE du 10 juin 1991, JOCE 28 juin, n° L 166-77, modifiée par la directive n° 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001, JOCE 28 déc., n° L 344, p.76. 24 http://europa.eu.int/comm/index_fr.htm
17
La Belgique et la France n’auront pas à modifier fondamentalement leur arsenal répressif pour
rester en conformité avec le droit communautaire qui, en l’état actuel, reste édicté par la
directive de 2001, désormais transposée dans les droits nationaux. Elle est ici relativement
complète car elle donne aux États les moyens de remplir leur objectif de lutte contre le
blanchiment. A défaut qu’une action au plan supra national soit actuellement envisageable,
elle requiert une harmonisation des législations répressives au terme de l’article 2, qui stipule
que « le blanchiment de capitaux, tel qu’il est défini par la présente directive, doit être
interdit. »
Les États doivent donc adopter une définition qui englobe les agissements énumérés par la
directive, mission dont la Belgique s’est acquittée en définissant de manière claire les
différentes modalités du blanchiment (§ 1), alors que la portée de la définition française est
plus difficile à établir (§ 2).
§ 1 Le droit pénal belge établi une définition claire du blanchiment en
conformité avec les prescriptions communautaires
L’article 505 3° incrimine la conversion, le transfert de biens, dans le but de dissimuler ou de
déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de
l’infraction d’où proviennent ces choses à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.
Ces notions font immédiatement écho aux termes employés dans la directive. Ils désignent la
phase de l’empilage dans le processus de blanchiment.
La « conversion » peut s’entendre comme la transformation d’un bien en un autre, en
pratique cela concerne notamment les achats de jetons de casino, le change de monnaie, le
dépôt d’argent sur un compte ou toute opération qui a pour objet de changer la nature des
produits d’une infraction.
Le « transfert » concerne les virements bancaires, les prêts fictifs, toute opération dont
l’objectif est le mouvement de l’objet du blanchiment.
On peut interpréter le terme «dissimulation » comme visant d’une part le déguisement, le
changement de la nature d’un bien afin de lui donner une apparence légale, mais également
comme la possession clandestine d’un bien, ce mode d’exécution se rapprochant alors du
recel.
La dissimulation dans son premier sens pourra incriminer les montages fictifs utilisant les
sociétés de façades ainsi que les mécanismes articulant différents degrés de secrets
18
professionnels dans le seul but de masquer l’identité des véritables commanditaires de
l’opération.
Le deuxième sens que revêt la dissimulation serait la conservation d’argent dans des coffres
par tel ou tel établissement de crédit qui n’en divulguerai pas l’existence. Mais quelle est la
différence entre la dissimulation est la conversion. Comme le relève à juste titre un auteur a
propos de la formule similaire du droit français, « Le terme de dissimulation renvoi à une
notion plus large que celle de conversion qui n’en est qu’un aspect. »25
L’article 505 2° est la reprise de la troisième modalité de blanchiment de la directive. Le
législateur belge en détaille davantage le contenu, démontrant ainsi le respect du principe de
légalité criminelle. Il punit comme blanchiment le fait ;
- d’ « acheter, de recevoir en échange ou à titre gratuit », ce qui correspond à l’acquisition
dans la directive de 2001. Est donc pénalisée la réception de tout bien ou produit d’une
infraction quelle que soit l’étape du processus.
- de « posséder, de garder ou de gérer les avantages patrimoniaux tirés d’une
infraction », donc plus généralement détenir et utiliser au sens de la doctrine, qui sont
également des actes constitutifs du recel.
Il semble que le législateur ait voulu ici pénaliser les bénéficiaires du produit d’infractions,
ceux ci ne se compromettant généralement ni dans les actes criminels, ni dans les actes de
blanchiment qui leurs sont subséquents. En effet, posséder, garder ou gérer, des avantages
patrimoniaux n’est pas en soit une manière de donner à l’argent un aspect licite, surtout si le
bénéficiaire ne perçoit aucun revenu d’origine légale.
Les comportements visés sont donc variés et assez détaillés pour permettre aux différents
intervenant dans les domaines financiers de connaître les agissements à risque. Il semble
possible d’y intégrer des situations passives, c’est à dire appliquer la qualification de
l’élément matériel du blanchiment à des cas d’abstention, notamment en cas de dissimulation,
de déguisement de la nature, de l’emplacement ou encore de la disposition ou du mouvement
des capitaux d’origine illicite. En pratique, cette solution déterminera les conséquences du
manquement aux obligations professionnelles introduites par la loi du 11 janvier 1993
modifiée par la loi du 7 avril 1995, à la condition que cette abstention soit effectuée en
25 Lebailly (B.), La répression du blanchiment en droit français, « Le blanchiment des profits illicites », Presses Universitaires de Strasbourg, 2000, p. 128.
19
connaissance de cause. L’analyse de l’élément intentionnel dans le manquement à une
obligation de vigilance ou de délation sera analysée dans le Titre II de cet exposé.
On pourra toutefois se demander si les organisateurs des réseaux de blanchiment sont visés
par l’article 505. En effet, ceux ci n’ont pas acquis les biens, ne les ont pas détenus, convertis,
dissimulés ou transférés au sens de la définition donnée par le code pénal. Les avantages
patrimoniaux provenant d’infractions n’ont pas été en leur possession, ils n’ont fait que mettre
en place la structure qui est destinée à les recevoir26. Ces structures sont le support des circuits
financiers parallèles ou souterrains qui n’existent que par l’ouverture de comptes bancaires, la
création de sociétés, le recours à des professionnels du chiffre et du droit, à des hommes de
paille, agissements préalable aux actes punis par l’article 505.
Il est toutefois logique d’un point de vue juridique que les organisateurs ne soient pas
inquiétés pour des actes qui sont légaux et dont le caractère délictuel n’apparaît que lors d’un
contact avec des fonds illicites. Malgré tout, et dans un souci d’efficacité de la lutte contre les
organisations criminelles, il sera intéressant de suivre l’interprétation que feront les juges des
dispositions de cet article.
En l’état de la connaissance des pratiques de blanchiment, le dispositif mis en place par la loi
du 17 juillet 1990, de surcroît conforme à la directive du conseil du 4 décembre 2001, est
complet et respectueux du principe de la légalité des délits et des peines.
§ 2 Le droit pénal français établi une définition sujette à des
interprétations diverses en s’éloignant de la directive communautaire
La France s’est également dotée d’un dispositif répressif à portée générale, mais qui pourtant
ne reprend pas les dispositions internationales de manière aussi fidèle que l’a fait la Belgique.
Il existe deux formes d’infraction générale de blanchiment en droit français, toutes deux
définies par l’article 324-1 (I). Au terme de leur examen, il apparaît que le droit français érige
la complicité ou la coaction en infraction principale(II).
I. L’article 324-1 établi une dualité de commission de l’infraction
26 Toutes les dispositions de l’article 505 semble présupposer de par leur formulation que les actes constitutifs de blanchiment doivent être accomplis par des agents qui sont en possession des avantages patrimoniaux provenant d’infractions au sens l’article 42, 3°.
20
A. L’article 324-1 alinéa 1 : le blanchiment par justification mensongère de
l’origine des biens
1. La justification mensongère de l’origine des biens : un mode de
commission actif de l’infraction
L’article 324-1 alinéa 1 du code pénal définit comme blanchiment la justification
mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant
procuré à celui ci un profit direct ou indirect. En faisant abstraction de la maladresse dans la
formulation (cf. supra), nous considérerons que le blanchiment est le fait de justifier de
manière mensongère l'origine criminelle ou délictueuse de biens ou de revenus.
« Justifier » signifie « disculper quelqu'un en justice » ou encore « rendre juste, conforme à
la justice »27. Le fait de disculper en justice la provenance de biens ou de revenus de l'auteur
d'un crime d'un délit est donc la première forme de blanchiment en droit français. Or le
placement, l'empilage et l'intégration telles que décrits par les études du GAFI visent tous les
trois à disculper l'auteur d'un crime et d'un délit, leur objet étant la manipulation de l’argent
dans le but ultime d'en faire disparaître l'origine. La justification de l'origine d'un bien couvre
donc les trois étapes du processus de blanchiment. Elle tend à définir le blanchiment par son
résultat plutôt que d’en détailler les modes de commission.
La loi requiert également que la justification soit « mensongère », ce qui implique qu’il
existerait une justification de bonne foi de l'origine délictueuse ou criminelle de biens. Il faut
donc une intention pour justifier, mais surtout une intention malhonnête, le mensonge étant
défini par le Petit Robert comme une assertion sciemment contraire la vérité. L'alinéa 1 de
l'article 324-1 semble être, comme le relève un auteur, une définition générale de ce qu’est le
blanchiment et non pas une forme spécifique de commission de l’infraction28.
L'étude des débats parlementaires ne permet pas de déterminer la portée qu’à voulu donner le
législateur à ces termes, et l'absence de jurisprudences recourrant à cette qualification ne
laisse en l'état actuel place qu'aux spéculations terminologiques auxquelles des auteurs se sont
adonnés.
Certains ont une vision restreinte de la portée de ces termes. M. Lebailly voit dans cette
incrimination, le simple pendant de la présomption instituée par l'article 222-39-1 sur le
27 Le Petit Robert, dictionnaire de la langue française, V. « Justifier.» 28 Lebailly (B.), la répression du blanchiment en droit français, « Le blanchiment des profits illicites », Presses Universitaires de Strasbourg, 2000, p.130.
21
« proxénétisme de la drogue »29 qui punit le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources à son
train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant au
trafic de stupéfiants. Cette disposition avait été adoptée pour atteindre les éléments à la tête de
groupes organisés, qui, sans se compromettre, jouissaient des fruits du trafic de drogue.
Mais cette présomption, comme l’auteur le constate lui-même, n’est instituée que pour
l'argent issu du trafic de stupéfiants et la justification de l'article 324-1 alinéa 1 vise l'origine
des biens ou revenus de l'auteur de tout crime ou délit, donc elle ne couvre que partiellement
les pratiques susvisées.
D’autres auteurs reconnaissent que la justification mensongère correspond aux pratiques de
placement, empilage et conversion de la terminologie du GAFI30. Ainsi, le professeur Culioli
estime que cette incrimination concerne particulièrement la justification de l’argent liquide,
par le biais de restaurants, laveries, épiceries, les « sex-shop », boîtes de nuit, casinos, dont la
majeure partie du chiffre d’affaire se fait en espèce et se révèle difficilement contrôlable. Elle
vise également l’argent en provenance de l’étranger qui transite notamment par les sociétés
d’import-export ou de tourisme, et l’intervention des intermédiaires personnes physiques tels
que les conseillers juridiques en investissements ou encore le recours à des sociétés écrans31.
2. La problématique de la justification par abstention : la violation des
obligations de coopérations
Il faut ici mentionner les obligations incombant aux professions du chiffre et du droit
concernant la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment des
capitaux. La loi du 12 juillet 199032 a inséré dans le code monétaire et financier un titre VI
portant « obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux. » Ont été
instaurées, à la charge des établissements de crédit d’abord, puis d’un nombre croissant de
professions du chiffre comme du droit plusieurs obligations afin d’empêcher que les fonds
provenant de l’économie souterraine n’empruntent les flux financiers traditionnels. Une
collaboration forcée est donc instaurée par la loi, réduisant de ce fait le domaine du secret
professionnel33, eldorado pour la criminalité organisée en raison de l’anonymat qu’il permet
de garantir.
29 Lebailly (B.), op. cit., p.129. 30 Culioli (M.), infraction générale de blanchiment, J.-Cl. Pénal, Fasc. 20,1997,p.8. 31 Culioli (M.), ibid. 32 Loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 modifiée par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001. 33 Pradel (J.), Manuel de procédure pénale, 12e édition, Cujas, 2003/2004, p. 350.
22
Les articles L 563-1 et suivants créent des obligations de vigilance, dont la première est un
renforcement des formalités d’identification des clients prévue à l’article L. 563-1. L’article
L. 563-3 impose une vigilance accrue lorsque les opérations effectuées portent sur des
sommes d’un montant important et qu’elles se présentent dans des conditions inhabituelles de
complexité ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite, également
appelée l’obligation de vigilance.
L’article L 562-2 impose aux établissements de crédits et aux entreprises d’investissement de
déclarer à une institution de centralisation les sommes et opérations qui pourraient provenir du
trafic de stupéfiant ou d’activités criminelles organisées. C’est ce qu’on appelle
communément la déclaration de soupçons.
Le manquement aux obligations imposées dans le cadre de leurs fonctions peut-il matérialiser
le blanchiment tel que décrit par l’article 324-1 al 1 ? Malgré le scepticisme de certains
auteurs34, cet acte d’omission pourra constituer l’élément matériel de l’infraction de
blanchiment (pour une analyse de l’élément intentionnel relatif au manquement à une
obligation professionnelle cf. Infra Titre II.) La facilitation par tout moyen de la justification
de l’origine des biens ou revenus est une incrimination assez large pour englober des
comportements actifs comme passifs. L’emploi de ce terme se rapproche de la définition de la
complicité, prévue à l’article 121-7 (cf. infra) : « est complice d’une infraction la personne
qui, sciemment, par aide ou par assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. »
On y a vu la possibilité de transposer la jurisprudence y relative. Si généralement l’abstention
ou l’inaction ne peux constituer une forme de complicité35, il a été jugé à plusieurs reprises
que lorsqu’elle porte sur une obligation mise à la charge d’un professionnel dans le cadre de
ses fonctions, elle la constitue par exception36. La justification de l’origine des fonds se ferait
ici par l’absence de déclaration de soupçon du banquier par exemple, car une absence de
soupçon qui aurait dû avoir lieu caractérise aisément une justification.
Un auteur qui reconnaît la similitude de la formulation avec celle de la complicité se montre
sceptique quant à une transposition des solutions en raison du caractère encore récemment
affirmé de l’autonomie du blanchiment37.
34 Rebut (D.), Manquement du banquier à ses obligations professionnelles et commission du délit de blanchiment, Banque et droit n° 88, mars avril 2003, p.14. 35 Cass. crim. 21 octobre 1948, Bull. crim., n° 242 ; 27 décembre 1960, ibid. n° 624. 36 Cass. crim. 27 octobre 1971, Bull. crim., n° 284. 37 Rebut (D.), op. cit., p. 14.
23
Si l'on admet que la justification mensongère de l'origine frauduleuse de biens couvre les
trois phases du blanchiment dégagées par le GAFI, pourquoi les parlementaires ont-ils jugé
utile d'insérer un alinéa 2 qui définit le blanchiment selon des comportements plus précis ?
B. La deuxième forme de blanchiment du droit français : l’article 324-1 alinéa 2
L'article 324-1 alinéa 2 qualifie de blanchiment « les opérations de placement, dissimulation
ou conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. »
Cette énumération ramène à une conception plus traditionnelle du blanchiment, conforme aux
trois étapes distinguées par le GAFI et en partie à la définition donnée par la convention de
Strasbourg du 18 novembre 1990.
Le « placement » de l'argent peut être défini dans le contexte qui nous intéresse comme un
investissement, ce qui peut recouvrir toutes sortes d'acquisition de biens. En l'espèce, le
placement fut caractérisé dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 7 décembre 199538,
c’est à dire avant la loi du 13 mai 1996. Le fait qu’il porte sur l’infraction spéciale de
blanchiment en matière de stupéfiant ne fait pas obstacle à son application au cas du
blanchiment général, car les comportements incriminés par l’article 222-38 du code pénal sont
similaires à ceux de l’article 341-1.
Les faits concernaient un notaire qui avait été contacté, sous un nom d’emprunt, par un
trafiquant international de stupéfiants souhaitant acquérir un appartement. L’élément
intentionnel était constitué pour la cour dès lors qu’il avait été informé de la véritable identité
du trafiquant et de l’origine des fonds destinés à l’achat de l’immeuble. Constituait l’élément
matériel la régularisation de l’acte de vente, au profit de la concubine du trafiquant ainsi que
le conseil donné à celle ci de payer le prix de l’appartement par des virements bancaires
internationaux et non par des transferts de devises, afin de présenter l’opération comme plus
transparente. Les juges retinrent qu’il avait sciemment apporté son concours à une opération
de placement du produit d’un trafic de stupéfiant.
38 Cass. crim. 7 déc.1995: Bull. crim., n°375; JCP 1996, éd G, IV, 709; Gaz. Pal. 5-7 mai 1996, n°126-128, Chron. p.56 ; Dr. Pénal juin 1996, comm. 139.- J. Véron : JCP 1996, éd. G, I, n°3950 ; D.1996, inf. rap. p. 84 ; Juris-Data n° 004161 ; Rev. sc. crim. 1996, p.666, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire, sur pourvoi n° 95-80.888 rejeté c/ arrêt C. assises Aix-en-Provence, 13e ch., 4 janv. 1995.
24
Dans le prolongement du raisonnement développé ci dessus, on pourrait arguer que la
qualification de justification mensongère était possible, car en l’espèce les conseils donnés par
le notaire et la régularisation de l’acte ne faisaient rien moins que disculper l’origine
frauduleuse des fonds destinés à acquérir l’appartement. Pourquoi, dès lors, les juges n’ont ils
pas utilisé cette qualification ? On peut supposer qu’en l’espèce, la possibilité de qualifier
précisément l’infraction de placement était plus respectueuse du principe de légalité des délits
et des peines que l’aurait été le recours à l’alinéa 1er.
La « dissimulation » est le fait de cacher, sceller, taire ou encore de déguiser ou masquer. On
peut voir ici un rapprochement avec l'infraction de recel définie à l'article 321-1 du même
code, ce qui explique la tendance jurisprudentielle à re-qualifier le blanchiment en recel dès
lors que certains éléments de la définition font défaut. La Cour de cassation a eu l’occasion de
rappeler les règles de requalification pour une affaire de blanchiment d’argent de la drogue39.
La « conversion » est le fait de changer une chose en une autre40. On peut également y
assimiler le changement, la métamorphose, la mutation ou la transformation. Au sens strict la
conversion signifie l'expression d'une quantité dans une autre unité, par exemple la conversion
d'euros en dollars.
Le fait de convertir le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit n’est-il pas un mode
de dissimulation ? Ceci a été souligné lors de l’analyse de l’article 505 du code pénal belge.
On peut déduire de l’emploi de la conjonction « ou » dans l'article 324-1 alinéa 2 que le juge
n'a besoin de qualifier qu'une seule des actions et non les trois cumulativement. Le
blanchiment est constitué par un seul de ces agissements, ce qui est opportun car les réseaux
de blanchiment sont une véritable organisation dans laquelle les différents protagonistes
n’interviennent qu’à certaines étapes. Par exemple le banquier qui accepte le placement d'une
somme dont il sait qu'elle provient d'un délit effectue une dissimulation, peut être une
conversion de la nature de l'argent à transformer, mais en aucun cas un placement.
Il est difficile, dès lors que l'on analyse la terminologie employée à l'article 324 –1, de justifier
l'emploi de termes se chevauchant de la sorte.
39 Cass. crim., 3 décembre 1998, n° 97-85.524. Pour un autre exemple de requalification assez instructif cf. infra CA Besançon, 7 mars 2000, n° 238, sur appel de TGI Dôle, 18 mai 1999, n° 300/99, affaire « Krup. » 40 Le Petit Robert, dictionnaire de la langue française, V. « conversion ».
25
Il existe, du fait de la terminologie employée à l’article 324-1 alinéa 1 un risque d'insécurité
juridique contraire aux garanties dont doit bénéficier tout justiciable. Cette imprécision révèle
la difficulté du législateur français à appréhender le phénomène et sa volonté d'englober sans
les définir précisément tous les actes entrant dans la définition du blanchiment. Or notre droit
pénal est basé sur le principe de la légalité criminelle, rappelé à l'article 111-3 et selon lequel
« nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis
par la loi. »
Ce principe figure dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et dans
la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme. Il impose au législateur
d'élaborer des textes clairs et précis, de façon à ce que les justiciables puissent être assurés des
comportements qui sont prohibés et a contrario de ceux qui sont permis. La complexification
des techniques financières, bancaires, et juridiques, qui peuvent varier de la simple ouverture
de comptes aux montages d’ingénierie financière les plus sophistiqués, démontre
l’imprécision découlant d’un terme aussi général.
Le caractère vague du terme « justification mensongère » est un obstacle à une bonne
compréhension des textes, mais il est justifié par la volonté de ne pas laisser négliger une
catégorie de comportements, au risque d’y voir s’engouffrer les blanchisseurs.
Les débats parlementaires en amont de l'adoption du texte démontrent ce souci de sécurité et
de prévisibilité juridique, mais également la volonté des autorités de se doter d'une arme de
portée générale contre un phénomène dont on a détaillé les dangers. Ceci explique peut-être
l'absence de saisine du conseil constitutionnel, qui, il est permis de le penser, aurait imposé
une révision pour clarifier les termes employés.
En effet, cette institution avait déjà invalidé une loi qui, même si elle définissait les
comportements incriminés, le faisait de manière trop vague, et était donc inapte à faire l’objet
d’une interprétation judicieuse par les personnes qu’elle concernait41.
La pratique du blanchiment d'argent démontre donc la nécessité d'un assouplissement du
concept de légalité criminelle au regard de l'ingéniosité des organisations criminelles, qui
modifient leurs pratiques dès lors qu'elles sont interdites par un texte. L'efficacité de la
41 Dans sa décision du 18 janvier 1985, le conseil constitutionnel a en effet déclaré non conforme à la constitution comme contraire au principe de précision les incriminations de l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, relatif au redressement et liquidation judiciaire des entreprises. Cet article 207 punissait des peines de l'abus de confiance aggravé « tout administrateur, représentant des créanciers, liquidateur ou commissaire à l’exécution du plan qui se rend coupable de malversation dans l'exercice de sa mission ». Le législateur avait dû rétablir l'article 207 en abandonnant ce concept trop imprécis de malversation.
26
répression semble assurée par la généralité des termes employés et cela au détriment d'un
principe fondamental du droit pénal.
Mais cette efficacité trouve ses limites dans la formulation de l'article 341-1 du code pénal
qui, de manière apparemment involontaire, suppose que le blanchisseur ne peut être qu’un
auxiliaire et donc érige la complicité de blanchiment en infraction principale.
II. Le droit français érige la complicité et la coaction en infraction principale
A. Une formulation atypique du délit français
Au-delà de l’analyse des réalités que recouvre l’emploi des termes de l’article 324-1, il faut
noter une singularité dans sa formulation. Les modalités de commission de l’infraction que
sont la justification mensongère de l’origine des biens et les opérations de placement, de
dissimulation et de conversion semblent ne pas suffire pour constituer l’infraction de
blanchiment. En effet, le texte n’incrimine pas les actes précités en tant que tels, mais leur
facilitation par tout moyen et l’apport d’un concours.
Pourquoi ne pas avoir formulé l’infraction en ces termes : « le blanchiment est constitué par la
justification mensongère de l’origine des biens ou revenus de l’auteur d’un crime ou d’un
délit. C’est également le fait de placer, dissimuler ou convertir le produit direct d’un crime ou
d’un délit. » ?
Si l’on se réfère à l’incrimination voisine de recel, qui est également une infraction de
conséquence, on ne retrouve pas ces exigences. Le délit est formulé directement comme le fait
de dissimuler, détenir ou transmettre le produit d’une infraction. De même, les différents
textes internationaux incriminant le blanchiment ainsi que la définition belge ne font pas
référence à ce mode de blanchiment.
Au contraire, la facilitation se retrouve dans l’incrimination de la complicité. La rédaction de
l’article 324-1 alinéa 1 rappelle grandement, comme le faisait déjà l’article 222-38 du même
code, l’aide apportée à l’auteur de l’infraction principale. C’est sans doute la maladresse des
rédacteurs qui à conduit la jurisprudence à préciser que le blanchiment est une infraction
autonome par rapport à l’infraction primaire.
La tentative de complicité n’est passible d’aucune peine, comme l’a rappelé un arrêt de la
chambre criminelle du 23 mars 1978, alors que l’article 324-6 réprime la tentative de
blanchiment des même peines que l’infraction entièrement consommée.
27
B. La conséquence de l’absence de concours entre l’auteur de l’infraction
principale et le blanchisseur : la requalification du blanchiment en recel
Dans l’affaire « W.Krup »42 jugée le 18 mai 1999, le tribunal va encore plus loin dans
l’interprétation de l’article 324-1 alinéa 2 en considérant qu’il suppose un concours entre le
trafiquant (l’auteur de l’infraction principale) et le blanchisseur dans les opérations de
placement. Ceci ne pouvant être établi en France, la qualification de blanchiment à été écartée
au profit du délit de recel. Cet arrêt a été confirmé par la Cour d’appel de Besançon, mais
aucun arrêt de la Cour de cassation n’a été rendu. Certains auteurs ne voient pourtant aucune
condition d’antériorité dans l’exigence d’une facilitation ou d’un concours à l’opération de
blanchiment. Ces termes viseraient tout aussi bien la simultanéité d’une action concertée entre
plusieurs blanchisseurs et donc romprait définitivement le lien avec l’auteur de l’infraction
principale43.
Si la confrontation des définitions belge et française du blanchiment permet de mettre en
exergue les difficultés auxquelles sont confrontées les législations nationales au regard des
modalités de constitution de l’infraction, l’aspect international soulève la question de sa
nature juridique au regard des catégories traditionnelles d’infractions.
Chapitre 2. la détermination de la nature de l’infraction : les enjeux dans la
lutte contre les organisations criminelles
Le système répressif mis en place par les législateurs belges et français ne sera efficace que si
l’infraction de blanchiment, dont les modalités de commission sont variées, est définie en des
termes qui permettront que son appréhension dans le temps et dans l’espace se fasse de la
manière la plus commode. Les enjeux en présence sont d’importance, et ce n’est que par
l’étude du texte de loi qu’il est possible, nous le verrons, de déterminer la nature que revêt
l’infraction.
Si l’infraction de blanchiment est définie de la façon la plus large et la plus détaillée possible,
ce n’est pas pour autant une infraction complexe, car cette dernière suppose que soient
accomplis plusieurs actes de natures différentes, concourants à une fin unique. Alors que
42 TGI Dôle, 18 mai 1999, n°300/99, confirmé par CA Besançon, 7 mars 2000, n°238. 43 Cutajar (Ch.), Le blanchiment des profits illicites, Traité Joly Bourse, V. Blanchiment.
28
l’infraction complexe n’est caractérisée que dès lors que tous ses éléments constitutifs ont été
réalisés, le blanchiment est réalisé par une seule des actions énumérées aux articles 505 du
code pénal belge et 324-1 du code pénal français.
Il ressort de leur rédaction que le seul fait de convertir, dissimuler ou encore d’acquérir un
bien ou un revenu provenant d’une activité illicite suffit pour considérer son auteur comme
blanchisseur. On peut donc en déduire qu’il faut analyser les modalités de commission une
par une afin de déterminer leur nature, instantanée ou continue. Cette différence se fonde sur
la durée de l’élément matériel du délit, car il est nécessaire de savoir quand une action
délictueuse cesse d’être une action pour ne plus laisser subsister que ses effets.
Cette appréciation ne se fait pas « in concreto », c’est à dire selon la manière dont le sujet
s’est comporté dans la situation particulière, mais « in abstracto », selon le déroulement de
l’opération tel que le législateur l’envisage pour un agent lambda.
De la nature donnée à l’infraction de blanchiment dépendra sa saisine spatio-temporelle,
l’audace en ce domaine étant récompensée par la compétence juridictionnelle pour connaître
d’une affaire. Si le juge belge a très vite réalisé l’enjeu ainsi formulé (Section 1), la position
du juge français reste problématiquement incertaine (Section 2).
Section 1 : La position du droit belge : un pragmatisme qui dépasse les
restrictions traditionnelles
§1 L’appréhension du phénomène de blanchiment dans le temps
Ecartons d’abord les aspects qui ne nous paraissent pas présenter de difficultés particulières
pour nous attarder un peu plus longuement sur les autres.
L’article 505 2° du code pénal belge, dans sa première partie, réprime le fait d’acheter, de
recevoir en échange ou à titre gratuit44 les avantages patrimoniaux tirés d’une infraction. Il
apparaît clairement que le fait d’acquérir un bien se fera dans un laps de temps très court, on
pourra donc sans hésitation le qualifier d’infraction instantanée. Par exemple, la personne qui
accepte une somme d’argent ou un quelconque objet de valeur réalise son action en prenant
les billets où l’objet, le contact mettant fin à l’acquisition pour laisser place à la détention.
44 Autrement dit d’ « acquérir » au sens de la définition donnée par la convention de Strasbourg.
29
La « conversion » ou le « déguisement », mentionnés à l’article 505 3° et 4°, consistent
comme on l’a définit, à changer la nature des fonds d’origine criminelle. Il semble que dans
cette hypothèse, l’intention coupable soit épuisée dès l’instant où la manipulation est
effectuée, ce qui ne s’étend pas dans la durée.
Le « transfert », prévu à l’article 505 3° vise les virements bancaires et les transactions
électroniques, qui sont les principaux modes de transfert de capitaux. Mais cette notion peut
également recouvrir un transport physique, même si cette hypothèse paraît marginale. Dans ce
dernier cas toutefois, l’action coupable se prolongera dans la durée, donnant à cette catégorie
de blanchiment le caractère de délit continu.
La notion d’actes de « dissimulation » peut s’interpréter de plusieurs façons. S’ils consistent
en un déguisement, la chose étant dissimulée par le changement de son apparence, l’infraction
serait instantanée.
Mais ils peuvent également recouvrir la possession, qui englobe la dissimulation entendue
comme le fait de conserver un objet caché. Les règles applicables à la dissimulation doivent
toutefois être indifférentes à la qualification retenue, car la jurisprudence belge s’est déjà
prononcée sur la nature de la possession clandestine, dans le cadre de l’infraction de recel, et
considère que le recel est un délit instantané. En effet, c’est l’appréhension des fonds qui
constitue le délit et non pas leur rétention frauduleuse, qui n’en est que la conséquence, tout
comme elle l’est pour le vol, l’escroquerie ou l’abus de confiance45.
La « possession » est visée à l’article 505 2° du code pénal, en sa deuxième partie. L’article
incrimine les faits de possession, garde ou gestion des avantages patrimoniaux tirés
d’infractions. Il s’agit du recel élargi, introduit par la loi du 17 juillet 1990 en tant que
modalité du blanchiment.
La terminologie employée suggère que l’action se fasse sur une certaine durée, donc que
l’infraction est continue. Les travaux préparatoires avaient été la scène de divergences
d’opinion concernant le caractère de la possession, de la garde ou de la gestion des avantages
patrimoniaux illicites.
Le Ministère de la justice, qui avait déposé le projet de loi, mettait en avant le caractère
instantané du délit de blanchiment dans toutes ses composantes, alors que les commentateurs,
notamment des parlementaires, observaient que certains comportements visés à l’article 505
45 Cass. , 2 août 1880, Pas., I, 284. CA Liège, 31 juillet 1878, Pas., 1879, II, 63.
30
2° avaient un caractère continu. La divergence était nourrie entre autre par le fait que le texte
était également publié en néerlandais, version qui différait quelque peu de par sa formulation.
Dans cette version, le texte devenait « ceux qui auront pris en possession, en garde ou en
gestion des avantages patrimoniaux provenant d’infractions », soulignant un caractère plus
instantané.
Il semble en effet que ce soit le fait de prendre en possession et non de posséder sur la durée
qu'ils soient constitutifs de l'infraction.
De la nature de l'infraction dépend son appréhension dans le temps et dans l’espace.
Dans le temps car l'infraction instantanée est soumise à la loi en vigueur au moment des faits
et seule la loi postérieure plus douce peut s’appliquer. Il est contraire au principe de légalité
criminelle d'appliquer une loi postérieure plus sévère à des faits qui ont été commis
antérieurement. Toutefois, si le délit est considéré comme continu et qu'il se prolonge au
moment où une nouvelle loi est adoptée, alors il s’y verra soumis dans sa totalité.
De même, le délai de prescription des infractions instantanées court à partir du moment
l'action est terminée, c'est-à-dire, si on considère l’opération comme instantanée, à partir de
moment où les fonds ont été reçus. Au contraire si l'infraction est continue, le délai ne
commence à courir que dès lors que le blanchisseur s’en est dessaisi. Les enjeux de la lutte
contre le blanchiment sont très clairs ici. Ces comportements étant par définition secrets, il est
difficile de les déceler à temps, malgré le système de coopération mis en place entre les
autorités et les professions concernées. Par conséquent, considérer ces infractions comme
instantanées revient à risquer de voir prescrit bon nombre de comportements délictueux.
Un auteur français à bien noté le caractère approximatif du subterfuge à employer, de surcroît
en contradiction avec une bonne administration de la justice pénale. M. Veron a relevé dans la
jurisprudence récente de la cour de cassation une nouvelle catégorie d’infraction en gestation
et on pourrait en tout état de cause y faire figurer le blanchiment. Ce sont des infractions dont
la clandestinité constitue l’élément essentiel et qui ne peuvent être prescrites avant qu’elles
n’aient été découvertes par la victime, en la matière par les autorités compétentes46.
46 Veron (M.), clandestinité et prescription, Droit pénal 1998, chronique 16.
31
L’intérêt de la détermination de la durée de l’élément matériel se retrouve également pour
déterminer sa coïncidence avec l’élément moral. Lors d’un recel élargi, celui qui à acquis la
chose de bonne foi et vient à en connaître l’origine illégale par la suite n’est pas receleur si
l’infraction est instantanée, car l’élément intentionnel ne coïncide pas avec l’élément matériel.
Si l’infraction est continue, l’individu sera considéré comme receleur même s’il prend
connaissance de l’illégalité après la prise de possession.
§2 La difficulté d’appréhension du blanchiment eut égard aux règles de
territorialité : une décision heureuse de la Cour de cassation belge
On remarque que les règles pénales applicables aux infractions continues sont globalement
plus sévères que celles applicables aux autres infractions, ceci car elles permettent à la justice
de se déclarer compétente dans des situations variées, dans une période de temps plus longue,
mais également sur une surface territoriale plus étendue.
En effet, les juridictions répressives d’un Etat sont traditionnellement compétentes dans deux
hypothèses. En vertu du principe de territorialité, les juridictions d’un Etat peuvent connaître
d’une infraction quand elle a été commise sur le territoire de ce pays. En vertu du principe de
personnalité, elles ont compétence pour juger leurs nationaux, même si l’infraction a été
commise à l’étranger, peu importe que l’intéressé en soit l’auteur ou la victime.
Le blanchiment est, comme nous le verrons par la suite, un délit de conséquence qui nécessite
la preuve d’une infraction préalable. Sa preuve se révélera difficile pour les juges dès lors
qu’elle a été perpétrée à l’étranger, par un étranger, sur une victime étrangère. La solution,
salutaire s’il en est, était de considérer l’infraction de blanchiment comme continue dans son
ensemble, c’est à dire incluant l’infraction préalable, afin que les juges puissent se déclarer
compétents pour son ensemble une fois qu’une partie de l’infraction eut été commise sur le
territoire belge.
La difficulté était en effet purement théorique, car l’infraction continue (ou successive) est
celle dont les éléments sont reliés par une unité matérielle et physique. Comment
raisonnablement arguer devant cette exigence que la réception de fonds du trafic de drogue a
une quelconque unité matérielle de commission avec les actes ultérieurs de blanchiment du
produit de ce trafic, à savoir des actes de placements, d’empilage et d’intégration. Recourir au
32
caractère instantané de l’infraction comme le préconisait le Ministère de la justice belge
revenait à amputer les juges d’une compétence indispensable à l’efficacité de la lutte anti-
blanchiment.
Avant les modifications du 7 avril 1995, les juges avaient déjà rendu un arrêt qui palliait le
manque d’utilité de la loi. Le tribunal correctionnel d’Anvers, dans un arrêt du 14 avril 1994,
jugea qu’un nouveau délit de blanchiment était constitué chaque fois qu’un nouvel acte, par
exemple le change, le dépôt, le placement, le virement, portait sur les avantages patrimoniaux
illicites, et que ces différents délits instantanés en raison de l’unité d’intention qui les reliait,
devaient être considérés comme un seul et même délit continué47.
Dans un arrêt du 31 octobre 1995, la Cour de cassation confirma que « l’infraction mise à
charge n’était pas un recel, mais une infraction particulière dont le caractère instantané
n’empêche pas la commission d’actes punissables successifs »et que « suivant les travaux
préparatoires, l’article 505 2° du code pénal, introduit par l’article 5 de la loi du 17 juillet
1990, rend punissable, comme faits distincts à côté de la prise de possession, de la garde ou
de la gestion de choses dont on connaissait ou devait connaître l’origine, ce qui est une
infraction instantanée, également les actes ultérieurs d’administration posés par celui qui a
sciemment pris des choses en possession, en dépôt ou en gestion »48.
Enfin, plus récemment, l’arrêt du 21 juin 2000 rendu par la Cour de cassation affirme que le
caractère instantané du délit de blanchiment n’empêche pas sa réalisation à chaque fois que
l’auteur accomplit, à l’égard de biens ou de valeurs dont il connaissait ou devait connaître
l’origine délictueuse, un des actes décrits par l’article 505 2° du code pénal49.
Si ces formulations paraissent maladroites, elles démontrent toutefois le souci du juge de
respecter le texte de loi sans trop s’en affranchir, par respect du principe d’interprétation
stricte de la loi pénale. Le juge interprète donc la loi comme nous l’avons vu précédemment,
en retenant le caractère instantané de la prise en possession, en garde ou en gestion.
Néanmoins, il à recours à la notion d’infraction continuée, notion artificielle s’il en est, mais
opportune en la matière car lui permettant d’appréhender la totalité des éléments constitutifs
47 Spreutels (J.), Mûelenaere (Ph.), « La cellule de traitement des informations financières et la prévention du blanchiment de capitaux en Belgique », Bruyants, 2003, p. 34. 48 Cass., 31 octobre 1995, T.R.V., 1996, 635, note F. Hellemans.
33
du blanchiment dès lors qu’un seul à été commis sur le territoire belge. Le caractère continué
de l’infraction suppose que lorsque des actes distincts sont commis à des moments différents,
à défaut d’une unité matérielle et physique comme c’est le cas pour l’infraction successive, il
soit possible de les lier par une unité de but et de résolution.
C’est à dire que les différents actes seront considérés comme n’en formant qu’un seul
continué car leur auteur les à tous commis dans un dessein unique, qui est de disculper
l’argent sale, les règles applicables étant alors les mêmes que pour les délits continus.
L’approximation de cette approche s’est fait ressentir au point que le législateur, dans les
travaux préparatoires de la loi du 7 avril 1995, reconnaisse le caractère continu du délit quand
les faits sont en relation avec des actes qui s’étendent dans le temps comme la possession, la
garde, la gestion, la dissimulation ou le déguisement50. Malgré l’absence de classification
expresse du blanchiment en tant que délit continu, le juge pourra désormais se référer aux
travaux préparatoires de la loi pour pouvoir considérer les actes de blanchiment comme un
processus ininterrompu.
Les organisations criminelles sont des puissances dont le champ d’action dépasse largement le
territoire des pays et le résultat même du blanchiment dépend des transferts de fonds au
travers de plusieurs Etats. En l’absence de juridiction supranationale compétente, limiter le
pouvoir des juges aux seuls actes qui ont étés commis sur leur territoire ou à l’étranger par un
de leurs nationaux reviendrait à rendre inefficace la politique criminelle en la matière. Par un
artifice déjà utilisé pour d’autres types d’infractions, les juges s’écartent certes toujours un
peu plus des conceptions traditionnelles du droit pénal, mais la considération des enjeux en
présence le rendant indispensable.
Section 2 : L’incertitude de l’approche française et le parallèle avec
l’infraction de recel
La France a adopté une définition différente du blanchiment, plus éloignée de celles établies
par la convention de Strasbourg de 1990. Il s'ensuit que, le comportement d’un agent devant
être apprécié in abstracto, au regard du texte de loi, les modalités de commission de
l’infraction pourront revêtir une nature différente. La jurisprudence sur la question étant quasi
49 Cass., 21 juin 2000, Bull., n° 387. 50 Doc. Parl., Sénat, 1994-1995, 1323-1, exposé des motifs, p.11.
34
inexistante, on pourra tenter de l’anticiper à partir des solutions qui sont habituellement
appliquées au délit de recel.
L’article 324-1 réprime, comme première forme de blanchiment, la facilitation, par tout
moyen, de la justification mensongère de l'origine des biens ou revenus de l'auteur d'un crime
ou d'un délit lui ayant procuré un profit direct ou indirect.
Devant l’imprécision de l’expression, certains auteurs51, comme nous l’avons étudié
précédemment, adoptaient une vision étroite de cette notion afin d’éviter de se heurter au
principe de légalité des délits et des peines de l’article 111-3 du code pénal français. Ainsi M.
Culioli envisage la facilitation de la justification mensongère comme la production d’une
fausse facture, reconnaissance de dette, bulletin de salaire ou attestation : en résumé tout
document contrefait pour avoir une apparence légale. Ce mode de commission du délit du
blanchiment s’effectue en un instant, la volonté coupable étant épuisée dès la fin de
l’impression du document par exemple. Mais la facilitation de la justification mensongère
peut tout aussi bien viser des actes qui se prolongent dans le temps, comme le fait de mêler
l’argent sale à l’argent propre sous la couverture d’un commerce où le chiffre d’affaire se fait
majoritairement en espèces, tel un restaurant ou encore un agent de change.
Dans ce cas, la répétition des actes similaires manifeste une unité matérielle et physique, qui
donne aux agissements le caractère successif, donc continu.
On remarque donc que le principe de la légalité criminelle n’étant pas respecté dans cet
alinéa, l’appréciation de la durée de l’élément matériel ne se fait plus in abstracto, le contenu
du texte renvoyant à une multitude de réalités différentes, mais in concreto, selon le
comportement qu’a adopté le délinquant dans les faits.
La deuxième forme de blanchiment comprend l’apport d’un concours à une opération de
placement, de dissimulation ou de conversion du produit d’un crime ou d’un délit.
Le placement, caractérisé dans l’arrêt du 7 décembre 1995 par la régularisation d’un acte de
vente, fut considéré comme une exécution instantanée auquel l’élément moral devait être
antérieur ou concomitant. Les juges relèvent en effet que la connaissance de l’origine des
fonds destinés à l’acquisition de l’appartement était antérieure à la régularisation frauduleuse
51 Bouloc (B.), De quelques aspects du délit de blanchiment, RD bancaire et financier, 2002, p.152 ; Culioli (M.), infraction générale de blanchiment, J.-Cl. Pénal, Fasc. 20,1997,p. 8.
35
de l’acte et aux conseils donnés concernant les modalités de payement. Si le notaire avait
connu la nature des fonds après avoir régularisé l’acte ou conseillé sur le moyen de paiement,
il n’aurait encouru aucune peine. L’infraction eut-elle été continue ou continuée, et cette
précision était inutile. De même que pour la conversion, terme similaire à celui de la
définition belge, on peut considérer le placement comme un blanchiment instantané.
Le dernier mode de blanchiment prévu par le droit français, l’apport d’un concours à une
opération de dissimulation, laisse place à de plus vastes interrogations quant à sa durée de
commission.
En effet, la notion de dissimulation pourrait avoir un caractère instantané, si on l’entend
comme le fait de grimer quelque chose, de déguiser un bien en un autre ou d’omettre de
mentionner une chose qui doit être mentionnée. A titre d’exemple, le fait pour un commerçant
en faillite d’omettre volontairement la mention d’actif lors de l’élaboration de son bilan est
une opération de dissimulation. Dans ce cas on peut imaginer que la dissimulation n’à lieu
qu’au moment de l’établissement du bilan, la clandestinité des actifs non déclarés n’étant que
l’effet de l’action proprement délictueuse, donnant donc à l’infraction le caractère instantané.
La dissimulation peut également avoir le caractère de délit continu si les fonds dissimulés le
sont de manière physique, par leur conservation dans un endroit secret. On peut arguer dans
ce cas que la volonté coupable subsiste pendant tout le temps durant lequel l’objet est caché
au public.
Le caractère équivoque que présente ce terme ne se prête pas à une appréciation judicieuse de
la nature de l’infraction. Mais il est possible et tout à fait opportun que le législateur ait
envisagé l’hypothèse du déguisement de la chose sous le qualificatif de conversion, dont nous
avons observé la nature instantanée. Le terme dissimulation ne couvrira alors que des
agissements ayant lieu sur la durée, alors que le bien est conservé par le blanchisseur.
Sur ce point, la jurisprudence est inexistante, l’infraction générale de blanchiment étant
encore trop récente. Il est malgré tout possible d ‘effectuer un parallèle avec l’infraction sœur
de recel, prévue à l’article 321-1, et dont la dissimulation est également un mode de
commission. Le recel est, au terme de cet article, « le fait de dissimuler, de détenir ou de
transmettre une chose […] en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit. »
36
Pour les commentateurs néanmoins, il s’avère que la dissimulation est au moins une preuve52,
sinon une application du second mode de commission qu’est la détention53. En effet, cette
qualification, pour ambiguë qu’elle soit, est de plus redondante car le recel est constitué par la
détention de la chose provenant d’une infraction, même si celle ci est affichée aux yeux du
public, il n’y a donc pas besoin de dissimuler la chose pour être receleur, mais il faut la
détenir. La dissimulation telle que nous l’envisageons implique donc la détention.
Or depuis la loi du 22 mai 1915, le recel commis par la détention de la chose est une
infraction continue, dont le délai de prescription ne court que du jour ou il a pris fin et non du
jour ou la chose à été reçue54. En matière de blanchiment, il est fort possible qu’un juge qui
serait amené à qualifier la nature de l’opération procède par analogie avec le recel, pour des
raisons de bon sens, mais également dans le but d’une répression plus efficace, car comme on
l’a vu les règles applicables aux infractions continues sont en tout point plus sévères.
On observe donc au terme de cette première partie les difficultés qu’ont eut les législateurs
belges et français à qualifier l’infraction de blanchiment dans le respect des principes
généraux du droit pénal et à la classifier dans les catégories traditionnelles des infractions.
Une évolution du droit pénal semble donc nécessaire face aux activités des organisations
criminelles. Le principe de légalité criminelle est bafoué face à la multitude des
comportements que peut recouvrir le blanchiment et face au caractère transnational et
clandestin de cette activité.
Titre II : Les différences dans la mise en œuvre de la répression
C’est le régime de la preuve qui fait ici l’objet d’hétérogénéité suivant que l’on se place au
niveau belge ou français. C’est la preuve de l’infraction a l’origine des fonds blanchis qui
attirera notre attention (Chapitre 1) puis l’élément intentionnel spécifique à ce type
d’infraction (Chapitre 2)
Chapitre 1. Les divergences d’approches quant à la preuve de l’origine des
fonds blanchis : une menace pour la présomption d’innocence
52 Laure-Rasset (M.), « Droit pénal spécial : Infractions des et contre les particuliers », Dalloz, 3è éd., 2001, p. 203. 53 Pradel (J.), Danti-Juan (M.), « Droit pénal spécial », Cujas, 1995, p. 604.
37
Les exigences quant à l’étendue de la preuve de l’origine des fonds sont une illustration
saisissante des transformations actuelles du droit (Section 1.)La divergence de solutions
apportées par la France et la Belgique traduisent le poids qu’elles accordent à la lutte contre le
blanchiment par rapport à la préservation des bases sur lesquelles s’est fondé leur droit
pénal(Section 2.)
Section 1 : La problématique sous-tendant cette opposition
Le choix de la nature continuée de l’infraction de blanchiment est indispensable pour en
appréhender l’élément matériel. Il permet au juge d’un Etat de se déclarer compétent pour
juger les auteurs d’actes de blanchiment dès lors qu’une partie seulement s’est déroulée sur
son territoire (cf. Titre I.) Même si cette autorité est compétente, elle ne va pas pouvoir
condamner un suspect de ce seul fait car celui ci est présumé innocent en vertu des principes
généraux du droit. La charge de la preuve de l’infraction incombe à l’autorité de poursuite, et
c’est au vu des différents éléments que le juge forgera son intime conviction. La preuve de
l’infraction passe par l’établissement de ses éléments constitutifs, qui sont l’élément légal,
l’élément matériel, et l’élément intentionnel.
Les actes matériels du blanchiment sont en eux même parfaitement légaux, ils ne sont
réprimés que lorsqu’ils portent sur les biens ou revenus d’un crime ou d’un délit (en droit
français) ou sur des avantages patrimoniaux provenant d’une infraction (en droit belge.)
On remarque que comme en matière de recel, l’élément matériel se dédouble car il comprend
l’origine illicite des biens objet du blanchiment, et nécessite pour l’autorité de poursuite la
preuve d’une infraction sous jacente.
Le caractère délictuel ou criminel de la provenance de l’argent, constitue, comme on a pu le
constater à propos du recel, « le cordon ombilical »55 entre l’infraction d’origine dont il est le
produit et l’infraction de conséquence dont il est l’objet.
Il est paradoxal que la preuve de l’origine des fonds par l’autorité de poursuite soit requise,
alors que le résultat même de l’infraction de blanchiment est la dissimulation de cette même
54 Cass. crim., 16 juillet 1964, Bull. crim. n°241 ; D. 1964.664 ; Gaz. Pal. 1964.2.404 55 Jeandidier (W.), « Droit pénal des affaires », op. cit.,p.21,n°21.
38
origine. Cette dissimulation est d’ailleurs facilitée par le caractère transnational des
réseaux qui profitent des
§ 1 Limites de la coopération inter-étatique
Les réseaux de blanchiment sont une trame de sociétés écrans et de comptes bancaires
superposés aux territoires nationaux de différents Etats. Si l’outil préventif s’est développé
parallèlement à la régulation du droit boursier, les instruments coercitifs sont restés d’une
portée relativement faible. La loi qui seule encadre la matière au niveau répressif, s’avère un
instrument archaïque car limité par le territoire national de ceux qui la promulguent, de même
que l’application des règles traditionnelles de territorialité rend nombre de juges impuissants
notamment lors de l’instruction et donc de la recherche de preuves.
Dans la majorité des cas, l’infraction à l’origine des fonds blanchis aura été perpétrée dans un
pays lointain et l’argent une fois entré dans le circuit parallèle aura transité par plusieurs pays
avant qu’il soit suspecté d’être « sale. » La nature continuée du délit assure la compétence
territoriale de l’Etat sur lequel les fonds ont étés découverts, mais il faudra que cet Etat prouve
que des infractions ont été commises dans le pays de départ, qui peut être n’importe ou sur la
surface du globe. Bien sur, nous l’avons vu, la coopération des États s’est renforcé au cours
des dernières années, des efforts ayant été fait par la concertation avec les institutions
professionnelles comme le comité de Bâle.
Mais les limites de cette coopération sont évidentes, car l’infraction d’origine éloignée dans
l’espace le sera probablement dans le temps. La recherche d’une infraction à l’origine des
fonds se heurte parfois aux réticences de coopération de certains pays, aux faiblesses de leur
capacité d’enquête ou encore à l’absence de liens pouvant être établis entre une infraction
spécifique et la totalité des fonds blanchis.
§ 2 Difficultés d’identification d’une infraction particulière
Le réseau de blanchiment est élaboré sur plusieurs territoires nationaux et fait appel à
l’intervention de structures sophistiquées et de personnes compétentes. C’est un instrument
pérenne destiné à recueillir le produit d’un certain nombre de crimes et délits à la charge des
39
organisations criminelles et non pas d’une infraction particulière. Les quelques arrêts qui ont
été rendus en témoignent.
Il faut rappeler aussi que l’argent dit « sale » donc illicite transite parfois par les même canaux
que l’argent « noir », issu d’activités légales mais non déclarées. Prouver l’existence de toutes
les activités à l’origine de l’argent blanchi relèverait d’une mission impossible et donc
empêcherai les poursuites pénales de la majorité de leurs auteurs, tuant dans l’œuf le germe de
changement que constituaient les nouvelles dispositions légales de lutte contre le blanchiment.
§ 3 Aménagements envisageables afin d’améliorer la répression
Il est indispensable de punir la tentative de la même façon que le blanchiment entièrement
consommé. L’article 324-6 du code pénal français le fait, de même que la loi belge du 7 avril
1995.
Plus fondamentale encore est la nécessité de pouvoir dispenser l’autorité de poursuite
d’apporter la preuve d’un des éléments constitutifs de l’infraction, en l’occurrence l’élément
matériel, afin de pouvoir le déduire d’autres facteurs. C’est sur cette question que s’opposent
les solutions belges et françaises.
Une nouvelle lecture des textes de loi permettra de rechercher l’intention du législateur afin
d’y déceler l’origine de la jurisprudence naissante.
C’est au juge, en vertu de son devoir d’interprétation et de son pouvoir d’appréciation, de
fixer les modalités de la preuve de l’infraction initiale afin de pouvoir établir la réalité. D’une
approche souple dépend une répression efficace et dissuasive de ces pratiques, au détriment
toutefois d’un respect scrupuleux de la présomption d’innocence.
Section 2 : La différence de position des juges belges et français
Le texte de la directive du 10 juin 1991 ne permet pas de déceler les exigences du législateur
en matière de preuve. Elle impose aux États membres d’interdire le blanchiment de capitaux
tel qu’elle le définit. Un bref aperçu permet de constater que la directive ne fait aucune
référence à la provenance des biens, mais seulement à la connaissance de leur provenance par
le prévenu. Les juges nationaux se basent donc sur les prescriptions de leur droits respectifs.
§ 1 L’efficacité de l’approche belge au détriment de la présomption
d’innocence
40
L’article 505 du code pénal belge modifié en dernier lieu par la loi du 7 avril 199556,
incrimine les agissements étudiés précédemment lorsqu’ils portent sur des choses visées à
l’article 42, 3°, qui sont « les avantages patrimoniaux tirés directement d’une infraction. » De
l’utilisation du pronom indéterminé « une » on peut tirer deux conclusions quant à l’intention
du législateur.
La première, bien établie, est de faire du blanchiment une infraction générale, pouvant porter
sur toute infraction d’origine, d’où le recours à un pronom indéterminé dans une définition par
nature générale. Certains auteurs ont vu dans cette absence d’énumération limitative des
crimes ou délits sous-jacents l’absence d’obligation d’identification formelle de l’infraction
sous jacente57. La généralité des infractions envisagées dans une définition n’exclut pourtant
pas la nécessité de prouver une infraction spécifique dans un cas particulier, à moins de
procéder à une autre déduction.
Celle-ci, plus hypothétique conclu de l’utilisation du pronom indéterminé la volonté tacite du
législateur de n’exiger non pas la preuve de l’infraction d’origine, mais celle d’une infraction
d’origine.
La Cellule de traitement des informations financières, appuyant cette interprétation, avait dans
son deuxième rapport annuel soulevé la lourdeur pour l’accusation de l’exigence d’apporter la
preuve des éléments constitutifs du délit préalable au blanchiment, lorsque les faits avaient été
commis à l’étranger, par des étrangers58.
C’est en matière de recel simple que le juge belge, sensibilisé à l’enjeu d’une répression
urgente et efficace, a admis que l’infraction de base ne devait pas être identifiée de façon
précise, et donc qu’il suffit de démontrer que les choses avaient une origine délictueuse59.
Concernant l’infraction nouvelle de blanchiment, le tribunal correctionnel d’Anvers, dans
plusieurs jugements successifs, se contente de constater que l’argent provenait d’un délit ou
56 M.B. du 10 mai 1995, p.12378. 57 Spreutels (J.), Mûelenaere (Ph.), « La cellule de traitement des informations financières et la prévention du blanchiment de capitaux en Belgique », Bruylant, 2003, p. 268. 58 CTIF, 2e rapport d’activités 1994-1995,p. 69. 59 Cass. , 9 juin 1947, Pas., I, 263 ; cass. 2 février 1948, Pas., I, 71 ; cass., 20 mai 1981, Pas., I, 1094 ; Anvers, 17 mai 1984, R. W., 1984-1985, 1790.
41
avait une origine illicite60. L’autorité de poursuite doit seulement établir un lien avec une ou
plusieurs infractions, sans avoir à les identifier précisément61.
Cette jurisprudence fut relayée par un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles, qui condamna
dans un arrêt du 1er juin 199562 une personne du chef de blanchiment au motif que les choses
avaient une origine délictueuse. Elle ne put établir précisément que c’était un trafic de drogue,
mais elle pouvait le déduire d’autres éléments.
La Cour de cassation consacra ces solutions le 21 juin 2000 lorsqu’elle décide « qu’il n’est
pas requis, toutefois, que la décision de condamnation identifie le crime ou le délit à l’aide
duquel ces avantages patrimoniaux ont étés obtenus, ni même que l’exercice de l’action
publique du chef de cette infraction originaire relève de la compétence territoriale du juge
belge »63. Il n’est pas requis des juges du fond qu’ils prouvent les éléments constitutifs du
crime ou délit à l’origine des fonds.
Lorsque ces pratiques n’étaient punissables que si elles portaient sur l’argent du trafic de
stupéfiant, il était justifié que soit exigée la preuve d’un élément caractéristique de l’infraction
telle que définie par la loi, à savoir que l’argent provenait du trafic de drogue. Désormais, le
fait que l’infraction soit générale relève non seulement d’une extension du champ
d’application de l’infraction dans un sens strict, mais également et plus fondamentalement
d’un changement de philosophie par rapport à cette pratique. C’est à dire que la répression ne
vise plus l’infraction à l’origine des fonds à titre principal dont le blanchiment, à titre
secondaire, ne serait qu’un moyen de jouir des profits. Le blanchiment est puni en tant que tel
en raison des dangers qu’il présente pour l’économie des démocraties. Cette considération
légitime le laxisme des juges concernant la preuve de l’infraction d’origine.
Dès lors que la preuve des éléments constitutifs n’est pas requise, comment l’origine illicite
des biens sera-t-elle démontrée? La Cour d’appel de Bruxelles dans l’arrêt du 1er juin 1995
procède par déduction. Peut-elle déduire de la connaissance de l’origine des fonds par le
prévenu cette origine elle-même? Il semble que la réponse soit positive.
60 Corr. Anvers, 23 février 1993, T.R.V.,1994, 195 ; Corr. Anvers, 24 février 1995 ; corr. Anvers 18 mai 1995; Corr. Anvers 5 ocotbre 1995, inédits, in Spreutels (J.), Mûelenaere (Ph.), ibid, p. 269. 61 Corr. Anvers, 7 mai 1998, inédit, ibid; Corr. Anvers, 18 juin 1998, inédit, confirmé par Cour d’Appel, 23 juin 1999, inédit, ibid, p. 269. 62 Bruxelles, 1er juin 1995, ibid.
42
L’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 30 juin 1995 retient à l’encontre du prévenu «[…] que
le blanchiment couvre le produit d’une infraction, qu’il s’agisse d’un trafic de drogue ou d’un
autre délit […] », sans donner plus de précisions. La Cour de cassation rejeta le pourvoi formé
contre cet arrêt au motif que « les juges ayant constaté que le demandeur connaissait l’origine
de l’argent lors de sa réception et qu’il l’a changé sur le territoire belge, leur décision est
régulièrement motivée et légalement justifiée. »64
La déduction de l’élément matériel à partir de l’élément intentionnel a pour résultat de mettre
à la charge de l’accusé la preuve que les fonds n’avaient pas une origine illicite, en
contradiction avec la présomption d’innocence, mais justifiée par la gravité de l’enjeu.
Un jugement du tribunal correctionnel d’Anvers du 12 juin 1997 indique que le fait que
l’accusation ne spécifie pas l’origine délictueuse attribuée aux fonds blanchis ne constitue pas
une violation des droits de la défense au sens de l’article 6.3.a de la Convention de sauvegarde
des droits de d’homme et des libertés fondamentales65, en vertu duquel tout accusé a le droit
d’être informé dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière
détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.
§ 2 L’approche exigeante du juge français au détriment de l’efficacité
I. Analyse du texte de loi
L’article 324-1 du code pénal français prévoit deux formes de blanchiment :
Son alinéa 1er incrimine le fait de faciliter la justification mensongère de l’origine des biens
ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui ci un profit direct ou
indirect. Il ressort des précédents développements qu’il y a ici une présomption que le
blanchiment porte sur tous les biens de l’auteur d’une infraction particulière (cf. supra.) Cela
n’éclaire pourtant pas l’interprète sur la nécessité ou non de prouver celle-ci.
Le second alinéa vise quant à lui « le fait d’apporter son concours à une opération de
placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct d’un crime ou d’un délit. » La
63 Cass. 21 juin 2000, J.T., 2000, p. 788 64 Cass. 31 octobre 1995, T.R.V.,1996, 635, note F. Hellemans. 65 Corr. Anvers 12 mars 1997, inédit, ibid, p.269.
43
formule employée ici nécessite que les actes portent sur le produit d’un crime ou d’un délit.
L’exigence que le blanchiment porte sur le produit d’«un crime» ou d’«un délit» consacre
comme le texte belge le caractère général de l’infraction. Pourtant ce terme rend flou la
volonté du législateur quant à la preuve de l’origine illicite de manière générale ou d’une
infraction déterminée avec précision. Cette incertitude aurait pu être évitée en déclarant que le
blanchiment porte sur le produit direct du crime ou du délit déterminé par l’autorité de
poursuite.
Venue compléter la loi, une circulaire ministérielle du 10 juin 199666 adressée au parquet
lui impose de prouver l’existence du crime ou du délit principal. Mais si cette existence doit
être prouvée, elle peut l’être de manière plus ou moins précise et le degré de précision n’est
pas abordé par la circulaire. On pourrait même déduire de la rédaction qu’elle ne soumet pas
l’autorité de poursuite à l’obligation de prouver les éléments constitutifs de l’infraction
d’origine. En effet, la circulaire salue le caractère général de l’infraction en soulignant la
difficulté pratique de prouver l’origine des fonds lorsque seul le blanchiment du produit du
trafic de drogue était réprimé. La mise en relief des difficultés rencontrées en matière de
stupéfiants ne disparaît pas concernant les autres infractions, car les revenus qu’elles
procurent transitent tous par les même réseaux. Il serait donc malvenu de demander que soient
démontrés les éléments constitutifs de l’infraction après en avoir reconnu les limites.
Mais la circulaire reste toutefois ambiguë sur ce point car elle prévoit expressément pour la
connaissance de l’infraction dont proviennent les fonds qu’elle peut être établie sans avoir à
prouver que le prévenu savait précisément laquelle. Elle n’est pas aussi claire concernant la
preuve de l’existence de cette infraction.
II. Etude de l’appréciation jurisprudentielle des éléments de preuve de l’infraction
d’origine
En l’absence de clarté, c’est au juge d’établir le niveau de diligence avec lequel l’accusation
doit procéder. La jurisprudence en matière de recel peut s’avérer une source d’inspiration
66 Circ. Crim. 1996, 11/G 10 juin 1996 : BO min. just. n°62, 30 juin 1996, IA
44
selon certains auteurs67, en ce que la provenance du bien recelé en est également un élément
constitutif.
A. la similarité du blanchiment avec l’infraction de recel
Plus exigeants que leur homologue belge, les juges français ont toujours exigé que l’infraction
à l’origine des fonds blanchis soit établie par des constatations judiciaires suffisantes68. En
droit positif français, l’exigence fondamentale de la provenance délictuelle ou criminelle
conduit à établir de manière précise l’existence d’une action qualifiée crime ou délit et d’en
relever les éléments constitutifs. La preuve de l’élément légal, matériel, et intentionnel de
l’infraction d’origine qui constitue l ‘élément matériel de l’infraction de conséquence qu’est le
recel incombe au parquet. Les juges ne peuvent donc pas se limiter à constater l’origine
illicite des fonds sans pouvoir fournir d’explications valables69.
Ils ne peuvent non plus dire que les objets proviennent d’un délit ou d’un crime sans spécifier
lequel. A plusieurs reprises, la Cour de cassation a censuré les juges du fonds qui ne
présentaient pas les preuves requises à l’appui de leur jugement. Dans un arrêt du 27 juin
1982, la cour de cassation casse l’arrêt d’une cour d’appel qui avait simplement déclaré qu’il
ne faisait aucun doute que la somme saisie sur le condamné provenait d’un trafic de pièces de
monnaie. En l’espèce, elle aurait dû caractériser plus précisément le trafic sous-jacent. Il
manquait donc de ce fait la preuve de l’élément matériel du recel à savoir que la chose
détenue provenait d’un crime ou d’un délit.
La qualification de crime ou délit se fait au regard du droit français, mais il n’est pas
nécessaire que le juge français soit territorialement compétent pour connaître de l’infraction
principale. Malgré cela, il aurait été souhaitable pour une meilleure coopération inter-étatique
que la France se conforme à la définition donnée par la directive du 10 juin 1991.
Dès lors que les éléments constitutifs de l’infraction d’origine sont rapportés, le sort de son
auteur est indifférent à la répression du délit de conséquence. L’origine des fonds détenus sera
67 Culioli (M.), infraction générale de blanchiment, J.-Cl. Pénal, Fasc. 10 et 20,1997, p. 4. ; Riffault (J.), Le blanchiment de capitaux illicites ; le blanchiment de capitaux en droit comparé, Rev. sc. crim. 1999, p.246 ; Cutajar (Ch.), Le blanchiment de l’argent, Traité Joly Bourse, V. Blanchiment, p.31. 68 Cass. crim., 10 mars 1902 : Bull. crim., n°104. ; 24 juillet 1956 : Bull. crim., n° 580. 69 Ibid.
45
illicite même si une amnistie personnelle, une immunité ou le bénéfice de la chose jugée
empêche la condamnation.
Les auteurs précités prévoient des exigences similaires en matière de blanchiment, en raison
de la proximité entre les deux délits. Ainsi M. Culioli suppose, sans en justifier le bien fondé,
que les solutions acquises en matière de recel seront transposables dans la matière qui nous
concerne. C’est faire abstraction des difficultés inhérentes à ce délit par rapport au recel et
dont il a été fait écho ci-dessus. Le caractère transnational est omniprésent dans les grands
réseaux de blanchiment, afin justement de permettre le résultat de cette infraction qui est celui
de faire disparaître l’origine de l’argent. L’infraction de recel quant à elle ne concerne pas le
fait de justifier de manière mensongère l’origine des biens, elle consiste simplement à
dissimuler, détenir ou transmettre une chose provenant d’une infraction.
La lutte contre ce type d’infraction dont le but même est d’effacer l’origine des fonds ne peut
se faire de manière efficace qu’en facilitant la preuve de l’origine des fonds. C’est une course
poursuite entre les malfaiteurs et les autorités répressives, l’ingéniosité des premiers devant
être légitimement contrée par l’assouplissement des exigences vis à vis des seconds.
B. Les solutions du droit français rendues en matière de blanchiment
En l’état du droit positif, les quelques arrêts rendus sur la question offrent des exemples sur
les modalités de preuves envisageables.
Le principe de la liberté de la preuve est formellement exprimé par l’article 427 du code de
procédure pénale. Les indices tirés des circonstances dans lesquelles ont été effectués les actes
de blanchiment suffiront quelquefois à forger l’intime conviction du juge.
Elle peut consister en une condamnation prononcée par une autre juridiction, qui sera souvent
étrangère, comme dans l’affaire W. Krup, dans laquelle une commission rogatoire délivrée
par l’Autriche étaye le jugement condamnant le trafic de stupéfiant à la source des fonds
transitant par le réseau mis en place.
46
Plus intéressant au regard de l’évolution possible de la jurisprudence française est l’admission
par la Cour d’appel de Montpellier dans l’arrêt du 8 mars 200070 de l’aveu du prévenu comme
preuve. Elle constate que l’infraction principale préalable au blanchiment est bien établie dès
lors qu’« il ressort des déclarations du prévenu devant les services des douanes, les services
de police et réitérées durant l’instruction que la somme d’argent qu’il devait convoyer lui
avait été confiée par un dénommé « Lino », qu’il identifiait comme un trafiquant notoire. »
Cet arrêt retiendra l’attention, car la Cour de cassation y exige que l’infraction principale soit
prouvée dans tous ses éléments constitutifs, alors que les témoignages ou même les aveux ne
suffisent traditionnellement pas à remplir ces conditions sans être corroborés par des indices
matériels. Deux possibilités s’offrent à la Cour de cassation :
- Soit, en réponse à la doctrine, juger que les constatations judiciaires ne seraient pas
suffisantes car le témoignage ne permet pas à lui seul d’établir les éléments constitutifs de
l’infraction, cassant de ce fait l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier pour défaut de base
légale.
- Soit comme pour la Belgique, décider que seule la preuve du caractère illicite de l’origine
des capitaux doit être rapportée. Dans ce cas un témoignage serait suffisamment solide
pour l’établir. C’est vers cette solution que la justice française devrait se tourner, suivant
ainsi l’exemple avisé du juge belge.
§ 3 La nécessité pour la France de suivre l’exemple belge en
assouplissant les règles de preuve
Le réseau de blanchiment demande un investissement humain et financier que seules les
multinationales du crime peuvent fournir. De ce fait, c’est un instrument relativement pérenne
qui accueillera le produit d’infractions passées, présentes et à venir. Dès lors qu’a été
consacrée l’autonomie du blanchiment par rapport à l’infraction principale, c’est à dire que le
fait de disculper l’argent malhonnêtement obtenu n’est plus seulement un acte de complicité,
plus rien ne commande au maintien des exigences qui prévalaient auparavant. Il est donc
inutile que soient établis les éléments constitutifs de l’infraction primaire. Certains y verront
une atteinte au principe de la présomption d’innocence, mais les impératifs d’intérêt général
justifient une facilitation des moyens de preuve.
70 CA Montpellier, 3e ch., 8 mars 2000, n° 405, p.4 et 5; sur appel de TGI Perpignan, 3e ch., 19 mai 1999, n°99/521, Piazzola.
47
Il ne sera pas contraire à la tradition juridique française de renverser la charge de la preuve de
l’existence d’une infraction d’origine dès lors que celle ci est présumée par le juge.
Le droit français connaît en effet déjà des atteintes à la présomption d’innocence par
l’insertion de présomptions légales de culpabilité, notamment en matière de proxénétisme et
de trafic de stupéfiants. Ces présomptions portent sur l’existence de l’élément matériel d’une
infraction.
L’article 225-6 du code pénal crée une présomption légale de proxénétisme pour les individus
incapables de pouvoir justifier des ressources correspondant à son train de vie tout en vivant
habituellement avec une personne se livrant à la prostitution.
L’article 222-39-1 du code pénal punit de cinq ans d ‘emprisonnement et de 75000 euros
d’amende « le fait de ne pas pouvoir justifier des ressources correspondant à son train de vie,
tout en étant en relation habituelle avec des personnes se livrant au trafic de stupéfiants. »
Plus récemment, la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques à crée
un nouvel article 450-2-1 du code pénal qui crée une présomption identique à celle susvisée
pour la participation à une association de malfaiteurs.
Ces quelques exemples démontrent la difficulté d’une justice traditionnellement adaptée à
l’individu isolé face au phénomène de criminalité organisée. La reconnaissance du groupe par
la loi implique la multiplication des présomptions. La mission parlementaire d’information
commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du
blanchiment de capitaux à, dans son rapport public rendu sur la lutte contre le blanchiment de
capitaux en France71, ouvertement pris position pour un renversement de la charge de la
preuve de l’origine des capitaux, en matière de blanchiment. Ceci dans le cadre d’une
extension des moyens de procédure donnés aux autorités en matière de lutte contre le trafic de
stupéfiant à l’ensemble des activités de la criminalité organisée.
71 Rapport d’information, Tome II : la lutte contre le blanchiment des capitaux en France, 11 avril 2003, www.assemblée-nationale.fr/rap-info/i2311-611.asp
48
La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité dite loi « Perben II »72. Malgré l’insertion d’un renversement de la charge de la
preuve en matière d’extorsion commise en bande organisée, n’est pas allée jusqu’à modifier la
loi du 13 mai 1996 et exaucer ainsi le vœu qu’avait formulé la mission et certains
parlementaires de renverser la charge de la preuve de l’origine des fonds pour le délit général
de blanchiment.
En l’absence de signe de la part du législateur, le juge devrait examiner la possibilité de
renverser la charge de la preuve d’une partie de l’élément matériel du blanchiment, à savoir la
provenance criminelle ou délictuelle des fonds. L’autorité judiciaire à en effet à plusieurs
reprises établies des présomptions allant au-delà de texte de loi. En matière de diffamation par
exemple (article 29 de la loi du 29 juillet 1881), il a été admis que les imputations
diffamatoires sont réputées de droit fait avec une intention coupable. C’est l’élément moral
qui fait dans ce cas l’objet d’une présomption. Mais aucun texte ne fait obstacle à
l’établissement d’une présomption judiciaire de l’existence de l’élément matériel. On pourrait
en effet permettre au juge de déduire des circonstances dans lesquelles ont lieu les
placements, dissimulation et conversion et de la connaissance de l’origine des capitaux par le
prévenu cette origine elle-même. Bien sûr, il y aura une atteinte à la présomption d’innocence,
protégée par l’article 6.2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, en ce que
l’accusation n’aura plus à prouver un élément de l’infraction et ce sera à la défense de prouver
son absence. Il existe deux enjeux en contradiction que sont l’efficacité de la lutte contre
l’infiltration clandestine de capitaux et le respect des droits de la défense.
Comme l’a constaté la mission parlementaire, la France se démarque par la faiblesse de ses
enquêtes judiciaires et de ses condamnations. De 1996 à 2000, seules 93 condamnations
avaient été prononcées tous types de blanchiment confondus. Une large partie des infractions
poursuivies sont, en raison de l’inadaptation du système judiciaire français à la criminalité
organisée, re-qualifiées en recel. En Belgique, de 1993 à 2002, 416 condamnations furent
prononcées parmi les 4562 dossiers transmis à la Cellule de Traitement des Informations
Financières. Parmi ces condamnations facilitées par les règles de preuves auxquelles sont
astreintes les autorités belges, il y a probablement peu d’erreurs judiciaires, car souvent les
72 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », JORF, 10 mars 2004, p.4567.
49
éléments matériels rassemblés, corroborés par des témoignages, établissent une vérité qui ne
peut être entièrement prouvée selon les impératifs établis par le code de procédure pénale.
De plus le principe même des présomptions judiciaires à été entériné par la Cour européenne
des Droits de l’Homme qui pose toutefois comme condition que les présomptions soient
réfraguables, c’est à dire qu’elle ne fasse que renverser la charge de la preuve, et qu’elles
respectent les droits de la défense.
Dans l’arrêt « Salabiaku » du 7 octobre 1988, elle a rappelé que « tout système juridique
connaît des présomptions de preuve de fait ou de droit et que la Convention n’y met
évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale oblige les Etats contractants à ne
pas dépasser les limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les
droits de la défense. »
Des décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation73 et du Conseil
constitutionnel74 vont dans le même sens, acceptant les présomptions de culpabilité à
condition qu’elles puissent être renversées et quelles respectent les droits de la défense. De
manière à faciliter la tâche des autorités de poursuites, il serait souhaitable et du ressort du
juge de suivre l’exemple belge en assouplissant l’exigence probatoire. Celui ci aurait alors
pour mission de réaliser l’équilibre entre le respect de la présomption d’innocence et
l’efficacité de la lutte contre la menace que représentent pour la société les pratiques de
blanchiment.
Cette émancipation du juge par rapport au texte de loi devient inévitable en l’absence d’un
pragmatisme plus grand des parlementaires. La globalisation financière laisse sans armes les
territoires nationaux face aux organisations criminelles agissant de manière transnationale.
Nous assistons de ce fait à un mouvement de renforcement des pouvoirs de la justice et du
parquet au détriment de principes fondamentaux du droit pénal que sont la présomption
d’innocence et le principe de légalité criminelle. Ce constat s’il fut controversé pour l’élément
matériel de l’infraction de blanchiment, semble moins poser de problème concernant son
élément moral.
73 Par exemple en matière de délit douanier Cass. Crim., 10 février 1992, B.C., n° 62. ; pour une contravention de stationnement prévue par l’article L. 21-1, C.R., Cass. Crim., 9 avril et 11 juin 1992, B.C.,n° 155 et 231 ; 1er février 2000, B.C., n° 51 ; pour la diffamation, Cass. Crim., 16 mars 1993, B.C., n° 115. 74 Cons. const., décision n° 99-411, D.C. du 16 juin 1999, J.O., 19 juin 1999, 9019, 1re colonne.
50
Chapitre 2. L’infraction générale de blanchiment et le principe
d’intentionnalité des crimes et délits
Dès lors que la preuve de l'illicéité de l'origine des fonds et des actes constitutifs du
blanchiment est rapportée, l'autorité de poursuite doit être amenée à s'interroger sur l'élément
moral de l'infraction. La nécessité d’une répression efficace s’est heurtée à la tradition
juridique des deux Etats pour déterminer la nécessité d’un dol général ou spécial (Section 1)
C’est ensuite sur l’étendue de la preuve de l’élément moral que nous porterons notre analyse
(Section 2.)
Section 1 : Le débat quant à l’élément moral dans l’infraction de
blanchiment
§ 1 L’existence d’un blanchiment par imprudence ou négligence
Les difficultés pratiques issues de la mise en oeuvre des poursuites ont amené les Etats à
s’interroger, avant la preuve de la connaissance de la provenance des fonds, sur la nécessité
même d'une telle connaissance.
I. Un droit belge moins dangereux qu’il n’y paraît
L’article 505 du code pénal Belge mentionne à deux reprises, aux 2° et 4° que se rend
coupable l’auteur des agissements détaillés ci dessus alors qu’il connaissait ou devait
connaître l’origine de ces biens. Ces termes sont assurément ambigus, car ils peuvent être
interprétés comme l’absence d’exigence d’une intention pour la commission de l’infraction.
C’est à dire que, conformément à la faute d’imprudence, on pourrait imputer au blanchisseur
les conséquences involontaires d’un comportement dangereux dont ils auraient dû et pu
prévoir le résultat préjudiciable, donc sans qu’ils aient eu l’intention de provoquer le résultat
incriminé.
De prime abord, la complexité que représente l’organisation de réseaux de blanchiment, à
savoir le recours à des hommes de paille, des sociétés écrans, le fractionnement de sommes
déposées ensuite sur des comptes crées sous couvert d’anonymat, ne peut être réalisée par
manque de précaution. Nous sommes dans une optique de préparation méticuleuse, un dol non
51
seulement spécial mais aggravé par préméditation. L’hypothèse d’un blanchisseur imprudent
paraît peu probable, à moins d’imaginer des personnes auxquelles les malfaiteurs ont recours
pour les pratiques de « schtroumfage75 . » Elles consistent à fragmenter les sommes d’argent
et à les confier à des commis, touristes ou agents n’étant pas forcément dans la confidence,
lors de la phase de placement, afin qu’ils déposent les fonds dans plusieurs établissements
bancaires différents sans éveiller les soupçons. Les faits matériels correspondent assurément à
ce que la loi qualifie de concours à une opération de placement. Dès lors que ces personnes
commettent un acte de blanchiment sans apprécier avec des précautions suffisantes la portée
de leur acte, la question du blanchiment par imprudence pourrait se poser de manière
vraisemblable.
La personne qui veut éviter d’être condamnée pour blanchiment devra prendre les mesures
nécessaires pour connaître l’origine des avantages patrimoniaux. Mais en général cette
hypothèse est un cas d’école, car les commis sont parfaitement conscients du rouage qu’ils
représentent dans la mécanique du lessivage. Il y aura peu d’individus qui auraient dû
connaître la provenance de l’argent sans la connaître effectivement. La raison d’être de cette
formulation est tout autre.
Ceux que visent les tenants de la pénalisation de la négligence et il le semble l’article 505 2°
et 4° du code pénal belge sont les personnes chargées de contrôler l’entrée des fonds dans les
circuits financiers traditionnels. Ces personnes sont en effet astreintes à des obligations depuis
la loi du 11 janvier 199376(cf. première partie.)
La pénalisation du manquement à l’obligation de vigilance ou de déclaration de soupçons
instaurés aux articles. L’article 12 de la loi impose aux professionnels de déclarer à la cellule
de traitement des informations financières toutes les opérations dont ils savent ou
soupçonnent qu’elles sont liées au blanchiment de capitaux au sens de la loi. L’article 14, plus
général, requiert la déclaration immédiate à la Cellule de tous les faits portés à la
connaissance des agents dans le cadre de leur activité professionnelle qui pourraient être
l’indice d’un blanchiment de capitaux.
75 Jerez (O.), « le blanchiment de l’argent », Banque, 2003, p. 124 ; ce terme fut employé à l’origine par la police de Floride pour désigner les commis des blanchisseurs américains qui se voyaient remettre en mains propres les espèces à placer ainsi qu’une feuille de route avec des secteurs déterminés où déposer l’argent liquide. 76 Loi du 11 janvier 1993, « loi relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux », M.B. du 09/02/93, p. 2828.
52
De par sa négligence, le banquier qui n’accomplira pas les diligences normales pour s’assurer
de la provenance de l’argent ou de l’identité des déposants, commettrait selon la thèse
envisagée un acte de blanchiment. L’efficacité du système préventif de la lutte contre le
blanchiment serait alors assurée par la répression pénale d’une indifférence au bien collectif
que représente la santé des flux financiers. Mais cela serait en pratique un frein énorme à cette
activité, obligeant les banquiers à prendre toutes les précautions nécessaires pour connaître
l’origine des fonds qui leurs sont confiés, ce qui est impossible en raison du recours aux
montages de secrets professionnels. Il suffit en effet qu’un avocat soit envoyé pour ouvrir un
compte bancaire au nom de son client pour que soit impossible la vérification de l’identité de
ce dernier.
C’est pourquoi cette approche du blanchiment par imprudence n’a pas été retenue par la
Belgique. Craignant un malentendu sur la volonté du législateur, le Ministre belge des
finances à, lors des travaux préparatoires de la loi du 10 août 1998 modifiant la loi du 11
janvier 1993, exposé son interprétation de la rédaction de l’article 505 du code pénal belge. Le
délit de blanchiment demeure un délit intentionnel, la formulation n’établissant pas une
présomption légale mais une présomption tirée de la matérialité des faits.
Les travaux parlementaires donnent comme exemples d’éléments objectifs permettant de
déduire la connaissance de l’origine illicite des biens la vileté du prix d’achat, la personnalité
des vendeurs, le caractère secret de l’opération, le lieu de la livraison, l’anonymat des
fournisseurs, l’absence de facture, la quantité anormale des marchandises77.
II. La prudence traditionnelle du droit français
On s’interrogea dans l'hémicycle de l'assemblée nationale sur l’utilité d'apposer l'adverbe
"sciemment" à coté de la facilitation de la justification mensongère et du concours à une
opération de placement, de dissimulation du produit d'un crime ou d'un délit. Elle traduisait
l'inquiétude de certains parlementaires de voir adopté un délit de blanchiment par imprudence
ou par négligence, notamment dans le cadre des professions financières.
77 Rapport fait au nom de la commission de la justice, Doc. Parl., Chambre, 1989-1990, 987/4, p. 8.
53
L’acceptation d’un blanchiment par imprudence aboutira à punir, dès lors qu’il résulte
simplement d’une imprévoyance consciente (prise de risques immodérés) ou même
inconsciente (erreur matérielle), le manquement à l’une de ses obligations professionnelles
par la banquier. C’est l’une des propositions avancées par la mission parlementaire, dans son
rapport public sur la lutte contre le blanchiment de capitaux en France. Elle préconise la
pénalisation de la négligence au regard des obligations de vigilance, afin de limiter
l’application du principe d’intentionnalité.
Ainsi, si en principe l’article 121-3 al 1 du code pénal dispose qu’il n’y point de crime ou délit
sans intention de le commettre, l’alinéa 3 prévoit qu’il y a également délit, lorsque la loi le
prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de
prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits
n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses
missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il
disposait.
C’est en référence à cet alinéa que la mission voulait pénaliser les banquiers qui n’auraient
pas respecté les standards de comportements en la matière.
L’article 324-1 ne mentionnant pas explicitement l’imprudence ou l’imprévision comme
mode de commission, il consacre donc, en l’absence de l’apposition de tout qualificatif, le
caractère intentionnel du délit, ceci en conformité avec les recommandations de la Convention
du conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie, et à la confiscation
des produits du crime adoptée à Strasbourg le 8 novembre 199078. De même La Directive du
10 juin 1991, prévoit que le blanchiment est constitué dès lors que les agissements qui sont
énumérés dans son article premier sont commis intentionnellement (art 1 §3.) Les actes
portant sur les fonds à blanchir doivent être réalisés par celui qui s'y livre lorsqu'il "sait qu'ils
proviennent d'une activité criminelle ou d'une participation à une telle activité". En vertu de
l'article 2 les Etats étaient tenus de transposer la définition telle quelle dans leur droit interne.
Par conséquent, le défaut de vigilance ou de déclaration de soupçon ne pourra constituer
qu’un indice matériel permettant de prouver le dol spécial du blanchiment.
78 Convention signée par la France le 5 juillet 1991, son approbation a été autorisée par la loi française n°96-130 du 20 février 1996. Un décret n° 97-183 du 25 février 1997 porte publication de la convention : JO, 4 mars 1997, p.3417.
54
§ 2 Le contenu de l’élément intentionnel
L’élément intentionnel dans l’infraction de conséquence est double. Il comporte la
connaissance de l’origine des fonds ainsi que la volonté de faire disparaître cette origine. La
connaissance initiale est commune à l’infraction de recel, qui suppose également la réception
de fonds, et la différence entre les deux infractions se situe au niveau du résultat obtenu, qui
est en matière de recel la dissimulation et pour le blanchiment la disculpation des fonds.
Ce second aspect de l’élément moral ne semble pas poser de problème une fois sa nécessité
établie, il suffit de prouver la mauvaise foi du blanchisseur, qui aura voulu « faciliter la
justification mensongère des biens ou revenus » ou « apporter son concours à une opération
de placement, de dissimulation ou de conversion » de biens d’origine illicite. C’est la
connaissance de l’origine des fonds, élément préalable indispensable mais dont les contours
sont mal définis. Faut-il en effet calquer l’exigence de la connaissance de l’infraction
d’origine sur les exigences posée à l’autorité de poursuite pour en établir l’existence ? Ou bien
suffit-il que le prévenu ait connu l’origine illicite des biens même de façon indéterminée ?
Les impératifs de la répression ont poussé les autorités belges et françaises à atténuer
l’exigence de la connaissance de l’origine des fonds par le prévenu. Mais il est possible que la
connaissance porte sur l’infraction sous jacente et ses circonstances aggravantes et dès lors, le
droit français réprime le blanchisseur des même peines qu’il punit l’auteur de l’infraction
principale.
I. La simple connaissance de l’origine illicite
La connaissance de l’origine illégale des fonds sans connaître les circonstances précises qui
ont entouré leur appréhension est un élément constitutif de l’infraction simple de blanchiment,
puni des peines prévues aux articles 324-1 et 324-2 du code pénal.
Comme le rappelle le professeur Culioli79, il existe deux raisons pratiques pour lesquelles les
blanchisseurs ne connaissent pas la provenance de l’origine des fonds qu’on leur confie.
Tout d’abord, cette soif de connaissance sera assurément malvenue dans le milieu du crime
organisé, gouverné par la loi du silence.
79 Culioli (M.), Infraction générale de blanchiment, J.-Cl. Pénal, Fasc. 10 et 20,1997
55
Ceci explique par ailleurs que la convention de Strasbourg ait prévu la possibilité de déduire
l’intention d’éléments purement matériels, l’aveu et le témoignage étant en pratique très rare,
notamment en matière de proxénétisme et de trafic de stupéfiant.
Enfin, le blanchisseur s’abstiendra d’être indiscret car n’y ayant aucun intérêt, au contraire,
l’ignorance de la provenance des fonds constituant un gage de sa bonne foi.
Le caractère intentionnel de l’infraction de blanchiment ne figure pas dans la formulation de
l’article 324-1. Il relève de l’application subsidiaire de l’article 121-3 comme il a été rappelé
ci-dessus. Dès lors, le caractère général de l’élément intentionnel oblige le juge à spécifier son
contenu et à l’adapter à l’infraction spéciale blanchiment. En la matière, ce sont les solutions
traditionnellement adoptées en matière de recel qui s’imposent.
La commission du recel, dans l’article 321-1 du code pénal implique la connaissance
préalable d’un crime ou d’un délit. Cette exigence est reprise des décisions jurisprudentielles
antérieures, comme celle du 10 août 187880. Dès lors le degré d’acuité de la connaissance est
relativement faible, car il suffit que le receleur ait su que le bien provenait d’un crime ou d’un
délit81.
Les solutions appliquées en matière le recel peuvent être transposées au blanchiment.
En effet, nous sommes ici dans un concept qui permet plus de liberté, mais aussi plus
d’incertitude due la difficulté de prouver un élément intentionnel. La connaissance de
l’origine illicite est nécessaire, bien sûr, en ce qu’elle conditionne la dissimulation, la
détention ou la transmission de cette chose pour le recel. Mais l’atteinte à l’intérêt général est
équivalente selon que cette connaissance porte sur les circonstances exactes ou seulement sur
l’existence cette infraction. Le même raisonnement s’applique pour le blanchiment, en ce que
les conditions du dol spécial c'est-à-dire l’intention d’atteindre un résultat particulier sont
remplies à partie du moment ou la connaissance porte sur l’origine illicite des fonds. Le
blanchisseur veut masquer l’origine de l’argent provenant d’une infraction, il ne veut pas
masquer le fait que l’argent provienne d‘un trafic de drogue. Il veut seulement donner une
apparence légale à l’argent illégal.
80 Cass. crim. 10 août 1878 : S. 1878, 1, p 385 ; plus récemment, cass. crim 14 février 1991 : Bull. crim., n° 74 ; RTD com. 1992, p. 261, obs. P. Bouzat ; Rev. sc. crim. 1992, p. 322, obs. P. Bouzat. 81 Cass. crim. 3 avril 1936 : Bull. crim. , n° 43 ; DP 1937, p. 194, note Lenoir.
56
Ceci explique qu’en matière de blanchiment des solutions identiques à celles du recel ont étés
adoptées. Il suffit que l’agent sache :
Soit que la personne dont il facilite la justification mensongère de l’origine des biens ou des
revenus, a commis un crime ou un délit lui ayant procuré un profit direct ou indirect.
Soit que le bien placé, dissimulé ou converti avec son concours provenait d’un crime ou d’un
délit.
Comme en matière de recel, l’existence d’un doute oblige le tribunal à la relaxe, étant donné
que l’élément intentionnel n’est alors pas établi de manière certaine82.
Mais si l’enquête permet de prouver que le prévenu connaissait l’origine exacte des fonds,
cette information ne sera pas pour autant dénuée d’utilité, en ce que la connaissance précise
de la nature ou des circonstances aggravantes de l’infraction principale permet d’intensifier la
répression.
II. La connaissance précise de l’origine des fonds
L’article 324-4 du code pénal prévoit que lorsque le crime ou le délit dont proviennent les
biens et les fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment est puni d’une peine
privative de liberté d’une durée supérieure à celle de l’emprisonnement en application des
articles 324-1 ou 324-2, le blanchiment est puni des peines attachées à l’infraction dont son
auteur a eu connaissance et si cette infraction est accompagnée de circonstances aggravantes,
de peines attachées aux seules circonstances dont il a eu connaissance.
La connaissance de la spécificité de l’infraction primaire comprend sa nature, les
circonstances de temps, de lieu, d’exécution, de la personne de la victime ou de celle de
l’auteur de l’infraction principale.
Le deuxième volet de l’élément moral est la volonté de disculper l’argent dont l’individu
connaît la provenance, c’est à dire que les placements, conversions et autres transferts ou
dissimulations doivent être effectués pour effacer l’origine de l’argent. Pour le blanchiment, le
dol spécial est la volonté de masquer l’origine des biens reçus.
82 En ce sens, Cass. crim. 22 juin 1960, B.C. n° 339.
57
Section 2 : La preuve de l’élément moral dans l’infraction de blanchiment
§ 1 Les modalités de preuve du blanchiment
I. la preuve de la connaissance de l’origine illicite des fonds
L’article 427 du code de procédure pénale dispose que « Hors les cas ou la loi en dispose
autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve. » Le principe est
donc la liberté de la preuve.
Le juge peut se baser sur des présomptions tirées des constatations de faits, soit
antérieurement aux faits reprochés, par exemple le fait qu’il soit complice de l’infraction
d’origine, soit postérieurement, lorsque les circonstances entourant les actes de blanchiment
éveillent ses soupçons ou que le prévenu est un professionnel qui n’a pas respecté une règle
déontologique. Quel est l’effet du manquement à ses obligations professionnelles par le
banquier sur la qualification de l’élément intentionnel ?
Ces obligations, parce qu’elles ont naturellement tendance à multiplier le formalisme dans les
relations entre les banques et établissements financiers et leurs clients, sont limitées aux cas
de blanchiment les plus importants. De ce fait, une asymétrie se dessine par rapport à la
définition répressive du code pénal.
Les professions concernées se sont inquiétées du lien pouvant être fait entre le non-respect de
leurs obligations et l’élément intentionnel de l’infraction de blanchiment. Mais ils ont vite été
rassurés par le fait que l’absence de déclaration de soupçon ou de vigilance ne sont pas à eux
seuls constitutifs de l’élément moral de l’infraction. En effet le banquier endosse le rôle d’un
maillon de la chaîne de sécurité des transactions au niveau de la cause et de l’objet. Il a pour
mission, relativement à sa position privilégiée, de coopérer avec l’autorité répressive dans sa
recherche de fonds placés, dissimulés ou convertis. La désertion de cette fonction ne peut pas
faire du banquier un blanchisseur. Le défaut de déclaration de soupçons peut avoir de
nombreux autres fondements que la volonté de concourir à l’infraction :
Soit le banquier n’a pas eu de soupçons alors qu’un professionnel normalement diligent placé
dans la même situation en aurait eu. Il convient alors de vérifier le standard établi par les
58
juges sur les conditions dans lesquelles un soupçon doit émerger (quel est l’état de la
jurisprudence ?). Dès lors, l’origine des fonds n’étant pas connue du banquier et en l’absence
de présomption légale, l’élément intentionnel du blanchiment fait défaut.
Soit le banquier a eu un soupçon mais il ne l’a pas déclaré. Dès lors, cette carence peut soit
révéler la paresse soit constituer un indice matériel concourant à la preuve d’une intention de
blanchir, mais ne peut servir à caractériser de par sa seule absence l’élément moral de
l’infraction de blanchiment.
La preuve de la connaissance de l’origine des fonds qui serait établie par l’absence de
déclaration de soupçon ou le manquement à l‘obligation de vigilance tous deux corroborés par
d’autres indices, ne prouveraient pas l’intégralité de l’élément moral.
L’absence d’identité entre le manquement à l’obligation de déclarer les soupçons et l’élément
intentionnel de l’infraction se révèle dans un arrêt de la cour de cassation du 3 décembre
2003 dans lequel un banquier fut condamné au titre de blanchiment nonobstant la déclaration
qu’il avait pu faire à Tracfin83. L’obligation du banquier ou a fortiori celles imposées à tout
autre professionnel, n’ont pas en effet pour but d’éviter la commission de l’infraction si elles
ne sont pas respectées84.
La connaissance de l’origine des fonds n’est qu’un volet de l’élément intentionnel qui se
caractérise ensuite par la volonté masquer cette origine. La prévention doit donc de surcroît
prouver l’élément intentionnel par des éléments subjectifs, ce qui sera traité par la suite.
Il faut noter la possibilité offerte par la Convention de Strasbourg de 1990 en donnant aux
Etats la possibilité de déduire l'élément intentionnel du délit de circonstances objectives ou de
présumer la connaissance de l'origine délictueuse du produit (art 6.2.c), sous réserve de leurs
principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de leur système juridique (art 6.3.a.)
La directive du 10 juin 1991, modifiée le 12 décembre 2001, permet que la connaissance,
l’intention ou la motivation, soient établies sur la base de circonstances de fait objectives (art
1 §4.)
83 Cass. crim. 3 décembre 2003, JCP, 28 avril 2004, n° 18, p. 790, note Cutajar. 84 Rebut (D.), Manquement du banquier à ses obligations professionnelles et commission du délit de blanchiment, Banque et droit n° 88, mars-avril 2003, p.15.
59
Dès lors, il pourrait suffire, à partir de faits entourant l’opération, de démontrer qu’il y a eu
intention de blanchir malgré l’absence de preuve de la volonté de masquer l’origine des fonds.
Ces présomptions tirées des faits sont une nécessité pour l’autorité de poursuite car elles
correspondent souvent à une réalité qu’il aurait été difficile de prouver selon les principes
traditionnels du droit pénal.
Le seul manquement à une obligation professionnelle ne peut donner lieu qu’à une
présomption de fait, qui corroborée par d’autres présomptions ou des indices matériels, pourra
aboutir à la vérité.
Une présomption d’intentionnalité peut être tirée du fait que le prévenu ne pouvait ignorer
l’origine délictueuse ou criminelle de la chose.
Comme le rappelle la circulaire du 10 juin 1996, même si certains la réclamaient au nom de
l’efficacité, la France n’a pas eu cette approche car trop éloignée de ses traditions juridiques.
Par « la France » la circulaire entend un législateur français malheureusement en décalage
fréquent avec la réalité. Il semble que la jurisprudence ait contourné la faiblesse de la loi sur
le terrain de la preuve. Le juge peut en effet, sur la base d’éléments factuels qui lui sont
soumis par la prévention, constater que le prévenu « ne pouvait ignorer » l’origine délictueuse
ou criminelle de la chose (cf. infra.)
Il semble que ce qui avait été refusé par le juge français sur le plan des éléments constitutifs
ressurgit au niveau de la preuve. La Belgique incrimine le fait que les actes de blanchiment
portent sur des fonds dont celui qui les effectue aurait dû ou devait savoir qu’ils provenaient
d’une infraction. Y a-t-il une différence autre que formelle entre les deux approches ? Ce que
la Belgique pris en compte dès l’adoption de la loi, la France ne l’a compris qu’au moment ou
les cas se présentaient au juge. La France impose la preuve du dol spécifique, mais le déduit
de l’absence de doute sur son existence85.
II. la preuve de la volonté de faire disparaître l’origine des fonds
Il sera également possible de déduire la volonté coupable des circonstances anormales
entourant la réalisation des différentes opérations. Il est évident qu’une transaction effectuée
en apparence de manière normale ne pourra pas servir à déduire l’élément intentionnel. Mais
85 Cutajar (Ch.), Le blanchiment des profits illicites, Traité Joly Bourse, V. Blanchiment.
60
ce deuxième aspect de l’élément moral, s’il est assurément distinct de la connaissance de
l’origine illicite des fonds blanchis, sera généralement confondu avec celle-ci au moment de
la preuve. Ceci explique qu’aucun développement supplémentaire ne sera utile sur ce point.
§ 2 L’appréciation par le juge des différents modes de preuves de
l’élément intentionnel
On aurait pu penser au regard de la différence entre les textes de loi que les approches
judiciaires divergeraient fortement entre les deux pays. Néanmoins, il semble que les juges
belges ne prononcent des condamnations que lorsque de nombreux indices convergents leurs
sont soumis(I.) La jurisprudence française quant à elle, contourne les rigueurs de la loi
nationale et s’offre une liberté opportune dans l’appréciation des preuves(II.)
Le principe dans les droits belge et français est celui de l’appréciation souveraine des preuves.
Ces deux droits rejettent le système des preuves légales. Le juge va forger son intime
conviction à partir des différents éléments qui lui sont soumis.
I. le respect du principe de la présomption d’innocence par le juge belge
La jurisprudence belge a déjà rendu de nombreux arrêts dont l’analyse nous éclaire sur le
degré de certitude dont le juge se satisfait pour prononcer une condamnation.
Une analyse récente de la jurisprudence belge donne des enseignements sur les cas dans
lesquels le prévenu aurait dû connaître la provenance de l’origine des fonds. Elle déduit des
circonstances de fait objectives le dol général, la violation consciente de la loi pénale belge,
mais également le dol spécial, à savoir la volonté de produire le résultat du blanchiment qui
est de masquer l’origine des fonds. On peut diviser les différents indices répertoriés en
plusieurs catégories.
Les indices tenant à l’absence apparente de bien fondé de l’opération :
L’absence d’explication crédible concernant la possession de sommes d’argent importantes,
qui ne sont pas compatibles avec la situation financière et professionnelle apparente de
l’accusé, d’autant plus lorsque celui-ci est sans travail ou sans profession86 ; l’essai
86 Corr. Anvers, 14 avril 1994, R.W., 10 décembre 1994, p. 508, note G. Stessens.
61
infructueux du prévenu de démontrer l’origine régulière de l’argent par des déclarations qu’il
modifie continuellement suivant les circonstances de l’enquête et les remarques des
enquêteurs87. L’absence de pièces comptables en rapport avec l’activité commerçante avancée
ou le constat d’irrégularités dans la comptabilité. L’absence de motifs économiques véritables
ou d’avantages financiers à agir de cette façon. L’absence de justification, par le prévenu,
d’une inscription au registre du commerce ou d’un numéro de TVA.
Les indices tenant aux circonstances entourant l’opération :
La tentative de fuite du suspect lors de son interception88. L’utilisation de faux documents ou
de fausses identités lors des opérations suspectes89 . La circonstance que les opérations
présentent toutes les caractéristiques d’une opération de blanchiment90. Le fractionnement des
opérations en vue d’obtenir des bordereaux distincts. L’emploi de petites coupures, ce qui
indique qu’il s’agit des revenus d’un commerce de stupéfiants. Le fait que les opérations
portent sur une somme réellement substantielle et qu’elle soit répartie en peu de temps.
Les indices tenant à la personnalité même du prévenu :
Le fait que l’intéressé ait des liens avec des milieux et des personnes déterminées qui ont déjà
eu affaire à la justice. Le refus ou l’incapacité de fournir des renseignements sur la personne
dont on a reçu l’argent. La circonstance que le prévenu soit sans attache aucune en Belgique
et ne réside pas dans le royaume.
La combinaison de ces différentes données permet de corroborer des présomptions de fait afin
de tendre vers la certitude de la conscience de la provenance des fonds.
II. La parade du juge français en dépit de l’absence de présomption légale
d’intentionnalité
87 Corr. Anvers, 18 juin 1998, inédit, sous Spreutels (J.), Mûelenaere (Ph.), «La cellule de traitement des informations financières et la prévention du blanchiment de capitaux en Belgique », Bruylant, 2003, p.270.) 88 Corr. Anvers, 30 juin 1995, ibid. 89 Corr. Anvers, 23 mai 2002, ibid. 90 Corr. Bruxelles, 23 décembre 1998 ; corr. Bruxelles, 30 juin 1999; corr. Bruxelles, 7 octobre 1999; corr. Bruxelles 19 octobre 2000, inédits, ibid.
62
Le droit français écartant toute présomption légale de la connaissance de la provenance des
fonds, à partir de quel moment le juge français s’estimera-t-il convaincu dans le secret et le
recueillement de sa conscience ? Le caractère occulte de cette infraction, dont les soupçons
sur son existence précèdent sa découverte, s’oppose au schéma traditionnel d’investigation
qui part de la découverte de l’infraction jusqu’au soupçons sur son auteur. Cette particularité
encourage une énième atteinte à la présomption d’innocence, déjà bien entamée il est vrai,
qui s’explique selon le schéma suivant.
Les juges seront tentés de s’arrêter à mi-chemin sur l’échelle croissante qui va de l’incertitude
à la certitude. En effet, dans un schéma inquisitoire traditionnel, l’autorité de poursuite
rassemble les indices, les indices graves et concordants, les présomptions les faisceaux de
présomptions, afin d’élaborer une argumentation destinée à faire naître l’intime conviction
dans l’esprit du juge sur l’existence d’une infraction de blanchiment. Le juge ne se voit pas
dispensé d’un effort d’analyse des éléments qui lui sont soumis : le système n’est point
synonyme d’arbitraire91.
Le principe de la présomption d’innocence, rappelé sur ce point par différents articles du code
pénal français92 veut qu’en cas d’échec de l’autorité de poursuite, le doute profitasse à
l’accusé.
Mais comme l’existence de l’infraction n’est entièrement établie que par la conviction du juge
quant à son élément intentionnel, il établira en quelque sorte une présomption de fait de
culpabilité, en déduisant le dol spécifique de l’absence de doute sur son existence : le doute ne
profite donc plus à l’accusé.
L’analyse des arrêts « Albert c./Taalba »93 et « l’escroquerie à la Nigériane »94 confirme ces
prévisions. La Cour d’appel de Montpellier jugea dans la première affaire que « l’intention
frauduleuse de Malik Taalba s’évince des précautions prises pour ce transfert en Espagne (
contacts suivis dans des véhicules loués, et dans un bar, contacts téléphoniques avec des
portables « entrée libre », change des FF en DM, commission et défraiement pour le passeur),
mais aussi du fait que les sommes provenaient en partie de son activité délictuelle propre. »
Le tribunal de grande instance de Grasse a également considéré que l’origine des fonds était
91 Pradel (J.), Manuel de procédure pénale, 11e édition, Cujas, 2002/2003 92 Par exemple l’article 358, al. 2 du code pénal dispose que lors du délibéré de la Cour d’assise, les bulletins blancs sont comptés comme favorables à l’accusé. 93 CA Montpellier, 30 octobre 2000, n° 1658, sur appel du TGI de Perpignan, 30 août 2000, Affaire « Albert c./ Taalba »
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connue des prévenus du fait « des conditions mêmes dans lesquelles ils ont exercé cette
activité de change, et notamment du fait de leur incapacité à justifier d’opérations inverses
concernant des clients européens effectuant des règlements sur des fournisseurs africains. »
Dans l’arrêt du 31 octobre 200095, la Cour d’appel de Montpellier ne prouve pas l’intention
délictuelle de l’accusé de manière positive, elle l’a déduit du fait qu’il ne pouvait pas justifier
« les précautions prises pour ce transfert [de capitaux] en Espagne. »
La limite est donc ténue entre le fait de déduire l’existence de l’intention à partir de l’élément
matériel, ce que refuse actuellement la Chancellerie ( cf. supra ), et la possibilité de déduire
des circonstances de fait que le prévenu ne pouvait pas ne pas savoir.
Il semble qu’en l’état du droit positif, le juge français puisse démontrer la culpabilité de
l’auteur d’une infraction quelconque à partir d’une conviction forgée sur la vraisemblance et
sur la probabilité et pas exclusivement sur la certitude96. Si en principe, seules les
présomptions légales s’imposent au juge lorsqu’elles ne sont pas renversées, en pratique, le
défaut de justifications par le prévenu des circonstances suspectes dans lesquelles il a
manipulé des capitaux entraîneront sa condamnation, en raison de la naissance dans le fort
intérieur du juge d’une intime conviction quant à sa culpabilité.
Point n’est donc besoin de présomptions de culpabilité établies par la loi dès lors que le subtil
mécanisme de l’intime conviction permet au juge d’aboutir à un effet similaire, à condition de
la justifier par des motifs suffisants.
CONCLUSION
Le système de prévention de l’entrée des capitaux dans les circuits de l’économie légale est en
élaboration constante, et consiste en la multiplication des dérogations aux secrets
professionnels dans le cadre d’une collaboration des professions les plus sensibles avec les
autorités répressives à l’échelle nationale. La prévention s’est adaptée au modèle transnational
par le biais d’une centralisation et d’une uniformisation des règles, même si elle est
condamnée à évoluer constamment au gré de l’inventivité des criminels. Le volet répressif qui
doit constituer le filet ou sont reçus les déchets détectés par les autorités de prévention doit
94 TGI Grasse, 21 juillet 2000, n° 2742/00 95 CA Montpellier, 30 octobre 2000, n° 1658, sur appel du TGI de Perpignan, 30 août 2000, Affaire « Albert c./ Taalba »
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être dissuasif au niveau des sanctions encourues mais surtout au niveau des aspects
procéduraux. On ne peut que constater qu’il en est à un état primitif en ce que les pouvoirs
d’enquêtes, de poursuite et de condamnation ne sont pas centralisés. Ils restent éclatés entre
les territoires nationaux comme autant de failles dans lesquelles il est possible de
s’engouffrer.
En ce sens, la Belgique a une approche maximaliste des opportunités offertes au niveau
international et donc parvient par la souplesse à s’adapter aux obstacles inhérents à la lutte
contre la criminalité organisée. Au contraire, la France à une approche minimaliste des enjeux
que soulève la mondialisation des flux financiers et avance à tâtons, multipliant les exceptions
aux principes qui fondent son droit pénal au lieu de redéfinir les droits des justiciables à la
lumière de la réalité nouvelle.
La solution viendra sans doute de l’Union européenne, qui ayant harmonisé le régime
préventif par une directive (dont on à vu qu’elle n’était toutefois pas appliquée de la même
façon par la France et la Belgique), et englobant toujours plus d’états membres, centralisera
sans doute un jour les renseignements financiers et les instruments répressifs. Le projet de
nouvelle directive, élaboré en 2004 et destiné à abroger la directive de 2001 s’il consiste en
une actualisation nécessaire des dispositions communautaires à la lumière des quarante
recommandations révisées du GAFI, ne représente qu’une strate supplémentaire de législation
basée sur des fondations encore incertaines.
La première étape d’une harmonisation des systèmes juridiques répressifs au niveau
communautaire pourra venir de la création d’un Parquet européen. Comme le rappelle la
Commission dans son livre vert97, à propos d’une autre infraction transnationale,
l’élargissement européen implique actuellement la coopération de dizaines d’ordres
judiciaires nationaux appliquant des règles de fond et de procédure différentes. En ce sens, la
confrontation entre les droits belge et français a permis de cerner les éceuils de l’incrimination
du blanchiment, expérience dont pourrait profiter les tenants d’une justice pénale
communautaire.
Encore faut-il que tous les Etats membres adhèrent au principe d’une justice pénale
communautaire, ce qui est loin d’être acquis98. Une convention définissant la fraude, la
corruption et le blanchiment portant atteinte aux intérêts communautaires et en organisant la
répression fut signée le 26 juillet 1995, mais elle n’entra jamais en vigueur faute d’avoir été
96 Cutajar (Ch.), Le blanchiment des profits illicites, Traité Joly Bourse, V. Blanchiment, p. 36. 97 Voir le site http://europa.eu.int/OLAF/livre_vert
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ratifié par les Etats membres. De même, si la Belgique fait partie des cinq gouvernements
européens se déclarant favorables au principe d’un Parquet européen, la France adopte une
position bien plus ambiguë99.
Si l’on en croit les plus pessimistes, et considérant les liens se tissant entre les mafias des
nouveaux Etats membres (Pologne les Etats d’Europe de l’Est en général) et celles des Etats
plus anciens (Allemagne et France), ce progrès sera indispensable pour qu’à long terme
l’Europe de la criminalité ne prenne pas le dessus sur l’Europe des démocraties.
Il faut rappeler enfin que la difficulté principale dans la lutte internationale contre le
blanchiment de capitaux n’est pas juridique mais tient à la nature de l’homme. Elle est basée
sur un système humain de vigilance et de dénonciation, et, mis à part l’effet d’affichage que
produit une lutte annoncée impitoyable, il reste que la bonne volonté succombe souvent
devant l’appât d’un argent facilement gagné. Le seul système préventif efficace envisageable
serait une mise sous surveillance constante de tous les opérateurs habilités à effectuer des
virements bancaires, ce qui paraît techniquement impossible. La corruption potentielle (et
bien réelle) des plus hautes sphères bancaires et financières permet donc au blanchiment
d’avoir, en Belgique, en France, mais également à l’échelle planétaire, de beaux jours devant
lui.
BIBLIOGRAPHIE
98 « Parquet européen : pendant les tergiversations, les fraudes continuent », La Lettre du Blanchiment, avril 2003, n° 35. 99 Ibid.
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