Download - Les Passagers Du Desir - Jessica Bird
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JESSICA BIRD
Les passagers du dsir
Les Moorehouse-3
Traduction franaise de EDOUARD DIAZ
PASSIONS
2007, Jessica Bird. 2007, Harlequin S.A.
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Rsum
Cette nuit, Madeline sera lui Cest la deuxime fois
seulement que Spike Moriarty croise Madeline MacGuire chez
des amis communs, mais en la regardant venir vers lui, belle
couper le souffle, provocante et farouche la fois , en
surprenant son regard, comme une rponse son propre dsir,
il sait quils ne rsisteront pas ce soir la force qui les pousse
lun vers lautre. Elle sera lui, puis il disparatra. Car il na
pas droit desprer plus avec elle quune histoire phmre.
Trop dobstacles les sparent. Elle, lhritire clbre et
fortune. Lui lex. mauvais garon de Boston qui trane
derrire lui un pass trouble et tumultueux
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1.
Spike Moriarty descendait Park Avenue grandes
enjambes, les pans de sa veste de cuir noire voletant
derrire lui. Devant la dtermination vidente de ce
gant aux larges paules, les rares passants scartaient
prudemment de son chemin.
Spike tait en retard, et pas seulement dun petit quart
dheure quil aurait pu mettre sur le compte dun
incident de parcours ordinaire. Ctait un trou noir de
plus de deux heures, de ceux qui vous font passer pour
un malotru dans les cercles les plus tolrants.
En rgle gnrale, Spike se souciait assez peu de
ltiquette et des conventions sociales. Il faisait de son
mieux pour ne pas offenser les gens, bien sr, mais il ne
passait pas son temps apprendre par cur le manuel
des bonnes manires. Mais aujourdhui, ctait diffrent.
Deux de ses proches amis allaient se marier et, ce soir, ils
ftaient leurs fianailles. Spike tait cens aider le jeune
couple prparer la rception et faire un petit discours
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devant les invits, ce qui, vu lheure, semblait fortement
compromis.
Sean OBanyon, le matre de crmonie, allait tre
furieux contre lui. Heureusement, Sean tait un vritable
ami, et Spike pouvait compter sur une certaine mesure
dindulgence de sa part.
En outre, ce retard ntait pas sa faute.
Dabord, un camion stait renvers sur lautoroute de
Manhattan, causant un embouteillage monstre qui lui
avait fait perdre un temps prcieux. Mais ce ntait que
le dbut. Dvi sur une route secondaire, il avait alors
t impliqu dans un petit accrochage avec un retrait
conduisant une vieille guimbarde hors dge.
Heureusement personne navait t bless. Et
malheureusement, cest l que les vritables problmes
avaient commenc.
La police locale tait accourue pour constater les dgts.
Les deux agents avaient jet un coup dil la coiffure
de Spike et ses tatouages, et avaient aussitt entrepris
de soumettre leur suspect une longue srie de
vrifications tatillonnes sur lordinateur de bord de leur
voiture de patrouille. Ils avaient mme srement appel
-
Interpol pour sassurer quil ntait pas un criminel
recherch. Frustrs de navoir trouv aucun motif de lui
passer les menottes, ils staient vengs en lui faisant
faire le pied de grue prs de deux heures sur le bord de
la route.
Lorsquon lui permit enfin de repartir, Spike savait quil
narriverait jamais la rception avant le dbut des
discours. Il aurait peut-tre mme de la chance darriver
avant que tous les invits soient rentrs chez eux. Il
laissa un message sur le rpondeur de Sean et dut
rsister son envie denfoncer lacclrateur jusquau
plancher ; la dernire chose au monde dont il avait
besoin, ctait dune nouvelle rencontre avec les
reprsentants de la loi.
Il arriva enfin Manhattan, se dbarrassa de sa petite
voiture dans un parking public et slana au pas de
course vers limmeuble de Sean, situ seulement deux
pts de maisons de l. Pour une soire de mai, il faisait
frais, et Spike sen rjouit. Au moins, il narriverait pas
la rception hagard et en sueur.
Il ne vit pas arriver le taxi, mais tout coup il tait l,
monstre jaune menaant. Grce des annes
-
dentranement physique intensif, Spike parvint
esquiver le pare-chocs avant, mais la grosse voiture le
bouscula au passage, le faisant rouler par terre.
Le taxi sarrta au milieu du carrefour dans un
hurlement de pneus, et le chauffeur se pencha la
portire. Rassur de constater que sa victime vivait
toujours, il acclra brusquement et repartit en faisant
gicler une pluie de graviers.
Spike ne sattarda pas savourer sa victoire, dabord
parce quil tait dsesprment en retard, et surtout
parce que tant, comme son habitude, tout vtu de
noir, il tait quasiment invisible aux autres
automobilistes, et quil courait un grand risque de finir
cras pour de bon sil restait plus longtemps au milieu
de lavenue.
Il bondit sur ses pieds et repartit au trot, se disant que
sil avait quelque chose de cass, il ne manquerait pas de
le sentir en cours de route. Son corps ne donnant aucun
signe de dommage irrparable, il acclra encore le pas,
brossant nergiquement la poussire de son pantalon,
passa sans ralentir sous la marquise rouge et fauve de
-
limmeuble de Sean, traversa le hall dall de marbre et se
dirigea tout droit vers les ascenseurs.
Il poussait le bouton dappel lorsquune voix nasillarde
linterpella :
Excusez-moi, monsieur !
Spike se retourna vers le bureau du portier, et constata
aussitt que lemploy quil connaissait ntait pas de
service ce soir-l, et quil avait t remplac par un sosie
de Frankenstein.
Les coursiers ne sont pas admis dans limmeuble,
dclara le nouveau portier dun ton important. Vous
devez me remettre ce que vous livrez.
Spike poussa un soupir qui parlait de lui-mme. Le
cauchemar continuait.
Mais cette journe prendrait forcment fin tt ou tard. Il
suffisait dy croire.
Madeline Maguire se tenait un peu lcart du reste des
invits, sefforant de saccoutumer la sensation de la
terre ferme sous ses pieds et au contact de la foule. En
tant que navigatrice professionnelle, elle passait la plus
grande partie de son temps se battre avec locan, et il
-
lui fallait toujours une priode dadaptation pour
retrouver un semblant de normalit lorsquelle prenait
quelques jours de cong terre.
Cependant, ce genre de soire restait pour elle une sorte
de runion dextraterrestres.
Une partie du problme venait du dsuvrement total
auquel elle tait contrainte. Sur un voilier de course,
chaque parole comptait, chaque craquement de la coque
tait une information devant tre immdiatement
analyse, le plus infime changement de cap devenait un
vnement important. Des annes dexprience de la
course au large avaient aiguis les instincts de la jeune
femme, et sa capacit grer plusieurs problmes
simultanment tait ce qui avait fait delle lune des
meilleures navigatrices dans le mtier.
Mais dans lenvironnement o elle se trouvait
actuellement, il ny avait strictement rien sur quoi elle
aurait pu concentrer son attention.
Et elle sennuyait ferme.
Le point culminant de cette soire avait t ses
retrouvailles avec Alex Moorehouse, son skipper dans
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de nombreuses courses, son mentor et aussi son ami.
Alex et sa fiance, Cassandra, taient des gens adorables,
et Madeline aurait fait le long et inconfortable voyage
jusqu Manhattan pour le seul plaisir de les revoir.
Dailleurs, tout lquipage avait voulu venir, mais le
bateau tait immobilis aux Bahamas par une avarie de
grement, et la jeune femme avait t dsigne
lunanimit comme ambassadrice officielle du groupe.
Comme diplomate, elle ne se sentait pas du tout la
hauteur, et stait contente, jusqu prsent, de faire
tapisserie.
A vrai dire, elle ne voyait personne avec qui elle aurait
vraiment eu envie dengager la conversation. La
cinquantaine dinvits qui se pressaient dans le grand
loft de Sean taient pour la plupart des sosies de son
demi-frre, des hommes de pouvoir aux manires
brusques qui ne vivaient que pour la comptition quelle
quelle soit, et de jolies femmes minces aux sourires
factices et aux yeux durs comme le silex.
Bien sr, tous ne correspondaient pas ces modles.
Alex et sa famille taient des gens chaleureux, et
quelques autres aussi auraient fait une compagnie
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supportable. Mais malheureusement, les personnages
mondains occupaient pour le moment le devant de la
scne, et Madeline prfrait rester lcart des
conversations.
Sans compter quelle tait quelque peu proccupe.
Elle parcourut de nouveau la pice du regard, scrutant
les visages, cherchant la haute silhouette et les cheveux
noirs sculpts au gel de lhomme quelle attendait avec
impatience.
Spike allait certainement venir, ce soir. Alex tait lun
de ses amis les plus proches et, daprs ce quon lui avait
rapport, il connaissait aussi trs bien Sean.
Il ne pouvait pas manquer dassister cette soire.
Tu cherches quelquun ? senquit une voix grave
juste derrire elle.
Tournant la tte, Madeline sourit Sean OBanyon,
jeune banquier daffaires au pass un peu tumultueux,
qui la contemplait, un sourire satisfait aux lvres.
Non, mentit-elle sans vergogne. Je nattends
personne.
-
Allons, Mad, rpliqua Sean en riant. On croirait que
tu passes tous les nouveaux arrivants au scanner. Et il
nest pas difficile de comprendre que celui que tu
espres na pas encore fait son apparition. Qui attends-tu
avec une telle impatience, ma belle ?
Sean tait le frre que Madeline aurait aim avoir la
place de celui que la destine lui avait envoy. Mais il
nen demeurait pas moins quelle ne se sentait pas
suffisamment laise avec lui pour lui parler de Spike.
De plus, si ses expriences sentimentales passes
pouvaient laisser prsager de lavenir, lintrt quelle
ressentait pour lhomme la veste de cuir ne la mnerait
probablement nulle part.
Malheureusement, elle ne pouvait nier... quelle
ressentait le plus vif intrt pour lui.
Elle avait fait sa connaissance lhiver prcdent,
lorsquelle tait alle rendre visite Alex, au lac Saranac,
et elle avait prouv une attirance pour lui ds le
premier regard quils avaient chang ; mais elle avait
prudemment gard ses sentiments pour elle. Comme la
plupart des autres hommes quelle connaissait, Spike ne
disait pas grand-chose en sa prsence, il vitait
-
soigneusement de la dvisager avec trop dinsistance, et
il navait jamais pos une main sur elle, mme sous le
couvert dun geste amical.
Madeline avait lhabitude de cette rserve de la part des
hommes. Quand on mesure un peu plus dun mtre
quatre-vingts et que lon est une athlte professionnelle,
on ralise vite que la plupart des hommes ne vous
considrent pas comme une petite amie possible. Ni
mme comme une femme, dailleurs. Sils vous aiment
bien et quils vous respectent, vous devenez un bon
copain. Dans le cas contraire, ils vous dvisagent comme
une bte curieuse et vous classent rapidement dans la
catgorie des lesbiennes.
Pour tre franche, en rgle gnrale, cette distance lui
convenait trs bien. Ses quelques tentatives pour tablir
un lien avec une personne du sexe oppos staient
soldes par de pitoyables checs. Mais, curieusement,
elle avait besoin que Spike la remarque, pas comme un
phnomne de foire, mais comme une femme quil
aimerait serrer dans ses bras. Une femme quil aurait
envie dembrasser...
-
Elle tressaillit cette pense. Depuis combien de temps
un homme navait-il pas pos ses lvres sur les siennes ?
Une ternit. Trop longtemps pour une personne de son
ge.
Pas des mois, mais des annes.
La voix de Sean la ramena brusquement la ralit :
Mad ! O tais-tu passe ?
Dsole. Jadore la faon dont tu as arrang ton
appartement.
Le loft dont Sean avait fait lacquisition lanne
prcdente avait t entirement redcor dans un style
sobre, presque svre, rsolument masculin ; lignes
dpouilles, beaucoup despace, du cuir et de linox en
abondance. Les grandes baies sans rideaux offraient une
vue spectaculaire de Central Park et des gratte-ciel de
Manhattan.
Sean jeta un coup dil autour de lui.
Je suis assez satisfait du rsultat, convint-il. Un
grand magazine de dcoration est mme venu tout
photographier pour leur numro du mois prochain.
-
Cet appartement est tout fait toi.
Tu crois ?
Tout en lignes droites et en angles durs.
Sean se mit rire, et ce rire adoucit un instant son
visage aux traits nergiques.
Dans mon business, il faut avoir la dent dure, Mad,
sinon on se fait avaler tout cru.
Sean tait banquier et grait les investissements de la
famille de Madeline depuis une dizaine dannes. Grce
ses conseils aviss, Value Shop, la chane de
supermarchs familiale avait russi son implantation au
niveau national. Mais pour la jeune femme, il tait plus
quun conseiller financier, il tait devenu un ami. Elle
laimait et avait une totale confiance en lui. Davantage
quen sa famille.
En rgle gnrale, elle vitait les hommes dans son
genre, parce quils lui rappelaient son pre dcd et son
demi-frre, extrmement vivant, lui. Sean tait une
vritable gravure de mode dans son complet anglais trs
chic agrment dune cravate de soie. Il tait limage
mme du brasseur daffaires de Wall Street. Personne
-
naurait pu souponner quil avait grandi dans un
faubourg trs turbulent du sud de Boston. Sean, lui,
navait jamais oubli les leons apprises dans la rue, ce
qui faisait de lui un personnage un peu inquitant.
Madeline ne len aimait que davantage.
Ecoute, Mad, nous devons parler.
Madeline le dvisagea, fronant les sourcils.
Je devine au ton de ta voix...
... quil sagit de ton demi-frre, oui.
Je refuse de voir Richard, rpliqua-t-elle, dtournant
le regard. Mais tu peux lui transmettre un message de
ma part. Dis-lui de cesser de mappeler. Il occupe toute
la mmoire de mon rpondeur avec ses discours.
Mad, protesta Sean, cest important !
La sonnette retentit, et de lautre ct de la grande
pice, la porte dentre souvrit.
Et Madeline se sentit rougir comme une adolescente.
Spike portait une veste de cuir noire, une chemise noire
au col boutonn et un jean, galement noir. Ses cheveux
aile de corbeau taient sculpts au gel et ce style, loin
-
dtre ridicule, faisait ressortir lextraordinaire beaut de
son visage. Son grand corps athltique remplissait toute
lembrasure de la porte comme une formidable prsence.
Et ses yeux... Il avait des yeux incroyables, des yeux au
regard dor comme celui dun chat, dissimuls pour
lheure par des paupires mi-closes et de longs cils noirs.
Des tatouages, aussi : de part et dautre de son cou, deux
lgantes arabesques sur sa peau blanche. Et un lourd
anneau dargent loreille gauche, comme un pirate
dautrefois.
La jeune femme avait cess de respirer. Il tait
impossible pour un homme de paratre plus sexy. Spike
tait beau couper le souffle.
Je vois, lui chuchota Sean loreille. Cest Spike que
tu attendais, nest-ce pas ? Depuis quand dure ce petit
jeu ? Quand as-tu fait sa connaissance ? Et pourquoi
diable suis-je le dernier tre mis au courant ?
Madeline sirota une gorge de son vin blanc et ne lui
trouva aucun got.
Fiche-moi la paix, Sean.
-
Spike tait littralement hors de lui lorsquil pntra
dans lappartement de Sean. Il avait support toutes ses
preuves de la journe avec rsignation jusqu cette
dernire rencontre, avec le cerbre de limmeuble. A
prsent, outre son embarras dtre arriv si tard, il
bouillonnait littralement de fureur. Et il tait affam.
Il ta sa veste et alla laccrocher dans la penderie du
hall, puis il jeta un regard circulaire dans la pice,
cherchant des yeux la tte brune de Sean parmi les
invits.
Il ne lui fallut que quelques secondes pour reprer son
ami et, lorsquil vit la personne qui se tenait ses cts,
son cur bondit violemment dans sa poitrine.
Elle tait l.
Madeline Maguire. A deux pas de lui. Respirant le
mme air que lui. Ou plutt lair quil aurait respir si
ses poumons ne lui avaient pas tout coup refus tout
service.
Mais il aurait d se douter quelle viendrait. Aprs tout,
elle tait la navigatrice dAlex, ou tout au moins elle
lavait t jusqu ce que ce dernier mette fin sa carrire
-
de skipper. Il tait donc tout fait normal quelle assiste
sa rception de fianailles.
Spike regrettait seulement de ne pas stre mieux
prpar cette rencontre.
Dans son esprit, Madeline Maguire reprsentait la
perfection fminine. Elle tait presque aussi grande que
lui, assure, intelligente. Sa souriante simplicit agissait
sur lui comme un vritable aphrodisiaque, tout comme
dailleurs le reste de sa personne. Ses pais cheveux noirs
retombaient librement jusquau milieu de son dos. Ses
yeux bleu saphir brillaient comme des toiles. Et un
simple sourire delle suffisait le plonger dans une sorte
de batitude comateuse.
Ce soir, elle portait une robe de laine noire lgre au col
haut qui mettait merveilleusement en valeur un corps...
Toujours aussi parfait.
Il se souvenait encore de la premire fois o il lavait
vue, sortant de la salle de bains dAlex, sans autre
vtement quun soutien-gorge de sport et une culotte de
dentelle noire. Elle tait venue vers lui sans gne aucune
et lui avait serr la main comme si elle ntait pas la plus
-
magnifique crature que la terre et jamais porte,
comme si une desse de l'Olympe pouvait serrer la main
dun simple mortel comme lui.
Puis elle lui avait demand avec une simplicit
dconcertante de lui montrer ses tatouages. Il avait failli
alors succomber une crise dapoplexie.
Prenant son courage deux mains, il sapprocha de son
ami et de sa ravissante voisine, sefforant dafficher une
expression dtendue.
Salut mon vieux, dit-il, vitant grand-peine de
plonger son regard dans celui de Madeline. Dsol pour
le retard. As-tu eu mon message ?
Alors quils changeaient une poigne de main, Spike
comprit instinctivement quil se prparait quelque chose:
les yeux de son ami brillaient dune hilarit difficilement
contenue.
Et Sean OBanyon, grand requin de la finance, ne riait
jamais sans une bonne raison.
Pas de problme, lui assura Sean. Tu connais dj
Madeline Maguire, nest-ce pas ?
-
Spike se contenta dacquiescer. Il ne pouvait tout de
mme pas lui avouer quil avait rv delle la nuit
prcdente, comme cela lui arrivait souvent. Un peu trop
son got, dailleurs.
Il se permit alors un coup dil rapide dans la direction
de Madeline, et constata, bloui, que ni ses merveilleuses
lvres de corail ni le reste de son visage ne portaient la
moindre trace de maquillage.
Bonsoir, Spike, dit-elle.
Cette voix... Grave, capiteuse. Aussi incroyablement
sexy que dans son souvenir.
Un agrable picotement lui parcourut la nuque.
Heureux de vous revoir, Madeline.
Elle ne lui tendit pas la main, et il sen rjouit, car cet
instant prcis, ce simple contact aurait probablement
suffi provoquer la combustion instantane de leurs
deux corps.
Ai-je manqu tous les discours ? senquit-il,
sadressant de nouveau Sean.
Dsol, vieux, mais cest fini depuis longtemps.
-
Je ferais mieux daller mexcuser. O puis-je trouver
lheureux couple ?
Dans mon bureau, je crois. Alex a insist pour que
Cass aille sallonger un moment, et il la installe sur le
divan. Il semblerait que le mdecin lui a recommand le
repos total jusqu la naissance du bb. As-tu dn ?
En fait, non. Et je meurs de faim.
Ma chre Mad, pourquoi ne montrerais-tu pas ce
pauvre garon affam o se trouve le buffet ?
Ne vous drangez pas ! intervint Spike
prcipitamment. Je suis sr que je trouverai manger
tout seul. Au fait, verrais-tu un inconvnient ce que je
dorme chez toi, ce soir ?
Scan sourit dune oreille lautre, un sourire de
carnassier qui fit apparatre une fossette sur sa joue, puis
il lui assna une tape amicale sur lpaule.
Cest une excellente ide, Spike ! Une ide fabuleuse,
mme. Nes-tu pas de mon avis, Mad ?
Spike frona les sourcils, se demandant quel point ces
deux-l taient intimes. Tout ce quil savait de la jeune
femme, ctait quelle tait issue dune riche famille qui
-
devait sa fortune une chane de magasins. Sean tait
peut-tre seulement son conseiller financier, devenu un
ami.
Cest alors quil vit le clin dil que Sean adressait
Madeline.
A la rflexion, leur relation tait peut-tre un peu plus
personnelle.
Et tout coup, Spike se surprit lutter contre une
irrsistible envie de sinterposer physiquement entre
eux, de traner Sean jusquau placard de lentre et de le
suspendre une patre ct de sa veste de cuir, loin de
Madeline, dans le noir intgral, l o il ne pourrait plus
que se faire des clins dil lui-mme !
Puis il les vit changer un regard rapide.
Ils taient amants. Sans aucun doute.
Il tait temps de battre en retraite.
Excusez-moi, marmonna-t-il en se dtournant. Je
vous verrai plus tard.
-
2.
Madeline suivit des yeux Spike qui se frayait un chemin
travers la foule des invits. Les gens scartaient
instinctivement de son chemin, visiblement surpris par
son aspect peu conventionnel. Et si certains hommes le
considraient avec une rserve prudente, les femmes,
elles, le suivaient du regard avec intrt.
Il fallait admettre quil faisait irrsistiblement songer
lamour. Son grand corps athltique se mouvait avec une
grce fline qui suggrait une force et une endurance
peu communes.
Dis-moi, Mad, quy a-t-il entre Spike et toi ? Je ne tai
jamais vue ainsi fascine par un homme.
Madeline se tourna lentement vers Sean.
Dis-moi, Sean, rpliqua-t-elle sur le mme ton, je
croyais que tu mavais invite dormir ici.
Je te rassure. Mon invitation tient toujours.
Mais tu nas quune seule chambre damis, il me
semble.
-
Mais il y a deux lits. Spike et toi tes des adultes, au
moins en thorie. Cette cohabitation temporaire ne
devrait pas poser de problme, nest-ce pas ?
Le sourire de Sean slargit encore et il ajouta :
Sans compter que si tu as froid la nuit, je suis certain
que Spike se fera un plaisir de...
Jespre que tu ne comptes pas me jeter en pture
cet homme, le coupa Madeline dun ton froid.
Loin de moi cette ide ! se rcria Sean, souriant de
plus belle. Il a besoin dun lit pour dormir, et toi aussi.
Le reste vous regarde.
Sean ! protesta Madeline. Je suis srieuse ! Je ne peux
pas... Ne membarrasse pas, sil te plat.
Sean marqua une pause, puis il sapprocha de la jeune
femme et lui entoura les paules de son bras.
Je suis dsol, mon chou, sexcusa-t-il. Je nen ai
jamais eu lintention... Viens ici.
Madeline se laissa aller contre la large poitrine de Sean
et prit une profonde inspiration, le regard fix sur la
porte par laquelle Spike venait de disparatre.
-
Spike est un type bien, murmura Sean. Jaimerais te
voir avec un homme comme lui.
Cest gentil. Mais au cas o tu ne laurais pas
remarqu, il ma peine accord un regard. A
lvidence, je ne lintresse pas du tout.
Cela peut changer.
Pas en ce qui me concerne, tu le sais bien.
Sean jura entre ses dents.
Ce nest pas parce que Amelia et ton ex-petit ami
ont...
Je ne veux pas parler de ma demi-sur et de ses
coucheries !
Veux-tu que je demande Spike de se chercher un
autre logement ?
Madeline secoua la tte.
Non, murmura-t-elle. Cela ne me tuera pas de
partager une chambre avec lui. Mais je ne serais pas trs
surprise quil dcide de lui-mme daller passer la nuit
ailleurs. A prsent, je crois que tu ferais mieux daller
rejoindre tes invits.
-
Pourquoi ne viens-tu pas avec moi inspecter ce
dlicieux buffet ?
Je nai pas faim, merci. Mais vas-y, toi.
Sean parti, Madeline resta seule dans son coin durant
tout le reste de la soire. Et elle observa Spike.
Lors de leur premire rencontre, au lac Saranac, elle
avait vu en lui un homme tranquille et peu loquace, mais
aujourdhui, il tait visiblement la coqueluche de la
soire, et un cercle dinvits stait rassembl autour de
Sean et de lui.
La plupart taient des femmes.
Rien dtonnant cela, au fond. Sean avait toujours t
un redoutable don Juan, et Spike, visiblement, partageait
son got pour la sduction.
Lassemble de ses admiratrices clata soudain de rire
lune de ses plaisanteries, et Madeline secoua la tte. Elle
stait bien trompe sur son compte. Spike tait un
charmeur.
Il paraissait aussi trs sr de lui. Toute llite de la ville
tait prsente cette soire, mais, lvidence, le statut
social de ses interlocuteurs ne limpressionnait gure. Il
-
souriait, serrait des mains, et bavardait familirement
avec tout un chacun. Il ny avait aucune trace de servilit
dans son attitude, mais, au contraire, une sorte
dassurance tranquille qui semblait charmer tout son
entourage.
Deux femmes en particulier le couvaient de leurs
attentions. Blondes et aristocratiques, elles taient toutes
deux trs jolies. Lune delles avait dj pos sa main sur
son paule, et la seconde tait pratiquement assise sur
ses genoux.
Madeline ravala son irritation. Elle navait aucun droit
dtre jalouse.
Tout coup, Spike se mit rire gorge dploye. Puis il
balaya la pice du regard et la surprit en train de le fixer.
Son rire se figea aussitt sur ses lvres. Mais il se reprit
bien vite. La pimbche blonde assise prs de lui lui
tapota lpaule, et il se retourna vers elle en souriant de
plus belle, comme si rien ne stait pass.
Ctait lhistoire de sa vie, songea tristement Madeline.
Les hommes ne la remarquaient que lorsquelle leur
accordait une attention quils ne dsiraient pas.
-
Spike avait t extrmement surpris de sapercevoir que
Madeline le fixait ainsi, et il avait failli en perdre le fil de
son rcit. Il ntait parvenu terminer lhistoire quil
racontait que parce quil lavait rpte tant de fois quil
la connaissait par cur.
Madeline devait le prendre pour un poseur, songea-t-il,
irrit contre lui-mme. Les gens rassembls autour de lui
clatrent de rire la fin de son histoire, et il se dit que la
jeune femme avait probablement raison.
Elle, au contraire, restait lcart de la foule, lointaine et
mystrieuse. Elle se tenait immobile prs des grandes
baies vitres, belle et distante comme une prcieuse
uvre dart. Devant ce silence de reine, Spike se sentait
grossier et indigne de poser mme un simple regard sur
elle.
Pourtant, les hommes prsents cette soire semblaient
lviter. Ils ladmiraient de loin, certes, mais aucun deux
nosait lapprocher. Spike avait surpris leurs regards
valuateurs poss sur elle, et il devinait exactement les
fantasmes qui enflammaient leur imagination.
Pour la bonne raison... quil entretenait les mmes.
-
Ctait comme si Madeline Maguire venait dun univers
diffrent du leur, comme si locan lui avait confr une
exprience que les simples terriens quils taient ne
pourraient jamais partager. Sa beaut avait quelque
chose de presque menaant. Dinaccessible. Sa stature
dathlte, ses yeux brillant dintelligence rduisaient les
autres femmes prsentes au rang de simples figurantes.
Spike sentit quon lui tapotait lpaule. Lune des deux
jeunes femmes blondes qui ne lavaient pas quitt dune
semelle toute la soire semblait due quil se soit retir
dans son monde intrieur, et se rappelait son attention.
Spike lui offrit un sourire absent, et la jeune femme,
prenant cela pour un encouragement, reprit son
babillage de plus belle.
Une heure plus tard, alors que la soire touchait sa
fin, il reconduisit ses deux admiratrices jusqu la porte,
dclinant leur offre de les raccompagner pour boire un
dernier verre. Ce soir, il ntait pas dhumeur
encourager les avances de jeunes femmes riches et
oisives en mal daventures sans lendemain. Il avait dj
tent lexprience par le pass, et nen avait retir aucune
satisfaction.
-
Dailleurs, il ntait pas la recherche dune relation. Il
avait renonc cette ide depuis longtemps. Lorsquune
femme apprenait ce quil avait fait et o il tait all, elle
disparaissait invariablement de sa vie dans les deux
jours qui suivaient ses rvlations. Comme il refusait de
mentir, ne serait-ce que par omission, il tait condamn
nesprer que des liaisons phmres.
Et cela lui convenait trs bien. Il tait un survivant par
nature, et il savait parfaitement que lorsquon ne pouvait
pas changer une situation, il fallait savoir sy adapter.
Spike referma la porte derrire les deux jeunes femmes
et prit une profonde inspiration. A prsent, un agrable
silence rgnait dans lappartement.
Cest alors quil ralisa que Madeline tait partie, et
quil navait pas eu loccasion de lui dire au revoir.
Ctait peut-tre mieux ainsi. En rgle gnrale, il
entretenait dexcellents rapports avec les femmes, et il
savait les charmer lorsquil voulait sen donner la peine.
Mais avec Madeline Maguire, il ntait pas question de
se cantonner dans les mondanits habituelles.
-
Avec elle, il sentait quil courait un grand risque de
tomber irrmdiablement amoureux. Et o cela le
conduirait-il ?
Sean sortit de la cuisine, la cravate desserre, la chemise
dboutonne au col. Il portait une tasse de caf dans
chaque main.
Jai pens que tu aurais besoin dun petit coup de
fouet, toi aussi, marmonna-t-il.
Spike accepta la tasse quil lui tendait avec plaisir, et ils
passrent dans le salon.
Je crois quAlex et Cass ont pass une excellente
soire, ft remarquer Spike. Quen penses-tu ?
Toi, en tout cas, tu avais lair de bien tamuser,
grogna Sean. Les surs Livingston navaient dyeux que
pour toi.
Jai remarqu, oui.
Dommage que tu aies pass tant de temps avec elles.
Que veux-tu dire ?
Il y avait dautres femmes cette fichue soire,
grommela Sean, visiblement irrit.
-
Spike frona les sourcils. Il allait demander son ami
quelle mouche le piquait et le mettait dans un tel tat de
mauvaise humeur lorsquil entendit un bruit de pas
derrire lui. Un retardataire ?
Madeline apparut sur le seuil, telle une vision de rve.
Sa longue chevelure sombre, paisse et brillante,
cascadait sur ses paules comme si elle venait tout juste
de la brosser. Et elle stait change ; la place de
llgante robe quelle avait porte la soire, elle ntait
prsent vtue que dun caleon dhomme et dun petit
haut sans manches. Les deux vtements ne se
rejoignaient pas tout fait, exposant un ventre
parfaitement plat et un nombril adorable.
Spike se tortilla dans son fauteuil.
Sean esquissa un sourire.
Ah, te voil, Mad ! lana-t-il, retrouvant soudain
toute sa bonne humeur. Il y a du caf dans la cuisine.
Merci.
Comme elle ressortait de la pice, Spike ne put
sempcher de la suivre des yeux, de noter le doux
balancement de ses hanches, ses longues jambes galbes.
-
Puis, tout coup, la vrit le frappa comme un coup de
poing au plexus.
Sean ? Madeline dort-elle ici, ce soir ?
Oui.
Spike posa vivement sa tasse et se leva.
Eh ! O crois-tu aller, mon vieux ? protesta Sean.
Je ferais mieux de filer.
Il ntait pas question de dormir dans cet appartement
pendant que Madeline et Sean feraient lamour dans la
chambre voisine. Le simple fait de les imaginer ensemble
lui donnait la nause.
Assieds-toi, Spike.
Non. Vous avez besoin dintimit. Je vous verrai une
autre fois.
Spike, vas-tu tasseoir, la fin ? Madeline et moi
navons pas ce genre de relation. Dtends-toi, daccord ?
Spike frona les sourcils. Son ami OBanyon avait-il
devin lattirance quil ressentait pour la jeune femme ?
-
Sans aucun doute. Sean tait un homme perspicace, et
son il avis ne manquait aucun dtail. En temps
normal, cela faisait partie des qualits que Spike
apprciait chez lui. Mais pas ce soir.
Il se laissa retomber sur le divan. Puis une autre ide se
fit jour dans son esprit. Lappartement ne comportait
quune seule chambre damis. Il tta les coussins,
simaginant dj en train de passer la nuit l o il tait,
mais Sean lui lana un regard dsapprobateur.
Ny pense mme pas, mon vieux, dclara-t-il, un
sourire narquois aux lvres.
De quoi diable parles-tu ?
Pas question de dormir sur le sofa. Il y a deux
excellents lits dans la chambre damis, et vous allez les
utiliser. Madeline ma dj assur quelle ny voyait
aucun inconvnient.
Madeline Maguire et lui dans la mme chambre ? Seuls
durant six ou sept heures ?
Il en mourrait.
-
Pourquoi as-tu pass toute la soire avec les surs
Livingston ? voulut savoir Sean, le considrant
attentivement par-dessus le bord de sa tasse.
Ctait la voie de la facilit, marmonna Spike avec un
haussement dpaules. Pourquoi cela tintresse-t-il ?
Tu aurais d passer plus de temps avec Mad.
Spike dvisagea son ami dun air souponneux.
Serais-tu en train de jouer les entremetteurs, par
hasard ?
On ne peut rien te cacher. Et je pense que le moins
que tu puisses faire, cest de te conduire comme un
gentleman et de lembrasser ds que les lumires seront
teintes.
Spike, qui buvait une nouvelle gorge de caf, faillit
strangler.
Mais qu'..
Il est vident quelle te plat, le coupa tranquillement
Sean.
Et quoi vois-tu cela ? Je ne lui ai pas dit deux mots
de toute la soire.
-
Justement. Mad tait la seule femme avec qui tu ne te
sentais pas laise. Ma vieille exprience me dit que cest
la preuve quelle ne te laisse pas indiffrent.
Tu es malade du cerveau, Sean.
Peut-tre, mais jai raison. Non ? Mad te plat.
Cette conversation me donne limpression dtre
retourn au cours lmentaire, rtorqua Spike, levant les
yeux au ciel.
Sean se pencha vers lui avec des airs de conspirateur et
dit, baissant la voix :
Et encore, tu ne sais pas le meilleur. Je sais de source
sre... que tu lui plais aussi.
Et cest sans doute pour cela quelle ne ma pas
adress la parole, ironisa Spike. Sean, mon vieux, tu
devrais rester dans ton domaine, la finance. Comme
travailleur social, tu es nul.
Non, je tassure, elle...
A cet instant, la jeune femme rapparut, une tasse
fumante la main.
-
Sean posa sa tasse et se leva en stirant
paresseusement.
Cest lheure o mon carrosse se transforme en
citrouille, annona-t-il dune voix tranquille. Bonne nuit,
vous deux.
Spike le fusilla du regard, mais Sean ne sembla pas sen
apercevoir et quitta la pice dun pas nonchalant.
Madeline et Spike taient seuls prsent.
La jeune femme traversa la pice sans le regarder et alla
contempler les lumires de la ville.
Le silence stira entre eux, pesant, interminable. Au
bout dun moment, Spike ny tint plus.
Je ne veux pas envahir votre intimit, dit-il dune
voix douce. Je peux trs bien dormir sur le sofa.
Si vous y tenez, rpondit-elle, haussant les paules.
Mais je partage quotidiennement la cabine dun voilier
avec douze hommes. Vous aurez beau ronfler, cela ne
mimpressionnera gure. Je peux dormir dans un
ouragan.
-
Qui parlait de ronfler ? Elle avait la taille si fine... Spike
aurait tout donn pour parcourir cette douce courbe de
ses lvres, pour caresser son ventre plat...
Spike ?
Oui ? fit-il, revenant brusquement la ralit.
Puis-je vous poser une question ?
Oui, allez-y.
Vos yeux, dit-elle dun ton hsitant. Est-ce leur
vritable couleur, ou bien portez-vous des lentilles ?
Spike dtourna le regard, vex. Il savait que ses iris
avaient une teinte peu commune, mais ils taient ainsi
depuis sa naissance, et la plupart des femmes semblaient
apprcier cette originalit. Madeline tait la premire
suggrer quil pouvait sagir dune coquetterie de sa
part.
Ce qui en disait long sur ce quelle pensait de lui.
Soudain, il se prit souhaiter que ses yeux aient t
comme ceux de Monsieur Tout-le-monde, marron, verts
ou bleus. Irrit contre lui-mme, il se leva brusquement.
-
Je vais aller prendre une douche. Ensuite, jirai
dormir.
Spike... je ne voulais pas...
Oui ?
Je ne voulais pas vous offenser. Cest seulement que
je nai jamais vu des yeux de la couleur des vtres.
Il haussa les paules.
Je sais quils sont bizarres, mais que voulez-vous ? Je
ny peux rien. Bonne nuit, Madeline.
Il alla poser sa tasse dans lvier de la cuisine, puis
sloigna dans le couloir en direction de la chambre
damis. En entrant, il sattendait trouver les affaires de
Madeline parpilles un peu partout, mais la pice tait
parfaitement range. Pas de brosses ou de flacons de
parfum en vidence, aucun vtement abandonn sur le
lit, dans le fauteuil ou sur le bureau. Uniquement un
grand sac noir pos au pied du lit de gauche.
Le got de lordre typique des marins , songea-t-il se
demandant, lespace dun instant, ce que devait tre la
vie de la jeune femme.
-
Il prit une douche rapide, trouva une brosse dents
neuve dans un tiroir et se brossa longuement les. dents.
Il navait pas envie de remettre les vtements quil avait
ports toute la journe, mais il avait laiss ses affaires
dans sa voiture.
Et il ntait pas question de ressortir nu de la salle de
bains.
Il entendait Madeline aller et venir dans la chambre
damis, de lautre ct de la porte. Elle sapprtait sans
doute se mettre au lit.
Il limagina, inclinant son corps mince et souple pour
tirer les couvertures, glissant ses longues jambes entre
les draps frais... Ses longs cheveux sombres aux reflets
auburn tals sur loreiller...
Jurant entre ses dents, il se rina la bouche et enfila son
caleon et sa chemise. Il fut un instant tent de remettre
son pantalon mais finit par le plier et le poser sur le bord
de la baignoire. Puis il ouvrit la porte.
Il sattendait trouver Madeline couche dans lun des
lits avec un livre, dtendue et ravissante.
-
Au lieu de cela, il trouva la chambre plonge dans
lobscurit la plus totale. Dans la faible lumire
provenant de la salle de bains, il vit la jeune femme
allonge en chien de fusil, les couvertures remontes
jusquau menton. Mais ses merveilleux cheveux taient
bien tals sur loreiller comme une aurole autour de sa
tte...
Spike la considra un instant en silence, imaginant la
douceur de ces boucles soyeuses imprgnes de la
fragrance florale du shampooing quil avait senti dans la
douche.
Et, pour la premire fois depuis que sa vie avait
bascul, douze ans auparavant, il regretta sincrement la
normalit quil avait perdue et quil ne retrouverait
jamais plus.
Il se remmora son unique tentative dtablir une
relation avec une femme, deux ans aprs tre retourn
dans la vraie vie. Tout allait bien entre eux jusqu ce
quil dcide, un beau jour, de lui raconter la vrit sur
son pass. Elle avait bien ragi sur le coup, et il avait
espr que son aveu les rapprocherait.
Puis elle navait plus rpondu ses messages.
-
Il avait compris, et lavait laisse partir.
Depuis lors, il avait pris ses distances avec les femmes,
sans toutefois senfermer dans un clibat total. Lorsquil
lui arrivait davoir besoin de compagnie, il passait la nuit
avec une amie de rencontre. Et cette vie lui convenait
parfaitement.
Mais Madeline Maguire ntait pas une femme de ce
genre. Elle tait unique. Elle tait belle et intelligente, et
lhritire dune immense fortune familiale. Mme si elle
lavait trouv attirant ce qui, lvidence, ntait pas
le cas , il ny avait aucune chance quune femme
comme elle dsire tablir des liens srieux avec un
homme comme lui.
Un ex-taulard.
Il se dirigea sans bruit vers le lit de droite et se glissa
entre les draps. Dordinaire, il dormait nu, et sa chemise
le gnait. Il seffora de ne pas imaginer les mains douces
de Madeline sur sa peau, et ny russit
quimparfaitement. Il arrangea ses oreillers, se tourna
dun ct puis de lautre, et attendit. Malgr sa fatigue, il
lui fut impossible de trouver le sommeil.
-
Dix minutes plus tard, il se redressa brusquement dans
son lit, dboutonna sa chemise et la jeta sur le sol dun
geste rageur. Alors quil se rallongeait, il entendit un
petit rire touff dans lautre lit.
Etait-ce votre chemise ou votre caleon ? Peut-tre
les deux ?
Spike se figea. Depuis combien de temps lobservait-
elle?
Je croyais que vous pouviez dormir dans un
ouragan, grogna-t-il.
Je suppose que je me suis trompe, rpondit-elle
aprs un instant de silence.
Il lentendit soupirer doucement et enfoncer sa tte
dans les oreillers, et ce soupir le brla jusquau fond de
lme. Il ferma les yeux et essaya de se dtendre. Mais le
sommeil le fuyait toujours.
Spike ?
Il ouvrit brusquement les yeux.
Oui?
-
Je ne pense pas que vos yeux soient bizarres, dit-elle
dune voix douce. Ils sont de la couleur du soleil sur la
houle au petit matin, et ils ont cette mme qualit
hypnotique.
Spike ne sut que dire. Il brlait de lui rpondre que si
elle dsirait tre hypnotise, il tait son homme, mais il
sen abstint prudemment.
Merci, rpondit-il simplement, tournant la tte vers
elle. Je les tiens de mon pre. En tout cas, cest ce que ma
mre prtendait.
Il entendit Madeline rouler sur le ct et se tourner vers
lui.
De quelle nationalit tait votre pre ?
Je nen sais rien. Je ne lai pas connu, et ma mre ne
parlait presque jamais de lui. Probablement un
Europen.
Pardonnez-moi, je suis indiscrte.
Non, ne vous inquitez pas. Daprs ma mre, il nest
pas rest trs longtemps, mais elle na jamais plus aim
un autre homme comme elle lavait aim. Aprs ma
naissance, elle a pous un chic type avec qui elle a refait
-
sa vie et qui lui a donn un second enfant, ma demi-
sur Jaynie.
Avez-vous jamais tent de retrouver votre pre
biologique ?
Je ne saurais pas par o commencer, et puis ma vie
me convient trs bien ainsi. Dailleurs, ma mre a habit
la mme ville toute sa vie. Si ce type avait souhait nous
retrouver, elle et moi, il aurait pu le faire facilement.
Quelque peu gn, il se tut. Depuis combien de temps
navait-il pas voqu sa famille devant un inconnu ?
Il se dtourna de Madeline et sallongea sur le ventre.
Leur conversation sarrta l.
Mais il fallut des heures Spike pour sendormir.
-
3.
La premire chose que fit Madeline en se rveillant vers
6 h 30, ce fut de tourner la tte pour jeter un coup dil
vers le lit voisin.
Et elle cessa de respirer.
Spike tait couch sur le ventre et, dans son sommeil,
ses couvertures avaient gliss jusquau sol. Il ntait plus
couvert que du drap enroul autour de ses jambes.
Elle eut enfin loccasion dadmirer ses tatouages.
Il en avait deux sur son large dos muscl ; un seul, en
fait, mais divis en deux parties symtriques, remontant
le long de la colonne vertbrale avant de se sparer la
hauteur des omoplates pour faire le tour du cou.
Ctait une ralisation trs artistique, et leffet produit
tait dun rotisme saisissant. Ces lignes sombres sur sa
peau lisse donnaient la jeune femme envie de suivre
chaque courbe du bout du doigt, dy laisser glisser ses
lvres...
-
En ralit, elle avait envie dexplorer tout ce corps qui
soffrait elle sans pudeur aucune.
A lvidence, Spike sastreignait un entranement
physique rgulier. Ses larges paules taient tout en
muscles saillants, tout comme le bras quil avait repli
au-dessus de sa tte. Une veine bleue bien visible courait
sur son biceps parfaitement dessin, que la jeune femme
ne pouvait quitter des yeux, fascine.
Tout coup, Spike gmit dans son sommeil et changea
de position.
Craignant dtre surprise lobserver ainsi, Madeline se
prpara se retourner et faire semblant de dormir.
Mais il poussa seulement un soupir et sembla se
dtendre de nouveau.
A cet instant, Madeline aurait tout donn pour oser
traverser lespace infime entre leurs deux lits et aller
sallonger tout contre lui. Peut-tre le rveiller en
dposant une pluie de baisers sur son cou ?
Et aprs ?
Elle tait vierge, et ne savait rien, ou presque, de ce qui
se jouait entre deux corps qui se tendaient vers un plaisir
-
partag. Un homme comme lui ne sintresserait jamais
une femme sans aucune exprience comme elle.
Spike gmit de nouveau dans son sommeil, et il
sallongea sur le dos, les bras en croix. Madeline eut
alors tout le loisir dadmirer sa large poitrine, son ventre
plat ; pas un gramme de graisse inutile sur son corps
vigoureux et parfaitement entretenu.
Elle regrettait son manque dexprience, mais, dans sa
vie, elle navait connu que deux hommes avec qui elle
aurait pu devenir aussi intime. Elle avait rencontr le
premier luniversit, et le second durant lt o elle
avait fait ses dbuts dans le circuit des rgates
professionnelles. En chacune de ces occasions, elle avait
cru aimer et tre aime en retour. Mais au bout du
compte, lun et lautre lui avaient prfr sa demi-sur.
Comment les blmer, dailleurs ?
Peu de temps aprs avoir surpris le second de ses
prtendants dans le lit dAmelia, elle avait dcid de
mettre sa vie sentimentale entre parenthses. De toute
faon, si elle souhaitait tre respecte dans son mtier,
elle ne pouvait pas se permettre de flirter avec les marins
de son quipage, ni ceux des quipages concurrents. Et,
-
plus important encore, elle refusait absolument de
souffrir une nouvelle fois.
Et sa vie avait continu. Deux annes avaient pass. Et
elle navait jamais encore fait lamour.
Cela ne lui tait jamais apparu comme une tare.
Jusqu cet instant.
Spike sagita de nouveau dans son sommeil, ondulant
lentement des hanches, et le drap glissa encore,
dcouvrant sa nudit.
Seigneur ! Il avait une...
Il tait facile de savoir quoi il rvait.
Il renversa la tte en arrire et murmura quelques mots
incomprhensibles.
Madeline ne put sempcher de le boire des yeux,
admirant sa beaut masculine, et, le temps dun instant,
elle regretta de navoir pas assez daudace pour le
rveiller par les caresses sensuelles dont il ne faisait que
rver. La prendrait-il dans ses bras ? Probablement. Tout
au moins jusquau moment o il sapercevrait quelle
ntait pas la femme de son rve.
-
A qui rvait-il cet instant ?
Soudain il ouvrit les yeux et la fixa. Ses iris dors, sous
les longs cils noirs, semblaient rayonner dun intense feu
intrieur, donnant son regard limpression dtre un
papillon happ par une flamme.
Je... je suis dsole, bredouilla-t-elle en reculant
vivement, le cur battant.
Le son de sa voix sembla le plonger dans un abme de
perplexit, et elle le vit froncer les sourcils, puis secouer
lentement la tte. Il marmonna quelques mots
indistincts, referma les yeux et roula sur le ct, lui
tournant le dos.
Elle sortit de la chambre sans perdre une seconde, prit
une douche rapide, puis descendit dans la cuisine,
constatant avec soulagement que Sean ntait pas encore
lev. Son cerveau ne fonctionnait pas encore trs bien, et
elle navait aucune envie dentamer une conversation
pour le moment.
Elle commenait prparer le caf lorsquelle entendit
un billement derrire elle.
Bonjour, Mad. Bien dormi ?
-
Sean entra dans la cuisine, uniquement vtu dun
caleon et dun T-shirt dune quipe de football de la
Nouvelle-Angleterre. Ses cheveux sombres taient tout
en dsordre, et une ombre de barbe obscurcissait ses
joues. Il avait davantage lair dun jeune tudiant de
vingt ans que du poids lourd de la finance de trente-cinq
ans quil tait vraiment.
Madeline dtourna la tte, craignant quil ne remarque
ses joues un peu trop rouges.
Trs bien, oui.
Spike ne ta pas trop empche de dormir ?
Non, et ne commence pas, daccord ?
Sean hocha la tte en silence, comprenant quelle ntait
pas dhumeur jouer.
Quy a-t-il pour le petit djeuner ? senquit-elle. As-
tu des fruits frais quelque part ?
Je nen suis pas sr, avoua-t-il. Je ne prends jamais
mes repas la maison. Mais le traiteur a travaill tout
laprs-midi dans ma cuisine, hier aprs-midi, et il doit
bien rester quelque chose.
-
Le rfrigrateur tait plein craquer de victuailles de
toutes sortes prpares la veille. Devant une telle
profusion, il tait presque impossible de choisir.
Jai une meilleure ide, dclara Sean. Ne bouge pas
dici. Je reviens dans une seconde.
Il quitta rapidement la cuisine, pour rapparatre
quelques instants plus tard, un sourire satisfait aux
lvres.
La solution arrive, annona-t-il.
As-tu command notre petit djeuner au restaurant
du coin ?
Mieux que cela. Jai retenu les services du meilleur
chef de la rgion. Un de nos plus grands spcialistes de
la cuisine franaise.
Et o est-il ce grand homme ?
Juste derrire vous, rpondit Spike.
Madeline se retourna brusquement et ne put
sempcher de le dtailler de la tte aux pieds. Il tait
ras de frais et habill, mais elle le revoyait encore
endormi sur les draps froisss... Son torse puissant, son
-
ventre aux muscles parfaitement dfinis, ses bras
vigoureux...
Elle sentit quelle rougissait imperceptiblement.
Il tait grand temps de dire quelque chose.
Le fameux chef... cest vous ?
Spike la contempla une seconde en silence, puis,
esquissant un mince sourire, il alla ouvrir le
rfrigrateur.
Vous mimaginiez plutt dans la restauration rapide,
nest-ce pas ? lana-t-il.
Non, je...
Jcoute, Sean, la coupa-t-il. Que veux-tu que je
prpare ?
Madeline se maudit de sa maladresse. Elle lavait
offens, ctait clair. Pourtant, ce ntait pas son
intention. Elle avait t seulement surprise quun
homme comme lui ait choisi une profession fonde sur la
tradition et le respect des rgles.
Mais Sean rpondit son ami avant quelle ait eu le
temps de lui faire ses excuses :
-
Surprends-moi, mon vieux. Je men remets tes
talents magiques. Entre-temps, Mad et moi devons
parler. Je prends lavion tout lheure pour un sjour au
Japon, et ce petit entretien ne peut plus attendre.
Sean..., tenta de rsister Madeline.
Plus dexcuse. Viens, allons dans la pice ct. Ne
perdons pas de temps.
Madeline jeta un coup dil Spike qui lui rendit
tranquillement son regard.
Ne vous inquitez pas, je ne vais pas mettre le feu
la maison, mme si vous ntes plus l pour me
surveiller, ironisa-t-il.
Je ne voulais pas vous offenser, tout lheure.
Nen parlons plus, laissa-t-il tomber schement.
La jeune femme renona sexpliquer, et suivit Sean
dans le salon.
Sean ne perdit pas de temps en vains prambules.
Mad, tu dois aller parler ton frre, dclara-t-il dun
ton bref. Et tu dois le faire avant de repartir en mer.
-
Madeline sentit son cur se serrer. Allaient-ils encore
reparler de cela ?
Mad?
Mon demi-frre, corrigea-t-elle. Richard nest que
mon demi-frre.
Sean saffala sur le sofa et lui fit signe de venir sasseoir
prs de lui.
Ecoute-moi attentivement, ma belle. Je ne te parle
pas seulement en tant quami. Considre ce que je
mapprte te dire comme un conseil professionnel. Va
le voir. Tout de suite.
Pourquoi ? Tout ce qui lintresse, ce sont mes parts
dans la socit. Et il a dj une procuration pour voter
ma place.
A eux trois, Richard, Amelia et elle dtenaient la
majorit des actions de la socit Value Shop, une chane
de supermarchs couvrant tout le territoire national. Les
actifs de ladite socit reprsentaient une somme
absurde, et Madeline prfrait ne pas trop y rflchir. De
telles sommes navaient aucun sens pour elle.
-
Mad, insista Sean dune voix douce, le mandat de
Richard prend fin dans une semaine et demie, et tu ne
seras plus tenue de le laisser dcider ta place. Tu vas
avoir vingt-cinq ans et, selon les stipulations du
testament de ton pre, cest lge auquel tu es en droit
dassumer le contrle de tes parts, condition que tu
prennes certaines mesures spcifiques pour ty prparer.
Faute de quoi, les dispositions actuelles resteront en
vigueur. Richard votera ta place pour toutes les
dcisions du conseil dadministration, et ce durant cinq
annes supplmentaires.
Madeline frona les sourcils. Cela faisait des annes
quelle navait plus song ses parts dans la socit.
Jusqu ce jour, seules comptaient ses courses au large.
Pourquoi as-tu lair aussi tendu ? demanda-t-elle,
dvisageant Sean plus attentivement.
Pour te parler franchement, du point de vue de
lthique professionnelle, je suis en terrain dlicat en te
parlant ainsi.
Mais tu es un banquier daffaires, lui rappela-t-elle.
Cest ton travail de nous conseiller sur nos
investissements.
-
Je suis le banquier de la socit, corrigea Sean, et
lactionnaire principal de ladite socit, ton demi-frre,
pourrait facilement en conclure que jaffaiblis sa position
en te conseillant de prendre le contrle de tes parts.
Je suis contente que tu maies rappele mes
responsabilits, mais je ne voudrais pas que tu aies de
problmes avec Richard. Il sera furieux dapprendre
quil ne disposera plus de ma procuration, dsormais.
Tu es de taille lui tenir tte, jen suis convaincu.
Madeline nen tait pas tout fait aussi sre, mais elle
se rjouissait que Sean ait voqu les dispositions
particulires du testament de son pre. Sauf quelle
ignorait totalement ce quelle allait bien pouvoir faire
ce sujet.
Mad, je voudrais que tu ailles voir un de mes amis
qui est un excellent avocat. Il sappelle Mick Rhodes. Je
lui ai expliqu la situation et il attend ton feu vert pour
entreprendre toutes les dmarches ncessaires. Ceci fait,
tu pourras te prsenter devant Richard, lesprit
tranquille. Je sais que ton demi-frre compte passer
quelques jours la proprit de Greenwich. Arrange-toi
pour le rencontrer l-bas plutt qu son bureau, et ne te
-
fais pas accompagner de Mick Rhodes, ce jour-l.
Richard verrait la prsence de ton avocat comme une
provocation. Le mieux, cest de lapprocher comme une
gentille petite sur. Puis, le jour de ton vingt-cinquime
anniversaire, 9 heures prcises, Mick fera enregistrer
les documents, et tout sera termin.
Mais est-il vraiment ncessaire que je rencontre
Richard ? Pourquoi ne pas laisser les avocats rgler toute
laffaire entre eux ?
Tu vas devoir affronter Richard un moment ou un
autre. Pourquoi attendre ? Et ne tinquite pas, jai
entendu dire quAmelia se prlassait quelque part dans
les les jusqu la mi-juin. Elle ne sera pas prsente
Greenwich.
Limage de son demi-frre simposa brusquement dans
la conscience de Madeline. Brillant, raffin, froid,
ddaigneux. Et lide mme de le revoir lui donna
presque la nause.
Dun point de vue lgal, il ne peut pas sopposer ce
que je prenne possession de mes parts, nest-ce pas ?
voulut-elle savoir.
-
Je ne le pense pas. Mais il entamera probablement
une procdure pour bloquer la dcision, en avanant le
fait que tu nes pas comptente pour grer tes parts.
Ctait plus que probable, songea Madeline. Richard
dtestait perdre, et il navait jamais t trs regardant sur
les moyens, pourvu quil remporte la victoire.
Mais ne te fais aucun souci ce sujet, Mad. Mick
saura rgler le problme. Tu peux lui faire confiance.
Daccord, soupira-t-elle. Jirai voir ton avocat.
Tout ira bien, tu verras, lui promit Sean en la serrant
affectueusement dans ses bras. Mick est le meilleur. Il
dvorera ton frre tout cru sil fait le mchant.
Mon demi-frre, corrigea-t-elle en grimaant.
Lorsquils retournrent dans la cuisine, Spike saffairait
devant les fourneaux, et de dlicieux armes
schappaient des diverses casseroles. Il ne se retourna
pas lorsquils allrent sasseoir, mais, quelques minutes
plus tard, deux assiettes apparurent sur la table, avec des
omelettes parfaites.
-
Voil ce que jappelle un petit djeuner ! sexclama
Sean, retrouvant son accent de Boston comme chaque
fois quil tait en colre ou particulirement satisfait.
Merci Spike, ajouta Madeline, en lui lanant un coup
dil furtif.
Spike se contenta de hocher la tte et concentra de
nouveau son attention sur les fourneaux pour prparer
sa propre omelette. Lorsquil sassit enfin table avec
eux,
Sean avait dj termin, et Madeline sefforait de ne
pas manger trop vite.
Ctait la meilleure omelette que jaie jamais
dguste, affirma Sean, sessuyant les lvres avec une
serviette blanche damasse. Si tu tais une femme, Spike,
je tpouserais sur-le-champ.
Et encore, tu nas pas encore got mon gigot
dagneau la menthe.
Les deux amis commencrent bavarder, et leurs voix
graves devinrent un agrable bourdonnement de fond
alors que Madeline se replongeait dans ses propres
penses.
-
Elle ntait pas certaine dtre de force rsister
Richard. Son demi-frre avait toujours eu le don de la
faire se sentir misrable et toute petite. Ctait sa faute,
bien sr, car elle ne savait pas se dfendre contre lui. En
prsence de Richard, elle avait toujours limpression
davoir cinq ans et dtre redevenue son souffre-douleur,
comme au temps de leur enfance.
Le temps tait peut-tre venu de tuer le dragon, songea-
t-elle. Elle tait une adulte aujourdhui, une
professionnelle respecte dans son mtier. Et ces parts de
la socit taient le seul cadeau que son pre lui avait
jamais fait. Mme si Richard avait t le meilleur des
frres, le temps tait venu dassumer la responsabilit de
ses propres affaires.
Sean, tu ne peux pas maccompagner Greenwich,
nest-ce pas ? demanda-t-elle tout coup.
La conversation des deux hommes cessa brusquement.
Non, rpondit Sean. Je suis dsol, mais je crains que
ce ne soit impossible.
Madeline hocha la tte.
-
Je men doutais. Cest seulement que... mme sans
cette affaire dhritage, un week-end entier avec mon
demi-frre risque dtre une exprience prouvante.
Ce quil te faudrait, cest une escorte arme.
Tu as raison, rpondit-elle en riant. Un garde du
corps grand et costaud.
Pendant que Madeline et Sean changeaient des
plaisanteries comme sils navaient pas un souci au
monde, Spike dgustait son omelette et se laissait aller
ses penses.
Ce rve...
Trs tt ce matin, il avait fait un rve
extraordinairement raliste o Madeline jouait le
premier rle. Ils taient dans les bras lun de lautre sur
une plage de sable blanc, changeant des baisers et des
caresses, puis ils avaient fait lamour, et la jeune femme
stait avre la plus merveilleuse des amantes.
Ce qui ne lavait pas rellement surpris.
Alors quil tentait de se souvenir de tout ce quils
avaient fait ensemble durant ces merveilleux moments, il
eut limpression quon lobservait, et il leva les yeux.
-
Sean le dvisageait dun air songeur.
Quy a-t-il ? demanda-t-il.
Sean se tourna vers Madeline, semblant lencourager du
regard.
La jeune femme toussota pour sclaircir la voix.
Euh... Spike, je... Accepteriez-vous de venir passer le
week-end prochain avec moi dans notre maison
familiale, Greenwich ? Mon demi-frre y reoit
quelques amis, et il y aura un dner ou deux. Des
rjouissances typiques de fin de semaine la campagne.
Spike frona les sourcils. A lvidence, elle ntajt pas
trs enthousiaste lide de retrouver sa famille.
Pourquoi alors choisir dajouter son malaise en
amenant un tranger avec elle ?
Puis il se rappela brusquement la faon dont elle lavait
regard lorsquelle avait appris quil tait un chef rput.
Mais bien sr ! Quel meilleur moyen de rabattre le
caquet sa famille snobinarde que de se prsenter chez
eux en compagnie dune sorte de voyou tatou dans son
genre ?
Mais pourquoi cette ide lui faisait-elle aussi mal ?
-
Dsol, rpondit-il, mais ce nest pas ma tasse de th.
Allons, Spike, intervint Sean, tu feras un cavalier
parfait, mon vieux.
Elle na pas besoin dun cavalier mais dun
pouvantail, nest-ce pas, Madeline ?
Ignorant le regard bless de la jeune femme, Spike se
leva tranquillement pour aller poser son assiette dans
lvier avant dajouter :
Je dois avouer que jai le bon look pour le rle, mais
je pense tout de mme quelle ferait mieux de se chercher
un autre marginal pour choquer sa famille. Elle pourrait
mme sen acheter un tout elle sil lui en prenait
fantaisie. Elle a assez dargent pour cela. Il lui suffirait
alors de le sortir du placard lorsquelle aurait besoin
dun peu daction la maison.
Il crut entendre un gmissement touff derrire lui
mais nen tint pas compte et se dirigea tout droit vers la
porte.
Je te souhaite un bon voyage, Sean ! lana-t-il sans se
retourner. Je tappellerai. Merci pour ton hospitalit.
-
Il avait travers le hall de limmeuble et venait de sortir
sur le trottoir de Park Avenue lorsquil entendit
quelquun crier son nom derrire lui. Il se retourna et vit
Sean qui courait vers lui, pieds nus et visiblement
furieux.
Quest-ce qui ta pris, Moriarty ? gronda-t-il en le
rejoignant. Pourquoi as-tu fait cela ? Mad ne mrite pas
quon la traite ainsi !
Parce que tu trouves normal quelle veuille se servir
de moi ?
Jexige que tu lui prsentes tes excuses.
Pas de problme. Dis-lui que je suis dsol. A plus
tard, Sean.
Spike se retournait dj lorsquune main de fer vint se
poser sur son avant-bras.
Ecoute, Spike, elle na pas voulu...
As-tu vu son expression lorsque tu lui as dit que
jtais le meilleur chef de la rgion ? Il est vident quelle
me considre comme un infrieur, socialement parlant.
Et mme si cest vrai, je nai pas besoin que lon vienne
me le rappeler.
-
Bon sang, pourquoi es-tu aussi susceptible en sa
prsence ? Cela ne te ressemble gure, mon vieux.
Spike prit une profonde inspiration et essaya de se
dtendre. A prsent, une migraine sourde battait ses
tempes.
Ecoute, nen parlons plus, daccord ? reprit-il. Mais
dis-lui que je suis dsol si je lai blesse.
Je veux que tu laccompagnes l-bas.
Spike secoua la tte.
Excuse-moi, Sean, mais jai dit que je nirai pas, et
jtais srieux.
Mais tu serais parfait ! insista Sean. Et pas seulement
pour faire enrager son demi-frre. Je sais que tu ne te
laisses pas impressionner par toutes ces singeries
mondaines, et tu ne te sentiras pas offens par tout ce
que Richard Maguire pourra faire ou dire. Et surtout, si
tu acceptais de laccompagner, Mad ne serait pas toute
seule au milieu des fauves.
Premirement, Madeline Maguire nest pas le genre
de femme avoir besoin de troupes de choc pour se
dfendre.
-
Avec sa famille, si.
Deuximement, pourquoi ne demande-t-elle pas
lun de ses amis de laccompagner ?
Parce quelle nen a aucun.
Spike ouvrait dj la bouche pour noncer sa troisime
objection lorsquil comprit le sens des paroles de Sean.
Quoi ?
Sean carta les bras en un geste dimpuissance.
Mad vit une existence trs... solitaire, et elle a de trs
bonnes raisons de ne plus accorder sa confiance
nimporte qui. Les seules personnes qui lui sont proches
sont les membres de son quipage, et...
Pourquoi ne demande-t-elle pas lun deux ?
Ils sont coincs aux Bahamas, occups rparer des
avaries sur leur voilier. Ecoute, cette rencontre avec son
demi-frre risque dtre orageuse, et ta prsence serait
rassurante pour Mad. Et... qui sait ? Quelque chose
natra peut-tre entre vous.
Hum.
Tu lui plais. Elle me la dit elle-mme.
-
Spike fixa le trottoir, secouant la tte.
Non, je...
Sil te plat, Spike. Va avec elle.
Je ne peux pas...
Si tu ne le fais pas pour elle, fais-le au moins pour
me rendre service. Seigneur, Spike ! Jai attendu des
annes que cette femme pose les yeux sur un homme. Et
cest toi quelle a remarqu. A la soire dhier, elle a
pass des heures attendre ton arrive. Elle est
vraiment...
Arrte ! protesta Spike, prsent proche de la
panique. Je ne...
Toi aussi, elle te plat, je le sais.
Spike poussa un soupir fendre lme.
Tu as raison, mon vieux, elle me plat beaucoup,
murmura-t-il, comme regret. Mad est... spciale.
Jadorerais laccompagner, mais, mme si elle me
trouvait attirant, ce que je refuse de croire malgr tout ce
que tu pourrais en dire, je ne suis pas le genre dhomme
quelle envisagerait de prsenter sa famille.
-
Ridicule ! rtorqua Sean. Nous ne nous connaissons
pas depuis trs longtemps, mais tu es lun de mes
meilleurs amis, et je me vante dtre un excellent juge
des caractres. Et dailleurs, je te signale que cest aussi le
cas de Madeline.
Sean, coute-moi ! Je ne suis pas lhomme quil lui
faut.
Pourquoi ? Donne-moi une seule bonne raison. Et ne
me parle pas de tes tatouages, car je tiens de source sre
que les femmes les adorent.
Comme tu dis, tu ne me connais pas depuis trs
longtemps, fit remarquer Spike, soupirant de nouveau. II
y a beaucoup de choses que tu ignores mon sujet. Jai
un pass plutt charg, Sean OBanyon.
Ah oui ? Et lequel ?
Spike plongea son regard dans le sien et hsita avant de
rpondre.
Cinq ans et demi au pnitencier de Comstock pour
homicide, laissa-t-il tomber. Jai tu un homme de mes
propres mains.
-
Sean le dvisagea dun air incrdule, et Spike jura entre
ses dents. Il tenait beaucoup lamiti de Sean, mais il ne
pouvait pas minimiser la gravit du geste qui lavait
conduit derrire les barreaux. Il avait pris la vie dun
autre tre humain, mme sil sagissait dun odieux
personnage.
Cest une lourde peine, reprit Sean. Quel ge avais-tu
lpoque ?
Vingt-cinq ans.
Referais-tu la mme chose ?
Oui, si les circonstances taient les mmes.
Il y eut un long silence, puis Sean demanda dune voix
douce :
Comment est-ce arriv ?
Ce type tait en train de battre ma sur mort avec
une batte de base-ball tout en hurlant quil laimait.
Ctait elle ou lui, et jai prfr la sauver, elle.
Je suis content que tu men aies parl, dclara Sean
en se dtendant. Et pas seulement cause de Mad.
-
Comprends-tu prsent pourquoi je ne peux pas
faire partie de sa vie ? Mme si elle voulait de moi ?
Pas du tout, rpliqua Sean. Et je suis mme prt
parier que si tu lui disais...
Jai dj essay avec une femme. Elle ma quitt
quelques jours aprs. La plupart dentre elles ne se
sentent pas trs laise avec un tueur, et je ne peux pas
leur en vouloir. Moi non plus je ne suis pas trs fier de ce
que jai fait.
Mad nest pas une femme comme les autres.
Spike haussa les paules.
Peut-tre. Mais je suis sr quelle peut trouver une
escorte plus prsentable que moi pour la soutenir dans la
petite escarmouche familiale quelle sapprte
affronter.
Je pense que tu la sous-estimes, observa Sean,
secouant tristement la tte. Mais rassure-toi, je ne lui
dirai rien.
Sauf que je suis dsol.
Oui, je peux lui dire au moins cela.
-
Il y eut un nouveau long silence entre eux.
Spike sentait que son ami scrutait attentivement son
visage, rflchissant sans doute aux implications de ce
quil venait dapprendre. Un personnage tel que lui,
vritable acteur de la vie financire, ne pouvait se
permettre dtre vu en compagnie dun repris de justice
violent dans son genre.
Cela ne fait rien, Sean, dit-il dune voix douce. Je
comprends.
Tu comprends quoi ?
Je ne ten veux pas, mon vieux. Toi et moi pouvons
suivre notre propre chemin. Je meffacerai sans faire
dhistoires.
Mettons les choses au clair, Moriarty, rtorqua Sean,
fronant les sourcils. Crois-tu vraiment que je
renoncerais notre amiti cause de cette histoire ?
Et pourquoi pas ?
Mon vieux, tu es tomb sur la tte.
-
Avant que Spike nait le temps de rpondre, Sean
avana dun pas et le serra dans ses bras de toutes ses
forces, puis il scarta de lui en riant.
Jai un scoop pour toi, Spike. Moi aussi jai eu
quelques dmls avec la justice lorsque jtais
adolescent, de vieilles histoires heureusement enterres
dans les archives du tribunal de Boston. Et je fais des
affaires tous les jours avec des hors-la-loi en col blanc.
Pas question que je te laisse tomber pour si peu. Pour qui
me prends-tu ?
Spike rencontra le regard de Sean, et une vague
dmotion lui serra la gorge.
Nous sommes amis et nous le resterons, dclara Sean
dun ton srieux. Compris ?
Compris, rpondit Spike, la voix rauque.
***
Dans lappartement de Sean, Madeline rangea la
vaisselle du petit djeuner, puis se retira dans la
chambre damis.
Le lit dans lequel Spike avait dormi tait refait la
perfection.
-
Il ne restait plus aucune trace de sa prsence.
La jeune femme alla sasseoir dans le fauteuil et resta
un long moment perdue dans ses penses.
Elle ne pouvait pas vraiment en vouloir Spike davoir
ragi ainsi son invitation. Aprs tout, ils se
connaissaient peine. Elle regrettait seulement de ne pas
avoir eu le temps de sexpliquer avec lui avant quil ne
parte.
Bien sr, elle aurait apprci quil ait suffisamment
confiance en elle pour ne pas simaginer quelle voulait
se servir de lui, ou de qui que ce soit, dans un but
goste.
Comment avait-elle pu croire quil envisagerait un seul
instant de passer un long week-end en sa compagnie ?
Elle tendit loreille, esprant entendre la porte souvrir.
Elle esprait que Sean ntait pas en train de se disputer
avec Spike sur le trottoir. Elle avait bien tent de le
retenir, mais autant sefforcer darrter un train express
en marche.
Elle se sentit soudain puise. Peut-tre devrait-elle
dormir un peu. Elle jeta un coup dil au lit dans lequel
-
elle avait pass la nuit, et cest alors quelle remarqua
loreiller sur le sol au pied de lautre lit. Elle se leva et
traversa la chambre pour aller le ramasser. Elle sentit
aussitt ce parfum si particulier dafter-shave, comme si
Spike lavait tenu contre sa joue.
Elle pressa loreiller sur son visage, simprgnant de ce
parfum qui fit revivre Spike un instant encore, et le remit
sa place en soupirant.
Cet homme ne serait jamais elle.
-
4.
Une semaine plus tard, dans son coup sport arrt en
plein soleil, Madeline songeait que lun des principaux
avantages de locan, ctait que lon ny affrontait jamais
les embouteillages. En ce dbut de long week-end,
lautoroute de New York stait transforme en un vaste
parking, et il lui semblait quelle attendait depuis des
heures.
A bout de patience, elle consulta sa montre. Il tait 18 h
30, ce qui signifiait qu lautre bout de ce ruban
dasphalte surchauff, la rsidence familiale des
Maguire, son demi-frre avait dj donn le signal pour
que les hors-duvre soient servis. Les desserts seraient
expdis ds 20 heures. Caf, cognac et cigares pour les
hommes seraient offerts sur la terrasse tout de suite
aprs, et tous les invits auraient quitt la maison 21
heures prcises. Cela avait toujours t le programme de
son pre, et elle tait certaine que Richard lavait adopt
sans rien y changer depuis quil lui avait succd la
tte de la famille. Les rceptions chez les Maguire taient
rgles avec un ordre quasi militaire.
-
Elle songea au week-end qui lattendait.
Lheure tait venue pour elle de mettre les choses au
clair avec son demi-frre, et elle devait se concentrer sur
lpreuve qui sannonait comme un dangereux parcours
dobstacles o se jouerait son avenir.
Une athlte accomplie comme elle, qui nhsitait pas
se mesurer aux caprices des ocans, ne devait pas se
sentir aussi nerveuse lide de dfendre ses intrts
face sa famille. Ctait idiot. Cependant une sourde
inquitude lui nouait la gorge. Bien sr, elle navait pas
eu se confronter eux depuis longtemps. Sa carrire
sur locan lui avait permis de tourner le dos tous ses
vieux problmes et, en lui vitant tout contact avec
Richard et Amelia, lavait berce du sentiment trompeur
que tout allait pour le mieux dans le meilleur des
mondes...
De toute faon, sa philosophie avait toujours t de fuir
toute forme de conflit.
Peut-tre devait-elle se rjouir que cette histoire
dhritage la force enfin regarder les choses en face ? Il
tait parfois salutaire dtre oblig daffronter son
dragon personnel.
-
Et elle nallait pas au combat sans allis, mme si elle
tait seule dans la voiture. Elle avait retenu les services
de lavocat que lui avait conseill Sean. Mick Rhodes
stait montr trs professionnel lorsquelle stait
entretenue avec lui dans son cabinet. Il avait pris
connaissance des documents quelle avait apports avec
elle, lui avait expliqu la procdure quil comptait suivre
et la raction probable de Richard, une raction quil ne
semblait pas craindre outre mesure.
Rhodes tait un avocat connu, respect et craint, et
Madeline savait quil ne lavait accepte comme cliente
que pour faire plaisir Sean. Avec un tel atout dans sa
manche, elle savait quelle navait rien craindre des
manuvres de son demi-frre.
Sauf que, bien sr, cet pisode ntait quune partie de
leur histoire. Richard et elle avaient t runis contre
leur gr par le remariage de leur pre. Aujourdhui, le
vieil homme ntait plus, mais le lien familial se
poursuivait travers lentreprise quil avait cre, ainsi
qu travers les rancurs quil avait, hlas, aussi laisses
en hritage ses enfants.
-
Quarante-cinq minutes plus tard, Madeline aperut le
panneau de signalisation indiquant la bretelle de
Greenwich. En sortant de lautoroute, elle tenta de se
rappeler quand remontait sa dernire visite la
rsidence familiale. Elle ny tait plus retourne depuis
le dcs de son pre.
Presque cinq ans.
Richard avait hrit de la proprit, et la jeune femme
tait prte parier que rien ny avait chang depuis quil
sy tait install ; son demi-frre admirait leur pre
jusqu lobsession et ne rvait que de prendre sa place
et de lui ressembler.
Elle traversa le centre de la petite ville, reconnaissant
avec plaisir certaines boutiques dont elle se souvenait,
remarquant que beaucoup dautres avaient pouss
comme des champignons. Ici, elle avait achet du papier
lettres. L-bas, elle avait dgust les meilleures glaces
de sa vie. Lors de ces visites en ville, elle avait t
accompagne de divers chaperons : la nounou, la
gouvernante, la cuisinire, et ce quelle aimait le mieux,
dans ces excursions, ctait quelles lui donnaient
-
loccasion de passer un peu de temps avec des personnes
dont elle aimait la compagnie.
A quelques rues de l, elle reconnut les grands piliers
de pierre de lentre de la proprit, avec la plaque de
bronze o se dtachait le nom des Maguire en lettres
lgantes. Reprise soudain dune sourde angoisse, elle
sengagea dans lalle ombrage qui conduisait jusqu
la maison.
Dtends-toi, murmura-t-elle. Tout ira bien. Tout ira
bien parce que tu feras ce quil faut pour que tout aille
bien.
Elle respira bien fond et seffora de se concentrer sur
la splendeur de la nature tout autour delle. Au-del des
grands rables qui formaient un tunnel de verdure,
limmense pelouse soigneusement entretenue ondoyait
linfini comme une mer dun vert tendre. La lumire
dclinante de cette fin daprs-midi filtrait travers les
hautes frondaisons, claboussant lalle dune lumire
dore. On aurait dit un tapis de pices dor tombes du
ciel.
Elle songea malgr elle aux yeux de Spike comme cela
lui arrivait de plus en plus frquemment, et ce, aux
-
moments les moins opportuns. Comme cet instant. Ou
lorsquelle tentait de sendormir.
Dcidment, Spike et elle taient partis du mauvais
pied. Leurs deux uniques rencontres avaient t trop
brves. Si seulement ils avaient eu plus de temps
ensemble...
Mais quelle diffrence cela aurait-il fait ? Il prfrait les
blondes vapores, comme ces potiches jumelles, et elle
ne leur ressemblerait jamais.
Pourtant, mme si ctait une folie, elle esprait le
revoir. Peut-tre au mariage dAlex et Cassandra, si le
calendrier de sa saison de courses lui permettait dy
assister.
Ou peut-tre... jamais plus.
A cette pense, elle se sentit envahie dun grand vide et
dune grande tristesse.
Assez ! Elle sapprtait affronter la colre de Richard,
et elle ne devait pas gaspiller son nergie avec un sujet
aussi pathtique que son attirance pour un homme
inaccessible.
-
Au dtour du dernier virage de lalle, elle ralentit
malgr elle.
La maison o elle avait pass son enfance se dressait
prsent devant elle, impressionnante faade de briques
rouges rehausse de grandes colonnes blanches. Vingt et
une pices sur trois hectares de parc en plein centre de
Greenwich.
Leur pre avait acquis cette proprit lpoque o
Value Shop avait fait son entre en bourse, dans les
annes soixante-dix. Ctait exactement le genre de
rsidence qui convenait un magnat des affaires : la
maison la plus chre dans le quartier le plus hupp.
Mais ctait la grande pelouse que Madeline prfrait.
Ctait un terrain idal pour attraper des libellules ou
faire la roue. Quant au reste de la maison, la faade
classique, les pices somptueusement meubles et
dcores, elle ny avait jamais fait vritablement
attention, hormis sa chambre, vritable le de bonheur o
elle se rfugiait souvent, loin des mchancets de
Richard et dAmelia.
Plusieurs voitures taient gares dans lalle circulaire.
Elle rangea son coup entre deux grosses berlines de
-
luxe, mit pied terre et rcupra son sac de marin sur le
sige arrire.
Elle lana au ciel une prire silencieuse, puis redressa
les paules et se dirigea crnement vers le perron.
Le majordome qui vint lui ouvrir la porte tait un
inconnu, mais il tait en livre. Richard Maguire senior
avait toujours exig que les gens de maison portent un
uniforme et, lvidence, Richard avait perptu la
tradition.
Oui ? fit lhomme dun ton guind.
Je suis Madeline Maguire, la demi-sur de Richard.
Mademoiselle est attendue. Puis-je me charger des
bagages de mademoiselle et les porter dans sa chambre ?
Oui, je vous remercie. Sont-ils dj tous installs ?
En effet, mademoiselle. Mademoiselle dsire-t-elle se
changer pour dner ?
Non. Cest inutile. Je ne suis dj que trop en retard.
Elle le remercia encore, puis, prenant une profonde
inspiration, sapprta entrer dans la fosse aux lions. A
en juger par le brouhaha de voix qui lui parvenait de la
-
salle manger, il y avait bien une vingtaine de convives,
ce soir. Cela non plus ntait pas une surprise. Son pre
avait toujours soutenu que ctait un nombre idal ;
suffisamment intime pour pouvoir mener une
conversation deux, et suffisamment public pour
dsamorcer dventuelles rivalits.
Prsidant comme il se doit en bout de table, Richard
leva les yeux vers elle linstant o elle apparut sous
larche de lentre. Ce fut un choc de le revoir. Pourtant il
tait rest le mme : une image de mode avec ses
cheveux blonds soigneusement coiffs, son bronzage
impeccable, son corps soigneusement entretenu... et ses
yeux froids comme des camras de surveillance.
Les conversations cessrent aussitt, et Richard dtailla
le pantalon dt kaki et le polo quelle portait avec une
dsapprobation vidente. Rsistant lenvie de faire
demi-tour et de senfuir en courant jusqu sa voiture,
Madeline jeta un coup dil rapide aux convives assis
autour de la table dans une alternance parfaite, un
homme, une femme, tous en tenue de soire. Un groupe
compass des plus grosses fortunes de la ville, mais
-
aucun deux navait lair de stre laiss aller rire
depuis des dcennies.
Je suis dsole dtre en retard, sexcusa-t-elle sans
sadresser personne en particulier.
La circulation devait tre pouvantable, fit
remarquer Richard dun ton uni.
Puis, indiquant la place sa droite dun geste du
menton :
Installe-toi ici.
Sefforant dignorer les murmures et les regards,
Madeline fit le tour de la longue table pour sinstaller
ct de son demi-frre, un sourire de circonstance aux
lvres, comme une candidate un concours de beaut
sur le point de se faire liminer par un jury hostile.
Richard ne perdit pas de temps pour lui dvoiler le
fond de sa pense :
Tu aurais pu tlphoner, chuchota-t-il dun ton
furieux ds quelle fut assise prs de lui.
Je nai pas de mobile.
-
Tu dois tre la dernire personne du pays ne pas en
possder un.
L-dessus, il lui tourna le dos et, sadressant sa
voisine de gauche, se mit parler de chevaux comme sil
reprenait une conversation aprs avoir t grossirement
interrompu.
Madeline sirota une gorge deau et attendit
patiemment que lon vienne lui prsenter le plat de hors-
duvre, piant discrtement son frre du coin de lil.
A mieux y regarder, Richard avait chang. A prsent, il
ne ressemblait plus seulement leur pre : il tait
devenu une vritable copie conforme du vieil homme,
trnant devant ses riches convives au bout de la grande
table somptueusement dresse. Il portait mme la
chevalire de leur pre son doigt.
Ctait une ressemblance hallucinante, comme si le
patriarche tout-puissant stait rincarn en lui. Ctait
sans doute la raison pour laquelle elle stait toujours
sentie aussi faible face Richard, plus encore qu cause
des perscutions quil lui avait fait subir lorsquils
taient enfants.
-
Nai-je pas raison, Madeline ? lana brusquement
Richard.
Euh... pardon ?
Pnlope commentait lexposition Rubens au
Metropolitan
Museum, et je lui expliquais que tu ne lavais
probablement pas vue, car ce genre dvnement ne
tintresse pas du tout.
Oh, j