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L’ESTUAIRE EN SEINE LES RAISONS D’AGIR
5 PRÉFACEantoine rufenacht
7 INTRODUCTION À UN PARCOURS DANS L’ESTUAIRE DE LA SEINEjacques leenhardt
17 VIVRE LA MÉTAMORPHOSE MÉTROPOLITAINE DE L’ESTUAIRE DE LA SEINEchris younès
31 PRODUIRE, HYBRIDER, MÉTROPOLISERmartin vanier
53 RÉINVENTER LES RELATIONS VILLES/CAMPAGNESPOUR UNE TRANSITION SOCIO-ÉCOLOGIQUE DE L’ESTUAIRE
olivier mora
75 LE GATEWAY DE LA SEINE, UNE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE DU XXIE SIÈCLEdominique dhervillez / juliette duszynski
85 LA PORTE DU GATEWAY DE LA SEINE, LE GRAND PARC DE L’ESTUAIREantoine grumbach, jean-robert mazaud
101 LE HAVRE 2020bruno fortier
109 L’ESTUAIRE, LA VILLE CONSTELLATIONfrédéric bonnet
129 POSTFACEédouard philippe
L e présent ouvrage marque une étape majeure dans la collaboration entre les élus de l’Estuaire de la Seine commencée en 1998. D’une simple rencontre entre élus des 5 pays,
la création du Comité des Elus de l’Estuaire a permis de construire des échanges sans pour autant leur donner un formalisme qui n’était pas recherché.
Cette collaboration entre les élus de l’Estuaire construite étape par étape a abouti à la certitude d’un avenir commun. Pour en avoir été à l’origine je ne peux que me féliciter de voir combien cette collaboration est en train d’éclore avec la création du Pôle métropolitain de l’Estuaire.
De grands enjeux sont à venir. La dynamique engagée sur la Vallée de la Seine avec lamobilisation des CCI, des ports et des collectivités locales, permettra de démontrer combienla position de l’Estuaire est stratégique dans un espace majeur du développement de notre pays.
L’ouvrage que vous avez entre les mains résulte de l’appel à de nombreux intervenants de très haut niveau dans différentes spécialités qui ont été mobilisés par l’AURH. Les contributions qu’ils apportent sont les propos qu’ils ont tenus devant nous et qui ont fait l’objet d’échanges passionnants. Ces propositions ne forment pas un projet pour l’Estuaire, ce qui sera le sujet du Pôle Métropolitain, mais montrent combien il est nécessaire de prendre notre destin en main. Ce sont « les raisons d’agir ».
C’est à partir de tous ces éléments que sera élaboré un plan d’actions pour les années à venir. Je tiens à remercier tous ces acteurs pour la qualité de leur réflexion, les libertés qu’ils ont su prendre et leur implication au service de l’Estuaire de la Seine.Cet ouvrage a l’ambition de servir de socle de référence aux perspectives de notre territoire.Il est imaginé pour durer et la qualité de présentation est au rendez-vous.
Le plus enthousiasmant reste à écrire et surtout à réaliser. Ce sont les grandes actions métro-politaines qui assureront un avenir d’innovation à ce beau territoire de l’Estuaire de la Seine auquel je crois profondément.
Antoine RufenachtPrésident de l’AURH, Agence d’Urbanisme de la Région du Havreet de l’Estuaire de la Seine / Président du Comité des Élus de la Seine
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J amais les territoires qui forment le grand Estuaire de la
Seine ne se sont trouvés devant d’aussi passionnantes
échéances. Depuis quelques décennies, le monde s’est à
nouveau ouvert, modifiant parfois avec une certaine bru-
talité les grands axes d’échanges, multipliant rencontres,
connaissances et confrontations. Dans cette nouvelle mon-
dialisation, la Normandie occupe une position stratégique.
Entre le développement du Grand Paris, qui doit trouver
son rythme et sa forme au cours des prochaines décennies
et les vastes horizons du monde qui viennent accoster au
port du Havre, comme à d’autres en Europe, la Norman-
die et singulièrement l’Estuaire de la Seine sont décidés à
pleinement s’inscrire dans la nouvelle dynamique.
Un bref regard en arrière nous apprend qu’au cours de
l’histoire, cette même Normandie, si riche de ses archi-
tectures et de ses industries, si belle de ses paysages et de
ses trésors, n’a pas cessé de se transformer et d’in venter
les formes sus cep tibles de préserver son identité tout en
jouant pleinement son rôle dans
le grand concert des peuples.
Les élus et les citoyens se re trou-
vent aujourd’hui réunis pour don-
ner une nouvelle cohérence aux
projets engagés.
JACQUESLEENHARDT
INTRODUCTIONÀ UN PARCOURS
DANSL’ESTUAIRE
DE LA SEINE
Comité des Élus de l’Estuaire ldu 28 novembre 2011.
La Normandie a ouvert ses bocages aux chevaux et
aux touristes, ses ports aux paquebots et aux contai-
ners. Ses champs produisent pour la Chine, et le Bré-
sil lui envoie son café. La terre et la mer, le port et
l’arrière pays fourmillent d’activités et d’échanges
qui mettent en valeur ces contrastes et ces traditions.
D’un bout à l’autre du territoire, la Normandie éternelle
a compris que son avenir se jouait désormais non seu-
lement dans la liaison historique reliant par la Seine la
côte atlantique à Rouen et Paris mais également dans la
recomposition mondialisée de l’Europe. Une géographie
nouvelle s’est inscrite dans les esprits qui fait de l’Estuaire
de la Seine l’entrée de la mégalopole qui se construit autour
de Paris, son fleuve et ses ports et projette Le Havre dans
un réseau élargi comprenant Londres, Rotterdam, New
York, Shanghai et São Paulo.
Il est remarquable que ce fut au xvie siècle, quand la
Méditerranée entrait en déclin après avoir été le « centre
du monde » durant tant de siècles comme le souligne Fer-
nand Braudel, que François Ier fonda Le Havre tandis que
Henri II recevait à Rouen en 1 550 les premiers ambas-
sadeurs des peuples autochtones de l’Amérique, ouvrant
le nouvel axe atlantique de la mondialisation. La Grande
histoire frappe une fois de plus à la porte de la Normandie
qui n’entend pas se laisser exclure des nouvelles propor-
tions du monde.
Il y a dans cette volonté de relever le défi la conscience que
l’Estuaire, vaste territoire qui s’étend des portes de Caen
aux falaises de Fécamp, constitue une pièce maîtresse du
grand puzzle en train de se mettre en place en Europe. La
position de l’Estuaire est stratégique, même si la variété
de ses terroirs, riches d’industries et de traditions diverses,
“Une géographie nouvelle s’est inscrite dans les esprits qui fait de l’Estuaire de la Seine l’entrée de la mégalopole qui se construit autour de Paris, son fleuve et ses ports et projette Le Havre dans un réseau élargi comprenant Londres, Rotterdam, New York, Shanghaiet São Paulo.”
L’Estuaire est ouvert sur le monde : la Chine, les Amé-riques,…, mais c’est aussi un milieu habité au jour le jour. Voilà deux chances complémentaires.
Ces dimensions ne sont pas contradictoires : l’enjeu est bien de tirer profit de ce lien avec l’économie mondialisée sans renier la qualité intrinsèque de liens plus locaux plus familiers entre villes, villages, champs et industries…
Le monde familier de l’Estuaireest aussi ouvert sur le monde :une double chance
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lisation et rencontra en 1 562 à Rouen les Indiens du Brésil
a su en dégager le message essentiel dans ses Essais : “dans
toute confrontation nouvelle, la vraie intelligence consiste
à se faire soi-même agilité et partage”.
De fait, le changement d’échelle qui a saisi le monde, et
auquel notre vie quotidienne est soumise, exige de nous
intelligence et mouvement. Deux textes abordent ces
enjeux en se focalisant sur les domaines de l’industrie et
de l’agriculture. Ils cernent chacun à sa manière les enjeux
auxquels les territoires de l’Estuaire sont confrontés et les
solutions de prudence et renouvellement de nos savoirs.
Mais il ne servirait à rien de partir à la conquête des pos-
sibilités qui nous sont ouvertes si nous ne prenions aussi
l’exacte mesure des difficultés que comporte toute trans-
formation profonde d’un territoire et de ses équilibres
traditionnels. Les bouleversements se font souvent au
détriment de populations condamnées à les subir. Certains
risquent d’être emportés par des processus dont on aura
dissimulé les effets pervers dans les replis d’une rhétorique
de conquête. Si le changement est nécessaire et garantit
les conditions de vie des générations à venir, il peut arriver
qu’il laisse certains sur le bord du chemin, qu’on n’aura pas
aidé à s’y préparer. Ces risques et menaces méritent une
réflexion sérieuse, en quelque sorte préalable à l’élaboration
des belles perspectives qui attendent l’Estuaire lorsqu’il
aura pleinement pris en main son destin métropolitain.
Les chapitres consacrés aux industries et aux agricultures,
à leurs transformations selon des logiques nouvelles de
partage et de mise en réseau font apparaître une meil-
leure efficacité de ce que nous y investissons, en temps,
en énergie, en travail et en capital. Cela implique aussi
que nous prenions un certain recul par rapport à l’Estuaire
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pourrait constituer un handi-
cap. C’est pourquoi l’ambition
de la métropolisation consiste
précisément à faire de cette
extraordinaire complexité une intelligence collective et
une diversité articulée. Un tel projet de cohérence cesse
d’être un rêve utopique dès lors qu’on se souvient que
nous ne vivons plus dans un monde de rigidité môlaire,
où le pouvoir est un, le savoir monolithique et l’indus-
trie monopoliste. Les acteurs et les dynamiques diffuses
entrent désormais en connexion pour le plus grand pro-
fit de chacun. Demain, la production d’énergie aura lieu
partout grâce au vent et au soleil, voire au pétrole vert,
distribuée jour et nuit grâce au mixte énergétique et aux
interconnexions. Des réservoirs gigantesques permettront
d’en contrôler le flux. Il en sera de même dans tous les sec-
teurs, aux champs et à la ville, dans les loisirs et au travail
où l’économie circulaire s’installera.
Dès lors les contrastes qui constituent le territoire de l’Es-
tuaire, dont on aurait pu craindre qu’ils ne retardent la mise
en commun et le développement des réseaux, doivent être
considérés comme autant d’atouts. Cette diversité a créé
au fil du temps des habitats spécifiques et des habitudes
qui constituent un véritable trésor de traditions, garantes
d’excellence. Ces richesses portent vers l’extérieur un mes-
sage de qualité et de dynamisme qui développera dans
nos campagnes et nos industries l’innovation qui attire les
visiteurs et les travailleurs.
Le monde se recompose aujour -
d’hui sous la loi de la diversité
absolue. Montaigne, qui fut le
témoin de la première mondia-
“Dès lors les contrastes qui cons-tituent le territoire de l’Estuaire, dont on aurait pu craindre qu’ils ne retardent la mise en commun
et le développement des réseaux, doivent être considérés comme
autant d’atouts.”
“L’ambition de la métropolisa-tion consiste précisément à faire
de cette extraordinaire complexité une intelligence collective
et une diversité articulée.”
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proprement dit afin de mieux embrasser le grand système
de relations dans lequel celui-ci se trouve inclus et au sein
duquel il aspire à pleinement jouer son rôle et faire valoir
ses atouts.
L’agglomération tentaculaire du Grand Paris, qui a lente-
ment pris conscience qu’elle étouffait dans ses limites admi-
nistratives et son dysfonctionnement
urbain, affiche désormais la volonté de
reconfigurer son territoire. Un projet
émerge peu à peu de mille réflexions,
brisant des tabous anciens et ouvrant du
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“Le Grand Paris ne saurait se concevoir sans son cor-don ombilical et ses ports. L’intégration de sa façade
atlantique donne enfinà Paris son véritable profil
de mégalopole mondiale.”
“La positionde l’Estuaireest stratégique”
même coup des perspectives nouvelles sur la logique de
l’espace mégalopolitain. Une chose est sûre : le Grand Paris
ne saurait se concevoir sans son cordon ombilical et ses
ports. L’intégration de sa façade atlantique donne enfin à
Paris son véritable profil de mégalopole mondiale.
Ce changement d’échelle bouscule bien des habitudes et
des positions acquises. C’est une invite adressée à tous
les acteurs, y compris ceux de l’Estuaire, à repenser leurs
manières de produire, de se transporter, de se nourrir et
de se divertir dans ce nouvel espace. Le Comité des Élus
de l’Estuaire s’en est emparé et l’Agence d’Urbanisme
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de la Région du Havre et de l’Estuaire
de la Seine (AURH) s’est mise au travail
pour proposer des solutions techniques et
administratives. Cet ensemble de réflexions
débouche finalement sur une double affirmation : l’Es-
tuaire de la Seine a sa propre histoire, ses richesses et
son bien-être dont nul n’entend se séparer ; il sait égale-
ment qu’il est impératif pour lui de se penser à l’intérieur
d’une dynamique européenne et mondiale dont le pre-
mier appui est la mégalopole parisienne. A l’articulation
de ces deux constats potentiellement contradictoires, une
certitude : c’est en s’affirmant comme un territoire métro-
politain que l’Estuaire résoudra au mieux les tensions qui
autrement risqueraient de le déchirer.
La dynamique de métropolisation s’offre à la région
comme une possible solution dont la création de la ligne
rapide LNPN (Ligne Nouvelle Paris Normandie) consti-
tue à la fois le symbole et la condition. Mais chacun sait
qu’aucun TGV ne produit d’effets positifs par soi-même
si sa mise en place n’accompagne pas un projet de déve-
loppement clairement porté par les territoires eux-mêmes.
Il faut donc que le pôle estuarien élabore ses réponses,
conformément à son caractère de métropole diverse et
diffuse, mais aussi que son ambition soit telle
qu’elle soit en mesure de jouer pleinement
son rôle d’équilibre par rapport à la méga-
lopole parisienne. C’est des spécificités de
son territoire industriel, agricole, touristique
o Dans le projet du Grand Paris esquissé par l’architecte Antoine Grumbach, l’Es-tuaire est mis sur le devant de la scène, incarnant la façade maritime dont doit disposer Paris pour garder son statut de Ville-Monde. Pour répondre à ce défi, le Comité des Élus de l’Estuaire a souhaité donner un sens à l’action. Il a commandé trois études à trois échelles : « Le Havre Cœur de Métropole » confiée à Bruno For-tier, « La Porte du Gateway » menée par Antoine Grumbach & Associés et Jean-Ro-bert Mazaud, et « l’Atelier du Grand Ter-ritoire de l’Estuaire » piloté par Jacques Leenhardt avec une équipe d’experts. L’emboîtement des échelles d’études s’inscrit dans le projet « Seine Gateway ».
Le Havre Coeur de Métropole
La Porte du Gateway
Atelier Grand territoire
Seine Gateway
Ouverture internationale
Rotterdam
New-York
Hong-Kong
Melbourne
Shangaï
Dakar
Bassin méditérannéen
Newhaven
o
o
o
o
o
oo
Evreux
Compiègne
Beauvais
Dieppe
Ouistreham
Paris
RouenFécamp
Caen
Le Havre
Seine Aval Ile-de-FranceDeauville-Trouville
BolbecLillebonne
Nd de Gravenchon
Honfleur
Lisieux
Cabourg
Pont-AudemerMantes-la-Jolie
Gennevilliers
Longueil-Ste-Marie
Bonneuil-sur-Marne
Conflans-fin d'Oise
Achères
Bruyères-sur-Oise
Saint-Ouen l’Aumône
Triel-sur-Seine
Nanterre
Vigneux-sur-Seine
Evry
Estuaire
de laSe
ine
0 10 205Km
(c)IGN - Route500 - 2010(r)AURH (LA - 03/2011 - MAJ 04/2012)
“L’Estuaire de la Seine a sa propre histoire, ses richesses et son
bien-être dont nul n’entend se séparer.”
“C’est en s’affirmant comme un territoire métropolitain que l’Estuaire résoudra au mieux les tensions qui autrement risqueraient de le déchirer.”
et urbain, élargi à ce que peut lui apporter l’immensité
océane en termes de savoirs, d’énergies et d’échanges
commerciaux, que l’Estuaire peut tirer la puissance qui
lui est nécessaire pour entrer dans le dialogue fécond et
équilibré qui l’attend.
Le projet de métropolisation rapproche les territoires
éloignés de la mondialisation et la terre de notre quoti-
dien. Et comme en réponse, même si parfois ils se sentent
harassés par les vents d’ailleurs qui bousculent leurs habi-
tudes, les habitants de nos communes savent recomposer
des géographies intimes. Ils apprennent à réinventer leurs
paysages et y inscrire leurs choix sentimentaux et esthé-
tiques. Plus le monde est vaste, plus nous avons besoin de
reconstituer un espace à notre échelle sans pour autant
rien perdre des possibilités qui sont offertes par les nou-
velles dimensions du monde.
Des rencontres incessantes, réelles ou virtuelles, offrent à
nos yeux un monde plus fluide, une mosaïque où s’arti-
culent des milieux, des populations, des façons de faire
et des innovations techniques. Ces variétés inouïes nous
sollicitent aujourd’hui par les marges de notre univers
quotidien, comme des vagues déferlant du plus profond
de l’océan sur nos plages. La nouveauté débarque sans que
nous y prenions toujours garde, comme jadis les bateaux
qui accostaient au fleuve. Elle prend parfois la forme d’un
grand paquebot blanc rempli d’amateurs de paysages, par-
fois celle d’une montagne mobile de containers échappée
des brumes de l’Asie. Cette nouveauté nourrit des filières
industrielles et relie sous de nouveaux auspices agricul-
ture, tourisme et technique, chimie organique et énergies.
Les décennies qui viennent enrichiront à l’infini ce début
d’inventaire, et cela d’autant plus généreusement que nous
aurons su ancrer dans nos uni-
versités la curiosité et les compé-
tences qui en sont dès à présent
le gage. Il n’est plus nécessaire de
rappeler que l’économie de l’in-
telligence est première, condition
absolue de l’économie productive
de demain et de l’économie des
moyens et des ressources qui doit
nous faire sortir d’un gaspillage absurde et ruineux. Car
nous apprenons à recycler, à tirer profit non seulement des
produits mais des sous-produits de la terre, en donnant
toute sa force à l’intelligence de la mise en circuit : ce qu’on
appelle l ’économie circulaire.Cela nous ramène enfin à l’espace urbain lui-même, où se
concentrent nécessairement les institutions d’organisa-
tion, de formation et d’invention. Plus encore qu’ailleurs,
la situation urbaine implique une réflexion renouvelée sur
les espaces de vie et de travail, les réseaux de communi-
cation et de transport, les connexions entre les territoires,
agricoles mais aussi touristiques, dont la ville est le nœud.
Un tissu complexe comme l’Estuaire de la Seine, son axe
de distribution partant du port vers Paris et le cœur de
l’Europe à travers la connexion fluviale de la Seine et du
Rhin, un tel réseau ne peut se
maintenir vivant qu’à la condition
expresse que ses parties, ses habi-
tants et ses produits, soient en
interconnexion constante. Plus
facile à dire qu’à faire quand le
territoire est traversé par le fleuve
qui en est la colonne vertébrale.
“C’est des spécificités de son territoire industriel, agricole, touristique et urbain, élargià ce que peut lui apporterl’immensité océane en termes de savoirs, d’énergie et d’échanges commerciaux,que l’Estuaire peut tirer lapuissance qui lui est nécessaire pour entrer dans le dialoguefécond et équilibré qui l’attend.”
tant mais qui favorise finalement la cohérence du tout. La
métropolisation relève de la haute couture, c’est-à-dire de
l’intelligence et de l’imagination des peuples.
Et s’il est un domaine qui au jour d’hui requiert efforts et
exemplarité, c’est bien celui de la règle écologique. L’Es-
tuaire est un équilibre subtil entre la nature et les activités
humaines. Les vasières et le Marais Vernier équilibrent
les industries du pétrole et de la chimie. L’expansion
Ces interconnexions multiples sont cependant une exi-
gence suprême de toute métropolisation et de l’exempla-
rité que doit manifester l’Estuaire dans la gestion des per-
sonnes, des énergies et des biens. Sans elle, en effet, sans
cette circulation qui stimule les esprits et les échanges, les
replis identitaires risquent toujours de reprendre le dessus.
La métropolisation est une ambition forte, finalement au
service de chaque acteur, mais qui implique au départ que
chacun aura su abandonner le petit peu auquel il tient
urbaine doit être surveillée afin qu’elle ne s’effectue pas
au détriment des terres agricoles. Une intelligence de leur
convivialité et un art de gouvernance doivent émerger des
savoirs qui vont se développer dans les écoles implantées
dans l’Estuaire. Déjà la nature s’est construit un paysage
dans le port : il faut continuer et que toute ville et toute
industrie soit aussi à elle-même son jardin. Alors l’Es-
tuaire deviendra ce parc que l’on viendra visiter, non seu-
lement pour ses plages et ses industries innovantes, mais
pour la promenade au milieu de sa flore remarquable et de
ses oiseaux migrateurs. L’Estuaire ne doit se priver d’au-
cune de ces richesses à l’image de l’urbanisme de Perret
ou du savoir-vivre Augeron qui ont conduit à la recon-
naissance internationale de ce territoire. L’exemplarité de
son développement technique, humain et écologique fera
de l’Estuaire un espace attractif pour tous et sera la source
d’un bien-être accru pour ses habitants dans une méta-
morphose qui s’exprime déjà dans les gênes de l’Estuaire.
“La métropolisation est une ambition forte,finalement au service de chaque acteur,mais qui implique au départ que chacunaura su abandonner le petit peu auquelil tient tant mais qui favorise finalementla cohérence du tout. La métropolisationrelève de la haute couture, c’est-à-dire del’intelligence et de l’imagination des peuples.”
Métamorphoser l’existant, c’est s’inscrire dans un
devenir, dans « ce qui vient après », en intégrant
ce qui a déjà eu lieu. La métamorphose métropolitaine
de l’Estuaire de la Seine active et exacerbe les rapports
entre ancrage et mobilité comme les rapports intercultu-
rels mettant en jeu des articulations spatio-temporelles
inédites. Elle se produit dans un contexte généralisé de
fortes mutations que la dynamique métropolitaine ne
fait qu’amplifier. Ce projet politique, économique, social,
culturel et environnemental d’envergure met en mouve-
ment un ensemble de flux et d’échanges qui traversent
et bousculent les entités constituant ce territoire. Une
telle opération se présente comme relance de possibi-
lités en termes de ressources
et de vitalités mais le défi est
aussi d’éviter de susciter un
enlisement dans des autarcies
ou de produire un développe-
ment à deux vitesses. En effet,
au-delà des enthousiasmes ou
des scepticismes qui peuvent
l’accompagner, il ne faut pas
méconnaître que s’exerce avec ce
changement une forte pression
sur les populations vulnérables
– du point de vue du niveau de formation, des capacités
de mobilité, d’une précarité sanitaire et sociale – et qu’il
peut également être perçu comme une menace sur des
traditions vernaculaires de « Pays » et sur des valeurs
patrimoniales. On sait par ailleurs que dans la cartogra-
phie des images et imaginaires contemporains, nombre
de paradoxes peuvent être relevés : images de la nostal-
gie de la mixité des villes d’antan, alors que prospèrent
parallèlement les images du cocon de l’entre-soi ou du
chez soi, avec la recherche de confort, de protection et
de sécurité, mais aussi d’images grisantes de la vitesse, du
déplacement, alors que se développe conjointement une
aspiration à la lenteur, à la flânerie, à la pause et au calme.
17
CHRIS YOUNÈS
VIVRELA MÉTAMORPHOSEMÉTROPOLITAINE
DE L’ESTUAIREDE LA SEINE
ENTRE MILIEUX :AGRICULTURE/URBAIN, LOCAL/GLOBAL
Se centrer sur l’Estuaire de la Seine, c’est privilégier des
dispositifs naturo-culturels d’interpénétrations et d’inter-
dépendances ; c’est donc porter l’attention sur une manière
particulière d’être au monde et une capacité de réunir qui
inclut le fleuve mais va au-delà ; c’est insister sur ce qui est
« entre » et ce qui relie. Il y a toujours plusieurs milieux en
jeu (socio-économique, naturel, technique, culturel) qui
se superposent et s’entrelacent dans toute situation habi-
tée. De façon concomitante, tout est déjà là et en même
temps tout y advient ; les maillons qui constituent ce sys-
tème complexe auto-organisé sont solidaires et pourtant
chacun en même temps qu’il est lié aux autres, dispose de
sa propre initiative. C’est ainsi qu’un milieu est vivant et
qu’il diffère d’un milieu inerte en ce qu’il ne perd pas cette
initiative qui reflète sa vitalité.
La grande respiration agricole
L’imageNormande
La valléeintense
L’agglomérationactive et diffuse
La villeport
Le promontoire
L’immersionnature
L’intime
L’intime
L’amphithéâtre
Le Regardvers le large
Le Regardvers le large
Les passagesLes passages
Les passages
Le contrefortboisé
La vallée ramifiéeLes Marais
Le massifrepère
Le défilédes falaises
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La valléeLa vallévall eLa valléeeLLa vallLa valllléeééeéllééléléléééééééééééééévaLa vallvallvallvaallvalvaLa valavvLa vvvLa valLa vallLa valléiintenseintensei tensentensetensntentensntenensnnsntentntiiniinntensinintensensnnsnnttintensi
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L’intimetimeL’iL’intimetimL’iL’intimetimetimettimet memeL’intntttL’iLL tittitL’LL’intimeL’intimeLintimetimLiL’intimemetitiLLL’intime
LE HAUT PLATEAU
LE BOCAGEVALLONNE
ENTRE BOCAGEET PLATEAUX
agL’aggloglomératiomérationnnngagag
Les Ms MaLeLLeLeLeLeLeLLLLes eeeLA PLAINE
villeeLa vilL vilvilleleeLa La vporttppporportorttortt
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LE SPECTACLEDE L’ESTUAIRE
GGGGGAGAGAGAGAGCACAGGGGGGGCC EEEEEEEAA EEEECACAUXUXX
LE SILLONVERT
LA MER SAUVAGE
LA MER ACTIVE
LA MER BALNEAIRE
LES BAINS DE MER
LA VALLE E MO
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FALA
ISES MONUMENTALES
Caen
Rouen
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Évreux!
¯ 0 10 205Km
(c)IGN - 2005(c)Corine Land Cover - 2006
(r)AURH (BM - 10/2010)
m Les grands paysages de l’Estuaire.
Ce milieu composite, comprenant le
Pays de Caux, le Pays d’Auge, la Côte
Fleurie, la Vallée de la Risle, Le Havre
avec sa performance portuaire, est
caractérisé par une double face agri-
cole et industrielle, rurale et urbaine,
mais aussi une composante touristique de plus en plus
marquée, de telle sorte que se juxtaposent des façons
d’être et de faire opposées entre terroir et haute technolo-
gie, entre espaces privatifs et espaces publics. Si la grande
présence des éléments, de l’animal, du végétal ou encore
la conscience d’un temps long, dans lequel le passé se
conçoit comme héritage et le présent comme la répétition
de gestes et de coutumes perpétués, ont été longtemps
l’apanage de la culture rurale, l’urbain est associé à des
temporalités plus courtes et plus rapides dans lesquelles
les médias jouent un rôle déterminant. L’urgence, l’évé-
nementiel, les mutations sont au cœur de la fabrique du
contemporain urbain. Incontestablement y a été portée
à un paroxysme la vertigineuse labilité des lieux et des
liens. Les recherches anthropologiques menées au milieu
du xxe siècle en avaient décelé les manifestations, insis-
tant sur le passage de la sédentarité au nomadisme. Ce
néo-nomade pris dans un système de flux est exposé à
l’uniformisation dans une société de masse, à des dépla-
cements incessants pour vivre et à un
manque de repères menaçant d’épuise-
ment hommes et lieux. Le paysage ver-
naculaire urbain ou villageois qui tend à
s’ajuster au local, se trouve au contraire
saturé de traces et d’héritages qui lui
donnent une grande puissance affective
et symbolique. En tant que produit de
“De façon concomitante,tout est déjà là et en même
temps tout y advient ; les maillons qui constituent ce système complexe auto-organisé sont solidaires etpourtant chacun en même
temps qu’il est liéaux autres dispose desa propre initiative.”
“Ce milieu composite est caractérisé par une double
face agricole et industrielle, rurale et urbaine, une
composante touris tique.[...] L’événementiel, les muta-
tions sont au cœur de la fabrique du contemporain.”
20220
milieux singuliers, porteurs d’une longue durée, il est
pris de manière accélérée dans des logiques et décou-
pages translocaux. Cette évolution peut s’accompagner
d’une tentation de repli sur une échelle intime et com-
munautariste, tentation renforcée par la hantise de la
sécurité qui devient une des obsessions contemporaines
particulièrement fortes. Par ailleurs, le spectre de la crise
ne fait qu’accentuer les antagonismes. La séduction de
l’île est certainement, dans un contexte en mutation, une
composante vivace qu’il s’agit
de regarder en face.
Ainsi comme tout milieu habité
relié par une multitude de liens,
il requiert de négocier des fran-
chissements de frontières phy-
siques et mentales, et des articu-
lations au plan réel, imaginaire
et symbolique pour faire face aux changements. Le fort
attachement aux milieux vernaculaires locaux n’empêche
pas des hybridations avec des cultures et des économies
translocales, mais à certaines conditions. Les stratégies
de développement régénérateur passent désormais par
des reconfigurations inventives liant local et global, étant
donné des mises en contact et des interpénétrations impé-
ratives qui se font à des vitesses sans précédent. L’effet de
serre et le réchauffement climatique par exemple, ou encore
l’économie mondialisée, qui affectent le local, relèvent
d’une vision globale. S’y ajoutent les flux informationnels
et les réseaux infrastructurels de déplacement qui s’avèrent
passer au premier plan. Si le global tend à empêcher le
local de se replier sur lui-même, la persistance du local est
la condition de la vitalité des diversités. L’ancrage local
“Comme tout milieu habité relié par une multitude de
liens, il requiert de négocier des franchissements de frontières physiques et mentales, et des
articulations au plan réel, ima-ginaire et symbolique pour faire
face aux changements.”
“La séduction de l’îleest certainement,dans un contexteen mutation,une composante vivacequ’il s’agitde regarder en face.”
opposition entre ces deux niveaux de réalité, le local et le
global, suscitant des déstabilisations, mais cette opposition
peut aussi se transformer en complémentarités ou oppor-
tunités. Ce qui est local est particulier, relatif, délimité et
s’avère circonscrit dans une aire déterminée alors que le
global est ce qui dépasse les frontières, s’étendant au globe
terrestre d’où le terme est dérivé. Les deux sont indis-
sociables. Il s’agit de favoriser la capacité créatrice d’un
milieu spécifique à les lier. Le défi consiste donc à ima-
giner d’autres conciliations à partir des résistances et des
ressources propres à chaque milieu de vie, indissociables de
leurs porosités par rapport à d’autres milieux.
a été souvent source de défiances, car il a été
associé à l’idée de renfermement alors même
qu’il se définit comme entité relationnelle à la
fois hyper et translocale. Le vocable de globa-
lisation qui date du début des années soixante
désigne « le fait de se répandre dans le monde
entier », et s’est précisé dans les années quatre-vingt dans
le sens d’un processus de déterritorialisation des capitaux
qui s’est imposé au marché à travers les multinationales.
C’est un développement insoutenable privilégiant une
économie globale au détriment des ressources locales qui
conduit à séparer le global et le local. Certes, il peut y avoir
“Si le global tend à empêcher le local de
se replier sur lui-même, la persistance du local est la condi-
tion de la vitalitédes diversités.”
23
ENTRE HÉRITAGE ET RE-CRÉATION :L’ENJEU DES RELIANCES
Entre façade maritime et arrière-pays, entre nord et sud,
l’Estuaire de la Seine se présente comme une mosaïque
de paysages, d’usages et de représentations très contras-
tés, dont la pluralité et l’hétérogénéité apparaissent net-
tement. Les différentes cultures, maritimes, industrielles,
campagnardes, touristiques, qui le constituent en font la
richesse et s’y croisent, s’y juxtaposent voire s’y opposent,
s’ignorant et se méconnaissant parfois mais se trouvant
toutes intégrées dans la même « glocalisation » qui multi-
plie la complexité des connexions.
L’importance des mises en relation a été particulièrement
soulignée par Edgar Morin qui a fait du concept de reliance
la cellule souche de la pensée complexe. La reliance, c’est
« le travail des liens » à savoir « l’acte de relier et de se relier
et son résultat », ce qui suppose également des limites qui
distinguent et des espacements ou écarts qui mettent à
distance tout en ménageant une certaine proximité. Les
reconfigurations métropolitaines accélèrent et intensi-
fient les trajectoires qui ne sont pas seulement des pas-
sages d’un endroit à un autre mais les tenseurs d’ouverture
d’un espace existentiel, redéfinissant les synergies spatio-
temporelles du proche et du lointain, ainsi que les rap-
ports aux autres. Cette bipolarité
du statique et du dynamique est
des plus ambivalentes. Les inscrip-
tions spatiales plus ou moins répé-
tées n’ont jamais fonctionné que
grâce aux lignes de mobilité qui les
irriguent et dont elles participent,
constituant dans l’Estuaire de la
Seine une constellation en permanent réé-
quilibre, comme l’explique Frédéric Bonnet.
Les relations possibles entre demeure, ville,
région, monde, tracent d’autres figures des
lieux et des milieux, du lent et du rapide, entre
confrontation avec l’inconnu et retrouvailles
avec le connu. Car habiter est un phénomène
total chargé affectivement, symboliquement, socialement,
éthiquement, qui se déploie entre points, lignes, surfaces,
comme entre passé et présent. Des mobilités douces asso-
ciées à d’autres plus rapides soutenables, sont une des
conditions d’un territoire hospitalier et désirable. De même
que des projets qui engagent à un art de devenir entre héri-
tage et re-création. Les pièges de la fossilisa tion, la muséi-
fication, la patrimonialisation ainsi que toutes les formes
“Car habiter est un phénomène total chargé affectivement, symboliquement, socialement, éthique-ment, qui se déploie entre points, lignes, surfaces, comme entre passé et présent.”
d’effacement des traces brouillent les pistes et fabriquent
des impasses et des incompréhensions mais aussi des affai-
blissements. Des réévaluations et d’autres nouages entre
les temps longs et les temps courts, les stabilités et les ins-
tabilités sont en jeu. De nombreux chantiers s’imposent,
telles les transformations d’un héritage moderniste de
séparation et de mono-fonctionnalisme en des mises en
contact entre cultures, comme entre cultures et nature.
ACTIVER LE POUVOIR DE RELIANCEDE L’ESTUAIRE DE LA SEINE :TROIS CHAMPS D’ACTION À RENFORCER
Dans le contexte du développement durable, trois champs
d’action s’avèrent plus particulièrement déterminants
quant à l’accompagnement de la métamorphose de l’Es-
tuaire de la Seine.
Une mobilisation partagée
La co-construction du projet avec une volonté d’intérêt
collectif qui est en cours est un des facteurs clés d’une
vigueur transformatrice. Cette élaboration concertée qui
reste encore à élargir peut permettre de composer avec des
forces et des faiblesses. Remarquable par ses sites, ses pay-
sages, son histoire, ses patrimoines et son potentiel « eau »
entre Seine et atlanticité, ce milieu se caractérise aussi par
une démographie en perte de vitesse, par des formes de
fragilité, par une attractivité très contrastée et des connec-
tivités défaillantes. Il doit aussi affronter les contradictions
entre logiques de pays et logiques de grand territoire, qui
pourraient constituer des freins à des entreprises collabo-
ratives sans une large adhé-
sion à la mutation en cours
et à un projet de devenir.
24
“Des mobilités douces associéesà d’autres plus rapides soutenables sont une des conditions d’unterritoire hospitalier et désirable.”
“La co-construction du projet avec une volonté d’intérêt collectif qui est en cours est un des facteurs clés d’une vigueur transformatrice.”
Lumières d’Estuaire
La mer est proche. Pour tous les pay-sages de l’Estuaire, cette influence se traduit par des ciels puissants, chan-geants, une lumière maritime inégalée, de somptueux motifs de nuages, de brumes et d’azur. Ces variations en bleu, or, rose, blanc et gris se combinent avec les teintes des sols et des milieux, ocres de l’automne. C’est aussi cela, les identités multiples de l’Estuaire.
De gauche à droite et de haut en bas :
Hautes falaises, plateau et valleuse, falaise morte,rive d’Estuaire, bocage,champ de lin,vallon,labours,reflets sur l’Estuaire, brumes et silos.
Des complémentarités territoriale et des solidarités
Pour faire face aux transformations et dynamiques ambi-
valentes de l’intérêt métropolitain, l’Estuaire de la Seine,
reliée au Val de Seine, projet d’envergure en liaison avec
la proximité de l’Ile de France, vaste bassin de consom-
mation et d’animation, exige de s’entendre et de s’orga-
niser collectivement. En même temps qu’est visée la pro-
duction de nouvelles possibilités et ressources, il s’avère
absolument nécessaire d’anticiper les effets à réguler.
Car si le déploiement d’infrastructures et d’activités de
niveau national et international ne s’inscrit pas dans une
perspective de ménagement, la métropolisation risque
de s’accompagner aussi d’une fragmentation socio-spa-
tiale, d’un appauvrissement de lieux et de personnes,
d’une tension plus élevée
sur les milieux naturels et
les populations en difficulté
pouvant redouter des chan-
gements de cette envergure.
Pour parer à ces menaces, ce sont les complémentarités
et les solidarités qui permettront de réduire les fractures
sociales et de veiller aux écosystèmes ainsi qu’à une
accessibilité élargie, articulant la proximité aux échelles de
l’espace régional, national et mondial. Ce sont elles qui
permettront de construire une métropole adaptable aux
différentes situations de travail, de formation, d’habitat, de
loisirs. Ce sont elles également qui permettront la fluidité
des mobilités concrètes et mentales allant vers une totalité
animée par les liaisons entre les deux rives de l’Estuaire, par
des interfaces entre urbain et rural avec le renforcement
d’un réseau d’équipements et de services, et avec le souci
de chacun en sa singularité. Et ce sont elles encore qui
permettront de donner une ampleur féconde à la rencontre
des cultures (éducatives, scientifiques, artistiques, popu-
laires) dans les transformations entreprises. Il importe
alors de déterminer les leviers sur lesquels agir pour
susciter la régénération du territoire et éviter son
enlisement ou sa rigidification dans un repli autarcique,
ou bien l’acceptation d’un développement laissant pour
2626
“Ce sont les complémentarités et les solidarités qui permettront de
réduire les fractures sociales et de veiller aux écosystèmes ainsi qu’à
une accessibilité élargie, articulant la proximité aux échelles de l’espace
régional, national et mondial.”
compte ceux qui ne peuvent
pas suivre. L’ouverture et les
solidarités territoriales ainsi
que les capacités d’accueil
d’activités économiques et
d’autres populations permettent de combattre les dérives
et de créer un souffle dynamisant.
Une identification d’appartenance commune
Convaincre, rassurer sur les identités, sur les complé-
mentarités et sur le fait que les différences continueraient
d’exister, s’imposent également. L’homo urbanus n’a pas
“une” mais “des” identités, qui ont été forgées au cours des
trajectoires de vie. L’enchevêtrement des appellations entre
Normandie, Basse-Normandie, Haute-Normandie et
Estuaire de la Seine, souligne l’ambivalence des limites des
territoires, qui à la fois distinguent et rapprochent. Ainsi
la méta-figure de l’Estuaire de la Seine offre une appar-
tenance supplémentaire sans que cela implique de perdre
les autres, bien au contraire. Pour l’instant cette identité
qui reste encore floue est à façonner, en même temps que
l’action vers une vision partagée du futur, suscitant l’adhé-
sion des habitants, est à poursuivre. La part symbolique
en termes d’images mais aussi d’interfaces, est cruciale.
Des priorités sont à déterminer pour une puissance de
reliance autour de l’Estuaire, qui est un en-commun riche
aussi en vides féconds, en biodiversité et en paysages. Si
le nom de baptême : Estuaire de la Seine, a été adopté à
l’unanimité, la question de la liberté et de l’aisance des
circulations en son sein a été fortement soulignée. L’im-
portance d’un acte symbolique mar-
quant l’affirmation d’une commu-
nauté, tel que la suppression du péage
pour franchir le Pont de Normandie,
a été largement mentionnée, et un
large consensus s’est formé autour
des projets culturels et festifs qui se
préparent autour de l’eau et des arts.
27
“Pour l’instant cette identité qui reste encore floueest à façonner, en même temps que l’action versune vision partagée du futur, suscitant l’adhésion des habitants, est à poursuivre.”
“L’ouverture et les solidarités territoriales ainsi que les capacités d’accueil d’activités économiques
et d’autres populations permettent de combattre les dérives et de créer
un souffle dynamisant.”
28
UN ART DE DEVENIR
De multiples questions politiques et éthiques sont donc
soulevées à propos de la force des héritages en jeu, de ce qui
est à ménager, de ce qu’il faut conserver et jusqu’où, de la
façon de concilier usages, développement et conservation.
Ces questionnements sont à mettre en perspective avec la
prégnance d’une posture écologique, qui attire l’attention
à la fois sur les données sociales et culturelles mais aussi
sur les résistances et ressources naturelles des milieux habi-
tés. L’enjeu est celui de la vie dans toutes les acceptions
de ce terme, qui ne sont pas seulement biologiques - bien
qu’il soit indéniable que le vivant, le « bios », en soit une
des clefs – mais aussi culturelles. Ce qui invite à penser cet
ensemble en évolution comme une unité composite faite
d’échanges et d’interactions fructueuses, alors même que les
territoires peuvent se trouver divisés voire instrumentalisés.
Régénérer un tel milieu, c’est recycler, dépolluer, hériter,
économiser, diversifier, établir des solidarités, se dépla-
cer suivant des modes de mobilité « propres », réduire les
formes de ségrégation socio-spatiale, prendre soin, former,
inventer mais aussi créer et recréer. Car les corythmes entre
humain et non humain, entre urbain, industrie et agricul-
ture, bref entre natures et cultures, constituent la matière
du coexister. Leurs métamorphoses qui ici renoueraient
eau et terre de manière inédite et artistique, et qui seraient
une métamorphose d’intérêt commun autour d’un projet
qui rassemble, comporte
une part de rêve, mais une
telle mutation métropo-
litaine est aussi faite de
ré-enchantements. En ce
sens, l’Estuaire de la Seine
peut s’avérer exemplaire.
“Un projet qui rassemble, comporte une part de rêve mais une telle mutation métropolitaine est aussi faite de ré-enchantements. En ce sens, l’Estuaire de la Seine peut s’avérer exemplaire.”
29
31
Dans un court texte dit « d’humeur littéraire », Benoît
Duteurtre écrit : « Chaque fois que je retourne dans
ma ville natale, j’attends ce moment où le train débouche
sur l’estuaire et son horizon de torchères. Chaque fois
que je franchis le pont de Normandie, j’admire la couleur
épaisse de la rivière prête à se transformer en mer avec
son chapelet d’usines, bâties sur des étendues sauvages,
sablonneuses, vert et gris, comme des sables mouvants. La
Seine reste pour moi ce fleuve urbain, ce boulevard d’Île-
de-France, qui relie les tours de la centrale électrique de
Porcheville et celles de la centrale électrique du Havre,
dominant les grues et les bassins ».1
Tout est dit : l’ambiance, le sens, le lien. On peut mettre
des chiffres sur les mots, des connaissances objectives sur
le ressenti, de la science sur l’humeur littéraire, on n’ira pas
beaucoup plus loin que ce que chacun des habitants des ter-
ritoires de l’Estuaire porte en lui, et que Benoît Duteurtre
exprime par son talent : ici, on produit ; on le fait dans un
cadre qui est une permanente « leçon de nature » ; lequel,
bien que tourné vers l’Atlantique, n’est en quelque sorte que
« la poursuite de la région capitale par d’autres moyens ».
Mais rien n’est moins simple que cette triple évidence.
Produire : des hydrocarbures raffinés, des automobiles,
des services portuaires, des pommes et du cidre, des che-
vaux de race, des principes actifs chimiques, des fromages
31
PRODUIRE,HYBRIDER,
MÉTROPOLISERMARTIN VANIER
reconnus en AOC, des nacelles de moteurs
d’avion, de la maintenance industrielle, des
compresseurs géants, des bouteilles en verre, de
la morue, bientôt des éoliennes marines, le tout
dans un rayon de 50 km autour de l’embouchure
de la Seine. La coexistence des producteurs ne
va pas de soi. D’autant moins que s’y ajoutent d’autres
logiques, d’autres attentes, qui viennent de loin elles-aussi
pour valoriser d’autres richesses : le port est premier, mais
l’invention de la Côte Fleurie est antérieure à celle de la
Zone Industrialo-Portuaire, la Normandie des petites et
grandes villégiatures du pays d’Auge vaut bien celle des
fabriques de la vallée du Commerce ou des clos-masures
du plateau de Caux, et le port-musée d’Honfleur fait face
à Port 2000, à 4 km à vol d’oiseau.
Le tout tenait ensemble grâce à un subtil cloisonnement
des territoires, utilisant astucieusement les discontinuités
géographiques : entre une valleuse et ses plateaux, entre
une plaine littorale et ses coteaux et surtout entre les deux
rives de l’Estuaire, si longtemps séparées et mettant de ce
fait en scène le circuit estuarien de la valeur ajoutée : pro-
duction en rive Nord, passage par la racine francilienne,
et retour en Normandie pour être dépensée en rive Sud.
Or, voilà qu’une double envolée incite au décloisonne-
ment et à la reconnaissance des interdé pendances des ter-
ritoires de l’Estuaire : l’envolée Nord-Sud des ponts, qui
en 40 ans sont venus recoudre l’Estuaire au plus près de
son embouchure ; et, plus récemment, l’envolée Est-Ouest
de l’alliance métropolitaine, proposée par un Grand Paris
“L’Estuaire bien que tourné vers
l’Atlantique, n’est en quelque sorte que
« la poursuite de la région capitale par
d’autres moyens ».”
32
en quête d’un destin qui le projette au-delà
de ses contradictions internes.
Interdépendants ? Mais alors dans quel
système de territoires, organisant de fait
quelle solidarité, inscrite dans quelle pers-
pective commune ? C’est toute la question qui est posée
aujourd’hui aux habitants et aux acteurs des territoires de
l’Estuaire de la Seine. Au cœur de la réponse, il y aura
forcément rendez-vous avec ces trois « mots d’ordre » :
produire, hybrider, métropoliser.
Notons que ce n’est pas la première fois dans son histoire
que la Normandie est confrontée, par son Estuaire majes-
tueux, à des questions qui la bousculent. C’est peut-être
même le sens profond de la Norman-
die – qu’elle soit Haute ou Basse – que
d’être produite par ces questions, et par
les réponses que ses acteurs y apportent :
à la croisée des constructions nationales
de la France et de l’Angleterre au cours du Moyen Âge ;
puis au front portuaire des ambitions maritimes des pre-
miers monarques centralisateurs des Temps Modernes
(fondation du Havre) ; puis autre front, balnéaire cette
fois, pour l’aristocratie et la grande bourgeoisie nationales
et cosmopolites qui inventent le tourisme
de villégiature sous le Second Empire ; puis
espace industrialo-portuaire emblématique
du miracle industriel des Trente Glorieuses
au sortir de la Seconde Guerre Mondiale.
“Or, voilà qu’une double envolée incite au décloisonnement
et à la reconnaissance des interdé pendances
des territoires de l’Estuaire.”
“Interdépendants ?Mais alors dans quelsystème de territoires,organisant de fait quellesolidarité, inscrite dansquelle perspectivecommune ?”
33
La nature est souvent opposée à l’économie. Il faut retrouver ici, comme ont su le faire d’autres grandes métropoles portuaires, la force de la diversité des caractères de l’Es-tuaire : c’est un lieu de logistique et de produc-tion, et de potentiel touristique immense, aussi bien pour les visiteurs que pour les habitants.
L’Estuaire est lui-même hybride, il associe nature, industrie, tourisme,transports…
Lorsqu’on est au niveau du sol, dans l’Es-tuaire : un paysage extraordinaire dont on profite pourtant encore peu, et qu’il faut rendre mieux accessible.
L’Estuaire ne se réduit pas à l’industrie et aux infrastructures : c’est aussi une des plus grandes réserves naturelles de France.
Le Grand Paris et son « Seine
Gateway », la construction à venir de
la Ligne Nouvelle Paris Normandie
(LNPN) avec son potentiel de muta-
tion urbano-portuaire pour Le Havre,
s’inscrivent-ils dans cette puissante histoire ? On verra
bien. Ce qui compte, c’est de retenir que dans cette destinée
d’ouvertures, qui avance à chaque fois à grands coups de
boutoirs exogènes, les Normands et leurs territoires ne sont
ni neutres, ni passifs. Ils se font marins, dockers, armateurs,
pêcheurs, hôteliers, éleveurs, chimistes, métallurgistes,
constructeurs automobiles, cheminots, reconstructeurs…
Ils finissent toujours par digérer ce qui leur arrive de l’ex-
térieur, et être à la hauteur des chantiers, souvent gigan-
tesques, dont ils héritent. Cette fois encore, il pourra en
être ainsi, mais aux trois conditions qui ont été dites.
“Les Normands finissent toujours par digérer ce qui
leur arrive de l’extérieur, et être à la hauteur des chan-
tiers, souvent gigantesques, dont ils héritent.”
34
Le fleuve est à la fois un espace naturel, un vecteur logistique et touristique.
35
36
irrémédiable déclassement mondial, qui la ramènera
pour longtemps au rang de petit pays secondaire. Répéter
qu’un pays qui ne produit pas les biens qu’il consomme
perd sa jeunesse diplômée qui rejoint les foyers de cette
production quelque part dans le monde, plutôt vers
l’Asie. Arguments incontestables, généralement partagés
au plan national, mais de fait souvent invalidés lorsqu’il
s’agit, localement, de maintenir ou développer l’activité
industrielle, et plus encore l’activité énergétique ou d’ex-
traction de matières premières.
C’est alors que le « réalisme » de la compétition mon-
dialisée, les nécessités technologiques, et/ou la vigilance
PRODUIRE
Pourquoi continuer à produire ? Si l’on en juge par le recul
de l’emploi productif en France, et le poids croissant de
l’économie résidentielle dans les territoires2, la question
est bel et bien posée un peu partout dans le pays. On
pourrait répéter ici les arguments, ô combien, recevables
en faveur de la précieuse valeur ajoutée quelle qu’elle
soit (industrie, agriculture, énergie, recherche, services
productifs…), sans laquelle l’économie résidentielle est
entièrement dépendante de revenus acquis ailleurs, y
compris à l’étranger. Répéter que sans participation active
à l’économie hyper-industrielle3, la France connaîtra un
37
en faveur de l’environnement et de la qualité de vie font
reculer entreprise par entreprise, site par site, projet par
projet, la capacité productive des territoires. Contesta-
tion bien connue, qui vaut aussi pour l’axe industriel de la
basse Seine, même si la culture industrielle y est plus forte
qu’ailleurs : qu’adviendra-t-il du raffinage dans les pro-
chaines 10 à 20 années dites de transition post-carbone ?
Et pourtant, au-delà des raisons nationales qui ont toutes
leurs valeurs, produire doit rester le point de départ du
projet collectif des territoires de l’Estuaire pour une rai-
son qui leur est propre. C’est que ces territoires se sont
construits comme des territoires productifs : agricoles,
“Répéter que sans participation active à l’économie hyper-industrielle,
la France connaîtra un irrémédiable déclassement mondial, qui laramènera pour longtemps au
rang de petit pays secondaire.”
industriels, portuaires et logistiques, halieutiques, touris-
tique et industries de services. Ils ont trouvé là leur iden-
tité, leur épaisseur sociale, leur place vis-à-vis du reste de
l’espace national et européen, leur fonction dans le sys-
tème qui les englobe. Rien ne pourra les mobiliser aux
côtés du grand projet exogène qui s’annonce, qui ne soit
accroché à cette réalité productive multiforme. Ici plus
qu’ailleurs, il faut produire, ou disparaître, car les alter-
natives sont très loin d’être équivalentes à celles d’autres
régions littorales, plus méridionales, plus anciennement
résidentielles, plus urbaines aussi.
D’ailleurs, qu’est-ce que le reste de la France vient cher-
cher dans ce cœur de Normandie, sinon l’espace productif
multiforme en question : des torchères et des immenses
zones industrielles certes, mais aussi des bassins à flots et
leurs portiques géants, des prés, salés ou non, des fronts
balnéaires et des stations touristiques capables de recevoir
la Région parisienne en week-end, des champs marins,
etc. Elle n’y vient certes plus avec le même élan et la même
intensité qu’aux heures glorieuses du déploiement indus-
triel national, mais sans pour autant renier ce qui a été
investi ici depuis 50 ans, qui fait de la Basse Seine un des
plus vastes espaces usiniers du pays, appuyé, comme on le
sait, sur le premier port national en trafic de conteneurs.
Sur cette base, qui reste puissante, une
révolution productive peut advenir4.
Elle pourrait combiner les nouvelles
formes de productions énergétiques
(éolienne dès demain, houlomotrice
plus tard, quoi qu’il en soit renouve-
lables), les activités de recyclage direc-
tement liées aux productions actuelles
(captage, transport et stockage du
CO2, et son ingénierie ; recyclage automobile ; etc.), par
conséquent les symbioses industrielles qui deviendront la
règle et se territorialiseront. Elle pourrait s’appuyer sur des
circuits logistiques eux aussi combinés, donnant accès à un
nouvel hinterland, d’autant que les plus puissants seront
définitivement servis par plusieurs solutions portuaires.
Elle concernera vraisemblablement l’agriculture, mais
aussi le tourisme de masse, dont les intrants et les extrants
devront entrer eux-aussi dans des cycles écologiques de
gestion économe des ressources. Autant de possibles qui
ouvrent un avenir aux activités de production sous toutes
leurs formes. A une condition cependant : hybrider.
“Ici plus qu’ailleurs,il faut produire, ou dispa-raître, car les alternatives sont très loin d’êtreéquivalentes à celles d’autres régions littorales, plus méridionales, plus an-ciennement résidentielles, plus urbaines aussi.”
“Une révolution productive peut advenir. Elle pourrait combiner les
nouvelles formes de productions énergétiques, les activités de recy-
clage, les symbioses industrielles, s’appuyer sur des circuits logis-
tiques combinés. Elle concernera vraisemblablement l’agriculture,
mais aussi le tourisme.”
40
l’usine, sur le site de l’exploi-
tation agricole, ou au flanc
du port morutier, c’était
faire de leurs contraintes
autant de marqueurs d’iden-
tité. Depuis une génération,
comme partout, l’espace de
travail et l’espace de rési-
dence ne cessent de se distendre. On n’habite plus au plus
près de son travail, mais en s’en éloignant il arrive qu’on
se frotte à l’espace de celui des autres. Le côtoiement des
espaces productifs – industriels comme agricoles – des
« autres » épuise la tolérance. Pourquoi supporter une acti-
vité, une production, et ses impacts paysagers et environne-
mentaux, si elle ne fait plus sens pour l’habitant qui en est
le voisin ? Rejet accentué par l’apparentement du logement
à un patrimoine immobilier qu’il s’agit de valoriser dans
une trajectoire résidentielle faite d’achats et de reventes.
Dès lors, le cloisonnement subtil devient difficilement
tenable, et c’est l’ensemble des territoires entremêlés autour
de l’Estuaire de la Seine qui se posent la question de leur
habitabilité. Produire, certes, mais habiter, plus encore.
D’autant que, deuxième raison, la conscience écologique
à l’égard des territoires progresse avec cet épanouissement
de l’espace habité et la quête de ses aménités. Du jardinet,
du lopin potager, ou de l’espace public de proximité, on
est passé à des aspirations autrement plus amples et exi-
geantes, qui rendent l’habitant vigilant quant à la qualité
de ressources globales et circulantes, qualifiées désormais
de « biens communs » : eau, air, biodiversité, paysage.
Du coup, on redécouvre l’Estuaire même dans toute
sa dimension et sa complexité écosystémique : le grand
“Naguère, chacun habitait à proxi-mité du système productif dont il dépendait, et en acceptait de ce fait les contraintes. On n’habite plus près de son travail, en s’en éloignant il arrive qu’on se frotte à l’espace de celui des autres. Le côtoiement des espaces productifs – industriels comme agricoles –des « autres » épuise la tolérance.”
HYBRIDER
On aurait pu dire : « concilier », « équilibrer », ou « faire
coexister ». Mais il ne s’agit plus de cela désormais. La
coexistence des « espèces productives » que sont les dif-
férentes activités des territoires de l’Estuaire, dans une
compétition plus ou moins régulée, avec ses conflits, ses
compensations, ou ses ignorances mutuelles, fut la solu-
tion, pour ainsi dire passive, à la diversité et l’hétérogénéité
des situations socio-économiques du grand territoire de
l’Estuaire. On a déjà dit comment cette coexistence plus
ou moins fragile trouvait dans les micro-cloisonnements
les conditions de sa pérennité. Ce compromis historique
et géographique ne tient plus, pour trois raisons.
La première raison est habitante. Naguère, chacun habi-
tait à proximité du système productif dont il dépendait, et
en acceptait de ce fait les contraintes : vivre à l’ombre de
Les parcelles industrielles peuvent atteindre de très grandes surfaces,compatibles avecles besoins.
L’industrie est insérée dans le motif dense de la trame verte.
Une partie est réservéepour le développement : des plantations préparent la structure végétale.
Une trame verte, constituée de bandes épaisses, diversi-fiées et interconnectées, assure les continuités avec le reste des milieux.
Les rives sont restaurées,rendues au fleuves. Les infrastructures d’apontage sont construites à l’écart, comme des plateformes.
Une figure hybride : «la Z.I.N.», Zone Industrielle Naturelle
L’industrie peut trouver sa place sur un sol dont les fonctions écologiques et la qualité paysagère demeurent : continuités d’une trame verte avec le reste des milieux, traitement des eaux récollectées, restauration des rives. Dans cette hypothèse de «Zone Industrielle Naturelle», l’industrie s’insère comme dans un grand parc de plusieurs kilomètres carrés, dont une partie est préparée pour d’éventuelles extensions, tandis qu’une autre se régénère.
espace industrialo-portuaire est aussi un « habitat », au
sens écologique du terme.
Mais ceci ne peut plus conduire à séparer les vocations
territoriales, à opposer, même à grande échelle, l’espace
des « désordres productifs » et celui des « ordres natu-
rels », à s’accommoder ici d’une forte anthropisation (la
Zone Industrialo-Portuaire), avec la contrepartie d’une
forte protection là (les zonages écologiques divers). C’est
la troisième raison, d’ordre économique, au sens pre-
mier de « production, circulation et consommation des
richesses ». La révolution productive évoquée montre à
quel point ces richesses seront désormais globales, c’est-
à-dire à considérer à la fois dans leurs cycles productifs et
dans leurs cycles naturels. Il faut protéger en anthropisant,
43
et préserver en produisant, tel
est le nouveau défi contempo-
rain, car les territoires ne s’habitent plus par appartement,
mais bien dans la continuité de leur fonctionnement éco-
nomique et écologique.
Est hybride ce qui naît d’un croisement imprévu et aug-
mente la vigueur des constituants d’origine. Est hybride
le territoire qui ne ressort pas d’une seule logique mais
de plusieurs et qui génère dans ce croisement des qualités
supplémentaires. L’hybridation des territoires de l’Estuaire
de la Seine consiste à préserver leur avenir productif tout
en produisant leur richesse environnementale : ce qui est
bon pour l’entreprise – industrielle, agricole, de services –
est bon pour l’environnement, et vice-versa, mais donne
en outre à l’ensemble une vitalité régénérée.
Voici la « Zone Industrialo-Naturelle » de demain,
l’espace de production industrielle qui rend service à la
nature : elle accueille des entreprises dans un espace géré
en tant qu’écosystème spontané ; ses réseaux « gris » (voi-
rie et réseaux de distribution, etc.) ne segmentent pas
les réseaux « verts » (trames de la biodiversité, trames du
paysage) ; ses cycles économiques (intrants, extrants, cir-
culations, rejets, déchets…) participent aux cycles écolo-
giques ; pour ce faire, les solutions mises en œuvre font
progresser la technologie, le process et la valeur ajoutée de
l’entreprise ; l’espace à la fois usinier et récréatif (prome-
nade, activités de plein air, pêche, chasse, observation fau-
nistique et floristique…) est doublement remarquable :
par ce qu’il produit, et par ce qui s’y produit.
La génétique nous apprend que l’hybridation est au principe
même de la vie. Avant d’être une manipulation volontaire et
scientifique, elle est, par surprise, un phénomène naturel qui
tire parfois profit de la cohabitation d’hétérogènes. Mettez
un grand port – comme Le Havre – dans une petite ville –
comme Le Havre : il peut ne rien se passer de plus que ce voi-
sinage forcé, surtout si des logiques d’ingénieur s’appliquent
à tout moment à rendre étanches les deux systèmes. Mais
si l’hybridation est favorisée,
alors il advient quelque chose
de plus que la stricte fonction
portuaire ou que ce que la ville
en tant que telle peut offrir. Ce
quelque chose de plus conduit
au troisième terme ici en jeu ;
métropoliser.
“L’hybridation des territoiresde l’Estuaire de la Seine consiste à préserver leur avenir productif tout en produisant leur richesse environnementale : ce qui est bon pour l’entreprise – industrielle, agricole, de services – est bon pour l’environnement, et vice-versa, mais donne en outre à l’ensemble une vitalité régénérée.”
“Il faut protéger en anthropisant, et préserver en produisant, tel est
le nouveau défi contemporain.”
46
Etre associés, et tirer parti l’un de l’autre : le jardin de la
médiathèque est aussi celui de la salle des fêtes, il profite
aux commerces, aux logements et au bureaux. Le parking
des entreprises, qui est vide le week-end, est disponible
pour les véhicules des fêtes du samedi et du dimanche,
ouvert sur le paysage, pour les événements festifs néces-
sitant plus de place. Les salariés des bureaux et des arti-
sans peuvent laisser leurs enfants à la crèche municipale,
ou aller manger dans les restaurants disponibles à deux
pas, sans prendre leur voiture. Un seul arrêt (de train, de
bus, de tram) dessert toutes ces activités : c’est un moyen
de rentabiliser aussi les transports publics.
L’activité, les services, l’habitat,les équipements, l’espace publicpeuvent être associés dansle même espace urbain
La cour est aussi un parking :
utile la journée pour les entreprises
et les commerces, elle est aussi
une place évènementielle,
et dessert les équipements :
un même lieu a plusieurs usages.
Des logements
Des bureaux
ou des services
Des commerces
ouverts sur le
même espace
public, en
continuité avec le
village (ou la ville).
Une médiathèque
Un entrepôt,
Une petite usine
Une salle des fêtes
et son jardin
Un espace public et des
programmes ouverts sur le
paysage : c’est une chance.
47
L’activité n’a pas vocation à se tenir systématique-
ment éloignée des lieux habités. L’artisanat, les petites
implantations industrielles et logistiques peuvent coha-
biter avec l’habitat et les services urbains. Ce faisant,
elles bénéficient aussi de la qualité de vie urbaine, et
optimisent les services offerts. Les surfaces minérales
dédiées aux manœuvres ou au stationnement peuvent
aussi être optimisées et servir, le soir ou le week-end, à
d’autres usages (sport, évènement, stationnement pour
les commerces et les autres activités) – Les transports
publics desservent à la vois le village et les emplois. La
métropolisation, c’est aussi cette optimisation.
Cour de services hybrides
Des bureaux
Une noue
pour recueillir
l’eau de pluie
et assurer la
trame verte.
Des systèmes de
haies, en continuité
avec ce qui existe
autour (vergers,
bocages, lisières
boisées, vallons).
L’industrie, l’activité ou la petite logistique peut cohabiter avec les autres activités.
Le paysage est
une richesse,
l’espace public
joue avec la
topographie,
les panoramas.
Cette cour n’est pas
dédiée à un seul usage.
Dans les «temps
morts» (soir, week-
end), elle fait usage
de place ou de parking
pour le village.
MÉTROPOLISER
Le Havre n’est pas une métropole, et les 600 000 habitants
des territoires de l’Estuaire n’ont pas le poids autonome
pour qu’elle le devienne. Mais, au risque d’agacer par ce
raffinement, il faut distinguer métropole et métropolisa-
tion. La métropole est une grande concentration urbaine
rayonnante, la métropolisation est le phénomène par
lequel des lieux et des territoires, qui ne sont pas métro-
politains en eux-mêmes, deviennent, par l’effet des réseaux
et des liens qu’ils autorisent, des fragments de métropole.
Ces fragments de métropole sont là, partout dans les terri-
toires de l’Estuaire de la Seine, et pour une grande part en
tant qu’espaces productifs, mais pas uniquement : Lisieux
et son pèlerinage mondial, le pôle de compétitivité équin,
Honfleur ou Etretat avec leurs millions de visiteurs, sont
des preuves tout aussi fortes de la métropole-réseau que
le sont Renault Sandouville ou Port Jérôme, sans oublier
le patrimoine classé du Havre. Mais tous ne sont préci-
sément que des fragments, des pièces éparses d’un puzzle
métropolitain que rien n’assemble dans l’espace élargi de
l’Estuaire. C’était d’ailleurs un choix normand quasi expli-
cite que de ne rien assembler de cette mosaïque métropo-
litaine, entièrement animée par ses liens avec l’extérieur, la
région parisienne en premier lieu. Comme si, en somme, le
bonheur local devait être dans cette fragmentation globale.
L’avenir de la production passe par l’hybridation, qui
elle-même implique de dépasser la fragmentation : au
bout de la nouvelle logique, il y a cette métropolisation
qui consiste à inscrire ouvertement Le Havre et sa région
élargie dans la métropole-réseau. Comment réunir les
fragments de métropole ?
Le premier pas consisterait à revendiquer cette métropo-
lisation qui arrive, plutôt que de continuer à la subir – ce
qui permet en passant de la dénoncer confortablement
comme un corps étranger. Elle arrive par les réseaux et les
liens qu’ils favorisent. Est-Ouest, ils s’inscrivent dans une
longue histoire de la métropolisation grand-parisienne et
francilienne. Mais Nord-Sud, ils ouvrent la voie à une nou-
velle histoire métropolitaine, proprement normande. C’est
pourquoi l’avenir de cette métropolisation-là est aux mains
du couple Le Havre – Caen. Non pas qu’il faille trancher
dans le triptyque normand de vieilles cités portuaires rivales
en opposant pour Le Havre un choix caennais à un choix
rouennais, mais parce que la stratégie Nord-Sud est celle
qui permettra de sortir de la métropolisation comme domi-
nation, au bénéfice de la construction d’une identité métro-
politaine normande. Les activités portuaires et maritimes,
les grands évènements culturels qu’elles appellent, l’alliance
universitaire, la culture industrielle commune, sont les prin-
cipaux ingrédients de cette construction. Le Havre et Caen-
Ouistreham ne sont-elles pas en face l’une de l’autre, de part
et d’autre des 40 km de la baie
de Seine ? L’avenir métropoli-
tain du Havre passe par Caen.
Ce disant, on retrouve Benoit
Duteurtre : « Je n’ai jamais
vrai ment su où finissait la
“Au bout de la nouvelle logique, il y a cette métropolisation qui consiste à inscrire ouvertement Le Havre et sa région élargie dans la métropole-réseau. […] Le pre-mier pas consisterait à revendiquer cette métropolisation qui arrive, plutôt que de continuer à la subir.”
“Ces fragments de métropole sont là,partout dans les territoires de l’Estuaire dela Seine […]. Mais tous ne sont précisément que des fragments, des pièces éparses d’un
puzzle métropolitain que rien n’assemble dans l’espace élargi de l’Estuaire.”
50
Des logements ouverts sur le paysage, proches des services et des transports.
Les formes de logement potentielles sont multiples : individuel, intermédiaire,maisons de ville, petits collectifs.
Pôle multimodal : une connection métropo-litaine ; l’université, l’aéroport, les grands commerces, les emplois industriels, les grands équipements culturels, de 10 à 30 minutes.
Nouveaux logements
Des équipements et des services, en centre bourg, à quelques
minutes des transports publics.
Cour - place - parking : esplanade hybride.
Zone d’activitéhybride, en bordure de village, ouverte sur le paysage, une cour en commun avec d’autres usages.
L’activité n’est pas nécessairement à part : elle peut sou-vent être intégrée à un espace urbain, et contribuer à l’animer.
La production agricole est un des éléments du village métropolitain.
Les commerces et marchés traditionnels du centre ville sont valorisés par une forme urbaine plus compacte.
La gare (ou le pôle intermodal) dessert le village, les nouveauxlogements, à quelques minutes seulement.
Seine ni où commençait la mer… Sans doute parce que je suis
né au Havre, devant cette « baie de Seine » qui porte encore
le nom d’un fleuve, mais qui s’offre déjà au tumulte des tem-
pêtes ». Quand le Grand Paris s’invite au Havre, c’est vers
l’Atlantique qu’il faut regarder, parce que c’est de ce « tumulte
des tempêtes » que viendra la réaffirmation autonome du
destin commun des villes et des territoires normands.
Produire, hybrider, métropoliser : les trois mots d’ordre se
soutiennent mutuellement. Produire sans hybrider ni métro-
poliser, ce serait reconduire une situation fragmentée, propice
aux conflits et aux contestations qui finiraient par être fatales
aux diverses entreprises ; hybrider sans continuer à produire
et commencer à métropoliser, ce serait tenter un exercice
artificiel, une simple expérience de laboratoire sans portée
pour l’ensemble des territoires de l’Estuaire. Métropoliser
sans produire ni hybrider, ce serait se tromper de rôle dans
la métropole-réseau à construire à partir du Grand Paris, et
échouer au final dans le changement de statut à son égard.
En résumé : il ne suffit pas de produire, encore faut-il
hybrider et (se) métropoliser, pourrait-on dire, en ajou-
tant que les trois termes sont interchangeables. Rien de
bien neuf en somme – car même l’hybridation est vieille
comme le monde qu’elle rend vivant. Mais n’est-ce pas
en combinant les principes robustes et élémentaires qu’on
ouvre les voies nouvelles les plus prometteuses ? Puisse-
t-il en être ainsi pour les territoires de l’Estuaire aussi !
1. Benoît Duteurtre, « Entre Seine et mer », revue Seines, n° 3, été 2010, p. 46.
2. Laurent Davezies, La République des territoires, Seuil, 2 008.
3. Pierre Veltz, Le nouveau monde industriel, Gallimard, 2 008.
4. Benjamin Israel, Quel avenir pour l ’Industrie dans les places por-tuaires ? L’exemple de l ’Estuaire de la Seine, Presses des Mines, 2012.
51
Dans la métropole, les villages sont mieux reliés avec les autres ressources du territoire : on peut aller en transports publics dans tous le bassin d’emploi, aux grands services de trans-port (LNPN, Aéroport, navettes fluviales), aux pôles de formation, aux grands commerces thématiques, etc. On s’y rend d’autant plus facilement que le village métropolitain, mieux relié, est aussi plus resserré. En limitant son extension, il favorise la production agricole. Cette forme urbaine plus compacte inclue comme dans un bocage une trame verte, où l’on circule à pied en quelques minutes. Tout est proche : les nouveaux logements, l’acti-vité, les équipements et les commerces, le pôle mutimodal. Ainsi, la «métropolisation» n’est pas la transformation des lieux en clones Shanghaï, mais une manière différente, à la fois discrète et révolutionnaire, de valoriser les ressources de chaque pôle urbain, de chaque village : c’est le village métropolitain.
Le «village métropolitain»
“Quand le Grand Paris s’invite au Havre, c’est vers l’Atlan-
tique qu’il faut regarder, parce que c’est de ce « tumulte de
tempêtes » que viendra la réaffirmation autonome du
destin commun de villes et de territoires normands.“
53
Le projet métropolitain de l’Estuaire se doit de réin-
venter de nouveaux modes de relation des villes et
des campagnes en s’appuyant sur les imbrications actuelles
entre le rural et l’urbain et en valorisant les qualités attachées
aux campagnes estuariennes. Un tel projet apparaît comme
indissociablement lié à un (ou des) projet(s) agricole(s), que
l’on considère l’agriculture comme activité productive, ou
que l’on envisage ses effets structurants sur le territoire.
Dans un contexte d’intensification des flux de personnes
et de marchandises dans l’Estuaire, la constitution à venir
d’une territoire métropolitain vise une valeur d’exemplarité
en termes de qualité de vie, d’environnement et de dura-
bilité, notamment face aux enjeux futurs de changement
climatique, d’alimentation ou d’énergie.
Pour construire un territoire à forte valeur ajoutée, deux
grands axes de structuration du projet métropolitain sont
proposés. Le premier envisage les formes de composi-
tion et d’interdépendance entre les espaces ruraux et les
espaces urbains susceptibles de renforcer la qualité du ter-
ritoire de l’Estuaire ; le second esquisse les hybridations
d’intérêts métropolitains et d’intérêts agricoles qu’appelle
le projet. Au final, le projet métropolitain de l’Estuaire
se place dans le champ d’une transition socio-écologique
des activités et du territoire.
RÉINVENTERLES RELATIONS
VILLES/CAMPAGNESPOUR UNE TRANSITION
SOCIO-ÉCOLOGIQUEDE L’ESTUAIRE
OLIVIER MORA
UN REGARD INVERSÉ : LE TERRITOIREDE L’ESTUAIRE VU DES CAMPAGNES
Une imbrication étroite des campagnes et des villes
D’intenses relations entre les villes et les campagnes
organisent le territoire de l’Estuaire. Les mobilités entre
les domiciles localisés en zone rurale et les lieux de tra-
vail concentrés en zones urbaines sont fortes, comme
en témoignent l’étendue spatiale des aires urbaines et
la multiplicité des pôles urbains (Le Havre, Lillebonne,
Fécamp, Pont-Audemer, Honfleur, Deauville, Trouville,
Lisieux). Peu de communes rurales échappent à une
influence urbaine et un grand nombre d’entre elles sont
multipolarisées, sous l’influence simultanée de plusieurs
villes. Paradoxalement, ce territoire, où résident plus de
610 000 habitants garde une composante rurale marquée
avec 26,8 % de la population résidant dans des com-
munes rurales (contre 22,5 % au niveau français), et cela
bien que près de 180 000 personnes résident au Havre.
L’imbrication villes/campagnes est forte dans le fonc-
tionnement économique de l’Estuaire, et les campagnes
constituent un cadre de vie recherché par une large part
des résidents estuariens.
A cela s’ajoute l’influence de trois métropoles environ-
nantes Caen, Rouen et surtout Paris, qui influencent l’or-
ganisation de l’Estuaire, en particulier à travers les flux de
marchandises (la Seine, les infrastructures portuaires…)
et de personnes (voies ferrées et maritimes, axes routiers).
En outre, la métropole parisienne est à l’origine de mobi-
lités touristiques vers les espaces ruraux de l’Estuaire, qui
54
n Les espaces en herbe, le bocage et les roselières.
o Les grandes cultures et champs ouverts.
concernent notamment les littoraux et les campagnes for-
tement patrimonialisées caractéristiques du bocage nor-
mand où se développent aujourd’hui des phénomènes de
multi-appartenance et de multi-résidence.
Une attractivité démographique et touristique des campagnes en lien avec la qualité des paysages ruraux
L’Estuaire se présente comme une mosaïque de paysages
fortement contrastés où des paysages littoraux recherchés
côtoient de vastes paysages d’openfield
au nord de l’Estuaire et un paysage
intime de bocage. Ces paysages ruraux
et les sites naturels auxquels ils sont
associés contribuent à son attractivité.
Ainsi la croissance démographique des
espaces ruraux qui était déjà visible à
la fin des années quatre-vingt-dix s’est
accrue, à l’inverse des centres urbains.
De manière générale, l’attractivité
démographique de l’Estuaire s’ap-
puie principalement sur l’attractivité
résidentielle de ses campagnes. Ainsi les
campagnes qui sont structurées par l’ac-
tivité agricole et par des espaces naturels remarquables sont
des éléments clés de la qualité du territoire de l’Estuaire.
L’image attractive de la campagne et de la nature a ten-
dance à s’opposer à celle, industrielle, des grands pôles
urbains de la vallée de la Seine (Le Havre, Port Jérôme).
Le dépassement de cette opposition est l’un des enjeux
du projet métropolitain.
55
“Le projet métropolitain de l’Estuaire se place dans le
champ d’une transitionsocio-écologique des
activités et du territoire.Ce territoire où résident
plus de 610 000 habitants garde une composante
rurale marquée avec 26,8 %de la population résidant
dans des communesrurales (contre 22,5 %au niveau français).”
Les forêts et espaces boisés. n
Les lignes de crêtes des plateaux et des falaises. p
Des agricultures et des industries agro-alimentaires aux orientations clivées
5 000 exploitations agricoles sont présentes dans l’Estu-
aire. L’agriculture, extrêmement diversifiée, occupe 65 %
du territoire, et compte pour 2,4 % des emplois du terri-
toire. Au sud, les prairies et le bocage dominent en lien
avec l’élevage bovin pour le lait et la viande. Des filières
agroalimentaires valorisent des produits en appellation
d’origine contrôlée, et la filière équine est en plein déve-
loppement. Au nord, ce sont des systèmes de grandes
cultures qui dominent, produisant principalement des
matières premières standardisées destinées aux marchés
internationaux, ache minées via le port de Rouen. L’in-
dustrie agroalimentaire dans l’Estuaire emploie 5 000
salariés. Au nord, elle transforme principalement des
produits importés grâce au port du Havre, tandis qu’au
sud, elle transforme des matières premières produites
localement et s’appuie sur sept AOC. Ce système per-
met d’accroitre la valeur ajoutée des produits finaux et
des matières premières, et de capter localement une part
de la plus-value.
Le Havre
Goderville
Fécamp
Fauville-en-Caux
Bolbec
Saint-Romain-de-Colbosc Lillebonne
Caudebec-en-Caux
Pont-Audemer
Honfleur
Deauville
Pont-l’Evêque
Lisieux
Mézidon-Canon
Etretat
Criquetot-l’Esneval
¯ 0 10 205Km
(c)IGN - 2005(r)AURH (LA/TL- 10/2010)
Secteurs de déprise urbaine
Secteurs de forte tensionfoncière
Secteurs de tension foncière
Etalement urbain généralisé
L’étalement urbain projeté à l’horizon 2030
“5 000 exploitations agricoles sont présentes. L’agriculture, extrêmement diversifiée, occupe 65 % du territoire, et compte pour 2,4 % des emplois du territoire.”
m L'étalement urbain projeté à l'horizon 2030 pose des questions de pressions foncières
”L’image attractive de la campagne et de la naturea tendance à s’opposer à celle, industrielle, des grands pôles urbains de la vallée de la Seine.Le dépassement de cette opposition est l’un des enjeux du projet métropolitain.”
58
Seule une vision métropolitaine peut, comme
à Copenhague et Malmö, ou encore autour du
lac Léman, permettre à tous de bénéficier au
mieux du plus grand nombre de services. Ceci
implique des transports plus rapides, et la mer
est un formidable vecteur. Le bassin d’emploi
s’étend et les grands équipements, qu’ils
soient de transport, commerciaux, de loisirs ou
de formation, n’ont plus besoin d’être systé-
matiquement dupliqués. Une source d’écono-
mie et de cohésion territoriale, qui se réper-
cute sur la qualité de l’offre de transports.
Les deux «côtes» reliées parmer et par chemin de fer
Un meilleur équilibre des
aménagements valorisera et
préservera les milieux naturels.
Le tourisme balnéaire,
très attractif, est lui
aussi un «patrimoine»,
celui des bains de mer…
De rayonnement mondial, l’éle-
vage des chevaux de course est
une activité créatrice d’emploi
et un symbole.
De meilleures connections,
en bus, en train et par mer
diffusent le rayonnement
des grands équipements
d’accueil de l’Estuaire :
centre d’événements, hôtels,
instituts de formation…
Comme dans bien des métropoles ouvertes
sur la mer, des navettes rapides optimisent
les temps de transport, permettant à
plus d’usagers de bénéficier de multiples
services : commerces thématiques, centres
de congrès, aéroport, université, etc.
La réorganisation
des transports publics
à l’échelle de l’Estuaire
permettra sans
doute d’optimiser
les infrastructures
aériennes, et de
rendre chaque vol
plus accessible depuis
chaque ville.
LE DEVENIR DES RELATIONS ENTRE LESCAMPAGNES ET LES VILLES DE L’ESTUAIRE
L’enjeu d’un projet métropolitain est de conjuguer les sin-
gularités maritimes, rurales, industrielles et urbaines de
l’Estuaire en connectant ces espaces multiples et en déve-
loppant leurs interactions.
Aujourd’hui, les paysages agricoles et les sites natu-
rels sont des facteurs déterminants de l’attractivité, de
l’identité et de la qualité du territoire. Ainsi, les cam-
pagnes, dans leurs diversités, peuvent, à l’avenir, consti-
tuer des éléments fédérateurs du territoire. Il s’agit
tout d’abord de penser les espaces agricoles et natu-
rels comme des lieux de centralités, qui structurent un
réseau urbain multipolaire puis d’indiquer en quoi
ils peuvent être constitutifs d’un projet de territoire.
“Aujourd’hui, les paysagesagricoles et les sites
naturels sont des facteurs déterminants de l’attractivité,
de l’identité et de laqualité du territoire.”
60
Vue depuis les champsDans le village, de nouveaux
logements s’ouvrent sur
le paysage et profitent
de l’horizon des champs
ou des bocages.
Développement de logistique
agricole et d’industries de trans-
formation agro-alimentaire.
Haies et clos-masure,
un patrimoine paysager.
Des franges naturelles
(vallons, haies bocagères)
forment un milieu plus
favorable à la biodiversité,
et éloignent les lieux habi-
tés des champs.
m Regrouper et «compacter» les activi-
tés et les logements autour des villages
libère le reste du territoire pour la produc-
tion agricole. L’histoire cohabite avec le
développement récent : nouvelles habita-
tions en franges de bourg, usines et silos.
“La constitution d’une métropole diffuse pose un enjeu de maintien de qua-
lité du territoire. Cela passe notamment par la limitation
de l’urbanisation diffuse, afin d’empêcher une bana-lisation des espaces ruraux
par le mitage résidentielou le développement de
zones d’activités.”
Maintenir les qualités rurales des campagnes dans un contexte de développement urbain : la métropole diffuse
La constitution d’une métropole diffuse pose un enjeu de
maintien de qualité du territoire. Cela passe notamment
par la limitation de l’urbanisation diffuse, afin d’empêcher
une banalisation des espaces ruraux par le mitage rési-
dentiel ou le développement de zones d’activités. Ainsi, le
projet métropolitain implique de construire et de maîtri-
ser un réseau dense de relations des villes entre les réseaux
de villes et les campagnes, qui soit en capacité de structu-
rer le territoire. Le renforcement des équilibres entre villes
et campagnes permettra d’éviter la déconnexion des litto-
raux et des arrière-pays, des campagnes patrimonialisées
et des pôles urbains, et d’ouvrir des liaisons entre la ville
du Havre et les campagnes périphériques. Ces territoires
qui associent étroitement villes et campagnes sont d’abord
les espaces de vie des résidents, où ils réalisent la plupart
de leurs activités quotidiennes. Aussi l’accessibilité des
services sur l’ensemble du territoire reste un enjeu impor-
tant pour le développement des campagnes.
61
Tisser un réseau d’espaces agricoles et d’espacesnaturels imbriqué dans l’espace urbain
C’est aussi à une échelle fine que se jouent les interfaces
entre les villes et les campagnes. Le développement et
l’aménagement des interfaces spatiales doit favoriser l’in-
sertion des espaces agricoles et naturels à l’intérieur de la
ville et accroître la perméabilité d’espaces qui restent appa-
remment hétérogènes. La recherche d’un enchevêtrement
fin et maîtrisé entre les espaces urbanisés, ruraux, indus-
triels et naturels implique de porter une attention accrue à
l’accessibilité des espaces pour les individus (résidents, tou-
ristes), et à la connectivité des écosystèmes. Ce sont là des
éléments déterminants de la qualité de vie de l’Estuaire.
L’amélioration de l’accessibilité des urbains et des ruraux
aux espaces agricoles (sentiers, trames vertes) est l’occa-
sion de mieux intégrer les espaces ruraux dans le cadre
de vie des urbains. L’organisation de la circulation entre
les espaces favoriserait une appropriation publique des
espaces ruraux par les habitants et atténuerait les ruptures
spatiales. Il s’agit de ménager des manières et des possi-
bilités de se mouvoir d’un espace à l’autre : en organisant
les circulations douces entre les espaces urbains et ruraux,
entre les espaces industriels et portuaires et les espaces
urbains, et enfin entre les espaces industriels et les espaces
agricoles et naturels. À travers l’enjeu de l’accessibilité, les
campagnes participent du cadre de vie et de la constitu-
tion d’un espace public.
La prise en compte des interactions entre les milieux
dans l’aménagement pourrait permettre de réduire les
risques naturels affectant les espaces urbanisés à proxi-
mité d’espaces agricoles (en maîtrisant les inondations
“La recherche d’un enchevêtrementfin et maitrisé entre les espace
urbanisés, ruraux industrielset naturels implique de porter
une attention accrue à l’accessibilitédes espaces pour les individus, et
à la connectivité des écosystèmes.”
Le bocage est riche de sa production agricole. Il
l’est aussi par la transformation artisanale ou
industrielle de ses produits, qui a encore du po-
tentiel. Cette ressource organise aussi des pay-
sages d’une remarquable qualité, combinés à
des milieux naturels diversifiés. Ce cadre de vie
enviable peut attirer de nouvelles activités : le
tourisme bien évidemment, mais aussi d’autres
productions industrielles, de la recherche, des
pôles de formation.
Associer production agro-alimentaire, élevage, cultures fruitières et qualité des paysages
Par définition, le bocage s’appuie
sur une trame verte et bleue
solide, facteur de biodiversité.
La transformation des produits alimentaires
est une ressource que la métropolisation
permet de développer, notamment en
organisant mieux les circuits de distribution.
De nouvelles activités peuvent
tirer parti du paysage en s’y
insérant. Tourisme, mais aussi
formation et recherche.
Outre les paysages naturels et cultivés
du bocage, d’innombrables sites
patrimoniaux décuplent l’attractivité.
les interactions entre la qualité des espaces et la qualité de
vie en fabriquant des espaces plurifonctionnels. La gestion
du foncier agricole, en particulier les capacités de maîtrise
des dynamiques de changement d’usages des sols, sont au
cœur de ces évolutions. La prise en compte de la préser-
vation du foncier par les acteurs du territoire et dans les
politiques d’aménagement dépendra de la manière dont
les espaces agricoles vont se constituer en tant que bien
commun. À ce titre, la présence de campagnes singulières
modelées par les activités agricoles telles que le bocage,
est un élément majeur du développement territorial et de
l’économie des territoires. Pour autant, si les externalités
positives liées aux agricultures (paysages, biodiversité, ali-
mentation, patrimoine) sont nombreuses, elles restent à
valoriser de manière plus systé-
matique pour l’ensemble de l’Es-
tuaire. Par ailleurs, les externalités
négatives liées aux agricultures
(risques d'inondations, d’érosion,
de qualité de l’eau) constituent un
défi pour la qualité de l’Estuaire
et les coulées de boues par des
aménagements spécifiques des
espaces agricoles), d’accroître
la robustesse des écosystèmes
cultivés face à des accidents
climatiques (sécheresses ponc-
tuelles) ou face à des attaques sanitaires (en valorisant les
infrastructures écologiques), et d’accroître la richesse bio-
logique des milieux. Un aménagement des espaces basé
sur la porosité des milieux et les interactions positives
entre espaces – et non pas sur la ségrégation des milieux
et la gestion des frontières – peut améliorer la robustesse
du territoire face aux aléas climatiques, en renforçant la
résilience de l’écosystème. C’est ici une qualité écologique,
paysagère et systémique de l’Estuaire qui est en jeu.
Les campagnes, les espaces agricoles et naturels consti-
tuent un enjeu central pour la qualité de la vie, pour la
pérennité et la qualité des écosystèmes et des paysages
ainsi que pour la constitution d’un espace public métro-
politain. Un projet métropolitain implique de renforcer
“La prise en compte de la préser-vation du foncier par les acteurs
du territoire et dans les politiques d’aménagement dépendra de la
manière dont les espaces agri-coles vont se constituer en tant
que bien commun.”
“Les campagnes, les espaces agricoles et naturels constituent un enjeu central pour la qualité de la vie, pour la pérennité et la qualité des écosystèmes et des paysages ainsi que pour la constitution d’un espace public métropolitain.”
et leur réduction engage une maîtrise concertée des inte-
ractions entre les différents types d’espaces et entre les
activités qui s’y mènent. Une telle interaction des milieux
entre eux impose de décloisonner le champ décisionnel :
l’agriculteur devient un acteur de la ville et les enjeux
urbains doivent être envisagés jusque dans les campagnes.
LA PRISE EN COMPTE DES AGRICULTURES,DES FILIÈRES AGRO-ALIMENTAIRESET D’AGRO-RESSOURCES
Les enjeux globaux du changement climatique et de
l’énergie risquent d’affecter l’évolution de l’agriculture de
l’Estuaire. Pour autant, selon les projections réalisées pour
l’Ouest de la France par l’Institut National de Recherche
Agronomique, les rendements des différentes cultures
(herbe, blé, colza) se maintiendraient voire augmente-
raient. L’impact le plus important du changement clima-
tique sur l’agriculture pourrait résider dans la mise en place
de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de
serre. Au plan mondial, l’agriculture contribue à hauteur
de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, dont la moi-
tié est due à des changements d’usages des sols (déforesta-
tion, retournement des prairies…). Si l’élevage des rumi-
nants est particulièrement concerné par ces émissions, le
bilan de certains systèmes d’élevages à l’herbe pourrait être
positif du fait des capacités de stockage du carbone par
les prairies permanentes. Une transition vers une agricul-
ture à faible émission de gaz à effet de serre impliquerait
une reconfiguration des
systèmes agricoles par
rapport à la gestion des
sols (par ex. utilisation
“Une telle interaction des milieux entre eux impose de décloisonner le champ décisionnel : l’agriculteur devient un acteur de la ville et les enjeux urbains doivent être envisagés jusque dans les campagnes.”
des techniques de semis sans labour), à la fertilisation et
à l’usage d’engrais azoté (réduction des apports d’engrais
minéraux), mais aussi à la transformation et au transport
des produits agricoles.
À terme, avec l’épuisement progressif des ressources pétro-
lières, une augmentation importante du coût de l’énergie
pourrait affecter les filières agricoles sous l’effet d’une aug-
mentation des coûts des transports et du coût des intrants
agricoles fabriqués à partir des énergies fossiles. Dans
une hypothèse de rupture radicale par rapport à la situa-
tion actuelle, l’Estuaire pourrait valoriser ses équipements
portuaires et logistiques pour exporter à moindre coût sa
production agricole grâce à des réseaux de transports mas-
sifiés… ce qui impliquerait également une reconfiguration
complète des systèmes de production agricole. Enfin, le
développement des énergies renouvelables concerne aussi
l’agriculture. Sur les territoires, d’autres sources de biomasse
sont envisageables, issues de la sylviculture, de déchets agro-
industriels et urbains, ou de culture d’algues. Actuellement,
les vecteurs énergétiques les plus intéressants du point de
vue du rendement énergétique des process de transforma-
tion de la biomasse sont l’électricité et la chaleur.
Enfin, l’alimentation et sa qualité redeviennent des sujets
de préoccupation publique. Des formes de reterritorialisa-
tion des systèmes alimentaires sont aujourd’hui portées par
les collectivités territoriales et par des associations. Elles
répondent à différents enjeux : d’abord à une demande
sociale de proximité entre producteurs et consommateurs
dont témoigne le développement des circuits courts ; à un
souci croissant des institutions publiques pour la santé qui
privilégie l’alimentation en produits frais ; à la sécurisa-
tion de l’approvisionnement alimentaire dans un contexte
de volatilité des prix agri-
coles ; et enfin à un objectif
de diminution des émissions
de CO2 liées au transport des
marchandises agricoles.
Dans le cadre du projet métropolitain, trois objets spéci-
fiques, l’énergie, l’alimentation et le développement durable
sont à envisager. Ils constituent des terrains où peuvent
converger un intérêt agricole et agro-industriel et un pro-
jet métropolitain. Une logique commune de construction
de ces projets est à trouver. Elle consiste notamment à
renforcer la circularité des échanges de produits et des
flux de matières au sein de l’Estuaire. L’enjeu majeur
réside dans le renforcement des relations internes entre
agriculteurs ou entre industriels, mais aussi dans le déve-
loppement d’interrelations entre les différentes catégo-
ries d’acteurs. Au sein des exploitations agricoles, il s’agit
notamment d’améliorer la gestion des cycles biologiques
en valorisant les propriétés des écosystèmes, pour accroître
la durabilité des systèmes de production.
“Dans une hypothèse de rupture radicale par rapport à la situation actuelle, l’Estuaire pourrait valoriser ses équipements portuaires et logis-tiques pour exporter à moindre coût sa production agricole grâce à des réseaux de transports massifiés.”
Valoriser la biomasse dans le projeténergétique de l’Estuaire
Le développement des énergies renouvelables (éolienne,
marine, photovoltaïque, biomasse) est un enjeu important
dans le cadre d’une transition énergétique de l’Estuaire.
Pour les acteurs des territoires, ces nouvelles filières éco-
nomiques valorisent une biomasse peu utilisée par ailleurs
(petits bois issus de la taille des haies, déchets des scieries,
déchets urbains des espaces verts, effluents d’élevage). De
multiples collectivités se sont déjà engagées sur la voie d’une
diminution de la dépendance énergétique du territoire vis-
à-vis des combustibles fossiles, via des systèmes énergé-
tiques décentralisés. Les solutions développées à Fribourg,
à Saint-Félicien au Canada ou à Francfort, ont recours à
des unités de productions locales qui produisent principa-
lement de l’électricité ou de la chaleur, et approvisionnent
les entreprises, les particuliers et les équipements publics.
Les techniques les plus développées actuellement sont des
unités de cogénération qui produisent de l’électricité et de
la chaleur à partir de déchets de l’industrie du bois. Les
réseaux de chaleur sont en plein développement sur les ter-
ritoires, notamment dans le Pays d’Auge ; ils permettent
via des chaufferies-bois de desservir des logements collec-
tifs ou des entreprises. Le développement de biodigesteurs
valorisant des effluents d’élevage, des déchets agro-indus-
triels et de boues de station grâce
à des processus de méthanisation
pourrait également permettre de
produire du biogaz et de la chaleur.
Cependant, la mobilisation de la
biomasse reste un des enjeux impor-
tants et un facteur limitant de ce
développement sectoriel. Dans l’Estuaire, peu de ressources
agricoles de biomasse semblent directement mobilisables.
En revanche, les déchets des industries agro-alimentaires
(café, chocolat, thé) pourraient être mobilisées pour l’appro-
visionnement d’unités de cogénération qui, en profitant de
la proximité offerte par les infrastructures portuaires, pour-
raient fournir en chaleur d’autres industries ou les résidents
urbains. De plus, au vu de la forte présence de l’élevage
bovin sur l’ensemble de l’Estuaire, des unités de méthani-
sation utilisant les déchets d’élevage pourraient être géné-
ralisées. À plus long terme, d’autres voies d’accroissement
de la ressource en biomasse pourraient être explorées. Sur
les terres d’openfield qui connaissent d’intenses processus
d’érosion, le développement de l’agroforesterie pourrait
permettre, à la fois de produire des céréales et de la bio-
masse forestière, tout en limitant l’érosion. La culture d’al-
gues pourrait permettre, en mobilisant l’eau disponible en
abondance, de produire de la biomasse. Des industries de
la chimie verte pourraient se développer sur cette ressource
en biomasse, en s’appuyant sur les savoir-faire existants en
vallée de Seine. L’amidon de céréales ou de pommes de
terre pourrait être utilisé par exemple pour la production
de plastiques biodégradables ou de molécules chimiques.
Insérer l’agriculture locale dans les systèmesalimentaires de l’Estuaire
Rapprocher les bassins de consommateurs et la produc-
tion de biens alimentaires est une réponse à la demande
sociale de proximité entre producteurs et consommateurs,
qui accroît les échanges au sein du territoire et améliore la
qualité de l’alimentation des habitants. La relocalisation
des systèmes alimentaires se traduit principalement par
un approvisionnement en produits frais (fruits et légumes)
68
“Le développement de l’agro-foresterie pourrait permettre à la fois de produire des céréales
et de la biomasse forestière, tout en limitant l’érosion.
La culture d’algues pourrait permettre en mobilisant l’eau
disponible en abondance de produire de la biomasse.”
qui sont distribués via des circuits courts impliquant la
restauration collective, des magasins de vente collective, la
distribution de paniers ou la vente directe. L’aggloméra-
tion du Havre, qui est le pôle urbain le plus important de
l’Estuaire, semble directement concernée par ce type de
projet, mais également les territoires ruraux, les résidents
ou les touristes sont à la recherche d’un approvisionne-
ment de proximité.
Dans le cadre du projet métropolitain, le lien à l’alimen-
tation de la métropole parisienne pourrait être renforcé
en mobilisant les infrastructures portuaires, de transport
ferré et fluvial pour l’approvisionnement des populations
par des produits frais de l’Estuaire. Un dispositif de tra-
çabilité des produits s’appuyant sur des analyses de cycle
de vie des produits pourrait être garant de la provenance,
d’un mode de production préservant l’environnement, et
d’un transport faiblement émetteur de gaz à effet de serre.
Reste que le développement d’une filière alimentaire de
ce type nécessite d’accroître les capacités locales de pro-
duction agricole, notamment la production maraîchère,
jusqu’ici faiblement présente. Elle reste également tribu-
taire de la mobilisation des agriculteurs et de la profession
agricole autour de ces projets. À ce titre, la participation
des collectivités locales à des projets d’installation d’agri-
culteurs peut constituer un levier d’action déterminant.
“Le développement de biodigesteurs valorisant
des effluents d’élevage, des déchets agro-industriels et
de boues de station pourrait permettre de produire du biogaz et de la chaleur.”
du territoire. Au vu de la différenciation
des agricultures, plusieurs voies se des-
sinent. Au sud, les systèmes d’élevage
bovin, basés sur l’herbe et organisant
le bocage, génèrent des sites favorables
au maintien de la biodiversité. Ces sys-
tèmes entrent dans le cadre d’une agri-
culture à Haute Valeur Naturelle. Cette
qualification identifie au plan national des agricultures
générant des externalités positives en termes de services
écosystémiques, elle vise à mettre en place des politiques
publiques d’appuis spécifiques. Au nord, les systèmes agri-
coles, spécialisés en grandes cultures et sur des cultures de
niche, ont suivi l’intensification classique de l’agriculture
française, basée sur la suppression des perturbations, la
stabilisation des flux de matière et la réduction de la diver-
sité de l’environnement. Face à cette situation, de nom-
breux agronomes proposent de développer une intensi-
fication écologique de l’agriculture qui valorise mieux les
processus écologiques en renforçant l’efficacité propre du
système (fertilité des sols, cycles biogéochimiques, diver-
sité biologique des milieux, protection intégrée, etc.),
avec une faible utilisation d’apports externes. Certaines
orientations émergentes des systèmes de grande culture
semblent anticiper ces évolutions, notamment le dévelop-
pement de techniques sans labour ou de cultures intermé-
diaires qui limitent les processus érosifs.
A l’échelle de l’Estuaire, la complémentarité entre les
exploitations bovines produisant des effluents, et des
exploitations céréalières nécessitant une fertilisation azo-
tée pourrait être réalisée, afin de réduire la dépendance
aux engrais minéraux des grandes cultures au nord, de
Faire de l’agriculture, une pièce centrale de la qualité des écosystèmes et de l’image du territoire de l’Estuaire
Garantir la durabilité de l’agriculture nécessite d’inten-
sifier les liens entre écosystèmes cultivés et écosystèmes
naturels, et de faire en sorte que l’agriculture mobilise
mieux les processus écosystémiques. Une telle action
s’insère dans un projet métropolitain visant la qualité des
écosystèmes et la durabilité
des activités agricoles sur l’en-
semble de l’Estuaire, l’exem-
plarité des activités agricoles
participant de l’image globale
70
“Garantir la durabilité de l’agriculture nécessite d’intensifier les liens entre écosystèmes cultivés et écosystèmes naturels, et de faire en sorte que l’agriculture mobilise mieux les processus écosystémiques.”
“Au sud, les systèmes d’élevage bovin, basés sur l’herbe et orga-
nisant le bocage, génèrent des sites favorables au maintien de la biodiversité. Ces systèmes entrent
dans le cadre d’une agriculture à Haute Valeur Naturelle.”
n Les territoires agri-coles à Hautes valeurs naturelles en France.(SOLAGRO)
valoriser les effluents d’élevage au sud.
Dans un contexte d’accroissement du
prix des fertilisants minéraux, directe-
ment lié au prix des énergies fossiles,
cette démarche présente un intérêt éco-
nomique. Elle s’articule avec des tech-
niques de méthanisation des effluents
et permet d’utiliser les produits rési-
duels. Ce système exigeant requiert des compétences en
matière de logistique et de transport. Ce sont justement
ces métiers qui font déjà la reconnaissance de l’Estuaire
par son outil portuaire. La mise en place de ce dispositif
illustre la convergence et la complémentarité des fonc-
tions et des territoires qui peuvent s’opérer.
Enfin, les produits pourraient constituer des marqueurs
identitaires du territoire. La visibilité des produits serait
constitutive d’une image sous la forme d’un panier de
biens et de services. L’Estuaire est riche d’une diversité
de produits agricoles en Appellation d’Origine Contrô-
lée (fromagères, cidricoles) et de produits de la mer qui
sont susceptibles de spécifier une culture gastronomique
propre. D’autres productions, telles que le lin et ses pro-
duits dérivés, spécificités locales à valoriser, pourraient
participer à qualifier le territoire. Enfin, le cheval, la filière
équine et les sports de compétition qui bénéficient d’un
rayonnement international, devraient trouver une place à
leurs mesures dans l’image de l’Estuaire.
“Certaines orientations émergentes des systèmes de grande culture semblent anticiper ces évolutions, notamment le développe-ment de techniques sans labour ou de cultures inter-médiaires qui limitent les processus érosifs.”
Les espaces agricoles à Hautes Valeurs naturelles, les espaces remarquables et classés, les forêtset la trame bleue de l'Estuaire
73
VERS UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUEET ÉCOSYSTÉMIQUE DE L’ESTUAIRE
Ce qui est décrit ici, c’est une transition socio-écologique
de l’Estuaire, afin de rendre le territoire et ses acteurs
moins dépendants aux énergies fossiles, plus créatifs,
moins vulnérables aux risques, plus attentifs à la qualité
de vie des habitants, et plus impliqués dans les systèmes
alimentaires et agricoles.
Au regard de la situation actuelle, les évolutions envisa-
gées impliquent des innovations particulièrement impor-
tantes afin d’accroitre les qualités de ce territoire en tant
qu’espace de vie, organisation économique et mosaïque
d’écosystèmes. Des synergies pourraient se former entre
l’attractivité des campagnes constitutives de l’Estuaire
et les dynamiques d’innovation à travers l’ancrage d’une
« classe créative ». Des convergences pourraient éga-
lement se construire entre la valorisation de la qualité
des process industriels et la valorisation des processus
écosystémiques mis en œuvre par l’agriculture. L’innova-
tion dans l’Estuaire se pose à la fois en termes de gou-
vernance, de coordination des acteurs économiques, de
gestion spatiale et d’innovation sectorielle. Une telle
innovation est tributaire de l’existence de lieux ouverts à
la multiplicité des acteurs territoriaux, où se fabriquent
de nouveaux agencements d’acteurs, et où se construit
une réflexion collective sur les transformations en cours.
Elle appelle une hybridation entre les enjeux sectoriels et
territoriaux pour la définition d’un intérêt métropolitain.
“Une telle innovation est tributaire de l’existence de lieux ouverts
à la multiplicité des acteurs territo-riaux, où se fabriquent de nouveaux
agencements d’acteurs, et oùse construit une réflexion collective sur les transfor mations en cours.”
PARIS : LA VILLE MONDE ET LA MER
L’essor de Paris et de sa couronne atteint ses limites.
Le développement de la ville-monde peut se poursuivre
de manière radioconcentrique, ou choisir une autre
orientation. La Vallée de la Seine et le littoral normand
permettent de bénéficier de la qualité d’un territoire situé
dans un prolongement naturel, celui du fleuve Seine et
surtout d’offrir l’ouverture maritime des ports du Havre, de
Rouen et du littoral normand. Dans une réciprocité asy-
métrique (en effet, la puissance de la place de l’aggloméra-
tion capitale n’est pas comparable à celle des deux régions
normandes), Paris doit convenir avec la Vallée de la Seine,
la place portuaire et sa façade maritime, de la répartition
des conditions durables de ce développement partagé.
Le « Grand Paris » dans sa configuration actuelle, dis-
pose d’atouts considérables et répond aux fonctionnali-
tés néces saires à une grande capitale. Mais il ne dispose
toujours pas de cette ouverture maritime qui lui confèrera
de facto une dimension de ville-monde qui lui sera indis-
pensable pour s’imposer face à la concurrence féroce que
vont se livrer les grandes métropoles internationales au
cours du xxie siècle.
75
LE GATEWAY DE LA SEINEUNE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE
DU XXIE SIÈCLEDOMINIQUE DHERVILLEZ
JULIETTE DUSZYNSKI
Il s’agit, en l’occurrence,
d’envisager un espace à haut
niveau de services, à haute
qualité environnementale,
où la conjonction d’une
« distance raisonnable » (200 km de Paris à la mer), de la
fertilité économique et industrielle, des ouvertures mari-
times et continentales, de la présence d’une agriculture
puissante et diversifiée, d’une histoire et d’un patrimoine
remarquables, pourront engendrer un territoire complexe
et complet, de visibilité mondiale.
LA VALLÉE DE LA SEINE : TERRITOIRE D’ENJEUX
Paris doit garder son rang parmi les “villes-monde” pour
contribuer au maintien de la place de la France dans le
concert des nations. Cela lui est facilité en la dotant d’une
ouverture sur le monde maritime.
Cette nécessité a de multiples conséquences : elle confère
à la Vallée de la Seine la responsabilité d’axe stratégique
de redéveloppement pour la capitale et le pays, notamment
concernant l’économie productive (filières industrielles), elle
fait obligation aux ports du Havre, de Rouen et de Paris,
“L’avenir des activités industrielles et, plus généralement, celui de
notre appareil de production, est lié à l’efficacité et aux coûts des trans-ports ainsi qu’aux valeurs ajoutées
de la logistique moderne.”
de mettre en œuvre une stratégie
commune, intégrant également
les ports normands dans leur
réflexion, et à l’Estuaire de la Seine,
notamment la Ville du Havre, de
s’imposer comme une métropole
maritime à part entière. La Vallée
de la Seine correspond à un terri-
toire d’échelle adaptée pour mettre en œuvre une stratégie
de développement durable et d’économie circulaire. Elle
impose de faire le choix de l’innovation avec quelques fortes
évidences : la vitesse ferroviaire comme facteur de proximité
entre la “ville-monde et la mer” ; le maritime comme levier
central des économies du xxie siècle, toutes productions et
échanges confondus ; la mise en valeur des atouts géogra-
phiques et géopolitiques de notre pays.
LA STRATÉGIE DES FLUX
Le renouvellement de l’industrie et celui des ports doit
être conçu dorénavant comme un ensemble où comman-
dement, services, recherche, développement et production
des filières seront harmonisés au sein de l’espace géogra-
phique de la Vallée de la Seine et de l’Ile de France, pour
composer un territoire innovant du xxie siècle.
L’économie, dans toutes ses composantes, financières,
industrielles, d’échanges ou de services, est désormais
déterminée, non plus par les performances propres des
acteurs séparés, mais par les chaînes d’acteurs de la pro-
duction et de l’organisation des échanges, évoluant dans
l’espace de la globalisation mondiale.
Les marchés sont ainsi conditionnés par l’intensité des
flux au sein de réseaux de toutes natures, matériels et
immatériels, dont les caractéristiques premières sont la
fluidité, la sécurité, le « juste à temps ». Ce sont ces flux
qui génèrent des performances et des valeurs ajoutées.
L’accès aux circuits logistiques mondiaux performants
joue donc un rôle fondamental sur les coûts de produc-
tion : dans les approvisionnements industriels ; dans les
processus d’assemblage entre sites parfois répartis sur le
globe ; dans les coûts d’exportation. Ainsi, ils impactent
de façon déterminante les coûts de distribution et par
conséquent les conditions d’accès aux consommateurs.
Enfin, ils représentent un avantage concurrentiel pour
l’exportation de produits agricoles, qui s’ouvrent à la conte-
neurisation et apportent, de la sorte, des solutions au pro-
blème du retour des conteneurs vides. L’avenir des activités
industrielles et, plus généralement, celui de notre appareil
de production, est lié à l’efficacité et aux coûts des trans-
ports ainsi qu’aux valeurs ajoutées de la logistique moderne.
La façade maritime de notre pays, en particulier la Manche,
premier segment de la rangée portuaire nord européenne
(le Range), est un atout majeur. Encore convient-il qu’elle
soit mieux structurée afin de contribuer pleinement à des
gains de PIB substantiels pour notre pays.
LA STRATÉGIE MARITIME
Plus de 80 % des marchandises transportées le
sont par voie maritime, à faible coût et minimi-
sant les émissions de CO².
Ce chiffre illustre la place que vont occuper les
villes-ports maritimes (et fluviales). Elles vont
monopoliser les nœuds des réseaux mondiaux
de déplacement de la marchandise. De plus, les
grands ports dominants (constituant les principaux Hubs)
assureront sur leurs hinterlands des fonctions de transbor-
dement de flux maritimes et de diffusion-concentration de
la marchandise. La qualification de ces hinterlands est donc
un facteur déterminant. Elle dessinera une géo-économie
qu’il s’agit d’ancrer de façon durable sur les territoires.
Le conteneur se déplaçant de façon massifiée sur les voies
maritimes, comme sur les axes terrestres, fluviaux et ferro-
viaires, est devenu le vecteur universel des échanges. Dans un
système mondial de flux tendus, « l’ingénieur qui a inventé
le conteneur a provoqué un bouleversement aussi grand
que celui qui a inventé l’Internet » (Pascal Lamy, Directeur
Général de l’Organisation Mondiale du Commerce).
Dès lors, la massification au niveau mondial et continen-
tal du transport des marchandises est à la fois le facteur de
performance des productions et des échanges, mais aussi
du Développement Durable. En effet, les géants des mers
peuvent porter près de 18 000 conteneurs de vingt pieds,
relayés ensuite par les transports fluviaux et ferroviaires.
Dans ce contexte, les métiers portuaires, industriels, logis-
tiques, de services se doivent d’être de haut niveau et pro-
ductifs de valeurs ajoutées.
Aussi, les ports et voies d’eau, les voies ferroviaires fran-
çaises, doivent-ils offrir aux tissus industriels, toutes
branches confondues, des facteurs d’efficacité. La perfor-
mance de ces réseaux constituera, de surcroît, une offre
opportune pour de nouvelles activités, en particulier
PME et PMI. Il en sera de même pour les branches
industrielles traditionnelles qui pourront organiser au
mieux leur renouvellement.
LA STRATÉGIE INDUSTRIELLE
La production industrielle va être de plus en plus déter-
minée par les systèmes logistiques mondiaux, avec des
points de concentration, d’assemblage, d’éclatement et de
distribution dans des plateformes portuaires et des ports
secs, nœuds de réseaux qui vont constituer des lieux de
production de la valeur ajoutée.
Beaucoup de pays s’y attellent en développant leurs places
portuaires, leurs villes et leurs quais. La France, dont la
position géopolitique est enviable, n’est pas suffisamment
volontariste face à ces enjeux incontournables des pro-
chaines décennies. Or, la question est devenue d’autant
plus impérieuse que la part de l’industrie dans la valeur
78
“L’ingénieur qui a inventé le conteneur a provoqué un bouleversement aussi grand que celui qui a inventé l’Internet.”PASCAL LAMY, Directeur Général del’Organisation Mondiale du Commerce
ajoutée nationale n’est plus que de 15 %, soit moitié moins
qu’en Allemagne.
Le repositionnement industriel de la France est possible
et nécessaire, il se fera à partir des territoires déjà forts
d’une tradition et d’infrastructures industrielles, avec ce
que cela implique d’outils et de savoir-faire, articulés avec
les potentiels portuaires, pour l’export et l’import, et sur
des grands bassins de consommation.
LA MISE EN SYSTÈME : LE GATEWAY
Le Gateway est une approche des réseaux, centré parti-
culièrement sur le rôle de porte d’entrée et de sortie entre
réseaux. Utilisé en informatique, il est souvent appli-
qué aux complexes portuaires comprenant les terminaux,
leurs liaisons maritimes (foreland), les zones logistiques,
les connexions terrestres avec l’arrière-pays (hinter-
land) constituées de corridors de fret et de plateformes
intérieures.
Les ensembles formés par les ports, leurs hinterlands et
leurs forelands fonctionnent comme des circuits de flux
massifiés, interdépendants et mis en relation par des sys-
tèmes d’intelligence partagée. C’est ce que l’on appelle un
Gateway. La référence à l’intelligence artificielle s’étend
depuis peu au concept de port intelligent (brain port),
conçu comme l’opérateur clé de ces systèmes.
LES GATEWAYS ÉTENDUS
Dans une approche plus complète, le rôle du Gateway dépasse
largement les composantes portuaires, les infrastructures de
transport et les activités logistiques. Au-delà de sa fonction
de passerelle, il permet de relier le développement et
l’ensemble des composantes associées à l’aménagement du
territoire. C’est donc un outil partagé par nature.
Ces composantes territoriales étendues reposent sur l’in-
telligence du territoire, sa capacité à innover et à géné-
rer une différenciation concurrentielle. Elles s’appuient
sur les grappes (clusters institutionnels/entreprises), les
filières économiques, l’enseignement, la formation et la
recherche à l’échelle de plusieurs territoires, organisés dans
un écosystème logistique à valeur ajoutée développant les
synergies entre la logistique, l’industrie, la distribution,
le commerce et les autres activités tertiaires (ex : services
supports, pourvoyeurs de solutions technologiques). Il ne
s’agit pas seulement de laisser passer les flux, mais de leur
79
“Il ne s’agit pas seulement de laisser passer les flux, mais de leur apporter une valeur additionnelle, créatrice de richesses et d’emplois.”
apporter une valeur additionnelle, créatrice
de richesses et d’emplois.
Dans ce grand mécano doté de plusieurs
dimensions et échelles à intégrer, le Gateway
joue un rôle de moteur fédérant, animant et
stimulant la dynamique économique, socié-
tale et environnementale au service d’une
ambition territoriale.
APPLICATION À LA VALLÉE DE SEINE
En s’appuyant sur les exemples étrangers de
territoires forts de leurs appareils portuaires,
nous proposons d’adapter le système du
Gateway, largement utilisé dans les pays anglo-saxons,
au contexte singulier de la Vallée de la Seine.
Le Gateway se caractérise par un haut niveau de services,
une fiabilité partagée, des coûts de services maîtrisés, une
organisation et une solidarité des acteurs du système. Il
est à la fois infrastructures connectées, opérateurs sur ces
réseaux, territoire d’accueil d’activités et de renouvellement
de celles déjà en place, intelligence de territoire concrétisée
par des guichets ou portails, des services, une recherche et
un enseignement supérieur thématisés, et une marque qui
se doit d’être mondiale et saisie comme un ensemble.
L’ensemble formé par Paris “Ville-Monde”, la vallée
intense de la Seine, les territoires la bordant et le débou-
ché maritime offert par Le Havre et Rouen, l’Estuaire
de la Seine, le littoral normand, le tout magnifiquement
placé à l’Ouest de l’Europe, dispose des éléments consti-
tutifs d’un Gateway. Celui-ci reposera sur une unité
de territoire, conférée par la LNPN, qui en sera même
80
l’acte fondateur, mais également sur un cocktail excep-
tionnel, au niveau mondial, d’espaces de production, de
qualités urbaines, agricoles, d’espaces naturels, de patri-
moine, d’établissements culturels, d’enseignement et de
recherche, de climat et d’attractivité, dont le tourisme
n’est pas la moindre.
Comme pour le Gateway d’Anvers, il y a une nécessaire
reconquête de nos atouts maritimes, de la meilleure maî-
trise de nos importations et exportations.
Comme pour le Gateway Canadien, à l’égard du conti-
nent américain, nous sommes le premier port touché et le
dernier laissé de l’Europe. Et nous devons encore optimi-
ser les outillages et services de frets ferroviaires et fluviaux
avec pour ambition de développer son positionnement de
porte européenne. De plus, nous pouvons mobiliser nos
productions agricoles pour conjuguer nos exportations
avec le retour des conteneurs vides.
Comme pour le Gateway de la Tamise, nous avons aussi
une ville-monde, qui doit envisager des rééquilibrages, en
particulier sur le tertiaire et les front-offices, l’enseigne-
ment supérieur et la recherche, la meilleure répartition
des emplois et des habitants, qui sont les questions cru-
ciales du développement de la région parisienne.
ACTIVATION DU SEINE GATEWAY
Les atouts indispensables qui sont à disposition et qui
caractérisent notre espace sont : un hub : Le Havre et
le complexe portuaire normand (port le plus à l’ouest,
1er touché, avant le détroit du Pas de Calais) ; une “ville
-monde” : Paris (avantage concurrentiel) ; la conjonction
d’une armature portuaire avec un appareil productif (la
“L’ensemble formé par Paris ville-monde, la vallée intense de la Seine, les territoires la
bordant et le débou-ché maritime offert
par Le Havre et Rouen, (l’Estuaire de la Seine) le littoral normand, le tout magnifiquement
placé à l’Ouest de l’Europe, dispose des éléments constitutifs
d’un Gateway.”
Seine Gateway
Façade maritime de Paris
Vallée de Seine industrielle) ; une
position de pivot dans l’orientation
des flux (maillage entre les liaisons
Nord-Sud et les axes Est-Ouest,
comprenant l’aire géographique Manche-Atlantique) ;
la constitution d’une position géostratégique : la dorsale
Le Havre-Rouen-Paris, un littoral maillé avec l’ensemble
des ports côtiers de Cherbourg à Dieppe et l’ouverture à
terme vers le Nord et l’Est de l’Europe via le Canal Seine
Nord Europe ; les déplacements touristiques – les sites sont
extrêmement nombreux et de dimension mondiale – mais
aussi les flux aériens, ferroviaires, maintenant fluviaux et
maritimes avec le développement des croisières ; la valo-
risation des sites industriels qu’il va falloir reconvertir par
l’effet des accès au monde entier que procure le Gateway ;
la valorisation des productions agricoles, en les transfor-
mant (les agro-industries), en massifiant leurs exportations
tant par les voies d’eau que les voies maritimes ; la collection
considérable d’attractivités résidentielles que présentent la
Vallée de la Seine, ses bordures et le littoral, le climat et
les modes de vie qu’on y trouve ; la capacité de traiter l’en-
semble des chaines des déchets, de leurs transformations,
à la fois à l’échelle du bassin, à celle des flux de transport,
mais aussi des outillages industriels adéquats.
Tous ces facteurs doivent être dynamisés ensemble pour
mettre en évidence nos forces pour que soit activé un
modèle de développement qui était présent mais latent.
Ce Gateway de la Seine reposera sur l’emboîtement de
systèmes vertueux, productifs, durables, attractifs, inno-
vants et complémentaires. Cette combinaison est une des
clés pour apporter de profonds changements dans notre
économie et assurer la position de Paris et de la France
dans le monde. Elle seule est en mesure d’articuler les
grands flux d’échanges mondialisés de toutes natures et
de promouvoir le renouveau de notre industrie.
L’Estuaire peut se saisir de cette opportunité pour se
doter d’une image attractive, puissante, étonnante et
donner à ce territoire une haute qualité résidentielle à
l’échelle de notre continent. C’est la condition nécessaire
pour donner la volonté et la capacité à Paris de décen-
traliser sur ces territoires des fonctions de commande-
ment, portuaires, industrielles, logistiques, de services aux
entreprises, universitaires, de recherche, pour pouvoir, en
retour, mieux se placer sur les segments concurrentiels de
l’excellence mondiale
L’ESTUAIRE DE LA SEINE ETLE GATEWAY DE LA SEINE
L’Estuaire de la Seine est la porte du Gateway, c’est bien
sûr un enjeu pour la place portuaire, mais c’est l’espace
qualifié d’un développement diversifié, et partagé, par-
tie d’un dispositif de dimension mondiale : emplois por-
tuaires, logistiques, industriels, tertiaires et universitaires à
l’instar des emplois présents dans les grandes places por-
tuaires européennes.
L’Estuaire est une pièce maîtresse de cette nouvelle stra-
tégie territoriale qui relie la région capitale à la mer. Nos
ports, nos infrastructures mais aussi nos compétences et
nos savoirs sont autant d’atouts pour relever ce défi.
83
”Ce Gateway de la Seine reposera sur l’emboîtement de systèmes vertueux, productifs, durables, attractifs, innovants
et complémentaires.”
”L’Estuaire de la Seine est la porte du Gateway, c’est bien sûr un enjeu pour la place portuaire.”
Le Grand Parc de l’Estuaire donne forme à un projet
partagé. Entité à constituer autour de la Seine, de la
forêt de Brotonne à l’océan, entre terre et eau, ce Parc du
xxie siècle manifeste une nouvelle alliance entre la nature,
le développement industriel et urbain. Il réconcilie de
multiples dimensions – espace à la fois naturel, agricole,
industriel, portuaire, touristique, urbain…
Le vaste site de l’Estuaire a connu de nombreux plans, il
porte de multiples projets. Plutôt que d’un nouveau plan
directeur, il a besoin d’une vision dynamique, qui le prépare
aux mutations annoncées : nouvelle relation du Havre avec
Paris (train rapide), canal Seine-Nord-Europe et dévelop-
pement de la logistique fluviale… Pour cela, il lui faut un
récit qui aide à en construire une représentation partagée
et des « moteurs » susceptibles de faire évoluer le territoire.
La question de l’identité concerne le site dans sa grande
échelle – comment faire émerger un sys-
tème global à partir de la diversité de ce
qui existe ; comment dynamiser les dif-
férents projets par une vision collective.
Les nouvelles cultures répondent à cet
emboîtement pour mettre en mouvement
le territoire, motiver ses acteurs – eux qui
construiront le changement.
85
LA PORTE DU GATEWAYDE LA SEINE
LE GRAND PARCDE L’ESTUAIREANTOINE GRUMBACH
JEAN-ROBERT MAZAUD
“Entité à constituer autour de la Seine,de la forêt de Brotonne à l’océan, entre terre et eau, ce Parc du XXIe siècle manifeste une nouvelle alliance entre la nature, le développementindustriel et urbain.”
IDENTITÉ : CONSTRUIRE UN GRAND RÉCITRÉVÉLER LA GÉOGRAPHIE DANS TOUS SES ÉTATS
La colonisation du royaume de l’eau
Le Grand Parc de l’Estuaire ne peut pas être dissocié du
front maritime. Eau douce, eau saumâtre, eau salée : le
territoire de l’Estuaire est à la fois fleuve et côte. Il doit
être pensé à la fois dans sa vallée et son front maritime
– jusqu’à Étretat et Deauville, Fécamp et Caen ou Cher-
bourg. Pensé également par ses deux rives, ensemble –
deux rives qui ont manqué de relations.
Zones humides
La présence de l’eau et des zones humides marque la culture
partagée par tous : ce repère peut tisser des liens avec l’inté-
rieur du territoire, par les vallées et les valleuses. Il concerne
l’industrie comme les loisirs des habitants ou le tourisme.
Les zones humides, vasières et roselières, espaces protégés
pour leur biodiversité (oiseaux et poissons en particulier),
sont occupées aussi par les chasseurs, qui y aménagent
des gabions – environ 200 mares artificielles équipées
d’un abri enterré où les tireurs attendent le gibier d’eau.
La réserve naturelle de l’Estuaire de la Seine est une des
seules en France où la chasse soit tolérée – en raison de
l’influence de quelques 2 000 chasseurs (surtout dockers
et travailleurs du port). Un rapport de force qui témoigne
de la complexité des jeux d’acteurs.
L’Estuaire est l’objet de conflits parfois violents – entre
le Port, les écologistes et les défenseurs des oiseaux, les
industriels et les chasseurs, les agriculteurs ou les coupeurs
de roseaux (cette récolte permet d’enlever de la matière
organique et d’éviter une trop rapide eutrophisation).
86
“Milieu écologiquement très complexe, l’Estuaire est un des parcs naturels français les plus riches biologiquement.”
“Alors que la vallée n’a pas cessé de se transformer au fil des siècles, les crêtes offrent un élément iden-titaire stable. Elles constituent les limites du Grand Parc de l’Estuaire – tout territoire a besoin de limites pour que son espace puisse être ressenti et reconnu.”
La roselière fixe autant d’azote et
de phosphore qu’une station d’épu-
ration pour 200 000 habitants,
à condition qu’il y ait la marée. Une épuration d’autant
plus efficace que la surface est importante. Mais ces zones
deviennent rares dans la Vallée de la Seine. Milieu écologi-
quement très complexe, l’Estuaire est un des parcs naturels
français les plus riches biologiquement, site de plusieurs
zones protégées et de multiples mesures compensatoires
(opérations de protection visant à contrebalancer les nui-
sances d’un projet d’aménagement). Il y manque un inven-
taire des nombreux espaces où il serait possible d’organiser
ces compensations – avec l’objectif de les réaliser sur le ter-
ritoire lui-même plutôt que dans d’autres régions.
Les crêtes comme limites
Alors que la vallée n’a pas cessé de se transformer au fil
des siècles, les crêtes offrent un élément identitaire stable.
Elles constituent les limites du Grand Parc de l’Estuaire
– tout territoire a besoin de limites pour que son espace
puisse être ressenti et reconnu.
Cette limite peut se matérialiser par une promenade qui
relie les plateaux aux falaises côtières – avec belvédères,
observatoires et tables d’orientation. Ce chemin est un
outil de découverte de l’ensemble de l’Estuaire, où prendre
conscience de son échelle, des relations entre les deux rives,
des alternances paysagères
entre nature, ville et indus-
trie. S’y révèle l’histoire géo-
logique et humaine du site,
s’y ressentent les horizons,
l’ouverture sur le grand large.
87
Le site de papier
Zones à risques, des atouts. Le changement de regard
auquel invite cette étude encourage à voir les contraintes
comme des atouts. Ainsi des deux zones de PPRT (Plan
de Prévention des Risques Technologiques) de l’Estuaire,
qui gèrent plusieurs risques Seveso : il devient impossible
88
“Cette limite peut se matérialiser par une promenade qui relie les plateaux aux falaises
côtières – avec belvédères, observatoires et tables d’orientation. Ce chemin est un outil
de découverte de l’ensemble de l’estuaire, où prendre conscience de son échelle, des relations
entre les deux rives, des alternances paysagères entre nature, ville et industrie.”
en France d’en créer de nouvelles et ces zones donnent
une valeur ajoutée aux territoires dès lors que leur gestion
favorise une excellence industrielle durable. Ici peuvent
se concentrer des industries en mutation.
L’histoire de l’industrialisation de l’Estuaire est ancienne,
indissociable du développement industriel de la Seine
en amont. Les zones industrielles de l’Estuaire vont sans
doute radicalement évoluer dans les prochaines années,
pour accueillir des industries vertes, des activités de
construction navale pour le fluviomaritime, des zones
logistiques d’un nouveau genre où chaque fonction de
transport sera différenciée en fonction de la nature des
objets à transporter…
89
UN PARC INDUSTRIEL,PORTUAIRE ET ÉCOLOGIQUE
Ecologie industrielle : un grand port dans la nature
Les différents sites portuaires et industriels de l’Estuaire
sont intimement liés – bassins du Havre, Port 2000, Port
Jérôme et site de Notre-Dame-de-Gravenchon, Port de
Rouen à Honfleur… Le développement du port semble
se heurter à la rareté de foncier, puisqu’il est exclu de
construire sur la mer. Il est contraint par la nature mais cette
contrainte est aussi son argument : il commence à recon-
naître sa responsabilité écologique dans la préservation
des espaces sensibles et précieux de l’Estuaire.
Il doit rassurer les inquiets en sanctuarisant ses limites,
pour éviter le grignotage du territoire, en particulier sur
le parcours du canal qui doit traverser la zone naturelle et
relier le port à la Seine. Un
canal indispensable pour
ménager aux péniches un
accès direct aux conteneurs
mais qui risque de ne pas être accepté si ses rives naturelles
ne sont pas sécurisées.
Il faut aussi un plan du site portuaire qui réserve des cor-
ridors écologiques à l’intérieur de son périmètre (en pro-
fitant de ses zones non constructibles – souvent gelées en
raison de passage de réseaux), un plan de développement
de corridors verts et bleus à relier. Dans le vaste territoire
de l’Estuaire, il est également utile de poursuivre l’identi-
fication des nombreuses zones de compensation possibles.
Le port sur le port
Depuis les 30 Glorieuses, les implantations industrielles
sur le port du Havre se sont étendues au prix d’une dépense
excessive d’espace. La montée des exigences environne-
mentales oblige à une nouvelle attitude. La crédibilité d’un
projet de développement repose dorénavant sur une ges-
tion économe de l’espace, qui repense et réinvestit les vastes
sites portuaires et industriels existants. Les relations du
port avec la ville sont également au cœur de cette évolution,
ainsi que le montre l’étude de Bruno Fortier sur la pointe
de Floride, la citadelle et la nouvelle gare (Le Havre 2 020).
90
“La crédibilité d’un projet de déve-loppement repose dorénavant sur
une gestion économe de l’espace, qui repense et réinvestit les vastes sites portuaires et industriels existants.”
Le port compact : pour rationaliser ses espaces industriels,
remplacer les hectares de stationnement par des parkings
en silos, se densifier, le Port a besoin d’un nouveau schéma
directeur et d’un nouveau cahier des charges pour les
entreprises. Il lui faut en particulier un fond de soutien qui
encourage les entreprises déjà implantées à se reconcen-
trer – les arrivées ne suffisant pas à transformer le site.
Les grands ports se pensent dorénavant comme les élé-
ments d’une grande chaîne à l’échelle européenne et mon-
diale. L’atout principal du Havre a toujours reposé sur sa
forte accessibilité nautique. Les différents chantiers por-
tuaires menés à travers l’histoire ont privilégié cet aspect,
avec comme cible le navire phare du moment : le paque-
bot (bassin Théophile Ducrocq), le pétrolier (Antifer), le
vraquier (Zone Industrialo-Portuaire) et aujourd’hui le
porte-conteneurs (Port 2 000). À chaque fois, les résul-
tats ont été en deçà des attentes. Aujourd’hui, les trafics
conteneurs stagnent : Le Havre résiste à la mondiali-
sation alors qu’il devrait en vivre. Sa stratégie a besoin
d’évoluer. L’ouverture prochaine d’une plateforme multi-
modale va créer les conditions d’une efficacité logistique
qui doit s’inscrire dans une réflexion sur les flux de fret
en Europe (développement du fluvial, amélioration du
ferroviaire…).
À la manière des ports hanséatiques, une stratégie
immobilière doit construire de grands hangars en blancs,
loués temporairement, où se produit la valeur ajoutée.
La vocation maritime des espaces portuaires en aval de
l’écluse François 1er doit être préservée, leur capacité à
accueillir les navires d’aujourd’hui et ceux de demain (pas
nécessairement des conteneurs). Le projet portuaire sera
à redéfinir de façon souple, au fur et à mesure des évolu-
tions à venir – la baisse des trafics pétroliers et la probable
reconversion de la pétrochimie en chimie verte, l’arrivée
de la biomasse, l’essor du tourisme de croisière, de nou-
velles activités économiques…
La vocation de producteur d’énergie est inscrite dans les
espaces portuaires. Elle doit évo-
luer en méthodes (du charbon à
la biomasse) et en services, dans
le port et hors de son enceinte, au
service de la ville.
91
“À la manière des ports hanséatiques, une stratégie immobilière doit construire de grands hangars en blancs, loués temporairement, où se produit la valeur ajoutée.”
Pour un projet agro-industriel
Grâce au fleuve, outil de massification idéal, le port
devient un lieu de développement pour l’agro-industrie,
en particulier pour traiter les sous-produits de l’agricul-
ture, transformables par l’industrie ou pour le chauffage
– par exemple les tonnes de poussières produites par les
céréales rassemblées sur le port de Rouen sont récupé-
rables pour alimenter des chaudières.
Que la métropole s’adosse à une tradition agricole très
riche est essentiel pour l’avenir : terres agricoles et forêts
participent au métabolisme du territoire et captent du
CO2. Les résidus organiques des villes et des industries
(à condition d’être traités) peuvent fertiliser les sols, la
production de fibres peut alimenter la fabrication de plas-
tiques (une filière lin existe déjà, intégrée au groupement
industriel Fimalin). Ce projet agricole a besoin de pré-
server son foncier – donc besoin d’une industrie et d’une
ville économes en terres – et de développer ses atouts
spécifiques : agricultures de proximité, cultures hors sol,
production de biomasse et d’énergie…
Élevage, maraîchage, grandes cultures… Le territoire de
l’Estuaire assemble des productions agricoles d’une remar-
quable diversité. Activité éco-
nomique fragile, comme par-
tout en France, donc à conforter
par un projet global, auquel les
professions concernées doivent
participer en première ligne.
Vu à l’échelle des départements
qu’il borde, l’Estuaire permet
d’associer les différentes sortes
d’agriculture qui perdurent sur
ses deux rives – cultures intensives
sur les plateaux, bocages au Sud.
La présence d’animaux d’élevage
favorise les productions biologiques, qui ont besoin de
leurs rejets comme engrais.
Une grande porte touristique européenne
Changement de regard, le tourisme représente pour l’Es-
tuaire une économie à construire et une industrie à déve-
lopper. Paquebots, cabotages, plages, forêts, patrimoine
monumental et artistique, patrimoine industriel aussi :
il est possible de créer ici une grande porte touristique
européenne, en profitant du fleuve, de la mer, de la proxi-
mité de Paris, de la future Ligne Nouvelle Paris Norman-
die qui va attirer les croisiéristes…
Le tourisme, secteur le plus dynamique de l’économie
française, représente une force, en emplois, en affirma-
tion d’une identité du territoire, en amélioration du cadre
de vie pour les habitants et les entreprises. En termes de
développement durable, c’est une piste majeure, celle du
tourisme chez soi, économe en déplacements et en CO2.
Un évènement artistique et culturel
Pas de projet territorial sans projet culturel. Parce que
l’aménagement est d’abord sensible et partagé avant d’être
technique, la dimension culturelle est incontournable,
autant pour fédérer un sentiment collectif d’appartenance
que pour attirer des visiteurs et des entreprises. Un tel
projet, qui se construit dans le long terme, a aussi besoin
d’une étincelle, un événement artistique et culturel ambi-
tieux, qui offre une belle occasion de donner à découvrir
le territoire et de mobiliser l’ensemble de ses acteurs, élus,
entreprises, habitants…
92
“L’aménagement est d’abord sensible et partagé avant d’être technique, la dimension culturelle est incontournable.”
“Grâce au fleuve, outil de mas-sification idéal, le port devient
un lieu de développement pour l’agro-industrie, en particulier pour traiter les sous-produits
de l’agriculture, transformables par l’industrie ou pour le chauf-
fage – par exemple les tonnes de poussières produites par les
céréales rassemblées sur le port de Rouen sont récupérables
pour alimenter des chaudières.”
93
“L’Estuaire porte un projetde festival : à la fois biennale d’art et forum de recherche sur le thèmede l’eau, il invitera une rencontre internationale des estuaires et sera associé àla 2e édition de NormandieImpressionniste (et peut-êtreà l’Armada).”
L’Estuaire porte un projet de
festival : à la fois biennale d’art et
forum de recherche sur le thème
de l’eau, il invitera une rencontre
internationale des estuaires et
sera associé à la 2e édition de
Normandie Impressionniste (et
peut-être à l’Armada). Cet événement prendra sa dimen-
sion dans une grande ambition, faire de Paris-Rouen-Le
Havre un axe identitaire, à la fois économique et culturel,
de la métropole du xxie siècle.
CHANGEMENT DE CULTURE
On ne peut étudier un territoire sous l’angle du développe-
ment durable sans aborder un à un, puis chacun par rapport
aux autres et enfin, dans leur ensemble, les six domaines qui
façonnent la structure de l’impact environnemental qu’ont
les activités humaines sur notre planète et ses écosystèmes :
l’énergie, ses sources, ses utilisations, ses limites, ses dan-
gers et son devenir ; l’agriculture,
ses besoins, ses évolutions, ses
dépendances, ses nuisances, ses
carences et ses nouvelles fonc-
tions ; l’industrie, ses conditions,
ses promesses, ses inerties, ses
risques, ses révolutions et son
avenir ; les transports, leur cadre,
leurs innovations, leurs défail-
lances, leurs dépendances, leur
industrialisation et les nouvelles
addictions et projections d’ave-
nir ; les constructions, leurs jus-
tifications, leur progrès, leurs n Potentiel théorique de rayonnement solaire annuel
sur la terre par rapport à la consommation d’énergie
annuelle mondiale et aux réserves fossiles et nucléaires.
94
“L’énergie le sera à partir de la culture de la mutation,
l’agriculture à partir de la culture de la compensa-
tion, l’industrie à partir de celle du risque, les trans-ports, celle de la lenteur, les constructions, celle de la réversibilité et enfin les
déchets, celle de la préser-vation des ressources.”
imperfections, leurs conséquences, leur
intégration et leurs incarnations ; les
déchets, leur origine, leurs quantités,
leurs inconvénients, leur dégradation,
leur valorisation et leur stigmatisation.
La biodiversité devient aujour d’hui
un indicateur fiable de notre capacité
à aménager un territoire sans engager
son pronostic vital.
A la grande échelle, l’Estuaire de la Seine comporte tous
les éléments pour pouvoir remettre en œuvre des projets
de développement durable impliquant les six champs
d’action que sont l’énergie, l’agriculture, l’industrie, les
transports, les constructions et les déchets.
Chacun d’eux nous oblige à opérer dialectiquement
vis-à-vis des cinq autres. Chacun d’eux peut être défini
aujourd’hui à partir d’une culture prédominante. L’énergie
le sera à partir de la culture de la mutation, l’agriculture à
partir de la culture de la compensation, l’industrie à par-
tir de celle du risque, les transports, celle de la lenteur, les
constructions, celle de la réversibilité et enfin les déchets,
celle de la préservation des ressources. Ces six cultures per-
mettent de mieux comprendre en quoi
les questions environnementales et leur
traduction, par exemple, dans les prin-
cipes du Post-Kyoto structurent notre
pensée et articulent nos actions.
Ainsi les opportunités de projets sont
nombreuses au sein de chaque domaine,
sur le territoire de la porte du Gateway
et se mixent les unes aux autres dans
´
“A la grande échelle, l’Es-tuaire de la Seine comporte
tous les éléments pour pouvoir remettre en œuvre
des projets de développe-ment durable impliquant
les six champs d’action que sont l’énergie, l’agriculture,
l’industrie, les transports,les constructions et
les déchets.”
´
´
un nouveau paysage économique,
social, culturel et écologique. L’éner-
gie, grâce d’une part à la maturité des
techniques photovoltaïques et à la
nécessité de prendre en compte mas-
sivement la biomasse, tisse des liens
entre l’industrie et l’agriculture, entre
l’agriculture et les constructions et réintègre les déchets
dans un cycle vertueux qui préfigure l’économie circulaire.
Les énergies renouvelables ne représentent pas seulement
un changement de gisement. Elles nous obligent à repen-
ser totalement nos modèles d’exploitation et de valorisa-
tion en inversant le rapport Production-Distribution. La
production n’est plus massifiée, mais dispersée pendant
que la distribution devient un facteur de remassification.
Là, se produit la mutation et ses conséquences sur l’espace.
L’agriculture, à cause de la nécessité absolue de préserver
la biodiversité mais aussi de l’incroyable avancée des bio-
technologies, créé une synergie rural-urbain qui dépasse
désormais les seuls composants alimentaires pour se ren-
forcer grâce aux composants énergétiques. De même, le
rapport agricole industriel se fond dans une même nou-
velle équation. Les bio-raffineries ne seront plus exclu-
sives à l’un des deux. Les réserves d’espace ne sont plus
des vides à conquérir. Elles représentent soit une ressource
alimentaire ou énergétique soit un patrimoine du vivant à
préserver et à stimuler. La nécessité d’arbitrer les attribu-
tions des espaces dit « libres » génère la culture de la com-
pensation qui seule permet d’atteindre un équilibre global.
L’industrie sans cesse renouvelée par les nouvelles
conquêtes technologiques (qu’elles soient dans le
domaine de l’énergie, des transports, ou des matériaux)
se voit façonnée dans l’espace par les coproductions qu’elle
entreprend avec l’agriculture et l’écologie. Il faut désor-
mais parler de « parc industriel » au sens propre, mais
aussi inverser certaines propositions comme les Plans de
Préventions qui deviennent des terres d’accueil. L’eco-
industrie renforce les notions d’économie circulaire. La
consommation ou l’accumulation puis la transformation et
l’assemblage de produits naturels ou manufacturés ne sont
pas des processus sans conséquence sur notre patrimoine
matériel et immatériel. La culture du risque s’est interpo-
sée entre extraction et production d’une part et pour cha-
cun d’eux, entre distribution et consommation d’autre part.
De la même façon que les espaces naturels deviennent des
marqueurs de la qualité, les innovations technologiques
s’évaluent grâce à des indicateurs de performances envi-
ronnementales. Les transports voient leur champ d’ac-
tion s’agrandir grâce au mix des solutions. Les sources
de progrès ne sont plus réservées à la vitesse ; la lenteur
génère ses propres systèmes vertueux, du « plus léger que
l’air » jusqu’à la barge fluviale en passant par la bicyclette
ou le paquebot à voiles. Le transport touristique devient
industriel et l’extrême variété des moyens de transport
une nouvelle opportunité de développement d’activités
de construction, d’étude, de formation, de maintenance
et de coproduction, là aussi.
L’abolition des distances est un objectif désormais atteint
pour la transmission des informations et de toutes les
matières virtualisables. L’explora-
tion de nouveaux besoins modifie
le sens de maîtrise du temps. La
culture de la lenteur vient enrichir
celle de la vitesse pour proposer
96
“La culture de la réversibilité est une traduction du recy-clage appliqué aux espaces,
l’extension des mutualisa-tions au domaine énergétique
(besoins et productions) ouvre de nouvelles perspec-tives aussi bien architectu-
rales qu’urbanistiques.”
“À condition d’être transfor-més, les déchets deviennent des produits, c’est toute une chaîne nouvelle de production qui voit le jour avec son cortège de besoins en infrastructureset en structures.”
des combinaisons qui structurent notre
espace de façon différente.
Les constructions désormais envisa-
gées sous l’angle de la réversibilité, se
retrouvent impliquées dans les grandes
innovations énergétiques, forcées de
composer avec l’agriculture mais aussi le
recyclage des matériaux pour proposer un nouveau rapport
entre le patrimoine (et c’est le cas extrême au Havre avec le
classement au Patrimoine Mondial du centre-ville) et l’élec-
trogénité, c’est-à-dire leur capacité à produire de l’électricité
grâce à l’exposition de leur enveloppe à la lumière solaire,
qui modifiant leur fonction, modifie également leur forme.
Les bâtiments et leur emprise foncière portent en eux
la capacité à rebondir dans une boucle de plus en plus
vertueuse. La ville se régénère en se recomposant perpé-
tuellement et en renforçant étape après étape sa capacité
à offrir une mutualisation des services. La culture de la
réversibilité est une traduction du recyclage appliqué aux
espaces, l’extension des mutualisations au domaine éner-
gétique (besoins et productions) ouvre de nouvelles pers-
pectives aussi bien architecturales qu’urbanistiques.
Les déchets qui par définition proviennent de la consom-
mation de produits, autrement dit de ressources, étaient
jusqu’à présent concernés par un processus linéaire en
trois phases : massification – dispersion – élimination. Les
déchets sont désormais pris dans une boucle vertueuse
massification-dispersion-remassification. Cette évolution
replace le territoire comme acteur majeur selon ses capa-
cités à, là encore, proposer des coproductions Collecteurs-
Agriculteurs-Collecteurs industriels etc.
À condition d’être transformés, les déchets deviennent
des produits, c’est toute une chaîne nouvelle de produc-
tion qui voit le jour avec son cortège de besoins en infras-
tructures et en structures. La culture de préservation des
ressources naturelles ne peut qu’inciter à l’économie cir-
culaire et l’amplifier si des dispositifs spatiaux naturels (le
fleuve) ou artificiels (centres de traitement) le permettent.
Dans chacun des six domaines, ce qui apporte l’inno-
vation aujourd’hui, c’est la prise en compte de circuits
courts. Ayant atteint la limite que nous offre la géogra-
phie de notre planète (avec des océans qui couvrent plus
des deux tiers de sa superficie) pour activer les échanges
matériels à grande distance, nous ne pouvons qu’augmen-
ter la valeur ajoutée des ports fluviaux maritimes en com-
binant toutes les échelles (mondiales à locales), toutes les
vitesses (supra rapides à lentes), tous les cycles (renouve-
lables à combinés), toutes les espèces vivantes (des plus
rares à protéger aux plus judicieuses à cultiver), toutes les
énergies (des plus sensibles aux plus banales) et toutes les
formes de gouvernances (des plus traditionnelles
aux plus innovantes). La recherche des circuits
courts permet de révéler les atouts d’une région,
d’une implantation, d’une configuration pour que
puissent être proposées des solutions d’aménage-
ment, d’urbanisme et d’architecture.
97
“Les déchets sont désormais pris dans une boucle vertueuse massification-dispersion-remassification.”
“La recherche des circuits courts permet de révéler les atouts d’une région,
d’une implantation, d’une configuration pour que
puissent être proposées des solutions d’aménage-
ment, d’urbanisme etd’architecture.”
98
“La culture de la lenteur vient enrichir celle de la vitesse pour proposer des combinaisons qui structurent notre espace
de façon différente. Les constructions désormais envisagées sous l’angle de la réversibilité, se retrouvent impliquées
dans les grandes innovations énergétiques.”
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Les quartiers SudLes Magasins Généraux
La gare du Havre La Citadelle Pointe de Floride
Quai de Southampton
101
Envisager la construction du territoire de l’Estuaire,
pose la question de l’architecture métropolitaine
du Havre, cité maritime et portuaire. Le Havre, à l’évi-
dence, est en train de changer de signe. Elle a modernisé
son port, valorisé son patrimoine et a mené une politique
patiente d’unification de la ville que devrait confirmer le
parcours de sa première ligne de tramway.
Le Havre, on le sait, a changé : son port s’est ouvert à la
ville ; un parc linéaire a été amorcé tout au long d’un bas-
sin fluvial face auquel des logements ont récemment été
livrés : Sciences Po et l’INSA s’y installent, l’Ecole Natio-
nale Supérieure Maritime les rejoindra bientôt… Mais cet
effort indispensable a trouvé un autre horizon (vers Paris
notamment) et il risque d’être insuffisant si le cadre même
du projet dans lequel il s’inscrit n’est pas, de son côté, élargi
et réétudié. En bref, s’il n’offre pas une armature à partir de
laquelle on puisse faire converger ses acteurs autour d’une
vision plus large et qui puisse les mobiliser.
Le Havre tout d’abord, ne peut demeurer silencieuse sur
le cadre qu’elle compte offrir aux développements de court
ou de long terme qu’elle a récemment contribué à mettre
en perspective.
Elle le peut d’autant moins que le Port – associé à la Ville –
prend à l’heure actuelle la mesure des mutations techniques
qu’il doit continuer de conduire, en même temps que des
territoires de moindre intensité qui peuvent être, du coup,
porteurs eux aussi de projets.
LE HAVRE 2020 BRUNO FORTIER
“Le Havre, à l’évidence est en train de changerde signe.”
PresquîleLucien Corbeau
Le Havre, métropole maritime
A quoi s’ajoute la probabilité, pour la Communauté
d’Agglomération d’être sollicitée demain sur ces mêmes
perspectives : que ce soit par l’Etat (au titre des transports
ou de la Société du Grand Paris), par le Port ou par les
investisseurs à venir que Le Havre souhaiterait attirer.
LE PORT
Son emprise, on le comprend bien, détermine à la fois
l’assise et l’élan du projet. Nous n’avons fait ici que
recueillir les hypothèses que ses acteurs nous ont com-
muniquées, tout en sachant que les options qui semblent
aujourd’hui ouvertes peuvent de leur côté faire l’objet de
plusieurs scénarios : la possibilité de faire muter le site
de la Citadelle et par conséquent d’occuper tout ou par-
tie des emprises aujourd’hui affectées au Trans-Manche
pourvu que celui-ci trouve une nouvelle localisation ; la
faculté aussi, à court ou moyen terme, de disposer des
terrains de la pointe de Floride (relativement libres
aujourd’hui), sachant toutefois que les croisières et très
bientôt les éoliennes offshore se saisiront de ses versants
les plus méridionaux.
L’archipel havrais : une nouvellegéographie urbaine et maritimeCitadelle – Pointe de Floride – Southampton :les territoires d’enjeux
“Le Havre, jusqu’ici, privilégiait sa plage.Elle doit continuer de le faire, mais doit
également se tourner vers le port etles développements civils.”
LA VILLE-CENTRE
Problème complexe là encore, puisqu’il touche des quar-
tiers existants, engage des options de transports nécessai-
rement très lourdes, et implique bien évidemment de se
fixer de claires priorités.
Le temps et les phasages étant ici déterminants (qu’il
s’agisse de la gare à venir, de l’apparition d’une seconde
ligne de tramway, ou qu’il s’agisse de la vitesse avec
laquelle certains terrains portuaires pourront se libérer),
nous avons fait le choix d’explorer prioritairement les
développements à dix ans en laissant en suspens – ou plus
exactement ouverte – la question de savoir si la gare à
venir occupera le même site, si l’on se contentera (solu-
tion d’ailleurs positive) de la reculer légèrement ou si son
basculement au Sud du bassin Bellot semblera finale-
ment préférable et de nature à nourrir plus efficacement
ce projet.
Ce point demeurant à débattre, plusieurs pistes ont été
explorées.
LE CENTRE PERRET
La première – récemment amorcée par le biais du classement
du Havre au Patrimoine mondial de l’UNESCO – concerne
évidemment le cœur reconstruit par Perret. On en mesure
bien les atouts, on connaît aussi les actions qui y ont été enga-
gées (l’aménagement des plages, celui du Musée Malraux,
la réhabilitation du théâtre de Niemeyer), il ne fait pas de
doute qu’il faille aller plus loin : animer ces bassins, rendre
leurs abords plus passants… Mais la trajectoire du Tramway
ne fait que confirmer l’élan d’un axe Est-Ouest au total assez
naturel, mais qui laisse pour l’instant de côté des trajectoires
Nord-Sud beaucoup moins animées jusqu’ici, alors même
que tout plaide pour qu’un tout autre élan leur soit très rapi-
dement donné : Le Havre, jusqu’ici, privilégiait sa plage. Elle
doit continuer de le faire, mais elle doit également se tourner
vers le port et vers les développements civils que ses nou-
velles distributions paraissent autoriser. C’est le sens de nos
plans : les plages restent un point de départ, mais des jardins,
des quais traités en promenade, pourraient parfaitement se
poursuivre en direction du port de pêche et du même coup
« boucler » les deux panoramas qu’imaginait Perret.
“On en mesure bien les atouts, on connaît aussi les actions qui y ont été engagées. il ne fait pas de doute qu’il faille aller plus loin : animer ces bassins, rendre leurs abords plus passants…”
« Adresse » sans aucun doute, la Citadelle doit aussi se doter d’une véritable vocation. Elle peut accueillir des Congrès, mais la prochaine implantation de l’Ecole Nationale Supérieure de la Marine Marchande peut également plaider pour en faire un Campus logistique semblable à celui de Hambourg. Ce se-rait, de Paris au Havre, une issue à la fois logique et conforme aux nouvelles ambitions du plus grand port français.
LA CITADELLE
Reste la Citadelle, son potentiel et son caractère excen-
tré… Qu’elle soit pour l’instant à l’écart est un fait d’évi-
dence : elle comporte – il est vrai – quelques bureaux
récents, elle accueille également ceux du port, mais l’es-
sentiel de son emprise demeure « automobile », sa circula-
tion très intense, alors même qu’elle pourrait constituer le
pivot d’un développement qui devrait concerner à la fois
le centre relancé, la proue Ouest des « quartiers Sud » et
les développements envisageables sur la presqu’île Lucien
Corbeaux. Cette île peut donc être « magique ». Elle peut
être le cœur du projet et il ne fait donc pas
de doute, à nos yeux, qu’il faille très vite la
libérer pour en faire une des priorités pour
le projet urbain du Havre.
“Cette île peut être «magique». Elle peut
être le cœur du projet.”
LA GARE MAINTENUE
Reste aussi la question de la gare : elle fait partie du
centre-ville, elle est facilement accessible et bien sûr des-
servie par la première ligne de tramway… On peut ima-
giner qu’elle reste en place : c’est la solution la plus simple,
mais les faiblesses d’une telle issue n’en demeurent pas
moins évidentes (elle s’adresse à la ville mais ignore vers
le Sud les développements qu’il faudrait lui donner et
ne laisse au total que des emprises modestes au Nord et
au Sud du faisceau), à moins – précisément – qu’elle ne
soit déplacée ou tout simplement reculée. Hypothèse que
d’autres études devraient sans doute, et ceci très bientôt,
contribuer à cerner.
LA GARE DES PAQUEBOTS ?
La gare maritime était celle qui déposait les voyageurs
au pied des transatlantiques. Le fort développement de
la croisière et la présence des ferries transmanche posent
la question d’une gare dédiée, « la gare des paquebots »
assurant la liaison de Paris au Havre tant pour les têtes
de lignes que pour les escales touristiques. Chaque navire
qui accoste quotidiennement peut assurer le remplissage
d’un à deux trains.
LES QUARTIERS SUD
Nous avons différé le moment d’aborder cette question
à la fois importante, difficile et un peu latérale au projet.
On en connaît le paradoxe : nous sommes là sur huit cents
hectares, et c’est à cet endroit (sur le bassin Vatine) que
le projet du Havre a démarré ; ce quartier peu peuplé,
marqué par l’industrie et les grands ensembles sociaux est
par ailleurs confus et relativement compliqué. Situation
à laquelle s’ajoute une certaine urgence puisqu’une très
importante partie de ses terrains est aujourd’hui mutable
sans qu’existe un moteur suffisant pour permettre d’y atti-
rer des investissements de qualité.
Partant d’atouts réels : la position en fin de compte cen-
trale de ces huit cents hectares ; le lancement prochain
d’une ligne de transport en site propre (rue Ferrer, rue
Gustave Nicole) ; les « proues » que constituent le bassin
Vatine et le stade de Soquence.
L’attitude à tenir nous a paru passer par la création d’une
armature d’espaces publics (cours, jardins ou allées) à
traiter dès maintenant en espaces réservés, et permettant
de doter ces terrains de structures arborées repérables
autour desquelles l’archipel des emprises mutables pour-
rait être à la fois densifié et, à terme, valorisé. C’est en par-
ticulier le parti que nous avons pris au Sud des Magasins
Généraux ; c’est aussi, très probablement, ce qui devrait se
faire sur le site de la Citadelle (si du moins, comme nous
l’espérons, on la traite comme un « parc habité »), et c’est
ce qu’il convient de poursuivre.
EN CONCLUSION…
Si certaines de nos suggestions devaient se trouver
retenues, les conclusions à en tirer pourraient donc être
les suivantes : communiquer d’abord et montrer que
Le Havre – moteur à cet égard – s’est dotée d’un projet ;
approfondir le scénario de l’île de la Citadelle (déplace-
ment du Trans-Manche, esquisse à cet endroit d’un parc
de centre ville), et s’appuyer sur ce site pour obtenir, dans
un cadre plus large, l’apport de programmes éminents ;
lancer des études plus approfondies sur l’arrivée de la ligne
nouvelle ; faire connaître Le Havre, et donc chercher de
nouvelles résonances (culturelles, commerciales ou autres)
à l’inscription du centre-ville au Patrimoine mondial de
l’UNESCO ; lancer une série de « plans-guides » sur les
secteurs de développement que l’étude a identifiés : Pro-
menade de la mer et quais de Southampton, Citadelle,
Magasins Généraux, bassin fluvial et quartiers Sud.
“C’est sur le bassin Vatine que le projetdu Havre a démarré.”
“Nous habitonsune « constellation »de lieux, touscomplémentaires.La qualité de ce réseaudépend de la qualitédes services offerts,des activités etdes emplois.Elle dépend ausside la qualité dutemps passé auxdéplacementsqu’ils soient prochesou lointains, de leurs conditionset de leur coût.”
109
De manière très concrète, on peut habiter dans un village,
étudier à la ville, ou bien travailler dans une usine, et pro-
fiter du paysage naturel pendant son repos, ou ses trajets.
La « métropolisation » est ainsi la conjonction de forces de
mesures très diverses dans un même territoire. Plutôt que
d’opposer les éléments très divers de l’Estuaire, elle favorise
ainsi les cohérences, la continuité des espaces habités.
La « mobilité » a un rôle très important dans cette nou-
velle forme de ville. Ce terme très prononcé aujourd’hui
désigne bien plus que les manières de se déplacer, il
concerne l’évolution de nos modes
de vie, où le mouvement n’est plus
seulement une parenthèse, mais un
constituant à part entière.
Qu’est-ce que cela veut dire dans
l’Estuaire de la Seine ? De quels
déplacements parle-t-on ?
Dans ce territoire globalement plu -
tôt « diffus », l’automobile a de beaux
L’ESTUAIRE,LA VILLE CONSTELLATION
FRÉDÉRIC BONNET
D’UN LIEU À L’AUTRE, UN ESTUAIREMÉTROPOLITAIN OFFRE UNE NOUVELLE FAÇONDE VIVRE LA VILLE
Chacun d’entre nous a une adresse : on « habite » bien un
lieu particulier, qu’il s’agisse de Pont-Audemer, du Havre
de Lisieux, de Fécamp ou de Gravenchon. Mais pour
autant, est-ce là le seul lieu de notre vie ? Bien souvent,
on travaille un peu plus loin, à quelques kilomètres – par-
fois bien au-delà ! Les études, les loisirs, les courses nous
mènent souvent dans la ville voisine. Bref, la vie quoti-
dienne ne se limite pas à un ou deux lieux, mais est tis-
sée selon un réseau de services ou d’activités, étendu, qui
diffère d’ailleurs pour chacun d’entre nous. Nous habitons
une « constellation » de lieux, tous complémentaires.
La qualité de ce réseau dépend de la qualité des services
offerts, des activités et des emplois. Elle dépend aussi de
la qualité du temps passé aux déplacements, qu’ils soient
proches ou lointains, de leurs conditions et de leur coût.
La vie quotidienne s’installe dans cette ville constellation,
il en va de même pour la vie économique : les entreprises
ont tout à gagner de ces complémentarités et de ces flux.
Dans cette nouvelle forme de ville, les villes ne s’opposent
plus aux villages, ni la campagne à l’urbain, ni la mer à la
terre, ni les vallées aux plateaux, ni l’industrie à l’agriculture.
“La vie quotidienne ne se limite pas à un ou deux lieux, mais est tissée selon un réseau de services ou d’activités, étendu, qui dif-fère d’ailleurs pour chacun d’entre nous. Nous habitons une « constellation » de lieux, tous complémentaires”
jours devant elle. Il faudra travailler plus encore sur
son adaptation, sur son partage, son optimisation, pour
rendre son utilisation progressivement plus durable, sans
la stigmatiser pour autant. Sur les déplacements les plus
courts, le vélo a sa place à tenir, terriblement efficace sur
les moyennes distances. Les transports collectifs sont
eux promis à un bel avenir : leur développement, bien
coordonné avec les lignes de plus grande ampleur, est
une condition du développement équilibré du territoire.
Il ne s’agit pas seulement du train, mais aussi des autobus
urbains et des cars, dont l’économie est dans bien des cas
plus favorable.
Outre les efforts déjà consentis de part et d’autre de la
Seine, cette dynamique repose sur la performance ampli-
fiée des transports publics, de tous types, et en particu-
lier le redéploiement du réseau ferroviaire de proximité :
cette fluidité a un effet bénéfique sur l’accès à l’emploi,
sur l’optimisation des services proposés à la population.
Parce que les déplacements ne se résument pas au « domi-
cile-travail », les paysages extraordinaires font de ces
mouvements l’occasion de fantastiques promenades, qu’il
s’agisse des horizons maritimes de l’Estuaire, des sil-
houettes portuaires, des coteaux et des falaises, des chemins
des plateaux, du dédale du bocage ou du frais des vallées ;
promenades pour le loisir ou le sport, certes,
mais aussi, et pourquoi pas, plaisir de traverser
tel ou tel paysage, une vallée sauvage ou l’éten-
due des champs, en allant faire ses courses, en
allant au travail ou à l’université. Cette qualité
des parcours constitue une grande part de l’at-
tractivité du territoire de l’Estuaire. Elle peut
et doit être accompagnée, améliorée.
“Les transportscollectifs sont euxpromis à un bel avenir : leur développement,bien coordonnéavec les lignes deplus grande ampleur,est une conditiondu développementéquilibré du territoire.”
111
Mobilité : les relais locauxde la ligne nouvelleParis-Normandie (LNPN)en cœur d’Estuaire
Port 2 000
Par le pont de Normandie,
lien TCSP cadencé entre
les deux rives.
Connexion avec réseau LNPN,
réseau métropolitain
Est-Ouest et Nord-Sud
(Pont de Normandie).
LNPN et liaison
métropolitaine
gare principales
et gares locales.
Réseau TCSP Harfleur - Gonfreville-
Lillebonne ND de Gravenchon -Tancarville
Vallée de la Seine - port - LNPN.
La capacité à se déplacer est source de richesse, à condition
que l’on puisse organiser les déplacements avec économie,
avec un certain plaisir, et sans que l’inégale répartition des
ressources ne se répercute dans l’offre de déplacement.
Beaucoup de territoires européens se sont ainsi recons-
truits grâce à l’effort entrepris sur leurs connexions.
Cette capacité décuple les complémentarités entre les
grands paysages et les zones habitées, mettant les plus
vastes espaces à proximité immédiate des pôles urbains.
Habiter l’Estuaire, dans quelques années, cela voudra dire
disposer à la fois de bassins d’emploi diversifiés et acces-
sibles, de grands équipements bien répartis, d’une vie de
proximité intense, ainsi que d’un accès direct aux plus
remarquables paysages naturels.
CE QUE CETTE NOUVELLE FORME DE VILLE« EN CONSTELLATION » IMPLIQUE…
Penser l’Estuaire comme un réseau de villes et de villages
interconnectés n’a pas seulement un impact sur l’organi-
sation des déplacements. On pourrait avoir tendance à
se concentrer uniquement sur les options liées à la Ligne
Nouvelle Paris-Normandie,
et à ses interfaces avec les
autres modes de transports.
Il faut aller au-delà. Penser le
devenir de ce territoire « en
constellation », interdépen-
dant et solidaire, c’est imagi-
ner de manière différente ses
équilibres et l’ensemble de ses
caractéristiques.
112
“C’est une nouvelle « urbanité », une nouvelle manière de vivre en-semble qui allie l’intensité urbaine
à la magnificence des grands sites. Le Grand Paris, s’il dispose des services et des grands pôles
urbains, n’aura plus la chancedu grand paysage, déjà consommé
par l’urbanisation diffuse et les réseaux. Ce n’est pas le cas de part
et d’autre de la Seine. Voilàun atout considérable.”
Reliés par la Vallée de la Seine : au nord, les plateaux et les falaises, au sud, les vallons du bocage et les plages. Deux grands caractères interdépendants que le fleuve peut fédérer.
L’Estuaire métropolitain : rassembler autour d’une idée commune desterritoires riches de leurs contrastes
Les falaises et le plateau.
Chaque lieu fait partie d’un ensemble plus vaste, auquel
il est mieux relié. Par ces échanges, il tire profit de la
dynamique d’ensemble : c’est le village métropolitain.
Le bocage et les plages de sable.
L’axe de la Seine relie, de Fécamp à Lisieux
et Pont-Audemer, des histoires différentes
autour d’un même destin.
114
Un territoire en partage, une culture estuarienne
On passe ainsi d’une ville à un village, d’un lieu à l’autre.
Pour soi, pour le travail, pour les autres, dans la vie quoti-
dienne comme dans les échanges économiques. Ces « pas-
sages », comme les désigne Chris Younès, ne se limitent
pas à des déplacements physiques : plus on bouge, plus
on partage des activités avec d’autres, plus la conscience
d’appartenir à un même territoire – l’Estuaire – se déve-
loppe. Dans la ville constellation, l’évolution des pratiques
de chacun fait évoluer les cultures locales, et les mélange
avec une vision plus ample.
Comment les actions des unsont un impact sur la vie des autres L’image du « mobile »
Cette « ville constellation », où le mouve-
ment favorise la vie économique, ne pose
pas seulement des questions de mobi-
lité. C’est la programmation générale du
e
re.
i-
s-
nt
us
ce
e-
es
ge
e-
se
i-
du
Un logement collectif
ou individuel, qui tire
parti des proximités
et des vues.
Des logements de types
diversifiés : petits collectifs,
maisons de ville, maisons…
Une place publique :
commerces, jeux.
Un pôle transport
multimodal.
Habiter la nature et la campagne, proche des services et des transports
“Habiter l’Estuaire, dans quelques années,
cela voudra dire disposer à la fois de bassins d’em-
ploi diversifiés et acces-sibles, de grands équipe-
ments bien répartis, d’une vie de proximité intense,
ainsi que d’un accès direct aux plus remarquables
paysages naturels.”
Nous sommes presque à
la campagne : l’habitat
individuel a toute sa place.
Il peut simplement être
plus compact, proche des
transports, et profiter
vraiment du paysage.
Une agriculture
de proximité.
La vue sur les lointains,
les cadrages sur le grand
paysage, magnifique
aussi bien pour le plateau
que pour le bocage.
Un parc à
deux pas des
logements.
De nouvelles formes d’habitat permettent à la
fois d’aller à pied, en une à deux minutes, aux
commerces, aux services, ou à la gare qui nous
relie au reste de la métropole, et à d’autres ser-
vices, d’autres destinations. Le paysage extra-
ordinaire des plateaux, des falaises, du bocage
ou des vallons, est mis en valeur par ce resserre-
ment de la forme bâti : en consommant moins de
terrain, on garde les plus favorables pour l’habi-
tat, en préservant les terres les plus fertiles.
territoire qui est en jeu. Tous les nouveaux
développements, qu’ils soient résidentiels,
industriels, touristiques, ou mieux encore
« hybrides » n’intéressent plus uniquement
leur immédiate proximité, mais un ensemble
plus large d’habitants et d’acteurs.
Qu’on réalise une zone d’activité à Beuze-
ville ou à Lisieux, l’impact dépasse large-
ment la Communauté de Communes. Ce
qui se passe autour d’une gare, existante ou
future, a une influence d’autant plus consi-
dérable que le lieu est mieux accessible, par
un plus grand nombre. Par ce jeu d’inter-
dépendances multiples, le territoire est
plus dynamique. On peut le comparer à un
mobile de Calder, qui se recompose sans
cesse, dans son ensemble, par chaque action :
les éléments les plus petits y ont un rôle dans
l’équilibre de l’ensemble, malgré leur taille, et
leurs transformations impliquent des chan-
gements qui les dépassent.
La Ligne Nouvelle Paris Normandie et les ports, mais aussi le relais des réseaux transversaux
Le projet métropolitain est aujourd’hui
focalisé sur la ligne Nouvelle Paris-Nor-
mandie, et c’est bien légitime. C’est effective-
ment, avec le développement des interfaces
fret du port, l’enjeu majeur du développement estuarien.
C’est aussi le lien privilégié avec les dix millions d’habi-
tants du Grand Paris, les capitales européennes et l’éco-
nomie mondialisée de la métropole. Mais la
LNPN n’aura un rôle « dans l’épaisseur » de
l’Estuaire seulement si la dimension locale
des déplacements est également investie,
discutée, programmée, évaluée.
En France, la dynamique des lignes à
grande vitesse a indéniablement bénéfi-
cié, durant les trois dernières décennies,
aux grandes villes desservies depuis Paris.
Mais cela n’est le cas des territoires associés que lorsque la
vision métropolitaine est consciemment construite. Lyon,
par exemple, a attendu vingt ans avant d’amplifier « l’effet
TGV » en imaginant une métropole qui sorte des fron-
tières du Grand Lyon, et s’étende jusqu’à Saint-Etienne,
le Nord de l’Isère et les plaines de l’Ain. Bordeaux, déve-
loppe en son sein, avec Euratlantique, un pôle métropoli-
tain lié au TGV, mais cela bénéficiera-t-il au bassin d’Ar-
cachon, au Médoc ou à la Gascogne ? En l’absence de
projet, certains arrêts TGV n’ont contribué qu’à augmen-
ter les valeurs foncières de leur arrière-pays, au détriment
des conditions économiques des populations locales.
La LNPN n’est donc pas uniquement une question de
faisceau, de tracé, de position de gare. Si la gare d’Avignon
avait été positionnée à Carpentras, avec la même absence
de projet territorial, elle n’aurait pas moins été la desserte
parisienne du Lubéron…
Pour Le Havre, la position de la
gare a un impact considérable.
A cette échelle, oui. Mais pour
l’Estuaire-Métropole, l’enjeu
est autre : un super-quartier ne
116
“Par ce jeu d’inter-dépendances mul-
tiples, le territoire est plus dynamique. On
peut le comparer à un mobile de Calder qui se recompose sans cesse,
dans son ensemble, par chaque action :
les éléments les plus petits y ont un rôle dans l’équilibre de
l’ensemble.”
“Dans la ville constellation, l’évolution des pratiques de chacun fait évoluer les cultures locales, et les mélange avec une vision plus ample.”
ligne rapide. Mieux : la capacité des acteurs publics et
privés à intensifier ou pas les interconnections métropoli-
taines dans « l’épaisseur » de l’Estuaire est une condition
majeure du choix des tracés et des polarités qui l’accom-
pagnent. Dans un territoire aussi étendu, il faudra bien
hiérarchiser les actions et les dessertes, dans le temps et
l’espace, et jouer sur les complémentarités des modes de
déplacements. Toutes les villes n’auront pas une gare : c’est
un choix collectif.
tirera vers le haut la métropole estuarienne que s’il est
efficacement connecté avec le reste des pôles de dévelop-
pement, avec les traversées du fleuve, et les pays de part et
d’autre de l’Estuaire.
Le débat du « réseau secondaire », de l’intermodalité,
des liens transversaux, et de l’irrigation d’autres pôles de
développement économique a une importance (et une
urgence) équivalente à celui qui concerne le tracé de la
117
Réseau métropolitain :les grappes de villes et villages
Il faudra bien franchir, ou plutôt mieux franchir…
À la mesure de l’histoire, les trois ponts sur l’Estuaire sont
bien récents. Malgré les difficultés techniques et le coût
de l’infrastructure, on ne peut toutefois envisager un des-
tin métropolitain sans une connexion rapide, ferroviaire,
entre rives gauche et droite. Certes, les bus pourraient
dans l’attente mieux mailler les deux côtés du fleuve, mais
le Rhin, la Meuse, l’Øresund sont franchis par les trains,
118
qu’il s’agisse des LGV ou des trains régionaux trans-
frontaliers. La complémentarité des bus et des trains est
grande, mais le train demeure un mode structurant : qu’il
puisse à long terme franchir l’Estuaire et en relier toute la
« profondeur » est un véritable enjeu.
Ce franchissement pose des questions techniques et
financières, surtout dans l’hypothèse d’un tirant d’air
comparable à ceux des ponts récents. Les pentes faibles
nécessaires pour des voies ferrées polyvalentes, intégrant
le fret, sont si faibles que l’option semble infaisable. Mais
les fréquences de passage de forts tirants d’air justifient-ils
de telles hauteurs ? En des estuaires ou des deltas pourtant
plus circulés, les Hollan-
dais et les Flamands font
circuler des trains avec des
pentes raisonnables, des
coûts bien plus faibles,
le trafic étant régulés
par des ponts levants de
grands gabarits (vingt
millions d’euros pour un
pont levant sur la Meuse,
avec un débattement de
60 m). Ce pragmatisme, terriblement efficace, n’est-il pas
d’ailleurs l’une des clés du succès du système portuaire
néerlandais ? Cette éventualité d’un autre franchissement,
même lointaine, ne se limite pas à une question de génie
civil et d’ingénieurs. C’est aussi une question d’antici-
pation urbaine : si cette hypothèse est probable, ou sou-
haitable, quel impact aura-t-elle sur les projets de part et
d’autre du fleuve ? Et cela, c’est pour tout de suite : plani-
fication, action foncière, organisation de la gouvernance…
Le développement des uns est aussi la chance des autres
Les activités d’un pays et
de l’autre sont interdépendantes. Qu’il s’agisse de loi-
sirs, de travail, d’équipements, d’agriculture, etc. C’est
le principe du pôle métropolitain. Dans une certaine
mesure, c’est déjà le cas, même si, comme l’a souligné
Martin Vanier, des croisements plus efficaces, hybrides,
pourraient être inventés – par exemple entre logistique,
industrie et agriculture. Dans cette « ville constellation »,
les lieux ne sont plus en concurrence, mais en complé-
mentarité : lorsque l’un bouge, cela a un effet sur les
autres. Cela devrait avoir un impact fort sur la manière
de prendre les décisions, de « localiser » les activités ici ou
là, et de les relier. Le développement des uns est la chance
des autres, dans la mesure où la mobilité est renforcée et
mieux équilibrée.
Cette hypothèse a une conséquence économique ma jeure :
si la politique d’aménagement est transversale, partagée, on
peut hiérarchiser dans le temps les actions sans entrer dans
de délétères mises en concurrences locales. Par exemple,
telle ou telle commune n’aura pas sur son territoire muni-
cipal de zone d’activités, ou de salle de concert, mais elle
bénéficiera de la proximité d’une zone ou d’un équipe-
ment proche, en contrepartie d’une desserte performante.
C’est une autre manière de faire. Elle est plus économe,
évite les doublons, répartit les efforts dans la durée, opti-
mise les investissements.
En cette période de crise
des financements, l’argu-
ment n’est pas mince.
119
“La capacité des acteurs publicset privés à intensifier ou pas les inter-connections métropolitaines dans « l’épaisseur » de l’Estuaire est une condition majeure du choix des tracés et des polarités qui l’accompagnent.”
“La complémentarité des bus et des trains est grande, mais le train demeure un mode structurant : qu’il puisse à long terme franchir l’Estuaire et en relier toute la « profondeur » est un véritable enjeu.”
“Pour Le Havre, la position de la gare a un impact considérable. A cette échelle, oui. Mais pour l’Estuaire-
Métropole, l’enjeu est autre : un super-quartier ne tirera vers le haut la métropole estuarienne que s’il est efficacement connecté avec le reste
des pôles de développement, avec les traversées du fleuve, et les pays de
part et d’autre de l’Estuaire.”
L’impact sur la “ gouvernance ”
Les réunions du « pôle métropolitain », l’investissement
de tous les élus autour d’un intérêt commun témoignent
déjà d’un changement profond dans la gouvernance de
l’Estuaire.
Comme pour la partie la plus dense du Grand Paris, la
réussite de ce lent processus dépend d’une nouvelle gou-
vernance. À l’instar de l’identité multiple évoquée par
Chris Younès, cette nouvelle manière de prendre des
décisions n’est contradictoire ni avec les dimensions plus
locales, ni avec les institutions existantes. Mais l’inter-
dépendance des politiques urbaines que suppose une
métropole plus fluide, mieux parcourue, qui tire parti de
ses complémentarités, implique des arbitrages communs
à l’échelle de l’Estuaire.
Ceci vaut pour les questions de transports (et aux deux
échelles : globale et locale), mais aussi pour la planifica-
tion des territoires, et des principaux « moteurs » qui en
constitueront l’attractivité.
« Le petit est responsable du grand »
La Ligne Nouvelle Paris Normandie est attendue car elle
aura un effet décisif. Du point de vue de l’aménagement
du territoire, c’est une sorte de « grand soir », de révolu-
tion attendue et nécessaire.
“Dans une vision métropolitaine, chaque évènement, chaque élémentdu territoire participe au fonctionnement organique de l’ensemble.
La métropolisation commence donc aujourd’hui, dans l’action quotidienneelle commence modestement : le petit est responsable du grand.”
Mais la véritable révolution est dans la transformation de
l’action courante : si l’on compte bien, la somme de toutes
les actions locales, sur dix ans, est assez comparable à l’in-
vestissement dans les grandes infrastructures.
Que l’on « polarise » dès aujourd’hui chaque euro dépensé
dans le sens d’une vision commune ou non, quitte à repo-
sitionner certains investissements programmés, et l’action
publique ou privée aura des effets décuplés.
Dans une vision métropolitaine, chaque événement,
chaque élément du territoire participe au fonctionnement
organique de l’ensemble. La métropolisation commence
donc aujourd’hui, dans l’action quotidienne et dans la
planification. Et elle commence modestement : le petit
est responsable du grand.
De nouvelles formes urbaines à inventer :ville paysage, villages métropolitains
Pour que la ville constellation soit à la fois agréable,
économiquement viable et bien connectée, la dispersion
n’est pas souhaitable. On sait qu’il est presque impos-
sible de desservir les vastes zones pavillonnaires par des
transports collectifs performants. L’étalement urbain est
un phénomène du xxe siècle, et le nouveau dynamisme
des territoires ne se construira pas sur ces bases. Cela ne
condamne pas la maison, ou en tous les cas la qualité de
vie sur laquelle leur rêve est construit : petite échelle,
paysage et campagne, indépendance. Cela n’impli que pas
que tous les villages se transforment en fragments de ville,
bien au contraire.
Mais il faudra bien faire au tre ment : tant que l’offre de
logements collectifs, même de petite taille, demeurera
à ce point médiocre, le développement des lotissements
continuera, avec les difficultés de desserte et les coûts
induits que l’on sait.
Certaines villes de l’Estuaire montrent l’exemple. Citons
deux cas (ce n’est bien évidemment pas exhaustif ). Le
nouveau quartier de Pont-Audemer, ainsi, atteste que l’on
peut combiner une certaine densité, des espaces publics
de qualité, une belle architecture et un rapport au paysage
magnifié sans céder aux sirènes de la maison étalée. Si ce
quartier avait été situé près d’une gare en activité, il serait
un modèle de ce que la « ville constellation » peut offrir,
à l’instar des exemples scandinaves ou suisses. L’avenir de
l’Estuaire, ce sont aussi ces villages métropolitains, bien
connectés, mais intégrés à la mesure de leur site. C’est ce
qui devrait advenir à Pont-L’Evêque, à Bréauté, et en bien
d’autres lieux directement desservis par les principales
infrastructures de transports : il y a là une nouvelle forme
d’éco-quartier à inventer, beau challenge !
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“Tant que l’offre de logements collectifs, même de petite taille, demeurera à ce point médiocre, le dévelop-pement des lotissements continuera, avec les difficultés de desserte et les coûts induits que l’on sait.”
“L’étalement urbain est un phénomène du XXe siècle, et le nouveau dynamisme des territoires ne se construira pas sur ces bases.”
De la même manière, les villes doivent redevenir attractives
en mettant au cœur de leur services une offre immobi-
lière qui tire profit du paysage alentours. C’est ce qu’a fait
Le Havre dans le quartier Saint-Nicolas, par exemple. Une
fois la connexion avec le tramway effectuée, le nouveau quar-
tier est à la fois paysager (le port comme horizon) et urbain.
On trouve de très beaux exemples de cette urbanité hybride,
alliant transports, nature et densité, chez nos voisins euro-
péens. Les rives de Limmat à Zürich, Arabianranta à
Helsinki, ou encore Hammerby à Stockholm.
TERRITOIRES EUROPÉENS RECONSTRUITSSUR UNE STRATÉGIE COMPARABLE
Beaucoup de territoires européens se reconstruisent en
combinant ainsi une « ville constellation » et une échelle
métropolitaine. Ces deux dimensions y sont toujours
indissociables, c’est à dire que l’un ne va pas sans l’autre,
comme c’est le cas dans deux territoires : l’Øresund (entre
la Suède et le Danemark) et le Tessin (canton du sud de
la Suisse, en lien avec la riche Lombardie).
L’Øresund, a beaucoup de choses en commun avec l’Es-
tuaire de la Seine, même si le lien est un détroit et non
un fleuve. Les rives danoises et suédoises ont à la fois un
destin commun et de grandes différences.
Malgré la complicité géographique, la connexion ne va
pas de soi : il y a de part et d’autres deux langues, et deux
monnaies, et une histoire pas si calme. On imagine que
cette fraternité ambiguë est encore plus intense que la
distance que l’on pourrait établir entre Pays de Caux et
Pays d’Auge… Pourtant le lien déjà fort entre deux pôles
urbains Copenhague et Malmö a été décuplé il y a une
dizaine d’années par la construction d’un ouvrage d’art
inédit, combinant liaison routière et ferroviaire. Le lien
est d’ailleurs d’autant plus efficace qu’il ne se limite pas
au pont. Il se prolonge dans l’épaisseur de chaque ter-
ritoire, et se poursuit, le long
de la côte, sur plus de cent
kilomètres, jusqu’à Elseneur
au Danemark et jusqu’à Göte-
borg en Suède. La continuité
“L’Øresund, a beaucoup de choses en commun avec l’Estuaire de la Seine, même si le lien est un détroit et non un fleuve.”
du transport y joue un rôle déterminant : interconnection,
concept commercial et technique intégré, tarification
unifiée, horaires parfaitement coordonnés et consultables
en tout point. Dans bien des cas, c’est tout simplement ce
qui manque à nos modes de transport : à faire sentir de
manière appuyée à l’usager quelle instance gère telle ou
telle ligne (Conseil Général, Conseil Régional ou Com-
munauté de Communes), à oublier parfois d’en synchro-
niser les horaires, on dissuade parfois des enchaînements
pourtant possibles.
Le concept métropolitain « d’Øresund » favorise les com-
plémentarités de part et d’autre du détroit : on traverse l’eau
pour travailler, mais aussi pour les loisirs, pour les liens
mondialisés (ports et aéroports), pour étudier. Le pont
124
est complété par des liens maritimes très intenses (fer-
ries). Cette traversée se fait au quotidien, ou plus excep-
tionnellement, mais désormais toute une région bénéficie
de services et de pôles d’activité interconnectés. Ainsi, la
mutation économique de Malmö, qui fut une grande ville
industrielle, a beaucoup profité en ce début de millénaire
de l’effet d’entrainement de la riche capitale voisine.
Le second territoire est le canton du Tessin au sud de la
Suisse. Jusqu’aux années soixante, ce canton peu peuplé,
séparé du nord de la Suisse par le massif du Saint-Gothard,
avait une économie presque exclusivement rurale. Il a
commencé à se développer avec le tracé de routes et ponts,
en s’appuyant sur le dynamisme de la capitale économique
italienne, Milan, métropole de six millions d’habitants.
La « ville constellation » :la métropole comme un « mobile »
125
Mais c’est il y a moins de dix ans, avec l’idée métropoli-
taine, que le développement y prend une autre dimen-
sion. Le concept est assez simple… D’une part considérer
l’ensemble du territoire comme une même « ville » dis-
continue, bien reliée, et où chaque lieu offre à l’ensemble
du canton ses services, qu’il s’agisse de l’université, des
usines, des loisirs et de la villégiature, etc. D’autre part,
deux grands projets d’infrastructure « extra territoriaux »
sont engagés en collaboration avec l’Europe, la région de
Lombardie et la Confédération helvétique : Alptransit
(ligne à grande vitesse, pour les passagers et le fret, entre
le sud de l’Allemagne et le Nord de l’Italie) et un nouveau
train direct vers l’aéroport de Milan-Malpensa.
n Sans métropolisation : le réseau des villes n’est pas suffisam-
ment solidaire, la mobilité est réduite, l’optimisation des services
offerts est faible.
o Page de gauche : avec la métropolisation, l’intensité de liens
efficace entre les aires urbaines, l’équilibre des grands pro-
grammes, optimisés, assurent une meilleure lisibilité, une éco-
nomie d’échelle qui dégage des moyens pour une mobilité fluide.
La métropolisation ne bouleverse pas totalement la forme de
chaque ville : en liant mieux les aires urbaines, en équilibrant
les grands programmes (industrie, aéroport, transports ferrés,
culture, commerce, formation, tourisme) elle optimise les res-
sources de chacun au bénéfice du plus grand nombre.
Là encore, le développe-
ment conjoint de deux
échelles d’infrastructures
fonde l’hypothèse de
développement. Le train
local devient un « métro »,
parfaitement cadencé –
nommé « metroticino » –, alors que le pôle central de
la région est directement relié à Milan et Zürich par la
ligne Alptransit. C’est bon pour le développement éco-
nomique, puisque les entreprises pourront s’installer plus
loin que la frontière où le foncier est devenu rare, pour
tirer parti de l’économie lombarde ; c’est aussi bon pour
la vie quotidienne et l’économie générale des services du
canton. Le canton du Tessin est d’ailleurs l’un des rares
lieux d’Europe où l’on assiste à une ré-industrialisation :
sur une population d’environ trois cent mille habitants,
25 000 emplois industriels y ont été créés depuis 2005 !
On n’habite plus seulement dans sa ville… si l’on vit à
Bellinzona, on peut aller au concert le soir à Locarno,
travailler à Biasca, étudier à Mendrisio, avec des temps
de transports finalement comparables à ceux que l’on
aurait en habitant Milan ou Paris. Notons que le canton
a investi dans le « métro » local cinq ans avant l’ouver-
ture de la liaison Alptransit : les pratiques quotidiennes
précèdent ainsi l’effet de la connexion métropolitaine. La
métropole est une culture avant d’être un levier écono-
mique. On imagine que cette habitude, cette expérience
favorisera ensuite les visions plus stratégiques.
Dans les deux cas, les formes
urbaines se sont transfor-
mées : il a fallu inventer
des architectures moins consommatrices d’espace que les
lotissements (où l’on est toujours trop loin des transports
publics pour qu’ils soient efficaces et donc rentables…), et
moins monotones que ces modèles de « ville compacte »
regroupés autour des gares. Cela a favorisé dans le Tessin
comme en Suède et au Danemark de nouveaux quartiers
proches des gares, mais intégrant aussi le paysage, et une
diversité de formes urbaines, de la maison à l’immeuble,
avec des espaces publics de très grande qualité. On ne
prend les transports en commun que si le parcours de la
maison (du travail, des loisirs…) à la station est agréable,
bien aménagé.
Que retenir de ces deux cas européens, malgré leurs différences avec l’Estuaire de la Seine ?
Le projet métropolitain bénéficie d’une forte économie d’échelle. Parce que le réseau local est pensé
et construit en même temps que le réseau global, un petit
village se retrouve connecté, comme les autres pôles, à des
ressources comparables. La question de l’Estuaire n’est
donc pas la vallée industrielle contre la campagne, ni
Le Havre contre Beuzeville ou Fécamp, mais l’un avec et
grâce à l’autre.
La gouvernance est partagée et unifiée. Même s’il y
a de très nombreux acteurs, ils disparaissent dans l’ex-
périence quotidienne de la métropole. On ne sent pas,
lorsque l’on passe du Danemark à la Suède, de différence
dans un sens ou dans l’autre (mêmes trains, même sys-
tème de tarifs, même image, mêmes logos, horaires har-
monisés, etc.). C’est la même chose entre le Tessin et la
Lombardie.
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“Avec l’idée métropolitaine, que le développement y prend une autre
dimension. Le concept est assez simple… D’une part considérer
l’ensemble du territoire commeune même « ville » discontinue,
bien reliée, et où chaque lieu offreà l’ensemble du canton ses services.”
“La question de l’Estuaire n’est donc pas la vallée industrielle contre
la campagne, ni Le Havre contre Beuzeville ou Fécamp, mais l’un
avec et grâce à l’autre.”
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mobilité, car il empêche l’investissement dans des lignes
plus efficaces et structurantes. La solution n’est pas non
plus de fabriquer des fragments de ville dense et com-
pacte autour des gares : le parking de Bréauté-Beuzeville
n’est pas à la hauteur de l’enjeu, mais cela ne veut pas dire
qu’il faut imaginer en ce lieu potentiellement magnifique
un bout de Paris ou du Havre au beau milieu des prés…
La complémentarité des espaces ouverts (champs, mer, forêts, parcs, lacs ou montagnes) et des pôles urbanisés est clairement affirmée. La métropole
donne explicitement accès à un environnement de qualité,
à de grands espaces naturels. Ces étendues sont valorisées,
et les paysages font partie du projet, au même titre que
l’activité industrielle ou la logistique.
Certes, l’Estuaire de la Seine a des caractéristiques bien
différentes de ces régions européennes. Une autre histoire
s’y invente en ce moment. Mais il y a des similitudes :
deux échelles associées (global/local), urbain et nature,
villages et pôles urbains, production et loisirs sont ras-
semblés dans un territoire contrasté. Une nouvelle culture
métropolitaine émerge, de nouvelles pratiques, sans que
cette métamorphose ne dilue les particularités des uns et
des autres.
“Une nouvelle culture métropolitaine émerge, de nouvelles pratiques, sans que cette métamorphose ne dilue les particularités des uns et des autres.”
“L’Estuaire est un bien beau mot pour désigner une telle
fédération d’intérêts, des hautes falaises au Pays d’Auge.”
La position des grands équipements et des voca-tions territoriales est pensée
à l’échelle de la région. Il manque par exemple une salle
de concert de grande capacité. Plutôt que d’en situer deux
moyennes en deux localisations antagonistes, on sélec-
tionne le lieu optimal, réputé également accessible – et
prioritairement en train – depuis le plus grand nombre
de villes de la métropole. C’est l’idée qu’il faudrait sans
doute mettre en œuvre pour les grands équipements de
l’Estuaire, comme l’aéroport.
On n’a pas nécessairement cherché à renforcer un centre, mais plutôt l’équilibre d’ensemble des « ser-vices offerts », et la qualité des connexions en chaque point. L’aéroport est certes à Copenhague, mais son
positionnement dans le réseau en fait bénéficier le plus
grand nombre de villes possible. Mais notons que la déci-
sion de concentrer les efforts sur un pôle ne se fait pas
sans conditions : elle impose préalablement un système de
transport efficace, rapide, accessible, cadencé et confor-
table. Les économies effectuées d’un côté sont réinvesties
dans les modes de transports, et aident à développer de
nouvelles richesses. La performance du transport étant
la condition de la polarisation métropolitaine, il faut en
assurer le financement en amont. Cette stratégie, qu’elle
rassemble des fonds privés ou non, ne peut s’appuyer que
sur une gouvernance publique forte établie dans la durée.
Les gares et les quartiers qui les entourent sont des enjeux métropolitains, des projets clés. Ils sont un lieu
d’inventions urbaines : nouveaux usages, nouvelles formes
urbaines, nouvelles collaborations entre secteur public
et privé. L’étalement urbain n’a pas d’issue en termes de
Édouard PhilippeMaire du Havre / Président de la CODAHCommunauté de l’Agglomération Havraise
Guillaume le Conquérant ne considérait pas la Seine comme une frontière. 900 ans plus tard, le territoire de l’Estuaire demeure une réalité, porté par la dynamique portuaire
et la volonté de ses forces vives d’écrire un dessein commun. La prise de conscience du rôle fondamental de l’Estuaire dans la préservation par Paris de son rôle de Ville Monde fait du développement de l’Estuaire un enjeu national.
Cet ouvrage de grande qualité est publié à un moment où jamais la mobilisation des acteurs politiques, économiques et culturels de notre territoire en faveur de l’Estuaire n’a été aussi forte et déterminée. Il constitue un témoignage probant de ses richesses exceptionnelles et des perspectives formidables de développement que la dynamique estuaire ouvre pour demain. Notre monde est en pleine mutation. La crise économique va rebattre les cartes en faveurdes territoires qui auront su, très tôt, définir une ambition résolue et la mettre en œuvre.Cet ouvrage doit permettre à l’Estuaire d’écrire une nouvelle page de son histoire, celle d’un territoire fier de sa diversité et de ses richesses, insolemment conscient de ses atouts,et confiant dans l’avenir.
Crédits photographiques, cartes, dessins, graphiques, montages :
© AGA - Antoine GRUMBACH & ASSOCIES : photos montages pages 11, 94, 95, 98, 99 – carte page : 87 – coupe cavalière pages : 88, 89 – graphique page : 93 ; © Agence FORTIER : plans pages 104, 105 – photo page 104 © AURH – Agence d’Urbanisme de la Région du Havre et de l’Estuaire de la Seine : photos pages 2, 3, 4, 7, 8, 9, 13, 14, 15, 17, 19, 23, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 40, 41, 43, 48, 52, 53, 56, 57, 60, 61, 65, 67, 77, 78, 79, 93, 97, 102, 106, 107, 109, 111, 114, 115, 116, 118, 120, 122, 123 – cartes pages 12, 18, 56, 72, 81, 82, 102) ; © F. BONNET : dessins pages 8, 9, 25, 28, 29, 34, 35, 42, 46, 47, 50, 58, 60, 64, 111, 112, 113, 124, 125 - cartes source AURH pages 54, 55, 117 – photo et mobile page 108 ; © Caux Estuaire : photos pages 6, 7 V. RUSTUEL, 16 €. LEVILLY, 18 V. RUSTUEL, 23 V. RUSTUEL, 45 V. RUSTUEL, 52, 59 V. RUSTUEL, 62, 63 V. RUSTUEL, 66 V. RUSTUEL, 69 V. RUSTUEL, 71 V. RUSTUEL, 73, 74, 75 V. RUSTUEL, 84, 85 V. RUSTUEL, 90, 91 V. RUSTUEL, 110 V. RUSTUEL, 112, 113 V. RUSTUEL ; © www.cavaldos-tourisme.com : photos pages 28, 30, 31 ; © GPMH - Grand Port Maritime du Havre : photo 20,21 ; © GPMR : photo page 76 P. BOULEN ; © Graindorge : photo page 59 © E. LAMBERT : photo pages 128, 129 entre deux mises en lumière Y. KERSALE ; © OIT Fécamp : photo page 44 ; © OT AH : photos pages 39 LEVILLY, 49 €. HOURI, 77 ; © OT Blangy-Pont l’Evêque : photo page 24 ; © OT Caux Vallée de Seine : photo page 121 STUDIO JACQUES ; © OT Deauville : photos pages 24, 27, 39, 59 P. LE BRIS ; © OT Houlgate : photo page 24 ; © OT Lisieux : photo page 48 ; © OT Pont-Audemer : photo page 115 ; © OT Trouville-sur-Mer : photo page 26 I. ASPEY ; © SOLOGRO : carte page 70 ; © Syndicat Mixte du Pays des Hautes Falaises : photo page 22 S. MENARD ; © VDH - Ville du Havre : photos pages 100, 101 P. BOULIN, 104.
DIRECTION DE LA PUBLICATION : DOMINIQUE DHERVILLEZ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’AURHACCOMPAGNÉ DE : ALAIN FRANCK, OLIVIER CHABERT, JESSY OUKOLOFF
Remerciements :
Au Comité des Élus de l’Estuaire pour avoir financé ces missions et pour avoir suscité les débats passionnantssur l’avenir de l’Estuaire, en invitant les intervenants des différentes études.
Aux Directeurs des 5 Pays de l’Estuaire, aux Directeurs des Services des intercommunalités, aux représentants des Ports,des Chambres Consulaires, des Départements (Seine Maritime, Eure et Calvados), des Régions (Haute et Basse Normandie)
et des services de l’État, pour leur implication dans le Comité Technique du Comité des Élus de l’Estuaire
À Caux Estuaire (Communauté de Communes de Saint-Romain-de-Colbosc) notamment à Agnès Gori Rasse sa Directrice Générale des Serviceset à Stéphanie Girard, à David Fremine de l’Association Tourisme Seine Estuaire, aux Offices de Tourisme des 5 Pays de l’Estuaire,
à Boris Menguy, Thierry Lochard et Lucile Audievre de l’AURH, pour les crédits photos, les illustrations et la cartographie.
À l’ensemble de l’Equipe de l’AURH, pour son implication dans les études et les ateliers de travail,pour leur accompagnement administratif et technique au quotidien.
Relecture des textes : Marion Goffart Communication, 3, rue des Capucins 76 700 Harfleur
Conception graphique et mise en pages : Isabelle Mariana, 25, rue de Calais 37100 Tours
Impression : La Petite Presse 91, rue Jules Lecesne 76 600 Le Havre
Edition : AURH, Agence d’Urbanisme de la Région du Havre et de l’Estuaire de la Seine
4, quai Guillaume le Testu 76 063 Le Havre Cedex
Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en octobre 2012sur les presses de l’imprimerie
La Petite Presse76600 Le Havre