Lepiratageprivel'auteurainsiquelespersonnesayanttravaillésurcelivredeleursdroits.
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Abysses
MxMBookmark©2015,Tousdroitsrésérvés
Illustrationdecouverture©MxMBookmark
Sousladirectionde©ChristineGauzy-Svahn.
Correction©EmmanuelleLefray
ÀmonamourD.A.etàmonfilsR.Àceuxquiontconnulefroid,lafaimetl’obscurité.
«L’amourneressentaucunfardeau,semoquedesdifficultés,tentecequiestau-dessusdesesforcesetneprétextejamaisl’impossible.Parcequ’ilcroitquetoutluiestpermisetquetoutestpossible.»
ThomasA.Kempis«J’aiaiméjusqu’àatteindrelafolie.Cequecertainsappellentlafolie,maiscequipourmoiestlaseulefaçond’aimer»
FrançoiseSagan.
Àcentcinquantemètresdeprofondeurdanslesocéans,quatre-vingt-dix-neufpourcentdelalumièresolaireaétéabsorbée.Puis,au-delàdemillemètres,lanuitest
complète,lefroidintenseetlespressionscolossales.Cesontlesabysses…
PrologueJepoussailescouvertures.Ensoupirant,Charless’appuyasuruncoudeetm’observa.—Tuesobligédepartirtoujoursaussitôt,sevexa-t-il.Jemelevai.—Ilestdixheures,Charles.—Tunevoistonprochainclientquedemainenfindejournée.Il le savait mieux que quiconque puisque c’était lui qui me trouvait mes clients depuis dix ans
maintenant.Depuisqu’ilm’avaitsortidelarue.Jerécupéraimesaffairesquitraînaientparterreetmedirigeaiverslasalledebain.Jemeglissai
dansladoucheetfiscoulerlesjetsd’eaubrûlantesurmoi.Jefermailesyeux,posaimonfrontcontrelecarrelageetprofitaidecesquelquesinstantsdesolitude.Malheureusement,ilsneduraientjamais.—Aprèstoutescesannées,tunedevraisplusmefaireautantd’effet.Charlesseglissaderrièremoietsecollaàmondos,sonérectioncontremesfesses.— Il semblerait pourtant que si, susurra-t-il enme caressant, de sesmains que j’avais toujours
trouvéestropdouces.Tuestellementbeau,Rafael.Il suivitd’undoigt la lignedemesépaules, lecontourdemesbrasetdescenditversmonventre
plat.—Tusaiscequimeplaîtvraiment,monamour?mesouffla-t-ilàl’oreille.Savoirqu’onpaiesi
cherpourt’avoir.Savoirquejechoisisquietquand.Savoirquetuesàmoi.Ildéchiral’étuid’unpréservatifetjecontractailamâchoire,haïssantceson.Pourtant,parhabitude,
parce qu’ilm’avait si bien éduqué, je passaima tête par-dessusmon épaule et croisai son regardavidequandilagrippaviolemmentmeshanches.Etjemesouvinsdecejour-là…Delapremièrefois…Jen’étaisqu’unadolescentauventrevide,errantdanslesruessombresdeBoston,l’hiverdemes
seizeans.Pendantlajournée,jedormais;parcequelesoleilétaithaut,qu’ilfaisaitpluschaudetquemon sommeilparaissait plusdouillet.Lesnuits, elles, étaientglaciales et dangereuses. Jepréféraisêtreréveilléetmarchersansbut.Aumoins,jen’étaisàlamercidepersonne.Dumoins,lecroyais-je.Parfois, je traversaisCharles River et je me promenais dans Cambridge, oubliant que j’étais
orphelin,que jen’avaisplusde toit etque lorsque j’avais trop faim, jevolaisquelquespaquetsdechipsdanslesrayonsd’unesupérette.Jeparcouraislescampusd’HarvardetduMITquelesétudiantsendormisavaientdésertésetjerepartaisquandl’aubeselevaitetquetoutredevenaitréel.Unenuit,unedecellesquichangenttout,jeneréussisplusàavancer.J’étaisfébrileettremblant,
mesmains étaientmoites etmon front brûlant.Un anplus tôt,mamèrem’aurait emmenévoir unmédecin.Ilm’auraitprescritdesmédicaments,unebonnesemainedereposettoutseraitrentrédansl’ordre.Mais aujourd’hui, j’étais seul,malade, etma famille dormait dans un cimetière plus loin.Mon père. Ma mère. Il n’y avait plus personne pour veiller sur moi, et je n’avais plus assez decouragepourmetraînerjusqu’auxurgenceslesplusproches.
Enm’engouffrantdanscetteruellesordidecesoir-là,jepensaismelaisserglissercontreunmuretattendre.Attendrequoi?Lamortpeut-être,unmiracle.J’étaisépuisé,jen’enpouvaistoutsimplementplus. Jen’avaispasundollarenpoche, rienàmanger,pasde litoùm’enfouir.Plusde lendemain.Alors j’avais seulement avancé, quittant les lumières des lampadaires pour m’enfoncer dansl’obscurité.CefuticiquejerencontraiCharles.Ilmesuivaitdepuisplusd’uneheuredanssaberlinenoireauxvitresteintées;jel’avaisrepéréà
l’angle d’une rue, c’était comme s’il m’attendait. Et quand j’avais piqué du nez, prêt à tomber, ils’était trouvé soudain derrière moi pour me rattraper. Je m’étais appuyé contre lui, le regard sifiévreuxquej’avaistoutd’abordcrul’imaginer.MaisCharlesn’avaitriend’unrêve.Quand ilm’avait tenducette liassedebilletspar-dessusmonépaule, j’avaisd’abordeudumalà
comprendre. Puis j’avais croisé ses yeux bleus, son visage trop pâle et j’avais compris. Ce qu’ilattendaitdemoi.Cequ’ilvoulait…Cequ’ilvoulaitquejeluidonne…Cequejen’avaisjamaisdonnéàpersonne…Lefroid,lafaim,l’obscurité;autantderaisonsquimepoussèrentàaccepter.J’avaisprisl’argent
alorsquejenetenaismêmeplusdeboutetjem’yétaisaccrochédetoutesmesforcesalorsqu’ilmepoussaitsansdouceurcontreunmur.Jem’étaismordulalèvrepournepashurleretj’avaisendurécettedouleurlesyeuxclos.J’avaisattenduqu’ilfinisse,qu’ils’enaille.Etquandilavaitdisparu,quandlemoteurdesavoiture
n’avaitplusétéqu’unronronnementlointain,jem’étaisécrouléausolpourvomir.Cefutledébutducauchemar…J’avais réussi, jene savais comment, à atteindre l’hôpital.L’urgentistedegardem’avait ausculté
sans s’arrêter surmon état lamentable et ilm’avait remis une ordonnance sansmême un sourire,partant déjà vers son prochain patient. J’avais récupéré les quelques boîtes de comprimés à lapharmacie du coin. Comme un automate, j’avais sorti des billets froissés de ma poche sans lesregarder,enessayantd’oubliercommentjelesavaisobtenus.D’oùilsvenaient,lecommerçants’enfichaittantquejepayais.J’avaislouéunepetitechambredansunhôtelmiteuxoùlescafardsremplaçaientlamoquette.Pour
lapremièrefoisdepuisdesmois,j’avaispudormirdansunlit.Lanuit,jeregardaisleplafondetlajournée, je sillonnais les rues à la recherchede solutions.Maispersonnenevoulait embaucherungaminquitraînaitlemêmepantalondepuisdesjours,quin’avaitpasd’adresseetriend’autrequ’unpeudecrassesurlesmains.Iln’yeutaucunbonsamaritain,commeonpeutlevoirdanscesfilms.Pasdebonneâmepourvenirmerécupérer,pourm’aideràm’ensortir.Etbienvite,j’avaisdûrendrelaclefdelachambrepourrepartirdanslarue.J’avais de nouveau croisé Charles, comme s’il n’attendait que ce moment pour réapparaître.
J’aurais pu faire demi-tour, bien sûr. J’aurais pu dire non… Il y avait d’autres choix, sûrement.D’autres options.Mais ce jour-là, je n’en avais vuqu’une seule et elle se tenait devantmoi.Alorsj’avaissuiviCharlesensilence,latêtebasse,priantpourquemamère,oùqu’ellesoit,nevoiejamaisça.Uneautrenuit.Uneautreruelle.Toujourslemêmetarif.Charlesn’avaitpasétéplusdoux,bienaucontraire.Maisilm’avaitdemandémonprénom.Etjuste
cetteattention,aussiinfimesoit-elle,m’avaitdonnél’impressiond’existerauxyeuxdequelqu’un.
—Rafael,luiavais-jerépondu.Jem’appelleRafaelVentes.C’étaitunmensonge,maisilavaitsemblés’ensatisfaire.Aprèstout,çacollaitavecmapeaumate,
monvisaged’hispanique,mesyeuxsombresetmescheveuxnoirs.CharlesavaitfiniparreculeretparremonterlafermetureÉclairdesonpantalon,laissanttraînersa
mainsurmoi,avecunsoupirdesatisfaction.—Àtrèsbientôt,Rafael.Ilétaitreparti.Etilétaitrevenu.Iln’étaitjamaisloinquandilmevenaitl’enviedemourir.Commes’ilconnaissaitparfaitementla
bonneheurepourvenirjoueravecmavulnérabilité.Quandjelevoyais,jesentaiscommeunventdedésespoirquimepoussaitdanslamauvaisedirection.Verslui.Audépart,Charlesmeprenaitcontreunmurouunautre,dansdesimpassespuantesetmalpropres.
Quelques temps plus tard, il m’allongeait sur la banquette arrière de sa voiture. Et puis, un jour,j’avaispasséleseuildesamaisonàBeaconHilletcefutcommeentrerenprisonsanssavoirsiunjourjepourraisenressortir.Ilmemartelaitdecoupsbrutauxetc’étaitcommeunepluiedetristessequis’abattaitsurmoietquilavaitmonêtredetoutcequiavaitpu,unjour,merendreheureux.Alorsj’avaisseulementcesséderéfléchirpourrestreindremespenséesàtroispointsprécis……Lefroid,lafaim,l’obscurité…Bien sûr, ilme ramenait toujours àRoxbury aprèsuneoudeuxheures àuserdemoi comme il
l’entendait.Maisoùquejesois,j’entendaisquandmêmelaportedesachambreclaquerderrièremoi.Et jeme rappelais que je n’étais plus seulement un gamin errant dans les rues, à la recherche dequelquesdollars.J’étaisdevenuunprostitué.Unepute.Lasienne.Etqu’importaientlesraisons,mêmeprimordialesetvitales,quim’avaientamenélà.C’étaitceque
j’étaisdevenu.Jem’étaisvendupourunpeudechaleur,pourunpeudenourriture.Pourunpeudelumière.Pourtant,aprèsdixans,jelacherchaisencore…Jemeservisuncaféquejebusdeboutenenfilantmavesteencuir,mesgantsnoirs,etnouaiune
écharpeblancheautourdemoncou.Assisàtable,Charlesconsultaitsonsecondagenda–celuidontilseservaitpourgérermesrendez-vous.—Demainsoir,tuvoislefilsAsher.Jem’arrêtai quelques secondes,ma tasse en suspens, pas sûr d’avoir bien entendu. Jeplissai les
yeuxetlestournaiverslui.—BrandonAsher,tudis?Charleshochalatête,rajustaseslunettessursonnez.—Merde!m’énervai-je.Jet’avaisditquejenevoulaisplusvoircepetitcon.—Ilabeaucoupinsisté.—Jemefousdesavoirqu’ilaitinsistéounon.—Deuxmilledollars,Rafael, fitCharles sans relever la tête.Pour tepointer auMITàdix-sept
heures,leramenerchezlui,tefairebaiserenpassantetrepartir.Àceprix-là,tupeuxlesupporterune
petiteheure.À ce prix-là, j’étais censé supporter n’importe qui et n’importe quoi. Mais je n’avais tout
simplementpasenviedefaireceteffortaveccesalopardd’Asher.Jefinismatasseetlaposaidansl’évieravechumeur.—C’estladernièrefois,Charles.Etmêmes’ilmepaiedixmilledollars,aprèsdemain,jeneveux
pluslevoir.—C’estmoiquidécide,Rafael,cingla-t-il.Iltournaunepageetlaparcourutrapidement,façonsubtiledeclorelesujet.—Jeudisoir,c’estpapiVermont.Tutesensd’attaque?AndrewVermontavaitsoixante-seizeansetavaitdécouvertcertainsdesespenchantsilyavaittout
justedeuxans.—Ilvafinirparmefaireuninfarctus.Jemevoismalexpliqueràsafemmecommentilarendu
l’âme.Charlesrit.Ilétaitleseul.—Etletroisième?demandai-je.Troisclientsparsemaine,c’étaitlalimitequenousnousétionsfixée.Troisheuresparsemaine.Notrequota.— Un nouveau, me dit Charles en refermant son agenda. Lucas Landwehr, trente-deux ans,
commercialpourunechaîned’alimentation.IlvientàBostonpourquelquesjoursetcherchedequoisedivertir.—Jevois.Charlesrelevalesyeux.—Ilahâtedeterencontrer.—Quand?—Samedi, treize heures.AuColonnadeHotel. Il t’enverra unmessage pour te communiquer le
numérodesachambre.—Trèsbien.Je ramassai mon sac et le balançai par-dessus mon épaule, mon casque de moto sous le bras.
Charles s’adossaà sachaiseetm’examina,appréciateur, avantdepousseruneenveloppepleinedebilletsdansmadirection.Jelaramassaietmepenchaipourl’embrasserbrièvement.—Àdimancheprochain,monamour,medit-il.Ilmesourit.Jerécupéraimesclefssurlecomptoiretmedirigeaiverslasortie.Dehors, j’inspirai profondément, comme si je n’avais pas reprismon souffle depuis que j’étais
arrivé.Etdansunsens,c’étaitlecas.Cettemaison,jelamaudissais.Pourtant,j’yétaistoujoursrevenu.
01—Bonjour,mongrand.AmaFinchmeserradanssesbrasrobustes.Jemesuraisunbonmètrequatre-vingt-huitetelleme
dépassait de quelques centimètres.Quant à sa forte corpulence, elle n’avait d’égale que son grandcœur.Ellesentaitlacannelleetsapeaunoireétaitdouceetlisse,medonnantpresqueenviederesterblotticontreelle.Ellepossédaitcettetendresse,quim’avaittantmanquéàlamortdemamère.—Salut,Ama.Elleme repoussagentiment,me tapota les joues,m’observantdeprès.Elledétaillamescheveux
rendusfousparletrajetenmoto,mesyeuxnoirsbrillantdefatigue,lescernesquiressortaientsurmon teint mat. Puis elle fronça le nez en remarquantmon jean déchiré aux genoux,mes rangersnoiresquimontaientjusqu’àmi-mollet,monpullgrisàcolrouléetmavesteencuirmarronélimée.—Tuasl’airbien,conclut-elle.J’avaisréussil’examen.Maisdejustesse.Elledevaitêtredebonnehumeurpourfairel’impassesur
l’étatlamentabledemonpantalon.Ellemedonnaunepetitetapesurl’épaule.—Lerepasestprêt.Viensmanger.Ungrandgaillardcommetoi,ilfautlenourrir.—Jemenourris,Ama.—Pasassez!tonna-t-elle.Ellesedéhanchajusqu’àlacuisineet je l’ysuivis.Labonneodeurquiensortaitvint titillermes
narinesetm’ouvrit l’appétit,commechaquefoisque jevenaismanger ici.Soit toutes lessemainesdepuisdesannéesmaintenant.Soli, le plus jeune fils d’Ama, était déjà attablé, piochant dans les plats en fixant son écran de
téléphone.Avecsesdreadlocksquiluitombaientsurlefront,sonsouriresarcastiqueetsonattitudedébonnaire,iln’avaitplusriendugaminquej’avaisrencontré.Lepetitratdégingandéétaitdevenuunadolescentgrandetbeau.Etarrogant,pensai-jequandilrelevatoutjusteleregardversmoi.—Tuesdéjàlà?marmonna-t-il.—Quoidéjà?Ilestdix-neufheurestrente.Jeluiprissontéléphonedesmains.—NomdeDieu,Rafael,rends-moiça!Samèreluicognalecrâne.—Aulieudet’enprendreànotreSeigneur,vadoncprévenirtonfrèrequel’onpasseàtable!Ilm’abandonnasonportableensoufflant,melançantunregardnoir.Quandjeluirendis,ilbaissa
aussitôtlatêteetfilademauvaisegrâce.J’aidaisAma à remplir les assiettes quandAbou débarqua. Samère soupira en avisant son jean
aussi usé que lemien, son sweat-shirt desRed Sox qui avait vu demeilleurs jours et ses cheveuxcrépuspointantdanstouslessens.—Salut,Rafael.Ilmetapasurl’épauleens’asseyantsurlachaiselaplusproche.JesourisenvoyantAmaplaquer
sespoingssurseslargeshanches.—AbouFinch,vas-tuenfintedécideràt’habillercommetapositionl’exige?Cen’estpasdigne
dupasteurdenotreparoissedetraînerdanscegenredeguenilles.Aboufitlesgrosyeux.—Lessermons,c’estmoiquilesfais,Mama.Soliricanaetrécoltaunetaloche–encoreune.—BonDieu,pourquoic’estmoiquimeprendstouteslesbeignes?—Parcequetuesinsolent!Ilouvritlabouche,prêtàsedéfendre,mais…—Avise-toidejurerencoreunefois,SoliFinch…leprévintAmaenpointantundoigtmenaçant
verslui.Soli, vaincu, s’adossa à sa chaise en croisant les bras. Je ris, retrouvant tout à coup le gamin
boudeurquej’avaisconnu.Iln’étaitpassiloin,enfindecompte.Abou, comme sa mère plus tôt, m’observa intensément. Il fut beaucoup moins indulgent en
revanche.—Tuasunesalegueule.Oui,sûrement.—Jevaisbien,merci.Ettoi?Jeplongeaimafourchettedansleragoûtd’Ama,refusantdediscuterdesraisonsdemafatigue.—J’aiunsermonenretardcommed’habitudeetdesparoissiensquiveulentmecrucifier,fitAbou
enm’imitant.Misàpartça,çaroule.Abou n’était pas un pasteur très conventionnel. Il ne portait jamais de col blanc et le seul signe
distinctifqu’ilpossédaitétait lacroixquipendaitàsoncou.Sasoutanerestaità lasacristieet il lapassait uniquement pour les célébrations. Surtout, il ne faisait jamais étalage ni de saFoi ni de savocation.Ellesétaientenlui,prèsd’uncœurgénéreux.Uncœurquim’avaitsouventsauvé.—Qu’as-tufaitpourmettretesouaillesencolère,cettesemaine?IlhaussalesépaulesetAmasouffladedésespoir.Elleselaissatombersursonsiègecommesile
monde lui-même pesait sur son échine. Pourtant, ils ne donnèrent aucune explication, ni l’un, nil’autre.JepenchailégèrementlevisageetcroisaileregarddeSoli.—Paslapeinedemefixercommeça,ilsneveulentrienmedirenonplus.Abou,posasafourchetteetpivotaversmoi.Uninstant,nousnousobservâmes.Uninstantdurant
lequellesmotsfurentinutiles.J’avaisdix-septansquandjerencontraiAbou.Bienquemespapiersd’identité,queCharless’était
occupédemefournir,m’endonnentdix-huitpassés.Commetousleslundissoirsdepuisquemamèren’étaitpluslà,jevenaisdanscetteéglise.Celle
qu’elle avait fréquentée de son vivant. Jem’asseyais sur le dernier banc et regardais droit devant,cherchantdanslesilencelesoutiend’uneentitéàlaquelleelleavaitcruplusquetout.Mêmelorsquelamaladiegagnaitinexorablementduterrain.Savieluiéchappait,maismamèrecontinuaitdevenirici, sourianteetconfiante.Commesiellevoyaitquelquechosequim’était invisible.Parfois, jemedisaisqu’elleentrapercevaitlemondequil’attendait,parcequ’elleavaitdéjàunpieddel’autrecôté.
Elleavançaitverslamortetpeut-êtrequecequil’apaisaittanticiétaitlacertitudequecen’étaitpaslafin.Qu’après,ilyavaitquelquechose.Demeilleuretdeplusfort.Detranscendant.Quelquechosequirendraitenfinacceptabletoutessessouffrances.J’ycroyaisetcetteidéemeconsolaitunpeudesaperte,m’aidaitàsupporterlemondedanslequel
elle m’avait laissé. Et parce que je voulais croire qu’elle m’entendait, j’avais aussi besoin dem’excuserdugarçonquej’étaisdevenu.Tellementloindeceluiqu’elleauraitaiméquejesois.Charlesm’avaitdéjàsortidesbas-fondsdeBostonet installédansundesesappartements.Notre
accordétaitsimpleet lucratif ; ilmedonnait troisadressesparsemaine,quelques instructionset jem’yrendaispouruneoudeuxheures.Quandje leretrouvaischaquedimanche, jen’étaisplusqu’àlui.Le lundimatin, avantque jem’enaille, ilme remettait une enveloppepleinedebillets et troisnouveauxnoms.Toutcetargent,jen’enavaisjamaiseubesoin.J’avaisvoulumemettreàl’abriet,dansunecertainemesure,j’avaisréussi.Alors jevenaisdanscetteéglisepourchercheruneformedepardon.Et j’espéraisqu’en laissant
tous cesmaudits dollars dans l’urne des dons, qu’en contribuant à aider ceux qui en avaient plusbesoinquemoi,jemesauvaisunpeumoi-même.Le pèreAndrew n’avait jamais cherché à savoir qui enrichissait ses bonnesœuvres, parfois de
plusieurs milliers de dollars. Plus j’avais mal et plus j’en avais. Plus je souffrais et plus Charlessouriait.Ilaimaitvoirlesbleusmarbrermapeau.Lesplaieslaisséesparlesautresl’excitaient.Illesléchait pour les soigner, pour s’en repaître comme un drogué. Il adorait ma douleur, mes yeuxbrillants,lasouffrancequ’ilpouvaitlirederrière.Iljouaitdemoncœurblessé;iljouaitdemavie,commeilmenaitsesaffaires.Ilmisait,ilgagnait.J’étaisassisdepuisdesheuressurledernierbanc,mesliassesdebilletsdanslesmainsetlevisage
baisséversmespieds.Jepriais,maistoutcequej’entendais,c’étaitlespulsationsdemoncœuretceshurlementsquirefusaientdesortird’entremeslèvres;ellesrestaientobstinémentfermées.Toutenmoicriait,pleurait,sedélitait.Pourtant,j’étaislà,immobile,laissantladouleurm’étreindrecommeuneamiemaudite.Combiendetempsétais-jerestéainsi?Desminutes,desheures?Desdécennies?Parfois,j’avais
l’impressionquedes siècles s’étaient écoulés. Jeme sentaisvieux,malade,blesséet àbout. J’étaisdéjàfatiguédemeleverchaquematin,demecoucherchaquesoir.D’avancersansbut.J’avaisquandmême finiparme levercommeunautomate,mettant l’argentdans l’urnedestinée
aux œuvres de charité. Je l’avais regardé tomber au fond, comme un millier de grains de sableinsignifiants.Commeunegouttedemeslarmes,unpeudemonsang.Lesfamillespauvres,lesorphelins,lesenfantsbattus,lesfemmesmaltraitées,toutcefricétaitpour
eux.Cen’étaitqu’unjusteretourdeschosesaprèstout.Queceshommesquim’avaientpayésicher,quiavaientexigétantdemoi,soientlesmécènesindirectsdesindigents.Quandjem’étaisenfinretourné,Abousetenaitdevantmoi.Ilneportaitnisoutane,nicolblanc.Je
l’avaisd’abordprispourunsimpleparoissienavecsadégainedebanlieusard.—C’estvous,alors?avait-ildit,enm’observant.—Moiquoi?Je l’avais dépassé pour sortir, prêt à nier s’il le fallait. Je ne voulais ni reconnaissance, ni
remerciements.Jeneméritaisnil’un,nil’autre.—Vousavezleregardleplusmalheureuxquej’aiejamaiscroisé,avait-illancédansmondos.Est-
celaraisondevotregénérosité?Jeluiavaisjetéuncoupd’œilpar-dessusmonépauleetmesyeuxavaientaccrochélacroixqu’il
portaitautourducou.Ilavaitsourienprenantlependentifentresesdoigts.—JesuislepèreAbouFinch,s’était-ilprésenté.JeremplacelepèreAndrew.J’avaisalorspivotéverslui,intrigué.Ilavaitfaitunpasdansmadirection,lamaintendue.J’avais
hésitéàlaprendre.Unepoignéedemain,unbrassurlesépaules,desdoigtsaucreuxdudos…autantdegestesquim’étaientdevenusinconnus;dumoinsquandilsn’étaientpastarifés.Commejenebougeaispas,Abouavaitfiniparm’indiquerlefonddel’église.—Jevousoffrequelquechoseàboire…Jem’étaisaussitôtraidietavaisfaitunpasenarrière,luijetantauvisagetoutmondégoût.—Jenesuispasdansvosmoyens,monpère!luiavais-jebalancé.Allezdonctraînerdanslesrues,
voustrouverezsûrementuneputemoinschèrequemoi!—Quoi?s’était-ilétranglé.Non,non,vousvousméprenez.Attendez…Maisc’étaittroptard,j’étaispartisansmeretourner.J’avaiscruvoirdelabontéet,d’uncoup,iln’yavaitpluseuquedelaluxure.Laconvoitise.Tout
cequej’apercevaissurlevisagedecesinconnusquandilscommençaientàmetoucher,quandleurcorpss’abattaitsurlemien.Biensûr, jemetrompaissurAbou.Jel’avaiscomprisdèslasemainesuivante, lorsquejel’avais
aperçuassissurledernierbancdel’église,àm’attendre.Jem’étaisinstalléunpeuenretraitetilavaitcommencéàparler.DesonpèreGuy,mortaucombat.Desamère,Ama,quiavaitcumuléparfoistroisemploispoursubvenirauxbesoinsdesesenfantsetqui,malgrélessanglotsqu’elleversait lanuit, s’était toujours levéeavec le sourire.Desongrand frère,Gora,quiavaitmal tournépourdebonnesraisonsetquidormaitmaintenantenprison.Desoncadet,Soli,tellementlumineuxqu’ilétaitcommeunrayondesoleil.Desonangoissedenepouvoir leprotégerdetoutcequ’oncôtoyaitenbas,danslesquartiersdecheznous.Etdesescraintesdenepasavoirsaplacederrièrel’auteldecetteéglise.Puisils’étaittuetjeluiavaisracontéàmontour–l’inconnu,lamaladie,lamort.LarueetCharles.
Lesdimanches,lesclients,lesdouleurs.Nous étions devenus amis là où d’autres auraient commencé par se haïr bien avant de se
comprendre.Nous,nousavionsencommundesblessures.Etquelquepart,l’espoirdetoutchanger.Après le repas, Soli fut réquisitionné par samère pour l’aider à la vaisselle et il nous lança un
regardtorveauquelnousneprêtâmespasattention.Abouetmoinousdirigeâmesverslegarageenl’ignorant,cequil’agaçadavantage.Jefermailaportederrièrenousetsortisunpaquetdecigarettesdemapoche.AvecAma,pasquestiond’enfumerunesoussonnez,ouellevouslafaisaitavaler.J’en allumai une en inspirant à pleins poumons et en lançai une autre à Abou. Il souffla de
soulagementenlarécupérant,ouvritlepetitréfrigérateurpourdeuxbières.Illesposasurlatablequenousavionsfabriquéeaveclesoutilsdesonpère.GuyFinchaimaittravaillerleboisquandilétaitenvie.Soli,Abouetmoinousretrouvionssouventpourl’imiter,lorsdecesjournéesoùêtreensembleétaituneformedeconfession.Oùchacundenossilencesexpliquaitmieuxquelesmots.JeprislabouteilledeGriffin’sbow,etlaissaiàlaplaceplusieursrouleauxdebillets.Ilyavaitun
momentdéjàquejenemettaisplusriendansl’urnedel’église.JepréféraisconfiercetargentàAbou.
Qu’ilen fasseprofiter lesnécessiteux,qu’il lemettedecôtépour lesétudesdeSoli,qu’ilépargnepour acheter une maison pour sa mère ou qu’il continue de le redistribuer aux associations dequartier,jem’enmoquais.Jeleluidonnaisparcequeçamepesaitdelegarderetquejen’enavaisjamaiseubesoind’autant.JeprofitaissuffisammentdeslargessesdelaHauteSociétébostonienne.Aboumitl’argentdecôtéetsecoualatête.—Plusilyadefric,plusjemedéteste,Rafael,dit-il,entrecolèreettristesse.Ilyalongtempsque
j’auraisdûréussiràtefairequittertoutecettemerde.Jem’appuyaicontre l’établi recouvertdecopeauxdebois, résultatdenotredernièrecréationen
date,unpetitberceaupourunefuturejeunemamandontAbous’occupait.Jetiraisurmaclopeetsoufflaidesrondsdefumée.—Qu’est-cequetuespèresAbou,aujuste?Çafaitdixansquejemeprostitue.Iln’yaqueçaque
jesachefaire.—C’estfaux!enragea-t-ilendonnantuncoupdansunfauteuilàbasculequeSoliavaittoutjuste
finidevernir.Jebusunelonguegorgéedebière,penchantlevisagepourmieuxl’observer.— Tu as passé ton temps, depuis que je te connais, à essayer de me faire décrocher. Tu m’as
proposédessolutions,etjelesaitoutesrefusées.—Etpourquoi?fit-ilenécartantlesbras.—Parcequ’ellesnemeconvenaientpas.Ilritsansjoie.—Parcontre,tonaccordaveccetteenfluredeKennedy,çateconvient?Jejetaimabouteillevidedanslapoubellelaplusprocheetelleytombaavecfracas,sebrisantsur
cellesquiyétaientdéjà.—Charlesestcequ’ilest.Maissanslui,jeseraissûrementmortprèsd’unebenneàordures.—Tuaslargementpayétadette.—Tucrois?sifflai-jeentremesdentsserrées.Quelprixvautmavie?—Ilnes’agitpasdeça,Rafael!Enfin,merde!Jerécupéraimesclefsdemotoaufonddelapochedemaveste.Cetteconversation,cen’étaitpasla
premièrefoisquenousl’avions.J’enconnaissaisdéjàlafin.—Tupourrastournerleproblèmedanstouslessens,jeresteraiunepute,Abou.—CelledeCharles?Jefermaimavesteetenfilaimesgants.—Celledetousceuxquiymettentleprix.Aboupassalamaindanssescheveuxcrépusetjesoufflaienl’étreignantbrièvement.Ilmetapasur
l’épaule,sereculaetserramonbrasunpeutroplongtemps.—Jevoudraisseulement…—Çasuffit,lecoupai-je.—Pourquoi?Quelmalya-t-ilàprierpourquetusoisheureux,ensécuritéetaimé?Jesoupirai.—Arrêtedeprier.ParcequeçafaitlongtempsqueDieum’atournéledos,Abou.
—Non, Rafael. C’est toi qui as cessé de regarder autour de toi. Qui as cessé de voir qu’Il esttoujourslà.Jeposailamainsurlapoignéedelaporteetrestaiuninstantimmobile,prenantlamesuredece
qu’ilvenaitdemedire.—Peut-être,luiaccordai-je.J’auraisvouluqu’ilaitraison.
02Jem’arrêtaidevantunpubetbaissailabéquilledemamoto.Jerangeaimoncasquedanslecoffre
etmisl’antivolà larouededevant.Jeglissaimesmainsaufonddespochesenfixant lesquelquestêtestournéesversmoi.Cen’étaitpaslecoinlepluscalmedelaville,maisj’aimaisbiencebar.Etpuisilyavaitquelquesannéesquepluspersonnenes’amusaitàmebarrerlaroute;sij’avaisétéunadolescentplutôtfin,cen’étaitplus lecas.Jefrisais lemètrequatre-vingt-dixet jepesaisbienmesquatre-vingt-cinq kilos. Sans être bâti comme un quarterback, je ne pouvais plus passer inaperçu,mêmeplanquésousmescapuches.Surtoutpasdanscecoindelaville.J’avais beaucoup de temps libre et j’aimais traîner dans les bars et les clubs, usant les pavés de
Boston.Aprèsplusieursracléesquim’avaientlaissésurleparvis,ensangetincapabledemeremettredebout,j’avaisdûapprendreàmeservirdemespoings.Onnepouvaitpasimpunémentsepromenerenpleinenuitdanslesquartierslesplusmalfaméssansrisquersapeauunjouroul’autre.Jel’avaisapprisàmesdépens.Àforced’entraînementdanslasalledesportdemonimmeubleetdecoursintensifsdeKravMaga,
je n’avais plus peur de sortir de chez moi le soir. Je savais me défendre, je n’étais plusfaible.Pourtant,jen’arrivaistoujourspasàmedéfairedel’emprisedeCharles.Abouavaitraison,cen’étaitpasseulementunehistoiredereconnaissance.Çaallaitplusloin.Bienplusquejeneluiavoueraisjamais.—Salut,Rafael,m’accueillitleserveur.Lamêmechosequed’habitude?—Ontherock,Bob,dis-jeenmelaissanttombersurl’undestabouretsducomptoir.Bob fit glisser un double scotch plein de glace devantmoi et je le remerciai d’un clin d’œil. Il
rougit,seraclantlagorgeensedétournantrapidement.Jesourisenbuvantunegorgée.J’aimaisbienle titiller sur son hétérosexualité défaillante. Quand j’étais dans les parages, Bob avait du mal àregarderailleurs.Ilavaitbeaufairedesonmieux,aimersafemmeetsonpetitbonhomme,unregardnementaitjamais.Jecommandaiun secondverreet ledescendisaussiviteque lepremier. Je fisun tourdes lieux
poursavoirquiétaitprésentcesoir.Ensomme,lesmêmestêtesqued’habitude.Lesmêmesdepuisdesannéesd’ailleurs.JesoufflaienapercevantMacchalouper,plusqu’ilnemarchait,versmoi.Maisqu’est-cequ’ilfaisaitlà?Il s’assit àcôtédemoi,unemainsur lehautdemacuisse.Avecsesmèches rousseset sesyeux
verts, ilparaissaitdouxet trop tendrepour traînerdanscetendroit.Presque trop jeune.Alorsqu’iln’avaitquedeuxansdemoinsquemoi.—Lesaffairesmarchentbienencemoment?mesusurra-t-ilàl’oreille.Jelerepoussaidoucement.—Arrêteça,tuveux.Mac se prostituait depuis qu’il était gamin. Il avait commencé tellement jeune que ses premiers
clientsavaientdangereusementfrôléaveclapédophilie.Ilenavaitbavé,ilenbavaitencore.SurtoutquandCharlesallait levoir.Cequiarrivaituneoudeuxfoisparmois,quand ilavaitbesoind’uneproieplusconsentanteencorequejenel’étais.Macn’étaitpasvraimentlegenredeCharles;ilétaittroppetit,paraissait tropfragileetsoumis.Cequiattirait tantCharlesenmoi,c’était justementque
nous savions très bien tous les deux qu’il n’aurait pume contraindre par la force. J’aurais pumedéfairede lui très facilement.Charlesétaitpeut-êtregrand, iln’en restaitpasmoinsbeaucoupplusmince que moi, presque féminin. Et ce pouvoir qu’il avait sur moi l’exaltait. Cette position dedominantlefaisaitfrémir.Ça,etlecontrôlequ’ilavaitsurmaclientèle,biensûr.Ilchoisissaitchaquehommeavecuneapplicationinquiétante.Ilm’avaitprisbeaucoup,c’étaitvrai.Pourtant,ilrestaitquelquechose,aufonddemoi.Commeune
doucevoixquimurmuraitquelquesmotsd’espoir.Quim’empêchaitd’oublierquij’étais…Etquisuis-je?—Commentvatonpatron?minaudaencoreMac.Jenel’aipasvudanslecoinrécemment.Cen’étaitpascesoirquejeboiraistranquillement.Ilyavaitpeudechosesquej’aimaisfaire,etboireenfaisaitpartie.Boire,lireetpasserdutemps
aveclesFinch.EtavecMacaussi.Maispascesoir.Cesoir,jevoulaisêtreseul.Jeme levai en soupirant.Tantpis, ilyauraitbienune supéretteencoreouverte. J’achèteraisune
bouteilledepiquetteetjelaboiraischezmoi.JesortisdubaretMacmecourutderrière,merattrapantdevantmamoto.—Avectoi,jeveuxbienlefairegratuitement.Jesecouailatête.—Mac,oh!C’estàmoiquetuparles,là!Qu’est-cequ’ilteprend?Il parut soudain abattu. Et je le vis dans ses yeux. L’épuisement. J’apercevais le même tous les
matins,encroisantmonrefletdanslemiroirdelasalledebain.Je jouai avec mon porte-clefs, le faisant tourner entre mes mains, partagé entre l’envie de me
barreretcelledel’aiderencoreunefois.Del’emmeneravecmoi.—Oùest-cequetudorsencemoment?finis-jepardemander.Aufoyer?Aussitôt,l’airarrogantdeMacvacillaetj’eusmaréponse.Nullepart.—Qu’est-cequeçapeuttefoutre!mebalança-t-il.Onn’apastousunproxénètepleinauxaspour
nousentretenir!—Monte!fis-jeavechumeur.Ilhésita,maisfinitparenjamberlamotopours’installerderrièremoi.Jeluipassailecasque,me
contentantd’unsimplebonnet.—Tuvasdormirchezmoicesoir.OK?Ilm’enlaçaetposalatêtecontremondos.Quandjem’arrêtaidanslesous-soldel’immeuble,vingtminutesplustard,ildormait.Tellement
profondémentquejemedemandaicommentilavaitréussiànepastomber.Jeleportaijusqu’autroisièmeétage,oubliantl’ascenseurpouréviterdecroiserlesvoisins.Jene
tenaispasàcequelaprésencedeMacrevienneauxoreillesdeCharles,d’unemanièreoud’uneautre.Cetimmeubleluiappartenaitetjesupposaisquelepersonnelavaitleregardbraquésurmoi.Mêmesicen’étaitpaslapremièrefoisquej’hébergeaisMac,jel’avaistoujoursfaittrèsdiscrètement.Jepoussaimaported’entréeetm’engouffraiàl’intérieur.Jerefermai,balançaimesrangersdans
l’entrée,traversailesalonetlongeailepetitcouloirjusqu’àlachambred’amis.JedéposaiMacsurlelitetlerecouvrisdeplusieurscouvertures.Jerepoussaiquelquesmèchesroussesetfixaisonvisageémaciéetcerné.Mêmedanssonsommeil,ilsemblaittorturé.Aumoins,là,ilétaitàl’abri.Jusqu’à
demainetsonretourdanslesruesquifraîchissaient.Etnousn’étionsqu’enseptembre.M’emparant d’une bouteille de tequila quasiment vide dans le petit bar du salon, je récupérai le
téléphone et composai un numéro que je connaissais par cœur. Jeme laissai tomber sur le divan,buvantaugoulot, regardant ledécorsombreet impersonnelquim’entourait.C’étaitunbelendroit.Lestonsallaientdugrisaunoiretaublanc,ladécorationétaitmoderne,l’espacen’étaitnichargé,nidépouillé.Toutavaitétéchoisiavecgoût.Pourtant,toutparaissaitvide,sansâme.Aboudécrochaaprèsplusieurssonneries.—Allô,dit-ild’unevoixlointaine.Ildevaitêtreentraindetravaillersursonsermon.—J’aiencorerécupéréMac,luiappris-je.Tun’auraispasunlogementsocialsouslamain?Revenant lentement à la réalité, et à ce que je lui disais, Abou mit plusieurs secondes à me
répondre.—Ilyalefoyer,maisladernièrefois,iln’yestrestéquequelquesjours.Jelesavaisbien.—Ilabesoind’unendroitàlui.Rienqu’àlui.Vivreencommunauté,iln’yarrivepas.—Maisilfautdutemps,çanesefaitpasendeuxjours.Ets’ilquittelefoyer,jenepeuxplusrien
pourlui.Deçaaussi,j’enavaisconscience.—Tunepeuxpaslegardercheztoi,Rafael?—Non.L’héberger unenuit oudeux, très bien.Si je le gardais plus,Charles se ferait unplaisir de s’en
servirà lapremièreoccasion.Cequ’ilfaisaitdéjà,d’ailleurs.Ilutilisait l’affectionquejeportaisàMacpourobtenirplusdemoi.Toujoursplus.—Charles…commençaAbou.Jefermailesyeux,vidantlerestedelabouteilledetequila.—S’ilteplaît,Abou,lesuppliai-je.Nerecommencepas.Ilduts’apercevoirdemonras-le-bol,parcequ’iln’insistapas.— Je vais voir ce que je peux faire. En attendant, on peut toujours lui donner un peu d’argent,
mais…—FiledufricàMacetilvalesniffer.—Jesais.—Cequ’illuifaut,Abou,c’estuneassistantesociale,unautrejobetquelqu’unquis’occupedelui.
Ilvafinirparfaireuneconnerie.J’entendisAbouchangerdepositionetfermersonordinateur.—Ettoi?medemanda-t-il.—Quoimoi?—Quis’occupedetoi?C’étaitbienluideretournerlasituationdeMacpourparlerdelamienne.—Charless’occupedemoi,Abou.Tut’occupesdemoi.AmaetSoliaussi.Jenesuispasseul.
Jefermailesyeux.—D’accord?—D’accord…Jepassaiunemaindansmescheveux.—Ons’appelledemain.—OK,Rafael.Jeraccrochaietjetailetéléphonesurlatablebasse.Jemelaissaitombersurlecanapéetsoupirai.
Jen’avaisplus le couragedeme relever,demedéshabiller,de rejoindremachambre.Après tout,j’étaisauchaudetj’étaisfatigué.L’alcoolfaisaitdoucementsoneffet,m’engourdissantsuffisammentpourquejemerappellemamère.Elleadoraitlescitations,elleenremplissaitdescarnetsentiers.Enm’endormant, l’une d’elles me revint en mémoire. Une de l’écrivain nigérian Ben Okri.Ce quel’hommeadeplusauthentique,c’estsacapacitéàcréer,sedominer,endurer,setransformer,aimeretdépassersespropressouffrances.Sic’étaitvrai,alorsilyavaitencoreunechance.Sic’étaitvrai,jepouvaispeut-êtremereleveretrecommencer.Jem’endormis,pourmeréveillerquandMacvintsecollercontremoi.Endixans,Charlesavait
été la seule personne à partagermes nuits et je reconnaissais son odeur, le toucher de sesmains.Celles qui se glissaient sousmon pull avaient la peaumoins douce,mais leurs gestes étaient plustendres.Charlesn’auraitpashésitéàseglisserdansmonpantalon.AlorsqueMacnecherchaitqu’unpeudechaleurpourvenirbrisersasolitude.—Jetedérange?—Non.Jepassaiunbrasautourdesesépaulesetleserraicontremoi.—Dors,Mac.—Merci,Rafael.Ilcalasatêtesurmapoitrine.—Dequoi?—Dem’hébergerchaquefoisquejesuisàlarue.Mac se rendormit et je le repoussai sur le côté sans le réveiller.Cen’étaitpas sa faute si j’étais
incapablededormiravecunamidansmesbras.Les seulscontactsque je toléraisétaient tarifésetchronométrés.MêmemesrencontresavecCharlesétaientlimitéesdansletemps.Vingt-quatreheuresparsemaine.Pasunedeplus,pasunedemoins.Jem’assis sur le fauteuil, un peu plus loin, les jambes remontées contre la poitrine et les bras
croiséssurmesgenoux.Lementonsurmoncoude,jefixailejeunehommeendormi.Puisjetournailatêteverslabaievitréepouradmirerleslumièresdelaville.Demain,l’aubeseraitlàetavecelle,lesdiktatsd’uneviequejen’avaispaschoisie.Onmel’avait
imposéeetj’avaisfaitdemonmieuxpourm’enaccommoder.Jen’étaisqu’uneétincellevacillante.Lemoindrecoupdeventpouvaitm’éteindre.Pourtant,malgré
lafaiblessedelaflamme,jebrûlaistoujours.J’étaisvivantetdebout.
J’étaisperdu,égaré,maisj’étaislà,quelquepart.J’espéraisqu’unjourCharlesmelaisseraitpartir.Quej’auraislecouragederegarderenfacemes
proprestroubles,mesdéfaillancesetmeserreurs.Alorsjepourraispeut-êtrequittercemonde,cettevie.Apprendreàaimer…
03—Alors?demandai-jeàAbou.Ilposadeuxgrandsgobeletssurlapetitetableentrenous.J’enprisun.Iln’yavaitriendetelquele
caféduStarbucks.Nousnousétionsdonnérendez-vousàBeaconStreet,parcequeCharlesdevaitpassermevoiret
qu’iln’habitaitpasloin.Àpartnotrejournéehebdomadaire,nousnenousvoyionsjamais.Pouruneraisonouuneautre,ilavaitbesoindemeparler.Cequi,ensoi,n’étaitpasrassurant.Abouenlevalecouvercledesongobeletencartonetsoupiraenbuvantsapremièregorgée.—Jeluiaitrouvéuneplaceenfoyer.MaisMacn’yresterapasplusdequelquesjours,sicen’est
quelquesheures.Vasavoiroùilatterriraensuite.Jesecouailatête,dégoûté.—Macvamalettoutcequ’onpeutluidonner,c’est…uneplacedansunfoyer!—Queveux-tufaire,Rafael?Luiacheterunemaison?—Pourquoipas.Abousourit,mi-attendri,mi-amusé.—Tunepeuxpaslesauver,s’ilneleveutpaslui-même.—Iln’aaucunesolution.Commentveux-tu…—C’est faux et tu le sais,me coupa-t-il. Il a plusieurs options devant lui. Il ne veut en prendre
aucune,c’esttout.Commetoi.Bienqu’Abounelesprononçâtpas,j’entendistrèsbienlesmotsqu’ilpensaitsifort.— Alors quoi ? On attend qu’il revienne vers moi en espérant qu’il n’aura pas fait trop de
conneries?Ilneréponditpas,cequiétaitunaveuensoi.J’avaistoujoursfacilementdétournélesyeuxdevantlesjeunesprostituésquiarpentaientlesrues.
MaisavecMac,jen’avaispaspu.Parcequesij’ignoraiscequetouslesautresenduraient,jelesavaispertinemment en cequi le concernait, lui.Charles seplaisait àme raconter chaquedétail, espérantsusciterenmoiundébutdejalousie.IlmedisaitcommentilprenaitMac,commentilaimaitvoirsesdoux yeux verts vaciller, comment il le mettait à genoux, comment il le faisait crier et supplier,commentill’avilissait.Ilmemettaittoutescesimagesentêteetjeneressentaisplusquelevideetlenéant.Etilm’aspiraitàeuxjusqu’àcequejemedétruiseetquejenedevienneplusrien.Jeclignaidespaupières,chassantlesombressinistresdevantmesyeux.—J’iraitraînerversMatapanetDorchestercettesemaine,voirs’ilvabien,dis-jeàAbou.Etsije
neletrouvepas,j’iraiàRoxbury.—J’espèrequandmêmequ’ilresteraaufoyer.—Ilnefautpasycompter,Abou.Ilrepartira.—Jesais,soupira-t-il.Ilregardaverslarueetdevintpensif.Ilfittournersongobelet,laissantquelquesrondshumidessur
latable.Jecroisailesbrasenl’observant.
—Onchercheàfairefermerlefoyer,Rafael,laissa-t-iltomber,évitantmonregard.Lefoyerpourjeunesprostituésqu’avaientouvertAbouetunepoignéedebénévolesn’étaitpasau
goûtdetoutlemonde.Celanuisaitàl’imagedeleursacro-sainteéglise.Dumoinsàcellequelespluspuritainssefaisaientd’uneparoisserespectable.Malgrécela,Abouavaittoujoursresserrélesrangsetn’avaitjamaiscédé.Là,ilétaitminé,presquefataliste.—Cen’estpaslapremièrefois.—Saufqu’ilsrisquentd’yarrivercettefois-ci.—Lemairet’adonnélefeuvert,luirappelai-je.—Lemaireestpressécommeuncitronetrevientlentementsursadécision.Ilsaluaunpassantdelamain,sourit,avantdesepencherversmoipourcontinueràvoixbasse.—CertainsuniversitairesdeCambridges’enmêlent.HarvardetleMITsontdeuxdesmeilleures
écolesaméricaines,laprostitutiondoitresteruneaffairediscrèteetlesfillesquej’hébergeaufoyersontloindel’être.Quantauxgarçons,ilsnelesontpasplus.—Qu’est-cequeçapeut faire?Lesétudiantssontde l’autrecôtédeCharlesRiveret restentsur
leursatanécampus.—Jet’enprie,valeurdire!Parcequ’ilsn’ontpasl’airdelevoircommeça.J’airendez-vousavec
lemaireetlesdoyensdemainmatin.Certains des pensionnaires d’Abou se faisaient violence pour changer de vie, et leur enlever le
foyer,c’étaitlesrenvoyeràlacasedépart.—Jenepeuxpast’aider,Abou.—Tum’aidesdéjà,fit-ilenposantbrièvementsamainsurmonbras.—Jenevoispascomment.—Tum’écoutes.Jelevailesyeuxauciel.—Cen’estpasçaquisauveralefoyer.Jesouris faiblement.Uneseconde.Avantdecesserbrutalement.Parcequesoudain, l’atmosphère
sembla s’alourdir. Il y eut comme unmanque d’oxygène, une éclipse solaire. Un trou noir. Et jen’avaispasbesoindepluspoursavoirqu’ilétaitlà.Charles.Il franchit laporte, s’effaçantpour laisserpasserune jeune femme. Ilhocha la tête, respectueux.
Quandilm’aperçutavecAbou,sonsouriredevintamusé.Presquemoqueur,d’ailleurs.Charles,dansundesescostumessombrestailléssurmesure,sescheveuxsavammentcoiffés,son
éternel foulardrougeautourducouetseschaussurescirées,nousrejoignitenquelquesenjambéesgracieuses,lessourcilslevés.Abouseraiditaussitôtenlereconnaissant.—PasteurFinch,c’estunplaisirdevous revoir, chantonnaCharlesen s’asseyantdignement sur
unechaise.—Allezvousfairefoutre,Kennedy!persiflaAbou.—Quellangagedéplorabledanslabouched’unhommedeDieu.—Voussavezcequ’il…Jesecouailatête,empêchantAboud’allerplusloin.Aulieudeterminer,ilseleva,préférants’en
aller.—Àplustard,Rafael.Ilmetapaamicalementsurl’épauleets’enfuitpresqueverslasortie.—Trèscharmant,tonami,ritCharles.Il posa brièvement sa bouche sur la mienne, provocant. Je le laissai faire sans lui rendre son
étreinte.Jene luidevaisrienaujourd’hui.Quandnousétionschez lui,c’étaitunechose, icicelaenétaituneautre.Illecompritd’ailleurstrèsbienetserecula.—Jevois,chuchota-t-il,blessé.Jepivotaietleregardaibienenface.—Qu’est-cequetumeveux,Charles?—Queltonarrogant…—Charles,l’arrêtai-je.Dis-moicequetumeveux.Nousétionsassissuffisammentàl’écartpourquelesoreillesindiscrètesnenousentendentpas.Charlesôtasonfoulardets’adossaàsonfauteuil,croisantlesjambes.Jeposaiunpiedsurlesiège
libéréparAbou,glissailesmainsdansmespochesetattendis.Ilclaqualalangue.—IlsemblequeMacapassélanuitcheztoi.Moncœureutunraté,maisjemeforçaiànerienmontrer.—Enquoiest-cedérangeant?—Maisenrien,monamour,minauda-t-ilsemordantlalèvre.Juste…Ilseredressa,posalescoudessurlatableetsepenchaversmoi.Sescheveuxbrunsfrôlèrentmes
jouesetjem’obligeaiànepasreculer.—Juste…recommençaCharles.Jemedisaisquejepourraispeut-êtreluitrouverunendroitpour
recevoir ses clients. Etmoi aussi, d’ailleurs. J’en ai un peumarre de le baiser dans une chambred’hôtel.Unstudio,ceseraitbienplusconfortable.Qu’est-cequetuendis?Quetoutaunprix.EtqueceuxdeCharlesétaientparticulièrementélevés.Voilàcequej’endisais.—Tesconditions?luidemandai-je.Ilritenmeprenantlamain.Enserrantlesdents,jelaluilaissai.Iltenditmapaumeversluiet,de
sonindex,encaressalescontours.—J’aimetafaçondepenser.Tafaçondemeconnaîtreaussi.Ilseléchalalèvreinférieure,meregardantpar-dessoussescilstroplongs.—Tumemanqueslasemaine,Rafael.Jemedisaisquetupourraismeconsacrerquelquesheures
deplus…Disonsdeuxoutrois.Tuasbeaucoupdetempslibreet,moi, j’aiparfoisdessoiréestrèssolitaires.Oudespausesdéjeunersvraimentennuyeuses.Sonpiedvinttoucherlemien.—Cestermestesemblent-ilsacceptables,monamour?VoirMacs’enfoncerunpeuplusoumeperdredavantagemoi-même.Était-cevraimentmonseul
choix?—Oui,ilslesont.Ravi,ilserramesdoigts,unsouriregrandioseaucoindeseslèvres.
—Quedirais-tudemesuivrepour…conclurenotreaccord?Encoreunautre.Ilyenavaittellementdéjà.Je ramassaimes affaires etme levai.Satisfait,Charlesm’imita, posaunemain au creuxdemes
reinspourmepousserverslasortie.
04Charles posa unemain surma joue etm’embrassa presque tendrement, nichant son visage dans
moncou.Jen’avaispluslaforcedelerepousser,nidemelever,nidequoiquecesoit.Alorsjerestaiétendu,nu,contrelui,etlelaissaimecaresser,seblottissantcontremoi.—Tusaisquejet’aime,Rafael,pleurnicha-t-il.Ilm’avaitgifléàlasecondeoùj’avaisrefermélaportedechezlui.Jem’yétaisattenduetn’avais
pas bronché, attendant qu’il recommence.Ce qu’il n’avait pas tardé à faire. Ici, dans cettemaison,j’étaisàlui.Danscettechambre,jen’étaisriend’autrequ’uncorpsoffertquiacceptaitchacundesesordressanshésiter,durantletempsquiluiétaitimparti.Lahonte, ladouleur, la souffranceet ledégoût–c’estceque je ressentaisquand jeme trouvais
prèsde lui.Saviolence, je laconnaissais.Sesvicesencoreplus.Maismalgréça, j’étaisencore là.Malgrélesang,aussi.Leslarmesplanquéesderrièremespaupièrescloses.Alors oui, il m’aimait. Mais de la pire des façons. Personne ne devrait jamais endurer ces
affections-là.Elles n’étaient faites quede cesvents tumultueuxqui vous emportaient loin, toujoursplusloin,voustuantunpeuplusàchaquefois.Ses«jet’aime»,jen’yrépondaisjamais.J’yrestaisindifférent.Parcequ’iln’yavaitquemessouffrancesquiluiplaisaient,lesplaiesqu’illaissait,lesombresqu’il
créait.Descoups,c’était toutcequ’il savaitmedonner.Me laisser faire, toutceque jepouvais luioffrir.Ilm’arrivaitencored’espérerunpeudedouceurdesapart,uneétreintequin’exigeraitrien;maisCharlesenétaitincapable.—Tuestellementbeau.Parhabitude,jeposaiunemainsursondos.Ilselovaencoreplusprèsetjefermailesyeux.Ilm’embrassaencoreet jesoulevai lespaupièrespourcroisersonregard.Etcequ’ilvitdansle
mien, encore une fois, était loin de ses attentes. Parce qu’il savait que je comptais les dernièresminutesavantd’êtrelibérédelui.Jusqu’àlaprochainefois.Vexé,ils’éloignaetsortitdulit.—Vatedoucher,m’ordonna-t-il.Tuempesteslesexe.Jeteramèneraiensuite.Toujoursmuet,jemeremisdifficilementdebout,refusantdebaisserlesyeux.Lemoindrepasme
faisaitgrimacer,maisjeluipassaidevantsansmontrerunseulsignedefaiblesse.Jemedirigeaiverslasalledebainet,mesquin,Charlesmelança:—LepetitAsher sera content, je t’ai bienpréparémonamour.Tumediras s’il a appréciémes
attentions.Jeserrailesdentsetcontinuaid’avancer,laissantlaporteouverte,glissantsouslejetchauddela
doucheetnettoyanttoutetracedecetteheuredecalvaire.BrandonAsher…LeMIT…J’avaisoublié.Jeposaimesmainssurlaparoideladoucheetlaissail’eauglissersurmoi,s’écraseràmespieds
ettourbillonner,rougieparlesang,avantdes’écoulerdanslesiphon.Jecrispailespoingsetlevailevisageverslapluiechaudequisortaitdupommeau,adressantdesprièresdansl’air,dessuppliques
quin’atteindraientjamaisCeluiquidevaitlesentendre.Charlesavaitrassemblémesaffairesprèsdelaportequandjeressortisetjelesenfilaisansbruit,
peinantàchaquemouvement.Illevit,maisnefitaucuncommentaire,nem’adressaaucuneexcuse,nem’envoyamêmepassonhabituelsouriresarcastique.S’ilavaiteulamainsilourde,c’étaitpourmefairepayerl’affectionquej’avaispourMac,nousle
savionstouslesdeux.Charlesauraitvouluquejeluitourneledossanshésiter,quejelelaissecreverdanslarue.Maisjenepouvaispas.C’étaitMac,unami,unfrèredegalère.Toutcequejeressentaispourlui,jenepourraisjamaisl’éprouverpourCharlesetcedernierenavaitparfaitementconscience.Pourtant,unepartiedemoi–unequej’avaisencoredumalàcomprendre–aimaitCharles.Pour
m’avoirgardéenvie,pouravoirprissoindemoi,pourm’avoiroffertun toit,unefaçondem’ensortir,unepossibilitédevoirautrechosequelesdédalesdecesruessordidesoùlessouriresavaientfoutulecampdepuislongtemps.Ilétaitvenumevoir,ilm’avaittouché,embrassé,etdansunsens,çaavaitcomptéplusqueladouleur.J’avaisperdumamère,çafaisaitunanquejen’avaisplusrien,etdujouraulendemain,jen’étaisplusseul.Charlesétaitlà.Etpendantunan,jusqu’àcequejerencontreAbou,iln’yavaiteuquelui.Jem’étaisaccroché,parcequ’ilavaitététoutcequ’ilmerestait.J’enfilaimavestesansquitterCharlesdesyeux.Ilmetoisaavecméchanceté.—Est-cequetuesprêt,Rafael?—Jetesuis.—Bien,ironisa-t-il.Ilmeramenajusqu’auStarbucksetàmamoto.Jeneluidispasaurevoir,jeneluiadressaimême
pasunregard.Ilrepartitenfaisantcrisserlespneus;jesavaisquejelepaieraisplustard.Maispourl’instant,jen’avaispluslaforcedem’eninquiéter.Jerentraichezmoi,fermailaporteetposaimonfrontcontrelebattant.Jemelaissaiglisserausol,
etnebougeaiplus.Jerestailà,fumantuneclopeaprèsl’autre.Essayantd’oublier.
05Il était dix-sept heures passées de quelques minutes quand je me garai sur le campus, à Broad
Street,prèsdesbâtimentsdePolytechniquesduMIT.LàoùlejeuneBrandonAsherm’avaitdemandéde l’attendre. Du moins l’avait-il dit à Charles, qui m’avait transmis le message avec un sourireironique.Appuyéàmamoto,lesbrascroisés,j’attendaisquelepetitbourgeoisblondauxairshautainsetau
visageprinciersedécideàmerejoindre.Enmêmetemps,chaqueminutederetard,c’étaitautantdetempsquejenepasseraispasensacompagnie.MarencontreavecCharles,plus tôt,m’avaitdonnéenviedeboire.Etmalgré leprixqueBrandonétaitprêtàmepayer, je l’auraisvolontierséchangécontreunebonnebouteilledewhisky.Surtoutaujourd’hui.Alorss’iln’étaitpaslàdansdixminutes,jem’enirais,etavecunimmenseplaisir!J’iraisacheterquelquesréserves,boiraisverreaprèsverre,étendu sur le tapis du salon, fixant le plafond blanc, la fumée de ma clope et les volutes quiformeraientunépaisbrouillardautourdemoi.Pendantquelquessecondes, jepourraisespérerm’yperdre.Maisforcément,aupremiercourantd’air,lafuméesedissiperaitcommeunrêve.J’étaissurlepointdeficherlecamp,lorsqueBrandonsepointaenfin.Lepetitseigneuravançait,le
menton levéet lenez froncé,détestablemêmedans sesairsangéliques.S’iln’étaitpas si faciledevoiràquelpointildédaignaitlemondeentier,nelejugeantpasassezbienpourlui,onauraitpulequalifierdemignon.Maisaveccerictussuffisantqu’ilaffichaitsanscesse,iln’étaitquelaid.Enme remarquant, il hocha la tête, satisfait que je l’attende, se donnant plus d’importance qu’il
n’enavait.—Rafael,dit-ild’untonquimefitleverlesyeuxauciel.Unvieillardpouvaitutiliserceton-là,maissûrementpasungamindevingtetunans.—Brandon,l’imitai-je.—Hum…fit-ilendésignantmaDucati.Ilyaunsecondcasquepourmontersurcetengin?Ilavaitl’airpressédepartiroujenem’yconnaissaispas.Ilregardaitàdroite,àgauche,derrière,
mepressantduregard.—Biensûr,Brandon,minaudai-jeenluiadressantunsourireaussifauxquepossible.J’étaispeut-êtreunepute,maisc’étaitdéjàtropquejem’aplatissedevantCharles.Pasquestionque
cepetitconaitplusqu’uneheuredemontemps.Pasmêmeunesecondedeplus.J’ouvrais lecoffrede lamotolorsquejefusbousculéparuntypequifonçaitdroitsurBrandon.
Surpris,jeviscedernierblanchirlégèrementavantdeseprendreuncoupdepoingmagistral.Jenepus retenir un sifflement admiratif. C’était une sacrée droite, qui envoya à terre le petit blondinet.Oubliéslesairssuffisantsquandonalenezensang.Etpuis,cen’étaitpascommesijen’avaisjamaispensélefairemoi-même.J’enauraisbienri.—Tuesallétroploin,Asher,luiditsonassaillant,ensepenchantsurlui.C’étaitlapremièrefoisquej’entendaiscettevoix.Etjemesouviensqu’elleétaitgrave,profonde,
mélodieuseaussi.Etsij’eneusaussitôtlachairdepoule,jenel’attribuaiqu’aulégerventquis’étaitsoudain levé. Nous étions mi-septembre et les températures baissaient légèrement. Mes frissonsn’avaientdoncrienàvoiraveccesonquicoulaitcommeunecascade.—Vatefairefoutre,Caleb!serebiffaenfinBrandon.
Ilglissaunregarddansmadirection,attendantsûrementquejeluivienneenaide.Jen’enavaispasenvie,jepréférairesterunpeuàl’écart,lesbrascroisés,àattendrelasuite.Ilm’avaitembauchépourme baiser, pas pour jouer les gardes du corps. Et puis, le petit Calebm’intriguait.Même si je nevoyaisdeluiqu’unecasquetteetledosd’unpullenlainegrisfoncé.—Tun’asrienàfairedanscecours,Brandon!continualeditCaleb.Laseuleraisondetaprésence
estlefricquetonpèreadonnéaudépartementd’aéronautique.Tunevauxpasgrand-chosesanspapa,alorsqueDuck,luia…—Oh,arrêtedepleurnicher,leTexan.Ducksetraînedepuisl’annéedernière.Je sentaisqueçaallaitdégénérerdenouveau,etBrandon recula,prudent. Il étaitpeut-être temps
que j’intervienne.Jemeglissaientreeuxetarrêtai lebrasquise lançaitau-devantdeBrandon.Unbras assez fort ; étrangepourun typequi nedevait paspeser plusde soixante-dixkilos, soixante-douzegrandmaximum.Le dénommé Caleb, en m’apercevant, battit des paupières. C’était une réaction que je suscitais
régulièrement,riend’étonnant.Charlesn’auraitpaspumevendresicher,siçan’avaitpasétélecas.Cequiétaitsurprenant,enrevanche,cefutquemoiaussijeclignedesyeux.Pourtant,iln’avaitriende particulier ce gamin.Un regard bleu-gris.Un nez qui semblait avoir été cassé.Des lèvres trèsrougesquicontrastaientavecunteintblanccommedelanacre.Descheveuxchâtainscoupésenundrôle de carré, éparpillés autour de son visage en un joyeux bordel. Il était grand et élancé, unesilhouette presque féline, comme celle de certains danseurs. Pris séparément, tous ces détailsn’avaientriend’exceptionnel.Maisl’ensembleétaitpresqueunchef-d’œuvre.—Jecroisqu’onvas’arrêterlà,cowboy,luidis-jeenlefaisantreculer.Brandon,àl’abriderrièremoi,avaitretrouvédesonarrogance.Sommetoute,sonnezn’étaitpas
ensivilainétat.Dommage,çadonnaitducaractèreàunvisage.CeCalebenétaitlapreuve.—Tunesaispasàquelpointcesurnomluivabien,Rafael, ironisaBrandon.Jesuissûrqu’ila
planquéunStetsonquelquepart.—Ouais,dansmonsac,connard!luibalançalebelétudiant,sedétournantdemoienrougissant
légèrement.JetendislesecondcasqueàBrandon,illepritsansrechignercettefois-ci.—UncowboyauMIT?m’amusai-je.Tun’aspasvraimentl’accenttexan.—Jememaîtrise,dit-il.Brandonrenifla,dédaigneux.—Ilnemanqueraitplusqu’ilnoushachelesoreillesavecsonlangagedepaysan.AllezRafael,on
bouge!Jecroisaiunregardgrisquis’obscurcitunefoisdeplus.Unairtrèstexan.Jesecouaidiscrètement
latête,façonsubtiledediredelaissertomber.Ilm’observa,semblantplongerdansmesyeuxetplusloinencore.Uninstant,ilyeutunsentimentparticulier,quelquechosequenouspartageâmes,unpetitrienquiamenaunsouriresurmeslèvres,unelueurdanssesyeux.JepensaisoudainementàSandro,monvoisinquandj’étaisgamin.Ladernièrefoisquej’avaiseu
despalpitationsdecegenre,c’étaitpourlui.LebeauCalebfinitparhausserlesépaulesetj’enjambaimamoto,attendantqueBrandons’installe
derrièremoi.Jedémarrai,faisantronflerlemoteur.—NelaissepastonStetsonaufonddetonsac,cowboy,lançai-jeenaccélérant.
Quelques secondes plus tard, il avait disparu, mais son visage, lui, était comme unmagnifiquetableauauquel,peut-être,ilmeplairaitderepenser.
06Mon téléphone n’avait pas arrêté de sonner de lamatinée. Etmaintenant, on tambourinait àma
porte.Lecorpscourbaturé,j’auraispréférérestervautrédevantlatélédemachambreàattendrequelajournéepasse.Oumieux,moietmesbouteillesserionsrestésenfermésjusqu’aujeudi.J’avaismonrendez-vousavecpapiVermontcesoir-là.Etsimefairebaiserparunvieuxperversn’étaitpasdansmesactivitéspréférées,aumoins, luiétait sympa.Marrantmême,parfois. Ilgueulait si fortquesafemmeauraitpul’entendresiellenedormaitsanssonappareilauditif.Sonmaripouvaitdonchurler,elledormaitàpoingsfermés.J’avaispassélanuitàboireetcontinuéenmeréveillant,ajoutantquelqueslampéesd’unmauvais
bourbon dans mes tasses de café infâme. Alors j’étais un peu vacillant quand je me levai et medirigeaiversl’entrée.Torsenu,puantl’alcooletlasueur,j’ouvrisàlavolée,manquantdechavireraupassage.—Quoi?gueulai-jeavantmêmedesavoirquiétaitdevantmoi.Cen’étaitqu’Abou,heureusement.Ilcoupasontéléphoneetmepoussapourentrer.Jerefermailaporte,lafaisanttellementclaquer
quelesoletlesmursvibrèrent.Sansluiprêterattention,jeramassaiunebouteilleetretournaidansmachambre,avançantdifficilement.Hier,j’avaispusupporterladouleurpourmonrendez-vousavecBrandon. Aujourd’hui, je la tolérai à peine. Charles savait s’y prendre pour me faire mal, pourm’arracherquelquescris.Ilavaitmismeschairsàvifetjeneparlaispasdesbleusquiparsemaientmondosetmesépaules.J’auraisétépasséàtabac,jen’auraispasétéenplusmauvaisétat.Jem’affalaiàplatventresurmon lit.Aboumesuivit, lesyeuxrivéssurmapeau.J’étaisencore
dansmoncaleçondelaveilleetjenecomptaisrienenfilerdeplus.Chaquemouvementm’arrachaitunegrimaceetjen’avaisbesoinqued’uneseulechose.Boirepouroublier,mêmesiçanemarchaitjamais.—Qu’as-tufait,Rafael?Jericanaisansluirépondre,tâtaiversmatabledenuitpourrécupérermabouteilledetord-boyaux.
Aboumel’arrachadesmains.—Pasplustardquecematin,Macamiraculeusementobtenuunappartement,m’apprit-il.—Tantmieux,marmonnai-je.Charlestenaittoujourssespromesses,etc’étaitsansdoutecequ’ilyavaitdepluseffrayant–savoir
quejepouvaiscomptersurlui.Maintenant,Macseraitàl’abri,ilpourraitfermeruneportederrièreluiets’endormirauchaud.Ça
méritaitbienquelquesecchymoses,non?Quelques-unesdeplus…C’étaitloind’êtrelespremières.Etceneseraientpasnonpluslesdernières.—Rafael,ditAbouens’accroupissant.Qu’est-cequecemaladedeKennedyaobtenudetoi?Etne
medispasrien,tuentends.L’altruisme,cen’estpaslecredodecetteordure.Charlesnedevaitmêmepasconnaîtrelesensdecemot,enfait.Ouexploserderireàchaquefois
qu’ill’entendait.— Quelques heures… baragouinai-je, peinant à garder mes yeux ouverts. Quelques heures,
seulement…Deux,peut-êtretrois…
Abousoupiraetposaunemainsurmonépaule.Jemedégageaivivement.—Ilfautquejetesoigne,Rafael.—Çaattendra!Aboulevalesmainsenl’air,résigné.—Trèsbien,souffla-t-il.Dors,tuasbesoindetereposer.Jeretombaicontrelesoreillersetenfonçaimatêteàl’intérieur.Jecherchaiquelquechosedebeau
auquelrêver.Quelquechosequejepourraisgarderderrièremespaupièresclosesletempsquecettedouleurmequitteouquel’alcoolfinisseparm’achever.—Unportrait…soufflai-je.—Pardon?fitAbou.Assisprèsdemoi,ilmeveillait.CommeillefaisaitsouventquandCharlesselaissaitalleràplus
deviolenceencore.Jesavaisqu’Abouprenaitduretard,qu’ilavaitdéjàtropdechosesàfaireavantcesoir.Ilavaitaussieusonrendez-vousaveclemaireetlesdoyens,etjen’étaispasunassezbonamipourluidemandercommentças’étaitpassé.Ilétaitmaseulefamille,lui,Ama,SolietMac,etjeneréussissaispasàm’inquiéterdel’avenirdufoyerqu’ilavaitmistantd’annéesàcréer.—Unportrait,répétai-je.Unsilence.
Jen’avaispaslaforcedeluiexpliquer.Cettebeauté.Unelueur,unenuitdetempête.—Dors,Rafael.Unebougieallumée.Quelqu’unchantait.Unevoixfamilière…Undouxfredonnementmélodieuxquiressemblaitàune
berceuse.Un instant, je crus être revenu loin en arrière. Peut-être que les dix ans qui venaient des’écouler n’étaient qu’un long cauchemar auquel je venais d’échapper ? Peut-être quemes prièresavaientenfinétéexaucées?J’avaisenfinétéentendu.—Çava,monpetit,chantonnaitlavoixenpansantlesérafluresdemondos.Oui,oui,toutvabien,
montoutpetit.MonbeauRafael.Rafael…Cen’étaitpasmonprénom…Ilyavaituneodeurdecannellequiflottaitdansl’air,etunemaincâlinequimeberçaitcommecelle
d’unemaman.—Là,c’estfini.Unemère,mêmesicen’étaitpaslamienne.Ama.—Repose-toi,monchéri.Jeprendssoindetoi.Riennet’arriveratantqueMamaestlà.J’auraisvoulum’abandonner,pleurer,laissermoncœurdéborder,mesbarrièrescéder,mespeines
déferler.Nepasjustemecontenterdetoutsupporter.Pourtant,jegardaistoutenmoi,mêmesiçafaisaitmal.Jegardaismeslarmespourlejouroùjeseraissauvé.Àmon réveil, Ama était partie. J’aurais presque cru l’avoir rêvée si elle n’avait pas laissé ses
aiguillesetledébutdesonnouveautricotsurleborddemonlit.Etmatroussedesecourssurlatabledechevet.
Jemeredressai,lesangpulsantviolemmentàmestempes,résultatd’unegueuledeboiscarabinée.Engrimaçant,jemeremissurmespieds.J’attrapaiunt-shirtquitraînaitetlepassai,unœilferméetunœilouvert,unemigrainevicieusemevrillantlecrâne.Àtâtons,j’attrapaiunpantalondansmonarmoireetl’enfilai,négligeantdeleboutonner.Àlatabledusalon,Aboufaisaitcourirsesdoigtssurleclavierdesonordinateur,préparantdéjà
un nouveau sermon pour le dimanche prochain. Je ne venais jamais l’écouter. Mais il avait l’airtellementplongédanscelui-ciquejeferaispeut-êtrel’effort,pourunefois.Jeposaiunemainsursonépaule,ilsursauta.—Tun’aspasl’esprittrèstranquille,pasteurFinch.Ilsoufflaenmelançantuncoupd’œil.—Tuvasbien?Jepassaiunemaindansmescheveux,secouailégèrementlatête.—Çaira.Abouenregistrasondocumentet fermasonPC.Jem’assisenfacede lui,buvant le restedeson
café.Ilm’observa,jenedétournaipasleregard.Nousn’enétionspluslàtouslesdeux.—Tuboistrop,Rafael.Tuenasconscience?Àquoiservirait-ildenier?—OuiAbou,jesuisaucourant.Il écarta les mains, attendant la suite.Mais que voulait-il que je lui dise ? Jeme prostituais, je
buvais.J’étaisuneputequisenoyaitdanslefonddesesbouteilles.C’étaitmafaçondefaireface.Denepasmelaissersubmerger.Certainssoirs,j’avaisjustebesoindemeperdre.—Combiendetempsencore?demanda-t-il.—Avantquoi?—Àtoidemeledire.— Abou, soupirai-je, les doigts croisés derrière ma nuque. Attends demain pour ce genre de
discussion.—C’esttoujoursplustardavectoi,Rafael.Etplustard,onnediscutejamais.—Écoute…Jesuiscequejesuis.Tuvoudraisquejesoisautrement,maisfais-toiuneraison,ça
n’arriverapas.J’aivingt-septansetcettemerde,c’estmavie.Exactementcellequejemesuisbâtie,tuvois.Semaîtrisantpournepasperdrepatience,Abousecalaconfortablementdanssachaiseetrespira
ungrandcoup.—TavieesttellequeCharlestel’acréée,rectifia-t-il.—Questiondesémantiqueettulesaistrèsbien.Il ouvrit la bouche, mais je me levai, las de ces discussions qui tournaient en rond. Énervé
d’entendretoujourslesmêmeschoses,dedevoirtrouverchaquefoisdenouveauxarguments,encoreetencore.Aujourd’hui,jen’enpouvaisplus.Toutsimplement.J’avaisbesoindetranquillité.—Abou,stop,OK?l’arrêtai-jeavantqu’ilnedisequoiquecesoitd’autre.
Jeconnaissaisdéjàlasuitedetoutefaçon.— Je suis fatigué, d’accord ? Je ne veux pas parler de ça, encore. Je n’y arrive plus, Abou, tu
comprends ? Je veux juste…un peu de calme. Est-ce que c’est trop te demander ?De passer unesemaine, une seule putain de semaine, sans parler de ma misérable existence qui pourrait êtretellementmieux.Jen’aipasenvied’entendrequejemesuisplantésurtoutelaligne.Jelesaisdéjà,figure-toi.Alors,lâche-moiunpeu,tuveux!Aboun’étaitpasunepersonnequiabandonnaitfacilement.Ilneseraitjamaisdevenupasteursiça
avaitétélecas.AvecGoraenprison,ilavaitdûsebattrepourêtrerespectéparlacommunauté.Sesparoissiensn’avaientd’abordvuenluiquelecadetd’unreprisdejustice,bienavantdeluilaisserlamoindrechance.Ilavaitpatienté,convaincuunepersonneàlafois,pourfinalementêtrereconnupourcequ’ilétait–unhommerespectable.Saufquej’étaisdifférentdeluietquej’avaisrenoncédepuislongtempsàmadignité.—Tuesmonami,Rafael,unfrère,etjeteconnais.Tuasducœuretducourage.Tuesintelligent,
digneetfort.Etjepriepourqueturencontresquelqu’unquipourratelefairecomprendre.Puisquedetouteévidence,moijen’yarrivepas.Ilseleva,ramassasesaffaires.Jecontractailamâchoire.—Tutetrompes,Abou.Jemesuisvendupourunlitchaudetunmorceaudepain.C’étaitleprixde
mafierté.—Tun’asrienvendu,Rafael,mecontredit-il.Tuassurvécu.Jeposaimespaumessurmesyeux.—J’aiconfiance,Rafael.Jemassaimestempes.—TuaslaFoi,Abou,nuançai-je.Laconfiancereposesurdesfaits,laFoisurduvent.Alors,c’est
biendeFoidontils’agit.Ilmesourit.—Jesuispasteuraprèstout.Jeleregardaibienenface.—Etjesuisunepute.Ilmeserrabrièvementlebras.—TuesRafael.Mêmepas…Abou partit, et je me recouchai. Je restai la journée allongé, fixant les images de la télé sans
vraiment les voir. J’aurais aimé lire. Sauf que je n’avais pas la force de me traîner jusqu’à labibliothèquemunicipale.Alorsjem’ensevelissousmescouverturesetrestailàpendantdesheures.Ensoirée,jeréussisàmetraînerjusqu’àlasalledebainetentraidanslabaignoirepresquelatête
lapremière.Jem’endormisdansl’eaubrûlanteetmeréveillaiquandellefutglaciale.Montéléphonebipa,jelelaissaidecôté.Ilseraittoujourstempsdemaindem’eninquiéter.Surtout
sic’étaitCharles.Je passai un t-shirt à l’effigie desPatriots, l’équipe de football bostonienne, et un jean si usé et
délavéquelebleuenétaitquasimentdevenublanc.Je récupéraimon paquet deMarlboro etme posai sur le balcon, allumant une cigarette demes
doigtstremblants.J’observaileslumièreséclairerlavilledeleurdouxscintillement.Lesbruitsdelanuitenvahissaientlesruesanimées.Riennes’endormaitjamaisvraimentàBoston,j’étaisbienplacépour le savoir. J’aurais pu sortir et marcher, comme je le faisais avant, aller où mes pas meguideraient, me rappelant ce temps où je n’étais rien qu’un gamin que le deuil avait égaré. Àl’époque,j’avançaissansbut,maisj’avançais.Aujourd’hui,jen’allaisplusnullepart,etc’étaitencorepire.J’auraisaiméchanger.Maisjenelepouvaispas.J’étaisprisdansdesfiletsdontjen’avaisjamais
réussiàmedéfaire.Jejetaimonmégotpar-dessuslarambardeetleregardaitomberencontre-bas.Çaluiprituntemps
fou pour s’écraser. Le petit bout rougeoyant tourbillonna dans l’air, volant presque par moment,avantdepercuter la terrefermeets’éteindre.Parfois, j’avaiscette impression.Dechuter,encoreetencore, longtemps, sans jamais m’arrêter. Et puis il y avait ce moment de suspens, où j’étais enéquilibreetoùjepensaisque,peut-être,j’allaispouvoirm’ensortir.Maisinévitablement,Charlesmepoussaitetj’explosaisausol.Enmillemorceauxépars.Sij’avaislachancedelesrécupérer,peut-êtrequejepourraismerafistoler.Peut-être…
07J’aperçusleslivresdelabibliothèquesurlatabledelacuisine.Ilsétaientlàdepuisplusdequinze
jours,attendantquejelesramèneàBrooke.C’étaitl’occasiondesortirdel’appartement.Jetournaisenrondà telpointquejenemesupportaisplus.Jenemesupportais jamais longtempsdureste.Etpuis,çafaisaitunmomentquejen’avaispasbuuncafédeBrooke;ilétaitencoremeilleurqueceluiduStarbucks.Pourça,jepouvaismarcherjusquelà-bas.Ilfaisaitbeau,ilyavaitdusoleil;c’étaitunjouridéalpouressayerdesourire.J’attrapaiuneveste,enfilaimeschaussuresetquittaimonappartement…enmêmetempsqueDante,
monvoisin.Danten’étaitpassonvraiprénom,évidemment.Maiscetypereprésentaitlesseptcerclesdel’enferàluitoutseul.Ilpassaitsontempsàvenirfrapperàmaportepourtoutetn’importequoi.Sansparlerdufaitqu’ilm’épiaitpourlecomptedeCharles.Ilappuyasurleboutondel’ascenseur,détaillantmatenueetreniflademécontentement.Ladescente
fut longue et, pas une seule fois, son regard ne quitta l’arrière de ma nuque.Quand les portess’ouvrirent,jepressailepas,sansmêmepenseràluidireaurevoir.Il me fallut vingt minutes pour arriver à la bibliothèque et, comme à chaque fois, je fus
impressionnéparcebâtimentmajestueuxquiressemblaitàs’yméprendreàunpalais.Jetraversailarueenrepensantàlapremièrefoisoùj’yétaisentré.C’étaitmamèrequim’yavaitemmené;jemerappelais avoir été intimidé par les galeries, les peintures accrochées au mur, les escaliersgrandioses, les statues de lions sur leurs piliers. Et la salle de lecture, ses voûtes, ses rayonnagesremplisdelivres,sestablesquis’étendaientetcesilencemagistralàpeinedérangéparlespagesquisetournaientetlesstylosquicouraientsurlepapier.J’aimaisvenirici,yresterunmoment.J’avaisl’impressiond’yavoirmaplace,d’yêtreuninvitépermanent.Brooke était à son poste, comme tous les jours de la semaine.Dans une robe extravagante, qui
juraitavecledécorpresqueprincier.Elleparcouraitdesyeuxuneénormeencyclopédie,seslunettesàlamonture rouge sur le bout de son nez. Pulpeuse et souriante, elle était tellement ronde et joliequ’elle donnait envie de la croquer.Avec ses cheveux rouges, ses taches de rousseur et ses lèvresécarlates,ellefaisaittournerlestêtessursonpassage.Malheureusement,Brooken’avaitd’yeuxquepourAlain,sonmari.Quandelle reconnut lebruitdemes rangersau sol, elle releva sonmentonaristocratiqueet son
regardseportaaussitôtsurmoi.Sonvisagepassadesévèreàravienquelquessecondes.—Jemedemandaisoùtuétaispassé,moncœur.Jecommençaisàm’inquiéter.Jedéposaimesderniersempruntsdevantelleetrécupéraileslivresqu’elleavaitmisdecôtépour
moi.—Tuvasapprécierceux-là.Jeluilaissaisleplaisirdemechoisirlesœuvresincontournables,commeelleaimaitlesappeler.—Jetefaisconfiance.—Tuveuxuncafé?Jeluisouris.—Jeneviensquepourça.—Moiquipensaisquec’étaitpourmapoitrinegénéreuse.
Je ris et elle me fit les gros yeux. Mais trop tard, plusieurs personnes levèrent le nez et nousincendièrentduregardenentonnantl’habituel«Chut».—Enprincipe,c’estmoiquiréclamelesilence,murmura-t-elle.C’estmonjob.—J’aiunemauvaiseinfluencesurtoi.Ellepoussadiscrètementunetassedecaféversmoietjemepenchaiverselle,embrassantsajoue
tiède.—Tueslameilleure.—Etpourtant,tuneveuxpascoucheravecmoi.Unenouvellesalvede«Chut»etBrookelevalesyeuxauciel.—Qu’ilssontpéniblesaujourd’hui!Elles’attiradescoupsd’œilnoirsetsoufflapresquededésespoir.Quandl’und’euxsemitàrâler
surl’irrespectdesbibliothécaires,cefutmoiquimetournaiverslui.Ilsetutaussitôt,baissalatêtesursonmanueletcontinuacommesiderienn’était.—File,meditBrooke.Avantqu’iln’yaitdusang.—Jerepasselasemaineprochaine.Ellemetapotalamain.—Viensdoncpendantmapause,moncœur.Alainseracontentdetevoir.—Çamarche.Jem’éloignai,chargédequelquesromansetunpeupluslégerquelorsquej’étaisarrivé.Brooke
étaitexubérante,presquetroppourtravaillerdansunlieuoùlebavardagen’étaitpasvraimenttoléré.Pasdutout,d’ailleurs.Elleavaitbesoindes’épancher,deparlerdesonmari,desonfils–Junior–,desesamisetdesonchien.Jel’avaisrencontréealorsqu’elleétaitenceinteetcoincéederrièreuneétagère.Notrerelationselimitaitauxmursdecettebibliothèqueetaupetitrestaurantducoin,oùnousallionsparfoismanger avec sonmari.Lorsque j’étais aveceux, jeme sentais…normal. Jen’étaisplus ni une pute niRafael. Je n’étais qu’un jeune homme ordinaire, loin des tarifs, des passes, deCharles,desbarssombres,desbouteillesd’alcool,desregardsconcupiscents.Jen’étaisquemoi,aumilieudesautres.Jeredevenaislefilsdemamère.Lefilsd’ElenaJimenez.JeredevenaisHanaël.Pourtant,ilyavaittellementlongtempsquej’avaisrenoncéàceprénomquec’étaitcommeenfiler
la peau d’un étranger.Hanaël…Celui que je n’aurais jamais dû cesser d’être…Celui que j’avaisoublié…Legaminenmoiquicontinuaitderêver.Jedévalaislesescaliersverslasortiequandjel’aperçus,encontre-bas,remonterversmoi.Perdu
dansmespensées,cenefutd’abordqu’uneimageincertaineàl’oréedemonchampdevision.Puiselledevintplusnetteàmesurequ’il avançaitetque jemedétachaisdemessouvenirs.Quandnousnous croisâmes, nos regards s’accrochèrent l’espace d’un instant, se détournèrent, avant de seretrouver plus longtemps. Jem’arrêtai et me tournai vers lui. Il en fit autant, me surplombant dequelquesmarches.—Salut,cowboy.Calebétaittellementchargé,entresessacsetsapiledemanuelsenéquilibre,quec’étaitunmiracle
quetoutnesoitpasdéjàparterre.—Salut…Etmerde!jura-t-ilquandsonbardadevintvacillant.Je le déchargeai de quelques livres et il souffla de soulagement. Avec ses cheveux en pagaille
autourdesonvisage,sachemisepartiellementpasséedanssonpantalon,savestedontilavaitenfiléuneseuledesmanches,sestachesd’encresurlesdoigtsetsesyeuxgrispétillants,ilressemblaitàunilluminé.Untrèsbelilluminé.Untypecommelui,çadevaitvaloirtrèscher.—Iln’yapasdebibliothèqueauMIT,ironisai-je.—Si,biensûr.Pleinesd’étudiantsduMIT,justement.—Alorsqu’ici,iln’yaquedesimplesBostoniens,c’estça?Calebdétaillamonjeantroué,mesrangers,mavesteencuirclairetseraclalagorge.—Simples,jen’ensaisrien,rougit-il.Maisilsontl’airplusintéressants.J’inclinailégèrementlatête.—Parcequelesétudiantssontennuyeux?— Beaucoup trop. L’étudiant en droit parle des dernières lois votées par le gouvernement,
l’étudiantenmédecine,desrecherchessurlecancer,l’étudianteninformatique,dudernierlogicielàlamode,l’…—J’aicompris,lecoupai-je.— Tu vois, rit-il, nous autres, purs produits des universités américaines, nous n’avons aucune
conversationendehorsdenosdomainesdecompétence.—Vraimentdommage.—Oui.Montéléphonesonnaet,cettefois-ci,cefutluiquimedésencombraalorsquejelerécupéraisau
fonddemapoche.Justeletempsquejevérifielenuméroetquejeraccrocheennelereconnaissantpas.Calebglissasesbouquinsdansunedesesbesacesetmerenditlesmiens.Jelescalaisousmonbras.—Merci,luidis-je.Amuse-toibien,alors.—Jen’ymanqueraipas.Jesouris.—Bonnejournée,cowboy.—Àbientôt,Rafael.Ilrepartitverslabibliothèqueetjemeremisenroute.Plusloin,jejetaiuncoupd’œilpar-dessus
mon épaule. Il grimpait lesmarches deuxpar deux, léger, à l’aise.Chacunde ses pas était assuré,déterminé.Arrivéenhaut, ilse tournalégèrementversmoietnosregardss’accrochèrentquelquesinstantssupplémentaires.Unepetitesecondevoléeautemps,àlafatalité.Justeunentrebâillementverscequiauraitpuêtre,silesseulesrelationsquej’avaisn’étaientpaspayéesàl’avanceetacceptéesparCharles.Peut-êtrequ’alors…Jemedétournaietm’éloignaiensecouantlatête.Monexistenceétaitcommeunfleuve,dont lescourantssuivaient toujours lamêmedirection. Ils
déferlaient,dangereux,poursejeter,plusloin,verslesprofondeursd’unprécipice.Jen’avaisd’autrechoixquedemelaisseremporter.Etdeprierpourm’ensortir;sicen’étaitindemne,aumoinssanstropdeblessures.Jepoussailaported’unbar,unbesoinurgentd’unremontant.Jecommandaiuncaféetunscotch
enfaisantsemblantd’ignorerlecoupd’œilsurprisdubarman.Ilétait troptôtpourboireunverre,maisjemefoutaisbiendel’heure.Jem’assisàunetablelibre,déposailesbouquinsdeBrookedevantmoietjetaiunregardàtravers
la fenêtre. Les citadins marchaient vite, pressés. Les touristes levaient les yeux, déambulaient,flânaient. Bientôt, ils retourneraient chez eux et raconteraient tout ce que cette ville avait demerveilleux.Le serveurposaunverre et une tassedevantmoi. Je lesobservai, les faisant tourner, tirant l’un
pourlerepousseretprendrel’autre.Arabicaoualcool?Noirouambré?Lesdeux...?Abouavaittellementraison…Jepris leverre fermementdansmamain, l’amenaiàmes lèvres, faisantdurer la torture,sentant
moncœuraccélérer,souffrirunpeud’anticipation.Charlesm’avaitdonnélegoûtdeladouleur.Jelehaïssais.Jehaïssaischacunedesminutesqu’ilm’avaitvolées.L’odeur duwhisky vintme titiller les narines, le liquide touchames lèvres et… je reposaimon
verreaussitôt,monattentionsoudainattiréeversmapiledebouquins.Jetiraiversmoiceluidudessusetlusletitre,perplexe:«RéglementationsULM:Dronespilotéset
télépilotés». Je l’ouvris et parcourus quelques lignes, de plus en plus intrigué. J’étais certain queBrookenem’auraitpaspassécegenredelivre.Enfait,j’étaismêmepersuadéqu’iln’yavaitqu’unétudiantduMITpourlirecegenredetruc.Jem’adossaiàmachaise,levisagetournéversleplafond.Je croisai les doigts derrièrema nuque et restai immobile uneminute. Peut-être deux. Puis jemelevai,busmoncaféd’unetraiteetlaissaiunbilletsurlatable.Abandonnant,pourcettefois,monscotch.Brookemevitrevenirenfronçantlessourcils.Jeluifisunclind’œildeloin,avantdeparcourirdu
regardlasalledelecture.RepérerCalebnefutpasdifficile.Satableétaitrecouvertedemanuels,decahiers,de feuillesvolantes, et ses cheveuxchâtains étaient retenusparuneespècedebandanaauxcouleursdelavilled’Amarillo.Jem’approchaidelui,ilnes’enrenditpascompte.Ilécrivaitàuneallurehallucinante,etjel’observaiunmoment,essayantdedéchiffrerpar-dessussonépaulecequ’ilnotait.Sanssuccès.Ils’arrêta,percevantmaprésencedanssondos,etseretournadoucement.Jemedécalaietm’assisàsescôtés,posantsurlatablelemanueld’aéronautique.—Ilsembleraitquetuaiesquelquechosequim’appartienne,Caleb.Ilsourittimidement,abandonnantsonstylosurunefeuilleparseméedetachesd’encre.Ilouvritun
desessacsetensortitNetirezpassurl’oiseaumoqueur,deHarperLee.Unincontournabled’aprèsBrooke.Caleblepoussaversmoi,sesyeuxcherchantdoucementlesmiens.—Jenepensaispasquetut’enapercevraissivite.Jeposailecoudesurlatable,leregardaienbiais,surprisparcequ’illaissaitentendre.—Tuasintervertinoslivres…volontairement?Ilseraclalagorge,gêné.—Pourquoi?demandai-je.
—Jepensaisqueceseraitévident,rougit-il.Jemepenchaiverslui.—Désolé,maisnon,çanel’estpasdutout.Ilpassaunemaindanssescheveux,pritunegrandeinspiration,commes’ils’apprêtaitàplongerà
plusieursmètressouslasurface.—Ehbien,tusais…Ilritendevenantplusécarlateencore.—Jenesuispasdouépourça.—Pasdouépourquoiexactement?insistai-je.S’ilvoulaitbaiser,ilallaitdevoirfairecommetoutlemondeet…—Pourtedirequetumeplais,Rafael.Je leprisenpleinegueule.Parcequesi j’avaisconsciencedeplaire,personneneme ledisait si
directement. IlssecontentaientdeprendrecontactavecCharlesetdevoiravec lui lesmodalitésdepaiement. Je n’étais pas unmec que l’on rencontrait dans la rue, comme ça, et avec qui on allaitprendreuncafé.Etjenem’enétaisjamaiscaché,d’ailleurs.Tousceuxquim’approchaientsavaienttrèsbiencequejefaisaisdecertainesdemessoirées,demesdimanches.Etparcequ’ilavaitl’airdebienconnaîtrecetenfoirédeBrandon,jepensaisqueCaleblesavaitaussi.Ouqu’ill’avaitdeviné.Detouteévidence,jefaisaiserreur.—Tunemeconnaispas,cowboy.—C’estcommeçaqueçamarche,non?fit-il,ignorantàquelpointilsetrompait.Deuxpersonnes
serencontrent,seplaisent,separlent,apprennentàseconnaître…vontboireuncafé…Jefermailesyeux,chacundesesmotsmeblessantàunpointqu’ilnepouvaitpasimaginer.—Quoi?s’inquiéta-t-ilenremarquantmonexpression.Jeristristement.—Oublieça,Caleb.—Pourquoi?Jeramassaimesaffaires.—Cegenredetrucs,çanemarchepasavecmoi.—Tun’aimespaslecafé?essaya-t-ildeplaisanter.Jemerelevai.—Rafael.—Oublieça,d’accord.—Attends…m’appela-t-ilquandjem’éloignai.Il s’attira plusieurs commentaires désobligeants. Ici, le silence était d’or.Cen’était pas l’endroit
pourparlerdes chaînesqui cliquetaient àmespieds, de toutesmes impossibilités et de tout cequim’empêcherait toujoursd’êtreun typecommeça.Unqu’onpouvaitaborderdansunebibliothèque,justeparcequ’ilplaisait.Je passai devant Brooke, elle me lança un coup d’œil désolé. Ce n’était pas compliqué de
comprendre ce qui venait de se passer, surtout queCalebme suivait, tapant dans plusieurs sacs aupassage,s’excusant,manquantdetomberavantderéussiràmerattraperdanslecouloir.
—Attends…répéta-t-ilenm’attrapantparlebras.Ungroupedepersonness’approchaitetilmetiradoucementdansl’unedesgaleries,àl’écart.Je
medégageai,ilrecula.J’auraisdûpartiraussitôt.Maiscommeuncon,jerestailà,souslespeinturesmurales.— J’y ai été un peu fort avec Brandon,me dit-il.Mais je ne suis pas… enfin… Je ne suis pas
comme…—Jemefouspasmalquetuaiesfrappécepetitcon,lecoupai-je.—OK.Alorsriennet’empêchedevenirboireuncaféavecmoi.—Si.—D’accord.Il rougit une nouvelle fois, et juste pour voir ce regard-là, j’aurais pu dire oui. Mais c’était
impossible.J’auraisdûluidire«Crois-moi,Caleb,tun’aspasenvied’offriruncaféàunepute».Çaauraitétélemeilleurmoyendelefairefuir.Delefairetaire.Delefairereculerd’unpas.Maisjenedisrien,mecontentantdesecouerlatêteetdemedétacherdumur.—Jedoisyaller,dis-je.Calebsemorditlalèvreets’écartapourmelaisserpasser.—OK.J’accrochaisonregardenledépassant,ilclignadesyeux.—Aurevoir,Caleb.—Salut,Rafael.Ilvalaitmieuxquejem’enaille.Jesortisdelagalerieetdévalailesescalierspourlasecondefoisdelajournée.J’étais àmi-chemin quand ilme rappela. Je levai la tête et il était là, les coudes appuyés sur la
rambarde,assistantàmafuite.—Jesuisicitouslesmercredisaprès-midi!cria-t-ilpourêtresûrquej’aiebienentendu.Illeditd’unetellefaçonquejenepusretenirunéclatderire.Unvraiéclatderire.Spontané,réel
etagréable.Quelquechosequinem’avaitpasétreintdepuisbienlongtempss’emparafurtivementdemoi.Une forme d’excitation.Une joie ridicule et légère.Un émoi.Une douce chanson.Ça nemequitta pas de la journée. C’était là, doux. Beau. Tentant. Comme une main qui vient bercer votresommeild’unecaresselangoureuse.Plustard,ilseraittempsdereveniràlaréalité,àladuretédemesjournéesetàl’horreurdemes
nuits.Mais là, je voulais juste garder le sourire de Caleb comme la note finale d’une symphonie.
L’entendreencoreunmoment,avantqu’ellenes’éteigne,toutsimplement.
08J’étaisavachisurlecomptoirdubar.J’avaistellementbuquejenesentismêmepasBobrécupérer
montéléphoneportabledanslapochedemonpantalon.Àl’oréedemaconscience,jel’entendisseraclerlagorgequandsesdoigtseffleurèrentparmégardemonsexeencoredur.Etilleseraitencoreunmoment.Jem’étaisaidéunpeu,pourmasoiréeavecAndrewVermont.Parceques’ilyavaitdeshommesvieuxetgrosquiétaientbeauxmalgrétout,Andrewn’étaitpasdeceux-là.Ilenétaitmêmeloin.Pourtant,detousmesclientsréguliers,ilétaitundeceuxquejepréférais,mêmes’ilaimaitlestenues extravagantes, comme ce string noir, ce débardeur en cuir et ce foulard sombre pour mebander les yeux qui m’attendaient quand je l’avais rejoint, plus tôt dans la soirée. Charles auraitapprécié,sansaucundoute.Andrewavaitbeauêtreplutôtgentil,aveclui,c’étaittoutsimplementimpossible.J’avaisbeauêtre
enbonnesanté,jenepouvaispassimuleràcepoint.Alors,commec’étaitlecasaveccertainsdemesclients, j’avais utilisé un petit vasodilatateur, un produit magique qui permettait aux fibresmusculaires demon sexe de se relâcher et de se gonfler de sang, ce qui provoquait une érection.C’étaitlediscoursquem’avaittenuletypequimel’avaitrevendu,dansuneruellesordide.Parcequej’enétaislà,pensai-jeavecironieenricananttoutseul,latêteaplatiecontrelecomptoir.Àvingt-septans,j’étaisdéjàobligéd’acheteraunoirdesfoutusproduitsmiraclespourréussiràbander!Bobfermalebaretj’étaistoujourslà,monénièmeverreencoredanslamain.Combienenavais-je
bu?Trois,quatre?Treize,quatorze?Jen’étaisplusàunedizaineprès.—DésolédevousdérangerpasteurFinch,ditBobautéléphone.MaisRafael…Oui,Abou…Aboumeramènerait.Monami,monfrère.Monsauf-conduit.Mafamille.Maisserait-
ilcapabled’ôter les imagesdansmatête?Lesmotssusurrésàmonoreille?Lescorpssefrottantcontrelemien?Non,ilnepourraitpas.Aucunedesesprièresnonplus,d’ailleurs!Ilarrivavingtminutesplustard.J’eneusàpeineconscience.Maisjelesentisquandmêmemefaire
décollerdutabouretavecl’aidedeSoli,quipassaunbrasautourdemataille.—Onestlà,Rafael,meditlegamin.Oui,ilsétaientlà.Maisaprès?Quoi,après?Après,oùseraient-ilsquandjedeviendraislachose
d’unénièmeclient?LaputedeCharles?Quand jepasseraisd’autresvêtements?Quand je seraisobligédesourire,detoucher,dememettreàgenoux.Ettousmeshurlements…Est-cequ’ilsseraientlàpourentendremeshurlements?—MerciBob,ditAbou.—Ilvaallerbien?demandaBobAbouneréponditpas.Iln’ensavaitrien.Etlemensongeétaitproscritparl’église,proscritparla
religion. Jementais tellement…Chaquematin, chaque soir, chaqueminute de cette fichue vie. Pasétonnant queDieu se soit détourné demoi aussi facilement quemamère avait rendu son derniersouffle.Ilmel’avaitprise.Aujourd’hui,quemerestait-il?—Rien,dis-jed’unevoixpâteuse.Ilnemeresterien.Abou etSolim’installèrent à l’arrière de la voiture.Cedernier resta sur la banquette avecmoi,
posantmatêtesursesgenoux.Sonfrèredémarra.
—OnleramèneàMama?demandaSoli.—Oui,réponditAbou.Solipassaunemaindansmescheveux.—Abou?Tucroisqu’unjour…—Jen’ensaisrien.J’espère.Moiaussi.Aufonddemoi, j’étaiscommeeux.Jevoulaisque toutchange.Jevoulaismourir. Je
voulaisquetoutsetermine.Jevoulaisvivre.Jevoulaisaimer.M’envoler,m’enterrer,menoyer,brûler.Devenirn’importequoid’autrequemoi.Sauvez-moi.Abous’arrêtadevantchez luiet je fus transportéversunechambred’amisque jecommençaisà
bienconnaître.Jem’étalaidetoutmonlongsurlelit.—Ques’est-ilpassé?demandaAma,inquiète.—Unecuitedeplus!rugitAbou.Untourmentdeplus.Une épaisse couetteme tombadessus et je disparus dessous,m’autorisant enfin à chuter dans le
vide.Dansdesabysses…Unedouleurdeplus.…dedésolation.
09Lelendemainmatin,ilmefallutunmomentpourreconnaîtrelachambredanslaquellej’étais.Ma
têtemefaisaitsouffrir, jepuais l’alcool.Sur lacommodese trouvaitunverred’eaupétillante,uneaspirinesedissolvantàl’intérieur.Amameconnaissaitbien.Surtoutmesgueulesdebois.Jemelevai,encoretouthabillé,etsortisdelachambreàpetitspas.Amapréparaitlepetitdéjeuner,
AbouetSolilisaient–journalpourl’un,leçond’histoirepourl’autre.Enm’entendant,ilstournèrentlatêtedansmadirection.—Commentj’aiatterriici?demandai-jeavecprécaution.Abouarboraitsonexpressiondesmauvaisjours.IltournalapageduBostonGlobe,sansrépondre.
Soli,lui,n’hésitapasàmettrelespiedsdansleplat.—TuétaiscomplètementbourréetBobnousaappeléspourqu’onviennetechercher.—SoliFinch,vas-tutetaire!lerabrouasamère.Ilouvritlaboucheensecouantsesdreadlocks.—Ilposeunequestion,j’yréponds.Amametenditunetassedecafé,uneassiettedepancakesetpointaleboutdelatabledumenton.Je
m’assisenfaced’Abou,toujoursaussirenfrogné,mêmequandjeluiprésentaileplat.—Salut,luidis-je.—Salut,répondit-il.Jem’emparaidusiropd’érable.—Àquelpointj’étais…—Assezpourfriserlecomaéthylique,mecoupa-t-il.—D’accord.Ilabandonnasonarticleetjetalejournalenfacedemoi.—D’accord,répéta-t-il.C’esttout?—Désolédet’avoirréveilléenpleinenuit,ajoutai-je,levisagefermé.—C’estBobquinousaréveillés.Siaumoinsçaavaitététoi,maisnon!Etmeleveràdeuxheures
dumatinn’estpaslefichuproblème.Solisiffla,sentant levent tourner.Ilrécupérasonsacdecours,sescahiersetfilasansdemander
sonreste.Ama,elle,continuaànettoyerlacuisinecommesiderienn’était.Elleavaitl’habitudedenosengueulades.Abouétaitdevenuunamisurlequelj’avaisapprisàcompter.Maisjamaisiln’avaitpumefairequitterlemondeoùCharlesm’avaitenfermé.Dansunsens,ils’envoulaitdecetéchec.Ilse reprochait chaque bleu et plaie, chaque verre que je buvais, chaque heure à n’être qu’un corpsoffertenpâture.C’étaitcontreluiqu’ilétaitencolère,pascontremoi.—Abou,pascematin,OK?Iljoignitlesmains,gestedévotquin’étaitpourl’heurequ’unmoyendemaîtrisersonexaspération.—Pascematin,Abou,m’imita-t-il.Pascesoir.Pasaujourd’hui.Pasmaintenant.Maisalorsquand,
Rafael?Quandva-t-onparlerdetoi?Pasdufoyer,pasdeMac,pasdesautres.Maisdetoi.Jesecouailatête.—Dansquelbut?—Trouverunesolution.—Unesolutionàquoi?Illevalesbrasauciel,jetantuncoupd’œilàsamèrepourchercherdusoutien.Maisellecontinuait
d’astiquer, sifflotant doucement, comme pour apaiser l’ambiance lourde qui régnait entre nous. Etpeut-êtreyréussit-elle.Parcequenousarrêtâmeslàcetteconversation,lamillièmesurlesujet.Noustournionsenrond,detoutefaçon.Abourepritsalecture,jefinismatassedecaféetAmarangeaseschiffons.Montéléphonesonna,
rompantlesilencetranquilledanslequelnousvenionsenfindenousréfugier.Jecomptaisraccrochersansrépondre,avantdereconnaîtrelenumérodeMac.Jedécrochai,inquiet.Macnem’appelaitquelorsqu’ilavaitunproblème.—Rafael,souffla-t-ildesoulagementquandilentenditmavoix.—Qu’est-cequ’ilya?J’étaisdéjàdeboutàmarcherverslasortie,Abousurmestalonsavecsesclefsdevoiture.—JesuisàCambridgeprèsduparcuniversitaire,bafouilla-t-ilcommes’ilavaitdumalàrester
éveillé.Tupeuxvenirmechercher?—Çava?—Jenesaispas.J’étaislà…Etpuisj’étaisailleurs…Abous’installaderrièrelevolantetdémarra,jemecalaicôtépassager.Letéléphonecoincésous
l’oreille,j’accrochaimaceinture.—Qu’est-cequetuaspris?—Rien…pleurnicha-t-il.Dumoins,jecrois…J’suispassûr.Jemesensmal.Je jetaiuncoupd’œilsuppliantàAbouquicomprit lemessageetappuyaplus fortsur lapédale
d’accélérateur.—Écoute-moibien,Mac.Jevaisraccrocherettuvasappelerle911.—Non,pasl’hôpital…—OK!lecoupai-je.Est-cequ’ilyaquelqu’unautourdetoi?—Je…Non…Si,ilyaun…type,jecrois…J’inspiraiungrandcoup.—Valevoiretpasse-luitontéléphone.—Ilesttroploin,gémitMac.Rafael,vienss’ilteplaît…—J’arrive.Jesuislà,Mac…Mac?Plusderéponse.—Mac?Toujoursrien.—Ehmerde!criai-je.Fonce,Abou!Alorsilfonça.
Quand nous arrivâmes au parc universitaire, Mac était tout à fait conscient, assis sur un banc,entouré de trois étudiants. L’un était accroupi devant lui, soignant une plaie au poignet, l’autre lefaisaitrireendiscutantàrenfortdegrandsgestesetlaseulefilledugroupeétaitinstalléeàsescôtés,un bras maternel autour de ses épaules. En nous voyant,Mac sourit jusqu’aux oreilles, ce qui fitbrillersesyeuxvertsetlerajeunitdeplusieursannées.JemetournaiversAbouquihaussalesépaules.—Ilestirlandais,souffla-t-il.Ilaledramedanslapeau.J’étaissoulagé–plusquejenepourraisl’exprimer.Pourtant,arrivéàsahauteur,jeluicollaiune
claquederrièrelecrânedigned’Ama.Elleauraitétéfièredemoi.—Aïe,seplaignit-il.—Putain,nemecolleplusdefrayeurpareille,imbécile!m’écriai-je.J’aicruquetuétaismort!Abouseprésentaauxtroisbonssamaritains,cequej’avaisnégligédefaire.Jen’étaispastrèsau
fait des normes sociales. Avec les personnes que je côtoyais, je n’en avais pas vraiment besoin.D’ailleurs,lapolitesseetlepolitiquementcorrectnefaisaientpaspartiedecesrendez-vous.Commençanttoutjusteàmecalmer,j’observaiMacavecénervement.Ilvenaitdemefairecourir,
alorsquej’étaisencoredanslesvapesdemasaouleried’hiersoir.—J’aivraimenttournédel’œil,mejura-t-il.Lapreuve.Ilagitasonpoignetdevantmoietjelevaimesmainscrispéesentrenous.—Situsavaiscommejem’entapedetonpoignet!gueulai-je.Qu’est-cequetufousàCambridge?
Tun’enaspasmarredecesenfoirésdepetitsétudiantsqui…Abouse racla lagorge,mecoupantdansmonélan.Mac se retintde rire enpointantdumenton
quelque chose dansmon dos. Je passai la tête par-dessusmon épaule et croisai le regard de troisdecesenfoirésdepetitsétudiantsjustement.Un,plusparticulièrement,retintmonattention.Ilavaitunregardgrisquej’avaisvuquelquesjoursauparavantetauquel,jedevaisl’avouer,j’avaispenséplusquejenel’auraissansdoutedû.—Jevouspried’excusermonami,ditAbouenmefaisantlesgrosyeux.Ilatendanceàs’emporter
quandilestinquiet.Jenedisrien,regardantCalebunpeutroplonguement.—Salut,Rafael,finit-ilpardire.—Caleb.Tout lemonde nous dévisagea, surpris que l’on se connaisse. Et ce n’était pas vraiment le cas.
C’étaitjusteuntypequej’avaiscroisé,auhasardd’unejournée.Jeposailamainsurl’épauledeMacetlepoussaiversleparking.—Merci,lançai-je.—Derien,meréponditCaleb.Abouavaitenviedeposerunequestion,maisilseretintàladernièreminuteetsecontentadenous
suivre, Mac et moi, après avoir échangé quelques mots sympathiques avec les trois étudiants. Jen’avaismêmepasprislapeinedeleurjeteruncoupd’œil;jenelesreconnaîtraissansdoutepassijeles rencontrais un jour. Je me souviendrais uniquement de Caleb. De sa tenue débraillée, de sescheveuxrebellespointantdanstouslessens.AboudéverrouillalavoitureetMacs’installasurlabanquettearrière,lecrâneposésurl’appuie-
tête.J’avaislamainsurlapoignéequandCalebmerappela.Jemetournailentementverslui.Iltrottaitvers moi, les mains dans les poches, la bandoulière de son sac passée sur l’épaule. J’ouvris maportière,ilposalamaindessus,unsourireavenantaucoindeslèvres.Dessourires,beaucoupd’autresm’enavaientfait.Etdesbienplusaguicheurs.—Rafael…—Non,lecoupai-jeavantqu’iln’ailleplusloin.Jemontaidanslabagnole,ilmerattrapadoucementparlebras.Jemedégageaimoinsgentiment.Il
seraclalagorge,gênédelaprésenced’AbouetdeMac,justeàcôté,etreculad’unpasenécartantlesbras,lerougeauxjoues.—Justeuncafé,murmura-t-il,sidoucementqu’ilm’auraitpresqueattendri.Enfait,ilyréussitvraiment.Ilétaitlàdevantmoi,avecsonmalaiseetcetteévidenceaffichéesur
sonvisage.Cellequidisaitclairementqu’iln’avaitpasl’habitudedecessituations.Qu’ilnesavaitpascomments’yprendre.—Non,m’entêtai-jequandmême.Calebinspiraprofondément,n’osantpasinsisterdavantage.—D’accord,capitula-t-il.Ilfouilladanssabesaceetensortitunlivre.Ilmeletendit.Jel’observaisansleprendre.—J’espéraisterecroiseràlabibliothèqueettel’offrir.C’est«Lebruitetlafureur»deWilliam
Faulkner.Jecroisqu’ilteplaira.Ilhaussalesépaules.—Prends-le.—Non.Cettefois,monrefuss’ébranlaunpeu.EtCalebleremarquasuffisammentpournepassevexerde
ceténièmerejet.Ilmemitlebouquindanslesmainsetrefermamesdoigtsdessus.Puisilmetournaledosetrepartit.Jetombaisurlesiègepassager,Aboumitlecontactetdémarra.Le silence régnait dans l’habitacle ; ni Mac ni Abou n’osaient faire le moindre commentaire.
Surtoutquandjepoussaiuncridefrustration.Furieux,jejetaicesatanélivreparlafenêtredetoutesmesforceset je leviss’écrasersurun trottoir, justeavantqu’unhommemarchedessus, lepiétinecommesicen’étaitriend’autrequ’unensembledefeuilles,unensembledemots.Unensemblederien.—Faisdemi-tour,Abou.Sansfairederemarque, ilmitsonclignotantetrevintenarrière.Ils’arrêtaquelquesmètresplus
loinet jedescendis récupérer lepetit livre,déjàabîmépar l’empreintedepas. Je leglissaidans lapochearrièredemonjeanetremontaienvoiture.Jeposaiuncoudesurlaportière,tournaimonvisageverslavitre.—Ilnesaitpas?demandadoucementMac.—IlfautcroirequetoutBostonn’estpasencoreaucourant,lâchai-je,obscur.Jesecouailatête.—J’auraisdûluidire,mais…jen’aipasréussi.
Jeposaimonfrontsurlereborddelafenêtre.—Ilyaunesemaine, jenesavaismêmepasqu’ilexistait.Etmaintenant, j’ai l’impressionde le
voirpartout.Jefaisunpasetcesatanégaminestlà!—Tudevraispeut-êtreallerleboire,cecafé,remarquaMac.—Pourluidirequoi?Bonjour,jem’appelleRafael,jesuisunprostitué.Désolé,jen’aiquepeude
temps à te consacrer, j’ai un client qui m’attend. Et là, je ne parle que de la partie émergée del’iceberg.ParcequesionselancesurlesujetdeCharles…Macpassalatêteentrelesdeuxsiègesdedevant.—Ilnes’agitqued’uncafé,Rafael.—Non,Mac.Ils’agitdudébutdequelquechosequejesuisincapabledeluidonner.Nous déposâmesMac devant un immeuble décrépit comme il y en avait beaucoup dans les bas-
quartiersdeBoston.MaisAboum’avaitrassuréquantàl’étatdel’appartementdanslequelilvivait.Ilétaitsalubre,propre,meubléetéquipé.Etpuisiln’yavaitqu’àvoircommentMacpartaitverschezluid’unpaspressé. Ilétait tout simplementheureuxdepouvoir rentrerquelquepartaprèsunenuitdehors. Il ne nous avait pas dit avec qui il avait passé la soirée et encoremoins à quoi il l’avaitemployée,maisilsemblaitbienetc’étaitdéjàunpasdegéant.Aumoins,luivoyaitleboutdesonenfer.Abouredémarra.Plusloin,iltournaàgauche,coupalepostederadioquicommençaitàgueuler
unvieuxtubederocketsetournalégèrementversmoi.Iln’avaitrienditdetoutletrajetetjesavaisqu’àl’instantoùnousnousretrouverionsseulsilvoudraitmeparler.—Pourquoitunepourraispasluidonnerunechanceàcegamin?medemanda-t-il.Tenduàl’extrême,j’explosai,frappantdupoingletableaudebord.Abounefronçamêmepasles
sourcils,ilavaitl’habitudedemescoupsdesang.—Jesuisunepute!rageai-je.Ungigolo!Uneenfoiréedetapettepayéepourécarterlescuisses!
AlorsAbou,s’ilteplaît!Arrêtedepenserquej’ailedroitàunevienormale,merde!Jenesuispasnormal!EtdèsqueCalebl’auracompris,ceserafinidesregardsamoureuxetdessourirestendres!Dèsqu’ilsaura,ilferaunpasenarrière,etpuisunautre,etencoreunautre,avantdedisparaîtredupaysage!Jeneveuxpasrisquerdem’attacheràsagueuled’ange.C’estclair?J’envoyaimonpiedvaldinguerdans laboîteàgantsetelles’ouvritenrépandantsoncontenuau
sol.Jeprisunegrandeinspiration,enmebaissantpourtoutramasser.—Essaieaumoins…—Bonsang!Tun’aspasécoutécequejeviensdedire,Abou?Sur le point de craquer, je préférai encore sortir de la voiture et claquai la portière. Aboume
rappela, mais je l’ignorai. Comme il ne pouvait laisser traîner son tas de poubelle devant le feurouge, il ne me suivit pas. Je tournai au premier croisement et continuai sans but. Au moins, là,personne n’essaierait de me faire croire à l’impossible. Parce que c’était justement de ça dont ils’agissait.Qu’est-cequ’ilscroyaient?Quecen’étaitpascequejevoulais?Quejen’avaispasenviedeme
laisseravoirparunbeauregard,mêmel’espaced’unesoirée?Moi,unprostituéetlui,unétudiantsurdouéduMIT?Dansunbar,autourd’unetassedecafé?Il
n’yavaitqu’unedirectionoùtoutcelapourraitnousmeneretjelaconnaissaistrèsbien.Droitdansunmur.
10Jemarchaiunmoment,errantetdéambulantdanslesruesbostoniennes.Jecroisaidespressés,des
flâneurs,desamoureuxetdessolitaires.Jelesfrôlai,medemandantvaguementcequ’illeurpassaitparlatête.Sic’étaitl’enfercommedanslamienne.Jemelaissaisguiderparmespas.M’abandonnantàcettepeinequinemequittaitjamaisvraiment.
Etcettecolère,quin’étaitjamaisloin.LeportdeBostonsedessinadevantmoi.C’étaitunendroitquej’aimais.Surtoutunjourcomme
aujourd’hui, où il était presque désert. Il faisait gris et les nuages étaient tellement bas qu’ilssemblaientflottersurl’eau,donnantàlamarinabrumeuseuncôtéféerique.Je longeai lesquaisetm’assisaubout,mesrangersdanslevide, touchant lasurfacedel’eau.Je
regardai l’horizon, et c’était comme voir l’avenir. Il n’y avait rien que je puisse distinguer avecnetteté,maisjepouvaissupposercequisecachaitderrière.JesortislelivredeCalebdemapocheetlefistournerdansmesmains.Jel’observaidelongues
minutes,lacouvertureétaitécornée–unephotoennoiretblancd’unealléebordéedehautsarbres,remontantversunegrandemaison.Lespagesavaientététournéesplusd’unefoisetcertainesétaientpliées,commelorsqu’onveutgarderlatraced’unpassagequinousaprofondémenttouché.J’ouvrislapremièrepagemarquéeetlusquelqueslignes.«Jel’aimaisplusquetoutaumondeàcausedecela,pardevoir,bienqueJasonmetîntaucœur
cependant.Mais je voismaintenantque jen’ai pasassez souffert, je voismaintenantqu’ilme fautpayerpourvospéchésaussibienquepourlesmiens[…].»Puisuneseconde.«Ilsparlaienttousàlafoisetleursvoixinsistantes,contradictoires,impatientes,rendaientl’irréel
possible,puisindubitable,commefontlesgensquandleursdésirssontdevenusdesmots[…].»Etencoreune.«Commebeaucoupdepersonnesfroidesetfaibles,unefoisenprésenced’unirrémédiabledésastre,
elletrouvait,onnesaitoù,unesortedecourage,deforce[…].»Chacun de cesmotsme faisait trembler comme s’ils avaient été écrits pourmoi. Je revins à la
première page, à la première ligne et tombai la tête la première dans l’histoire de la familleCompson.Lesoleilétaitbas,jecommençaisàavoirfroidetfaimquandjeterminai.Surledernierverso,était
accrochéeunenote.Unnumérode téléphone, l’adressed’un restaurant.Ununiquemotquim’étaitadressé.«Viens.»J’arrachailepetitmorceaudepapieretleglissaidansmapoche.Lanuitétaittombéeetc’étaitmonheure,celleoùlesgenscommemoisortaientdechezeuxpour
travailler, racoler, tenter. Jen’étais sur aucun trottoir, je nemontais dans aucunevoiture, je nememettaisàgenouxdansaucuneruellesombre.Plusmaintenant.Jemerelevaietm’étirai,abrutipar toutescesheuresdelectureetparceromanpresqueviolent,
duretchoquantdanscertainesdesesjustesses.Ilmeressemblaitdansunsens.Entoutcas,ilm’avaitdonnéenviedefaireunaveu.Certaineschosesdoiventêtredites.Tues,ellesdeviennentunenécrose
dontiln’estpluspossibledeguérir.Calebm’avait fait un cadeau, je devais lui rendre la pareille. J’allais lui offrir lameilleure des
raisonsdedétournerleregardlaprochainefoisquenousnouscroiserions.Parcequ’onnedevenaitpasl’amid’unepute.Paslorsqu’onétudiaitdansl’unedesécoleslesplusprestigieusesdumonde.Merci,écrivis-jesurledosdelacouverturedulivredeFaulkner.Puisjeleglissaidenouveaudans
lapochearrièredemonjeanetquittaileport.J’aperçusCaleb de l’autre côté de la baie vitrée. Il y avait dumonde dans ce restaurant un peu
atypique.Coloréetchic.Unbandeaunoirretenantsescheveuxenarrière,Calebvirevoltaitentrelestables,desassiettesplein lesbras,unsourireaux lèvres,échangeantquelquesmotsavec lesclientsdevant lesquels il déposait des plats généreux et alléchants. Il ne semblait souffrir d’aucunemaladresse,ici.Alorsqu’ils’entravaitsifacilementavecsespropreslacets.Son pantalon noir mettait en valeur ses jambes finement musclées, élancées, la rondeur de ses
fesses. Sa chemise blanche moulait un torse bien dessiné, un ventre plat, un dos taillé en un Vgracieux.Sagorge,exposéeparuncolouvert,donnaitenvied’yblottirlenez.Unvisagemagnifique.Des yeux de tempête qui se tournèrent immédiatement versmoi quand je poussai la porte, faisantsonnerlacloche.Jen’avaispasvraimentlestyledel’endroit,maispersonnen’yprêtaattention.Jemedirigeaivers
le bar, un peu à l’écart de la salle, là où quelques types buvaient un verre tranquillement. Jecommandaiunwhiskyetleserveurmeletenditensouriant;jeleremerciaienluitendantunbillet.Ilmerenditlamonnaieetjeregardaipar-dessusmonépaule.Calebmelançaitplusieurscoupsd’œil,continuantàservir,unpeumoinsconcentréqu’uninstantauparavant.Ilmerejoignitunebonnedemi-heure,ettroisverres,plustard.Mesdoigtstambourinaientcontrele
comptoiretmoncœurbattaitunchouiatropvite.Aprèscesoir,cesquelquesjoursrejoindraientlefonddemamémoireetjefiniraisparlesoublier.Ceseraitvitedel’histoireancienne.Etcetémoi,cepetitquelquechosequelqu’ilsoit,disparaîtrait.Forcément.Calebs’appuyaaubarprèsdemoietôtasonbandeau.Sescheveuxs’éparpillèrentautourdeson
visage,rebiquantunpeun’importecomment.—J’aivingtminutesdepause.Ilétaitvraimentbeau.—Viens,medit-il.Jemelevaietlesuivisdansl’arrière-salle.Ilpoussauneporte,nouspropulsantdirectementdansla
rue,prèsdesbennesàordures.Ellesmerappelèrentuneruelle, ilyavaitdixans, l’endroitoù toutavaitcommencé.J’attrapaimonpaquetdecigarettesdansmavesteetenallumaiuneenpivotantversCaleb.Ilétait
appuyécontrelemuropposé,lesmainsdanslespoches.Ilm’observait.Calebnemeconnaissaitpas,maisilavaitdel’instinct.Ilavaitcomprisquejen’étaispasicipour
l’inviteràboireunverre.Maisplutôtpourluiexpliquer,unefoispourtoutes,pourquoiçaneseraitjamaispossible.—J’avaisquinzeansquandmamèreestmorte,commençai-je.Quandjemesuisretrouvéàlarue,
sanspersonne.Ilclignadesyeux,maisneréponditrien.Pasde«désolé»,pasdepitié–jenel’auraispasaccepté
detoutefaçon.
—J’étaisprèsd’unebenneàordurescommecelle-ci,luidis-jeenpointantdumentoncellequisetrouvaitprèsdelaporte.J’étaismaladecommejenel’avaisjamaisété.Jen’avaisqu’uneenvie,melaissertomberausoletfermerlesyeux.Mêmesij’étaismortdefroid.Jesoufflailafuméedemaclopeverslui.Ilnebougeapas.—C’estlàquejel’airencontré.Ildéglutit.—Qui?Jesouristristement.Calebfitunpasversmoi.Jenedétournaipasleregard,legardantbiendroit.
Mêmesic’étaitdifficile,mêmesij’auraisvoululebaisser.—Charles.Monpremierclient.Encomprenantceque je luidisais, ils’arrêtaaussitôtetaccusa lanouvelleviolemment.J’aurais
toutaussibienpuluicollerunpoingdanslamâchoire.Ilsegardaàunedistanceraisonnabledemoietjeneluienvouluspas.Aumoins,sonairn’étaitpasdevenudégoûtéouhorrifié.Justedéçuet…blessé, aurais-je dit. Je n’étais pas certain de l’émotion qui le traversait, mais il ne partit pas, nem’insultapas,nimetournaledos.J’auraispresquepréféré,aumoinsaurais-jecompris.—Ilyenaeubeaucoupd’autresdepuis,luilançai-jeavecdéfi.Ilyenaencore,Caleb.Ilblanchit.—Brandon…?demanda-t-il.Jehochailatête.—Uneheurequiluiacoûtétrèscher.—Tu…Il se frotta le visage avec le bandeau qu’il tenait dans lesmains, tourna une fois sur lui-même,
commes’ilcherchaitlescaméras.Iln’yenavaitaucune,pourlasimpleraisonquejeneluimentaispas.Ildevintpresqueexsangue.—Ce…connardt’apayépourcoucheravectoi?articula-t-il.— Je suis une pute, Caleb, lui rappelai-je durement. C’est ce que font les gens avec moi. Ils
m’achètent.Alorssitumeveux,ilfaudrafairecommetoutlemonde.Payer.Ébranléparlaviolencedemonton,parlacruautédecesmots,partoutcequecelasous-entendait,
ilrecula.C’étaitexactementcequej’attendaisqu’ilfasse.Pourtant,çamefitmalquandmême.Je fis plusieurs pas en arrière, sortis le livre qu’ilm’avait offert et le posai sur le dessus de la
poubelle,enregardantCaleb.—Tuavaisraison,luidis-je.Jel’aibeaucoupaimé.Etpuisjepartis.Cettefois,ilnemerappelapas,ilnemesuivitpas.Ilnefitrien.Ilrestadesoncôté.Etmoi,jeretournaiverslemien.
11Jefrappaiàlaportedecettechambred’hôtel.La1004.Elles’ouvritsurunhommeenpeignoirde
soie rouge,pluspetit quemoi,maisdes épaules tellement larges et desmains si colossalesque jecomprispourquoiCharlesjubilaitàl’approchedecerendez-vous.J’allaisavoirdestracesetdemain,enmevoyant,ilallaits’extasierdessussanshonte.Ravivantchaquedouleuretchaquecriquej’allaispousserbienmalgrémoi.—Rafael,n’est-cepas?ditLucasLandwehr.Ilavaitunevoixrocailleuse.—MonsieurLandwehr.—Lucasserasuffisant.Entre,jet’enprie.Ilmetenditunemainetjelapris,mecrispantdesoncontactmoiteetdéjàtropintrusif.—CecherCharlesavaitraison.Tuestoutsimplementsplendide.—Merci.Ilmedétailladesonregardmarron,presquenoir.Ilm’admira,jaugealamarchandise,touchace
qu’ilavaitpayésicher.—Tonpatront’a-t-ilprécisécequej’attendaisdetoi?—Jem’adaptetrèsbien.C’étaitbientropvrai,malheureusement.Ilpenchalatête,seléchalalèvre,glissantundoigtdansl’encoluredemachemiseblanche.—Celaaussi,ilmel’adit.Jevoulaisl’entendredetabouche.Jenerépondispas,cen’étaitpasnécessaire.Jelelaissaitournerautourdemoi,commeunlionprêt
àbondir sur saproie, sedélectantdecemanège, touchantparendroits,ôtantquelquesboutons.Letissudesonpeignoircommençaitdoucementàsetendresursonbas-ventreetsesyeuxsevoilèrentd’envieetde…violence.Jeconnaissaiscegenrederegard.Celuideshommesquiontdufric,assezpoursepayerunprostituédeluxepourassouvirleursdésirs,maisquihaïssentpourtanttoutcequecelareprésente.—Commençons.Uneheure,c’esttellementcourt,susurra-t-il.Ilmedéshabillalentement,sarespirationpluscourteàchaquefoisqu’ildécouvraitunmorceaude
peau. Petit à petit, un geste après l’autre, je devins sa chose. Je n’étais plus moi, plus personne,désarticulédanslesméandresdesonsadisme,attaché,ligoté,asservi,rabaissé.Battuetbattuencore.Commeunmoinsquerien.J’étaislàetjen’yétaisplus.J’étaislàetj’étaismort.J’étaislàetjejouissaisquandmêmedecettesouffrance.Méritais-jetoutcela?Cestourments…Cecalvaire…Etlesangquicoulaitdemondos,goutteà
goutte,écarlatesurmapeauàvif.Laseulechoseàlaquellejepouvaismeraccrocher,c’étaitautic-tacdel’horlogeégrenantdetrop
longuesminutes.
12Uneheureplustard,jerepartiscommej’étaisvenu,parlagrandeporte.Jenebaissaipaslesyeux
devantl’hôtessed’accueil.Jemarchai,ledosraide,lesjambeslourdes.J’avançaisansmeretourner,m’éloignantcommeàchaquefois,avecl’espoirdenejamaisrevenir.L’espoir,toujourscemêmemot…Commelacordemeretenantau-dessusduvide.J’avais envie de hurler. Mais pas maintenant. Dans la rue, on ne montrait pas sa faiblesse. On
prouvaitseulementqu’onneseraitjamaisunevictime.Leregarddroit,lementonfier.Nejamaissedétourner,restersursesgardesconstamment.Mamotoétait toujourschezBob,etj’auraisaimélarécupérercesoir.Maisc’étaitunemauvaise
idée.Si jemepointais dans cebar, j’allaisme saouler et je serais encorebloqué là-bas, obligeantAbouàvenirmechercher.Jepouvaistrèsbienboirechezmoi.Je saluai legardiendemon immeubled’unhochementde têteet il levaunemain franche. Jene
comprenaispascomment il ne s’était jamaisposé laquestionde savoir cequ’un typecommemoifoutaitdansunappartementdehautstanding,avecsalledemusculationetpiscineausous-sol.J’appuyaisurleboutondel’ascenseur,jen’avaispaslaforcedegrimperlesétagesàpied.Lapeau
demon dos craquait, frottait douloureusement contre le tissu dema chemise et j’avais besoin del’enleverauplusviteetdeplongerdansuneeaufroidepourmesoulager.Jesortismesclefsdemapoche,descendisdel’ascenseurettombaiaussitôtenarrêt,lâchantmon
trousseau desmains. S’il y avait quelqu’un que je ne croyais jamais croiser ici, c’était bienlui. Jepensaisnepluslerevoirdutout,d’ailleurs.Ilétaitpourtantassisdevantmaporte,sonregardgrisserelevantsurmoi.—Commentm’as-turetrouvé,Caleb?sifflai-je.Ilseredressa,époussetasonjeanetmitlabandoulièredesonsacsurl’épaule.—J’aiplusdecentcinquantepointsdeQI,Rafael.J’aitrouvélemoyendetepister.—Etcomment?Tuneconnaismêmepasmonnom.—MaisBrandon,si.Non,luinonplus.Maisilavaitlefaux.Celuidontjemeservaisdepuisdesannées.Celuiquiétait
maintenantsurmespapiersd’identité.Surlaboîteàlettres,enbasdemonimmeuble.Calebmebloquaitlepassageetilétaithorsdequestionquejem’approchedeluidanscetétat.Du
sangséchécollaitmachemiseàmapeau.Jemesentaissale…—Enfait,rougit-ilunpeu,j’aidemandéàunamidetrouvertonadresse.Ilestvraimentdouéavec
unordinateuret…—Jevois.Tuconnaislesloissurleharcèlement,jesuppose.Jeramassaimonjeudeclefsetleluilançai.—Ouvreetrentre,luidis-je.Oucasse-toi.Maisnerestepasdevantcetteputaindeporte.J’avaistropmalaudospourpenseràêtreneserait-cequ’unpeuaimable.Iln’hésitapasàdéverrouilleretàs’engouffreràl’intérieur.Ilreculaetjeluipassaidevant,filantà
lasalledebain,lelaissantderrièremoisansmesoucierdecequ’ilpourraitdécouvrir.Jenepensai
mêmepasàm’enfermeravantdemedéshabiller,difficilement,etdemeglisserderrièrelespanneauxdeladouche,abandonnantlabaignoirepourcettefois.Jetournailesrobinetsetl’eauglacéetombasur mes plaies. Je gémis de douleur, le front sur le carrelage, les mains sur la tête, mes jambestremblantsousmoi.Etàmespieds,encoreunefois,cestourbillonsécarlates.Unjour,l’und’euxfiniraitparmetuer.—Rafael?m’appelaCalebàl’entréedelasalledebain.—Ouais,lançai-jed’unevoixcassée.—Tuvasbien?—Oui.Jefermailesyeux.—Tuescertaindeça?insista-t-il.Ilyadusangsurtachemise.Ma chemise, jetée négligemment au sol dans ma hâte de m’en débarrasser, qu’il pouvait
parfaitementvoir.—Rafael,s’inquiéta-t-ildevantmonsilence.Jetremblais,j’avaisfroid.Maislechaudauraitbrûlémachairàvif.—Rafael,dit-ilencoreunefois.Savoixprofonde,hypnotique,plusprochequelaseconded’avant.—N’entrepas,Caleb!—Jecroisquesi.—Resteoùtues…Troptard,ilpassaderrièrelaparoienverre,sespiedsnus,encoretouthabillé.—Merde!Ilmerejoignitsouslejetd’eauàl’instantoùjem’écroulai.Ilmerattrapacommeilput,s’écrasant
contrelemur,montorsecontrelesien,tendantunemainpouréteindrelerobinet.—Quit’afaitça?s’emporta-t-il.J’eusunbreféclatderire.Quelquechosedepresquemorbidequifittremblermapoitrine.—Untypequitenaitunfouet,soufflai-jedanssoncou.Tant bien que mal, nous sortîmes de cette maudite douche. Nu et dégoulinant, je rejoignis la
chambreoùjetombaisurlelit,lenezdansl’oreiller.J’étaismouillé,grelottantetfrissonnant,exposéauregarddeCaleb.Maisjenem’enpréoccupaismêmepas.Jem’endormispresqueaussitôt.Dansmondemi-sommeil,jerêvaiquel’ons’occupaitdemoi.Quequelqu’unpassaituneserviette
surmes jambes, sur mes fesses, sur mes épaules et mes bras, mes cheveux, et avec beaucoup deprécautions,surmondos.Unecouverturefutremontéejusqu’àmatailleetdescompressesglacéesplacéessurmesplaiespourlessoigner.Puisuneautrecouette,plusépaisse,megardantauchaud.Etenfinuncorps,allongésurleflanc,prèsdemoi.Desdoigtsmassantlentementmanuque.Uneodeurentêtanteetmasculine,étrangère.Unsouffleprèsdemajoue.—Pourquoitueslà,Caleb?murmurai-je.
Seslèvres,siprochesdemonoreille.—Parcequej’enaienvie.Lesond’unsecondcœur.Etlebruitdumien.Jetournailevisageversluietsoulevailespaupières.—Tun’aspascompris.Jen’aipasderelations,pasdeflirts,pasdecompagnon,Caleb.Jen’aique
desclients.Il passa tendrement sa main dans mes cheveux, faisant glisser mes mèches entre ses doigts. Je
trouvaicesimplegesteindécent.—Alorsjeseraitonclient.Illeditavectellementdesérieux,sesyeuxgrispétillant,quejeluisourisenrelevantlégèrementla
tête.—Tusaiscombienjecoûte?Plusd’unmoisdetonsalaire.—Fais-moiunprix.—Turigoles?Ilsecoualatêteetfouilladanssapoche.Ilensortitquelquespiècesetplusieursbillets.—J’aiexactementtrente-troisdollarsetquarante-cinqcents,fit-il.Avecça,jepeuxaumoinsrester
unepartiedelanuit.Jenedisrien,mecontentantdeleregarder.Calebdéglutitetfinitparposersonargentsurlatable
denuitavantdeserallongerdoucementàmescôtés.Enhésitantunpeu.—Onpeutdormirmaintenant?Ilavaitpayéaprèstout.—Oui.Ilreposasesdoigtssurmanuqueetrecommençaàmemasser.Jem’endormispourdebon.Il était toujours là à mon réveil quand je m’appuyai sur un coude pour l’observer. Il était
magnifique, lumineux. Comme un rayon de soleil balancé sur mon corps congelé. Doucement, ilréussissaitàme fairecéder.Àfaire fondre toutes lescouchesdeglacequim’entouraient. Iln’étaitqu’une coïncidence, une rencontre au hasard, et maintenant il était là, dans mon lit, et je voulaisl’embrasser.Pouvais-jel’embrasser?Ilmedonnaitdesfrissons.Ilmedonnaitenviederêver.Envied’ycroire.Enviedechosessimples
etdenormalité.C’étaitdangereuxdemelaisserhapperparCaleb.Avecquelquesefforts,ilpourraitmebriserfacilement.Àcôté,lesquelquesplaiesdemondosneseraientpasgrand-chose.Je tendis unemain vers sonvisage et la posai sur sa joue. Juste ça, le toucher, sans qu’ilme le
demande,sansquecenesoitunerègle,uneexigence.Justeparcequemoijeledécidais.J’écartailesdoigts,caressantsapeau,lecoindeseslèvresrouges.Ellesesquissèrentunsourireet
jem’arrêtai,apercevantsespaupièressesoulever.—Tuesbeau,luiavouai-je.C’étaitunfait,ill’était.Sonregardvacillaet,uninstant,jecrusqu’ilallaitmecontredire.Il se redressaet j’ôtaimamainde sa joue. Il la récupéraet la reposa sur sonvisage, se frottant
contremapaumecommeungrosfélinronronnant.—Toituesmagnifique,chuchota-t-ilentrenous.—Tumeplais,Caleb.—Jesais.J’enfouismesdeuxmainsdanssescheveuxettiraidessus.Ilrenversalevisageetjemepenchaiau-
dessusdelui.—Jenepeuxpas.—Pourquoi?demanda-t-ildoucement.—Parcequ’il fautque jeparte.Etque jenepourrai jamais tedireoù.Niceque je fais.Encore
moinsavecqui.Ils’assombrit.—Onpeutessayerquandmême,Rafael.—Non.—Jepeux…—Non,répétai-jeplusfort,tirantdavantagesursesmècheschâtaines.Tun’aspasàt’imposerça.
Tuasvingtetunans,tuesbrillant.Neperdspastontempsavecmoi,d’accord?Je le relâchai et me levai, mon dos tirant encore un peu, mais moins qu’hier. Caleb me suivit
jusqu’àlacuisine,mecontournaetmebloqualepassage.—Est-cequej’aiaumoinsledroitdedéciderquoifairedemontemps?—Non.—Rafael,tune…Jelepoussaicontrelemurpourlefairetaire, l’emprisonnantentremesbrastendus,leslèvresà
quelquescentimètresdessiennes.Ilrespiraitvite,presqueunhalètement,soncœurfrappaitcontremapoitrine. Il avait quelque chose…Quelque chosequim’émouvait etme faisait trembler. Il avait ceregard…Derrière ces airs sûrs de lui, il y avait de la timidité.Un certainmalaise àme sentir soudain si
proche.—Jemeprostitue,luiassenai-je.Etjebois.Jeneseraijamaisfidèleparcequemonjob,c’estde
baiser.Est-cequetuveuxpassertessoiréesàm’attendre,àtedemandercequemefontlesautres?Est-ceque tu tiens àmevoirmedétruire à chaqueverredavantage?M’entendrehurler,mais êtreincapabledem’arrêter.T’apercevoirdutrounoirquim’entoureetquinedemandequ’àt’aspirer.Est-cevraimentcequetusouhaites,Caleb?Etcrois-tuquemoi,jepuisseimposerçaàquiquecesoit?Ilremontalesbraslelongdemontorse,posalesmainssurmapoitrinenue,lacaressabrièvement
avantdenouerlesdoigtsautourdemoncou.Doucement,presqueaveccrainte.—Donne-moiunechance,Rafael.Uneseule.—Maisunechancedequoi,merde?criai-je.Denousécorcher?Denousdétruire?Queveux-tu
qu’ilsortedebondetoutça?Il embrassa le creux demon épaule et je frémis, troublé par la fraîcheur de sa bouche. Par cet
infimegestededouceur.
—Laisse-nousessayer.Ses lèvres trouvèrentma jugulaire et se posèrent sur la veinequi y pulsait frénétiquement. Il ne
rougissait plus. Il savait ce qu’il voulait.Comment faisait-il ça ?Réussir àm’attendrir, àme fairechavirer ? Aussi facilement. Alors que les autres ne provoquaient en moi que du dégoût et del’indifférence.MêmeCharles…Nem’avait-iljamaisembrassélajoue?Justeunbaiser,justecommeça.CommeCaleblefaisait.—BonDieu,Caleb…Qu’est-cequ’ont’apprendauMITpouravoirsipeudebonsens?—Lapersévérance.—Laconnerie.—Ladétermination.—Arrête.J’essayaidem’écarter,maisilmeretint.Encoreunefois,jefussurprisparsaforce.Parcecorps
enlongueur,puissant.Parmonenviedelui.Maissurtoutparsonenviedemoi.C’étaituneerreur.SiCharlesl’apprenait…Charles…— Juste un café, souffla-t-il. Toi et moi. Sans contraintes, sans promesses, sans rien d’autre
qu’unsimplecafé.Bonsang…—OK?
13Pourquoi l’emmenais-je là?AubardeBob?Peut-êtreparceque j’avaisenviede récupérerma
moto,peut-êtreparcequec’étaitdansunquartierqueCalebn’auraitjamaispenséallervisiter.Peut-êtreparcequej’étaiscertaindenepasycroiserCharles.—Hé,jecommençaisàmedemandersituviendraisrécupérertaDucatiunjour!m’accueillitBob.Ilsortitlesclefsdedessouslecomptoiretmelesenvoya.—Merci,luidis-jeenlesréceptionnant.—Derien.Il observaCalebavecungrand sourire.Bob tenait demoins enmoinsbien son secret en laisse.
Bientôt,ildevraitsedéclarer,ilnepourraitplusfaireautrement.—Qu’est-cequejevoussers?—Expressopourmoi,réponditCaleb.—Lamêmechose.—Çamarche,souritBob.Nousnousassîmesàunetableplusloinetjelefisavecprécautionpournepasraviverladouleur
demondos.Calebplissalefrontenl’apercevant.—Çava?s’inquiéta-t-il.—Cen’estrien.—C’estvraique lesplaiesne sontpasprofondesetqu’ellesne laisserontprobablement aucune
cicatrice.Maiscen’estpaspourautantquecen’estrien.Jecroisailesbrassurlatable,leregardantbienenface.—Jesavaispourquoicetypepayaitetj’ysuisallédemonpleingré,Caleb.Ilaccusalecoupunefoisdeplus,maisneréponditpas.IllaissaBobposerlestassesentrenous,
nousdemandersinousvoulionsautrechoseetrepartirquandilcompritquetoutcedontnousavionsbesoin,c’étaitunpeudetranquillité.J’attendisqueCalebselancedansungranddiscours,maisilmesurpritunenouvellefoisenn’en
faisantrien.Ilsecontentad’ouvrirunsachetdesucreetdeleviderdanssoncafé.Etpuisunautre.Etunautre.Etencoreun.—Tuvasnoyertoncaféavectoutcesucre,ris-je.Ilrelevalevisageetsourit.—Çatevabien.—Quoi?—Derire.Jen’avaispaseutropderaisonsdelefaire,cesdernièresannées.Àcroirequecequim’allaitbien,
c’étaitsurtoutlui.Sasingularité.Sonregardd’ambregris.Sonvisagebotticellien,sespetitesmaniesetsesimperfectionsquilerendaientplusattachantencore.—Etpourrépondreàtaquestion,jetrouvel’expressotropamer.
—Prendsuncafésimplealors.Ilécarquillalesyeux,faussementchoqué.—Maisjevaisfinirparm’yhabituer!Ilestjustedifférentdechezmoi.—DuTexas?Ilhochalatête.—D’Amarillo,oui.Monpèreyaunpetitranch.BeckerR.La patrie des cowboys. J’essayai de l’imaginer là-bas, sans son éternel sac à bandoulière et ses
tachesd’encresurlesdoigts.—Stetsonetboucledeceinturon?demandai-je.Rodéo?—Unpeutoutça,oui.—Santiags?—Aussi,rigola-t-il.Nosmainsétaientposéessurlatable,l’uneprèsdel’autre.Sansvraimentréfléchir, jenouaimes
doigtsauxsiensetjouaiavecsonpouce.—Etquias-tulaissélà-bas?Ilavaitl’aird’untypefaitpourdesbraschaudsetforts.Pourtant,ilseraclalagorgeetsetortilla
sursachaise.Pasvraimentgênéparmaquestion,après toutelleétait légitime.Mais ilyavaitbienquelquechose,quil’oppressaunepetitesecondeavantqu’ilnemeréponde.—BeckerRestisolé,tusais.EtlesTexansnesontpasvraimentouvertssurl’homosexualité.Alors
l’undansl’autre…Ilsemorditlalèvre.—Quoi?—Ehbien,j’aieuunpetitamiaulycée,maiscefuttellementbrefquejenepensepasqueçavaille
lecoupd’êtrementionné.PuisjesuisarrivéauMITetjemesuisunpeufaitengloutirparmesétudes,donc…Non,jen’aipersonnequim’attendoùquecesoit,sic’estlesensdetaquestion.Uneminute…Iln’étaitpasentraindem’expliquerque…—Tun’asjamaisété…avecpersonne?m’étranglai-je.C’estcequetuesentraindemedire?—Nefaispascettetête,Rafael,semoqua-t-il.Jen’aiquevingtetunans,pasquarante.Quevingtetunans?J’auraisditdéjàvingtetunans,moi.Bonsang,commentavait-il faitpour
rester…?Ilétaitmagnifique,unpeutimide,d’accord,maisçanel’avaitpasempêchédem’attendredevant ma porte, hier soir, ni de me rejoindre dans la douche quand je m’étais senti mal, ni des’occuperdemoi,alorsquej’étaiscomplètementnu…— J’attendais juste de rencontrer quelqu’un qui saurait me faire oublier l’aéronautique,
l’aérospatialeettoutlereste,m’expliqua-t-il.Quelqu’unquisoitvraimentimportant.Choquébienplusqu’ilpouvaitl’imaginerparcequ’ilsous-entendait,jeluiretiraimamainetme
levai.—Tut’estrompédepersonne,alors!Ilselevaàsontour.—Jenepensepas.Jelaissaiunbilletsurlatableetquittailebaràgrandspas.Calebmesuivit.
—Attends,Rafael…—Tuneterendspascomptedecequetudis,rageai-jeenpressantlepas.—Trèsbien,si!mebalança-t-il,surmestalons.Jemedirigeaiversmamoto,plusloin,garéesurlepetitparkingetsortismesclefsdemapoche.—Trouve-toiquelqu’und’autre,Caleb!—C’esttoiquejeveux!Bonsang,c’estsiduràcomprendre?J’ouvrismoncoffreetenretiraimoncasque.Ilmel’arrachadesmains.—Arrête,Rafael!semit-ilencolère.Arrêtedet’enallerchaquefoisque…Lesdents serrées, je l’attrapaipar lecoldesachemiseet le ramenaiviolemmentcontremoi. Je
baissaimonregardnoirversluiet,pourlapremièrefoisdepuisquejel’avaisrencontré,ilsemblamecraindre.Avoirpeur.Jeprissonmentonentremesdoigtsetleserrai.Ilgrimaça.Jemerapprochaidavantage.—Tu veux la vérité, Caleb ? sifflai-je.Alors laisse-moi te l’expliquer.Dans une heure, je vais
retrouverl’hommequim’asortidelarueilyadixans,etce,uniquementdanslebutdem’enfermerdans sonmonde. L’homme quim’a offert un appartement, une clientèle friquée en échange d’unejournéeparsemaine.Unejournéeoùilmedéshumanisepourquejesoisexactementcequ’ilveut.Ilmefrappe,meviole,metorture,mebaiseetjeparschaquefoisdechezluienmedisantquec’estladernièrefois.Pourtant,jerevienstoujours.Parcequejeluidoismavie,entreautres,peuimportecequ’ellevautàprésent. Je luidois tout le reste…Alors je le laissechoisir l’heure, lemoment,mesclients, le tarifdemespasses. Ilcontrôle tout, jusqu’auxmoindresdemesbattementsdecœur,auxmoindresdemessouffles.EtlepireCaleb,cequirendcelaencoreplusinsupportable,c’estqu’illefaitparamour.Dixannéesqu’ilm’aime,dixannéesquejelehaissanspouvoirjamaism’enséparer.JelâchaiCalebviolemmentetilreculadeplusieurspas,abasourdi.Jerécupéraimoncasqueetlui
lançai:—C’estcettevérité-làquetuvoulaisentendre?Ilrestasansvoix,secontentantdemelaisserpartir.Jel’observaidansmonrétrojusqu’àleperdredevue.
14—Tuesenretard,m’assenaCharlesenrefermantlaporte.Comme à chaque fois qu’il étaitmécontent, ou pas d’ailleurs, ilme gifla à toute volée.Ma tête
partitetmonsangpulsaàmestempes.—Désolé,meforçai-jeàdire.—Viens!Notredernièrerencontrenes’étaitpasbiendérouléeetjelesentaisfébrile,tendu.Ilmarchavers
son bureau et attendit à l’entrée que je le rejoigne. Je lui passai devant, fixant du regard ses yeuxvoilésdecolère.Deperversité. Ilverrouilladerrièremoiet jemeretrouvaidevantunepetite tablerecouverted’unenappenoireoùétaientpositionnésplusieursobjets.Uncouteau,unematraqueetuneceinture.Auplafond,étaitfixéunmécanismed’oùpendaientdeslienssolidesencuirnoir.Ilavaitdûlefaireinstallerdanslasemaine.—Déshabille-toi.Ilnem’avaitmêmepasembrassé,il lefaisait toujoursquandj’arrivais.Justeaprèslagifle.Mais
pasaujourd’hui.Jemedévêtislentement,luitournantledospourluimontrercequ’ilaimaittant.Lesdéchiruresde
mapeau.Illestoucha,appuyantlàoùladouleurétaitencorevive.—Parfait.J’aimeceLucas,jepensequetulereverras.Jefusnu.Il attrapa mes mains, les passa dans les liens pour les attacher fermement. Sortant une
télécommande de sa poche, il appuya dessus et les bandes de cuir rétrécirent en remontant,m’obligeantàleverlesbras.Quandilsfurentsihautsquejemeretrouvaiancréausolparlaseulepointedemespieds,Charlesrangealatélécommandeets’assitsursachaisedebureau.—Bien,susurra-t-il.Ilfitroulersonfauteuiljusqu’àmoietobservamoncorpstotalementàsamerci.Jebaissailesyeux
verslui,attendantqu’ilm’expliqueàquoiiljouait.Perfide,ilfitroulerlapetitetableversmoi.—Choisis,Rafael,fit-ild’unevoixmenaçante.Jecommençaiàsaisiroùtoutçaallaitmeneretjetiraisurlesliens.Maisj’étaistropbienattaché
pourm’endéfaire.Etpuis,detoutefaçon,jenel’auraispasfait.C’étaitnotreaccord.Aujourd’hui,jen’étaisqu’àlui.Seulementaujourd’hui…—Couteau?soufflaCharles,excitéparlacraintequ’ilfaisaitnaître.Ilcaressalalameaiguisée.—Matraque?Ilsuivitdudoigtlalongueurdel’objet.—Ceinture?
Illafitclaquerentresesmains.C’était l’heure de payer pour lui avoir tenu tête. L’heure de régler nos comptes. L’heure deme
rappelerqu’ilavaittoujoursétéleseul.L’heureduchoixdemadouleur.—Ceinture,finis-jepardire.—Ceinture,répéta-t-ilenminaudant.Oui,oui,trèsbien.Illaprit,lasoupesaets’approcha,lafaisantglissersurmontorse.—Onpeutfairetellementdechosesavec,souffla-t-il.Tellementdechoses…Ilglissadansmondosetjecrusmourir.C’étaitmaintenant.Ilallaitmetuer.Maislamortnevalait-
ellepasmieuxquecetteviedeservitude?Non!Lamorsureducuirsurmesfessestendittouslesmusclesdemoncorps.J’agrippailesliensentre
mespoingsetserrai.Lesecondcoupfutplusdouloureux.Jemecambrai.—Ouimonamour,commeça,gémit-il.Le troisième déchira ma peau et Charles récupéra les gouttes de sang sur sa main. Il m’en
badigeonnaledos,pinçantlesplaiesqu’unautresalopardavaitlaissées.Lequatrièmem’arrachauncri.Lecinquièmemanquademefairetournerdel’œil.—Oui,jubilaitCharles.Ilarrêtapourpasserlaceintureautourdemoncouetl’attachacommeuncollierpourchien.Ses
doigtsétalèrent le sangqui s’écoulaitdemesplaieset sesmains rouges laissèrentdes traînées surtoutemapeau.Iltirasurlaceinture,manquantm’étrangler.Ilaimaittellementquejesouffre,pourquoil’aurait-il
fait?Il me prit violemment jusqu’à ce que je ne devienne plus qu’un pantin désarticulé, qu’une
marionnetteentresesmainsdesadique.Etpuistoujourscesmots,cestroismotsqu’ilm’offraitcommeuncadeauempoisonné.Alorsque
jepuaislesang,lesperme,quej’étaissuspenduauplafond,àsamerci,perdu,voulantmourir.Des mots horribles à mes oreilles. Horribles dans leur sens. Horribles dans ce qu’ils sous-
entendaient.—Jet’aime,Rafael.Jet’aimetellement!Etencore.—Dis-le-moi.Dis-lequetum’aimesaussi.Dis-le!Ilavaitmavie,madignité,mafierté,monhonneur,mesjournées,mesnuits,mescauchemars,mes
rêves.Monamour,jelegardaisenmoi,àl’abri.Iln’étaitpasàlui.Ilneleseraitjamais.—Jesaisquetum’aimes,Rafael.Jelesais!Non!
15—Jecroisqu’onafaitdubonboulot,ditAbouenregardantleberceauenbois.Il jeta son pinceau dans un pot de white-spirit et je fis demême avec le mien. Soli brandissait
encorelesien,àlarecherched’unpetitdétailquinousauraitéchappé.Maisnon,ilétaitparfait,tailléavecsoin,lesmotifssculptésavecgoût,peintd’unbleuélectriquechoisiparlamaman,ettoutjustefinid’êtreverniavecunproduitbiocomestible,conçuexprèspour lesmeublesdesnourrissonsetdespetitsenfants.— Anita va pouvoir respirer, dis-je en repensant à son ventre énorme et à son accouchement
imminent.—Onamisplusdetempsqueprévu,soufflaSoli.Il se redressa et jeta un coup d’œil à Mac, étalé dans une chaise longue au milieu du garage,
ronflantbruyamment.—Ilnefautpasoublierleprécieuxcoupdemainirlandais,ironisa-t-il.Jesifflai.—Crois-moi,ilvautmieuxqu’ildorme.Commepourapprouvermesdires,lesronflementss’intensifièrent.Mac avait encore passé la nuit dehors et je l’avais récupéré complètement défoncé, à Roxbury,
entourédetypesquicommençaientàs’amuserunpeutropaveclui.Jepréféraisdoncl’avoiràl’œil.EtpuisAmaadoraitqu’ilsoitdanssesjambesquandellecuisinait.Illuiposaittoujoursuneflopéedequestionsauxquellesellerépondaitavecplaisir.Mac aimait la nourriture, presque autant que les drogues qu’il essayait comme d’autres
collectionnaientleschaussures.—JevaisappelerAnitaetluidirequ’ellepeutvenircherchersonberceaudemain.Nous avions mis les bouchées doubles ces deux dernières semaines en nous avisant que nous
avionsunpeunégligénotretravail.Jem’yétaisjetéàcorpsperdu,cherchantàoublierl’ébauchedecesentimentquinaissaitpouruntypeauxyeuxgris.Cedébutdequelquechosequiressemblaitàuneplanterescapéed’unetempête,solidementancréeausol.Pourtant,jen’avaispasrevuCalebdepuisquejel’avaisabandonnédevantlebardeBob.Etj’avais
ététropmallesjourssuivantmonentrevueavecCharlespourvraimentm’ensoucier…Jesecouailatête,chassantcesouvenir.Iliraits’ajouteràtousceuxdeCharles,commeunegoutte
deplusdansunvasequidébordaitdéjà.—Àquoipenses-tuaujuste?medemandaAbou.Àrien.Enfaitsi,àCharles.EtàCaleb…Jen’avaistoutsimplementpaspumerésoudreàluicourirderrièrepourm’excuser.
Etmaintenant,quipourraitluireprocherd’avoirlaissétomber?Moi.Bonsang,pourquoiluienvoudrais-je?
Jepensaisqu’ils’accrocheraitdavantage.Qu’ilnepasseraitpassoncheminsifacilement…Facilement?Quelleironie!Iln’yavaitriendesimpledansmavieetCalebavaitbienfaitd’aller
voirailleurs.Ilmemanque.Deuxoutroisrencontres,unenuit,uncafé,quelquesmotséchangés.Ilnepouvaitpasmemanquer.Ilmemanquequandmême.Mesplaiesétaientguéries.Charlesétaitcalmé.Amasouriait.Soliavaitunenouvellepetiteamie.
Macétaitégalàlui-même.Toujoursàchercherlesennuis,àsemettreendanger.Abouétaittoujoursaussidéterminé,maisc’étaitAbou.J’avaismêmevuBrookeetAlain,unmercredimidi.Nousavionsmangéensembledansunpetitrestaurantprèsdelabibliothèque.Nousavionsparlédetout,derien,deJunior et des chiens, du patron d’Alain qui lui avait offert une promotion. J’étais resté assis enterrassebienaprèsqu’ilsfurentpartis,espérantcroiserCaleb.Maisiln’étaitjamaisarrivéetj’avaisfiniparmelever.Abouclaquadesdoigtsdevantmonvisageetjerevinsauprésentenramassantnoschiffonssales.—Alors?recommença-t-il.Àquoipensais-tu?—Àrien.—Çafaitdeuxsemainesetdemiequetunepensesàrien,mefit-ilremarquer.J’étaisfacilementdistraitcesdernierstemps.Lafauteàunétudiantquiavaitenvahimonespritavec
unefacilitédéconcertante.Aboumedévisagea.—Laissetomber,Abou.Macronflatellementfortquenoussursautâmes.Jerisenmetournantversletransat.—Bonsang!juraSoli.Est-cequ’ilvacontinuercommeçalongtemps?—Jusqu’àcequ’ilseréveille.—Hon,hon…Maisaulieudelesecouerpourqu’ilarrêtesonraffut,Solilerecouvritd’unevieillecouvertureen
leregardanttendrement.Puisilsecoualatêteetpartitverslefrigo,ensortitunsodapourluietdeuxbièrespourAbouetmoi.—Mamaafaitdestacospourcesoir,nousapprit-ilenmefaisantunclind’œil.Ama aimait cuisiner mexicain quand j’étais dans les parages. Ça m’avait toujours touché. Elle
commençaitàselancerdanslesplatsirlandaisdepuisqueMactraînaitdanslecoin.Maisiln’yavaitpasàdire,ilsavaientmoinsdesuccèsquedebonstacos.—Jenevaispluspouvoirbougeraprèsça.—Tuasquelquechoseàfairecesoir?medemandaAbou.Façon subtile de chercher à savoir si je voyais un client. Si ça avait été le cas, je ne lui aurais
sûrementpasdit.Maispourunefois,monvendredisoirétaittranquille.Enfin,presquetranquille.—JevaisaccompagnerMacjusqu’aucluboùildoitretrouver…quelqu’un.Voirs’ilnetombepas
encoresurundétraqué.Soliseraclasoudainlagorge,sebalançantd’unpiedsurl’autre.
—Commentpeux-tusavoirquec’estundétraqué?serisqua-t-ilàdemander.Soliétaitaucourantquejemeprostituais,jeneleluiavaisjamaiscaché.Maisiln’enparlaitjamais
et quandnous le faisionsdevant lui, il trouvait une excusepour s’échapper. J’étais étonnéqu’il nefasse pas comme d’habitude. Abou aussi, de toute évidence. Je lui jetai un coup d’œil, il haussadiscrètementlesépaules.—Jenepeuxjamaisêtresûràcentpourcent,expliquai-je.Mais,engénéral,jesaisreconnaîtreles
clientsviolents.Leursyeux…Leurfaçondenousregarder,plusprécisément.—OK,jevois.Solisesatisfitdecetteréponseetbaissalatête,mettantuntermeàcettediscussion.J’étaissoulagé
qu’illefasse.Ilyavaitdeschosesqu’onaimeraitnejamaisavoiràconfesseràungamindedix-huitansquel’onconsidéraitcommesonpetitfrère.Seulement,jevoyaisbienqueçadevenaitdeplusenplusdurpourlui.Alors,jemeforçaiàajouter:—Tusaisquetupeuxtoutmedemander,Soli?—Jesais,répondit-ilensemordantlalèvre.C’estjusteque…Jen’aimepaspenseràtoi…comme
ça.Ilnevoulaitpasmevoircommeunepute,jecomprenaisçamieuxquequiconque.Iln’étaitpasle
seuldureste,AbouetAmanelesouhaitaientpasnonplus.Solishootadansunpetitmorceaudebois.—EtjeneveuxpasnonpluspenseràMaccommeça.Savoir…Ilsecrispaetposaviolemmentsonsoda.—Jenepeuxpas,c’esttout!laissa-t-iltomberavantdequitterlegarageaupasdecharge.Ilclaqualaporte,faisantsursauterMacdanssontransat.—Aumoinsc’estsorti,meditAbouentapantsurmonépaule.C’esttoujoursmieuxquedelevoir
ruminersansjamaisriendire,depeurdetevexer.—Jepréféreraisqu’ilm’insulte,qu’ilmecriedessus.—Ilt’adore,Rafael.CommeMamaetmoi.Ils’inquiètepourtoi,c’estnormal.C’estcequ’onfait
quandonaimeunepersonne.Onpriepourlasavoirheureuseetensécurité.Jefinismabièred’unetraite.—Tudevraisallerluiparler.—Pourluidirequoi?Abouhaussalesépaules.—Lavérité,Rafael.Ensoufflant,iljetauncoupd’œilàMacquis’étaitdéjàrendormi.—Pourluiaussions’inquiète.—Moiaussi,luiavouai-je,enretournantverslamaison.Tellement,parfois,queçamefaisaittournerenrondpendantdesheuresdansmonappartement.Et
quejefinissaisparsillonnerlesruespourtrouverMac.Souvent,ilallaitbien.Etparfois,pasdutout.JeretrouvaiAmaàlacuisine,enpleinepréparationdestacos.Jeluiembrassailajoueetmisma
maindansleplat.Jemeramassaiuncoupdecuillèreenbois,maisjepersistai.Ellerit.—Soliestsorti,m’apprit-elle.Ildoitêtredanslarueaveccesdeuxvoyousdevoisins.
—TuparlesdeCametdesonfrère?—Oui,biensûrquejeparled’eux!Àsécherlelycée,àfumerleurscigarettes,àembêterlesfilles.
Desvoyous,jetedis!Jesourisetl’étreignisbrièvement.—Çava,Ama,onavupiredanslecoin.Ellerenifla.—MonGoras’estlaisséembrigader.JenelaisseraipasmonSolisuivrelemêmechemin.—Çan’arriverapas.Non, parce qu’elle veillait au grain. Si Gora était tombé dans le trafic de drogue pour aider
financièrementsamère, il l’avaitvite regrettéquandils’était retrouvéàfrayeravecdespersonnesquin’avaientpashésitéàluimettretoutsurledosquandunetransactions’étaitterminéeenfusillade.Deux jeunes étaientmorts, deux gamins des beaux quartiers, deux blancs. Gora n’avait eu aucunechance.Maintenant,ilvoyaitsafamilledansunboxdelaprisond’étatetrabâchaitàsonpetitfrèrederesterdansledroitchemin.Denejamaiss’enéloigner,mêmepourdebonnesraisons.JetrouvaiSoliàquelquespasdupetitjardin–unsimplecarréd’herbequ’Amaavaitrentabiliséen
faisant pousser quantité de fleurs et d’aromates. Il discutait avec Cam, sourire aux lèvres et,effectivement,ilavaituneclopeaubec.Sonamilaluiarrachadelabouchequandilm’aperçut,maistroptard.IlpoussaSoli,quitournalatêteversmoiengrimaçant.IlabandonnaCametrevintversmoiàgrandspas.—DisrienàMama,s’ilteplaît,mesupplia-t-illesmainsjointes.IlressemblaitvraimentàAboucommeça.—Siellelesait,ellevamezigouiller.Rafael,tuaurasmamortsurlaconscience!Il n’y avait pas que les irlandais qui avaient le drame dans la peau. Les afro-américains aussi,
apparemment.Jelevailesyeuxauciel.—Jenevaisrienluidire.—Merci,soupira-t-il.—MaisjevaisenparleràAbou.—BonDieu!jura-t-il.C’estpireettulesais!Jerisentirantsursesdreadlocks.Ilentralatêtedanslecoupourm’échapper.Il avait beau être un jeune de dix-huit ans, je ne voyais que le gamin de neuf ans que j’avais
rencontré,avecsacoupeafroetsesgrandsyeuxnoirs.Desannéesdéjàquejevenaismangerchezlui,unefoisparsemaineminimum,quejedormaisdanslachambred’amisquandj’allaismal.Jel’avaisamené à l’école, au collège et au lycée. Je lui avais appris à se battre quandAbouy avait échoué.Pourtant,jeneluiavaisjamaisparlé.Etiln’avaitjamaisriendemandé.Jusqu’àaujourd’hui.—Tum’enveuxpourtoutàl’heure?murmura-t-il.—NonSoli.Jemedisjustequ’ilfaudraitpeut-êtrequ’onparle.Ilsecoualatête,pinçantseslèvres.—Jen’ensaisrien,fit-ilmalàl’aise.JevousentendssuffisammentavecAbou.Jen’aipasbesoin
quetumerépètescegenredechoses.
J’inclinailevisage.—Ettoi,tum’enveux?Ildéglutit.—Parfois.Parcequetupourraisvivreàlamaison.Etlaissertomber…Il regarda à droite et à gauche, il n’y avait personne. Nous étions seuls dans la rue, devant la
maison,àl’abrid’unpetitarbrequ’Amaavaitplantédenombreusesannéesauparavant.—…Charles,chuchota-t-il.Jeglissailesmainsdansmespoches.Onenrevenaittoujoursaumêmepoint.—Vousneroulezpassurl’or,Soli.Unebouchedeplusànourrircen’estpasrien.—Ceseraittemporaire,letempsquetuteretournes.—Soli…—Situn’avaispasdonnétouttonfricauxautresaussi!s’énerva-t-il.Illeregrettaaussitôtetsoufflafortenbaissantlatête.—Tuesmonfrère,Rafael.Jeneveuxpasqu’ontefassedemal,d’accord?Ému,jeposaiunemainsursanuque.—D’accord.Ilse racla lagorge,gênéparsesyeuxquibrillaient. Je le laissais’échapperpourmecacherses
larmes.Ici,leshommesnepleuraientpas.Pasdanscetterue.Pasdanscequartier.Pasdanscettepartiedelaville.Jet’aimeaussi,Soli.Jeneleluidispas.Maisj’étaiscertainqu’ill’avaitcompris.Mon téléphone sonna. J’avais encore lesyeux rivés sur la portequeSoli venait de refermer, un
drôlede sentiment au fondde lapoitrine. Je répondis sansvérifierdequi il s’agissait et reconnusaussitôtlavoixdeCharles.Ellevints’immiscerdansmonoreilleàunmomentoùj’auraisvouluneplusjamaisl’entendre.—Qu’est-cequetumeveux,Charles?m’énervai-je.—Tutelaissesaller,Rafael!mereprit-ilimmédiatement.Ilsetrouvequenoussommesvendredi
etquetumedoisencoreunpaquetd’heures.Unaccordestunaccord.Tuveuxquejet’enrappellelestermes?MamâchoiresecontractaetjetournailedosàlamaisondesFinch.—Inutile.—Tuenescertain?—C’estbon,Charles.—Trèsbien!Alorsjeteveuxdansdeuxheuresdansmesbureaux,àgenouxetmaqueuedansta
bouche.Tuasentendu?—Oui,crachai-je.Ilrit.Cemauditrire.—Nechangeriensurtout,Rafael.Gardecettehumeurettuensubiraslesconséquences.Ettusais
commej’aimetepunir,monamour.
Jelesavais,oui.—Dansdeuxheures.—J’yserai.—Nesoispasenretard,surtout.Jeraccrochai,serrantmonportabledansmonpoing.J’avaisenviedelejeter,delefracasserausol
et de le laisser aumilieu de la route, enmorceaux. Il ne pourrait plus sonner, il ne pourrait plusm’appeler.Ilnepourraitplustoutmeprendre.
16—Mac,bouge-toi!—Oui,oui!Jen’avaisplusqu’unedemi-heurepourdéposerMacàsonclub,voirsonnouveauclientetfilerà
laSkyline,oùsetrouvaitlesiègedel’entreprisedeCharles.Mangerlestacosd’Amaavaitprisplusdetempsqueprévuetj’avaisl’estomacsurlepointd’exploser.Etmaintenant,c’étaitMacquiprenaitsontemps!Je commençais vraiment à perdre patience, quand il sortit enfin de sa chambre. Quelle idée de
passerparsonappartementpourqu’ilpuissesechanger!Jesavaispourtantqu’ilmettaitdesheuresàchoisirunpantalonetunechemise.—Mevoilà!Jeledétaillai.—Çava?demanda-t-il.Un pantalonmoulant et une chemise qui l’était encore plus. Avec ses cheveux roux et ses yeux
verts, il était vraiment à croquer. Seulement, habillé comme ça, j’avais plutôt envie de le ramenerchezAmapourqu’ellel’enfermedansunechambrejusqu’aumatin.Bonsang!Non,çan’allaitpasdutout!—Çavaoui,répondis-jequandmême.Jepassaiunbrasautourdesesépaulesetembrassaisajoue.J’auraisjustevoululemettreàl’abri.
Noussortîmesdesonappartementsansriendire.Jeroulaivite.Macm’enlaçaetserramatailledetoutessesforces,suivantmesmouvementsavec
souplesse. Ce n’était pas la première fois qu’il montait derrière moi et parfois, dans des étatsimpossibles.Iln’étaitjamaistombé,nem’avaitjamaisdéséquilibré.Ilsecollaitàmoietnebougeaitplus.Vingtminutes.Jepouvaisencoreyarriver.Je me garai et descendis à toute blinde, tirant Mac derrière moi. Les videurs à l’entrée le
connaissaientetnouslaissèrententrerdansleclubsansfaired’histoire.Accoudé à l’un des bars, un blond attendait tranquillement. Je le reconnus aussitôt. Pas difficile,
c’étaitBrandon.Soulagé,jemetournaiversMac.—Jeconnaisceconnard,luidis-je.Net’attendspasàlapluspetiteconsidération.Maclevalesyeuxauciel.—J’yairenoncédepuislongtemps,figure-toi.Jem’endoutais,maislelaisserauxmainsdeBrandonétaitladernièrechosequej’auraissouhaitée.
Aumoinsceseraitrapideetpasdouloureux.C’étaitdéjàça.—Faisattentionàtoi,Mac.—Toiaussi.Jel’enlaçaibrièvementavantdemedétourner.
—Hé,Rafael,merappela-t-il.—Quoi?Ilpointadumentonl’autreboutdelasalle.—Cen’estpaslegaminquim’asoignélepoignetàCambridge?Jemeraidis,reconnaissantlasilhouettedeCalebaumilieudelafoule.Etsesyeuxsurtout,braqués
surnous.Marespirationsefitpluscourte.Moncœurbonditdansmapoitrineeteutunraté.Merde!Ilétaitencoreplusbeauaprèsquinzejours!J’avaisenviedetraverserlapiste,deleblottircontremoietdeluidemanderdem’excuser.Plusqu’unquartd’heure…Jedevaispartir.Mêmesisonregardmesuppliaitdefaireunpasvers
lui,delerejoindre.Charles…Encore…Quimetiraitenarrière,quim’éloignait.—Àplus,Mac.—Àplus,chéri,répondit-ilavectristesse.Ilavaitvulestraitsdemonvisagechanger,seteinterdenoirceur.Defatalitéetdedouleur.Decette
vérité,cetteabsoluecertitudequequoiqu’iladvienne,lecheminneseraitjamaisdégagédevantmoi.Ilyauraittoujoursquelquechose,quelqu’unàvoir,uncorpspourprendrecequejen’auraisjamaisvoulu donner. Pourtant, j’avais attendu Caleb. Je l’avais attendu, espéré, cherché depuis deuxsemaines. Et il était là, comme la réponse à une prière. Il était là, mais avec d’autres, s’amusant,profitant,faisantcequetouslesétudiantsfaisaient.Ilvivait.Etmoi,jem’enallaismebriserunpeuplus,mefairemal.Jeressortisduclubensaluantlesvideurs.Jenel’entendispasmesuivre,nim’appeler.Pasavant
quejenemontesurmamotoetqu’ilposelamainsurleguidon.—Rafael,fit-ild’unevoixbasseetrauque.Attends.Jefermailesyeux.—Jenepeuxpas,Caleb.Jedoisyaller.Il se raidit, comprenant sansque je lui dise.Alorsque j’auraisvouluqu’il ignore tout.Qu’il ne
sachejamais.—Çafaitseizejoursquej’essaiedetevoir,m’apprit-il.Tun’esjamaischeztoiquandjepasse.Tu
nerépondspasàtonportablequandjet’appelle.EtmêmeBob,lebarman,n’apasvoulumedireoùtetrouver.Jepenchailatêteverslui,plissantlesyeux.Qu’est-cequ’ilracontait?D’accord,jen’avaispasété
beaucoupchezmoicesdernierstemps,dumoinsunefoisquej’avaisréussiàsortirdemonlitaprèsqueCharleseutviolemmentprofitédemoi.Maisj’avaistellementbuquejen’auraisrienentendudetoute façon. Et ma porte était verrouillée, la clef laissée dans la serrure, pour empêcher Aboud’entrer.Quantàmon téléphone, jene répondaisqu’auxnumérosque jeconnaissais etque j’avaisenregistrés.Etjen’écoutaisjamaismesmessages,ninelisaislestextos.J’enavaistropreçuvenantdetarés,etdepuis,jeleseffaçaisautomatiquementsanslesconsulter.Cequemesprochessavaient.MaispasCaleb.Etpuis…—Jenet’aijamaisdonnémonnuméro,mesouvins-je.
Ilsefrottalesyeux,commes’ilétaitagacéquejerelèveundétailquiavaitsipeud’importance.—Ehbien,jel’aiquandmême.—Legénieeninformatique?—Oui…Écoute,Rafael…Jedémarraimamoto,elleronfla,luicoupantlaparole.—Jedoisvraimentm’enaller.Sesépauless’avachirentetilsemblasitristetoutàcoup.Sifragile.Presqueenfantin.—Demain,Caleb,luiproposai-je.Situveuxpasser,jeserailà.Jevoulaisqu’ildiseoui.Qu’ildisenon.—D’accord.J’enfilaimoncasquepourluimasquermesyeux.—Àdemainalors,dis-jed’unevoixunpeutrouble.—OK.Ils’écartaetjel’observai.Etd’unsimpleregard,ilmesemblaentendretoutcequ’ilpensait.Les
mainsdanslespoches,ildevaitsedemanderoùj’allais,quijerejoignais.Siçaavaitdel’importancepourmoi.Sij’allaisaimerça.Etrienqued’ypenser,çaluiretourneraitlestripes.Peut-êtrequ’ilsesentaitcon,làsurcetrottoirencherchantàsavoirs’ilexistaitencoreunmoyendemeretenir.Demefairerevenir.Cen’étaitmalheureusementpaslecas.Jelelaissaiderrièremoidansuncrissementdepneus.Underniercoupd’œildanslerétroetj’accélérai,tournantauprochainfeu,doublantlarangéede
voituresetslalomantdangereusemententrelesautomobilistesbostoniens.Jesuisdésolé.Jel’étaistellement.
17Je me garai dans le parking, jetant un œil sur ma montre. Je grimaçai en prenant l’ascenseur
jusqu’audernierétage,lebureaudeCharles,ettombaisurluidèsquelesportess’ouvrirent.—Encoreenretard!mebalança-t-ilsuspicieuxenmerepoussantdansl’ascenseur.Ilappuyasurunboutonenmedévisageant.Jereculaiverslacloison.—Queldommage,susurra-t-il.Ilyaunpetitchangementdeprogramme.Jenevaispaspouvoir
profiterdetoicommej’enavaisenvie.Ilsourit.—Lesaffairesvois-tu,monamour,m’expliqua-t-il.Quelqu’und’autreàbaiser.Aurez-de-chaussée, ilsalua legardienetm’attrapalebras,mepoussantversunelongueberline
noireauxvitresteintées.Unchauffeurendescenditetouvritlaportièrearrière.—Faisdoncletrajetavecmoi,Rafael,m’ordonna-t-il.Je montai sans me poser de question ; c’était son heure, après tout. Il donna une adresse au
chauffeuretremontalavitredeséparation,sortantdesapochesontéléphonequisonnait.Ildécrocha,agacé.—Qu’est-cequ’ilya,Marley?fit-ilavechumeur.Assissurlabanquetteenfacedelui,jel’observaisansbouger.Charlesmefixaavecuneintensité
malsaineetunecolèrenondissimulée.Ilauraitaiméquejem’agenouilledevantlui,sansqu’ilmeledemande,seulementparcequej’enavaisenvie.Cen’étaitpaslecas.J’étaissapute,passonhomme.Ilavaitdesexigences,illesexprimait.Etjem’ypliais.—Règleça,Marc!...Quoi,encore?Marcétaitsonassistant,etsondéfouloirlaplupartdutemps.Ilenfaisaitcequ’ilvoulait,parceque
cepauvreMarcétaitamoureuxdesonpatrondepuisqu’ilavaitquittélafacpourentrerauservicedeCharles.—Nemeforcepasàteréexpliquerleschoses!gueulaCharles.Non,jeneveuxpasdetoi,cesoir!Ilraccrochabrutalementetpointalabanquetteàcôtédelui.Jechangeaideplaceetilmetiraàlui
pourmeblottirpoussivementdanssesbras.Ilcaressamescheveuxdansunsoupir.Jemetendis.—J’auraisvraimentaimépassercetteheureavectoi,Rafael.Jemerattraperaicettesemaine.Jem’écartai,Charlesmeretintbrutalement,attrapamanuqueetm’embrassa.—N’es-tupasbien, ici, avecmoi?medemanda-t-il.N’as-tu jamaisvouluplusquecequenous
avons?Non,jamais.Pasuneseconde.J’aicherchélemoyendetefuir,derevenirenarrière,dequitterta
route,maisjen’ysuispasparvenu.Tuastoujourstrouvélemoyendemeretenir.Encoreaujourd’hui.—Sinotreaccordneteconvientplus…—Biensûrquesi,s’énerva-t-il.Jeteparled’autrechose,Rafael.
J’étendislesjambessurlabanquette,Charlescaressamontorse,passalesmainssousmonpull,medéfiantdeluidemanderd’arrêter.Jemeforçaiànepasm’écarter.Alorsquejenerêvaisquedeça.D’êtreloindelui.Siseulementc’étaitpossible.—Jetevoudraischezmoitoutletemps.Jevoudraisquetum’attendesquandjerentretard.Quetu
me rejoignes àmon bureau quand je temanque.Que tume demandes de te fairemal, que tumesuppliesmême.Quetudormesdansmonlittouslessoirs.Ilm’observa,attendantuneréponse.—Cen’estpaspossible,Charles.—Pourquoiçaneleseraitpas?fit-ilensepenchantversmoi.Cequej’aifait,jepeuxledéfaire.Et
jet’aifait,Rafael.Jepeuxtrèsbienteretirerdumarché.Jequittail’étaudesesbrasquidevinrentsoudaintropétouffants.—Etàquellecondition?Ilsourit,doucereuxetcalculateur.—Celleden’êtrequ’àmoi,évidemment.Jesecouailatête,mêmesijedevaispayercettehonnêteté.—Jesuisdésolé,Charles.Maisnon.Sonregardperditlepeudetendressequ’ilavait.Ildevintfroid,dur,manipulateur.Ildevintmortel.Ilbonditsurmoietm’attrapalecou.Ilserraetmefrappaviolemmentàlapoitrine.J’auraisdûavoirpeur.Maisjeleconnaissaistellementbienquemêmesescoupsj’yétaishabitué.—Pourquoi?hurla-t-il.Pourquoinemeveux-tupas?Quicompteplusquemoi?Qui,Rafael?Ilmegifla,fouderage,mesecouantcommeunpommier,mebalançantd’uncôté,d’unautre.Mais
jen’avaispasmal.J’étaisjusterésigné.—Jet’aitoutdonné!cria-t-ilencoreplusfort.Tout!Queveux-tudeplus?Caleb.Cetteidées’imposad’elle-mêmeetmepritaudépourvu.Jenem’yétaispasattendu.Pascommeça.
Pasmaintenant.Caleb.Meplier à sesdésirs à lui.Apprendre tout ceque je n’avaispas compris, tout ceque j’ignorais
encore.L’amour, la douceur, l’attachement, la langueur.Cequi n’existerait jamais entreCharles etmoi.Pasdanscemonde.Passoussesmains.Pasdanscecœur,niaveccetteaffectionmauditequinefaisaitqueblesser.Caleb,lui,avaitunregardquiguérissaitetunsourireémouvant.—Tumedoistout!continuaCharlesens’acharnantdeplusbelle.Tout,tuentends!Sansmoi,tu
n’esrien!Oui,sansdoute.—Arrête,dis-jeenlerepoussant.LavoituresegaraetCharlesse laissa tombersursonsiège, tirantsursoncostume,essoufflé. Il
passaunemaindanssescheveuxpourlesrecoifferetrepositionnasacravate.
Jemeredressai,unpeufourbudem’êtreencoreprisuneraclée.Pourtant,celle-cimeparutplusjustifiéequelesautres.Jelacomprenaisaumoins.Cen’étaitquelafrustrationdenepouvoirobtenircequ’ildésiraittant.Peut-êtreunpeudesouffranceaussi…Etillaméritaittellement.Alorspourquoimepenchai-jesurlui?Pourquoil’embrassai-je?Mêmebrièvement.—Jesuisvraimentdésolé,luimurmurai-je.Pourquoi,oui?Jesortisdelavoiture,enfouislesmainsaufonddemespochesetremontailarue,lesyeuxbaissés.Peut-êtrequesijel’avaisaimé,mavieauraitétédifférente.Maisjen’avaisjamaispuet,pourm’en
punir,Charlesavaitpassédixansàmetorturer.Peut-êtreétait-cemafaute?Peut-êtreétait-celasienne?Peut-être aurais-je pu faire autrement ? Mentir encore ? Lui retourner des sentiments que je
n’éprouvaispas?Maisquelquechosem’enavaittoujoursempêché.Etaujourd’hui,quandjepensaisàCaleb,jecomprenaispourquoi.Cequejevoulais,cen’étaitpas
lanoirceurdeCharles.Maisunpeudelumière,unpeudechaleur.Jevoulaislalueurd’unregardgrisquand,unjourdehasard,ils’étaitsoudainretrouvédevantmoi.Jevoulaisjusteycroire.
18Onfrappaitàlaporte.Jejetaiuncoupd’œilàl’horloge–minuitetdemi.Devantlecomptoirdela
cuisine,unebouteilledanslamain,j’étaissurlepointdemeservirunverre,etunautre,etencore…etainsidesuitejusqu’àm’écrouler.MapetitediscussionavecCharlesm’avaitvidé.Alorssic’étaitMacquiétaitpassémevoir,j’étais
désolé,maisjenepourraisrienfairepourluicesoir.Boireétaitleseulcouragequ’ilmerestait.Etsic’étaitAbou,dèsqu’ilcomprendraitqueCharlesm’avaitencorefrappéetquejel’avaislaisséfaire,ils’énerverait.Forcément,ilnepouvaitpassavoir…Pasmaintenant.Jefiscoulerleliquideambrédansunverre,observantcettecouleurfascinantecommesielleétait
un remèdemiracle. Pour quelques heures peut-être que ça m’apaiserait.Mais au bout du compte,après,çaseraitencorepire.Jemelaissaiglisserausol,lesjambesramenéescontrelapoitrine.Jefrissonnai,sansdouteparce
quejeneportaisriend’autrequ’uncaleçon,quemescheveuxdégoulinaientencoredansmondos.Jen’avaispasl’énergied’allerm’habiller.Àlaporte,lescoupsretentissaienttoujours,insistants.Jerenversaiunelampéedewhisky–lapremièredelajournée,aufonddemagorge.Çamebrûla
etme fit du bien, tout à la fois. Il n’y avait rien de tel pourme faire passer le goût amer quemelaissaientmesrencontresavecCharles.Àpartpeut-êtrecettevoix,étrangèreetbizarrementfamilièrepourtant.—Ouvre-moi,Rafael.Caleb?Mamainseresserrasurleverreetjereposaimoncrânecontrelemur.—Tum’asditdepasserdemain,dit-il.Cefutcommeunmurmuredansl’appartement.—Noussommesdemain.Nousétionssurtoutlemilieudelanuit!Lemomentoùjedevenaisvulnérable.Faibledetout,de
Charles.Delui?—Jevaisattendre,tusais.Jusqu’àcequelesoleilselève,jusqu’àlafinduweek-ends’illefaut.
Jusqu’àcequetusortes.Jelesoupçonnaid’enêtrecapable.Etl’idéemefitsourire.Jemeredressai,étrangementattiréverslui.J’aimaissaforcetranquilleetsessouriresfrancs.Etmalgrémoi,j’avaisenviedesoncorpsfélin,
desesyeuxperturbantssurmoi.Jemedemandaiscequej’éprouveraisàêtredanssesbras.Cequeluiressentiraitàêtredanslesmiens.J’agrippailapoignée,hésitaiencore,maisfinisparouvrir.Etilétaitlà,lesmainsdanslespoches,
sonépauleappuyéecontrelecadrandelaporte.Toujoursautantdébraillé,commes’iln’avaitpaseu
letempsdefinirdes’habiller.Beau,splendidedanssonincertitude.Etpourtantsidéterminé.Jene savaispluscomment fairepour le repousser.Et encoremoinscommentêtre capablede le
retenir.Puisçan’eutplusd’importancepuisqu’ilsemblaitavoirchoisipournousdeux.Calebentra,refermaetrestadroitdevantmoi,fouillantdanssapochepourenressortirquelques
dollars. Et juste de voir trois billets verts qu’il laissa tomber dans le vase en verre, posé sur laconsoledel’entrée,làoùj’avaismisl’argentqu’ilavaitlaisséladernièrefois,quandilavaitpassélanuitici,merassura.C’étaitcommeundroitdepassage,légitimantsaprésence.Jepouvaisrespirer,j’étais en terrain familier.Caleb avait compris que j’en avais besoin. Il ne s’était jamais considérécommemonclient.Iln’allaitrienexiger,rienprécipiter.C’étaitjusteunefaçondebernermonespritconditionné.Jetendisunemain,dégageaisesmècheschâtainesdesonfront,caressaisajoue.Ilserapprocha,
orientantsonvisageversmoi.Etsabouchesouriante,seslèvresàunsouffledesmiennes.Plusprèsencore.J’enfouismamaindanssescheveuxet lesempoignaipour l’arrêter.Sesdoigtsseposèrentsurmonventre,letouchantdoucementenremontantversmapoitrinepourresterau-dessusdemoncœurquigalopaitetseheurtaitàmacagethoracique,cherchantàs’enéchapperpourseblottirencoreplusprèsdeCaleb.Làoùilseraitauchaud.Peut-êtreensécuritéaprèstout.—Embrasse-moi,murmura-t-il.L’embrasser?—Embrasse-moi,Rafael.J’encrèved’envie.Mais quemedemandait-il au juste ?De posermes lèvres sur les siennes, juste un instant ?D’y
mettredelaferveur?Leplaquercontreunmuretfouillersabouchecommeunaffamé?Ilyavaittellement de façons d’embrasser et il n’avait pas précisé comment…Comment il voulait que je lefasse…Jesecouailatêteetlerelâchai,reculantdeplusieurspas,descentainesdevisagesdansantdevant
mesyeux.Tousceshommesvinrents’interposerjustelà,entrenous.Toutescesbouchesquej’avaisconnues,et...Etjenesavaisplus…Caleb vint se nicher contremoi. Il posa lesmains surmes hanches et il n’y eut plus que lui de
nouveau.J’avaisconnuledésiravant,quandjen’étaisqu’unadolescentquiavaitunevie,unefamille,etqui
était amoureuxdeSandro, sonvoisin.Mais jen’avaispas souvenirqueçaeutétéaussi fort.Calebavaitquelquechoseenplus.Devraimentétonnant.Le tenant contremoi, je fis un pas vers la chambre. Il se raidit un instant avant de suivremon
mouvement.Ilenfouitsonvisagedansmoncou.C’étaitpresqueunedansequinousmenajusqu’aulitoùnousnousglissâmes,l’unsurl’autre.Sousmoi,Calebcaressaitmondos,plongédansmonregardnoir.Ilétaitchaud,entêtant.Peut-être
unpeucraintifaussi.—Embrasse-moi,répéta-t-ildansunsouffle.Ilenavaitenvie.Etmoiaussi.Lecommentn’étaitqu’undétail.Ilvoulaitmeslèvres.Alorsjeles
déposairespectueusementsurlessiennes,mesoutenantdemescoudesposésdechaquecôtédesonvisagemagnifique.
Sa bouche était fraîche, douce, incroyable. Il avait un goût de menthe, de bière. Et autre chosed’inconnu,depluspersonnel.D’intime.Salangues’entortillaautourdelamienne.Sesgémissements,sesreinsquisecreusèrent,sesmainspartoutetsajambeenrouléeàlamienne,c’étaitcommerenaîtresoussesdoigts.Devenirquelqu’unpourunefois.C’était langoureux et ça me faisait peur. C’était trop fort, trop tôt. Je commençai à jouer avec
l’élastique de son caleçon, puis avec les boutons de sa chemise. Il s’enfonça davantage dans lematelas,commes’ilvoulaitcollersondospournepluspouvoirbouger.Quandjefrôlaisonérection,toutdevintunpeufou,excessif.—Rafael.Attends,tu…Ilgrogna,sonsexedurcaressalemienet…Calebgémit,excité…—Rafael,répéta-t-ild’untonincertain.Jeme rappelai soudain queCaleb n’avait jamais connu personne et jem’écartai légèrement. Je
retombaiàcôtédeluisurleflanc,sanstoutefoisréussiràm’endétachercomplètement.Ils’appuyasuruncoudeensemordantlalèvre.—Excuse-moi,luidis-je.Ilavaitlesjouesrougesetlesoufflecourt.Jefronçailessourcils.—Enfait,jenesuispasdésolédutout.—D’accord,rit-il.Tantmieux.Ilredevintsérieuxetselaissatombersurledos,lesyeuxrivésauplafond.—J’aienviedetoi,souffla-t-il.Mais…Iltournalatêteversmoi.Etilyavaittantdedésiretdefrustration,tantdequestionnements.Tantde
tristesseaussi.Jeneluienvoulaispas.Ilavaitunmillionderaisonsderefuserd’allerplusloin.Alorsque,moi,jen’avaisqueçaàluidonner.—Çava?luidemandai-je.Ilétaitdevenumorosel’espacedequelquessecondes.Uneombretraversasonregard,avantdes’en
échapper,aussivitequ’elleétaitapparue.—Oui,sourit-il.Saufquejel’avaisvue,lapetitenoirceuraufonddesesiris,commel’échod’unedouleur.Etquila
luireprocherait.Ilyavaittantdequestionsqu’ilseforçaitànepasmeposer.Quand?Qui?Où?Pourquoi?—Personnenevientjamaisici,luiavouai-je.Jeveuxdire...aucunclient.Sonsourirevacillaetfinitpardisparaître.Jeluiprislamainetlaposaisurmapoitrine.—Tucomprends?—Jecomprends,oui.—Tufinirassûrementparmehaïr,Caleb.Dèsdemain,situesaussiintelligentquetuledis.Mais
là,cesoir,danscettechambre,iln’yaquetoietmoi.
—Oui?—Oui.Ilselovacontremoi.Jetirailescouverturessurnous.Au-dessusdenostêtes,lesdrapsformaient
commeundôme,nouscoupantdel’extérieur.Et je l’embrassai encore, encore et encore, ses mains retenaient les miennes pour m’empêcher
d’êtretropaventureux.Jeris,ilsetut.Unsilence,avantquejem’emparedenouveaudesabouche.Etque je l’embrasse jusqu’à cequenousnous endormions, entortillés l’un autour de l’autre, commedeuxbrinsd’ADN.
19Calebétaitétalésurmoiquandjemeréveillai,etj’étouffais.Jerepoussailacouetteetessayaide
medégagerdoucementdesonétreinte.Plusj’essayais,plusils’accrochait.Jen’étaisabsolumentpasdumatin,etmesentirretenuaufonddumatelasauraitdûmefairepaniquer.Maisnon.J’oubliaimagrognematinaleetrisenvoyantlemanègedeCaleb.Mêmeendormi,ilcherchaitàmeretenir.—Allez!m’écriai-jeauborddelasyncope.Fais-moiunpeud’air!Calebsursauta,seredressa,pourchavireraussitôthorsdulitlatêtelapremière.Jesecouailatête,
retenantunéclatderire.—Merde,jura-t-il.Bonsangde…Ilsereleva,semassant lefrontenmejetantuncoupd’œilassassin.J’yrépondisenhaussant les
sourcils.—J’aiessayédeteréveillerendouceur.—Ah,oui?fit-il,sceptique.—Oui.Puissesyeuxtombèrentsurmatenue,quienpleinjourparaissaitbienplusindécentequelaveille.
J’étaispratiquementnu.Ilseraclalagorge.Là,enpleinelumière,avecsonsibeauvisageetcecorpstoutchiffonné,seslèvresrougesangetsa
peaud’albâtre,j’avaisdumalàrésister.—Vienslà,dis-jed’unevoixrauque.Cen’étaitpourpersonne,commandéparpersonne,payéparpersonne.Çavenaitdemoi,demes
tripes,demonventre,demoncœur.J’avaisenviedelui,toutsimplement.Caleb s’installa doucement sur le bord du lit, inquiet.Un peu raide. Jem’approchai,m’asseyant
derrière lui, mes jambes contre les siennes. Je l’enlaçai, relevant les cheveux de sa nuque pourl’embrasser.—Jecroisquej’aimebientevoirlematin,susurrai-jeàsonoreille.—Moij’ensuiscertain,murmura-t-il.Il appuya sondos contremon torse,ne laissantpasuncentimètred’air entrenous. Il sentitmon
érectioncontresesreinsetsarespirationsefitplusrapide.Ilseraiditviolemment.—Çava,soufflai-jeàsonoreille.Jevaismetenir,promis.Ilrenversalatêtecontremonépauleetmesdoigtscaressèrentsajoue,sagorge.—Rafael?C’étaitunquestionnement,uneattente,unespoir.Unecrainte,mêmesi jene savaispas trèsbien
d’oùellevenait.Elleétaitlàquandmême.Calebétaitappuyécontremoietilnebougeaitpas.Ilmelaissaitfaire.Ilmedonnaitlepouvoir.Lepouvoirsurlui…Etçapouvaitfairesimal.Ouseulementluifairedubien.L’apaiser.Luidonnercequ’ilvoulait.
L’aimer?Est-cequejepouvaisl’aimer?Jemordissonépaule,souriscontresoncou.Lentementmesdoigtsvinrentseperdresursachemiseetj’ôtailepremierbouton.Calebsetendit
tellementets’appuyasifortcontremontorsequej’euspeurqu’ilneseglissesousmapeau.—Détends-toi,cowboy.—Attends,Rafael.Un second bouton, un troisième, et mes mains caressèrent sa peau, son ventre, mes lèvres
embrassèrentsoncou.Ilhaletaquandjem’approchaidesaceinture,coulaiundoigtendessousavantdel’ôteraussitôt,
repassantsursonjeanpourempoignersescuisses,etmeserraidavantagecontre lui. Ilsedétendit.Pourredevenirréticentà l’instantoùje touchaidenouveaulapeausoyeusedesapoitrine,glissantdoucement sur ses hanches, sur ses bras pour lui enlever sa chemise. Il attrapames poignets pourm’enempêcheretm’embrassasipassionnémentquej’oubliaideluidemanderdequoiilavaitpeur.Pourquoi…Ilgémitcontremes lèvresetçan’eutplusdu toutd’importance.Toutcequicomptait,c’étaitcetteenviedelerenverseretdemeblottirentresescuisses.Mon Dieu, je n’étais pas prêt pour ça. Pour l’absolue certitude de sa bouche qui cherchait la
mienne. Pour ce truc dans mon estomac, dans ma tête, partout, qui s’illuminait alors que jel’embrassaisenleserranttellementfortdansmesbras.Et je continuai toute lamatinée. Etmême l’après-midi, alors que jeme retrouvais, je ne savais
comment,étendudanslecanapédusalon,Calebcontremoi,entrainderegarderunépisodede«LaGuerredesÉtoiles»qu’ilavaitdûvoiraumoinsmillefois,vuqu’ilm’expliquaitchaqueséquencecommesijenepouvaispaslecomprendremoi-mêmeenécoutant.—Merde!m’agaçai-jeenentendantfrapperàlaporte.Jen’avaispasl’intentiondebouger.—Tunevaspasouvrir?s’étonnaCaleb.Non.ÇadevaitêtreAbou.Jeluiavaisfaitfauxbonddanslamatinéeetcen’étaitpasvraimentdans
meshabitudes.MaisjenepouvaispasemmenerCalebavecmoietjen’avaistoutsimplementpaslecouragedelequitter.Demain,jeseraisavecCharles,alorsjevoulaisprofiterdecettejournée,mêmesic’étaitlaseulequenouspartagerionsjamais.—Ilvafinirparpartir,soufflai-jedansl’oreilledeCaleb.J’avaisàpeinefinideledirequ’Aboumanquadéfoncerlaporteenhurlant:—Situn’ouvrespastoutdesuite,RafaelVentes,jevaischercherMama.Lamenacedem’amenerAmafonctionnaitàchaquefois.Surtoutparcequ’ill’avaitréellementfait
àplusieursreprises.Etquepersonnen’aimaitseconfronteraucourrouxdeAmaFinch.Calebhaussalessourcils,amusé.—Mama?répéta-t-il,moqueur.Jelerepoussaipourmeleveravantqu’Abounes’énervevraiment.—QuandturencontrerasAma,turirasmoins.GénieduMIToupas.Jelelaissaidevantlefilmettraînaidespiedsjusqu’àl’entrée.Quandj’ouvris,Aboupartitdroiten
avant,perdantl’équilibrequandsamainnerencontraquelevideaulieuduboisdelaporte.
J’explosaiderirecommejenel’avaispasfaitdepuisunmomentetAbouronchonna.—Apparemment,tuvasbien,s’énerva-t-ilenmepointantdudoigt.AunomdeDieuTout-Puissant,
pourquoi n’appelles-tu pas pour prévenir d’un contretemps ? Soli et Mac retournent la ville à tarecherche.Mamaaiguisesescouteauxettusaiscequeçasignifie?Tuestellement…Ils’arrêtasoudain,fixantunpointdansmondos.Ilabaissaaussitôtledoigt.—Salut,ditCalebennousrejoignant.Abougonflalesjoues,commechaquefoisqu’ilétaitprisdecourt.—Bonjour.Calebtenditlamain.—CalebBecker,seprésenta-t-il.Ons’estdéjàrencontréssurlecampus.—Oui,oui,jem’ensouviens,fitAbou.JesuislepasteurAbouFinch.Étonné,Calebsetournalégèrementversmoi.Jehochailatêtepourconfirmer.—Enchanté,monpère.Le visage de Caleb était devenu légèrement rouge et il avait perdu son assurance coutumière,
comme s’il venait soudain d’être pris en faute. Et dans un sens, c’était le cas. Il était dansl’appartementd’unepute,surprisparunreprésentantdenotreSainteÉglise.Pouruntexan,çadevaitfriserlecrimedelèse-majesté.Mabonnehumeurfoutaitsoudainementlecamp.QuandjemetournaiversCaleb,levisagenoiretlespoingsserrés,ilessayadesereprendreetde
cachersagêne.Maisc’étaittroptard.—Tusavaisquij’étaisavantdevenirici,lapremièrefois,Caleb!luibalançai-je.—Biensûrquejelesais.Jesuisjuste…étonné.—Qu’unpasteurs’enfassepouruneputedansmongenre?Calebplissadangereusementlesyeux,oubliantAbouettoutcequ’ilreprésentait.Ilseplantadevant
moietsacolèrem’impressionna.Elleétaitténébreuse,assezintimidante.J’enauraispresquebaissélesyeuxetreculaid’unpas.— Excuse-moi, Rafael, mais à Amarillo, les pasteurs ne sont pas si ouverts ! m’expliqua-t-il
vertement.Ilssontprêtsàbrûlerlepremiergayqu’ilsvoientsituveuxtoutsavoiretilsnem’ontpaslaissé de bons souvenirs, figure-toi. Il se trouve que celui de notre paroisse voyait en moi laréincarnationdeLucifer,parcequejen’avaisaucunpenchantpourlesfilles,etencoremoinspourlessiennes.Çan’astrictementrienàvoiravectoi,c’estclair!J’aijusteunpeudemal…Iljetauncoupd’œilàAbou.—…aveclareligion.Loind’êtrevexé,Abouhochalatête,compréhensif.—Moij’aiquelquesproblèmesavecleMITetHarvard,sivousvoulezsavoir.Maisjenevousen
tiendraispasrigueur.Jerepensaivaguementaufoyeretaucoupdemainquem’avaitdemandéAbou.Maisjenepouvais
détacherlesyeuxdeCalebetdesamâchoirecrispée.Jel’auraisbienembrassépourfairepassersacontrariété.Enmêmetemps,jevoulaisqu’ilsemetteenrogne.Jevoulaisqu’ilhurleetqu’ilexplose.Maisilsecontentadesoufflerungrandcoupetdereprendrelefildelaconversationcommesijenevenaispasdel’accuserdelâcheté,oudumoinsdequelquechosequis’enrapprochait.EtCaleb,derrièresesairsdegeek,possédaitlafiertédesTexans.
—Vousavezdessoucisaveclesuniversités?demanda-t-ilàAbou.Cederniertorditlabouche.—CellesdeCambridge,seulement.Caleb,soudainintéressé,setournafranchementversAbou,notredébutdedisputeoublié.—Jepeuxvousdemanderpourquelleraison,sicen’estpasindiscret?Aboumeconsultaetjehaussailesépaules.—Ilsveulentfairefermerlefoyerpourlesprostituésqu’Abouaouvert,expliquai-jeàCaleb.Le
maire avait donné les autorisations et, sous la pression des grands bonnets de Cambridge, il estrevenusursadécision.—Iln’enapasledroit.Calebsemblaitpresquechoquéetjetrouvaisanaïvetétouchante.Ilcroyaitquel’universtournaitde
lamêmefaçonpourtoutlemonde.Maiscen’étaitpaslecas.—Ledroitestunequestioncontroverséequandils’agitdeprostituésetdesdeuxuniversités les
plusréputéesdumonde.LefoyerdoitdéménageràQuincy.—Quand?Aboumefusilladuregard.—Aujourd’huimême.Jemesentaismalàl’aisetoutàcoup.—Vousavezbesoind’aide?proposaCaleb.—Ilsvonts’ensortir,dis-je.Enmêmetempsqu’Abourépondait:—Touteslesmainssontlesbienvenues.Jebouillaisdel’intérieur,refusantd’emmenerCaleblà-bas.—Tutedébrouillerassansnous,Abou,fis-je,catégorique.—Pourquoi?demandaCaleb.—Jeneveuxpasquetufouteslespiedslà-bas.—Pourquoi?insista-t-il.Caleb,aumilieudeputes?Rienqued’ypenser,j’enavaisdessueursfroides.Ilenétaithorsdequestion,bordel,ilfaudraitmepassersurlecorpsavant.Évidemment,vingtminutesplustard,nousyétions.— Salut, Rafael, susurra Antonio, l’un des pensionnaires d’Abou. Alors, tu nous amènes de la
viandefraîche?IlseléchaleslèvresenfixantCalebavecunintérêtnondissimulé.—Jet’amènemonpoingdanslagueulesitumetslamainsurlui,OK?sifflai-je.Antoniochantonnaenchaloupant.Iln’avaitpasfalludeuxsecondespourqueCalebdeviennelepointdemiredetoutlefoyer.Même
lesfillesvenaientsecolleràlui.Àcerythme,j’allaisfinirdingueenmoinsd’uneheure.Abou,moqueur,metapasurl’épaule.
—Ilvas’ensortir.Jejetaiuncoupd’œilderrièremoi.CalebaidaitSoniaàemballersesaffaires.Seslèvrescarmin
souriaienttellementqu’elleavaitl’airdevouloirlebouffer.—Tumepaierasça.—Quand tu veux. Et en passant, tu pourrasme dire depuis quand ce jeune homme envahit ton
appartement?—Depuisaujourd’hui.Etaprèscetaprès-midi,çam’étonneraitqu’ilyfouteànouveaulespieds.—Tul’asbienregardé,cegosse?Ilpassesontempsàjeterdescoupsd’œildanstadirectiondès
quetuasledostourné.Tufaislamêmechose,dureste.Jesecouailatête.—Pourcombiendetemps,Abou?luidemandai-je.Ilnesupporterapas…toutçaplusdequelques
semaines. Pour ne pas dire quelques jours, ou même quelques heures. Pour l’instant, il fait biensemblantdesemoquerdecequejefais.Maisiln’yarriverapaslongtemps.Ilesttropentier.—Laisse-luiunechance.Jemepassailamaindanslescheveux.—C’estcequejesuisentraindefaire,non?Mêmesij’ail’impressiondecommettrelapiredes
conneries.—Vasavoir!ritAbou.Peut-êtrequetutetrompes.S’ilsavaitcommej’auraisaiméqu’ilaitraison.Il nous fallut le reste de la journée pour tout transférer à Quincy, loin des bonnes âmes qui
n’auraientplusàs’écorcherlesyeuxsurlaliedelasociétébostonienne.Mêmesijenevivaispasaufoyer, jeneme faisaispasd’illusions.Si jecroisais l’undemesclientsà l’église, il tournerait lestalonsenmejetantunregarddégoûté.Mebaiser,oui.Prierdansunlieusaint,sûrementpas.Ilétaitplusdedix-neufheuresquandnousrentrâmesàl’appartementencoupdevent.Calebdevait
prendresonserviceaurestaurantunedemi-heureplustardetpasserchezluiavant,poursechanger.Ilattrapa son sac sur le canapé et nous ressortîmes en courant presque. J’appuyai sur le bouton del’ascenseur, alors qu’il essayait de sortir son portable, qui sonnait, de sa poche. Ce faisant, il fittomber son casque, sa veste et son sac, dont le contenu se répandit au sol. Je jurai, énervé par samaladresse.—Merde,Caleb !Oùsont tescentcinquantepointsdeQIquand il s’agitd’attraperunputainde
portablesanscauserdecatastrophe?Danslajournée,ilavaitréussiàsefairetomberuneétagèredessus,àpercuterunmeubledeplein
fouet,àcasserunelampedechevetetunsetd’assiettes,àécrasertellementdepiedsquepluspersonnene l’avait trouvé charmant. Il était tombé un nombre incalculable de fois, faisant regretter àAboud’êtrevenumedébusquer.Ettoutça,parcequ’ilpassaitsontempsàregardermesfesses.Etmaintenant,illâchaittoutsonbardaausolalorsqueDantesortaitdechezlui.—MonsieurVentes,unsouci?—Aucun.Merci.Nous finîmes de ramasser les affaires de Caleb et sautâmes dans l’ascenseur. Dante nous fixa,
jusqu’àcequelesportesserefermentsurnous.JemetournaialorsversCaleb,ilpercutamaboucheavantquejen’aieditquoiquecesoit.Ilm’embrassapassionnément.Jeris,passantlesmainsdanssescheveuxpourl’écarterdemoi.
—Onpeutsevoirdemain?medemanda-t-il.Monsourires’effaça.Voilà,c’étaitlafindecetinterlude.—Non,soufflai-jeenmedétournant.—Pasmême…—Non,Caleb.Jenesuispaslàdelajournée.Ildéglutit,blessésansvouloirmelemontrer.—Cesoir?demanda-t-ilavecprécaution.Notre histoire commençait à peine et, pourtant, elle était déjà entachée d’infidélités,
d’impossibilitésetdedouleur.Alorsqu’iln’auraitdûyavoirquelespalpitationsdelarencontre,lesrespirationscourtesdespremiersmoments.—Jeviendraitechercheraprèstonservice,OK?Ilhochalatêtesansrienajouter.Sansoserposerlaquestion.Justedemander,simplement:«Etque
vas-tufaireenattendant?».Enattendant,j’allaisvoirOlivierPetrov,unhommedequarante-cinqanstrompantsoncompagnon
parce qu’il ne voulait pas le salir avec ses petits vices. Mais avec moi, il n’avait pas tant deconsidération.J’étaislàpourçaaprèstout.J’observai Caleb et sa beauté me fit l’effet d’un coup de fusil en pleine poitrine. Jamais il ne
pourraits’imaginer,savoircequ’ilsepassaitunefoisquej’étaisenfermédanslachambrenoired’unhôtel.Ouattachéauxbarreauxdulitd’unemaisonvidepourquelquesheures.Ilnerestaitquemoi,offert.Etlesbonspayeursquivoulaientrentabiliserchacundescentsqu’ilsavaientdébourséspourm’avoir.Jeledéposaidevantlerestaurantetilm’embrassalégèrement,cessantdesedépêcherpourposer
sesyeuxd’ungrishypnotiquesurmoi.—Pourquoij’ail’impressionquetun’espluslà?Parcequec’étaitlecas.—Àplustard.Jeremismoncasqueetaccélérai.Moiaussi,jedevaisrepasserchezmoi,mechanger,récupérermesoutilsdetravail.Préservatifset
lubrifiant,sous-vêtementssexy.JeprisunedouchepourmelaverdeCaleb.Jenevoulaispasqu’Olivierpuisselesentirsurmoi.Je
nevoulaispasqu’ilpuisselevoirdansmonregard.Qu’illeperçoivedansmespensées.Jefrottaimapeau,encoreetencore,àl’arracher,àlafairedevenirrouge,àlabrûler.Etencore,
mescheveux,monvisage,mabouche.Mon sexe, lui, il ne l’avait pas touché. Caleb en avait eu envie, l’avait désiré si fort que c’était
commes’ill’avaithurlé.Était-cecelalevraidésir?Cebesoindelachairdel’autre,depossession?AvecCaleb,c’étaitcommeundouxfrémissementàlasurfacedel’eau.Petit,léger,maisquipouvaitprovoquerdesvaguesgigantesques.Était-cecelal’amour?Refoulantcespensées,jerepartisetdescendisaugarage,récupéraimamoto.Trenteminutesetj’étaisarrivé.J’avançai.
J’avançaiencore.Despasassurés,delonguesenjambées.Jeremontaiuneallée.Doucement.M’arrêtaidevantuneporte.Frapper.Attendre.Sourire.Etpuissoudain,unhommejusteenface.—Bonsoir,Rafael.Nepasreculer.—Bonsoir,Olivier.Pardonne-moi,Caleb.
20Calebétaitendormiàcôtédemoiquand jemeréveillai le lendemainmatin.Jesortisdu litavec
précaution,jetantunregardinquietauréveil.Jenel’avaispasbranché,persuadéquejen’enauraispasbesoin.Jenefermaispasl’œildelanuitlesveillesdemesrendez-vousavecCharles.Enfin,avantqu’ungénieauvisaged’ange,aucaractèrebientrempéetausourireassassin,s’invitedansmonlitetavecunetellesérénitéquejedormaiscommeunloir,soncorpslovétranquillementaucreuxdemesbrasetsonvisagenichédansmoncou.J’étais retourné le chercher la veille au soir à plus de minuit. Il était lessivé et je n’étais pas
d’humeuràparler.J’auraiscruqu’ilseraitviterentréchezlui.Maisils’étaiteffondrésurledosdansmonlitets’étaitendormiquelquessecondesplustard.Touthabillé,unefoisdeplus.Qu’est-cequ’ilcachaitsousseschemisesjamaisrepasséesetsespantalonsdélavés?Ce n’était pas aujourd’hui que j’allais le découvrir. Je devais partir dans vingtminutes si je ne
voulaispasarriverenretardchezCharles.JedéposaiunbaisersurlajouedeCalebetmerelevai.Jesursautai quand samain agrippamon poignet etme ramena dans le lit. Je retombai près de lui etCaleb, encore tout endormi, roula surma poitrine. Il se tint au-dessus demoi, ses yeux voilés desommeiletdebeaucoupd’autreschoses.—Tut’envas?chuchota-t-ild’unevoixrauque.—Oui,répondis-jeavecprécaution.Ilsecoualatête,plongeasurmeslèvres.Sonbaiserétaituneprière,unesupplique,uncriducœur.
Etjenevoulaispasqu’ilmeledemande.Parcequejenevoulaispasleluirefuser.—Reste.Lesmotsqu’iln’auraitpasdûdire.Commeautantdepoignardsquiseplantaientenmoi.—Jedoisyaller.J’essayaidelerepousser,maisilnebougeapas.Ilagrippamesmains,s’assitsurmeshanches,les
genouxdepartetd’autre.Ilyavaitdudéfidanssesyeux.Unelueurderancuneaussi.—BougeCalebouc’estmoiquilefais.Ilinclinalatête,sourit.Jeperdispatienceetlefisculbuter.Surpris,ilseretrouvasurleventreetje
m’assissursesfesses,maintenantsesmainsau-dessusdesatête.Ilessayaaussitôtdesedégager,prisdepanique.Ilétaitfort,plusquejel’auraispensé,maisjel’étaisquandmêmebienplusquelui.Jemepenchaisursonoreilleetluisusurrai:—Qu’est-cequetucaches,Caleb?—Laisse-moimetourner,Rafael.Oui, il y avait bien de l’angoisse dans sa voix. Ses doigts agrippèrent lesmiens, les empêchant
d’aller explorer ailleurs. Il tourna la tête et captura ma bouche, sans doute pour détourner monattention.Çamarchapresque.Jemereculai,leprivantdemeslèvres.Sesyeuxbrillaient.Jemerapprochai,maissansletoucher,
justepourgoûtersonsouffle,lesentirs’énerversousmoi,avoirenvie,perdrehaleine,chercheràseretourner.Jedégageaiunedemesmains,ilseraidit.Jelaglissaisoussonventre,ils’étrangla.—Jeveuxtevoir,dis-je.
Jemepenchaipour l’embrasserpassionnément, ilenroulasa langueautourde lamienne. Ilétaitvierge, jeune,unpeu fou.Enflamméet fort. Ilmevoulaitmoi.Et jedevraism’en souvenir, tout àl’heure,quandjeseraisàterrecommeunchien.Jemeredressai, ilseretournafaceàmoi,se laissachoirsur ledos, les jouesrouges, labouche
légèrementouverte.Jelacapturaiunedernièrefois.Quandjefilaiàladouche,ils’assitsurlelitetmeregarda.Etlorsquej’ensortis,sonregardétait
tournéverslafenêtre.Jenedisrien,maisposaimondoubledeclefssurlelit.Illevaalorslesyeuxsurmoietj’yvistoutesatristesse.Ilpritquandmêmelapetiteclefetlafittournerentresesdoigts,alorsquejereculaisverslaporteetquejerefermaisderrièremoi.J’avaisàpeinefaitdeuxpasquej’éprouvailebesoinderevenir.Jecontinuaipourtant.Sansmeretourner.Prenantdegrandesinspirationspourm’empêcherdefairedemi-tour.
21—Àl’heure!mefélicitaCharlesquileregrettapresque.Il se retint deme frappermême s’il enmourait d’envie.Ce serait pour plus tard.À la place, il
m’embrassaetjeluirendissonbaiser,résoluàfaireexactementcequ’ilexigeaitdemoi.—Comments’estpassétonrendez-vousavecleRusse?—Bien.Ilnem’avaitpasblessé,dumoinspasphysiquement,cequidécevaitgrandementCharles.Pasde
marques sur lesquelles se répandre cette semaine. Peut-être qu’il allait laisser tomber les torturespourunefois.Non,de touteévidence,m’avisai-jeenremarquant lesquelquesobjetsdéballésplus loin,surune
desserteenbois.J’enfrémis,redoutantlesblessuresqui,cesdernierstemps,allaientcrescendo.Étonnammentpourtant,ilnemedemandapasdemedéshabiller.Nidechoisirmoninstrumentde
torture. Non, il me prit lamain etm’emmena de l’autre côté, dans le salon, où brûlait un feu decheminée.Ilmetirajusqu’àl’âtre.Là,ilm’enlaçaetjenepusfaireautrementquedemeraidir.S’illeremarqua,ilneditrien.Ilétaittendre,etc’étaitbienplusangoissant.Cen’étaitpaslui.Cesgestesdoux,tropcalculés.Cette
gentillesse,commececalmeeffrayantavantlesplusterriblestempêtes.Ilmedésignaunfauteuiletjem’yassis,deplusenplusmalàl’aise.Lesflammesréchauffaientla
pièce,larendaientpresquedouillette.Ilnousservitdeuxverresdescotchetm’enoffritun.—Ànous,monamour.Iltrinqua,avecunsourire.Jebusunelonguegorgée.Puisuneautre.S’ilétaitencolère,jepréféraisencorequ’ilmegifle.Qu’ilmebatte.Qu’ilmebaisebrutalement.
Qu’ilannihiletoutesmesvolontés.Maisça,cettemiseenscène,c’étaittoutsimplement…Toutsimplement….Simplement…Jeclignaidesyeux,ensecouantlatête.Simplement…quoi?Jemesentis toutàcoupvaseux.Jebattisdespaupièresen fixantduregardmonverrevide.Puis
Charles,sonsourirequis’agrandit.—Qu’est-ceque…tum’as…Qu’est-ceque…tum’asfaitboire…Charlesrit.—Justeunpetitquelquechosepourquetutedétendes.—Pasbesoin…deça.—Ahbon?Tucrois?J’essayaidemelever,maisneréussisqu’àm’écroulerdenouveausurlefauteuil.—Jene…Charlesvintmecaresserlescheveux.
—Net’enfaispas,lemalaisevapasser.—Pourquoi?Il ricana et me poussa brutalement contre le dossier, posa deuxmains sur les accoudoirs et se
penchaversmoi,dangereux.—Pourquoi ? répéta-t-il durement.Parceque tu es àmoi.Et que je veuxque tunepensesqu’à
moiquandtuesici.Tucomprends?Ilattrapamonmentonetincrustadouloureusementsesdoigtsdansmesjoues.—Tuvasmecontenter,monamour.D’unemanièreoud’uneautre.Unedrôledechaleurengourditchacundemesmembres,brûlachaquegraindemapeau.Jemesecouai,cherchantàmedéfairedecettesensation.Charlesrigolaunebrèveseconde,avant
demegifleràtoutevolée.Caleb…Unedernièrepensée,puisl’enferserefermasurmoi.Cettedouleurdiffuse.Cesgémissementsincontrôlés.Cesriressadiques.Cesplaiesrouvertes.Iln’yavaitplusrienquejepuissefaire,plusrienquejepuissecacheraufonddemoi.Charlesavait
réussi.J’étaisànudevantlui.Sansdéfenses.Complètementàlui.Pendantdesheuresetdesheures,lespenséesembrouilléesetlecorpsenlambeaux.Encoreetencore.Uneminuteaprèsl’autre,etcesserd’espérer.Jem’étaistoujoursaccroché,jem’étaistoujoursdéfendu.Sicen’étaitphysiquement,j’avaisdressé
desrempartsentreCharlesetmoi,pourqu’ilnepuisseatteindrecequejecachaisaufonddemoi.Aujourd’hui,pourtant,ilyétaitparvenu.Jeletuerai.Oui…Unjour,jeletuerai…Quandj’émergeai,aumatin,cettepenséenem’avaitpasquitté.Ilétaitplusdedixheuresetj’étais
danslelit,nusouslesdraps,seulpourunefois.J’avaisunemigrainepirequ’unegueuledebois.Unearmée siégeait dansmon crâne et j’avais la bouche si sèche que j’aurais tout aussi bien pune pasavoiravaléunegoutted’eaudepuisdesjours.Mesmainstremblaientetmonestomacsesoulevait.Violé.Lemotraisonnadansmatête, je lechassaiaussitôt. Iln’yavaitpasdeviolpourun typecomme
moi.Iln’yavaitqu’unesoiréequiavaitmaltourné.IlétaithorsdequestionquejesoislavictimedeCharles.Mêmesij’étaisperclusdedouleuretquejegrimaçaisenrepoussantlesdrapspoursortirdulit.J’étaistellementencolère,tellementblessé,quej’enavaisdumalàrespirer.
Violé.Biensûrqueoui!Cen’étaitpaslapremièrefois,d’ailleurs.J’étaispayépourça!J’entendisCharlesdanslacuisine.Ilpréparaitlepetitdéjeunerensifflotantcommesinousvenions
depasserundimancheenamoureux,tranquillement,pelotonnésl’uncontrel’autredevantunfeudecheminé.Pourquoi?Pourquoim’avait-ilfaitça?Commesijeneluiavaispastoujourstoutcédé?Iln’avaitqu’àdemander,j’obéissais.Alorspourquoi…?Jemarchai vers la salle de bain et claquai la porte derrièremoi. Les sifflotements cessèrent et
Charlesmerejoignit.J’entraidansladoucheetouvrislesrobinetsenluitournantledos.—Tuauraispuresteraulitencoreunpeu,monamour.—J’aideschosesàfaire,Charles.Ilserapprocha.Jemeraidis.—Tonprochainrendez-vousestdanstroisjours.Jeudimatin.—Jeparledechosesàfaireautresquebaiser!Il s’arrêtadevantmavirulence.Sesvingt-quatreheuresétaientpassées. Jene luidevaisplus rien
cettesemaine.—Nemerefaisplusça,luilançai-jesansmeretourner.Oujetejureque…—Quequoi?mecoupa-t-il.Jecrispai lamâchoireet fisvolte-face.Charlesm’offrit sonair leplusassassin.Celuiquidisait
clairementqu’ilétaitprêtàtout.— Je t’en prie, mon amour, va-t’en. Il ne te faudra pas une semaine pour venir me supplier à
genouxdetereprendre.Ettusaispourquoi?—Jesais,oui,sifflai-je.Parcequ’ilmetenaitdelapiredesmanières.Parcequ’ilavaittouteslescartesenmains.Cellesqui
m’empêchaient de lui mettre mon poing en pleine mâchoire, de l’envoyer à terre et en sang, lelaissantcreversansleverlepetitdoigt.Lessecrets…Charlespossédaitcessecretsquiétaientcommedeschaînesàmespieds.Ilcroisalesbras,m’observantdehautenbas,alorsquejemelavaissansdétournerlesyeux,que
j’éteignaislesrobinetsetsortais,m’enroulantdansuneserviette,àquelquescentimètresdelui.Ilnebougeapas.—Tupensesvraimentquejenesaispasàquoiestduetapetiterébellion?laissa-t-iltomber.Ou
plutôt,àqui?Qu’il soit aucourantde l’existencedeCalebnem’étonnapas. Il étaitvenuchezmoiàplusieurs
reprises,chezCharlesparconséquent.EtDantel’avaitvu.Iln’yavaitpaseulamoindrechancequeçaneremontepasàsesoreilles,surtoutquandellestraînaientpartoutdanscettefichueville.Aumoins,jesavaispourquoiilavaitfoutuduGHBdansmonverre,hier.Sajalousieétaitcommesabrutalité,sanslimite.—Qu’est-ce que tu peux trouver à ungamindevingt et un ans, tout droit débarquéduTexas ?
Qu’est-cequecegossepourraittedonnerquejenetedonnepasmoi-même?Beaucoup.—Tuneveuxpasquejerépondeàcettequestion,Charles.Defureur,samains’envolaversmajoue.Jelabloquaiavantqu’elleneheurtemonvisage.—Tontempsestpassé,luirappelai-je.Jelerepoussaietilenfutvraimentchoqué;sansdouteparcequec’étaitlapremièrefoisquejele
faisais.C’était aussi la première fois qu’il tentait deme frapper en dehors des limites établies parnotreaccord.Maisc’étaitCharles,etilsereprittrèsvite.—N’oubliepasquetuesàmoi,Rafael!memenaça-t-il.Tourne-moiledosettuteretrouverasàla
rue,sansunsou.Jeruineraitouteslespersonnesquis’approcherontdetoi.Unparun,tuentends?Jesecouailatête,sidégoûtéquejemeforçaiànepasreculer.—Tumedoislavie!—Crois-moi,jelesais.Jerepartisdanslachambreetm’habillai.Charlesmesuivitd’unpasmesuré.—Souviens-toiquecettenuit,cen’étaitpaslenomdetonpaysanquetugémissais.Maislemien.—Tum’asdrogué,Charles!m’emportai-je.—Parcequetuesàmoi,siffla-t-il.Tuferaisbiendenepasl’oublier.Jenerisquaispasdelefaire.Ilsortituneenveloppedesapochearrièreetmelajetaauvisage.Jepartis,ensachantdéjàquela
prochainefoisseraitsansdouteencoreplusdouloureuse.L’équilibre devenait précaire.Bientôt, cette structure branlante se casserait la gueule et causerait
sansdoutepasmaldedégâts.C’étaitleprixàpayerpouravoirCaleb.Mêmesicen’étaitquequelquessemaines,quequelquesjours.Encoreuneheureoudeuxpeut-être.Unpeu…Justeunpeudelui.
22Jeroulaisansm’arrêterjusqu’àCambridge,leventfouettantmonvisage.J’avaisenviedehurler.
DeprendreCalebdansmesbras.J’enavaisbesoin.Jemegarainonloindudépartementd’aéronautiqueetd’aérospatiale,làoùCalebétudiait.Jesortis
un livredemoncoffreet trouvaiunbancpourm’y laisser tomber. Ilétait tempsderetournervoirBrooke,maispourl’heure,j’avaisencorequelquespagespourpatienterjusqu’àmidi.Jen’avaispasenviederetournerchezmoi–chezCharles–jepréféraisencoreresterdanslefroiddudébutd’hiver,sousquelquesglacialsrayonsdesoleil.Quandlesétudiantscommencèrentàsortir,jerelevailevisagesurlapetitefoule.Ilfallaitquejele
voie,que je le touche.Que jemeprouve seulementque jen’avaispas rêvé,queçaexistait encorepourmoi.Mêmesijemesentaismal,quej’avaislasensationd’êtreunimmondesalaud.Untraître.Ilm’aperçutdèsqu’ilentradansmonchampdevision.Étonné,ilralentit,faisants’arrêtersesamis,
quelques pas plus loin. Une jeune fille aux allures demadone et un petit rigolo avec une houssed’ordinateur.Calebneleurprêtaplusdutoutattentionlorsqu’ilseremitenmarcheversmoi–plusrapidement.—Rafael?—Enpersonne!souris-jeenposantunemainsursonbras.Je la retirai pour ne pas le gêner, mais Caleb s’en moquait, de toute évidence, puisqu’il
m’embrassaitdéjà.Jeluirendissonbaiser,unpeumalàl’aise,avantdel’écarterdoucement,saluantsesamisquin’enavaientpasperduunemiette.—Bonjour.—Salut,répondirentlesdeux,enchœur.Enyregardantdeplusprès,ilsavaientdestraitsfamiliers.Presquesimilaires.—JeteprésenteAmandaetLenny,meditCaleb.Etoui,ilssontjumeaux.—Maisjesuisbienplussexy,nousfitremarquerAmanda.Notez-lebien,meschéris.Pasdedoute,ellel’était.Lenny,lui,semblaitavoirtraînélesmêmesvêtementsdepuisdesjours.—Tuneseraispaslegénieeninformatiqueparhasard?demandai-je.Celuiquiaretrouvémon
adresse,monnumérodetéléphoneet,pourcequej’ensais,lenomdemonassurancemaladieetceluidemonmédecintraitant?Lennynecillamêmepas.—Jenesaisabsolumentpasdequoiilestquestion.Ilétaitpeut-êtreimbattableavecunordinateurentrelesmains,maispourlesmensonges,ilyavait
encoreduboulot.JemetournaiversCaleb,toutàfaitàl’aiseaveclefaitdem’avoirtraqué.Sesdoigtssenouèrent
auxmiensetj’eusl’impressiond’êtrepardonné.D’unefaçonoud’uneautre,ilvoulaitencoredemoi.—Tuascombiendetempsdevanttoi?Iljetauncoupd’œilàsamontre.
—Uneheure.Jeluitendislesecondcasque.Ilsouritetsaluasesamis.—Onsevoittoutàl’heure.—Ounon,semoquagentimentAmanda.Maisjenet’envoudraispas.Ellemeregardaetsouritjusqu’auxoreilles.—Bonsang,Amanda,larabrouasonfrère.—JeplaisanteLenny.Hé,tuasvraimentbesoind’unepetiteamie!—Étrangement,plusjepassedutempsavectoi,moinsj’enaienvie.—Ilfautvraimentquetuapprennesàtedétendre.Ils s’éloignèrent, se chamaillant deplus enplus fort,mais sans s’éloigner un centimètre l’unde
l’autre.Unedynamiquegémellairequejeneconnaissaispasetquim’intriguait.Assezpourquejelesobservequelquessecondesdeplus.Jepassaiunbras autourde la tailledeCaleb,unemaindans lapochede son jean. Il se racla la
gorgeenrajustantsonsacsursonépaule.—Tuasfaim?—J’aitoujoursfaim,rit-il.Oui,j’avaisremarquésatendanceàsejetersurn’importequoidecomestible,commeundrogué
enmanque.Undrogué…Jeplongeaiaussitôtmonnezdanssescheveuxtoujoursenbataille.—Hot-dogetfrites,çateva?Ilyauntypequienvend,pasloinduport.—OK.OK.C’étaitnormal,ça.Prendrelamoto,fileraumilieudesruesdeBoston.Lesentirderrièremoi.
Acheteràmangerpourquatre,alorsquenousétionsàpeinedeux.Marchercôteàcôte,l’écoutermeparler,s’asseoirauboutduport.Justepourpasserunmomenttouslesdeux.Luietmoi,sansriend’autre.Simple.Facile.—Çava?medemandaCaleb,plustard.Le temps était dégagé et, installé entre mes jambes, appuyé contre mon torse, Caleb regardait
l’horizon.Noussoutenantdemesdeuxmains,jefaisaislamêmechose,profitantseulementdel’avoircontremoi.—Çava,oui.—Tusemblesailleurs.—Jelesuissouvent.Iltournalégèrementlatêtepourm’embrasserlapoitrineetfrottersonvisagecontremont-shirt.
J’avaisbienfaitdeprendreunedouche.—Est-ceque…Ils’arrêta,hésitaetfinitparselancer.Jefermailesyeux.—Est-cequetuesblessé?Pascommeill’entendait.Jen’avaisnibleu,nibosse.Pascettefois-ci.
—Non.Ilsoupira,rassuré.Pourtant,iln’yavaitpasdequoil’être.—J’aimeraisquetumeparles…souffla-t-il.Tueslà,avecmoi,etjesaisquetuesbien.Mais…—Quevoudrais-tuquejetedise,Caleb?soufflai-jedanssoncou.Qu’es-tuprêtàentendre?Ilhaussalesépaules.—Toutcequetumediras,siçavientdetoi.Jeposaiunemainsursonmentonpourtournersonvisageversmoi.—Tucommencesàprendretropdeplace,dis-jecontreseslèvres.Tudevienstropimportant.C’est
dangereuxpourquelqu’uncommemoi.Ilposaunemainsurmanuque,jouaavecmespetitscheveux.—Jet’…—Chut,lecoupai-jeenposantundoigtsurseslèvres.Neledispas.—Pourquoi?—Parcequecen’estpaslemoment.Jenesuispasprêtpourça.Blessé,ilseredressaetseremitsursespieds.Jerenversailatêtepourmieuxleregarder.Ilenfouit
sesmainsdanslespochesetsetintsurlebordduquai.Ilrestaunmomentsansriendire,songeur.Jemecontentaidel’observer.—Tuaspenséàmoi?demanda-t-ilsoudain,sansmeregarder.J’auraispufairesemblantdenepascomprendre.J’auraispupartirsansriendire.Lelaisseravec
cettequestion,avecsaraideuretsadétressedesevoirtoujoursrejeté,alorsqu’ilfonçaitsanscesseversmoitêtebaissée.—Oui,avouai-je.Plusquejel’auraisvoulu.J’auraisaimélegarderloindetoutça,maisilrevenaitmehanter.Ilpivota,baissasonregardgrissurmoi.Marespirationdevintpluscourte.J’étaisbienplusàsa
merciquejeneleseraisjamaisdevantCharles.Parcequ’ilmanquaitl’essentielàcedernier,malgrétoutcequ’ilavaitréussiàmeprendre.Lescintillementdansmapoitrine.Lachaleurd’unsentimentimpérissable.Calebs’agenouilladevantmoi,posalesmainssurmesbras.Jemeredressaietglissaimesdoigts
danssescheveux.—Jepenseàtoitoutletemps.Jel’embrassai,caressaisoncou.J’écartaidoucementsont-shirt,ilm’échappa.J’inclinailevisage,
perplexe.Ilserecula,jeleretinsetleramenaicontremoi.—Qu’est-cequetucaches?Ilsecoualatête.—Tudorshabillé,réfléchis-jeàvoixhaute.Tuaimesquejetetouche,maispastrop.J’aid’abord
crutuavaisjustebesoindetemps.Maiscen’estpaslecas,n’est-cepas?Alorsdequoias-tupeur?—Jen’aimepasqu’on…—Tunesaispasmentir,l’arrêtai-je.Alors,autantcommencerparlavérité,Caleb.Je posai la main sur ses fesses, puis plus haut. Il se raidit une nouvelle fois. Quand je passai
lentementsousletissudesont-shirt,ildevintaussiblancquelamort.Etpuisjemerendiscomptedelagranulositésousmesdoigts.Desapeaufripée,qui faisaitcommedespetitsvallonsetdespetitscreux.Çapartaitdesesreinsjusqu’aumilieudesesomoplatesetcouraitsurtoutsondos.—Tuasétébrûlé,compris-je.—Jesuismoinsbeauquetulepenses.—TunesaispascequejepenseCaleb,lerepris-je.Cen’estqu’unebrûlure.Ilrittristement.—Cesontdesbrûluresetdesgreffesdepeau.Etcen’estpasquesurledos.Maissurl’arrièrede
mesjambes,mescuisses.C’est…Ilbaissalatête.—Tuestellementmagnifique.Etmoi,sansmesvêtements,jeressembleàunmonstre.J’enauraisrisijen’avaispaslutantdedouleurdanssonregard.—Sijecomprendsbien,tavirginitén’estpasuniquementdueàtesétudesetauxfureursdestexans
homophobes.—Enpartie,si.Ilsereleva,jelelâchai.—Maisc’estvrai,j’aidumalàmeregarderdansuneglace.Alorslaisserunautre…Ilsedétourna.Jenebougeaipas.—Quandjet’aivuavecBrandon,cejour-làsurlecampus,j’aieuenviedem’enfoutre.Jemesuis
dit,«tantpissitueslaid,ilnelesaitpasencore.Etilnelesaurasansdoutejamais.»—Tun’espaslaid,Caleb.—Tun’ensaisrien,tun’aspasencorevu.Jemeremisdeboutetmeplantaidevantlui.—Si,jetevois.Jetendisunemainverssescheveuxetlesécartaidesesyeux.Sublimes.—Jetevoismêmetrèsbien.Jel’attrapaiparleshanchesetlefitreculer,lemangeantduregard,dévorantsabouche,soufflant
sursonvisage.—Parfaitementbien.Ilfinitparsourireetjesusqu’ilallaitlediredenouveau.Etcettefois,jeneleretinspas.—Jet’aime,Rafael.—Tum’aimes,répétai-je.Jeris,frottantmondébutdebarbedanssoncou.—Tunemeconnaispasdepuisassezlongtempspourm’aimer.—D’accord,semoqua-t-il.Alorsjenet’aimepas.Jemordissonoreille.—Tufaisdéjàmarchearrière?—Pourl’instant,c’esttoiquim’obligeàreculer.
Ausenslittéral,ilavaittoutàfaitraison.Jelepoussaiseffectivementverslamoto,puisquel’heureétaitlargementdépasséeetqu’ilétaitdéjàenretard.—Tuasratétonpremiercoursdel’après-midi.—Çavalaitlecoup.—Jeneviendraiplustevoirsurlecampus.—J’espèrebienquesi.J’ôtail’antivoletrécupérainoscasques.Jeluitendislesien.—Jevienstechercheraprèstonservice,cesoir?Ilsemorditlalèvre.Ilsavaitqu’enrepassantlaportedemonappartement,j’allaisluifaireôterses
fringuesavantqu’iln’aitpuprotester.J’avaisenviedesapeau,qu’importaitàquoielleressemblait.C’étaitlasienne.Soncorps.Lui.—C’estquej’aipasmalde…—Tupeuxétudierchezmoi,non?C’estdéjàcequetufais,d’ailleurs.Il se lécha la lèvre inférieure, cherchant lemoyen de s’esquiver. Je lui pris lementon entre les
doigts.—Caleb,luidis-je,taseuleautreoption,c’estdetournerlestalonsetdeneplusjamaismerevoir.
Etj’aidéjàessayédetefairepartir,tuesquandmêmerevenu.Alors,ilvafalloirassumermaintenant.—OK,serésigna-t-il.Jegrimpaisurlaselleetilsecaladerrièremoi.Jedémarraienfaisantcrisserlespneus.Nousquittâmesleportdésert,lesoleilquisereflétaitsurl’eau,lecielbleusansnuage,lesrayons
quibrillaientsurlasurface.Laissant ce que nous étions – prostitué, brûlé – pour filer droit en avant. Je slalomai entre les
voitures,àdroite,àgauche,mecourbaidanslesvirages,amenantnosgenouxtropprèsdubitume.Aujourd’huinousétionsimmortels.Nousétionsvivantsetensemble.—Plusvite,soufflaCaleb.Alors j’accélérai, mettant nos vies en suspens. Rien que quelques minutes, se faire bouffer par
l’insouciance,nosrires.Cettelégèreté.Nouslaisserporter.Loin.Toujoursplusloin.Làoùtoutrecommencerait.Encore.Passeraufeuorange.Saluerlesvoituresquiklaxonnaient.Nousmettreendanger.Unpeu.Uneseconde.
23Calebavaitappelépourm’avertirqueceneseraitpasnécessairequej’aillelechercher,qu’ilme
rejoindraitplustardqueprévu.Subtilefaçondesedéfiler.Maintenantquesonsecretétaitdévoilé,ilallait effectuer un repli prudent. Je n’en étais pas étonné.Après tout, je n’étais pas la personne lamieuxplacéepourlerassurer,pourluidonnerconfiance.Jen’arrivaismêmepasàprendresoindemoi,toutjustesijeparvenaisàmaintenirlatêtedeMachorsdel’eauetàentretenirmonamitiéavecAbou, Ama et Soli. Alors le traumatisme d’un étudiant surdoué ! Je n’aurais probablement faitqu’empirerleschoses.Jet’aime,Rafael.Oui,ill’avaitdit.Maispeut-onaimerunprostitué?Réellement?Jevidaimonsecondverredelajournée,leremplisaussitôtenjetantuncoupd’œilsurl’horloge
poséesurlehautdel’armoire.Uneheuredumatin.Ildevaitêtreentraindedormir,alorsquej’étaislàcommeuncon,avachisurmoncanapé,espérantencorequ’ilviendrait.J’étaistendu,surlesnerfs,àfleurdepeau.DepuisqueCharlesm’avaitdroguépourm’arracherun
désir fictif, je ne pensais qu’à me perdre contre la peau de Caleb et m’abandonner à la bonnepersonne.Ceseraitvraicettefois-ci.Ceneseraitpasnéd’unemoléculebrillammentmiseaupointparunchercheurtimbré.—Rafael?Jeme levai d’un bond, chaviraimonwhisky etm’entravai presque dansmes pieds. La voix de
Calebavaitsurgidirectementdansmondoset,enmeretournant,jelevisjustelà,deboutderrièrelecanapé, les mains dans les poches. Il semblait moins débraillé que d’habitude et beaucoup plusanxieux.—OK,soufflai-jeenlefusillantduregard.Tunepouvaispasfrapper,toutsimplement?Sa chemise noire épousait à la perfection son torse bien dessiné, son jean n’avait aucune tache
d’encre,n’étaitpasélimé,nitroué,justeparfait,tombantsurseshanchesetmoulantsescuisses.—Jel’aifait,mais…Ilrougitenavisantmonair;jenecherchaismêmepasàcachercequ’ilm’inspirait.L’alcoolavait
abolilamoindredemesretenues,àsupposerquej’enavais,etilétaithorsdequestionquejepenseàdemain.Ilétaitlà,c’étaitlanuitetj’avaisenviedelui.Cen’étaitcommandéparpersonne.Exigéparpersonne.Justeluietmoi,jusqu’àl’aube.Monregardsevoilaetjecontournailecanapépourmerapprocher.—…tun’aspasrépondu,continuaCalebenreculant.Ettum’asdonné…Ilpercuta lemursansdouceuret jeposai lesmainsdepartetd’autredesa tête, sans le toucher,
mais l’emprisonnantquandmêmedansmesbras, rapprochantmeshanchesdessiennes, lesfrôlant,observantseslèvrespleines,rougesetsiaccueillantes.—…tum’asdonnélesclefs,finit-ilenhaletant.Rafael?—Caleb,répondis-je,d’unevoixrauque.
Il n’y avait aucune peur et aucun dégoût. Juste de l’anticipation, l’envie de découvrir ce qu’ilcachait,deledévoiler.—Tuesbeau,susurrai-je.Avantqu’ilnemecontredise,jelefistaired’unbaiser.Undeceuxquivousrendentamnésique.Qui
vousfontoublierlesdoigtshabilesquiouvrentvotrechemise.Etboutonaprèsbouton,jedécouvrissontorse,annihilanttouteprotestation,toutecrainte,demeslèvressurlessiennes,demalanguedanssoncou,demabouchesursesépaules.Bientôt,levêtementglissaausoletCalebrestacollécontrelemur. Mais ce n’était pas encore important. Je passai mes mains sur ses omoplates, ses reins,rencontrantsesanciennesblessures,lasensationgranuleusedesgreffes.Ilgrimaçaenbaissantlatêteetjepenchailamiennepourcapturersonregard,sesirisd’unambregrisquej’aimaistant.J’arrivaiàlaceinturedesonpantalonetpassaidessouspourcaresserlanaissancedesesfesses.Ici,
sapeauétaitdouce.J’abaissai lafermetureéclairet jefisglissersonjeanjusqu’ausol, lamonnaiedanssespochescliquetantsurlescarreaux.Doucement,jem’agenouillai,luiôtantlaseulechosequiluirestait,soncaleçon.Sonsexepointa
aussitôtdansmadirection.Jemeléchaileslèvres,enl’observant,longetlourd.Doréetgorgé.Calebfermalesyeuxetrenversalatête,respirantencoreplusvite.Ilseraiditquandjecaressaisesmollets,l’intérieurdesesgenoux,l’arrièredesescuisses,làoùles
brûluresavaientfaitdesravages.Combienavait-ilsouffertpourqu’elleslaissentdetellescicatrices?Je caressai son érection, y laissai traîner ma langue lui arrachant un cri étouffé, avant de me
redresser. Je reculai, le tirai avecmoi, le forçantà s’exposer. Il résista légèrement,puismesuivit,blancetrésigné,commes’ilconnaissaitlasuite.—Rafael,souffla-t-ilquandjelecontournai.Il m’empoigna le bras pour m’en empêcher, mais je passai quand même dans son dos, me
retrouvantdevantcequ’ilcachaitsiardemment.Jen’eusmêmepasuneseconded’hésitation,pasunsursautdedégoût,avantdeposermeslèvressursanuque,aumilieudesesomoplates,léchantlelongde lacolonnevertébrale, retombantà sespieds,mordillant ses fesses,déposantdesbaisers sur sescuisses.C’était comme si je l’avais toujours su.Levoir nemecausani choc, ni déception. Il étaitCaleb.C’était lui.Dans toute sa splendeur,magnifié par ses propres blessures, portant ses proprescicatrices.Ilnebougeapasd’uncentimètreavantquejemerelèveetquejemeretrouveenfacedelui.Jepris
sonvisageencoupe,soufflaisurseslèvres:—Tuestoutsimplementparfait.Sesyeuxbrillèrentetilm’embrassa.Ilpassalesbrasautourdemoncouetsesjambesautourdema
taille.Jeluidonnaiunautrebaiser,nousemmenantdanslachambre,oùjelâchaiCalebsurlelit.Ilretombasurlesoreillers,lesjouesrouges.Jemedéfisdemont-shirt.—Fais-moil’amour,murmura-t-il.Lesmainssurmabraguette,jem’arrêtai.—Tuveuxquejetebaise?Ilsemorditlalèvre,rougitdevantmavulgarité.—Oui.
Jedéglutis,laissanttombermonpantalon.— C’est que… Je n’ai pas vraiment… Caleb, ce n’est pas ce que je fais d’habitude… Je suis
plutôt…Ilseredressasurlescoudes.—Caleb,ladouleur…—Fais-moil’amour,mesupplia-t-il.Jemefrottailefront,m’asseyantsurleborddulit,posantunemainsursacheville,remontantvers
l’intérieurdesacuisse.—Jenesaispas,Caleb.—Jeteveuxcommeça,souffla-t-ilquandmamainfrôlasonérectiondure.Enmoi.Moiaussi,jelevoulaiscommeça.Alorsjem’étendissurlui,mélangeantmesjambesauxsiennes,retrouvantsabouche,sapeau,nos
sexessefrôlant.Jelesprisdansmamainetlescaressailangoureusement.Ilgémitetsecambrasurlelit, je tendisunbrasvers la tabledenuit, tirai sur le tiroir et en sortis préservatif et lubrifiant.Endéroulantlelatexsurmoi,j’hésitaisencore.Jen’étaispascertain…—Viens,Rafael.Ilfinitdeglisserlacapotesurmoiavecuneagilitéalarmante.Jehaussailessourcils.—Tuestropdouépourunnovice.—Jemesuisentraîné.Samainjouaitdemoietjen’avaisrienconnudeplushypnotiquequeça.—Surmoi,rougit-il.Jel’embrassaifurieusement.Je lui trouvai encore plus des allures de félin, sa silhouette longue et puissante, ses épaules
musclées, ses bras fins mais forts, ses cuisses athlétiques. Son ventre plat, sa poitrine imberbe,blanchecommelanacreetsestétonspointés.Jelesmordillai,attachantsesjambesderrièremondos.Jepoussaicontresonpoing,glissantentresesdoigtscommejeleferaisbientôtenlui.Justeypensermanquamefairechavirer.Depuisquandétais-jedevenusisensibleàdesimplescaresses?Depuisquec’estluiquimelesdonne.Iln’yavait rien làquejen’avaisdéjàfait.Mais tous leshommesquej’avaisconnusdisparurent.
Charlesdisparut.IlnerestaqueCaleb.Etc’étaitdenouveaumapremièrefois.Labonne,laseulequicomptait.Ladécouvertedesoncorps,desessouffles,desesbattementsdecœur.—Mets-toisurleventre,monange.Jeluimordisl’oreille.—Fais-moiconfiance,monCaleb.Iln’yarienentoiquejeneveuillepas.Iln’yarienquejene
trouvepasmagnifique.Ilplongeadansmesyeux,cherchantquelquechose,unecertitudepeut-être.Etpuis,doucement,ilse
tourna.Jeluiécartailesjambes,caressaisondos,l’embrassai,massaisescuisses,sesfessesetpuis,avec douceur, je redressai sa croupe, l’obligeai tendrement – toujours tendrement – à se cambrer.
Oui,maintenant,ilétaitsublime,offert,aimant,confiant.Là,maintenant,jepouvaistoutluiprendre.Outoutluidonner.Cen’étaitqu’unequestiondechoix,aprèstout.Je lubrifiaimesdoigts et le caressai.Caleb frissonna, de crainte et de désir.L’undemesdoigts
s’immisçaen luiet l’intrusion futgênante, intime–si intimeetpersonnelle.Parcequenousétionsensemble. Pas seulement l’un profitant de l’autre, mais lui avec moi, et tout prit un ton plusconfidentiel,secret,quelquechosequenoscœurssemurmurèrent.—Rafael,haleta-t-il.—Oui.J’entraienluid’unelonguepoussée.Ils’accrochaàlatêtedulitencriant.Jepassaimesbrassous
lessiensenretenantmonsouffle,chavirantenlui.Riennepouvaitêtreaussibon.Aussibeau.Aussijuste.—Caleb,haletai-jequandilseredressa.Ilsemitàgenouxdevantmoi,unbrasautourdemoncou.Jem’assissurmestalons,lesmainssur
seshanches,leretenantunpeu.Maisilforçaetjem’enfonçaiplusloin,mordantsonépaulepournepashurlerdeplaisir.Dedésir.Desatisfaction.C’étaitlapremièrefois…Lapremière…Nos poitrines se soulevèrent rapidement, nos gémissements s’intensifièrent, nos cœurs
s’emballèrent.Nous prenions lamesure de nos sentiments, de ce qui allait suivre, de ce que nousavionsdéjàréussiàconstruire.Malgrétout,malgrémoi.Puiscefurentnoscris,nosmains,noscorpsaccrochésl’unàl’autre.Etsoudain,iln’yeutplusd’espace,plusd’endroitoùnouscacher.Voilà.Nousyétions.Dévoilés.
24Jemeréveillaiàsixheuresdumatin,ilfaisaitnuit.Laplaceétaitencorechaudeàcôtédemoi,mais
Calebavaitdisparu.Entendant l’oreille, j’entendisdespagesse tournerdanslapièced’àcôtéet jesourisenmesouvenantdecefameuxdevoirqu’iln’avaitpasterminé.Jeseraisbienrestéaulit,maissanslui,c’étaitbienmoinsintéressant.Jerepoussailescouvertures
ensoufflant.MauditsoitcefichuMIT!Calebs’étaitétalésurlatablebassedusalon.Ellenesevoyaitplusendessousdetouscesmanuels.
Quantaucanapé,derrière,cen’étaitpasmieux.Ilcroulaitsouslesfeuillesetcahiersremplisd’untasdecharabiaquejenetentaimêmepasdedéchiffrer.Entailleursurletapisdusalon,Calebécrivaitenjetantuncoupd’œilàdroite,etpuisàgauche,cherchantuneinformationouuneautre.Jemepenchaipar-dessus ledivanet lui embrassai lanuque. Ilne s’arrêtamêmepas, continuant
commesisavieendépendait.—Jevaisfaireducafé!lançai-je.Jen’étaispascertainqu’ilm’aitentendu.Jemetraînaidanslacuisine,récupérantunjeanéchouésurunfauteuiletunpullàcolrouléque
j’avais lancésurunechaise. Jenepassainicaleçon,ni t-shirt. J’avaisbien l’intentionde retournerdansmonlitplustard.Jebranchailacafetièreetjetaiuncoupd’œilàmontéléphoneposésurlecomptoir,prèsdemon
paquetdecigarettes.Ilclignotait.Jem’allumaiuneclope.Jen’écoutaisjamaismesmessages,ninelisaislesSMSdureste,maisjevérifiaistoujoursquim’appelait.C’étaitsouventCharles.OuAbou.SoliouMac,parfois.Etplusrécemment,Caleb.Aujourd’hui,c’étaitAbouquiavaittentédemejoindreà…quatreheuresdumatin?EtSoliaussi,
plusieursminutesplustard.EtencoreAbouetAma.EtSolidenouveau.Soudain,monsangsefigeaetlemondesemitàtournerauralenti.Ledernierappeldataitd’unedemi-heure.J’appuyaisurlatouchederappeletAbouréponditdanslaseconde.—Jesuisenbasdecheztoi,m’apprit-il.Jemonte.—Qu’est-cequ’ilya?m’écriai-je.—Jemonte,répéta-t-il.Jejetailetéléphoneetmeruaiverslaporte.Calebredressalatête,abandonnantsescours.QuandAbouentradansl’appartement,ilavaitlestraitstirés,leteintpâlemalgrésapeaunoireet
lesmainstremblantes.Jemefigeai.—Mac?m’étranglai-je.Jene levispas,mais je le sentis.Caleb,prèsdemoi, samain surmondos, alorsque, lesyeux
fermés, je revoyais défiler les numéros dans le journal d’appel demon portable. Ils avaient tousappelé.SaufMac.EtCharles.MaisAbouneseraitpasdanscetétatpourlui.Alors…—Oùest-il?déglutis-je.—Vienslà,meditAbou.
Il posa unemain surmon épaule, je bondis en arrière, heurtant Caleb. Il passa aussitôt un brasautourdemataille,jefrissonnai.—Calme-toi,Rafael.Tutrembles.—Mac?sifflai-je.—Àl’hôpital,m’expliquaAbou.—Qu’est-cequi…—Ilaétébattu.—Parqui?criai-je.Abousecoualatête.—Onnesaitpas.—Etpersonnen’apenséàluidemander?Aboupassaunemaindanssesmèchescrépues.—Ilestdanslecoma,Rafael…Dansle…quoi?Cen’étaitpaspossible.Unsouriresuffisant,unemainlevéeau-dessusdemoi,menaçante,ettoutescesfoisoùj’aipeinéà
mereleveraprès…Lesalopardde…Ilallaitpayerpourl’avoir…Ilallait…—Quelhôpital?demandai-jeenrécupérantmesclefs.—Attends,Rafael,essayademeretenirCalebenmevoyantpassermavesteetprendremoncasque
àl’entrée.Calme-toiunpeuetlaisseAbou…—QUELHÔPITAL?Abounecillamêmepas.Calebfermalesyeux.—AuBostonGénéral.Je quittai l’appartement comme un furieux, abandonnant l’ascenseur pour prendre l’escalier. La
rageauventre,jemeprécipitaidanslegaragedel’immeuble,sautaisurmamotoetfilaienfaisantcrissermespneus,manquantderentrerdansplusieursvoituresenm’insérantdanslacirculation.JeroulaiversBeaconHill.Etversl’hommequitenaitnosviessifragilesentresesmains.Jejuraisquej’allaisletuers’ilétait
responsabledel’étatdeMac.Jejuraisqu’ilnes’ensortiraitpascommeça.Jejuraisdemettrelefeuàsamauditemaisons’ilavaitosés’enprendreàlui.Jeneprismêmepasletempsderéfléchir.Mêmepasdeuxsecondes.Jefonçaitêtebaissée,obnubilé
parlavengeance,larancœur,lescoups.Ceuxqu’avaitreçusMac,ceuxquej’avaisreçus,moi.Toutsemélangeait.Etjenesavaismêmepluspourquijelefaisais.Pourlui.Pourmoi.Pourtouslesautres.Ignorantencorequ’AbouetCalebmesuivaientenvoiture,jedérapaidevantleportailenferforgé
gris.Jedescendis,laissantmamotosansantivol,jetantmoncasqueprèsdelaroue.J’entrailecodeetremontai l’allée, traversant un jardin trop grand et trop coloré, gravis les marches d’unemaisonimposante et récupérai une petite clef qui traînait toujours dans ma veste. J’ouvris sans frapper,fonçantdroitverslachambre.Aupassage,jerécupérailabattedebase-ballderrièrelaportedusalon.Charles sursauta quand la porte claqua contre lemur, faisant également bondir son compagnon
d’unenuit.Puisilécarquillalesyeuxquelquessecondesenmevoyantmeruerdroitsurlui,labatte
pointéeverssatête.J’allaisletuer…MaisCharlesnebronchapas.Ilsepermitmêmedesourire.—Jesuistoujoursravidetevoir,monamour,minauda-t-il.Maisquemevautceplaisir?Monamour…Justepourça,jepourraislefrapper.Le…—Est-cequetul’asvu?crachai-jeviolemment.Mac?Est-cequetul’asvuhiersoir?—Bienquecelaneteregardepas,bébé,sachequejenevoisplusMacdepuisquejel’aiinstallé
danssonappartement.Selonnotrenouvelaccord.Ilhaussasessourcilsépilés,jetauncoupd’œildansmondosetsouritencoredavantage.—Jesuishonorédevotreprésencedansmonhumbledemeure,pasteurFinch.De lavôtreetde
celledeMonsieurBecker.Et je leseraisd’autantplussiquelqu’unvoulaitbienmedirecequ’ilsepasse?Abandonnantlepetitbrunterrifiédanslelit,Charlesseleva,nullementgênédesanuditéetenfila
unpeignoir.—Jaloux?Ilmejetaunregardamusé,s’attendantàmevoircillerdevantlaprésenced’unautrechezlui.Mais
jem’enfoutais;jem’enétaistoujoursfoutu.J’inclinailatêtedangereusement.—Non,soupira-t-il,dramatique.Tunel’esjamais.Etc’esttellementdommage!Lamâchoirecrispée,jelefixaiduregard.Maisnon,biensûrquenoncen’étaitpasluiquiavaitenvoyéMacàl’hôpital.Iln’auraitpasl’airsi
amusé si c’était le cas. Charles risquait gros s’il envoyait une pute ad patres. Son conseild’administrationferaitexplosersonsiègedePDG,quecesoitluiquiait,ounon,créécetteboîte.Jejetailabattedebase-ballausol,Charleshaussaunsourcil.Puissoudain,jelesentis.Derrièremoi.Caleb.Jemeretournailentement,horrifiédelevoirlà.—Qu’est-cequetufouslà?sifflai-je.—Tu…Maisilnecontinuapas,sonregardd’ambregrispassapar-dessusmonépauleversl’hommequise
tenait derrièremoi.Et le voir là, dans cette chambre, près deCharles, là où j’avais connu le pire,l’horreur,làoùj’avaisvendumonâme,làoùjem’étaisbrisétantdefois,écorché,saigné,merenditmalade.EtMacàl’hôpital,etAbouenfacedemoi.EtCaleb,ici…Cefuttrop,beaucouptrop.Jeledépassaietquittailachambre,refusantdeleregarderunesecondedeplus.Pasici,pasdans
cettemaison.—Rafael,m’appela-t-il.—Pasmaintenant!
Jeclaquailaported’entréeensortant,mesjambesrefusantd’allerplusloin.Jem’écroulaisurlesmarchesduperron,latêteentrelesgenoux,retenantmeshaut-le-cœur.BonDieu,cen’étaitpaspossible!Etpuisleursvoix,danslacuisine,s’élevantparlafenêtrerestéeouverte.CelledeCharles,calculatrice.—CalebBecker,jesuisenchanté.—Etvousêtes?réponditl’intéressé.Unsilence.PuisAbou.—CharlesKennedy.—Jepeuxmeprésentertoutseul,Finch.—Allezvousfairevoir,ordure!—Toujours aussi poli. Franchement, jemedemande comment vous conservez votre place dans
cetteéglisequevouschérissez tant.CecherGoraaurait-ildéteintsurvous?Unreprisde justiceasouventlelangageleste.Jevoulaispartir.Jevoulaisresteretécouter.J’auraisdûm’éloigner.J’auraisdûempêcherCaleb
d’entrerici.J’auraisdûnejamaislemêleràmavie.Àtoutesmespeines.EtMac.Danscethôpital.AvecAma.—Voussavez,MonsieurBecker,jeseraispeinéqu’unélémentsibrillant,unétudiantsiprometteur,
mette sa future carrière en danger. Je me suis renseigné sur vous. Le doyen duMIT ne tarit pasd’élogesàvotresujet.Vosprofesseurssontravisdevousavoiretilsvoientenvousl’élémentquivarévolutionnerlaNASA.Queldommagesitoutcelaprenaitsubitementfin.—Vouslemenacez,Kennedy?sifflaAbou.—Simpleremarquepréventive.—EtvouspensezquemettreuneépéedeDamoclèsau-dessusdematêtevam’éloignerdeRafael?
demandaCaleb,d’untonsuffisant.Il rit, d’un rire froid et hautain.Quelque chosequime fit redresser la tête et tendreunpeuplus
l’oreille.— Vous devriez vous renseigner un peu mieux, Monsieur Kennedy, lui balança-t-il. Parce que
commevousl’avezsouligné,jesuistrèsintelligent.Vouspouvez,àlarigueur,mefairevirerduMIT.Bienquej’endoute,parceque,commevousl’avezsijustementdit,jesuisunélèvetrèsbrillantdontledoyenn’aimerapasseséparer.Maisensupposantquevousyarriviezquandmême,sachezquej’aiétéacceptédanstouteslesuniversitésoùj’aifaitmademandedemaîtrise.DeStanfordàSingapour.—Tantquevousn’êtesplusàBoston,susurraCharles.— Je vois, fit Caleb, sombrement.Mais il y a les avions, les trains, les bateaux, vous savez. Et
mêmesansça,j’auraisencoremesjambes.—Ilestàmoi,sifflaCharles,menaçant.Jeretinsmonsouffle,prêtàrejoindreCaleb,àlesortirdecettemaison.Maisunefoisdeplus,il
mesurprit.—Rafaeln’estàpersonne,lecontreditCaleb.Etjetrouveraiunmoyendevousl’arracher.Même
sipourça,jedoisrenoncerauMIT.ÀlaNASA.Ouàn’importequoid’autre.
—Cen’estqu’unepute!perditpatienceCharles.—Espècedesalopard!gueulaAbou.Il y eut du bruit, comme le son d’une casserole qui tombe au sol. Je bondis surmes jambes à
l’instantoùlaportes’ouvrit.Aussitôt,unbraspassaautourdematailleetjereconnuscettechaleur.CelledeCaleb.—Allezviens,mesouffla-t-ilenm’éloignantdechezCharles.IlfautallervoirMac.Etilm’entraîna,laissantCharlesetAbouderrière.J’allaispayertrèschercetaffront…Trèsbientôt.Dèsquejeverraiscettemaisondenouveau.—Tun’auraisjamaisdûvenir.J’avaisenviedel’emmenerchezmoi,delemettresousunedoucheetdelelaverdecetendroit.—Çaira,mepromit-il.J’auraisaimélecroire.
25Macétaitsousrespirateur,plongédansuncomaartificiel.Sonvisageétaittellementabîméquejele
reconnusàpeinesouscettemyriadedebleus.J’étaisassisprèsde son litdepuisdesheuresmaintenant, tenant samaindans lamienne, lisantà
voixhauteunarticled’undecesmagazinesqu’ilaimaittant.Jenevoyaispastropcequ’ilpouvaityavoirdesipassionnantàêtreaucourantdespetitesmaniesdeBritneySpearsetdeladernièrefoliedeLadyGaga,maisjen’étaispasMac.Caleb,aprèssonéclatchezCharles,m’avaitaccompagnéàl’hôpitalpuisavaitfiléauMIT.Ilétait
repassé àmidi avec des sandwichs pourAma etmoi, avant de repartir en courant.Ama l’adorait,mêmesielleneparlaitpasbeaucoupensaprésence.Elleétaitpudique, il lui fallaitdu tempspours’ouvrirauxautres.—Cetenfantestuneperle,medit-elle,unefoisCalebreparti.Cen’étaitplusunenfant,mêmesisadégained’étudiantdébrailléluidonnaitdesairsjuvéniles.—C’enestune,oui.—C’estbien.—Jen’ensaisrien.Elletricotait,laissantsesmainstravaillersansyprêterattention.—Maissi,tulesais.JecaressailamaindeMacetsoufflai,repensantàlaconfrontationavecCharles.Commentavais-je
puêtreaussiidiot?Charlesn’auraitpasrisquédemettrefinànotreaccord.IlavaitbesoindeMac.L’envoyeràl’hôpitaln’avaitaucunsenspourlui.Maisalorsqui?Undesesfournisseurs?Unqu’iln’avaitpaspayé?Unhomophobe?Undeces
maladesquis’enprenaientauxprostitués,justepourleplaisir?J’avaisbesoind’uncoupable.Quequelqu’unpaiepourça.J’avaistoujoursvoululeprotéger.Etilétaitquandmêmedanscelit,sousmonitoringcardiaque,
inconscientdepuisdesheures,ayantfaillimourirsurlatabled’opérationàcaused’unehémorragieinterne.Ilavaitunecommotionetlarateexplosée.Etmoi, pendant qu’il se faisait passer à tabac, j’apprenais le bonheur avec Caleb. Je n’arrivais
mêmepasàleregretter.—Net’enveuxpas,meditAma.Tun’espasresponsable.Jerissansjoie.—Alors,quil’est?—Ceuxquiontdonnélespremierscoups.—Ilestsi…vulnérable.Etseul.Amasecoualatête.—Ilt’atoi.—Lapreuve,dis-jeavecrancœur.
Il n’y avait qu’à voir où il se trouvait pour comprendre qu’il n’avait pas grand-chose.Quejen’étaispasgrand-chose.J’auraisdûluiéviterça.Jecaressaidoucementsescheveuxroux,regrettantdenepasvoirsesyeuxvertss’ouvrir.Dedans,
ilyavaitl’enviedevivre,etl’enviedesedétruireaussi.Beaucoupdecomplexité.—Tucroisqu’ilvas’ensortir,Ama?—J’ensuiscertaine,monRafael.Mesyeuxmepiquaient,brillaient,maisjerefusaisdepleurer.Ilétaitenvieettantqu’ilétaitenvie,
ilfallaits’enréjouir.Maisn’avais-jepaspensélamêmechose,quandjeveillaismamèreetqu’ellepriait?N’avais-je
pascruqu’elleseraitépargnée?Alorsqu’ellemouraitchaquejourdavantage.Elleétaitpartiequandmême.—Çavaaller,meditAma.Ellecontinuaàtricoter.JeserrailamaindeMac.Ilnebougeaittoujourspas.
26—Jenecomprendsrien,Caleb!seplaignitSolipourlaénièmefois.Etpourlaénièmefois,Calebinspiraprofondémentpournepass’énerver.Iln’avaitpasl’âmed’un
professeur,ilmanquaitdepatience.Ilétaitsurtouttropintelligent.Lesmathématiques,pourlui,c’étaitd’une logique imparable. Ça coulait de source. Alors que pour Soli, c’était simplementincompréhensible.—Çafaitdeuxheuresqu’onestsurcetteopération.Unpeuplusenfait.Nous étions samedi, le dernier que nous passerions dans cette chambre d’hôpital. Mac sortait
aujourd’hui,aveclabénédictiondesesmédecins.Ilallaitbiendepuisqu’ils’étaitréveillédesoncoma,dixjoursplustôt,deuxsemainesaprèsson
agression.Iln’avaitplusdeplaies,plusdebleus,plusdebosses.Ilétaitguéri…Dumoins,enpartie.Il semblait de nouveau égal à lui-même. Ses yeux verts pétillaient, même si l’obscurité derrièresemblait avoir pris plus de place. Il agitait toujours lesmains quand il était contrarié, haussait lessourcilsquandilétaitperplexe,souriaitàdemiquandilsemoquait.Enlevoyantjeterdescoupsd’œilrieursàSolietCaleb,quisebattaientpourquelquesopérations
alorsqu’Amasoupiraitànousfendrelecœur,j’auraispresqueoubliéquedepuisqu’ilétaitréveillé,iln’avaitpasprononcéunseulmot.Pasunson.Pasunmurmure.Mêmepasuncri,lesnuits,quandlescauchemarslerattrapaient.Rien.Uneaphasiequesonmédecindisaittemporaire.—C’estsafaçondeseremettredutraumatisme,nousavait-ilexpliqué.Laissez-luidutemps,soyez
présentssanslepresser,ettoutreviendraàlanormale.Ilajustebesoindepatience.Lapatience.Unevertuquisemblaitfairedéfautàchacund’entrenous.MêmeAbounel’étaitpas
vraiment,malgrélessermonsqu’ilrécitaitledimancheàl’égliseavecsarobeetsoncolblanc.—SoliFinch,vas-tuécoutercequeteditCaleb,unebonnefoispourtoutes?s’énervaAma.—MaisMama,jene…—Situdisunefoisdeplusquetunecomprendspas,jevaismeleverdecettechaise!Lamenacefitsonpetiteffetetjemeretinsderire.Calebrepritsesexplicationsenlevantlesyeux
auciel,sedemandantsûrementcommentilenétaitarrivéàenseigneràungaminbutédedix-huitans,alorsqu’ilavaitunsacremplidemanuelsàétudieretuneflopéededevoirsàrendre.AssissurlelitàcôtédeMac,épaulecontreépaule,j’observaimonbeauTexanavecuneadmiration
silencieuse, un éblouissement bien dissimulé derrière mes airs débonnaires et un désir qui mesemblaitencoreétrange.Deleressentircommeça,justeenlevoyant,enl’écoutant.Macmedonnauncoupsurlebrasetmefitlesgrosyeux.—Quoi?luidemandai-je.IlpointaCalebdumentonetsourit.Jeplissailesyeux,renfrogné.—Désolé,maisjenepigepascequetuveuxmedire.Biensûrquesi.Maissijecommençaisàinterpréterlemoindredesesclignementsd’œil,iln’allait
plusfairel’effortd’ouvrirlabouche.Macmejetasonmagazinesurlapoitrineetcroisalesbras.J’enfisautant.— Ce qu’il essaie de te dire, baragouina Caleb, le visage penché sur le cahier de Soli, c’est
d’arrêterdemeregardercommeça.—C’estclair!ricanacedernier.C’estindécent.—Tunesaisriendel’indécence,SoliFinch!Alors,concentre-toiplutôtsurtesdevoirs.—Saufquejenesaisriennonplusdel’algèbre,Mama.Amalaissatombersontricotsursesgenouxetjoignitlesmains.—Aunomduciel,maisoùestpasséAbou?Mac hocha la tête vivement, se le demandant aussi. Il avait hâte de quitter cette chambre pour
retrouver son appartement. J’aurais préféré qu’il vienne chezmoi, aumoins pour quelques temps.MaisCharlesétaitcapablede lui fairepayerceprivilègedont lui-mêmenedisposaitpas.Çaaussi,c’étaitdansnotreaccord.Ilnesepointaitjamaisdevantmaporte.Maisgardaitunœilsurtousceuxquis’yprésentaient.GrâceàDante.—Turecommences,marmonnaCaleb.—Àquoi?demandai-je.Je savais très bien à quoi. À le regarder, à espérer un moment de solitude, mais de solitude
partagée.ÀoublierdemainetCharles.HieretValence.Ànepaspenserquec’étaitencoreMonsieurKennedyqui avait réglé les frais hospitaliers deMac.Même si c’était de façon détournée, puisquej’avais gardé mon enveloppe les trois dernières semaines. La comptable de l’hôpital avait étéstupéfaite de me voir sortir tout ce liquide de mon sac pour payer le séjour de Mac au BostonGénéral.Commentaurions-nousfait,sijen’étaispassortitroissoirsparsemaine?Etmêmesiçadevenait
deplusenplusdurpourCalebdemelaisserfaire,luinonplusn’avaitoffertaucuneautresolution.Alorsjecontinuais.Mêmesi,chaquesoir,lessilencesdeCalebsefaisaientdeplusenplusaccusateurs.Il avait toujours su.Dès le début. Etmoi aussi. J’avais accepté de n’avoir ce bonheur que pour
quelquetemps.Etd’êtreconscientquejefiniraisparleperdre.Alorsoui,jeleregardais.Avantdeneplusenavoirl’occasion.Abounous rejoignitenfinavec lespapiersdesortiedeMacetcelui-cibonditdu lit, attrapant sa
petitevaliseetsonmanteau.—Attendsunpeu,monchou,lerappelaAma.Noussommesaumoisdenovembre,iltefautune
écharpeetunbonnet.Tiens.Elle lui remit l’unet l’autre,deuxdeceschefs-d’œuvrecolorésqueMacaffectionnait tant. Il les
passaetjeluifisunclind’œil.—TevoilàprêtàdéfilerpourlaMarchedesfiertés.Il portait les couleurs de l’arc-en-ciel, ça lui allait bien. Il paraissait plus jeune,moins abîmé ;
moins vulnérable aussi. Même si ce n’était qu’un leurre, bien sûr. La stabilité de Mac était aussifragilequemarelationavecCaleb.—AllezMac,enavant,lepressaAbou.Oujepourraisoublierl’undesdixcommandements,sije
resteiciuneminutedeplus.
—Lequel?demandaSolienrangeantsescahiersavecbeaucouptropd’empressement.—Tunetueraspoint,soufflasombrementAbou.Caleb récupéra sa besace et tira sur sa chemise. Elle était légèrement remontée, découvrant une
bandedepeaud’unblancnacréquimedonnaitenviedeposerleslèvresdessus.Nousdescendîmesjusqu’auparkingetjeprisMacdansmesbras,luiébouriffantlescheveux.—Jet’appellecesoir,tun’aurasqu’àtapersurlemicropourmerépondre.Etpuisjevienstevoir
lundi,OK?Calebluitapasurl’épaule.—Jeviendraidemain,d’accord?Illeditd’unefaçonquimefitgrimacer.Jeviendraidemain.Sous-entendantqueluiseraitlàetque,
moi,jenepourraispasl’être,puisqueCharlesseraitentraindemebaiser.JesaluailesFinchetm’éloignaiversmamoto.JeladémarraietCalebgrimpaderrièreàl’instant
oùj’accélérais.Ilrestamuet,immobile.Jemecontentaideconduire.Enarrivant,ilsemitaussitôtàsesmanuelsetjemeretinsdeluidirequ’ilpouvaittoutaussibien
travaillerchezluisic’étaitpourmelancersescoupsd’œilfurieux.Jepensaisavoirétéclairdèsledépart.Iln’avaitjamaisétéquestionquej’arrêtedemeprostituer.C’étaittoutsimplementimpossible.Charlesavaitmisdescadenasàmeschaînesetilétaitleseulàenposséderlaclef.Et puismerde !Où serais-je, si je ne l’avais pas croisé, cette nuit-là, dix ans plus tôt. Je serais
encoredanslarue,sûremententraindefairepirequeça.AlorsqueCalebcroyait-il?Jeleconnaissaisdepuisseulementdeuxmois!Jemevendaisdepuis
desannées.C’étaitmavie.Cequej’étais.—Jevaisaubureaudetabacenbas.—Tudevraispenseràarrêter,dit-ildoucement.Jemefigeai.—Quoidonc?luibalançai-je,mauvais.Laclopeouletapin?LestylodeCalebs’arrêtanetsurlafeuille,puistombasuruncahier.Ilrelevasessibeauxyeux;
ilsétaientcommeunetempêted’été.Chaudsetterrifiants.—Peut-êtrebienlesdeux.—Etpourquoiferais-jeça?crachai-je.—Lefaitquetuledemandesestuneréponseensoi!Ilfermalivresetcarnets,balançaletoutdanssonsac.—Tuattendsdemoiquelquechosequejenepeuxpastedonner,Caleb.—Tunesaismêmepascequej’attendsdetoi,Rafael.Tunel’asjamaisdemandé!J’écartailesbras,excédé.Cemoisàl’hôpital,àveillerMac,às’inquiéterpourlui,ànevivrepratiquementqu’enpensantà
lui, avait ébranlébeaucoupde choses.Enmoi, enCaleb.Etmême si, dansun sens, nous en étionssortisplusproches,dansl’autre,celaavaitcreuséunfosséentreluietmoi.Parcequecertainssoirs,jepartais.Etqu’ilmevoyaitmerenfermersurmoi-même,entamerlestockdepréservatifsdestiroirs
demasalledebainetrevenirdesheuresplustard,lahontemedonnantenviedeboire.J’auraisvoululemettreàlaporte,cesjours-là.Maisilrestaitmalgrétout.Commes’ilcherchaitàmechoquer,àmemontrer que ce que je faisais l’atteignait.Mais sans jamaisme le dire. Sans jamais prononcer lesmots.Jusqu’àaujourd’hui.Jusqu’àmaintenant.—Trèsbien!Qu’est-cequetuveux,Caleb?—Jeveuxquetuarrêtes.—Non,répondis-je,catégorique.—Pourquoi ? souffla-t-il. Ça ne peut pas être qu’une question d’argent ! L’altruisme ne va pas
jusque-là,OK?QuetuaideslesveuvesetlesorphelinsenoffranttoutcequetedonnecetenfoirédeCharlesn’estpasune raisonvalabledecontinuerà teprostituer.Cen’estpasqueça.Alors quoi ?Commentiltetient?Commentceconnardt’yoblige?Jerécupéraiunbilletdanslacoupoledel’entrée,refusantdepoursuivrecetteconversation.—Çaneteregardepas,Caleb!—Ahnon?perdit-ilpatience.C’estvrai!Cesontvospetitesaffaires,àtoietàCharles.Maispeut-
êtren’as-tupastellementenviedelequitteraprèstout?Lamainsurlapoignéedelaporte,jemeretournai.—Dequoitum’accusesaujuste?—D’aprèstoi?Calebarrachasonmanteaududossierducanapéetlepassa.Jerevinsverslui.—Oùvas-tu?demandai-je,dansunecolèrenoire.—Jem’envais.—Tut’envas?articulai-je,lapoitrinesoudainserrée.Maintenant?Ilcontractalamâchoire.S’ils’enallait,jenelereverraispasavantdeuxjours.Etencore…Lundi
soir, il travaillerait et après, il y avait cette soirée donnée par sa fraternité. Ilm’avait proposé del’accompagner,maisj’avaisrefusé,netenantpasàmeretrouverdevantBrandonouunautredemesclients. Jem’étais faitbaiserparpasmald’étudiants friqués.Cequi, l’undans l’autre, repoussaitàmardi.Mardi…Oujamaisd’ailleurs,s’ilpartaitsiencolère.Peut-êtrequ’ilmequittait.Peut-êtrequec’étaitdéjàlemoment.Non!Ilenfilasesgants,nouasonécharpe.—Queveux-tuquejetedise?demandai-je,prisdepanique.— Rien pour l’instant ! souffla-t-il d’une voix blanche. Là, je crois que j’ai juste besoin de
m’éloigner.—Tut’éloignestoutelajournéequandtuesauMIT,non?Cen’estpassuffisant?Ilsecoualatête,sonregarddevintpresquenoir.—Tuveuxqu’onparledeteséloignementsàtoi?fit-il,blessé.Delàoùtoi,tuparslesoir?Les
nuits?Lesdimanches?
Ilpassasonsacsursonépaule,remontalafermeturedesonmanteaujusqu’aumenton.Sesmainsplongèrentdanssespochesenpoingsserrésetlesmiennesfourragèrentdansmescheveux,cherchantàleretenir.Nousrestâmesunmomentl’unenfacedel’autre,sansriennousdire.Iln’yeutquenossoufflessaccadésetnoscœursdéchirés.Puisilavança,mepassadevantetouvritlaporte.—Jet’appelle,dit-iljusteavantderefermer.Etjefixaiduregardlebattantclos,sanspouvoirnibouger,niparler.Sanspouvoirréagir.
27Desheuresplustard,j’étaisencoreàmedemandersijedevaisluicourirderrière.Ouallerfrapper
à son petit studio minuscule pour lui demander pardon. Ou si je devais lui envoyer un message,l’appeler.Si jedevaism’excuseràgenoux.Jepouvaismemettreàgenoux,après tout, je le faisaissouvent.Alorspourquoipasdevantlui.Les relationsdecouple, jen’ycomprenais rien,c’étaitmonalgèbre.Quand il s’agissaitdenous
envoyer en l’air, je gérais tout à fait. Je savais comment réagir une fois que nos peaux nues sefrôlaient.Jeplongeaisenlui,etc’étaitcommeunaveu.C’étaitcommeun«jet’aime»,leseulquejesavaisprononcer.Maisapparemment,c’étaitloind’êtresuffisant.Malgrétoutelatendressequejemettaisdansmes
gestes. Malgré la force de mes sentiments, la singularité de nos caresses, la particularité de nostouchersettoutcequilerendaitunique.Nevoyait-ilpasquelesautresn’étaientrienquedesheurestarifées,quedesaberrations,unmoyendetouslesprotéger?Etquimesauve,moi?Je finis par quitter l’appartement àmon tour. J’appuyai sur le bouton de l’ascenseur et attendis,
priantpourqueDantenesortepasdechezlui.Jem’engouffraidanslacabineetlesportesserefermèrent.Jesaluailegardienensortant;commed’habitude,ilmesourit.Aubureaudetabac,j’achetaitroispaquetsdecigarettes,unbriquetetdeuxdecesmagazinespeople
queMacadorait.Etpuis,ilyavaitcetterevuescientifiquequeCaleblisaittouteslessemainesetjelaprisaussi,commepourdéfierlesort.Elleviendraitrejoindrelehautdelapilequ’ilavaitlaisséesurlatabledenuitdelachambre.Incroyablelenombredechosesqu’illaissaittraînerpourmerappelersaprésencequandiln’était
pas là.Et jen’avaispasenviede remonter toutde suiteetd’être seulaumilieudecespetits riens,disséminésauxquatrecoinsdemonappartement.Jemarchai sans but etme retrouvai dans un bar, devant uneGriffin’s Bow à regarder le match
qu’avaientperdulesPatriotslaveille,àécouterunvieuxtubedePortishead.Vucequedonnaientlesgarssurleterrain,cettemélodietristeetdésespéranteétaiteneffetbienchoisie.Ellecadraitavecmonhumeur.Jevidaimapremièrebouteilledebière,puislasecondeetlatroisième,etuneautreavantlafindu
match.Jequittailebaretmeremisàmarcher.Jepassaiparlabibliothèque,maisBrooken’étaitpaslà.Ellenetravaillaitqu’unsamedisurdeuxet
aujourd’huin’étaitpaslebon.Jem’assisquandmêmeàunetable,danslasalledelecture,pensantàunautrejour,àsonregardsifrancetsonsouriresisincère.Jenel’avaispasencoreblessé.Ilétaitencoreentieràcemoment-là.Lesoleildéclinaitquandjerepartis,lesjambesankyloséesd’êtrerestéesimmobilessilongtemps.LanuitétaittombéequejedéambulaistoujoursdanslesruesdeBoston,errantàdroiteetàgauche,
nesachantpasoùaller,oùmesentirbien,oùmeréfugier.
Jemesentaisseul.ChezAbou,jemebuteraisàunmur,puisqu’ilétaitcommeCaleb,ilattendaitquej’arrête.Comment
pourrait-il savoir que siAman’avait pas été expropriée, c’était parce queCharles avait racheté laplupartdesmaisonsduquartier?Si seulement il n’y avait que ça…Mais non, bien sûr que non… Si Charles me soumettait si
facilement, c’était parce que d’un seul coup de téléphone, il pouvait les ruiner, anéantir leurs viesaussi facilement qu’il avait détruit lamienne.Avec l’argent, venait le pouvoir, et Charles en avaitbeaucoupàBoston.Alorsnon,jenepouvaispaslaissertomber,mêmepourCaleb.Etmêmesijelevoulaisplusque
tout.Àseizeans,j’avaiseubesoind’untoitsurmatête.Dequelqu’unquis’occupedemoi.Etj’avaiscru
longtempsqueCharlesétaitcettepersonne.Ilmefaisaitmal,maisilétaitleseulàêtrelà.Ladouleurétaitdevenueuneconstante,jem’yétaisaccroché.Àdix-sept ans, j’avais rencontréAbou,et avec lui, la forcede l’amitié, la compréhensiond’une
famille.J’avaisdenouveaueuquelquechoseàperdre.EtCharless’enétaitservicontremoi.Pourmegarderquandj’avaisessayédelequitter.Ilavaitridemesefforts,avançantsespionsunparun,memettantenéchecàchaquefoisqueje
tentaisunenouvellemanœuvre.Aujourd’hui,j’étaismat.Etj’avaiscouchémonroidepuisbienlongtemps.Unautrebar,uneautrebière.Etpuisunverredewhisky,deux,trois…Etquatre.Ilétaitvingt-deuxheuresetj’avaispromisàMacdeluitéléphoner.Etsaouloupas,unepromesse
était une promesse. Je farfouillai dansma poche, déposai un billet pour le serveur et sortis sur letrottoird’unedémarchemalassurée.JesortismontéléphoneportableetappelaiMac.Ilréponditàlapremièresonnerie,commes’ilattendaitmoncoupdetéléphonedepuisunmoment.—Salut,bafouillai-je.Un bip retentit à mon oreille. Je supposai que ça voulait dire bonsoir ou quelque chose
d’approchant.Jem’écartaipourlaisserpasserunebandedefêtardshurlants.—Unbippouroui,etdeuxpournon,marmonnai-je.OK?Unbip.—Bien.Çava?Unbip.—Tuessûr?Unbip–quidura.Jeris.—Pasdevertige,demauxdetête,de…Deux bips agacés. Je haussai les épaules et tournai au croisement. Je traversai la rue et un
automobilistemanquademerenverser.C’estcequiarrivaitquandoncoupaitlarouteàunevoituredesportlancéeàtoutevitesse.Lamortnedevraitpasêtresiterrible.Ilyavaitpire.Lavieétaitbienpire.—Ilm’aquitté,dis-jesansréfléchir.Peut-êtreparcequeMacnepouvaitpasvraimentmerépondre.Peut-êtreparcequej’avaisenviede
leluidire.
—Ilestparti…Justecommeça.Juste…facilement.Deuxbips–trèslongs.—Biensûrquesi.Jenesuisqu’unprostituéquirefusederenonceràsespasses.Jenesuisqu’un
salaudqui le trompepouruneenvelopperempliedebilletsverts.Merde,après tout, ilafiniparserendrecomptequejenevalaispasgrand-chose.Ilestintelligent,ilauraitfiniparlecomprendretôtoutard.Deuxbips,encore.—J’aitropbu,jesuisencolèreettuneveuxpasmeparler,Mac.Avectoiaussi,j’aifaitn’importe
quoi.J’auraisdûteforceràresterdanscefoyer,àarrêteretà…Jenesaispas…Tupeuxtesortirdecettemerde,toi.Unbip.—C’estbien,soufflai-je,voyantunpeutrouble.C’estvraimentbien.Jepassaisousunlampadaireetm’arrêtaipourjeteruncoupd’œilàl’immeubled’enfaceetàla
fenêtreducinquièmeétage.Elleétaitéteinte.— Caleb n’est même pas chez lui, soupirai-je. Je suis ivre… je m’en veux, je me sens…
dégueulasse,Mac.Saleetindigne.Jen’aiplusaucunefierté,plusaucuneraisondenepasbaisserleregard.EtjesuisquandmêmeàBrightonpourlevoir.Etlui…Luin’esttoutsimplementpaslà…Deuxbips–trèslongs,puisuntroisième,unquatrième.Unefrénésiedebips.—Jenecomprendspas,Mac.Unsoupir,puislebruitdeportesquiclaquent.Etsoudain,unsonquiraisonnaàmonoreilleetqui
disait:—Qu’est-cequ’ilya,Mac?Caleb…—Ilestcheztoi?Unbip.—Jevois,sifflai-je.—Mac?répétaCaleb.Pendantquejecrevaisdedouleurdansmoncoin,ilétaitpartichezMac.Apparemment,jen’étais
paslabonnepute.Aumoins,avecMac,ilyavaitencoredel’espoir.—OK,Mac.Jevaistelaisser…Jecroyais…Laissetomber,d’accord…Desmillionsdebipsetunautrebruit,unesuccessionde«aïe»et…—Allô?ditCaleb.Jemefigeai.Cettevoix,elleavaittoujoursfaitvibrermapoitrine.—Allô?répéta-t-il.Quoi…Attends,Mac…Écris,jenepigepas…Oui…Unsilence…Jeserrailetéléphonedetoutesmesforcesdansmesmains.—Rafael?finit-ilpardireavecprécaution.C’esttoi?—Oui,déglutis-je.Letempssesuspenditetjenevoyaisplusrienqu’unmensonge.—Jesuisdésolé.
—Cen’estpasgrave,articulai-jeavecdifficulté,évitantdelaissertropdedouleursedéverserdanscesquelquesmots.Tuauraisdûsimplementledire,Caleb.—Direquoi?s’étonna-t-il.Medirequoi?Jefermailesyeux,repensantàtoutescesjournées,cesheuresoùilavaitveilléMacavecmoi,et
sansmoi,lorsquej’étaisailleurs.—Jenecomprendspasdequoituparles,Rafael.Jen’avaispaslaforcepourcetteconversation.J’avaisbesoindetrouverunpub,n’importelequel
etdeviderunebouteilleentière.Encore.—Salut,Caleb.Unefeuillequ’ondéchirait,puisunsouffleétranglé.—Attends,Rafael…Jeraccrochaiavantqu’ilaitfini.Letéléphonesonnaaussitôt,maisjenedécrochaipas.Jelejetai
danslapremièrepoubellequejecroisai,lelaissanttombertoutaufond.Voilà,c’étaitfini.Çadevaitbienarriver.JeneméritaispasCaleb.MaisMac,si.C’étaitunepersonnebien,quiavaitducœurauventre,qui
souriaitencoremalgrétoutcequ’ilavaitvuettraversé.Quelqu’unquiavaitlavolontédechanger,derecommencer,desedébattrepours’ensortir.Moi,j’étaisattachésanspossibilitédemerelever.Charlesavaitparfoislabontédedesserrermes
liens,maisjamaisdelesenlever.Etpendantunmoment,j’avaisdusoleil,unegrandelumière,delabeauté.Seulement,ellen’éclairaitquemapropremisère.Jem’écroulaisurletabouretdupremierpubsurlequeljetombaietn’enbougeaiplusjusqu’àdeux
heuresdumatin.Etseulementparcequelebarmanmevirapourfermer.Jeruaiunpeu,l’insultaietmeretrouvaisurletrottoirfaceàdeuxgrosbalaisesprêtsàendécoudre.Jericanai.—Vousplaisantez,lesgars?L’unétaitplusgrandquemoi,l’autrepluspetit.Ettouslesdeuxaussimassifs.Maislespluslourds
n’étaientpasforcémentlesplusdangereux.Calebm’avaitdétruitenquelquesmotsetilpesaitdixbonskilosdemoins.Alorss’ilsvoulaientsebattre,qu’ilsviennent.J’avaisbesoinquequelqu’unpaiepourtoutceque
cettesalopedeviemefaisaitendurer.Autantquecesoiteux!—Lequelenpremier,chantonnai-je,dansantd’unpiedsurl’autre,titubant.Çalesamusa.Pasautantquemoi.Leplus grand se lança, tendit le bras pourmepousser et se retrouva face contre terre quelques
secondesplustard.J’eusplusdemal àmedébarrasserdu second. Ildonnaquelquescoupsunpeu tropbienplacés,
dontunquim’ouvritlalèvreetunautrequiatteignitmajoue,ylaissantunjolihématomeaupassage.Unechancequ’ilnedevaitqu’aufaitquejenem’étaispasbattudepuislongtemps.MaisleKravMaganeseperdpascommeça,etj’envoyailedeuxièmeausolquelquesminutesplustard.
Malèvrecoupéesaignaitdansmabouche.Jecrachaiparterre,résistantàl’enviedeleurbalanceruncoupdepieddansleventre.Jepartissansmeretourner,laissantlesquelquesbadaudsquis’étaientarrêtésprendresoindeces
crétins.Sanslemoindreregret.Lemoindreremord.J’auraispurentrerchezmoi,maissi jem’endormaismaintenant, jenemeréveilleraisplus,etje
devaisêtrechezCharlesàneufheures.Êtreenretardavaitdesérieusesconséquences.Dansmonétat,j’envenais presque à réclamer les coupsde fouet, dematraque, de ceinture. J’envenais presque àdésirercestorturesquiavaientungoûtdepunition.Cettenuit,j’avaisl’impressiondelesmériter.Detoutmériter.Il était quatre heures dumatin quand j’arrivai à BeaconHill, avec cinq petites heures d’avance.
Charles nem’envoudrait pas.C’était exactement ce qu’il voulait d’ailleurs.Que je vienne sans enavoirreçul’ordre.Ehbien,ilavaitgagné.J’étaislà.Jemarchaissurlestrottoirsdesplusgrandesmaisonsdelaville.Mavisionétaittroubleetj’avais
comme une étrange hallucination. L’impression que Caleb se tenait devant le portail, échevelé, sefrottantlesmainsl’unecontrel’autre,soufflantdessus.Sonvisageétaittiré,fatigué,sesyeux,cernés,brillantsetsesjoues,delàoùj’étais,semblaientmouillées.Maisçanepouvaitêtreluipuisqu’ilétaitchezMac…Pourtant,ilsetournaversmoietsefigeaenmereconnaissant.Etiln’eutplusriend’unfantasme
avecsonregardanéanti.—Rafael,claqua-t-ildesdents.—Qu’est-cequetumeveux?luibalançai-jed’unevoixpâteuse.—Je t’aicherchépartout.Dans toute laville,et tune rentraispaschez toi. Jemesuisditque tu
finiraisparvenirici.Jem’approchaiduportail,prêtà lepousser,maisCalebmeretintd’unepoignefermequimefit
tituber.Aussitôt,monpoingvolaverssonnez.S’yattendant,ilserecula,pliamonbrasdansmondosetmeplaquacontrelemuret.—Lâche-moi,Caleb!—Pasavantquetum’aiesécouté!Majouefrottalapierre.J’auraispumedéfairedelui,maisjen’enavaispluslaforce.Alorsjerestaiaplaticontrelemur,
soncorpsplaquécontremondos,mesbrascroiséssurmesreinsetlesjambesflageolantes.—Trèsbien,lançai-je.Jet’écoute.—Jet’aime.Ilmepoussaunpeuplusfortcontrelecimentrâpeux.—Je t’aime, répéta-t-ildouloureusement.PasMac,pasunautre.Toi !Etparceque je t’aime, je
voudraisqu’iln’yaitquemoi.Est-cesiduràcomprendre,Rafael?Jeteveux,bonsang.Jecrèvedetoi.Alorsparle-moi,explique-moi.Dis-moiquelquechose,merde!Maisarrêtedetecacher.Arrêtedemefuir!Il me relâcha vivement et je fis volte-face en chancelant. Caleb pointa la maison de Charles,
derrière,sesyeuxbrillant.Enpleinenuit,ilsdevenaientdeuxobsidiennesscintillantes.—Tuveuxyaller?cracha-t-il.Ehbien,vas-y,entre!Jenet’enaimeraipasmoins.Tuveuxme
punird’avoirfoutulecampchezMacpournepasenvenimerunesituationquejenecomprendspas?Trèsbien!Blesse-moi!Blesse-toi!Écorche-nousavectessilences,Rafael!Jeresteraiquandmême!L’instantsefigeaetnousrestâmesl’unenfacedel’autre,avectoutcequenousportionsennouset
toutcequenousvoulionsdonnersanstropsavoircomment.Maisnosregardsledisaient,ilsracontaientcequenoscœursmurmuraient.Calebfitunpasdansmadirection,hésita,etposaenfinunemainsurmajoueblessée,caressantde
sonpoucemalèvrefendue.—Rentre,mêmesic’estjustequelquesheures.Jet’enprie,Rafael,mesupplia-t-ilenapprochant
seslèvresdesmiennes.Nelesluidonnepasàlui.Resteavecmoi.Jeserraisanuqueentremesdoigtsengourdis.—Jene saispascomment tedire«pardon», lui avouai-je. Jene saispascomment tedire« je
t’aime».Ilsourittendrement,blottitsonvisagedansmoncouetpassaunbrasautourdemataille.—Tuviensdelefaire.Etnousrentrâmes.
28Charles était assis dans la cuisine, adossé à une chaise, une tasse de café à lamain, quand je le
rejoignisaprèsmadouche.L’habituelleenveloppeétaitsurlatableenfacedelui.Àcôté,setrouvaitundossier,portantlenom
deCaleb.Ilsouritquandjem’enaperçus.—Tune croyais pas que je te laisserais batifoler avec tonpetitTexan, sansmettremonnez là-
dedans,minauda-t-il.Jedoisdirequejenepensaispasqueçairaitaussivite.Aveclesgaminsdansson genre, c’est difficile de trouver unmoyen de pression.Oh, il y en a toujours un, je nem’enfaisaispas.Maisdisonsqu’ilm’afacilitélatâche,notrecherpetitBecker.QueCharlesaitdemandéàl’undesessbiresd’enquêtersurCaleb,çanem’étonnaitpasvraiment.
Çaexpliquaitmêmesonhumeurdepuishier,cemélangedesuppliceetdebrutalité.Jem’yattendais.Il avait fait demême à chaque personne quim’avait approché.Abou,Ama,Soli,Brooke etAlain.Commeautantdebarreauxajoutésàmacage,pourêtrecertainquejamais jenem’enéchapperais.Alors, qu’aujourd’hui il ait fait entrer Caleb dans ses petits dossiers, je n’en étais vraiment passurpris.Charlespoussalachemisecartonnéedansmadirection,avecunairdevicieusesatisfaction.—Veux-tuyjeteruncoupd’œil?Jeprisl’envelopperempliedebilletsetignorailereste.Ilperditsonsourireetcrispalamâchoire.—JenedoutepasqueFinchtrouverauneutilitéà tout l’argentquetu luidonnes,siffla-t-il.Une
familleànourrir?Unpetitdélinquantàréinsérer?OutoutsimplementlesfraishospitaliersdenotrecherMac?Jenerépondispas,mecontentantdemeserviruncafé,appuyéaucomptoirde l’autrecôtédela
cuisine, leplus loinpossiblede lui. Il jouadesdoigts sur la table, croisa les jambesen renversantlégèrementlatête.—Tupourraisêtrericheaujourd’hui,mefit-ilremarquer.Maismêmemonargent,tuledédaignes.
Tu gardes tout juste de quoi acheter tes bouteilles. Dieu sait pourtant que tu te tues à la tâche.Untravailquiméritelargementsonsalaire.Unculcommeletien,ilvautsonprix,monamour.Pourappuyersesdires,ilouvritsonsecondagenda–lemien–etleconsulta.Mêmes’iln’enavait
pasbesoin;ilretenaitmesrendez-vousdetête.—Mercredi soir vingt heures,Allan Talker,me dit-il. Il t’attendra chez lui, comme d’habitude.
Jeudimidi,HenriMonro doit conclure une affaire importante. Ta présence est requise. La femmeavecquiiltraiteaunfaiblepourlesbeauxhommes.Cequim’allaittrèsbien.Sourireàunefemmed’affairespourqu’ellesigneunboutdepapierétait
toujoursmieuxquedesefairebaiserparununiversitairevisqueuxetlibidineux.Charlesremarquamonsoulagementets’empressad’ajouter,perfide:—LucasLandwehr est de retour enville, tu le verras samedi soir, à vingt et uneheures.Même
hôtel,mêmechambre,mêmesconditions.Etjeteveuxici,dimanche,àseptheuresdumatin,surtesdeuxjambes.FaisensortequetonTexannetouchepasàuneseuledetesblessures.Ilseraitdommage
quejememetteencolère.Transmets-luilemessagedemapart,tuveuxbien?Ilhaussalessourcils.—Enfin,s’ilesttoujoursdanslesparages.Cettefois,cefutmoiquiinclinailevisageetquileregardaidroitdanslesyeux.—Tupeuxmefairecequetuveux,Charles,mêmemevendreàuneordurecommeLucas.Mais
Calebn’estpasprèsdepartir.Excédé, il sepenchasur la tableet récupéra ledossierque jen’avaispas touché. Il l’ouvritet la
premièrephotoglissajusqu’àmoi.Jemanquaidefairechavirermatassedecafé.—Ça,hurlaCharlesenpointant l’imaged’undoscarbonisé,c’est lapreuvequetonpetitbéguin
n’estpasaussiparfaitquetulecrois.Jedéglutis.—Sesbrûluresnesontpasundéfaut,maislerésultatd’unaccident.—Unaccident?ricanaCharles.T’a-t-ilseulementracontécommentils’étaitretrouvéauservice
desgrandsbrûlésdel’hôpitaldeDallas?Non.Jeneleluiavaisjamaisdemandé.Puisquejenerépondaispasàsesquestions,jenemesentais
pasendroitdel’acculeraveclesmiennes.MaisCharlesn’avaitpascegenredescrupules,s’ilpouvaitmettrequelquesautreschaînesàmes
piedspourm’attacherencoredavantageàlui.—Ilétaitàl’intérieurd’uneéglisequandelleestpartieenfumée.Uneégliseàlaquelleilauraitlui-
mêmemislefeu.Ilavaitdouzeans.—C’estridicule,Charles!défendis-jeaussitôtCaleb.Cen’étaitqu’ungamin.—Tucrois?siffla-t-ilentournantuneautrepageàlaquellejeneprêtaipasattention.Àhuitans,sa
cuisineaprisfeu.Àneuf,c’estsachambre.Àdix,legarage.Àonze,lagrange.Àchaquefois,sonpèreestarrivéà temps.Malheureusement, iln’étaitpas là lorsqueBeckeret samèresontpartisenvillepourl’office,cedimanche-là.Ilfermaledossieretlepoussadansmadirection.—Jeteconseilledelelireattentivement,Rafael,meprévint-il.Parcequed’aprèscequepensentles
habitantsdesamisérableville,Calebauraitquelquessoucisdesantémentale.Certainspenchentpourlabipolarité,d’autrespourlaschizophrénie,quandilsneleprennentpaspourunsimplepyromane.Sonpère l’a toujoursdéfendubecetongles,maissamère,elle,ne l’apassupporté.Elleestpartiedeuxansaprèsl’incendiedel’église,laissantderrièreelleunfilsquasimentmort.Etquandelles’estenfindécidéeàrentrer,ehbien…disonsqu’ellen’étaitpluselle-même,lapauvrefemme.Mevoyantblanchir,Charlesseléchaleslèvres,fierdelui.—Laisse-moi te présenter les choses autrement,mon amour, fit-il, satisfait.Unemaman texane
n’abandonnepas son rejetonà l’agonie sansune trèsbonne raison.Alors,d’après toi,quelleétait-elle?Il rit et ce sonmepropulsadirectement enenfer.Malgrémoi, je récupérai ledossier etCharles
hochalatête.—Bonnelecture,monamour.Jesaisàquelpointcetteactivitétesied.Sonricanementmepoursuivitbienaprèsquej’avaisquittéBeaconHill.Alorsquejeroulaistropvite,quemamotoslalomaitentrelesvoitures,lesfrôlantdetropprès.
Caleb?Fou?Non…Peut-êtrequesiaprès tout…Ilpensaitbienque j’étaisLAbonnepersonne.Cellequ’il lui fallait.
Cellepourquiilavaitchaviré.Sicen’étaitpasdeladémence,ça.JemegaraidevantchezAbouendérapant,jetaimoncasquesurleguidonetentraienlesfaisant
toussursauter.JebalançailedossierdeCharlessurlatable,entredeuxplatspréparésparAma.Soli,quiétaitexceptionnellementrentrédulycéepourdéjeuner,récupéralasériedephotos.Ilgrimaçaenrepoussantsonassiette.—Dégueulasse!s’exclama-t-ilenavisantledos,lescuissesetlesmolletscarbonisésd’ungamin
dedouzeans.—MonDieu,juraAmaenreconnaissantCaleb.Soliblanchitetjetalesphotosaussitôt.Jememisalorsàparleràtoutevitesse,sortantlesfeuilles,lesrapports,pourlesjeterpratiquement
surlatêted’Abouquis’efforçaitdelirealorsquejehurlais,presquehystérique.—Calme-toiRafael!Mecalmer?Ilplaisantait!Je commençai à faire des allées et venues aumilieu de la cuisine. Ama se leva etm’obligea à
m’asseoir. Elle posa une grosse veste en laine sur mes épaules, me frotta le dos, ce qui me fitgrimacerdedouleur.Maisjen’allaispasluidirequeCharlesavaitjouédelaceinturetoutelajournéed’hier.Jelalaissaidoncfaire.Ellemeservituneassietteetm’ordonnademanger.—Jen’aipasfaim,Ama!gueulai-je.—Vas-tutecalmer,RafaelVentes!merabroua-t-elle.Calebn’estpasfou!N’as-tupasd’yeuxpour
levoir?Ilestlepluscenséd’entrenous.— Jeme fiche qu’il soit cinglé, Ama !Mais que va-t-il arriver s’ils l’apprennent auMIT ? Si
Charlesbalancecesinformationsaudoyen?Calebpeutdireadieuàl’aéronautique.Ilsnerisquerontpasd’embaucherunschizophrèneàlaNASA!Mêmesicenesontquedefoutuesrumeurs.Solilevalesyeuxaucielenpiochantdanssonassiette.—Calebn’estpasschizo,dit-ilenmâchant.Àlarigueurunpeubizarre–quiretiendraittoutesces
formules?Maiscertainementpasdément.—SoliFinch,vas-tu…—Oui,oui,ronchonna-t-il,jemetais.Abouremitenplacetouteslespiècesdudossieretlefermareligieusement.Illeposasurlemeuble
derrièrelui.—D’accord,toutçaestunpeuétrange,medit-il.Etledépartprécipitédesamèrel’estencoreplus.—C’esttoutcequetuasàdire?m’énervai-je.—Quoid’autre?Jenesuispasomnipotent.—Tuesunfichupasteur!
—Etdonc?Tuveuxquejel’exorcise?ironisa-t-il.Ilsoupira.—D’accord,ilseraitétonnantquecesincendiesnesoientquedesimplesaccidents.Maisiln’ya
aucunepreuvequecesoitCalebquilesaitdéclenchés.—Cen’estpaslui,direntAmaetSolienchœur.Abou,commetoujours,étaitplusmesuré.—Disonsquemêmesic’estlui,detouteévidence,ilvamieux.Depuisqu’ilapasséunandansun
servicespécialisépourlesgrandsbrûlés,aucunincidentn’aétédéclaré.Etdepuisqu’ilvitàBostonaussi.Dumoins,leMITn’estpaspartienfumée,nisonstudiodeBrighton.Alorsquoiqu’ilsesoitpasséàl’époque,ilsembleraitquecesoitterminé.Jepassailesmainsdansmescheveux,nerveux.—Çanel’estplusdepuisqueCharlesadéterrétoutecettemerde!—C’estunproblème,oui,soufflaAbou.Amarenifla,dédaigneuse.—Personnenepourracroireàcesfoutaises,dit-elle.Calebestuntrèsbonpetit,toutlemondepeut
levoir.Enfin,quelimbécilepourraitlaisserdesallégationsaussisaugrenuesternirlaréputationd’unenfantsibrillant?—Beaucoupdemonde,Mama.—Alors,c’estquenousmarchonstoussurlatête!Elleavaitparfaitementraison.—Ilfautquetuluidises,Rafael.—Etqu’est-cequejeluidis,Abou?sifflai-je.Jesaisquetuasungrain,maisnet’inquiètepas…—Iln’estpasfou!s’écrièrentunefoisdeplusAmaetSoli.Abousourit.—Jeteconseilledenepasl’abordercommeça.Jem’adossaiàlachaise,lesbrascroisésderrièrelanuque.— Quand je l’ai rencontré, j’ai vu un mec beau, simple et beaucoup plus intelligent que la
moyenne. Alors qu’il n’existe personne de plus compliqué que Caleb, fis-je en regardant vers leplafond.Etmavieestdéjàtropcomplexepourquejem’encombredelasienne.Jen’yarriveraipas.Amacoupasa tartemeringuéeaucitron, lapréféréedeSoli,cequiexpliquaitsonretouràmidi.
Ellemejetaundrôlederegardpar-dessussoncouteauetm’enservitunepart.—Ilyaquelque temps,quandnousveillionsMac,unsoiroù tuétaisparti,Calebm’aposéune
question,m’expliqua-t-elle très sérieusement. Ilm’a demandé comment nous pouvions accepter cequetufaisais.PourquoinousnenousbattionspaspourtefairequitterCharles.Jedéglutis,sentantleurregardbraquésurmoi.C’étaitunequestionquejem’étaissouventposée
aussi.Sansvouloirvraimentconnaîtrelaréponse,depeurdecequ’ellepourraitrévéler.Aujourd’hui,jen’avaisd’autrechoixqued’écouterAma.—Jeluiairépondu,continuaAma,quenousnousbattionsdepuisdesannées.Depuisledébut.Mais
pas comme lui le pensait. Je lui ai dit que nous t’aimions tous,mêmeGora au fond de sa prison,mêmemoncherépouxduhautdesonciel,etqu’ilétaitlà,notrecombat.Jenesuispasd’accordavec
cequetufais.SolinonplusetAbouencoremoinsquenous.Maisnoust’acceptonsparcequetufaispartiedenotrefamille.Etquelecœurn’apasdelimite.Unjour,j’espèrequeceseraassezpourqueturecommences,commeMacestentrainderecommencer.J’avais envie de me cacher, de me soustraire à leur regard compatissant, aimant et tendre. Ma
famille,cellequej’avaistrouvée,cellequin’avaitpasremplacémamère,maisquim’avaitpermisdenepasperdrecomplètementpied.Amametenditunefourchetteethochalatête.—Cequejesais,monchéri,finitAmaenmeregardantdroitdanslesyeux,c’estquetuasdela
placepourCaleb.Etqueluienaaussipourtoi.Nelerepoussepasparcraintedesdifficultésoudel’avenir.Aide-les’ilenabesoinetlaisse-let’aiderquandlemomentseravenu.Jemeraclailagorge.—D’accord,Ama.Ellesourit.—Tuesungarçonintelligent,toiaussi.— Pfft ! fit Soli pour alléger l’atmosphère. Caleb est intelligent. Rafael est juste buté, c’est
différent.Abouexplosaderire.—Oui,surça,jenepeuxquetedonnerraison,petitfrère.Illuiébouriffalescheveuxettenditunemainversmoipourmetapersurl’avant-bras.Unefaçon
demedire«çaira»,mêmes’ilnepouvaitréellementlesavoir.Ilycroyait.CommeAmaycroyait.Commejevoulaisycroire.
29Je rejoignisCaleb,àminuit, au restaurantoù il travaillait. Ilvenaitde terminer sa soirée, et son
sourire, comme tous les lundis, étaitunmélangedubonheurdeme revoiretde lablessureque ledimancheavaitlaissée.Combienensupporterait-ilencore?Jen’ensavaisrien.Maissesyeuxgrisseposèrentsurmoiavectendresseetamouretjen’eusqu’uneseulecertitude–sic’étaitlàsadémence,alorsqu’ilneguérissejamais.Iljetasonsacsursonépauleetmarchaversmoi,sasilhouettetoujoursféline,sonvisagetoujours
rayonnantetsoncorpstoujoursattractif,commeunaimant,malgrécequ’ilcachaitendessous.Cesblessureshideusesquejeneréussissaisqu’àtrouvermagnifiques.Ellesétaientcommeunehistoire,lasienne,etjelesaimaispourça.—Tuvasbien?s’inquiéta-t-ilenavisantmaminesombre.—Oui,meforçai-jeàsourire.Ilnefutpasdupe;forcément,ilcommençaitàtropbienmeconnaître.Lesmoisquenousvenions
departageravaientétésiintensesqu’ilm’étaitdevenuimpossibledeluimentir.Ilmecomprenaittropfacilement,ilmedevinaitavecunerareexactitude.—J’aienviederentreràlamaison,luidis-je.Avectoi.Cequiétaitvrai.Maisçanel’empêchapasdeplisserlesyeux,sceptique.Puisquelquechosepassa
entre nous et j’eus le sentiment qu’il savait, qu’il avait compris que Charles avait mené sa petiteenquête.Nousavionstoujourssuqu’illeferait,nousenavionsmêmeparlé,plusieursfois.Ilavaitétémal à l’aise. Forcément, qui ne le serait pas dans une telle situation. Je neme rendais compte quemaintenantquesiCalebavaitsemblésitendu,c’étaitqu’ilavaitréellementquelquechoseàcacher.UnsecretqueCharlesvenaitdemerévéler.—Tuviens?Ilhochalatêteetmontaàl’arrièredelamoto.Ilmelaissaleguiderchezmoi,megarerausous-
sol,et,ensemble,silencieux,nousprîmesl’ascenseurjusqu’àmonappartement.Ilrefermalaportederrièrelui,posasonsacetsoncasquedansl’entrée.Ildénouasonécharpeen
m’observant.Jecherchaiquelquechosededifférenten lui.Mais iln’yavait riend’autrequeceque jevoyais
chaquesoir,quandnousnousretrouvions.Chaquematin,quandilétaitdansmesbrasetqu’ilsoulevaitlespaupières,qu’ilmesouriait.—Jet’aime,murmurai-je.Ilsefigea,arrêtaderespirer.Jevenaisdeledire.Pasdefaçondétournéecommejelefaisaisdepuisplusieurssemaines.Nien
cherchantàleluifairecomprendredanschacundenosbaisers,denoscaresses,denosmurmures.Etpasnonplusaprèsunesoiréeàboire,àletrouverdevantmoi,àneplussavoiroùaller.Justecommeça,maintenant.Jeleluidis,parcequequoiquej’apprenne,quiqu’ilsoit,jel’aimais.Jevoulaisqu’illesache.—Moiaussi,jet’aimeRafael.Tellement.
—Jesais.Jeluitendislamain.—Approche.Ilavança,sentantl’humeurétrangedanslaquellejemetrouvais,maisincapabledes’ysoustraire.Il
yplongeaavecmoi,mefaisantconfiance.Jel’adorais.Jevoulaisqu’ilmefassetoutoublier.Iln’yavaitqueluipouryréussir.Queluipourm’emmener
assezloin,làoùriennepourraitjamaisnousatteindre.Unendroitrienqu’ànous.Calebsecollacontremoi,m’enlaça,m’embrassa.Jeglissailesmainssoussont-shirt,caressaises
cicatrices.Ilredressalatête,morditmalèvreet,lentement,sesdoigtssecoulèrentsurmesreins,danslespochesdemonjean.Ilsecolladavantagecontremoi.Marespirations’accéléra,etjelepoussaisansdouceurcontre lacommodede l’entrée.Caleb lapercutadansungémissementalorsque je lesoulevaispour l’y asseoir, chavirant aupassageunvase, un cendrier et tout cequi s’y trouvait. Jeposai mon front contre le sien, le souffle court. Il noua ses jambes à mes hanches et nos yeuxs’accrochèrent.Uninstant,puisunautre.Etunsilencequidisaittout;toutcequicomptaitvraiment.Calebcaressalecoindemaboucheetrenversamatête,léchamamâchoire.—Jeconnaisceregard,fit-ild’unevoixétrange.Jel’aidéjàvutropsouvent.Celuiquichercheà
savoir,àcomprendre,àdéterminersijesuisdangereux,ounon.Ilresserrasaprisesurmoi.Etpuissamainautourdemoncou…L’autre…Quiserrèrent…Encoreplus…Jusqu’àm’étrangler…Jefermailesyeux,necherchantmêmepasàm’écarter.Jenesentisquesonsoufflesurmonvisage,
sesmotsàmesoreilles.—Tucroisquejesuisdément?chuchota-t-il.Tucroisquejepeuxtefairemal.Quejevaismettre
lefeuàl’appartement,peut-être?Jesoulevailespaupières.—C’estcequetuveux?soufflai-je.Alorsvas-y,Caleb,faistoutbrûler.Ilrestaunmomentimmobile,sesirisd’ungrissombresemirentàbriller,àsevoiler.Ildéglutit,
desserrasapoignepourpasserunbrasderrièremanuque,unemaindansmescheveuxetseblottirplusprèscommes’ilcherchaitàseglissersousmoi,sousmapeau.Jelesoulevai,ilnichasonvisagedansmonépaule,morditmajugulaire.Jenousemmenaidansla
chambre,m’agenouillaisurlelit,nousallongeantensemble,sansplusriendire,justepourlesentircontremoi,enlevernosvêtements,nouscoulersouslacouette,enlacéssiprèsquechaquebattementdesoncœurfaisaitpulserlemien.Nousrestâmeslàunlongmoment.Commedeuxrescapésaccrochésàlamêmebouée.Nousnous
laissâmesballotter,ensachanttrèsbienqu’àchaqueseconde,nouspouvionsplongersouslasurfaceetnousnoyer.
Etpuis,petitàpetit,ladouleurs’atténuaetCalebs’endormitenroulantsurleventre,m’exposantson dos. J’embrassai délicatement ses omoplates etm’appuyai sur un coude pour suivre du doigtchacunedesescicatrices,chacunedesesgreffes.Jebaissailedrapjusqu’àsesreins,massantlachairabîmée,lesvallons,lesbosses,lesendroitsgranuleux,lesautresplussensibles.Ilyavaitdeszigzags,desrides,desrougeurset,parfois,c’étaitcommetoucherunmorceaudeplastique.Jeledécouvrisencoredavantage,passantmapaumesursesfesseslisses,bellesetrondes,pleines
et tentantes. Elles étaient parfaites. Je dénudai ses jambes, indifférent à la chair de poule qui lerecouvraitetquiallaitfinirparleréveiller.L’arrièredesescuissesétaitmoinsendommagéquesondos,mais sesmollets, eux, étaient vraiment abîmés. Je lesmassai doucement, caressant, remontantversl’intérieurdesesgenoux,plushaut,suivantsacolonnevertébrale.Ilétaitréveillédepuisquelquessecondes,maisjouaitbienlesendormis.—Tudors?soufflai-jedanssoncou.—Oui,répondit-il,unsouriretimidedanslavoix.Jemelaissaitombersurleflanc.Calebfinitpartournerlevisageversmoi,sajouemarquéepar
lesplisde l’oreiller. Je la touchai,amusé,avantdecroiser son regardencoresi sombre. Je laissairetombermonbras.—CharlesafiniparretrouvermaboîtedePandore?demanda-t-il,tendu.—Ill’aouverte,oui.Lesvieilleshistoiresfinissenttoujoursparremonteràlasurface.—Jesuisdésolé.Ilbaissalatête.—Est-cequetumepensesmalade,Rafael?Ilrefusaitdemeregarder.Jeprissonmentonettournaisonvisageversmoi.—Non.Jenepensepasça.—Vraiment?Larumeurditpourtantlecontraire.Jelaissaitraînermonpouceaucoindeseslèvres.—Lespetitesvillessontplusduresquelesgrandes,c’estbienconnu.—Sansdoute,m’accorda-t-il.Jemesuistoujourssentiàl’étroitlà-bas,commedansunepeautrop
petitepourmoi.Pourtant,j’aimeyêtre,j’aimeBeckerRanch,j’aimemesparents.—Tun’enparlesjamais.—Tuneparlesjamaisdestiensnonplus.—Ilssontmorts,Caleb.Jenevoispastropcequejepourraisendire.Ilmepoussasurledosetmesurplomba,lesbrascroiséssurmapoitrine.—Dequitiens-tutesyeuxsombres,Rafael?Ettescheveuxpresquebouclés?Quit’aléguécette
peaucaramel ?Tonvisagemagnifique ?Tesmains, ta bouche, tonnez ?Et tonprénom?Qui l’achoisi?Jel’embrassai,tirantsursesmècheschâtaines.—Mesyeuxmeviennentdemamère,mescheveuxetmapeaudemonpère.Pourautantque je
sache, je lui ressembleplusà lui,maisc’estellequiachoisimonprénom.Hanaël.Parcequemongrand-pères’appelaitcommeçaetqu’ellel’avaittoujoursadoré.
Calebs’immobilisa,plissalesyeux.—Tuveuxdireque…Tunet’appellespasRafael?—Non,Caleb.Rafaelestlenomquej’aidonnéàCharlesquandilm’arepêchédanslarue.Ilm’a
demandéetjeluiairépondu:RafaelVentes.Etplustard,quandilavoulusavoirmonâge,jemesuisvieillid’unanetj’aichangémadatedenaissance.Lenomdemamère,demonpère,l’hôpitaloùjesuisné…Tout,petitàpetit.Charlesm’aobtenudenouveauxpapiersetjesuisdevenului.Rafael.Unprostitué.Pluspersonnenem’aappeléautrement.L’adolescent timideetréservéquej’aipuêtre, legarçonbien,estenterréavecmamère.—Hanaël,répétaCalebsongeur,faisantglisserleprénomsursalangue.—Oui.HanaëlJimenez,vingt-sixansetnonvingt-sept,nélevingt-troisaoûtetpasledeuxmars.
Mamère, Elena Jimenez, était professeur de lettres, elle estmorte d’un cancer de l’estomac.Monpère,Carlo,étaitroutier;ilestdécédédansunaccidentdelaroute.Jeplaquaiunemaindanssondosetlecaressai,plongeantdanssesyeuxdetempête.—Tuvois,tuconnaismonsecret.Leseulquej’aietoujoursgardépourmoi.LeseulqueCharles
neconnaissepas.Jeteledonne,Caleb.Mavie,monpassé.Toutestàtoimaintenant.J’avaisunefoiaveugleenlui,etjevoulaisleluiprouver.Luimontrerqu’ilétaitmaprièreetma
religion.Qu’ilpouvait toutmedire, toutmeconfier.Ses secrets, je lesgarderaisenmoi,cachésàcôtédesmiens.—Tunevasjamaisvoirtesparentsaucimetière?—Non.Jevaisàl’église,cellequ’ilsfréquentaientdeleurvivant.Celleoùmamèrepriaitpoursa
vie.Elleestmortequandmême,mais…jen’ensaisrien.Jen’arrivepasàvoircettetombe,leurnomgravédanslapierre.—Jecomprends.Oui,j’enétaispersuadé.Ilembrassamontorse,souffladessus.— Je déteste le feu, finit-il parmurmurer contrema poitrine. Je n’ai jamais déclenché un seul
incendie,tusais.J’aitoujoursgardéunedistancerespectableaveclesflammes.J’enaipeur.J’enaitoujourseupeur,mêmeavantl’accident.Ilredressalevisageetmeregardadroitdanslesyeux.—Jenesuispasmalade,Rafael,m’assura-t-il.Jenesuispasschizophrène,nipyromane,niriende
toutça.Tumecrois?Jehochailatête.—Oui.Jeluisouris.Etpuis soudain, sonvisagedevint exsangueet jeme redressai, inquiet. Il était froidet je lepris
contremoi,lerecouvrantdenouveaudelacouverture.—Hé,lerassurai-je.Çava.Ilavaitlesmainsglacées.—Mamère,articula-t-ildifficilement.Ellecroyaitquejedevaisêtrepurifiéparlesflammes.Elle
ledisaittoutletempsquandj’étaispetitet…Elleaessayésouvent…Personneneserendaitcomptequ’elleétaitmalade…Personnenevoulaitvoir…Moijesavais,maisjenedisaisrien…Parceque…
c’était ma mère…Mais ce jour-là, à l’église…Mon père était parti récupérer des bêtes pour leranch…Etcetarédepasteur…J’aihurlé,Rafael…Maispersonne…Mapeaucraquait…C’était…—C’estbon,l’arrêtai-je.Nedisplusrien.Ils’accrocha.—Ladouleur,s’étrangla-t-il.—Monange…Calme-toi.Jen’avaispasbesoind’ensavoirplus.D’imaginerlegaminqu’ilavaitétécrier,prisonnierdansles
flammes.Non…Ilétaitlà,ilétaitenvie.Etjevoulaistoutoublier.Seschairsbrûlées.Moncœurbrisé.Sonsupplice.Lemien.Combiendefoisavait-ilhurlé?Combiendefoishurlerai-jeencore?
30—Jenecomprendsrien,Mac!m’énervai-jeenlevoyantgesticulerdevantmoi.Enmêmetemps,jenecherchaispasvraimentàlefaire,mecontentantdelireunerevuescientifique
queCalebavaitlaisséedanslesalond’Ama.Ilcommençaitàs’étalermêmeicietmalgrélatensionentreAbouetlui.Cesdernierstemps,ilss’étaientengueulésquelquesfois.Toujoursàcausedemoi.Cequin’empêchaitpasCalebd’êtreassisàcettetable,s’agaçantunefoisdeplussurlesdevoirsdeSoli,toutenessayantdefinirunexposéde…Jenesavaisquoi,aujuste.Abou,lui,étaitplongédansl’écrandesonordi.Jetournaiunepage.Agacé,Macmedonnauncoupdepieddansletibia,cequimefitgrimacer.—Cequ’ilessaiedetedire…commençaAbou.—Ehbienjustement,iln’essaiepasdeledire,puisqu’ilneparlepas.Jemefoutaisdecequeracontaitcettebandedecharlatansquisefaisaientpasserpourdesmédecins
compétents.Çafaisaitplusd’unmoisetdemiqueMacétaitsortidel’hôpitaletiln’émettaittoujoursaucunson.Quantàsonagression,iln’enavaitaucunsouvenir.—Cequ’ilessaiedetefairecomprendre,rectifiaAboupatiemment,c’estqu’ilatrouvéunjob.Jeredressailatête,touslesregardsconvergèrentdansmadirection.—Unvraiboulot?répétai-je.LesyeuxvertsdeMacpétillèrentetjesourisdetoutesmesdents.—Sansblague?Untravailquin’impliqueni…—Attentionàcequetuvasdiresousmontoit,monRafael,m’arrêtaAma.—Maisjen’allaisriendiredutout,Ama,mentis-je.Macouvrit labouche,maisiln’ensortitqu’unsouffleagacé.Jehaussailessourcils,moqueur.Il
croisalesbrasettombaàcôtédemoisurlecanapé,renfrogné,levantlesyeuxauciel.—C’estBrookequil’aembauché,m’appritAbou.Jereconnusbienlàmaplantureusebibliothécaire.Elleavaitdûappuyersacandidature,semoquant
delepistonnerouvertementtantqu’ilobtenaitcejob.—Je comprendsmieux, fis-je enpoussantMacde l’épaule.Avec toi, ellen’aurapas à sebattre
pourlesdiscussionsensalledelecture.Mac plissa les yeux,mécontent. Je ris, lui faisant un clin d’œil. Puis il soupira enme fixant du
regard,moiettousceuxquis’agglutinaientdanslepetitsalond’Ama,attendantquelerôtiaitfinidecuire pour se jeter dessus comme des affamés. Il était bien avec nous. Avec Caleb et Soli quiétudiaient.AboutravaillantetAmatricotant.Lui,satêtecontremonépaule,monbraspasséautourdeson cou, en sécurité. Je le comprenais. C’était un drôle de sentiment de faire partie à nouveau dequelquechose.Den’êtreplusseul.Macfermalesyeuxetjetournaiunenouvellepage.—Tulemérites,luisoufflai-je.Etilsourit.Jejetaiuncoupd’œilàCaleb.Ilmeregardait,ayanttrèsbienentenducequejevenaisdedire.Ilse
retintd’ajouterquemoiaussi,jeleméritais,quemoiaussi,j’enavaisledroit.Ilenavaitenvie,maismaintenantqu’ilsavait,ilseretrouvait,commemoi,bloqué.Parceque,deuxsemainesplustôt,j’avaisfinipartoutluiavouer.Nousétionssurlecanapédusalon,assischacunàunbout,nosjambesmêléessurlescoussinsdu
milieu.Nousavionsréchauffédelapizzaetsortidesbières.Beaucouptrop.Çaavaitfinipardéliernos langues.J’avaiscruquenousn’yparviendrions jamais.Maisc’était seulement lebonmoment,alorsjem’étaislancé.—Jeluidoislavie,soufflai-jefinalement.ÀCharles.Calebjouaitavecsacanette,lafaisanttournerdanssesmains.—Jen’ycroispas.—Jesais.Maisc’estunfaitCaleb,ilm’asauvé.Jemesuislongtempspersuadéquec’étaitlaseule
raisonquim’empêchaitdemettreuntermeàtoutça.Jemelesuisrépété,encoreetencore,pourêtreconvaincantlorsqueAboumedemandaitd’arrêter.Quandilmeproposaitdessolutionsetquejelesrefusais.Jenesaispascombiendefoisjeluiaidit:«Jenepeuxpas,parcequejeluidoistout.Jeluidoismavie.».C’estencorelaréponsequejeluidonnequandnousnousengueulons.Etpuis,cen’estpasvraimentunmensonge.Calebsecoualatête.Sespiedsfroidscontremespiedschauds.Lavisiondenospeauxsidifférentes
m’attendrissaittoujours.—Tuesunbattant,Rafael.Tut’enseraissortisansCharles.—Peut-être,luiaccordai-je.Maislavérité,c’estquelorsqu’ilm’asortidelarue,j’auraisétéprêt
àbienpluspourunpeudechaleur.Pouruneprésencequellequ’ellesoit.Pouravoirquelqu’undansmavie.Mêmesic’étaitCharles.Ill’acomprisetilenaprofité.Quandilm’aproposécemarché,çam’aparuunebonneidée.Laseulefaçonquej’avaisdem’ensortir.Jen’étaisqu’ungaminendeuil.J’avais perdumamère,mon père des années plus tôt, et j’avais quitté le foyer dans lequel j’étaisplacé, à l’autre bout du Massachusetts, parce que j’étais amoureux de mon voisin et que j’étaispersuadéqu’ilm’attendrait.Calebpenchalatêteversmoi;jem’étaismisàchuchoter,pascertaindevouloirqu’ilapprennece
détail.— Sandro, soupirai-je. Je suis revenu pour lui et il n’était plus là. Je ne sais pas pourquoi je
pensaisqu’enlevoyant,touts’arrangerait.Calebsourit,ému.—Tuétaisamoureux.Tun’avaispasencoreseizeans.Tuétaismalheureux.Forcémentquetuyas
cru.Oui.J’avaissurtoutététropconpourcomprendrecequejefaisais.—Etpuis j’airencontréCharles,etpendantplusd’unan, ilaétémonunivers, laseulechoseà
laquellemeraccrocher.Touttournaitautourdelui.Jeledétestais,plusquejen’avaisjamaisdétestéquiconque.Pourtant,unepartdemoirecherchaittoujourssaprésence.Jenepourraispasl’expliquer.J’étaisperduetquandj’étaisaveclui,jecomprenaispourquoijel’étais,justement.Etjusqu’àcequejerencontreAbou,j’étaispersuadéquec’étaitlaseulechoseàlaquellej’avaisdroit.—Abouaessayédet’aider,compritCaleb.—Oui. Et j’ai fini par accepter. Seulement, quand j’en ai parlé àCharles, il a sorti le premier
dossier.CeluideGora, legrand frèred’Abou. Ilvenaitdesebattreavecungardienenprisonet il
étaitquestiondel’envoyerdansunpénitencierdehautesécurité.LàoùAma,SolietAboun’auraientpluspulevoir.Ouseulementderrièreunevitre.Calebseraiditencomprenantviteoùtoutcelaallaitmener.Enfin,ilavaituneréponse.Mêmesiça
nelesoulageapas.Peut-êtreétait-cepire,d’ailleurs.—Ilt’afaitduchantage,c’estça,crachaCaleb.IlaidaitGoraàresteràlaprisondeBostonettoi,
tucontinuaisàteprostituerpourlui.Aveclui.—C’étaitnotrepremieraccord,oui.—Etdesdossiers,ilyenaeucombienparlasuite?—Desdizaines.Abou,Gora,Ama,SolietMac,plustard.BrookeetAlainaussi.Etmaintenant,toi.Calebsecoualatête,lesmainsdanslescheveux,prenantpleinementconsciencedelamanipulation
deCharles.De sonpouvoir surmoi, surmavie.C’était unhommed’affaires,unhommequi jouaitavec les lois, comme d’autres faisaient une partie de cartes. Il savait comment tirer les ficelles,commentfairecliqueterleschaînesqu’ilpassaitlui-mêmeautourdemoncou,demespieds,entravantchacundemesmouvements.—Combiendefoisas-tuessayédelequitter,Rafael?—Autantdefoisqu’ilyadedossiers,monange.Ilouvritlabouche,seredressa,abandonnantsabièresurlatablebasse.—Etsitulefaisaisquandmêmemaintenant?voulut-ilsavoir.Quesepasserait-il?J’inclinailatêtedecôtépourbienleregarderethésitaiàluiendireplus.Maismaintenantqu’il
savaitl’essentiel,àquoicelaservait-ildeluidissimulerlereste?—TondossierseraittransmisaudoyenduMIT,defaçonanonyme,etilapprendraitlesrumeursqui
courentàtonsujet,lenomdupsyquetuvoyaisàAmarilloetceluiquetuconsultesici,deuxfoisparsemaine.Calebblanchitunpeuplus,sicelaétaitpossible,comprenantqueCharlesensavaitbienplusqu’il
le supposait. Que moi, j’en savais plus qu’il aurait voulu me révéler. Que Charles ne s’était pascontentédepetitsdétailscroustillants.Calebredressalesépaulesetmeregardadroitdanslesyeux.—Jeferaisavec.—TurenonceraisàlaNASA,Caleb?—Oui.Il n’hésita même pas une seconde. Il avait ce courage-là, sans aucun doute. Mais moi, je ne
pourraisjamaisluifairecourirlerisquedetoutperdre.—Peut-être.Mais ilyaGora.Et leprocureurpourraitdéciderderevoirsondossier,poussépar
quelquesdétailsqu’onluiauraitcommuniqués.Parhasard.L’électrocutionestencoreenvigueurauMassachusetts. Et Charles a des preuves, fausses ou non, qui le désignent comme le tireur d’unetransactionquiatuédeuxpetitsBostoniensbiencommeilfaut.Pourl’instant,Goran’aétéjugéquepourcomplicitéetiladéjàprisquinzeans!Quecrois-tuqu’ilrisquepourundoublehomicide?Calebbaissalatêtecommes’ilrefusaitd’enentendredavantage.Maisj’étaislancé.Jenepouvais
plusm’arrêter.—Et puis, Ama se retrouverait à la porte puisque Charles a racheté toutes les maisons de son
quartieraunomd’unesociétéimmobilièredontilestl’actionnaireprincipal.Sansparlerdesplaintesdéposées contre Abou – et qui ont disparumystérieusement – quand les paroissiens ont jugé qu’ilincitaitàlaprostitutionavecsamessepourlesindigents.IlneseraitpluspasteurdepuislongtempssansCharlesetsespetitsaccordsaveclapolicelocale.EtSolietsesennuisaulycée,pourquelquesjoints fumés derrière les toilettes. Le proviseur voulait l’envoyer en centre de redressement pourmineurs,pouréviterqu’iltourne«commesongrandfrère».Charlesafinancéleurnouveaugymnaseetiln’enaplusétéquestion.Brookeseraitlicenciée,etquantàMac…Jesecouailatête.—Jenepeuxpasarrêter,Caleb,m’étranglai-je.Alorsnemeledemandeplus,s’ilteplaît.Ils’agenouillaenfacedemoietpritmonvisagedanssesmainsfroides.—Rafael,chuchota-t-il.Cenesontquedesmenaces.Pourcequetuensais,cen’estpeut-êtreque
dubluff.—C’estvraiencequiteconcerne,non?—Oui,mais…—Jeneveuxpasprendrederisques.—Onpourraitvérifier.—Comment?—Lenny…—Non!lecoupai-jeaussitôt.Jeluiattrapailebrasetleserraidetoutesmesforces.Calebgrimaça.—Nemêlepersonned’autreàça.C’estclair?Ilcrispalamâchoireetfinitparhocherlatête.Jelerelâchai.—Jesuisdésolé,luidis-je.—Dequoi?Detesacrifierpourlesautres?—Non.Deteblesser.Je lui caressai tendrement les cheveux, appréciant leur douceur, leur longueur. Et son odeur, si
prochedemoi.Çamerendaitfou.Foudelui.— Jusqu’à ce que je te rencontre, j’avais l’impression que tout ça avait du sens. Alors que
maintenant, c’est juste…Chaque fois…Chaque fois, Caleb ! J’ai l’impression de te trahir un peuplus. J’ai l’impression de te perdre.De t’enfermer dans ces chambres avecmoi et de te voir subirtoutescesmerdesàmaplace.J’ail’impressionqueçatetoucheplusqueçanem’ajamaisatteint.—Jevoudraisseulement…Ils’arrêta,nepouvantallerplusloin.Jefermailesyeux.—Jevoudraislamêmechose,cowboy.Il yavaitdesmotsqu’onnevoulaitprononcerqu’une seule foisdans touteunevie,avantde les
oublieràjamais.Commeposerunfardeauaupiedd’unetombeetprierpourqu’ellel’engloutisse.—Caleb?l’interpellaSoli.Tupeuxmeréexpliquer?—Oui,biensûr,souffla-t-ilensedétournantdemoi.
Macsourit,moqueur.— Soli, ça fait cinq fois qu’il te répète la même chose, baragouina Abou derrière son écran
d’ordinateur.Mêmemoi,jepourraislefaire,cetexercice.—Maisnetegênepas,jetelaissemaplace.—Travaille,Soli!lerabrouasamère.Etils’yremit,écoutantencoreunefoisengrimaçantleséclaircissementsdeCaleb.Jelaissailarevuescientifiquedecôtéetrenversailatêtesurledossier.Allongés sur le lit, beaucoup plus tard, Caleb avait posé sa joue contre mes deux omoplates et
suivaitdesesmains ledessindemescuisses,demes fessesnues.Jeme laissaibercer, la têtedansl’oreiller,surprisd’aimerautantsescaresses.Sapeauquitraînaitsurlamienne.Soncorpsfrais.Ilétaitdoux.Beau.Apaisant.—Mamère,dit-illentement.Elleestpsychotique,Rafael.Pouravoirlaissésonenfantdansuneégliseenflammes,consciemment,c’étaitcertainqu’elleétait
tarée.JenedispourtantrienetlaissaiCalebparlerdoucement,commes’ilmepensaitendormietqu’il
avaitsoudainpeurdemeréveiller.Ilvoulaitseconfiertoutenespérantquejen’entenderien.—J’ai toujoursété très intelligent.J’aiparlé très tôt,apprisà lireetàcompterbienavantmon
entréeenmaternelle.Çamettaitmamèremalàl’aisequ’unsipetitgarçon,presqueunbébéencore,en sache plus qu’elle. Elle ne trouvait pas ça normal, ça l’inquiétait, l’angoissait, à tel point queparfois,elleavaitdumalàmeregarder.Commesimevoirlafaisaitsouffrir.Ilinspiraprofondément,laissantsessouvenirsl’envahir.—Elleétaitdéjàmaladeàl’époque.Maisdisonsqu’ellesavaitsecontrôleretlecacherauxautres.
Ellepassaitpourquelqu’und’anxieux,detropsérieuxparfois.Detrèspieuaussi.J’auraispusauterplusieursclassesetprendredesannéesd’avance,maisjenel’aijamaisfaitàcaused’elle.Jenemesenspascoupable,maisjesaisqued’avoirunfilsquiluiaparlédelasuitedeFibonacciàquatreansacontribuéàlafairedérailler.Sielleétaitpsychotique,n’importequoiauraitpulafairebasculer.Calebouquelqu’und’autre.—Ellecroyaitquelediablem’avaitengendré,continua-t-il.Ellepensaitquejedevaispérirparle
feupourmerepentirdetoutlesavoirquej’avaisvoléàDieu.Ilsuivitdudoigtlalignedemescuisses,commeunfrôlement.Jefrissonnai.Ilparlaitàvoixbasseetjel’écoutais,lesyeuxfermés.—Mon père l’a toujours surveillée. Parfois, elle semblait revenir à la raison et il était facile
d’oublierqu’ellen’étaitpascommetoutlemonde.Ellesavaittousnousleurrer,commeellelefaisaitsi aisément avec les employés du ranch, avec les gens du village, avec les médecins vers lesquelsl’envoyaitmonpèrequandelles’enfonçaittroploindanssesdélires.«Unpeudéprimée»,voilàleurdiagnostic!«Unepetitedépression.»Ilritsansjoieetj’eusmalpourlui.LesTexansavaientdetouteévidenceunréelproblèmeavecles
différences.Pourtant,quandCalebm’enparlait,ilnevantaitqueleursqualités.C’étaitquelquechosequejeluienviais.Cettefacultédecroireencoreendesgensquil’avaienttantfaitsouffrir.—Etpuis les feuxontcommencé,expliqua-t-il.Chaque fois les flammesserapprochaientunpeu
plus demoi. J’arrivais toujours àm’en sortir in extremis. Mais la psychose de ma mère, elle, nefaisaitques’intensifier.Monpèreafiniparl’envoyerdansuncentre.Elleyestrestéesixmois,toutle
mondelacroyaitchezdesparentsàl’autreboutdupays.Àsonretour,elleparaissaitapaisée.Jedéglutis,appréhendantlasuite.J’auraisvouluqu’ils’arrêtelà.Pourquoicontinuerdesefaire
dumal?J’avaisdevinélereste.L’entendre...MaisCalebavaitbesoindepoursuivre.Alorsjerestaiimmobile,lelaissantmetoucher,commepours’accrocheràmoietnepasseperdredanslepassé.—Ilyavaitcenouveauprêtre…Ilavaitsurprislesregardsquejelançaisaupetitamidesafille
aînée. Cameron Vint. Il avait quatre ans de plus quemoi, il était gentil avec tout le monde. Je letrouvais beau et, chaque fois qu’ilme parlait, c’était plus fort quemoi, je rougissais. Bien sûr, jen’avaisquedouzeans.Jen’avaispasvraimentcompriscequeçavoulaitdire.MaislepèreClay,si.Etcejour-là,ilenaparléàmamère.Illuiaditquejenedevaispaslaisserledémons’emparerdemoi.Forcément,elleaaussitôtacquiescé,enluiexpliquantqueçafaisaitdesannéesqu’elleessayaitdem’endébarrasser,sanssuccès.Etpuistouts’estenchaîné.Ilsemitàtrembler.—Leresteestflou…articula-t-ildifficilement.Jemesouviensseulementduprêtrequihurlait,de
mesproprescrisquandmesvêtementsontprisfeu,demapeauquipartaitencendre,descraquementsdesflammes,et…Cesbruits…Cetteodeur…Deslarmestombaientsurmondos,destorrentsdedouleuretdetristesse.Jemeretournailentement,ilétaitau-dessusdemoi,abîméetpourtanttellemententier.Jeprissonvisagedansmesmainsetcaressaisesjoues.—C’estfini,luisoufflai-je.Ilsecoualatête,posasonfrontcontrelemien.—Parfois,quandjelavois,j’aienviedelatuer.—Jesais.Jel’embrassai.—Elleaétéinternéependantdeuxans.Lapremièreannée,jelaréclamaisalorsquejesouffraisle
martyredansceservicedeDallas,àcaused’elle.Jelaréclamaisparcequ’elleétaitmamèreetquej’avaisbesoinqu’ellesoitavecmoi.Mais forcément,ellenepouvaitpas,puisqu’elleétaitenferméedansuneunitépsychiatrique.Pourtant,jel’aimeencoreetjen’aijamaisréussiàladétester.Jen’enavaisjamaisdouté.Jeluiagrippai leshanches, lecollantplusàmoi.Jevoulaisqu’ilnepenseplusàrien.Aumoins
pourlesprochainesheures,pourquenouspuissionsenfinprendredurepos.Nousabandonner.—Etmoi,tum’aimesCaleb?—Jet’adore.—Alorsviensdansmesbrasetoublietout.Ce qu’il fit, laissant le reste au passé. Je le glissai sousmoi et lui fis l’amour, longtemps, tout
doucement,jusqu’àcequ’ilseperdedanscequenousavionsdeplusmagnifique.L’autrecommeunrefletdesoi.—Àtable!nousappelaAma.J’abandonnaimespenséespourmemettreaussitôtsurmespieds,manquantdefairechavirerMac
quisomnolaitlatêtesurmonépaule.Ilnefutpaslongàseremettre,seruantverslacuisinecommenous tous. Nous nous arrêtâmes à l’entrée, bloqués par une Ama qui nous barrait le passage, lesmainssurseshanchestrèslarges,leregardmécontent.Sagement,nousfîmesdemi-tourpourranger
cequenousavionslaissétraînerdanslesalon,avantderevenirdroitversl’odeuralléchantederôtietdepommesdeterreaufourqu’Amanousservitgénéreusementdansdesassiettesblanches.Nousétionssamedi.Etsamedi,c’étaitnosdimanchesànous,puisquejen’étais jamais làpourle
dernierjourdelasemaine.NousnousassîmesprécipitammentautourdelatableetAbourécitalebénédicité,trèsbrièvement,
enfinissantpar:—Excusez-moiSeigneur,maisjesuismortdefaim.Amen!—Amen!reprîmes-nousenchœur.Bénissoientlespasteursaffamés!Macfut lepremieràenfoncerlamaindanslapanière,poussantcelledeSoliaupassage.Ilavait
reprisdupoidsetçacommençaitàsevoir.Àbiensevoir.Ilétaitdenouveauàcroquer.—Hé!râlaSoli.Jetesignalequetun’aspasditAmen.Etpasd’Amen,pasdepain!Amaluitapasurlecrâne.—Macabesoindereprendredesforces,espècedemalpoli!—Iladéjàbienreprisdesforces,memoquai-jeenlorgnantverssonventre.Aussitôt,Macbaissalesyeuxpourletoucher.Desmini-poignéesd’amourétaientapparuessurses
hanchesdernièrement.Adorables.Çachangeaitdesamaigreur.Enlesvoyant,Macjetalepaindanslacorbeilleetgrimaçadevantl’assiettepleinedevantlui.Calebmejetaunregardnoiretjehaussailesépaules.—Quoi?fis-je.Ilesttrèsbiencommeça.Quoique…—Rafael!grondaCaleb.JerisenavisantlaminedéfaitedeMac.Vexé,ilcroisalesbras.—Tuaimeraism’envoyermefairevoir?Leregardsombre,ilhochalatête.—Tun’asqu’àouvrirlaboucheetledire.CalebposadenouveauunetranchedepainprèsdesonassietteetMaclapritavecdéfi,offrantun
sourireétincelantàCaleb.Ouais, ilsavaitmefaireenragersansémettrelemoindreson.Avecsabouilled’Irlandais, toutle
mondesefaisaitavoir.Calebenpremier.Etmoijusteaprès.—C’estbien,ditAma.Nourris-toi,monpetitchou.Lepetitchouenquestionpassaitsesjournéesàsefairedorloter.Cequej’allaisdirebienhautpour
titillerMac,maisjecroisailesyeuxdeCalebetjem’arrêtaiaussitôt,labouchetoutjusteouverte.Merde,alors!Depuisquandunseuldesesregardssuffisaitàmefairereculer?Depuisledébut,Rafael,mesoufflalavoixmoqueusedemaconscience.—Ehbien,ilyenaaumoinsunquiréussitàtefairetaireici,marmonnaAbou.L’intéressénouasesdoigtsauxmienssouslatable,enclaquantlalangue,contentdelui.Unefierté
possessivequifitpétillersesirisgris.Ilauraitinclinéunstetson,faussementmodeste,avantdepasserundoigtdanssaboucledeceinturon,tapantsesbottesausol,iln’auraitpaseuplusl’aird’unTexan.MaisAbou,évidemment,n’attendaitquecetteoccasionpourdirecequ’ilavaitsurlecœur,depuis
quelquessemainesdéjà.
Depuispluslongtemps,d’ailleurs.—Peut-êtrequ’ilréussiraàtefaireentendreraison,Rafael,continua-t-il.Calebcessaaussitôtdesourireetunfroidglacialtombasoudainautourdelatable.Abouavaitcesreprochessur leboutde la languedepuisbien trop longtemps.Etsapiétén’avait
jamaisentamésonfranc-parler.—Necommencepas,leprévins-je.—Pasàtable,Abou,m’appuyaAma.—J’aienviedemangertranquillement,sanscris,luifitremarquerSoli.Abouhaussalesépaules,peuimpressionnéparlessuppliquesdesafamille,parmesavertissements
etencoremoinsparlevisagerenfermédeCaleb.Ilavaitdeschosesàdireetnousallionsêtreobligésdel’écouter,unefoisdeplus.—Trèsbien,fit-ilencroisantlesbras.Jevaiscontinueràfermerlesyeux,donc.C’estça?Faire
commesiçanemefaisaitriendevousvoirensemble,Calebettoi,ensachantquetun’aspasrenoncéauxexigencesdeCharles.Illevalesmainsenl’air,commepourprendreDieuàtémoin.—Continuezcommeça,vousavezraison.Aprèstout,çavousregarde.Vousavezledroitd’êtreun
couplelibre,sic’estcequevousdésirezréellement.—Abou!sefâchaAmaentapantsurlatable.Avecsaforce,lesverrescliquetèrentetcertainsmanquèrentdeserenverser.Jesavaisquecetteconfrontationarriveraitàunmomentouunautre.Aboun’étaitpasdugenreàse
taireetcelafaisaitdeuxmoisqu’ilrongeaitsonfreinpournepasmettrelespiedsdansleplat.Ilétaitinquiet,moroseetcomprenaitdemoinsenmoins,surtoutdepuisqueCalebfaisaitpartiedemavie.—Qu’est-cequetusous-entends?demandai-je,lesdentsserrées.—Rien,Rafael.Jeconstate,c’esttout.Calebserramamainplusfort.—Jesuisdésoléquenotrerelationtechoque,Abou.Mais…Abouplissadangereusementlesyeux.—Cequimechoque,coupa-t-ilCaleb,c’estlalégèretéaveclaquelletulelaissest’êtreinfidèle.La
facilitéaveclaquelletulelaissestequitterjenesaiscombiendesoirsparsemainepours’envoyerenl’airavecdesenfoiréspleinsauxas.—Abou!semithorsd’elleAma.Çasuffit!Abou,enquelquesphrases,venaitdemerenvoyeràmaplace.Àcelled’unprostitué.Àcelledela
liedecettesociété.LejouetdeCharles.Laputedesbourgeois.—Tuesdégueulasse,Abou,luibalançaSoli,blessépourmoi.Je secouai la têteen repoussantmonassiette,Mac fitdegrandsgestesauxquels jeneprêtaiplus
attention.J’avaisenviedevomiretdepartir.Seul.J’essayaidemelibérerdelamaindeCalebpourmelever,maisils’yaccrochaavecunetelleforce
quejegrimaçaidedouleur.—Rafaelnem’ajamaistrompé!lança-t-ilhargneusement.Etilneleferajamais!
—Àd’autres!serebiffaAbou.Qu’importecequil’obligeàlefaire…—Tunesaisrien!hurlaCaleb.Alorsjeteconseilledetetaire!Jenevoulaispasqu’ilsemettedansdesétatspareils,certainementpaspourmoi.Jeneméritaispas
ça.—Arrête,Caleb,luidis-je.Çava.Ilétaitenragé.Furieuxdemevoirmerendresifacilement,trophabituéauxréflexionsdecegenre.
Mêmesiellesnevenaientjamaisd’Abou,d’habitude.—Non,çanevapas!criaCalebenselevant.Jenevaispaslelaissert’insulter,pasteurounon.Je
tegarantisAbouquesi…—Jenel’aipasinsulté,grondaAbou.Jenel’aijamais…Ils’arrêta,réfléchitàsespropresmotsetsetournaversmoi,levisagepâle.Samèreavaitlesyeux
brillants,SolisecouaitlatêteetMacleregardaitcommes’ilneleconnaissaitpas.—Attends,Rafael,jen’aijamaispenséque…déglutit-il.—Jesais,Abou.Cen’estpasgrave.Oui, j’avaiscomprisqu’ilcherchaità faireréagirCaleb,pensantqu’ilétait leseulàpouvoirme
tirerdesgriffesdeCharles.Ilavaitsansdouteraison.Calebétaitàdeuxdoigtsdecasserquelquechose.Peut-êtrelamâchoired’Abou,d’ailleurs.—Caleb,calme-toi,luisoufflai-jedoucement.—Mecalmer? répéta-t-il.Avec toutceque tu faispour lui,pour tout lemonde, jenepeuxpas
me…calmer,non!Merde,maisc’est…Jeserraisamain,l’empêchantd’allerplusloin.Lecœurbattant,jelesuppliaisilencieusementde
nepascontinuer.Prisdanssacolère,ilmitquelquessecondesàserendrecomptedecequ’ilétaitsurlepointd’avouer.Ilsetutaussitôt,évidemment.Maislamèchevenaitdes’enflammeret,quandc’étaitlecas,iln’yavaitqu’uneseuleissue.L’explosion.—Non,non,Caleb! l’apostrophaAbou.Continue, je t’enprie.J’aimeraissavoirceque tuallais
dire.—Laisse-letranquille,Abou,suppliai-je.J’étais lasdementiret lasde toutes lesdisputesquenousavionsdéjàeuessur lesujet.Lasde le
voirsebattreencorepourmoietsavoirqu’iln’yarriveraitjamais.—Qu’est-cequetunouscaches,Rafael?Jetentaiunsourire.—Beaucoupdechoses.—Noussommesunefamille,merappela-t-il.Latienne.—Jelesais,Abou.J’étaispeut-êtreceluiquienavaitleplusconscience,d’ailleurs.—Jelesaisvraiment,crois-moi.Amaseraclalagorge,troubléeplusqued’habitude.—Est-cequ’onpeutfinirdemanger,maintenant?—Ouibiensûr,Ama,soufflaCaleb,détournantsonregardfurieuxd’Abou.Mangeons.
Macprit unautremorceaudepainetSoline râlapasquece soit ledernier.Aucontraire, il luiresservituneautreportiondepatates,melançantuncoupd’œildésolé,etn’adressapaslaparoleàsonfrèredetoutelafindurepas.Puisunefoislatabledébarrassée,ilsuivitCalebausalonetseremitàsesdevoirs.Abou et moi nous retrouvâmes l’un en face de l’autre, autour de cette table vide, et Ama, qui
chantonnait commeà sonhabitude,nettoyait la cuisine, alorsquenotre silencedevenaitdeplus enpluspesant.—Jen’aijamaisvouluêtreinsultant,Rafael.—Jeveuxbientecroire.Aujourd’hui, lapiluleavaitdumalàpasser.Jen’arrivaisjustepasàl’avaler.Peut-êtreparceque
Calebavaitétélà,peut-êtreparcequejen’ypouvaisrien.Peut-êtreparcequej’enavaismarredemeheurteràluidepuisdesannées.Quoiqu’ilensoit,jemelevaidoucementenhaussantlesépaules.—Etpuistuasraison,Abou.Aprèstout,jenesuisqu’unepute.Ilsefigea,Amacessadesiffloter.Jequittailacuisinesanslesregarder.
31Jen’arrivaisplusàdormiravecCharles.Unenuitparsemaine,c’étaittrop.J’avaisbeaupartager
lessixautresavecCaleb,jenesupportaisplusdesentirlapeaudeCharlescontremoi.Nisonbrasautourdemeshanches,nisesmainsquimetouchaientauréveil.Pourtant, je le laissais faire, le laissais glisser ses paumes vieillies,moites, avides, surmapeau
mate. Caleb aimait cette couleur, ce brun doré. Charles aussi, mais pour d’autres raisons. Leshispaniquessevendaientplusfacilement.Jegardailesyeuxfermés,maîtrisantmarespiration.S’ilmecroyaitendormi,jepourraispeut-être
m’épargnerunpeu,cematin.Ilétaitplusbrutalencorequandilsavaitquejen’avaisqu’unehâte–lequitterpourretrouvermonappartementetlesdrapsfraisdanslesquelsCalebavaitdormi.Puisqu’ilrestaitchezmoi,mêmequandjen’yétaispas.CequeCharlessavaitparfaitement.Çalemettaitdansdescolèresnoiresqu’ilmaîtrisaitdemoinsenmoinsbien.Ilpensaitqu’aprèsavoirluledossierdeCaleb, jene l’auraisplus revu.Mais il était encore là, encoreplusqu’avant.Et siCharles avait pum’empêcherd’hébergerMacenmesusurranttoutcequ’illuiferait,iln’avaitpascetavantageavecCaleb. Il pouvait toujoursmemenacerde révéler ses secrets auMIT,mais ça aurait étédugâchis,alorsqu’ilpouvaitlesgarderauchaudjusqu’àcequ’ilenaitréellementbesoin.Etmalgrésajalousie,Charlesétaitavanttoutunhommed’affaires.Prévoyant.Etcruel.Monsimulacredesommeilnefonctionnapas.Charlesfinitpartirersurmescheveux.—Est-cequ’il tebaiseaussibienquemoi, tonpetitTexan?medemanda-t-ilbrutalement.Est-ce
qu’il te faitcriercommemoi?Est-cequ’ilsait lenombredefoisque je te fais jouirenuneseulepetitejournée?Desorgasmesemplisdehaineetdesouffrance,quejeretenaisjusqu’àlafin.Jemaudissaischaque
plaisirsanglantqu’ilavaitprovoqué.Chaquehalètementdedouleur.Jenerépondispasetçalerendittellementfurieuxqu’ilauraitpumetuer,làmaintenant.—Qu’est-cequ’iltefaitdesispécial?grinça-t-ilenapprochantsonvisagedumien.Dis-lemoi,
monamour.Dis-moi,quelgoûtasaqueue?Dequellecouleursontlesmarquesdesondos?Est-cequetulèchessescicatrices?Est-cequ’ellestefontbander?Espècedesalaud!Depuisqu’ilétaitaucourantdesbrûluresdeCaleb,Charlesn’arrêtaitpasd’enparler.Ilvoulaitdes
détails que je ne lui donnais jamais. Mais je le voyais dans son regard… lui qui aimait tant lesblessures…ilypensaitdeplusenplus.Calebétaituneperlepourunsadiquedanssongenre.Beau.Fier.Estropié.Charles n’auraitmêmepas à lever un fouet, une ceinture ou jouer du couteau pouravoirexactementcequ’ilvoulait.S’il n’y avait pas cet amour sombre queCharles croyait éprouver pourmoi, il auraitmis fin à
notre engagement, justepour trouverunmoyende convaincreCalebdeprendremaplace.Mais ilm’aimaitetaimaitmefairemal.EtsilesblessuresdeCalebl’intéressaient,illehaïssaitquandmêmeviscéralement.Parcequ’ilétaitintelligent,jeuneetqu’ilavaitréussiàm’atteindrecommeCharlesnesauraitjamaislefaire.—Est-cequetuluidisàquelpointçatefaitdubienquandjetebaise?mesusurra-t-ilàl’oreille.Non,jamais.Parcequec’étaitfaux.J’étaisexactementcequ’ildésirait,pendantcesheuresoùjelui
appartenais. Ilmevoulaitnu, j’étaisnu.Àgenoux, j’étaisàgenoux.Gémissant, jegémissais. Iln’yavaitriendevrai,riend’authentique.Iln’yavaitqu’unhommequienavilissaitunautre.Iln’yavaitque le tarif d’une passe quime laisserait quelquesmarques, qui faisait couler quelques gouttes demonsang.AvecCaleb,jemesentaisunhomme.Etc’étaitplusprécieux,plusimportant,plusvitalquetoutce
queCharlespourraitjamaism’arracher.Jefermailesyeux,écoutantletic-tacdel’horloge,danslecouloir.Onzeheuresseraientbientôtlà,
et je retrouveraiscette liberté temporaire.Uneboufféed’oxygène,deCaleb,avantde replongerenapnée.—Est-cequetuvasluiraconter…—Arrêteça,Charles.Encorecinqminutes.LamaindeCharless’envolaetfrappamondos,làoùlefouetavaitlaissédesplaiesàvif.—Tuesàmoi!Pourquelquesminutesencore.Lesdentsserrées,jerestaiimmobile,attendantquelessecondess’égrènent,qu’ellesmesauvent.Troisminutes.—Onverracequepensetonpetitgéniequandturentrerasetqu’ilmesentirasurtoi!ragea-t-il.Deuxminutes.Ilseleva,etjemetournaisurledos.Ilramassasonpantalonetpartitfermerlaportedelasallede
bain,glissantlaclefdanssapoche.—Tut’esendormitôt,hiersoir,medit-il.J’aieuletempsderegarderunpeudanstontéléphone
portable.Trèsromantique,cepetitBecker.Sirupeuxetécœurant,maistuasl’aird’apprécierça.J’aicrucomprendrequ’iln’avaitpascourscematin.Qu’ilt’attendaitsagementcheztoi.Ilsourit,heureuxdesonénièmemanipulation.—Alorsjemesuisditquepourcettefois,tupourraistedoucherenrentrantcheztoi.Ilrevintversmoi,sepencha,inspiral’odeurquejedégageaisetsourit.Unmélangedesueur,de
spermeetdesang.—Tumeraconterastoutlaprochainefois,monamour,s’amusa-t-ilensortantdanslecouloir.Tu
medirascommentcecherBeckeraréagi!Etilfilaverslacuisine,riantauxéclats.Encoreuneminute…Non,ilétaitonzeheures.—Saleenfoiré!laissai-jetomberendescendantdulit.IlétaithorsdequestionquejevoieCalebcommeça.Autantluitireruneballeenpleincœuretle
regardercrever.Je m’habillai, les mains tremblantes, sentant l’odeur de Charles sur moi. J’avais besoin d’une
douche pourme nettoyer de cette journée, pour ne pas souillerCaleb en rentrant comme ça.Mescheveuxétaientencorecollantsdespermeetmonvisage…Jepris ledrappourm’essuyer les jouesdes résidusgluantsqueCharlesyavait laissés lorsqu’il
avait poussé l’humiliation jusqu’à me renverser son préservatif dessus, me rappelant bien à quij’avaisàfaire.Jemeruaiverslacuisineetrécupéraimonenveloppe,nel’ouvrantmêmepas;ilyavaitlongtemps
quelemontantnem’importaitplus.JeneprendraisquequelquesbilletsetdonneraisleresteàAbou,detoutefaçon,quandjelerejoindraisàl’égliseplustard.—Tuneprendspasuncafé?semoquaCharles.Ilrit.J’attrapaimavestesansrépondreetl’enfilai.Marespirationdevintcourte,moncœurbattait
fortdansmapoitrine...J’avaislesmainsquimedémangeaientd’allers’entortillerautourdesoncou,pourluibriserlanuque.—Qui?demandai-jelesdentsserrées.Ilmedonnalesnomsdemestroisclientsdelasemaine,fermasonagendaetseleva,seplantant
devantmoipourm’embrasser.Jemereculaiaussitôt.—Vatefairefoutre,Charles!Ilmemontralesdents,ricanaencoreplus.—Oh,monamour,commejet’aime,déclara-t-il,unemainsurlecœur.Etunjour,tuserastoutà
moi.Jamais!—Çan’arriverapas.Jemedétournai,ilmerattrapaparlebras.—Tuserasàmoi,Rafael,meprévint-il.Jetelegarantis.
32Je claquai la porte en sortant,me dirigeant versmamoto. Je jetai l’enveloppe dans le coffre et
enfonçaimon casque, lesmains tremblantes. Jemis le contact et m’enfuis. Avec l’espoir, commechaquefoisquejepartaisd’ici,quejen’auraisplusàyrevenir.Prisdefolieàl’idéederentrerdansuntelétat,jeroulaijusqu’auportdeBostonetplongeaidans
laNeponsetRivertouthabillé,chaussuresetvestecomprises.Jefrottaifrénétiquementmescheveux,mesvêtements,montorseendessous,monsexeenluttantpourdéboutonnermonjeandétrempé.Jerestaidedans,cherchantàmelaverdetoutcequecesalaudavaitfaitdemoi.L’eauétaitgelée,lemoisdedécembreétait trop froidpourunbainaugrandair etmesmembresdevinrentvite raides,meslèvresbleues.Heureusement,unhommem’aidaàsortiret,tremblant,jeleremerciaienrepartantversmamoto.Le trajet me plongea dans une telle hypothermie que j’étais congelé jusqu’aux os. J’avais
l’impressiondenepluspouvoirbouger.Devant mon appartement, je peinai à sortir mes clefs de ma poche. Je jurai plusieurs fois, fis
tombermon trousseau, recommençai, jusqu’à ce que la porte s’ouvre d’elle-même. Et que Caleb,dansundemest-shirts,encaleçonetpiedsnus,sematérialisedevantmoi.Ilavaitlevisagechiffonnéetlesyeuxrougis,commechaquefoisqu’ilattendaitquejerentre.—Qu’est-cequit’estarrivé?medemanda-t-il.Jelepoussaipourrentrer,ilrefermadoucement,donnantuntourdeclef.Jeneluijetaipasunseul
coupd’œiletmeruaiverslasalledebain.—Rafael?Jeluiclaquailaporteaunez.—Pasmaintenant,Caleb!Jemedéfisdetousmesvêtements,lesbalançaidansletambourdelamachine–mêmemavestede
cuir qui, de toute façon, était foutue –, et lançai le programme. Je reculai vers la douche et l’eaubrûlantesurmapeaufroidemefitgrimacer.Jemelaissaitombersurlecarrelage,lesbrasautourdesgenoux,latêteenfouieentremescoudesetattendisquelachaleurfassesoneffet,chassantlefroidettoutlereste.Jenel’entendispasentrer,nisedévêtir.Niseglisserderrièrelaparoideladouche.Jenelesentis
qu’unefoisqu’ilfutlà,assisderrièremoi,etquesesmains,mousseusesdegeldouche,entreprirentdenettoyermoncorpsdetoutcequ’ilavaitdeplusdégueulasse–Charles.Doucement,illavamesépaules,mesomoplates,mesreins,etjenebougeaipas,restantrepliésur
moi-même.MêmeCaleb,danscesmoments,avaitdumalàmeramenerverslui.Mescuisses,mesmollets,mesbras.Mes cheveux, longtemps, massant mon crâne de ses mains habiles. Ma nuque raide. Par petits
cercles,pourmedétendre.Etpuisilremitunenoixdesavondanslecreuxdesespaumesetperçamesbarrières.Mon torse,mapoitrine,mes tétons.Lentement, pournepasmebrusquer.Monventre.Et encore
plusbas,monsexemouetfatigué.
Jerevinsàlavie,doucement,contrelui,souslui,aveclui.Jememisàgenoux,latêtebasse,etlesentisderrièremoi touchermondosabîmé, lesplaiesdouloureuses,mesfesses.Avecbeaucoupdeprécautions.Illaissasesdoigtsglisserplusenavant,lavalestraînéesdesang,lapetitedéchirurequeCharlesaimaittant.—C’estfini,Rafael,chuchotaCaleb.Tuesavecmoimaintenant.Jemetournaiverslui,accrochaisonregarddéfait.L’horreurquej’ylisaisétaitunéchoàtoutce
quejeressentais.Çaledétruisaitaussisûrementquemoi.—Tum’aimesencore,Caleb?—Toujours.C’étaitencorelà.Encore.Pourcombiendetemps?—J’aipenséàtoi,medit-il.—Tunedevraispas.—Tucrois?fit-ileninclinantlevisage.Tucroisqueceseraitmieuxquejem’enfoute?—Tudevraism’oublier.—C’estimpossibleettulesais.Jeme tournai, pris son visage dansmesmains et approchai lemien. L’eau coulait toujours sur
nous,commeunepluied’été,tièdeetvaporeuse.—Pourquoi ?m’étranglai-je. Pourquoi ne pars-tu pas ?Regarde-moi ! Je ne t’apporte que des
souffrances,d’autresblessures.Ettuenasassezenduré!Alorsjet’enprie,Caleb.Laisse-moi.—Non,sebuta-t-il.Jenepeuxpas.Il captura mes lèvres et m’embrassa passionnément. Un baiser sauvage et désespéré. Un baiser
commeunouragan,unetempête.Quisoufflefort,nousemporteetnouslaissesurlerivage,épuisés,àboutdesouffle.—Jen’enpeuxplus,soufflai-je.Jen’enpeuxvraimentplus,Caleb.—Jesais.Jeleserraifortcontremoi,jusqu’àcequel’eaudeviennefroide,jusqu’àcequejem’endorme,nu
etpropredanslelit.Jeleserraisencoreendormant,voulantlegarderprèsdemoidansmesrêves.Etplusloinencore.Quandtoutdeviendraitenfincalmeetserein.
33«Bonnejournéebeaubrun,
Jeseraideretourversdix-neufheures.Àcesoir.
P.S:Macaappelé,cequiadonné,jeretranscrisbipàbip:Uncourt,quatrelongs–cinqcourts–troiscourts,deuxlongs–Cinqlongs.
Ilfautquejememetteaumorse,parcequejen’aipascomprisJ»
C’était bien l’une des rares choses que Caleb ne connaissait pas. Le langage des signes, il lemaîtrisait,maislecodeMorse,pasdutout.OrMacrefusaitd’apprendreàsigner,persuadéqu’iln’enauraitpasl’utilitétrèslongtemps.Alors,quandilavaitbesoindequelquechose,ilappelaitetlaissaitunbrefmessage enmorse.Langagequenous connaissions tous les deux. Il n’y avait rien de plussimplequeça,etlà,Macsecontentaitdemedonneruneheure.Quinzeheurestrente.Celleoùj’avaispromisd’allerlechercheràlabibliothèquepourl’amenerauBostonGénéraloùilavaitunrendez-vousavecunspécialistedulangage.Peut-êtrequelqu’undecompétentpourunefois.Ouuncharlatandeplus.Comme j’avais le temps, j’enfouismonnezdans l’oreillerdeCalebetme rendormisunebonne
heure.—Salutmoncœur,mesaluaBrooke.J’avaisl’impressionqu’uneéternités’étaitpasséedepuisquejel’avaisvueladernièrefois.—Jecommençaisàm’inquiéter.—JesuissûrqueMact’arassurée.—Pastrèsbavardcegamin.Je souris, comme à chaque fois queMac était désigné comme un gamin alors qu’il n’avait que
quelquesannéesdemoinsquemoi.—Paspourl’instant,luifis-jeremarquer.Maisjeteconseilled’enprofiter.Parcequedèsquela
machineseradenouveauenmarche,tupourrasdireadieuàtatranquillité.Ellehaussalesépaulesetfitlamoue.—Jem’yferai.Ilplaîtauxadhérents,ilestcharmantettoutlemondel’adoreici.—Çanem’étonnepas.Macétaitunamourd’Irlandais,qu’onavaitenviedeblottiraucreuxdebrasprotecteurspourque
rienneluiarrive.Plusjamais.JeposaimapiledebouquinsenretarddevantBrookeetelleensortituneautredesoussonbureau.
Je nepusm’empêcher de jeter un coupd’œil dans sondécolleté. J’avais toujours trouvé ses seinsmagnifiques,c’étaitplusfortquemoi.Ellelesavaitd’ailleurstrèsbien,puisqu’ellesourit,raviedemefairedel’effet,mêmesiellenelediraitjamaisàAlain.—Peut-êtrequejepourraist’enfaireunephoto?semoqua-t-elle.Jeprisquelquesminutespourréfléchiràsaproposition.—Non,soupirai-jed’untonsacrificiel.Je ne saurais vraiment pas comment expliquer ça àCaleb. J’avais déjà trop à lui dire, alors lui
parlerdemonautrepenchant,mêmesij’avaisunenettepréférencepourleshommes,ceseraitpour
plustard.—Tantpispourtoi,tunesaispascequetuperds.Undernierregarddanssoncolplongeant.—Oh,sijelesais.J’embrassaisajoueetpartisàlarencontredeMac.Ilétaitàl’étagesupérieuretsetournaversmoidèsquejepassaileseuildelaporte.Ilattrapasa
veste,sonsac,contentdemevoir.Etàl’heure.Cetravailluiallaitbien,sanouvellevieluiallaitbien.Neplusprendretoutescesdrogues,aussi.Ilpassaunbrassouslemienetmetiraversl’escalier.Quandjelevoyaissiépanoui,malgrésonmutisme,jemesentaisunpeumieuxmoi-même.Tout
n’avaitpasétévain,enfindecompte.Ilétaitlà,lui,pourmeprouverquejenesouffraispaspourrien.Debout,vivant,sansaucunclientàsatisfaire.Ilavaituntoit,lesourire,desamis,unavenir.Jeluiembrassailatempeetilposabrièvementsatêtecontremonépaule.—Salut,luisoufflai-je.Illevaunemainpourseuleréponse.—Bonnejournée?Lepouce,cettefois.Ilremarquamescernes,monvisagefatiguéettenditundoigtversmoi.—Moi?Ilhochalatête.—Çaira,lerassurai-je.Allez,allonsvoirtonnouveaucharlatan.Illevalesyeuxauciel.Le nouveau charlatan en question était très blond, presque platine, et ses yeux dorés étaient une
vraiepoésieàeuxtoutseuls.Macmanquadéfailliretjeluipinçailebraspourqu’ilsereprenne.—Bonjour,noussalua-t-il.DocteurBenMarquice.Maceutunpetitmouvementdumentonetpritlamainofferte.—Àplus,luidis-je.Ilme désigna la salle d’attente – comme si je ne l’avais pas vue – et suivit lemédecin dans un
couloirquisemblaitsansfin.Ensoupirant,jem’enallaiversdesfauteuilsinconfortables,desjournauxdatantdel’âgedepierre
et un gobelet de café dégueulasse.Heureusement, j’avais les nouvelles trouvailles deBrooke avecmoi,sinonj’auraisétéprêtàplanterMacetlelaisserrentrerenbus.MaisAmaauraitpumefrapper–rienqued’yavoirsongé–etjeneparlaismêmepasdeCaleb.Caleb…Encore une fois, il avait passé des heures à prendre soin demoi, àme ramener vers lui, àme
remettredebout.Unenuitoùilauraitdûsereposer,seblottircontreunamantheureuxquiluiauraittoutdonné,à luietà luiseul.Iln’yauraiteuquedessouriresaumatinetquelquessoupirsamusés
quand leurs mains se seraient rencontrées, aventureuses, téméraires, allant parcourir la peau del’autre pendant quelquesminutes encore, juste le temps de lesmettre en retard et de peupler leurjournéed’imagesdedoucesretrouvailles.Etlesoir,ilsauraientrattrapéletempsperdu,enlacés,etseseraientaimésdenouveauavantdesechuchoterleurjournéeàl’oreille,commeonraconteunsecret.Pasdedouleur,pasdepeur,pasdecris,nidelarmes.Justedubonheur.Toutcequej’étaisincapabledeluidonner.—Excusez-moi.Jerelevai la tête,abandonnantmespensées.Uneinfirmièresetenaitdevantmoi,dansuneblouse
rose,descheveuxteintsenrouxattachésenchignon.Mignonneet innocentecommeunejeunefilleélevéesousunecoupelledorée,àl’abridudanger.—Oui?—LedocteurMarquiceauraitbesoindevotreaide.Ila…quelquesdifficultésàcomprendreson
patient…JeveuxdireMonsieurO’Connell.Je refermaimon livre etme levai, la suivant le long d’un couloir jusqu’à une porte où la voix
désemparéed’unmédecinsesuperposaitausonmatd’unpoingtapantrythmiquementsurunesurfaceplane.Avec une petite moue d’excuse, l’infirmière frappa et ouvrit en me laissant passer. En me
reconnaissant,lemédecinsouffladesoulagementetMacseretourna,continuantàtapersurlebureau.—Jesuisdésolé,maisjenecomprendspaslemorse.Jesaissigner,mais…Jen’étaispascertainqu’ilveuillequejetraduisecequeMacessayaitdeluidire.—Vouspouvez…?Macterminasonmanègeetseleva.—Ilvousenvoievousfairevoir,docteur.Pourconfirmer,Macprésentasonmajeurbiendroit.Lemédecinselaissatombersursondossier
defauteuiletlevalesbrasauciel.—Sivousaviezfaitcegestedèsledébut, j’auraistrèsbiencompris,monsieurO’Connell.C’est
assezuniversel,voussavez.JemeretinsderireetMacouvritlabouche,stupéfait.—Jevousenprie,asseyez-vous.Touslesdeux.NousprîmesplacedevantlebureauennousregardantetledocteurMarquiceconsultadenouveau
undossier.—CequiamisMonsieurO’Connelldanstoussesétats,m’expliqua-t-il,c’estmapropositionde
fairedesséancesd’hypnosepourqu’ilsesouviennedesonagression.Maclevasonmajeurànouveauensecouantlatête.—Pourquoivoulez-vousqu’ils’infligeça,bordel?m’écriai-je.Unefois,cen’estpassuffisant?SesyeuxdorésserelevèrentetseposèrentsurMac,douxetcompatissants.—Désolé si jevousparais insensible, luidit-il.Maisvotreaphasien’esten rien le résultatd’un
dysfonctionnement.Écoutez…Ilnousregardaàtourderôle,soupira,croisalesbrassurlebureau.
—Lesmédecinsquivousontauscultéàlasortiedevotrecoma,monsieurO’Connell,ontconclu,àtort, que votre aphasie résultait de votre traumatisme crânien. Sachez qu’il y a six catégoriesd’aphasie:cellequel’onappelledeconduction,laglobale,lamixte,laprogressive,celledeBrocaetenfincelledeWernicke.Etmalgrélabatteriedetestsquevousavezpassée,vousn’entrezdansaucunedecescases.Cequinouslaissedeuxpossibilités.Soitvousêtesuntrèsboncomédienetvoussimulezsciemmentvotremutisme.Soitvotreinconscientvousprotègedecequevousavezvécuenmentantàvotreplace.J’étaiscertainquel’inconscientdecetêtud’Irlandaisétaitcapabledebeaucoupdechoses.—Donc, continua le médecin, comme je pense que vous n’êtes pas un menteur, du moins pas
volontairement, jepenchepourun tour jouéparvotre inconscient.Cequiveutdirequevousallezdevoircherchercequ’ilvouscache.Ensomme,votreagression.LedocteurMarquicesepenchaversMacetluisouritgentiment.— Je suis désolé, monsieur O’Connell, mais je pense que pour retrouver votre langage, il va
falloirpasserparl’hypnoseetvousforceràvoussouvenir.Macsetournaversmoietsecoualatête.Jenebronchaipas,nesachantpasquoiluidire.J’avais
envie qu’il retrouve la mémoire, mais pour d’autres raisons. Pour tuer ces salopards. Mais si jelaissaisdecôtémesespoirsdevengeance, jepréférais largement levoirs’épanouiretretrouver lesourire. Parce que s’il devait choisir entre son nouveau bonheur et ses mots, il arrêterait toutsimplementdeparler.Mac secoua de nouveau la tête, m’observant intensément, comme pour me supplier de ne pas
l’obligeràfaireça.Biensûrquejeneleferaispas.—C’esttadécision,Mac.Ilhocha lementon, se levaetquitta lebureau, tout simplement.Lemédecincherchaà le retenir,
maisjel’enempêchai.—Laissez-le,docteur.—Maisilpourraitnejamaisreparlersi…Jelevaiunemainpourl’interrompre.— Sachez qu’il y a des sacrifices que l’on est prêt à faire pour avoir droit à un semblant de
bonheur.N’insistezpas,d’accord.Jeluisouhaitaiunebonnejournéeetquittailebureau.Macm’attendaitprèsdelamoto,lesbrascroisés,ledostourné.Jeposaiunemainsursonépauleet
luisouris.Ilbaissalatêteettapaquelquessonssurmonguidon.Jel’arrêtai,j’avaiscompriscequ’ilvoulaitdire.—Tuapprendrasàsigner.Nousapprendronstous,OK?Cen’estpassigrave.Ilsoufflasursesmèchesroussesetgonflaletorseenprenantunegrandeinspiration.—Allez,monte,ilfautquejepassevoirAbou.Tuviensoujeteramèneavant?Ilserramonbrasplusfortqu’àl’ordinaire.—OK,onyvaensemble.C’estparti.Il s’accrochaàma taillede toutes ses forces, seblottissant contremoi. Il était triste et enmême
temps soulagé. Parce que nous savions, lui etmoi, qu’il y avait des combats que l’on gagnait enrenonçantsimplementàsebattre.
Sansdouteétait-cepourcetteraisonqu’Abou,Macetmoinousretrouvâmesassissurlepremierbancdel’église,leregardtournéversl’autel,perdusdansnospensées.Nousavionschacunnospropresprières,nospropresdouleurs,nospropresobstacles.Commetroisfrèresquelavieavaitréunis,nousétionslà,ensemble,épaulecontreépaule.Abouet
sa peau noire comme le café, ses cheveux crépus et ses épaules de lutteur.Mac et son teint blancd’Irlandais,sesyeuxverts,sonvisaged’ange,fincommeuneliane.Etmoi,avecmesépaulescarrées,mestraitsd’hispanique.Sidifférentsetsisemblables.Siseulsetsiunis.Unprêtreafro-américain,dontlescroyancesétaientsidifficilementexplicables.Un ancien prostitué reconverti en bibliothécaire, dont les agressions n’avaient jamais terni la
douceur.Et le jouetd’unhommed’affairespuissantetmachiavélique, fouamoureuxd’un jeunegéniequi
portaitlescicatricesdesonpassé.Riendecequenousétionsn’auraitpunousprédisposeràêtrelà,touslestrois,unebièreàlamain
dansuneéglise,àboireàlasantédeJésusChrist,levantnosbouteillesbienhautpourleremercierdetoutcequ’ilnousavaitpris.Etdetoutceque,malgrétout,ilnousavaitdonné.Unjour,peut-êtrequenousaurionsdesréponsesànosquestions.Peut-êtrequenoussaurionsoù
toutcelaétaitcensénousmener.Peut-êtrequenouscomprendrionslemessage,lavoieàprendreoulecheminquinousétaitdestiné.Sansdoutequ’ilyavaitdessolutions.Sansdoutequenousaurionsdûnousparlerdavantage.Sansdoute…Maisd’êtrelàétaitdéjàlapreuvequenousétionsplusquedesamis.Plusqu’unefamille.C’étaitunaveu.Unsermentdefraternité.Quimedonnaituneenviedebonheur.Unevraieenviedebonheur.Uneenvied’exister.
34Je traversai le campus au pas de course. Je savais que Caleb était quelque part par ici, le
département d’aéronautique et d’aérospatiale était tout près. Il y avait du monde qui marchait,beaucoupse retournaient surmoi, surmescheveuxenbataille, surmavesteencuirmarron,usée,commemonjeannoiretmesrangers.Lecolblancdemonpullétaitremontéjusqu’àmeslèvresetcachaitmonsourire.Monbesoindelui.Monenviedecrierquemerde!oui,j’étaisamoureux.Oui,jeneleméritaispasetoui,toutallaitnousexploseràlatête,unjouroul’autre,tôtoutard.Jem’enfoutais.Hier, dans cette église, il s’était passé quelque chose. Comme le murmure de quelqu’un qui
m’enjoignaitdeprofiterdeCaleb,maintenant.Demebattre.Decommenceràm’accepter.Etàl’accepter,lui.Qu’est-cequim’enempêchait?Charles?Aprèstout,cen’étaitdansaucundenosaccords.Alors je continuais d’avancer, les mains dansmes poches. Tout droit, sans baisser les yeux, le
cherchantpar-dessuslesautres,essayantdelerepérer.Iln’étaitpasloin.Moncœurbattaitplusfort,mapeausecouvraitdechairdepoule.Jemesentais
léger,commejenemesouvenaispasl’avoirétéunjour.Soudain,jelevis.EntrelesinséparablesAmandaetLenny,lamadoneetlegeek.Ilsdiscutaienttous
les trois, chahutaient légèrement, souriaient. Puis Caleb redressa la tête, comme s’il ressentaitmaprésence,plissantlesyeuxpourpercerlafouled’étudiants.Ilralentit,jetauncoupd’œildanssondosetçameplutdelesavoirsicertaindemetrouverquelquepart.Jesourisetpenchailatête,accélérailepas,pressédelesentircontremoi.Sonregardcroisaenfinlemien,etj’étaisjustelà,àquelquespasdelui.Sansralentir,jelepercutai,meslèvresheurtantlessiennes.Sousl’impact,ilreculaetlâchasonsac.
Je croisai mes bras sur ses reins et capturai sa bouche sous le rire moqueur de ses amis quis’éloignaient déjà, le raclement de gorge gêné de certains passants, les rires amusés, les soupirsscandalisés,envieux.Maisqu’importaitpuisqu’ilattrapalereversdemavesteàpleinesmainsetqu’ilmerenditmonbaiseravecunefouguequimefitfrissonner.Jemedétachailentementdelui,àregret.—Tuasfinitajournée.—Non,baragouina-t-il,lesjouesrouges.Jeramassaisonsacausoletlemissurmonépaule.—Cen’étaitpasunequestion,Caleb.Jepassaiunbrasautourdesatailleetmepenchaiàsonoreille.—Ons’enva,luimurmurai-je.Toietmoi.Jusqu’àdemain.—Mais…Attends,Rafael,dit-ilquandjeluiprislamainetcommençaiàavancer.Jenepeuxpas
partircommeça…Mescours…—Tulesrattraperas.Ilfreinaencore.
—Jen’aimêmepasmonportefeuillesurmoi.—Tuastacarted’étudiant?—Oui.—C’estsuffisant.Maisilrésistaitencore.—Quoi?m’agaçai-je.—Je…Lasdesesexcuses,desesdiscours,j’attrapaisonécharpeentremesdoigtsetleramenaiversmoi,
l’embrassantdenouveaujusqu’àcequ’iloubliepourquoiilrefusaitdemesuivre.Çasemblasuffire,parcequejeserraisamaindanslamienneetletiraiderrièremoi.Etcettefois,ilneditplusrien,secontentantdesecouerlatêteetdemesuivre.Forcément, ça aurait été trop simple qu’on s’en aille comme ça, sans se retourner, sans heurts.
Brandonseretrouvasoudainaumilieudenotrerouteetnousbarralepassage.Jelevailesyeuxauciel,maudissantlesensdel’humourdecefichuDieu.—Ilmesemblaitbient’avoirreconnu,Rafael,sourit-ilhypocritement.Enmêmetemps,difficilede
t’oublier.Sarcastique,iljetaunregarddédaigneuxàCaleb.—Jepensaisqu’unpetitpaysancommetoisetiendraitloindesprostituésbostoniens.Surtoutceux
quivalentplusdetroismoisdetonsalaire.BrandonritenavisantlesyeuxbrillantsderagedeCaleb.—Tusavaisquec’étaitunepute,n’est-cepas?Caleb se raidit de fureur à l’instant oùmon poing atteignit le nez de ce petit enfoiré. Brandon
manqua de partir en arrière sous la violence du coup. Il se rattrapa de justesse, pinça son nez quisaignait,semettantàpleurnicher.—Tuvasregretterça,Rafael!memenaça-t-il.Maisilavaitbeaucoupdeprogrèsàfaires’ilpensaitmefairepeur.JeconnaissaisCharlesdepuis
dixans.Ilm’avaithabituéàmieux.— Tiens-toi loin de nous, ou papa Asher pourrait bien apprendre comment tu dépenses son
précieuxfric,l’avertis-je.Entendu,Brandon?Ilmefixaduregardquelquessecondes,l’airpaniqué,avantdefiler,lesdentsserrées.Quandjeme
rappelais que j’avais laissé ce petit con de fils à papamebaiser, j’en avais des sueurs froides quicoulaientlelongdelacolonnevertébrale.Etquandjepensaisàtouslesconsquim’avaienteu…Mabonne humeur etma légèreté s’étiolèrent, et je fus sur le point de tout laisser tomber – cette idéestupidedeweek-endàdeux,alorsquecen’étaitmêmepas leweek-end.Maisc’était lemienetcesdeuxjours,c’étaittoutcequejepouvaisnousoffrir.Je jetai un coup d’œil prudent à Caleb, craignant de l’avoir blessé, une fois de plus.Mais il se
retenaitderire,semordillantlalèvre.— Quoi ? demandai-je devant son visage rayonnant. J’avais envie de lui en coller une depuis
longtemps,figure-toi.—Çamevatrèsbien.Jeglissaimamainjusqu’aucreuxdesondos,puissursahanche,mesdoigtstrouvantlespassants
desonjean.Levoirheureux,c’étaittoutcequejesouhaitais.—Moiaussiçameva,Caleb.Ilhaussalessourcils.—TuneparlesplusdeBrandon,là?Jesecouailatête.—Passeulement,m’amusai-je.Allez,dépêche-toiouonvaraternotretrain.—Notretrain?s’étonnaCaleb,enouvrantgrandlesyeux.Mamoton’étaitplusloinetjepressailepas,leforçantàenfaireautant.—Queltrain,Rafael?Jel’embrassairapidement.—Celuiquel’onvaprendreàDartmouth,situtedépêchesunpeu,lepressai-je.—ÀDartmouth?répéta-t-il.Je levai les yeux au ciel enm’arrêtant devantma bécane. Jeme penchai pour ôter l’antivol, lui
lançantuncoupd’œilmoqueur.—Tuvasrépétertoutcequejedis?luidemandai-je.ÀDartmouth,oui.Onprendl’Amtrakjusqu’à
NewYork.—Jusqu’àNewYork?Jem’esclaffai,luibalançantuncasquedanslesbras.Ilétaitahuri,immobile,etsijen’avaispasété
certaindesonintelligence,jel’auraisprispourunparfaitimbécile.—Oui,NewYork,Caleb!Avecl’Amtrak,onyseraentroisheures.Tuaurasletempsdebosser
pendantle trajet.IlyamêmeleWifidansletrainetdejoliestablettesoùtupourrasétaler toustesmanuels.Tuvoisque jepenseà toi.Maintenant,monte surcettemotoavantque jene le fasseà taplace!—Mais…—Caleb!m’énervai-jeenhaussantlavoix.Monte.Sur.Cette.Bécane.Toutdesuite!—OK.BornédeTexan!Ilnepouvaitpasselaisserporteretnepenseràrienpendantlesvingt-quatreheuresàvenir?Non,
sonpetitcerveaudegénieavaitbesoindetoutsavoir,detoutanalyser,detoutcompter,dénombreretquesavais-jeencore?Ehbienpourcettefois,ilallaitdevoirmefairetotalementconfiance.J’accéléraidèsqu’ilfutinstallé.Jeslalomaientrelesvoituresetmislesgaz.Nousmanquâmesde
raterledépart;heureusement,j’avaisprislesbilletsàl’avance.Nous sautâmes dans lewagon in extremis, sous l’œil goguenard du chef de gare. Les portes se
refermèrentderrièrenousetletrainsemitenbranle,prenantdelavitesse.Nous trouvâmes nos places et nous tombâmes sur nos sièges l’un en face de l’autre, à bout de
souffle.Calebavaitlaboucheencorelégèrementouvertedutypequisedemandaitcequ’ilfaisaitlà.Etjeluiauraisbienexpliqué,sijen’avaiseuautantdeproblèmesaveclesmots,lesdéclarations,lesaveux.Ilétaitmalin,ilavaitdel’instinct,surtoutencequimeconcernait.Ilfiniraitparlecomprendrede lui-même.Et cen’était pas si difficile àdeviner.C’était justeune autre façonde lui direque jel’aimais. Dans mon appartement, mais aussi partout ailleurs. Que ça ne s’arrêtait pas quand je lequittais,quandjesortaisdulitpourretrouverunautre,quandjepassaismesdimanchesdanslesbras
d’unsadiqueauxidéesdangereuses.Çanes’arrêtaitjamais.Jetournailevisageverslafenêtre,regardantBostons’éloigner.Etsinousnerevenionsjamais?C’étaituneidéeaussiséduisantequ’effrayante.Jerêvaisdequittercetteville.Dem’éloigneretde
ne plus revenir. Si un jour j’étais libéré deCharles, je partirais en un souffle,mettrais le plus dedistancepossibleentreluietmoi.Jenereviendraisjamais.Parcequesij’arrivaisàtournerledosaumalheur,plusrienneseraitcapabledemerameneràBoston.Plusrien.Saufpeut-êtrequelqu’un…—Tuesmagnifique.LavoixdeCaleb,c’étaitlapremièrechosequejemerappelaisdelui.Etencoremaintenant,elleme
faisaitautantd’effet.Commeunventchaudsoufflantsurmapeaufrissonnante.Jemetournaiverslui.—Tul’esaussi.Ilsourittendrement.—Àtesyeux,sûrement.—AuxyeuxdebeaucoupdemondeCaleb,dis-jecommeunavertissement.Jenesupportaispasqu’ilsedépréciait. Ilétaitbeau, intelligent, ilavaituncœurd’or,unsourire
sublime,etcen’étaitcertainementpassestenuesdébrailléesquisuffisaientàfaireoubliersesyeuxgrisetsonvisageauteintd’unepâleurdenacre.Etcettesilhouetteenlongueur,cetorsetailléenunVfin,ettoutcequisecachaitdessous.Legoûtdesapeau.L’odeurdesonsexe.Calebfinitparrougirsouslepoidsdemonregard.—Jesaisquejeteplais,Rafael,murmura-t-ilenchangeantdeposition.J’adoraislemettremalàl’aise.—Arrêteça,marmonna-t-il.—Quoidonc,cowboy?Je l’aurais bien traîné dans les toilettes du compartiment si j’avais été certain qu’ilme suivrait.
Mais mon beau Texan n’était pas un de ceux qu’on culbute dans trois mètres carrés. Et même sij’avaisdesenviesdebassesse,ilyavaitvraimenttropdemondedansl’Amtrak.Jen’allaispasrisquerqu’on nous débarque au prochain arrêt alors queNewYork était si grande. Je trouverais bien unendroit tranquillepour lecorrompre.Etsicen’étaitpas lecas, j’attendraiscesoiret le litdouilletd’unechambred’hôtel.—Arrête,répéta-t-ilplusdoucement.Tunet’enrendspeut-êtrepascompte,maistespenséessont
écritessurtonvisage.—Etalors?Tupréféreraisquejecachequej’aienviedetoi?Notreplusprochevoisine,unedameâgée,ridée,auxlunettesépaissescommedeuxgrossesloupes,
gloussa, la tête dans son magazine. Elle passa son regard vieilli par-dessus sa revue et lança unjoyeuxcoupd’œilàCaleb.—Nerépondezjamaisnonàcegenredequestion,mongarçon,luiconseilla-t-elle.Caleb,encoreplusgêné,seretranchaderrièreunepolitessetoutetexane.
—Oui,M’dame.Ilmelançaunregardnoiretjeris,posantunpiedsursonsiège,prèsdesesjambes.Ilsortitson
bardadesonsacetplongealenezdanssescahiers.—Etpuis,qu’est-cequ’onvafaireàNewYork?marmonna-t-il.Jemecalaiplusconfortablementdansmonsiège.—Fairel’amour!lançai-jebienfort.Calebdevintécarlateetbaissalatêteplusprofondémentdanssesbouquins,refusantdeleverlenez
pours’apercevoirquetoutelatravéeavaitentendu.Jetournailatêteverslagrand-mèreauxloupiotesgéantes.Elleriaitsanspouvoirsansempêcher.—Eldiablo!melança-t-elle.Jesouris.—Oui,M’dame,dis-jeenimitantCaleb.ElleritplusforttandisqueCaleb,lui,redressaitlementonpourmefusillerduregard.Ilneditplusrienjusqu’àcequenousarrivionsàManhattan,quelquesheuresplustard.Cefutcommeentrerdepleinpieddansunnouveaumonde.Lesgratte-cielimmenses,lafoulequi
sepressaitdans les rues, ladynamique ; çagrouillait lecapitalisme,ça se sentaitmêmedans l’air.Maispasseulement.L’hétéroclismefaisaitpartiedecetteville,autantquelamajestédesesimmeublesgris,desespanneauxpublicitaireshautsetcolorés,desesmarquesinscritesenlettrescapitalessurladevanturedesmagasinsdevantlesquelsnousdéambulions,Calebetmoi,nousmêlantàlafouledesNew-Yorkais.Cefutcommeentrerdansl’écrand’untéléviseuretsebaladerdansunesérie.Oudansunfilmà
grosbudget.Devenir,pourunefois,unhéros.—C’estsiprèsdeBoston,soufflai-je.Etenmêmetempssiloin.—C’estlapremièrefoisquetuviens?Jesecouailatête.—J’ysuisvenuquelquesfois,mesouvins-je.Avecmamère.Ettoi?—Jamais.C’estmoinsprèsd’Amarillo,ilfautdire.J’aivisitéDallas,parcontre.EtHouston,juste
pourallervoirlecentrespatialLyndonB.Johnson.EtdepuisquejesuisarrivéàBoston,jen’aipasvraiment eu le temps entre le MIT et mon boulot au restaurant. Mais j’ai été jusqu’à Chelsea,Somerville, Newton, Revere, plaisanta-t-il en citant les villes voisines de Cambridge. Ah, et aussijusqu’àWashingtonDCpourrencontrerl’amid’undemesprofesseurs,unchercheurenaéronautiquequibosseàlaNASA.La NASA, c’était le rêve de tous les étudiants en aéronautique. Pour Caleb, ce n’était qu’une
questiondechoix.Celuidesavoirdansquelcentrespatialilallaittravailler.LaCalifornie,laFloride,l’Alabama,laVirginie.OuLasCrucesauNouveau-Mexique.Aumoins,Washingtonn’étaitpassiloin…—ÇaseraitdommagequetupartessansavoirvisitéNYC,fis-jedoucement.—Oui,s’enthousiasma-t-il.Puisilserenditcomptedecequ’ildisaitetralentit,perdantsonsourire.—Attends,Rafael,dit-ilenserrantmesdoigts.
Je refusaidem’arrêter,oude le regarder. Jecontinuaiàmarcherdans ledédaledesavenues, sapaume chaude contre la mienne. Central Park n’était pas loin. J’avais envie d’un hot-dog et dem’asseoirdansl’herbeverte,sousunsoleilhivernal,avecluiblotticontremoi.Unbonheursimple.Unbonheuràlafois.—Rafael,insistaCaleb.Jenepartiraipassanstoi.Cettedéclarationmanquamecouperlesjambes.— Je croyais que tu voulais faire ta maîtrise à Stanford, lui rappelai-je. Tu seras parti d’ici
quelquesmois,Caleb.—JepeuxaussilafaireauMIT.Ledoyenseraplusquecontentdemegarderdeuxannéesdeplus.SiCharlesnes’enmêlaitpas.Cequiétaitpeuprobable.—Pourquoiferais-tuça?Nousétionsentrela42èmeetBroadway.ÀTimesSquare,l’undesquartierslesplusfréquentésde
NewYork.Cequin’empêchapasCalebdetirerbrutalementsurmonbrasm’obligeantàm’arrêter.Ilse planta devant moi et je fus bien obligé de prendre de plein fouet son regard d’ambre gris,scintillantcommedeuxétoiles.—Pourquoijeferaisça?répéta-t-il,untonplushaut.Cenefutqu’unsifflemententresesdentsserrées.—Tunepeuxpasrenonceràtout…—Jen’airenoncéàrien,Rafael!—Si.Àvivreunehistoirenormale,avecuntypenormal.—Tuoubliesquejesuismoi-mêmetrèsloindelanormalité.Jesoupirai.—Jeneveuxpasparlerdeçamaintenant.Jepassaiunbrasautourdesesépaules.—Jeneveuxpasypenser.J’embrassaisatempeetyposaidoucementmonfront.—Viens,cowboy.Il capitula,mais uniquement pour les deuxprochains jours. Je commençais à le connaître.Nous
n’enavionspasfiniaveccettediscussion.Ilétaitpirequ’Abou.Heureusement,leréservoirdeCentralParkluifitoubliersessombrespensées,etlesmiennes.Ce
grandlacbordédehautsarbresquiarboraientlescouleursdedécembreétaitsimplementcommeuneoasisaumilieudeNewYork.Ilyavaitquelquescoureurs,quelquespromeneursquipassaientdevantnousdetempsentemps,maislecoinrestaitplutôtdésert.Appuyéledosàunarbre,Calebendormientremesjambes,sondosreposantcontremontorse,je
jouais avec sesmèches de cheveux qui rebiquaient dans tous les sens. Il avait les yeux fermés, etquelques oiseaux chantaient, confondant les rayons de soleil avec le début d’un printemps. Monmentonreposaitsurlesommetdesoncrâneetmonbrassursonventresuivaitlesmouvementsdesarespirationlente.
Prèsdenous,lesrestesdenoshot-dogsquenousavionsachetésenchemin,nosbouteillesvidesetmesmégotsdecigaretteécrasésdansunpetitcartonenformedecendrier.J’étaisbien,jenepensaisàrien.Àriensaufàsonodeur,àsachaleurcontremoi,àsesmècheschâtainesquiglissaiententremes
doigts,àsespaupièrescloses,àsesjoueslégèrementrougiesparlafraîcheur,àmamain,plusbas,quiseglissaitsoussonpull.Justepourletoucher,parcequej’enavaisenvie.Besoin.Quejevoulaislesentir,sousmapaume.Avecsonairabandonné,danssonsommeil tranquille, ilétaitsimplementmagnifique.Caleb souleva soudain les paupières, tourna le visage et le blottit dans mon cou, me mordant
doucementlagorge.—Jesuistellementbienavectoi.—Moiaussi,Caleb.Jeprissonmentonentremesdoigtsetl’embrassai.C’étaitjusteunmomentparfait,quelquechosequejen’avaisjamaisconnu.Luietmoi,ensemble,
sansrienfaired’autrequeprofiterd’uncoind’herbe,d’unendroitagréable,dusilence.Sansexigences.Sansordres.Sansriend’autrequ’unpeudebonheurvoléauquotidien,pourpouvoirenprofiter.—Bonjour!Nous sursautâmes en même temps, apercevant un New-Yorkais d’une trentaine d’années nous
saluerunpeuplusloin.—Bonjour,répondîmes-nous.Quandils’éloigna,jesoupiraietCalebs’étira.—Allezdebout!lepoussai-je.Ilseredressaetépoussetasesvêtementspleinsd’herbeetd’écorcesdebois.Ilessayademettrede
l’ordredanssatenue,maispeineperdue,iln’yréussissaitjamais.Yrenonçant,ilpassaunbrasautourdematailleetj’enfouismesmainsdansmespoches,luijetantuncoupd’œil.Ilsouriait,ilsemblaitsiheureux.—C’estquoilasuitedetonprogramme,beaubrun?Lasuite?Oui…Caleb.Moi.NewYork.Jusqu’àdemain.—Onvarécupérernotreclefàl’hôteletonfileauferry.—Leferry?—LibertyIslandetlaStatuedelaLiberté.Onpasseratoutprèsenbateau.—Sansblague?seréjouit-il.Tunem’amènespasauYankeesStadium?Iln’yapasunmatchce
soir?Si,sansdoute.Mêmesûrement.Bond’accord,jesavaisqu’ilyenavaitunetjepréféraisnepasy
penser,oujepourraistrèsbienforcerl’entréerienquepourallervoirlesRedBullsjouer.—Tun’aimesnilefoot,nilebaseball,Caleb,soufflai-jededésespoir.Niaucunsport,d’ailleurs.—C’estfaux,mecontredit-il.JesoutienslesCowboysdeDallas.J’aimêmeuneécharpequitraîne.
Etunecasquette!
Jemeretinsdegrimaceretmecontentaideleverlesyeuxauciel.—Jenevaispasparlerdeçaavectoi.—LesCowboyssontunebonneéquipe,insista-t-il.—Jet’enprie,Caleb.Restes-enàtondomainedecompétence.L’aéronautiqueetl’aérospatiale.Là
aumoins, tut’yconnais!MaisnemedispasquelesCowboyssontunebonneéquipe.LesPatriotssontunebonneéquipe.Cellequetudevraissupporter.Etnonpassoutenir,commetuledissibien.—Çaveutdirelamêmechose.—Pourunnon-croyant,sansdoute.—Unnon-croyant?rigola-t-il.Lefootestunereligion,maintenant?—TudemanderasàAboucequeDieupensedusport.Commençantàconnaîtrelesexcentricitésd’Abou,Calebn’auraitpasétésurprisdel’entendrejurer
queJésusétaitpourlesPatriotsetDieupourlesRedSox.Nidelevoirprierlessoirsdegrandmatch.OnneplaisantaitpasavecleSuperBallchezlesFinch.—Allezviens,moncowboy.Tun’yconnaisrienensport,maistuasunjolicul,alorsc’estencore
pardonnable.—Jepeuxtedonnertouteuneflopéedestatistiques…Je l’embrassai pour le faire taire et il glissa sa langue près de la mienne, s’entortillant autour
commeunroseau,humideetchaude.Jefermailesyeuxdebien-être.—Tuaimesmoncul?sourit-ilens’écartantlégèrement.—Jel’adore,soufflai-je.Maindanslamain,nousdéambulâmesdanslesruesdeManhattan,alorsquelesoleilsecouchait.
Nousnousperdîmes,évidement,allantàdroiteetàgauche,sanssavoiroùexactement.Nousn’avionspasdecarte,pasdeplan,etcen’étaitpasgrave.JefinisquandmêmepartrouvernotrehôteletCalebplissa lesyeux,perplexe,enavisant le fastedes lieux.Jerécupérai lepassemagnétiqueà l’accueil,sourisàl’hôtesseettiraiCalebversl’ascenseur.Une trentaine d’étages plus haut, quand il entra dans la chambre, une fois la porte refermée, il
ouvritlabouche,sanspouvoirs’enempêcher.—Cen’estpasunechambre,ça,s’étouffaCaleb.C’estunesuite,Rafael!—Junior,nuançai-jeenrefermantlaporte.—Pardon?—Lasuite,luiexpliquai-je.C’estunesuitejunior.J’avaisréservécelle-cihier,dechezAbou.Parcequ’ilétaithorsdequestionquejel’emmènedans
unboui-boui,alorsquecertainsdemesclientsmebaisaientdanscegenred’endroit.Jenepouvaispasluidonnermoins.Ceseraitcommeluidirequ’ilnevalaitriendutout,comparéàceshommesquiavaientlesmoyensderéserverunpalacepourquelquesheures.Et maintenant, Caleb était là, dans cette suite du Bentley, marchant sur la moquette épaisse,
regardantladécorationentregrisetocredecettepiècetouteenlongueur.Satableetsacoupelledefruits,sonminibar,sesgrandsfauteuils,lemeubletélé,lasalledebainplusloinetsurtoutlegrandlitfaisantfaceàunebaievitréepanoramiquequioffraitunevueimprenablesurlaville.Justepourça,jeneregrettaispas.Ettantpissi,pourunefois,j’avaisgardéunpeudecemauditargentqueCharlesmedonnait.Tantpissi,dansunsens,l’utiliser,c’étaitcautionnercequ’ilmefaisait.
Jem’enfoutaisaujourd’hui.Demain,peut-êtrequeçameposeraitdenouveaudesproblèmesdeconscience.Maispastoutdesuite.—Bonsang,tuasvuça,Rafael?CalebsetenaitdevantlesfenêtresetcontemplaitManhattan.—C’estincroyable.—Oui.Jeposaimonmentonsursonépauleetnouailesbrasautourdesonventre.Lajournéeavaitétélongueetj’avaisenviedelui.Toutdesuite.Justeici.Jeglissaimesmainssoussonpulletremontaisursontorse,sursapeaunue,leforçantàl’enlever.
Sondosm’apparut.EtàlalumièredeNewYork,loindesduretésdeBoston,jetrouvaiCalebencoreplusparfait.J’embrassaisesépaulesetdéfissonpantalon.Jemereculaipourmieuxlecontempler:ilétaitnudevant labaievitrée.Je tombaisur le lit, lesbrasderrière la têteet l’observai intensément,jusqu’àêtrerassasiédelui.Jenel’étaisjamais.Caleb, tout à sa contemplationdeNewYork, se laissa regarder, aucunegênenevenant ternir ce
momentmagnifique.Ilétaitenaccordavecsescicatrices,avecmoi,aveccequenousformions.Etjerestai làunmoment,à l’observer,sans riendire.Nousavions toutnotre tempset j’aimaissentir ledésirvenirmehapper,petitàpetit,devenantsi imposantque jen’espéraisquesescaresses,quececorpsnuenfacedemoi.Jemerelevai,medévêtislentement,m’approchaidenouveaudelui.Ilgémit,jeletournaiversmoi
etmelaissaiglissercontrelui,jusqu’ausol,jusqu’àsonsexedeveloursquejeprisdansmabouche.Ilbaissalatêteversmoi,donnantdescoupsdereinslangoureuxentremeslèvres.—Bonsang,Rafael.Lanuittombaitetleslumièresdelavilleéclairaientnotresuitedemilleéclats.LapeaudeCalebse
recouvritdepoints lumineux,unemyriadede lumières tourbillonnantsursondos, sesépaules, sesbras.Combiendeprojecteursétaientbraquéssurnous?Combiendecurieuxderrièreleursjumelles,observaientleplaisirquejeluidonnais?Combienvoyaientàquelpointilmerendaitdingue,foudelui,foutoutcourt?Tellementamoureux.—Jevaisjouir,articula-t-ilenrenversantlatête.—Pastoutdesuite,monange.Jemereculai,serrantsonglandpourl’empêcherdevenir.J’attrapaiunecapotedanslapochedemonpantalonetenrecouvrismonérection.Etpuisjeluipris
la main et reculai avec lui au bord du lit. Je m’y assis et le tournai dos à moi, son regard versManhattan,seshabitants,cettefoule,lestémoinsdenotreamour.Lentement,jel’assissurmonsexe,etjemesentism’enfoncerenlui.Ilaccrochasesmainsàmes
genoux,secambrant,sesfessesenarrière,offertesàmonregard.Jel’incitaiàbougersurmoi,àselever,àredescendre,àtrouversonrythme,àmefairedanseraveclui.Je lui caressai les cuisses, laissant une main curieuse venir toucher l’endroit où nos corps se
rejoignaientsibien,puisremontersursonventre,titillersestétons,taquinersabouche,lescontoursdeseslèvres.Calebsedéhanchalangoureusement,sagementaudébut,m’arrachantdesgémissementsàchaquefoisquesesfessesclaquaientcontremeshanches.
Puismoinssagement,devenantfurieusementpossessif,levantlesbraspourlespasserderrièremoncou,cognantcontremonsexepourleprendreplusloinencore.—Caleb,haletai-je,lefrontrecouvertdesueur.Sapeaumoite,sonodeur,manquèrentdemefairechavirer.J’allaismourir.—Rafael,cria-t-il.Plusfort.Cesquelquesmotseurentraisondemavolonté.Jelebalançaisurlelitettombaisurlui,unemain
sursoncou,l’autresurunedesescuisses.JeplongeaidenouveauenluietCalebhurla,secambra,enroulantses jambesàmataille.J’agrippaisonvisageàdeuxmains,mepenchaipour l’embrasserfiévreusement, passionnément, gardant sa bouche ouverte, capturant chacun de ses gémissements.Juste avant de plaquer ses mains au-dessus de sa tête, les coincer sous les miennes et jouer deshanches,deplusenplusvite…—Oui,s’étrangla-t-il.—Viens,monange,murmurai-jecontresabouche.Ilétaitsurlepointdes’envoler.Ilsuffisaitjusteque…—Maintenant.Il renversa la tête, ferma les yeux, creusa le dos. Je jouis en mordant sa gorge, très fort,
m’immobilisantunlongmomentavantdem’écrouler.Plustard…Beaucoupplustard.Nousquittâmeslachambre,heureuxetinsouciants,etachetâmesun
autrehot-dogquenousmangeâmesenmarchant.Nousmarchâmesjusqu’auferryenparlantdetoutetde rien etmontâmes à bord, la nuit tombée depuis longtemps sur les eaux devenues sombres. LaStatue de la Liberté était grande, illuminée, belle et inspirante.Nous la regardâmes, épaule contreépaule,accoudésaubastingage.Auretour,nousnousarrêtâmesboireplusieursverresdansunbardelaCinquièmeAvenue.Nous
discutâmescommesinousvenionsdenousrencontrer,unpeusaouls,flirtantouvertementdevantuneserveusemoqueuseetattendrie.Nosmainssefrôlaient,nospiedsaussi,nosbouchescherchaientnosoreillespourymurmurerquelquesphrasesridiculescenséesplaireetconvaincre.Iln’étaitpasdouépour les tournuresalambiquées, ilpréférait lafranchise.Etmoi, j’aimaisqu’ilsoitdirect,qu’ilmeveuille,quitteàpasserpourunjeunehommefacile.Notrepremière foisauraitdû sepasserainsi.Elleauraitdûêtredrôle, légère.Nousaurions fait
l’amour, sanspenseràdemain.Etau réveil,ense regardant,nousaurionscomprisquecettebrèveaventure allait devenir une relation et, peut-être, une belle histoire. Nous nous serions aiméspassionnément,plusaufildesjournées,ennousconstruisantdeslendemainsheureux.Iln’yauraiteunidrame,nibrûlures,niprostitution.Iln’yauraiteuquedeuxhommesordinairesquitombaientamoureux.
35Deuxmoisplustard…Enme réveillant, je glissai au sol, le nezdans le tapis. Je grognai enme redressant.Nousnous
étionsendormissurmoncanapéetCalebyétaitencoreétendud’ailleurs.C’étaitpresqueunmiracleque nous y ayons tenu tous les deux jusqu’à… je jetai un coup d’œil à l’horloge…dix heures dumatin.Jesoufflaienmetournantsurledos,encorenuetfrissonnant.Jen’avaispasenviedemeleverdesuite.Maislesolétaitduretjenemevoyaispasyresteruneminutedeplus.Jemeremissurmespiedsetm’approchaideCaleb, toutaussinuquemoi,sesbrascroisés,son
visagereposantà l’intérieur,sesfessesrondeset tentantesbienenévidence,ses jambeslégèrementécartées,sondosexposé.Mêmeainsi,ilétaittoutsimplementsublime.D’uneincroyablebeauté.Lesformes,lesangles,lescontours.L’harmonie.Je déposai le plaid qui traînait sur lui et filai à la cuisine pour faire couler le café.Deuxmois
étaient passés depuis notre escapade à New York et nos soirées devenaient de plus en pluspassionnelles,nossilencesdeplusenplusdouloureux,nossentimentsdeplusenplusforts.C’étaitdeplusenplusdurdeseséparer,derevenir,deseregarder,après.Pourtant, j’avaisunrendez-vousàtreizeheuresetCalebdevaitprendrelescoursdanspeudetemps.Jen’avaispasenviedeleréveilleretpréféraiprendremontéléphoneportablepourappelerAma.Ilsuffitd’uneseulesonneriepourqu’elleréponde.—Bonjour,monchéri,dit-elleaussitôt.L’entendremefaisaittoujoursdubien.Savoixmaternelle,tendreetchantante.—Salut,Ama.Ellesouffla,commesielleavaitattendumoncoupdefilavecimpatience.—Çava?—Oui,mongrand.C’estjusteque…—Qu’est-cequ’ilya?m’inquiétai-jeaussitôt.Moncœurs’arrêta.Une porte grinça, un bruit de pas dans des escaliers. Je ne savais pas où Ama allait, mais il
s’agissaitdetouteévidenced’unendroitisoléoùpersonnenepourraitl’entendre.—Tuestoujourslà,monchéri?—Jen’aipasbougé,Ama.Ellesoufflafortetjecommençaiàpaniquer.—JecroisqueSoliestamoureux,m’avoua-t-elle.Jeris,soulagé.—Iladix-huitans,Ama.Ilestamoureuxtouslesmois.— Là, c’est différent. Abou dit que ça lui passera, mais je n’y crois pas. Il masque bien ses
sentimentsceladit;ilnenousenamêmepasparlé.Nousnel’aurionsjamaisdevinés’iln’avaitpasétésifroidetbrutalavecRenan.Ilyavaitquelquechosequejenecomprenaispas,là.
—QuevientfaireRenanlà-dedans?C’étaitunamideMac–unamiparticulier.Undeceuxquin’avaient jamaispayéetprèsduquel
MacaimaitseblottirquandilpassaitparBoston.Ilétaitplutôtsympapouruntypemarié,avecdeuxgamins,quivivaitsonhomosexualitécachée,
commeunehonteàgarderbienàl’écartdesaprécieusefamille.D’accord,jedétestaiscetenfoiré.—Ilssontvenusdîneravecnous,hiersoir.—Macdevaitêtrecontent…Jem’arrêtaisoudain,etm’immobilisai.—Attends,Ama,tuneveuxpasdirequeSolis’estamourachédeMac?—Jecroisbienquesi,souffla-t-elle.Jesecouailatêteetretinsunéclatderire.— Je suis d’accord avec Abou, ça lui passera. Tout le monde a envie de protéger Mac, de le
préserveretencoreplusdepuisqu’ilestmuet.Maiscrois-moi,Ama,cen’estqueça.Elle ne parut pas convaincue,mais abandonna le sujet pourme parler d’Abou, deGora, de son
jardin,desherbescontrelemaldereins.Alorsquejeraccrochais,jerepensaiaubrasdeSolisurlesépaulesdeMac,unecouvertureposée
surluipournepasqu’ilaitfroid,leregardpossessifdenotreIrlandais,lerougeauxjouesdeSoli.ÇametrottaitencoredanslatêtequandCalebvintpassersesbrasautourdemataille,embrassant
monépauleetnichantsonnezdansmanuque.—Salut,beaubrun.—Hum…marmonnai-je.—Qu’est-cequ’ilya?souffla-t-il.JeluirésumailaconversationavecAma,ilexplosaderire.—BiensûrqueSoliestamoureuxdeMac.ToutlemondeestamoureuxdeMac!Oui.Mais…—Toiaussitut’eslaisséavoirparsonairdechienbattud’Irlandais?—Non,moijesuistombépourunbeauMexicain.—Ahoui?fis-jesemblantdemevexer.Etc’estquicetype?Ilmordillamoncou.— Quelqu’un que j’ai rencontré sur le campus de Cambridge. Magnifique. Sa peau brune, ses
cheveuxnoirs,sesépaulescarrées,sesfesses…—Tuaseuletempsderegardermesfesses?memoquai-je.Jet’auraiscrutropoccupéàenvoyer
tonpoingdanslenezdeBrandon.Il tendit lamainversmatassedecaféetsedécalapourenboire lafin, lahancheappuyéesur le
comptoirdelacuisine,àcôtédemoi.Jerécupéraimonmugavechumeuretmeresservis.Ilsourit.—Après,jen’aipasarrêtédepenseràtoi.—Lanuit?lefis-jerougir.Pendanttespetitesséancessolitaires?Ilseraclalagorge.
—Lajournéeaussi.Jerigolai.—Allez,dis-moiàquelpointtuaspenséàmoi?—Suffisamment.—Etc’étaitquand,lapremièrefois?—Çan’apasd’importance,sedéfila-t-il,malàl’aise.Levisage cramoisi, il s’enfuit.Etmoi, je le poursuivis.Çameplaisait deme savoir capable de
fairechavirerunpetitgéniecommeluiaprèsseulementdeuxregardsettroismotséchangés.—Onn’avaitpasparléd’alleràCharlestownaujourd’hui?essaya-t-ildechangerdesujet.Lecinéma,lespromenades,lesmusées,boireunverredansunbar,mangeraurestaurant;autant
dechosesquenousfaisionsensemblepouressayerdemettreunpeudenormalitédansnotrehistoire.Mêmesi,auboutducompte,nousn’oubliionsjamais.Maisçameplaisaitquandmêmedemelaisserembarquerdansuneexposition,voirunfilmqueje
n’auraisjamaispenséregarder,mangerjaponaisenbuvantdusaké,alorsqu’ilmeracontaitlerythmelentduTexas, lemarquagedesbêtes, lenouveausystèmed’épandage.Sonpère,samère,sesamis.BeckerR.etAmarillo.—Biensûrqu’onvaàCharlestown,luisouris-je.—TusaisqueleBunkerHillfaitsoixante-septmètresdehauteur.—Caleb,memoquai-je, je te laisseme baratiner avec l’histoire de ton obélisque, si tume dis
quandtuaspenséàmoipourlapremièrefois.Ilseraclalagorge.—Cen’estpassiintéressantqueça.—Quoi?BunkerHilloutespetitesbranlettes?Ilmanquaprendrefeu,rougecommeilétait.Baissantlevisage,ilramassalesquelquesvêtements
quitraînaientausoletlesportadanslachambre.Illesenfouitdanssonsac,tirantlafermeturesansmeregarder.Appuyéàlaporte,lesbrascroisés,jehaussailessourcils.Ilredressalevisageversmoietgrimaçaencroisantmonairdéterminé.Celuiquej’avaisquandje
necomptaispaslelaissertranquilleavantqu’ilm’aitdonnélaréponsequejevoulais.—Tuesemmerdant,Rafael!—Tun’aspasencoreidéeàquelpoint.Alors?Il se planta devantmoi, sans détourner le regard. Il était gêné, peut-être,mais certainement pas
honteux.Iln’yavaitpasdequoi,d’ailleurs.—Lepremiersoir,avoua-t-ilenfin.Tuescontentlà?—Assezoui.C’étaitbien?—Assezoui,répéta-t-ilenrougissantencore.Jefusadorablementéprouvéparcesquelquesmots,admisdoucement,tranquillement,lerougeaux
joues. Ilsmedonnèrentenvied’oublierdemain,dimanche.Profiterde lui sous ladouche,boireunsecondcaféet,plustard,prendrelamotopourfilerversCharlestown.Lelaissermedonnerlamainpour remonter le chemin jusqu’àBunkerHill, commenous l’avionsprévu.Nepas laisserCharlesvenirternircemoment.
Calebm’abreuvatellementdedétailsquejebaillai,unœilfermé,unœilouvert.Maisilcontinua,sansselasser.—TusaisquelemonumentcommémorelabatailledeBunkerHill.Maisc’estsurBreed’sHillque
s’estdéroulél’essentieldescombats,malgrélenomtrompeurdecettebataille.—C’estdingue!ironisai-je.— Il a été érigé entre 1827 et 1843, l’obélisque est bâti avec le granite provenant de la ville de
QuincyvialaGraniteRailway,unelignedechemindeferconstruitespécialementàceteffet.—Impensable!—Unpremiermonumentexistaitsurlesiteavantl’obélisqueactuel.Consacréaufranc-maçonet
augénéralJosephWarren.—Etsitulafermaisunpeu,maintenant?Ilpassaunbrasautourdemeshanches.—Tuespluspatientquejelecroyais.Non,jenel’étaispas.—J’aimejustelesondetavoix,Caleb.Peuimportaitcequ’ilracontait.Cedouxsonàmesoreilles,c’étaitcommeunechansonqu’ilme
fredonnait,lenteetensorcelante–Tuesvivant.Unebellemusique.Untendreespoir.
36—SiMamavousvoitcommeça,ellevavousmassacrer !Vousêtesdinguesouquoi?Vousne
l’avezjamaisvueaiguisersescouteauxdecuisine?C’estfranchementflippant.DevantlaminehorrifiéedeSoli,suantàl’idéequesamèrepuisseentrerdanscegaragepourvoir
troisluronsplusquesaouls,étaléssurdeschaiseslongues,aumilieudecopeauxetdesciuredebois,j’explosaiderire,imitéparAbou.Macsecontentad’unsourireextatique,sabièrebrandieau-dessusdesatête.—Tun’aspasdesdevoirsàfaire?tentaAbou,enseraclantlagorge.Maissonbaragouinagen’étaitabsolumentpascrédible.—Ettoi,tun’aspasunsermonàécrire?Pascertainquelesparoissiensapprécientlesdéliresd’un
alcoolique,enmêmetemps.Jememarrai,ilavaitdurépondantcegosse.Maclevaunpouce.—Jeneboisqueduvin,sejustifiaAbou.LesangduChrist,figure-toi,petitignare!—C’estça!fitSoli,absolumentpasconvaincu.Ettuenaspriscombiendeverresdeton«sangdu
Christ»?Abouplissalesyeux,essayadeserappelerlaquantitéd’alcoolingurgitée,maisneparvintàriende
concluant. Il laissa vite tomber, fusillant son cadet de son regard d’homme de Dieu outragé, trèsimpressionnantpourceuxquineleconnaissaientpas.—Écoute bien, Soli Finch,marmonna-t-il. Tu devrais faire attention à tes fesses, parce qu’il se
pourraitqueMamaapprennedansquellepositiondéshonorantejet’aitrouvé,pasplustardqu’hier,danstachambre.Soliblanchitenselaissanttombersurlachaiselaplusproche.Iljetauncoupd’œilducôtédeMac
etilrougitviolemmentalorsquecedernierfaisaitsemblantdel’ignorer.Amadevaitavoirraison,auboutducompte.Soliseraclalagorgeetsedétourna.—Aprèstout,vouspouvezboireautantquevousvoulez,qu’est-cequej’enaiàfaire!dit-il.—Hébenvoilà!dîmes-nousenmêmetemps,Abouetmoi,alorsqueMaclevaitlesmainsauciel
ensignedevictoire.Solicroisalesbrasensemordantlalèvre.Jemeredressaidifficilement.J’avaislatêtequitournait
et je piquais du nez dangereusement. Mais pas assez pour ne pas m’intéresser aux péripétiesscabreuses demon petit Soli.Histoire de lemettremal à l’aise.À quoi cela servait-il d’avoir desfrères,sinon?—Dis-moiunpeu,dis-je.Avecquit’es-tucorrompu?MachaussaunsourciletlançaunregardpossessifversSoli.Abou,lui,rittropfort.Adieulacompassionfraternelle.—Jenemesuispasvraimentcorrompu,OK?avouaSoli,gêné.Jefermaiunœil,pascertaindecomprendre.Etpuisl’étincellesefit.—Oh!OK!
Abouritdeplusbelle.—Franchement,Abou,tunepeuxpasdénoncerungamindedix-huitansquisemasturbe.—Rafael!gueulaSoli.Macmedonnauncoupdepiedpourmepunirdemonmanquedetact.Soli,sesdreadlocksdansant
devantsonvisage,se levad’unbond,prêtàendécoudre.Je levai la têtevers lui,mi-moqueur,mi-admiratifducheminqu’avaitfaitlepetitgnomequej’avaisrencontré.—Jetepréviens,situdisunmotdeplus,cen’estpasMamaquejevaisappeler,maisCaleb!Jegrimaçai.Saletédegamin!—Ilpasselasoiréeavecsesamis,ledéfiai-je.Ilnerépondrapas.—Biensûrquesi,ilvarépondre.—Çam’étonnerait.—Sij’étaistoi,jeneparieraispaslà-dessus.Abousecoualatête,m’exhortantàlaprudence.Mactapasursonaccoudoirunmessagetrèsclair
enmorse.En somme,« ferme-la». J’hésitai ; j’étais d’humeur taquine et je n’avais paspeurd’unTexanquipesaitdixkilosdemoinsquemoi,mêmes’ilavaittendanceàmeréduireausilenced’unsimpleregard.JenecraignaispasvraimentCaleb, jenevoulaissimplementpas ledécevoir.Et jenesavaispas
tropcequ’ilpenseraitdufaitquej’utilisaisunedemesraressoiréesdelibrepourm’arsouilleravecmesamis,alorsqu’ilétaitaveclessiens,profitantd’unefêteétudianteavecsafraternité.Ilyavaitunsacrémomentqu’iln’yavaitpasmislespieds,sansdouteparcequejerefusaisdel’yaccompagner.Etpuis,cemardisoirlà,jel’avaispousséàrenoueravecsescamaradesduMIT.Ilnepouvaitpastoutmettredecôtésousprétextequ’ilétaittombéamoureuxdumauvaistype.Quantàmoi,jen’avaispersonneàvoiretj’avaiseuenviedepasserquelquesheuresavecMacet
Abou.EtSoli,mêmes’ilétait jeuneetquesabougeotteadolescentel’amenaitsouventàl’extérieur.Maismoinsdernièrement.IlpassaitbeaucoupdetempsavecMacetplusdutoutavecsapetiteamie.Jefinisparmerallongersurmontransat,lesbrassurlesyeux,etAbous’esclaffa.—NotrepetitCalebn’estpascommode?—Ilasoncaractère,fis-je.—Unfoutucaractère,ditAbouentraduisantlessignesdeMac.Nousavionscommencéàapprendreàsigner,tousensemble.C’étaitlaborieuxet,souvent,lemorse
restaitplussimplepourMacetmoi.Maiscen’étaitqu’unequestiondetemps.Jehaussailesépaules.—Calebestsacrémenttêtu,oui.Maisjel’aimeavecsafiertétexaneetsestenuesdébraillées.Avec
satêtebienfaiteetsescicatrices.Exactementcommeilest.Parfait.Mes paroles avaient dépasséma pensée. La faute au bourbon. Je n’avais jamais voulu dire ça à
hautevoixetunsilencedeplombmerépondit.Pourlecoup,Abouserassitetposasonverreausol.Macfinitsabouteilledebièreetlajetaàlapoubelle.J’ôtaimonbrasdemesyeuxetlesregardaiavecbravade.—Vousavezl’airsurpris!leurbalançai-je,presquevexé.Vouscroyiezquoi?Quejem’amusais
unpeuenattendantqu’ilselassedemoi?Macsecoualatêtepournierfarouchement.
—Non,m’assuraAbou.Jejetaiuncoupd’œilversSoli.Ilclaqualalangue.—Ilsn’étaientpascertainsquetut’ensoisrenducompte.Sonfrèrelefusilladuregard.MaisSolin’avait jamaissumerésister, ilnesavaitpasmecacher
quoiquecesoit.Niàmoi,niàsamère.—Vous croyiez que je nem’étais pas rendu compte de quoi ? demandai-je, étonné.Que j’étais
amoureuxdeCaleb?Machochalatête,haussantlessourcils.—Oui,avouaAbouentordantlabouche.Tupeuxêtreassezbuté.—Pasàcepoint.Jenesavaispassijedevaisrireouêtreencolère.—Ehbien,rassurez-vous,finis-jepardire,jeconnaisparfaitementmessentimentspourCaleb.—Cequirendencoreplusincompréhensible…commençaAbou.Ilavisamonairetlaissaaussitôttomber.—OK,souffla-t-il.Jen’aipaslaforcepourcetteconversation,cesoir.—Dieusoitloué!marmonnai-je.Soliricana.—Dieun’arienàvoiravecça.Levin,parcontre…—LecorpsduChrist,rectifiaAbou.Ilyenavaitunautrequiétaitbuté.Je lesobservai,amuséde lesvoirseprendre lebecgentiment,sortantmontéléphonequivibrait
dansmapoche.Unnuméroinconnu.Jecoupaileson,jetantmonportablesurlatablelaplusproche.Jesoupirai,mefrottantlefrontàdeuxmains.Çacommençaitàcognerlà-dedans.—Iladûsonnerunevingtainedefoisdepuisdeuxheures,remarquaAbou.Tuessûrqu’iln’ya
riendegrave?—Non,lerassurai-je.Vousêtestouslàetcen’estpaslenumérodeCaleb.NideCharles.Mais sûrement celui d’un ancien client qui avait envied’unepetite ristourne sans
passerparlui.Etquiavaitobtenumonnumérojenesavaiscomment.Cen’étaitpaslapremièrefoisqueçaarrivaitetsûrementpasladernière.Jen’avaispasl’intentiondemeprendrelatêteavecça.Jesortisuneclopedemonpaquetetl’allumai,laissantlebourbonfairesoneffet.Çamefaisaitdu
bien.J’offrisunecigaretteàAbou,uneautreàMacet,sous lesavertissementsmuetsdeSoli,nousnousresservîmesunverrequenousbûmestranquillementenfaisantdesrondsdefumée.Jenem’étais jamaissentiaussidétendu.Oudumoins, jen’enavaisaucunsouvenir.Maisdepuis
que j’avais vu Mac renoncer à sa voix pour ne pas risquer son nouvel équilibre, son nouveaubonheur,j’avaiscomprisquerienn’étaitacquis,querienn’étaitdéfinitif,etquejedevaisprendreceque j’avaisàbras-le-corps,parcequec’étaiténorme.Calebétait immense.Mafamille,celleque jem’étaiscrééecesdernièresannées,étaitformidable.J’avaisdéjàbeaucoup.Le reste faisait mal ? Oui. Mais qui vit son existence sans souffrir ? Sans aucune douleur ?
Personne.Lesmiennesétaientplusdures?Sansdoute.Ellesm’ôtaientunepetiteparcelledemonâme
à chaque fois.MaisCalebpartait les chercher, finissait toujours par les récupérer etme rafistoler.Jusqu’à la passe suivante. Jusqu’au dimanche suivant, où Charles prenait un malin plaisir à toutanéantir.Maisjenevoulaispasrenoncer.J’avaisenviedemebattre.Siunjourçan’envalaitpluslapeine,
j’abandonnerais.Maispaspourl’instant.Unbruitdecavalcademefitredresserlatêteet,quandAmaouvritlaportedugarage,nousnous
levâmes tous d’un bond, jetant nos cigarettes au sol, planquant nos verres là où nous pûmes. Letéléphonedelamaisonàlamain,ellemepointaavec,prenantsonairleplusrevêche.J’auraisbienreculéd’unpas,maisAbousetenaitjustederrièremoi–letraître!—RafaelVentes,t’arrive-t-ilderépondreàtontéléphone,bougred’imbécile?—Euh…Oui,Ama,dis-jelamentablement.Elleagitalecombinédeplusbelle,s’approchant,etj’eusl’impressionqu’elleallaitm’encollerun
coupsurlecrâne.—Non!mecontredit-elle.Tunelefaispas!SinontusauraisqueCalebs’estbattuetsetrouveen
cemomentaupostedepolice.Jeme ruai aussitôt vers laporte,mais la large silhouetted’Amamebarra lepassage et elleme
donnauneclaquesurlatête,assezfortpourmefairegrimacer.—Ama…grondai-je.—Quoi,Ama?cria-t-elle,lamainbrandie.Tuneprendspaslamotodanstonétat.Lesmainssurleshanches,ellenousjetaunregardnoir.—Jevaisconduire.Maisjevouspréviens!nousmenaça-t-elle.Unefoisqu’onaurarécupérénotre
Caleb,jevaisavoiruneconversationavecvoustroissurlaconsommationd’alcoolsousmontoit!Etpaslapeinedetecacher,Abou!Titubantsetinquiets,noussuivîmesAmajusqu’àlavoitureoùnousnousentassâmestous.J’avais
uneenviedevomirquimetenaitauxtripes.Qu’est-cequecet imbéciledegénieavaitencorefait?J’avais peur de le savoir. Je n’avais vu Caleb perdre ses moyens qu’avec une seule personne.Brandon.Etjelevoyaistrèsbienrecommencer.Sanshésiter.Combienlacautionallait-ellenouscoûter?Abouavaitprislaboîtedesecoursdugarage,celleoù
ilmettaittoutl’argentquejeluidonnaisetqu’iln’avaitpasencore«redistribué».Aumoinsavions-nouslesmoyensdefairesortirunentêtédeprison.Arrivésdevantlecommissariat,Amanousordonnadel’attendre.Nousdescendîmesquandmême
pourlasuivreetellesoupira,dandinantsasilhouetteimposantepourgravirlesmarchesetpousserlesportesdupostedepolice,Soliàsagaucheetnoustrois,bouchesscellées.J’eusenviedehurlersurl’agentquinousaccueillitpoursavoiroùétaitCaleb,maisjemeretins.
Paslapeined’envenimerleschoses.S’ilnes’agissaitqued’unebagarreentreétudiants,ceseraitviteréglé.Jel’espérais.Ducoindel’œil,j’aperçusAmandaetLennyvenirversnous.Aussitôt,lajeunefillem’attaqua:—Çafaitdesheuresqu’onessaiedetejoindre!Qu’est-cequetufoutais?Jeplissailesyeux,lafusillantduregard.Ellesecalmaetreculad’unpas,heurtantl’épauledeson
frèrejumeau.
—Qu’est-cequ’ils’estpassé?demandaAbou,dignement.Lasituationnousavaitlégèrementdégrisés.Amandadétournalesyeux,soudaingênée.Lennysoupiraetnousexpliquadoucement,pournepas
quel’agentquis’entretenaitavecAmanousentende.— Tout se passait plutôt bien jusqu’à ce que Brandon boive un verre de trop et se mette à
raconter…hum…certaineschosesàtonsujet,Rafael.PersonneneprêteplusattentionauxracontarsdeBrandon.Mais…Calebs’estquandmêmeénervéetçaadégénéré…Il luiacassé lenezetbienarrangéunœil.Unabrutiaappelélasécuritéducampusetlesflicssontarrivés.BrandonetCalebontétéembarqués.Cetenfoiréavaitdûcriersurtouslestoitsquej’étaisunepute.Cequiétaitvrai.MaisCalebs’était
quandmêmesentiobligédedéfendreunhonneurquejenepossédaisplusdepuislongtemps.Voilàoùmenaitsonentêtementàresteravecmoi.Droitderrièrelesbarreaux.Avecunpointnoirentachantuncasiervierge,siBrandondécidaitdeporterplainte.—Merci,officier,ditAmaaujeuneagent.Ellenousrejoignitensoufflant,lefrontrecouvertdesueur,tirantsurl’encoluredesont-shirtpour
sedonnerunpeud’air.—Lacautionestréglée,nousallonspouvoirleramener.Amanda etLenny se présentèrent, tendant leursmains, etAma, commeà sonhabitude, les serra
contresoncœur.—Oh,meschéris.Maisquellehistoire!Quellehistoire!JedessoûlaicomplètementquandCaleb,escortéd’unpolicier,nousrejoignit,brascroisésdansle
dos,menottesauxpoignets,sesvêtementsdéchirés,débraillébienplusencorequ’àl’ordinaire,unemarquebleuesurlajoue,sescheveuxenbatailleetleregardsifurieuxquej’eusl’impressiondenepas connaître ce type-là. Tout en sachant pertinemment que c’était lui. Caleb pouvait perdre lespédalesquandils’agissaitdemoi.Jelesavais,maisc’étaitlapremièrefoisquejelevoyaisdemespropres yeux et j’en eus des frissons.De peur et de désir.Quelque chose demal déterminé.Cetteconsciencequ’ilpouvaitsebattrepourmoiavec tellementdeforceetd’agressivité.Etcelle,aussi,queçalerendaitvulnérable,commeunefaiblesseexploitable.Sontalond’Achille.Onluienlevalesmenottes,etilrécupérasesmainsavecunmouvementd’humeur.Ilsefrottales
poignetsetAmaluitapasurl’épaule,compatissante.—C’estfini,mongrand.Ama détestait les commissariats depuis queGora y était passé avant d’être transféré à la prison
d’état.—Merci,articuladifficilementCaleb.Jevousrembourserailacaution,Ama.—Pasdeproblème,monpetitloup.Jen’arrivaispasà faireunpasvers lui,pas ici, etCalebattendaitque je luidisequelquechose.
Maisjenesavaispasquoifaire.J’étaisinquietpourlui,furieux,heureuxetencoreplusencolère.Etpuissoulagé,quanduninspecteurvintnousprévenirqu’aucunesuiteneseraitdonnée,queBrandonneportaitpasplainteetquenouspouvionsenfinnousenaller.Sur les marches du commissariat, j’observai le dos de Caleb, sa chemise poussiéreuse et ses
cheveuxpartantdanstouslessens.Iléchangeaquelquesmotsavecsesamisetj’inclinailatête,avisantsesépaulesraides,sesmainsserréesenpoingsdanslespochesdesonjean.
Ama,Soli,AbouetMacrepartirentvers lavoitureet jerestaià l’écartquelques instantsdeplus,jusqu’àcequeCalebsoitseuletqu’ilsetourneàdemiversmoi.Jefisenfinunpasdanssadirectionetlui,undanslamienne,etpuisunsecond,jusqu’àcequenous
nousretrouvionsl’unenfacedel’autre.Lui,froissédes’êtrebattu,moi,encoreabrutiparmasoiréetroparrosée.—Jesuisdésolé,Rafael.Jeposaiunemainsursajoue.—Tuescon,tusaisça?Ilappuyasonfrontcontrelemienetm’embrassa.—Tun’aspasentendu…—Pasbesoin,CalebJesaistrèsbiencequ’ilpensedemoi.Jepassaiunbrasautourdesesépaulesetleserraicontremoi.—Allez,onrentre.Amavagueulerunpeuet,après,onpourraallerseblottirsousmesdraps.Là-
basaumoins,iln’yauraquenousdeux.—Çameva,souffla-t-il.Tusais,rienquetoietmoi.Si seulement ça pouvait être toujours le cas. Juste nous deux. Sans clients, sans passes. Sans
Brandon,sansCharles.Nousetriend’autre.—Jesuisdésolé,dis-jeàmontour.—Dequoi?—Quetunepuissesplussupportertoutça.—Jet’aime,s’étrangla-t-il.Commentveux-tuquejelesupporte?Jesecouailatêteetluiprislamain.Illaserra.—Jenepeuxpasm’enfoutre,Rafael.C’estimpossible.—Jesais.—Maistumelereproches.—Non.Non,biensûrquenon.Commentpourrais-jeluienvouloird’êtrehorsdeluiàl’idéequed’autres
me touchent, m’embrassent, fassent courir leurs doigts sur moi ? Je ne pourrais même pasl’envisagersansmourirdejalousie,siCalebdevaitunjourmetromper.Moi,jelefaisaisquatrefoisparsemaine.Minimum.Etillesavait.Sij’avaisétémoinshonnête,sijeluiavaismenti,peut-êtreaurait-ceétémoinsdifficile.Maistellementmoinsvrai.—Viens.Nosdoigtsenlacés,nousrepartîmesjusqu’àlavoiture.Abou,Mac,AmaetSolinousattendaientendiscutanttranquillement,sansnouspresser,sansrâler
parcequ’ilfaisaitfroid,conscientsquenousavionseubesoindecesquelquesminutes,decelapsdetempspournousdirecesquelquesphrasesquichangeaienttout.Leresteattendraitquenoussoyonsàl’abridemonappartement.
NousétionsàleurhauteurquandAbouetMacsefigèrent,leregardbraquédansnotredos.Etjesusaussitôtqu’ilétaitlà.Moncorps,moncœur,toutmepoussaitàcourir,àfuir,àm’éloigner.Calebjetauncoupd’œilpar-dessussonépauleetsamainseresserradavantageautourdelamienne.—Quiest-ce?demandaSolienplissantlesyeux.—Montedanslavoiture,luiordonnaAma.AmaavaitbeaunejamaisavoirvuCharles,elle l’avaitaisémentdevinéànoscomportements.Et
Solicomprittrèsvite,luiaussi.Ilredressalesépaulesetseplantadevantsamère,indifférentaufaitqu’elle était plus grande et plus lourde que lui. Instinct de protection. Comme Caleb, qui étaitlégèrementpassédevantmoi,commeAbou,quiavaitfaitunpaspournousmettretousderrièrelui.Comme chacun de nous s’était rapproché des uns et des autres pour ne former qu’une unité, unefamille,devantleseuladversairequenousavionstousencommun.Charles.Il s’arrêta devant nous, ses yeuxmarron comme deux flaques sombres, son sourire étirant son
visagefin,lesmainsdanslespochesdesonlongmanteauenlaine,seschaussuresciréesbrillantsurlecimentdutrottoir.Sonéternelleécharperougeautourducou.—Ehbien,ehbien,chantonna-t-il,enmefaisantunclind’œil.Qued’aventurescesoir,n’est-ce
pas,monamour?—Dégagez,Kennedy!attaquaaussitôtAbou.Charles avait toujours été conscient de son pouvoir, des soutiens qu’il avait, de la place qu’il
occupaitdanscemondeetdesprivilègesqu’ilenretirait.Iln’avaitpeurnid’unhommed’église,nid’unétudiant,aussi intelligentsoit-il,nid’unemamanafro-américainequi luimontrait lesdents,etsûrement pas d’un gamin et d’un ancien prostitué. Quant à moi, il me tenait trop bien pour mecraindre.—PasteurFinch,susurra-t-il,vousêtessidésespérant.N’ya-t-ilaucuncoursdesavoir-vivredonné
auséminaire?Soliricana,leregardd’unnoird’encrecommejeneluienavaisjamaisvu.—Espècede…IlavançaversCharlesetjetendislebraspourl’empêcherd’approcher.Horsdequestionqu’ilse
retrouveàproximitédecemalade.PasSoli.NiCalebquejeserraiscontremoi,parpeurdeleperdresousleregardmachiavéliquedeCharles.—Qu’est-cequetuveux,Charles?luidemandai-je.— Toi, mon amour, comme toujours, fit-il en souriant, jetant un coup d’œil à Caleb. Mais je
supposequecen’estpaslesensdetaquestion.—Non.Ilresserrasonécharperouge.— Notre petit Asher n’avait pas très envie de mettre papa au courant. Il aurait dû expliquer
pourquoi il s’est retrouvé au commissariat et c’était évidemment inenvisageable. Je suis venu lechercheret,bienentendu,luiconseillerdenepasporterplainte.Tupourrasmeremercierplustard,monchéri.—Ilnevousremercieraderiendutout!rugitCaleb.Si,jeleferais.JerattrapaiCalebetleramenaiderrièremoi.J’avançai,unpas,puisunautre,memettantentreeux
etlui.Entrecesdeuxmondesquisetélescopaient.—Tantd’ardeur!fitCharles,raviquesaprésenceàelleseuleblesseCaleb.—Vousdevriezavoirhonte!rugitsoudainAma.C’eutlemérited’ôterlesourireduvisagedeCharles.—MadameFinch.Nousnousnesommespasencoreprésentés,ilmesemble.—Vousn’êtesqu’uneordure!—Hum,jecomprendsdequinotrebonpasteurtientsonlangagesidéplorable.—Allezaudiable!rugitAbou.—Vousd’abord,Finch.Ama,lesmainssurleshanches,pointaunmentonfierdanssadirection.—Disparaissez.Oujevaisdecepasrepousserlaportedececommissariat!Charlesexplosaderire.—Jevousledéconseille,mabonnedame.Etjeledisdansvotrepropreintérêt,croyezbien.JeserraistellementfortlesdoigtsdeCalebqu’iljuratoutbas,sanstoutefoismelâcher.Ilappuya
sonépaulecontrelamienne,alorsquemesdentscommençaientàclaquer.—Çasuffit,Charles!feulai-je.Unaccordétaitunaccord.Et l’unedesclausesétait justement le silence surcequinousunissait
réellement,luietmoi.Ilnepouvaitrienleurdire.Iln’enavaitpasledroit.Maisl’hommed’affairesqu’ilétaitsavaitsibienjoueraveclesrègles.—Dansune seconde,monamour, susurra-t-il denouveau, son regard sadiqueplantédans celui
d’Ama. Je vaisme taire,mais avant, sachez ceci,madame Finch.Ce n’est pasmoi qui aimis deschaînesauxpiedsdeRafael.C’estvous.Vosenfants.C’estMac,etlepetitdernier,notrecherCaleb.Voustous,safamille…c’estvousquicliquetezderrièreluiàchacundesespas.Sansvous,jen’auraisjamaispulegarder.Ilseredressadetoutesahauteur.—Jecroisquejevousdoisdesremerciements.Contentdesonpetitlaïus,ilhaussalessourcilsdevantleurvisagedéfait.—N’importequoi!gueulaSoli.Onn’arienàvoiravecça!—Tais-toi,Soli!l’arrêtai-jeaussitôt,plutôtdurement.Ettoi,Charles,va-t’en!—Àtesordres,semoqua-t-il.Il tenditunemainversmoipour s’emparerd’unemèchedemescheveux.Etavantmêmeque je
n’aiereculélatête,Calebattrapasonpoignetvivementetl’écartademoi.CharlesobservalesdoigtsdeCalebsur lamanchedesonmanteaunoir,unedrôled’expressiondans lesyeux.Cette lueurmedonnadesenviesdemeurtreetjeforçaiCalebàlelâcher.—Pourquoivousfaitesça?sifflacedernier.Charlesreculad’unpas,seléchalalèvreetledétailladelatêteauxpieds.—Pourquoi,monsieurBecker?Maisc’esttrèssimple.Jelefaisparcequejel’aime,évidemment.—Vousl’aimez?s’insurgeaAma.Maisquelgenred’amourpensez-vousluidonner,pauvrefou?—Leseulauquelilconsentedemapart.
Ilsedétournaenfin,levantunemainàmonintention.—Àdimanche,monamour,lança-t-ilcommeunelameaiguisée.Et ça se planta dans le cœur de chacun de nous, violemment et douloureusement. Arrachant,
nécrosant.C’étaitcommeavoirrencontrélamort.Etj’eusdumalànepastomberàgenouxpourmefairepardonner.Pourexpliquer.Pourquecetterencontren’aitjamaiseulieu.Maisc’étaittroptard.DèsqueCharlesdisparutdenotrevue,Solijurabruyamment,donnauncoupdepieddanslaroue
delavoitureetsetournaversmoi,accusateur.—Commentpeux-tucontinueràlevoir?mehurla-t-ildessus.Commentpeux-tut’abaisseràça?
T’écrasercommeunemerdedevantcesalopard!—Oh,criaCaleb,fouderage.Tulafermes,Soli!Lesautresétaienttropabasourdispourréagir,moilepremier.Jeleprisenpleindansl’estomac,
pirequesiSolim’avaitpasséàtabacpendantdesheures.Macmeposaunemainsurl’épaulealorsqueAmapleuraitsilencieusement,secouantlatête.Toutlemondeétaitéprouvé.Toutlemondeavaitmal.—Arrête,Soli,essayadelecalmerAbou.Tutetrompesdecible.—Pourquoi,merde?continua-t-ilenmeregardant,n’écoutantquesapropretristesse.Pourquoitu
laissesceconnard…Pourquoitufaisça?Pourquoitunousfaisça?Pourquoi…—Tais-toi,Soli!leprévintCaleb.Toutdesuite!—Vatefairefoutre,toi!C’esttafauteaussi.Tun’enasrienàcirerdecequ’ilfait?Tut’enfous
detouscesgensquiabusentdelui!Decequ’ilendure…—STOP!hurlaAma.MaispasassezfortpourladétressedeSoli.Cen’étaitpasdelacolère,maisdelapeur.Ilavaitvu
aufondduregarddeCharles,commenoustous,lesnoirceursdesonâme,l’échodemescris,demessouffrances,detoutcedontilsedélectait.Ilm’avaitvu,àsonâge,prisdanslesfiletsd’unhommedont jen’avais jamaispumedéfaire.Etau fondde lui, ilyavait la terreurdeceque j’avaisvécu,quelquechosequirésonnaitdanssestripes,luiquimeconnaissaitsibien.Jem’étaisassissursonlit,quandiln’étaitencorequ’ungamin,pourluiraconterdeshistoires.J’avaisébouriffésescheveuxlapremière foisqu’il était tombéamoureux. Je lui avais appris à sebattre, après lepremier coupdepoingqu’ilavaitreçu.Jel’avaisprotégé,commeAboul’avaitfait,commeAmaleferaittoujours.Etaujourd’hui, ilcomprenait lavaleurde toutça,maintenant il savait,avecuneabsolueclarté,que laseulechoseàlaquellej’avaiseudroitàmesdix-huitansvenaitdepartir,déposantunebombeànospieds. Et qu’il attendait, de l’autre côté, qu’elle explose pour récupérer des miettes de moi. Desmiettes…C’étaittoutcequ’ilrestaitdugaminquej’avaisété.—Pourquoi…tremblaSoli.Etpuisiltombadansmesbrasetsemitàpleurer.Amacaressasescheveux,deslarmesdébordantdesesyeux.Abouavaitposéunemainsurl’épaule
dechacundenousdeux,abattu.EtMacappuyalefrontcontremondos,sachantmieuxquequiconquecequeCharlesfaisaitdemoi.Etilsétaientlà,toutautourdemoi,alorsquejeberçaismonpetitfrère,monbeauSoli.Etpuistoi,Caleb.Àcôtédemoi.Ettamainsurmahanche,tesdoigtssurmapeau,meconnectantà
cemonde,àcetteterre.M’empêchantdeflancher,dehurler,defrapper.Toiettoncœurquibattait,siprèsdumien,audiapason,regardantdanschacundeséclatslaissésàmespieds,regardantdroitdans
lesyeuxchacunedemeserreurs,chacundemestourments,chacunedesaberrationsdemonexistence.Toi,sanstedétourner,sanspartir,sansjamaist’éloigner.Justed’unecaresse,m’apaiser.—C’estfini,murmurai-jeàSoli.C’estfini.
37J’étaisassissur lesoldubalcon,habilléd’unsimple jean.Àmespieds, lecendrierétaitpresque
plein et j’avais une nouvelle cigarette à la main. Un verre vide entre mes jambes et la bouteilleouverte juste à côté. Il faisait froid,mais jem’en foutais. Je fixai les lumièresdanserdans lanuit.Commeunmillierd’âmes.Pourcombiendelarmesetcombiendedésillusions?JesentisCalebavantderéellementl’entendre.Ils’accroupitàmescôtésetposaunemainsurma
joue.Jem’écartai.J’aimaispourtantça,qu’ilmetouche,qu’ilsoitlà,qu’ilmerejoignechaquefoisquejem’esquivais.Maispascesoir.PasaprèslesmotsdeCharles.PasaprèsleslarmesdeSoli.—Jet’airéveillé,dis-jesansleregarder.—Pastoi,rectifia-t-il.Tonabsence.—Elleestpourtantmoinsnuisiblequemaprésence,non?—Nedispasça,Rafael.Ilsoupira,jefinismonverre.—Tueslameilleurechosequimesoitarrivée.—Commentpeux-tudireça,Caleb?memis-jeencolère.Jetentaidem’écarter,ilmeretint.—Jeledisparcequejelepense.—Commentpeux-tumêmelepenser,merde!Jenesavaispasvraimentcequ’ils’étaitpassédepuisquenousétionsrentrésdeNewYork.Tout
avaitrecommencécommeavant.Etpourtant,pastotalement.Lui,moi,cequenousavionsdécouvertlà-bas, c’était ce que nous aurions dû être sans Charles. Un sentiment qui ne passait pas, qui neguérissaitpasetquidevenaitplusfortchaquejour.Mesdéparts,eux,faisaienttellementsouffrirqueçanousarrachaitlestripes.Maiscequifaisaitencoreplusmalétaitlemomentoùjepoussaislaporteetquejeledécouvraisderrière,assissurunechaise,immobile,lesyeuxtellementrougesqu’ilétaitévidentqu’ilavaitpleuré.Çanousdétruisait,parcequ’unesecondeaprèsl’autre,nousnousaimionsdavantage.Etcesoir,avecBrandon,avecCharles,avecSolisimalheureux,etAma,Abou,Mac…J’avaisjuste
besoindeboire.Seul.—Rafael…—Laisse-moitranquille,Caleb,lesuppliai-je.Ildégagealesmèchesdecheveuxdemonfront,tendrement,etposadenouveauunemainsurma
joue.—Regarde-moi,dit-ilentournantmonvisageverslui.Jemereculaiànouveauetprislabouteillepourremplirmonverre.J’appuyaimoncrânecontrele
murderrière, les coudes sur les genoux, et le busd’une traite. Je le reposai, prêt à y rajouter unenouvelle rasadedewhisky,maisCalebme l’arrachadesmains, avec labouteille. Il les repoussa àl’autreboutdelaterrasse,assezviolemment.Leverresebrisaetlecontenudelabouteilleserépandit
ausol.—Onpeutparlermaintenant,Rafael?—Dequoi?—Decequ’ils’estpassécesoir.Jetiraiuneautreclopedemonpaquetetl’allumai.Jeluisoufflailafuméeauvisage,provocant.Il
serralesdents.—Jen’aipasenviedeparler,Caleb.—Rafael,siffla-t-il.Bonsang,nejouepasàça.—Àquoi?m’emportai-je.Jemerelevai,ilm’agrippalebras.—Tusaistrèsbien…—Bonsang!lecoupai-je.Fous-moilapaix!Ilsefigeaetjerentrai,tremblantdefroid.Cequ’ils’estpassécesoir.Jelesavaistrèsbien,cequ’ils’étaitpassé!J’ouvrislebaretattrapaiunebouteilleoùrestaitunfonddevodka.Jeneprispaslapeined’aller
chercherunverreetbusdirectementaugoulot.Etpuisjelevailabouteille,pourtrinqueravecleciel,avecn’importequi.Aprèstout,quelleimportance?—Parle-moi,Rafael,suppliaCalebdansmondos.Caleb…Charles…Ilsvoulaienttousquelquechosedemoi.Monbonheurpourl’un.Masoumissionpourl’autre.Etmoi…Ilsmevoulaientmoi…—Vatecoucher,Caleb.—Passanstoi.Jericanaietmelaissaitombersurlecanapé,unenouvellelampéedevodkafilantdroitdansmon
estomac.Çamebrûla.C’étaitbon.—Jevaisresterlàcettenuit,bébé.Ilgrimaça.Cesurnom,jenel’avaisjamaisutiliséaveclui,parcequec’étaitceluiquejedonnaisà
mesclients.Toutcommeluinem’avaitjamaisappelé«monamour»,àcausedeCharles.Pourtant,çaavaitmanquédeluiéchapperquelquesfois.Calebhésita àme laisser seul.Àme tourner ledos,dumoinspour ce soir.À sebattre,depeur
d’aggraverunesituationdifficile.Ilavaitraison,j’étaissurlepointd’exploser,tousmesnerfstendus,commeprêtsàcraquer.Et puis, soudain, il se tourna et ôta son t-shirt. Son dos, meurtri, sous mes yeux, j’avais
l’impressiondevoirl’enchevêtrementmorbidedemespensées.Faceàmoi,danstoutesanoirceur,sasplendeur,entièrementàmamerci,dévoilé.
Ill’avaitfaitexprès,forcément.Calebn’aimaitpass’exposer,maisillefaisaitcettenuit.Avantdesetournerversmoietdeposerunemainsurmonfront,degrimpersurmesgenoux.Bénis-moi.Absous-moi.Pardonne-moi.Aime-moi.—Rafael,dit-il,avecdéfi.Ilm’embrassapassionnément,durement,presqueviolemment.—Rafael,murmura-t-ilencore.Sonbaiserdevintplusdoux,amoureux,tendre.—Quiquetusois,jet’aime.J’aurais aimé baisser les yeux, mais ses iris me retenaient, et les regarder, c’était comme être
absous.—Charlesm’abousillé,Caleb.Sesdoigtsglissaientlelongdemacolonnevertébrale,sajouecontrelamienne.—Non.Jeristristement.—Tusaisbienquesi.—C’estfaux.Sonentêtementm’enragea.—Arrête!hurlai-je.Ilattrapamescheveuxettira,renversantmatêtepourmeregarderdroitdanslesyeux.—Calme-toi,Rafael.—Bonsang,maisqu’est-cequetufousencorelà,Caleb!Ilposasonfrontcontremonépaule.—J’aimeêtreavectoi.Quetusoisdur, tendre,prostitué,amoureuxdemoi.Quetusoissousun
cielbostonien,new-yorkais,quetuportesunnomouunautre.Tantquetuesavecmoi.Serendait-ilcomptedelavaleurdesesmots?Decequ’ilsmefaisaient?—Regarde-moi,Rafael.Jenefaisaisqueça.Ilpritmesmainsetlesposasursondos.—Tumetrouvesbeau.Maisjenelesuispas,Rafael.Tumevoiscommeçaetj’oublieàquelpoint
jesuisabîmé,maisjenelesuisvéritablementpas.Jesaisseulementbienmecacherpournelaisserqu’unebelleapparence.Peut-êtrequecertainespersonnespourraientfaireavec,maisjamaisellesnepourraientmetouchercommes’ilyavaitdelabeautésousmescicatrices,jamaisellesnepourraientembrassermesbrûluresavecdessoupirsdesatisfaction.Tuneterendspascomptedecequetuasfaitpourmoi.Dutasdecendresquej’étais,del’endroitoùtuesvenumechercher.PasCharles,maistoi,Rafael.Unhommebousillén’auraitpas eu la forcedemeprendre lamainetdeme tirervers lui.Crois-moi,tuesentier.Tuesblessé,sûrementtraumatiséparcequetefaitsubircetenfoiré,etsansdoute,unepartdetoiluiseratoujoursattachée,maistun’espasbousillé.L’entendremeparlermefaisaitfrissonner.Qu’importaitcequ’ilfaisait,oucomment,ilréussissait
toujoursàmesauver.Oùquejesois,ilvenaitmechercheretjevoyaisdenouveaulemondeàtraverssesyeux.Unemain tendre surma joue, l’autre surma nuque, plus farouche, ilm’embrassa. Il était doux.
Fougueuxàcertainsmoments.Passionné.Tendre.Parfoisdépravé.Patientetamoureux.Calebavaitunemultitudedefacettes,etchacuneétaitfascinante.Ilm’aimaitetilmesauvait.Jel’adoraisetjevoulaisleprotéger.Quandilétaitprèsdemoi,jemesentaisplusfort.Jemesentaislégitime.Jevoulaisycroire.—Jet’aime,Hanaël,chuchota-t-ilàmonoreille.Quand ilprononçamonprénom, levrai,dansunmurmure, ce fut commes’ilouvraituneporte
ferméeàclefdepuistroplongtempsetqu’enfin,jepouvaisrentrerchezmoi.
38C’étaitsamedimidi,etnousétionstousensemblechezAma.SolietMac,quipassaientdeplusen
plusdetempsensemble,étaientsoi-disantpartischercherdupainpourlerepas.Çafaisaitunebonneheure, d’ailleurs. Caleb discutait avec Ama dans la cuisine et j’étais assis sur les marches de laterrasseàl’arrièredelamaison.AvecAbou,nousbuvionsunebièreenregardantlesgaminsjoueraufoot,danslejardind’àcôté.—J’aivuCharles,hier,meditAbou.JetrouvaislemomentagréableavantqueCharlesvienneencorelegâcher.D’unemanièreoud’une
autre,ilétaittoujourslà.Aprèsl’avoircroisécettenuit-là,devantlecommissariat,leschosesétaientdevenuesencorepluscompliquées.Plusconfusesaussi.Ilétaitdevenu…gentil,dansunsens.Commes’ilcherchaitàsefairepardonner.Presquedoux,parfois.Etc’étaitunetorturedeplusquimeperdaitdavantageencore.Charlessavaitcequ’ilfaisait.Ilsavaitmeplongersiloinquejen’arrivaismêmeplusàpensernormalement.Àcomprendre…—Pourquoias-tufaitça?demandai-jeàAbou.Ilsecoualatête,légèrementsurladéfensive,sescheveuxcrépusluifaisantunecoupetypiquement
afro.—Parcequ’ilvoulaitproposersonaidepourlefoyer.Unarrangement.—Unarrangement?répétai-je.—C’estça.Évidemment qu’il le voulait ! C’était bien Charles de pousser ses vices jusque-là. De venir
s’immiscersitotalementdansmaviequejenepourraispluspasserunesecondesanspenseràlui.Jebus la findemabièreet résistaià l’envied’envoyer labouteilleexploserausol.Çam’aurait
soulagé.Là,jen’avaisenviequedehurler.—Unepropositiontrèsintéressante,jesuppose,grinçai-je.—Oui.J’étaisconscientdecequeCharlesétaitcapabledefairepourgarderlecontrôle,lepouvoir.Pour
préserver ses dimanches, nos tête-à-tête. Abou et cette nouvelle proposition, c’était juste unemanipulationdeplus.Unefaçondem’attacherdavantageàlui.Sanouvellegentillesseaussi,etcettefaçondontilmontrait,soudain,saprévenance…Jenepouvaispasmelaisseravoir.Pascommeça!JeplongeailamaindanslapetiteglacièreànospiedsetouvrisuneautreBud.L’alcoolmefitunpeudebien.—C’estunsalopard,sifflai-je.—C’estplusqueça,Rafael.Abousoupiraenmedévisageant.—Malheureusement,jenepeuxpastournerledosàtoutl’argentqu’iloffre.Pasquandilyatant
depersonnesenjeu.
J’essayaidenepasmetendreàlasimpleidéedevoirCharlesgravitertropprèsdufoyerd’Abou.Il suffirait de deux coups de fil et d’un chèque à quelques zéros pour qu’il le fasse fermerdéfinitivement,s’illuienprenaitl’envie.—Jesaisquetunepeuxpasrefuser,Abou.—Pourtant,j’aifaillilefaire.Je passai un œil par-dessus mon épaule en sentant Caleb. Il s’était arrêté devant la porte. Il fit
aussitôtdemi-tourencomprenantquenousavionsbesoindequelquesminutesseuls.—Jemesenscommeunhypocrite,Rafael. Jehais tellementce typeque jedevrais lui jeter son
chèqueàlagueule.Maissijefaisça,quelgenredepasteurserais-je?Ilsecoualatête.—Tun’aspasàtejustifier,Abou.— Si, justement. Parce que je sais bien que Charles est venu proposer son soutien financier
uniquementdanslebutdet’atteindre,d’unefaçonoud’uneautre.Jedétournaileregard.Ilnepouvaitpassavoiràquelpointilavaitraison.ÀquelpointCharlesmetenait.Ilnepouvaitpas
savoir que, depuis quelques temps,Charles jouait un nouveau jeu.Que je le croisais partout, qu’ilm’attendaitaubasdemonimmeublequandCalebétaitencours,pourmeproposerdeboireunverreavec lui, dem’emmener voir une pièce de théâtre ou un opéra. Ce qu’il voulait, c’était ce que jedonnaisàCaleb.Cequ’ilvoulait,c’étaitmessentiments.C’étaitplusquedesdimanches.C’étaitmoi,complètement.—Ilalaisséunmessagesurmonrépondeur,avouai-jedoucementàAbou.Cen’étaitpaslepremier,maisjepréféraisgarderlerestepourmoi.Jen’enavaismêmepasparléà
Caleb.MaisquandAbouposaitsurmoiceregard,j’avaisl’impressiondepouvoirtoutluidire.D’êtrecompris,quoiqu’ilensoit.—Ilvoulaitmevoir,expliquai-jeàAbou.Juste…commeça.Pourallermangerensemble.Pour
parler.Jeristristement.—ParlerAbou?Endixans,iln’ajamaisvouluparler.—Etqu’as-tufait?—Riendutout.Je haïssais Charles, je haïssais ce qu’il avait fait demoi. Je n’avais jamais pu comprendre son
besoin deme faire dumal.Mais parfois, quand je faisais l’amour avec Caleb, il y avait ce désirmalsainquis’immisçaitenmoi,uneenviedebrutalité,decoupsetdeblessures.Quelquechosequejeluidevais.Charlesm’avaitéduqué,commeunchienbiendressé.Etmaintenant,ilvoulaitencoredavantage.Ilvoulaitcequejenepouvaispasluidonner.Etj’auraissimplementdûm’enfoutredesessentiments.Maissoudain,ilavaitaffinésestortures,
devenantcomme…commeCaleb,etjesavaisqueçan’allaitpasdurer.Qu’iltrouvaitjusteuneautrefaçondemefairesouffrir.Alorspourquoi…
—Tun’asrienàtereprocher,tucomprends,Rafael.Tuasledroitdeluidirenon.—Jesaisça,Abou!—Vutatêteencemoment,jen’ensuispasconvaincu.Jebaissailesyeux.—Jenecomprendspaspourquoijemesenssimal.Aboupassaunbrassurmesépaulesetpenchasatêteversmoi.—Jenepeuxpasrépondreàcettequestionàtaplace.Je tirai une cigarette de mon paquet et l’allumai. J’inhalai la fumée, le regard tourné vers la
maison,verslafenêtredelacuisine,versledosdeCaleb.J’apercevaissachemisefroissée,auxplisdésordonnés,épousersoncorpsd’unefaçonquejetrouvaisvraimentobscène.Quantàsonjeanbleudélavé,aubascomplètementuséetélimé,illaissaitdevinerlarondeurdesesfesses,lamusculaturedesescuisses.Sescheveuxchâtainsattachéssursanuqueencatoganrebiquaientquandmêmedanstouslessens.Peut-êtresentit-ilmonregardposésurlui?Maisquandilseretournaetqu’ilmesourit,jemesentisplusléger.Plusnobleaussi.Denouveauentier.—Tul’aimes.Clignantdesyeux,jemetournaiversAbou.—Oui,luirépondis-jesanshésiter.Malgrésesincohérencesetsesmaladresses,sessoiréesoùil
ne pensemême pas à prendre de douche tellement il est immergé dans sesmanuels, ses amis auxidéesfarfelues,sescoupsdegueule,sesentêtements…Jesoufflaiensecouantlatête.—Tuveuxdirecommeceluidevouloirt’arracheràCharles,ironisaAbou.Évidemment,Calebn’attendaitqueça.Ilavaitcommencéàmesortiruneséried’arguments,deplus
enplus convaincants.Des solutions et des logiques.Des choses que je refusais encoredevoir.Decomprendre.D’envisager.Ilétaitentraindetransformeruneimpossibilitéenréalité.Maiscen’étaitqu’une illusion. Parce que dans quelques mois, Caleb serait diplômé. Il aurait tout un monde quis’ouvriraitdevantlui.Etquoiqu’ildécide,jeseraisincapabledelesuivre.—Jenepeuxpas,Abou.Leseffluvesdurepasd’Amanousparvenaientjusqu’ici.Ellesmedonnaientfaim.—Tuenescapable,Rafael,m’assuraAbou.Oui,ilmedisaitçadepuisdesannéesdéjà.— Non, m’agaçai-je. J’ai seulement un étudiant dans les jambes qui me donne des idées de
grandeur.Soudain, ses bras vinrent s’enrouler autour demon cou et sa bouche se colla à lamienne.Mon
Caleb,sonodeuretsonsourire.—Tuesbienassezgrand,beaubrun.Jelevailesyeuxauciel.—Tunepeuxpasfaireunpeuplusdebruitenteglissantderrièremoi.—Etcommentj’entendraislesconneriesquetudis,sijelefaisais.Ilritentombantàcôtédemoi.Jejetaiuncoupd’œilalentouretplissailesyeux.
—MacetSolinesontpasrentrés?changeai-jedesujet.—Si.Ilss’engueulentdevantlamaison.Abousoupira,excédé.—Ilsnefontqueça,cesderniersjours.Parfait.Enfinunsujetquidétourneraitleurattentiondemoi.—Qu’est-cequ’ilsattendentaujuste?m’étonnai-je.Aboutapotasacuisse,buvantunelampéedesabière.—MactrouveSolitropjeune.Etilestmalàl’aisevis-à-visdeMama.Etdemoiaussi,jecrois.D’accordilyavaitunecertainedifférenced’âge.Maisc’étaitSoli.Pasungaminécervelé.Ilavait
toujours su ce qu’il voulait. Et dernièrement, c’était derrièreMac qu’il courait, oubliant les bellesmétissesdesonquartier.—Çanevapasdurer,souritCaleb.SurtoutquandonvoitlacrisequeMacestentraindeluifaire
pourunsourireadresséàlabelleboulangèredeHydePark.Ahoui, jevoyaistrèsbienlaquelle.Unebellebrune,plantureuse.Difficiledepasseràcôtédece
décolletémagnifique,desesrondeursappétissantesetdecesourirediabolique.—Jevaischercherlepainlà-basrienquepourlavoir,confirmai-je.Calebm’adressaundrôlederegard.—Quoi?demandai-je.Jenefaisqueregarder!Sonfrontseplissadavantage.—Quoi?répétai-je.Abouexplosaderire.—Jenepensepasqu’ilétaitaucourantdetonautrepenchant!—Non,jenel’étaispas,fitCaleb.C’étaitvrai.Jen’avaispasencoreparlédecedétail.JemepenchaiversCalebetattrapaiunemèche
desescheveux,quejetirailégèrementavantdelalaisserrebiquer,commelesautres.—Leseulpenchantquej’ai,c’estpourtoi,luiassurai-je.J’aijustedesyeuxquiseperdentparfois
danscertainsdécolletéspigeonnants,c’esttout.—OK,fit-ilensouriant.Ça ne le dérangeait pas. C’était juste un nouvel élément à ajouter à la panoplie de détails qu’il
collectionnaitàmonsujet.Etpuis je trouvais les femmesbelles,c’étaitplusquevrai.Ellesavaientquelque chose d’inénarrable quime plaisait.Un charme universel, qu’elles soient petites, grandes,fines,rondes,brunesoublondes.Justeparcequ’ellestenaientlemondeenleursein.Noussursautâmesquandlaported’entréeclaqua.Quelquessecondesplustard,Macdébarquasurla
petiteterrasse,lesmainsenl’air,lesagitantfurieusement.—FichuimbéciledeFinch!signa-t-il.—Jen’ysuispourrien!sedéfenditAbouenriant.Cequiluivalutunregardnoir.Macselaissatomberausol,ledosappuyécontremesjambes,latêtesurmacuisse.J’ébouriffaises
cheveux,iltapasurmamain.Soli apparut peu de temps après, sa bouche tordue, ses mains résolument dans ses poches. Ses
dreadlocksparaissaientpluslongues,sonregardplusgrave,sonvisagemoinsenfantin.Sonairbutén’avaitpaschangéparcontre.Surtoutquandillançauncoupd’œilagacéversMac.Iltentalemêmeavecmoi,histoiredebienmefairecomprendrequ’iln’appréciaitpasquejemetiennesiprèsdesonbeauroux.Maisilluisuffitdecroisermonregardpourqu’ilabandonneengonflantlesjoues.J’explosaiderire.Ilseraclalagorge.—Alors?TuasrencontréCarmen?—Quiça?—Laboulangère,letaquinai-je.IlfermaunœiletfitungestevagueversMac.—Onenreparleplustard.—Pourquoipasmaintenant,signaMac,énervé.Iln’auraitpeut-êtrepasdû l’attaquerde front.Solin’étaitpasdugenreàmesurer sesparoles. Il
devait lesavoirdepuisle temps.Cegaminnepossédaitaucunfiltre.Sesmotssortaientdelamêmefaçonqu’illespensait.—Parcequetuesjaloux,emmerdeurd’Irlandais!luirétorquaSoli.Tuneveuxpasdemoi,maistu
neveuxpas,nonplus,quejeregardeailleurs.Tuespossessif,maisturefusesque,moi,jelesois.Tuasjusteoubliéunpetitdétail,MacO’Connell,c’estquetunepeuxpastoutavoir.Àunmoment,ilvabienfalloirquetuchoisisses.Tuessivieux,aprèstout.Tun’asplusvraimentdetempsàperdre,tusais!Macrougitviolemment,sesbras le longdesoncorps.Solihaussaunsourcil,unairsarcastique
colléauvisage.Abou ricana,Calebclaqua la langue. Jebuvaismabière,profitantdu spectacle. Jedevaisavouerqu’ilétaitassezdistrayant.Amavintnouschercherpourpasseràtableetsoufflaprofondémentenavisantlevisageécarlatede
Macetl’airravidesonbenjamin.—Est-cequeçavadurerencorelongtemps,votrecinéma?marmonna-t-elleenpointantlacuisine
dudoigt.Ah,lesfemmesnesontpassicompliquées!Nous nous levâmes et Caleb noua ses bras surmon ventre, posa sonmenton au creux demon
épaule,chauddansmondos,mefaisantavancerverslacuisine,guidéparlesodeursalléchantes.Ilmurmuraquelquesmotsàmonoreilleetjepartisd’unéclatderire.Sonnezfrottamajoueetilmelâchapours’asseoirà table.Samainsurmongenou, lamiennesursanuque.Malgré lesobstaclesqu’il nous restait à franchir, toutes ces choses en suspens qui étaient loin d’être réglées, il y avaitquelquechose…Quelquechosequejechérissais.Abourécitalebénédicitéetnousjoignîmeslesmains,nostêtesbaissées.Amen.C’étaitunmidiensoleillé.Unejournéeenfamille.Unhavredepaixdanslequel,parfois,ilmeplaisaitdemeréfugier.
39Il faisait nuit quand nous rentrâmes à l’appartement. Caleb avait fini très tard au restaurant. Je
l’avais attendu en mangeant une assiette de pâtes, en discutant avec Mick, un habitué, que jecommençaisàbienconnaîtredepuisletempsquejevenaistraînerdanslecoin.J’avaisdoncpatienté,enécoutantMick,etenregardantmonCalebvirevolterentre les tablesenmedemandantcommentquelqu’undesimaladroitnefaisaitpasplusdecasse.Il était plusd’uneheuredumatinquand je jetai les clefs sur le comptoir et que je balançaimes
chaussuresdans l’entrée. Jen’avaisqu’uneenvie,m’allongeret laisserCaleb fairedemoicequ’ilvoulait.J’enavaisvraimentbesoin.Besoindelesentirécartermescuisses,s’yglisser.Deluiaufonddemoi,ondulant.Deluioffrir
cetteautrepremièrefois.Mesentircomplètementàlui…—Jesuisdésolé,medit-il.Iljetasavestesurlecanapéetmesuivitdanslachambre.—Dequoi?—Quetupassestessoiréesàm’attendre.Jeluisouris.—J’aimebienMick.Ilpassasachemisepar-dessussatêteetlaissatombersonpantalonausol,avantd’avancerversmoi
d’une démarche tellement assurée qu’il ne ressemblait déjà plus au type que j’avais rencontré àCambridge.Habillé seulement d’un caleçonnoirmoulant ses fesses, ses brûlures éclairées faiblement par la
lumièretamiséedel’appartement,soncatoganàmoitiédéfait,ilétaittoutsimplementmagnifique.Jeclignaidesyeuxetmedéshabillai.Ensoupirant,ilglissalesbrasautourdemoietjeretinsses
mains pour les poser sur mon ventre, les faisant descendre plus bas, sur mon sexe. Ses doigtss’enroulèrentautourdemonérectionetmecaressèrent,enmêmetempsqu’illaissaitsonautrepaumeremonterlelongdemacolonnevertébrale,suivrelecontourdemoncou.—Fais-moidubien,soufflai-je.Calebsefigeaquelquessecondesetjeletiraiavecmoisurlelit.Jemelaissaitombersurledos,il
s’installaentremesjambes,mesurplombantenappuisursesdeuxbras.Sesyeuxbrillaient,jesavaisqu’ilenavaitenvie.Qu’ilseretenaitcertainssoirs.Jeme cambrai, le forçant à s’approcher encore plus près, à venir prendre ce que je voulais lui
donner,àlui,plusqu’àn’importequid’autre.—Jenesaispas,Rafael,si…—Moijesais,monange.J’avais tellement envie de le sentir en moi. D’être à lui. Je le repoussai un peu, juste quelques
secondespourvenirmemettreàgenouxdosàlui,unbraspasséautourdesoncou,sesmainssurma
poitrine.Ilmorditmonoreille,tremblantunpeu.Ilgémitquandsonsexesenichacontremesfessesetmepoussaunpeupourquejem’allongesur
leventre.Jel’entendisdéglutirjusteavantqu’iln’embrassemesomoplates,lecreuxdemesreins.—Tuestellementbeau,chuchota-t-ilcontremapeau.Etsavoixmefitfrissonner.Ilsuivitdelalanguelechemindemacolonnevertébrale,sefaufilantplusbas,léchamescuisses,
l’intérieur demes genoux. Puis il remonta, coulant son corps contre lemien, jusqu’à ce que sonérectionviennesenicherlàoùjelavoulaistellement.Parcequejelevoulais,n’est-cepas?Jelevoulais…Il passa les bras sous les miens, posa les mains sur mes joues, tourna mon visage vers lui. Il
m’embrassapassionnément,enroulasalangueautourdelamienne.Sipassionné,sisûrdeluitoutàcoup.Cen’étaitplusmonCaleb,monamourdegéniequej’avaiscroiséàlabibliothèquedeBoston,quiavait interverti intentionnellement l’undenos livrespourêtrecertaindemerevoirun jour.Cen’étaitpluslegaminauxyeuxgris,ausourireéblouissant,quiavaitréussiàm’émouvoird’unsimpleregard.Ce n’était plus cet ange, qui avait débarqué dansma vie et quim’avait donné envie d’êtresauvé.Non…Quandillubrifiasesdoigts,qu’illesglissaenmoienchuchotantquelquesmotsàmonoreille,ilnefutplusriendetoutça.Ildevintseulementunhommequis’apprêtaitàmebaiser.Etjenevis plus que ça, je ne ressentis plus que ça lorsque son sexe vint doucement prendre cette place,avançantcruellementenmoi,profondément.J’étaisunepute.Lasienne.CelledeCaleb.J’auraisvoulumeraccrocherplusquetoutàcequenouspartagions,j’auraisvoululuidonnerça,amoureusement,tendrement,lesentirperdrepiedàchaquecoupdereins.Maisjen’yarrivaispas.Parcequec’étaitlui,derrièremoi.Luiquimeprenait.Etjenepouvaisplusmecacher.Ilvoyaitvraimentquij’étais,cequelesautresmefaisaient.Lesautres.Touslesautres…quim’avaientattaché,menotté,suspendu…Tellementdefois.Tellementqueçanevoulaitplusriendire…Çanevoulaitplusriendiredutout…J’enfonçaimonvisagedanslecoussin,mordantlataiepourm’empêcherdeluihurlerd’arrêter.De
nepascontinuer.Jel’avaisvoulu,tellementfort.Maislesentirenmoiet…S’ilmefaisaitl’amourcommeça…Si…—Chut,mesoufflaCalebàl’oreille,seretirantlentementdemoi.Jevoulusleretenir,lesatisfaire…Aprèstout,ilavaitpayé…Non,iln’avaitrienpayé…Il…Puis toutàcoup, ilme tournasur ledosetsesyeuxgrisplongèrentenmoi. Il l’avaitsentie.Ma
détresse.Monrefusmuet.Ilsecoulaentremescuisses,posalajouecontremapoitrine.—Caleb…Ilembrassamonventre.—Çava,Rafael,sourit-il.Jesecouailatête.
—Non,çanevapas,m’étranglai-je.Commentpeux-tudireça?Tusaisbienqueçanevapasdutout,là!Jem’écartaipoursortirdulit,Calebselaissatombersurledosaumilieudumatelas.Jerécupérai
unjean,claquailaporteensortant.Pourbienluifairecomprendrequej’avaisenvied’êtreseul.J’avais tellement voulum’abandonner, comme il s’abandonnait quand je lui faisais l’amour. Il y
avaitcetairdeplénitudesursonvisage,delasatisfaction,unprofondplaisir,unecertitude,unbesoin.Et cettedoucebrûlurequand il approchait de la jouissance. J’avais cruqu’avec lui, avecCaleb, ceseraitdifférent…Maisàl’instantoùils’étaitglisséenmoi,j’avaiscommencéàattendrelepremiercoup,lapremièredouleur…Jesortisuneclopedemonpaquetquitraînaitsurlatabledusalonetcherchaiunbriquet.Commeje
neletrouvainullepart,jepartisverslacuisineetl’allumaiauxplaquesàgaz.Jeleséteignisaussitôtetinhalailapremièrebouffée.Enmeretournant,jesursautaientombantnezànezavecCaleb.—Faisunpeudebruitavantdeteglisserderrièrelesgens!m’agaçai-je.Ilinclinalevisage.—Vaterecoucher,soufflai-jeenl’embrassantbrièvement.Ilposaunemainsurmanuque.—Viensavecmoi.J’agitai ma clope devant son nez, il grimaça. Je le contournai pour me réfugier sur le balcon.
J’avais juste besoin d’un peu de solitude.D’un peu de tranquillité. Parce queCharlesm’avait pristellement de choses… Et que j’aurais aimé plus que tout les offrir à Caleb. Maintenant, c’étaitsimplementimpossible.Parcequej’étaissouilléparcesannéesàmeprostituer.Cesannéesàn’êtrequ’àCharles,auboutducompte.—Onyarrivera,ditCalebdansmondos.—Jenepensepas,non.Jem’accoudaiàlabalustradeetobservaileslumièresdeBoston.Calebvints’appuyerprèsdemoi,
sansmetoucher.Regardantlesombres,plusbas.—Chaqueclientt’arracheunepartiedetoi,Caleb,dis-jetoutàcoup.Étonné,ilpivotaplusfranchementversmoi.J’étaissurprismoi-même.Jeneparlaisjamaisdeça.
Avecpersonne.Pasdanslesdétails.Etpuiscesoir,mevoilàaveccesmotssurleboutdelalangue,etlebesoindelesprononcer.DetoutraconteràCaleb.Delesluioffrir,commeuncadeauempoisonné.—Chaquehommefêleunpeuplustoncorps,tonâme.Toncœur?Tun’enasplus.Malgrétoutes
lesdéfensesquetucrées,touteslesraisonsquetutedonnes,tusorstoujoursunpeuplusbrisédeceschambresd’hôtel,decesmaisons,decesendroits…Jetiraisurmacigarette,inspirailafumée,larecrachantendepetitsrondsquidisparurentdansles
airs.—Jesaisque,pourcertains,c’estdifférent.JesaisqueMacarencontrédestypesbienquiavaient
justebesoind’unpeude réconfort.Maisçan’a jamaisétémoncas.Parceque j’aiCharlesetqu’ilaimelesblessures.L’humiliation.Lespunitions.Lessentencesquimefontfrémir.Ilaimequ’onpaiepourm’avoirensachantquejenesuisqu’àlui.Ilchoisitlesclientslesplusviolents,lesplusriches,ceuxquiontbesoind’unexutoire.Troisfoisparsemainedepuisdixans.Jesuiscertainquetabelle
intelligencepeutmecalculerlenombredepassesquej’aifaites.Ilbaissalevisage,soudainblême.—Dix-septmilledeuxcentquatre-vingts.— Sans compter les dimanches de Charles. Dix-sept mille deux cent quatre-vingts, Caleb. Et
combiend’hommesdifférents?Ilsecoualatête,défait.—Arrête,Rafael,mesupplia-t-il.J’attrapai son bras, l’obligeant cruellement à m’écouter. Il devait comprendre, savoir. Je n’en
pouvaisplusdetoutporterseul.Cepoidssurmoncœur,ildevenaittroplourd.Ets’ilm’avaitchoisi,s’ilmevoulaitencore,s’ilvoulaitrester,alorsildevait,luiaussi,enassumerlesconséquences.Ilétaittempsqu’ilcomprenneexactementquij’étais.Quijeseraistoujours.— J’ai été frappé, coupé, écorché, brûlé, laissai-je tomber durement. Violé. On m’a attaché,
renversésurdesbureaux,ligotéàunpoteau,unechaise,lesjambesécartéessurunlit.Onm’aurinédessus,crachédessus,marchédessus…—Tais-toi!s’étrangla-t-il,lesyeuxbrillants.Madouleur,c’étaitpourluicommeunuppercutenpleinestomac,l’empêchantmomentanémentde
respirer.Ilcherchaàsedégager,maisjeleramenaiversmoietcontinuaimalgrésesyeuxquibrillaientde
plusenplus.— Je bois pour oublier. Beaucoup ! Ilm’est arrivé deme droguer pour supporter cettemerde.
Parfois,jemecolledesseringuesdanslaqueuepourréussiràbander.Parcequ’ilsveulenttousquej’aie envie d’eux, tu sais ? Que j’aime leurs mains qui me torturent, leurs mises en scène, lescostumesquejepasse.Ilsveulentquejegémissedechacundeleurscoupsdereins,mêmes’ilsmefontmal,s’ilsmefontsaigner.Ilsveulentqueçameplaise,quej’enredemande.Alorsjelessuce,jelesflatte,jelesbranle.Jemontesurleurscuissespourmefairebaiser…Calebsedégageasoudainbrutalement.—Ferme-la!hurla-t-il.Jet’enprie,Rafael,nedisplusrien!Chaquemotétaituneflècheplantéedanssoncœur.Çaleretournait.Çaluifaisaitmal.J’auraispu
m’arrêterlà.Luiépargnerleplusdur.Maisjen’yarrivaispas.Plusmaintenant.—Lepire,c’estCharles,luiassenai-jeviolemment.Ettusaispourquoi,monamour?Parcequ’il
m’aétudié.Dixansàapprendremoncorpspourenfaireexactementcequ’ilveut.C’estluiquimefait leplusmal.Etpourtant, il réussitàmefaire jouiràchaquefois.Àchaquefois,Caleb!Oui,àchaquefois,jecriesonnom!Caleb, fou de rage, des larmes sur les joues, me repoussa si fort que je percutai la rambarde
brutalement.Ilhaleta,commefou.Etmoi,jepersistai.Encore.—Ils’estfaitbaiserpard’autresdevantmoi,justepourattisercedésirmalsain,luiexpliquai-je,
sanspitié.Pourmerendrejaloux.Maisçan’ajamaismarché.Alorsilachangédetactique.Ilainvitédesamis qui me prenaient devant lui. Il m’a fait me masturber devant des inconnus, me mettre àgenoux devant chacun d’eux. Est-ce que tu comprends,Caleb ? Je suis sa chose, son trophée, sonchien.Sasalope.Ilmeprenddanslesang,danslasouffrance,parfoisàm’enfairevomir.Etquandilmeditderevenir,debaisserlatête,jereviensetjebaisselatête.
Calebreculajusqu’aumur,lesmainsdanslescheveux,crispé,tendu.Tellementébranlé.—Stop,Rafael,mepria-t-il.S’ilteplaît,nedispasunmotdeplus.Jemeruaisurluietaplatismesmainsau-dessusdesatête.Jefrappailemur.Unefois.Deux.— Je t’aime, Caleb, m’étranglai-je. Mais quand tu es entré en moi, j’ai vu tout ça. Je te veux
tellement…Àenperdrelaraison,parfois…Pourtant,jen’yarrivepas.Pasdecettefaçon.Furieux,dépassé,acculé,Calebserralespoings.J’enrecouvrisundemamain,leregardantdroit
danslesyeux.—Frappe-moi,Caleb.Ildevintlivide.—Commentpeux-tumedemanderça?—Oui,comment?Jeposaiunemainsursagorgeetluirenversailevisage.—Parfoisj’enaienvie,tusais?soufflai-jedanssoncou.Quetulèveslamainsurmoi.Quetume
fassesmal.Quetum’attaches.Parfois,justel’idéemefaitbander.J’inspirailentement.—Tellementfort…murmurai-je.Je m’appuyai davantage contre lui, et ma vision devint trouble. Caleb posa les mains sur mes
épaulesetjemerendiscomptequejetremblais,quemesdentsclaquaient.—Monange…m’étranglai-je.Jevoudraisêtreunhommesain.Maisjenesuisqu’uneépave.Ilappuyasonfrontcontrelemienetcroisalesbrassurmanuque.—Arrêtemaintenant,medemanda-t-il,bouleversé.Arrête.—Caleb…Jel’étreignis.—Jesuisdésolédenepaspouvoirtedonnertoutcequetuvoudrais.—Calme-toi,mesupplia-t-ilenmesentanttremblerencoreplusfort.Bonsang…Ilpritmesmains,jetamonmégotpar-dessuslabalustradeetmetiraàsasuite.—Viens.Il me rallongea dans le lit et se cala contre moi, sa joue dans le creux de mon épaule.
M’enveloppantdesachaleur.Desonamour.Desesparolesrassurantes.Desessoufflescontremapeau.—N’ypenseplus,murmura-t-il.Hanaël…Jenesuisqu’unepoussière.Uneinfimeparticulederien…J’auraisdûmebattre.J’auraisdûdirenon.
Dèsquejefermaislesyeux,jepouvaisvoirchacundeleursregards.JepouvaisvoirceluideCharles.CeluideCalebaussi.Jenesuisqu’unepoussière,ballottéeparletemps,minusculegraindéposéaucreuxdesamain.
40—Hé!Qu’est-cequetufaislà,beaubrun?Jefisattentiondelaissermonsourirebienenplace,meslèvress’entrouvrantàpeinequandCaleb
m’embrassa.Jecroyaisnepaslecroiser.Jel’espéraischaquefoisquejedébarquaissurlecampuspourbosser.
Etjefaisaistoujoursensortedemetenirloindudépartementd’aéronautiqueouden’importequelendroit qu’il avait l’habitude de fréquenter. Je prenais toujours mes précautions quand je devaisrencontrerunétudiant,ununiversitaireoun’importequelclientrésidantàCambridge.JetéléphonaisàCalebavant,sousprétextequ’ilmemanquait.Cequiétaitvrai,ilmemanquaittoutletemps.Etaudétourdelaconversation,jeréussissaisàsavoiroùilsetrouveraitlesheuressuivantes.Jeneprenaismêmepasmamotopourêtrecertainqu’ilnelavoiepasstationnéesurunparking,audétourdel’unede ses allées et venues. Jusqu’àmaintenant, ça avait plutôt bien fonctionné. Enmême temps, je nevenaispastrèssouventparici.Aujourd’hui,jen’avaispasréussiàlejoindreavantdepartir.Jem’étaisrassuréenmedisantqu’il
n’avaitrienàfaireàHarvard.Mauvaiscalcul.Jen’avaispasfaitdeuxpasquej’avaisaperçuCalebsortantdubâtimentdanslequeljedevaismerendre.CeluioùsetrouvaitlebureaududocteurJulian,éminenthistorien,homosexuelrefoulé,requérantmesservicesunefoistouslesdeux,troismois.Ettoujoursdanssonbureauferméàdoubletour,lorsdesonheuredepause.Demidiàuneheure,quandleslieuxétaientdéserts.Quasimentdéserts.—Tumecherchais?demandaCaleb,replongeantaussitôtlenezdansunpolycopié.Pourunefois, jebénissatêteenl’air.Aumoins,ilneremarquapasmaraideur.Nil’airsombre
quejeneréussispasàmasquertotalement.Jetrouvaisabjectd’êtreprèsdeluimaintenant,ensachantquej’avaisdespréservatifsetuntubedelubrifiantdansl’unedemespoches.Encorepluslorsqu’ilmepritdanssesbras,sachantquej’allaismefairebaiserdansdeuxminutes.Jen’étaisqu’unsalaud.—Tuespressé?demandai-jepourchangerdesujetetéviterdeluimentir.Heureusement, il était ailleurs, savestepassée à l’envers, comme s’il avait couru jusqu’ici pour
chercherleboutdepapierqu’iltenaitàlamain.—Oui,marmonna-t-il.Onsevoitcesoir?—Biensûr,monange.Monange.Pardonne-moi.Ilrepartitensedépêchant.Àunmomentdonné, il reviendraitsur terreetserendraitcompteque
notrerencontreétaitétrange.Alors,ilsauraitcequejefaisaisréellementsurlecampusàcemomentdelajournée.Maispourl’instant,cen’étaitpaslecas.Etj’espéraisqueçaneleseraitpasavantquejequitteHarvardetquejetrouveuneexcusevalable.J’observaisasilhouettes’éloigneretmeretinsdelerappeler.Jebaissailatêteetm’éloignaiversle
bâtiment.Jeconnaissaisbienl’endroit–cen’étaitpaslapremièrefoisquej’yvenais–etjem’arrêtaisanshésiterdevantuneporte,frappantdoucement,essayantd’oublierCalebetcequiallaitsepasserd’iciquelquesminutes.
LedocteurJulianaimaitêtrebrusque,surtoutàcausede lafrustrationqu’il ressentait lesquatre-vingt-quinzepourcentdutemps.C’étaitsafaçondelâcherprise.Ilmefaisaitmalparcequ’ilhaïssaitles hommes et le désir qu’il leur portait. Et que ce n’était pas sa femme, une jolie brune d’unequarantained’annéesquileregardaitamoureusementsurtouteslesphotosd’ellequisetrouvaientsursonbureau,quiallaitselaisserblesserpoursatisfairesonperversdemari.Quand ilm’ouvrit, ses lunettesbassessursongrosnez, jesouris,devenantunautre,mebrisant,
m’acérantsurcesmensongesquimerongeaientdel’intérieur.—Rafael,dit-ilcérémonieusement.Ilmelaissapasseretj’entrai.—DocteurJulian.JulianétaitunhommequiplaisaitàCharles,parcequ’ilavaitl’impressionqu’ilpouvaitdéraillerà
toutmoment.Etc’étaitvrai.Ilsemaîtrisaitàpeineetjesupposaisquec’étaitl’unedesraisonspourlesquelles il aimait faire ça à Cambridge, dans un endroit où il était respecté. Ça lui donnaitl’impressiondecontrôlersespulsions.Il donna ses directives d’une voix sèche et dure ; j’obéis, évidemment. Je me déshabillai, me
penchaisursonbureau,lesmainsbienàplatsurlebois,lesjambeslégèrementécartées.Lebruit d’un emballageque l’ondéchire, unpréservatif que l’ondéroule, une intrusionquime
donnalanausée.Lepremiercoup.Aveclarègle.Surmesreins.Qu’est-cequevadireCalebenvoyantlesmarquesqu’ellelaissesurmapeau?Lesecond,surmondos.Letroisièmeetlequatrièmecinglèrentmescuisses.Cela ne me faisait pas vraiment mal. Ce qui était douloureux, c’était l’après. Quand Caleb se
glisseraitcontremoi,mecaresserait. Jedormais toujourssur leventreet ilaimaitvenirposersonmenton au creux de mes reins. Et les seules fois où je le lui refusais, c’était quand je récoltaisquelquesplaies,quelquesbleus.Quelqueshumiliationsdeplus.Etquejerefusaisqu’illestouche.Cesoir seraitun soirsans.Encoreune fois, je verrais dans son regard toute lapeineque je lui
auraiscausée,touteladouleurquejelogeaisdanssoncœur.Cesdernierstemps,ilpleuraitbeaucoupquandilmecroyaitabsent.Parfois,quandjerentrais,jel’entendais.Alorsjem’asseyaisdiscrètementsurlefauteuildusalonetj’écoutaissessanglotsbriserlesilence.Jemehaïssaispourtoutcequejeluifaisaisendurer,soiraprèssoir.Jen’avaisaucundroitdelui
fairedumal.Jen’auraisdûêtrequ’unesourcedebonheur.Alorsquejen’étaisqu’uncalvairedeplus,aucontraire.Julianfrappaencore,etjebaissailevisage,fermailesyeux.Uneheure.Uneheurevolée…Uneheureàn’êtrequ’unechose,uneépave,undéfouloir…UneheureàobéirencoreauxexigencesdeCharles…Uneheure…Simplementuneheure…UneheureàtrahirCaleb…
41Jepressais le pas. Jevoulais rentrer rapidement chezmoi.Me jeter sousunedouche et nettoyer
moncorpsjusqu’ausangs’illefallait.Essayerdepanserlesblessuresquej’allaisdevoirexpliquerauseulhommequej’auraisvouluconnaître.Unhommedontj’étaisfou.Unhommequim’attendaitsurlecampus,encoreàHarvard,appuyécontrelemurdubâtimentd’où
jesortais,lesbrascroisés,levisagedéfait.Unhommequiavaitcomprisquejen’étaispasicipourlevoir.Unhommemeurtri.Jem’arrêtaiàquelquesmètresdelui,renduimmobileparleregardqu’ilposasurmoi.Jedéglutis,
passaiunemaindansmescheveux.Pasça.Pasmaintenant.Maisc’étaittroptard.Calebétaitlà,ilmefixaitduregard.Etjenepusrienfaire,àpartreprendre
maroutepourm’éloignerdelui.—Oùvas-tu?rugit-ilenmesuivant.Restelà,Rafael.—Jenepeuxpas!Il me courut après et m’agrippa le bras, me forçant à faire volte-face. Ses yeux d’ambre gris
jetaientdeséclairs.—Tunepeuxpas?hurla-t-il, sansprêter attentionauxquelquespersonnesquipassèrentdevant
nous.Lecampusétaitquasimentdésert.Leprintempsfaisaitbourgeonnerlesarbres.L’herbeétaittondue
etquelquesfleursparsemaientlapelouse.C’étaitundécordefilm,beauetpresqueromantique.—Tucroisquejepeux,moi?s’étrangla-t-ilderage.Tupensaisquejen’allaispascomprendre?
Jen’aipasfaitdixpasavantdesaisircequetufoutaisici.J’aifaitdemi-touretjet’aicherchépartout.Ah,ça,j’aifinipartetrouver!Ilmerelâchabrutalement.—IlfautdirequeledocteurJuliann’estpasdiscret!mebalança-t-il,lavoixcassée.Ilrecula,lesdoigtscroiséssursanuque.Jemedétournai,lahontem’empêchantdeleregarder.Je
m’éloignai de nouveau, le laissant derrière. Je ne pouvais pas avoir cette conversation ici. Pasmaintenant.Pascommeça.Jamais…Calebmerattrapaunefoisdeplus,passadevantmoipourmebloquerlepassage.—Putain,Rafael!Tupourraisaumoinsmeparler,non!—Pourtedirequoi?—Jen’ensaisrien!hurla-t-il.Jen’ensaisfoutrementrien!Maisparle-moi.OK?Nemetourne
pasledos.PARLE-MOI!
Soncri fit remontermacolèreet jemejetaipratiquementsur lui,enfouissantunemaindanssescheveux,tirantpourrenversersonvisage.Ilagrippaledevantdemonblousonencuirpourseretenir,pournepaspartir en arrière. Ilme fusilla du regard, je le regardai de toutemahauteur, les dentsserrées,ledosraidedescoupsquejevenaisdeprendre,sentantlatranspirationd’unautre.—Qu’est-cequiseraitacceptablemaintenant?sifflai-je.Queveux-tuquejetedise?Il serra plus fort les pans de ma veste. Des vagues de peine, de rage, brouillèrent son si beau
regard.—Tuasaimécequ’ilt’afait?—Commentpeux-tumedemanderça?Jecherchaiàmedégager,maisilmeretintfermement.—Est-cequecesalopardt’afaitjouir?insista-t-il.—Arrêteça,Caleb.—Est-cequ’il…—Arrêtetoutdesuite!hurlai-je.Jelepoussailoindemoi,nesupportantplusaucundesesmots,savoixtorturée,sonregardblessé,
sesgestesdésespérés.Jen’yarrivaisplus.—Tunecroispasquej’ailedroitdelesavoir?melança-t-il,lesbrasécartés.—Non,Caleb.Désolé,maistoutecettemerde,çaneteregardepas!—C’estvrai,cracha-t-il.J’avaisoublié!ÇaneconcernequeCharlesettoi.C’estça?Ilfitplusieurspasenarrière,ensecouantlatête,medétaillantcommes’ilnemeconnaissaitpas.Et
dansunsens,c’étaitlecas.Ilsavaitquejemeprostituais.Mais,jusque-là,iln’avaitfaitqu’imaginer.Il nem’avait pas croisé alors que jeme rendais à un rendez-vous. Il n’avait pas posé une oreillecontre uneporte et entendu, de l’autre côté, les gémissements d’extasedu typequi avait payé cherpourm’avoir.L’undecesautresaveclesquelsilmepartageait.—Pourquoi?demanda-t-il.Cettequestion,jemel’étaisposéetellementdefois.Jel’avaisentenduedanslabouchedetousceux
quej’aimais.Etqu’ilmelapose,lui,çamedéchira.Çabousillaleseulrempartqu’ilmerestait.Jefranchis ladistancequ’ilavaitmiseentrenousetattrapaisonmentondansmamain, inclinant
sonvisageversmoi.—Tusaispourquoi,Caleb!sifflai-jeentremesdentsserrées.TusaistrèsbiencommentCharles
me tient ! Je t’ai tout expliqué. Je t’ai poussé à partir. Et tu es resté.Merde ! Je t’avais prévenu !Qu’est-ceque tu croyais ? J’ai été aussi honnêtequepossible avec toi ! Je t’ai donné tout cequ’ilm’étaithumainementpossibledetedonner!Qu’est-cequetuveuxdeplus?Noussavionstouslesdeuxcequ’ilespérait.Parcequej’avaislesmêmesattentesquelui.Pource
queçachangeait!Cequenousvoulions,Charless’enfoutait.Etc’étaitluiquitenaitlesrênesdecejeudeplusenplusmorbidequiallaitfinirparmetuer.Caleb retint ses larmes, refusa de les verser devantmoi, dememontrer cette faiblesse. Il avait
encoretantdefierté,alorsqu’ilnemerestaitrien,mêmepasunpeudedignité.Etçam’enragea.Çamedonnaenviedetoutfoutreenl’air.Deneplussouffrirpourrien.Merde!Jen’enpouvaisplusdemarcheràcontre-sens,denageràcontre-courant.
—Putain!jurai-jeenlerelâchant.Tusaisquoi,Caleb?Vatefairefoutre!Et jepartis rapidement,sans regarderenarrière, indifférentàsespasprécipitésderrièremoi.Je
voulaismelaverdeceperversdeJulian,jevoulaislaisserl’eaucoulersurmoi.Jevoulaissoignermesplaies.LesquelquesmarquesquiresteraientplairaientàCharles.Ilyauraitaumoinsunheureuxdanstout
cecarnage.JefilaiversCentralSquare.Jemedirigeaiversl’arrêtdebusaumomentoùilarrivait.Jesprintai
poursauterdansleCT1quimeramèneraitàBoston.Calebrestaenarrièreetquandjem’assisprèsdelafenêtre,jelevissurletrottoirassistantàmafuite.Jetournailatêteetfermailesyeux.Cen’étaitpluslemomentdepenseràlui.Jevoulaisnepluspenseràriendutout.Resterseul.Boire.Fumer.Dormir.Etavecunpeudechance,meréveillerdeceputaindecauchemar.Maisj’eusbeaugarderfermementlespaupièrescloses,prier,quandjelessoulevaiànouveau,le
mondeétaittelquejel’avaislaissé.Douloureux.Je descendis vingt minutes plus tard et traversai la rue, marchant les mains dans les poches,
difficilement.Commesiunpoidspesait surmesépaules. J’avançai le longd’un trottoir, puisd’unsecond,sillonnantlebitume,latêteenfoncéedanslesépaules.J’entrai doucement dans le hall de mon immeuble, ignorant le gardien, et me dirigeai vers
l’ascenseur, sansmêmepenseràéviterDante. Ilmesalua,meparlade lapluie,dubeau temps,dubruitquivenaitdemonappartementetqui leréveillaitenpleinmilieudelanuit.Iln’obtintaucuneréponse,mêmequandilmemenaçadereprésailles–soitappelerlepropriétaire,quin’étaitautrequeCharles.Jememoquaisdetoutcequ’ilpourraitdire,faire,inventer.Ilentrachezlui,excédé,tirantleverroud’ungestesec.Jepartisàl’opposé,sortismesclefsdemapocheetentrai.Jejetaimontrousseausurlaconsoleet
donnaiuncoupdepieddanslaportepourlarefermer.Elleneclaquapas,maisserouvritavecfracas,heurtantlemurtellementfortqu’elleylaissaunemarque.Jemeretournaivivement,levisageinclinésur lecôté,observantCaleb. Ilétaitcouvertde transpiration,haletant, sescheveuxchâtainsplaquéssursonfrontensueur,sesyeuxgrisdevenusnoirscommedeuxpuitssansfond.Il fit unpasversmoi, tellement hors de lui que jemedemandai unmoment s’il n’allait pasme
frapper.Non, il se contenta d’ôter son sac de son épaule et de l’envoyer violemment au sol, nousenfermantdansl’appartement,larespirationcourtederage,lesmainstremblantes,l’airsombre.Il avait dû courir pour prendre une seconde ligne, négligeant ses cours. Puis sprinté en
redescendantpourarrivericienmêmetempsquemoi.L’effortnel’avaitpascalmé,ilétaittoujoursaussifurieux.Etmoi,jenepouvaistoujourspasluiparler.Jeleplantaiunefoisdeplus,lelaissantdansl’entrée,avecsesressentiments,sesdouleursetsesfrustrations.J’avaisbesoindemelaver.Jemesentaissale,dégueulasse,souillé.Ilmesuivit,jemedéshabillai,troplaspourluimasquerlesquelquesblessures.Ilcillalégèrement,
cherchamonregardquandjemetournaiàdemipourenfouirmesvêtementsdanslamachine.Maisje
l’évitai et glissai derrière la paroi de la douche, tournant les robinets et offrantmonvisage au jetd’eauquilefouetta.Etparcequ’ilmouillaitmesjoues,meslèvres,mesyeux,jepermisauxlarmesdecouler.Des’enfuir,emportantlapeineavecelles,petitesperlesdedouleur,petitsriensquifaisaienttellementmal.Jeme frottai de longuesminutes, m’écorchant, laissant des éraflures surma peau. Je continuai
pourtantjusqu’ànepluspouvoirensupporterdavantage.Quandjeressortis,torseetpiedsnus,unsimplejeansurleshanchesdontlesboutonsn’étaientpas
encorefermés,uneservietteàlamain,Calebétaitencorelà,assissurledossierducanapé,lesbraslelongducorps.Ilétaitbeau,magnifique.Blesséautantquemoi,bouleversé,tristeetdésemparé.—Va-t’en!luibalançai-jecommeuneinsulte.Commesicesderniersmois,cetappartementn’étaitpasaussidevenulesien.Toutessesaffaires
traînaient entre ces quatremurs, il avait un jeu de clefs, il prenait le courrier en rentrant le soir,descendaitlespoubellesunmatinsurdeux.C’étaitchezlui–cheznous.Etjelepoussaisàdégagercommes’iln’avaitrienàfairelà.Ilcrispalamâchoire.—Non!—Pourquoies-tulà?ricanai-jeméchamment.Ah,oui,c’estvrai.Poursavoirsilesautresmefont
bander!Jedevinsmesquin. Jedevinsdur.Parceque jenesavaispascomment réagir.Commentmefaire
pardonner,commentluiexpliquerencore.Alorsj’attaquais.Parcequec’étaitplussimplequededevoirsedéfendre.Unefoisdeplus.—Biensûrquejebande!lançai-je,blessant.Biensûrquejejouis!Biensûrquej’adoreça!Desmensonges.MaissuffisammentconvaincantspourqueCalebclignedesyeuxetblanchisse.Jefisunpasvers lui,essuyantmescheveuxavec laserviette,avantde la jetersurunmeuble,au
hasard.PuisjeposaiunemainbrutalesurlajouedeCaleb,ils’endégagead’unmouvementdetête.Jeris,faussementamusé,d’unrirefauxquejeréservaisàmesclients,affichantunsourirefacticequej’offraisàceuxquipayaientunepetitefortunepourm’allongersouseux.Calebcilla,maisnebougeapas.—Alors, chéri ?minaudai-je, en entortillant un bras autour de son cou. Que veux-tu que je te
fasse?Unepipe?Comment?Longue?Avecousanslesdents?Lubrifiantounon?Jemeléchaileslèvresetagrippaisescheveux.—Tume préfères à genoux ?Allongé ?Debout ? Tu veuxm’attacher ?Me ligoter ?Dis-moi
tout…Jeferaitoutcequetumedemanderas.J’attrapaiuneceintureabandonnéesurunechaiseet lapliaiendeux, lafaisantclaquerentremes
doigts.Jelaluitendis,ilnefitpasungeste.Jelaluimisdeforceentrelesdoigts.—Quoi,bébé?Tuneveuxpasquejet’offrelamêmechosequ’auxautres?Alors,qu’est-cequetu
attends?Baise-moi!Frappe-moi!J’aimeça.Allez!Tuneveuxpasmefairecrier?Unelarmes’échappadouloureusementdesesyeuxetunplaisirperfidem’envahit.Maintenant, tu comprends ? Maintenant, tu connais ma souffrance ? Maintenant, tu ressens la
douleurquechaquemainétrangère,chaquecorpsquin’estpasletien,meprocure?
—Tuenveuxencore?luidemandai-je.Allez,Caleb!Tuveuxensavoirplus?Je le débraguettai.Abasourdi, il ne pensamêmepas à se débattre. Ilme laissa faire, le cœur en
lambeaux,lesien,lemien.Jeletiraiversmoietluitournailedos,faisanttombermonpantalonausol,mepenchant,lesmains
contrelemur,latêtepasséepar-dessusmonépaule.— Vas-y ! hurlai-je. Prends-moi ! Bats-moi ! Allez, Caleb ! Que tu te rendes compte à quel
pointj’aimeça!Ilsanglotait,unemainsurlagorge.Etjecontinuai,encoreetencore.Lepoussantdavantagedans
l’obscurité,avecmoi,toujoursplusloin.—Alors?Dequoitut’inquiètes,monchéri?Jenesuisqu’unepute!Ilsecoualatête,reculad’unpas.Jetendisunbraspourlerattraper.—Baise-moi,Caleb.Sic’estcommeçaquetumeveux!—Arrête,s’étrangla-t-il.Arrête,jet’enprie.Ilpassaunemaindanssescheveux,s’écarta. Jeme tournaivers lui, ramenantmon jeansurmes
hanches.—Qu’est-cequetuveux?demandai-je,àboutdetout.Maisqu’est-cequetuveux,merde?—Toi.Jeteveuxtoi!—Moi?répétai-je,enrianttristement.Maisquelmoi?Jet’aidonnémoncœur,lesrestesdemon
âme,mafamille–laseulequej’aie.Lepeuquejepossède,jetel’aioffert,Caleb.Maiscen’estpassuffisant,n’est-cepas?Jeprissesmainset lesposaisurmontorse, lesfaisantdescendresurmeshanches,plusbas,sur
monsexe.—Tu dism’aimer,mais tu es comme les autres. Il n’y a que ça qui t’intéresse.Mon corps, sa
beauté.Maqueue.Moncul.Tutefousdureste.—C’estfaux.J’inclinailatête,passantlesmainssoussont-shirt,sursescicatrices.—Vraiment?Necrois-tupas,àtort,quejesuisleseulconnardàpouvoirt’acceptercommetues?
Netedis-tupasqu’aufond,jenesuisqu’unprostituéetquemesexigencessontbienbasses?Quejeneseraispasdégoûtéparquelquesbrûlures,moiquibaiseavecdesvieillardsdeplusdesoixante-dixans?C’estçaquetupensesdemoi?Detoi?—Biensûrquenon!—Alorsquecherches-tu?Quejefoutetoutenl’airetquejecondamnelesseulespersonnesquise
soient jamais souciées demoi ?Que je quitteCharles enmisant sur la vie deGora ?En espérantqu’Ama,AbouetSoline se retrouventpasà la rue?EtMac,etBrooke?Et toi…C’estceque tuvoudrais?Justepourquejen’aieplusàbaiseravecquiquecesoitd’autre?Moncorpsvaut-ilplusquecequejeportedansmoncœur?Poureux?Pourtoi?Il se détourna et repartit vers la porte sansme répondre.Voilà, j’allais le perdre. Il n’avait qu’à
sortiretilenverraitAmandaetLennyrécupérersesaffairesplustard.Leschosesseraientterminées.Jen’avaisqu’àleregardersortir,unpasaprèsl’autre,etendurer.Nepaslerattraper,resterlàsansbouger.Surtoutnepasbouger.
Lelaissers’apercevoirquetoutcequenousavionsvécunousavaitmenésàcemoment-là.Celuidenotreséparation.Àcettedernièreseconde,justecellequiallaitsonnerleglasd’unerelationquenousn’avions,de
toutefaçon,jamaiseue.Justeunsursisavantquetoutneredeviennenoiretsanscouleur.Sansétincelle.Sansespoir.—Jesuisdésolé,soufflaCaleb.Ilramassasonsac.—Moiaussi.Il me jeta un coup d’œil navré. Je pouvais presque entendre cette voix dans sa tête qui hurlait,
tellementfortqu’ils’assourdissait.Ilavaitmal.Ilpartait.—Jet’aime,Rafael.—Maistut’envas.—Tuveuxquejereste?—Tusaisbienqueoui.Il mit une main sur la poignée, serrant le col de son manteau qu’il n’avait pas pris le temps
d’enleverdepuisqu’ilétaitarrivé.Commes’ilsavaitqu’ilallaitrepartir.—Retiens-moi,murmura-t-il.—Non.Ilinspiraprofondémentetbaissalatête.Jereculaijusqu’aumuretm’yappuyai,lesmainscoincées
dansmondospournepas les tendrevers lui. J’avais enviede lui hurlerdenepasm’abandonner.Maisàquoicelaservirait-il?—Mamèreestpsychotique,Rafael.Ellem’afaitbrûlervifdansuneéglise.J’aifaillimourirde
douleur.Jecriaistellementfort,déglutit-il.Tellementfort…Ilplongeadansmesyeuxetjefussubjuguéparcequej’ylus.Delaferveur,deladétermination.
Del’amour.Beaucoupd’amour.Etuneflèche,pointueetempoisonnée,plantéedanssoncœur.Danslemien.Lefilquinousreliait.Notrelien.AbîméparCharles.—Pendantquemaviepartaitenfumée,poursuivit-il,pendantquemapeaudevenaitdecendre,que
jemedélitais,quemesmainsnerencontraientqueduvideetquejemesentaisaspiréparcettechaleurétouffante,parcetrounoirdanslequeljepensaistomber,j’aientenduquelquechose.Unrire.Pasunrire moqueur, sarcastique. Ou le ricanement de je ne sais quel démon. Non, un rire mélodieux,commel’eaud’unecascadeenmontagne.Commelechantd’unoiseauunmatind’été.Quelquechosequidonneenviedefermerlesyeuxpourenprofiteraumaximum.Etjel’aiécouté.Jen’étaisqu’unenfant qui était en train demourir – peut-être que ce n’était qu’un délire.Mais qu’importe, je l’aientendualorsmêmequejehurlais,queleboiscraquait,quelamortsemblaitsoufflerau-dessusdematête.Ilmesouritdoucementet,immobile,ilm’enchaînaitàsesmots.Ilcontinua,lentement,pourbien
quejelecomprenne.
—Ethiersoir,quandnousétionsdevantcefilmabsurdequejet’aiforcéàregarder,jel’aiencoreentendu.J’étaisallongécontretoi,latêtedanstonépauleetilarésonnédanstapoitrine.Ilestsortideta bouche, il s’est faufilé dansmon oreille. Lemême rire que celui que j’ai entendu quand j’étaisgamin. Celui auquel jeme suis raccroché pourm’en sortir. Celui quim’a sauvé. Peut-être que làaussi,cen’estquelerésultatd’uneimaginationunpeutropproductive.Maisjel’aientendu,Rafael.Chacunàl’opposédel’appartement,nosjouesbaignéesdelarmes,nousn’osionsplusfaireunpas
versl’autre.C’étaittroptard.Troptôt.Jen’ensavaisplusrien.Aide-moi,Caleb.Ilouvritlaporteetrestaunlongmomentdansl’encadrement,commeincapabledes’éloignerde
moi.Nelefaispas.Reste…—J’aibeaucoupderaisonsdet’aimer,HanaëlJimenez.Plusquetunelepenses.Maisjen’aipas
l’intentiondeteregardertedétruire.DeregarderCharlestedétruire.Jevaismebattrepourtesortirdelà,quetuleveuillesounon.Jesaisquetuaspeur,jesaistoutcequiestenjeu.Maisilesttempsqueçachange.Ilesttempsquetafamille,lestiens,comprennentcequ’ilsepasse.C’estàleurtourdet’aider.C’estàmontouràmoidetesauver.Etsipourcelatunedoisplusjamaismeparler,tantpis.Jecontinueraiàt’aimerenespérantquetumepardonnesunjour.Ils’éloigna.—Attends,Caleb!paniquai-je.Qu’est-cequetuvasfaire…—Rendretoustesaccordsnuls,lança-t-ilsansseretourner.—Tunepeuxpas…Maistroptard,ilfilaitdanslecouloir.Etletempsquejeprenneunpull,ilétaitdansl’ascenseur,
lesportesserefermantsurlui.Je descendis les marches quatre à quatre, mais pas assez vite. Il était au bout de la rue quand
j’atteignisletrottoiraupasdecourse.—Caleb!hurlai-je.Ilseretourna, immobileaumilieudespassants,etunsourireéblouissant illuminasonvisage.Je
t’aime,articula-t-il,etjelelusparfaitementsurseslèvres.—Jet’aimeaussi,soufflai-je.Mêmesi tunouscondamnes tous.Mêmesi tucoursderrièredeschimères.Mêmesi tu rejettes la
seulechosequejepeuxt’offrir.J’auraispuluicouriraprès.Tenterdeleretenir.Lesupplier.Luiexpliquerencoreunefois.L’embrasser,luifairel’amour.Luifaireoublier.Maisjeleregardaipartir,conscientqu’iln’yavaitplusrienpourlestopper.Mêmepasmoi.Sûrementpasmoi.
Jen’avaisplusaucunmoyendeleretenir.Ils’enallait.Ilmefuyait.Alorsjeremontaichezmoi,peinantàfairecesquelquespas.Jerentraidenouveaudansl’appartement,encorepleindesesaffaires.Sonodeurquiflottaitpartout.Surlesdraps…Jemelaissaitombersurlelit,latêteenfouiedanssonoreiller.Commentaurais-jepusavoirqu’hierétaitnotrederniersoir.Comment…?Sijel’avaisimaginé,je
t’auraismieuxaimé,pluslongtemps.Pascommes’ilyavaitencoredescentainesdelendemains.Qu’ai-jeditavantquetut’endormes?Etcematin,auréveil?Jen’aipaspenséqueceseraitlafin…
42—Vraimentcharmant,semoquaCharles.Jem’assisenfacedelui,ilpoussal’enveloppedansmadirection.—J’aidroitàtaprésenceunpeupluslongtempscematin.Àquidois-jecethonneur?Jenerépondispas,medemandantseulementcequej’allaisfairedetoutcefric.Celafaisaitplusde
deuxmoisquejen’avaispasvuAbou.NiAma,niSoli.NiMac.EtencoremoinsCaleb.Depuisqu’ilsavaienttouseuuneconversationàmonsujetou,plutôt,depuisqueCaleblesavaitréunispourleurparler.J’avaiseuunedisputeviolenteavecAbouetMacetj’étaispartienlesenvoyantsefairevoir.Depuisjen’avaiseuaucunenouvelleetjen’avaispascherchéàenprendre.Alorsletiroirdematabledenuits’étaitremplidebilletsdontjenesavaisquefaire.Montéléphone
nesonnaitplusjamais,outrèspeu.EtCharlesétaitleseulavecquijepouvaisboireuncafé.MêmeBrooke avait été mise dans la confidence, et son air revêche, dès que j’avais passé le pas de labibliothèque,m’avaitfaitposerleslivressurlatablelaplusprocheetfairedemi-tour.J’avais ramené les affaires deCaleb à Lenny, un soir où il bossait au restaurant. Et puis j’étais
retournéboireaubardeBob.Ilavaitquittésafemmepourunlutteurauxbrastellementlargesquemêmemoi,àcôté,jeressemblaisàungamin.Ilvoyaitsonbonhommeunweek-endtouslesquinzejours;c’étaittoutcequeluiavaitconsentilajuge.Ilrougissaittoujoursenmevoyant,maisnes’encachait plus. C’était bien, certaines choses pouvaient changer même si c’était toujours dur derecommencer.Lavieavaitdoncreprissoncours.Ilyavaitunnouveauvideautourdemoiet,pourlasecondefois
demavie,j’avaisl’impressionqueCharlesétaittoutcequ’ilmerestait.Deuxmoissanslesvoir.Nilesuns,nilesautres.AumoinsCharlesétaitconstant.Malgrélesang
colléàmachemiseetlesplaiesouvertesdemondos.Maisjelesupportaisbien.Jel’avaistoujoursfait,non?Alorsquesonabsence,àlui,metordaitlestripesetmefaisaitmordrel’oreillerpournepashurler,
lorsdecesnuitssanssommeil.Cesnuitssansrien.SansCalebcontremoi.Jem’étaiscruseul.Maislasolitude,c’étaitmaintenantquejelaressentais.—Tonpetitétudiantn’esttoujourspasrevenu?demandaCharlesenouvrantsonsecondagenda.J’empochaimonfricetfinismoncafé,lescoudessurlatable,levisageaufonddematassevide.—Abrège,Charles.—Tuasrendez-vousavecmoivendredisoir.—Commetuvoudras.Après tout, ça faisaitpartiedenosaccords,cesquelquesheuresde supplémentpar semaine.S’il
voulaitlespasserdansunfoutugaladecharité,pasdesoucis,cen’étaitpaslapremièrefoisquejejouaislesescortes.PourCharlesouunautre,quelleimportance?Aumoins,c’étaitdutempsqu’ilnepasseraitpasàmebattre.Iln’étaitpastendrecesdernierstemps.Ilessayaitdemefaireréagir,maisjerestaisstoïque.Jeneressentaisplusrien.J’étaisanesthésié.—Ilyaunesoiréeàlaquellej’aimeraisquetum’accompagnes.
Jehochailatête,indifférent.—Jetel’aidit,Charles.Çam’estégal.Etensuite?— J’ai un client de trop cette semaine. Lucas fait du forcing.Alors je te laisse le choix. Lucas
Landwehrouunnouveau,AdrienHarding,unsportifdehautniveauquicachesespetits travers.Jemesuisditqueçatechangerait.Jelevailesyeux.Cequimechangerait,c’étaitlaclefdemeschaînespourmelibérer.Etsûrement
pasunfootballeuravecunegueuled’amoureux,queCharlesmemettaitdanslespattespourmefaireoublierCaleb.Jepréféraisencoreles taréset lesvieux, lesbedonnantset lespervers.Aumoins, jesavaisoùmenaittoutcemerdier.—Lucas,dis-jeenmelevant.Charlesneparutpasétonné.Plutôttrèssatisfait.—Jeudisoir.Dis-luid’yallerdoucement,lelendemainjeteveuxdispopourlasoirée.Je passaimaveste etmepenchai au-dessus de la table pour lui donner unbref baiser. Il y avait
longtempsquejenel’avaispasfaitetCharlesenparut,sicen’esttouché,aumoinscontent.Commeunvautourquivenait,enfin,derécupérersaproie.—N’oubliepasnotrevieuxAndrewVermont,demainsoiretJordanLuch,mercredimatin.—J’ypense.J’ypensaisconstamment.Jen’avaisjamaiseubesoindenoterquoiquecesoit.Quioublieraitcesdates-là?Cesheures?Cesnoms?— À vendredi soir, mon amour, me dit Charles. Sois ici à dix-huit heures. Je te prendrai un
costume.—OK.Ilpouvaitprendrecequ’ilvoulait,jelelaisseraisdanssapenderie.Descostumes,j’enavaisdéjà
trop.Surtoutpourcequej’enfaisais.Pasderendez-vousd’affaires.Nidemariages,debaptêmesouautresoccasionsdecegenre.—Bonnesemaine!melança-t-il.Jesortis,moncasquesouslebras.Bonnesemaine?Cela faisait deux mois qu’elles étaient pires que tout. Elles n’avaient jamais vraiment
étébonnes,maismaintenantc’étaitjusteintolérable.C’estçal’amour?C’estçaquifaitcourirlemonde?Cettebrûlure?Jemontaisurmamotoetaccélérai.Aprèstout,j’avaisjouéetj’avaisperdu.Jel’avaisperdu,lui.
Je roulai au hasard pendant un moment et puis me garai au sous-sol de mon immeuble sanspouvoirme résoudreàmonteràmonappartement.Alors, lesmainsdans lespoches, jedéambulaidanslesrueslerestedelajournée,dansl’espoirdelevoir,peut-être.Maisjenelecroisainullepart.Quand la nuit tomba, j’achetai un pack de bières, etmarchai tranquillement jusqu’à laNeponset
River,avançantdoucementjusqu’àlajetée.Unebouteilleàlamain,lesautresàmespieds,j’observaileseauxnoires.Lecoinétaitdésertetles
bateauxdeplaisancedormaienttranquillement.Ilyavaitbienungardequelquepart.Maisj’étaisvenuicitellementdefois,qu’iln’yprêtaitplusvraimentattention.Etmêmes’ilnem’avaitpasbeaucoupvuces derniersmois, il n’avait fait aucunehistoire enmevoyant,même si j’avais quelquesGriffin’sBowà lamain.Je luienavaismêmelaisséuneà l’entréede lamarina.Ça lui tiendraitcompagniejusqu’àl’aube.Juillet serait là dansquelques semaines et la soirée était douce.C’était la saisondes t-shirts, des
shorts et du soleil éblouissant.La journée, les rayons parsemaient l’étendued’eaude leur éclat, lanuit,lecieldégagéremplid’étoilessereflétaitsurlasurfacedel’eau.Aumatin,ilneresteraitplusrien de cette beauté. J’aurais aimé qu’il en soit de même pour mes pensées. Qu’elles virevoltentquelquessecondesavantdedisparaîtreàjamais.Je m’approchai de l’eau, mes pieds en équilibre sur le rebord, levant les bras et regardant
l’horizon.J’auraispresquepumecroireseulaumondes’iln’yavaiteulespetiteslumièresdeBostonpour me prouver que je n’étais jamais seul. Vraiment ? J’avais plutôt l’impression de l’êtreconstamment.Jeserrailegoulotdemabouteilleentremesdentsetrenversailatête,chavirantlerestedemabière
aufonddemagorge.Lesbrasderrièrelanuque,jefisunclind’œilauxcieuxpouravoirsusimalprendre soin demoi. Et simamèreme voyait, simon père avait encore unœil par ici, alors jem’excusais.Maisjelesavaisdepuislongtempsoubliés.Ilsn’étaientplusqueleslointainssouvenirsd’uneviequej’avaistantdepeineàmerappeler.J’avaistellementdemalaveclesvivantsdéjà,pourréellementmesoucierdesmorts.Mon stock fini, je rassemblai tousmes déchets et les portai jusqu’à la poubelle la plus proche.
Légèrementtitubant,jequittaileportpourrentrerenfinchezmoi.Parbravade,j’empruntailesruesàéviter,surtoutàcetteheure.Lessortiesdebars,despubsquine
lésinaient jamais sur la quantité de whisky. Malheureusement, c’était assez calme malgré uneengueuladeentregamins.Ceneseraitpascesoirquejemedéfouleraissurquiquecesoit.Jedépassais les adolescentsquandunamasdedreadlocks, aumilieudupetit groupe, attiramon
attention.L’œilvague,jeralentis.—Je t’avaisditdenepasvenir traîner ici,Soli, ricana leplusmassif,un typequinedevaitpas
dépasserlavingtaine.Tun’espasduboncôtédelaville.—Jen’étaispasaucourantqu’ilyavaitunbonetunmauvaiscôté,lançaSoliavecsonhabituelle
arrogance.QuelquechosequetouslesFinchpossédaient.Jem’arrêtaietmeretournai lentement.Unepartiedemoiétait indifférente–ouplutôt souhaitait
l’êtredetoutessesforces.Maisl’autre,cellequejepeinaisàgarderensommeil,frémitetpointasonnezàlasurface,attiréeparlavoixd’ungaminquej’avaisvugrandir.—Tun’asrienàfaireici,luiditunpetitbrun.Vadoncretrouvertonpasteurdefrèreetagenouille-
toidevantNotreSeigneur!Solis’énervaetpoussalegarçon,bientropfort.Ils’entravaettombaenarrière.Cefutlesignalde
départ.Ilyeutunbraslevé,unpoingserréquejevisarriversurlamâchoiredeSoli–sursonvisage.Uncraquementdansmatête,commeuncriétouffé,etj’interceptailecoup,levisageinclinédecôté,leregardmauvais.—Unproblème?demandai-jeàl’adolescent.Jeserraisonbrastellementfortqu’ilgrimaça,sescopainss’étantfaitssoudaintoutpetits.—Cenesontpastesaffaires,mebrava-t-il.—Tucrois?sifflai-jeenappuyantdavantagesursonpoignet.J’auraispulebriser.Encoreunpeuetjeleferaishurler.Voulais-jevraimentluifairemal?—Arrête,fitSolidansmondos.Tuvasluicasserlebras,Rafael.Exactement.Justeunos.Qu’est-cequec’était,unos?Ilseressouderait,deviendraitplussolide.Il
neseraitnibranlant,nidétruit,commemoncœur.Là,iln’yavaitrienàfaire.Alorsquelebrasdecepetitcon,ilnerisquaitquequelquesfêluresquiauraientguérienquelquessemaines.— Rafael ! m’interpella le patron du bar, sorti pour voir qui faisait des histoires devant son
établissement.Rassure-moi,tunevaspasvraimentfairemalàcegamin?—Non,Jo.Jevaislelâcherdansuneseconde.—OK.Rassuré,ilrentrasagrandecarcassedanslepubetjelibéraibrutalementlegamin.JeluitournaiimmédiatementledosetpoussaiSolienavant,l’obligeantàmarcher.Ilparutsurle
point de dire quelque chose de désagréable, sembla soudain se souvenir de qui j’étais et soufflaprofondément.Moiaussi,jem’ensouvenais.Etj’auraispréférénepaslecroiserdanslesbas-fondsdelaville.—Qu’est-cequetufouslà,Soli?l’engueulai-je,vacillanttoujourssurmesjambes.S’il le remarqua, il ne dit rien. Heureusement, je n’étais pas d’humeur à me justifier sur mon
alcoolisme.Jenel’étaisjamaisdureste.—Jetecherchedepuistroisjours,Rafael!—Tumecherches?répétai-jeenposantsurluiunœilsombre.Tupouvaisfrapperàmaporte.—Tun’yétaispassamedi,nihieretniaujourd’hui.—J’avaisautrechoseàfaire.Ilbaissalatête.—Oui,jesais,souffla-t-ilpeiné.JetournaiàgaucheetSolicalasonpassurlemien,neposantaucunequestion,secontentantdeme
suivre. Je le ramenais chez lui. Je n’avais pas besoin d’avoir samort sur la conscience en prime.J’allaisattendredevantleportailqu’ilaitrefermélaporteetrepartiraissansunmot.Unefoischezmoi,jem’écrouleraisetdormiraissûrementjusqu’aumilieudel’après-midi.Ensuite,nousverrions.Jerecommenceraissûrementàboire.—DepuisqueCalebadit…hésitaSoli.Il ne savait pas vraiment commentm’enparler.Étant donné la dispute qui s’en était suivie entre
Abou,Macetmoi.MêmeAmas’enétaitmêlée.Maiss’ilétaitvenumechercherici,jesupposaique
çaluisemblaitimportant.Saufquemoi,jen’avaisaucunementenviedel’écouter.Seulement,Soliavaitlatêteduredesamèreetnesedécourageapas,mêmesijepressailepaspour
écourterletrajet,prenantmêmeunraccourci.— Ils viennent tous les soirs.Caleb etMac.Etmême ce type bizarre avec son ordinateur et ses
grosseslunettes,Lennyquelquechose.Mamamesurveilledeprèspournepasquej’aillelestrouverdanslegarage,maisjesaisqueçateconcerne.Etpersonneneveutrienmedire.Forcément.Puisquemêmesansaucuneinformation,ilarpentaitdéjàlesruesàmarecherche.—Jenesaispascequisepassedepuisdeuxmois.Jenesaispascequ’ilsvontfaire.MêmeMac
refusedemeledire.Ilrefusemêmedemeregarderd’ailleurs,mais…Quoiqu’ilsfassent,Rafael,ilslefontpourtoi.Jericanai.—Non,Soli.Ilslefontpoureux,rectifiai-je.—C’estfaux,mecontredit-il.Tunousmanques,tusais.Tumemanques.Jeserrailesdents.—C’estmieuxcommeça,Soli.—Mieuxpourqui?s’énerva-t-ilsoudain.JesuisamoureuxdeMac,jerentreàl’universitédans
troismois,j’aidesquestionspleinlatête,etj’aibesoindemesfrères.Etoùêtes-vous,tous?Goraestenprison,Abouculpabilisetellementqu’iln’arrivemêmeplusàécrireunseulsermon,ettoi…Toi,tuneveuxmêmeplusnousvoir!Alorsnon,cen’estpasmieuxpourmoi,ça!Cen’estmieuxpourpersonne,d’ailleurs!Lespoingsserrés,jeprisàgauche;Solimarchaitàcôtédemoi.Illevalesmainsenl’air,secoua
latêteetsesdreadlocksfouettèrentl’air.—D’accord,toutlemondeétaitenpétardparcequetunousascachéleschantagesdecetenfoiré
deCharles.C’estvraiqu’onsupposaitqu’ilyavaitquelquechosedeplusentrevous,autrequelefaitqu’ilt’aitsoi-disantsauvélavie.Maisjamaisonseseraitdouté…Enfin,tut’imagineslechoc!Jenesavaismême pas quemon proviseur avait voulum’envoyer en centre de redressement pour deuxjointsfumésderrièrelegymnase!D’ailleurs,Mamaamanquémefoutreuneraclée…Malgrémoi,j’eusenviedesourire.—EttoutecettehistoireautourdeGora,moijen’ycroispas.Iln’atuépersonne…—Biensûrqu’iln’atuépersonne.Peu importait d’ailleurs qu’il l’ait fait ou non. Tout ce qui comptait, c’était que personne n’ait
jamais un soupçon à ce sujet. Parce que le moindre doute pourrait le conduire tout droit dans lecouloirdelamort.Jesoufflai,lamaisond’Amaétaitenvue.Heureusement.Jen’auraispaspuensupporterplus.—Tunousenveux?medemandasoudainSoli.Charlesavaitraisoncesoir-là,aucommissariat.
C’estnotrefautesituestoujoursaveclui.—Non,Soli.—Alorspourquoituneviensplusnousvoir?Jenerépondispas.Jen’auraispassuquoiluidire,detoutefaçon.—Abous’enveutdet’avoirdittoutesceschoses.IlétaitencolèreetMacaussi.Maisilst’adorent.
Mamat’adoreetmoiaussi.EtCalebt’aime,tusais.Jel’aientenduledireàMacetAbouencorehier
soir.Ildisaitque…— Arrête, le coupai-je brutalement en me tournant vers lui. Ça suffit. Rentre et arrête de me
chercher,entendu?Je lui pointai le portillon du doigt, et Soli, droit devantmoi, les yeux brillants, ne bougea pas.
J’avaisdumalàresterimmobilesanstangueretsijenemeremettaispasenroute,j’allaisfinirparm’écroulerici,latêtedansleminusculejardind’Ama.—Rentre,Soli.Dansmondos, je reconnus le grincement de la porte du garage quand elle s’ouvrait. J’entendis
aussi,ettrèsdistinctement,lesoufflesoulagéetagacéd’Ama.Preuve,s’ilenétait,qu’elleavaitdûlechercher.Ellenedevaitpasêtrelaseule.Abouavaitdûs’ymettre.EtMac.EtsûrementCaleb.Jelessavais tous à quelques mètres dans mon dos. Lui surtout, je reconnaissais les frissons qu’il meprocurait,lasensationdechaleurquiengourdissaitmesmembres,letambourinementdemoncœur.MaisSolirefusaittoujoursdebouger.—Tufaispartiedemafamille,martela-t-il.Tuesmonfrère.Pourquoidevrais-jelesrejoindreeux
ettelaissertoi?J’aurais pu luimentir et le blesser suffisammentpourqu’ilme laisse tranquille.Mais je n’avais
jamaischerchéàfairesouffrirquiquecesoit.Nilui,niaucunedespersonnesqui,derrièremoi,mesemblaient si proches. Pourtant, en cemoment, nous n’aurions pu être plus éloignés. Il y avait unfosséquemesmensongesavaientcreuséetqui,pourl’instant,restaitinfranchissable.—Tuvasrentrercheztoiparcequejeteledemande,Soli.Ilhochalatête,commes’ilavaitattenduexactementcetteréponse.—C’estlameilleuredesraisons,sourit-il.Alors,seulement,ilm’étreignitbrièvementetsedirigeaverslamaison.Samèrelegrondaetson
«aïe!»m’appritqu’ilavaitreçuunetalochederrière lecrâne.Maisjenejetaimêmepasuncoupd’œil.Sijelefaisais,jenepourraisplusm’enaller.Sijecroisaissonregard,jereplongerais.Alorsjem’éloignai.Ilnemeretintpas.Niaucund’eux.Maisquelqu’untapaausol,commepours’essuyerlespiedsavantderentrer.Quelquespanpan,qui
ressemblaient à un vieux code enmorse.Deux. Unmot d’amitié.Quelque chose que nous tapionscontrenosverres,Macetmoi,lorsquenousnousretrouvionsaubardeBobavantderepartirpourunenuitincertaine.Deux.Commelecontrairedeun.Commepourdire«Tun’espasseul.».
43Charlesme tournait autour, comme un félin autour de son prochain repas, ajustant ci, tirant là,
époussetantunepoussièreimaginairesurledevantdemavestenoire.—Tuesd’unebeautéquifrisel’insulte,monamour,seréjouit-il.C’estcommesiDieut’avaittout
donnépournelaisserquedesbroutillesauxautres.Regarde-toi.Ilme fitpivotervers legrandmiroirenpiedqu’il avait installédans sachambrepourobserver
monvisagequandilmebaisait.Etcequej’yvisn’étaitqu’ungrandtype,auxépaulescarréesetauxcuissesmuscléesdansuncostumenoir,unechemiseblanchesanscravate,dontunboutonétaitouvert,laissant voir une chaîne autour d’un cou, un éclat d’argent sur unepeaubrune.Un corps dans desvêtementsajustésàlaperfection,unregardsombre,descheveuxnoirsquiondulaientsurlanuqueetlefront.Moi,dansdesfringueshorsdeprix,dontlemontantsuffiraitànourrirunefamillependantplusieurssemaines.—Tonmanqued’enthousiasmeestvexant,râlaCharles.Il portait un costume gris sur une chemise noire. Il pouvait passer pour beau malgré sa
cinquantaine.Peut-êtrepourunautrequemoi,quineleconnaissaitpasaussibien.—C’esttrèsbien,dis-jelaconiquement.—Trèsbien,répétaCharlesuntonplushaut.Tuesparfait,oui!Commetudevraistoujoursl’être
situtedécidaisàmecontenter.Pluslesjourspassaientetplusmavolontéfaiblissait.VivreavecCharles,neplusêtrequ’aveclui,
danscettebaraque,commeuncouple.Çanepourraitpasêtrepirequemaintenant.Desdeuxmaux,c’étaitpeut-êtrelemoindre.Charless’arrêtaetm’observa.D’ordinaire,jerefusaistoutessespropositionsavecempressement
etilenprofitaitpourmegiflerviolemment.Saufque,là,jen’avaisriendit.—Dis-moioui,monamour,mepoussa-t-il,voyantunefaille.Jemedétournai.—Onvaêtreenretard,Charles.Ilrit,mepritlamainetmeramenaverslui.—Tupourraisrestercettenuit?demanda-t-ilenm’embrassant.—Nousnesommespasdimanche.—Jesais,souffla-t-il.Maisn’as-tupasenviederesterquandmême?IlsefaisaitpresquedouxetCalebmemanquaitàencrever.Heureusement,lechauffeurfrappaàla
porte,m’empêchantdedireuneconnerie.Maisquelleconnerie?Charlesmefaisaitmal,c’étaitvrai.Maisilétaitrestémalgrétout.Ilnem’avaitjamaisabandonné.—Allons-y,Rafael.Ilme tendit lamain et je la pris. Ilm’entraîna et c’était peut-être ça, la solution.Lui cédermes
dernièresdéfenses,lesdernièresbribesdemoi.Cequ’ilattendaitdepuisledébut.
Pouvais-jefaireça,maintenant?Luioffrirmareddition?J’en avaismarre deme battre contre lui. Peut-être que je pourrais juste essayer… J’avais envie
d’êtreaimé.CommeCalebm’avaitaimé.Est-cequeCharlespouvaitmedonnerça?Biensûrquenon!Iln’yaqueCalebpourt’adoreraveccetteforce!MaisCalebavaitfichulecamp.JesuivisCharlesetmontaidansuneberlinenoireauxvitresteintées.—Tunedemandespasoùnousallons,monamour?Mêmepasunpeucurieux?Pasvraiment.—Oùallons-nous?— Il y a ungala de charité donné àHarvard.Les dons soutiendront le travail d’une association
bostonienne.—Laquelle?—Jenemesouvienspasdesonnom,ditCharlesensecouantlamain.Ilyenabeaucouptrop,mais
celle-cis’occupedespersonnesmaltraitées.Unenoblecause,n’est-cepas?Çaneluiressemblaitpas.Ilritdevantmessourcilslevés.—L’argentquejedonneàceschersaltruistesestdéductibledemesimpôts,m’apprit-il.Là,ilétaitbienpluslui-même.—Etpourquoiavais-tubesoindemoiexactement?Ilnem’avaitjamaistrimballéàunedesessoirées.Etsijevenaisàcelle-ci,c’étaitforcémentpour
uneraisonparticulière.—Tuverras,monamour.C’estunesurprise.Jemecrispai légèrement.LessurprisesdeCharlesétaient teintéesde tortureetdesadisme.Elles
mefaisaientmalet,souvent,jemettaisplusieursjoursàm’enremettre.—Celle-civateplaire,crois-moi.Jen’ycroyaispasuneseconde,maisnedisplusrientoutlerestedutrajet.Quoiquecesoit,jelesauraisbienassezvite.CommetoujoursàHarvard,toutreflétaitlaréussite,larichesse.L’opulence.Lestapisrougesavaientétédéroulés,desagentsdesécuritédéployés,vérifiantlesinvitations.La
salle,auhautplafond–etsamultitudedetablesrondessurlesquellesétaientposésdepetitscarrésdepapier calligraphiés portant votre nom –, était décorée avec ostentation. Il y avait dumonde déjàinstallé,uneestradeavecunmicroetplusieurschaises,àcôté,pourlesdifférentsorateurs.Unejeunefillemetenditunprogrammeetjeleprisenlaremerciant,lepassantaussitôtàCharles.
Savoir qui allait parler, pour quoi et comment, nem’intéressait pas vraiment. La cause était juste,maislespersonnesicin’étaientprésentesquepouragiterlesportefeuillesetpoursemontreràleurspairs.Comparer leurs richesses, parler de leurs dernières acquisitions, enmentionnant rapidementcespauvresgensbattus,àmortparfois.Ilsseraientviteoubliésauprofitdudernierscandale,deladernièresommedépenséepourunbijouclinquantetinutile.Je suivisCharles jusqu’ànos chaises et jegrimaçai envoyantmonnomaumilieudes autres. Il
n’avait rien à faire là.Mais je souris quandmême, c’étaitmon rôle.Mamission. La raison pour
laquellemes tiroirs débordaient debillets verts.Cen’était pourmoiqu’un rappel constant de tousmesmauvaischoix.Assise à ma gauche, Madame Fergus, la femme du Professeur Fergus, éminent chercheur en
médecineàlaretraite.SonmariserraitlamaindeCharles,quis’installaàmadroite.Quantauxautrespersonnes complétant notre petite tablée, je ne les connaissais pas et c’était tant mieux. Je lesoublieraisdèsque je serais rentréchezmoi.Si je rentrais,pensai-je en sentant lamaindeCharlesglissersurmacuisse,cachéeparlanapped’ungrisélégant.—Vousêtesaucourantpourlecollectifd’étudiants,Kennedy?demandalepetithommebrunen
facedemoi.—Absolumentpas,mentit-il.Etilserramongenoudeplusbelle,réclamanttoutemonattention.—Dequois’agit-il?— Ils ont aidé l’association à trouver des financements pour créer le foyer pour les personnes
maltraitées.Ilsontaussigrandementmislamainàlapâtepouraccélérersonouverture.Laprésidented’Unelarme,Unbonheur,n’auraitjamaisétédanslestempssansleconcoursdecesjeunes.—Etvousaimezcela,n’est-cepas?luifitremarquerCharles.Cettejeunessesiactive.Levieuxmédecinhochalatêteavecvigueur.—Évidemment.Cesonteuxquichangerontlemondededemain.Je voulais bien leur donner tout mon fric s’ils arrivaient à modifier le mien. Ne serait-ce que
légèrement.Justeunepetitedéviationquim’amèneraitdansuncoinsympaoùmereposer.J’avaisenvied’ycroiremoiaussi.—Desjeunespleinsdevolonté,approuvaMadameFergus.—Etd’opiniâtreté,poursuivitlepetithommebrunenface.Safemme,dedixanssacadette,étaitmuettecommeunecarpe.— Le jeune homme à l’origine de ce collectif d’étudiants a été d’une rare efficacité. Madame
Hernesteneparlequedelui.—Ilfautdirequ’ilssesontheurtésàquelquesdifficultés,minaudaCharles.Il caressa le tissu de mon pantalon, me forçant à écouter. Inexplicablement, mon cœur battait
comme si, bien avant moi, il avait reconnu un schéma, une série de points mis bout à bout quiformaientsoudainuneimage.Charless’enréjouissait.—Desdifficultésmajeuresvousvoulezdire!s’exclamaMadameFergus.Sanscejeune,leprojet
auraittoutsimplementétéremiséauxoubliettes.Savoisineapprouvaduchef.—Cegamindonne l’impressiondemenerunecroisade.Je l’ai rencontréenarrivant.Unvisage
d’ange,unepoignedefer.MadameFergusmetapotalebrascommepourmeprendreàtémoin.Oubienavait-ellesentimasoudaineraideur.J’avaisunbesoin imminentdem’enfuir,de sortird’ici, j’étouffais.Pourtant, j’étais incapablede
fairelemoindregeste.
Après plus de deuxmois. Sans le voir, sans l’entendre…Je devais dérailler…Caleb avait autrechoseàfairequedes’occuperd’unfoyerpourlesfemmesbattues,leshommesagressés,lesenfantsviolentés.Unvisaged’ange…Unepoignedefer…Détermination…Opiniâtreté…Jeregardaidiscrètementautourdemoi,lesmainstremblantes.Ilyavaitbienungrouped’étudiants
quioccupaitdeux tables,plus loin. Ilsétaientenhabitsde soirée,unécussonsur lebrasportant lesymbole de leur université.Harvard,MIT,BostonUniversity.Mais pas de trace de lui, je l’auraisreconnumalgréuncostumeetdescheveuxbiencoiffés.Jel’auraisvu.Pourtant,jelasentaisàl’intérieur,aufonddemapoitrine,lapetitevibration,lesfrissonssurma
nuque. Comme si, lui, me regardait. Comme si, lui, savait que j’étais là. Et qu’il m’observait. Jetournailatête,maisiln’yavaitpersonne.Pourtant,cetteimpression…Jepouvaismetromper…—Etquiest-ce,cejeunehomme?demandaCharles,doucereux.Charlesnem’avaitamenéquepourça, j’enétaispersuadé.Pourquejelevoie, lui.Quejemele
prenneenpleinegueule.—UnpetitgénieduMITquialesoutienduDoyen,expliquaMonsieurFergus,mettantfinàmes
doutes.EtDieusaitquecethommeestrevêche.Pourtant,ilnetaritpasd’élogessurcejeuneprodige.Maisnevousinquiétezpas,Charles,vousnedevriezpastarderàlevoir.IlprendralaparoleaprèsMadameHerneste.—Ehbien,j’aihâted’entendrecequ’ilaànousdire.Moi aussi…Mais je le craignais également. Charles s’amusait, mais je me souvins de ce que
m’avaitracontéSoli,endébutdesemaine.Ducomplotdanslegarage.Ilyavaituneraison.Ilyavaittoujoursuneraison.—Ah,tenez,levoilà.Etpuissoudain,jelevis,alorsquelesdoigtsdeCharles,surmajambe,serefermaientcommeun
étau.Commepourmemontrerquitenaitlesrênes.Quicontrôlait.Quijouaitàcejeuavecunetelleaisance.Maispeum’importait.Calebétait là,slalomantentre les tablesàcôtédeMadameHernesteet…etd’Abou.Ilralentitsoudainettournalatêtedansmadirection.Jedéglutis,ils’arrêta,sesyeuxplongeantdanslesmiensavecuneabsoluecertitude.Deuxmoisetnelevoirquemaintenant.Qu’uninstant.Avantqu’ilneseremetteàmarcher.Uneseconde,unregard.Ettoutmeparutsurlepointdebasculer.Charleshochadoucementlementonàl’intentiondeCaleb,amusé,etposaunbrassurledossierde
machaise,possessif.LesyeuxgrisdeCalebseternirentavantqu’ilnelesdétournerapidement.Jenepouvaisregarderquelui.Ilportaituncostumenoiret,mêmecommeça,ilparaissaitdébraillé.Cequi
n’étaitpaslecasd’Abou.Ilavaitmêmemissoncolblancetexposélacroixquipendaitàsoncou.Ilsdiscutaient de façon animée ; Madame Herneste, la présidente de l’association Une larme, Unbonheurjouaitlesintermédiaires.Etjesus…Quelafinapprochait…Jesusquequelquechoseallaitchanger…Jelevoyaisveniravecunecraintemêléedegratitude.AlorsqueCharles,toujoursaussisûrdeson
pouvoir,avaitrapprochésachaisedelamienne,m’empêchanttouteretraite.Unebouleimmensedanslagorge,jeregardaiCalebgravirlesquelquesmarchesdel’estradeàla
suitedeMadameHernesteetd’Abou. Ils restèrent en retrait, s’asseyant surdeuxchaises, alorsquecelle-ci tapotait le micro et lançait l’habituel « un, deux, trois » qui fut accueilli par desapplaudissements de bienvenue. Caleb me lança un coup d’œil et Abou plissa les yeux pour mechercherdanslafoule,avouantainsiqu’ilssavaientquejeseraislà.Uninstant,cefutcommeavant.Nosregardssecroisèrent,separlèrentsansmots,commedeuxamisquiseconnaissentsibien.Avantdereprendredesdistancescommecellesquinousavaientséparéscesdernièressemaines.Dansunerobeaudécolletéavantageux,unchignonbassursoncoudecygne,MadameHerneste
salua cordialement l’assemblée, avant de se lancer dans un discours sans fin auquel je prêtai uneoreillediscrète,monattentionrevenantsanscesseaujeunehommechâtainassisderrièreelle.Ilétaitencore plus beau maintenant que je l’avais eu et qu’il m’avait échappé. Son assurancem’impressionnait,celled’Aboumefaisaitl’effetd’unsouvenirdéjàlointain.Charles, ravi, joua quelques secondes avec une mèche de mes cheveux et me chuchota
discrètement:—N’est-cepasincroyabledelescroiserici?J’avaisenviedehurler.Levoirici,c’étaitdelatorture.Levoiretnepaspouvoirletoucher.Lasurprise…MadameHernesteenétaitàlaconclusiondesondiscoursetjen’entendaisplusrienquemoncœur
quibattaittropvite,quecettevoixquimesoufflaitquejen’étaisvraimentpasàmaplace.J’auraisdûêtreprèsdeCaleb.J’auraisdûêtre…aveclui.J’auraisdûmeleverpourlerejoindre,l’embrasser,leprendredansmesbras.— Je remercie la congrégation du Pasteur Finch qui, comme toujours, a été d’un soutien
inestimable,dit-elleensetournantversAbou.Ilhochalatêteetacceptalesremerciementsavecunsourire.—Merciaussiàtouslesétudiantsquisesontjointsànouspourlaréalisationdeceprojet.Merci
pourletravailqu’ilsontaccomplidurantcesdeuxderniersmoisavecplusdedéterminationquemoi-même,parfois.Jevaisd’ailleurslaissermaplaceàleurporte-parole,MonsieurCalebBecker.Il y eut les applaudissements de rigueur, quelques chuchotements alors que Caleb et Madame
Hernesteéchangeaientunepoignéedemain.Etpuisilseretrouvadevantunmicro,avecsescheveuxenpagaille,lecoldesachemisedetravers,égalàlui-même.—Bonsoir.Savoixprofonderésonnadanslasalle,ramenantaussitôtlesilence.Cefutplusfortquemoi;je
me coulai dans mon siège, bouleversé, ému. Amoureux. De lui. Encore. Il croisa mon regard,quelques secondes, et j’eus peur. Peur de le perdre de nouveau ce soir. Peur de ne plus jamais le
revoir.Peurdecequ’ilallaitdire,aussi.PeurdeCharles,àcôtédemoi.— Ma présence ici n’est pas un acte d’altruisme, commença-t-il. J’avais des raisons très
personnellesdem’engager auprèsdeMadameHernesteetde sonassociation.Des raisonspresqueintimesdemetenirdevantvouscesoir.Iln’avaitpasdediscourstoutpréparé,aucunefeuillesurlaquellelirelesprochainsmots.Pourtant,
pas une seule fois, il n’hésita. Pas une fois, il ne se trompa. Il avait la bonne note, celle qui captal’attentiondechaquepersonne.Cellequimefaisaitvibrer.CellequifitsoudaingronderCharles. Iln’avaitplusl’airamusédutout.Quoiqu’ilsesoitimaginé,c’étaitloindecequeCalebs’apprêtaitàrévéler.Sesdoigtsagrippèrentmacuisse,s’incrustèrentdansmapeau.Jelessentisàpeine.— J’avais douze ans lorsque ma mère a mis le feu à l’église dans laquelle je me trouvais,
poursuivitCaleb.Elleétaitenpleindélirepsychotique.Ellepensaitmesauver.Elleavaitdéjàessayé,envain,etcependantdesannées,presquedepuismanaissance.Elleétaitpersuadéequ’elleallaitmesauver.Quejedevaispérirparlesflammespourmerepentir.Ellen’apashésité,ellen’aeuaucunepitié,ellen’apascriéquandlesflammessesontreferméessurmoi,ellen’apascherchéàs’enfuirnonplus.Elleétaitpersuadéedepréserversonseulenfant,alorsqu’ellelelaissaitmourir,justement.Elleaattendu,fixantduregardlefeu,assisedansnotrevoiture.Ellesouriait,ellecroyaitbienfaire.Lechocamenaunetelletensiondanslasallequ’onauraitpulacroirevide.Jemedégageaidela
poignediscrètedeCharlesetappuyaimescoudessur la table. Jemepenchaicommesi jepouvaismieux entendreCaleb ainsi. J’aurais presque pu sentir son souffleme frôler, comme avant, quandnousparlions,blottisaufonddulit,sesbrascroiséssurmapoitrine,seslèvresprochesdesmiennes.—Elleaété internéedeuxanset,évidemment,commedans toutes lespetitesvilles, les rumeurs
n’ontpastardé.Nousaurionspudémentirchaquemensongequenousentendions,monpèreetmoi.Mais pourquoi ? Après tout, cette histoire, c’était la nôtre. En parler, c’était la partager. Et nousvoulionsl’oublier.QuandjesuispartiduTexas,jepensaisquetoutçaresteraitlà-bas.Maiscommetous les secrets, ils finissent par vous rattraper. Bien sûr, je n’en ai pas honte. Parce que je sais,malgréplusd’unanpassédansuncentrespécialisédeDallas,malgrémadouleur,mespleurs,meshurlements,quejenesuispaslavictimed’unbourreau.Jesuiscelled’unefemmedontlamaladieaétédiagnostiquéetardivement.Jesuislavictimedenon-dits,depeurs,depsychoses.J’enporterailesmarquesjusqu’àlafindemavie.Ellesfontpartiedemoi.Charles, raideetsombre,semaîtrisaitdemoinsenmoinsbien.Ilsecontenaitde justesse. Ilétait
furieux, le regard assassin. Il était en train de perdre son plus précieux atout. Caleb venait de ledevancer. Il venait d’offrir tout ce queCharles avait dans samanche.La seule chose qu’il pouvaitutilisercontrelui.Sonseulmoyendepression.MonbeauTexan,sesyeuxbrillantdecolère,dépourvusdecrainte,fortetcourageux,enchaîna.Il
étaittroublant,puissant,magnifique.J’étaisterrifié.J’étaisabasourdi.J’étaisincapabledevoirautrechosequelui.Jevoulaisqu’ilparleencore.Qu’ilhurlemême.—Sijevousracontetoutça,expliqua-t-il,c’estparcequejeconnaisquelqu’unquis’estretrouvé
enchaînéàunepersonnedontlescruautés,qu’ellessoientphysiquesoupsychiques,luiontôtéjusqu’àsapropreidentité.Lessévices,lesmanipulations,leschantages,lescoupsontrythmésaviecesdixdernièresannées.Sijesuislà,c’estparcequelui-mêmenelepeutpas.Parcequedansl’hommequ’il
estdevenu,ilyatoujoursl’adolescenteffrayéquiadûfaireunchoixpoursavie,unjour.Unchoixqu’ilpaieencoreaujourd’hui.Ilétaitjeune,ilavaitbesoinquequelqu’unluiexpliquequetoutpouvaitallermieux.Ilavaitbesoindebraspourpleurerlamortdesamère.Ilétaitàlarue,seul,etpours’ensortir, il a accepté chaqueabus, chaqueviolence, avecuncourageque jen’avais jamais rencontré.Certainsdirontdeluiquec’estunprostitué,certainsdirontbienpireencore.Maispourmoi,ilresteratoujours un homme courageux, qui s’est battu pour les siens, qui s’est sacrifié au-delà del’imaginable. Il restera l’hommeque j’ai croisé un jour, auhasard.Unhommedont je suis tombéamoureux.Ets’ilm’entend,s’ilm’écoute,jevoudraisluidirequej’airéussi.Quetoussesaccordssontcaducs,qu’iln’aplusaucunechaînequileretienne.Etquejamaisplusiln’auraàsubirlescoups,lesinsultes,lesdouleurs.Qu’aujourd’hui,ilalepouvoirdedire«non».Qu’aujourd’hui,aprèsdixansdecalvaire,ilpeutenfinreprendrecequ’iln’auraitjamaisdûperdre:saliberté.—Attends,Caleb!Qu’est-cequetuvasfaire…—Rendretoustesaccordsnuls.Clic–clic…Commelaserrured’uneportequ’onouvre…Clic–clic…Commelesbarreauxd’uneprisondontonvouslibère.Jeclignaidesyeux,quelquechoseaufonddemoiquiprenaitdeplusenplusdeplace.Ilment.Pourquoimentirait-il?Alorsquoi?Lavérité.Ilditlavérité…Calebse redressaetdevintsoudainsigrandque j’auraispumeblottirdanssonombreà jamais.
J’auraisétéheureux,bien.Maiscen’étaitpascequ’ilsouhaitait,évidemment.Ilvoulaitdelalumièresurmonvisage,unetracefaiteparchacundemespas.—Ils sontnombreux lesgaminsqui se sontperdus,dit-il commeune sentencequi fit tressaillir
l’assistance.Ilssonttropàs’êtreretrouvésenchaînésàlaviolence.C’estpoureuxtous–pourlui–que jeme tiensdevantvousce soir.Parceque si c’estuncombat, si c’estuneguerre, alors je l’aigagnée.Enfin,ilrelevalevisageversmoi.Enfin,jepusyliretoutcequecesmoisluiavaientcoûté.Tout
cequemonabsenceluiavaitfaitendurer.Enfin,jepusmetournerversCharlesetleluidire,droitdanslesyeux,sansmecacher.Sansreculer.Doucement.Lentement.—C’estfini.Charleslesavaitdéjà.Ilenétaitconscient.Dèsl’instantoùj’avaisrencontréCaleb,ilavaitsuqu’ilallaitperdre.Cesoir,jel’avais.Cettechance…CellequeCalebm’offrait.CellequeCharlesm’avaittoujoursrefusée.
Ce fut un tonnerre d’applaudissements, d’émotions devant une allocution si sincère, si vraie. Siengagée.Pourmoi,elleétaitbienplusqueça.Elleétait…tout.Jemelevaidetableenm’excusant–maispersonnenem’entendit,àpartCharles.Unefoisdebout,
il y eut cedrôlede tressaillementdansmapoitrine et jemarchai vers la sortie sansme retourner.C’étaitcommesijevenaisdetrouverlesclefspourdéfairemeschaînes.Jerompais,enfin,lesliensdemonesclavage.Clic–clic.Jequittailasalle,sachanttrèsbienquejenereviendraispas.Quoiqu’iladviennemaintenant,c’étaitvraimentfini.Il n’y avait plus demarche arrière possible. Plus de demi-tour. Plus rien que la porte de sortie,
devantmoi.Danslehalldésert,jel’entendisrugirdansmondos.Jesavaisqu’ilmesuivrait.Jel’avaismême
espéré.Jemeretournaiàl’instantoùsamains’envolaversmonvisage.Jel’arrêtaietlerepoussai,sanscolère.—Oùcrois-tuallercommeça,monamour?sifflaCharles,horsdelui.Situcroisqueje…—Charles,lecoupai-je.Jesourisenposantlesmainssursesépaules,rajustantsaveste,commeill’avaitfaitplustôtavec
moi.—Tusais,luidis-je,presquetropbas.Jeviensdecomprendrequelquechose.J’époussetai sa veste grise, serrai un peu plus sa cravate. Il resta immobile, les yeux presque
révulsésdefureur.Jeposaiundoigtsoussonmenton,rencontraisonregardsombre.J’avaistoujoursdétestéqu’ille
posesurmoi.J’inclinailatête,ledévisageantpourladernièrefois.Cemoment,plusquen’importequelautre,étaitànous.ÀCharlesetàmoi.Etjevoulaisqu’ils’ensouviennelongtemps.Trèslongtemps.—Rappelle-toi,monamour,luisoufflai-je.Jenesuisqu’uneputedevantlaquelletunet’esjamais
caché.Maisj’aidesoreilles,tusais.Etunebonnemémoire.Assezpourmesouvenirdetonfilsdedixansquetuasbienprissoindecacheràtonconseild’administration.Detespetitsdétournementsdefonds.Decesquelquesemploisfictifsquit’arrangent.Detoutescesmanipulationsquetuaimestant.Ilserralamâchoire,jeluirenversaiunpeupluslevisage,ledominantpourlapremièrefoisdema
vie.— Sans parler du nom de chaque client qui t’a payé pourme baiser. Imagine un peu si jamais
quelqu’un…jen’ensaisrien…s’avisaitdeporterplaintepourproxénétisme,encitantquelquesnomsaupassage.Qu’est-cequeturisquerais?—Espècedepetitemerde!cracha-t-il.Ilessayadesedégager,jeleretins.Sonregarddevintmortel.—Nous sommes à égalitémaintenant.C’est étrange, non ? Jeme suis toujours imaginé bloqué
avectoi.Maisjenel’aijamaisété,n’est-cepas?Tuasjustefaitensortequejelecroie.Oupeut-êtreque je refusais juste d’entrer dans ton jeu, d’avoir un cœur aussi pourri que le tien. De devenircommetoi.—Tunevauxriensansmoi!hurla-t-il.
—Peut-être.J’agrippailespansdesachemiseetlerapprochaidemoi.—Maispeut-êtrepas.—Jenetelaisseraipaspartir!siffla-t-il.—Jenetedemandepastonavis.Je déposai un baiser sur ses lèvres.Comme la dernière empreinte que je lui laissais, comme la
dernièrechosedontilmedépossédait.Latoutedernière.Madetteétaitpayée.—Mercidem’avoirsauvé.Ça faisait dubiende se sentir libre, sans entraves auxpieds.Ça faisait dubiendem’éloigner…
Justedem’éloigner.Detoutlemonde.DeCharles.D’uneexistenceàlaquellejerenonçaisenfin.J’avaisbesoindefaireledeuil,derespirerunpeu…Demarcher,sansbut,justepourleplaisirde
mesentirvivant.—Jeteruinerai!gueulaCharles.Ill’avaitdéjàfait.Maisc’étaitterminé.—Restelà,Rafael,tentaCharlesunedernièrefois.Tuentends?—Cen’estmêmepasmonprénom,luiavouai-jeenfinaprèstoutescesannées.Rafaeln’estqu’un
mensonge,Charles.Iln’ajamaisexisté.Il écarquilla lesyeux, secoua la tête, commepour refuserd’ycroire.Etpuis, soudain, il fut là :
Caleb.Accompagnéd’Abou.Justelà,àquelquesmètres,etilmeregardait,ilsouriait.D’unsourireamoureux,tendre.Unsourirequivoulaittoutdire.—Hanaël,soufflaCaleb.Ils’appelleHanaëlJimenez.Jemarchaiàreculonsverslasortie,verslesmarches.—Oui,c’estmonnom.J’avais tellement envie de le prendre dansmes bras.Mais deuxmois, c’était long, ça changeait
beaucoup. Ilyavaiteu lemanque, l’absence, la libération.C’étaitpresque trop.Toutcommelepasd’Abou,celuiqu’ilfitversmoi.Ilauraitaimémeparler.Maispascesoir.Cesoir,jevoulaisjuste…êtreseul.Êtreloinparcequejelepouvais.Charlesme regarda une longueminute. Je savais qu’il ne renoncerait pas si facilement.Mais je
n’avaispluspeur.J’étaisprêt.Ilretournaverslasalledegala,sansplusmeregarder.Etjerespiraiprofondémentpourlapremièrefoisdepuis…depuisjenesavaisplusquand.—Oùvas-tu?medemandaCaleb,immobile,alorsquejereculaistoujours.—Ailleurs,luiexpliquai-je.Loin.—Hanaël…commença-t-il.Jesecouailatête,l’empêchaid’endireplus.—Pasmaintenant.Abouritdoucement,serappelantlenombredefoisoùj’avaisprononcécesmêmesmots.—Alorsquand?répondit-ilcommeill’avaitfaitdurantdesannées.
Jehaussailesépaules.—Bientôt.Jeleurtournailedossansregret,sanspeur.Jesavaisoùlestrouver.Jesavaisqueleurporteétait
ouverte.Leurscœurs.Leursbras.Justeavantdesortir,jeleurjetaiunderniercoupd’œilpar-dessusmonépaule.—Merci.Pourtout.—Onestlàpourtoi,meditAbou,ému.Noussommesunefamille,tutesouviens?—Jen’aijamaisoublié.Dehors,jeprisunegranderespiration,renversailatête.Lesétoilesbrillaient,éclairantdeleuréclat
bleuté. La lune, pleine, resplendissait. Le ciel était dégagé, c’était une nuit sans nuages. Où toutparaissaitclairmalgrél’obscurité.C’étaitunsoiroùtoutsemblaitmagique,réalisable.Oùl’espoirrenaissait.Je traversai lecampusd’unpas tranquille, lesmainsdans lespoches,machemisesortiedemon
pantalon,lesmanchesretrousséesauxcoudes.Ilfaisaitdoux.Jepassaiunemaindansmescheveux,souriant,reconnaissant.Demain…Aujourd’hui…Dansunmois…Dansunan…Jen’étaisplusRafael…—Hanaël,attends!merappelaCaleb.Je me retournai et il me percuta aussitôt. Ses mains s’enfouirent dans mes cheveux, sa bouche
rencontralamienne.Cefutbon,passionnant,obsédant.Jel’agrippaidetoutesmesforces,luirendantsonbaiser, l’embrassantpour lapremière fois,pour lamillième.Pour toujours.Sa languecaressames lèvres et elles s’entrouvrirent, le laissant m’envahir, me retrouver, me goûter de nouveau.M’apprendre.Toutétaitfamilier.Etnouveau.Toutsemblaitrecommencer.Jeretombaiamoureux,mêmesijen’avaisjamaiscessédel’être.—Jet’aime,chuchota-t-ilentrenous,deslarmesdanslavoix.Jen’aipascessédet’aimer.Pasune
seuleminute,pasuneseulesecondeendeuxmois.Tumemanques.J’aibesoindetoi.—Tumemanquesaussi,monange.—PardonHanaël,fit-ilentredeuxbaisers.Pardon.Pardond’êtreparti.Jel’étreignisplusfort,lepoussantcontreunarbrepourprofiterpleinementdelui,desontorse,de
sonventreplat,desonvisagemagnifique,desesjambesquis’enroulèrentautourdemeshanches.Desabouche.Desesmots.Delui.Denous.—Laisse-moijusteunpeudetemps,Caleb,luimurmurai-jecommeunsecret.J’aibesoindeme
retrouveravantdeteretrouver,toi.Tucomprends?Je ne pouvais pas oublier dix ans en quelques heures. C’était impossible. Je savais juste que je
pouvais enfin tourner la page. Aller de l’avant. Et qu’au bout du chemin se trouverait un hommeentier.Etquecethomme,ceseraitmoi.Calebmorditmamâchoire,déposaunbaiserdansmoncou.—Jereviendrai,Caleb.—Alorsjepatienterai.Jehochailatêteetreculailégèrement,unemainsursajoue.—Tum’asrendufort.—Tuastoujoursétéfort,Hanaël.Jem’éloignaidoucement.—Alorstum’asrenduencoreplusfort.Ilm’avaitapprislecourage.L’amour.Latendresseetledévouement.Etcesoir,ilm’avaitoffertdesailespourquejepuissem’envoler.
44Charles
Charles était au-delà de la fureur. Ce petit paysan, ce rien du tout avait réussi à briser un chef-d’œuvrequ’ilavaitmisdixansàcréer.Ilétaittoutprès,siprèsdebouclerlaboucle.Etilavaitfalluqu’il tombe sur un petit merdeux intelligent et amoureux. Caleb était resté droit, malgré leharcèlement qu’il avait exercé sur lui pendant deux mois. Il l’avait même suivi à l’une de sesconférencessurl’aéronautiquepourluiracontercommentseportaitRafaeletluimontrerquelquesphotosassezexplicites.Charlespensaitàcemoment-làqueceseraitsuffisantpourqueBeckerlâcheprise.Maisilavaitsous-estimél’attachementqu’ilportaitàRafael.Charles n’aurait jamais cru qu’il s’offrirait ainsi à la haute société bostonienne, racontant sa
sordide petite histoire, dans le seul but de lemettre en échec, lui, le PDG d’une des plus grossessociétésdelaville.Mauvaiscalcul.Ilavaitététroppressédesavourersavictoire!Charlesnes’yattendaitpas.IlavaitpenséquecettesoiréesigneraitlaredditiondeRafael,qu’enfin
ilallaitpouvoirlegarderaveclui.Illuiauraitoffertdesvoyagesenbateau,deshôtelsdeluxe,dessoiréesdansdesendroitsque l’argentrendaitmagnifiques. Il l’auraitmêmeépousé, luioffrantunebaguedeplusieurscarats.Maislefric,Rafaels’enfichait.Ilpréféraitcebouseuxdegaminaupassétrouble.Cemanipulateur.Maisiln’avaitpasditsonderniermot.Ilavaitdesatoutsdanssamanche.S’iln’avaitpasréussiàretenirRafael,niàcorrompreCaleb,Charlestrouveraitlemoyenderevenirenarrière.Pourl’instant,ilavaitbesoind’unexutoire.Etquid’autrequesonassistant,Marley,pourl’yaider
enattendantqueRafaelréintègresaplace.Unrôlequeseulsonamourpouvaitjoueràlaperfection.MonDieu, ce qu’il aimait ce corps soumis à ses désirs. Ses cris de douleur étouffés.Rien que depenser l’avoirperdu,saragesedécuplaet ilentradanssonbureauaupasdecharge,persuadéd’yvoirMarley.Maisiln’étaitpaslà.Àlaplace,setenaitCalebBeckerenpersonne.Des imagesdesondoscarbonisépassèrentdevant lesyeuxdeCharleset sonsexepulsa. Ilavait
essayé,cesderniersmois,delefairesouffrirenlerencontrantàpresquetouslescoinsderue.Justepour le plaisir de lui raconter ce que ça faisait d’entrer en Rafael d’un seul coup de reins. De leprendreàgenoux,alorsqu’ilbaissaitlatête.Charlesavaitmêmetentéd’emmenerCalebdanssonlit,luipromettantdelibérerRafael,s’ilprenaitsaplace.MaiscepetitmerdeuxdeTexanétaitbientropintelligent.Caleb avait suqu’il n’en ferait rien,maisqu’il profiterait, au contraire, de sa redditionpourattacherencoreplusRafael.Aujourd’hui,Charlescomprenaitpourquoiill’avaitregardédehautcesdeuxderniersmois.Parce
queCalebn’avaitpascessédecomploter.LapreuveenétaitsaprésencedanslesbureauxdeKennedyetledossierqu’ilouvraitdevantlui,assissursachaisedebureau.—Qu’est-cequevousfoutezlà,Becker?hurla-t-il.Ilétaitlepatronici,ilsemoquaitquequelqu’unl’entende.Sitantestqu’ilyaitencoredumondeà
cetteheure.Caleb le regardaavecarroganceetCharles fut tentédeprendre lamatraquequi traînait toujours
danssonplacardpourluiendonnerquelquescoups.—Jevoudraisattirervotreattentionsurdesinformationssurlesquellesjesuistombé,parhasard,
ironisaCaleb.Etquipourraientatterrirdansd’autresmains,toujoursparinadvertance,biensûr.
Il ne doutait pas queCaleb avait trouvé de quoi l’inquiéter. Il n’aurait pas tant d’assurance si cen’étaitpaslecas.—Qu’est-cequetuveux,Becker?—Hanaël,répondit-ilaussitôt.CharlesricanaetCalebsereleva.— Abou a été embauché par une autre congrégation. Ama et Mac déménagent. Soli entre à
l’université. Vous n’avez plus aucun moyen de pression. Quant à Gora, ce n’était qu’une habilemanipulation.—Tucrois?Calebavaitraison.Iln’avaitjamaiseudepreuvescontreGora.Ilavaitmenti,profitantdelajeune
naïvetéd’unRafaeldepresquevingtans.Dubluff.Ilyavaitbeaucoupdemensongespourtrèspeudevérités.Enfait,toutrésidaitdanslaconvictionetlesmenacesqu’ilexerçaitsursonchef-d’œuvreauregardnoir.C’étaitainsiqu’illecontrôlait.Parlapeur.Pascelled’avoirmal,non.Maiscelledeseretrouverdenouveauseul,sansfamille.LesFinchavaientrendud’immensesservicesàCharles.Jusqu’àcequecetétudiantdemalheurviennemettresonnezdansleursaffaires.—Ilestàmoimaintenant,lâchaCaleb.Charlessiffla,lesdentsserrées.—N’ycomptepastrop,gamin.Tun’aspasdequoileretenir.Calebfitletourdubureauets’arrêtadevantCharles.—Biensûrquesi.J’aiquelquechosequevousn’avezjamaiseuetquevousn’aurezjamais.Unenfant…Iln’étaitqu’unenfant.Alorsquelui,Charles,étaitunhommedepouvoir!Ilpouvait
récupérerRafael,lerameneraveclui.Riennepourraitempêchercela.—Etquecrois-tuposséderqu’ilmesoitimpossibled’obtenir?Calebsourit,unsourirevictorieuxetsuffisant.Fieretprovocant.UnsourirepourmettreKO.—Sonamour, luibalança-t-ilà lafigure.J’aisonamour.Etmalgrétoutevotrefortune,vousne
pourrezjamaisacheterça.Fouderage,ilregardaCalebjeterledossierparterre.Lesfeuillesglissèrentausol,éparpillées.
Puislegaminsortitdubureauetremontalecouloirversl’ascenseur.Calebluijetaunderniercoupd’œil.EtCharlessutqu’ilavaitperdu.
EpilogueUnmot,devantuneporte,àBoston.«Hanaël,Jet’offrecesdeuxcahiersquej’airemplischaquesoirpourtoi.J’espéraisquetufiniraisparles
lire,unjouroul’autre,etque,peut-être,ilst’aideraientàcomprendre.Jet’aiaiméd’unregard.D’unsouffle.L’instantd’avant,jenesavaismêmepasquetuexistaiset,
celuid’après,tuétaisdansmoncœur.J’ai eu tellementpeurdepassercetteporte, il yadeuxmois, etde teperdre. Je t’aiquittépour
mieuxteretrouver.Pournousdonnerunevraiechance.Jet’aitrahiparcequejen’avaispluslechoix.J’espèrequetulesais.Aujourd’hui,tupeuxenfinrecommencer.Demain, je rentre àAmarillo. J’ai obtenuma licence etmalgré l’insistance du doyen, je préfère
passermamaîtriseàStanford.SanFranciscoestunebelleville,àcequ’ilparaît.J’aimeraisypasserquelquesannées.Avectoi.D’accord,l’appartementquej’aitrouvéestbienmoinsgrandqueletien,maisçapourraitêtrelenôtresituleveux.Enattendant,jevaispasserl’étéauBeckerR.Audos,jet’ainotél’adresse,s’iltevenaitl’enviede
m’yrejoindre.J’yseraijusqu’àlafindel’été.Etpuisaprès,situn’espasavecmoi,jeseraiàStanford.Etpuisaprès,situnem’astoujourspasrejoint,c’estmoiquiteretrouverai.Etd’icilà,j’auraitrouvéunmoyendemefairepardonner.Unefaçondetedireàquelpointjet’aime,àquelpointtuasbouleversémavie.
Caleb»Premiercahier«Hanaël…Depuisque tum’asavoué tonvrainom,c’estcommeçaque jepenseà toi…Hanaël,
monbeauHanaël,monbeaubrun.Tum’aslaissépartir.Çat’apratiquementbrisé,maistum’aslaissépartir. Toi ou Rafael ? Si c’est Rafael, ce n’est pas si grave. Puisque Rafael n’est que l’objet deCharles.Maistoi,Hanaël?M’as-tulaissépartir?…Jenedorsplus.J’ailatêteàl’envers....Abou était fou de rage, je n’arrive pas à comprendre comment un pasteur peut avoir un tel
vocabulaire. Ilnepensaitpasuneseule secondecequ’il t’adit.Dèsque tuas tourné les talons, ils’estmisàpleurer.Àpleurer,Hanaël!Abou!C’étaitcommeassisteràuneéclipsesolaire.Pendantunmoment,mêmeAman’aplussuquoidire.…Tumemanques tellement. Je ne vois plus clair sans toi. Je ne te croisemême plus dans la rue.
Bostonn’estpassigrande!Tuesforcémentquelquepart.
…Ama...Amaestmalheureuse.Ellenesaitplusquoifaire.C’estcommeunfilsqu’elleauraitperdu,
un autre.Elle t’aime tellement.Elle dit que tamère lui a demandéde veiller sur toi.Que c’est unaccordpasséentrefemmes.J’enriraispresquesielleneledisaitpasavecautantdesérieux.…Oùes-tu?Avecqui?Aveclui?J’aimeraistellementt’arracherdesesbras…Hanaël,est-cequetu
m’entendsencore?Situfermeslesyeux,est-cequetumevois?…Macnemeregardemêmeplus.Çafaitdesjoursquenousn’avonsplusdenouvelles.Jemedéteste.
ParcequejesuisobligédedeveniraussisalaudqueCharles.Jesuisobligédetefairemal.…Unjour.Bientôt.Jetediraicommejeregrette.Mepardonneras-tu?…»
Deuxièmecahier«Solimehait.Ilsaitqu’onluicachedeschoses.Iln’estpasidiot.Maissionluiexpliquequoique
cesoit,ilpartiratevoir.Teracontercequenousfaisons.Etjesaisquetutrouverasunmoyendenousconvaincred’arrêter.Noussommestropprèsdubut, tusais.LennyatrouvétellementdechosessurCharlesqueçasuffiraitàlefaireplongerpendantdesannées.…Unmoissanstoi…çameréveillelanuit.Jevisauralenti.J’aipeut-êtreeutort.Jenetevoisnulle
part. Parfois, je passe devant ton immeuble et jeme dis « Il va sortir, il va sortir ».Mais tu n’esjamaislà.J’ail’impressionquetun’existesplus.Çameterrifie.…Unmoisetdemi.Unmoisetdemi!Mesexamensapprochent,jevoudraisêtreavectoi.Jet’aime.Et
situm’oubliais?Sitoutçanevoulaitriendire?Peut-êtrel’aimes-tu?…Hier, tu as ramené Soli. Il me déteste chaque jour davantage. Il ne nous parle plus depuis des
semaines.NiàAma,niàAbou.Niàmoi,biensûr.Iln’yaqueMacquitrouveencoregrâceàsesyeux.Ilétaitpartidepuis trois joursetnousl’avonscherchépartoutenville.Etpuis levoilàquirevient,avec toi. Je ne sais pas ce que tu as pu lui dire, mais il est redevenu joyeux. Comme si, enfin, ilcomprenaitquelquechosed’important.Iln’yaquetoipourlefairesouriredecettefaçon.Ils’estdenouveauilluminé.…Pourquoim’as-tu tourné le dos ? Pourquoi bois-tu autant ? Crois-tu que je n’ai pas vu tes pas
incertains,tadémarchevacillante?J’étaislà,àdeuxpasdetoi.Ettum’astournéledos,Hanaël……Deuxmois.C’estlegrandsoir.Jet’aime.…Reviens-moi,jet’ensupplie.
…Hanaël…»
Unelettre,unmatind’hiver,àSanFrancisco.«CalebJemesuislongtempsdemandécequejepourraisbientedirequandj’auraisfini…defuir,jecrois.
Qu’est-ce qui serait acceptable maintenant ? Après six mois d’absence…Quels mots choisir pourexprimercequejeressens?Ladettequej’aienverstoi?Tum’assauvéetjesuisparti.Tum’assauvéoui, tu m’as rendu ma vie et je suis juste… parti. Je ne sais pas comment me faire pardonner, nicommenttel’expliquer…Rienn’ajamaisétésimple,rienneleserasansdoutejamais.Ilyaencoretantdecolèreenmoi,cette fureursibrûlante.Jen’ensaisrien…peut-êtredeviendrai-jeplusdouxavecletemps.Sansdouteapprendrai-jelatranquillitéd’unquotidien,unecertaineformedesérénité.Pastoutdesuitepourtant,pasencore.Leschaînesontdisparu,c’estvrai.Malgréça,ellesontlaissédes traces et, certainsmatins, j’ai l’impression de les sentir encore peser surmoi. Et jeme rendscomptequejeneluiaipaspardonné.ÀCharles.Maisleplusdouloureux,c’estquejenemesuispaspardonnéàmoi-même.Quelquechosehurleenmoietc’estassourdissant.Commecemanquedetoiquim’étreintchaque
jourdavantage.Tuméritessansdoutemieuxqu’untypebousillé,quinesaitplusvivrenormalement,quivadevilleenvillesanssavoirvraimentquoichercher,mêmesijemesuisunpeuretrouvéenroute.Maisjen’arriveplusàresterloindetoi…J’auraisaiméquecenesoitpassidifficilederevenir,derecommencerdezéro,derien,commesi
toutétaitdenouveauunepremière fois.Mais jeneveuxpasoublier,Caleb.JeneveuxpasoublierRafael.Jeneveuxpasoublieravecquelleforcejesuistombéamoureuxdetoi.Jeneveuxpasoublierteslarmes,noscris,nosdouleurs.Jeneveuxpasoublieràquelpointc’étaitdur,àquelpointc’étaitintolérableetquechaquematinapportaitquandmêmeplusd’amour.Monmalheur,mesblessures,onttouseuleméritedem’avoiremmenéverseux,verstoi.Sanseux,jen’auraispasrencontrémafamille,maMama,mesfrangins,Abou,SolietMac.Sansmessouffrances,jenet’auraispasconnu.Jeneseraispastombésurtoi,Caleb,monange.Un
jour,tuesdevenuessentielettesyeuxm’ontpoursuivi,tesmainsm’onttouché.Ettum’asdonnéducourage.Delaforce.Jetedoismaliberté.Monamour.Tuétaisunefolie,laplusmerveilleuse.Tuasétédifférent,tellementplusquetoutlereste…Situsavaiscommejet’aime.Oui,jet’aimecommeilestimpossibled’aimer.Jet’aimeavectouteslesfibresdemoncorps,aveccequifaitbattremoncœur.Jet’aidanslapeau,danslesang.Jet’aidanslatête.Puis,aujourd’hui,jevoiscecheminquiseprofiledevantmoietquimepousseversSanFrancisco.
Quimeramèneverstoi,monange.Etjemerendscomptequejen’aiconnudeplusgrandesolitudequedanscellequim’aséparédetoi.Monplus immensemalheurestceluiquim’afait teperdreunmoment.Mais j’y crois aujourd’hui, Caleb.Malgré la noirceur qu’abrite encore tellement mon cœur. J’y
crois.Ànous.Àtoi.Àcemiracle.Tout semblait si dur, si inimaginable.Mais tu es entré dansma vie, et tu as fait de ce rêve une
RemerciementJen’oubliepastouteslespersonnesquiontcontribuéàlasortiedecelivre,touslesamisettousleslecteursquimesoutiennent.Maiscesremerciements,jelesdédied’abordàtousceuxquiontcôtoyé,
deprèsoudeloin,laprostitution.ÀX,quim’aracontésonhistoireetdontletémoignageafaitnaîtreceroman.Siunjour,onmedemandaitquelleestlapersonnedontjesuislaplusadmirative,c’estsanscontesteàluiqueje
penserais.Parcequ’iln’apaseuseulementducourage,iln’apaseuseulementdelaforce,ilafaitpreuvedequelquechosequebeaucoupignoredenosjours.D’humanité.
Ils’estaccrochéàtoutcequifaisaitdeluiencoreunhommeetmêmes’ilesttombédanslaprofondeurdesAbysses,ilatoujourssunagerpourremonteràlasurface.
Àtouteslesvictimesdelacruautéhumaine.Àtoutescellesqu’onaignorées.Qu’importel’endroitoùl’onvitouceluioùl’ontravaille,quecesoitdansunbureauaudernierétaged’unbuildingousurles
trottoirslesplussombresd’uneville,aucunviolnedoitêtretu,aucuncoupnedoitêtreoublié,aucuneblessurenedoitêtrebanalisée.
Riennecautionnerajamaisladouleur,parcequ’elleneserajamaisjustifiée.