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L’Union africaine : une diplomatie fragmentée ou les inconsistances de la
position commune ?
François Xavier Noah Edzimbi, Doctorant en science politique à l'Université de Yaoundé
II, option stratégie-défense; chercheur associé au Centre Africain de recherche pour la paix et
le développement durable (CARPADD, Canada), au Centre Africain d'études stratégiques
pour la promotion de la paix et du développement (CAPED, Cameroun); Assistant de
programmes à ALTER ÉGO (ONG, Cameroun).
Résumé :
Dès les déclarations de Madeleine Albright sur « la nation indispensable » lors de la
gestion du dossier irakien par l’administration Clinton, l’unilatéralisme américain inquiètera
les pays et les régions de l’espace international. Ceux-ci constatèrent en effet le double
glissement de la rhétorique des Etats-Unis vers un registre politique (au nom de la sécurité)
puis vers un registre moral (au nom des droits de l’Homme), dont les contours changent au
gré des intérêts de Washington et selon les contextes en présence. Aussi les institutions
régionales innovent de stratégies afin de traiter d’égal à égal avec les Américains, de peser et
de jouer le rôle qui est le leur dans les négociations internationales. Depuis le début des
années 2000, on voit se multiplier les participations africaines à des opérations de maintien de
la paix, que ce soit dans leurs volets diplomatiques ou militaires. Toutefois, l’émergence
africaine se focalise plus sur les perspectives démographiques, le potentiel en ressources
énergétiques et non sur la capacité de mobilisation internationale de l’Union africaine
(UA).En s’appuyant sur une approche stratégique et une théorie néoréaliste, cet article
démontre comment en raison d’une mésentente entre ses Etats membres sur des dossiers
politiques et stratégiques, et leur recherche, chacun pris individuellement, d’un
positionnement stratégique sur la scène continentale, l’UA adopte une politique étrangère
réactive plutôt que proactive. Celle-ci la conduit à une « diplomatie de créneau », c’est-à-dire
qui intervient en complémentarité sur les dossiers côtés ou délaissés par les puissances
occidentales et émergentes dans leur« sphère d’influence » respective sur le continent. Aussi
s’avère-t-il important de suggérer des pistes de réflexion susceptibles de permettre, à la dite
institution régionale, d’appréhender son émancipation stratégique comme un impératif pour
l’affirmation et la construction de sa puissance diplomatique.
Mots clés : Union Africaine, politique étrangère, diplomatie fragmentée, puissances
occidentales et émergentes, sphère d’influence
Abstract :
Since the early 2000s, we have seen an increasing number of African participations
in peace keeping operations, whether in their diplomatic or military aspects. However, the
emergency of Africais more focused on demographic prospects, the potential for energy
resources and not on the AU’s capacity for international mobolization. Based on a strategic
approach and a neorealist theory, this article demostrates how due to a disagreement between
its member states on political and strategic files, and their search, eachtaken individually, for a
strategic position on the scene international, the AU adopts a reactiveratherthan proactive
foreign policy. It’s important to suggest avenues of reflection likely to enable the saidregional
6
institution to understandits strategic emancipation as an imperative for the affirmation and
construction of its diplomatic power.
Keywords : African Union, foreign policy, spilted diplomacy, occidental and emergent
powers, influence area
Introduction
L’UA est née des échecs de l’OUA dans la résolution efficace des multiples
problèmes des jeunes Etats africains, confrontés au défi du développement et à celui d’une
recrudescence de conflits. Cette émancipation de l’institution panafricaine postulait que
l’avènement de l’UA est d’autant plus impératif que, pour ses pères fondateurs, le continent
avait assez souffert des enjeux de puissance, d’où elle devait rechercher de manière
permanente une position commune et consensuelle dans les prises de position au niveau
internationale1. Ce dernier point renvoyait à l’exigence d’une cohérence diplomatique. La
cohérence stratégique commande que, faute d’avoir voulu/pu prévenir un conflit et faute de
moyens financiers et logistiques, l’institution africaine se serve d’un vote et de la mise en
application d’une résolution pour envoyer enfin un message clair à ceux qui doutent, depuis sa
création, de sa capacité à relever efficacement le défi de la renaissance africaine2. Lors du
vote de la résolution 1973 de l’ONU ouvrant la voie aux frappes militaires sur la Libye en
2011, prenant le contrepied de la position officielle du conseil de paix et de sécurité (CPS) de
l’UA, les trois représentants africains non permanents au conseil de sécurité de l’époque
qu’étaient l’Afrique du sud, le Nigeria et le Gabon votèrent en faveur de celles-ci, consacrant
l’incohérence diplomatique et stratégique de l’UA dans la gestion de conflits africains3. Le 11
avril 2019, après quatre mois de manifestations déclenchées par le coût de la vie de plus en
plus élevé, Omar el-Béchir, au pouvoir depuis trois décennies au Soudan, est destitué par
l’armée. Après cette éviction, sous la pression de manifestants qui réclament une transition
vers un gouvernement civil, le conseil militaire au pouvoir choisi la force, semant la terreur
dans la capitale Khartoum. Le 3 juin 2019, une violente répression fait au moins 108 morts et
plus de 500 blessés selon l’opposition4. Face à cette situation, l’ONU reste divisée. Son
conseil de sécurité se réuni à huis clos, le lendemain de la répression, en urgence, pendant
deux heures à la demande de l’Allemagne et du Royaume-Uni, qui font circuler un
communiqué appelant les militaires et les manifestants au Soudan à « continuer à travailler
ensemble vers une solution consensuelle à la crise en cours5 ». Mais l’initiative est bloquée
par la Chine, qui rejette le texte, et par la Russie, qui exhorte à la prudence et insiste pour
attendre une réponse de l’UA. De ces différentes sorties, l’UA annonce, le 6 juin 2019, la
suspension avec effet immédiat du Soudan de l’institution régionale jusqu’à la création d’une
autorité civile de transition dans le pays6. Cette prise de position tardive d’autorités
1A., FogueTedom, « UA et crise libyenne. Des incohérences stratégiques et diplomatiques de l’Union Africaine
(UA) à la question de la crédibilité du projet de la renaissance africaine », sur Diploweb.com, article consulté le
23/06/2019, 6p. 2Ibid.
3Ibid.
4M., Ghyselings, « Désobéissance civile, massacre et négociations : retour sur la situation au Soudan », Paris
Match, 11 juin 2019, sur Parismatch.be, article consulté le 23/06/2019. 5Ibid.
6Voir, « L’Union africaine suspend le Soudan jusqu’à l’établissement d’une autorité civile de transition », Le
Monde avec AFP, 06 juin 2019, sur www.lemonde.fr/afrique, article consulté le 23/06/2019.
7
décisionnelles de l’organisation continentale démontre un déficit de veille stratégique7, outil
nécessaire dans l’anticipation/résolution de crises et/ou dans la négociation/signature
d’accords/contrats internationaux. Partant de cet argumentaire, dans la formation d’un
nouveau modèle international polycentrique sur fond d’instabilité globale et régionale
croissante où chaque acteur, qu’il soit national, régional ou international, adopte une stratégie
pour mieux se positionner en fonction de ses capacités propres ; dans un monde où on a non
pas tant la place qu’on mérite que celle qu’on se donne, l’UA dispose-t-elle d’une puissance
diplomatique qui permette au continent de jouer le rôle qui est le sien dans les négociations
internationales ? L’hypothèse qui organise l’analyse est la suivante : souffrant d’une
compétence supranationale restreinte sur ses Etats membres, l’UA adopte une politique
étrangère réactive plutôt que proactive qui la conduit à une « diplomatie de créneau », c’est-à-
dire qui intervient en complémentarité sur les dossiers côtés ou délaissés par les puissances
occidentales et émergentes dans leur « sphère d’influence » respective sur le continent.
Faisant usage de l’approche stratégique et de la théorie néoréaliste, l’axe d’analyse
s’appesantie, premièrement, sur la présentation d’une diplomatie fragmentée dont fait montre
l’institution faîtière du continent (I) et, secondairement, propose des pistes de réflexion afin
qu’elle puisse jouer le rôle qui est le sien dans les relations et négociations internationales (II).
I- La politique étrangère de l’UA et les challenges manqués dans un
environnement post bipolaire
Le caractère hautement concurrentiel, voire anarchique, du système international fait
de la notion de puissance un projet perpétuel pour tout Etat ou organisation. Ainsi en 2012, les
27 pays de l’Union européenne (UE), que les Africains considèrent à juste titre comme une
grande puissance, remettant en cause leur capacité d’influence au plan mondial, ont engagé
une réflexion destinée à les inscrire collectivement dans une logique de rupture, afin de créer
un « choc salutaire chez les Etats membres8 ». Et pour cause, le constat est fait de ce que «
l’Union européenne peine à s’imposer comme acteur global de la mondialisation, elle doit
faire face à une série de nouvelles difficultés qui la font douter encore plus. La modification
profonde des équilibres géostratégiques ne place plus l’Europe au cœur des préoccupations.
La crise financière provoque d’importantes réductions des budgets de défense avec le constat
qu’aujourd’hui, plus aucun Etat membre n’est en mesure de garantir son autonomie
stratégique. Alors que l’Europe s’engage résolument sur la voie de la gouvernance
économique, curieusement, elle n’a pas encore entamé de réflexion sur l’avenir de sa
sécurité9». D’où dans la foulée, pour apporter sa pierre au débat sur la problématique de
savoir comment « L’Europe doit s’armer pour défendre ses intérêts économiques », le
Conseil d’analyse économique (CAE) a suggéré en février 2019 de réformer l’accord de
7Fondée sur le traitement professionnel de l’information ouverte, l’intelligence économique (IE), ou la veille
stratégique, fait précéder toute décision stratégique d’une triple démarche de veille/anticipation sur son
environnement extérieur, notamment concurrentiel, de prévention des risques et de sécurisation, et enfin
d’influence en amont, sur les décisions et sur les règles et normes internationales. Il s’agit aussi en interne de
faire circuler l’information et faire collaborer les agents. Ce dernier aspect est aussi appelé management de la
connaissance. L’ensemble doit permettre d’apporter une valeur ajoutée, en évitant les crises, en optimisant les
actions et en favorisant l’innovation. Lire à ce sujet A., Guilhon, et N., Moinet, (dir.), Intelligence économique :
s’informer, se protéger, influencer, Montreuil, Pearson France, 2016, 353p. 8G., Youssa, « Sécurité intérieure et enjeu de puissance dans les pays francophones d’Afrique médiane »,
Dialectique des intelligences, no 4, 2017, p. 148.
9O., De France et N., Witner, Etude comparative des Livres Blancs des 27 Etats membres de l’Union
Européenne : pour la définition d’un cadre commun, Paris, IRSEM, 2012, no 18.
8
l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les domaines industriel et commercial10
.
Pour ce dernier en effet, le renforcement d’obligations de transparence, et l’adoption de
mesures compensatoires lorsque des subventions sont préjudiciables à l’UE permettrait à
l’institution régionale de disposer d’ « une politique industrielle européenne adaptée au XXIe
siècle11
». L’abandon sine die par certains pays africains de leur souveraineté au profit d’une
ancienne puissance colonisatrice et tutélaire12
, démontre l’absence d’une volonté de rupture
vis-à-vis d’une dépendance, ce qui entraine une incidence sur la politique étrangère13
et
corrélativement sur la diplomatie14
tant militaire (A) qu’économique (B) de l’institution
régionale qu’est l’UA dans l’espace international.
A- Une « diplomatie militaire » majoritairement dépendante de l’assistance
internationale
A partir du moment où les Etats africains auraient ensemble des affaires étrangères et
une diplomatie commune, ils pourraient s’exprimer d’une seule voix dans les grands dossiers
qui concernent leur existence internationale, de manière libre. Tel est le cas de la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE qui, par des programmes de financement,
de reconstruction ou d’encadrement de l’architecture défensive et sécuritaire, permet
d’envisager de nouveaux horizons pour la diplomatie européenne des 27 pays membres
depuis la fin de la guerre froide15
. L’absence de politique étrangère commune de l’UA trouve
explication dans l’extraversion16
et le manque de souveraineté17
qui caractérise la majorité
10
Parce que la réciprocité sur l’ouverture des marchés publics est difficile à faire respecter, parce que la
confusion autour des règles désavantage l’Europe face à la puissance chinoise, le CAE suggère également la
création d’un « procureur commercial » européen. Nommé par la Commission, doté de moyens d’enquête
sérieux et capable de prendre des mesures de sauvegarde, il permettrait aux Européens de parler d’une voix plus
forte et « de régler les problèmes les plus importants».M., Charrel, « L’Europe doit mieux défendre ses
entreprises », Le Monde, vendredi 17 mai 2019, p. 12. 11
Ibid. 12
G., Youssa, Op. cit. En effet, comment pourrait-on autrement interpréter cette déclaration officielle daté du 1er
décembre 1990 du Président Paul Biya du Cameroun : « Le Cameroun, pour sa part, ne nourrit aucune ambition
de puissance (…) » ou l’abandon sine die de leur souveraineté monétaire par 14 pays francophones d’Afrique
au profit du trésor français, ou encore le choix de 14 chefs d’Etat d’Afrique francophone à s’associer au
Président français Nicolas Sarkozy pour défendre leurs intérêts lors du Sommet de Copenhague de 2010
consacré à l’environnement ? 13
La politique étrangère d’un Etat ou d’une institution régionale résume les choix stratégiques et politiques de
ses plus hautes autorités, en vue de définir et de préserver ses intérêts géostratégiques, politiques, économiques,
culturels. Par sa politique étrangère, l’Etat/institution cherche à répondre au comportement des autres acteurs
internationaux et d’une manière plus générale, à agir sur son environnement pour le conserver tel quand il lui est
favorable et de le transformer quand il lui parait défavorable. Il doit voir le monde de façon différente, et
défendre à sa manière ce qu’il considère comme intérêts nationaux/régionaux. G. D., Mosau Mbombo, La
politique étrangère de la RD Congo face au pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région
des grands lacs africains, Mémoire, Université protestante du Congo, 2008, sur
http://www.memoireonline.com/05/10/3471/La-politique-exterieure-de-la-RDcongo-face-au-pacte-sur-la-
securite-la-stabilite-et-le-devel.html, article consulté le 23/06/2019. 14
Ibid., « La diplomatie est la pratique, l’action et la manière de représenter son pays/institution auprès d’un pays
étranger ou dans les négociations internationales, de concilier leurs intérêts respectifs ou de régler un problème
sans recours à la force. C’est aussi l’art des négociations entre gouvernements ». 15
F., Charillon, « La politique étrangère de l’Union Européenne à l’épreuve des normes américaines », Cultures
& Conflits, 2001/44, p. 7. 16
L’extraversion des Etats africains renvoie à leur incapacité à maitriser ou contrôler, même de façon relative
leur destin et plus particulièrement leur destin politique et stratégique vis-à-vis de leurs alliés. A., FogueTedom,
Enjeux géostratégiques et conflits politiques en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 15.
9
d’Etats africains. Les indépendances juridiques n’ont pas entraîné leur émancipation18
politique et stratégique comme démontre l’importante marge de manœuvre qu’ils concèdent à
leurs partenaires étrangers dans la définition, voire la mise en application de leur politique
aussi bien intérieure qu’extérieure. En effet, s’étant construit une « idée de grandeur de la
France19
», le général De Gaulle, conscient des faiblesses qui caractérisaient son pays au sortir
de la deuxième guerre mondiale, trouva vital d’adapter le cadre de pensée stratégique français
durant la décolonisation sur « l’indépendance-coopération20
», car pour lui en Afrique,« si
nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change21
». Afin de préserver ses
intérêts de puissance, la France accordera ainsi l’indépendance à des élites africaines qui la
réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui l’exigeaient
avec le plus d’intransigeance22
. Dès lors, le pré-carré23
français consistera en un dispositif
sécuritaire défensif où les fortifications sont remplacées par des outils de surveillance des
responsables politiques, économiques, des territoires et des populations dans l’objectif de «
surveiller, intervenir et punir toute force contraire à la préservation et à la sauvegarde du
giron stratégique français24
». Aussi, chaque Etat postcolonial privilégie l’application
d’accords bilatéraux de défense signés avec des puissances étrangères selon le contexte et les
enjeux en présence, à l’exemple de la Centrafrique25
ou du Cameroun26
, ceci aux dépens de
17
La souveraineté peut être définie comme la capacité d’un Etat a réalisé son unité politique et qu’il soit
émancipé politiquement et stratégiquement. C’est dans cette indépendance que se trouve sa libre prise de
décision pour organiser un Etat-Nation fondé sur une défense, des affaires étrangères et une diplomatie, une
culture propre, une monnaie, etc. 18
L’émancipation doit être comprise comme la possibilité pour les Etats africains d’ajouter à leur
indépendance juridique, un contenu politique, stratégique, économique, diplomatique, sécuritaire etc. qui seul
peut leur permettre d’espérer mener une existence souveraine sur la scène internationale dans laquelle seuls leurs
peuples, constitués en un corps politique, et leur Nations déterminent leurs actions. Voir, A., FogueTedom, « De
la problématique du financement de l’Union Africaine (UA) à l’évaluation du désir de puissance de l’Afrique »,
Dialectique des intelligences, n°004/2017, p. 7. 19
A., Vassallo, « Parcours thématique. De Gaulle et l’Afrique noire »,
http://fresques.ina.fr/degaulle/parcours/0006/de-gaulle-et-l-afrique-noire.html, consulté le 17/06/2019. 20
Ibid., l’indépendance-coopération est un système de coopération entre Etats souverains, mais ayant pour but
d’imposer l’influence de la France en Afrique dans les domaines politique, militaire, économique, financier et
monétaire, judiciaire, technique et culturel, permettant à la France de conserver une influence majeure sur ses
anciennes colonies. 21
Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, Paris, Seuil, 2007, p. 32. 22
R., Granvaud, Que fait l’armée française en Afrique ?, Paris, Editions Agone, 2009, pp. 31-32. 23
Un pré-carré est une zone d’influence politico-économique et culturelle, composée d’un ou de plusieurs pays,
et généralement acquise à une puissance étrangère. Il s’agit en ce qui est de la France, des anciennes colonies
répertoriées dans les ex-AEF et AOF. 24
J.-P., Bat, Le Syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959 à nos jours, Paris, Gallimard, «
folio histoire », 2012, p. 96. 25
Un accord signé à Sotchi en octobre 2017 a permis à la Russie de renforcer sa coopération militaire avec
Bangui. Cette dernière se traduit par un important soutien militaire utile à la lutte contre des groupes armés qui
contrôlent 80 % du territoire. Un second accord, renforçant les liens militaires avec la Centrafrique, est signé le
20 août 2018 après l’assassinat de trois journalistes russes qui enquêtaient sur la présence de mercenaires russes
dans le pays et, selon le ministre russe de la défense Sergueï Choïgou, ce dernier « Va contribuer à renforcer nos
liens dans le domaine de la défense ». C., Lobez, « Retour de la Russie en RCA : entre multiples intérêts et lutte
d’influence », sur http://les-yeux-dumonde.fr/actualite/actualite-analysee/33619-russie-livre-t-armes-
gouvernement-centrafricain, article consulté le 11/02/2019 et« Afrique : la montée en flèche de l’armée russe »,
Afrique-Education, no 471-472, décembre 2018-janvier 2019, article consulté le 14/02/2019 sur
https://www.facebook.com/AfriquEducation/ 26
Michel Debré, qui pris exemple sur le « cas camerounais », confessa à l’ancien président gabonais Léon Mba
que la France : « donne l’indépendance à condition que l’Etat, une fois indépendant, s’engage à respecter les
accords de coopération ». C’est en rappel à ces engagements consentis que de sa bouche, Ahidjo, alors président
10
l’institution panafricaine dont l’architecture de paix devient un passif stratégique27
dans le
domaine militaire. L’institution faîtière de l’Afrique est alors incapable de régler de manière
indépendante les situations conflictuelles du continent, ce qui pose le problème de son
émancipation politique et stratégique, particulièrement le volet de la souveraineté de la
défense et de la sécurité28
.
En effet, dès 2004, les dirigeants du continent ont adopté un acte traduit par la
Déclaration solennelle pour une politique africaine commune de défense et de sécurité, sa
mise en place a accouché d’une architecture qui privilégie l’aspect des opérations de paix,
insuffisante pour prendre en compte le volet défense. Afin de faire oublier l’inertie de l’OUA
face à la pandémie de l’insécurité, dès 2002, l’UA a-t-elle lancé l’ambitieux chantier de
l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (AAPS). L’AAPS découle de la mise en
application de la réforme du chapitre VIII de la charte de l’ONU sur les « Accords régionaux
». Elle combine les principes de subsidiarité et de suppléance, et poursuit l’objectif de doter le
continent d’une réelle capacité en matière de prévention, de gestion et de consolidation de la
paix. Le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), dont le protocole portant création a été adopté
le 9 juillet 2002, signé le 26 décembre 2003 avant son entrée en vigueur le 25 mai 2004, en est
l’élément central. Ses autres leviers d’action sont : les Communautés Economiques
Régionales (CERs) ; la Force Africaine en Attente (FAA) ; le Panel des Sages ; le Fonds pour
la Paix et le Système Continental d’Alerte Précoce29
. L’interdépendance entre tous ces leviers
a vocation à lui garantir une efficacité managériale, d’anticipation et surtout opérationnelle.
Or, la gestion africaine des différentes crises qui ont conduit à la seconde guerre civile
centrafricaine débutée en mars 2013, a offert l’occasion d’évaluer, plus de dix ans après son
lancement, la capacité opérationnelle fortement limitée de l’AAPS. Lorsqu’intervient le coup
de force de François Bozizé en mars 2003, depuis octobre 2002 déjà, en application des
Accords de Libreville, 310 soldats de la Force Multinationale en Centrafrique (FOMUC) de la
Communauté Economique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC) sont en
charge de la sécurité de Bangui. L’AAPS n’a pas su faire respecter les accords de Libreville.
La Communauté Economique Régionale (CER), en occurrence la CEMAC, dont la force, la
FOMUC, était en charge de la sécurité du pouvoir n’a pas été à la hauteur de la mission. Le
Panel des Sages qui aurait pu amener le président Ange-Félix Patassé et son adversaire Bozizé
à la table de la négociation afin d’éviter le coup d’Etat n’a pas fonctionné. Le Système
Continental d’Alerte qui, en principe, devait permettre aux dirigeants africains, tant au niveau
sous régional que continental, d’anticiper sur l’aggravation tragique de la situation s’est fait camerounais, donnera l’assurance au général De Gaulle que son pays s’associera librement à son ancienne
puissance tutélaire, ce qui sera suivi de la signature d’accords secrets de défense. T., Deltombe, M., Domergue,
J., Tatsitsa, Kamerun, une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971, Editions Ifrikiya, juin
2012, pp. 456-465. 27
Dans le cadre militaire, le passif stratégique est toute personne/autorité décisionnelle qui ne contribue pas
(consciemment ou inconsciemment) au développement de l’entité étatique dont il est ressortissant, ou de
l’organisation institutionnelle à laquelle il appartient. D’une part, ce comportement dilue les possibilités de ladite
entité à s’arrimer aux enjeux géopolitique/géoéconomique en vigueur qui lui seraient profitables, et, d’autre part,
favorise la réalisation des projets géostratégiques d’intelligences étrangères. F. X., Noah Edzimbi, « La défense
populaire et la lutte contre les nouvelles menaces au Cameroun : contribution à la formation d’une culture
stratégique et à l’étude d’une logique sécuritaire globale après 2001 », Thèse de Doctorat en science politique,
option Stratégie-Défense, Université de Yaoundé II, en attente de soutenance. 28
J. D. L., Mvom, « En quête d’une armée de défense territoriale pour l’Afrique », Dialectique des intelligences,
no 4, 2017, p. 88.
29A., FogueTedom, « UA et crise libyenne. Des incohérences stratégiques et diplomatiques de l’Union Africaine
(UA) à la question de la crédibilité du projet de la renaissance africaine », sur Diploweb.com, article consulté le
23/06/2019, 6p.
11
discret30
. Il a fallu attendre l’appel du secrétaire général de l’ONU suite à une situation
devenue explosive pour que, lors de sa 385ème
réunion du 19 juillet 2013, le CPS se saisisse du
cas centrafricain31
. Malgré sa tardive prise de position, à cause des traditionnels problèmes
logistiques et de planification, que visait pourtant à corriger l’AAPS, le CPS s’est montré
incapable de projeter la mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) sur le
terrain des opérations par elle-même. Confronté à une situation qui continuait de se dégrader
dangereusement, le 5 décembre 2013, le Conseil de Sécurité de l’ONU a, contre l’esprit même
de la réforme du chapitre VIII de sa charte visant la décentralisation dans la gestion de la
sécurité internationale, adopté, à l’unanimité de ses quinze membres, la résolution 2127
autorisant le déploiement de la MISCA sous l’autorité de l’UA32
. Cette résolution donne
mandat aux forces engagées pour « entreprendre temporairement tout ce qui est nécessaire »
et laisse la possibilité au secrétaire général de l’ONU de dresser, sous trois mois, un rapport
pour une éventuelle transformation de la MISCA en une opération de maintien de la paix de
l’ONU33
, cette situation faisant apparaître la dépendance de la « diplomatie militaire » de
l’organisation africaine à l’assistance d’acteurs étrangers. De cette réalité émerge un autre
constat sur la diplomatie l’UA : celui de son déficit d’autonomie en matière de diplomatie
économique34
.
B- De la sous-traitance de la diplomatie économique de l’UA par des partenaires
étrangers
Les deux principaux objectifs de l’UA sont : la construction d’un espace sécurisé sur
le continent par l’adoption et la pratique de la démocratie par ses Etats membres ; la
coordination et la mise en œuvre de programmes, des projets prioritaires régionaux et
continentaux35
. Avec la mise en place en janvier 2015 de « l’Agenda 2063 », qui se décline à
travers le projet « l’Afrique que nous voulons », l’UA et ses Etats membres objectivent
d’assurer la croissance économique, gage d’un développement durable. La mise en œuvre de
ces objectifs sous-entend l’existence d’une politique commune de défense et de sécurité des
Etats membres de l’institution régionale qui suppose qu’elle ait pour mission, parmi d’autres,
la défense et la préservation des richesses du continent. Or, jusqu’ici, il n’existe pas de
document stratégique de défense et de sécurité de l’UA qui définit ses intérêts fondamentaux
pouvant se résumer en intérêts vitaux, intérêts stratégiques et intérêts de puissance qui
nécessitent d’être protéger par une diplomatie africaine, bras séculier d’une politique
étrangère36
de l’organisation continentale. Avec la fin de la guerre froide, les capacités
militaires ne constituent plus, de loin, le principal facteur de puissance sur la scène
30
Ibid. 31
Voir, U.A, PSC/PR/COMM.2/CCCLXXXV du 19 juillet 2013. 32
Voir, « RCA : le Conseil de sécurité autorise le déploiement de la MISCA, avec l’appui des forces françaises »,
Centre d’actualité des Nations Unies, un.org, consulté le 24/06/2019. 33
Il faut souligner l’important rôle joué par la diplomatie française dans la mobilisation internationale pour
l’adoption de cette résolution, confère « La France se prépare à intervenir en Centrafrique », RFI, 23 novembre
2013. 34
La diplomatie économique est une notion très large qui recouvre plusieurs réalités. D’abord, la partie
économique de la diplomatie, c’est-à-dire l’ensemble des activités de l’Etat visant à influencer les décisions
internationales à caractère économique. Ensuite, la partie commerciale de la diplomatie d’Etat, c’est-à-dire la
promotion des intérêts d'entreprises via l’action de nos réseaux à l’étranger. Enfin, la diplomatie d’entreprise,
celle exercée par les entreprises elles-mêmes, car la diplomatie n’est plus réservée aux Etats. Revel, Claude, « La
diplomatie au cœur de l’influence », L’interview du mois, document consulté www.google.com le 14/06/19. 35
F., SassouAttisso, De l'unité africaine de Nkrumah a l'union africaine de Kadhafi, Paris, L’Harmattan, 2008,
224p. 36
R., Guariglia, « Politique et diplomatie », Le Monde diplomatique, décembre 1956, pp. 1-7.
12
internationale. L’ouverture des frontières, la libéralisation des échanges et les progrès de la
technologie ont favorisé l’apparition de firmes multinationales dotées de stratégies mondiales.
Aux côtés d’entreprises nationales, les Etats et les institutions régionales se sont engagés dans
des politiques de conquête de marchés extérieurs et de prise de contrôle de secteurs d’activité
considérés comme stratégiques. De fait, la santé économique d’une nation/région est l’aune à
laquelle on juge désormais sa puissance37
. Aussi, la non-circonscription d’intérêts communs
de ses pays membres dans une politique étrangère commune par l’UA a des répercussions
aux niveaux géoéconomique que géoénergétique. L’énergie constitue aujourd’hui un enjeu
géostratégique utilisé par les Etats, de même que par différents acteurs dans le monde post
guerre froide, au nom de la sécurité nationale et internationale, et leur quête de puissance,
d’où la prépondérance des zones de guerres, de tensions et de conflits. Les entreprises
énergétiques communiquent sur toutes sortes de thématiques : le changement climatique, la
sécurité, la sûreté, le développement durable, etc. Les implantations stratégiques sont
recherchées et les avancées technologiques permettent aux sociétés pétrolières d’accéder à de
nouveaux gisements, mais pour cela il est nécessaire pour elles de trouver les bonnes
informations et de les exploiter au bon moment.
L’anticipation permet d’obtenir les informations stratégiques pour les corréler à
d’autres, mais aussi pour les exploiter en temps opportun et enfin pour protéger les données
stratégiques détenues par l’entreprise énergétique et l’Etat/l’organisation régionale. De ce fait,
le renseignement géographique s’érige en outil privilégié de décryptage permettant d’orienter
la décision et de nuancer le jugement du décideur dans un environnement international où
« sans la connaissance, on est dans la main des autres38
». Toutefois, face aux guerres
nouvelles39
, l’institution régionale africaine développe une dépendance au renseignement
géographique des puissances étrangères, mais aussi vis-à-vis du renseignement économique et
technologique fourni par des firmes multinationales, qui permettent à celles-ci de localiser et
de circonscrire les ressources stratégiques comme les granulats, les terres rares ou encore
d’exploiter les gisements d’hydrocarbures, le pétrole et le gaz offshore40
. Le paradoxe se
dessine : faisant preuve d’immaturité stratégique, l’UA, laissant cet espace de souveraineté à
la merci d’autres acteurs, se voit doublée et mis à l’écart de toutes négociations stratégiques
mondiales liées à l’économie, au développement et au bien-être des populations africaines.
Car, elle ne dispose ni d’une cartographie et d’une topographie géologique,
géomorphologique, hydrographique, climatologique, pédologique, biogéographique et
maritime ; ni d’une technologie adéquate pour détecter, localiser, circonscrire, extraire et
transformer les ressources naturelles en produits finis ou semi-finis qui lui permet de traiter et
de négocier d’égal à égal avec d’autres acteurs de l’espace international. En effet, fondée sur
le traitement professionnel de l’information ouverte, l’intelligence économique (IE) fait
précéder toute décision stratégique/diplomatique d’une triple démarche de veille/anticipation
sur son environnement extérieur, notamment concurrentiel, de prévention des risques et de
sécurisation, et enfin d’influence en amont, sur les décisions et sur les règles et normes
internationales. Il s’agit aussi en interne de faire circuler l’information et faire collaborer les
37
P., Lorot, « De la géopolitique à la géoéconomie. La géoéconomie, nouvelle grammaire des rivalités
internationales »Géoéconomie, Eté 2009, pp. 9-18. 38
M., Masson, « L'avenir du renseignement », Géoéconomie, 2009/4 (n° 51), p. 10. 39
P., Vennesson, « Penser les guerres nouvelles : la doctrine militaire en question », Pouvoirs, no 125, 2008/2, pp.
81-92. 40
F. X., Noah Edzimbi, « De la problématique de la sous-traitance de l’économie maritime des Etats de la façade
atlantique de l’Afrique par des puissances étrangères », Espace géographique et société marocaine, n° 24-25, pp.
229-246.
13
agents. Ce dernier aspect est aussi appelé management de la connaissance. L’ensemble doit
permettre d’apporter une valeur ajoutée, en évitant les crises, en optimisant les actions et en
favorisant l’innovation, processus sous-estimé/mésestimé par les instances décisionnelles et
diplomatiques de l’UA.
Aussi, souffrant d’une compétence supranationale restreinte, et ne faisant pas
l’unanimité au sein d’Etats membres sur une potentielle représentation internationale
commune, l’institution faîtière du continent voit ses capacités de négociation réduites tandis
que ces derniers s’engagent dans une guerre de leadership sur l’espace continental41
en
privilégiant la signature et la mise en œuvre de partenariats économiques bilatéraux. La
signature et la ratification, le 22 juillet 2014, des Accords de Partenariats Economiques (APE)
entre le Cameroun et l’UE, en plus de prouver l’engagement individuel d’une majorité de
pays africains dans la négociation/ratification d’accords internationaux, montre la non
maîtrise, par les autorités camerounaises, des enjeux économiques qui structurent les relations
internationales à l’ère post guerre froide. En effet, la compétitivité escomptée à travers les
APE, telle que l’affirme le ministre Yaouba Abdoulaye, s’obtient par une vigoureuse politique
industrielle nationale et non à partir des accords économiques avec les partenaires étrangers42
.
Finalement, dans ses partenariats hautement stratégiques aux niveaux bilatéral et multilatéral,
l’UA fait face à une dépendance diplomatique et financière qui ne lui permet pas de
s’émanciper des calculs de bas étage de nombre de ses Etats membres et de négocier
équitablement avec ses partenaires internationaux. L’absence d’une voix unique en pratique,
que lui confèrerait le transfert de pans importants des souverainetés nationales, la condamne à
l’exercice d’une diplomatie de façade habilement récupérée par des acteurs internationaux
plus robustes, notamment l’UE et la Chine43
. À titre d’information, les projets opérationnels et
de fonctionnement de l’Union africaine sont financés à plus de 80% par l’UE, et l’immeuble
du siège de l’UA, vingt étages avec une salle de conférence de 2500 places environ, d’un coût
de réalisation de 200 millions de dollars, a été construit par les Chinois. Or, c’est là un des
déterminants stratégiques du levier de négociation. Un levier qui donne à un acteur la capacité
au terme d’une négociation internationale à obtenir le meilleur résultat possible, c’est-à-dire à
obtenir le plus possible de son partenaire tout en cédant le moins44
. Contrairement à son
éponyme européen qui a su construire une position structurelle forte avec plus de chances de
sortir victorieuse dans les négociations, l’UA ne dispose pas des deux principaux déterminants
structurels de la puissance de négociation qui sont strictement liés à la sécurité et au marché.
Une situation qui a pour conséquence une paralysie institutionnelle intérieure avec
endiguement de la capacité de négociation à l’extérieur45
. Aussi, pour un positionnement en
tant qu’acteur influent dans l’espace mondial, un recadrage diplomatique de l’institution
faîtière du continent s’avère nécessaire.
41
Pour plus de précisions, lire à ce sujet J.-B., Véron, « L’Afrique du Sud et le Nigéria : du maintien de la paix à
la recherche d’un positionnement stratégique sur le continent africain », Afrique contemporaine, 2006/3, no 219,
pp. 163-172. 42
F. X., Noah Edzimbi, Op. cit. 43
S., Nguembock, « L’Union Africaine : une puissance diplomatique ? », Après-Demain, 2014/3-4 (no 31-32),
pp. 13-14. 44
Ibid. 45
Ibid.
14
II- De la nécessaire « mue stratégique » d’autorités décisionnelles africaines :
pré-condition d’une politique étrangère régionale performante
Le reprofilage stratégique d’une « représentation candide » qu’ont les autorités
décisionnelles de l’UA des relations internationales post bipolaire est une démarche
nécessaire pour remédier et rechercher des moyens pour répondre aux nouvelles menaces,
mais aussi anticiper celles qui émergeront demain. Dans un monde effervescent et peu
prévisible, la reconstruction d’une pensée stratégique de l’UA, appuyée sur un outil souple de
décèlement précoce, est cruciale46
. Désormais irriguée par le concept de « sécurité globale »,
une nouvelle pensée stratégique se doit d’intégrer défense nationale et supranationale, sécurité
publique et internationale, protection des entreprises ou sécurité environnementale47
. La
complexité croissante du monde rend impérieuse la nécessité d’un travail intellectuel, proche
des réalités, ouvert et pluridisciplinaire. Aussi, la réorganisation des institutions chargées de
penser la politique étrangère de l’organisation régionale, doit être mise en avant. Il s’agit donc
de passer d’une diplomatie de façade à une diplomatie proactive, sans oublier que la guerre
probable48
sous quelque forme qu’elle prenne se gagne d’abord par la volonté politique et le
soutien de la nation panafricaine49
. De ce fait, il est question, d’une part, d’interpeler les
autorités compétentes sur le nécessaire investissement dans le renseignement (A), et, d’autre
part, de justifier la conception d’un document officiel de défense et de sécurité commun aux
Etats membres de l’institution régionale (B).
A- De l’inscription du renseignement dans le logiciel programmatique de
renaissance de l’Afrique : instrument crucial d’émancipation et d’autonomie
diplomatique
Dans la guerre économique qui structure les relations internationales post-guerre
froide, et oppose les grandes puissances, occidentales et émergentes, le contrôle de « la
matière première immatérielle » constitue le principal enjeu. Afin d’assurer leur survie
économique et s’arrimer à cette rude compétition géoéconomique, elles se sont inscrites dans
une « guerre pour l’information stratégique ». « L’IE, peut se définir comme la maîtrise, la
protection et l’exploitation de l’information, pour comprendre et anticiper l’environnement
extérieur, ses acteurs, risques et opportunités, protéger le patrimoine informationnel
stratégique et agir sur les leviers d’influence nationaux et internationaux, le tout à partir de
sources ouvertes et dans le respect des règles, pour in fine contribuer à créer de la valeur.
Elle est souvent résumée par le triptyque veille/anticipation, sécurité économique,
influence50
». L’UA devrait s’arrimer dans cette dialectique d’intelligences. En effet, dans un
monde post guerre froide caractérisé par des surprise/rupture stratégiques51
, le renseignement
est au centre de toute activité. Dès lors, une capacité d’appréciation autonome des situations
46
F. X., Noah Edzimbi, Op. cit. 47
Voir, Cahier de la sécurité, Supplément au no 4, Rapport au Président de la République et au Premier ministre,
avril-juin 2008, p. 11. 48
Général V., Desportes, La guerre probable. Penser autrement, Éditions Economia, Paris, 2007, 150p. 49
Voir, Cahier de la sécurité, Op. cit. 50
A., Guilhon, et N., Moinet, Op. cit. 51
Une surprise stratégique est une évolution/un évènement inattendu, par sa nature et son ampleur, qui modifie et
infléchie les données de la sécurité d’un Etat ou d’une institution régionale. Une rupture stratégique, quant à elle,
survient lorsque certains évènements entrainent une transformation radicale des fondements de la sécurité d’un
Etat pouvant remettre en cause sa souveraineté et sa stabilité.
15
est la condition d’autonomie de décisions libres et souveraines52
. Toutefois, lorsqu’on se
réfère à l’existence d’incidents tant diplomatiques que militaires en Afrique53
, il est constaté
un déficit de renseignement qui caractérise l’UA et ses pays membres. Ainsi, une « urgence
de la pensée54
» africaine dans ce domaine s’avère nécessaire. Cela passe par la nécessaire
institutionnalisation de formations civile et militaire pour une adaptation aux guerres
nouvelles et l’émergence d’une culture africaine du renseignement. Cette émergence débute
par l’enseignement du renseignement dans les Universités Panafricaines (UPA)55
. Quoique
l’initiative panafricaine soit à encourager, on constate l’absence d’études sur le
renseignement, ou d’Intelligence Studies56
, dans ses programmes de recherches scientifiques
et techniques. Le renseignement est un domaine réservé à « la grande muette » et au politique.
Il est présenté comme prohibé dans les enceintes académiques tant étatiques que régionales et
risque demeurer dans les coulisses de la politique du moment où il est publiquement
condamné57
et dispose d’une résonnance spécifiquement militaire pour l’opinion publique
internationale africaine.
Or, l’enseignement de la fonction « connaissance et anticipation » du renseignement
est instruite dans tout document de réflexion et de projection de puissance de tout Etat
stratégiquement mature58
dans le civil comme dans le militaire. Aussi est-il suggéré que
l’UPA et les Universités étatiques, tant publiques que privées, atteignent un degré de maturité
qui se conforme aux standards académiques des pays et régions qui les ont précédées dans le
développement d’études sur le renseignement. De ce fait, l’instauration d’une « Académie du
renseignement » dans les pays membres, mais aussi au sein du dispositif panafricain
d’enseignement, serait symbolique pour la formation d’une ressource humaine en matière de
défense et de sécurité. Elle contribuerait à la construction, la promotion et l’émergence d’une
nouvelle génération de leaders, capables de relever plusieurs défis comme ceux de la
fragmentation de l’espace, de l’histoire et du savoir, de la refondation de l’Etat postcolonial,
de la promotion de la démocratie et des droits humains, et de la mise en place de nouvelles
conditions de paix et de liberté, gage d’un développement durable, de la construction et de
l’implémentation d’une puissance continentale. Dès lors, l’intelligence économique, réponse
organisationnelle et managériale à l’avènement d’une société du savoir dont l’enjeu est de
maîtriser et de rendre pertinentes les millions de données produites, connectées et diffusées
via les technologies de communication de plus en plus poussées, permettrait le siphonage de
technologies de pointe indispensables à la construction d’une puissance africaine. Il est donc
impératif pour l’UA et les Etats d’Afrique de s’inscrire dans la « cyberguerre59
». Leur
stratégie doit être de copier les savoirs et technologies étrangères de veille stratégique les plus
en pointe afin de rattraper, mieux se hisser au niveau des puissances occidentales et
émergentes. Face à leur supériorité dans l’intelligence économique, l’UA et les pays africains
pourraient choisir l’approche asymétrique pour un départ, menant un offensif tout azimut
52
F. X., Noah Edzimbi, Op. cit. 53
Ibid. 54
M., Kamto, L’urgence de la pensée. Réflexions sur une précondition du développement en Afrique, Presses
Universitaires d’Afrique / Africaine d’Édition et de Services (PUA / AES)/ Mandara, Yaoundé, 1993, 210p. 55
F. X., Noah Edzimbi, Op. cit. 56
O., Chopin, B., Irondelle et A., Malissard, « Etudier le renseignement en France », Hérodote 2011/1 (n° 140),
p. 92. 57
J.-L., Briquet, « Les pratiques politiques “officieuses”. Clientélisme politique en Corse et en Italie du Sud »,
Genèses, 1995, n° 20, pp. 73-74. 58
M., Masson, Op. cit. 59
M., Baud, « La cyberguerre n’aura pas lieu, mais il faut s’y préparer », Politique étrangère, 2012/2, pp. 305-
316.
16
visant à capter et exploiter toutes ressources dans ledit domaine, dans une optique de
modernisation et de développement de leurs capacités comme l’ont fait les Chinois60
. Elle
viserait à recueillir, par des voies légales ou illégales, de l’information de haut niveau
scientifique, technologique, économique mais aussi politique et stratégique (veille,
intelligence, intrusions, espionnage). Cette stratégie permettrait le développement et la
sécurisation de leur diplomatie tant militaire, culturelle, économique que numérique61
. Elle
débute par le désir de puissance qui doit habiter l’Etat/l’institution régionale, et les moyens
politique et stratégique qu’il/elle se donne pour la construction du tissu industrialo-
économique compétitif, qu’il soit militaire ou civil, concrétisé en dans un document de
défense qui définit et protège les intérêts fondamentaux d’entités tant étatiques que régionale
présentes sur le sol africain.
B- L’établissement d’un Livre Blanc pour la conception d’une politique étrangère de
l’UA Les politiques publiques sont « les interventions d’une autorité investie de la
puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société
ou du territoire62
». Une politique de sécurité et de défense a majoritairement pour but la
protection des citoyens d’un/une Etat/région, et la défense de leurs intérêts63
. La formulation
des intérêts fondamentaux se présente comme un procès dynamique et complexe étant donné
que cette catégorie reflète des réalités sociales qui comportent la totalité des besoins et
aspirations communs à tous les membres d’une entité socioculturelle64
. La satisfaction et le
soutien de ses besoins et aspirations sont une condition indispensable à l’existence et à
l’identité de la société en tant que sujet de l’histoire. Ceux-ci reflètent les aspirations d’un
peuple d’occuper, dans le cadre de la communauté mondiale, une place qui correspond le
mieux à ses traditions historiques, culturelles et spirituelles et qui lui assurerait la pleine
réalisation de son potentiel65
. Il s’agit donc, pour les pays africains et l’UA, de concevoir des
documents de défense et de sécurité pour certains et, pour d’autres, d’évaluer objectivement
60
Le maître mot est « informationisation », une conception stratégique de l’information qui se trouve désormais
au cœur de tous les supports de l’expression de la puissance chinoise. La maîtrise de l’information est devenue
prioritaire et indissociable de tous les autres domaines, aussi bien militaires que politiques ou économiques.
Avoir la capacité de recueillir par de multiples sources, recouper, vérifier l’information pour s’assurer de sa
fiabilité, mais aussi de la manipuler, la déformer, la transformer pour tromper ou faire douter l’adversaire, autant
de techniques ancestrales qui avec l’interconnexion croissante des réseaux et la rapidité de circulation de
l’information des prennent des proportions inédites. Les opérations sur les réseaux d’information et de
communication sont désormais indissociables de tout conflit et de toute opération militaire. F., Douzet, « Chine :
cyberstratégie, l’art de la guerre revisité », sur http://www.diploweb.com/Geostrategie-de-l-internet.html, article
consulté le 18/06 /2019. 61
La diplomatie numérique est une continuation de la diplomatie traditionnelle par d’autres moyens tels que
l’utilisation de sites Web institutionnels, des nouveaux médias et des réseaux sociaux (d’où la « Twitplomacy »,
lancé par l’agence de communication Burson-Marsteller qui, suivant les liens numériques entre leaders
internationaux, consiste à cartographier ou à mesurer leur influence exercée par les canaux numériques ; et l’« e-
diplomacy », initiative lancée par l’AFP, cherchant à mesurer en temps réel l’influence produite, sur Twitter) par
les gouvernants et les gouvernements pour entrer directement en contact avec leurs gouvernés (diplomatie d’Etat
à individus et d’individus à Etat). T., Gomart, « De la diplomatie numérique », Revue des Deux Mondes, 2012,
pp. 131-132 ; T., Gomart, « Ecrire l’histoire des relations internationales après WikiLeaks », Revue des Deux
Mondes, mai 2011, pp. 88-89 ; Culture, commerce et numérique, « La nouvelle diplomatie numérique et son
influence sur la géopolitique de la culture et du commerce international », Vol. 12, no 1, février 2017, p. 2.
62F. X., Noah Edzimbi,Op. cit.
63Ibid.
64Ibid.
65Ibid.
17
ces derniers, pour constater que très peu définissent les intérêts fondamentaux d’une part, et,
d’autre part, atteignent les objectifs définis dans le plan opérationnel. L’éveil stratégique
exige de ce fait qu’ils repensent leurs politiques de manière intrinsèque et raisonnable et
élaborent une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) comme l’a fait l’UE. Les
intérêts fondamentaux d’une entité étatique ou régionale se subdivise en trois axes à savoir :
les intérêts vitaux, les intérêts stratégiques et, enfin, les intérêts de puissance. Selon l’article
410-1 du Code pénal français, « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent (…) de
son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de
ses institutions, des moyens de sa défense et de sa politique, de la sauvegarde de sa
population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son
environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son
patrimoine culturel66
».
A l’analyse de la définition que donne le Code pénal français des intérêts
fondamentaux de la Nation, il se dégage un élargissement des menaces aux causes relevant de
la sécurité humaine dont la sauvegarde de la population ainsi que la préservation de
l’équilibre de l’environnement67
. Les intérêts stratégiques, quant à eux, renvoient aux rapports
entretenus par un acteur étatique/régionale sur la scène internationale, mais aussi aux actions
et aux avantages qu’il tire de ces relations établies. Ils se présentent comme ceux destinés à
protéger et défendre les intérêts vitaux d’une entité étatique ou régionale, dans un
environnement international qui change selon les contextes en vigueur. C’est ainsi que pour la
République Tchèque, les intérêts stratégiques ont pour objectif d’assurer la défense des
intérêts vitaux, mais aussi la prospérité et le développement social du pays ou de la région68
.
L’on pourrait définir les intérêts de puissance comme « la sensation d’orgueil, mélange de
libido et de pulsion vitale, ressentie par tout acteur international stratégiquement mature, et
les avantages qu’il tire de sa capacité d’inscrire ses intérêts à l’ordre du jour des résolutions
d’institutions tant régionales qu’internationales, d’influencer fortement voire modifier les
politiques publiques d’une entité étatique, tout en ayant une priorité en matière de maîtrise de
leurs différents agendas, ceci selon les enjeux et les contextes internationaux en vigueur. Ils
s’appuient sur un ensemble de moyens, ressources, physiques, humaines, intellectuels,
militaires, économiques, diplomatiques, technologiques, industriels, etc., susceptibles d’être
mobilisés par une Nation pour permettre à l’Etat de réagir, voire d’imposer sa volonté sur
ladite scène mondiale69
». C’est alors que la Stratégie de Sécurité Nationale russe réitère
l’ambition, maintes fois formulée par Moscou, de « rehausser le rôle de la Russie dans le
monde polycentrique en formation », et fait part de la conviction des autorités russes que leur
pays prend une part croissante « dans la résolution des grands problèmes internationaux, le
règlement des conflits militaires, la réalisation de la stabilité stratégique et de la suprématie du
droit international dans les relations internationales », ce qui fait indirectement référence à,
entre autres, l’engagement de la Russie dans la négociation de l’accord sur le nucléaire iranien
et son intervention militaire en Syrie70
. C’est à partir du prisme d’une construction de l’ordre
international polycentrique, dans lequel s’inscrivent les intérêts de puissance de la Russie, qui
par ailleurs remet en cause les valeurs démocratiques occidentales, que les services de
66
Ibid. 67
P., Danisova, « La politique de défense et sécurité de la République Tchèque », Master en Administration
publique, Ecole Nationale d’Administration, février 2007, p. 27. 68
Ibid. 69
F. X., Noah Edzimbi,Op. cit. 70
I., Facon, « La nouvelle stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie (Présentation analytique) »,
Fondation pour la Recherche Stratégique, note no 05/2016, 10 février 2016, p. 3
18
renseignement russes ont fait une intrusion dans la campagne présidentielle américaine de
2016 en dérobant, à travers des cyber-activités civiles et militaires, des données de la
candidate démocrate et en les diffusant ensuite sur le site Wikileaks71
. D’un autre côté, la
PESC de l’UE a pour objectif de permettre à l’institution régionale du « Vieux continent » de
développer sa présence et sa visibilité dans des régions du monde dans lesquelles elle n’a
jamais véritablement été influente, de renouer des liens qui se sont relâchés avec certains
partenaires suite aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis72
, et de disposer d’ « une
politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle
73 » qui lui permette d’avoir une
place de choix et de jouer le rôle de puissance et d’acteur influent qui est le sien dans les
négociations internationales.
La mise en œuvre du processus de sécurisation des intérêts fondamentaux,
proprement dit, nécessite au préalable l’identification et l’évaluation des menaces et des
risques, l’élaboration et la gradation des ripostes, au plan juridique, économique et
éventuellement militaro-sécuritaire, l’appréciation des capacités extérieures de coopération
ainsi que leur sincérité. La mise en action du programme militaire devrait tenir compte de la
nécessité d’harmoniser les politiques publiques nationales, d’assurer la cohérence entre les
différents acteurs nationaux, pour une bonne collaboration de sécurisation desdits intérêts
fondamentaux au niveau central de l’Etat et d’organismes décisionnels de l’UA. En somme,
les pays africains et l’institution faîtière régionale devraient envisager de faire élaborer, par
des experts, un document de sécurité et de défense qui définit les intérêts fondamentaux en
premier et, en second, présente l’ensemble de grandes options et principes politiques,
stratégiques et militaires qu’ils définissent et adoptent en vue d’assurer la défense et la
sécurité de leur Etat et population. Ensuite, la conception d’une législation sur l’orientation et
la programmation de gestion et de sécurisation desdites ressources, serait bénéfique. Dans ce
cadre, les pays du continent pourraient intégrer, dans l’agenda de l’UA mais aussi dans ceux
d’institutions sous régionales dédiées à la sécurité, la question de sécurisation d’intérêts
fondamentaux des Etats membres, dont la maîtrise de l’espace politique africain est l’un des
objectifs géostratégiques des puissances étrangères.
Conclusion
En somme, il était question de savoir, dans cette réflexion scientifique, si l’UA
dispose d’une puissance diplomatique qui permette au continent de jouer le rôle qui est le sien
dans les négociations internationales. L’hypothèse émise était la suivante : souffrant d’une
compétence supranationale restreinte sur ses Etats membres, l’UA adopte une politique
étrangère réactive plutôt que proactive qui la conduit à une « diplomatie de créneau », c’est-à-
dire qui intervient en complémentarité sur les dossiers côtés ou délaissés par les puissances
occidentales et émergentes dans leur « sphère d’influence » respective sur le continent. En
effet, l’abandon par la majorité de ses pays membres de leur souveraineté au profit de
puissances étrangères entraine une incidence sur sa politique étrangère et corrélativement sur
ses diplomaties militaire et économique à savoir la dépendance et la sous-traitance. De ce fait,
outre l’impératif d’interpeler les autorités compétentes sur le nécessaire investissement dans le
renseignement, il est crucial qu’elles élaborent un document officiel de défense et de sécurité
commun aux Etats membres de l’institution régionale. Celui-ci permettra la sécurisation des
intérêts fondamentaux qu’elle aurait au préalable définit et circonscrit, et leur valorisation part
71
A., FogueTedom, Op. cit. 72
F., Charillon, Op. cit. 73
M., Charrel, Op. cit.
19
une diplomatie régionale proactive dotée d’une conscience géopolitique permettant de cerner
en enjeux géopolitique et géoéconomique en vigueur dans le monde post guerre.
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