Christian MONTÈS
Université Lumière Lyon 2Faculté GHHAT
La délimitation des Etats des Etats-
Unis, entre damier et p a t c h w o r k
du "grand XIXe s." états-unien (de l’indépendanceen 1776 à la transformation en Etats de plein droitdes derniers territoires contigus en 1890). Celapermet donc d’opposer deux acteurs biendifférents de la fixation des frontières, à savoir leRoi et son entourage au Congrès, c’est-à-dire unprocessus non démocratique à un processusdémocratique (théoriquement tout du moins),mais sans oublier que les lignes tracées par lespremiers ont le plus souvent servi de base à cellesdes suivants. En effet, même si les 13 coloniesoriginelles étaient confinées à une étroite bandecôtière à l’Est du continent3, leurs limites est-ouestavaient souvent été prolongées jusqu’au Pacifique(sur les cartes), préfigurant l’idéologie de la"destinée manifeste" proclamée au cours duX I Xe s .4 pour justifier la conquête souvent brutalede l’Ouest menée par les Etats-uniensnouvellement indépendants. En résulte undécoupage relativement varié où la simplicité dudamier le cède souvent à des formes pluscomplexes relevant de l’assemblage de morceauxhérités d’histoires nettement distinctes, à l’instard’un p a t c h w o r k, dont il s’agit de comprendre lesm o t i f s .
Durant ce processus, les colonies, territoires etEtats qui portent les noms des Etats fédérésactuels ont souvent connu des limites successivesfort différentes de celles qui les bornent aujour-d’hui. Il faut donc toujours préciser la date à laquel-le on se réfère : le Territoire du Missouri s’étendaitainsi en 1810 de la frontière avec le "Canada"britannique jusqu’à l’Arkansas. Ce n’est qu’à la findu XIXe s. que ces limites ont été stabilisées. Lafixation des limites suit donc de très près, et celan’a rien d’étonnant, le mouvement de la F r o n t i e r e ts’achève logiquement en même temps que lafermeture officielle de cette dernière (1893)5.
L’HÉRITAGE DES LIMITES COLONIALES
Ce paragraphe emploie l’adjectif "coloniales" etnon pas "britanniques", car ces derniers ne furentpas les seuls en cause. Il faut en effet aussi tenircompte des limites6 des possessions des deuxautres principales puissances coloniales del’Amérique du Nord, l’Espagne et la France. C’estbien l’Espagne qui fut la première puissancecoloniale de l’Amérique du Nord, au travers de saprovince de Floride dès le début du XVIe s. puis del’extension au nord du Mexique par la création duNouveau Mexique au début du XVIIe s. La Franceposséda quant à elle - nominalement au moins -toute la partie centrale du pays actuel, autour del’ensemble fluvial Mississippi-Missouri avec desplaces fortes et de commerce aussi connues queLa Nouvelle-Orléans, Saint-Louis ou FortPontchartrain d’Etroit (Detroit). Les limites de cescolonies furent elles aussi utilisées - ou disputées -lors de la création des nouveaux territoiresaméricains, avant même l’acquisition de laLouisiane en 1803 puis de la Floride en 1819.
Si les frontières extérieures des Etats-Unis et le
dessin de leurs divisions intérieures sont bienconnus, il n’en va pas de même des processusayant conduit à leur donner les contours qu’elles
présentent aujourd’hui. Les chercheurs américainsse sont en effet étrangement peu intéressés à laquestion. Pour preuve, la synthèse des processus
à l’œuvre reste à écrire. Les rares ouvrages sur laquestion relèvent de la compilation (Hart, 1897 ;Gannett, 1900 ; Douglas, 1932), y compris les plus
récents, le premier écrit à l’occasion duBicentenaire de l’Indépendance, plus proche de lanarration juridique que d’une analyse approfondie
(Van Zandt, 1976), le second proposant un recueilde cartes (Smith, 2004). Seuls sont disponibles lesexcellents condensés de Donald Meinig (1986-
1998) et quelques ouvrages concernant un Etatparticulier, axés surtout sur les composantespolitiques de la question, autour des thèmes de la
constitution de la Nation et des luttes entre lesdivers groupes d’intérêt (Schwartz, 1978 ;Hemperley et Jackson, 1993).
Pourtant, outre cet aspect politique, la mise enplace progressive des treize colonies fondatrices
puis leur extension à l’échelle continentale adonné lieu à d’intéressantes discussions sur lataille idéale d’un Etat, sur les liens entre les limitespolitiques et économiques, sur le rôle des fleuves,
qui traduisent une vision particulière de l’espace etdes limites qu’on lui prête1. Cet article entend doncexpliquer le processus incrémental, à la fois
théorique et pratique, qui a conduit aux structuresterritoriales actuelles de la république fédérale quesont les Etats-Unis. Il entend ensuite s’intéresser
aux logiques différentes entre la constitution deslimites étatiques et celles que dessine l’influenceéconomique, qui renvoie à l’idée du non
recouvrement des espaces (qu’ils soient politiques,économiques ou sociaux) et que l’on retrouveaujourd’hui en France dans la recherche de
l’impossible adéquation entre territoiresfonctionnels et territoires institutionnels (Vanier,2002). Il laissera toutefois de côté la constitution
des frontières internationales, qui servent certes delimite partielle à plusieurs Etats, mais qui relèventde logiques autres. C’est pourquoi il n’emploie pas
le terme qui vient pourtant presque immédiate-ment sous la plume, celui de "frontière" car MichelFoucher a clairement montré que pour qu’il y ait
frontière, il faut "une discontinuité géopolitique, àfonction de marquage réel, symbolique etimaginaire" (1991, p. 38) que l’on ne trouve pas
intégralement à l’intérieur des Etats-Unis2. Leterme de limite sera donc ici utilisé, du fait de saplus grande neutralité.
Cela n’a pas empêché la constitution des limitesinternes aux Etats-Unis d’être un processus
relativement long, puisqu’il débuta sous lamonarchie britannique, à l’origine des 13premières colonies, et se poursuivit tout au long
R É S U M É
Les limites des Etats fédérés
des Etats-Unis sont d’abord
les héritières de lignes
coloniales empreintes de
velléités impérialistes et
mercantiles qui se
prolongent jusqu’aux rives
du Pacifique, mais dont les
tracés restent peu précis, ce
qui alimenta un
factionnalisme parfois
violent. Elles reposent
ensuite sur la conception
que les Etats-Unis
indépendants se faisaient de
la mise en valeur des
territoires bientôt adjoints
aux 13 colonies initiales, tôt
confiée au Congrès. La taille
idéale d’un Etat fut dans ce
cadre considérée d’abord du
point de vue politique
(permettre à la démocratie -
blanche et protestante - de
fonctionner) et repose moins
sur des considérations
économiques, surtout
valables pour l’Est du pays
(autour du rôle des rivières).
Les sociétés locales ont
toutefois pesé dans la
subdivision ultérieure des
très vastes territoires
initiaux. Il en résulte un
p a t c h w o r k, palimpseste de
logiques successives qui ont
créé un ensemble d’aires
contiguës fort diverses en
décalage par rapport aux
logiques métropolitaines
réticulaires contemporaines.
MOTS CLÉS
Etats-Unis, Etats fédérés,
démocratie, héritages
coloniaux, limites politiques,
limites économiques.
A B S T R A C T
The internal boundary-
making of the United States
was based on colonial lines
reminiscent of imperialism
and mercantilism that
reached the Pacific, but that
had not been precisely
drawn thus nourishing a
sometimes violent
factionalism. This process
was later built on the
conception the independent
United States had of the
163ÉOCARREFOUR VOL 79 2/2004
Caroline, qui recouvrait la quasi totalité de la côtesud-est, du 36e au 31e degré de latitude nord.Cette création n’ayant abouti à aucune mise envaleur, la nouvelle Charte qui "recréa" la Carolineen 1665 s’étendait même du 29e degré de latitudenord - c’est-à-dire en pleines possessionsespagnoles - au 36°30 nord. Le but étaitnaturellement de contester à l’Espagne lapossession de cette portion du continent. En 1712,après une première vague de colonisation,comme il s’avérait que la colonie était bien tropvaste pour pouvoir être gérée depuis un pointunique, la Caroline fut subdivisée en deux, Nord etS u d1 0. Ces processus de subdivision tout commeceux de fixation des limites sont en fait lesrévélateurs des tensions de ces nouvelles sociétés,tant internes qu’externes, dont les enjeux ont étésoulignés dans une étude de l’Etat de New York :"La clé des débats frontaliers de [la colonie] deNew York réside dans le fait que leur résolution anécessité de parvenir à harmoniser les discordesentre groupes d’intérêt aux échelles locale, inter-coloniale et anglo-américaine"1 1.
Le "factionnalisme", terme que l’on utilisevolontiers dans l’analyse la vie politiqueaméricaine depuis qu’il a été exprimé par Madisonà la fin du XVIIIe s .1 2, a donc joué à plein lors de lafixation des limites intercoloniales, malgré lestentatives de la monarchie britannique d’y mettrebon ordre au travers de la doctrine exprimé parLord Clarendon lors de la Restaurationmonarchique du XVIIe s., qui accordait au roi et àson conseil la haute main sur la résolution de tousles conflits portant sur les limites des coloniesnord-américaines (Schwartz, 1979, p. xiii-xiv).L’une des raisons de cet échec partiel était le statuttrès divers des colonies. Une autre fut lacontradiction entre la doctrine Clarendon et lavolonté des colons de régler ces questionslocalement, parfois avec violence, comme dans lecas de la colonie de New York ou pluspacifiquement, comme dans le cas du NewHampshire et du Massachusetts, qui avaientconcédé les mêmes espaces à des personnesdifférentes. En témoigne le nom même de lacapitale du New Hampshire, Concord, quisymbolise l’esprit de compromis ambiant. La villeavait été créée en 1733 par le Massachusetts sousle nom de Rumford. Les disputes frontalières entrele Massachusetts et le New Hampshireconduisirent à l’inclusion de la majeure partie dubourg de Rumford dans la nouvelle municipalitéde Bow concédée par le New Hampshire, créantde nombreux conflits entre les deux bourgs quiportèrent préjudice à leur économie. Finalement,le 25 mai 1765, un nouveau village-paroisse(p a r i s h - t o w n) fut créé sur une partie de la ville deBow, du nom de Concord. La tradition veut que lenom exprimât "l’unanimité dans les buts et dansl’action qui avait caractérisé les habitants deRumford pendant leur controverse avec lespropriétaires de Bow"1 3. En 1774, les habitants de
La constitution des limites des 13 coloniesbritanniques originelles a, quant à elle, suivi troislogiques principales :- les avantages économiques que l’on pensait enr e t i r e r ,- le pouvoir de leurs dirigeants lorsqu’elles étaientde type "propriétaire"7 et plus tard provincesr o y a l e s ,- la capacité de contrôle et les divisions internesdes groupes pionniers lorsqu’elles furent fondéespar des groupes religieux.
Cela explique pourquoi les Etats du nord-est sontpetits alors que ceux du sud-est sontgénéralement plus vastes. Cela peut paraîtreparadoxal, car on se demande pourquoil’Angleterre a autorisé les Pères Pèlerins honnis àaccoster sur la côte nord, siège de la futureMegalopolis ? Tout tient à l’image que l’on avaitalors de la nouvelle colonie. On pensaitgénéralement avoir envoyé les puritains dans lapartie la plus inhospitalière du continent8. Lescolonies de spéculation étaient quant à elleslocalisées sur le côte sud-est que l’on considéraitcomme la plus riche du continent. Comme l’onrecherchait surtout du sucre et des épices dans lespremières colonies européennes, les lieux les pluschauds des nouvelles colonies étaient considéréscomme les plus hospitaliers, ceux dontl’agriculture était la plus prometteuse9. La petitetaille des Etats du Nord-Est vient non seulement dela faiblesse des apports migratoires initiaux (lecélèbre Mayflower ne transportait que 102personnes) mais aussi du processus ultérieur descission, fort classique dans le cas degroupuscules religieux (ou politiques). La rigiditédes nouveaux arrivants était telle (c’est bien pourcette raison qu’ils avaient été expulsésd’Angleterre !) qu’elle parut vite insupportable àune partie de ceux-là même qui la soutenaientinitialement. C’est ainsi que le plus petit Etat del’Union, le Rhode Island (3 100 km2), fut créé en1636 par Roger Williams, fuyant les persécutionsdont il était l’objet dans la colonie de la Baie duMassachusetts, à Boston. Il baptisa sa nouvellecolonie "libre" du nom approprié de Providence(Mc Loughlin, 1978, p. 9 ) .
La fixation des limites des colonies, comme celledes frontières, est une opération multiscalaire quia souvent conduit à des conflits lorsqu’il s’est agide fixer précisément sur le terrain les lignestracées sur une carte à petite ou moyenne échelle.Ce phénomène a été renforcé par la multiplicationdes chartes royales alliée à l’imprécision de lacartographie de l’époque. Lors des premièresattributions royales, la faible connaissance desnouvelles colonies a ainsi présidé à un découpagegrossier qui couvrait de très vastes portions dunouveau continent. La première colonie deVirginie, fondée en 1606 s’étendait ainsi du 34e a u4 5e degré de latitude nord avant d’être réduite en1609, ce qui permit la création en 1629 de la
164 VOL 79 2/2004 La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
1 - A la différence des colonies
insulaires tropicales de l’Angle-
terre, dont les limites étaient
marquées dans leur statut
d’île, les colonies d’Amérique
du Nord disposaient de
frontières occidentales con-
sidérées comme seulement
temporaires.
2 - Michel Foucher ne traite
d’ailleurs absolument pas des
limites internes des Etats-Unis,
mais présente dans son chapi-
tre 13 (L’Amérique du Nord et
ses trois Etats, p.407-430) une
synthèse très utile de la cons-
titution des frontières du pays.
3 - La faiblesse du nombre de
colons en était la principale
cause. Le premier recense-
ment états-unien, celu i de
1790, n’a compté que
3 9 0 0 000 habitants (dont
7 0 0 000 esclaves) dans la
jeune république.
4 - L’expression date de 1845,
sous la p lume de John
O’Sullivan, leader démocrate
et influent éditeur. Elle voulait
settlement of their newly
gained territories, early
granted to Congress. It first
considered the ideal size of a
state from a political point of
view (to enable a democratic
- white and protestant -
functioning) and only
secondarily the economy,
mostly for the Eastern part
of the country with rivers as
bases. However, local
communities weighed in the
subsequent division of the
very large initial territories.
The patchwork stemming
from this process offers a
palimpsest of successive
logics that has created a set
of contiguous but rather
diverse areas far from the
network functioning of
contemporary metropolises.
KEY WORDS
United States, federate
states, colonial legacy,
democracy, political
boundaries, economic
b o u n d a r i e s .
que la domination du continent
tout entier revienne "naturelle-
ment" aux Etats-Unis. Présen-
te en fi l igrane depuis les
débuts de la conquête
coloniale, exprimée sous une
autre manière en 1822 dans la
Doctrine Monroe, elle fut
particulièrement active durant
les années 1840, alors que le
pays venait de gagner d’énor-
mes territoires. L’expression
ne fit cependant l’objet ni
d’une définition très nette ni de
l ’unanimité de la classe
polit ique et fut peu à peu
abandonnée dans les années
1850 au profit de débats
internes sur l’esclavage. Il faut
dire qu’alors les Etats-Unis
s’étendaient déjà de
l’Atlantique au Pacifique. (voir
le site //odur.let.rug.nl/~
usa/E/manifest/manifxx.htm).
5 - Le terme de F r o n t i e r
correspond peu ou prou à celui
de front pionnier et ne doit pas
être confondu avec ceux de
border ou de boundary, utilisés
pour qualifier les frontières
internationales ou les limites
intérieures des Etats-Unis.
6 - A la suite de Michel
Foucher (1991, p. 409-410)
terme de limite est ici encore
préféré à celui de frontière en
raison du flou de tracés qui
relèvent plus du symbole que
de la réalité.
7 - Les "colonies de proprié-
taires" étaient octroyées par le
roi d’Angleterre à une person-
ne - souvent noble et issue de
son entourage immédiat - ou
un consortium de personnes
qui entendaient en retirer un
important profit. William Penn
obtint par exemple la Penn-
sylvanie en guise de paiement
des importantes dettes con-
tractées par le roi envers son
père. Les colonies "royales"
étaient directement dirigées
par le Roi et son conseil. I l
existait aussi des colonies
octroyées à des groupes
religieux expulsés pour sédition
d’Angleterre ou qui la quittaient
volontairement.
Congrès la prise de décision sur la fixation deslimites, en faisant un processus fédéral et non paslocal. En outre, la Constitution de 1787 accordait àla Cour Suprême la juridiction sur les conflits inter-étatiques sur cette question, situation qui n’étaitpas évidente en ces temps de tensions entrefédéralistes et partisans du droit des Etats1 6. Maisla transformation à terme des nouveaux territoiresen Etats était au cœur de la vision des Pèresfondateurs, qui ne voulaient en aucune manièrereproduire le schéma impérial de la Grande-Bretagne exécrée et considéraient donc que lesespaces nouvellement adjoints à l’Union devaientbénéficier des mêmes droits que les 13 coloniesfondatrices. Les sociétés locales de colons eurentcependant leur mot à dire, car les limites furentsouvent le résultat de compromis entre les factionsrivales qui parvenaient facilement à exposer leursarguments - intellectuels et parfois sonnants ettrébuchants - aux membres du Congrès.
LE CONGRES, CRÉATEUR DES LIMITES DE
"L’EMPIRE TRANSCONTINENTAL"
L’indépendance des Etats-Unis signala les débutsd’une vaste expansion territoriale à l’échelle ducontinent, sous l’égide de la destinée manifeste1 7
et de la rapide colonisation ou acquisition deterritoires qui en multiplièrent plusieurs fois lasuperficie initiale. Il fallait donc organiser cesterritoires "neufs" et s’assurer que leurs intérêtsseraient suffisamment pris en considération pourqu’ils ne songent pas à ne pas intégrer l’Union1 8.
En conséquence, le premier souci qui animait leCongrès était la stabilité politique et l’équilibrefuturs de l’Union bien plus que le futur équilibreéconomique des nouveaux Etats. La croyance -fondée sur l’exemple de la Grèce et les écrits deMontesquieu - qu’une république ne pouvaitsurvivre que dans des espaces relativement petits,de manière à être capable de lutter contre lestendances centrifuges dut toutefois céder devantl’union d’intérêts qui souhaitaient contrôler devastes espaces1 9. Le texte qui allait régir la formedu contrôle des territoires nouvellement acquis,l’Ordonnance du Nord-Ouest de 1787, a doncprévu la création de trois à cinq Etats seulement,ce qui permettait aussi aux 13 Etats originels deconserver la majorité, et donc le pouvoir, auCongrès. La situation fut toutefois bientôt modifiéelorsque de nouveaux territoires s’ajoutèrent àl’Union, d’abord avec l’acquisition de la Louisianeen 1803, puis avec les terres de l’Ouest, acquisesou colonisées avec violence. Selon la loi, leCongrès avait deux obligations quant à la taille desnouveaux territoires : ils devaient tout d’abord être"aptes au gouvernement" et ensuite tenir comptedes "affinités géographiques et de la dépendancede leurs parties " (cité i n Meinig, 1993, p. 4 4 0 ) .
Les huit premiers nouveaux territoires - quis’étendaient jusqu’au Mississippi - furent donc
Bow obtinrent des terrains dans le Maine (quifaisait alors partie du Massachusetts) où ilscréèrent la ville de… Bow, faisant définitivementcesser la controverse entre Bow et Rumford.
Lorsque la période britannique s’acheva, en 1776,les nouveaux Etats-Unis se retrouvaient donc avecun lourd héritage de conflits territoriaux encoresouvent vivaces. Les limites mêmes des 13colonies fondatrices n’étaient pas totalementfixées. Le Vermont fut ainsi l’objet de sollicitationsconcurrentes des Etats de New York et du NewHampshire, ce qui conduisit à des confusions,particulièrement entre 1777, date à laquelle unepartie des colons de ce qui était appelé les NewHampshire Grants s’autoproclamèrent Etat,jusqu’en 1791 où ils rejoignirent finalement lesEtats-Unis avec le statut d’Etat fédéré (Morrissey,1981). La dernière rectification aux limites du Nord-Est intervint plus tardivement encore, en 1820,lorsque le Maine devint un Etat séparé duMassachusetts (Judd et al., 1995, p.172). La raisonen était politique, car les habitants du Mainesupportaient mal la domination de la lointaineBoston et avaient exprimé dès les années 1780 lesouhait d’une gestion plus démocratique que cellede l’aristocratie côtière (l’opposition entre côte etintérieur est une constante aux Etats-Unis, toutcomme celle qui existait entre basses terres ethautes terres). La distance tant physique quesociale était en outre exacerbée par le h i a t u s q u iexistait entre le Massachusetts et le Maine, c’est-à-dire l’étroite bande côtière appartenant au NewHampshire où se trouvent les villes de Portsmouthet d’Exeter.
Toutefois, la principale question à laquelle devaitrépondre le Congrès était le traitement desterritoires inoccupés situés à l’Ouest desAppalaches, jusqu’au Mississippi (voire au-delà)que possédaient - nominalement au moins -plusieurs des 13 colonies. En effet, ces revendi-cations territoriales étaient plus ou moins en con-currence et le tracé de leurs limites étaient souventfort mal défini (Van Zandt, 1976, p. 4). Face àl’absence de toute doctrine antérieure efficace, ilétait urgent de définir une nouvelle méthode derésolution de ce futur gisement de conflits. Cettenécessité était renforcée par les arguments desEtats dépourvus de telles extensions, qui souli-gnaient que le budget des Etats-Unis ne sauraitêtre dépensé pour défendre des territoires qui nebénéficieraient qu’à quelques uns d’entre eux.
Le Congrès commença par demander le 30octobre 1779 à tous les Etats en possession deterres vacantes de ne pas en accorder laconcession et de s’abstenir de les mettre en valeur.Les Etats acceptèrent l’un après l’autre1 4 d etransférer la propriété de ces territoires à l’Etatfédéral, espaces qui devinrent donc les premierséléments du domaine public1 5. Quelles qu’ensoient les raisons, ce transfert accordait au
165VOL 79 2/2004La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
8 - Cf. Earle, 1992, chapitre 3,
Why the Puritans Settled in
New England. The Problematic
Nature of Colonization in North
America, 1580-1700, p. 59-87.
L’arrivée de nouveaux pion-
niers fut la principale cause de
la croissance urbaine de cette
partie des futurs Etats-Unis.
L’essor démographique fut
ainsi plus important dans le
Nord-Est, qui profita de
l’arrivée régulière de Puritains
expulsés d’Angleterre, que
dans le Sud-Est, qui suivait lui
les préceptes de la religion
établie, l’Anglicanisme.
9 - New York fait exception à
ce modèle, car la ville était
intéressante du point de vue
stratégique, permettant de
relier la partie nord de l’Empire
Américain Britannique - le futur
Canada - à sa partie sud - les
13 colonies - par les vallées de
l’Hudson et de la Mohawk.
10 - Là encore, l’imprécision
régnait, avec des conséquen -
ces parfois comiques : les
deux Carolines se sont long-
temps disputé l’honneur d’être
l ’Etat de naissance du
président Andrew Jackson
(Schwartz, 1979, p. xi).
11 - "The key to New York’s
boundary disputes is that their
settlement required the suc-
cessful harmonization of dis-
cordant interest groups on the
local, intercolonial, and Anglo-
American levels" (Schwartz,
1979, p.xii).
12 - Il caractérise les groupes
de pression de citoyens dont
l’action est déterminée par la
promotion d’intérêts particu-
liers au détriment de l’intérêt
commun.
13 - "The entire unanimity in
purpose and action which had
characterized the inhabitants
of Rumford during the period
of their controversy with the
proprietors of Bow" (Bouton,
1856, p. 242).
14 - L’Etat de New York fut le
premier à le faire le premier
- et voulait qu’elles soient situées au centre desEtats. Les tenants de l’autre conception souhai-taient que chaque Etat puisse se servir de larivière, et donc en fasse sa limite2 5. La rivière étaitalors le moyen de transport le plus rapide,particulièrement depuis l’arrivée des bateaux àvapeur, face à un réseau de routes encoreembryonnaire et très lent. Cela explique pourquoil’Iowa s’est battu pour obtenir à la fois leMississippi et le Missouri comme limites. C’estaussi la raison pour laquelle les habitants de St.Paul tenaient fermement à ce que le Minnesota aitune forme nord-sud qui permettrait à sonéconomie d’être basée tant sur l’agriculture quesur la forêt et comprendrait à la fois le courssupérieur du Mississippi et une partie du rivage duLac Supérieur - ce qui ouvrait de surcroît lapossibilité de construire une voie de chemin de ferqui relierait l’Ouest audit lac - et non pas la versionrurale est-ouest proposée par les habitants de sarivale St. Peter où les fleuves seraient limites etnon axes structurants (Lass, 1998, p. 1 2 1 )2 6.
Le rôle de la rivière fut plus important encore dansle cas du Missouri, pour lequel elle devait être un"facteur d’unification"2 7. Cette unification politiqueétait fondée sur l’idéal républicain cher àJ e f f e r s o n : une démocratie de petits propriétairesagricoles éduqués. Quoi de plus approprié alorsqu’un Etat centré autour d’un fleuve permettant derelier son économie agricole en constitution aureste de l’Union ? Comme les limites nord et suddu Missouri étaient des héritages de la Virginie ausud et du comté de Kent du Tennessee au nord,les "seules" questions étaient celles des limites estet ouest : le Mississippi convenait pour l’est et larivière Osage pour l’ouest (car au delàcommençaient les terres indiennes). Les limites duMissouri suivent donc trois lignes géométriques(d’orientation ouest, nord et sud) et le cours duMississippi. Le tracé définitif des limites de l’Etatmontre toutefois clairement l’influence dessociétés locales2 8 qui "modulent le modèle".
dotés d’une taille équivalant grossièrement à celledes plus vastes Etats originels (environ1 3 0 0 0 0 k m2, la superficie de l’Angleterre). Leurforme était néanmoins variable, car ils ont suivides logiques différentes, qui ne s’affranchissaientpas encore totalement des découpages antérieurs.Il faut en effet distinguer deux cas : les territoiresnon encore réellement colonisés où plus de libertéétait laissée au législateur et les territoires déjà enpartie mis en valeur où les héritages ont encorejoué. Cela permet d’opposer Nord-Est et Sud-Est.
LE NORD-EST, TERRE DE LIBERTÉ DANS LA
FIXATION DES LIMITES
Les trois premiers Etats découpés à l’intérieur duTerritoire du Nord-Ouest2 0 étaient des rectanglesbordés par des rivières et lacs. Donald Meinigconsidère d’ailleurs l’Indiana comme "le modèleabstrait d’une république états-unienne enc o n s t r u c t i o n "2 1. Un quasi-rectangle (la rivière Ohiolui sert de limite sud) constitué de rectangles (lest o w n s h i p s)2 2, il n’avait à première vue aucunesignification géographique. Certes, le Congrèsavait pensé à son futur développementéconomique et avait réservé 5% du résultat net dela vente des terres fédérales au financement publicd’infrastructures de transport. C’est ainsi que laRoute Nationale2 3 traverse Indianapolis le long deWashington Street, faisant de la nouvelle capitaleune étape importante sur la principale voieintérieure du pays, première phase de lacroissance ininterrompue d’Indianapolis.
Cet exemple montre que la "géographie" qui estprise en compte est économique et non"naturelle", fondée sur l’idée de limitesdéterminées par des éléments du relief. C’est ceque souligne la divergence d’interprétation du rôledévolu aux cours d’eau dans les nouveauxt e r r i t o i r e s2 4. Une première conception considéraitles rivières et leurs vallées comme des unitésgéographiques - en tant qu’espaces de production
166 VOL 79 2/2004 La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
Figure 1 : Les visions
opposées des limites du
Minnesota, ou l’économie
contre la politique
mars 1781 et la Géorgie le
dernier le 24 avril 1802 (après
avoir tenté à plusieurs reprises
de vendre certains de ces
territoires dans des conditions
parfois bien peu honorables,
ventes toujours annulées par
l’Etat fédéral, qui finit par les
acquérir lui même).
15 - Les dettes de guerre du
nouveau pays constituèrent
une autre raison de ce trans-
fert, car la vente de ces terres
devait permettre d’apurer la
dette publique (Hemperley et
Jackson, 1993, p.31).
16 - Cela constitue une modifi-
cation radicale par rapport aux
Articles de la Confédération
américaine, qui laissaient une
large place aux autorités
locales en la matière (sauf
dans le cas d’une demande
d’arbitrage par le Congrès). On
peut d’ailleurs souligner que ce
point constituait – et cela n’a
rien d’étonnant au vu des
multiples conflits "frontaliers"
qui avaient émaillé la période
coloniale - presque la p lus
longue section de ces Articles.
La Cour Suprême jugea même
après 1787 que le Congrès
devrait obligatoirement approu-
ver au moins implicitement les
accords à l’amiable entre les
Etats. Il était en outre seul juge
pour fixer les l imites d’un
Territoire, mais ne pouvait
modifier une limite étatique sans
le consentement de cet Etat.
17 - Pour justifier leurs ambitions
territoriales tout en refusant
l’impérialisme, les dirigeants de la
jeune république avaient déjà
avancé d’autres concepts, tel
celui "d’empire de la liberté" par
Thomas Jefferson ou de
"système américain" par John
Quincy Adams et Henry Clay
(Ruiz, 2004).
18 - Cela fut facilité par le fait
que l‘extension territoriale des
Etats-Unis n’a longtemps com-
pris que des terri toires de
langue angla ise ou des
espaces contrôlés par les
Indiens, que les Etats-uniens
n’ont pas un moment consi-
167VOL 79 2/2004La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
Figure 2 : Les limites du Missouri et le poids des sociétés locales
Conception CM, réalisation Marie-Laure Trémélo, d'après Rafferty et Paullin
disputée par la Caroline du Nord, autour del’interprétation de donations antérieures sur lescours d’eau exacts mentionnés.
Comme, du fait de traités avec les Indiens, leCongrès avait interdit en 1789 la vente desterritoires situés à l’ouest des Appalaches, et queparallèlement la mise en valeur de ces territoiresconduisait à des tensions entre les nouveauxcolons et "l’aristocratie" ancienne, les partiesoccidentales des anciens Etats furent rapidementtransformées en nouveaux Territoires ou Etats3 0.Le Kentucky (1792) et le Tennessee (1796) furentainsi séparés de la Virginie et de la Caroline duNord, dont ils ont conservé les limites. Pour ce quiest du Territoire du Mississippi, le gouvernementfédéral s’était accordé avec la Géorgie pour lecréer en 1798 au sud-est de l’Etat, qui en restaitcependant propriétaire3 1. Ce territoire était enquelque sorte le parallèle du Territoire du Nord-Ouest, formé lui par l’abandon par la Virginie deses territoires situées à l’ouest. Mais cettepossession virtuelle se révélant rapidementintenable face à la rapide mise en valeur de cesterritoires et à la volonté de leurs élites des’affranchir d’une tutelle lointaine (les Etats-Unisayant été fondés sur l’idée de démocratie directe),la Géorgie céda dès 1802 le reste de ses territoiresoccidentaux à l’Etat fédéral pour 1 2 5 0 0 0 0d o l l a r s3 2. Ils furent rattachés en 1804 au Territoiredu Mississippi. En 1810, la partie Sud de laLouisiane rachetée à la France devint le Territoired’Orléans. Dès 1812, leurs limites furent modifiéesd’une part pour permettre au Mississippi dedisposer d’un accès au Golfe du Mexique etd’autre part pour le diviser en deux Etats, lepremier conservant le nom de Mississippi et lesecond recevant celui d’Alabama. L’achat de laFloride en 1819 permit d’achever la mise en placedes limites actuelles - hormis quelquesrectifications mineures - de cette partie du pays.
Les premiers Etats créés à l’Est du Mississippisuivent ainsi peu ou prou les principes émis parles Pères Fondateurs, mais en tenant encorelargement compte des limites coloniales,particulièrement au Sud-Est. On pourrait penserqu’au delà du Grand Fleuve, territoire restélargement inconnu des premiers colonsbritanniques, il serait nécessaire d’adapter lesprincipes fondateurs. C’est bien ce qui s’estproduit, mais sans que les logiques généralesdiffèrent fondamentalement.
COMMENT DIVISER L’OUEST ?
Certes, qui observe une carte politique des Etats-Unis remarque que les Etats créés ultérieurementsont plus vastes et leurs formes tantôt pluscomplexes, tantôt d’une rare géométrie. Mais,parmi les facteurs essentiels figure encorel’héritage colonial - espagnol cette fois-ci - à côtéde la prise en compte de la vastitude des espaces.
dérés comme des possibles
détenteurs de réelle territoria-
l ité poli tique : de tra ités
bafoués en négociations
fallacieuses, la question fut
donc tôt réglée au profit
unique des Etats-uniens.
19 - Il n’en reste pas moins
que le principe même du
fédéralisme repose sur l’idée
qu’en multipliant ainsi les
"factions", les ambitions rivales
se trouvent multipliées et
atténuent la concurrence, ce
qui permet à la république de
fonctionner harmonieusement
(Marshall, 1988).
20 - L’appellation "Territoires
du Nord-Ouest" est trompeu-
se, car elle concerne des Etats
qui font aujourd’hui surtout
partie du Midwest du fait de
l ’adjonction ultérieure de
territoires situées encore plus
à l’Ouest.
21 - "The abstract model of a
constituent American republic"
(Meinig, 1993, p. 445).
22 - C’est justement parce que
le territoire à l’Ouest des 13
colonies fondatrices était
encore très largement inconnu
que Jefferson imagina ce
système géométrique d’orga-
nisation des espaces nouvelle-
ment mis en valeur (Maumi,
1999).
23 - Construite sur fonds
fédéraux, elle relia Washington
à Saint-Louis (qui fut atteinte
vers 1840) en passant par de
nombreuses capitales d’Etat,
indiquant que son rôle était
politique autant qu’économi-
que.
24 - On peut considérer
comme anecdotiques les
tensions entre Etats riverains à
propos de la délimitation à une
échelle très fine de leurs
limites fluviales. En effet, il
fallait s’entendre sur le tracé
exact des cours d’eau et
prendre en compte la
présence d’îles ainsi que les
modifications historiques du
tracé. C’est ainsi que la ville de
Ce poids se manifeste dans deux "entorses" aumodèle. Tout d’abord, une petite adjonction futeffectuée au sud-est - appelée The Bootheel, talonde botte - sous la pression d’un riche propriétaireterrien, J. Hardeman Walker (1794-1860).Fondateur de Caruthersville au Missouri, il usa desa très grande influence politique - il fut parexemple juge - pour que ses vastes possessions
soient régies par le même Etat. Une secondeextension eut ensuite lieu en 1837 au nord-ouest, àla suite de la pression des colons, attirés par la trèsgrande fertilité des terres. Cette extension futpermise par une transaction appelée P l a t t eP u r c h a s e, qui prévoyait un échange de terres avecles Indiens Sauk, Fox et Pottawatomie, auxquels
les Etats-Unis venaient pourtant d’accorder cesterres "à perpétuité"... La carte des densités del’Etat en 1840 montre clairement le rapide succèsde cet élargissement.
Dans la même veine, forts de l’expérience del’Indiana, dont les limites "abstraites" lui
permettaient certes de disposer d’une rive sur lelac, mais sans vrai port, les délégués de l’Illinoisont pris soin de négocier une extension de 66 kmvers le nord des limites qu’on leur proposait. Celaajoutait à l’Etat le port de Chicago, les mines deplomb de Galena, un futur canal et une immenseprospérité !
LE SUD-EST ET LA PERSISTANCE DES
HÉRITAGES COLONIAUX
La puissance de ces héritages se traduit d’abordpar le rôle classique de ligne de partage joué par
les rivières, comme le montre la figure 3.
En 1750, quatre colonies étaient déjà en place, laVirginie, les deux Carolines et la Géorgie. Lacréation de cette dernière en 1732 répond à lavolonté de Londres de protéger le flanc sud de lacolonie de Caroline du Sud2 9. Sa limite ouest avait
en outre été prolongée jusqu’au Pacifique, lignevirtuelle qui manifestait une volonté politique : laGrande-Bretagne disputant à l’Espagne et à laFrance le contrôle du continent, il était bon que sescartes matérialisent ses ambitions territoriales. Lesréalités géopolitiques se chargèrent de préciser laplace des uns et des autres. La signature du Traité
de Paris de 1763 conduisit la Grande-Bretagne àabandonner toute prétention sur les territoiressitués à l’ouest du Mississippi, fleuve qui devintdonc la limite ouest de la Géorgie. Quant à salimite Sud, elle fluctua au gré du sort de la Floride(divisée en deux colonies, Est et Ouest), attribuée àl’Angleterre entre 1763 et le second traité de Parisde 1783, qui la rétrocédait à l’Espagne. La partie
située entre la Floride et la Géorgie fut tantôt nonattribuée, tantôt adjointe à la Géorgie ou à laFloride de l’Ouest. Le Traité de 1783 ne réglait pasle sort de la frontière Sud. S’y ajoutaient lesconflits autour de la limite nord-ouest de l’Etat,
168 VOL 79 2/2004 La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
169VOL 79 2/2004La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
Figure 3 : Rivières et formation des Etats du Sud-Est, 1750-1830
Conception CM, réalisation Marie-Laure Trémélo d'après Paullin, 1932
généraux énoncés plus haut, mais aussi selon le
poids respectif des communautés pionnières
auprès de Washington. C’est ainsi que le très
vaste Territoire de l’Oregon, créé en 1848, a été
subdivisé avec d’abord la création du Territoire du
Washington en 1859, puis de ceux du Montana en
1864 et de l’Idaho en 1868, autour des
revendications d’autonomie de sociétés minières -
ou plus rarement agricoles - désireuses de ne pas
être dirigées depuis la très lointaine côte pacifique,
distante de plusieurs journées de voyage au
travers de montagnes bien peu praticables. Il en a
été de même pour le vaste Nebraska - auxquels
furent successivement retranchés le Colorado, le
Dakota, et le Wyoming - et l’Utah qui dut faire
place au Colorado, Nevada et Wyoming. Le tout
en l’espace de sept ans, durant la décennie 1860,
celle de forts booms miniers3 5.
Dans cet ensemble, le Colorado peut être étudié
plus précisément, car il est le premier exemple de
limites uniquement "états-uniennes", indépen-
dantes des lignes de partage datant des débuts de
la colonisation européenne, qui avaient tout demême perduré trois siècles. Rompant avec ces
logiques anciennes en présentant une forme
géométrique "pure" (un rectangle), il a été formé
en 1861 à partir de territoires déjà établis : l’Utah,
le Nouveau Mexique, le Nebraska et le Kansas,
dont les délimitations avaient suivi les logiques
plus anciennes des Espagnols, Français et Anglais
(Noel et al.). La limite entre Nebraska et Kansas
suivait en effet la ligne traditionnelle de
démarcation entre la Nouvelle Angleterre et la
Virginie sur le 40e parallèle. La limite Est de l’Utah
suivait quant à elle la frontière traditionnelle entre
la Louisiane française et les espaces revendiqués
par l’Espagne, et au sud les espaces revendiqués
par le Texas3 6. Le nouveau territoire n’a aucune
unité géographique : il est situé en partie dans les
Grandes Plaines, en partie dans les Rocheuses3 7. Il
ne dispose par ailleurs d’aucune limite "naturelle"
au nord et au sud, car ni la South Platte au nord, ni
la rivière Arkansas au sud n’ont été choisies. Le
rôle des pionniers fut ici majeur. En effet ces
derniers, installés lors de la ruée vers l’or de 1858,
avaient créé en octobre 1859 l’immense Jefferson
T e r r i t o r y3 8, qui, bien qu’il n’ait jamais été reconnu
par le Congrès, poussa ce dernier à légaliser en la
contrôlant cette velléité d’auto-organisation (Noel
et al, p. 14). Le nouveau Territoire du Colorado
souligne donc avec emphase la dissociation entre
le territoire économique et le territoire politique.
Ce dès l’origine, car pour survivre à l’éphémère
ruée vers l’or qui l’avait créée, Denver, sa capitale
politique et économique, dut construire une voie
de chemin de fer la reliant au Transcontinental,
qui passait au Nord par le Wyoming. Et
aujourd’hui, en un complet renversement de
situation, l’influence économique de Denver
dépasse très largement les limites de son Etat.
Le Texas (plus étendu que la France) comme laCalifornie ont en effet hérité de territoires déjà enpartie constitué par les Espagnols puis lesMexicains indépendants3 3. Le Texas est entré dansl’Union en tant qu’Etat indépendant du Mexique ettoutes les tentatives ultérieures de le diviser ontéchoué. Outre le "nationalisme" texan bien connu,ces deux Etats étaient de fait situés dans unenvironnement plutôt sec et personne ne pensaitalors qu’un siècle et demi plus tard ils seraientdevenus les Etats les plus peuplés de la nation.L’argument de la rareté des ressources fut plusgénéralement utilisé pour justifier l’admission devastes Etats dans l’union : le Minnesota obtint2 1 8 000 km2 sous le prétexte qu’il recouvrait denombreux espaces inutilisables. La géométrierégnait car les nouveaux Etats étaient, plus encoreque les précédents, l’expression de principesrépublicains sans qu’une attention particulière soitportée aux formes précédentes d’organisation,c’est-à-dire indiennes ou espagnoles ; on prenaitseulement quelque peu en compte le réseauhydrographique local, qui servait classiquementde limite (telles les rivières Snake et Columbia). Lerôle des rivières fut toutefois plus modeste quepour l’Est du pays, car l’économie de l’Ouest,espace plus sec hormis l’étroite bande côtière duNord-Ouest, ne reposait pas sur le transport fluvialcomme l’Est, disposant de cours d’eau bien moinsnombreux, dont les directions étaient peu utiles (leGolfe du Mexique ou le Pacifique, alors quel’Atlantique régnait alors) : c’est plutôt la ligne departage des eaux entre Atlantique et Pacifique quij o u a3 4. La taille finale de ces Etats varie de 200 0 0 0à 380 000 km2, du fait à la fois du petit nombred’implantations pionnières et de l’accroissementde la mobilité que le rail permettait. Le processusde constitution des Etats connut plusieurs étapes,ce que résume l’analyse du Nord-Ouest (fig. 4).
Si on compare ce processus avec celui du Sud-Estvu précédemment, on se rend compte que, bienque les étapes de division se soient succédé bienplus rapidement - en raison essentiellement de laplus grande rapidité des processus de mise envaleur -, les principes généraux ne furent pas trèséloignés. En effet, le point de départ était aussi laconstitution d’un Territoire très vaste, quirecouvrait plus les intentions impérialistes desEtats-Unis que la connaissance et la mise en valeurd’un territoire nettement identifié. Les espacesétaient certes déjà connus par les expéditions,officielles ou non qui les avaient arpentés et lesystème de cadastrage mis en place à la fin duX V I I Ie s. – le célèbre système du t o w n s h i p - était luiaussi prêt à les "arpenter", mais ils restaient engrande partie des terrae incognitae, au-delà de laF r o n t i e r, porteuses des espoirs de nombreuxp i o n n i e r s .
Ce n’est qu’une fois que les premiers groupes demigrants eurent constitué des sociétés locales quedes découpages intervinrent, selon les principes
170 VOL 79 2/2004 La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
Kaskaskia, fondée par les
Français et qui fut la première
capitale du nouveau territoire –
puis Etat - de l’Illinois 1809 à
1820, disparut lors de la
grande crue du Mississippi de
1881 qui a modifié le cours du
fleuve. C’est aujourd’hui
Kaskaskia Island, unique
portion du territoire de l’Illinois
située à l’ouest du Mississippi,
où vivaient neuf personnes en
2000 (Carrier, 1993, p. 11).
25 - On retrouvera ce type de
débat dans la première moitié du
X Xe s., avec des connota-tions
plus sinistres, entre les tenants
du "fleuve-frontière" et ceux de
"l’Etat-fluvial" à propos de la
frontière germano-française (cf.
Foucher, 1991, p. 2 3 ) .
26 - Les considérations écono-
miques se doublaient d’arrière-
pensées politiques. Un Etat
Est-Ouest aurait compris la
plupart des agriculteurs et
aurait été Républicain, alors
que les Démocrates
contrôlaient les principales
villes ; la présence de deux
représentants Démocrates au
Congrès assura leur victoire.
27 - "unifying factor" (Rafferty).
28 - L’emploi du terme "loca-
les" ne signifie pas que ces
sociétés étaient pleinement
indépendantes. La mise en
valeur des nouveaux territoires
a en effet largement reposé
sur l’ injonction de capitaux
venus des grandes villes de
l ’Est ainsi que d’Europe
(Grande-Bretagne et Allema-
gne particulièrement).
29 - S’y ajoutait les motivations
philanthropiques et commer-
ciales des fondateurs John
Percival et James Oglethorpe
et de leurs 19 associés
(Hemperley, 1993, p. 15). A
partir de 1752, la Géorgie
devint une colonie royale.
30 - La mise en place des
institutions territoriales états-
uniennes était elle même
incrémentale. Ainsi, avant
d’obtenir le statut d’Etat, un
Limites politiques, limites économiques
De fait, les centralités politique et économique nesont pas les mêmes : "les limites étatiques ont étédessinées par une histoire capricieuse et un Etatne constitue qu’occasionnellement (et donc parhasard) l’unité économique la plus logique soitpour faire de la politique soit pour fournir dess e r v i c e s "3 9.
Il n’est donc guère étrange que la hiérarchieurbaine nationale ne soit pas fondée sur lescapitales d’Etat4 0. Ainsi, même si certaines sont laprincipale ville de leur Etat, elle doivent souventcéder la primauté à une métropole située dans unEtat voisin ; Indianapolis est certes la métropoleincontestée de l’Indiana, mais elle est soumise aucommandement de Chicago ou New York4 1. Cettesituation provient des processus de constitutiondes limites étatiques, bien plus idéologiquesqu’économiques. Donahue avait donc tort lorsqu’ilaffirmait que le "caprice" était la principale force àl’origine de leur fixation. La dichotomie entrelimites politiques et économiques actuelles estaussi liée au fait que même si l’économie a étéprise en compte, il s’agissait pour la plupart desEtats de l’économie pré-industrielle. Cela expliquelargement l’utilisation les rivières comme limites,quand celles-ci étaient les principales artères de lanation. Or, l’avènement du chemin de fer etl’industrialisation eurent tôt fait de rendre cetteorganisation obsolète. Cette dichotomie est enfinliée au fait que c’est à l’Etat fédéral qu’a été confiéle soin de réglementer le commerce à l’échelle del ’ U n i o n4 2, ce qui, allié au choix du libéralismeéconomique, a empêché la création de marchéspurement "étatiques" internes aux Etats-Unis.
C’est ainsi que pendant la période de l’expansionvers l’Ouest, les communautés nouvellementcréées (de l’ouest des Grandes Plaines auxMontagnes) qu’elles soient ou non capitales,"étaient largement tributaires des villes plusimportantes de la bordure est des GrandesPlaines, telles Minneapolis, Omaha et Kansas City.Ces centres étaient à leur tour dominés parChicago, Saint Louis et ultimement New York …Au mieux, la ville de l’Ouest pouvait espéreratteindre un statut respectable mais relativementbas dans la hiérarchie métropolitaine générale"4 3.La figure 5 montre que les zones commercialesdiffèrent largement des limites étatiques (Meinig,1998, p. 298).
Helena (capitale du Montana) faisait par exemplepartie de la zone commerciale de Butte (Idaho) ; leDakota du Sud était divisé en trois zonescommerciales : le nord était contrôlé parMinneapolis-St. Paul (Minnesota), le centre etl’ouest par Sioux Falls (Dakota du Sud), et unepetite partie au sud par Omaha (Nebraska), Pierre,la capitale, n’exerçant aucune influence. Même lazone commerciale d’une capitale bien plus
171VOL 79 2/2004La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
Figure 4 : La constitution des Etats du Nord-Ouest des Etats-Unis, 1850-1870 : le
poids des sociétés minières
Conception CM, réalisation Marie-Laure Trémélo d'après Paullin, 1932
espace devait presque tou-
jours passer par deux phases
intermédiaires, pendant les-
quelles il n’était encore que
"Territoire" - avec parfois un
passage par le statut de comté
d’un Etat ou Territoire - aux
pouvoirs locaux plus limités au
profit du Congrès. Ce n’est
qu’une fois qu’il avait atteint le
seuil de 60 000 habitants qu’il
pouvait demander le statut
d’Etat, accordé avec plus ou
moins de rapidité en fonction
des intérêts poli tiques et
économiques du moment.
L’Alaska et Hawaï ne sont ainsi
devenus des Etats qu’en 1959.
31 - Cette création avait été
aussi permise par l’abandon en
1795 par l’Espagne de ses
revendications territoriales au
Nord de la Floride.
32 - La nouvelle limite ouest
de la Géorgie devint alors la
rivière Catahoochee au Sud et
une " l igne di recte jusqu’à
Nickajack" au Nord (35e). Sa
l imite est était la r iv ière
Savannah. Un accord signé en
1805 avec la Caroline du Nord
confirma le 35e p a r a l l è l e
comme leur limite.
33 - La fixation exacte de leurs
frontières est liée aux tenta-
tives des sociétés blanches,
anglo-saxonnes et protestan-
tes nouvellement installées de
régner sur les espaces les plus
vastes possibles, ainsi qu’aux
limites de leur pouvoir.
34 - Elle est d’ailleurs appelée
Atlantic Divide en angla is,
soulignant nettement l’océan
qui comptait.
35 - Outre l’or, l’argent et le
cuivre ont été particulièrement
importants. En témoigne le
surnom du Nevada (S i l v e r
State).
36 - Cet amoncellement de
revendications s’était d’ailleurs
traduit par des changements
de domination, certaines
parties de l’actuel Colorado
ayant changé neuf fois de
mains…
172 VOL 79 2/2004 La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
importante comme Columbus était loin de couvrirla totalité de l’Ohio, prise en tenaille par celles deCleveland au nord et de Cincinnati au sud.Globalement, seules 12 capitales disposaientd’une aire d’influence commerciale propre4 4.L’évolution de l’économie au cours du XXe s. n’afait qu’accentuer cette dichotomie, les processusde métropolisation ayant succédé à l’ère del’industrialisation et du chemin de fer étant de plusen plus indépendants des frontières nationales et
donc plus encore des subdivisions locales. Lamétropolisation actuelle repose en outre sur unelogique réticulaire, alors que celle des Etats estz o n a l e .
C o n c l u s i o n
Cette analyse tend à montrer que c’est plutôt unpatchwork que composent les limites intérieuresdes Etats-Unis. La superposition - et parfois laconfrontation - des vestiges d’une histoire quicommence à être longue, des idéaux d’une jeune
république continentale en formation et des désirsde sociétés locales en essor ne pouvait en effetpermettre la réalisation d’un damier parfait àl’échelle des Etats comme elle avait presque pu lefaire à l’échelle locale (le t o w n s h i p)4 5. Le motif dece patchwork est aujourd’hui familier et accepté. Ila en effet été composé à partir de morceaux detissu de formes et de provenances peut-êtrediverses, mais qui ont été rassemblés par un
destin commun. Ces limites sont donc aujourd’huiaussi solidement encrées sur les cartes qu’ellessont ancrées dans les esprits des habitants dechaque Etat des Etats-Unis. La très grandediversité de leurs superficies a d’ailleurs été traitéedès le départ par un bicamérisme qui fonde lareprésentation sur la population dans l’une desdeux chambres (celle des Représentants) maisaccorde deux élus par Etat dans l’autre (le Sénat).La question qui se pose aujourd’hui est donc pluscelle des fonctions des limites inter-étatiques quecelle de leurs tracés ou de leurs éventuellesmodifications. Les limites ne servent pas debarrière économique, mais jouent un rôle fortdans deux domaines. Politique d’abord, par laliberté dont les Etats fédérés disposent par rapportà l’Union, par leur rôle prépondérant lors descampagnes présidentielles (de primaires engrands électeurs). Socio-culturel ensuite, par leurschoix en matière de régulation du fonctionnementde la société et le réel attachement qu’ils suscitent(un Texan n’est pas un Orégonien !). Pourreprendre la définition de Michel Foucher, elles nesont pas de réelles discontinuités géopolitiques,mais servent de marquage symbolique et réel,créateur d’une identité "fédérée" qui se superposepartiellement à une identité nationale minimal4 6.En ce sens, certaines d’entre elles deviendraientpeut-être peu à peu des "vraies" frontières.
Pas toujours cependant, comme le montrel’analyse à une échelle plus fine : la petite station
Figure 5 : Aires d’influence commerciale et limites
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de ski de Killington dans le Vermont réclame ainsi
son rattachement au New Hampshire, pourtant
distant de 56 km (The Economist, 2004). La cause
est financière : plutôt que de payer 20 millions de
dollars d’impôts annuels (et de ne recevoir en
retour que le dixième de la somme), les 1 1 0 0
habitants de cette riche et égoïste station
préfèreraient rallier un Etat où l’impôt sur le
revenu n’existe pas. S’il est très peu probable que
cette sécession soit acceptée par les autorités de
l’Etat, des précédents existent : lorsqu’en 1977,
Martha’s Vineyard, station balnéaire de l’élite du
Massachusetts, voulut faire sécession, plusieurs
Etats se proposèrent de l’accueillir, et le Vermont
en faisait partie. L’attachement à un Etat put donc
pâlir face à des questions financières, attitude
plutôt courante à un échelon inférieur de la maille
administrative du pays, celle des municipalités. De
nombreux quartiers urbains aisés ont demandé à
être érigés en municipalité4 7 pour éviter de payer
des taxes à une municipalité pauvre et ont souvent
obtenu gain de cause (Staten Island n’a pu en
revanche jusqu’à présent obtenir satisfaction et fait
toujours partie de la commune de New York), ou
ont résisté aux velléités d’annexion d’une ville plus
pauvre, à l’image des stars de Beverly Hills
(municipalité fondée en 1914) en 1923 face aux
appétits territoriaux d’un Los Angeles qui les
entoure pourtant complètement. Questions
d’échelle et de temporalité…
B I B L I O G R A P H I E
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173VOL 79 2/2004La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
37 - Ce manque d’unité s’est
fait sentir jusqu’aux débuts du
X Xe s. En effet, jusqu’à l’avè-
nement des transports moder-
nes, il était impossible de relier
en hiver l’est et l’ouest de
l’Etat, car les routes étaient
impraticables et les avions ne
parvenaient pas encore à fran-
chir la barrière des Rocheuses.
38 - Du 102e au 110e méridien
et du 37e au 43e parallèle.
39 - "[s]tate boundaries have
been drawn by a capricious
history, and only occasionally
(and then by accident) does a
state consti tute the most
logical economic unit for either
making policy or delivering
services" (Donahue, 1997,
p. 162).
40 - Contrairement à ce que
l’on pourrait croire, le choix des
capitales n’a pas relevé de la
volonté de dissocier le
polit ique de l’économique,
mais de logiques complexes
où la volonté de centralité le
disputait aux compromis
politiques. Les villes devenues
capitales politiques voulaient
toutes devenir des capitales
économiques, mais peu y
réussirent en raison justement
de processus de constitution
des limites des Etats ne
relevant pas essentiellement
de principes économiques.
41 - Cette situation de dépen-
dance souffre "naturellement"
de quelques exceptions, au
premier rang desquelles on
trouve Boston. Mais ce ne
sont que des exceptions, la
majorité des capitales n’étant
que des villes petites (telle la
capitale du Vermont, Montpel-
lier, 8 035 h.) ou moyennes.
42 - C’est plus largement au
nom de cette fonction de
régulation du commerce inter-
étatique que la Cour Suprême
a pu conférer progressivement
de nombreux pouvoirs à l’Etat
fédéral.
43 - "stood largely tributary to
larger cit ies on the eastern
edge of the Great Plains, such
as Minneapolis, Omaha, and
Kansas City. These centers
were dominated in turn by
Chicago, Saint Louis, and
ult imately, New York… At
best, the western city could
hope to achieve a respectable
but relatively low status in the
general metropolitan hierar-
chy" (Stelter, 1973, p. 189).
44 - Salt Lake City, Denver,
Minneapolis-St. Paul, Des
Moines, Oklahoma City, Little
Rock, Atlanta, Boston,
Richmond, Columbus, Indiana-
polis et Nashville.
45 - Il en est allé de même lors
de la constitution des
départements français en
1790 où la volonté étatique
initiale de découper la France
en 100 rectangles égaux s’est
heurtée aux "réalités" pour
donner le patchwork actuel.
46 - Les observateurs s’accor-
dent en effet sur la difficulté à
trouver une "mentalité natio-
nale (national mind)" aux Etats-
Unis.
47 - Les Etats-Unis possèdent
à la fois des municipalités
(zones dites "incorporées"
proches de nos communes) -
mais elles ne couvrent pas la
totalité de l’espace - et des
zones dites "non incorporées",
placées sous le contrôle direct
des comtés, échelon intermé-
diaire entre les Etats et les
municipalités et qui couvrent
tout le territoire. De nouvelles
municipalités peuvent être
créées soit par sécession
d’une partie d’une municipa-
lité existante, soit par "incor-
poration" d’un espace jusqu’a-
lors non incorporé. La
procédure doit dans tous les
cas être approuvée par les
deux-tiers de la population de
la future municipalité et par la
législature de l’Etat concerné.
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174 VOL 79 2/2004 La délimitation des Etats des Etats-Unis, entre damier et patchwork
Adresse de l'auteur :
Faculté GHHAT
5 avenue Pierre Mendès-
France
CP 11
69676 BRON cedex
E.mail :
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