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PRESCRIPTIONS ET INCITATIONS,
tracés dans les Fictions Interactives
de type Adventure (IFA)
Un support visuel qui accompagne le fil de cet article est disponible sur
http://interlivre.fr/2013/ELO/#/
Les fictions interactives écrites sous l’influence du modèle-‐texte Adventure de
Will Crowther (Interactive Fiction like Adventure ou IFA) s’inscrivent dans le
champ de ce qu’Espen J. Aarseth appelle cybertexte ou littérature ergodique,
c’est à dire des textes qui requièrent une action extra-‐noématique non triviale
pour être lues, ou en d’autres termes, des textes dont la lecture implique
d’avantage le lecteur1. Nick Montfort les qualifiera de literary machines, 2 des
machines, dont l’existence matérielle ou simplement conceptuelle, les destine à
générer de la littérature.
Pour rappel, les fictions interactives de type Adventure présentent, à notre sens
trois caractéristiques principales:
• Elles sont presque exclusivement textuelles : parfois quelques
illustrations peuvent accompagner le texte, mais l’essentiel de la lecture
se joue au niveau des caractères alphanumériques (voire des
sinogrammes s’il s’agit du chinois, des kanji et des kanas pour le
japonais….).
• L’interaction qu’elles permettent avec le texte est produite par un input
textuel du lecteur, en d’autres mots, lire c’est écrire des commandes qui
affectent la fiction et font progresser l’histoire.
1 (Aarsethc, 1997) 2 (Montfort, 2003)
2
• L’univers de la fiction est simulé par un programme et joué. La
progression du lecteur dans l’intrigue consiste principalement dans son
exploration.
A travers ces trois caractéristiques, nous ne cherchons pas à analyser en détail
les fictions interactives ni à en donner une description définitive mais plutôt à
donner une idée générale de ce qu’elles permettent pour mieux faire
comprendre leur nature à ceux qui les connaissent le moins, nous n’oublions pas
que N. Montfort leur attribue quatre caractéristiques essentielles dans Twisty
Little Passage qui représente à l’heure actuelle l’ouvrage de référence du
domaine3.
Pour compléter cette brève présentation, nous vous proposons un exemple de
fiction interactive. Il s’agit du début d’un texte écrit avec Inform et présenté avec
le reader Spatterlight.
La première capture montre la page que l’on obtient au début de la lecture.
En bas de page, le lecteur doit écrire l’action qu’il compte entreprendre pour
avancer dans l’histoire et lire.
3 (Montfort, 2003)
3
Les commandes en vert sont les inputs du lecteur, nous pouvons voir que les
actions commises influent sur l’univers et la progression de la fiction. La veste
prise sur le sol est enlevé du sol et porté par le personnage qui peut ensuite aller
vers le nord. S’il ne portait pas la veste, il n’aurait pas pu avancer.
Et pour achever cette rapide présentation des IFA, nous souhaitons expliquer
très rapidement notre choix terminologique.
Généralement la communauté parle d’IF pour fictions interactives (Interactive
Fictions). Nous préférons le terme IFA que nous jugeons plus précis et qui limite
les IF à des textes écrits dans la continuité de la première IFA Adventure (d’une
manière très large) et qui sont essentiellement textuelles (que ce soient au
niveau des actions que le lecteur peut commettre que de la lecture elle-‐même).
Ainsi des fictions interactives comme Façade, Gone Home, Dear Esther, Journey,
The Path… pour ne citer que quelques exemples de fictions que nous
recommandons chaleureusement par ailleurs sont exclus du champ des IFA.
Quoi qu’il en soit, l’une des particularité des IFA consiste dans le nombre d’outils
et de solutions techniques qui sont spécifiquement dédiés à leur production :
TADS, Inform, RAGS, Adrift…
4
Mais il est intéressant de voir en même temps que, malgré la prolifération de ces
outils, les textes permis s’inscrivent grosso-‐modo dans une archi-‐forme
commune, un architexte4 dont la force inclusive joue un rôle prescriptif et
favorise une unité qui pourrait s’approcher d’un genre. 5
Comme souvent, l’architexte se construit grâce à la présence d’hypotextes
influents6, c’est le cas des IFA et l’on peut citer au moins deux textes majeurs aux
origines de la forme : Adventure, le texte initial, et la série des Zork qui est sans
doute l’une à avoir rencontré le plus de succès et qui a marqué profondément le
champ.
De plus, l’architexte ne joue pas seulement un rôle directement sur les créations,
mais il opère également sur la conception des outils qui permettent d’écrire des
fictions interactives. Concevoir un outil pour écrire IFA, c’est imaginer déjà ce
qu’est une IFA.
A quel point cette anticipation de l’IFA conditionne et formalise son écriture ?
C’est justement la question à laquelle nous chercherons à répondre désormais.
Nous nous concentrerons sur un outil particulier afin d’atteindre une précision
satisfaisante pour mener à bien notre entreprise. Nous avons retenu la solution
qui nous paraît à la fois la plus complète et la plus utilisée pour écrire des
fictions interactives, celle qui a permis de faire émerger les IFA créatives les plus
remarquables de l’ère post-‐commerciale : Inform. Nous nous concentrerons sur
la dernière version de cette solution technique, c’est à dire la version 7.
Inform, crée par Graham Nelson en 1993, est à la fois un environnement de
développement dédié (un IDE) et un langage de programmation pensé pour la
production de fictions interactives. La septième version du langage de
4 Au sens de Genette (Genette, 2004) plutôt que celui d’Y. Jeanneret et E. Souchier (Souchier et Jeanneret, 2005) qui s’approchent plus de notre concept de tracés. 5 Toutefois, il est vrai que l’observation des singularités des modes de production d’IFA dans ce cadre privilégié où les différences ressortent particulièrement est un objet d’étude sur lequel nous souhaiterons revenir une prochaine fois, ne serait-ce que pour voir comment et à quel point des modes de production différents(les outils d’écriture ) peuvent réellement conduire à des résultats équivalents (des IFA dont il n’est pas évident de savoir l’origine logicielle). 6 (Genette, 1982)
5
programmation est une surcouche de la version 6 qui rapproche
considérablement Inform du langage naturel. A travers ce changement, qui a
surpris la communauté, Graham Nelson, concepteur, lui-‐même auteur de
plusieurs IFA marquantes, a manifesté son intention d’ouvrir le plus possible les
outils d’écriture numérique à des publics ne connaissant pas la programmation
en à facilitant la lisibilité du code7.
En tant qu’IDE8 , Inform propose une interface d’écriture coupée en deux
panneaux modulables et dont le panneau gauche montre par défaut le code
source et le droit, un aperçu du texte lu en cas de texte valide et un message
d’erreur en cas d’échec, ou bien la documentation (à la première ouverture du
document).
[slide 17]
Contrairement à une écriture traditionnelle, la production d’un texte avec Inform
peut ne pas être comprise par l’application et donc ne pas être valide. C’est à dire
que le texte écrit ne pourra ensuite être compris et compilé pour être traduit en
fichier lisible par un logiciel de lecture d’IFA. Nous reviendrons par la suite sur la
description de cette architecture technique.
Parce qu’il s’agit d’un langage de programmation, Inform 7, malgré sa flexibilité
et ses possibilités limite clairement en interdisant certaines pratiques. Toutefois,
il ne faut pas considérer ces interdictions qui sont plus d’ailleurs des
prescriptions (il faut écrire certaines choses d’une certaine manière pour que le
texte soit valide et il est possible de « mal » écrire mais le « mal écrit » ne
fonctionnera pas) seulement comme des limitations du potentiel créatif, elles
peuvent jouer également, tout comme le font les contraintes littéraires le rôle de
canalisateur et favoriser la créativité9.
7 Voir Graham Nelson sur Inform 7 (Nelson, Graham, 2005) 8 Environnement de développement (Integrated Development Environement) 9 Nous pensons par exemple aux fameuses contraintes de l’Oulipo, la contrainte comme ouvroir de potentiels littéraires.
6
Nous chercherons à mettre en lumière ces prescriptions du logiciel et nous les
compléterons rapidement par ce que nous qualifions d’incitations. La solution
technique, par son architecture, propose une affordance particulière pour
l’écriture. Cette affordance est en fait un ensemble de fonctionnalités pensées
pour faciliter la pratique du rédacteur. Faciliter l’accès à un mode de production
encourage ce dernier à y avoir recours tout comme l’inverse peut l’en dissuader.
Ce sont ces phénomènes que nous rangeons sous la bannière générale des
incitations.
Ainsi à partir des tracés que sont les incitations et les prescriptions, nous nous
proposons de voir comment Inform 7 travaille l’écriture.
Nous proposons d’opérer dans une logique de mise en visibilité de l’évidence10
les décisions que le technique impose ou par lesquels il travaille tout du moins le
geste d’écriture.
Avec le substantif « tracés », nous recourons à une métaphore pour qualifier des
parcours qu'il est plus ou moins obligatoire de suivre, nous préférons l’ouverture
de ce terme à d’autres comme « formalisations » par exemple connoté
négativement.
Un logiciel est conçu à partir de la scénarisation de ses usages. Une fois le
programme mis sur le marché, les usages peuvent être déplacés par les
utilisateurs, complètement détournés, peu employés ou au contraire pratiqués
exactement comme les concepteurs l’avaient espérées. Quoiqu’il en soit, c’est à
partir de la prise en main réelle d’une solution technique que les pratiques
émergent.
Les utilisateurs disposent d’une certaine liberté pour choisir comment pratiquer
une solution technique, cette liberté est plus ou moins restreinte, plus ou moins
réelle ou ressentie.
10 Voir (Jeanneret, 2001)
7
Un tracé est une marque qui peut permettre à un voyageur d’atteindre plus
facilement une destination. A certains moments, d’autres moyens permettent
d’atteindre la même destination, les autres chemins sont plus longs, plus
difficiles ou tout simplement n’ont pas encore été découvert, d’autres fois, il n’y
en a pas, un seul pont traverse la rivière.
Sortir des sentiers battus ouvre de nouvelles pistes mais demande un solide sens
de l’orientation. Le tracé a dans tous les cas une valeur incitative, parfois, quand
il ne lui existe pas d’alternative, il a valeur d’obligation.
Le tracé est ce "dont on a fait marquer, dessiner la trace" [Tlfi], il y a l'idée que
quelqu'un au préalable est déjà passé et propose une voie. Cette proposition de
voie se retrouve au sens littéral dans l'écriture du logicielle qui a été pensé à
travers des scénarios d'usages.
La notion de tracé telle que nous la définissons est proche de la notion
d'architexte comme elle a été comprise et utilisée par Jeanneret et Souchier qui
se sont, à notre sens, écartés de la définition originelle de Genette.
Nous commençons et nous concentrerons nos efforts sur l’analyse des tracés par
les prescriptions.
Avec Inform, certaines conditions sont requises pour qu’un texte soit valide11. En
effet, l’écrivain codeur se doit de respecter des règles établies au préalable sans
lesquelles le programme ne peut être opérationnel, nous qualifions ces règles de
prescriptions.
Les prescriptions consistent en l’ensemble des règles et d’actions qu’il est
nécessaire d’appliquer et de respecter pour que le texte soit valide.
Nous distinguons trois niveaux macro de prescription :
• Le code
• L’interface 11 Concernant la question de la validité, savoir si un texte ou non est valide est simple, nous
considérons qu’il l’est à partir du moment où l’interpréteur de l’IDE « comprend » le texte et le
joue, il ne l’est pas quand un message d’erreur s’affiche et que le texte n’est pas interprété.
8
• Le logiciel
Les types de prescription au niveau du code :
Par code nous entendons, le langage Inform 7 que nous utilisons pour écrire une
ficiton interactive.
Nous proposons de distinguer trois catégories de prescription au niveau du
code :
• Les prescriptions fondamentales
• Les prescriptions syntaxiques
• Les prescriptions narratologiques
L’ensemble des commandes requises pour que le programme soit opérationnel
constitue les prescriptions fondamentales.
Quand l’utilisateur commence à écrire un texte avec Inform, une première ligne
de code est générée automatiquement : un titre et un nom d’auteur sont
attribués par défaut à la fiction interactive (le titre donné est celui du fichier, le
nom celui du propriétaire du logiciel).
9
Si l’utilisateur décide de compiler son texte pour le lire à ce moment précis du
processus de création, un message d’erreur apparaît. Le texte n’est pas encore
valide.
La validation d’un texte exige l’application une condition initiale : il faut déclarer
(au sens informatique, c’est à dire faire comprendre à la machine que la variable
existe) un objet (là encore au sens informatique) de type pièce qui est appelée
« room » dans le code.
La déclaration de « room » est une première manifestation de prescription. Pour
qu’un texte soit valide, il est donc nécessaire d’écrire un texte de type
« La variable 1 is a room. »
10
Par prescription syntaxique, nous entendons l’ensemble des règles qui
détermine la rédaction des commandes, c’est à dire comment elles doivent être
écrite pour être correctement interprétées.
Par exemple la nécessité de terminer chaque commande par un point, de fermer
les guillemets, de respecter les conventions d’écriture des structures types
comme « [one of] ….[or]…[then purely at random]. »
Si nous reprenons l’exemple précédent, les règles syntaxiques obligent à
ponctuer la phrase d’un point (l’équivalent du point virgule en programmation),
les noms de variable peuvent contenir des espaces. Ainsi, un premier exemple
d’application concrète pourrait être :
« La grande chambre is a room. »
Avec les prescriptions narratologiques, nous nous trouvons encore en phase
d’étude préliminaire. A quel point l’outil peu-‐il conditionner la structure d’une
IFA et lui interdire certaines qualités narratives?
11
Dans son ouvrage le récit interactif12, Serge Bouchardon en suivant les traces de
Genette distingue « trois notions que recouvre le terme récit » : le signifiant(le
texte), le signifié (l’histoire) et l’acte narratif (la narration).
Un peu plus loin, il écarte le jeu vidéo du récit en distinguant la narration du jeu
dramatique : grosso-‐modo, la narration permet de raconter l’histoire alors que le
jeu la fait vivre. Si le jeu ne peut être narration, il ne peut être récit.
A quel point Inform, au-‐delà du non respect éventuel de l’architexte des IFA par
ses écriveurs, ne prescrit-‐il pas déjà lui-‐même le jeu dramatique ? Est-‐il possible
de créer des récits interactifs avec Inform ?
Les prescriptions de l’interface
Nous passerons plus rapidement sur les prescriptions de l’interface et sur les
prescriptions logicielles.
Les prescriptions d’interface concernent toutes les règles que l’IHM oblige
l’utilisateur à respecter pour que son texte soit opérationnel. Ces prescriptions
sont donc particulièrement liées à l’IDE d’Inform.
Toutefois il est à noté qu’il est possible de s’affranchir de cette interface et de
directement écrire des IFA en Inform via une console.
Néanmoins, nous pouvons relever au moins une prescription essentielle
concernant l’interface graphique (qu’il s’agisse de la console ou de celle de
l’application dédiée) : le texte écrit mêle à la fois contenu et structure. Le texte
est considéré comme du code et il est nécessaire de le compiler.
D’autres solutions techniques comme Adrift par exemple tenderont plutôt à
séparer le contenu de la structure et se serviront de la GUI pour cacher le plus
possible le code.
12 (Bouchardon, 2009)
12
Les prescriptions logicielles
Les prescriptions logicielles comprennent toutes les obligations relatives à
l’architecture technique du logiciel. Nous pouvons en distinguer trois types.
• Des prescriptions structurelles
• Des prescriptions internes
• Des prescriptions héréditaires
Les prescriptions structurelles concernent l’ensemble des règles qui sont
dictées par l’architecture technique globale des IFA. Inform est un outil qui
permet de compiler les textes en plusieurs formats différents. Ces textes peuvent
être ensuite lus avec plusieurs « reader » comme Frotz, Spatterlight… qui
dépendent des « devices » sur lesquels paraissent les IFA et qui peuvent
rétroactivement impliquer des choix sur les textes. Par exemple la plateforme
Playfic13 permet de publier directement des IFA sur le web mais ne peut pas lire
les fichiers Glulx ; vouloir écrire une IFA qui soit compatible avec playfic signifie
qu’il faudra recourir probablement à des textes traduits en « .z5 » ou « .z8 ».
A noter qu’une grande partie des problématiques de ces prescriptions est liée à
la volonté d’étendre les IFA au web, de nombreux outils passionnants ont été
développés ou sont toujours en cours de développement, nous pensons à
Vorple14 par exemple.
Les prescriptions internes concernent les règles liées à l’architecture technique
interne d’une IFA. Le recours à certains modules ou extensions entraine
certaines contraintes. Selon qu’une IFA est écrite avec Z-‐Machine ou Glulx, les
limites et les possibilités ne sont plus les mêmes, certaines extensions ne sont
plus valables… Certaines extensions peuvent causer préjudices à d’autres et en
empêcher l’usage.
13 playfic.com 14 http://vorple-if.com/
13
Les prescriptions héréditaires concernent les règles relatives au langage de
programmation lui-‐même sur lequel Inform se fonde. A quel point Inform est-‐il
lui-‐même formalisé et affecté par le support qui le fonde et à quel point cette
influence se traduit dans les usages envisagés ?
Ainsi, pour clarifier les différentes prescriptions observées, trois niveaux macro
sont distingués : le code, les interfaces et le logiciel, le code et le logiciel sont eux-‐
même subdivisés en trois sous parties.
Au delà des prescriptions, plusieurs éléments exercent une influence sur la
pratique d’écriture.
Afin de ne pas démesurément allonger notre exposé, nous passerons plus
rapidement sur ce point en espérant pouvoir y revenir plus longuement dans
une prochaine étude.
Définition des incitations : Par incitations, nous entendons les procédés qui orientent le processus
d’écriture mais dont le non respect n’affecte pas l’opérabilité du texte comme
c’est le cas avec les prescriptions.
Par exemple, même s’il est nécessaire de déclarer un objet « room » (comme
nous venons de le voir avec les prescriptions), il n’est pas obligatoire d’en
déclarer plusieurs. Pourtant, l’économie de moyens que la répétition d’une telle
opération représente, les pratiques mises en avant par les tutoriels d’Inform,
l’architexte des IFA (productions existantes), conduisent à produire un code avec
plusieurs objets « rooms ». L’écriveur est incité à spatialiser son texte et à faire
de son rapport au territoire le constituant premier de son histoire.
Les niveaux : Nous retrouvons avec les incitations les mêmes niveaux que pour les
prescriptions.
14
• L’exemple des rooms est un exemple qui se joue au niveau du code.
• L’interface de l’IDE, par le choix de sa division en deux parties, de son
bouton replay, de son skein, son index… regorge d’éléments propices aux
incitations.
• La structure logicielle rend peut-‐être plus difficile la distinction entre
incitations et prescriptions, nous proposons un exemple : il est possible
par exemple d’ajouter des extensions permettant de créer des hyperliens
dans une fiction interactive, mais ses liens ne sont pas toujours reconnus
par les readers (Spatterlight par exemple ne les reconnaît pas), toutefois,
la non-‐reconnaissance des hyperliens n’empêche pas le texte d’être
opérationnel. Mais l’écriveur peut être incité par cette contrainte
technique à éviter l’extension voire à créer une nouvelle extension pour
répondre à ce problème et déplacer sans doute son texte pour l’y adapter.
Des types d’incitation : Cependant, contrairement aux prescriptions, les incitation font office de supra
catégories regroupant de nombreux phénomènes différents. L’incitation peut
pousser à agir et écrire mais elle peut aussi au contraire faire se détourner.
Plusieurs motifs orientent ce champ : l’économie au sens de peu d’efforts
nécessaires pour produire certains objets (les rooms, les scènes, les random pour
les chaînes de caractère…), la difficulté (écrire un dialogue avec Inform).
Par exemple, l’IFA, Galathea écrite en 2000 par Emily Short propose une IFA sans
déplacement possible. Toute la fiction gravite autour de la rencontre avec la
statue Galathea, véritable Pygmalion abandonnée par son créateur.
De plus, la plupart des interactions se font presque toutes au cours d’un dialogue,
le dialogue qui fait partie des points les plus complexes à maîtriser avec Inform.
L’auteur fait ainsi ici, un véritable pied de nez aux incitations positives en les
renversant. Cette transgression des règles est souvent un moteur pour l’écriture
des IFA.
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Alors pourquoi s’intéresser aux tracés d’outils dédiés à l’écriture créative ? Nous
proposons pour conclure plusieurs pistes pour situer notre réflexion dans une
perspective plus large sous la forme de cinq terrains de questionnements.
1° L’étude des tracés peut s’inscrire dans une logique d’évaluation et de
conception de solutions destinées à l’écriture voire à d’autres logiciels. Nous
espérons mettre en œuvre une grille de lecture capable de faciliter la
qualification de certains services et d’aider à leurs conceptions. Notre projet de
recherche s’accompage d’ailleurs en parallèle de la mise en œuvre d’outils pour
faire émerger de nouvelles pratiques d’écriture.
Inspiré par le framework Undum, nous travaillons actuellement à la réalisation
d’un framework HTML/JS nommé Infictio.
Nous avons déjà pu réalisé un texte de démonstration de cet outil disponible sur
e-‐critures.fr/2013/automne .
2° Quelle place se doivent d’occuper les outils pour l’écriture numérique
créative ? Les outils formalisent-‐ils irrémédiablement les créations ? N’existent-‐
ils que pour servir de tremplin ? Doivent-‐ils être destinés à des missions
pédagogiques afin de faire rejouer assez facilement les moments de découverte
que les premiers pionniers de l’écriture numérique avaient ressentis en réalisant
eux-‐mêmes des logiciels à l’utilisation beaucoup plus complexes ?
3° A quel point les tracés peuvent permettre relire et critiquer les IFA mais aussi
peut-‐être différentes productions à vocation littéraire, nous avons cherché à en
montrer un exemple avec notre survol de Galathea et nous espérons pouvoir
poursuivre notre réflexion sur ce point en nous livrant par exemple non pas à
une contre histoire des IFA mais peut-‐être sur comment elles se sont écrites et
continuent de s’écrire contre les limites des outils.
4° L’écriture est hybridée par le numérique. A travers l’analyse des tracés, nous
souhaitons mettre en œuvre une méthodologie pour mieux comprendre les
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déplacements engendrés par l’arrivée du numérique dans le champ social. Une
grande partie des efforts de recherche se concentre, c’est compréhensible, sur le
développement de nouveaux possibles à partir de l’hybridité, nous proposons de
trouver des moyens pour essayer de mieux comprendre ce qu’elle implique et
éventuellement de pouvoir contribuer à une hybridation éthique du
contemporain.
Finalement, nous pouvons rajouter que le champ des IFA est un domaine
d’observation privilégiée dans le sens où il est extrêmement bien documenté
grâce aux efforts d’une communauté que nous tenons à remercier aujourd’hui et
plus ou moins stabilisé.
En même temps, nous n’oublions pas qu’il existe à l’heure actuelle de très
nombreux programmes d’écritures et nous espérons pouvoir mettre en œuvre à
la fois un cadre d’analyse exportables mais aussi en paralèle comme avec Infictio
des solutions techniques permettant de favoriser l’émergence de nouvelles
pratiques d’écriture numérique. Nous sommes justement, dans le cadre de notre
thèse en train de réfléchir à la conception d’une plateforme de ce type.
17
Bibliographie :
• AARSETHC E. J. Cybertext: perspectives on ergodic literature. Baltimore (Md.), Etats-‐Unis, Royaume-‐Uni : [s.n.], 1997. 203 p.ISBN : 0-‐8018-‐5578-‐0.
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• GENETTE G. Fiction et diction. Paris, France : Éd. du Seuil, 2004. 236 p.(Points. Série Essais, ISSN 1264-‐5524, 511)ISBN : 2-‐02-‐063180-‐6.
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• MONTFORT N. Twisty little passages : an approach to interactive fiction. Cambridge, Mass. : MIT Press, 2003. ISBN : 0262134365 9780262134361.
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• SOUCHIER E., JEANNERET Y. « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran ». Commun. Langages [En ligne]. 2005. Vol. 145, n°1, p. 3-‐‑15. Disponible sur : < http://dx.doi.org/10.3406/colan.2005.3351 >