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BINE Charles Lycée Louis-le-Grand
MASDAR Masdar, 0% d’émission, une utopie?
Ce document a été imprimé sur papier recyclé
Année: 2010 -‐ 2011
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SOMMAIRE Introduction : ......................................................................................................................................................................... 3
I) Masdar, ville écologique de A à Z : ............................................................................................................................ 5
A) La construction sans émission : .......................................................................................................................... 5
B) Pourvoir aux besoins des habitants : ................................................................................................................ 5
II) Une meilleure Production, gestion et utilisation des énergies ................................................................... 9
1. Une production propre des énergies ................................................................................................................. 9
A. L’énergie Solaire .................................................................................................................................................... 9
B. Energie Éolienne .................................................................................................................................................. 17
2. Une meilleure utilisation et gestion des énergies produites et des déchêts. .................................. 18
III) Masdar : une utopie qui se rapproche du paradis terrestre ? .............................................................. 21
1. Qu’est-‐ce que l’utopie ? .......................................................................................................................................... 21
A. L’utopie : un genre littéraire traversant les époques .......................................................................... 21
B. Thomas MORE ..................................................................................................................................................... 24
C. La ville idéale : une utopie est-‐elle nécessairement irrationnelle ? .............................................. 29
2. Masdar au service de la science ou au service d’une utopie ? ............................................................... 34
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INTRODUCTION :
Masdar, 0% d’émission, tel est le nom donné au projet le plus ambitieux des
dernières années. Il arrive au milieu d’une époque où l’écologie et les préoccupations
quant aux énergies et à la pollution se font grandissantes. De par les objectifs que le
gouvernement des Emirats s’est fixé et les attentes internationales, le projet Masdar
apparaît comme le plus grand chantier à l’aube de ce nouveau siècle. Situé à 25
kilomètres au Sud d’Abu Dhabi, la petite ville de Masdar ambitionne d’être dans
moins de 15 ans la première ville écologique et autonome du monde, peuplée par 50
000 habitants et pas moins de 1500 entreprises. Divisé en 5 branches, ce qui
correspond en fait à une véritable multinationale, a pour but de révolutionner
l’économie des Emirats Arabes-Unis, l’un des principaux exportateurs de pétrole au
monde et producteur de 10% des réserves mondiales. En effet, dans l’optique de
l’épuisement des stocks de pétrole -de plus en plus préoccupante pour les principaux
exportateurs- le pays a lancé ce projet Masdar dans le cadre d’une politique de
réorientation économique baptisée Economic Vision 2030, basée sur les énergies
renouvelables et un complexe densifié de recherche et développement. C’est dans ce
contexte pour le moins agité que le gouvernement a investi près de 20 milliards de
dollars, en coopération avec la compagnie pétrolière des Emirats, l’une des plus
influentes au monde. Les objectifs avoués de cette véritable société commerciale sont
en réalité d’imposer les Émirats comme une plaque tournante dans le secteur des
énergies renouvelables, complétant ainsi son statut de grande puissance exportatrice
d’hydrocarbures. A cette fin, le projet a été divisé en 5 sous branches, permettant ainsi
une meilleure gestion des objectifs et des capitaux. Ainsi, le projet Masdar est
composé d’une succursale « Masdar City », regroupant tous les aspects de
l’urbanisme et de l’utilisation d’énergies propres. « Masdar Institute » concerne quant
à elle tous les programmes de recherches lancés en parallèle et visant à alimenter le
projet. Ainsi, déjà 180 scientifiques de 25 pays différents s’affairent dans les
laboratoires du Massachussetts Institute of Technology, en partenariat avec le
gouvernement. Les succursales « Masdar Power » et « Masdar carbon » traitent quant
à elles de la production et du recyclage d’énergies propres, ainsi que d’un traitement
optimal du carbone dans la ville. Enfin, la branche intitulée « Masdar Capital »
regroupe tous les fonds du projet, investis dans la production d’énergies
renouvelables, la création de services adéquats et les programmes de recherches
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scientifiques. Outre l’émission de 0 particule de carbone, le gouvernement ambitionne
de n’émettre aucune particule de carbone pendant la construction du site, ce qui paraît
un objectif démesuré au vu de l’ampleur du projet. Qu’elles soient environnementales,
économiques ou énergétiques, les ambitions du gouvernement d’Abu Dhabi relèvent,
sinon de la pure utopie, d’un projet pharaonique. Il est ainsi logique de soulever la
question qui résume à elle seule le projet : Masdar, 0 émission : une utopie ? Pour
répondre à cette problématique, nous étudierons tout d’abord dans deux premières
parties l’aspect scientifique du projet, de la production d’énergies renouvelables
jusqu’à l’utilisation propre de ces énergies et au recyclage des déchets. Dans une
dernière partie, nous étudierons enfin l’utopie dans la littérature, concept que nous
lierons au projet Masdar.
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I) MASDAR, VILLE ECOLOGIQUE DE A A Z :
A) LA CONSTRUCTION SANS EMISSION :
Comme nous l’avons mentionné précédemment, les autorités responsables du
projet ambitionnent de réaliser une ville entièrement écologique du début à la fin,
comprenant ainsi la construction du site. Cependant, il paraît invraisemblable de
construire des bâtiments, de créer un réseau routier dense et de doter la ville de toutes
les facilités nécessaires (bâtiments publiques, parcs, stade de sport) sans utiliser ne
serait-ce que la moindre once de pétrole. Et c’est bien là que réside toute la démesure
du projet.
B) POURVOIR AUX BESOINS DES HABITANTS :
Outre son statut de ville écologique, Masdar revendique celui de ville
autonome, vivant en autarcie par rapport au reste du monde. Pour ce faire, la cité a
besoin de ses propres cultures, de son énergie, ainsi que de toutes les matières
premières nécessaires à la vie quotidienne des habitants (eau, tissus, matériaux de
construction). Un projet de centrale photovoltaïque a donc vu le jour pour répondre
aux besoins en électricité des habitants. La production d’une telle centrale est estimée
à 100 MW et pourrait même atteindre 500 MW après la mise en route du projet. Afin
de conserver une température supportable dans ce désert aride, la ville est cernée de
hauts murs empêchant les souffles de vent chauds et les tempêtes de sable de pénétrer,
garantissant un confort optimal pour ses habitants. Ces murailles sont aussi très
représentatives de l’envie de demeurer coupés du monde. Pour répondre aux besoins
alimentaires des habitants, de nombreux champs de culture sont projetés, dont la
plupart sous serre et légèrement à l’extérieur de la ville.
Les cultures sont quant à elles irriguées par les eaux usées traitées auparavant selon le
traitement des eaux classiques. En effet, le processus est divisé en deux étapes
majeures. La première étape est celle du prétraitement physique, qui vise à éliminer
les déchets les plus volumineux et les plus lourds. Le dégrillage (par grille et peigne)
retient les déchets de taille supérieure au centimètre, le dégraissage fait remonter en
surface graisses et détergents autour de bulles d'air, et les récupère dans une fosse à
graisse. Le dessablage permet quant à lui d'éliminer par sédimentation les matières les
plus lourdes, dont le sable. Les matières les plus fines sont quant à elles retirées par
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décantation. Au cours de cette étape, l’eau monte et descend dans des tuyaux,
permettant ainsi aux particules de se déposer au fur et à mesure. La deuxième étape
consiste en un traitement biologique des eaux décantées. Dans des bassins aérés, des
micro-organismes aérobies se multiplient et digèrent toutes les matières organiques.
Chlores et sulfate de fer éliminent les bactéries pathogènes et les phosphates encore
présents. L’eau ainsi traitée se voit débarrassée de toutes particules pathogènes ou
solides, et est ensuite utilisée pour l’irrigation.
Reste cependant le problème majeur que représente l’approvisionnement en
eau dans un pays aussi aride que les Emirats. Le principe le plus courant est la
désalinisation, qui consiste à extraire le sel de l’eau de mer pour la rendre ainsi
buvable. Différents processus de dessalement de l’eau existent, mais le plus moderne
et le plus écologique est la méthode dite de l’osmose inverse. Dans cette technique, un
prétraitement semblable au traitement des eaux est nécessaire (pré filtration,
décantation…) afin de ne pas entraver le bon fonctionnement du processus.
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CHEMINEMENT DE L’EAU LORS DU DESSALEMENT PAR OSMOSE INVERSE
Cette technique repose sur le principe de l’osmose, un phénomène naturel qui consiste
à la migration de l’eau douce vers l’eau salée à travers une membrane semi-
perméable. Ce phénomène est dû à la concentration de l’eau salée supérieure à celle
de l’eau douce. L’équilibre s’établit à la pression osmotique, qui évolue en fonction
de la concentration de l’eau salée. La technique d’osmose inverse consiste donc
simplement à inverser le processus de l’osmose, en appliquant une pression P
supérieure à la pression osmotique. La pression P va ainsi inverser le phénomène et
l’eau va migrer à travers la membrane semi-perméable, formant ainsi de l’eau douce
propre à la consommation.
PRINCIPE DE L’OSMOSE ET DE L’OSMOSE INVERSE
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Ainsi, au moyen de techniques de pointe, les ingénieurs de Masdar ambitionnent de
pourvoir à tous les besoins des habitants, permettant ainsi la vie en autarcie désirée
par les autorités pour éviter toute forme de pollution.
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II) UNE MEILLEURE PRODUCTION, GESTION ET UTILISATION DES ENERGIES
Masdar constitue, outre un projet ambitieux et fascinant, une véritable
révolution scientifique. Ce grand dessein présente trois caractéristiques: production
d'énergies renouvelables et propres, gestion rigoureuse de l'énergie, traitement
novateur des déchets permettant la réduction du rejet de carbone.
Le premier objectif concerne la production de nouvelles sources d'énergie
renouvelable et non polluante. La situation géographique de Masdar présente des
inconvénients, bien sûr, mais aussi des avantages.
La deuxième contrainte, également géographique et climatique, est celle du
désert de sable, aride, peu propice aux cultures et à la sédentarité. La ville sera donc
conçue de manière à rester respirable, elle sera en partie souterraine, sillonnée de rues
étroites qui préserveront la fraîcheur, entourée de hauts murs qui la protégeront des
vents brûlants.
Mais cette situation offre des avantages non négligeables, et qui sont,
précisément, le soleil et la chaleur. L'énergie solaire peut générer l'électricité, au
moyen de panneaux photovoltaïques dont seront équipés les toits des habitations.
Cette même énergie peut garantir la climatisation. Elle permet même d'alimenter une
usine de désalinisation qui approvisionnerait Masdar en eau potable. Ainsi maîtrisé,
intelligemment exploité, le climat cesse d'être un ennemi pour devenir un précieux
allié.
1. UNE PRODUCTION PROPRE DES ENERGIES
Masdar va donc dans un premier temps se préoccuper de la production
d’énergies propres afin de réduire son émission de carbone. Pour ce faire, les
ingénieurs du projet vont principalement s’investir dans l’énergie solaire et l’éolienne.
A. L’ENERGIE SOLAIRE
Le solaire est une des énergies renouvelables les plus simples à utiliser. Elle est en
outre présente en grande quantité. Elle a cependant quelques inconvénients majeurs
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qui pourraient l’empêcher de devenir l’énergie renouvelable du futur. En effet,
comme quasiment toutes les énergies renouvelables, le solaire n’est pas stable et varie
en fonction de :
• l'énergie solaire envoyée par le Soleil (fluctuations décennales, saisonnières, et
ponctuelles).
• la nébulosité (nuages, brouillards, etc.), qui est importante à l'équateur et plus
faible en milieu intertropical.
• la latitude, la saison et l'heure, qui influent sur la hauteur du soleil et donc sur
l'énergie par unité de surface au sol, ainsi que sur la nébulosité en fonction du
climat local.
La répartition de l’énergie solaire reçue au sol est donc très variable en fonction de la
position géographique (Cf. doc 1), mais aussi de la météo locale.
Doc 1: La répartition de l'énergie solaire reçue au sol.
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Les techniques pour capter une partie de cette énergie se déclinent sous quatre
formes. On peut distinguer le solaire passif, le solaire thermique, le solaire
thermodynamique et le solaire photovoltaïque.
L’ENERGIE SOLAIRE PASSIVE
La plus ancienne et certainement la plus importante, utilisation de l'énergie
solaire consiste à bénéficier de l'apport direct du rayonnement solaire, c'est-à-dire
l'énergie solaire passive. Pour qu'un bâtiment bénéficie au mieux des rayons du Soleil,
on doit tenir compte de l'énergie solaire lors de la conception architecturale (façades
doubles, orienté vers le Sud, surfaces vitrées, etc.). L'isolation thermique joue un rôle
important pour optimiser la proportion de l'apport solaire passif dans le chauffage et
l'éclairage d'un bâtiment. Un exemple ancien pourrait être le colisée Romain,
construction à ciel ouvert bénéficiant de la lumière naturelle pour l’éclairage. (cf. doc
2).
Dans une maison solaire passive, l'apport solaire passif permet de faire des
économies d'énergie importantes. Dans les bâtiments dont la conception est dite
bioclimatique, l'énergie solaire passive permet aussi de chauffer tout un bâtiment pour
un coût proportionnel quasi nul.
Les avantages de cette énergie solaire passive résident dans le fait qu’elle est
une énergie abondante et non polluante. Cependant, elle suppose la conception de
bâtiments et la mise en place des composants de construction appropriés (éco
construction ou architecture bioclimatique) afin d’utiliser l'énergie solaire pour
l’éclairage naturel, le chauffage ou la climatisation. En plus de réduire la
consommation d’énergie, un avantage primordial que procure l’énergie solaire
passive est le confort ressenti par les occupants.
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Doc 2: Le colisée est une construction qui utilise l'énergie solaire passive pour
l'éclairage
Cette énergie reste l’une des clés de voute du projet Masdar. En effet, après
construction, elle ne nécessite presque aucune aide extérieure pour son
fonctionnement. Cependant, cette énergie se limite à chauffer ou éclairer. Elle se
limite également à la présence du rayonnement solaire. Masdar va donc probablement
l’employer, mais en accord avec d’autres sources d’énergie.
L’ENERGIE SOLAIRE THERMIQUE
L'énergie solaire thermique consiste à utiliser la chaleur du rayonnement
solaire. Ce rayonnement se décline de différentes façons : en usage direct de la
chaleur : chauffe-eau et chauffages solaires, cuisinières et sécheuses solaires ou
encore en usage indirect, la chaleur servant pour un autre usage : rafraichissement
solaire, centrales solaires thermodynamiques.
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L’avantage de l’énergie thermodynamique réside dans le fait qu’on utilise la
chaleur plutôt que la lumière même du soleil. La chaleur peut en effet être canalisée et
être utilisée plus facilement que la lumière. L’inconvénient majeur de l’énergie
thermodynamique est, tout comme l’énergie solaire passive, le fait qu’elle est peu
rentable pour une autre application que le chauffage direct.
Masdar va probablement utiliser cette énergie pour, par exemple, le chauffage
d’eau (cf. doc 3) pour la cuisine ou les sanitaires. Cependant, étant très peu prévisible,
il sera impératif d’avoir une solution secondaire pour le chauffage.
Doc 3: Un chauffe-eau solaire
L’ENERGIE SOLAIRE THERMODYNAMIQUE
Le solaire thermodynamique est une technique solaire qui utilise le solaire
thermique pour produire de l'électricité, sur le même principe qu'une centrale
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électrique classique (production de vapeur à haute pression qui est ensuite turbinée),
ou éventuellement directement du travail mécanique (le terme solaire mécanique est
alors employé).
Le solaire mécanique permet l’application « directe » de cette énergie : il est
possible de concentrer la chaleur du soleil. C’est en effet le fonctionnement de la
cuisine solaire qui consiste à préparer des plats à l'aide d'un cuiseur ou d'un four
solaire (cf. doc 4). Les petits fours solaires permettent des températures de cuisson de
l'ordre de 150 °C et la confection des mêmes plats qu’une cuisinière à gaz.
L'utilisation de l'énergie solaire pour la cuisson des aliments, au delà d'être
gratuite et abondante sur certaines zones géographiques, permet également de réduire
la déforestation dans certains pays ou la cuisine au bois et au charbon est la norme.
Elle permet du même coup la diminution des émissions de CO2 dans l'atmosphère.
Bien qu’encombrant et nécessitant un réajustement périodique, les fours
solaires représentent une possibilité viable pour les demandes de chaleur nécessaires à
la cuisson d’aliments. Masdar va probablement en faire usage, notamment dans les
restaurants et les boulangeries, malgré sa taille imposante et peu pratique.
Doc 4: Le plus grand four solaire de 1000 kW d'Odeillo, à droite un petit four
personnel
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L’ENERGIE SOLAIRE PHOTOVOLTAIQUE
Le terme « photovoltaïque » peut désigner le phénomène physique (l'effet
photovoltaïque découvert par Alexandre Edmond Becquerel en 1839), ou la technique
associée.
L'énergie solaire photovoltaïque est l'électricité produite par transformation
d'une partie du rayonnement solaire avec une cellule photovoltaïque. Plusieurs
cellules sont reliées entre elles sur un module solaire photovoltaïque. Plusieurs
modules sont regroupés pour former une installation solaire chez un particulier ou
dans une centrale solaire photovoltaïque. L'installation solaire peut alimenter un
besoin sur place (en association avec un moyen de stockage) ou être injectée, après
transformation en courant alternatif, dans un réseau de distribution électrique (le
stockage n'étant alors pas nécessaire).
Le principe de l'obtention du courant par les cellules photovoltaïques s'appelle
l'effet photoélectrique. Dans un semi-conducteur exposé à la lumière, un photon
d'énergie suffisante arrache un électron, créant au passage un « trou ». Normalement,
l'électron trouve rapidement un trou pour se replacer, et l'énergie apportée par le
photon est ainsi dissipée. Le principe d'une cellule photovoltaïque est de forcer les
électrons et les trous à se diriger chacun vers une face opposée du matériau au lieu de
se recombiner simplement en son sein : ainsi, il apparaîtra une différence de potentiel
et donc une tension entre les deux faces, comme dans une pile (cf. doc 5).
Doc 5: Un schéma montrant l'émission d'électrons depuis une plaque métallique. L'émission de chaque électron (ligne bleue) requiert une quantité minimale d'énergie, laquelle est apportée par un photon (ligne rouge).
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Plusieurs techniques existent :
• Les modules solaires monocristallins : ils possèdent un meilleur rendement au
m², et sont essentiellement utilisés lorsque les espaces sont restreints. Le coût,
plus élevé que celui d'une autre installation de même puissance, contrarie le
développement de cette technique.
• Les modules solaires polycristallins : c'est le meilleur rapport qualité - prix et
les plus utilisés. Ils ont un bon rendement et une bonne durée de vie (plus de
35 ans), et peuvent être fabriqués à partir de déchets de l'électronique.
• Les modules solaires amorphes : ces modules ont un grand avenir car ils
peuvent être souples et ont une meilleure production par faible lumière. Le
silicium amorphe possède un rendement divisé par deux par rapport à celui du
cristallin, ce qui nécessite plus de surface pour la même puissance installée.
Toutefois, le prix au m² installé est plus faible que pour des panneaux solaires
composés de cellules.
Cette forme d'énergie reste aujourd'hui quantitativement négligeable ; on lui prédit
néanmoins un grand avenir grâce au progrès qu'on en attend (le coût en devrait
fortement baisser dans les années à venir), grâce à sa simplicité et à sa polyvalence :
sans entretien et durable, pouvant fonctionner avec ou sans réseau, elle peut répondre
aux besoins en énergie électrique d'une maison (capteurs sur le toit) ou d'une
industrie, contrairement aux autres formes d'énergie solaire qui ne produisent que de
la chaleur.
Ainsi, l’énergie photovoltaïque va probablement composer une partie importante
de l’électricité à Masdar. La région dans laquelle se trouve cette ville bénéficie d’un
important rayonnement solaire au sol. Cependant, toutes les énergies solaires
partagent un grand défaut : leur dépendance à cet astre relativement imprévisible.
Le futur sera probablement clément pour cette énergie. En effet, chargeurs de
batteries, ventilateurs, lampes de jardin, pompes hydrauliques, etc. Aujourd'hui, tout
ou presque peut fonctionner à l'énergie solaire. On peut désormais emporter dans son
sac un GPS équipé d'un chargeur solaire, et des panneaux photovoltaïques
apparaissent sur tous les toits. Indispensable à la vie sur Terre, le Soleil peut nous
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rendre de nombreux autres services : chauffer nos habitations, alimenter en énergie les
lieux les plus reculés.
Dans le monde, des projets de centrales électriques voient le jour presque partout,
basés sur un immense potentiel : « 5 % de la surface des déserts permettrait de
produire toute l'électricité de la planète », affirment Patrick Jourde et Jean-Claude
Muller, chercheurs au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives
(CEA) et au CNRS.
Le solaire est donc une piste viable pour les besoins en énergie mondiaux, il reste
cependant beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.
B. ENERGIE EOLIENNE
Il est néanmoins important de compléter cette énergie par d’autres sources. L’énergie
éolienne est l’énergie du vent et plus spécifiquement, l’énergie directement tirée du
vent au moyen d’un dispositif générateur.
L’énergie éolienne peut être utilisée de trois manières :
• Conservation de l’énergie mécanique: le vent est utilisé pour faire avancer un
véhicule (Navire à voile par exemple), pour pomper de l’eau (moulins de
Majorque, éoliennes de pompage pour irriguer par exemple).
• Transformation en force motrice (pompage de liquides, compression de
fluides...)
• Production d'énergie électrique ; l’éolienne est alors couplée à un générateur
électrique pour fabriquer du courant continu ou alternatif. Le générateur est
relié à un réseau électrique ou bien fonctionne au sein d'un système «
autonome » avec un générateur d’appoint ou un parc de batteries ou autre
dispositif de stockage d'énergie.
Cette source d’énergie possède trois grands défauts. Elle est d’abord très chère (coûts
de production et de maintenance élevés) et peu rentable : la plupart des grandes
éoliennes installées aujourd'hui en France ont une puissance de 1 à 3 MW. En général,
elles sont rassemblées en fermes éoliennes de 6 à 210 MW. Ceci est négligeable par
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rapport à une centrale thermique à flamme (120 à 720 MW) ou un réacteur nucléaire
(de l'ordre de 900 à 1 300 MW en général). Enfin, pour être efficace, les éoliennes
d’une ferme doivent être distante les unes des autres, c’est pourquoi les fermes
d’éoliennes sont si vastes.
Par conséquent, l’énergie éolienne risque d’être peu utilisée à Masdar. En effet, la
superficie étant très limitée, une ferme d’éoliennes serait trop encombrante. De plus,
par manque de ressources naturelles et de place, Masdar ne pourra utiliser ni
l’hydraulique, ni le géothermique.
Masdar va donc beaucoup utiliser l’énergie solaire, mais devra trouver une source
d’énergie renouvelable complémentaire à cette dernière pour la seconder. Dans une
ville telle Masdar ou la superficie est très réduite, l’énergie éolienne, géothermique et
hydraulique ne peuvent être canalisées.
2. UNE MEILLEURE UTILISATION ET GESTION DES ENERGIES PRODUITES ET DES DECHETS.
Le deuxième objectif touche la gestion et l'utilisation de ces énergies afin de
les optimiser, d'en assurer un rendement meilleur, plus écologique. Une quantité
donnée d'énergie peut être utilisée au mieux, ce qui présente trois avantages:
gaspillage réduit, rendement optimisé, absence de déperdition. Réduire de 80% la
consommation de mer dessalée, donc de la production de saumure polluante, tel est,
par exemple, l'un des objectifs du projet Masdar. Cela implique une utilisation des
eaux usées, qui permettront d'irriguer, d'alimenter et de produire des biocarburants.
De même, l'énergie devra être utilisée de la meilleure manière, c'est-à-dire sans perte
d'efficacité. Ampoules à basse consommation, OLED contribueront à cette démarche.
Les transports n'échapperont pas à ces préoccupations écologiques. La marche et le
vélo seront recommandés. Pour les trajets plus longs sont prévus des tramways
totalement respectueux de l'environnement. Adieu aux voitures individuelles! Place
aux "Transports Rapides Personnels", qu'on appellera depuis un réseau de stations très
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dense et qui pourront transporter dix personnes. Ils seront, avec les transports de
marchandises, les seuls véhicules motorisés autorisés à circuler dans les rues de
Masdar! C'est pourquoi des organisations telles que le Fonds mondial pour la nature
(WWF) soutiennent vivement un tel programme.
Masdar représente donc une innovation sur le plan du traitement et de la
gestion des déchets. En effet, une branche du projet Masdar, intitulée Masdar Carbon
aura pour objectif de minimiser les émissions de CO2 et les rejets de gaz à effet de
serre.
Dans un premier temps, Masdar Carbon ambitionne de s’investir dans le
domaine du conseil auprès des entreprises. En parallèle, Masdar Carbon développe un
projet pour capturer le CO2 produit à l’échelle nationale. Ce projet ambitieux serait
capable de créer une réduction significative de l’empreinte carbone d’Abu Dhabi.
La première phase de ce procédé serait en mesure de séquestrer environ 6,5
millions de tonnes de CO2 produits dans les usines et les centrales d’Abu Dhabi d’ici
2013. Ce CO2 serait ensuite transporté et insecte dans les puits de pétrole, où il
aiderait à l’extraction et la production du précieux combustible. Intitulée le CCS
(carbon capture and séquestration, comprendre capture et séquestration de carbone),
cette partie du projet n’est qu’au stade de l’hypothèse, et cette forme de production
pétrolière n’a pour l’instant jamais été encore utilisée.
En outre, ce projet permettrait de diminuer les émissions de CO2 à travers
l’instauration d’une meilleure productivité en terme d’énergie. De plus, ces émissions
seraient réduites grâce à la récupération de chaleur et de CO2 produits a travers le
pays.
Le CDM, Clear Development Mechanism, projet des Nations Unies traitant
du développement durable, serait par ailleurs l’un des partenaires de Masdar. Ce
partenariat aurait pour but majeur de trouver un plan applicable afin de gérer et
d’influencer le réchauffement climatique à l’échelle internationale. Masdar carbon
sera tout particulièrement chargé du Moyen orient, de l’Afrique et de l’Asie,
notamment concernant le pétrole, le gaz naturel et les énergies. Ce projet se ferait en
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association avec l’entreprise E.ON à l’échelle de l’Afrique du Moyen Orient et de
l’Asie Centrale et du sud.
Outre ce vaste projet à l’échelle internationale, Masdar Carbon est aussi le lieu
de nombreuses innovations futures, toutes destinées à une réduction du rejet de
carbone et à une meilleure gestion de déchets. Parmi les sous projets les plus
importants, on trouve la réduction des pertes du gaz et la diminution des fuites,
problème majeur à l’origine d’un fort taux de pollution.
Ainsi Masdar Carbon, clé de voute du projet Masdar puisque les 0 émissions
de carbone ne seraient pas possibles sans cette filiale, ambitionne non seulement de
diminuer les émissions et le gaspillage de gaz, de CO2 et d’énergies, mais encore ont
ils pour objectif d’agir à l’échelle mondiale. Entre ambition et pure fantaisie, l’avenir
nous dira ou Masdar se situera…
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III) MASDAR : UNE UTOPIE QUI SE RAPPROCHE DU PARADIS TERRESTRE ?
1. QU’EST-‐CE QUE L’UTOPIE ?
A. L’UTOPIE : UN GENRE LITTERAIRE TRAVERSANT LES EPOQUES
Le terme d’ «utopie» est un néologisme du penseur anglais Thomas MORE. Il
consiste en la synthèse des mots grecs outopos, «lieu qui n’est pas», et eutopos, «lieu
du bonheur». Il s’agit là de la représentation d’une réalité idéale et sans défaut, d’un
régime politique idéal, bref, d’une société parfaite, telle la Callipolis de Platon, ou
bien encore de la communauté d’individus vivant heureux et en harmonie, à l’image
des Thélèmites, habitants de l’abbaye de Thélème dans Gargantua de Rabelais.
L’étymologie latine semble plus péjorative que l’étymologie grecque. En effet,
Utopia, en latin, signifie sans lieu, « qui ne se trouve nulle part ». Il y a là l’idée d’une
réalité difficilement admissible, voire irrationnelle. D’où l’alternative entre, d’un côté,
la croyance en la possibilité de réfléchir et, de l’autre, la dissociation radicale du rêve
et de l’action.
Cette polysémie du mot «utopie» explique la diversité d’œuvres qualifiées
d’utopie. L’utopie (utopia) est un genre littéraire s’apparentant au récit de voyage
mais ayant pour cadre des sociétés imaginaires que l’on fait remonter à La République
de Platon. L’ambition d’élargir le champ du possible et non de l’impossible, telle
pourrait être la comparaison actuelle. Platon est le premier grand idéaliste de la
pensée occidentale. On peut rapprocher l’utopie du concept d’Idée chez Platon.
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RAPHAËL, L’ECOLE D’ATHENES (770 SUR 440 CM) : PLATON, DETAIL.
La proposition du philosophe-roi est-elle un programme politique que Platon
considérait de manière réaliste? Son projet réformateur se fonde sur la saisie d’une
essence réelle de la justice dans la cité (vision naturaliste de la constitution politique,
envisagée comme « Politeia transcendante », par opposition à une vision relativiste
des sophistes qui fondent la loi uniquement sur les conventions humaines et sociales).
Avec l’ébranlement de la société du Ve siècle, on peut concevoir la philosophie de
Platon comme un renversement de la conception « classique » de l’ordre politique : ce
n’est plus ce dernier qui transmet sa structure à une recherche philosophique
incertaine, mais un discours politique fissuré par l’expérience qui cherche à se
rassurer métaphysiquement. Platon tentera d’appliquer ses idées politiques à plusieurs
reprises (à Syracuse 388-366). Après trois échecs, il revient à l’enseignement de la
philosophie. Mais pour lui, cette dernière n’est pas un substitut de l’action politique,
mais son paradigme. De même, à l’intérieur du discours philosophique, la
métaphysique n’est pas le substitut du discours politique ou législatif, mais son
fondement. Il n’y a pas une société politique corrompue et une activité philosophique
réservée aux purs, mais une société historique, faible copie de la société idéale, dont
la philosophie cherche le modèle pour l’établir.
Il y a deux aspects distincts de l’utopie platonicienne :
- Une idéalité spéculative : modèle d’une cité gouvernée selon les impératifs d’une
théorie de la justice qui accorde le pouvoir aux philosophes. Ce modèle est fondé sur
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une psycho-politique complexe dans laquelle trois classes (gouvernants, guerriers,
producteurs) sont animés des mêmes vertus (sagesse, courage, modération) que les
trois parties de l’âme.
- Une association de cette idéalité au déroulement de l’histoire : Platon n’a pas fait de
cette cité idéale un non-lieu, un lieu purement transcendant, mais a eu l’audace de
l’associer à un ancrage historique.
Pour finir, Rabelais, avec l’abbaye de Thélème extrait de Gargantua, a
marqué le monde de l’utopie non seulement de son époque mais encore aujourd’hui
où il reste une référence. L’abbaye de Thélème, signifiant en grec ancien « pensée
libre », fut bâtie par Gargantua « au contraire de toutes les autres » sur les bords de la
Loire. Il ne s’y trouvait ni mur extérieur, ni horloge : « la plus grande rêverie du
monde, disait-il, était soit de gouverner au son d’une cloche et non au dicté du bon
sens et entendement ». Sur le fronton de l’abbaye, est inscrite la devise : « Faye ce
que tu vouldras » (« Fais ce que tu voudras »). Par ailleurs, l’abbaye accueillait des
femmes et permettait à chacun de se marier dans la richesse et surtout dans la liberté.
Ils cherchaient à faire tout ce qui plaisait à l’autre. Il n’y avait parmi eux personne qui
ne sut chanter, jouer d’instruments, composer en vers et en prose. Ce mode de
fonctionnement leur permettait de se gouverner eux-mêmes. Quand le temps était
venu pour l’un des habitants de la quitter, il emmenait la dame qui l’avait pris pour
son dévot et ils étaient mariés ensemble. La vie qu’ils avaient vécue à Thélème leur
permettait de s’aimer à la fin de leur jour comme au premier jour de leurs noces.
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ANONYME, FRANÇOIS RABELAIS (48 SUR 40 CM)
Rabelais décrit en cette abbaye un splendide château de la Renaissance. En
effet, cette structure est composée de six étages et est cent fois plus magnifique que
les châteaux de Bonnivet, Chambord ou de Chantilly. Il évoque les splendeurs de
cette abbaye représentative d’un genre nouveau : matériaux précieux, vastes salles
claires, ornées de peintures et de tapisseries, jardins, vergers pleins d’arbres fruitiers,
hippodromes, théâtre… Cependant il n’y a pas d’églises car chacune des 9332
chambres dispose d’une chapelle privée. Enfin, à chaque issue des chambres des
femmes se trouvaient des parfumeurs et des coiffeurs qui s’occupaient des hommes
désirant leur rendre visite et ils s’occupaient d’embellir la chambre de celle-ci. Ainsi,
Rabelais nous décrit en deux pages miroitantes l’accoutrement des hommes et des
femmes : velours, satin, or, perles et diamants ! Servis par les « maîtres des garde-
robes » et les « dames de chambre », les religieux et religieuses de Thélème changent
de costume chaque jour selon la volonté des femmes. Donc, la ville utopique selon
Rabelais consiste en une ville totalement libre d’un point de vue physique et moral.
L’Eglise y tient une place extrêmement importante et ses habitants ont certes la vie la
plus paisible et la plus détendue que l’on puisse imaginer, mais nous pouvons tout de
même remarquer une importante inégalité entre les habitants : les uns se sacrifient au
travail tandis que d’autres ne font aucun labeur et profitent de la vie. On retrouvera
cette forme de vie dans les communautés nouvelles de la fin du XXe siècle.
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B. THOMAS MORE
HANS HOLBEIN LE JEUNE, PORTRAIT DE THOMAS MORE (47.2 SUR 69 CM)
Thomas MORE, né en 1478 à Londres, du juge et chevalier John MORE et
mort en 1535 à Londres, devient ami d’Erasme et du futur Henri VIII. Ce dernier
l’entraîne dans une brillante vie politique. Il est nommé chancelier du roi en 1529.
Thomas MORE est un humaniste. Il est l’auteur d’une considérable correspondance et
il est le traducteur de Lucien. Thomas MORE est indéfectiblement attaché à l’idée de
l’unité de l’Eglise et est contre la réforme. Lorsqu’Henri VIII se déclare chef de
l’Eglise anglicane, Thomas MORE est décapité.
L’avocat et homme de lettre Thomas More s’inscrit, à l’instar de son ami
Erasme, dans le cadre du mouvement humaniste qui redécouvre la littérature antique
grecque et latine et s’en inspire. More connaissait les œuvres d’Aristote et de Platon et
le projet de cité idéale, qui occupe une partie de La République, peut être considéré
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comme l’une des sources d’inspiration de l’Utopie. Le texte de More est cependant
tributaire de son époque : il emprunte en partie sa forme aux récits de voyage de
Vasco de Gama, navigateur portugais à l’origine de rêves de voyage après la
découverte d’un passage maritime vers les Indes à la fin du XVe siècle, ou de
Magellan, qui fut un grand explorateur de la péninsule ibérique, qui a été le premier à
faire le tour du monde, au début du XVIe siècle et qui était persuadé que la Terre était
ronde. La découverte du nouveau monde en 1492 a mis les Européens en contact avec
d’autres peuples, très différents, et permet à More d’imaginer une civilisation
originale située aux confins du monde connu. De manière plus générale son projet de
société s’inscrit dans le courant philosophique de la Renaissance.
L’Utopie est la description d’une société idéale que nous pourrions dire de
type « communiste », fondée sur l’amour du travail, le partage des biens, le refus de la
violence et la plus grande tolérance religieuse. Le livre est conforme aux
enseignements de la morale chrétienne et il fournissait les instruments d’une critique
radicale de la société féodale mais aussi de l’arbitraire royal et proposait une
légitimation de l’activité économique reposant sur le principe de l’échange des
richesses utiles et le refus de la monnaie. Ce premier livre de l’Utopie rapporte donc
une conversation entre le narrateur et plusieurs autres personnages, dont Raphaël
Hythlodée, un navigateur, qui ont découvert l’île d’UTOPIE. La discussion porte
principalement sur les injustices et les défauts de la société, injustices auxquelles
Raphaël Hythlodée oppose les sages coutumes du pays dont il a fait la découverte.
Le second livre rapporte la description par Hythlodée de l’Utopie. Cette description,
assez détaillée, porte sur les lois, les coutumes, l’histoire, l’architecture et le
fonctionnement économique de l’île. Elle repose en outre sur un ensemble de lois et
sur une organisation très rationnelle et précise. Elle est présentée comme la plus
aboutie des civilisations.
On peut ainsi voir dans cette œuvre avant tout une critique de la société
anglaise (et européenne) du XVIe siècle. Les vertus de l’utopie sont en quelque sorte
des réponses aux injustices du monde réel : elles les soulignent par contraste (l’égalité
de tous les citoyens utopiens met en lumière l’extrême misère, à cette époque, de
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nombre de paysans anglais sans terres) et montrent que les maux de l’Angleterre ne
sont peut-être pas des fatalités puisque les utopiens les ont résolus. Or l’Utopie qui se
présente comme une œuvre de fiction, affirme néanmoins que l’homme a la
possibilité d’influer sur son destin et est donc porteuse du concept d’histoire. More
s’abstient pourtant de présenter son utopie comme un programme politique. Il
considère la réalisation d’une telle société comme souhaitable mais affirme ne pas
même l’espérer.
On retiendra surtout un texte de cette œuvre : de « Arrivés à ce point » à
« Ademus dans celle du présent ».Thomas MORE, L’Utopie, traduction française, Garnier-
Flammarion, Paris, 1987, pp. 150-152.
On peut ainsi remarquer que les utopiens travaillent tous sans distinction
d’âge, de sexe ou de condition. Même les dignitaires (Siphograntes) et les membres
du Clergé doivent donner l’exemple. De ce fait, le travail réparti de façon égalitaire
permet à chacun de moins travailler (6 heures par jour suffisent). En outre, le travail
est cantonné à des productions utiles et non orientées vers le luxe et une certaine
débauche.
Cette population observe certaines valeurs fondamentales:
- le sens de l’égalité ;
- le respect de la nature humaine ;
- la reconnaissance des intellectuels.
Enfin, la société à l’époque de Thomas MORE est représentée par l’inégalité
qui occupe la première place : les femmes qui ne travaillent pas. Elles représentent la
moitié de la population. Les prêtres et les religieux ne travaillent pas, les riches, les
propriétaires terriens et les nobles ne travaillent pas non plus et les valets, ainsi que
les mendiants, sont également hors du monde du travail (« travailler » signifie pour
l’auteur « produire »).
Ainsi, le genre créé par Thomas More repose sur un paradoxe. Il se présente
en effet comme une œuvre de fiction sans lien avec la réalité : le nom de l’île (« nulle
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part ») mais aussi du fleuve qui la traverse (« Anhydre » c'est-à-dire sans eau) ou du
navigateur Hythlodée (qui signifie habile à raconter des histoires) sont là pour nous
le rappeler. Cependant, l’utopiste se refuse à tout recours au merveilleux où la
fantaisie et le bonheur qui est censé régner en Utopie se doivent de reposer sur la
cohérence du projet. Nul climat paradisiaque, nulle bénédiction divine, nul pouvoir
magique n’a contribué à la réalisation de la société parfaite. Il s’agit donc d’une
fiction dont la valeur repose sur la cohérence du discours
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C. LA VILLE IDEALE : UNE UTOPIE EST-‐ELLE NECESSAIREMENT
IRRATIONNELLE ?
A la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, tandis que s'amorce le processus
qui va conduire à la première industrialisation, le message utopique est universaliste
et concentré en une série de dispositifs techniques. Il prend un nouveau visage avec
l'arrivée des préoccupations urbanistiques ainsi que des préoccupations de l’ordre
architecturales. Certes, les villes utopiques comme la Cité du Soleil de Campanella,
avaient presque toujours été conçues sur des plans réguliers les rendant semblables à
de vastes machines. L'accent mis par des auteurs tels Charles Fourier, et son principal
disciple Victor Considérant, sur la traduction spatiale de leur nouveau monde n'en est
pas moins frappant par les nombreux détails fournis comme par le désir de rompre
avec l'organisation des établissements humains passés et présents. Par ailleurs, des
architectes tels que Ledoux avec son projet d’Arc-en-Senans ont marqués les utopies
architecturales. En effet, elle est marquée par de grands axes et repose sur une
organisation et une hiérarchie fortes. On note différents symboles comme le cercle et
le carré, représentant le ciel et la terre. Cependant l’organisation sociale était moins
efficiente. Ce projet n’a jamais été fini à cause de problèmes de financement et à
cause de la révolution en 1789. Il est important de prendre tout d’abord quelques
repères historiques avant de nous lancer dans l’analyse plus approfondie de l’utopie
urbaniste et de ses causes, et de proposer les nouvelles utopies architecturales du
siècle prochain.
Nous allons étudier le cas de Brasilia considérée comme une ville qui
représente une tentative d’utopie.
Déjà imaginée au XVIIe siècle, c’est en 1960 que Lucio Costa et Oscar
Niemeyer créent Brasília. Il s’agit d’une ville totalement nouvelle, construite à partir
d’une parcelle vide, le but étant de créer la nouvelle capitale du Brésil, une capitale à
la hauteur de la modernité actuelle. Brasília s’inscrit dans l’idéal souvent fantasmé par
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les architectes. Quels sont les aspects qui permettent de définir Brasília comme une
utopie et quelles sont les limites de ce modèle utopique ?
LUCIO COSTA OSCAR NIEMEYER
La ville de Brasília s’étend sur un immense espace de 5802 km² au cœur du
pays brésilien. Les grands axes des villes mènent à des agglomérations telles que
Sobradinho au nord ou même Paranda à l’est. Brasília a tout d’abord une fonction de
capitale, elle devait supplanter Rio. Elle sert de capitale à environ 70 millions
d'habitants à travers tout le pays. L’écrivain Bernard Mathieu considère la ville
comme une « ville champignon ». Ce qui signifie que sa croissance est
extraordinairement élevée. D’ailleurs elle entraîne avec elle les villes alentour, qui,
bénéficiant de cette croissance, peuvent croître elles aussi. Elles existent grâce à la
proximité qui engendre des échanges de toutes sortes, comme des flux de travailleurs,
mais aussi de marchandises. Son emplacement favorise la pluralité des cultures.
Même si elles sont tout de même divisées en castes, les cultures cohabitent plutôt
harmonieusement pour la plupart d’entre elles.
Bernard Mathieu compare la ville à un « immense oiseau aux ailes
déployées ». Ainsi, l’œuvre de Lucio Costa semble être empruntée à une inspiration
céleste. L’architecte aurait choisi cet aspect afin que la ville semble s’élever vers le
ciel grâce à un design aérien et léger. En ce qui concerne les transports, Lucio Costa a
créé un système d’échangeurs sur voies rapides qui alimente ainsi toute la ville. Ce
système est bâti sur l’idée de Le Corbusier dans sa « Ville Radieuse ». Ainsi,
l’organisation des transports est logique, structurée. Les grands axes sont clairement
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définis et les bâtiments s’articulent régulièrement tout autour. Cela rend la
« circulation fluide » comme le dit Bernard Mathieu. L’avant-gardisme est très
présent dans Brasília. Ainsi, la cathédrale est un ensemble circulaire dont « les
arêtes » partent régulièrement du bas de la structure pour remonter le long. Une
dernière inclinaison achève ce décor sculptural. La cathédrale n’a absolument pas la
forme d’une cathédrale traditionnelle. On se demande même si c’en est réellement
une. Oscar Niemeyer déstructure complètement des bâtiments traditionnels pour les
transformer en des bâtiments fonctionnels. Les bâtiments ne sont pourvus que d’une
fonction. Ils servent les hommes. Il s’agit bien évidemment du même schéma pour les
autres bâtiments. Cependant, les architectes s’accordent des extravagances lorsqu’ils
réalisent l’esplanade centrale. C’est la seule grande parcelle arborée qui correspond à
l’hygiénisme des villes utopiques. Pourtant, l’esplanade semble assez symétrique.
Même si les formes sont courbes, et rappellent donc le côté végétal, elles se
ressemblent toutes beaucoup. Ces aspects utopiques sont nuancés par les limites du
modèle de la ville idéale.
VUE AERIENNE DE BRASILIA.
Brasília s’apparente aussi à la dystopie, à cause notamment de son prix de
construction. Même si la construction a été bénéfique pour les ouvriers demandeurs
d’emploi, maintenant qu’elle a été réalisée, il subsiste de nombreuses inégalités. En
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effet, l’Etat manque atrocement de ressources, ayant tout investi dans la
construction.de la ville. Ainsi, la vie est très chère, pour rentabiliser le projet, ou
plutôt minimiser les coûts d’entretien de la ville. Comme le dit Bernard Mathieu,
« Les bières Long Neck de 33 centilitres y ont supplanté les plantureuses bouteilles
traditionnelles qui contiennent presque le double. » Ainsi, si la vie devient plus chère
à Brasília, il n’y a plus de place pour les pauvres. On voit donc apparaître plus de 500
lotissements sauvages. En effet, des dizaines de milliers de personnes habitent les
favelas.
Bernard Mathieu critique largement les moyens de communication non
adaptés. Même si Lucio Costa a construit un système logique, il demeure tout de
même quelques irrégularités. « Lorsque vous voyez à cent mètres, l’immeuble où
vous comptez vous rendre […] il vous faudra faire un détour de 2 ou 3 kilomètres. »
Ainsi, Lucio Costa a privilégié les grands axes de transports qui sont donc fluides et
logiques, mais au détriment des rues et ruelles au cœur de la ville, qui sont largement
engorgées. « Comme il y a foule, les voitures se garent n’importe comment. Lorsque
quelqu’un veut s’en aller, il presse le klaxon à fond. » Ainsi, il n’y a aucune cohésion
entre les grands axes et les rues de « proximité ». La logique de Lucio Costa ne
s’applique qu’aux grands ensembles. Bernard Mathieu fait aussi remarquer que
l’influence américaine a conquis la capitale en 15 ans seulement. Elle tente de
gommer la culture brésilienne et créer des castes sociales comme les cols blancs ou
l’élite. Ce système morcelle la population et ne permet pas une cohésion parfaite.
Le problème récurrent de Brasília est sans doute l’insécurité. En effet, il n’est
pas rare, affirme Bernard Mathieu, qu’il y ait « un ou deux morts chaque semaine
dans les rues ». De plus, la proximité avec les autres villes entraîne le trafic en tout
genre, qu’il s’agisse de drogues ou d’armes. En ce qui concerne la politique, le
gouvernement n’est pas non plus à l’abri. La corruption est très fréquente, si bien que
certains amendements ont été modifiés, ainsi « les aigrefins profitent de l’occasion
pour monnayer des passe-droits contre des voix ». La population ne peut pas avoir
une confiance totale en son gouvernement. On remarque aussi des pratiques illégales
comme la vente de terrains sans titre de propriété, ce qui plonge bien souvent les
familles concernées dans la misère.
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Ainsi, la ville de Brasília créée par Lucio Costa et Oscar Niemeyer apparaît
par certains points comme une utopie réalisée. On remarque que certains points du
projet de Le Corbusier sont présents tels que les notions de machine à habiter,
d’hygiénisme ou de fonctionnalité. Cependant, sa construction ayant été très coûteuse,
elle entraîne malheureusement la pauvreté et l’insécurité. Quelques problèmes de
fonctionnement apparaissent alors qu’ils n’existaient pas à l’état de théorie. Brasília
apparaît donc aussi comme une dystopie, c’est à dire une ville en crise à cause d’une
économie et d’une politique instables.
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2. MASDAR AU SERVICE DE LA SCIENCE OU AU SERVICE D’UNE UTOPIE ?
Masdar peut ainsi être considérée comme une utopie au vu de trois grands
obstacles matériels majeurs.
Tout d’abord, des énergies non-polluantes doivent être utilisées pour alimenter
les 20000 habitants de Masdar. Les énergies renouvelables semblent être le moyen le
plus sûr pour subvenir à ces besoins. Cependant, la production de tant d’énergie
nécessite de très nombreux panneaux solaires, éoliennes et d’autres infrastructures,
alors que la ville doit être construite de façon entièrement écologique.
Afin de remplir cet objectif, les Emirats sont dans l’obligation de construire
ces producteurs d’énergie avec des matériaux importés ou trouvés sur place qu’ils
doivent transporter jusqu’au site de Masdar sans polluer. Au delà de ce défi apparaît
le problème du transport d’énergies, nécessitant des conducteurs d’énergies (liquides
ou solides) qui doivent être produits de matière minérale toujours sans émission de
gaz polluants. Cela reste impossible au vu des avancées scientifiques actuelles mais
peut être envisageable dans un futur proche.
Pour finir, le recyclage doit être pratiqué en abondance, mais ce sans émission
de CO2, ce qui se révèle impossible en raison de la combustion nécessaire pour le
recyclage des matériaux usagés. Par ailleurs, la construction d’un tel complexe de
recyclage devra être réalisée sans rejet de gaz polluants, ce qui relève de nouveau de
la pure utopie.
Ainsi, il apparaît clairement que la réalisation du projet Masdar se fonde sur
des ambitions et des considérations dénuées de tout réalisme. En cela, il est indéniable
que Masdar est bel et bien une utopie.
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Ainsi, Masdar représente une utopie de par la construction du site. Mais cette
dimension utopique atteint son paroxysme quant au désir de devenir une communauté
à part, capable de vivre en autarcie coupée du monde extérieur.
En effet, Masdar est une ville provenant de la sédentarisation de l’homme
durant l’Antiquité. Or, cette sédentarisation a été amenée par l’agriculture.
Cependant, dans un désert, l’agriculture demeure utopique à cause du manque d’eau à
l’état liquide. L’eau demeure l’élément essentiel à la création de Masdar. Elle pourrait
être prélevée à partir de la mer car Masdar est relativement proche des flots. Ainsi
cette ville pourrait devenir un moyen révolutionnaire de coloniser écologiquement le
désert afin de trouver des espaces plus importants pour une population globale
grandissante, notamment dans les pays africains côtoyant Masdar.
Par ailleurs, le fait de vivre coupé du reste du monde, en parfaite autarcie, peut
permettre à chacun de vivre sans aucun dérangement quotidien afin de trouver du
temps pour réfléchir et se cultiver. Dès lors, le respect et l’amitié pourraient naître
entre chaque être et tous pourront atteindre une parfaite symbiose avec la nature mais
aussi avec soi-même, loin des préoccupations habituelles, c’est-à-dire débarrassé de
l’argent qui nous endoctrine, qui nous tient à cœur et nous fait vivre en pseudo
communauté, plus précisément en interdépendance. Ainsi, Masdar peut nous rendre
notre liberté et notre indépendance qui, depuis si longtemps, nous ont prises.
En cela, la réalisation du projet dépasse le simple exploit technique et
scientifique, mais représente aussi une réelle révolution des mentalités et des mœurs,
principale revendication de l’état utopique tel que décrit par Thomas MORE.
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CONCLUSION :
Lancé en 2006, le projet Masdar n’en est toujours qu’an stade des suppositions
et des projets les plus fous. Prévue en 2008, le début de la construction a été repoussé
de deux ans, et se fait toujours attendre. Rendue impossible par mille et un obstacles
d’ordre technique, la réalisation du projet relève de la pure utopie de par
l’insuffisance des avancées scientifiques actuelles. En outre, le projet implique un
profond bouleversement dans les mentalités, impliquant un radical changement dans
les pratiques des habitants et dans leur vision de l’environnement et de la santé
globale de la planète. Abritant les plus grands resorts de luxe du monde et les
complexes touristiques les plus honteusement prodigues en énergies, les Emirats
Arabes unis tentent en réalité d’élargir leur panel de services et leur capacité de
production. Jusqu’ici préoccupés par les millions de dollars engendrés par
l’exploitation de masse des millions de tonnes de pétrole exportées dans le monde
entier par bateaux, avions et camions, rejetant des milliards de particules de CO2, les
Emirats ont décidé de se reconvertir dans l’écologie. Occupant les devants de la scène
internationale pendant plusieurs mois, leur projet de ville écologique s’est vite révélé
creux et dénudé de tous sens altruiste et réellement écologiste. En revanche, la
médiatisation a permis à l’état de prévoir nombre d’attractions touristiques, de passer
des accords avec nombres de compagnies internationales, augmentant de fait le
capital du pays. Ainsi, là où certains ont vu un souffle d’espoir pour l’Humanité, nous
n’y voyons qu’une raison de plus de s’inquiéter du sort de notre planète. Ainsi, nous
ne pouvons répondre que « oui », Masdar est belle et bien une utopie, scientifique,
techniques, mais aussi morale, car l’Homme n’est apparemment pas prêt à se
préoccuper de l’intérêt commun au détriment du sien propre.