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CHRONIQUE D’ACTUALITE N° 1
DROIT PUBLIC DES AFFAIRES ET DROIT DE LA CONCURRENCE
AVRIL 2012
Proposée par le cabinet Eversheds LLP
Table des matières
1/ Contrats publics (par le Pr. François Lichère) ............................................................................. 3
a) Les conventions conclues en vertu de l’article du L5221-1 du CGCT sont exclues du champ de la
commande publique (CE, 3 févr. 2012, Cne Veyrier-du-Lac, n° 353737) ............................................ 3
b) Le pouvoir adjudicateur peut négocier en MAPA avec les candidats de son choix mais doit
rejeter les offres qui seraient restées non conformes à l’issue des négociations (CE 30 novembre
2011, Ministre de la Défense et des Anciens Combattants) ............................................................... 4
c) Les comptables publics ne peuvent se faire juge de la légalité des marchés publics (CE Sect. 8
février 2012, Ministre du Budget). ...................................................................................................... 5
d) Le non respect de l’obligation de saisine de l’assemblée délibérante pour tout avenant à un
marché public ou une délégation de service public supérieur à 5 % est constitutif d’un délit de
favoritisme (Cass. Crim. 29 juin 2011) ................................................................................................. 6
e) Les marchés des GIP sont soumis aux règles de passation de l’ordonnance du 6 juin 2005 (Décret
du 26 janvier 2012) .............................................................................................................................. 6
2/ Aides publiques (par le Pr. François Lichère) ............................................................................. 7
a) Le régime fiscal dont a bénéficié France Telecom dans les années 1990-2000 est constitutif
d’une aide d’Etat et doit faire l’objet d’un remboursement à l’Etat (CJUE, 8 décembre 2011, France
Telecom). ............................................................................................................................................. 7
b) Le paquet « Almunia » redéfinit les règles applicables en matière d’aides d’Etat et de
compensations pour les services d’intérêt économique général (Commission européenne, 20
décembre 2011). ................................................................................................................................. 8
c) Les subventions du FEDER versées à un pouvoir adjudicateur n'ayant pas respecté les règles de
passation des marchés publics doivent être reversées dans leur intégralité, le délai de prescription
quadriennale du règlement n° 2988/95 ne courant qu'à compter du jour où s'achève l'exécution du
contrat (CJUE, 21 déc. 2011, aff. C 465-10, Min. Intérieur, Outre-mer, Collectivités territoriales et
Immigration c/ CCI Indre) .................................................................................................................... 8
3/ Droit public et liberté d’entreprendre (par le Pr. François Lichère) ............................................. 9
Les maires ne sont pas en principe compétents pour se prononcer sur l’installation d’antennes
relais (CE 26 octobre 2011, Commune de Seine-Saint-Denis et CE 30 janvier 2012, Orange). ........... 9
4/ Biens et travaux publics (par le Pr. François Lichère) ............................................................... 10
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a) La garantie décennale couvre les désordres intermittents (CE, 9 déc. 2011, n° 346189, Cne
Mouans-Sartoux) ............................................................................................................................... 10
b) Le juge administratif peut être saisi d’une demande d’injonction de détruire un ouvrage public
à la suite d’une emprise irrégulière sur une propriété privée (CE 9 décembre 2011, Mme Lahiton)
........................................................................................................................................................... 10
c) Le contrôle du juge sur le montant d’une redevance d’occupation privative du domaine public
est un contrôle restreint et l’occupant privatif ne doit supporter les charges de déplacements de
ses ouvrages privés que si ce déplacement est impliqué par l’intérêt du domaine et non par
l’intérêt d’autres services publics (CE 1er février 2012, Société RTE). .............................................. 11
d) La procédure d’alignement des voies publiques est constitutionnelle à une réserve près (CC, 2
décembre 2011 QPC n° 2011-201) .................................................................................................... 11
e) Publication de la partie réglementaire du CG3P (Décret du 22 novembre 2011) ........................ 12
f) Le rôle de la commission pour la transparence et la qualité des opérations immobilières de l'État
est renforcé (Décret du 10 février 2012)........................................................................................... 12
5/ Contentieux (par le Pr. François Lichère) ................................................................................. 12
a) Le déféré préfectoral à l’encontre des contrats administratifs est désormais un recours de pleine
juridiction (CE 23 décembre 2011, Ministre de l’intérieur) .............................................................. 12
b) L’entreprise attributaire d’un marché public n’est plus recevable à intenter un référé
précontractuel à l’encontre de la procédure de passation (CE 23 décembre 2011, Département de
la Guadeloupe). ................................................................................................................................. 13
c) Le Conseil d’Etat précise, à la lumière de la directive recours, les critères qui doivent guider le
juge du référé contractuel dans le choix de la sanction du non respect du délai de suspension après
notification du rejet de l’offre et en l’absence de violations affectant les chances du candidat (CE
30 novembre 2011, Société DPM Protection) ................................................................................... 13
d) Le Tribunal des conflits réduit la portée de l’obligation de renvoi du juge judiciaire au juge
administratif en cas d’appréciation de la légalité d’un acte réglementaire (TC 17 octobre 2011 et TC
12 décembre 2011, Société Green Yellow) ....................................................................................... 15
6 / Droit de la concurrence (Dan Roskis) ...................................................................................... 16
A) L’Autorité de la concurrence publie un document-cadre sur les programmes de conformité
(par Dan Roskis et Sarah Jaffar)................................................................................................... 16
B) L’Autorité de la concurrence sanctionne un cartel entre producteurs d’endives (par Dan Roskis
et Charlotte-Mai Dorémus) ......................................................................................................... 21
Contacts ..................................................................................................................................... 25
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1/ Contrats publics (par le Pr. François Lichère)
a) Les conventions conclues en vertu de l’article du L5221-1 du CGCT sont
exclues du champ de la commande publique (CE, 3 févr. 2012, Cne Veyrier-
du-Lac, n° 353737)
Le CGCT prévoit ainsi que « Deux ou plusieurs conseils municipaux, organes
délibérants d'établissements publics de coopération intercommunale ou de syndicats mixtes
peuvent provoquer entre eux, par l'entremise de leurs maires ou présidents, une entente sur les
objets d'utilité communale ou intercommunale compris dans leurs attributions et qui
intéressent à la fois leurs communes, leurs établissements publics de coopération
intercommunale ou leurs syndicats mixtes respectifs. Ils peuvent passer entre eux des
conventions à l'effet d'entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des
institutions d'utilité commune ». C’est dans ce cadre qu’a été signée une convention entre la
commune et une communauté d’agglomération à laquelle elle n’était pas membre, confiant à
cette dernière l’exploitation de son réseau d’eau et privant ainsi le délégataire de distribution
d’eau de toute possibilité de renouvellement du contrat puisque la communauté
d’agglomération gère en régie directe ce service public.
Si le Conseil d’Etat a déduit du CGCT que ces conventions sont hors champ de la commande
publique, il a pris ici le soin de vérifier que cette conclusion est compatible avec le droit de
l’Union européenne des marchés publics. On sait que celui-ci admet des dérogations aux
procédures de publicité et de mise en concurrence des marchés et des concessions pour les
contrats dits « in house » (CJCE 18 novembre 1999 Teckal) mais en l’occurrence les
conditions posées pour mettre en œuvre ces contrats de quasi-régie faisaient défaut. On sait
aussi que la CJCE a ajouté, également de manière prétorienne, le cas de certains contrats
impliquant une coopération entre collectivités (CJCE 6 juin 2009, Commission c/ RFA). Mais
elle l’a fait de manière tellement circonstanciée que plusieurs commentateurs s’étaient
interrogés sur la postérité de cette jurisprudence qui ressemblait à un arrêt d’espèce. De fait,
les circonstances de l’arrêt Commune de Veyrier-du-Lac ne semblaient pas correspondre
exactement à celles de l’arrêt Commission c/ RFA. Aussi est-ce sans doute la raison pour
laquelle, loin de s’attacher uniquement aux relations d’institutions à institutions, le Conseil
d’Etat souligne en quoi aucune des parties ne joue un rôle d’opérateur économique et valide,
contrairement aux conclusions du rapporteur public, l’absence de mise en concurrence. Ce
faisant, il ajoute donc à la lettre de l’article L 5221-1 des conditions qui ne s’y trouvent pas de
manière à en assurer sa compatibilité avec les directives communautaires marchés publics.
Cet article s’inscrit dans le cadre de ce que l’on nomme mutualisation des services ou, pour
reprendre les termes de la Commission dans son document de travail du 4 octobre 2011, la
coopération horizontale non institutionnalisée qui trouve aussi à s’illustrer à l’article L 5111-
1-1 du CGCT (« Lorsqu'elles ont pour objet d'assurer l'exercice en commun d'une compétence
reconnue par la loi ou transférée à leurs signataires, les conventions conclues entre les
départements, les régions, leurs établissements publics, leurs groupements et les syndicats
mixtes prévoient soit la mise à disposition du service et des équipements d'un des
cocontractants à la convention au profit d'un autre de ces cocontractants soit le regroupement
des services et équipements existants de chaque cocontractant à la convention au sein d'un
service unifié relevant d'un seul de ces cocontractants. Dans le cas mentionné au deuxième
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alinéa du présent I, la convention fixe les conditions de remboursement, par le bénéficiaire de
la mise à disposition du service, des frais de fonctionnement lui incombant »).
Mais autant ce dernier article nous semble correspondre à une véritable mutualisation, autant
l’article en cause dans l’affaire Veyrier-du-Lac et la manière dont il est appliqué fait
davantage penser à une véritable prestation de service d’une collectivité à une autre et l’on
peut s’interroger sur la viabilité de cette jurisprudence si la Cour de justice était amenée à
l’examiner.
b) Le pouvoir adjudicateur peut négocier en MAPA avec les candidats de son
choix mais doit rejeter les offres qui seraient restées non conformes à
l’issue des négociations (CE 30 novembre 2011, Ministre de la Défense et
des Anciens Combattants)
Le Conseil d’Etat adopte ici une position très libérale alors que son rapporteur public
lui proposait une position plus nuancée. Il juge, après pourtant avoir déclaré l’article 53.III
applicable aux MAPA dans la lignée de jurisprudences précédentes, que le pouvoir
adjudicateur qui décide de recourir à une négociation peut librement choisir les candidats avec
lesquels il souhaite négocier. Il admet même la négociation avec les candidats ayant remis des
offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables, sous réserve de « respecter le principe
d’égalité de traitement des candidats », ce qui ne laisse pas d’interroger à partir du moment
où l’on admet le libre choix de négociation.
Cette solution n’allait pas de soi car, même si elle rejoint celle qui prévaut en matière de
délégation de service public en vertu de la loi Sapin elle-même, elle ne semble ne pas être
forcément en ligne avec la procédure négociée formalisée. On remarquera en effet que la
position du Conseil d’Etat est basée sur l’article 28 relatif aux procédures adaptées et ne paraît
d’ailleurs pas transposable aux procédures négociées formalisées pour des raisons textuelles.
Deux différences ressortent de l’article 66 lui-même : celui-ci impose d’éliminer les offres
inappropriées avant d’entrer en négociation - ce qui a contrario autorise de négocier avec les
candidats ayant remise des offres irrégulières ou inacceptables. En outre il est prévu que « la
négociation est engagée avec les candidats sélectionnés », ce qui semble interdire de ne
négocier qu’avec certains. Dans le cadre d’un MAPA qui prévoit une procédure négociée sans
renvoi à l’article 66, le Conseil d’Etat permet donc d’une part de ne négocier qu’avec certains,
d’autres part de négocier avec ceux qui ont déposé une offre portant initialement non
conforme mais en même temps il n’oblige pas les pouvoir adjudicateurs à entrer en
négociation avec ces derniers.
La seule contrainte tient à la nécessité de rejeter les offres qui seraient restées non conformes
à l’issue de la négociation. Il y a là un minimum que l’on pouvait attendre mais l’on peut se
demander s’il n’aurait pas fallu aller plus loin pour instaurer une réelle égalité.
On signalera enfin que le règlement de consultation indiquait qu’ « à l’issue de l’étude des
offres, une négociation pourra être envisagée avec les candidats ». Si le Conseil d’Etat ne s’est
pas prononcé explicitement sur la légalité de cette formulation alors qu’elle était questionnée
par le requérant, le rapporteur public a estimé qu’elle n’était pas en soi une méconnaissance
des règles de mise en concurrence et le Conseil a implicitement mais nécessairement validé ce
raisonnement. Une information importante tant certains auteurs s’interrogeaient sur une
pratique qui pouvait laisser place à une incertitude potentiellement constitutive d’inégalité.
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c) Les comptables publics ne peuvent se faire juge de la légalité des marchés
publics (CE Sect. 8 février 2012, Ministre du Budget).
Voici un arrêt important qui devrait mettre un terme à la tendance contemporaine de
certains comptables publics de suspendre le paiement de dépenses au motif de leur prétendue
contrariété avec le droit des marchés publics. Il est vrai que cette tendance a pu se nourrir de
la crainte de voir les comptables publics engager leur responsabilité sur leurs propres deniers
en cas d’irrégularité mais aussi des jurisprudences antérieures du Conseil d’Etat. Dans un
arrêt du 8 décembre 2000, Ministre de l'économie, des finances et de l'économie c/ Mme
Kammerer, n° 212718, ce dernier a jugé que « si, pour apprécier la validité des créances, les
comptables doivent exercer leur contrôle sur l'exactitude des calculs de liquidation et la
production des justifications et s'il leur appartient d'interpréter conformément aux lois et
règlements en vigueur les actes administratifs qui en sont l'origine, ils n'ont pas le pouvoir de
se faire juges de la légalité de ces actes ». Le problème était de déterminer la portée de ce
pouvoir d’interprétation et l’espèce était allée très loin (« la cour n'a pas commis d'erreur de
droit en fondant son arrêt constituant le comptable en débet pour le versement de l'indemnité
aux agents logés gratuitement par la commune, dès lors que la délibération municipale et
l’arrêté du maire, qui constituent des pièces justificatives de la dépense, ne peuvent être
regardés comme ayant expressément ou implicitement dérogé aux dispositions d'un décret
interdisant le versement de l'indemnité en cause à cette catégorie d’agents »). Une autre
jurisprudence a confié aux comptables publics le contrôle de la contradiction entre les pièces
ce qui a conduit à un glissement vers un contrôle de légalité par les comptables publics.
Le Conseil d’Etat, en censurant la Cour des comptes, clarifie sa position : il appartient aux
comptables publics « d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour
justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de
vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature
comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part,
complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie
dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été
ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation
juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et s'il leur appartient alors d'en
donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de
se faire juges de leur légalité ; qu'enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont
insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre
le paiement jusqu'à ce que l'ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ».
On pourrait croire que « l’appréciation juridique » portée sur les actes administratifs est une
consécration de la tendance observée en pratique à faire des comptables publics des
contrôleurs internes de la légalité des marchés publics, y compris de leur passation. Les deux
espèces tranchées par le Conseil d’Etat prouvent bien au contraire que le juge administratif a
entendu cantonner leur rôle à celui de contrôleurs de la régularité comptable. Dans la
première, le Conseil d'Etat censure le juge des comptes qui reprochait au comptable de ne
pas avoir suspendu le paiement de sommes payées sur la base de bons de commandes émis
postérieurement aux dates des factures correspondantes. Juger autrement, c’était reconnaître
que le comptable procédait à un contrôle de légalité. En outre, l’illégalité n’est pas manifeste :
pour le rapporteur public Xavier de Lesquen, « Le contrat n'est ainsi pas soumis à la règle de
non rétroactivité des actes administratifs. Il peut donc prendre effet à une date antérieure à
celle de sa signature ou, d'une façon plus réaliste, matérialiser à la date de son établissement
6
l'accord des parties formé au préalable et qui a déjàdonné lieu à l'exécution au moins partielle
des opérations objet du contrat. »
Et si le Conseil d’Etat donne, dans la deuxième espèce, raison au comptable public d’avoir
refusé de régler des marchés publics supérieurs à 4 000 euros faute de contrats écrits, il
précise néanmoins que « dès lors que l'ordonnateur a produit un certificat administratif par
lequel il déclare avoir passé un contrat oral et prend la responsabilité de l'absence de contrat
écrit, il appartient au comptable, qui n'a pas à se faire juge de la légalité de la passation du
marché en cause, de payer la dépense ».
d) Le non respect de l’obligation de saisine de l’assemblée délibérante pour
tout avenant à un marché public ou une délégation de service public
supérieur à 5 % est constitutif d’un délit de favoritisme (Cass. Crim. 29 juin
2011)
Voilà une position d’un rigorisme inattendu. Pour la Cour de cassation, « Attendu,
qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des faits, et
dès lors que les travaux supplémentaires devaient faire l'objet d'un avenant approuvé par la
collectivité délibérante, pris après avis de la commission d'appel d'offres, en vertu de l'article
8 de la loi du 8 février 1995 relative aux marchés publics et aux délégations de service public
alors applicable, disposition de nature à garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats
dans les marchés publics, au sens de l'article 432-14 du code pénal, en ce qu'elle permet à la
commission d'appel d'offres d'apprécier la légalité d'un avenant au regard de l'économie du
marché et de son objet, la cour d'appel, qui a statué dans les limites de sa saisine et s'est
justement référée à l'acte d'engagement pour en déduire le prix forfaitaire du marché, a justifié
sa décision ».
Si une telle violation doit assurément être sanctionnée par le juge administratif, on peut
s’interroger sur le fait de savoir en quoi elle caractérise un favoritisme dès lors qu’il n’y a pas,
en dessous d’un avenant inférieur à 15 %, de nouveau contrat qui aurait donc du être mis en
concurrence. Même si en l’espèce il y avait aussi prise illégale d’intérêt, cette infraction est
bien distincte de celle de favoritisme. Elle a sans doute permis de caractériser l’élément
intentionnel du délit de favoritisme, mais on peine à comprendre en quoi l’élément matériel
du délit est constitué : le défaut d’information de l’assemblée délibérante n’est assurément pas
une violation des règles de passation des marchés publics, d’autant plus qu’elle trouve sa
source dans le CGCT et qu’elle vise à simplement informer l’assemblée délibérante qui ne fait
qu’émettre un avis.
e) Les marchés des GIP sont soumis aux règles de passation de l’ordonnance
du 6 juin 2005 (Décret du 26 janvier 2012)
Ce décret intervient en complément de l’importante réforme du statut des GIP
introduite par la loi du 17 mai 2011. Cette soumission ne concerne que le cas où ces
groupements sont des pouvoirs adjudicateurs au sens de l’article 3 de l’ordonnance. Comme
ils peuvent être composés de personnes publiques et privées, il conviendra d’apprécier au cas
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par cas si les membres du GIP qui ont eux-mêmes le statut de pouvoir adjudicateur exercent
une influence déterminante sur le GIP.
2/ Aides publiques (par le Pr. François Lichère)
a) Le régime fiscal dont a bénéficié France Telecom dans les années 1990-
2000 est constitutif d’une aide d’Etat et doit faire l’objet d’un
remboursement à l’Etat (CJUE, 8 décembre 2011, France Telecom).
France Telecom a pu bénéficier en effet d’un régime dérogatoire à la taxe
professionnelle de 1991 à 1994 puis de 1994 à 2002. Le premier régime est déclaré on
constitutif d’une aide d’Etat. En revanche, pour le deuxième, la législation française prévoyait
que la taxe professionnelle acquittée par France Telecom était calculée sur la base d'un taux
moyen pondéré par rapport aux divers taux applicables dans les différentes collectivités
locales, alors que les taux auxquels étaient soumises les autres entreprises étaient ceux votés
annuellement par ces collectivités. En outre, France Télécom était soumise à un taux unique
de la taxe professionnelle au lieu de son principal établissement, alors que les autres
entreprises étaient imposées aux différents taux votés par les collectivités locales sur le
territoire desquelles celles-ci possédaient des établissements. France Télécom se voyait
également appliquer un taux de 1,9 % au lieu de 8 % applicable aux autres entreprises au titre
des frais de gestion. Confirmant le raisonnement du tribunal de première instance des
communautés européennes dans son jugement du 30 novembre 2009 (devenu au 1er
décembre
2009 le Tribunal de l’Union européenne), la Cour de justice condamne France Telecom à
rembourser l’Etat français. L’arrêt est intéressant surtout au regard des requérants : loin d’être
portée par un concurrent, le requête l’est par une association de collectivités territoriales qui
entendait bien permettre aux collectivités territoriales de récupérer cette taxe professionnelle.
Cela permet d’illustrer le fait que, en matière d’aides d’Etat, ce sont souvent les bénéficiaires
d’une taxe « perdue » ou les redevables de la taxe qui sont souvent à l’origine des recours (sur
cette dernière hypothèse, voir notre article « Aide d’Etat, vache folle et taxe d’équarrissage :
la traçabilité s’étend aux circuits de financement », AJDA, 9 novembre 2009, p. 2071).
Le montant à rembourser par France Telecom est estimé entre 798 millions d’euros et 1,14
milliards d’euros, intérêts légaux non compris. Si la position de la CJUE de toute évidence ne
satisfait pas France Telecom, il en va surement différemment, par les temps qui courent, de
des collectivités publiques françaises. Il reste à savoir comment va se faire, une fois l’aide
récupérée, la répartition entre collectivités publiques : faudra-t-il appliquer le régime de la
taxe professionnelle alors en vigueur ? Comment remonter dans le temps, notamment pour la
détermination des « établissements » répandus sur le territoire et qui ont pu en plus évolué
entre 1994 et 2002 ?
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b) Le paquet « Almunia » redéfinit les règles applicables en matière d’aides
d’Etat et de compensations pour les services d’intérêt économique général
(Commission européenne, 20 décembre 2011).
Ce nouveau « paquet » est destiné à remplacer le « paquet » Monti-Kroes de 2005.
Selon son promoteur, Joaquin Almunia, vice-président de la Commission chargé de la
concurrence, il s’agit d’établir « un cadre plus simple, plus clair et plus souple qui les aidera à
fournir à leurs citoyens des services publics de grande qualité, plus nécessaires que jamais en
ces temps de crise ». La communication n° C(2011) 9404 clarifie quelque peu la distinction
entre services économiques et services non économiques, tout en laissant aux Etats-membres
un large pouvoir d'appréciation quant à la définition de ce qu'ils considèrent comme un SIEG,
ainsi qu'en ce qui concerne la compensation à accorder au prestataire de ce service. La
décision n° C(2011) 9380 exempte les Etats membres de notifier à la Commission les
compensations de service accordées pour certains SIEG et le champ des services sociaux
exemptés est élargi (services concernant les soins de santé et de longue durée, la garde
d'enfants, l'accès et la réinsertion sur le marché du travail, les soins et l'inclusion sociale des
groupes vulnérables). Pour les autres SIEG, le seuil de notification est abaissé à 15 millions
d'euros (sur la durée du mandat). Enfin, la communication « cadre » n° C(2011) 9406 fixe en
particulier la méthode de calcul du coût de l'exécution des obligations de service public.
Il reste encore à adopter un règlement sur les aides « de minimis », qui pourrait porter à
500000 € sur une période de trois exercices budgétaires le montant au-dessus duquel il faut
notifier les aides nouvelles à la Commission.
c) Les subventions du FEDER versées à un pouvoir adjudicateur n'ayant pas
respecté les règles de passation des marchés publics doivent être reversées
dans leur intégralité, le délai de prescription quadriennale du règlement n°
2988/95 ne courant qu'à compter du jour où s'achève l'exécution du
contrat (CJUE, 21 déc. 2011, aff. C 465-10, Min. Intérieur, Outre-mer,
Collectivités territoriales et Immigration c/ CCI Indre)
Selon ce règlement, est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition
du droit de l'Union résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou
aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l'Union ou à des budgets gérés par
celle-ci, soit par la diminution ou par la suppression de recettes provenant des ressources
propres perçues directement pour le compte de l'Union, soit par une dépense indue. La notion
d'« irrégularité » est traditionnellement interprétée comme la violation d'une disposition du
droit de l'Union qui résulte d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique (voir,
CJUE 15 janvier 2009, Bayerische Hypotheken– und Vereinsbank, C-281/07, Rec. p. I-91,
points 20 à 22). Aussi la Cour a du quelque peu « solliciter » les textes pour juger que « dans
des circonstances telles que celles en cause dans l'affaire au principal, nonobstant sa qualité de
personne morale de droit public, la CCI de l'Indre, en tant que bénéficiaire d'une subvention
du budget de l'Union, peut être assimilée, aux fins de l'application du règlement n° 2988/95, à
un opérateur économique à qui il est reproché une violation d'une disposition du droit de
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l'Union. Or, à cet égard, il est constant que la violation reprochée des règles de passation des
marchés publics prévues par la directive 92/50 résulte bien d'un acte de la CCI de l'Indre et
non de l'autorité lui ayant octroyé une subvention FEDER au nom et pour le compte du
budget de l'Union ». Par cette dernière incise, on voit bien qu’il en serait aller autrement dans
l’hypothèse d’une violation faite par l’autorité octroyant la subvention FEDER. Il n’en reste
pas moins que l’assimilation d’une CCI agissant comme pouvoir adjudicateur à un opérateur
économique est surprenante, d’autant qu’elle a vocation à être étendue à tout pouvoir
adjudicateur.
3/ Droit public et liberté d’entreprendre (par le Pr. François Lichère)
Les maires ne sont pas en principe compétents pour se prononcer sur
l’installation d’antennes relais (CE 26 octobre 2011, Commune de Seine-
Saint-Denis et CE 30 janvier 2012, Orange).
Les deux affaires évoquées intervenaient dans deux contextes différents. Dans le
premier était en cause un arrêté pris par le Maire au titre de ses pouvoirs de police
administrative générale et qui entendait réglementer l’installation des antennes relais.
Revenant sur sa célèbre jurisprudence société des films Lutétia de 1959, le Conseil d’Etat ne
reconnaît aucun titre d’intervention pour les maires au titre de leur pouvoir de police
administrative générale en présence d’une police spéciale concurrente confiée au Ministre,
sans même référence aux circonstances locales. En revanche, dans le deuxième, il admet que
« s'il appartient, dès lors, à l'autorité administrative compétente de prendre en compte le
principe de précaution lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en
application de la législation sur l'urbanisme, les dispositions de l'article 5 de la Charte de
l'environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d'évaluation des risques
et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en
œuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser
légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés
faisant apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de
nature à justifier un tel refus ».
Sans doute cette légère différence peut-être s’expliquer par la différence de sources textuelles
en cause. Dans la deuxième hypothèse n’était pas en cause un problème d’articulation des
compétences des autorités de police administrative générale et spéciale mais une application
du principe constitutionnel de précaution. Mais il reste que l’invocation possible par le maire
d’ « éléments circonstanciés », autrement dit de circonstances locales, ne laisse pas
d’interroger compte tenu de ce que la dangerosité de l’exposition aux ondes semble devoir
s’apprécier nationalement et objectivement, les maires étant sans doute un peu trop sensibles
aux pressions locales et pas nécessairement suffisamment informés du point de vue technique.
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4/ Biens et travaux publics (par le Pr. François Lichère)
a) La garantie décennale couvre les désordres intermittents (CE, 9 déc.
2011, n° 346189, Cne Mouans-Sartoux)
La solution n’allait pas de soi : certes la responsabilité décennale a pu être engagée
pour des dommages partiels, c’est-à-dire qui ne rendent impropre à sa destination qu’une
partie de l’ouvrage (CE 5 mars 1969, Richemont et Lagneau), à condition toutefois que cela
rende véritablement impropre cette partie, ce qui n’était pas le cas d’un défaut de chauffage
(CE mars 1977, syndicat des copropriétaires de l’unité d’habitation Le Corbusier). On aurait
pu déduire de cette jurisprudence que le dommage devait être permanent, ce qu’avait fait la
Cour administrative d’appel dans l’affaire Commune de Mouans-Sartoux et ce que juge
constamment la Cour de cassation. Mais le Conseil d’Etat a cassé l’arrêt au motif qu’elle avait
exigé un « désordre général et permanent ». Ici, le désordre consistait en un défaut d’isolation
qui rendait impossible l’utilisation de certaines classes d’un établissement scolaire en période
estivale (dans les Alpes Maritimes). Il condamne en conséquence l’architecte de l’ouvrage.
b) Le juge administratif peut être saisi d’une demande d’injonction de
détruire un ouvrage public à la suite d’une emprise irrégulière sur une
propriété privée (CE 9 décembre 2011, Mme Lahiton)
On sait que le principe d’intangilité des ouvrages publics a connu depuis quelques
années de sérieux tempéraments. Le juge administratif peut être amené à ordonner, au terme
d’une balance des intérêts, la destruction d’un ouvrage public « mal planté » (CE 29 janvier
2003, Syndicat départemental de l'électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et commune de
Clans). Cette injonction peut intervenir à l’occasion d'une demande d'exécution de
l’annulation de la décision fondant la construction d'un ouvrage public (même arrêt) ou d’une
annulation d’un refus de démolition (CE13 février 2009, CC du canton de Saint-Malo de la
Lande) ou encore en complément d’une demande d’annulation d’un permis de construire
partiellement exécuté (CE 14 octobre 2011, Section, Commune de Valmeinier et Syndicat
mixte des Islettes). Mais la question que posait Mme Lahiton était inédite en ce sens qu’il n’y
avait pas de décision administrative à l’origine de la demande de démolition : cette demande
intervenait en complément d’un constat d’emprise irrégulière opéré par huissier et d’une
demande de constat d’irrégularité devant la juridiction administrative. En premier lieu Or le
Conseil d’Etat estime que la juridiction administrative est compétente pour constater
l’emprise irrégulière. En effet, si la juridiction judiciaire peut également être compétente pour
procéder à un tel constat, ce n’est qu’en cas d’emprise irrégulière flagrante, la compétence
judiciaire n’étant exclusive que pour fixer le montant de l’indemnité (TC, 17 mars 1949,
Société Hôtel du vieux beffroi et société Rivoli Sébastopol). En l’espèce, cette compétence
s’explique par le fait qu’il juge implicitement que les ouvrages en question, alors même qu’ils
ne sont plus utilisés par ERDF, ont conservé la nature d’ouvrage public.
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat, contrairement à la Cour administrative d’appel, apprécie
souplement les conditions posées par l’article L 911-1 du code de justice administrative
s’agissant de la demande d’injonction. En conséquence, celle-ci peut intervenir en application
d’un simple constat d’emprise irrégulière et alors même qu’il n’y aurait aucune décision
administrative annulée. Sur le fond, le Conseil d’Etat juge qu’ERDF n’apporte pas la preuve
1 1
que le déplacement et la destruction demandée porteraient une atteinte excessive à l’intérêt
général.
c) Le contrôle du juge sur le montant d’une redevance d’occupation
privative du domaine public est un contrôle restreint et l’occupant privatif
ne doit supporter les charges de déplacements de ses ouvrages privés que si
ce déplacement est impliqué par l’intérêt du domaine et non par l’intérêt
d’autres services publics (CE 1er février 2012, Société RTE).
Le premier point n’est pas une nouveauté : il est classiquement jugé que le montant de
la redevance est discrétionnairement établi par le gestionnaire du domaine et que par
conséquent, le contrôle du juge est celui de l’erreur manifeste d’appréciation. Mais on pouvait
se demander si l’entrée en vigueur du CG3P aurait pu modifier les choses. Il n’en est rien, le
juge considérant qu’il puisse y avoir plusieurs montants de redevances légalement institués.
Au passage, le Conseil d’Etat indique que l’EPAD est bien gestionnaire du domaine public
routier en faisant une interprétation souple des dispositions applicables et des circonstances
propres à l’EPAD (décret créant l’EPAD et ouvrage construit par lui).
Sur le deuxième point, il s’agit d’une précision de la jurisprudence : dans un arrêt du 23 avril
1975 SNCF, le Conseil d’Etat avait affirmé le principe que l’occupant privatif doit supporter
les charges de déplacement de ses ouvrages privés en cas de nécessité liée à l’exploitation du
domaine. L’EPAD demandait au juge d’étendre cette jurisprudence au cas où le déplacement
est impliqué par les nécessités d’un autre service public. Le Conseil d’Etat refuse de le suivre
sur ce point.
d) La procédure d’alignement des voies publiques est constitutionnelle à
une réserve près (CC, 2 décembre 2011 QPC n° 2011-201)
Pour le Conseil, saisi par la Cour de cassation (Civ. 3e, 28 sept. 2011, n° 11-14.363),
l'ordonnance de 1607 d'Henri IV, codifiée aux articles L. 112-1 et L. 112-2 du code de la
voirie routière est globalement constitutionnelle. On sait que la publication du plan
d'alignement destinée à délimiter le domaine public routier entraîne transfert de propriété des
terrains non bâtis et impose une servitude de dépérissement sur les terrains bâtis qui interdit
tout travail confortatif. Ce système est, dans son principe, constitutionnel dès lors qu’il « vise
à améliorer la sécurité routière et à faciliter les conditions de circulation ; qu'ainsi, il répond à
un motif d'intérêt général », et, d'autre part, parce que ce plan « est fixé après enquête
publique ». En revanche, le Conseil constitutionnel adopte une réserve d’interprétation qui a
pour effet d’indemniser le propriétaire de bâtis touchés par la servitude de reculement car la
jouissance par le propriétaire est limitée par cette interdiction de confortation. On peut tout de
même regretter que le Conseil constitutionnel n’ait pas saisi l’occasion qui lui était donnée de
mettre fin à cette procédure archaïque, quitte à ce qu’il invitât le législateur à adopter une
procédure d’expropriation simplifiée.
1 2
e) Publication de la partie réglementaire du CG3P (Décret du 22 novembre
2011)
Ce décret était attendu depuis l’adoption du CG3P en 2006. La première partie
concerne les procédures d'acquisition des propriétés publiques avec notamment des précisions
sur les dons et legs fait aux personnes publiques et les modalités de consultation du directeur
départemental des finances publiques en cas d’acquisition de biens.
La seconde partie concerne la gestion du domaine avec en particulier des dispositions sur les
domaines maritime et fluvial. Le contenu de la demande d'occupation est précisé. Les
modalités de mise en concurrence et de publicité préalable à la conclusion d'un bail sur le
domaine public répondant à certains besoins (justice, de la police ou de la gendarmerie
nationales, défense) et accompagnant une AOT/LOA sont codifiées et aménagées.
Néanmoins, pour les BEA, le décret du 30 décembre 2011 a prévu des règles propres aux
projets de bail emphytéotique administratif. Si ce projet de bail comporte des dispositions,
détachables ou non du bail, mais qui conduise à la passation d’un marché public, d’une
délégation de service public, d’un contrat de partenariat ou d’une concession de travaux, ce
sont les dispositifs respectifs qui s’appliqueront. Une précision utile puisque jusqu’à présent il
fallait faire une application directe de la directive du 31 mars 2004. Par ailleurs, tout projet de
bail d’une collectivité territoriale passé pour la réalisation d'une opération d'intérêt général
liée aux besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales doit être précédé
d’une évaluation préalable si le montant des loyers est supérieur à 1 million d’euros.
La troisième partie, relative à la cession des biens relevant des domaines public et privé, avec
précise les modalités de publicité et de sélection des offres dans le cadre de l'aliénation de
biens de l'Etat. Enfin, la quatrième partie fixe les dispositions applicables aux « autres
opérations immobilières des personnes publiques » comme la prise en location et les
opérations de gestion des biens que l'Etat utilise sans en être propriétaire.
f) Le rôle de la commission pour la transparence et la qualité des opérations
immobilières de l'État est renforcé (Décret du 10 février 2012)
5/ Contentieux (par le Pr. François Lichère)
a) Le déféré préfectoral à l’encontre des contrats administratifs est
désormais un recours de pleine juridiction (CE 23 décembre 2011, Ministre
de l’intérieur)
Le Conseil d’Etat revient ainsi sur sa jurisprudence Commune de Sainte-Marie de la
Réunion (CE sect. 26 juill. 1991) qui avait jugé que le déféré préfectoral contre les contrats
était assimilable à un recours pour excès de pouvoir. Pourtant, c’est au regard de « l’objet » de
ce recours que le Conseil d’Etat juge désormais qu’il s’agit d’un recours de plein contentieux.
La jurisprudence Tropic travaux signalisation n’est sans doute pas sans lien avec ce
revirement : dès lors que l’on a admis qu’une voie de droit ouverte à certains tiers pour
contester directement un contrat relève du plein contentieux, il était logique d’en faire de
même pour le recours du Préfet prévu par les lois de décentralisation. D’ailleurs, le Conseil
1 3
d’Etat en tire la conséquence que le juge ainsi saisi pourra moduler les effets de l’illégalité
constatée sur le contrat, comme pour le recours Tropic. Mais il adopte ici une formulation
identique à celle qui permet de moduler les conséquences de l’annulation de l’acte détachable
du contrat : « qu'il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la
validité du contrat, d'en apprécier les conséquences ; qu'il lui revient, après avoir pris en
considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation
du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son
exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité
contractante, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une
atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou
partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ». On doit même voir là dans
cette conséquence une cause : c’est pour renforcer l’office du juge que le Conseil d’Etat a fait
du déféré préfectoral un recours de plein contentieux, même si le souci de l’harmonisation ne
lui a pas été étranger. En l’espèce, il fait usage de ces pouvoirs en jugeant « que, toutefois, eu
égard au motif de l'annulation du marché, il y a lieu de décider que cette annulation ne
prendra effet qu'à l'expiration d'un délai de 3 mois suivant la notification de la présente
décision, et si le conseil d'administration [...] n'a pas, dans ce délai, procédé, comme il peut le
faire, à la régularisation du marché en adoptant, pour décider de le passer, une délibération
régulière ». On voit que la poursuite du contrat n’est envisagée ici qu’à condition que la
régularisation intervienne dans un délai de 3 mois.
b) L’entreprise attributaire d’un marché public n’est plus recevable à
intenter un référé précontractuel à l’encontre de la procédure de passation
(CE 23 décembre 2011, Département de la Guadeloupe).
La solution paraît relever de l’évidence : on pouvait s’interroger sur l’intérêt à agir
d’une entreprise qui avait été déclarée attributaire d’un marché à l’encontre de la procédure
d’attribution de ce marché. Pourtant, dans un élan de générosité, le Conseil d’Etat avait estimé
que tout attributaire avait un intérêt à savoir si la procédure était légale et avait admis l’intérêt
à agir de l’attributaire (CE, 19 sept. 2007, Cté agglomération St-Étienne Métropole). Outre le
fait que l’on doute de la réalité de cet intérêt compte tenu de l’absence d’autorité de la chose
jugée en référé précontractuel sur les décisions du juge du fond (en recours Tropic ou en
recours contre l’acte détachable), cette jurisprudence était intervenue avant la fameuse
décision SMIRGEOMES (CE Sect. 3 octobre 2008). En application de cette jurisprudence, le
Conseil d’Etat juge ici que le requérant ne peut invoquer aucun moyen susceptible de l’avoir
lésé et pour cause puisqu’il a obtenu le marché.
c) Le Conseil d’Etat précise, à la lumière de la directive recours, les critères
qui doivent guider le juge du référé contractuel dans le choix de la sanction
du non respect du délai de suspension après notification du rejet de l’offre
et en l’absence de violations affectant les chances du candidat (CE 30
novembre 2011, Société DPM Protection)
Cet arrêt donne surtout un guide opératoire au juge du référé contractuel pour choisir
la sanction la plus adéquate visée à l’article L 551-20 en cas de non respect du délai de
standstill et quand les autres conditions (qui conduisent à l’annulation quasi automatique) de
1 4
l’article L 551-18 du CJA ne sont pas remplies. Pour choisir entre l’annulation, la résiliation,
la réduction de la durée des ou les pénalités financières, le Conseil d’Etat rappelle que la
directive exige des Etats-membres de tenir compte « de la gravité de la violation, du
comportement du pouvoir adjudicateur et, s'agissant de l'absence d'effets du marché, de la
mesure dans laquelle le contrat continue à produire des effets ». Il indique ensuite que pour
déterminer la mesure qui s'impose, le juge du référé contractuel peut « prendre en compte,
notamment, la nature et l'ampleur de la méconnaissance constatée, ses conséquences pour
l'auteur du recours ainsi que la nature, le montant et la durée du contrat en cause et le
comportement du pouvoir adjudicateur ». Pour le rapporteur public, lorsque le seul
manquement tient au non respect de la suspension, il doit y avoir sanction mais la seule
sanction adéquate sera financière. En l’espèce, elle est de 10 000 euros compte tenu du fait
que la signature était intervenue 2 jours après la notification.
L’autre apport intéressant de l’arrêt et surtout des conclusions du rapporteur public tient à la
manière dont il faut interpréter la condition posée à l’article L 551-18 du CJA conduisant à
une annulation quasi automatique (sauf motif impérieux) du contrat en cas de non respect du
délai de standstill. On sait que cet article pose deux conditions cumulatives, outre ce non
respect, pour que le juge soit tenu de prononcer l’annulation du contrat : l’impossibilité
d’exercer le référé précontractuel et une violation « affectant les chances de l'auteur du
recours d'obtenir le contrat ». Si, en l’espèce, les violations alléguées n’étaient pas
caractérisées, le rapporteur public en a profité pour indiquer que la condition relative à
l’affectation des « chances de l’auteur du recours » rejoignait la préoccupation exprimée dans
l’arrêt SMIRGEOMES. Autrement dit, il suffirait, d’après le rapporteur public, d’appliquer la
logique SMIRGEOMES à l’article L 551-18 du CJA in fine pour que cette condition soit
remplie. Une interprétation finalement pas si exigeante dès lors que l’on aurait pu envisager
d’appliquer les conditions plus strictes de la notion de « perte de chance sérieuse d’emporter
le marché » telle qu’elle est appliquée en matière de responsabilité pour violation du droit des
marchés publics.
1 5
d) Le Tribunal des conflits réduit la portée de l’obligation de renvoi du juge
judiciaire au juge administratif en cas d’appréciation de la légalité d’un acte
réglementaire (TC 17 octobre 2011 et TC 12 décembre 2011, Société Green
Yellow)
Il y a bien longtemps que la jurisprudence Septfonds (TC 16 juin 1923) n’avait fait
parler d’elle. Comme le rappelle les deux arrêts du Tribunal des conflits de 2011, « sous
réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives
contraires, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à
l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses
prérogatives de puissance publique ; que de même, le juge administratif est en principe seul
compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute
contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre
principal de l'autorité judiciaire ». Certes, la nature autorise la compétence judiciaire en cas
d’atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté individuelle, que ce soit par la voie de
l’action ou de l’exception (T. confl. 30 oct. 1947, Barinstein) et cette jurisprudence a été
étendue au contentieux de la fiscalité indirecte (T. confl. 7 déc. 1998, District urbain de
l'agglomération rennaise c/ Société des automobiles Citroën). Au titre des dérogations
législatives, la plus notable est celle du nouveau code pénal entré en vigueur le 1er
mars 1994,
qui a confié au juge pénal plénitude de juridiction. Mais la juridiction civile demeurait dans
l’ensemble soumise aux mêmes principes depuis près d’un siècle : elle doit en principe poser
une question préjudicielle au juge administratif chaque fois qu’est soulevée devant elle par la
voie de l’exception d’illégalité la validité d’un acte administratif réglementaire. On sait que
cette obligation de renvoi ne concerne pas la simple interprétation de tels actes. Mais il ne
s’agit pas d’une exception au principe énoncé plus haut, l’interprétation étant moins
perturbatrice de la compétence du juge administratif que l’appréciation de légalité.
Dans l’affaire Green Yellow, le Tribunal des conflits vient ajouter deux exceptions à cette
obligation de renvoi. En premier lieu, les principes évoqués ci-dessus « ne trouvent pas à
s'appliquer lorsque la contestation incidente concerne la conformité d'un acte administratif au
droit de l'Union européenne ». Cette nouvelle exception nous paraît totalement fondée. Du
point de vue théorique, on pouvait se poser la question de l’intérêt qu’il y avait à maintenir la
compétence du juge administratif quand l’appréciation de la légalité de tels actes ressortit in
fine non au juge administratif mais au juge communautaire. Du point de vue pratique, c’était
aussi introduire le risque d’une superposition de renvois préjudiciels puisque qu’après le
renvoi au juge administratif, celui-ci pouvait être amené à renvoyer au juge communautaire.
De fait, la Cour de cassation avait d’elle-même consacré cette exception au nom du principe
de primauté du droit communautaire (T. confl. 7 déc. 1998, District urbain de l'agglomération
rennaise c/ Société des automobiles Citroën). Mais elle était allée plus loin en jugeant que tout
contrôle de conventionalité implique une dérogation et pas seulement celui s’appuyant sur le
droit communautaire (Civ. 1re, 3 avr. 2001, n° 00-05.026). Elle invoquait pour cela l'article 55
de la Constitution au motif qu’il habiliterait le juge civil à exercer une plénitude de
compétence. Le Tribunal des conflits n’a pas repris cette exception mais en a donc consacré
une autre moins attentatoire à la compétence du juge administratif. Au passage on peut noter
que si le Tribunal des conflits reprend dans ses grandes lignes le considérant de principe de la
jurisprudence Septfond, il ne limite pas la compétence du juge administratif par la voie de
l’exception aux seuls actes réglementaires mais à toute « décision de puissance publique », ce
qui étend un peu plus la compétence de principe du juge administratif.
1 6
En second lieu, dans le souci de bonne administration de la justice et de jugement dans un
délai raisonnable, le juge civil est désormais également compétent « lorsqu'il apparaît
clairement, au vu notamment d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être
accueillie par le juge saisi au principal ». On sera un peu plus dubitatif quant à cette seconde
exception, non quant au principe même, dès lors qu’elle existe aussi en sens inverse (renvoi
préjudiciel du juge administratif vers le juge judiciaire), mais quant à la définition vague de ce
que peut être une « jurisprudence établie ». Les faits de l’espèce nourrissent cette
interrogation. Ils concernent le contentieux à rebondissement des obligations d’achats
d’électricité issue des énergies renouvelables. En septembre 2009, le gouvernement a annoncé
qu’il allait baisser en 2010 les tarifs de rachat obligatoire d’électricité issue des énergies
renouvelables, ce qui a conduit à une multiplication des demandes de raccordement à
l’automne 2009, en particulier d’installations bénéficiant de panneaux solaires. Par deux
nouveaux arrêtés de janvier en mars 2010, le gouvernement a décidé d’appliquer ces
nouveaux tarifs aux nouvelles demandes mais en modifiant la date d’appréciation de la
demande pour déterminer le tarif applicable : il ne s’agissait plus du dépôt du dossier complet
mais de la date de raccordement effectif. Pour le Tribunal des conflits, la demande de la
société Green Yellow fait « nécessairement grief à ces dispositions réglementaires de
méconnaître le principe de non-rétroactivité des actes administratifs et en mettent ainsi en
cause la légalité ; que toutefois, eu égard à la jurisprudence établie du Conseil d'Etat sur la
portée de ce principe général du droit, il apparaît manifestement qu'une telle contestation peut
être tranchée par le juge judiciaire ». On aimerait pouvoir en déduire que cela signifie
clairement que les arrêtés sont illégaux. L’affaire n’est donc pas encore complètement
tranchée et surtout la portée de cette exception à la compétence du juge administratif encore
incertaine.
6 / Droit de la concurrence (Dan Roskis)
A) L’Autorité de la concurrence publie un document-cadre sur les
programmes de conformité (par Dan Roskis et Sarah Jaffar)
Document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de
concurrence.
Le développement des programmes de compliance s’inscrit dans un contexte particulier. Tout
d’abord, la relative « jeunesse » du droit de la concurrence plaide pour une meilleure
information sur ses règles de base, afin d’instiller une réelle culture de la concurrence dans les
milieux économiques. L’alourdissement des sanctions potentielles justifie également un
encadrement du risque concurrentiel. La répression des pratiques anticoncurrentielles fait
désormais du droit de la concurrence un droit quasi pénal1. Au-delà du montant des
1 A cet égard, l’article L. 420-6 du Code de commerce prévoit que « Est puni d'un emprisonnement de quatre ans et
d'une amende de 75000 euros le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de pratiques » d’entente ou d’abus de position dominante.
1 7
sanctions2, les victimes de pratiques anticoncurrentielles peuvent demander réparation du
préjudice subi : les actions en réparation (dommages-intérêts ou « private enforcement »)
sont encouragées par les autorités de concurrence. Dans la mesure où la détection des
pratiques prohibées s’est améliorée au cours de ces dernières années, les entreprises ont donc
tout à gagner à se prémunir contre d’éventuelles sanctions.
Afin de clarifier les conditions que doivent respecter les programmes de mise en conformité
pour être considérés comme valables ainsi que leur portée, l’Autorité de la concurrence
(« l’Autorité ») a publié un document-cadre le 10 février 2012.
a) Conditions de validité des programmes de mise en conformité
Un document unique doit préciser :
- une prise de position claire et publique des dirigeants et mandataires sociaux rappelant
l’interdiction légale des pratiques anticoncurrentielles et les conséquences en termes de
responsabilité pour l’entreprise en cas d’infraction et affirmant le soutien au programme de
mise en conformité ;
- l’engagement de désigner au moins une personne chargée de la mise en place du programme
de compliance au sein de l’entreprise (compliance officer) ;
- l’engagement de mettre en place des mesures d’information et de formation ;
- l’engagement de mettre en place des mécanismes de contrôle, d’audit et d’alerte ;
- l’engagement de mettre en place un dispositif de suivi.
b) Le régime des programmes de compliance
Les précisions apportées par l’Autorité dans le document-cadre laissent cependant
certaines questions ouvertes, auxquelles on peut espérer que la pratique réponde.
Tout d’abord, la nécessaire dénonciation par tout employé des pratiques anticoncurrentielles
dont il pourrait avoir connaissance pose question quant à son caractère effectif réalisable. En
effet, même si le document-cadre prévoit que le salarié doit bénéficier de mesures de
2 A titre d’illustration, en droit communautaire, Intel a été condamnée par la Commission à une amende de 1,06
milliards d’euros pour abus de position dominante (affaire COMP/C-3/37.990, du 13 mai 2009). En France, l’Autorité a imposé une amende d’un montant total d’environ 385 millions d’euros dans l’affaire du cartel des banques (affaire 10-D-28, du 20 septembre 2010). Cette décision a été annulée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 23 février 2012.
1 8
protection contre tout risque de représailles, cette exigence pourrait s’avérer être un vœu
pieux.
Egalement, pour remédier à un constat de comportement anticoncurrentiel, la personne en
charge de l’application du programme de conformité doit « disposer des pouvoirs nécessaires
pour assurer la mise en œuvre effective du programme de conformité ». Il aurait été utile que
l’Autorité précise la nature exacte des pouvoirs devant être conférés au responsable de la
compliance. Comme nous le verrons plus loin, l’entreprise constatant des pratiques
anticoncurrentielles peut s’engager dans une procédure de clémence. Cela implique-t-il que le
compliance officer doit être autorisé à déposer une demande de clémence au nom de
l’entreprise, alors que cela relève en principe de la compétence du représentant légal de
l’entreprise3 ? La question du statut du compliance officer est donc posée.
L’Autorité passe également sous silence la question de l’identité de l’auteur du programme de
mise en conformité. Dans l’hypothèse d’un groupe de sociétés, qui, de la mère ou de la filiale
concernée, doit prendre en charge le programme de compliance ? Dans la mesure où l’absence
d’autonomie d’une filiale permet de lui imputer une amende prenant en compte le chiffre
d’affaires du groupe, il pourrait être utile de dissocier la question des programmes de
compliance de celle de l’autonomie. La mise en œuvre d’un programme de conformité ne
devrait pas permettre de caractériser l’absence d’autonomie de la filiale, et ce d’autant plus
que l’on assiste depuis quelques temps à la mise en œuvre d’une présomption quasi-
irréfragable d’absence d’autonomie des filiales à l’égard de leur société mère.
Enfin, la taille des entreprises semble désormais être un facteur pertinent pour juger de
l’adéquation d’un programme de compliance. L’Autorité considère que les Petites et
Moyennes Entreprises (PME) pourraient adapter le contenu des programmes de compliance.
Absente du projet initial soumis à consultation, cette précision est empreinte de réalisme : si
les PME ne peuvent échapper aux sanctions pour pratiques anticoncurrentielles du seul fait de
leur taille, elles ne disposent pas des mêmes moyens que les groupes importants en matière de
prévention.
Même si leur régime fait l’objet de critiques, les programmes de compliance peuvent
présenter un intérêt particulier au regard des sanctions encourues en cas de pratiques
anticoncurrentielles.
3 Code de commerce, Article R. 464-5.
1 9
c) Les bénéfices des programmes de compliance
L’Autorité s’est démarquée du projet initial soumis à consultation, qui paraissait
imposer à l’entreprise de s’engager dans une procédure de clémence4 en cas de détection de
pratiques anticoncurrentielles par le programme de mise en conformité. Suite à la consultation
publique, le communiqué final supprime le lien obligatoire entre compliance et clémence que
suggérait le projet initial.
Elle a ainsi assoupli le régime de la mise en conformité puisqu’elle envisage également le cas
où l’entreprise ne présente pas de demande de clémence. Dans une telle hypothèse,
l’entreprise peut simplement renoncer à contester les griefs qui lui seront notifiés à un stade
ultérieur de la procédure5.
Cette solution semble préférable aux propositions antérieures, selon lesquelles l’entreprise qui
ne se pliait pas à la soumission d’une demande de clémence ne pouvait espérer une réfaction
de son amende. L’Autorité semblait considérer que l’absence de dépôt d’un demande de
clémence était signe de l’échec de la mise en conformité. Or, ce faisant, elle attribuait un but
nouveau au programme de compliance : alors que la mise en conformité relève normalement
de la prévention, l’Autorité lui conférait un but répressif. La procédure de clémence serait
alors passée du statut d’outil facultatif à celui de mesure obligatoire et aurait contraint les
entreprises à s’engager elles-mêmes dans une politique répressive, sous peine de sanction.
On peut toutefois regretter que le document-cadre considère que l’existence d’un programme
de mise en conformité ne constitue pas une circonstance atténuante en soi. L’Autorité estime
en effet que les entreprises ont par nature l’obligation de se plier aux règles de la concurrence
pour en déduire qu’aucune rétribution n’est due lorsqu’elles mettent en œuvre les moyens
nécessaires à cette fin. Cela revient en quelque sorte à imposer une obligation de résultat aux
programmes de compliance, qui devraient conduire à une absence totale de pratiques
anticoncurrentielles, ou à tout le moins à une détection quasi-immédiate de toute infraction.
Dans l’hypothèse où l’entreprise peut justifier par des éléments de preuve objectifs qu’elle a
mis un terme à l’infraction détectée dans le cadre du programme de compliance, avant
l’ouverture d’une enquête, elle peut bénéficier de circonstances atténuantes, même si elle n’a
pas déposé de demande de clémence pour ces pratiques. Cependant, le montant de la
réduction d’amende envisageable n’est pas précisé dans le document-cadre.
4 La clémence est une procédure visant à détecter les ententes : elle octroie une immunité d’amende ou une
réduction de la pénalité lorsque l’entreprise dénonce des pratiques anticoncurrentielles en apportant des informations substantielles de nature à établir la réalité de l’entente et à identifier l’identité des participants.
5 A titre de rappel, la non-contestation des griefs est un outil procédural visant à accélérer la procédure. Une fois que
les parties ont accepté de ne pas contester les griefs, elles ne peuvent plus contester la réalité des faits, ni leur qualification juridique, ni l’imputabilité.
2 0
Au-delà du traitement des circonstances atténuantes, le document-cadre rappelle, en ligne
avec la pratique en la matière, que l’Autorité peut accorder une réduction d’amende allant
jusqu’à 10% en cas d’engagement consistant à adopter un programme de compliance
conforme aux conditions précitées dans le cadre de la procédure de non-contestation des
griefs6. On peut s’interroger sur le point de savoir si cette réduction de 10 % est suffisamment
incitative au regard des responsabilités lourdes qu’implique pour une entreprise la mise en
place d’un programme de compliance.
d) Les différences principales entre droit communautaire et droit interne
Là où l’Autorité précise clairement le contenu du programme de mise en conformité,
la Commission considère que la conception des programmes de compliance relève de la
responsabilité des entreprises qui doivent savoir les adapter à leurs besoins propres et à
l’environnement concurrentiel dans lequel elles opèrent.
Toutefois, l’adoption d’un programme de mise en conformité est sans effet sur le montant de
la sanction en droit communautaire. Du point de vue des autorités de concurrence
communautaires, et contrairement à la pratique de l’Autorité, il ne s’agit ni d’une circonstance
aggravante, ni d’une circonstance atténuante. En effet, la Commission considère que si une
entreprise dotée d’un programme de mise en conformité est sanctionnée pour pratiques
anticoncurrentielles, c’est que son programme de compliance n’était pas adéquat. A ce titre,
elle estime que l’entreprise en question ne saurait bénéficier d’une quelconque réduction
d’amende.
Contrairement à la pratique de la Commission, l’approche de l’Autorité est de nature à inciter
les entreprises à s’engager dans un programme de mise en conformité. A plus long terme,
l’approche française devrait renforcer l’efficacité du droit de la concurrence.
6 Pour mémoire, dans le cadre d’une non-contestation des griefs, les entreprises peuvent espérer une réduction
d’amende allant jusqu’à 25%, se répartissant comme suit : 10% au titre de la non-contestation des griefs seule, 10% supplémentaires si l’entreprise adopte un programme de conformité et 5% au titre des autres engagements.
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B) L’Autorité de la concurrence sanctionne un cartel entre
producteurs d’endives (par Dan Roskis et Charlotte-Mai Dorémus)
Autorité de la concurrence - Décision 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la
commercialisation d’endives (« cartel des endives »)
En vue de limiter la baisse du cours de l’endive, les producteurs et leurs organisations de
producteurs avaient appliqué un plan global de gestion du marché destiné à limiter
l’application de la libre concurrence.
L’Autorité de la Concurrence (l’Autorité) a prononcé des sanctions relativement modérées en
valeur absolue (3,6 millions d’euros au total) pour tenir compte, d’une part, de l’impact limité
de l’entente en raison du pouvoir de négociations de la grande distribution et, d’autre part, des
ressources financières limitées des organisations de producteurs.
Après l’examen des pratiques en cause (a), les particularités de cette décision seront
envisagées. En effet, cette décision est d’un intérêt particulier en ce qui concerne
l’applicabilité du droit de la concurrence au secteur agricole (b) et aux organisations de
producteurs (c) et la détermination du montant de la sanction (d).
a) Les pratiques en cause
Pendant 14 ans (voire plus selon les acteurs), des organisations de producteurs
d’endives et des organisations représentatives ont mis en place des pratiques s’inscrivant dans
un plan global de fixation des prix de vente minima des endives. Cette entente concerne
l’ensemble de la production endivière française, toutes catégories d’endives confondues.
Concrètement, des consignes de prix pour chaque catégorie d’endives ont été divulguées, les
offres promotionnelles ont été encadrées, ainsi que les volumes mis en vente. Enfin, dans le
cadre de la police des prix de l’entente, un outil informatique d’échanges d’informations a été
mis au point. Ce système informatique centralisait ainsi les prix pratiqués par les producteurs
en temps réel afin de s’assurer de leur conformité à ceux arrêtés collectivement et identifiait
les récalcitrants. Il a donc permis l’adoption de mesures de rétorsion à l’encontre des
récalcitrants.
2 2
Ces pratiques ont perduré malgré l’intervention de la Direction Générale de la Concurrence et
de la Répression des Fraudes (DGCCRF), qui a alerté à plusieurs reprises les acteurs de la
filière endivière quant au caractère illégal de leurs pratiques.
b) Sur l’applicabilité du droit de la concurrence au secteur agricole
Le secteur agricole obéit à des règles particulières, liées à la volonté de réaliser une
politique agricole commune. C’est sur ce fondement que les parties ont contesté l’application
du droit de la concurrence interne comme communautaire aux pratiques constatées.
Dans sa décision, l’Autorité rappelle que selon les textes communautaires et la jurisprudence
de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), le maintien d’une concurrence effective
fait partie des objectifs de la politique agricole commune (PAC). En outre, la prohibition des
ententes est en principe inapplicable dans certains cas au secteur agricole7, à savoir: (i)
lorsque les accords en cause font partie d’une organisation nationale des marchés, (ii)
lorsqu’ils sont nécessaires à la réalisation des objectifs de l’article 39 du Traité sur le
Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ou encore (iii) lorsque des exploitants
agricoles et associations d’exploitants agricoles ressortissant d’un seul Etat membre concluent
des accords qui, sans impliquer l’obligation de pratiquer un prix déterminé, concernent la
production ou la vente de produits agricoles. Il revient à la Commission européenne (la
Commission) de déterminer quels sont les accords nécessaires à l’application de l’article 39
TFUE, sans préjudice pour les autorités nationales de concurrence de sanctionner les ententes
lorsque l’exemption propre à la PAC est manifestement inopérante.
En l’espèce, l’Autorité précise que l’exemption dont bénéficient certains accords collectifs est
inopérante lorsque les pratiques en cause consistent dans la diffusion de prix recommandés,
voire obligatoires. Tout au plus, l’objectif de régulation des prix de la production, qui
s’inscrirait dans les missions légitimes des organisations de producteurs tenant au
renforcement de leur pouvoir de négociation face aux distributeurs, aurait justifié la
publication de données historiques sur les prix pratiqués.
En tout état de cause, les parties n’ont pas sollicité auprès de la Commission que le droit de la
concurrence soit déclaré inapplicable aux pratiques en cause sur le fondement de l’article 39
TFUE précité. Dès lors, les pratiques examinées ne sauraient échapper à l’application du droit
de la concurrence.
7 Règlement n°1184/2006 du Conseil du 24 juillet 2006 portant application de certaines règles de concurrence à la
production et au commerce des produits agricoles.
2 3
c) L’applicabilité du droit de la concurrence aux organisations de producteurs
L’Autorité applique ici le droit de la concurrence à des organisations de producteurs et
des associations et syndicats. Dans la mesure où ceux-ci constituent des associations
d’entreprises, ils ne sauraient échapper à l’application du droit de la concurrence. En effet, ils
constituent l’instrument de l’entente et non des participants autonomes. Toutefois, l’Autorité
ne s’étend pas sur l’assimilation juridique des organisations de producteurs à des entreprises
et leur applique, spontanément, le droit de la concurrence.
d) Sanctions
Alors que le communiqué de l’Autorité sur les sanctions publié en mai 20118 prévoit
que le montant de base de l’amende prend en compte la valeur des ventes des produits
concernés, l’Autorité retient au cas d’espèce une proportion du chiffre d’affaires global réalisé
en France par les organisations de producteurs. Ainsi, elle se démarque de sa pratique
habituelle.
En effet, l’Autorité considère que dans la mesure où les organisations de producteurs
bénéficient de subventions publiques, la valeur des ventes d’endives ne constitue pas un
indicateur pertinent. Afin d’atténuer l’impact de ce changement de critère, qui viendrait à
prendre en compte une base plus significative que la valeur des ventes, l’Autorité retient un
ratio correspondant à 4% au plus du chiffre d’affaires réalisé en France au titre du montant de
base de l’amende.
Dans le cadre de la détermination du montant de base de l’amende, l’Autorité rappelle que les
pratiques de fixation de prix minimum sont graves, tant par leur objet que par leurs effets. Elle
nuance toutefois cette interprétation en rappelant que ces pratiques n’atteignent pas le degré
de gravité des ententes secrètes entre concurrents (cartels), dans la mesure où en l’espèce, les
pratiques litigieuses se sont déroulées dans le cadre d’organisations de producteurs auxquelles
le pouvoir réglementaire a confié des missions de gestion du marché.
La question du dommage à l’économie, facteur contribuant également à la détermination du
montant de base de la sanction, fait ici l’objet d’un traitement théoriquement favorable aux
parties à l’entente : l’Autorité considère que les producteurs et organisations de producteurs
sont dans une situation de faiblesse vis-à-vis de la grande distribution, qui dispose d’un fort
pouvoir d’achat à l’égard de ses fournisseurs.
8 http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/communique_sanctions_concurrence_16mai2011_fr.pdf. Sur ce point,
voir la Lettre Droit Public et Concurrence du 23 mars 2011.
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A la lumière de ce constat, il peut paraître surprenant que l’Autorité ait retenu un montant
compris entre 3% et 4% du chiffre d’affaires des parties à l’entente, avant de procéder aux
ajustements individuels. Un tel montant peut paraître, au regard des circonstances limitant la
gravité et le dommage à l’économie, d’une sévérité excessive.
Quant aux éléments d’appréciation individuelle de l’amende, l’Autorité retient une réduction
de 25% du montant de base pour l’une des organisations de producteurs qui s’était opposée à
la mise en œuvre de certaines pratiques, au risque de perdre son statut légal d’organisation de
producteur et ainsi de se priver de toute subvention communautaire.
Par ailleurs, au titre de l’individualisation des sanctions, l’Autorité apprécie le caractère
diversifié ou non de l’activité des organisations de producteurs concernées. En l’espèce, la
prise en compte d’un chiffre d’affaires global peut s’avérer défavorable pour les organisations
de producteurs « multi-produits », qui réalisent leur chiffre d’affaires sur le marché concerné
par l’entente mais aussi sur d’autres marchés.
En conséquence, afin que les sanctions reflètent le poids réel de chaque intervenant sur le
même marché, l’Autorité réduit le pourcentage du chiffre d’affaires retenu pour les
organisations de producteurs diversifiées.
Enfin, fait notable, l’Autorité a sensiblement réduit le montant des amendes infligées à
certaines organisations de producteurs du fait de leur faible capacité contributive : ces
producteurs ne génèrent de profits que grâce aux subventions versées au titre de la PAC. Dans
la mesure où l’existence de difficultés financières a été établie, caractérisant une « fragilité
particulière », conjuguée à la structure particulière des organisations de producteurs qui ne
sont dotées que de peu de capitaux propres et atteignent ainsi rapidement le taux
d’endettement maximal, des diminutions d’amende substantielles ont pu être accordées,
comprises entre 56% et 87% de réduction.
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Contacts
Boris Martor est avocat associé au sein du cabinet Eversheds LLP à Paris. Il est
responsable du Département Grands Projets - Droit public des affaires. Il
conseille sur les aspects juridiques des projets en Europe et en Afrique,
principalement dans les secteurs de l'énergie, des transports et des
télécommunications. Ses clients sont des gouvernements, sociétés d'Etat,
banques, fonds d'investissements et sponsors ou développeurs pour la
structuration et la passation de PPP ou sur des financements de projets
d'infrastructure et réformes institutionnelles. Boris est co-auteur de l'ouvrage
Pratique des Partenariats Public-Privé paru chez Litec en 2009.
Contact : Boris Martor, 01 55 73 41 53 / [email protected]
Dan Roskis est avocat associé au sein du cabinet Eversheds LLP à Paris, où il
est responsable de l’équipe Droit de la Concurrence. Il est spécialisé en droit
communautaire et français de la concurrence, notamment en matière de
contrôle des concentrations, de pratiques anticoncurrentielles et d’aides d'Etat.
Il conseille également des grands groupes privés et publics dans le cadre de la
définition et de la mise en œuvre de leur politique commerciale et tarifaire.
Membre du Barreau de Paris et Docteur en droit, Dan contribue régulièrement
à des publications juridiques françaises en matière de droit de la concurrence.
Contact : Dan Roskis, 01 55 73 41 37 / [email protected]
François Lichère, Of Counsel auprès d’Eversheds LLP, expert en contrats
publics et droit public des affaires, est Professeur Agrégé de Droit Public à la
Faculté de droit d'Aix-en-Provence. Il est spécialisé dans les marchés publics et
les PPP, et est notamment co-auteur du Guide Pratique des Partenariats
Public-Privé (Litec, 2009) et le Directeur scientifique et co-auteur de Droit des
marchés publics et Contrats publics spéciaux (classeur à feuillets mobiles -
Editions du Moniteur).
Contact : François Lichère, [email protected]
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A propos d’Eversheds LLP
Eversheds LLP et ses bureaux dans le monde entier emploient plus de 4 500 personnes offrant
leurs services aux entreprises des secteurs privé et public ainsi qu’à la communauté
financière. L’accès à tous ces services est fourni à travers 46 bureaux internationaux dans 28
juridictions. Eversheds combine la connaissance du marché local à l’accès aux spécialisations,
aux ressources et à la capacité internationale de l’un des plus grands cabinets d’avocats au
monde. www.eversheds.com
PPP & droit public des affaires
Le bureau parisien d’Eversheds LLP dispose d’une équipe intégrant des spécialistes du
financement et des avocats ou professeurs publicistes. Cette équipe a acquis une expérience
significative en matière d’opérations contractuelles complexes, d’opérations de financement
de projets et d’opérations immobilières ou projets d’infrastructures de grande envergure
touchant au secteur public et impliquant des PPP en Europe, en Afrique et au Moyen Orient.
En France nous intervenons sur des projets sous forme de contrats de partenariat, baux
emphytéotiques et autorisation d’occupation, et délégations de service public. Nous
conseillons tant les personnes publiques que les entreprises privées sur tous les stades de la
procédure: évaluation, montage juridique et financier, passation, bouclage financier et suivi
du projet. Notre approche, pratique et concrète, nous permet de sécuriser les parcours de nos
clients en trouvant les solutions les plus adaptées à leurs besoins.
Droit de la concurrence
L’équipe Concurrence du bureau parisien d’Eversheds LLP intervient aux côtés de ses clients
sur l’ensemble des problématiques de droit de la concurrence, en matière de conseil comme
de contentieux, tant au niveau national qu’au niveau communautaire. Notre pratique couvre
les pratiques anticoncurrentielles (conseil opérationnel, prévention des risques –compliance-
et procédures contentieuses), le contrôle des concentrations (fusions & acquisitions ; joint-
ventures) et les aides d’Etat (analyse, notification et plaintes). Notre objectif est d’apporter à
nos clients une assistance adaptée à leurs besoins dans le respect des budgets et délais
convenus. Notre équipe parisienne a développé des relations étroites avec les autorités
françaises de concurrence ainsi qu’avec les services de la Commission européenne. Nous
comptons parmi nos clients de grands groupes privés et publics, français et étrangers, en
particulier dans les secteurs de l’audiovisuel, de l’énergie, de la distribution ainsi que dans les
secteurs financier et pharmaceutique.
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