Approche agro-anthropologique et marges
de manœuvres des exploitations : 2008-2011
Shantala Morlans et Yves Michelin, Vétagro-Sup, UMR Métafort11 octobre 2O11, RMT prairies, Morteau
Objectif : pérenniser une gestion raisonnée et collective
du territoire agricole afin d’augmenter sa capacité de
résilience à l’aléa « campagnol terrestre »
Photo de taupinière, source : Fredon FC
La parcelle
La pullulation se manifeste à différents niveaux spatiaux La pullulation se manifeste à différents niveaux spatiaux
Unité paysagère
Exploitation agricole
Qui mettent en jeu des processus différents sur lesquels Qui mettent en jeu des processus différents sur lesquels l’agriculteur peut agir … ou pas !l’agriculteur peut agir … ou pas !
Unité paysagère
Exploitation agricole
Parcelle agricole
Territoire "petite région"cadre socio-économique
Parcelle/animalLogique agro-écologique
Exploitation agricole/troupeauxdimension technico-économique
Lutte collectiveManifestations
Plantation de haiesChasse du renardLaisser-faire…
Fauche/pâtureMise en cultureArrêt du lait…
piégeageTraitement chimique
fertilisation…
Cadre général de la recherche
Pullulations cycliques de campagnols en Franche-Comté et en Auvergne Des modifications des pratiques agricoles et d’aménagement du paysage devraient permettre de limiter les pullulations.Ces solutions demandent des remises en cause des systèmes de production => mais les agriculteurs ne font pas toujours ce qu’ils auraient économiquement intérêt à faire=> certaines de leurs décisions ne s’expliquent pas par des critères technico-économiques
Car la façon dont ils conçoivent le phénomène est complexe et ne mobilise pas que des registres techniques
La désolation
Tsunami
Invasion
Alarmant
Fausses promesses
Le cadre de travail
La finalité : rechercher des solutions aux questions posées par les agriculteursNotre postulat : changer d’attitude / pullulation
De la « lutte contre » en période de crise à l’intégration du processus dans le fonctionnement de l’EA
Les lacunes à combler- En quoi les pullulations affectent le fonctionnent des EA?- De quelles marges de manœuvre disposent-elles?- A quelles conditions peut-on les mettre en œuvre?
3 dimensions à prendre en compteLe spatial, le fonctionnel et le décisionnel
La pullulation est un phénomène spatial
Etude de l’aspect naturel et humain de la surface de la terre ...
L’approche géographique
Pour nous...
Paysage :Assemblage d’objets
élémentaires +/- habités de CT sur
lesquels l’agriculteur peut agir
Relief
Végétation
Structures humaines
Population élémentaire et son biotope
portion d’espace +/- envahie
Paysage et méta population
La pullulation affecte le fonctionnement des exploitations
agricoles
« La science du champ » …et l’étude de l ’ensemble des
composantes de la production agricole
L’approche agronomique
Pour nous...
Agriculteur = individu qui pilote un système d’exploitation où sont
en étroite relation :éléments paysage,
pratiques, représentations, territoire local...
Plante Parcelle Système d’exploitation
Fauche
Orge
Voisin
Abandon Fauche
Orge
Voisin
Abandon
Collectif d’agri.
Potentialités agronomiques Moyens
de production
ProductionsTechniques
Elle concerne l’agriculteur au delà du simple cadre de l’entreprise agricole
Etude des pensées, des actes Etude des pensées, des actes et des comportements des hommes et des comportements des hommes
dans leur sociétédans leur société
L’approche anthropologique
Ce que l’on veut savoir
Qu’est ce qu’il fait
Où et sur quoi il le fait
Comment il le fait
Pourquoi il le fait
De son propre point de vue
Discours Représentations
Individu Groupe local Société
Ces trois entrées sont en interaction
Pour les combiner :• Réduire le territoire d’étude • Chercher les dénominateurs communs- L’agriculteur, le technicien et le campagnol• Partir du point de vue de l’agri sur le CT- À partir de supports qui facilitent l’expression- Mais que l’on peut ensuite analyser dans chaque champ disciplinaire• Reconstruire les façons de produire et les façons de penser / pullulations de campagnols exprimées par les agri
Mise en oeuvre
• Un binôme constitué d’une agronome et d’une anthropologue• Un comité de pilotage interdisciplinaire, pour un croisement des regards non seulement entre disciplines de recherche mais aussi entre chercheurs et techniciens• Un calendrier de travail favorisant les temps de rencontre entre les disciplines et entre les acteurs impliqués dans la démarche pour réellement co-construire
L’approche agro-anthropologique de
l’étude
Mise en oeuvre de l’interdisciplinarité
• Un binôme constitué d’une agronome et d’une anthropologue
• Un comité de pilotage interdisciplinaire, pour un croisement des regards non seulement entre disciplines de recherche mais aussi entre chercheurs et techniciens
• Un calendrier de travail favorisant les temps de rencontre entre les disciplines pour réellement co-construire
Boîte à outils de l’entretien
Une grille d’entretien flexible Pour mettre en place une discussion ouverte
Une feuille blanche Pour faire dessiner à l’agriculteur sa perception de l’exploitation
Des cartes et des photos aériennes Pour redéployer le territoire de l’exploitation sur l’espace physique
Des photographies de parcelles « touchées » par le campagnol ou la taupe, à divers stades
Pour discuter des seuils d’acceptation de l’ « invasion », pour parler des paysages
Un appareil photo Pour photographier l’agriculteur à l’endroit qui lui semble le mieux représenter son exploitation
Boîte à outils de l’entretien
Une grille d’entretien flexible Pour mettre en place une discussion ouverte
Une feuille blanche Pour faire dessiner à l’agriculteur sa perception de l’exploitation
Des cartes et des photos aériennes Pour redéployer le territoire de l’exploitation sur l’espace physique
Des photographies de parcelles « touchées » par le campagnol ou la taupe, à divers stades
Pour discuter des seuils d’acceptation de l’ « invasion », pour parler des paysages
Un appareil photo Pour photographier l’agriculteur à l’endroit qui lui semble le mieux représenter son exploitation
L’approche agronomique de
l’étude
Méthode d’analyse agronomique
Analyse agronomique – Construction de fiches synthétiques à 6 thèmes– Comparaison des exploitations selon ces 6 thèmes– Mise en évidence statistique d’une typologie des exploitations
selon ces 6 thèmes
Un thème : Raisonnement du système fourrager
Une fiche synthétique = 6 thèmes
Variables initiales
Chargement
Objectif dans la gestion du pâturage
Méthode d’analyse agronomique
Analyse agronomique – Construction de fiches synthétiques à 6 thèmes– Comparaison des exploitations selon ces 6 thèmes– Mise en évidence statistique d’une typologie des exploitations
selon ces 6 thèmes
Axe synthétique :-Défini par le positionnement des exploitations selon un thème issu de la fiche synthétique et constitué de plusieurs variables initiales.
- Caractérise un potentiel d’évolution.
Classement relatif entre 2 attitudes extrêmes
+ Gradient principal -
Gra
dien
t sec
onda
ire
+
-
Exemple : axe par rapport aux
caractéristiques structurelles de l’exploitation
Axe « Organisation de l’activité sur l’exploitation »Variables initiales :
- Chargement et fertilisation (intensif – extensif)- Main d’œuvre- Revenu extérieur- Importance de l’objectif de performance- Motivation par l’activité agricole 1 = Exploitations très intensives
avec peu de main d’œuvre, démotivées par l’activité agricole, et qui ont souvent une autre activité
10 = Exploitations très extensives, avec beaucoup de main d’œuvre, performantes et dynamiquesOrganisation plus souple
Méthode d’analyse agronomique
Analyse agronomique – Construction de fiches synthétiques à 6 thèmes– Comparaison des exploitations selon ces 6 thèmes– Mise en évidence statistique d’une typologie des exploitations
selon ces 6 thèmes
La dimension anthropologique de
l’étude
1 . L’échelle individuelle : analyse des actions, perceptions et représentations de l’individu
Entretien semi-directif + observation participante, but = récolter les manières de penser et de faire, en contexte et hors contexte -Ce que fait la personne, pourquoi elle le fait, comment elle le fait, ce qu’elle pense de ce qu’elle fait, …
Concernant les éleveurs
• La lutte contre le campagnol terrestre découle à la fois de la perception que se fait l’éleveur de faits tangibles et de leur représentation, qui s’articule autour de dimensions morales, affectives, esthétiques, éthiques et ethniques, …• L’éleveur a toujours des raisons même si elles ne sont pas considérées comme raisonnables/rationnelles du point de vue des techniciens et/ou des chercheurs (ex. de la controverse autour du rodenator)• Le territoire de l’exploitation est la signature sociale de l’éleveur, il va donc notamment mettre ou non en place des méthodes de luttes selon son rapport au propre et au sale et sa posture active ou passive vis-à-vis des éléments porteurs de stress
Mais l’analyse anthropologique nécessite de croiser d’autres dimensions qui interagissent de manière très étroite avec les perceptions, les représentations et les actions de chaque individu
2. L’échelle du groupe avec l’analyse de la structure des réseaux sociaux
Analyse des réseaux sociaux et des « chaînes » à travers lesquelles s’articulent les processus décisionnels (avec la mise en lumière d’acteurs clés ayant un poids dans la prise de décision individuelle et collective)-Qui est d’accord avec qui, ou pas, dans quel(s) groupe(s) s’inscrit telle ou telle personne, …
Concernant les groupes
Groupe d’éleveursLe collectif peut renforcer la demande d’usage de pesticides ou s’y opposer, et empêcher les individus de s’adapter à des alternatives Exemple de la Zélac et de Nozeroy
Connexion avec d’autres groupes sociauxRenforcement de l’usage de la Bromadiolone par le préfet et les élus d’Auvergne cette annéeArrêt de la Bromadiolone sur pression sociale dans l’Ain vers 2000
3. Analyse des controverses à l’intérieur de chaque groupe et entre eux.
es processus d’échanges sociaux qui en découlent s’actualisent bien sûr constamment, à la fois sur le local mais aussi entre les différents lieux géographiques, connectés par la rencontre d’une problématique commune (ici, les pullulations de campagnols terrestres)
-omme ce processus est multifactoriel, comment s’emboîtent les idées ?
-ocio-anthropologie des controverses
Exemple d’analyse des controverses : le tableau croisé de représentations d’éleveurs et de chercheurs concernant les pullulations de campagnols terrestres
Socialement admis et scientifiquement admis
La bromadiolone a un effet à court terme sur les pullulations de CT
Socialement rejeté et scientifiquement rejeté
La taupe est une espèce pullulante
Socialement admis et scientifiquement rejeté
Les campagnols terrestres ont été lâchés par les écologistes (rumeurs)
Socialement rejeté et scientifiquement admis
Les rapaces et les renards ont un impact considérable sur les pullulations de CT
Croisement des typologies de pratiques avec les différents « modes de pensées » (reconstruites à posteriori) = aucune entrée ne permet de classifier les individus dans des « types » de postures
4. L’approche systémique et inter-disciplinaire
• On ne peut pas cibler une stratégie de lutte par type de système de production.
• Un système de production ne détermine pas un système de pensée ; un système de pensée ne prédétermine pas un type de système de production.
• Un système de pensée n’explique pas à lui seul un mode de lutte.
• Le gradient de couleurs indique le nombre d’exploitations présentes à chaque intersection de types.
S1 S2 S3 S4
L1
L2
L3
S1 S2 S3 S4
P1
P2
P3
P4
P1 P2 P3 P4
L1
L2
L3
0 1 42 3
4. L’approche systémique et inter-disciplinaire
De quelle manière cette problématique est perçue par les différents chercheurs, et en quoi les informations qu’ils apportent peuvent-ils collaborer à l’élargissement de la compréhension des phénomènes décisionnels d’usage d’un pesticide ?Hybrider les méthodes anthropologiques aux approches agronomiques, écologiques, techniques permet d’aller au-delà de ce que les agriculteurs disent
Quelques enseignements pour l’action
Résumons
De quoi avons-nous besoin pour atteindre notre objectif, soit apporter aux techniciens un appui pour la mise en place des méthodes de lutte intégrée de manière concertée et collective ?
Cela nécessite :
1) D’analyser les fonctionnements des territoires et des acteurs qui les composent, leurs pratiques et leurs motivations à mener ces pratiques
2) De développer des formations destinées aux techniciens afin de diffuser une nouvelle approche du conseil plus adaptée aux besoins et aux attentes des éleveurs
3) De développer des réseaux d’éleveurs mobilisés et motivés, qui sont les meilleurs relais locaux
Nous avons de ce fait mobilisé
3 piliers articulés• Écologie et dynamique des populations• Agronomie des territoires et des exploitations agricoles• Anthropologie des pratiques, des perceptions, des représentations, des relations, des réseaux sociaux et des controverses3 niveaux : • l’exploitation agricole/l’éleveur • le groupe d’éleveur/le territoire de proximité • les différents groupes concernés par le campagnol terrestre /les territoire d’actions de ces groupes
Analyse des différents contextes (locaux spécifique/globaux) afin d’intégrer les différentes problématiques actuelles impactant sur le fonctionnement des individus // nécessite étude sur le long terme
Chez les éleveurs Chez les techniciens/conseillers de la lutte contre le campagnol
Agronomie : Connaissance technique des pratiques agricoles mises en place par chaque exploitant sur son territoire, pour identifier les marges de manœuvres permettant d’augmenter sa résilience aux pullulations
Anthropologie : Connaissance du fonctionnement du conseil technique et des postures mobilisées par les techniciens lors du conseil
Anthropologie : Connaissance des motivations et raisons à mettre en place ces pratiques agricoles, des représentations associées au campagnol terrestre et aux méthodes de luttes proposées
Anthropologie : Connaissance des motivations personnelles des techniciens et le lien avec le discours tenu lors du conseil aux éleveurs
On a ainsi appréhendé
En résumé (non exhaustif)
Le campagnol terrestre est :
On lutte chimiquement parce que cet « objet » est
perçu comme :
On n’utilise pas la lutte chimique car :
Un animal Une maladie On ne peut rien faire
Une motte de terre Un intrus dans sa sphère personnelle (territoire)
Ça ne marche pas
Une population Un perturbateur d’un système homogène et productiviste
On est en opposition avec les porteurs de solutions chimiques aux pullulations
Un concept Un symptôme de la dérégulation de l’écosystème
Il existe des alternatives qui fonctionnent
Une maladie Un facteur parmi d’autres On ne veut pas « semer la mort dans la nature »
Le transfert nécessite un accompagnement adapté
Repenser le conseil pour mieux répondre aux besoins des éleveursChaque groupe gère/se représente la problématique spécifiquement Eleveurs, techniciens et scientifique : diversité des « mondes »Une cible = un discours = une solution : ça ne marche pas.
La démarche de conseil ne peut pas consister à proposer des « recettes ».
Il y a interconnexion de plusieurs systèmes de pensées.Le conseiller doit rechercher la prise en compte de l’ensemble des représentations Changement de posture par un effort de compréhension des autres acteurs
Les solutions sont à co-construire.Considérer les différentes approches du phénomèneResituer la problématique dans son champ d’investigation (contexte global)Cela nécessite une connaissance des autres « mondes »
Vers une stratégie combinatoire
Formations à destination des conseillers agricoles (techniciens de la lutte
contre les invasifs) > 3 volets
Sur le terrain Cela nécessite
1) Technique : apprentissage des méthodes de luttes alternatives à la lutte chimique (concept de lutte raisonnée)
Information des autres acteurs locaux concernant la gestion du campagnol terrestre (but : intégrer les habitants au processus)
Co-construction de la gestion territorialisée du phénomène (éleveurs, techniciens, chercheurs, autres acteurs)
2) Non-technique : approche réflexive sur sa pratique de travail
Suivis des populations (mise en place du réseau de surveillance) et expérimentations de nouvelles méthodes de lutte
Présence sur le terrain de médiateurs neutres politiquement et crédibles socialement, pour observer les pullulations, analyser les controverses sociales alimentées par le campagnol et négocier les luttes intégrées auprès d’une pluralité d’acteurs
3) Non-technique : gestion des groupes, animation d’une approche concertée et co-construite de gestion des territoires
Comment te quitter, ô produit mon amour ?
> En changeant les postures, les relations sociales, les types et les statuts des connaissances> Ne peut se faire qu’en connaissant chaque contexte + à plusieurs en couplant disciplines SHS & biotechniques et autres acteurs concernés/motivés> En co-construisant les solutions localement avec tous les acteurs concernés> En prenant en compte le cadre global d’incertitude dans les logiques et les actions de chaque acteur social (chercheurs et techniciens inclus)
Typologie des systèmes de production
Groupes Caractéristiques
S1 (n=5) : « parcellaire bien structuré mais dépendance fourragère totale »
Parcellaire sans contrainte majeure
Forte dépendance fourragère
Faible mobilité des surfaces fauchées
S2 (n=6) : « optimisés de la gestion de l’herbe »
Conduite du pâturage privilégiant la gestion de la ressource en herbe
Peu de souplesse d’adaptation
S3 (n=5) : « intensifs qui maîtrisent leur système »
Structure contraignante (notamment chargement élevé)
Gestion assez souple des surfaces
S4 (n=6) : « volonté d’autonomie pour les fourrages »
Autonomie fourragère
Exploitations extensives
Les différentes manières de se positionner vis-à-vis du campagnol terrestre
Groupes Caractéristiques
P1 Perception du campagnol terrestre comme une figure anxiogène
Réaction par l’expérimentation de nouvelles méthodes
Volonté d’éliminer le campagnol terrestre quel qu’en soit le coût
P2 Résignation
Les pullulations sont subies
Pas de lutte, pas de modification des pratiques
P3 Réactions duales
Plusieurs stratégies d’adaptation concomitantes, complémentaires ou contradictoires
P4 Pragmatisme
Adaptation de l’ensemble des pratiques afin de réduire l’impact des pullulations