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Mémoire de MASTER 2 recherche Géographie, aménagement,
sociétés, environnement
Spécialité Dynamiques spatiales et sociales
Option Géographie sociale et territoires
Année 2006-2007
Soutenu par Jean-Michel Lemonnier
La ségrégation socio-spatiale à
l’épreuve d’une opération
de rénovation urbaine
L’exemple du quartier de
la Découverte-Espérance à Saint-Malo
Directeur de recherche : Marc Dumont, Maître de conférences en aménagement urbain
et urbanisme
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Plan du dossier :
Introduction
I- La ségrégation socio-spatiale. Aspects théoriques et situation actuelle
1-La construction du concept de ségrégation par les sciences sociales
a- La ségrégation : éléments de définition. Polysémie et polymorphie du terme
b- Enclavement et discontinuité spatiale
c- L’Ecole de Chicago et l’appropriation de la notion de ségrégation par les sciences
sociales en France
d- Une nécessaire (re)contextualisation ou comment les « grands ensembles »
deviennent progressivement l’objet d’étude privilégié pour les recherches sur la
ségrégation
e- Les approches méthodologiques pour l’étude de la division sociale des villes en
France. Une construction et déconstruction des classes et catégories sociales à
considérer pour l’étude de la ségrégation
2-Les mécanismes ségrégatifs à l’œuvre dans les villes françaises. Ségrégation,
agrégation contre mixité sociale
a- Les mécanismes ségrégatifs des politiques de la ville et du droit de l’urbanisme
b- Ségrégation et embourgeoisement : la recherche d’un entre soi. Le rôle des
stratégies individuelles dans les processus de ségrégation
c- Les mécanismes ségrégatifs du foncier
d- La ségrégation scolaire : une ségrégation urbaine
II- Les concepts de ségrégation et d’enclavement à l’épreuve des faits sur le quartier
de la Découverte-Espérance. La mise en lumière de causes et de conditions
susceptibles d’être des facteurs d’exclusion…
1- L’approche historique pour éclairer la réalité d’aujourd’hui. Histoire du quartier et
dynamique par rapport à la ville de Saint-Malo
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a- Dans quel contexte le quartier de « grand ensemble » s’est implanté à Saint-
Malo ? La reconstruction de Saint-Malo et la genèse d’un quartier symbole de la
modernité d’après guerre
b- Les politiques de la Ville et les procédures de requalifications et le discours sous-
jacent à de telles procédures. Une politique fondée sur la territorialisation et la
géographie prioritaire
2- L’ apport de l’approche morphologique dans le décryptage des phénomènes de
ségrégation/ enclavement
a- La morphologie du quartier. L’obsolescence actuelle d’une forme urbaine «
dénoncée » par les acteurs intervenant sur le quartier
b- Un quartier qui s’éloigne pourtant des caractéristiques types des quartiers de
« grands ensembles »
c- Situation, typologie des logements: quelles particularités à la Découverte-
Espérance?
3-Une entrée par le territoire insuffisante à expliquer les phénomènes ségrégatifs.
L’étude de la ségrégation à travers le prisme d’indicateurs socio-économiques
a- Questionnement sur la pertinence de l’échelle des « quartiers INSEE » et des
indicateurs retenus pour l’étude de la division socio-spatiale à Saint-Malo
b- Les indicateurs en matière de niveau et de nature des revenus : une approche
par les minima sociaux
c- L’échec scolaire « à » la Découverte : fait objectif ou émanation d’un traitement
statistique homogénéisant ?
d- La santé : « un discours » sur la situation à la Découverte-Espérance qui laisse
apparaître une singularité dans le domaine de la santé mentale…
e- La « délinquance » sur le territoire de la Découverte : une prénotion déjà
construite ?
f- Essai d’approche graphique des phénomènes de ségrégation
4- L’ espace urbain à Saint-Malo dessine-t-il une hiérarchie sociale ?
a- L’opposition classique ZUP/ quartiers centraux est-elle suffisante pour décrypter
la réalité socio-spatiale à Saint-Malo ?
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b- Les mécanismes du marché du foncier et de l’immobilier à Saint-Malo à corréler
avec le parcours résidentiel des habitants de la ZUS… Vers une sécession
urbaine… ?
c- Essai de représentation cartographique de la géographie socio-résidentielle de
Saint-Malo. Une approche par « secteur » à privilégier…
III- « Stigmate », « disqualification », « enclavement »… La Découverte : un quartier
largement « qualifié »... Relégation réelle ou réalité fantasmée ?
1-Conséquences du discours développé par les médias locaux sur le quartier sur « les
malouins » vivant hors ZUS : une ségrégation par la rumeur…
a-Un jugement sur le quartier à priori peu nuancé : la Découverte et la métaphore
du « petit Chicago » …
b- Des stratégies d’évitement mises en place par les résidents des autres quartiers…
2-Les pratiques du quartier et de la ville par « les habitants » : entre soi contraint
généralisé ou réalité multiforme ?
a-Pertinence des critères retenus pour évaluer ces pratiques. Quels « habitants »
pour quelles pratiques ?
b-Réputation faite au quartier et image de soi : quelle(s) incidence(s) pour
« investir » le quartier et la ville ?
c-Des activités sociales déterminantes pour « pratiquer » la ville ?
d-Quelles mobilités pour quels « habitants » ?
3-La Découverte-Espérance :un quartier qui laisse entrevoir des situations internes
différenciées…
a-Une dualité qui se dessine entre le « monde pavillonnaire » et l’ « univers » des
« grands ensembles »…
b- Une micro-segmentation sociale à considérer pour une étude plus fine des
réalités sociales à la Découverte…La rue, l’îlot, l’immeuble, la cage d’escalier : des
espaces hétérogènes socialement…
Conclusion
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Glossaire
Bibliographie
Introduction :
La question de la ségrégation est fréquemment traitée dans le domaine de la recherche
en sciences sociales, à la fois, par la sociologie urbaine, mais aussi par la géographie sociale.
Un nombre important d’études fait appel, par ailleurs, à une approche pluridisciplinaire :
géographes, sociologues, urbanistes ou politologues exposent leur vision des faits sociaux
existant dans l’espace urbain. A partir de là, se pose la question de la raison d’être d’une
nouvelle étude sur le sujet. Le nombre d’ouvrages consacrés aux causes et aux conséquences
des phénomènes ségrégatifs sont en effet légion ; chacun de ces ouvrages tentant de balayer le
spectre des différents formes de ségrégation de manière plus ou moins exhaustive. Ainsi, les
mécanismes générateurs d’exclusion, de relégation, de ségrégation sont bien identifiés. Par
conséquent, si la question de la ségrégation a pu être fréquemment traitée à partir d’études de
cas sur des espaces urbains aux profils socio-morphologiques variés, une nouvelle étude sur
ce thème pourrait paraître dispensable.
Néanmoins, l’objet d’étude choisi dans le cas présent a une singularité. Il sera l’objet
d’une profonde mutation dans les années à venir. En effet, le quartier de la Découverte-
Espérance, situé à Saint-Malo, fait partie de ces quartiers construits après-guerre et qui a
bénéficié depuis les années quatre-vingt de plusieurs procédures émanant des Politiques de la
ville et qui a été retenu par le Programme national de rénovation urbaine (PNRU), issu de la
loi du 1er août 2003, dite Loi d’orientation pour la ville et la rénovation urbaine, modifiée par
la loi du 18 janvier 2005. Ce programme vise en priorité les quartiers des ZUS dans le but de
favoriser la « mixité sociale et fonctionnelle », en les restructurant par des opérations
d’aménagements lourdes : démolition, construction, réhabilitation de logements et
d’équipements collectifs par exemple.
Par ailleurs, ce PNRU présente une innovation au moins sur un point. Les procédures
concernant le mode de financement de ces opérations, qui caractérisaient les anciens contrats
de villes ont été abandonnées au profit de la création d’un -selon l’expression désormais
largement répandue- « guichet unique »: l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU).
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Par suite, ce contexte nous a paru intéressant pour s’intéresser au cas de la Découverte-
Espérance…
La commune de Saint-Malo qui présente une population de 50800 habitants est un
pôle urbain d’importance régionale. D’un point de vue démographique, Saint-Malo se situe au
deuxième rang des communes en Ille et Vilaine, ce qui en fait la cinquième commune la plus
peuplée de la région bretonne. Avec un taux proche des 25%, Saint-Malo est aussi la
commune de Bretagne présentant la plus forte proportion de logements sociaux. Le quartier
de la Découverte-Espérance est précisément le quartier de la ville où la concentration de
logements sociaux est la plus forte. Ce quartier est donc notre objet d’étude pour cette
présente recherche. Le postulat de départ, préalable à toute étude sur la ville, est, en effet, de
considérer cette dernière, non pas comme un terrain d’étude, mais bien comme un objet de
recherche. Le phénomène urbain doit être lu comme une forme sociale, résultat des
interactions des acteurs impliqués dans ledit phénomène, à la lumière d’une perspective
historique.
Notre objet d’étude, en l’occurrence le quartier de la Découverte-Espérance, a donc été
appréhendé à partir d’une problématique, récurrente aujourd’hui, dans la prise en compte des
faits sociaux dans les villes françaises : celle de la ségrégation socio-spatiale dans un contexte
particulier, cependant, d’opération de renouvellement urbain.
Qu’est ce qui différencie le quartier de la Découverte-Espérance des autres quartiers
de la commune, auquel il appartient, pour qu’il fasse l’objet d’une telle intervention qui
conduira à le modifier sensiblement, aussi bien d’un point de vue morphologique que social?
Ce quartier est-il concerné par des « mécanismes » conduisant à « mettre à l’écart » des autres
espaces de la ville de Saint-Malo, les populations qui y résident, pour que celui-ci reçoive un
traitement spécifique? Autrement dit, nous avons voulu mettre la question de la ségrégation
socio-spatiale à l’épreuve de l’opération de rénovation urbaine à la Découverte.
D’un point de vue méthodologique, la difficulté rencontrée, et qui semble fréquente
pour l’apprenti chercheur, est de se noyer de prime abord dans les informations recueillies :
bibliographie mal ciblée donnant lieu à une redondance des informations, accumulations de
statistiques…avant d’avoir clairement défini l’objet même de sa recherche, d’avoir émis des
hypothèses. Une fois l’écueil évité, reste à définir une démarche.
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Gaston Bachelard décrit la démarche scientifique en ces termes : « Le fait scientifique
est conquis, construit, constaté », conquis par les préjugés, construit par la raison, constaté
dans les faits. Cette démarche est similaire à celle résumée par P. Bourdieu, J-C Chamboredon
et J-C Passeron dans Le métier de sociologue, Paris, Mouton, Bordas, 1968. Elle est
composée de trois phases : la rupture, la construction, la constatation ou expérimentation. La
rupture ou « rompre avec le sens commun » voilà ce qui résume la position à adopter par le
chercheur. Cette phrase de Pierre Bourdieu montre la nécessité d’aller au-delà de la réalité
sensible, de rompre avec les évidences. La construction constitue le cadre théorique auquel va
se référer le chercheur tout au long de son travail. Sans ce périmètre conceptuel défini, pas
d’expérimentation possible. La constatation, enfin, est la mise à l’épreuve des faits.
Signalons que, l’ensemble du travail réalisé pour ce mémoire a été facilité grâce à un
stage de 3 mois, réalisé à la Direction de l’architecture de l’urbanisme et du foncier de Saint-
Malo. Celui-ci, nous a permis de côtoyer des professionnels de l’urbanisme et de
l’aménagement, ce qui est source d’enrichissement, mais aussi d’avoir accès à des sources
documentaires conséquentes, utiles pour notre recherche.
Le premier constat qui peut être fait quand on aborde l’étude du quartier de la
Découverte-Espérance est que les informations relatives à ce territoire sont pléthoriques.
Nombre de rapports diagnostics ont été établis lors d’études préalables avant le lancement de
différentes politiques contractuelles : procédure de Développement social des quartiers,
Contrats de ville ou plus récemment dans le cadre du Programme de rénovation urbaine de
l’Agence nationale de rénovation urbaine. Mais, ce qui est peut-être frappant est qu’aucun de
ces rapports, même s’ils mettent en avant les particularités du site étudié sur lequel les
pouvoirs publics désirent agir, ne posent clairement la question qui permettrait d’affirmer ou
d’infirmer l’hypothèse d’un territoire ségrégué dans la ville de Saint-Malo. Autrement dit, le
mot ségrégation en lui-même n’est, à notre connaissance, à aucun moment mentionné dans
ces écrits.
D’autre part, il n’est bien sûr pas question de nier les informations présentées dans ces
rapports diagnostics qui sont une mine d’informations, de surcroît aisément réutilisables -ce
qui facilitent de manière significative le travail de récoltes de données pour un travail de
recherche- mais plutôt de s’appuyer sur celles-ci pour les questionner.
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Les sources bibliographiques utilisées pour la réalisation de ce mémoire sont
constituées, aussi, à la fois d’ouvrages et d’articles présentant les travaux de chercheurs en
géographie sociale ou en sociologie urbaine pour une grande part mais aussi d’urbanistes.
Ceux-ci nous ont permis de proposer une synthèse -certainement loin d’être exhaustive
cependant- des différents aspects théoriques des questions de ségrégation/ agrégation,
d’enclavement, et de mixité. C’est la lecture de ces ouvrages qui a permis la construction d’un
cadre théorique pour entreprendre cette recherche sur la mise en évidence de phénomènes
ségrégatifs, ou tout au moins d’ouvrir des pistes de réflexions, sur l’éventualité de l’existence
de tels phénomènes dans l’espace urbain malouin.
Enfin, les autres sources mobilisées pour cette recherche sont le fruit d’entretiens
réalisés à la fois avec les « habitants » de la Découverte-Espérance et aussi avec des
« habitants » d’autres secteurs de la commune de Saint-Malo. Au total, ce sont vingt
personnes qui ont été sollicitées pour les besoins de notre étude. « Les habitants » du quartier
de la Découverte- nous emploierons indifféremment l’expression Découverte ou Découverte-
Espérance- ont été approchés par le biais d’entretiens exploratoires ou semi-directifs. Il était
en effet question de « faire parler » les personnes rencontrées sur leur vie…Les seules
questions posées étaient liées à la mobilité et à la sociabilité.
Le public rencontré dans le quartier était composé à parts égales d’habitants des
immeubles locatifs sociaux et de résidents du parc privé pavillonnaire, soit dix individus au
total. Dans le premier cas, nous avons privilégié des « secteurs » du quartier aux profils
socio-économiques et morphologiques, a priori, très « marqués ». C'est-à-dire des espaces qui
cumulent, au sens où l’entendent les rapports diagnostics lus et les acteurs intervenant sur
ceux-ci, le plus de « handicaps » : population dont les revenus sont issus des minima sociaux,
« diagnostic » d’enclavement posé par les acteurs institutionnels. Dans le second cas, nous
avons eu à faire exclusivement à des retraité(e)s.
Les dix autres enquêtés proviennent de plusieurs autres quartiers de Saint-Malo :
Saint-Servan, Paramé, La Madeleine. La démarche a été ici toute différente. Nous avons
privilégié l’entretien directif. Nous voulions recueillir les propos de résidents de différents
« secteurs » de Saint-Malo sur la manière dont celui-ci est perçu. Les questions ont porté sur
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« l’image » du quartier de la Découverte et sur la « pratique », la fréquentation de celui-ci par
ces mêmes personnes.
Le produit final de cette recherche se présente donc ainsi : en premier lieu, nous
présentons les différents aspects théoriques des thèmes mobilisés pour l’étude de la division
socio-spatiale des espaces urbains en France. Nous proposons donc, à la lecture, les
définitions données aux notions de ségrégation, enclavement ou mixité, leur construction
scientifique objectivée, ainsi que la manière dont celles-ci sont passées du domaine de la
recherche à la « sphère » politico-médiatique et les glissements sémantiques et les
atténuations de sens qui s’en suivent…
L’objet des deux autres parties est alors de mettre à l’épreuve ce concept de
ségrégation dans le cas du quartier de la Découverte. Dans la deuxième partie, nous
présentons donc trois éléments, disons dimensions, susceptibles d’éclairer la réalité existante
sur ce quartier : l’histoire et la dynamique du quartier par rapport à l’ensemble de la commune
de Saint-Malo, ainsi qu’une présentation des politiques de la ville dont a « bénéficié » le
quartier, une présentation des études morphologiques réalisées sur le quartier et une approche
de la question de la ségrégation sociale à travers le prisme d’indicateurs socio-économiques.
Enfin, ce chapitre s’achève par un questionnement relatif à la configuration socio-spatiale de
la ville de Saint-Malo. L’ensemble de ces éléments nous permet donc de voir comment tout
un discours institutionnel s’est sédimenté autour du quartier de la Découverte, de comprendre
comment celui-ci, de ZUP moderne des années soixante est devenu en quelques décennies un
territoire relégué, du fait, entre autres, de l’existence de ce discours politico-médiatique et par
les représentations qu’ont certains « habitants » de Saint-Malo de cet espace.
Le dernier chapitre, justement, questionne les faits évoqués auparavant. La parole
donnée à quelques individus résidant dans d’autres quartiers de Saint-Malo est « analysée »
parallèlement avec le discours de certains médias. Enfin, les discours des « habitants » du
quartier sur leur quartier, mais aussi sur leur ville et la façon dont ils les investissent, sont
présentés et remettent en perspective les « diagnostics institués » sur le quartier.
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I- La ségrégation socio-spatiale. Aspects théoriques et situation actuelle
1- La construction du concept de ségrégation par les sciences sociales
a- La ségrégation : éléments de définition. Polysémie et polymorphie du terme
« Faire l’histoire d’un mot, ce n’est jamais perdre sa peine. Bref ou long, monotone
ou varié, le voyage est toujours instructif. […] Ces termes, dont le sens, plus ou moins
grossièrement défini par les dictionnaires, ne cesse d’évoluer sous la poussée des expériences
humaines, nous arrivent grossis, pour ainsi dire, de toute l’histoire qu’ils ont traversée. Seuls,
ils permettent de suivre et de mesurer avec une exactitude un peu lente (le langage n’est pas
un appareil enregistreur très rapide) les transformations d’un groupe de ces idées maîtresses
que l’homme se complait à croire immobiles, parce que leur immobilité semble garantir sa
sécurité. » Lucien Febvre, « Civilisation, évolution d’un mot et d’un groupe d’idée », in
Civilisation : le mot et l’idée, Paris, La Renaissance du livre, 1939, p.1
Aussi, cette citation nous interpelle sur la nécessité de considérer un mot, une idée,
non pas comme quelque chose d’immuable, de pétrifié, mais bien au contraire comme un
élément à remettre en question dans une perspective dynamique, évolutive. Cela nous amène
donc à avoir dans un premier temps, des préoccupations d’ordre étymologique pour nous
permettre de fixer l’acte de naissance d’un mot, préalable nécessaire dans le cadre d’une étude
où nous pressentons que le sens du mot central de ladite étude a évolué dans le temps. Cerner
l’origine d’un mot, en l’occurrence celui de ségrégation a des vertus heuristiques et n’est pas
vain dans le cadre d’une recherche en géographie sociale. La recherche de cette origine nous
éclairera, à coup sûr, sur les réalités que recouvrent ce mot, sur son utilisation peut-être
abusive et systématique pour qualifier certains phénomènes assez éloignés du sens de ce
terme. Autrement dit, revenons en au sens fondamental du mot pour mieux comprendre son
utilisation actuelle dans notre contexte d’étude.
Le mot « ségrégation » à une double origine, à la fois latine et anglo-saxonne. Le
terme segregatio, d’origine latine, est issu de segregare, dont le sens initial est « séparer un
animal d’un troupeau ». Le vocable est ensuite appliqué aux relations humaines et évolue dans
le sens de « mettre à l’écart », « mettre à part », « séparer », « éloigner un individu d’un
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groupe ». L’emploi du terme de ségrégation est attesté pour la première fois en 1374, dans le
sens « d’action de séparer ». Il apparaît, par ailleurs, pour la première fois dans un
dictionnaire- celui de l’Académie française- en 1762, comme « l’action par laquelle on met à
part, on sépare d’un tout, d’une masse ». Mais, notons que cette définition n’est illustrée par
aucun exemple. Le mot semble ne pas posséder de connotation particulière. Il signifie
simplement « séparation ».
C’est au XXème siècle, que le terme de ségrégation entre dans le champ lexical de la
langue française avec une connotation toute particulière, étrangère au mot jusqu’alors. Le sens
« moderne » du terme de ségrégation, vient des Etats-Unis. Ce terme recouvre alors, dans les
années trente, le sens de séparation totale, organisée et réglementée, de la population blanche
avec les autres groupes d’individus ayant une couleur de peau différente. Le mot, l’idée de
ségrégation appartient alors au domaine du droit, des lois écrites. Une réalité que partagera
également un pays comme l’Afrique du Sud. Nous entrons donc ici dans le domaine de la
différenciation, de la mise à l’écart de groupes humains du fait de leur appartenance ethnique,
religieuse, sociale ou en raison de leur sexe, de leurs mœurs. Cette ségrégation est donc à la
fois spatiale : on isole une population dans un quartier d’une ville et sociale : le groupe subit
des discriminations de type économique, juridique ou politique. Si cette réalité n’a plus un
caractère légal dans les pays cités plus haut- loi sur les droits civiques aux Etats-Unis en 1964
et abolition de l’apartheid en 1990 en Afrique du sud- elle est toujours présente de manière
officieuse : les afro-américains sont toujours victimes de discrimination à l’embauche par
exemple. Nous voyons donc que le terme de « ségrégation » a longtemps été réservé aux
sociétés autoritaires, où la mise à l’écart, la séparation physique des groupes d’individus était
intentionnelle.
Aujourd’hui, dans nos sociétés basées sur un principe d’égalité entre les individus, le
terme « ségrégation », outre le fait qu’il soit connoté péjorativement, « renvoie à une norme, à
un idéal d’un monde meilleur, où triompherait la mixité, l’assimilation, l’intégration »
(Grafmeyer, 1994). Progressivement, le vocable perd sons sens fort. Il est alors largement
récupéré et utilisé par les médias. Galvaudé, le terme de ségrégation prend une multitude
d’acceptions.
La ségrégation, en tant qu’objet d’étude, se définirait donc comme un fait social de
mise à distance et de séparation physique (Madoré, 2004). Elle résulte de l’ensemble des
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mécanismes sociaux qui permettent à certains groupes de tenir à distance d’autres groupes, et
de leur assigner un territoire. C’est le « chacun chez soi », mais il existe des espaces
communs, non investis totalement par tel ou tel groupe, dans lesquels des individus
appartenant à des « classes sociales » différentes peuvent se rencontrer. Manuel Castells, en
1972, définit, quant à lui, la ségrégation comme « la tendance à l’organisation de l’espace en
zones à forte homogénéité sociale interne et à forte disparités sociales entre elles ; cette
disparité étant comprise, non seulement en terme de différences, mais de hiérarchie »(
Madoré, 2004).
La ségrégation est donc forcément inhérente à la formation de « groupes de personnes
qui entretiennent entre elles des relations exclusives en fonction de différents critères »
(Pumain, 2004). On distingue deux types de ségrégation. Celle qui est choisie et qui émane
alors de la volonté de certains groupes individus de « sélectionner » les personnes avec
lesquels ils veulent cohabiter, selon des critères de revenus, c’est à dire selon le capital
économique des individus, ou selon des critères d’appartenance ethnique. Ces deux critères,
étant par ailleurs souvent associés, dans les quartiers des grandes villes par exemple, pour
désigner les populations que l’on ne souhaite avoir dans son voisinage immédiat. Cependant,
le critère « ethnique », ne doit pas forcément être considéré comme un élément de
discrimination négative. En effet, le regroupement des personnes selon leur appartenance
ethnique ou religieuse, peut être aussi choisi. Ainsi, c’est cette dynamique qui aboutit à la
création des quartiers juifs, et non pas des « ghettos » juifs qui sont le résultat d’une mise à
l’écart de manière autoritaire, formés selon une logique d’exclusion des individus de
confession religieuse différente. La ségrégation subie est celle qui touche certains groupes
sociaux défavorisés ou mal intégrés, exclus de fait, de certains espaces et qui n’ont donc pas
le choix de leur lieu de résidence.
Les phénomènes ségrégatifs, d’exclusions, sont le résultat d’interactions et
d’interdépendances entre différents acteurs qui agissent dans et sur la ville. « Ce système
produit des formes de régulation sociale et une territorialité spécifique, expressions de
rapports de pouvoirs qui marquent l’espace urbain et génèrent aussi des opportunités
d’intégration ou d’insertion comme des mécanismes d’exclusion et de stigmatisation »
(Penven, 1998). Cette idée corrobore les thèses de l’Ecole de Chicago sur lesquelles nous
insisterons plus loin dans cet exposé.
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La ségrégation peut être aussi être construite par la rumeur, la disqualification. C'est-
à-dire qu’une certaine image de l’autre va être construite en le « stigmatisant ». En outre, la
forme de ségrégation la plus courante est celle générée par l’appartenance ethnique, la couleur
de peau.
L’isolement d’une population dans un quartier d’une ville correspond donc, à une
ségrégation spatiale. Les discriminations d’ordre économique sont, quant à elles, identifiables
à une ségrégation sociale. On parlera donc souvent de ségrégation socio-spatiale. Mais, n’y a-
t-il pas une redondance dans l’expression même ? Comment une ségrégation sociale ne
pourrait-elle pas être corrélée à une organisation particulière de espace !?
Par ailleurs, l’imprécision même de la définition du terme « ségrégation » nous incite à
nous méfier, pour éviter la confusion, de certains faits sociaux que nous serions tentés de
regrouper sous ce nom. En effet, les différentes « pathologies » sociales pouvant exister sur
certains territoires sont-elles le résultat de phénomènes ségrégatifs ou de l’ordre de la simple
différenciation d’un territoire par rapport à un autre, de la spécialisation spatiale ?
On parlera de ségrégation urbaine, sociale, résidentielle…L’ensemble de ces
formulations étant souvent substitué l’une à l’autre, quand on lit les différentes recherches
produites sur la division socio-spatiale des villes. Cette dernière expression étant elle-même
usitée pour désigner les phénomènes de mise à distance sociale et spatiale de groupes
d’individus.
La ségrégation peut être étudiée à l’échelle d’une ville, d’un quartier, ou même d’un
immeuble. Dans ce dernier cas, il s’agit le plus souvent d’une ségrégation sociale verticale,
telle qu’elle pouvait exister dans les immeubles parisiens jusqu’au XVIIIe siècle environ. A
l’intérieur d’un même bâtiment pouvaient coexister des familles bourgeoises et les employés
de ces mêmes familles, relégués dans les niveaux supérieurs, sous les combles. Cette
hiérarchie sociale organisée spatialement, de manière verticale, malgré quelques survivances
ici et là, disparaît progressivement à partir du XIXe siècle, sous l’effet des opérations
d’urbanisme qui engendrent une profonde mutation de l’espace urbain des grandes villes
françaises.
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La sécession urbaine est, quant à elle, un phénomène de ségrégation paroxystique.
Dans ce cas, il n’existe plus de territoire de rencontres entre différents types de population. La
rupture est définitive entre des catégories sociales distinctes et irréconciliables. C’est l’« entre
soi » choisi…
Nous l’avons vu le sens premier du mot ségrégation, dans son acception moderne, est
inhérent à une intentionnalité, à une volonté de mise à l’écart de groupes d’individus jugés
indésirables par un gouvernement autoritaire. On doit alors se poser la question si l’utilisation
du terme « ségrégation » est légitime pour désigner des faits sociaux existants dans des
contextes très éloignés de ceux qui ont vu naître l’idée même de ségrégation...
b- Enclavement et discontinuité de l’espace
La notion d’enclavement, désigne, quant à elle, l’idée « d’une situation de fermeture
spatiale : l’enclave est un espace partiellement isolé ou fermé dans un système de relations.»
Quelle différence pouvons alors nous faire entre la ségrégation spatiale, exprimant également
l’isolement d’un groupe de population et une situation d’enclavement ?
Disons que la question de l’enclavement est essentiellement appréhendée à partir de la
situation d’inégale accessibilité aux réseaux de transports. « De la continuité ou au contraire
de la discontinuité dans les réseaux, animant cette relation dépend alors ce gradient (entre
ouverture et fermeture) qui définit les situations spatiales » (Debrie, 2005). L’enclavement
serait l’expression géographique de l’isolement dans les réseaux. Terme tout aussi
polysémique que celui de ségrégation, le terme exprime « l’idée d’un isolement spatial à
dépasser ou l’identification de fermetures qui doivent être annulées » (Ibid., 2005).
L’enclavement indique alors une discontinuité de l’espace.
L’enclavement pourrait être défini aussi comme un outil servant à produire la
ségrégation, sous certains régimes politiques, comme en Afrique du sud. Par ailleurs, on parle
aussi de ségrégation socio-spatiale par les transports mais aussi d’enclavement socio-spatial.
(http://urbamet.documentation.equipement.gouv.fr/urbamet/vuedocpdf?id=266211&print=tru
e)
L’enclavement est aussi « une figure de style utilisée pour traiter des marginalisations
actuelles » (Ibid., 2005).
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L’enclavement est une notion mobilisée par les acteurs institutionnels, politiques ou
économiques pour obtenir les budgets nécessaires à la construction d’infrastructures, dans le
but de sortir certains territoires d’une situation d’isolement. Autrement dit, l’enclavement
correspond à une « pathologie spatiale » qui exige une réponse par un aménagement de
l’espace approprié en réponse à cette situation. Désenclaver, c’est alors intervenir sur une
zone ne bénéficiant pas d’aménités de services, de transports suffisants qui lui permettent
d’être « reliée » aux territoires alentours.
L’enclavement est par suite une situation relative. L’enclave existe dans un contexte
territorial précis, et doit être définie « comme une situation relative de fermeture, c'est-à-dire
un espace fermé ou isolé dans et par rapport à un système de relations » (Ibid., 2005). La
situation de « fermeture » d’un espace doit être comparé à des espaces plus ouverts. L’enclave
n’est que parce qu’il existe un espace plus « ouvert » auquel on va se référer pour désigner
une situation d’isolement géographique.
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Source : DEBRIE (J.), 2005, « L’enclavement : expression géographique de la discontinuité
dans les réseaux », http://fig-st-ie.education.fr/actes/actes_2005/debrie/debrieenclavement.pdf
17
c- L’Ecole de Chicago et l’appropriation du concept de ségrégation par les sciences
sociales en France
C’est dans les années 20 aux Etats-Unis que se constitue un champ de recherche autour de
la ségrégation socio-spatiale et de la division sociale des villes. L’Université de Chicago
(l’Ecole de sociologie de Chicago) donne naissance à l’Ecologie urbaine qui est le fait de
sociologues comme Robert Erza Park, Ernest W. Burgess, Roderick Mac Kenzie, ou Louis
Wirth (Grafmeyer, 1995).
Dans un contexte de forte croissance démographique1 d’arrivée massive d’immigrants
investissant l’espace et s’organisant en communautés ethno-culturelles, la ville de Chicago va
être le laboratoire d’expérimentations qui conduiront à poser les bases de la recherche
sociologique américaine actuelle. C’est cette nouvelle approche et manière d’étudier la ville
qui fixera plus tard les canons de l’ « orthodoxie » des sciences sociales, en France
notamment.
Les travaux de l’Ecole de Chicago portent sur le fonctionnement et les configurations
socio-spatiales de la ville. La thèse de Robert Erza Park, le chef de file du mouvement des
chercheurs en sociologie urbaine, est que l’espace urbain peut donc être considéré comme
« un laboratoire de recherche sur le comportement humain. » Selon cette perspective « la ville
est assimilée à un organisme vivant dans lequel les individus se livrent à la compétition, à la
concurrence » et à « la lutte pour la vie» (Scheibling, 1998). La ville, en l’occurrence celle de
Chicago, se recompose sans cesse. Cette évolution constante de l’urbain présente une analogie
avec les adaptations nécessaires à la vie dans la nature; les individus sont constamment
appelés à s’adapter à un environnement en perpétuel changement. Le « darwinisme social »
est au cœur des problématiques des fondateurs de l’Ecole de Chicago. Les rapports entre les
êtres vivants, qu’ils soient humains ou non, sont les mêmes. Ils se livrent à une concurrence
âpre pour pouvoir vivre. Robert E. Park fait le constat suivant : la ville est le lieu de violences
inouïes entre individus. En réaction, ces derniers s’agrègent pour leur survie sur des espaces
« selon leur affinités et leurs appartenances culturelles ». Ainsi, le postulat de Park peut se
résumer ainsi : la ville se construit en fonction du double processus suivant : « la sélection
naturelle » par la compétitivité entre individus et l’intégration par le biais du sentiment 1 La ville passe de 5000 habitants en 1840 à 3400000 habitants en 1930
18
d’appartenance à un groupe, à une communauté (Ibid., 1998). Cette lutte interindividuelle se
focalise sur la lutte pour l’emploi, pour le logement par exemple et trouve sa résolution dans
la création de relations de solidarité entre individus partageant un fond socio-culturel
commun. Mais ce jeu de relations est instable et en constant réajustement. Le parcours
résidentiel des personnes est représentatif de cette constante adaptation au milieu urbain. Park
note, en prenant l’exemple des populations juives immigrées d’Europe centrale, que si la
première génération d’immigrants met en place à son arrivée une stratégie permettant son
intégration au sein d’un groupe de semblables, les immigrés de deuxième génération
cherchent plutôt à s’installer dans les quartier aisés de la ville, lieux de vie de ceux qui ont
« réussi socialement ». Autrement dit, la montée des individus dans la hiérarchie sociale
entraîne, par le fait, une nouvelle localisation résidentielle, un abandon partiel ou total des
valeurs et des solidarités propres au groupe ethnique auquel ils appartiennent.
L’homogénéisation et la dissolution des groupes sont les conséquences d’une compétition
entre individus générant des phénomènes d’exclusion (Ibid., 1998). Ces mécanismes
conduisent alors à une ségrégation sociale et raciale inévitable.
D’après Burgess et Park, la ville est un système dont les différents éléments qui la
composent sont en constante interaction. Ainsi, les dynamiques propres à un espace, à un
quartier, ne peuvent être comprises si l’on tient compte uniquement de leurs caractéristiques
internes. L’analyse du phénomène de ségrégation sociale sur un espace donné demande, donc,
de prendre en considération l’ensemble urbain qui fait système, en tenant compte de plusieurs
facteurs tels que l’emploi, le marché du logement, la sociabilité (ADEF,2004). Il n’est
assurément pas possible de considérer le phénomène de ségrégation socio-spatiale comme la
résultante d’un seul facteur.
Les chercheurs de l’Ecole de Chicago sont à l’origine de modèles qui rendent compte
de la croissance urbaine, conséquence des faits sociaux d’agrégation et d’expansion. D’après
Burgess (1925), cette expansion se réalise sous la forme de zones concentriques. « Dans cette
analyse de la croissance de la ville, E. Burgess recourt à deux concepts d´espace bien
distincts: d´une part : l´espace physique, celui de l´environnement bâti et du parc de
logements, d´autre part : l´espace social, ou encore l´espace intra-métropolitain au sein duquel
se déploie la société urbaine. » (Rhein, 1997).
Burgess a montré au travers de son schéma concentrique de la ville que les habitants d’une
ville se répartissent de manière distincte à partir du centre-ville jusqu’aux couronnes
19
suburbaines. Cette distribution dans l’espace est alors fonction « de leur ancienneté dans la
ville, de leur position sociale et de leur mode de vie » (Grafmeyer, 1994). Ce modèle part du
principe que les nouveaux arrivants dans une ville se regroupent, le plus souvent, d’après leur
appartenance ethnique. Ensuite, selon le degré d’assimilation de ces populations au cours du
temps, celles-ci se diffusent dans l’espace urbain. Cette configuration socio-spatiale selon un
schéma concentrique accorde donc une importance centrale aux mobilités résidentielles.
Cependant, Burgess « insiste beaucoup sur le fait que « cette structure en zones concentriques
n’est que le cadre d’un processus contradictoire de désorganisation/réorganisation des
individus et des communautés » (Scheibling, 2000).
L’économiste Homer Hoyt réétudie la théorie de Burgess et aboutit à la conclusion
que la configuration socio-spatiale des villes répond à un modèle plus complexe : « la ville
sectorielle » (1939). Bien plus que l’introduction du rôle joué par les transports dans
l’organisation de la ville, déjà mis en évidence par Burgess, l’apport de Hoyt concerne
essentiellement la dynamique du centre-ville. Selon un double mouvement d’ « assimilation »
des « vieux quartiers » et de « détérioration », la configuration socio-spatiale du centre-ville
évolue. Le rôle joué par le prix du foncier est fondamental dans l’analyse de Hoyt. Pour lui,
les phénomènes de ségrégation liés au marché du foncier sont un processus qui semble
« naturel ». L’économiste a ainsi légitimé les politiques de planifications urbaines ultra-
libérales, qui accentuent les phénomènes de polarisations sociales déjà à l’œuvre dans la ville
américaine ; plus une famille est pauvre, plus le prix du logement dans le quartier où elle
s’installe diminue.
Puis les travaux de Chauney D. Harris et Edward L. Ullman, vers 1945, aboutissent à
l’élaboration d’un nouveau modèle urbain basé sur des « noyaux multiples » : le modèle
nodulaire ou polycentrique, basé sur une analyse identique à celle de Hoyt.
Signalons que si Hoyt a participé à l’élaboration de politiques urbaines nettement
ségrégatives, ce reproche n’est pas fondé concernant l’Ecole de Chicago considérée dans son
ensemble.
Dans les années cinquante puis dans la décennie qui suit, grâce à l’analyse quantitative
et à l’écologie urbaine, l’apparente contradiction de ces trois modèles d’organisation de
l’espace sera résolue. L’analyse factorielle met en évidence « les trois principes indépendants
à l’origine de la structuration interne de la ville :
20
-un dispositif sectoriel commandé par le statut socio-économique des populations
-un dispositif sectoriel liée au cycle de vie : structure par âge et des ménages
-un schéma polynucléaire déterminé par le statut ethnique » (Madoré, 2004)
21
22
C’est cette lecture attentive mais tardive des travaux de ces sociologues qui fera entrer
en France, dans le champ de la recherche géographique, et plus généralement celui des
sciences sociales, la question de la ségrégation socio-spatiale. En effet, cette question est
traitée de manière très marginale chez les géographes français avant les années soixante-dix.
Seuls Pierre Georges et Marcel Roncayolo (avec son étude sur la banlieue marseillaise), dans
les années cinquante, s’intéressent à la problématique de la division spatiale des villes. Nous
citerons également le nom de Paul-Henry Chambart de Lauwe, sociologue français, autour
duquel un groupe de chercheurs se penche sur les phénomènes ségrégatifs dans les villes
françaises. Mais, avant les années soixante-dix, les géographes français sont encore
largement dépendants du paradigme naturaliste et descriptif vidalien. Les chercheurs sur la
ville se focalisent avant tout sur le site urbain et négligent l’échelle intra-urbaine (Madoré,
2004).
Les années soixante-dix sont l’époque du renouveau de la géographie française, fruit
de la rencontre entre deux courants, la « nouvelle géographie » et le marxisme. La
spécialisation sociale des espaces urbains qui tient compte de la dimension socio-économique
entre alors dans le domaine des recherches en géographie. La géographie urbaine sera alors
largement influencée par les modèles d’organisation des villes, crées par l’Ecole de Chicago
et l’Ecologie factorielle.
Les géographes français ont revendiqué l’héritage de l’Ecole de Chicago en
considérant les modèles créés par ces chercheurs américains comme des modèles spatiaux.
Or, ce qui est mis en avant par ces différents modèles ne concerne pas à proprement parler
l’espace urbain. L’approche des chercheurs de Chicago est fondamentalement sociologique.
Elle s’intéresse aux interactions existantes dans la ville entre des groupes d’individus. La
mobilité, l’agrégation des individus en communautés répondent en effet à des logiques
identifiées d’attraction/répulsion et se traduisent effectivement dans l’espace urbain. Mais,
l’espace n’est qu’un aspect de l’analyse des chercheurs de l’Ecole de Chicago, donc « du
mode d’existence de la communauté urbaine », « de la dynamique de l’organisme urbain »,
préoccupation centrale des fondateurs de la sociologue urbaine (Scheibling, 2000).
En outre, les modèles élaborés par les penseurs de l’Ecole de Chicago ne sont pas des
modèles universels. Ils n’ont pas vocation à être généralisés. S’il est vrai que certaines villes
européennes ont pu connaître des faits sociaux comparables en partie à ceux existant aux
23
Etats-Unis, comme l’arrivée d’immigrants au centre de Paris dans l’entre-deux guerres, ces
phénomènes sont restés relativement marginaux. Si des analogies semblent pouvoir être mises
en évidence entre les thèses de Park sur la ville américaine et les mécanismes d’organisation
de l’espace urbain en Europe, les logiques qui ont abouti à ces faits sont différentes.
L’exemple de Paris nous montre que les logiques ségrégatives à l’œuvre sur la ville sont la
conséquence de conflits très anciens entre classes sociales. De plus, dans les villes
européennes, les localisations centrales sont principalement réservées aux classes « aisées » et
les périphéries aux classes moins favorisées. Cette configuration de l’espace urbain européen,
et a fortiori français, est donc inversée par rapport à celle des villes nord-américaines.
Signalons, de plus, que certaines villes françaises, comme Lyon ou Marseille, si elles sont le
lieu d’une ségrégation sociale, la différenciation spatiale à l’intérieur de celles-ci, bien qu’elle
soit liée aux choix résidentiels des plus riches, a été fonction « d’aménités de site », telle
colline ou telle méandre offrant des conditions d’habitat « plus enviable », bien plus que
pour des raisons d’ « accessibilité générale » (Pumain, 2004).
Jacques Brun2 met à l’épreuve les modèles d’organisation de l’espace urbain, tels que
définis par les sociologues de l’Ecole de Chicago, dans leur participation à la compréhension
des localisations des populations dans l’espace urbain, en leur accordant un « champ de
validité pour une gamme particulière d’indicateurs.»
Ainsi, le modèle concentrique de Burgess serait valable si l’on considère des attributs
tels que l’âge et la structure du ménage. Brun considère que le modèle de Hoyt « repère des
constantes de peuplement le long d’une direction indépendamment de la distance au centre »
(Grafmeyer, 1994). Ce modèle serait valable par exemple à Paris où l’opposition quartiers Est
(populaires)/quartiers Ouest (plus riches) est flagrante. Ici, la ségrégation ne s’opère pas selon
un modèle d’organisation concentrique, mais du fait du prolongement de l’opposition entre
« beaux quartiers » et « quartiers populaires », fait d’une longue tradition historique,
remontant à la fin du XVIIIe siècle. Le cas de Paris sera évoqué plus loin dans cet exposé,
quand nous évoquerons les types différenciés de ségrégation, et les dynamiques socio-
spatiales de la capitale française qui ont conduit à l’embourgeoisement de la ville-centre,
reléguant les classes populaires à la périphérie de la ville.
Il y a différentes manières d’appréhender le phénomène ségrégatif. Nous pouvons dire
qu’il existe, dans le champ de la recherche en sciences sociales en France, sinon un 2 BRUN (Jacques), 1981 « Ecologie urbaine et géographie sociale »Villes en parallèles n°4, avr. 1981.- p.9-40)
24
consensus, du moins un positionnement largement répandu pour la description des
phénomènes ségrégatifs.. Cette position a pour but de rendre compte de la rationalité de
l’organisation de l’espace urbain et a pour base l’idée selon laquelle la ségrégation peut être
décrite par « la mesure des distances résidentielles entre des groupes définis sur des bases
démographiques, mais surtout sociaux ou ethniques » (Grafmeyer, 1994). Grafmeyer ajoute à
cette première façon de « cerner » la ségrégation, deux autres objets d’étude sur lesquels se
focaliser pour mettre en évidence la ségrégation : « l’inégal accès aux biens et services offerts
par la ville » et « l’étude des enclaves à profil très marqué par leur caractère ethnique, racial
ou social » (Ibid., 1994). En résumé, Grafmeyer met en relief trois éléments fondamentaux à
considérer pour étudier la ségrégation :
le lieu de résidence : c'est-à-dire les différences de localisation dans l’espace
urbain des groupes d’individus selon leur appartenance sociale ou ethnique. Un
groupe sera ainsi d’autant plus ségrégué que sa distribution résidentielle
s’éloigne de celle de l’ensemble des habitants de la ville et qui constitue la
norme.
Cependant, le danger de cette approche est d’assimiler toute forme de différenciation
de l’espace à la ségrégation.
l’inégalité devant l’accès aux biens matériels et symboliques présents dans la
ville
les différentes formes de regroupement spatial permettant d’établir un lien
étroit entre des populations défavorisées qui vivent sur un territoire circonscrit
Cet aspect entre dans la définition « classique » de la ségrégation, à travers
l’image du ghetto ethnique (dans la ville nord-américaine) ou religieux (le
ghetto juif de Varsovie par exemple)
Pour François Madoré, les 3 aspects de la ségrégation tels que définis par Grafmeyer,
doivent être questionnés, pour rendre compte de la réalité des faits sociaux dans les villes
françaises. Il considère que si l’on s’en tient uniquement à l’une de ces conceptions de la
ségrégation, particulièrement celle basée sur l’intentionnalité d’une séparation des groupes
humains, on exclut « du champ sémantique cette notion de ségrégation, car quasiment aucune
25
étude en France n’a débouché sur une démonstration claire et sans ambiguïté d’une volonté de
mise à l’écart .» (Madoré, 2004)
Le même auteur poursuit donc, en considérant que, la réutilisation « sans analyse
critique » du terme de ségrégation dont le sens a été amoindri, reviendrait à « naturaliser le
débat, en considérant que la ségrégation est inscrite , de fait, dans la division sociale des villes
françaises »(Ibid., 2004). Remettre en question le concept de ségrégation est donc
indispensable, pour éviter l’écueil d’une généralisation à outrance des problèmes urbains, que
l’on serait tenté de catégoriser sous le vocable de ségrégation. Tous ces questionnements sur
la polysémie du terme ségrégation amènent à éviter l’utilisation à « sens unique » d’une
notion complexe.
d- Une nécessaire (re)contextualisation ou comment les « grands ensembles »
deviennent progressivement un objet d’étude privilégiée pour les recherches sur la
ségrégation
Avant d’engager une recherche sur les phénomènes de ségrégation, il est impératif de
définir le contexte dans lequel se situe ladite recherche, pour éviter d’utiliser un terme apparu
des décennies auparavant, et dont le sens a le plus souvent évolué. Ce fait social, constitué en
objet d’étude, apparaît en effet à différentes époques pour désigner un phénomène propre à
différents cadres conjoncturels. Autrement dit, les causes qui engendrent la ségrégation
varient selon les époques. La ségrégation est donc un mot, une idée dépendante et
indissociable d’un contexte social, historique, idéologique, politique, voire religieux
(Fourcaut, 1996). De cette manière, on évite « l’anachronisme que l’on risque de commettre
lorsque l’on exporte le mot hors de la période où il est apparu, méconnaissant les variations
dans le temps » des idées « auxquelles il se réfère », ce qui permet de « se débarrasser, ce qui
va ensemble, des prénotions construites par le débat socio-politique », préalable
indispensable au travail d’objectivation du chercheur (Ibid., 1996). La manière dont est perçue
et traité la question de la ségrégation est forcément inhérente au contexte de l’époque où elle
apparue.
A l’origine, le phénomène de ségrégation à l’intérieur des villes consistait à tenir à
l’écart un groupe donné du fait de son origine ethnique et géographique (liée à la couleur de
26
la peau, le plus souvent), de sa religion, mais pas à cause d’un statut social. Puis, le terme
ségrégation, largement utilisé aujourd’hui, aussi bien dans le domaine des sciences sociales
que dans la sphère médiatico-politique, a été victime d’un glissement sémantique depuis des
décennies.
Les premières études sur la ségrégation dans les villes françaises remontent aux
années cinquante. Si elles sont marginales, n’en sont pas moins le point de départ de
recherches sur la division socio-spatiale des villes. Les premières études mettent en cause le
rôle de l’industrialisation dans le processus de ségrégation. La vision organiciste des villes
françaises, dans la première moitié du vingtième siècle, sous-tend une politique publique qui a
affecté à chaque groupe social et à chaque type d’activité un type d’espace particulier. Aussi,
les logements ouvriers ont-ils été localisés en banlieue à proximité des foyers
d’industrialisation, à l’écart des quartiers bourgeois, dès le début de la Révolution industrielle,
qui entraînent une « poussée » urbaine de 1850 à 1880. Cette configuration socio-spatiale,
source de division entre catégories sociales, toujours valable jusqu’aux années cinquante, sera
donc celle sur laquelle se porteront les premières recherches sur les dynamiques ségrégatives
à l’œuvre dans les villes françaises.
Dans les années soixante-dix, la question de la ségrégation est reformulée, par les
pouvoirs publics en France, de manière à envisager celle-ci comme résultant des « effets
pervers » des précédentes mesures gouvernementales. Les politiques de planification de
l’habitat, les opérations de renouvellement urbain dans les villes-centres sont remises en
cause. C’est à ce moment que les « grands ensembles » d’habitation collective deviennent un
objet de recherche.
La construction des « grands ensembles » qui s’échelonnent de 1953 à 1973, du Plan
Courant, point de départ d’une profonde mutation des villes françaises, à la circulaire
Guichard qui met fin à la construction de masse de cette forme urbaine, entraîne une nouvelle
distribution spatiale des groupes sociaux. 300000 logements par an, financés par l’Etat sont
construits dans les années soixante (Fourcaut, 2004). La construction des « grands
ensembles » correspond à une opération d’urbanisme sans précédent dans l’histoire des villes
françaises. En l’espace de 20 ans, le paysage urbain français est donc sensiblement modifié.
De la ville circonscrite de l’ancien régime, on passe à une généralisation de l’urbain en un
laps de temps incroyablement court, au regard de l’évolution lente, voire du statisme de la
27
forme des villes depuis des siècles (Ibid., 2004). Si la crise du logement en France est
récurrente depuis le XIXe siècle, c’est dans ce contexte d’après-guerre qu’apparaît une
pénurie de logements, impossible à circonscrire, et qui contraint les pouvoirs publics à parer
au plus pressé pour reloger d’une part les familles sinistrées, mais aussi pour faire face à
l’exode rural, puis plus tard, à l’arrivée massive d’une main d’œuvre pour couvrir les besoins
en la matière dans le secteur automobile, dans un contexte de croissance économique forte à
partir des années cinquante et aussi d’augmentation des naissances.
Pourtant, si loger et reloger les populations après 1945 s’avèrent urgent, la priorité à
la sortie de la guerre n’est pas à la construction de logements. Le budget de l’Etat est d’abord
consacré à la reconstitution de l’appareil productif. En outre, c’est le Commissariat général
au plan qui fixe à l’époque les orientations budgétaires de l’Etat dont dépend le Ministère de
la reconstruction et de l’urbanisme (MRU). Ce dernier a par ailleurs, pour mission de
concilier les points de vue de l’ensemble des acteurs sur la marche à suivre pour la
reconstruction, à savoir : les bailleurs de fonds, principalement la Caisse des dépôts et des
consignations, les maîtres d’ouvrage (les organismes HBM), les élus, les associations de
locataires et de sinistrés et les entreprises en bâtiment. Mais ce Ministère n’a pas d’orientation
bien définie. Cette phrase du Ministre de la reconstruction révèle un grand désarroi face à la
situation « Je n’ai pas de politique de reconstruction. Je pare au plus pressé » (FNOHLM,
2007). A partir de là, de nombreuses orientations sont envisageables : privilégier le logement
collectif ou bien le logement individuel, le locatif plus que le privé, une construction de type
artisanal ou industriel… ?
Une fois que cessent les tergiversations de l’immédiat après-guerre, au sujet du type
d’habitation à privilégier, l’Etat opte pour la construction de grands collectifs d’habitations
vers 1958-1959, avec les décrets ZUP (Zone à urbaniser en priorité). Cette période constitue
un véritable tournant dans les choix opérés par les pouvoirs publics de l’époque. Un des
facteurs déclenchant pour la prise en charge, quasi exclusive par l’Etat, de la construction de
logements est le fameux appel de l’Abbé Pierre durant l’hiver 1954, face à l’insuffisance des
logements disponibles et la détresse de nombreuses familles logées dans des conditions
difficilement supportables. L’Etat réagit en décidant de la création des « cités d’urgence »,
logements de fortunes vite abandonnés pour la création massive et de manière industrielle des
logements collectifs de type « grands ensembles » (Ibid., 2007).
28
L’orientation prise par le gouvernement français, en matière de logement, fait appel
aux conceptions urbanistiques du mouvement d’architecture moderne, regroupées dans la
« Charte d’Athènes » datant de 1941 dont Le Corbusier est l’auteur. Cette charte fait suite au
IVe Congrès d’architecture moderne. Cette nouvelle manière de concevoir la ville résulte
donc de l’idéologie fonctionnaliste, apparue dans l’entre-deux guerres et répond aux principes
du zonage, d’un « urbanisme rationnel » qui s’oppose à l’étalement pavillonnaire. Les
activités au sein des agglomérations doivent être séparées. La ville doit ainsi répondre à quatre
ambitions : habiter, travailler, circuler, se récréer. Le fonctionnalisme prend alors l’allure
d’une véritable doctrine officielle dont les principes seront systématiquement appliqués dans
les ZUP. A cette époque, malgré quelques voix discordantes, il existe un véritable consensus
dans l’ensemble de la classe politique, des communistes à la droite Gaulliste et de la part des
différents acteurs appelés à concevoir ces projets urbains. Ces derniers répondent donc à une
planification centralisée où l’Etat est le seul maître d’œuvre. Les « grands ensembles » seront
construits avec l’idée que « la technique est reine » et est « à l’origine de tout progrès social »
(Bachaman, Le Guennec, 1998). Françoise Choay écrira au sujet des « grands ensembles
d’habitation : « Eclatement d’un vieil espace urbain centré, perspectif différencié ; mort de la
rue ; classement des fonctions et dispositions géométriques des bâtiments eux-mêmes
géométrisés dans un espace déqualifié : tel est effectivement le catéchisme officiel qui
s’impose identiquement pour les opérations de rénovation dans les villes anciennes et pour la
création d’agglomérations nouvelles. »
Le modèle urbain proposé par les architectes des CIAM, et qui s’impose à une grande
partie de l’Europe, a cependant été la conséquence d’une interprétation réductrice des
principes de la « Charte d’Athènes », donnant naissance à ces ensembles de logements aux
typologies architecturales rationalisées à l’extrême, sans ornements, disposés suivant un
stricte alignement. On parlera donc aussi de disparition de la trame viaire, d’un urbanisme de
dalles. Mais cette rationalité désirée pour la conception de ce modèle urbain, se conformait
bien aux exigences de la production industrielle rapide et peu onéreuse de ces logements.
Ainsi, alors que le modèle urbain de type « grand ensemble » fait la quasi unanimité
quand il est adopté dans les années cinquante, vingt ans après il devient un espace considéré
comme « pathogène », disqualifié par la population et la classe politique -la même qui en est à
l’origine- les urbanistes et organismes de logements.
29
Mais qu’est-ce que réellement un « grand ensemble » ? Aujourd’hui, le terme est
souvent confondu avec les territoires des ZUP. L’assimilation des deux expressions est loin
d’être déplacée puisque que le « grand ensemble » est la forme urbaine privilégiée de ce
cadre opérationnel, depuis 1958. D’autres termes sont associés à l’expression « grand
ensemble » : quartiers HLM, « cité », banlieue, logement social collectif…Or, ces « grands
ensembles » ne sont pas exclusivement constitués de logements locatifs à caractère social, ni
même simplement d’immeubles et n’ont pas, de plus, systématiquement une localisation
périphérique. Pourtant, l’expression est réduite, très souvent, à la simple dimension du
logement, sous entendu locatif et social, alors que de nombreux services sont proposés dans le
périmètre où s’inscrivent ces formes urbaines et que, de plus, il existe une part relativement
conséquente, de logements relevant de bailleurs privés. Cela renvoie finalement « à une
représentation commune très forte en français , certainement bien plus explicite, partagée et
sans doute plus durable que du « grand ensemble » »(Coudroy de Lille, in Le monde des
grands ensembles, 2004).
Certes, les quartiers de « grands ensembles » ne sont pas une singularité française. De
l’Atlantique à l’Oural, nous retrouvons ces mêmes formes urbaines. Mais ces quartiers sont
uniques, disons dans les pays alliés, vainqueurs de la seconde guerre mondiale. « Le monde
libre » ayant choisi d’autres modèles urbanistiques comme les lotissements pavillonnaires…
Qu’est ce qui caractérise les « grands ensembles » aujourd’hui ? Essayons de faire
ressortir quelques éléments qui semblent les plus caractéristiques de ces formes urbaines, tout
en gardant à l’esprit la grande variété des situations locales. Un « grand ensemble » se
singulariserait vis à vis d’autres territoires par :
-une forme architecturale : des barres et/ou des tours
-un nombre de logements entre 500 et 1000 unités
-un financement aidé par l’Etat, par les processus complexes du logement social, ce qui sous-
entend une prépondérance du logement social
-une homogénéité sociale avec une population majoritairement pauvre
-une forte présence d’immigrés ou supposés tels
-un zonage
-une localisation périphérique
-une absence de mixité sociale et fonctionnelle
30
-une situation d’enclavement, faisant du « grand ensemble » une zone coupée du reste de la
ville
-une zone de non-droit, expression politico-médiatique, en vogue actuellement et intégrée
dans le discours des populations vivant en dehors de ce type d’espace, mais qui illustre bien le
regard porté sur ce type d’espace urbain, (Masboungi, 2005) et (Fourcaut, 2004).
Ces quartiers de « grands ensembles » ont été de leur naissance jusqu’aux années
soixante-dix les lieux d’une « nouvelle sociabilité », mais aussi de la « salarisation »
française (Genestier, 1996). C’est dans ce contexte de plein emploi, que cette population
salariée, nouvellement urbanisée intègre ces lieux. « Le statut d’ouvrier spécialisé, d’employé
ou de contremaître était censé s’accorder à un mode de vie en immeuble collectif, avec
confort moderne, une automobile, un centre commercial, une piscine municipale… » (Ibid.,
1996).
Quand apparaît la crise économique, le chômage de masse, alors les politiques
publiques d’inspiration keynésienne, le fordisme, éléments constitutifs des « trente
glorieuses » périclitent. Les « grands ensembles » se vident des masses salariées et deviennent
des espaces de la précarité avec des taux de chômage qui atteignent, aujourd’hui, 40 % de la
population active, par endroit.
A partir des années soixante-dix, ces quartiers sont victimes d’un double mouvement.
Les ménages les plus aisés accèdent à la propriété. On citera la loi de 1977 qui instaure le Prêt
d’accession à la propriété (PAP) et qui facilite pour nombre de ménages le passage de
l’immeuble collectif vers la maison individuelle. D’autre part, les mesures favorisant le
regroupement familial, conduisent à ce que les travailleurs immigrés fassent venir leur famille
sur le territoire français et occupent les logements laissés vacants par les ménages ayant quitté
les « grands ensembles ». Pierre Bourdieu, au sujet de la loi de 1977 dira : elle « a constitué le
couronnement de tout un ensemble d’actions visant à orienter vers la propriété les « choix »
des catégories sociales, les moins portées jusque là à satisfaire leur besoin en logement, c'est-
à-dire dans l’esprit de certains de ses inspirateurs, qui associaient l’habitat collectif et locatif
au collectivisme ou au socialisme, vers l’attachement durable à l’ordre établi, donc vers une
forme de conservatisme ». Ce point de vue est critiquable dans la mesure où nous ne pouvons
pas affirmer que les besoins des classes moyennes et des catégories sociales modestes seraient
intégralement « crées par artifice » (Madoré, 2004).
31
Quoiqu’il en soit, c’est cette volonté d’accéder à la propriété qui entraîne la création
des couronnes périurbaines et qui reconfigure l’espace urbain en France. L’étalement urbain
qui en résulte renforce la division sociale et démographique des villes françaises. Ce sont
bien, en effet, les individus salariés qui viennent s’installer avec leur famille et leurs enfants
dans les zones périurbaines. « L’accès à la propriété en zone périurbaine résulte d’un projet
familial reposant sur une norme : un couple marié avec des enfants et une idée de la réussite
sociale » (Ibid., 2004). Cette vision tient alors à distance les individus qui ne sont pas porteurs
d’un tel projet, qui ne peuvent en élaborer un et qui doivent se résigner à rester vivre sur
certains territoires « dévalorisés », conséquence du départ des catégories sociales les plus
solvables
Ainsi, cette double logique à la fois centralisatrice, avec la construction des « grands
ensembles » et libérale, par l’accession à la propriété privée va-t-elle favoriser l’émergence de
nouveaux mécanismes ségrégatifs. Les premières politiques de la ville voient ainsi le jour
pour essayer de contrer les « dysfonctionnements » générés par cette nouvelle façon de
concevoir la ville. Les recherches sur la ségrégation sont donc réorientées au moment où les
« grands ensembles » sont désignés comme participant aux clivages socio-spatiaux dans de
nombreuses villes françaises.
En premier lieu, la morphologie de certains quartiers est pointée du doigt. Les
organismes HLM, eux-mêmes, parlent de « l’obsolescence technique » des ensembles
d’habitation où « le procédé de fabrication lourde a débouché sur des problèmes techniques
insolubles » (FNOHLM, 2007). Dans les années soixante-dix, le « problème » des « grands
ensembles » est appréhendé « sous l’angle d’un déterminisme socio-spatial et urbano-
architectural, puisque le processus de dualisation de la société s’amorce tout juste » (Madoré,
2004). Ainsi, la circulaire Guichard de 1973, parle-t-elle de « lutter contre la ségrégation par
l’habitat » car les « grands ensembles favorisent la ségrégation sociale lorsque l’organisme
responsable est très souvent à vocation sociale » (Madoré, 2004). D’autres discours émanant
de responsables politiques vont alors définitivement reléguer les « grands ensembles », au
rang de territoires ségrégués, déclassés. Ainsi, le premier ministre Raymond Barre déclarera-t-
il dans une circulaire datée du 3 mars 1977, adressée aux préfets : « La transformation
anarchique de l’espace fait peser sur notre société la menace d’une très dangereuse
ségrégation sociale […]. Il importe d’enrayer la dégradation physique et sociale de certains
32
grands ensembles qui risque de se transformer en ghettos aux portes de nos villes » (Ibid.,
2004).
A la suite de ce constat, les premières politiques de la ville sont orientées d’après ces
discours. Il s’agira désormais pour les pouvoirs publics de réguler les déséquilibres socio-
territoriaux générés par les « grands ensembles ». La procédure Habitat et vie sociale (HVS),
lancée en 1977, est la première du genre et consiste au départ en la réhabilitation de 53 sites.
Objectif revu à la baisse, puisque seulement 39 bénéficieront de cette procédure.
Les études sur la ségrégation qui mettent en cause les politiques publiques pour le logement
menées depuis les années cinquante se développent en même temps que la notion de
ségrégation entre dans le langage de la sphère politique. La notion de ségrégation est alors
utilisée par les pouvoirs publics pour « la reformulation des problèmes sociaux en questions
susceptibles d’être traitées par les pouvoirs publics » (Fourcaut, 1996). A titre d’exemple,
celle-ci est mobilisée pour l’élaboration de la politique « d’aide à la personne », à la fin des
années soixante-dix. Cette politique étant une réponse aux « effets pervers » de la politique
précédente de « l’aide à la pierre » ayant permis la construction en masse des logements
sociaux des « grands ensembles ».
Ainsi, suite au « changement de cap » des politiques publiques « dont les effets se
conjuguaient au cours de la décennie suivante à la paupérisation des populations frappées par
le chômage », les recherches sur la ségrégation sont réorientées progressivement, de manière
à mettre en évidence les phénomènes de pauvreté, d’exclusion, autrefois négligés et qui
réduisaient, donc, les problèmes concentrés sur les quartiers de « grands ensembles », aux
formes urbaines caractéristiques de ces quartiers. Les expressions « poche de pauvreté »,
« ghetto » apparaissent alors dans le champ de recherches sur la ségrégation en France.
Aussi, les années soixante-dix sont celles où les sociologues marxistes affirment que la
ségrégation est le résultat des politiques urbaines, alors que durant la décennie suivante elle
est la conséquence logique d’une crise socio-économique.
Nous voyons donc clairement que le concept de ségrégation est inhérent à un
contexte socio-historique et totalement indissociable de celui-ci. «L’exporter hors de notre
période c’est de ce fait prendre le risque de regarder la réalité du passé à travers le prisme
d’aujourd’hui et ainsi la méconnaître » (Ibid., 1996).
33
e-Les approches méthodologiques pour l’étude de la division sociale des villes en
France. Une construction et déconstruction des classes et catégories sociales à
considérer pour l’étude de la ségrégation
Un élément à considérer pour l’étude de la ségrégation : l’affaiblissement de la
conscience de classe
En France, l’étude des configurations socio-spatiales des villes est essentiellement
abordée à travers l’analyse d’indicateurs tel la catégorie socio-professsionnelle. Or, cette
approche apparaît « réductrice de la réalité sociale » (Madoré, 2004). En effet, réduire un
groupe social à sa seule activité conduit à exclure les personnes appartenant à « l’univers » de
ce groupe d’actifs. De fait, « les conjoints, les enfants, les retraités » qui appartiennent
pourtant à une classe sociale sont exclus du champ d’étude. « Ainsi, les catégories
socioprofessionnelles tendent vers la définition de catégories sociales objectivées, alors que la
nature même des classes sociales est par essence subjective » (Ibid., 2004). Aussi, serait-il
judicieux pour l’étude de la division sociale des villes de considérer le sentiment
d’appartenance à une classe sociale plutôt que la catégorie socioprofessionnelle (CSP) ou la
classification PCS (professions et catégories socioprofessionnelles) telle que définie par
l’INSEE, si l’on ne veut aboutir à des erreurs d’appréciation de la réalité du fait social. D’une
certaine manière, la CSP qui recouvre des réalités très variées induit-elle en erreur le
chercheur. Ainsi, artisans, patrons de PME ou petits commerçants sont-ils regroupés sous une
même étiquette, bien que chacun ait un statut social et un capital économique fort différent.
Néanmoins, le concept de « classe sociale », l’idée d’une conscience de classe, ont-ils
encore une signification aujourd’hui en France ? Le contexte socio-politique actuel diffère
sensiblement de celui qui prévalait il y a une trentaine d’années. L’heure n’est plus à la
« lutte des classes ». Depuis l’avènement du chômage de masse dans les années soixante-dix,
nous ne sommes plus dans un rapport entre dominants (les patrons, les bourgeois) et les
dominés (les travailleurs ouvriers) mais plutôt en face d’un hiatus, d’une dichotomie entre
ceux qui s’accommodent bien de la libéralisation croissante du marché du travail et les exclus
de ce système (les chômeurs, etc).
34
A partir de ce constat, des chercheurs comme Alain Touraine, François Dubet, Didier
Lapeyronnie ou Robert Castel ont mis en évidence, dès les années soixante-dix, la thèse d’une
dualisation sociale à l’intérieur de la société française. Le fait mis en relief par ces auteurs est
celui d’un « phénomène de substitution » ; nous sommes donc passés en quelques décennies
d’une « hiérarchisation sociale verticale et à la lutte des classes » à « une logique horizontale
opposant inclus et exclus » (Ibid., 2004). Le statut social de l’individu n’est plus déterminé
par le travail. Ce dernier ne constitue plus, dans cette perspective, un déterminant permettant
à chaque acteur de s’inscrire dans « un rapport hiérarchique structuré » (Ibid., 2004).
Nous assistons, par ailleurs, à une moyennisation de la société française et, à la
création de clivages à l’intérieur même des catégories socio-professionnelles : ouvriers
qualifiés qui aspirent à rejoindre les classes moyennes contre ouvriers non qualifiés ; cadres
du public contre cadres du privé par exemple. Il existe désormais une « déchirure politique du
territoire » (Maurin, 2004). Les comportements électoraux attestent de cette réalité émergente
depuis trente ans. Les cadres du privé seront par exemple plus proches politiquement des
professions intermédiaires que des cadres du public. Les premiers constituent un vivier de
voix certain, mais bien évidemment pas exclusif, pour les partis de droite et d’extrême-droite,
qui sinon rejettent, tout au moins, adoptent une attitude de défiance à l’égard des principes
même de l’ « Etat providence ». Dans cette analyse il faut inclure le déclin de l’idéologie
marxisme ; la « chute » du communisme ayant enlevé à la classe ouvrière ses espérances en la
création d’une « société nouvelle ».
La précarisation de la société française est un fait désormais avéré, les quartiers de
« grands ensembles » devenant ainsi les territoires où s’expriment alors de manière flagrante
cette nouvelle donne, puisqu’ils sont devenus les lieux privilégiés de l’exclusion. Le travail ne
tenant plus son rôle de ferment social, l’entreprise n’est plus le terrain exclusif des luttes
sociales. Cette situation a donc amené à mettre en avant la « question urbaine », dont les
problématiques se focalisent alors sur le « grand ensemble », nouveau lieu du « jeu et du
conflit social ».
Or, la nomenclature de l’INSEE ne parait pas au fait de cette réalité. Pourtant, « la
nomenclature socioprofessionnelle demeure le principal déterminant social de l’individu ou
du ménage » (Grafmeyer, 1994), même si, en effet, la catégorie socioprofessionnelle ne
reflète pas intégralement pas la classe sociale, qui elle-même devient une notion discutable.
35
La CSP reste au demeurant un outil d’analyse pertinent pour l’étude de la ségrégation, mais à
reconsidérer à la lumière de la réalité d’aujourd’hui.
Ces éléments sont à prendre en compte dans l’analyse des phénomènes ségrégatif dans
les villes françaises, dans le sens où ils font émerger de nouvelles logiques résidentielles.
L’analyse factorielle
L’utilisation d’autres indicateurs pour l’analyse des processus ségrégatifs à l’œuvre
dans les villes françaises se retrouve, en France, selon François Madoré dans « à peine une
étude sur deux qui empruntent pour l’essentiel leur méthode à l’analyse factorielle.»
L’analyse factorielle est une technique d'analyse mathématique utilisée pour dégager
des corrélations sous-jacentes dans un ensemble de variables. L’écologie factorielle est au
centre de la démarche des chercheurs ayant recours à d’autres critères que la CSP. Ce sont
« la structure par âge, des ménages et du parc de logements », mais aussi plus rarement, la
part des étrangers dans une population donnée qui sont utilisés « pour vérifier la validité du
schéma polycentrique dans les villes françaises. » Les recherches de Danielle Rappetti sur la
ville de Nantes de 1972 à 1992 et celles de Francine Globet3 sont les seules qui ne tiennent
pas compte de la catégorie socioprofessionnelle et qui privilégient une entrée par le traitement
de données fiscales comme l’impôt sur le revenu. L’étude de Danielle Rappetti présente, en
outre une autre originalité, quant à l’échelle d’observation choisie, en l’occurrence : la rue.
Démarche original sur ce point, quand on sait que l’immense majorité des études sur la
division sociale des villes porte sur le quartier.
De l’utilisation ou non, de l’analyse factorielle dans les procédures de recherche
résulte un clivage au sein de la recherche sur les configuration socio-spatiales des villes. Dans
le fond, c’est une opposition entre les chercheurs qui revendiquent une filiation avec la
géographie quantitative et les autres, qui s’en démarquent. Madoré note que le refus du
recours à la classification automatique et la seule utilisation de la cartographie pour la
spatialisation des catégories socioprofessionnelles présentes dans la ville, limitent le travail du
3 voir Rappetti (D.), 1978, « Géographie fiscale en milieu urbain : l’exemple de la ville de Nantes », Norois,
n°99,, p.341-355 et Globet (F.), 1980, « Distribution spatiale des revenus dans l’agglomération parisienne »,
Bulletin de l’association des géographes français, n°467, p. 63-68) sur l’agglomération parisienne
36
chercheur à « une approche analytique » et empêchent, de fait, de se doter d’une « vision
synthétique » sur l’objet de recherche (Madoré, 2004).
Par ailleurs, les différents indices portant sur la mesure de la concentration et des
distances résidentielles sont peu utilisés en France. La marginalité d’une telle approche nous
incite à signaler une exception avec les travaux de Gilles Lajoie4 basées sur l’emploi de
l’indice de ségrégation. Les indices de ségrégation et de dissimilarité élaborés dans les années
cinquante sont le fait de sociologues américains. Ces indices permettent de montrer la façon
dont des catégories se répartissent spatialement dans la ville. En résumé, plus l’indice de
ségrégation d’un groupe d’individu est élevé, plus la polarisation du groupe sur un espace
donné est grande. L’indice de dissimilarité a pour vocation, quant a lui, de montrer la
distance physique entre les groupes d’individus. Plus il est élevé, plus la distance spatiale
séparant deux groupes est grande. Au total, ce sont une vingtaine d’indices, regroupés selon
« cinq dimensions bien distinctes : l’égalité, l’exposition, la concentration, le regroupement ou
l’agrégation spatiale et la centralisation », mis au point par des sociologues outre-atlantique5
qui sont à la disposition des chercheurs en sciences sociales. « Or, deux de ces indices
seulement, celui de ségrégation et de dissimilarité, sont utilisés dans la recherche française et
encore dans une publication sur cinq » (Ibid., 2004).
Les essais de typologies des quartiers de « grands ensembles » et de représentation
graphique de la ségrégation
A partir d’indicateurs tels que le taux d’activité et de chômage, des essais de
typologies des quartiers ont été tentés. De prime abord, deux grands types de quartiers
ressortent en partant de cette analyse qui se fonde sur l’activité des habitants :
-les quartiers « reflet exacerbé du contexte économique local » et qui correspondent à d’
« anciens îlots péricentraux ou de banlieues proches à forte tonalité ouvrière » ; des quartiers
souvent localisés dans le nord, le nord-est de la France, le midi ;
-les quartiers d’ « exclusion », caractérisés par un taux de chômage beaucoup plus élevé que
sur l’ensemble de la commune à laquelle ils appartiennent ; situés dans des régions « très
4 Lajoie (G.), 1998, « La ségrégation des populations urbaines de 1982 à 1990 » in Pumain (D.) et Mattéi (M.F.)
(dir.), Données urbaines 2, Paris, Anthropos, p.1991-206 5 Massey (D.S.), Denton (N.A.), 1988, « The dimension of residential segregation », Social Forces, volume 67,
n° 2, p. 281-315)
37
actives » comme l’Ile de France ou l’Alsace, ou des zones encore fortement rurales telles la
région Centre ou la Bretagne (Vieillard-Baron, 2001)
De manière plus fine, Maryse Marpsat et Jean-Bernard Champion6 ont réalisé une
classification débouchant sur 6 types de quartiers sensibles, à partir de critères comme
l’activité professionnelle, la part d’étrangers dans une population donnée…
Pour rendre compte de la diversité des situations dans les quartiers « sensibles » et
évaluer l’ampleur des processus ségrégatifs éventuellement à l’œuvre, une méthode graphique
à partir de 7 critères, faisant état du statut socio-économique des habitants et de leur capacité à
se mouvoir dans l’espace urbain a été créée. On parlera alors de la « sensibilité spatiale »
d’un quartier qui peut être définie comme « la manifestation statistiquement repérable d’une
fragilité sociale (chômage, durée d’inactivité, précarité, retard scolaire, monoparentalité,
délinquance…) et comme l’expression mesurable de dysfonctionnements aussi bien
économiques (nombre de commerces de proximité fermés…) qu’environnementaux (vétusté
du bâti, qualité des espaces publics, desserte par les transports…) (Vieillard-Baron, 2001).
La construction du graphique doit donc prendre en compte des indicateurs très variés.
Mais, c’est là tout l’intérêt de cette démarche que d’exposer sur un même schéma des
indicateurs trop peu souvent associés. Mais la limite de cette approche graphique vient, entre
autre, du fait que celle-ci isole les quartiers et en propose une « vision statique » alors que
« les formes des problématique sociales et urbaines dans ces secteurs fragilisés sont en
évolution constante » (Ibid., 2001). Cette approche amène à nous demander quels sont les
critères qui rendent le mieux compte des dynamiques socio-spatiales de ces quartiers, qui, par
ailleurs présentent des situations internes, souvent différenciées, relativisant la valeur des
moyennes statistiques.
Cette tentative de visualiser sur un graphique le « niveau » de ségrégation d’un
quartier est discutable, du fait du choix de certains indicateurs qui pourraient être substitués à
d’autres. L’approche par les minima sociaux peut être très instructive. Elle rend mieux compte
de la situation économique des populations que le taux de chômage ou d’étrangers. Mais
encore faut-il pouvoir accéder à ces données, la plupart du temps confidentielles.
6 Etude réalisée dans le cadre de la division « Etudes sociales »
38
Enfin, il serait intéressant de confronter différents graphiques rendant compte de la
« sensibilité spatiale » des quartiers, non seulement en comparant les quartiers sensibles entre
eux, mais aussi en mettant en parallèle un quartier sensible donné dans une ville et un quartier
disons plus aisé dans cette même ville. Cette dernière approche permettrait en effet, les
comparaisons sur la base de situations locales, le rôle du contexte dans l’étude de la
ségrégation étant central.
Cependant, comme l’écrit François Madoré: « Aucun discours condamnant la
ségrégation et vantant la mixité sociale n’a jamais défini qu’elle était la distance physique
maximale acceptable en termes d’oppositions socio-spatiales au-delà de laquelle on est
autorisé à parler de ségrégation et en-deça de laquelle on est autorisé à parler de mixité. » La
question qui se pose est : « la distribution des individus et des groupes dans l’espace physique
est-il toujours un bon indicateur des distances ? » (Grafmeyer, 1994).
2-Les mécanismes ségrégatifs à l’œuvre dans les villes françaises. Ségrégation,
agrégation contre mixité sociale
a- Les effets ségrégatifs des politiques publiques et du droit de l’urbanisme
La création des ZUP dans les années cinquante a entraîné la formation d’entités
urbaines, dont le traitement par les politiques publiques a été inadéquat pour insérer ces zones
à l’ensemble du reste de la ville à laquelle elles appartiennent. C’est un premier constat, qui
s’il ne doit pas être généralisé, correspond à une réalité dans bon nombre de ces zones
urbaines. Nous avons vu précédemment que la question de la ségrégation émerge
véritablement dans les années soixante-dix, dans le champ des recherches en sciences
sociales, au moment où les « grands ensembles » sont soumis à de nouvelles dynamiques de
peuplement en même temps que le modèle urbain pavillonnaire et le processus de péri-
urbanisation qui lui est consubstantiel prennent de l’ampleur. La ségrégation dans les villes
françaises émane donc principalement de cette double logique.
Un des principaux reproches émis à l’égard de ces « grands ensembles » vient de la
manière dont les pouvoirs publics ont conduit les opérations d’urbanisme et d’aménagement
dont résulte cette forme urbaine. La ségrégation induite par l’existence de ces « grands
39
ensembles » serait la conséquence d’une « production de la ville entre les mains des
technocrates et des ingénieurs » (Madoré, 2004). Sont donc mises en cause dans les
dysfonctionnement de ces territoires : le zonage poussé à l’extrême, inhérent à l’idéologie
fonctionnaliste ; une spatialisation qui impose des modèles de planification spécifiques fondés
sur « l’uniformité des formes et les fonctions urbaines ». Les expressions matérielles de ce
courant de pensée sur la ville moderne ont alors été le « grand ensemble », les Zones
d’aménagement concerté (ZAC) à vocation pavillonnaire, la zone industrielle ou d’activités,
autant de territoires différenciés générant de la ségrégation. Le principe d’organisation de la
ville en zones n’a pas tenu compte du fonctionnement, de la cohérence de l’ensemble du
système urbain à l’intérieur duquel ce principe a été appliqué.
Les politiques de la ville naissent donc en réaction à ces phénomènes de déliquescence
des « grands ensembles ». Ce sont la plupart du temps des procédures d’aménagement et des
actions sociales, engagées par l’Etat pour remédier aux inégalités entre les territoires. Elles
ont une dimension législative et réglementaire. Ces actions volontaristes font apparaître dans
les années soixante-dix le terme ”réhabilitation”, dans le cadre des OPAH (Opérations
programmées d’amélioration de l’habitat) et des opérations HVS. Autrefois, la sémantique des
urbanistes concernant les actions sur le bâti se limitait aux termes de rénovation et de
restauration et faisait appel à des procédures différentes. Les OPAH sont des actions
concertées issues d’un partenariat entre l’Etat et l’Agence nationale pour l'amélioration de
l'habitat (ANAH). Ces opérations ont finalement eu les mêmes effets que les politiques
antérieures. Elles ont favorisé le départ des individus les moins marginalisés et ont entraîné
une réduction du parc locatif social et une reconquête des centres-ville par les catégories
sociales les plus favorisées ( ADEF, 2004).
Ces quartiers de « grands ensembles », créés ex-nihilo, et dans l’urgence de l’après-
guerre ont, au bout de quelques décennies, participé à la création de clivages sociaux,
aujourd’hui pérennes. La production massive de logements sociaux en France, aboutit à la
création de 3,3 millions de logements de ce type jusqu’en 1984. On atteint les 4,1 millions de
logements sociaux en 1996 et à la formation d’un discours généralisé, négatif et réducteur,
véhiculé par les médias et adopté par les masses sur cet état de fait.
Le logement social est ainsi aujourd’hui associé à la misère sociale, à la délinquance,
à des populations « assistées », considérées comme une charge pour la société. Néanmoins,
40
interrogeons-nous sur le fait même qu’il existe une si grande quantité de logements sociaux en
France. N’est-ce pas le signe d’une société, qui malgré ses clivages internes, fait une place
aux plus pauvres. Ainsi « plutôt que déplorer que des couches économiquement défavorisées
résident dans des quartiers et des logements sociaux, ne devrait-on pas s’en
féliciter ? »(Baudin, Genestier, 2002). Le logement social qui, jusqu’aux années soixante
tardives, était réservé aux couches moyennes, est désormais destiné aux populations les plus
fragiles économiquement ; un fait remarquable et sans précédent dans l’histoire de la France.
Aussi, les quartiers de « grands ensembles », s’ils sont aujourd’hui dénigrés, c’est par ce
qu’ « on » les compare à d’autres modèles urbains qui constituent la norme, l’ « acceptable »
dans notre société. La maison individuelle, le lotissement pavillonnaire et surtout le fait de
résider en centre-ville, répondent toujours et encore aux aspirations, à l’ « objectif » des
différentes couches sociales : « la réussite sociale passe par un positionnement résidentiel
central » (Madoré, 2004). C’est le mode d’habitat et implicitement le mode de vie vers lequel
il faut tendre si l’on veut obtenir ses galons de respectabilité dans notre société. Les
problèmes des quartiers « difficiles » sont donc bien des problèmes sociaux plus que des
problèmes spatiaux.
Différentes mesures sont prises à partir du début des années quatre-vingt, pour tenter
de ralentir les processus de ségrégation. La Loi d’orientation pour la ville (LOV) et la loi sur
la Solidarité et le renouvellement urbain (SRU) ont certes permis une revalorisation du
logement social en imposant des « quotas » aux communes. Mais les politiques publiques du
logement ne peuvent résoudre les problèmes liés à la discrimination scolaire ou sociale par
exemple. L’échec des politiques de la ville successives est imputable au fait que ces politiques
n’agissent « que sur des noyaux, des espaces circonscrits, aux marges de la société » (Maurin,
2004). Aussi, « le traitement des crises urbaines relève davantage de la régulation sociale,
ersartz de remède au vide social et à la précarité que génère la mutation d’une société post-
industrielle en crise, qui conjugue dramatiquement perte d’emploi et perte de sens. Car il
s’agit davantage de repeindre les façades ou de les habiller en mur d’escalade que de remettre
en cause les mécanismes générateurs d’exclusion » (Madoré, 2004).
Le droit de l’urbanisme participerait-t-il lui aussi à engendrer des inégalités socio-
spatiales ? Depuis quelques années, les Plan locaux d’urbanisme (PLU) mettent-ils en avant
des dimensions nouvelles tels que « la préservation du cadre de vie », la « maîtrise de la
croissance urbaine », la « protection de l’environnement » ou « l’amélioration de la qualité de
41
vie ». Aussi peut-on se demander combien ces objectifs à atteindre ou ces intérêts à préserver
sont-ils générateurs d’inégalités socio-spatiales. Certains règlements d’urbanisme assez
strictes, qui imposent par exemple une certaine densité du bâti, l’implantation des
constructions répondent aux objectifs cités plus haut. Cependant, ces dispositions ne profitent
qu’à certaines zones pour les constructions nouvelles des centres historiques liés au prestige
de la ville ou pour les quartiers pavillonnaires, classées UG ou UH.
Par contre, les ZUP ne peuvent profiter de ces mesures de « cet air du
temps environnementaliste » en « l’absence de renouvellement urbain » (ADEF, 2004).
Globalement, les plan d’urbanisme locaux, ont soit contribué à réduire les possibilités de
construction, soit à contraindre à augmenter les coûts de construction en interdisant par
exemple l’utilisation de certains matériaux peu onéreux. Aussi, certaines zones deviennent, de
fait, des territoires réservés aux plus favorisés, car le statut réglementaire auxquels elles sont
soumises empêche la construction de certains types de logements, le locatif social étant la
cible prioritaire de ces dispositions contraignantes.
La formule lapidaire d’ Emmanuelle Deschamps résume le parti pris idéologique de
nombres de législateurs : « Les documents d’urbanisme ont été les complices des idéologies
qui choisissent à l’extrême soit d’exclure, soit de concentrer les logements sociaux » (Ibid.,
2004)
Philippe Genestier écrit : « l’urbanisme se présente dès son origine comme une version
sécularisée d’une religion du salut collectif. Un religion sécularisée qui a pris à l’ère moderne
les traits du scientisme et du technicisme » (Genestier, 1996). Il oppose à cette pensée une
réflexion sur la nécessité de concevoir la ville de manière holistique et non plus réduite à la
seule dimension matérielle : « l’urbanisme actuel doit affronter le fait qu’il ne s’agit plus pour
lui d’imaginer le meilleur espace pour tous, de concevoir les lieux les plus conformes à une
évolution globale supposée. Il s’agit plutôt, en fonction de la diversité des ressources et des
aspirations des individus et des groupes pour lesquels le technicien intervient, de faire en sorte
que les aménagements qu’il propose soient les moins contraignants possibles, les moins
limitatifs des comportements et des pratiques actuelles du potentiel de la population
actuelle » (Ibid, 1966).
42
b- Ségrégation et embourgeoisement : la recherche d’un entre soi. Le rôle des
stratégies individuelles dans les processus de ségrégation
Les regroupements socio-territoriaux, subis ou voulus, qui affectent la société
française ne touchent pas spécifiquement un groupe social en particulier mais bien
l’ensemble de la société. « La défiance, la recherche de l’entre-soi, les stratégies d’évitement
et de regroupement » sont des processus communs à tous les groupes sociaux et, en particulier
les plus aisés (Maurin, 2004). La géographie sociale des villes françaises laisse apparaître une
occupation de l’espace par des groupes sociaux nettement différenciés, regroupés, selon des
critères tels le niveau de vie, l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle.
Ainsi, si les phénomènes d’agrégation et d’embourgeoisement existant aujourd’hui
dans les villes françaises semblent exacerbés, ils ne sont pas nouveaux. Le contexte socio-
politique du XIXe n’est évidemment pas le même que celui d’aujourd’hui, mais l’étude du
cas de la capitale parisienne 7met en évidence des invariants, du XIXe siècle à nos jours, dans
les logiques qui conduisent des groupes sociaux privilégiés à se regrouper sur un territoire et
une forte inertie des mécanismes ségrégatifs, conduisant à la formation de « ghettos »
résidentiels. Monique Pinçon-Charlot note, à propos de la grande bourgeoisie parisienne, que
les « localisations de prestige » émanent de la volonté des familles de la haute société
parisienne. « Du faubourg Saint-Germain au faubourg Saint-Honoré, du nord du XVIe
arrondissement au sud du XVIIe et à Neuilly, les grandes familles ont fait construire des
hôtels qui furent à l’origine de ces quartiers ». Ainsi, « la présence de ces familles, la qualité
du décors urbain, le mode de vie qu’il abrite sont au principe même de ces rues, avenues et
boulevards »(Pinçon-Charlot, 1996).
La polarisation sur certains espaces des catégories sociales serait donc le reflet des
clivages sociaux existant à l’intérieur de la société mais aussi le reflet de hiérarchies internes
7Monique PINÇON-CHARLOT in HAUMONT (N.) (ouvrage collectif), 1996, La ville : agrégation et
ségrégation sociales : « Fragmentations sociales et fragmentations spatiales dans la grande bourgeoisie
parisienne », Monique Pinçon-Charlot L’harmattan, 215 p.,
43
propres à chaque groupe social. Monique Pinçon-Charlot, en prenant l’exemple du groupe
social formé par les hauts-fonctionnaires, montre que l’occupation de l’espace urbain à Paris,
révèle des stratégies résidentielles différenciées à l’intérieur de ce corps de métier. Ainsi, les
hauts fonctionnaires des Ponts et Chaussées auront une localisation résidentielle plus
périphérique que ceux de l’Inspection des Finances. Les stratégies résidentielles des familles
aisées favoriseraient, par ailleurs, la localisation des activités liés aux « affaires ». La
localisation des sièges des grandes entreprises bancaires mais aussi des ministères, attirés par
le prestige social des individus des quartiers qu’ils désirent investir, découlerait ainsi des
logiques résidentielles des familles fortunées.
Monique Pinçon-Charlot souligne cependant que « les agents sont à la fois grands
bourgeois attachés à la résidence dans les beaux quartiers et hommes d’affaires ou hauts
fonctionnaires soucieux d’optimiser l’image de leur activité par sa localisation ». Ce
processus est ancien et débute à la fin du XVIIIe siècle. L’exemple du VIIe arrondissement de
Paris, où s’implantent les ministères juste après la Révolution française, puis les IXe et VIIIe
arrondissements, investis par les sièges sociaux des firmes financières au XIXe et XXe,
illustrent ce comportement. « En 1880, près d’un siège social sur deux, pour les entreprises
ayant leur siège en région parisienne et étant cotées à la bourse de Paris, est situé dans le IXe
arrondissement »(Ibid., 1996). Plus récemment, ce sont le nord du XVIe arrondissement et le
centre de Neuilly qui ont fait l’objet de toutes les convoitises pour les activités du secteur
tertiaire supérieur.
Néanmoins, cette cohabitation entre hommes d’affaires, ambassadeurs et familles de la haute
bourgeoisie ressemblent à une vraie lutte pour l’appropriation de certains espaces ; une
logique concurrentielle s’est alors mise en place pour investir des espaces à haute valeur
symbolique, où se situent des demeures à grande valeur patrimoniale.
Progressivement, les logiques de localisation des sièges sociaux des entreprises, liées à
l’effet « adresse prestigieuse », entraînent une montée des prix du foncier. Par ailleurs, le
principe de « boulevardisation » des quartiers aisés, dont la population diminue et qui doit
faire face à une augmentation conséquente du nombre d’emplois, dévalorise l’image de ces
territoires. Les zones résidentielles se décalent ainsi vers l’ouest mais jusqu’à une certaine
limite. En effet, à Paris, pour les familles de la haute bourgeoisie il existe une frontière
infranchissable à l’ouest, matérialisé par le pont de Neuilly. Au delà, l’espace urbain n’est pas
à la convenance de ces familles aisées, surtout dans ces années cinquante, époque à laquelle la
relocalisation forcée de ces familles les a conduites jusqu’à cette fameuse ligne de
démarcation. Sur l’autre rive de la Seine, les logements insalubres, les entrepôts, voire les
44
bidonvilles comme à Nanterre, commanderont une politique de la table rase de la part de
l’Etat, pour la reconquête de ces territoires. Le quartier de la Défense, nouveau centre des
affaires, a fait depuis la jonction avec Nanterre et la Seine et se trouve être désormais, le lieu
de prédilection pour la localisation des sièges sociaux des firmes du tertiaire supérieur.
Cependant, si les entreprises ont conquis la rive Ouest de la Seine, elles n’ont pas été suivies
par les familles des cercles bourgeois.
Il existe donc véritablement une volonté de regroupement, d’agrégation des
populations fortunées sur un territoire clairement défini. Les familles de la noblesse et de la
bourgeoisie ancienne mettent en œuvre des stratégies d’évitement avec pour but d’éliminer de
leur voisinage des populations jugées indésirables. Les opérations d’urbanisme qui ont lieu à
Paris et dans d’autres villes françaises, au XIXe siècle, sous le second Empire, ont bien pour
objectif de reléguer les quartiers ouvriers à la périphérie des villes. Georges Eugène
Haussmann, le préfet de la Seine de 1853 à 1870, sous couvert de rénovation de l’espace
urbain parisien et sous l’impulsion des théories hygiénistes en vogue à l’époque, crée le
« Paris bourgeois » d’aujourd’hui. Cette profonde mutation urbaine, qui certes, dote en autre,
la ville d’un réseau d’égout, améliore en général la qualité de vie des habitants, entraîne, de
fait, la disparition de la ville médiévale et de certains trésors architecturaux, tout en favorisant
un processus de polarisation sociale dans le centre ville parisien.
Aujourd’hui, le double mouvement de ségrégation/agrégation « repose [toujours] sur
des modalités très poussées d’appropriation privée, de certaines parties de l’espace public,
comme l’obtention au profit de cercles très fermées, de concessions dans le bois de Boulogne
à Paris, ou par un contrôle étroit des établissements scolaires » (Madoré, 2004). Au delà d’une
ségrégation spatiale, les phénomènes d’agrégation des familles aisées sont la conséquence de
l’existence d’institutions, tels que les « cercles » pour adultes et les « rallyes » pour leurs
enfants. Selon François Madoré, l’isolement physique des populations ne serait « qu’une
donnée très relative, car ce qui compte avant tout, ce sont les liens que l’on tisse en dehors de
la sphère du logement ».Dans cette optique, il serait sans doute bon de reconsidérer la notion
de ségrégation, moins marquée par « le marquage territorial » que par la capacité de chacun à
avoir accès à certains lieux, à être mobile (Ibid., 2004). Par suite, la concentration des plus
démunis sur un même espace relèverait plus du phénomène par défaut que de la stratégie
active de mise à l’écart (Maurin, 2004).
45
En outre, la configuration socio-spatiale des villes françaises serait également
déterminée par « l’importance respective des différentes classes sociales dans l’ensemble de
la population » (Ibid., 2004). L’augmentation de la part des cadres dans la population active et
la baisse numérique de la classe ouvrière, également associée à l’ affaiblissement de la
« conscience de classe », comme nous l’avons souligné plus haut, conforterait cette
« impression d’une société en cours de ghettoïsation et de sécession territoriale » (Ibid.,2004).
Alors que les classes « supérieures » deviennent de plus en plus « importantes » et
investissent les lieux centraux, les couches sociales les plus modestes sont reléguées à la
périphérie des villes.
Ce processus croissant d’embourgeoisement de la société française, fait alors en sorte
que, « des pans entiers de territoires : centres-villes, « beaux quartiers » et zones les plus
proches des principaux équipements » sont appropriés par les classes sociales « supérieures ».
Nous sommes ainsi passés d’un système qui présentait quelques enclaves bourgeoises à un
modèle socio-spatial, où des espaces considérables sont désormais réservés à une élite. La
seule manière d’appartenir à ce groupe d’individus serait alors d’être en mesure de présenter
une « solvabilité face à des prix immobiliers prohibitifs » (Madoré, 2004).
Ce processus actuel de « gentrification » que connaissent les centres-villes européens
émane donc, d’une logique similaire, à celle qui caractérisait l’attitude des familles de la
bourgeoisie ancienne. Quoiqu’il en soit, nous avons vu à travers l’exemple de la haute
bourgeoisie parisienne, que des mécanismes ségrégatifs favorisant un entre-soi choisi sont
difficiles à désamorcer. Cette ghettoïsation par le haut est donc pérenne aujourd’hui. Et,
comme le fait remarquer Eric Maurin8, quel intérêt les riches ont-ils à cohabiter avec les plus
déshérités ?« En choisissant son lieu de résidence, on choisit aussi ses voisins et les enfants de
ses voisins, ceux avec lesquels on fera grandir les siens, ceux avec qui ils iront à l’école… »
(Maurin, 2004). Les stratégies actives d’agrégation des plus riches sur un même espace
« laissent entrevoir une société à la fois fragmentée et figée hantée par la peur du
déclassement » (Ibid., 2004). Pour Eric Maurin, « on ne bat plus pour des espaces plus sûrs,
des logements de qualité ou des équipements de proximité, mais peut-être et avant tout pour
des destins, des statuts, des promesses d’avenir ».
8 MAURIN (E.)« Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social », 1996
46
Suivant cette logique, les politiques de la ville qui mettent en exergue la mixité, la
diversité sociale seraient donc vaines. La volonté de certaines familles de même niveau social
de s’agréger sur des territoires circonscrits, semble plus puissante que les politiques publiques
visant à contrecarrer des phénomènes d’agrégation mis en place par des populations à haut
niveau de vie et difficilement réversibles. Ce « séparatisme social », émanant d’un sentiment
de crainte à l’égard des milieux populaires et des ambitions de réussite de certains individus,
est éminemment désiré par les groupes sociaux les plus favorisés.
Face à l’inertie des mécanismes ségrégatifs et de cette mentalité sécessionniste, quel
impact, les politiques de la ville peuvent-elles donc espérer avoir ? Pour Eric Maurin,
« promouvoir une mixité réelle exige de désamorcer les enjeux stratégiques du lieu de
résidence, une ambition hors de portée de politiques centrées sur l’urbanisme et le logement ».
La compétition entre individus, à l’école, sur le lieu de travail, pour obtenir le meilleur
statut social possible, serait donc la cause fondamentale de cette fragmentation à l’œuvre, à
l’intérieur de la société française.
Si l’embourgeoisement des centres-villes résulte effectivement en France de stratégies
individuelles pour une localisation préférentielle liée à la centralité dans la ville, d’autres
facteurs tels le marché du foncier et de l’immobilier, doivent être considérés pour les études
concernant les phénomènes d’agrégation des populations les plus riches sur certains espaces.
Cependant, les stratégies d’évitement et le rôle de la valeur foncière et immobilière dans les
processus d’embourgeoisement de pans entiers de l’espace urbain sont difficilement
dissociables. Les comportements individuels pour le choix d’un lieu de résidence sont
fortement corrélés aux mécanismes du foncier. A la limite, il aurait été possible de traiter
simultanément des deux processus en une seule partie. Cependant, certaines pratiques
« marchandes » et institutionnelles liées au foncier nous ont amené à exposer séparément le
rôle des stratégies individuelles et celui du marché du foncier et de l’immobilier dans les
processus d’embourgeoisement de certaines zones urbaines. Nous verrons que le problème
qui se pose est de savoir si ces stratégies individuelles, débouchant sur un usage des sols
spécifique, interviennent en amont ou en aval des logiques des marchés fonciers et
immobiliers.
47
c-Les mécanismes ségrégatifs du foncier
La polarisation d’un type de population sur un territoire donné résulte donc de la
conjonction nécessaire de plusieurs facteurs, tels que : la nature des politiques publiques
d’intervention sur ce territoire, les stratégies sociales, mais aussi le marché du foncier et de
l’immobilier. Aussi, l’augmentation des prix du foncier est donc un élément évident,
générateur de l’entre-soi (ADEF, 2004).
Deux thèses permettent d’expliquer les mécanismes du prix du foncier, l’une
d’inspiration libérale, l’autre marxiste. L’analyse économique néo-classique nous apprend que
ce sont les prix du foncier qui précédent l’usage du sol. La rente foncière détermine l’usage
du sol. L’analyse néo-marxiste d’Alain Lipietz, (Lipietz, 1974, Le tribut foncier urbain,
Maspéro, Paris) insiste, quant à elle, sur la division socio-économique de l’espace (DESE),
donc sur le rôle des facteurs sociaux dans le fonctionnement du marché du foncier. La
structure des usages du sol précède le fonctionnement du marché foncier. Deux éléments
composent cette division :
-la division technico-économique du travail ; à chaque espace est affectée une fonction
-la division sociale du travail concernant les rapports sociaux de production entraîne une
division sociale de l’espace : « ici logent les patrons, là les ingénieurs, là les ouvriers » (Ibid,
2004).
La division socio-économique de l’espace détermine donc les prix du terrain : c’est la
rente foncière.
48
Schéma de la théorie d’Alain Lipietz:
↓ déterminent
↓ qui détermine
Suivant cette logique, il existe alors deux sortes de rente foncière différentielle ou tribut
différentiel :
- un tribut différentiel endogène par rapport à l’action du promoteur. Le promoteur ou
l’aménageur modifie par son action l’usage du sol et récupère à ce titre une plus value
foncière
- un tribut différentiel exogène par rapport à l’action du promoteur. Dans cette
configuration, l’usage du sol s’impose au promoteur. C’est parce que les riches sont
prêts à payer la centralité que les prix du foncier sont élevés (Madoré, 2004).
L’analyse sociologique avance que des stratégies résidentielles liées à la mobilité des
ménages résulte une organisation du marché de l’immobilier. L’augmentation des prix du
foncier, conséquence de l’agrégation des catégories sur des espaces qu’ils ont choisis
« structure les usages du sol et a un effet direct sur la ségrégation » (ADEF, 2004). La
situation économique des classes aisées qui recherchent une localisation résidentielle centrale
dans la ville -c’est le cas majoritairement en Europe- favorise une augmentation des prix du
Des facteurs sociologiques
(Héritage historique, facteurs
socioculturels)
La division économique et sociale de
l’espace (DESE) et l’usage du sol
Le fonctionnement du marché foncier
et le prix des terrains
49
logement consubstantiellement à une augmentation des prix du sol (Ibid., 2004). Mais
l’analyse d’Alain Lipietz est contradictoire, dans le sens où il part du postulat que la DESE
précède les prix du foncier pour finir par dire que ce sont les prix du foncier qui déterminent
la DESE. On rejoint avec ce dernier constat le point de vue des économistes néo-classiques.
Les travaux de Monique Pinçon-Charlot, déjà cités plus haut dans notre exposé,
mettent en évidence que les mutations de la DESE précèdent toujours les fluctuations du
marché du foncier et de l’immobilier. En France et en Europe les quartiers d’élection de la
haute société ont toujours été des quartiers neufs construits par et pour elle-même. Au XVIIe
siècle, le Marais est le quartier de résidence de la noblesse. Puis, on assiste à un déplacement
vers l’ouest des lieux de résidences les plus recherchés. Le XVIIIe siècle naissant voit les
faubourgs Saint-Germain ou Saint-Honoré investis par les classes privilégiées. A la fin du
XVIIIe siècle, ce sont les Grands Boulevards, puis au XIXe siècle la Plaine Manceau, suite
aux opérations d’urbanisme haussmannienne, qui sont monopolisés par la haute société
parisienne. Et au XXe siècle, ce sont Neuilly-sur-Seine et le XVIe arrondissement qui
deviennent les espaces de résidence de la haute bourgeoisie. Ainsi, cette mutation de la DESE,
a-t-elle été suivie d’un déplacement en direction de l’Ouest parisien des prix du sol et de
l’immobilier les plus élevés, alors que les quartiers progressivement délaissés par les classes
aisées ont vu leur valeur foncière diminuer (Granelle, 2001). Les localisations pour « le
prestige de l’adresse » que nous avons abordé précédemment, sont donc fortement liées aux
valeurs immobilières à partir du moment où l’appropriation du sol est réservée aux couches
sociales favorisées. Mais, c’est bien après le choix de la localisation que le marché du foncier
et du logement entre jeu. Ainsi, la localisation des sièges sociaux des grandes entreprises qui a
suivie celle des « grandes familles » parisiennes pour investir l’espace le plus coté
symboliquement, a fait fluctuer le prix de l’immobilier de manière très sensible dans les
arrondissements parisiens, une fois que l’espace a été discriminé, connoté du fait de la
présence de ses familles dans ces quartiers.
Au final, la thèse des sociologues -qui s’ils ne sont pas marxistes au moins utilisent-ils
la dialectique marxiste, confortable pour l’analyse des phénomènes sociaux- et celle des
économistes libéraux sur le fonctionnement du marché foncier sont-elles irréconciliables ?
Les explications sociologiques démontrent que l’usage des sols est indépendant du
marché du foncier sur le long terme. A la lumière des travaux réalisés par les chercheurs en
50
sciences sociales, nous pouvons affirmer qu’effectivement les localisations préférentielles des
groupes sociaux économiquement les plus favorisés ont toujours anticipé le fonctionnement
des marchés fonciers. La « colonisation » de nouveaux espaces vierges en terme d’habitat met
en avant le fait que le marché n’intervient pas dans les localisations résidentielles au départ.
Mais quand l’usage du sol est bien établi alors les mécanismes habituels du marché foncier
apparaissent, ce qui corrobore les thèses des économistes. La loi de l’offre et de la demande
s’exprime à plein régime et les terrains sont acquis par les individus les plus offrants. Le prix
du foncier est , donc, déterminé par la loi du marché. Cette analyse est valable à différentes
échelles temporelles : le court et moyen terme mais aussi sur de longues temporalités du fait
des stratégies des promoteurs (Ibid, 2001). La spéculation relative au prix du foncier et de
l’immobilier entraîne des pratiques particulières comme l’achat de terrain « à prix ordinaire »
avant « qu’on ne soupçonne les avantages à venir » liés à la revalorisation de la valeur du sol
par certaines politiques urbaines (Madoré, 2004).
Si une étude des phénomènes ségrégatifs ne peut se dispenser d’évoquer les questions
relatives au lieu d’habitation, au « cadre de vie », une compréhension complète de ces
processus doit cependant prendre en compte certains enjeux se situant hors de la sphère du
logement. Car, s’ils existent des populations « mises à l’écart », elles ne le sont pas seulement
« spatialement » mais aussi de manière plus « symbolique » par l’existence de
« réseaux réservés » à certains groupes d’individus. L’Ecole fait sûrement partie de ces
« institutions » qui sont l’objet d’enjeux majeurs participant à la création de « ghettos »
réservés à certaines franges de la population.
d-La ségrégation scolaire : une ségrégation urbaine
L’observation de la composition sociale des établissements scolaires situés dans des
quartiers présentant des difficultés socio-économiques, révèle la concentration d’individus
appartenant à des milieux défavorisés. La ségrégation scolaire est donc le reflet d’une
ségrégation sociale. Cette agrégation d’un public en difficulté dans des établissements situés à
l’intérieur du périmètre de « quartiers à problèmes », semble par ailleurs, s’accentuer.
Marie Duru-Bellat pointe du doigt la carte scolaire, mise en place depuis 1983, en
France et le principe de sectorisation qui en découle qui entraîne la formation de zones
51
d’éducation différenciées, où les résultats des élèves dans les établissements scolaires sont
étroitement liés à l’appartenance à une catégorie sociale définie. Les écoles, collèges et lycées
localisés sur des territoires stigmatisés tendent vers une homogénéisation sociale croissante.
Malgré les efforts entrepris pour favoriser la diversité sociale et ethnique des établissements
cette dynamique de différenciation entre établissements scolaires est pérenne.
Il existe bien une corrélation entre le taux d’échec ou de réussite scolaire et le niveau
social des élèves (Duru-Bellat, 2007). Mais dans quelle mesure les écarts de niveau entre
élèves issus de milieux différents est-elle imputable à la ségrégation ? Jusqu’à quel point le
fait pour un élève d’évoluer au milieu d’individus où un groupe social est dominant a une
répercussion sur le niveau scolaire de l’élève, indépendamment de l’ « origine sociale
individuelle » ? (Ibid., 2007).
Marie Duru-Bellat propose « d’évaluer les effets spécifiques de la composition sociale
du public d’élèves », le school mix ; mais aussi la composition ethnique de ce public, l’ethnic
mix. Une recherche sur l’influence ethnique en milieu scolaire dans la communauté urbaine de
Bordeaux (Felouzis, 2003) tend à montrer que, si la part d’élèves étrangers ou d’origine
étrangère, dans un établissement scolaire, influence les résultats des élèves de manière
récurrente, « l’effet de la composition sociale selon l’origine culturelle est faible » (Duru-
Bellat, 2007). Le pourcentage de 20% d’élèves étrangers ou d’origine étrangère dans un
établissement est avancée pour que l’influence de ces enfants allochtones sur les résultats
scolaires soit réelle (Ibid., 2007). Une étude, menée à partir de la composition sociale des
établissements d’études primaires (Duru-Bellat, 2004, 2007), montre également une
corrélation systématique entre le niveau social des enfants et les résultats scolaires. Plus la
part des élèves issus de milieux dits aisés est grande, plus les résultats globaux des évaluations
sont meilleurs. Mais, là encore, l’effet reste modeste d’un point de vue quantitatif.
Marie Duru-Bellat met également en avant un élément qui lui paraît significatif quant
aux disparités des résultats scolaires entre les établissements : l’ancienneté du corps
professoral. L’importance numérique des professeurs jeunes, avec peu ou pas d’expérience
d’enseignement, dans les établissements réputés difficiles, est une cause d’inégalité, « puisque
l’expérience est en moyenne associée à d’avantage d’efficacité pédagogique »(Duru-Bellat,
2007). De plus, les enseignants semblent moins exigeants face aux élèves des milieux
défavorisés. Les attentes en terme de niveau de connaissances à atteindre, de discipline, de
52
participation aux activités proposées par l’école varient sensiblement selon les publics
auxquels sont confrontés les enseignants. Les professeurs adopteraient donc des attitudes
différentes selon qu’ils aient à faire face à un panel d’individus issus d’un milieu populaire
ouvrier ou qu’ils aient en charge l’éducation d’enfants dont les parents sont cadres supérieurs.
La création des Zones d’éducation prioritaires (ZEP) en 1981 par Alain Savary, avait
pour fondement le remise en question « du principe républicain d’égalité » au profit de celui
d’équité (Duru-Bellat, 2004). Basé sur un principe interventionniste, l’action de l’Etat devait
permettre de favoriser un rééquilibrage en injectant des moyens plus conséquents en direction
des établissements présentant le plus grand nombre d’élèves en situation d’échec scolaire. Le
bilan de cette action volontariste ciblée et qui s’apparente finalement à une discrimination
positive est mitigé. L’acronyme ZEP apposé sur les territoires en difficultés est même devenu
un stigmate pour les établissements ciblés par cette entreprise de réhabilitation, le périmètre
des ZEP étant largement calqué sur celui des ZUS. Ces établissements, une fois catalogués,
sont devenus, pour les parents d’élèves, ceux qu’ils fallaient à tout prix éviter. Pourtant, ces
établissements ont bénéficié d’avantages, tels que des augmentations de budget ou la
diminution des effectifs par classe. Mais, malgré quelques exemples de réussites avérées de
« normalisation » des établissements, nous sommes face à un résultat en demi-teinte.
L’effet de contexte, autrement dit la composition sociale des établissements, amène
aussi les élèves à adopter des comportements qui tendent à renforcer chez eux le sentiment
d’appartenance à une catégorie sociale, qui semble être un marqueur fort, leur permettant
d’adopter des attitudes bien spécifiques (Duru-Bellat, 2007). Ainsi, des « normes de
groupes qui s’ancrent dans la réalité vécue » tendent à se mettre en place dans les classes ou
les établissements. Le retard scolaire est, par exemple, dans les établissements accueillant un
public défavorisé, la norme à laquelle il faut se conformer. On aboutit alors à la fabrication de
l’échec et de la déviance scolaire. « Les représentations des enseignants et les réactions des
élèves se conjuguent pour laisser se développer des sous-cultures d’opposition à l’école plus
ou moins virulentes » (Ibid., 2007). L’école est alors le lieu où, les pré-notions construites et
appropriées par la société, les enseignants ou les élèves, au sujet de certains établissements
renforcent la stigmatisation des élèves « déviants », qui se complaisent, in fine, à jouer le rôle
que la société leur assigne.
Toujours dans cette perspective, où le contexte détermine le comportement des élèves,
les chercheurs en psychologie sociale s’accordent à dire que l’estime de soi de l’élève est
53
fortement corrélée avec la plus ou moins grande proportion d’une catégorie sociale, présente
dans une classe ou un établissement. Ainsi, les élèves issus d’un milieu populaire présentent
une tendance à d’autant plus surévaluer leurs performances scolaires, qu’ils évoluent dans des
classes où la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent est prépondérante. L‘explication est
que, d’une part l’élève ne se sent pas dévalorisé quand il essaie de situer ses performances
par rapport aux autres individus de son groupe social d’appartenance. D’autre part, nous
l’avons déjà évoqué, les enseignants font preuve d’une plus grande indulgence concernant la
notation des travaux, à l’égard des élèves des établissements « prioritaires ». Ces deux
éléments expliqueraient la plus forte proportion d’élèves des collèges des ZEP, qui entrent en
seconde général (Ibid., 2007). Mais, le problème qui se pose est que, lors du passage du
collège à un lycée hors ZEP, les élèves venant des établissements « prioritaires » se trouvent
« mêlés » à des individus ayant effectué jusqu’alors leur scolarité dans des établissements
plus exigeants en matière d’objectifs éducatifs à atteindre. Les inégalités entre établissements
situés sur des territoires prioritaires et les autres s’expriment alors de manière sensible, à la
lumière des résultats obtenus par les élèves dès leur entrée au lycée.
A cette différence de niveau scolaire il faut ajouter la stigmatisation des élèves issus
des collèges de ZEP par leurs camarades de lycée venant d’établissements de meilleure
renommée. L’élève venant d’un milieu populaire doit faire face à « un sentiment de
déracinement social, d’isolement, d’humiliation » (Ibid., 2007). La mixité sociale en milieu
scolaire montre ici ses limites.
De plus, le fait de fréquenter un « établissement ségrégué » limiterait les ambitions de
réussite sociale des élèves. A contrario, le fait de fréquenter un établissement au public plus
favorisé augmenterait les exigences des élèves en matière de carrière professionnelle (Ibid.,
2004). Par ailleurs, une corrélation claire est établie, entre le projet scolaire de l’élève et le fait
de suivre une scolarité dans un établissement où le groupe social d’appartenance de celui-ci
est différent du groupe dominant dans l’établissement. Un élève de bas niveau social, évoluant
dans un établissement réputé pour sa qualité d’enseignement, verra son niveau d’exigence
augmenter en terme de réussite sociale. A l’inverse, un sujet issu d’un milieu aisé, qui
évoluerait dans un établissement populaire, aurait des ambitions revues à la baisse. Cette
dernière analyse sur l’effet de contexte est, cependant, à modérer. L’origine sociale de l’élève
primerait largement pour l’élaboration du parcours scolaire et professionnel, sur le type
d’établissement fréquenté (Ibid., 2007).
54
Au final, la ségrégation scolaire, si elle est avérée, aurait un impact bien plus
significatif sur « l’expérience scolaire et la construction de la personnalité » des élèves, que
sur les résultats scolaires proprement-dits (Ibid., 2007). Ce séparatisme social entre
établissements s’éloignerait donc de la vocation intégratrice de l’école républicaine. La
mixité sociale en milieu scolaire, si elle est ambivalente et pose notamment le problème de
l’intégration des groupes sociaux les plus démunis dans des milieux plus favorisés, constitue
pourtant une démarche indispensable. Néanmoins, pour que cette mixité soit réellement
source d’intégration, encore ne faut-il pas seulement laisser s’opérer une improbable
« alchimie » entre groupes sociaux nettement différenciés, mais intervenir au niveau même
des mentalités des sujets qui se côtoient, par le biais d’un vrai travail éducatif.
Les politiques publiques qui ont visé à réduire les inégalités entre les établissements et
dont l’aboutissement le plus signifiant a été la mise en place des ZEP, à travers un zonage de
l’espace en milieu urbain essentiellement et désignant les établissements scolaires des
quartiers en difficultés, illustrent, bien malgré elles, la « théorie de l’étiquetage ». A force de
désigner certains territoires (ou certains individus), on aboutit à créer une véritable défiance à
l’égard des sujets concernés. Un constat qui peut être établi pour toutes les mesures
discriminantes : « Plus on cible, plus on concentre les moyens, certes, mais aussi, plus on
stigmatise les personnes ciblées, avec à la clef ces effets pervers d’étiquetage »(Ibid., 2007).
Néanmoins, ces politiques d’intervention sur des territoires où résident des individus
de condition modeste sont forcément nécessaires, car l’inertie des mécanismes ségrégatifs en
milieu scolaire est forte. Aussi, favoriser la mixité sociale des publics dans les établissements
scolaires, en empêchant le regroupement des sujets de même niveau social, exige une
meilleure qualité de l’enseignement, en évitant de confier l’éducation des enfants en
difficulté, exclusivement à des personnels peu expérimentés, sont des conditions sine qua non
pour désamorcer les logiques d’exclusions.
La carte scolaire, qui fait si souvent débat, est au centre des problématiques liées à la
ségrégation scolaire. En effet, ce dispositif incite les familles à choisir un établissement en
fonction de leur lieu de résidence. A partir de là, deux attitudes sont possibles face à cette
politique de zonage, qui finalement repose sur deux positionnements idéologiques : la
supprimer, ou contraire, la renforcer.
55
Dans le premier cas, le libre choix accordé aux parents d’élèves, renforcerait la
ségrégation. Les raisons en sont simples : les établissements relégués se videraient de leurs
meilleurs éléments. Ce qui est déjà en partie le cas, par ailleurs. Les dérogations accordées
aux parents pour inscrire leurs enfants dans les meilleures structures sont fréquentes. Si
l’école primaire ne paraît pas être l’enjeu de stratégies particulières pour le « placement » des
enfants, en revanche, le choix d’un établissement d’enseignement secondaire est plus
largement guidé par la réputation de celui-ci. L’idée selon laquelle la qualité des
enseignements d’un établissement est médiocre ou que l’environnement à l’intérieur de celui-
ci est une source potentielle de difficultés pour l’enfant, entraîne une défiance des parents à
l’égard de certains collèges ou lycées. Certains parents, rejetant le principe même du zonage,
contournent la carte scolaire et préfèrent placer leurs progénitures dans des établissements du
secondaire, accueillant un public de « meilleure » condition sociale. Cette stratégie
d’évitement, si elle est souvent liée au « capital culturel » plus qu’au « capital économique »,
exige surtout une connaissance fine des mécanismes du système éducatif. Aussi, les
enseignants sont-ils ceux qui, fréquemment, déjouent le système pour scolariser leurs enfants
dans les établissements de leur choix mais qui, paradoxalement, se positionnent comme les
défenseurs du principe d’équité véhiculé par la carte scolaire. En outre, à l’heure actuelle,
cette suppression pure et simple de la carte scolaire est déjà fixée et devrait intervenir d’ici
trois ans, sur l’ensemble du territoire français.
La deuxième option, celle du renforcement de la carte, aurait des effets modestes. Le
dirigisme, sous-jacent à cette configuration, n’aurait d’effet que sur les parents qui mettent en
œuvre des stratégies d’évitement des établissements stigmatisés. « La seule manière de
contrer les comportements de choix qui accentuent la ségrégation, c’est de tuer dans l’œuf les
« bonnes raisons » qu’ont les familles de fuir certains établissements, autrement dit de se
concentrer sur une politique d’égalisation de la qualité des écoles, ce qui passe par une forte
discrimination positive, pour compenser les désavantages objectifs de certaines d’entre elles »
(Ibid., 2007). La composition sociale d’un établissement scolaire, reflétant l’image même de
celui-ci, le renforcement de la carte scolaire ne peut se faire sans une volonté de mélanger des
publics différents en son sein.
Mais cette logique doit faire face aux intérêts individuels, car « la ségrégation ne fait
pas que des victimes et certains élèves profitent d’une « scolarisation entre-soi », alors que
d‘autres en pâtissent ; les parents de milieux favorisés, qui sont aussi les plus influents à
56
l’école, perçoivent bien que les établissements où ils sont majoritaires permettent à leurs
enfants de meilleures progressions et une expérience scolaire plus positive » (Ibid., 2007).
La réussite d’un zonage établissant le lien entre lieu de résidence et le choix d’un
établissement scolaire à donc pour enjeu de convaincre les parents du fait, que peu importe
l’établissement dans lequel ils devront scolariser leur enfant, il sera garantie à ce dernier une
qualité d’enseignement identique à n’importe quel élève d’un autre établissement. L’Ecole est
bien évidemment impuissante face aux inégalités entre quartiers, mais l’objectif qui doit lui
être assigné est de permettre de proposer des enseignements et, par suite, des résultats qui ne
permettront plus de différencier un établissement d’un autre, rendant obsolète, par la même,
le distingo entre établissements réputés et établissements ségrégués.
Néanmoins, l’idée selon laquelle les dynamiques à l’œuvre dans la ségrégation
scolaire seraient uniquement liées à la géographie de l’habitat est à pondérer. En effet, il
existe des situations où l‘occupation d’un territoire ne dessine pas une hiérarchie sociale
horizontale. C’est le cas, quand cette hiérarchie « continue à obéir à l’organisation verticale
qui caractérisait les villes d’autrefois où chaque immeuble avait ses étages luxueux et ses
étages de service », où le loyer des appartements variait fortement selon l’étage occupé (Duru-
Bellat, 2004). On retrouve ainsi dans certaines rues des quartiers des grandes villes, plusieurs
écoles : une école publique et une école privée ou bien deux écoles publics, accueillant des
publics différents. La sélection se fait alors sur des critères implicites de « caractère social ou
ethnique » (Ibid., 2004).
57
Après avoir exposé comment la ségrégation s’est constituée en objet de recherche et la
manière dont celui-ci a investi le débat politico-médiatique puis les différents mécanismes
ségrégatifs identifiés dans les villes françaises, nous allons mettre à l’épreuve la question de la
ségrégation à partir d’une étude de cas sur un quartier de la commune de Saint-Malo.
L’histoire du quartier de la Découverte, les différentes politiques qui ont été appliquées sur ce
territoire puis une présentation du profil socio-morphologique de celui-ci constitueront les
dimensions qui nous permettront de mettre en évidence l’existence ou non de processus
ségrégatifs, ou tout au moins, de décrire et d’analyser un ensemble d’éléments qui vont dans
le sens d’une dynamique ségrégative.
58
II- Les concepts de ségrégation et d’enclavement à l’épreuve des faits sur le quartier de
la Découverte-Espérance. La mise en lumière de causes et de conditions susceptibles
d’être des facteurs d’exclusion…
1- L’approche historique pour éclairer la réalité d’aujourd’hui. Histoire du quartier et
dynamique par rapport à la ville de Saint-Malo
a- Dans quel contexte le quartier de « grand ensemble » s’est implanté à Saint-Malo ?
La reconstruction de Saint-Malo et la genèse d’un quartier symbole de la modernité
d’après guerre
Sans s’étendre sur les conséquences des « ravages » subis par la ville de Saint-Malo
(Intra-Muros) par des bombardements allemands et aussi par les Américains, en 1944, pour la
libérer, il convient de dire que c’est du fait de ces destructions consécutives au pilonnage de
l’Intra-Muros, que la commune va connaître –comme bien d’autres en France- une crise du
logement, à la fin de la seconde guerre mondiale. 683 logements sur 865 sont détruits à la fois
par l’occupant allemand à la fin de la guerre et par l’aviation américaine, soit 80% des
logements de l’Intra-Muros.
Cependant comme dans bon nombre de communes françaises, la crise du logement est
un fait qui perdure depuis des décennies sur la commune. Après-guerre, ce sont 3530 familles
malouines au total qui se retrouvent sinistrées. Le dilemme des autorités de l’époque était de
savoir si l’Intra-Muros devait conserver ses fonctions initiales ; c’est à dire celles de centre
administratif, hospitalier, scolaire et commercial. L’ensemble du plan de reconstruction de la
cité est définitivement adopté en 1946. Finalement, le centre hospitalier est évacué de
l’intérieur des « murs » de l’intra-muros, les rues sont élargies, mais des conflits apparaissent
entre les habitants sinistrés et la politique des monuments historiques. Les premiers réclament
que la cité corsaire soit rebâtie à partir des vestiges du passé en laissant cependant une large
place à la modernisation (AMSM). On parle de « mimétisme modernisé » dans le cas de
reconstruction à l’identique après la guerre (Pelletier, Delfante, 2000). C’est Louis Arretche,
préféré à Yves Hémar, à l’origine de la conception de villas balnéaires sur la Côte
d’Emeraude, qui sera le principal architecte en charge du projet de reconstruction de la cité.
59
De manière générale, les choix qui vont s’opérer durant cette période de reconstruction
et de construction de logements en France sont largement le fait d’une idéologie, érigée en
dogme à l’échelle de l’Europe: le fonctionnalisme. Après 1945, le Ministère de la
Reconstruction met en place une politique où les théories de Le Corbusier sont alors
appliquées, mais de manière réductrice, comme nous l’avons déjà montré. Eugène Claudius-
Petit, qui occupe le poste de ministre de la Reconstruction à partir de 1948, participera à la
formation de cette vague fonctionnaliste qui reconfigure l’espace urbain en France.
De cette « fièvre urbanisante » -nécessaire- des « trente glorieuses » va donc émerger
un modèle urbain dont le quartier de « grand ensemble » est devenu le symbole, comme nous
l’avons vu. Ce dernier peut être défini simplement, de manière un peu réductrice, comme un
groupe d’immeubles locatifs comportant un nombre élevé de logements (Merlin, Choay,
2005). Ce terme, créé en 1935 par Maurice Rostival9, est devenu synonyme depuis une
trentaine d’années, de territoires ségrégués où se trouvent regroupées des populations
marginalisées, et dont la situation économique est le plus souvent précaire. Mais à l’époque
de leur implantation, ces collectifs d’habitations, dont l’exemple le plus « abouti », disons le
plus caricatural, est le quartier des « Quatre-mille » à la Courneuve, totalisant 4000 logements
qui sont effectivement les symboles du progrès, de la modernité. Loin d’être à l’origine du
territoire réservé de populations marginales, ces ensembles de logements sont équipés de tout
le confort « moderne » : sanitaires, chauffage… et réservés à la classe moyenne émergente de
la période fordiste.
Cependant, le fait même que ces nouveaux quartiers soient créés ex-nihilo, sur une
ancienne zone marécageuse par exemple, pour la zone qui fait l’objet de notre étude, et qu’ils
ne soient pas raccordés au tissu urbain existant les condamnait dès leur naissance, à plus ou
moins long terme à devenir des « territoires de l’exclusion » (Bachman, Le Guennec, 1998).
La ville de Saint-Malo, durant cette période d’après-guerre va connaître une forte
croissance démographique, à l’image du pays qui entre dans cette fameuse période de « baby
boom ». A ce phénomène d’augmentation des naissances vont venir se juxtaposer deux autres
éléments participant à cette croissance. En premier lieu, la mutation du monde agricole, va
contraindre de nombreux ouvriers agricoles à migrer vers la ville. Saint-Malo qui doit alors
absorber un flux de personnes conséquent, dû à un exode rural, qui touche par ailleurs 9 Maurice Rotival, 1935, revue L’Architecture d’aujourd’hui
60
l’ensemble du territoire français lors de cette fameuse période s’étalant de la fin de la seconde
guerre mondiale au milieu des années soixante dix et désignée selon l’expression consacrée de
« trente glorieuses ». Deuxièmement, le secteur du bâtiment nécessite une forte main d’œuvre
de 1948 à 1953, du fait des programmes de reconstruction tentant de répondre à une demande
accrue de logement d’après guerre. Cette main d’œuvre se fixera durablement dans la région
malouine. La migration des populations vers Paramé et Saint-Servan entraîne donc une crise
du logement dans les deux communes cités, d’où un transfert vers Saint-Malo, qui connaît à
son tour une situation difficilement gérable au sujet du logement.
Les trois communes ne fusionneront qu’en 1967. Cette fusion intercommunale posera,
par ailleurs, des problèmes de cohérence concernant l’organisation même de la nouvelle
entité urbaine créée. En effet, ces communes ont adopté trois stratégies de développement
différentes, d’où l’existence de trois centres villes, trois systèmes de voirie, trois systèmes
d’extension urbaine. En somme, la ville de Saint-Malo est une ville multipolaire, avec trois
centres.
En 1949 est créé l’Office public HLM de Saint-Malo. Etendu à la commune de Dol en
1956, OPHLM devient l’Office public intercommunal HLM de Saint-Malo. La création de
cette entité permet alors de mutualiser les fonds pour la mise en œuvre d’un programme de
reconstruction cohérent. En 1956, le déficit en logement à Saint-malo est estimé à environ un
millier.
Réfugiés 200
Sinistrés habitant de Saint-Malo 100
Familles nombreuses, jeunes ménages, ex-prisonnier de guerre 311
Ménages divers sans condition de priorité 139
Demande de HLM 225
Total 975
Tableau 1 : La demande de logements selon la situation socio-économique à Saint-
Malo en 1956 (Source : Archives municipales de Saint-Malo)
61
Cette crise du logement va inciter les pouvoirs publics locaux à constituer des réserves
foncières pour permettre la construction de logements suffisants pour couvrir l’ensemble des
besoins sur la commune. L’idée d’urbaniser le secteur Est de la commune va alors s’imposer
d’elle-même. Cette zone est, jusqu’au XVIIe siècle, un marais au cœur duquel coule le
Routhouan, un affluent de la Rance. Les différents travaux de drainage qui ont lieu à partir du
XVIIe transforment le « marais de Saint-Malo » en terres agricoles. C’est ce secteur, ancien
marais asséché, réservé jusqu’alors aux cultures et aux pâturages, qui va devenir en quelques
années un nouveau foyer urbain, dont la mise en forme s’étalera de 1950 à 1975 (AMSM). Ce
territoire sera donc le territoire d’élection pour l’érection des ensembles d’habitation du
quartier de la Découverte-Espérance.
La première phase du projet d’urbanisation de la zone Sud Est de la commune, vise à
parer au plus pressé en logeant les familles en situation de grande précarité, qui occupent des
lieux insalubres : caves, celliers, baraquements de fortune…, rue René Capitan, le long de la
voie ferrée Rennes-Saint-Malo. Ces nouveaux logements créés sont des logements de
première nécessité (LPN). Au final, l’opération de relogement d’urgence est un échec. Ce sont
des logements de fortunes, toujours en place en ce début de siècle, qui verront le jour ; des
taudis modernes en quelque sorte, construits à proximité de la voie de chemin de fer.
En 1958, l’Etat permet aux communes d’acquérir facilement des espaces, le plus
souvent agricoles, pour la construction accélérée d’ensemble d’habitat collectif : les Zones à
urbaniser en priorité (ZUP). C’est un évènement décisif pour la production « industrielle »de
logements. En 1959, le groupement d’Urbanisme de la Rance réfléchit alors à l’élaboration
d’un plan d’urbanisme pour le secteur Est de la commune. Dans un premier temps, il est
prévu de dédier la zone à l’habitat pavillonnaire. Nous retrouvons, à travers l’exemple de la
Découverte, ce dilemme auquel doivent faire face les pouvoirs publics à la sortie de la guerre :
privilégier la maison individuelle ou construire des immeubles, en somme.
Ce projet s’orientera finalement au bénéfice d’une zone d’habitation conséquente
destinée au logement collectif, après approbation, en juin 1960, d’un plan d’urbanisme de
détail. Le premier plan présenté par Louis Arretche en 1960, prévoyant un habitat uniquement
pavillonnaire, est donc abandonné en 1963 au profit principalement de grands immeubles
collectifs. Sur les 1 635 logements construits, 1 455 sont des logements sociaux, un seul en
62
accession à la propriété, tous les autres en location. Les immeubles de logements collectifs
sont construits alors en deux grandes phases successives de 1964 à 1967 et de 1968 à 1973.
Cependant, l’urbanisation du secteur Sud Est de la ville ne se limite pas à la
construction du « grand ensemble » de la Découverte. Au début des années 1960, des terrains
à bâtir pour l’accession à la petite propriété sont cédés à l’Amicale habitation, autre bailleur
en charge de la construction du quartier. Ces pavillons émergent donc avant le « grand
ensemble » et constituent les premières manifestations du programme de construction du
quartier.
Type de logement
Secteur HLM PSR PLR ILN Total
Arabie 32 32
Le Gentil 72 72
Antilles 86 86
Saint-Laurent 70 70
Ponant 60 60
Bardelière 56 56
Chili 29 12 41
Grand passage 75 75
Pérou 98 98
Arkansas 10 10
Square des Caraïbes 201 50 251
Square de l'île Crozet 80 80
Square de l' Islet 101 70 171
Total 834 56 162 50 1102
Première phase de construction de 1964 à 1967
Deuxième phase de construction de 1968 à 1973
Tableau n°2 : Les phases de la construction des immeubles locatifs dans le quartier de
la Découverte de 1964 à 1973 (Source : Archives municipales de Saint-Malo)
63
Détails des phases des opérations d’urbanisme à la Découverte (AMSM).
Le 12 mai 1961, le conseil municipal de Saint-Malo, sur proposition du maire Guy
Lachambre , « décide de dénommer « quartier de la Découverte » le lotissement de la nouvelle
zone d’habitation située en bordure de la route de la Hulotais, tel qu’il résulte du plan
d’urbanisme de détail de la zone intercommunale de St-malo, St-Servan, Paramé, étant observé
que la dénomination des voies de ce lotissement interviendra ultérieurement et recevront les
noms de découvreurs malouins ou de pays découverts par eux (AMSM D43/9). » En juin 1961,
cent parcelles sont rétrocédées à l’Amicale habitation pour des constructions en accession à la
propriété. En décembre, la Ville de Saint-Malo cède gratuitement des terrains à l’OPIHLM pour
la construction d’un premier collectif de 70 logements HLM, rue du Saint-Laurent, d’un autre de
56 logements de type Programmes sociaux de relogement (PSR), rue de la Bardelière. L’Amicale
habitation recevra, quant à elle, un ensemble de 12 lots de terrains à bâtir pour l’accession à la
petite propriété. L’année suivante, la commune acquiert des réserves foncières par voie
d’expropriation, les terrains nécessaires destinés à l’implantation d’un cimetière et d’une zone
industrielle accolés à l’hippodrome. Entre avril et juillet 1963, les nouvelles acquisitions de
l’OPIHLM permettent la construction de 94 logements HLM, rue de l’Arabie, place Duclos-
Guyot, rue le Gentil et rue des Antilles. Par ailleurs, sur décision du conseil municipal et à la suite
des modifications opérées sur le plan d’ensemble d’urbanisme, les parcelles cédées à l’Amicale
habitation pour la construction de maisons individuelles sont rétrocédées à la Ville pour
l’édification de collectifs d’habitations. En 1964, les projets de zone industrielle et de cimetière
dans le secteur nord de la zone sont abandonnés. Les terrains qui leur étaient destinés seront
intégrés à l’ensemble de la zone de construction pour le logement. Octobre 1964 voit l’OPIHLM
acquérir de nouveaux terrains pour la construction de 140 logements, rue du Ponant et rue de
Antilles. Ces dernières cessions foncières de l’année 1964 marquent la fin de la première tranche
du projet. Ainsi de 1965 à 1967, grâce à l’ensemble de ces acquisitions foncières seront construits
376 logements, soit 320 logements de type HLM et 20 dans le cadre de PSR. En novembre 1964,
la Ville cède à l’OPIHLM un ensemble de terrains pour la construction de 561 répartis dans 30
immeubles, pour satisfaire au projet de l’architecte M. Murat dans le cadre du programme
s’étalant de 1965 à 1967 et qui constitue la deuxième tranche du projet. Ce même architecte
élabore en mars 1965, un second projet de 603 logements.
64
La construction des édifices de service public débute en 1965. Il est décidé de
construire deux groupes scolaires, l’un à l’Ouest qui portera le nom d’école de la Découverte
et un autre au Nord : l’Islet. A l’origine, le projet concernant la zone Ouest du quartier inclut
la construction de 21 classes primaires, 5 classes maternelles, ainsi qu’une salle de sport. Dans
un premier temps, les subventions sont accordées pour la création en 1965, de 8 classes
primaires, 5 classes maternelles et une cantine de 260 places. En 1969, 6 classes
supplémentaires et le gymnase voient le jour. La construction du groupe scolaire de l’Islet
émane en 1967, du projet de M. Auffret, architecte. Le marché pour l’édification du complexe
scolaire sera attribué 4 ans plus tard.
Durant cette même décennie, un centre social est édifié, grâce à un terrain cédé par la
Ville à l’OPIHLM. Un centre commercial est également envisagé à la construction dans la
partie Sud du quartier. Le centre commercial de la Découverte qui a connu depuis son
ouverture plusieurs réhabilitations est implanté à l’orée des années soixante-dix. En juillet
1969, un terrain est cédé à la société Pretabail-Sicomi pour la construction d’un hypermarché
et d’une galerie marchande, suite à la délivrance d’un permis de construire en mai 1969
modifié ensuite en 1970 et 1972.
Une église est implantée sur la place Saint-François Xavier en 1967, à la demande du
diocèse de Rennes et à l’abandon d’un projet de construction de 2 tours d’habitation.
Enfin, le dernier équipement majeur apporté au quartier, avant la dernière décennie du
vingtième siècle et qui verra naître l’espace Bougainville pour faciliter l’accès des habitants à
certains services de la mairie, est le Centre culturel de la Vallée, autrement désigné sous le
nom de « Centre Salvador Allende » et date de 1981. Ce centre qui à l’époque visait un public
« autochtone » a vu sa zone d’influence croître considérablement, au point de devenir un lieu
fréquenté par une population venant de l’ensemble de l’agglomération malouine (AMSM).
Le « nouveau » quartier de Saint-Malo semble donc être, dans les décennies soixante
et soixante-dix, le lieu idéal pour l’installation des jeunes couples actifs, mariés avec enfants
qui bénéficient de tout le confort moderne, longtemps resté inaccessible pour une large part de
la population. De plus, les écoles, le centre commercial, puis la maison médicale sont autant
de services proposés qui font de la Découverte un quartier moderne et attractif.
65
Mais dans les années quatre-vingt, des difficultés économiques et sociales liées aux
restructurations industrielles touchent des secteurs comme la construction navale et la
« grande pêche », fers de lance de l’économie malouine avec le tourisme à l’époque. « Ces
facteurs de crise ont plus touché des territoires sur lesquels résident les « populations
défavorisées » en premier lieu la Découverte et le quartier de Marville (CUCS, 2006). Ainsi,
l’ « installation » durable du « chômage de masse » et cette fameuse dynamique de
périurbanisation, liée à d’autres modes d’habiter, phénomènes présentés précédemment dans
cette étude, incitent à quitter cette ZUP symbole de la « modernité » et qui ne correspond plus
aux aspirations de nombreux ménages à la situation économique relativement confortable.
Ces derniers cherchent alors un ailleurs meilleur…
Un « avantage » qu’a pu tirer ce phénomène migratoire de certaines catégories sociales
vers les proches couronnes urbaines de la commune est que si le quartier de la Découverte a
une localisation périphérique à l’époque de sa construction, le périurbanisation sur la
commune de Saint-Malo a permis au quartier de trouver une situation plus centrale.
Au Sud Est du quartier, dans les années quatre-vingt, le lotissement de la Hulotais est
implanté. Le quartier de la Madeleine voit le jour également durant cette période. Ce quartier
présente alors un ensemble d’immeubles collectifs, ainsi qu’une zone pavillonnaire. De plus,
le quartier de la Madeleine est choisi, à la fin des années quatre-vingt, pour l’implantation
d’un centre commercial. Celui-ci, par sa position, à la fois périphérique par sa position à la
sortie de la commune mais aussi du fait de sa proximité avec le quartier de la Découverte va
amener à lui, une clientèle provenant de l’ensemble de l’agglomération malouine et
restreindre la zone d’influence du centre commercial de la Découverte. Encore plus au sud de
la commune le quartier de Château-Malo se développe et constitue un nouveau foyer
d’urbanisation qui présente des petits ensembles d’habitation de type locatif ou en accession à
la propriété.
L’ensemble de ces quartiers a alors aujourd’hui une localisation périphérique par
rapport à l’ensemble de la commune. Ils drainent depuis les années quatre-vingt, une
population issue pour une bonne part du quartier de la Découverte. Nous retrouvons donc
avec ce dernier, la même dynamique qui caractérise les quartiers de « grands ensembles « à la
fin des années soixante-dix : le départ des classes moyennes dû à l’attrait du modèle
pavillonnaire.
66
Le quartier de la Découverte « se vide » donc des ménages les plus solvables. Ce
désintérêt pour le quartier s’exprime par ces quelques données statistiques. La majeure partie
des habitants de la Découverte occupe leur logement depuis une quinzaine d’années
seulement. Il ne reste finalement que peu d’individus étant les premiers occupants de leur
logement : 60 % des habitants vivent dans le quartier depuis 15 ans et moins, dont 45 %
depuis 1995 et après. A peine 20 % des résidents habitent à la Découverte depuis 1979 ou
avant, ces derniers étant majoritaires dans le parc de logement privé (Daniel, 2002). On
constate par ailleurs que plus l’arrivée des individus est récente, plus ceux-ci sont tributaires
des aides sociales (Ibid., 2002).
Ce phénomène paupérisation des populations restées « captives » ou arrivées après le
départ des ménages les plus aisés du « grand ensemble » s’enclenche alors. Les liens de
solidarité entre habitants semblent se défaire progressivement. Ainsi, le témoignage de cette
femme vivant dans le quartier de la Découverte nous éclaire un peu sur cette situation
d’augmentation de la « pauvreté » et de dégradation du lien social, dans son immeuble depuis
le milieu des années quatre-vingt : « Il y a une vingtaine d’années, on pouvait compter sur ses
voisins. Dès qu’il y avait un problème, tout le monde se mobilisait dans l’immeuble. On était
toujours chez l’un ou chez l’autre. On s’invitait pour les fêtes, les anniversaires…nos enfants
jouaient ensemble…Aujourd’hui, j’ai des voisins qui ne travaillent pas, n’ont pas d’heures
pour se coucher, font du bruit à n’importe quelle heure. Moi, je suis retraité et je paie pour
leur RMI pour qu’ils puissent aller boire et se payer le luxe de foutre le bordel… »
Un constat que nous serions tentés de faire est la disparition du sentiment
d’appartenance à une classe sociale. S’il reste bien des actifs occupés dans ce quartier, ce qui
faisait le « ciment » des catégories sociales tend à disparaître. « Avant c’était bien. Les années
soixante : les meilleures[…] Il y avait du boulot à Saint-Malo. Tout a fermé…On a vendu les
bateaux…On pleure Saint-Malo d’antan…Maintenant c’est chacun pour soi. Ceux qui
travaillent encore n’ont qu’une envie : partir d’ici » nous confie cet ancien ouvrier. Il poursuit
en disant : « Les jeunes ne veulent pas travailler […] Il y a trop de chômage… »
67
Carte
68
b- Les politiques de la Ville et le discours sous-jacent à de telles procédures. Une
politique fondée sur la territorialisation et la géographie prioritaire
« Un ordre assez sinistre tend à s’imposer dans la ville radieuse»
« La lutte contre l’ennui commence »,
Henri Lefebvre, sociologue français (1901-1991)
Les émeutes qui apparaissent au début de la décennie quatre-vingt dans certains
quartiers de « grands ensembles », ainsi que l’alternance politique incarnée par François
Mitterrand sont les deux éléments principaux participant à l’élaboration d’actions ciblées sur
les quartiers « sensibles ». L’idéologie sous-jacente à ces actions, qui prennent la
dénomination de « politiques de la ville » au cours de cette décennie de « changement », a
pour fondement la rupture avec le libéralisme qui a prévalu dans les décennies précédentes
(Madoré, 2004). Ces procédures visent alors à agir à la fois sur le bâti tout en aspirant à faire
émerger de nouvelles logiques d’actions centrées sur des préoccupations d’ordre social. Le
commandement de ces « entreprises » de revalorisation des « quartiers » est confié aux
acteurs locaux : ville, bailleurs…, l’Etat restant en retrait. Les lois de décentralisation de 1982
et 1983 entraînent des transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales. Ce
sont les communes qui, désormais, sont en charge de l’urbanisme. Les politiques de la ville se
succèdent à vive allure et l’instauration des ZEP puis la procédure DSQ semblent les plus
significatives en termes d’actions très ciblées sur des territoires circonscrits.
La procédure DSQ ciblée sur 546 quartiers, soit une population d’environ 3 millions
d’habitants, regroupe un ensemble d’actions destinées aux quartiers les plus en
difficulté.(Ibid., 2004). Celle-ci vise à la fois l’amélioration du cadre bâti, tout en ayant une
visée à portée sociale. En 1989, le quartier de la Découverte fait partie des sites retenus
bénéficiant d’une procédure de Développement Social des Quartiers dans le cadre d’un
contrat de plan Etat-Région. La convention DSQ du quartier de la Découverte, comme celle
de nombreux autres quartiers devait répondre a plusieurs objectifs symbolisant « la trilogie de
l’urbain, du social et de l’économique » (Madoré, 2004). Le principal objectif était celui de
l’insertion sociale et professionnelle à travers le soutien du « tissu économique existant ». Or,
comme le dit F. Madoré, il convient de signaler « l’inanité d’une intervention économique à
l’échelle d’un quartier pour apporter une réponse a la hauteur des problèmes sociaux » ne
69
pouvant assurément « trouver un substitut dans une action destinée a recréer du lien social
hors de la sphère du travail » (Madoré, 2004). Les autres objectifs se focalisent sur « la
requalification urbaine et l’action morphologique », mais aussi sur « l’amélioration des
conditions d’habitat et du cadre de vie » essentiellement au niveau des immeubles HLM.
Enfin, la participation associative dans les « quartiers » est également une problématique mise
sur table dans le cadre des DSQ.
« Les années quatre-vingt-dix, et plus précisément la période couverte par le XIe plan
(1990-1999), marquent une nouvelle étape dans la politique de la ville, avec à la fois un
élargissement des sites d’intervention et un changement d’échelle »(Ibid, 2004). Les contrats
de villes apparaissent et se substituent donc aux procédures DSQ.
Le premier Contrat de ville à Saint-Malo s’étale sur la période 1994-1998, le second
de 2000 a 2006. Entre temps, le quartier est classé en ZUS suite à la loi du 14 novembre 1996.
Les territoires éligibles au classement en ZUS à Saint-Malo s’étendent cependant à d’autres
secteurs tous limitrophes au quartier de la Découverte: Marville et Bellevue en partie.
Enfin, les Contrats urbains de cohésion sociale, dont nous ne pouvons évaluer la
portée -et pour cause ; ils sont les nouveaux « contrats de la politique de la ville en faveur des
quartiers en difficulté dont le cadre général et les orientations ont été définis par le Comité
interministériel des villes et du développement urbain (CIV) du 9 mars 2006 » (CUCS,2006)-
marquent la fin des Contrats de ville. Ces CUCS devront « considérer à la fois, les politiques
structurelles développées a l’échelle communale ou intercommunale influant sur la situation
des quartiers (emploi, développement économique, transport, habitat et peuplement, politique
éducative et culturelle, santé, insertion sociale) que les actions conduites au sein même de ces
quartiers pour améliorer le cadre de vie ou la situation individuelle des habitants »(CUCS,
2006). A Saint-Malo, le CUCS est associé au projet de rénovation de l’ANRU, mais il pourra
être appliqué, dans d’autres communes, indépendamment d’un programme de rénovation
urbaine. Pour finir, disons que « l’acte de candidature à l’ANRU de la ville de Saint-Malo
s’inscrit dans le prolongement des actions engagées et réalisées depuis plusieurs années dans
une approche partenariale » dont les principales étapes viennent d’entre présentées.
Interventions à l’échelle du quartier de la Découverte et de la ville, auxquelles il faudrait
rajouter entre autres « la mise en œuvre en 1984 du Conseil communal de prévention de la
délinquance et du Contrat d’action pour la sécurité de la ville signé en 1992, le Plan
70
départemental d’action pour le logement des plus défavorisés (PDALPD), la démarche
engagée par la ville de Saint –Malo pour associer les communes environnantes au projet de
Plan local pour l’habitat » (Ibid., 2006).
Nous avons donc présenté, à grands traits, les différentes politiques de la ville dont le
quartier de la Découverte a pu être l’un des théâtres. Reste à savoir s’il est possible d’en
évaluer les conséquences, aussi bien du point des différents discours des acteurs intervenant
sur le quartier qui a pu déterminer la mise en place de telles politiques sur ce territoire, qu’ en
termes d’ « objectifs atteints »…
Une première chose que l’on peut mettre en avant est que l’historique rapide de ces
politiques de la ville montre , selon François Madoré, de manière générale, mais de façon
toute aussi valable dans le cas de la Découverte, « le chemin parcouru depuis la mise en place
d’une gestion centralisée de l’urbanisme depuis les années cinquante » (Madoré, 2004). Cette
« approche territorialisée » a su conjuguer au fil du temps la « transversalité et la globalité »
(Ibid., 2004). Les différentes politiques de la ville « ont fondamentalement pour objectif de
concentrer sur un territoire donné, en majorité des grands ensembles d’habitat collectif des
années soixante et soixante-dix, des dispositifs d’interventions multiples. Cette approche est à
la fois territorialisée, transversale et globale » (Ibid., 2004).
Le discours sous-jacent à ces politiques repose sur « le principe inégalitaire » de
« discriminations positives » qui « semble contradictoire, de prime abord, avec le dogme
républicain de l’égalité de tous les citoyens face à la loi, puisqu’il génère un traitement
inégalitaire du territoire » (Ibid., 2004). Les expériences anglo-saxonnes de l’affirmative
action au profit des minorités ethniques ont largement influencé cette « rupture apparente du
dogme »(Vieillard-Baron, 2000). Dans les faits, le Conseil constitutionnel a affirmé que « le
principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des
situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général,
pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement soit en rapport avec l’objet de
la loi qui l’établit ». Ainsi, si «le principe d’égalité proscrit les discriminations insuffisamment
justifiées, [il] repose aussi sur le raisonnement selon lequel, pour parvenir à une égalité
globale, le législateur peut créer des inégalités marginales » (Martin in Ségregation sociale et
habitat, Madore, 2004).
71
Les objectifs visés par les différentes politiques sont alors ceux de la « mixité » -
concept émergeant à l’époque du lancement des premières politiques centrées sur les
« territoires prioritaires », « discriminés positivement »- de l’insertion, de lutte contre la petite
délinquance. La notion de « mixité », à l’image de celle de ségrégation, reste relativement
floue, polymorphe. On parle depuis la fin des années soixante-dix de « mixité fonctionnelle »,
donc relative aux formes de logements et de « mixité sociale », c'est-à-dire de « mélange » de
populations sur un territoire, pour déconcentrer les populations les plus défavorisées. Cette
dernière idée sous-entend de faire cohabiter des individus de catégories sociales modestes
avec des ménages plus solvables. Le terme de « mixité » est aussi entendu, par le maire de
Saint-Malo, M. René Couanau, comme l’idée de « faire coexister des ménages locataires et
des propriétaires dans un même quartier » dans le cadre du futur programme de rénovation
urbaine à la Découverte-Espérance, (Ouest France, 2007). Cette dernière façon d’envisager la
mixité est, sinon à identifier, au moins à rapprocher de l’idée de mixité sociale.
Le terme mixité est en outre un terme commode ; chacun peut en avoir sa propre
définition : mixité des âges, des catégories socio-professionnelles, des ethnies…). Un tel
usage permet alors de rester dans l’ambiguïté. D’une manière plus générale, cela dépasse le
simple cas du quartier de la Découverte, « concernant les quartiers nous sommes dans le non-
dit : l’enjeu de la mixité sociale y est, dans la plupart des cas, celui de la désethnisation ».
Mais cette idée de « mixité » est-elle suffisante pour palier aux maux des quartiers de
« grands ensembles » ? Le « droit à la mobilité », dans son acception la plus large, n’est-il pas
une orientation des politiques de la ville à privilégier, sinon exclusivement, au moins en
parallèle avec les objectifs de « mixités ». Nous aborderons plus avant ce sujet.
Le terme de « diversité » serait, en outre, sans doute préférable à celui de « mixité »,
obligeant par le même à reconnaître la diversité des gens (Revue Urbanisme, février 2007).
Ne devrait-on pas d’ailleurs préférer l’expression de diversité sociale ?
Par ailleurs, l’idée de poser un bilan sur les différentes politiques de la ville menées
sur le quartier se heurte au fait, qu’ a priori, celles-ci n’ont pas été clairement évaluées après
coup. Au mieux, dispose-t-on de quelques rapports établissant, le cas échéant, un bilan
quantitatif en termes de logements réhabilités par exemple. Mais, aucun écrits, institutionnels
ou autres, à notre connaissance, ne montrent clairement les apports constitués par ces
politiques en terme d’amélioration des conditions de vie, de la sociabilité dans le quartier ou
72
d’insertion économique etc…Si des évaluations existent, elle se limitent a quelques
généralités en introduction d’études diagnostics préalables au lancement d’une nouvelle
procédure. Aussi, en introduction du projet cadre du CUCS de Saint-Malo, lisons-nous : « la
mise en œuvre de ces différentes politiques contractuelles a permis la réalisation
d’importantes opérations tant du point de vue de l’investissement que de l’accompagnement
social. L’implication des habitants a permis de dépasser les logiques sectorielles- aussi bien
spatiales que ministérielles- et d’ aider à envisager des actions préventives »(CUCS, 2006).
Une telle entreprise est-elle par ailleurs possible ? Les propos de François Madoré, sur
l’évaluation des politiques de la ville ciblés sur le quartier des Pyramides à la Roche-sur-Yon
semblent s’accorder au cas de Saint-Malo : « est-il possible d’apprécier l’efficience de la
politique de la ville mise en œuvre sur ce quartier alors que son évaluation est absente ? Et
comment appréhender la vie sociale d’un quartier, étant donné les difficultés conceptuelles et
méthodologiques pour cerner les contours d’une réalité multiforme et qui se prête pas
aisément à l’objectivation ? »(Madoré, 1996).
Néanmoins, nous disposons de sources constituées d’études préalables au lancement
des différentes politiques, notamment avant le lancement de la procédure DSQ. Celles-ci nous
permettent en tout cas de noter l’évolution des objectifs à atteindre avant le lancement d’une
nouvelle politique contractuelle. Ce qui en ressort est que, finalement, les objectifs initiaux de
chaque procédure sont très similaires. Peut-on en conclure que les objectifs fixés au
lancement de chacune des politiques ne sont que partiellement atteints ?
Un bilan architectural et urbain mené conjointement à un diagnostic sociologique est
établi pour le quartier de la Découverte, au début des années quatre-vingt-dix. L’état de la
situation en matière d’urbanisme et d’architecture est mené par M. Revert et l’étude
sociologique pour définir les besoins des habitants est confiée au bureau d’études Cérur par
l’OPHLM. De ce diagnostic émane une série de conclusions puis d’actions visant à agir sur le
logement dans le quartier. Il apparaît à l’époque que le manque de petits logements est
prégnant à la Découverte et a contrario qu’ « il serait nécessaire de prévoir des logements de
type T6 » pour « répondre à une demande non satisfaite ». La structure et l’état de certains
logements est mise en cause dans ce rapport : exiguïté de certaines pièces (salles de bains,
cuisines…) ; nécessité d’une mise aux normes des installations électriques et sanitaires, d’une
amélioration en matière d’isolation thermique et phonique. ; reconsidérer les caves
d’immeubles en tant qu’espace collectif sécurisé…
73
Mais surtout le constat concernant le cadre bâti est lapidaire: « la configuration des
immeubles est monotone et sans qualité architecturale », « l’image générale des bâtiments est
homogène : celle d’immeubles peu esthétiques, offrant peu de diversité, peu d’éléments de
différenciation et d’identification pour les habitants. Les immeubles PSR disposent par
ailleurs de façades dont les peintures sont usées […]. Ceci contribue également a engendrer
une connotation négative.»
Les solutions proposées semblent alors bien peu appropriées par rapport a l’ampleur
de la tâche à effectuer que l’on serait tenté d’imaginer pour réhabiliter le « grand ensemble »,
suite à la lecture d’un tel rapport, pour le moins dévalorisant : « parmi les améliorations
souhaitées[…] : une amélioration et une revalorisation des façades des immeubles
(ravalement, pose de volets) .»
Le diagnostic sociologique, quant à lui, met en avant le fait qu’il existe sur le quartier
des familles « indésirables » et qu’il est nécessaire de répartir équitablement les familles en
difficulté sur l’ensemble de la ZUP. Aussi, peut-on lire dans cette étude les recommandations
suivantes: « le départ de certaines familles posant problèmes de voisinage et de comportement
de La Découverte. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut écarter ces familles dans d’autres
ensembles où elles poseront autant de problèmes ; il s’agit de mieux repartir sur le territoire
de la ville et dans tous les groupes de l’OPI et des autres organismes, les familles en difficulté
de l’agglomération… » (OPHLM, 1990)
La vie associative est, elle aussi, au cœur des problématiques de la procédure DSQ,
tout comme les actions en faveur d’une meilleure prise en charge de la santé des habitants du
quartier. On parle « d’habitants peu informés des activités proposés sur le quartier »,
d’ « équipements parfois en mauvais état », du centre d’animation et culturel du quartier «
que l’on souhaiterait plus attractif pour les habitants de la Découverte », d’un « accès aux
livres difficile »…Un bilan assez sombre est aussi établi, déjà à l’époque en matière d’accès
aux soins, de prévention ou des règles élémentaires d’hygiène qui « laissent à désirer ». On
pointe aussi du doigt « des parents désireux de jouer leur rôle mais démunis face aux troubles
d’ordre psychologiques de leurs enfants ».
L’action de la procédure DSQ sur la ZUP de Saint-Malo qui s’étale de 1990 à 1992,
se résume, in fine, à la rénovation-« ravalement de façades » de 650 logements et, à la
74
construction d’un espace socio-administratif de proximité : l’espace Bougainville qui propose
différents services au public du quartier : élaboration de documents administratifs, service
social…
Si les contrats de ville qui succèdent à la procédure DSQ fixent un ensemble
d’actions à réaliser, non plus à l’échelle du quartier, mais à celle de la ville, et s’ils semblent
plus ambitieux, proposent au final des stratégies assez semblables pour « agir » contre des
difficultés d’ordre urbano-architectural, social et économique.
Dans le cadre du contrat de ville 2000-2006 « le périmètre opérationnel des quartiers a
été ciblé pour conduire la politique en matière de recomposition urbaine et traitement des
« coupures », du logement et du cadre de vie, d’éducation » (CUCS, 2006). Parmi les
opérations d’aménagement réalisées sur le quartier de la Découverte, on citera : la
réhabilitation et la rénovation des espaces intérieurs et extérieurs du centre commercial, la
création d’un giratoire entre l’avenue de Marville et l’avenue de Triquerville, la création d’un
cheminement piétonnier entre le quartier de la Découverte et le secteur des Cottages dans
l’optique du programme de Transport en commun en site propre (TCSP)…
De nombreux objectifs déjà fixés par les précédentes politiques de la ville sont encore
à l’ordre du jour dans le cadre du CUCS. A titre d’exemple, les rédacteurs du contrat urbain
de Saint-Malo constatent-ils au sujet des loisirs a la Découverte : « les jeunes ne connaissent
pas vraiment l’offre dans ce domaine ». Une étude de l’OPAC datant de 2001 souligne encore
« la concentration des ménages causant des troubles de voisinage sur le quartier,
particulièrement au niveau des squares » (OPAC, 2001). Ce sont ces deux mêmes constats qui
sont fait, entre autres, plus de 15 ans auparavant avant le lancement de la procédure DSQ sur
le quartier…
Tout se passe comme si les concepteurs des différents projets se transmettaient d’un
contrat à l’autre les mêmes problématiques a résoudre…
Sur l’évolution plus récente des politiques de la ville, en introduction du projet de
convention cadre du Contrat urbain de cohésion sociale de Saint-Malo, établi en 2006, nous
pouvons lire :
75
« La mise en place du nouveau contrat a été pour l’Etat l’occasion de préciser la géographie
prioritaire de la politique de la ville dans les départements et de prendre en compte l’évolution
des territoires » (CUCS, 2006). Ce nouveau contrat étend, par ailleurs, le périmètre
d’intervention à d’autres secteurs de la ville : Marville, Bellevue, une partie du quartier de la
Madeleine…
L’utilisation de l’expression « géographie prioritaire » n’est-elle pas finalement,
symptomatique de la manière de traiter certains quartiers des villes? Le projet de convention
cadre du CUCS de Saint-Malo nous parle également de « public prioritaire : la jeunesse »,
autrement dit les « jeunes » âgés de 8 à 25 ans.
Finalement, avec cette manière d’envisager les actions sur certains quartiers dits en
difficulté, ne retombons-nous pas dans le même travers que depuis le lancement des premières
politiques de la ville ?
Les acronymes, devenus stigmatisants, tels celui de ZUP, de ZEP, ZUS, ZRU ont la
même fonction que ces mots de « géographie prioritaires» ou « territoires en difficulté » :
poser une étiquette, un « sceau », une marque indélébile. Le fait de discriminer, même «
positivement » le secteur d’une ville ou une population induit une logique de défiance à
l’égard de tels territoires ou individus et ne produit, de toute façon, que rarement, le plus
souvent, les effets escomptés. L’échec (demi-échec ?) des Zones franches urbaines (ZFU)-
procédure qui ne concerne pas cependant le quartier Découverte-Espérance- ne montrent-ils
pas que même si les entreprises s’installent sur des quartiers « sensibles », les populations
autochtones profitent très peu au final des emplois proposés à l’intérieur du périmètre de leur
quartier ? Le classement de certains établissements scolaires en ZEP n’est-il pas du même
ressort ?
A trop vouloir « aider » ces espaces, à vouloir les « pacifier », en les isolant, pour
qu’ils bénéficient de traitements spécifiques, on finit par faire accepter l’idée selon laquelle
tous les maux de la société se concentrent à ces endroits. Or, par exemple, concernant une
situation éventuelle d’enclavement pour le quartier de la Découverte, nous l’avons dit, seuls
quelques secteurs semblent véritablement souffrir d’une telle situation. Cette simplification du
réel ne tient pas compte, de fait, de l’éventuelle diversité des situations existantes sur le
territoire de la Découverte. Nous le verrons. De populations en situation de grande précarité
économique, il semble n’en exister finalement que dans des secteurs bien délimités à
76
l’intérieur du quartier…N’aurait-on pas dû et ne devrions nous pas privilégier des échelles
d’analyse plus fines pour l’étude du quartier : la rue, l’îlot, l’immeuble, voire la cage
d’escalier…au moins dans la phase de « diagnostic »…
Finalement, chaque périmètre d’intervention correspond à des objectifs précis. De
l’action sur le quartier, à l’approche globale à l’échelle de l’agglomération, chaque périmètre
d’intervention peut trouver une justification selon les objectifs fixés…Mais quelle légitimité
l’espace des quartiers ou des agglomérations pour d’application de certaines politiques,
peuvent-ils avoir ? Ni l’un, ni l’autre n’ont un fondement démocratique dans le sens où leur
« gouvernance » n’émanent d’aucun suffrage électoral universel.
Par ailleurs, les « appréciations globales », issues de moyennes statistiques,
permettent d’orienter les politiques. Elles ont l’intérêt de donner « une cohérence
administrative aux interventions en les homogénéisant, mais elles ont l’inconvénient majeur
de les rendre peu efficaces, dans la mesure où elles ignorent souvent ce qui est réellement
significatif dans un quartier : personnalités charismatiques à forte capacité mobilisatrice,
associations dynamiques reconnues par la majorité de la population, faible qualité des emplois
précaires exercés par les jeunes des quartiers, réseaux délictueux et trafics de drogue, action
souterraine de minorités actives, etc. » Autrement dit, de manière générale « la diversité des
quartiers sensibles interroge en profondeur les politiques de discrimination positive mises en
place depuis une vingtaine d’années » (Vieillard-Baron, 2001). « Le problème de la
pertinence des lignes qui séparent les zones ne cessent de se poser : quelles sont donc les
limites qui ont du « sens » aujourd’hui, et à quel niveau d’échelle ? Et la visualisation des
frontières n’est-elle pas en elle-même productrice de marginalité » (ibid., p.141)
L’ensemble des rapports diagnostics portant sur le quartier de la Découverte -la
remarque pourrait sans doute être généralisé à un grand nombre d’écrits institutionnels relatifs
aux ZUS- n’est pas avare d’expressions catégorisantes : « populations fragilisées », quartier
« sensible », « enclavé », « espace de la relégation », de jugements de valeurs parfois aussi :
« absence de qualité architecturale » pour les habitations, « immeubles peu esthétiques »
etc…Le rapport préalable au lancement de la procédure DSQ faisait le constat suivant : « Le
peuplement du quartier de la Découverte est le résultat d’un processus qui concerne
l’ensemble du parc et qui a conduit à sa hiérarchisation : groupes valorisés, groupes
dévalorisés…Un hiatus est donc établi « institutionnellement » à l’intérieur du quartier. Cette
77
opposition formalisée entre deux groupes distincts au sein du quartier ne conduit-elle pas à
engendrer une logique ségrégative ?
En dernière analyse, « la question de l’exclusion déclinée en termes de marginalité, de
précarité et d’enclavement renvoie à la définition de la ville et à celle de la normalité en
matière d’urbanisme » (Ibid., p.141). Citons pour illustrer ce propos l’affirmation d’un
responsable de l’OPAC Emeraude Habitation : « L’ opération de l’ANRU aura pour but de
donner une architecture ‘normale ‘ au quartier. »
Toute cette sémantique développée autour des « quartiers sensibles » et en
l’occurrence au sujet du quartier de la Découverte ne renvoie-t-elle pas finalement à une
acceptation commune, à un « air du temps » qui consisterait à dire : le quartier de « grand
ensemble » est une plaie, il n’ a plus lieu d’être, il concentre l’ensemble des problèmes
sociaux de notre société, il en est peut-être même une des causes fondamentales.
Débarrassons-nous en et revenons-en aux fondamentaux, à ce qui fait la base de notre société
urbaine occidentale : la maison individuelle habitée par un couple marié actif, avec
enfants…et tant pis pour ceux qui ne pourront pas effectuer le voyage du retour a l’ordre
ancien…
78
2- L’ apport de l’approche morphologique dans le décryptage des phénomènes de
ségrégation/ enclavement
b- La morphologie du quartier. L’obsolescence actuelle d’une forme urbaine «
dénoncée » par les acteurs intervenant sur le quartier
L’ensemble urbain formé par la Découverte-Espérance est lié par une histoire
commune. Il est largement assimilé par l’ensemble de la population malouine et par les
pouvoirs publics à ce « bloc monolithique » que constitue le territoire du « grand ensemble »
de Saint-Malo. Ce périmètre d’étude est celui qui a été retenu par l’ANRU, pour le projet de
rénovation urbaine.
Mais déjà, pourquoi appliquer d’emblée le terme de « grand ensemble » « chargé
d’ambiguïté » (Vieillard-Baron in Le monde des grands ensembles, 2004, Creaphis) à cet
espace urbain qu’est le quartier de la Découverte ? « Les évidences du sens commun et du
discours politiques masquent la très grande complexité de la notion même de « grand
ensemble » » (Fourcaut, 2004). « Retenons surtout que le « grand ensemble » désigne une
politique urbaine vigoureusement tracée, avant même d’être un nouveau type de quartier » à
l’époque où celui-ci émerge (Coudroy de Lille in Le monde des grands ensembles, 2004,
Creaphis). « L’expression « grand ensemble » attire l’attention par son abstraction. Cette
« déréalisation » connote fortement les représentations qui y sont associées ». « Grand
ensemble »…de quoi au juste ? est-on en droit de se demander ? » (Ibid., p.39)
Néanmoins, la formule est commode. Aussi, si l’on prend en compte les critères de
« définition », -rarement explicités- du « grand ensemble » admis par les chercheurs ayant
travaillé sur cette forme urbaine, sujette à de nombreuses variantes locales et, présentés dans
la première partie de cette recherche, alors la Découverte peut être considéré, a priori,
comme un objet d’étude « grand ensemble » : taille de plus de 1000 logements, localisation
périphérique lors de son édification, « financement aidé par l’Etat sous des formes diverses,
nature du peuplement avec présence prédominante du statut collectif » entre autres (Ibid.,
2004).
Le « grand ensemble » s’impose cependant « par son irréductible étrangeté et son
insularité dans le paysage comme dans les représentations » (Ibid., 2004). Cette « insularité
79
dans les représentations » semble justement s’accorder au cas du quartier de la Découverte
comme nous pourrons le voir…
Contexte urbain et configuration générale du quartier
Le quartier de la Découverte-Espérance occupe lors de son implantation la majeure
partie de l’espace situé au Sud-Est de la ville de Saint-Malo. Ce quartier est donc construit
dans les années soixante, à la périphérie de la ville. Néanmoins, nous avons vu que
l’étalement urbain de la commune de Saint-Malo lui confère aujourd’hui une position moins
excentrée par rapport au reste de la commune.
Le quartier est localisé à l’interface des trois pôles urbains historiques du « grand
Saint-Malo » que sont aujourd’hui les quartiers Intra-Muros, Saint-Servan, Paramé. Le
périmètre du quartier est délimité à la fois par des axes de communication et par des
équipements. Ainsi le territoire de la Découverte s’inscrit-il entre :
- l’avenue du général de Gaulle, à l’Est du quartier ( RD 301),
- la rue de Triquerville, au Nord du quartier (D 126),
- la rue Demalvilain, au Sud du quartier,
- le champ de course et le parc des sports, le long de la rue de Triquerville,
- la voie ferrée Rennes-Saint-Malo
- la zone industrielle sud, à l’Est du site, le long de l’avenue du général de Gaulle, qui
constitue une barrière avec les quartiers plus récents de la Guymauvière et de la
Bourrelais.
Ces axes de communication et de ces équipements sont considérés comme des
« coupures urbaines résultant des grandes infrastructures » (Ibid., 2006). Si l’avenue du
général de Gaulle correspond, à la naissance du quartier, à une voie rapide déconnectée du
tissu urbain ; elle est aujourd’hui assimilable à « une coupure du fait de son intégration dans
l’urbanisation » (Ibid., 2006). Pris en tenaille entre la voie ferrée et ce qui est initialement
une « rocade » (l’avenue de Gaulle), les relations avec les autres quartiers sont par suite
difficiles. Seule une voie interne au quartier, la rue des Antilles, orientée selon un axe Nord-
Sud constitue une voie de passage qui permet une liaison entre les quartiers Nord et la zone
Sud de la ville (Ibid., 2006).
80
La DAUF de Saint-Malo évoque le quartier de la Découverte en ces termes « un
quartier perçu comme isolé, différent par sa forme urbaine » du fait de « logiques
architecturales et urbaines propres, des coupures urbaines fortes, des fonctions des espaces
mal identifiées, mal hiérarchisées »(DAUF, 2006). Le quartier de la Découverte, du point de
sa conception, de sa morphologie est décrit en termes mettant en exergue des
dysfonctionnements, des « difficultés liées à sa structure malgré les interventions engagées »
(OPAC, 2001). Le quartier est « peu visible à partir des axes structurants qui le bordent :
- en contrebas au Nord Est,
- [car il] présente un alignement en recul masqué par des arbres le long du boulevard du
général de Gaulle, »
- parce qu’il est « masqué à l’arrière du centre commercial au sud et d’accès plutôt
difficile à l’Ouest .
Sa morphologie est difficile à appréhender. Les voies structurant le quartier ne sont quasiment
jamais directes et brouillent l’image spatiale qu l’on s’en fait (systèmes de baïonnettes, de
voies en butée, d’impasses » (Daniel, 2002).
La sémantique pour désigner le quartier est récurrente dans les différents rapports
diagnostics élaborés sur la quartier : « isolement », « enclavement », « organisation urbaine
[favorisant] sa mise à l’écart du reste de la ville et [qui] conduit à un repli sur soi de la
population » (CUCS, 2006). La Découverte est assurément considéré, appréhendé comme un
quartier « différent », en rupture avec la configuration spatiale du reste de la commune :
« Le quartier de la Découverte, conçu comme une entité autonome, s’inscrivait dans
une logique totalement différente des autres pôles urbains de l’agglomération malouine. Cette
différence est tangible dans la structure foncière, l’architecture, la desserte des îlots, leurs
espaces verts et leurs équipements à l’exclusion du centre commercial dont le rôle dépasse le
périmètre du quartier. Regroupant un nombre important de logements sociaux, donc différents
morphologiquement du reste de la ville, et n’abritant pas un pôle d’attraction d’intérêt général,
à l’exclusion du centre commercial; il est vécu comme un quartier isolé. »(DAUF, 2006)
La partie Est du quartier (square de l’Islet et de l’île Crozet) et l’Etrier sont perçus
comme des secteurs particulièrement touchés par un phénomène d’enclavement. De l’avis
même des urbanistes-architectes de la Direction de l’architecture, de l’urbanisme et du foncier
de Saint-Malo, ce sont ces zones qui assurément sont victimes de leur positionnement dans le
81
quartier. Ces secteurs du quartier font face à un « rempart infranchissable », l’axe routier de
l’avenue de Triquerville et relègue donc ces espaces dans une « impasse » (DAUF, 2006).
Les entrées de quartier, selon cette analyse, sont donc appelées à être reconsidérées.
Celles existantes doivent bénéficier d’un nouveau traitement et d’autres ont vocation à être
créées (Ibid., 2006).
A partir de ces quelques éléments nous avons établi cette carte, présentant le quartier
et ses dysfonctionnements désignés par les différents acteurs intervenant sur le quartier.
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Photos aériennes
83
Cartesdysfonctionnements
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Morphologie et structure interne du quartier
Le quartier de la Découverte est appréhendé par « morceau », à la fois par les habitants
mais aussi par les acteurs qui interviennent sur ce territoire. Ainsi, le quartier est fractionné en
zones, en secteurs : les « squares », Espérance, l’île Crozet, l’Etrier, qui présentent chacun des
particularités.
Ce quartier est rapidement identifiable par rapport au reste de la ville, de part son style
architectural. Il y a une vraie uniformité des constructions et les bâtiments dessinent une
forme en « U », si l’on en croit ce qui suit: le quartier « regroupant un nombre important de
logements sociaux », ils sont « donc différents morphologiquement du reste de la ville »
(DAUF, 2006). Les Immeubles de Grande Hauteur (IGH) sont par ailleurs absents. Choix
délibéré des autorités responsables de l’urbanisme du quartier, les bâtiments ne possèdent pas
plus de quatre étages. Le quartier fait, par ailleurs, une place relativement conséquente, au
logement individuel privé ; les ménages résidant dans ce type de logement étant des
propriétaires de longue date. De plus, dans certaines parties du quartier, surtout à l’Espérance,
le logement locatif social est constitué de maisons individuelles alignées le long des rues.
Pourtant, nous le verrons plus loin, le quartier, à la lumière de certains entretiens réalisés dans
le cadre de cette recherche est presque exclusivement associé par les habitants des autres
quartiers de Saint-Malo à un quartier de logements d’immeubles de type HLM.
Le rapport préalable à la procédure DSQ fait déjà état au début des années quatre-
vingt-dix, de nombreux dysfonctionnements internes au quartier : « De nombreux squares
sont totalement clos et leur accès est impossible à partir des squares adjacents à ceux-ci,
autrement que par les sous sols des bâtiments (square de l’Islet et de l’île Crozet, rue de
l’Arkansas). Néanmoins, la présence de porches ou passages, autrement appelés
« transparents », permet une fluidité de la circulation piétonne à certains endroits du
quartier. » (OPHLM, 1990)
L’espace public, s’il ne fait pas l’objet d’une définition très rigoureuse, peut être en
tout cas considéré comme « la partie du domaine public non bâti, affectée à des usages
publics » (Choay, Merlin, 2005). Espace, dont la délimitation est floue, traité de manière
85
pauvre et uniforme, sans relation avec l’environnement alentour, l’espace public a été
considéré comme un espace résiduel par les urbanistes du XXème siècle.
L’espace public du quartier de la Découverte, comme dans beaucoup de quartiers de
grands ensembles d’habitations, se caractérise par « son aspect indifférencié » (DAUF, 2006).
Les espaces verts, les places, les parkings ont été conçus de manière à privilégier avant tout la
fonctionnalité et semblent exclure les habitants. Le « problème » des bas d’immeubles est
une autre illustration de ce problème d’identification, ici entre l’espace public et l’espace
privé. Il n’y a strictement aucune limite, aucune transition douce, entre l’espace privatif,
réduit à l’immeuble et le domaine public sur lequel l’individu pose les pieds directement en
sortant de son hall d’immeuble (DAUF, 2006). C’est une des dimensions incluses dans le
projet de rénovation urbaine de l’ANRU concernant le quartier. Redéfinir clairement, ce qui
appartient au domaine de l’espace privé et ce qui a trait au domaine de l’espace public. Pour
cela, le projet ANRU se fixe comme objectif de créer aux abords des immeubles des espaces
privatifs, permettant l’appropriation par les locataires et, le cas échéant, par les propriétaires
des logements d’un espace transitionnelle entre l’immeuble et la rue.
La rue, la place, expressions même de la ville, sont, sinon absentes dans le quartier, en
tout cas peu « lisibles » (OPAC, 2001), dans le sens où devant refléter l’urbanité et
l’interaction, la « fonction première » de la ville (Allain, 2004), elles ne remplissent pas ce
rôle à la Découverte. La construction au coup par coup, l’absence de vision à long terme, de
prospective a entraîné la présence d’ « une voirie destructurée » (DAUF, 2006). Il est difficile
pour le visiteur d’avoir une vision claire de l’espace dans lequel il évolue. Les voies qui
structurent le quartier sont rarement directs, auquel système se rajoute de nombreuses
impasses (Ibid., 2006).
Le quartier est aussi propice à une consommation d’espace démesurée et sa gestion de
est totalement inadéquate par endroit : des parkings surdimensionnés, notamment place Saint-
François Xavier où est située l’église du quartier ; en dehors de l’office dominical, le parking
est pratiquement vierge de tout véhicule ; les espaces verts conséquents, totalisant une surface
de 17 hectares, sont détournés de leur usage initial ; les aménagements d’aires de jeux pour
enfants sont peu nombreux, mais aussi par endroit glauque et dangereux, comme le « vaisseau
spatial » appelé « fusée » par les habitants en son temps(OPHLM, 1990), situé square de
l’Islet, et aujourd’hui détruit et remplacé par une plantation d’arbustes. Une enquête datée de
86
2001 remarque qu’au sujet des espaces verts et des jeux pour enfants « la question n’est pas
abordée directement par les habitants. Mais le fait d’engager la discussion sur le sujet entraîne
une série de remarques : présences de saleté, papiers, personnes gênantes, chiens etc »( Le
Goaziou, 2001).
En somme, il paraît exister un véritable hiatus entre la fonction affectée aux espaces
publics et l’usage qui en est fait. Les terrains de jeux et autres espaces verts font l’objet de
regroupements de jeunes gens (OPAC, 2001). Très souvent lieux de rencontres entre jeunes
« marginaux », ces espaces conduisent de nombreux habitants du quartier à les éviter.
L’aversion pour ces espaces est d’autant plus forte, que les habitants sont des parents
d’enfants encore en bas âge et se refusent, contraints et résignés, à investir ces lieux. Nous
constatons également, que d’autres espaces publics, tels les parkings, sont fréquemment
transformés en terrain de jeu par de jeunes enfants, entraînant de fréquents conflits avec les
automobilistes qui entrent dans les parcs de stationnement (Ibid., 2001). De plus, le mobilier
urbain est considéré comme assez pauvre souvent dégradé (cabines téléphoniques détruites,
bancs arrachés…) et l’éclairage public triste (DAUF, 2006).
Au final, les différents rapports diagnostics et de présentation du quartier corrèlent
l’aspect morphologique global du quartier au sentiment d’urgence qui dominait à l’époque de
son élaboration. La situation géographique du quartier, entouré de voies et d’équipements
assimilés à des « coupures urbaines », entraîne un « réel enclavement » , accentué sur certains
secteurs du quartier comme l’île Crozet. Les plaquettes de présentation du futur projet de
rénovation urbaine décrivent le quartier comme émanant d’un « urbanisme qui a vieilli, qui
s’est dégradé au fil du temps ». Cette situation génère un phénomène de promiscuité, de
conflits entre certains habitants du quartier. Ceci est surtout valable pour des zones clairement
identifiées comme « problématiques » par les habitants eux-mêmes, et qui correspondent aux
squares de l’Islet et de l’Isle Crozet, c'est-à-dire au Nord-Est du quartier. Ce dernier, est
l’endroit du quartier qui, visiblement, cumule le plus de handicaps, aussi bien d’un point de
vue fonctionnel, que social (DAUF, 2006). Il est dit, par ailleurs que la « mauvaise
réputation » du quartier serait liée à cette zone même qui pose problème…
87
b- Un quartier qui s’éloigne pourtant des caractéristiques types des quartiers de
« grands ensembles »
Pour un observateur extérieur, le quartier de la Découverte peu paraître sensiblement
éloigné des images d’Epinal qui collent à la peau des quartiers de « grands ensembles ».
Saint-Malo, avec une population de 50800 habitants, se situe dans la catégorie des « villes
moyennes » et sa ZUP, « peu étendue spatialement », est finalement préservée de certaines
caractéristiques propres à de nombreux quartiers de « grand ensemble », même si, rappelons
le, il n’est pas aisé de dresser le « portrait robot » d’un quartier de « grand ensemble », tant les
situations locales peuvent varier. En premier lieu, si à l’époque de sa construction le quartier
était localisé à la périphérie de la ville, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La configuration
spatiale de la ville de Saint-Malo s’est trouvée modifiée. Depuis 30 ans, l’étalement urbain
nous amène à reconsidérer la position du quartier par rapport au reste de la ville et à
abandonner l’idée d’un territoire à la frange de l’espace communal.
Le quartier est en effet situé à l’interface des trois centres de Saint-Malo : Intra-
muros, Saint – Servan et Paramé. La Découverte est de plus « en connexion avec les grands
projets de la ville :
- le Transport en Commun en Site Propre entre le parking Paul Feval et intra-muros.
- le centre commercial de la Découverte réhabilité
- la mutation de l’avenue du Général de Gaulle
- la pénétrante sud qui devrait permettre de décharger l’avenue du général de Gaulle
des flux qu’elle supporte » (DAUF, 2006).
La Découverte semble, de plus, bénéficier d’ « une politique de gestion adaptée
(gestion urbaine de proximité) à poursuivre un partenariat entre :
- la ville de Saint-Malo, propriétaire des espaces publics
- le bailleur social unique OPAC Emeraude Habitation
- les acteurs sociaux actifs sur le terrain par le biais de l’espace Bougainville, des
associations, des actions menées lors du contrat de ville (chantier insertion, chantier nature,
…) » (Ibid, 2006).
Le quartier dispose en outre d’ « un patrimoine vert, une présence forte du végétal, des
arbres, à préserver et à mettre en avant », d’immeubles à « taille humaine », aux toits en
88
pentes et en ardoises à mettre en valeur également (Ibid, 2006). Par ailleurs, le quartier
présente « une faible densité », « d’équipements et d’activités attractifs notamment autour du
« mail central » » (Daniel, 2002). L’enquête commandée par l’OPAC Emeraude Habitation en
2001 ( La situation de vie des habitants du quartier de la Découverte. Pré diagnostic
exploratoire dans le cadre du projet de requalification du quartier de la Découverte. Agence
de sociologie pour l’action- Emeraude Habitation) signale que « le quartier présente certains
atouts par rapport à d’autres quartiers de « grands ensembles ». [Ainsi] le petit nombre de
logements par entrée et sur les paliers et la conception « en carré » des squares poussent à
faciliter les relations de voisinage. A l’intérieur des squares, on peut être à la fois chez soi tout
en étant avec les autres.» Ainsi, les différents aménagements des squares (Islet, Crozet,
Caraïbes) sont-ils « mal vécus par leurs occupants [car] leur conception allait dans le sens de
la création de liens. »
Le parc de logements locatif privé relativement important, constitué, essentiellement
de maisons individuelles, ne souffre pas d’une « image dévalorisée » (DAUF, 2006). Les
collectifs d’habitation s’insèrent dans un tissu de pavillonnaire, constitués de maisons
mitoyennes, ce qui permet de rompre un peu avec la « monotonie visuelle » que l’on peut
ressentir en observant la zone du quartier réservée aux immeubles HLM (Daniel, 2002).
La Découverte possède également une gamme de services assez large, avec un centre
commercial éponyme, un hôtel depuis une quinzaine d’années, une maison médicale et des
services paramédicaux, ainsi que des services déconcentrés de la mairie avec l’espace
Bougainville, qui assurent certaines fonctions administratives. Signalons, par ailleurs, qu’à la
lumière des enquêtes déjà réalisées avant le lancement de certaines procédures de
requalification et par l’auteur de cette étude que nombre d’habitants mettent en avant cette
offre de services relativement conséquente sur le quartier. Cette remarque est surtout valable,
cependant pour les ménages résidents sur le quartier depuis sa création. Leur choix de venir
s’établir à la Découverte a été, en effet, guidé en autre, par le fait que la municipalité a
privilégié, dans les années soixante, la ZUP pour l’implantation de groupes scolaires, au
dépend de certains quartiers de Saint-Malo.
La Découverte est, par ailleurs située à proximité d’une des plus grandes zones
industrielles de la ville, ce qui a priori, peut sembler une plaie pour le cadre de vie des
89
habitants. Cependant, si nous considérons la faible motorisation des habitants du quartier10
,
l’accès à cette zone d’activité, donc à ce bassin d’emplois, est facilité pour les individus
résidant à la Découverte qui y travaillent. Ajoutons un bémol à cette analyse, en disant que le
caractère résidentiel du quartier et ce, « malgré une fiscalité intéressante sur la ZUS », incite
peu à l’installation d’activités dans cette zone (Daniel, 2002, CUCS, 2006).
Disons aussi que la faible perméabilité du quartier est sans doute relative. Le quartier
est, certes, fermé à l’est avec l’avenue du général de Gaulle et au nord avec l’avenue de
Triquerville, mais les liaisons avec le « tissu » Ouest et Sud sont plutôt bonnes (OPAC, 2001).
Nous pouvons alors nous demander si la situation décrite par les acteurs agissant sur
le quartier ne serait pas lié à un effet de contexte. Le quartier de la Découverte-Espérance
serait « particulier », « différent », parce qu’il diffère de part sa morphologie, son
organisation, des autres quartiers de Saint-Malo et surtout des quartiers historiques…Mais
quels sont réellement les atouts du quartier de la Découverte par rapport à d’autres quartiers
de « grands ensembles » ? Une approche comparative avec d’autres ZUS pourrait peut-être
relativiser cette situation de « relégation » tant décrié par les acteurs institutionnels…
I
Imaginons enfin que le quartier de la Découverte soit situé sur un autre espace urbain
dont le « poids de l’Histoire » marquerait moins l’image de la ville, le quartier pâtirait-il
réellement d’une situation d’« enclavement », d’ « isolement » ?
Au final, le quartier de la Découverte souffrirait-il d’une situation d’enclavement parce
qu’il ne correspondrait plus à la norme actuelle en matière d’urbanisme ?
Ces propos nous interpellent aussi sur la nécessité d’appréhender la « situation » du
quartier « autrement » : « les diagnostics souvent sommaires concernant les déplacements tant
au niveau des pratiques que des besoins mettent en évidence l’enclavement des quartiers avec
pour origine une mauvaise organisation de la trame viaire (liaisons internes ou inter-quartiers)
et l’existence de coupures urbaines par les infrastructures. Souvent les besoins des habitants
n’ont pas fait l’objet d’études ou de diagnostics spécifiques dans le cadre de l’opération de
rénovation urbaine » (CERTU, 2006). Or, ce qui apparaît dans les diagnostics sur le quartier,
objet de notre étude, est que, finalement, le constat « enclavement du quartier » a visiblement 10
40% des ménages ne sont pas motorisés à la Découverte, INSEE, 2002
90
pour fondement cette « mauvaise organisation de la trame viaire et l’existence de coupures
urbaines »…
91
Photoséquipements
92
Photos école et rue de l’Arabie
93
c- Situation, typologie des logements: quelles particularités à la Découverte-Espérance?
Commençons l’approche de la question du logement sur le territoire de la ZUS de
Saint-Malo par des considérations d’ordre sémantiques, nécessaires pour clarifier la question
abordée dans cette partie, et pour éviter les confusions quant au sujet abordé. Il existe
effectivement une confusion entre les termes d’ « habitat » et celui de « logement ». Les deux
mots sont, en effet, utilisés indifféremment l’un à la place de l’autre.
Or l’habitat correspond à l’ensemble des éléments constituant le cadre et les conditions
de vie d’une population désignée. Le logement est l’enveloppe purement matérielle dans
laquelle s’inscrivent des individus. C’est une « unité fonctionnelle où l’organisation de
l’espace répond aux normes culturelles de la société de l’époque. Mais, la dimension, la
forme, l’organisation interne, le niveau d’équipement du logement sont également liés à la
structure et au niveau économique et social. » (Choay, Merlin, 2005)
La ville de Saint-malo possède sur son territoire la plus grande concentration de
logements sociaux de toute la Bretagne. On y recense 5238 logements de ce type, soit 25,5 %
des résidences totales de la commune.
La Découverte compte 1949 logements, soit respectivement 6,5 % des logements de la
commune, dont 1542 logements sociaux. Le quartier de la Découverte-Espérance compte
environ 4346 habitants dont 3226 à la Découverte précisément (CUCS, 2006). Il est à noter
que le quartier de la Découverte détient le ¼ du patrimoine social de la ville et 1/3 de celui de
l’OPAC Emeraude habitation( OPAC, 2001). Les Habitations à loyer modéré représentent la
principale forme de logement social en France. Ce type de logement est prédominant dans le
quartier de la Découverte. Ici, le parc HLM représente 79 % des logements totaux. Nous y
trouvons majoritairement des logements de type T3 et une surreprésentation des types T4 et
T5. Le quartier présente une forte concentration en logements de 4 pièces, représentant 48 %
du parc contre 21 % dans le reste de la ville. Mais la taille moyenne des logements est, elle,
« strictement égale à la moyenne malouine ». En outre, 19 % des habitants du quartier vivent
en maison individuels et 17 % sont propriétaires de leur logement (INSEE, 2002,
www.insee.fr/fr/region/rfc/ficdoc_frame.asp?ref_id=5564&doc_id=5436)
94
La demande en logement sociaux est forte à Saint-Malo : « 2000 demandes en attente
à l’OPAC en janvier 2000 » (OPAC, 2001). Mais, cette demande n’est pas ciblée sur le
quartier de la Découverte, du fait des problèmes récurrents liés à « l’image » de ce dernier
(Ibid., 2001). Par ailleurs, on note « l’absence d’offre alternative à l’accueil des ménages en
difficulté, la structure urbaine participant au marquage du quartier (squares, voies rapides
périphériques) et nécessite un investissement important » (Ibid., 2001).
Visiblement, le quartier ne souffre pas d’une obsolescence de son parc de logement,
« le rapport qualité/ prix étant assez avantageux » (Daniel, 2002). Le quartier ne présente
cependant que peu de petits logements, et ne peut satisfaire la demande forte dans ce domaine
(DAUF, 2006). L’OPAC signale dans ce sens que « d’un point de vue « produit », le quartier
souffre d’un seul handicap par rapport aux autres quartiers : le faible pourcentage de petits
logements qui sont les produits les plus demandés » (OPAC, 2001). L’Office Emeraude
habitation met en avant le fait que les « secteurs » Découverte et Etrier présentent l’avantage
de logements dont la superficie, la clarté et le prix des loyers les rendent relativement
attractifs (Ibid., 2001). Dans le secteur de l’Espérance aucun point positif n’est signalé, en
matière de logement, dans le cadre de l’enquête PCV-vie de quartiers de 2002 (Daniel, 2002).
Enfin, la demande de mutation à l’intérieur du parc de logements HLM est forte
surtout dans les secteurs dits « dévalorisés » tels que les secteurs de l’Islet et de l’île Crozet
(Ibid., 2002). Dans ces derniers « les logements sont dégradés, sales et vétustes et désinvestis
par leurs occupants »(Le Goaziou, 2001). Un journal local titre en mai 2007 : « des logements
HLM de Saint-Malo sont vétustes », phrase appuyée par une photo pleine page d’un secteur
du quartier de la Découverte…Des problèmes d’isolation thermique et phonique, de
chauffage, de ventilation, de robinetterie sont pointés du doigt en pages intérieures, dans un
article consacré au quartier (Pays malouin, 17 mai 2007). Cependant, le titre de l’article fait le
constat d’un parc « globalement en bon état » qui corrèle les propos cités par la directrice de
l’OPAC : « nous avons des programmes d’entretien réguliers ». Le journal nous apprend, par
ailleurs que « chaque année, en fonction des crédits débloqués entre 40 et 120 logements sont
rénovés ».
Pourtant, « le bailleur est perçu [par les habitants] comme peu présent sur le quartier »
(Daniel, 2002). Cette habitante, rue du Grand Passage, interrogée dans le cadre de notre étude
nous a confié : « Rien n’est réparé depuis des années…Regardez !Les peintures sont
95
dégradées, les portes ferment mal et c’est mal isolé. J’entends les chiens du voisins du dessous
et l’hiver on sent le froid près des fenêtres » Le bailleur est perçu comme « trop distant des
habitants. Il s’agit d’une distance physique mais aussi symbolique ». On lui reproche sa
« lenteur, son manque de créativité et d’écoute, de reconnaissance et d’initiative : courriers
sans réponses (demandes d’intervention liés à des problèmes de voisinage, plaintes…) »(Le
Goaziou, 2001).
Une autre caractéristique du parc de logements sociaux semble être le
« surpeuplement » : « 19,2 % des logements sont habités par 1,2 personnes par pièce (INSEE,
2002). Au-delà de la lumière des chiffres statistiques, plus « éblouissante » que réellement
éclairante, ce sont in fine près d’1 habitant sur 5 qui vit dans un logement surpeuplé : « la
quatrième plus forte proportion parmi l’ensemble des « quartiers prioritaires » bretons »
(Ibid., 2002). On notera aussi une baisse de la population dans le quartier de 9 % malgré une
augmentation du nombre de logement de 2 % durant la période 1990-1999. Ceci n’étant pas
du à des « départs » du quartier, mais « la conséquence directe de la décohabitation à
l’intérieur des ménages » (Ibid., 2002).
Enfin, par la comparaison de la composition socio-démographique entre le parc social
de logements et le parc privé on notera que dans le premier on compte « beaucoup de
chômeurs et de femmes au foyer, alors que le second est plutôt investi par une population
majoritairement retraitée à hauteur de 45 % » (Ibid., 2002).
L’OPAC Emeraude Habitation souligne en 2001 « le rôle spécifique de la
Découverte » au sein de son parc de logement « malgré l’existence d’un patrimoine similaire
(loyers, typologie) sur d’autres quartiers ».« La mobilité au sein du patrimoine HLM » : « le
parcours résidentiel est une des causes des difficultés de la Découverte » (OPAC, 2001)…
96
Carte des secteurs identifiés
97
3-Une entrée par le territoire insuffisante à expliquer les phénomènes ségrégatifs.
L’étude de la ségrégation à travers le prisme d’indicateurs socio-économiques
a-Questionnement sur la pertinence de l’échelle des « quartiers INSEE » et des
indicateurs retenus pour l’étude de la division socio-spatiale à Saint-Malo
Les indicateurs démographiques et socio-économiques sont d’un usage courant dans le
cadre des études portant sur la division socio-spatiale des villes, comme nous l’avons montré
dans la première partie de ce « compte-rendu » de recherche. Aussi, après avoir effectué une
étude morphologique du quartier, certes nécessaire, mais insuffisante pour cerner les
phénomènes ségrégatifs relatifs au quartier de la Découverte, nous tenterons de décrypter les
mécanismes générateurs d’exclusion à partir d’un certain nombre d’indicateurs socio-
économiques.
Cependant, un obstacle nous oblige à modérer la pertinence de cette approche. En
effet, les données disponibles pour entreprendre une telle démarche proviennent de sources
variées (INSEE, enquêtes diagnostics…) et résultent d’études portant sur des périmètres
territoriaux assez divers. Aussi, a-t-on accès, à certains moments, à des statistiques ciblées
exclusivement sur le territoire du quartier de la Découverte, alors qu’à d’autres c’est le
périmètre de la ZUS, s’étendant au-delà du quartier et incluant le quartier Marville et de
Bellevue en partie, qui est privilégié pour certaines études. Concernant les données relatives à
l’éducation, ce sont des moyennes statistiques qui nous sont fournies dans le projet de
convention cadre du CUCS, par exemple, et qui portent sur l’ensemble des individus
fréquentant des établissements prioritaires, situés parfois bien au-delà du périmètre de la ZUS,
et de celui de la Découverte à fortiori. Car, comme nous le verrons la commune de Saint-Malo
présente un groupe scolaire inscrit en RAR, situé à Rocabey au Nord de la ville et qui
n’appartient pas au territoire de la ZUS de Saint-Malo.
Nous avons donc à faire, selon l’étude, soit à des données statistiques relatives aux «
traditionnels quartiers INSEE » soit à des données sur des territoires plus vastes comme celui
de la ZUS ou des périmètres définis lors de la mise en place de certaines procédures comme
les RAR. Cependant, peut-on appréhender de manière suffisamment fine, les réalités
démographiques, sociales ou économiques en travaillant sur des espaces aussi « vastes » ? Ne
98
devrait-on pas s’attarder sur des échelles plus grandes comme la rue ou l’immeuble, pour
saisir toute la complexité du réel ?
Sur la pertinence des indicateurs retenus dans les études monographiques sur le
quartier utilisés pour montrer des particularismes dans celui-ci, disons que certains attributs
sont régulièrement mis en avant dans les études diagnostics sur le quartier. Notamment, cette
surreprésentation des familles monoparentales sur le quartier. A titre d’exemple, on nous
donne le chiffre de 27 % de ménages monoparentales, composés principalement de femmes
avec 1 ou plusieurs enfants, à l’échelle du quartier de la Découverte soit « 12 points de plus
qu’au niveau de la commune entière », avec une surreprésentation de ce type de ménages dans
le parc HLM (INSEE, 2002). Est-ce un indicateur suffisamment pertinent pour montrer les
difficultés éventuelles de la population d’un quartier ? Le fait de dire que des femmes vivent
seules, indépendamment de tout indicateur lié aux revenus par exemple, nous donne-t-il le
droit d’affirmer objectivement que celles-ci sont en difficulté ? Il existe de telles situations
dans d’autres quartiers de la ville. Ces femmes seules sont souvent bien insérées dans un
réseau de relations sociales et ne semblent pas rencontrer de difficultés, au moins d’un point
de vue économique. Est-ce à dire que le fait qu’il existe des ménages monoparentaux relève
de la pathologie sociale ? On s’éloignerait du « diptyque : femme mariée plus enfants », donc
d’une norme sociétale, de ce qui est respectable en somme… !? Enfin, certains indicateurs ne
paraissent pas faire sens sur le quartier de la Découverte comme la proportion d’étrangers y
résidant. Le chiffre de 1,2% d’étrangers habitant le quartier, égale à la moyenne communale,
n’est pas donc discriminant.
Quoiqu’il en soit, l’ensemble des données disponibles sur le quartier est à considérer
avec précaution et ne doit pas être un élément qui nous permette d’aboutir à des conclusions
tranchées.
Pour cette étude sur la ségrégation, ou plutôt la mise en lumière de quelques
particularités signifiantes sur le quartier, à partir de la dimension socio-économique de celui-
ci, nous avons sélectionné un ensemble d’indicateurs nous semblant être les plus
discriminants. L’approche par la part de chaque CSP ou PSC au sein du quartier -même si
nous ne l’excluons pas de notre étude- nous a semblé limitative par exemple. Est-ce que c’est
parce qu’il existe un grand nombre d’ouvriers sur le quartier que celui est pour autant un
quartier en difficulté, pauvre ? Conclure par l’affirmative n’aurait aucun sens. Tout au moins
99
disons que si la représentation de telle ou telle PSC sur un quartier ou un territoire est
significative de sa situation socio-économique, la seule prise ne compte du critère de la PSC
n’est pas « parlante » en elle-même. Nous avons privilégié une approche par les minima
sociaux car elle nous semblait plus à même d’être le fondement éventuel d’une géographie de
la pauvreté…
L’éducation nous a semblé aussi être une dimension centrale dans toute étude désirant
même en avant les particularismes d’un territoire. En premier lieu, l’éducation n’est-elle pas
un des piliers du développement ? D’autre part, la focalisation de certaines politiques
publiques sur les questions d’éducation nous montre le besoin impératif d’aborder la question
du « grand ensemble » de la Découverte et de la ségrégation à travers cette dimension.
On a pu se poser également la question de savoir si la santé des habitants d’un quartier
ne révèle pas l’état même de ce territoire ? Prendre en compte l’ « état de santé » des
« habitants » d’un quartier est-il significatif pour une recherche sur les phénomènes de
ségrégation ? Le critère « santé » relève-t-il de quelque chose de réellement objectif pour faire
l’état des lieux d’un quartier ou bien s’agit-il d’un thème plutôt « construit » par notre société
actuelle ? Autrement dit, cette nouvelle « vague hygiéniste » qui se décline en terme de
« dépistages » en tout genre, de « bilans de santé », de conseils ou de critiques formels sur la
manière de s’alimenter et sur le rapport des individus à l’alcool ou au tabac, de « pratiques
sportives régulières recommandées » quasiment déclarées « d’intérêt public » et autres
« régimes conseillés » dont la sphère politico-médiatique est l’ instigatrice, n’est-elle pas un
moyen de « normaliser », voire de contrôler, les comportements des individus plus que le fait
d’une réelle préoccupation de leur état de santé ? Pour prendre l’exemple du « test de
séropositivité » et les obligations légales qui en découlent ; n’a-t-on pas à faire ici à un
instrument de contrôle, un moyen de « ficher » définitivement certains individus ?
Quoiqu’il en soit, ce « thème » largement développé dans les « écrits » des études sur
le quartier de la Découverte nous incite, en reprenant un terme médical justement, à
« l’examiner » de plus près…Enfin, peut-on lier finalement ces « préoccupations médicales »
à l’idée que le quartier de « grand ensemble » est considéré comme « pathogène » ? Si la
forme urbaine l’est, alors ceux qui y résident doivent sûrement l’être aussi…
Enfin, les phénomènes de violence, de délinquance plus ou moins prégnants, nous ont
aussi paru être des révélateurs de la « situation » d’un quartier, de l’ « ambiance » qui y règne
100
et a fortiori des difficultés rencontrées par les habitants. Nous avons supposé que le logement
social de type HLM, à Saint-Malo, comme ailleurs, est associé « à la figure du pauvre, du
délinquant » (Madoré, 2004). Le sujet de l’exclusion se décline en effet de manière
institutionnelle, « administrative », notamment à travers le thème de la délinquance. Nous
avons ainsi voulu nous rendre compte si ce fameux thème rend compte des difficultés
existantes sur un quartier comme celui de la Découverte et s’il est réellement significatif dans
une étude sur la ségrégation.
Cependant, ce dernier critère peut paraître plus discutable dans le sens où la
«délinquance » se déplace, ne se fixe pas forcément sur les territoires les plus « défavorisés ».
En outre, à l’instar « du » chiffre du chômage les statistiques qui rapportent les « actes de
violence » et de « délinquance » sont a priori orientées selon les besoins…Il est, de plus,
difficile de corréler une « géographie de la délinquance » avec celle de la pauvreté, en tout cas
vu les objectifs fixés par notre étude…
L’ensemble de ces choix est forcément discutable, nous aurions pu en effet nous
attarder sur d’autres indicateurs, d’autres thèmes…Pourquoi ne pas privilégier une entrée à
partir de données sur l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et des fortunes professionnelles,
à l’instar de Monique Pinçon-Charlot pour ses études sur « une géographie de la fortune en
France », sur l’ensemble de la commune de Saint-Malo… ? La ségrégation est une notion
« polymorphe », « polysémique », floue. Une étude complète sur ce sujet doit donc prendre en
compte de nombreux facteurs. Alors son étude concrète ne peut se heurter qu’à des difficultés
dans le choix des critères retenus pour son étude. Néanmoins, nous l’avons montré dans la
première phase de cette recherche, les approches par la CSP, la structure démographique, par
exemple ont fait leurs preuves. Et, à la vue des indicateurs que nous avons retenus, nous nous
situerons globalement dans cette perspective en y regardant de près, finalement…
Enfin, en ce qui concerne l’ « essai de représentation graphique » du dernier point de
cette partie, nous avons considéré un ensemble de critères relatifs à la démographie, l’emploi,
l’aide sociale, la typologie des logements…En effet, les seuls critères sur lesquels nous nous
attardons dans cette partie consacré à l’approche socio-économique, s’ils paraissent avoir une
légitimité pour le décryptage d’éventuels phénomènes ségrégatifs sur le quartier, ne sont, a
contrario, pas suffisants pour avoir une vision d’ensemble de la situation dans le quartier.
101
b- Les indicateurs en matière de niveau et de nature des revenus : une approche par
les minima sociaux
Une surreprésentation de certaines PCS à la Découverte
Commençons cette étude, de manière « orthodoxe », en présentant quelques chiffres
statistiques concernant les PSC ou CSP présentes à la Découverte, situés disons aux deux
extrémités de la « hiérarchie » socio-professionnelle et qui correspondent aux catégories
sociales, voire aux « classes » sociales -même si cette notion est battu en brèche du fait du
contexte socio-économique émergeant depuis 30 ans- qui s’opposent le plus en termes de
revenus et de niveau de vie : les ouvriers et les cadres.
La catégorie socioprofessionnelle la plus représentée sur le quartier de la Découverte
est celle des ouvriers, soit 57 % des actifs occupés et « presque la moitié d’entre eux ne sont
pas qualifiés ». La part de cette PCS sur l’ensemble de la commune n’est que 23,2 %
(INSEE, 2002). Nous noterons la faible proportion de cadres sur le quartier de la Découverte :
2,6 % contre 11,1% pour l’ensemble de la ville. Les « professions intermédiaires »11
tout
comme la catégorie « fourre- tout » des « artisans, commerçants et chefs d’entreprises » sont
également sous-représentées dans le quartier : respectivement 7 % et 1,5 % contre 22 % et 9,2
% pour la totalité des quartiers de Saint-Malo (ibid., 2002).
« Les emplois précaires sont proportionnellement beaucoup plus représentés » à la
Découverte que sur l’ensemble de la ville : « 26 % des salariés contre 15 % » (Ibid.,2002).
Mais d’autres indicateurs plus significatifs méritent d’être énoncés pour mieux se
rendre compte de la particularité de ce quartier au regard du reste de la commune.
11
L'appellation "professions intermédiaires" est une création de la nouvelle nomenclature des professions et
catégories socioprofessionnelles. Deux tiers des membres du groupe occupent effectivement une position
intermédiaire entre les cadres et les agents d'exécution, ouvriers ou employés.
Les autres sont intermédiaires dans un sens plus figuré. Ils travaillent dans l'enseignement, la santé et le travail
social; parmi eux, les instituteurs, les infirmières, les assistantes sociales.
Plus de la moitié des membres du groupe ont désormais au moins le baccalauréat. Leur féminisation, assez
variable, reste en particulier très limitée dans les professions techniques.)
102
Une faiblesse des revenus et un usage répandu des services sociaux à la Découverte
Sur l’ensemble de la ZUS de Saint-Malo, le revenu annuel par unité de consommation
est de 8043 euros, contre 14557 euros sur l’ensemble de la commune. Plus précisément, dans
le parc HLM de la Découverte, les habitants ont un revenu total inférieur à 12380 euros en
moyenne contre 21860 euros dans le parc de logements privé (INSEE, 2002). 27,4% des
ménages de la ZUS sont imposés contre 46% à Saint-Malo, tous quartiers confondus (INSEE,
DGI, 2002). La situation d’imposition ou la non-imposition des ménages mériterait une
analyse plus poussée mais nous ne disposons que de ces chiffres précédemment cités.
L’ANPE totalisait 581 demandes de demandeurs d’emplois sur la ZUS en 2002 contre
3845 pour la ville entière (DIV, ONZUS, http://www.ville.gouv.fr/). Le taux de chômage pour
l’ensemble de la population active à la Découverte est quant à lui de 29 % et, chez les 15-24
ans il atteint quasiment 43 % en 2006 (CUCS, 2006). A Saint-Malo, « le » chiffre du chômage
se situe autour des 8 % au 30 juin 2006, pour l’ensemble de la population active et est « fixé »
à environ 28 % pour la tranche d’âge des 15-24 ans (Ibid., 2006).
Les chiffres du chômage sont, certes, éclairants, mais ne mettent pas forcément en
évidence toutes les situations de grande précarité. Le taux de chômage, étant une moyenne
statistique par essence, ne fait pas état des disparités à l’intérieur des quartiers.
Les taux de chômage sont, par ailleurs, critiquables de part les éléments pris en
compte pour leur élaboration. On voit apparaître depuis deux décennies, un nombre croissant
de travailleurs pauvres, dont les ressources même si elles sont issus des revenus du travail ne
sont pas suffisantes pour couvrir les besoins fondamentaux dans notre société : se loger, se
nourrir voire étudier…Ces populations « besogneuses » peuvent alors se trouver, parfois, dans
des situations plus problématiques économiquement que certains chômeurs par exemple.
De plus, depuis quelques années, les « radiations » des « listes » ANPE sont un fait
avéré. Le fait de refuser plusieurs emplois consécutivement ou encore de ne pas se présenter
aux « rendez-vous » obligatoires avec un conseiller ANPE entraîne la « disparition » des
individus concernés des « listes » officielles des chômeurs.
Enfin, la montée en puissance des thèmes de l’ « assistanat », de la « fracture sociale »
dans la sphère politico-médiatique ont abouti à un glissement sémantique…De l’expression
103
populations « démunis » nous sommes passés à celle de populations « assistées ». Les
chômeurs sont identifiés de plus en plus souvent à ces dernières, notamment par les partis
politiques dont l’idéologie est en porte à faux avec les principes interventionnistes de l’Etat-
providence. Ce discours globalisant, réducteur, méprisant même, est aujourd’hui « accepté »-
il est officiel, donc indiscutable, pense-t-on peut être- par une frange de la population
française : une large part de l’électorat de ces partis politiques en somme.
Aussi, avons-nous pensé que tenter de mettre en évidence des phénomènes de
pauvreté, de précarité, devrait passer par l’observation attentive de la distribution socio-
spatiale des minima sociaux, sans doute meilleure révélatrice des inégalités en matière de
revenus.
Un fait mis en avant par le projet de convention cadre du CUCS de Saint-Malo est que
« 40 % des ménages à la Découverte ne perçoivent pas de revenus issus de l’activité
professionnelle » (CUCS, 2006).
Le tableau suivant nous montre la répartition des allocataires de la CAF par quartier
« où sont domiciliés en plus grand nombre les familles venant régulièrement au centre
social ». Cette zone compte environ 14350 habitants, représentant 28 % de la population de la
commune de Saint-Malo (AMIDS, 2006). Les 5 « quartiers » sont tous situés dans le secteur
Est de la ville.
Mais une comparaison entre quartiers est difficile, car nous n’avons pas à faire à des
territoires présentant le même nombre d’habitants, c’est un fait,-bien que les écarts en terme
de nombre d’habitants entre « zones » identifiées pour cette présentation statistique soient
relativement faibles- mais aussi et surtout parce que le « comptage » du nombre d’allocataires
se fait aussi, dans le document ci-dessous, par le regroupement ou la création plus ou moins
artificiels de secteurs. Ainsi, le « secteur » Bellevue est associé ici avec celui de la
Guymauvière qui présente une population assez dissemblable avec le premier en terme de
situation socio-économique par exemple. Un quartier « Hôpital » a été « crée ». Or, sa
délimitation, sa situation géographique semblent plutôt floue. On pourrait présumer que ce
« quartier », vu sa dénomination, regroupe à la fois une partie du quartier de Marville, la
partie Ouest du quartier de Saint-Servan, mais pourrait tout aussi bien inclure un espace
localisé à l’Est dans le quartier de la Découverte. En effet, s’il s’agit bien d’un quartier ayant
104
pour nom un lieu remarquable comme celui de l’hôpital de Saint-Malo, définir l’étendue de la
surface de celui-ci reste du domaine de la pure subjectivité. D’autre part, comment
appréhender un tel espace du point de vue de sa composition démographique, sociale et
économique ? Nous supposons de fortes variations des statuts sociaux des habitants à
l’intérieur de ce périmètre, vu la diversité présupposée des espaces englobés sous cette
appellation…
Toutefois, nous pouvons faire ressortir de cette présentation quelques éléments
intéressants. On voit que pour une population presque équivalente, le quartier de la
Découverte compte un plus grand nombre d’allocataires que le quartier de la Madeleine par
exemple.
Territoires concernés Population (1999) Nombre
d’allocataires CAF
Saint-Malo 50675 9617
Découverte 3226 860
Bellevue-
Guymauvière
2886 516
Madeleine-Hulotais 3140 525
Hôpital 2580 765
Marville-Gare 2514 680
Tableau n° 3 : Nombre d’allocataires par quartier dans la « zone d’influence » du centre social
Sources : recensement INSEE 99, services études CAF au 31/12/04, AMIDS-Centre social de
la Découverte-Projet social 2006/2010
On constate, par ailleurs, « une augmentation de la précarité » à la Découverte sur la
pourtant courte période s’étalant de 2002 à l’année 2005, au regard du « nombre d’allocataires
dont les ressources sont constituées à plus de 50 % par les prestations familiales » (CUCS,
2006). (Tableau n° 4)
105
2002 2004 2005 Taux de variation 2002/2005 en %
Saint-Malo 2064 2070 2150 + 4, 16 %
Découverte 321 339 350 + 9,03 %
Tableau n°4 :Allocataires dont les revenus sont constitués à plus de 50 % par les prestations
familiales
Source : Caisse d’allocations familiales au 31/12/05, CUCS, 2006
Les statistiques suivantes nous montrent l’évolution, de 2002 à 2004, du nombre des
« allocataires dont les ressources sont constituées à plus de 50 % par les prestations
familiales » par zones définies, toujours a priori, pour la présentation du projet social du
centre social de la Découverte. L’augmentation la plus forte, et de loin, concerne le quartier
de la Découverte. Mais que dire de cette baisse de 91 % dans le quartier de la Madeleine-
Hulotais ?
2002 2004 Taux de variation 2002/2004
en %
Découverte 321 339 + 18
Bellevue-Guymauvière 106 103 - 3
Madeleine-Hulotais 162 71 - 91
Hôpital 219 230 + 11
Marville-Gare 192 201 + 9
Saint-Malo 2064 2070 + 6
Tableau n°5 : Allocataires dont les revenus sont constitués à plus de 50 % par les prestations
familiales
Source : Caisse d’allocations familiales au 31/12/04, AMIDS-Centre social de la Découverte-
Projet social 2006/2010
42% des habitants de la Découverte ont utilisé un service de type CAF, ASSEDIC,
CCAS ou un autre organisme à vocation sociale pour l’aide aux personnes en situation de
106
précarité financière. La probabilité d’avoir recours à un de ses services semble d’autant plus
forte que les individus qui y ont recours habitent un logement de type locatif social (Daniel,
2002). 17,4% des Rmistes de Saint-Malo habitent à la Découverte, ainsi que 26,2 % des
bénéficiaires de l’ Allocation parents isolés (API) et 21,2 % des bénéficiaires de l’ Allocation
adultes handicapés (AAH).
Bénéficiaires du RMI Bénéficiaires API Bénéficiaires AAH
2004 2005 2004 2005 2004 2005
Saint-Malo 944 925 193 183 870 926
La Découverte 180 161 44 48 93 100
Tableau n°6 : Bénéficiaires de minima sociaux à Saint-Malo et à la Découverte, CUCS, 2006
Source : CUCS, 2006, CAF, 2004-2005
Une approche par « quartiers » rend compte aussi de la situation en terme de
bénéficiaires des minima sociaux : RMI, API et AAH au 31/12/2004 (Tableau n°7). Là
encore, les habitants du quartier de la Découverte sont les plus nombreux à bénéficier de ces
minima, sauf en ce qui concerne l’Allocation adultes handicapés où les habitants du
« quartier » hôpital se distinguent et sont les plus nombreux à la percevoir.
Bénéficiaires
RMI
Bénéficiaires
API
Bénéficiaires
AAH
Découverte 180 44 93
Bellevue-
Guymauvière
53 13 54
Madeleine-
Hulotais
17 12 47
Hôpital 102 21 117
Marville-Gare 85 22 81
Saint-Malo 944 193 870
Tableau n° 7: Bénéficiaires de minima sociaux dans les « cinq quartiers de la zone d’influence
du centre social »
Source : CAF, 2004, AMIDS-Centre social de la Découverte-Projet social 2006-2010
107
L’augmentation du nombre des ménages, dont les ressources sont majoritairement
constituées de prestations sociales est effectivement plus importante à la Découverte qu’ à
l’échelle de la ville ou comparativement à un quartier a priori proche en terme de situation
socio-économique comme celui de Marville. Mais, ces chiffres ne précisent pas quels sont les
secteurs du quartier les plus touchés par ce phénomène. La situation des résidents du parc
privé pavillonnaire de la Découverte peut-elle être traitée de manière indifférenciée par
rapport à ceux du parc de logement HLM ? La population de ce dernier connaît-elle, dans tous
les secteurs, de manière uniforme, la même évolution ?
Au moins, ces chiffres nous éclairent-ils sur une chose, par exemple : le lien existant
entre le nombre de familles monoparentales à la Découverte (27 %) et celles qui, parmi elles,
sont en situation de précarité. Plus de 1/5e des bénéficiaires de l’API résident à la Découverte.
Nous pouvons considérer par cet état de fait que les familles monoparentales sont en plus
grande difficulté financière à la Découverte que dans d’autres secteurs de la commune. Le
tableau suivant nous éclaire un peu sur cette situation :
Familles avec enfants Familles monoparentales
Total
1
enfant
2
enfants
3
enfants
Total 1 enfant 2 enfants 3 enfants et
plus
Découverte 161 171 195 124 241 108 92 41
Bellevue 312 116 146 50 126 72 47 7
Madeleine 381 123 178 80 115 60 41 14
Hôpital 270 121 99 50 106 63 30 13
Marville-
Gare
328 148 121 59 150 89 44 17
Saint-Malo 4784 1581 2164 1039 1658 896 569 193
Tableau n°8 : Composition des familles allocataires CAF dans cinq quartiers de Saint-Malo
Source : CAF au 31/12/04, AMIDS-centre social de la Découverte-Projet social 2006/2010
Ainsi, nous voyons que la Découverte présente deux fois plus de familles
monoparentales que le quartier de la Madeleine, un quartier à la population plutôt « mixte ».
108
C’est à dire à la fois populaire, pour une bonne part, mais aussi caractérisé par un nombre
d’habitants conséquents appartenant aux classes moyennes. Les quartiers de Bellevue et de
Marville, autres quartiers considérés comme prioritaires dans le périmètre d’action du CUCS,
sont des espaces proches sociologiquement de la Découverte. Or, ces deux quartiers comptent
un nombre largement inférieur d’allocataires CAF au sein de la population des ménages
monoparentaux.
Finalement, cette approche par les minima sociaux relève de la « pauvreté
administrative » et soulève quelques questions en montrant ses limites : Peut-on finalement
s’en sortir avec des minima sociaux ? En dehors de toute polémique, demandons-nous si le
fait de bénéficier de minima sociaux est synonyme de pauvreté extrême ? Est-ce que l’on peut
vivre « bien » avec les aides sociales ?
Au-delà de la réalité statistique, comment vivent réellement les bénéficiaires de ces
allocations ? Existe-t-il à la Découverte des réseaux d’entraide au-delà des voies de recours
institutionnelles? En d’autres termes, s’il existe une « pauvreté administrative », qu’en est-il
d’une pauvreté que nous pourrions qualifier d’ « effective »… ?
c- L’échec scolaire « à » la Découverte : fait objectif ou émanation d’un traitement
statistique homogénéisant ?
Nous avons supposé que l’« entrée » par l’étude des résultats scolaires pour une étude
sur la ségrégation doit révéler un certain nombre d’éléments éclairants quant à la réalité
sociale d’un territoire. Aussi, nous attacherons-nous à identifier les caractéristiques en matière
d’éducation sur quartier de la Découverte.
Regard sur le niveau scolaire des élèves à partir des différents « territoires d’éducation
prioritaire » définis institutionnellement
Le taux de scolarisation à la Découverte des jeunes âgés de 15 à 24 ans est de 48,7%
contre 65, 4% sur l’ensemble de la commune (INSEE, 2002).
109
Les établissements scolaires situés à la Découverte sont classés en ZEP, mais des
établissements prioritaires existent en dehors du quartier. En effet, huit écoles et un collège
« bénéficient » de ce classement en ZEP à Saint-Malo. Les deux groupes scolaires de la
Découverte et de l’Islet et le collège Surcouf mais aussi les écoles maternelles et primaires de
Bellevue ainsi que les écoles maternelle et primaire situées dans le quartier de Rocabey sont
des « établissements prioritaires ». L’ensemble de ces établissements est inscrit au programme
Réseau ambition réussite (RAR) depuis la rentrée scolaire 2006.
Depuis 2005, la Ville de Saint-Malo participe au Programme de réussite éducative
(PRE). « Le PRE est l’outil de mise en cohérence des différents outils existants dans les
communes et sera dans le cadre du CUCS l’unité d’intervention de base pour les actions
d’éducation » (CUCS, 2006). Un diagnostic a donc été établi dans le cadre du PRE et servira
de base pour la mise en œuvre de la résolution des problématiques en milieu scolaire dans le
cadre du CUCS.
D’un point de vue démographique, signalons en premier lieu que les deux
établissements d’enseignement primaire présents sur le quartier de la Découverte font face
actuellement à une baisse d’effectif. Entre 1990 et 2004, le nombre d’enfants scolarisés dans
ces écoles a diminué de 45%. Cette baisse sensible reflète la réalité démographique du
quartier illustrée par une diminution des familles nombreuses et un vieillissement de la
population (CUCS, 2006). Cette baisse est aussi valable, mais de manière moins sensible pour
le collège Robert Surcouf sur cette même période. Mais ce chiffre de la baisse de la
fréquentation situé à la Découverte mérite que l’on s’y attarde. Que représente-t-il
finalement ? Une structure démographique du quartier qui évolue dans le sens d’un
vieillissement de la population seulement ou bien une évolution démographique qui est à
associer avec une désaffection de ces établissements par les habitants de la Découverte ? Les
habitants du quartier sont-ils nombreux à désirer scolariser leurs enfants dans un
établissement hors ZEP ? Combien de demandes de dérogations formulées par les parents
d’élèves résidants à la Découverte sont acceptées chaque année ? Autant de questions qui
restent en suspens et qui permettraient peut-être de sortir de cette conclusion un peu hâtive :
baisse du nombre des jeunes en âge d’être scolarisés, donc baisse du nombre d’inscrits dans
les établissements scolaires du quartier…
110
Le collège R. Surcouf et dans une moindre mesure les groupes scolaires de la
Découverte sont-ils victimes de leur classement en ZEP, devenant ainsi les établissements à
éviter de la commune ?
.
La ZEP de Saint-Malo ne semble pas faire exception à ce qui ce produit dans les autres
ZEP de France. Si nous pouvons noter dans ces dernières des résultats scolaires moins bons
par rapport à la moyenne nationale, la ZEP de Saint-Malo ne déroge pas à la règle. Malgré les
différentes mesures prises pour contrecarrer les problèmes présents dans sur la ZEP de Saint-
Malo, les différences en terme de résultats scolaires par rapport à la moyenne départementale
et nationale sont flagrantes. Ainsi, si nous prenons l’exemple des résultats aux évaluations en
CE2 et 6e, on peut noter des écarts très sensibles entre les moyennes des résultats de la ZEP
malouine et ceux de l’ensemble des établissements d’Ille et Vilaine ou du territoire national
(Tableau n°9).
Moyenne
nationale
Moyenne
départementale
Moyenne
ZEP Saint-
Malo
Ecart brut
ZEP/nationale
Français CE2 70,67 73,39 65,2 _5,47
Mathématiques CE2 69,93 72,41 61 -8,93
Français 6e 57,07 59,69 45,4 -11,67
Mathématiques 6e 64,01 69,64 56,72 -7,29
Tableau n°9 : Résultats moyens aux évaluations de CE2 et de 6e
en 2006
Source : CUCS Saint-Malo, 2006
Dans les écoles du quartier de la Découverte, les élèves présentent au moins un an de
retard à l’entrée en 6e pour 50% d’entre eux (CUCS, 2006).
111
Un autre exemple significatif quant à l’accès des élèves relevant du RAR est celui du
taux d’accès à un lycée.
Taux d’accès : Académie RAR Saint-Malo
de 3e en 2
nde générale et
technologique
62,4% 38%
de 3e en 2
nde professionnelle
et CAP
18,9% 16,9%
total moyen de 3ème
en 2nde 81,3% 54,9%
Tableau n°10 : Taux d’accès à un lycée des élèves relevant du RAR
Source : CUCS Saint-Malo, 2006
Mais le périmètre du RAR semble trop étendu pour rendre compte de la réalité quant
au niveau de réussite scolaire sur le quartier de la Découverte. Dans ce dernier, ce sont par
exemple 86% des individus âgés de 15 à 59 ans qui n’ont jamais fréquenté le lycée. Ce
phénomène est pérenne chez la jeune génération, puisque 82% des 15-24 ans n’ont pas accès
à ce type d’établissement. Aussi, ces éléments entraînent la situation suivante : parmi les
actifs du quartier de la Découverte, 48% n’ont aucun diplôme et seul 3% d’entre eux sont
diplômés de l’enseignement supérieur (INSEE, 2002).
Découverte Saint-malo
% des 15-24 ans sont sortis du système scolaire sans diplômes 42,5 %
23 %
% de la population active titulaire d’un Baccalauréat 8 %
21 %
% des 6-18 ans scolarisés 90 % 97 %
Tableau n°11 : Niveau de qualification des individus et taux de scolarisation des 6-18 ans
Sources : RGP, 1999, INSEE, 2002
112
Des difficultés scolaires des élèves à la Découverte qui seraient liées à la situation
familiale…
Le projet de convention cadre du CUCS insiste sur « les difficultés liées à l’exercice
de la parentalité » et « la fragilisation de l’autorité parentale » entraînant l’échec scolaire des
enfants : « un fossé se creuse entre l’école et les familles et conforte une situation de
démobilisation des enfants sur les apprentissages » (CUCS, 2006). « Le manque
d’implication des familles » nécessite par suite « d’améliorer les relations familles-écoles »
(Ibid., 2006). « On » évoque le manque d’implication des familles dans la vie de l’école qui
aurait pour causes : des parents « en perte de repères », une « incompréhension du système
scolaire » par ceux-ci, une « histoire personnelle difficile avec l’école », des « difficultés
d’appréhension culturelle », avec toute l’imprécision inhérente à de telles formulations…
Ces autres remarques semblent assez symptomatiques de la manière dont les
« observateurs » du quartier appréhendent la situation des élèves dans les ZEP : « les enfants
expriment un mal-être », « les problèmes sociaux et économiques [sont] conjugués à des
problèmes psychologiques ». Ces « problèmes d’ « ordre comportemental » sont
« difficilement gérables par les établissements scolaires » (Ibid., 2006). Certes, malgré la
réalité de cette situation, a priori difficile à remettre en cause, ces traits comportementaux
sont-ils spécifiques aux élèves des établissements « prioritaires » ? Combien d’adolescents ou
de pré-adolescents n’éprouvent pas de souffrance d’ordre psychologique à ce moment de leur
vie ? Est-ce un trait purement spécifique au public des établissements prioritaires ? En outre,
dans quelle mesure ces difficultés liées au psychisme ont-elles une incidence sur les résultats
scolaires des élèves ?
Enfin, toute la « litanie » liée aux quartiers de « grand ensemble » est présente dans la
dimension du projet éducatif du CUCS : les enfants des « quartiers défavorisés » ne profitent
pas de l’offre en matière de culture, de loisirs en général, pourtant facteurs « d’insertion
sociale et de mixité ».
113
L’approche institutionnelle concernant l’évaluation du niveau scolaire des élèves de la
Découverte inscrits dans des établissements localisés dans leur quartier aboutit à faire surgir
certaines interrogations…La Zone d’éducation prioritaire de Saint-Malo englobe des
établissements scolaires répartis sur différents espaces de la commune. Comment dégager à
partir de cela des particularismes quartier par quartier ? Cette dernière approche semble par
ailleurs somme toute limitative. Qui sont en effet ces élèves qui réussissent le mieux ou le
moins bien à la Découverte ? Pourrait-on trouver des spécificités en terme de résultats chez
des élèves résidents dans certaines parties du quartier ? Les parents d’élèves habitant le
quartier sont-ils tous « démissionnaires » comme peuvent laisser penser les différents rapports
diagnostics ?
Par ailleurs, le faible taux d’accession des élèves au lycée « pointé du doigt » par ces
rapports est-il significatif en terme de « réussite » sociale ? Autrement dit, ne pas fréquenter le
lycée laisse-t-il présager une vie future en marge de l’ensemble de la société ? Le lycée est-il
un passage obligé pour accéder à un emploi et à une vie sociale stables ? En somme, existent-
ils d’autres voies d’insertion, des « réseaux » alternatifs à la fréquentation d’établissements
d’enseignements secondaires et supérieurs dont pourrait bénéficier « des » individus sur le
quartier de la Découverte?
Enfin, une dernière question mériterait d’être entendue également, avec en arrière-plan
les conséquences sur les établissements de leur classement en ZEP. Peut-on appréhender le
taux de réussite ou d’échec scolaire de la population de la Découverte en prenant seulement
en compte les résultats des établissements scolaires situés dans le quartier ? Les enfants en âge
d’être scolarisés le sont-ils tous dans les 4 écoles et le collège du quartier ?
A contrario-mais répondre par l’affirmative semblerait, a priori, moins vraisemblable,
malgré quelques exceptions qui ne paraîtraient pas incongrues- : les élèves de ces
établissements sont-ils tous des habitants du quartier de la Découverte, disons plus largement
de la ZUS ?
In fine, une étude des demandes de dérogations et des résultats des élèves scolarisés
hors ZEP, le cas échéant, permettrait sans doute de cerner de façon plus fine le niveau réel
des jeunes scolarisés vivant à la Découverte…
114
d- La santé : « un discours » sur la situation à la Découverte-Espérance qui laisse
apparaître une singularité dans le domaine de la santé mentale…
« Alcool, drogue, malnutrition, obésité… A la Découverte, l’hygiène de vie n’est pas
irréprochable » assène un journaliste de la presse locale dans un article du Pays malouin du 29
mars 2007 : « A La Découverte de réalités quotidiennes » (On notera au passage la pertinence
de l’intitulé…).
Au niveau institutionnel, le rapport de présentation du Projet social de l’AMIDS et du
centre social de la Découverte met également en avant « un diagnostic territorial santé qui met
en évidence des problèmes de nutrition (tendances à l’obésité chez les enfants, les jeunes et
les adultes), un manque d’hygiène, un nombre important de malades alcooliques (hommes et
femmes) et le constat que les femmes sont en moins bonne santé que les hommes » (Centre
social Découverte-AMIDS, 20006). Le projet de convention cadre du CUCS souligne lui
aussi « des difficultés d’ordre sanitaire : des carences concernant les soins dentaires et
ophtalmologiques, des problèmes liés aux habitudes alimentaires, à l’hygiène de vie
(sommeil) et corporelle » (CUCS, 2006). Les « habitants » de la Découverte, avec toute
l’imprécision liée à cette formulation, rencontrent des « problèmes importants de santé
physique ou psychique ». On constate de « nombreux handicaps ou invalidité d’ordre
physique et/ou des fragilités psychologiques fortes ». Ce qui entraînerait une impossibilité de
« réinsertion ou de réintégration sociale », ces « habitants » là ne voulant « plus ou pas
travailler »(Le Goaziou, 2001). Par suite les contacts avec l’extérieur seraient inexistants
(nous abordons cet aspect plus en avant dans cet exposé). « Le logement est un refuge plus
qu’un lieu de vie » et « l’extérieur du quartier est un autre monde »(Ibid., 2001).
Le quartier est donc insalubre, les habitants sont pauvres, sales, alcooliques et
déséquilibrés, il en résulte une violence généralisée…Quod erat demonstrandum ? Posons
nous quelques questions. Par exemple, sur quoi est basé ce constat sur l’hygiène corporelle ?
Est-on allé vérifier de visu sur le corps des individus ? Les gens sales seraient-ils tous
« défavorisés » (adjectif utilisé pour caractériser la population du quartier de la Découverte ) ?
115
De plus, les syntagmes : « nombreux », « très grand nombre », utilisés dans les
rapports diagnostics, montrent, en outre, une certaine imprécision dans le constat établi et
finalement effacent les différences entre individus.
Pour ce qui est des questions liés à l’alcoolisme, le fait de resituer le quartier dans son
contexte spatial communal et régional permettrait sans doute de relativiser les faits. En 2004,
l’Observatoire régional de la santé de Bretagne (ORSB) souligne que le pays de Saint-Malo
est dans la moyenne régionale -« considérée comme l’une des plus préoccupantes de
France »- au sujet de la mortalité par alcoolisme. Si Saint-Malo se situe dans cette moyenne
régionale, rien ne montre à priori que le quartier de la Découverte contribue pour une large
part à situer Saint-Malo dans cette moyenne…
Au sujet de la question de la maltraitance, s’agit-il d’un problème à considérer dans le
cadre d’une évaluation dans le domaine de la santé ou dans celui de la « violence », de la
« délinquance » ? Le projet de convention cadre du CUCS de Saint-Malo parle de « violences
intra-familiales conjugales » qui peuvent prendre « différentes formes ». Quelles sont les
causes de cette violence : un mal-être psychologique dont les causes peuvent être multiples :
précarité économique, « maladie » psychiatrique…, l’alcoolisme ? Ou bien cette violence est-
elle la résultante de facteurs liées à une situation économique précaire associée à la
« maladie », à une tendance à l’alcoolisme, elle-même conséquence des facteurs précédents.
Nous avons fait le choix de considérer les « violences conjugales » comme relevant du
domaine de la santé, dans le sens où nous traiterons plus tard des phénomènes de violence tels
que définis institutionnellement et qui sont plus de l’ordre de la « délinquance « et de
l’ « incivilité » comme nous le verrons.
La « misère sociale, économique, mais aussi affective et mentale » que l’on rencontre
à la Découverte entraîne des « attitudes et des comportements violents », une « violence
généralisée subie par les enfants à l’intérieur de la famille, entre adultes » (Le Goaziou, 2001).
A la Découverte, « contrairement à d’autres quartiers d’un type proche, la population est
davantage apathique, repliée sur elle-même et anomique (manque de lien et d’interactions
sociales […] La violence est plutôt tournée contre soi-même et ses proches. » On se réfugie
dans la plainte, l’acrimonie, le laisser-aller, la passivité »(Ibid, 2001).
116
Cette violence à l’intérieur des ménages est, certes, présente à la Découverte, mais
comment se manifeste-t-elle et dans quelle proportion ?
Nous avons effectivement abordé cette question des « souffrances psychologiques »
lorsque nous avons abordé les questions d’éducation, mais ce rappel pour dire que l’on
constate une « augmentation du nombre d’enfants en souffrance psychologique », d’enfants
qui « expriment un mal être » entraînant des difficultés d’ordre comportemental, à l’école
notamment, lieu où ce genre de constats peuvent s’effectuer » (CUCS, 2006).
On signale également que les « habitants » du quartier ont un réflexe quasi pavlovien,
qui consiste à faire appel aux services des urgences de l’hôpital de Saint-Malo plutôt qu’aux
médecins généralistes, indépendamment de la nature, de la « gravité » du problème de santé
qu’ils rencontrent…(Daniel, 2002)
In fine, les « diagnostics santé » pour le quartier ne sont pas fondés sur des moyennes
statistiques. Au mieux, ceux-ci se résument à quelques remarques générales qui ne permettent
pas finalement de se faire une idée vraiment précise sur « la santé des habitants » malgré
quelques faits mis en avant…Seulement si ces remarques peuvent avoir une valeur encore,
faudrait-il pouvoir faire « le bilan de santé » des habitants dans d’autres secteurs de la ville.
En effet, seul parler de santé dans une perspective comparative avec d’autres quartiers
pourrait affirmer ou infirmer l’hypothèse d’un « quartier » où de « nombreux habitants » sont
ou ne sont pas dans une situation sanitaire précaire…
e- La « délinquance » sur le territoire de la Découverte : une prénotion déjà construite ?
Il importe, dans un premier temps, de replacer dans une perspective historique la
« notion » de violence et celle de délinquance, qui semble être aujourd’hui un avatar de cette
première notion. Le sociologue allemand Norbert Elias et l’historien Robert Munchembled
ont montré que la « violence », telle qu’elle existe à notre époque est le fruit d’une
construction étalée sur quatre siècles (Vieillard-Baron, 2001). Ces auteurs ont montré que
cette violence n’a cessé de diminuer durant cette période. Ainsi, « même si le sentiment
d’insécurité est très fort dans les quartiers « difficiles » de France, le sang toute proportion
gardée y coule peu. Il y a une sorte d’inversion structurelle : les crimes de sang ont
117
considérablement diminué en trois siècles alors que les petits délits ont considérablement
augmenté » (Ibid., p.159).
On parle aussi d’ « incivilités » qui « sont une menace pour la société dans la mesure
où elles perturbent les rituels interpersonnels qui fondent l’interaction sociale (Ibid., p.162).
Là encore un flou entoure la définition du terme. Ce dernier est parfois réduit à « un
comportement sans-gêne et provocateur, sources d’exaspération dans la vie des cités » (Bauer,
Raufer in Les banlieues : des singularités françaises aux réalités mondiales, Vieillard-Baron,
2001, Hachette). Plus précisément, le vocable « incivilité » regroupe un ensemble de faits tels
que « l’atteinte aux personnes, aux biens, à la tranquillité publique […] le regroupement au
pied des immeubles, les attitudes menaçantes, les nuisances sonores, les déplacements en
bandes avec des chiens, les violences verbales, les dégradations d’équipements, les tags et
graffitis, les dépôts d’ordures… » (Vieillard-Baron, 2001).
Une échelle des violences urbaines a été établie, pour permettre à la police « d’évaluer
la capacité de mobilisation anti-institutionnelle et d’avoir un outil aidant à la décision pour
assurer la sécurité publique » (ibid., p.163). Cette échelle d’évaluation est constituée de huit
niveaux qui vont du vandalisme et à la délinquance en bande aux émeutes à répétition.
A l’échelle de la ville de Saint-Malo, la « lutte » contre « la délinquance » s’est
concrétisée par la mise en place, dès 1983, d’un Contrat local de prévention de la délinquance
(CLPD) qui est le « volet sécurité prévention » du contrat de ville. Un Conseil intercommunal
de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD) a été mis sur pieds, suite à la
délibération du Conseil communautaire du 9 octobre 2003. Ce Conseil est le fait de la
Communauté d’agglomération de Saint-Malo. C’est une « instance de concertation locale
permettant l’échange d’informations et la coordination des actions des partenaires en matière
de prévention et de lutte contre la délinquance »(CUCS, 2006). Hormis l’annonce en 2006 d’
« une baisse de la délinquance pour la troisième année consécutive sur la commune de Saint-
Malo » et de la diminution de la délinquance de 10 % par rapport à 2003, aucune évaluation
des conséquences de ces dispositifs n’est -à notre connaissance- disponible pour le quartier de
la Découverte…
Pour aborder ce « thème » de la délinquance à partir du « ressenti » de ce phénomène
par les habitants, nous nous appuyerons sur les différents études sur le quartier de la
Découverte ayant valeur de « diagnostics » et répertoriées dans la bibliographie constituée
pour notre recherche et aussi sur une enquête comparative portant sur trois quartiers de Saint-
118
Malo proches géographiquement : L’ enquête permanente Conditions de vie-vie de quartier
menée sur le thème Vous et votre quartier réalisée auprès de 1000 ménages répartis dans les
quartiers de la Découverte, Bellevue et la Madeleine, en partenariat avec l’INSEE et la ville
de Saint-Malo et publiée en 2002.
A propos du quartier de la Découverte, les diagnostics relatifs à la vie dans le quartier
font état d’un certain nombre de faits qui font sens, si l’on suit les critères fixés
institutionnellement pour décrypter la délinquance et les actes d’incivilité. Mais la
délinquance sur la commune de Saint-Malo est « diffuse et non concentrée sur le quartier de
la Découverte » (Daniel, 2002).
Cependant, il existe des phénomènes récurrents qui « troublent la vie de quartier : des
actes de délinquance des occupants du terrain des gens du voyage » situé dans le secteur de
l’Espérance. On fait état d’ « une lutte continuelle » qui « nécessite un travail à l’échelle de
l’agglomération, voire du pays ». Des « troubles de voisinage » semblent aussi très fréquents
(Ibid., 2002). Par suite, différents dispositifs ont été mis en place à l’échelle du quartier à la
fois par le bailleur, l’OPAC Emeraude Habitation, qui « intervient sur le quartier après chaque
plainte déposée »(sic) et, dont les interventions sont en constante augmentation depuis 1994,
par la police municipale avec des « équipes de soirées » et par l’association Le Goëland qui
grâce à ses éducateurs de rue a su créer des « relations avec les jeunes se regroupant en bas
d’immeubles »(Ibid., 2002).
En 2001, d’après L’ enquête permanente Conditions de vie-vie de quartier, le
« manque de sécurité » est « le premier facteur d’insatisfaction » à la Découverte comme dans
les deux autres quartiers étudiés. Cependant, « si à Bellevue et à la Madeleine plus de 80 %
des habitants trouvent leur quartier sûr, à la Découverte seul un habitant sur deux est de cette
avis ». « Les personnes âgées d’au moins 60 ans sont plus confiantes » sur l’ensemble des
trois quartiers : 82 % d’entre elles trouvent leur quartier sûr » mais « seulement » 68 % à la
Découverte.
Ce « sentiment d’insécurité » varie selon la durée d’occupation du logement : « parmi
les personnes installées depuis longtemps (avant 1980), 80 % trouvent leur quartier sûr ; à
l’inverse, celles arrivées récemment (après 2000) ne sont que 60 % dans ce cas. Or, les
nouveaux arrivants habitent le plus souvent en HLM : six ménages sur dix arrivés après 1995
119
habitent un logement social ». Cette remarque est formulée pour l’ensemble des trois
quartiers.
De manière générale,-nous sommes effectivement avec cette enquête dans une
appréhension globale des faits sociaux-dans les trois quartiers « enquêtés », les causes du
« sentiment d’insécurité » émanent « surtout de diverses détériorations constatées par 46 %
des personnes interrogées : boîtes aux lettres endommagées, ascenseurs ou éclairage mal
entretenus, façade abîmée, tags, caves et celliers pas sûrs ou condamnés… ». En outre,
environ « 1/3 des ménages qui vivent en immeuble se plaignent de rassemblements trop
fréquents dans les halls ou les d’escaliers ». Sur le quartier de la Découverte « presque sept
ménages sur dix » déclarent que « des espaces publics ou du mobilier urbain ont été détruits
ou détériorés ces dernières années ». A la Bellevue ou à la Madeleine, c’est seulement « un
ménage sur deux » qui se plaint de cet état de fait. Le mot « immeuble » utilisé ici mérite
d’être précisé ; il s’agit autant de « collectifs » du parc privé ( quasi inexistants à la
Découverte) que du parc de logements publics. Aussi, les habitants du parc HLM sont 61 % à
se plaindre à ce niveau contre 44 % dans le privé.
Concernant, le « sentiment d’insécurité » considéré à partir du « vécu » des habitants,
il n’y a pas de données pour la Découverte. En revanche, à l’échelle des trois quartiers 9 %
des habitants disent avoir été victimes « d’agressions ou d’actes de violence (en 1999 ou en
2000)». Reste à savoir ce qui se cache sous ces termes « agressions ou actes de violence ». On
nous dit 70 % de ces agressions sont uniquement verbales mais que « pour 4 % de la
population il y a eu coups et blessures ».
Le bruit est « le deuxième facteur d’insatisfaction des habitants » des trois quartiers. Il
est dit qu’il « joue un rôle dans le sentiment d’insécurité », les « nuisances sonores dues à la
circulation, les voisins ou les salles de spectacle » en sont les causes. A la Découverte, 75 %
des habitants de plaignent d’ « au moins une de ces nuisances » contre 40 % des ménages
interrogées dans les deux autres quartiers. L’enquête nous dit, à propos de la Découverte que
« la mauvaise isolation des logements peut expliquer la situation dans un quartier où les
logements sociaux sont nombreux. » L’équation logements sociaux égal mauvaise isolation
est ainsi établie…
Enfin, 60 % des personnes interrogées à la Découverte trouvent leur quartier
« agréable à vivre » et 33 % disent que « rien ne les dérangent ». A partir de la moyenne des
120
résultats obtenus sur les trois quartiers, l’enquête constate que « 81 % des habitants le
trouvent agréable à vivre » et 45 % déclarent que rien ne les dérange dans leur quartier. On
voit, à travers cet exemple que la moyenne statistique n’a pas grande valeur pour montrer un
phénomène. Le constat que 81% d’ « habitants » sont satisfaits de leur quartier paraît peu à
même de décrire une situation que l’on voudrait appréhender globalement sur trois quartiers
tant les écarts, concernant la part de « satisfaits de leur quartier », semblent importants d’un
quartier à l’autre. Cette remarque pourrait être généralisée aux autres résultats statistiques
évoqués plus haut. Si l‘on s’en tient aux chiffres issus de l’enquête, les habitants du quartier
de la Découverte semblent vivre une autre réalité que ceux des autres quartiers…
L’enquête nous précise cependant, et à juste titre sûrement que le fait de trouver son
quartier « agréable à vivre », par exemple, varie « en fonction du type d’habitat (HLM ou
privé, immeuble ou maison individuelle), du type et du revenu du ménage, du statut
d’occupation (propriétaire ou locataires) de l’âge, de la CSP. »
Concernant la présence policière dans les quartiers ; en 2001, c’est « presque deux
habitant sur trois » qui trouvent que la police n’est pas assez présente sur le quartier de la
Découverte. Dans les deux autres quartiers c’est « environ une personne sur deux » seulement
qui se plaint de son absence. (INSEE, 2002). Si l’on en croit les propos qui suivent, les choses
semblent avoir été évoluées. Dans un article de la presse locale un individu déclare en effet :
« c’est calme ici […] » surtout depuis que les rassemblements « sont interdits » dans les halls
d’immeubles « grâce à la loi Sarkozy ». Et puis « la police est beaucoup intervenue » (Pays
malouin, février 2007). Ecoutons cependant cet autre individu interrogé, cette fois-ci dans le
cadre de notre recherche : « La police et les pompiers font dix fois le tour du quartier dans la
journée. » Il continue en disant: « la mentalité du quartier est pourrie […] le soir et la nuit sont
mortels : agressions, vols… » Pour cet homme si la police est aussi présente ce n’est pas parce
que leur présence est dissuasive mais parce que le nombre d’« agressions » augmentent…
Finalement, ce que nous voulons montrer en présentant ces deux discours d’habitants
du quartier, ce n’est pas de voir si effectivement le quartier est plus « calme » qu’il y a
quelques années, mais les différents façons dont peut être perçu un phénomène, le « réel »…
Aussi, à quoi est lié véritablement ce sentiment d’insécurité à la Découverte ? La réalité de
certains faits n’est pas à mettre en cause, bien que les « actes de violence » selon la formule
utilisée par l’organisme en charge de l’enquête sur laquelle nous nous sommes appuyés, se
résument le plus souvent à des menaces, des injures.
121
Cependant, « l’image » du quartier souvent « désastreuse » qui est renvoyée aux
habitants-nous évoquerons cet aspect plus loin- ne contribue-t-elle pas à influencer leur
jugement sur leurs lieux de vie ? Autrement dit, les « habitants » de la Découverte
s’approprient-ils les stéréotypes véhiculés au sujet de leur quartier au point de dicter leur
discours ?
f- Essai d’approche graphique
Il nous a semblé intéressant de confronter l’approche graphique, désignée sous
l’expression de « sensibilité spatiale », pour la mesure de la ségrégation décrite dans la
première partie de cet exposé à la réalité sur le quartier de la Découverte. Nous avons
précédemment évoqué un certain nombre d’éléments mettant en évidence qu’il existe sur le
quartier de la Découverte un certain nombre de faits qui font sens et qui particularisent ce
quartier dans la ville de Saint-Malo. L’utilisation d’indicateurs socio-économiques reste,
malgré la limite de cette approche, une façon somme toute pertinente d’appréhender la
« mesure » de la ségrégation sur un espace donné. La difficulté d’envisager la ségrégation de
cette manière réside, cependant, dans le choix d’indicateurs suffisamment discriminants pour
mettre en évidence tel phénomène.
Pour réaliser le graphique qui suit, nous avons fait appel à un ensemble d’éléments
statistiques, commentés, en partie, plus haut dans notre travail. Nous avons suivi la méthode
décrite par Vieillard-Baron qui consiste à mettre côte à côte un ensemble d’indicateurs liés à
un territoire, relatifs entre autres aux CSP, à la démographie, au niveau scolaire mais aussi à la
nature des revenus en incluant dans notre graphique la part des bénéficiaires de minima
sociaux comme le RMI. Les sources proviennent principalement des enquêtes INSEE
www.insee.fr/fr/region/rfc/ficdoc_frame.asp?ref_id=5564&doc_id=5436 (enquête de
l’INSEE, Saint-Malo : trois quartiers évalués par leur habitants, Novembre 2002),
www.insee.fr/fr/insee_regions/bretagne/rfc/docs/Oc91art4.pdf (enquête de l’INSEE sur la
sociabilité dans le quartier de La Découverte à Saint-Malo).
Ce choix est justifié par le fait que ces sources sont les plus complètes que nous
ayions pu trouver à un temps t. Enfin, certains indicateurs n’ont pu être utilisés, car nous ne
disposions pas de données à la fois relatives au quartier étudié et à l’ensemble de la
122
commune : les indicateurs en matière de santé ou de délinquance. Si des données existent
pour le quartier de la Découverte, nous n’avons, en tout cas, pas pu avoir accès des données
suffisamment importantes sur l’ensemble du territoire communal, au moins au moment où
nous avons voulu fixer « l’instantané » de la représentation graphique, en l’occurrence l’année
2002.
De plus, nous avons sélectionné 12 indicateurs, au lieu des 7 préconisés par les auteurs
de la méthode. Nous avons exclu le critère « servitude spatiale », relatif à la situation
d’enclavement du territoire étudié, pour le remplacer par d’autres indicateurs, tels que la part
des ménages ne possédant pas de véhicule. La raison en est que nous n’avons pas pour cette
étude les moyens de calculer ce fameux indice de servitude spatiale.
Par ailleurs, un tel graphique n’a déjà en soi qu’une valeur limitée et qui plus est n’a
aucun sens si l’on s’en tient à une seule représentation graphique relative à un quartier, sans
que celle-ci fasse l’objet d’une comparaison. Nous avons donc fait le choix, dans un premier
temps, de confronter deux graphiques : un pour le quartier de la Découverte et un autre pour
la ville de Saint-Malo, tous quartiers confondus.
En outre, cette autre remarque, pour dire que si l’approche détaillée par Vieillard-
Baron dans son ouvrage Les Banlieues, des singularités françaises aux réalités mondiales,
Carré géographie, Hachette Supérieur, 2001, se nomme sensibilité spatiale, les indicateurs
retenus pour notre étude sont exclusivement des indicateurs sociaux. Il serait donc judicieux,
dans notre cas, de désigner plutôt le schéma obtenu par la confrontation des 12 indicateurs
choisis, sous l’expression de mesure de la « sensibilité sociale ».
Pour finir, le schéma doit être compris comme une tentative de mesure de la
ségrégation d’un territoire, replacé tout d’abord dans un contexte particulier ; ici la ville de
Saint-Malo. De plus, la situation démographique et socio-économique des territoires
sélectionnés est représentée visuellement de telle sorte que le polygone formé par les
différentes liaisons entre indicateurs sur le graphique doit rendre compte du fait que plus la
forme géométrique est « décentrée » plus la situation de « ségrégation » est prononcée. Aussi,
il ne s’agit pas de considérer ce graphique comme un constat mettant en évidence l’existence
« d’une ségrégation » pour le quartier de la Découverte, mais de simplement montrer qu’à
l’échelle de la ville celui-ci se différencie…
123
En outre, cette comparaison est insuffisante. Une comparaison avec un « quartier » de
la commune présentant a priori des similitudes au niveau démographique, social et
économique serait envisageable pour voir si réellement le quartier de la Découverte est celui
qui présente la situation la plus « marginale ». Aussi, une étude comparative avec un secteur
de la ville présentant la situation la plus contrastée par rapport à la Découverte serait encore
sans doute plus pertinente…
124
Doc. : La sensibilité sociale de la ville de Saint-Malo. Lemonnier, 2007
La sensibilité sociale du quartier de la Découverte. Lemonnier, 2007
125
4- L’ espace urbain de Saint-Malo dessine-t-il une hiérarchie sociale ?
a- L’opposition classique ZUP/ quartiers centraux est-elle suffisante pour
décrypter la réalité socio-spatiale à Saint-Malo ?
La ville de Saint-Malo se caractérise par son organisation multipolaire, fruit de la
rencontre des « communes » de Saint-Malo : les centres historiques de l’Intra-Muros, de
Saint-Servan et de Paramé. Autour, des dynamiques de complémentarité, voire de
concurrence entre ces trois pôles se sont développés le port, les zones industrielles, les
faubourgs, les secteurs pavillonnaires, ou encore les quartiers constitués pour une grande part
de logements collectifs.
L’organisation spatiale de la ville de Saint-Malo repose donc sur 3 couronnes ou
« auréoles » qui se sont développées autour des centres historiques que sont le quartier Intra-
muros ou le rocher d’Alet (Saint-Servan):
« -les secteurs centraux autour des pôles urbains
-les quartiers qui se développent entre 1880 et 1940 sous l’impulsion du « balnéarisme »
-les territoires péricentraux constitués de quartiers d’habitat ou de zones commerciales ou
industrielles » (DAUF, 2006)
Si effectivement, le regroupement des trois communes : Saint-Malo (essentiellement le
quartier historique « Intra-Muros »), Paramé, Saint-Servan n’intervient qu’en 1967, nous
utiliserons le terme de « quartier » pour désigner l’une de ses zones, même si on les évoque
dans un contexte précédant la formation du « grand » Saint-Malo.
Un fait avéré, quant à la répartition des catégories sociales, est que celles-ci sont
inégalement réparties sur l’espace urbain de Saint-Malo (PLU, rapport de présentation,
2006).
Sans vouloir corréler exagérément chaque zone d’habitat, chaque quartier, avec une
catégorie sociale précise, nous pouvons dégager à grands traits quelques tendances lourdes
concernant la configuration socio-spatiale de la ville de Saint-Malo.
126
Ainsi, les cadres sont-ils majoritairement regroupés dans les quartiers de Rothéneuf,
Rochebonne, Paramé-centre, le Sillon, Saint-Servan Ouest, c'est-à-dire sur la façade littorale
de la ville. Les professions intermédiaires ont une localisation préférentielle également dans
les « quartiers littoraux » et la grande majorité des ouvriers résident dans les quartiers où
l’habitat social est prépondérant, c’est à dire essentiellement sur le quartier de la Découverte
et dans une moindre mesure à Marville ou Bellevue. Les employés occupent l’espace urbain
de manière plus homogène, avec cependant une plus forte présence dans des « quartiers
résidentiels » : la Gare, Rocabey, Saint-Ideuc ou Paramé sud (DAUF, mars 2006).
Les quartiers littoraux ont toujours été les territoires d’élection de la haute société
locale. « L’investissement bourgeois succède aux premières implantations aristocratiques de
la pointe de Rochebonne ». En effet, la croissance urbaine de la ville répond au XIXe siècle
aux « désirs bourgeois du second empire » (Delignon-Lemonnier, 1999). Le « quartier » du
Sillon ou celui de l’actuel Paramé, quasiment créé ex-nihilo à partir d’un petit bourg rural
transformé en station balnéaire au XIXe siècle -période d’essor du tourisme balnéaire- voit
s’agréger une population exogène, le plus souvent parisienne (Ibid., 1999). L’organisation
spatiale de ces quartiers et l’architecture même des premières demeures témoigne de cette
influence de la capitale quant aux choix urbanistiques et architecturaux locaux dans cette
zone.
Dans une perspective historique élargie, la ville s’est vu constituer, depuis le XVIIe
siècle, un patrimoine architectural de « grande valeur » localisé principalement à l’intérieur
des périmètres des premiers foyers d’urbanisation. Aussi, pour une présentation –qui reste
cependant succincte- de ces éléments qui ont fortement contribué à marquer « l’identité » et
« l’image» de la ville, forgées par la noblesse et la haute-bourgeoisie locales, nous citerons :
« -les propriétés et maisons de type malouinières et gentilhommières ou manoirs : 110
demeures de ce type recensées sur la commune
-les maisons d’architecture représentative de la fin XIXe et de la première moitié du XXe
siècle parmi lesquelles :
-des propriétés d’inspiration irrégulière
-des maisons dites d’inspiration balnéaire
-des maisons de types villas, hôtels particuliers, maisons bourgeoises
127
-des maisons et immeubles de ville souvent implantées en retrait de la chaussée et
participant au dessin de la rue »(DAUF, 2006).
Le quartier Intra-Muros est perçu au XIXe comme un espace indésirable, ceci étant lié
à l’insalubrité de cette zone aux ruelles étroites et aux logements décrépis. L’image de ce
dernier a aujourd’hui largement évolué consécutivement à sa destruction quasi-totale à la fin
de la seconde guerre mondiale et à sa reconstruction qui a suivi -les poches d’insalubrité ayant
définitivement été annihilées- au point où le « marketing » territorial destiné à la promotion
touristique hésite peu à réduire la ville de Saint-Malo à cet espace circonscrit qu’est la « ville
fortifiée »…(cf sites internet de la Ville de Saint-Malo).
La création ex nihilo de la station balnéaire de Paramé au XIXe siècle est à rapprocher
de celles de Dinard, commune voisine ou d’autres stations telles que Deauville ou Biarritz par
exemple. Le quartier du Sillon « correspond à la station devant s’intégrer à ‘l’existant’ ». Il
s’agit dans ce dernier cas d’un « quartier » construit à proximité des remparts de Saint-Malo
Intra-Muros (Delignon-Lemonnier, 1999).
Un fait plausible est donc que le « processus d’agrégation des grands bourgeois »
(ADEF, 2004) a été aussi à l’œuvre dans certains quartiers de Saint-Malo. Ce « collectivisme
grand-bourgeois » aurait entraîné dans certains secteurs de la ville : Paramé-Rochebonne, le
Sillon par exemple une « mise en commun des richesses accumulées » dans le sens de
« cumulativité des dimensions de la fortune, économique mais aussi sociales, culturelles et
symboliques […] favorisée par le rapprochement spatial des familles » (Ibid., 2004). On
pourrait parler à propos des « quartiers » de Rothéneuf, Rochebonne ou du Sillon de
« stigmate spatial positif de la grande bourgeoisie », a priori.
Cependant, une étude fine sur les stratégies d’agrégation, sur le « grégarisme »
éventuels des classes de la haute société malouine actuelle et ancienne est à faire... Existe-t-il
des « cercles », des « réseaux » qui seraient réservés à une « élite malouine » par exemple?
Mais, un ensemble de facteurs, tels le marché du foncier et de l’immobilier, dans ces
secteurs laissent présager une dynamique socio-spatiale conduite par une logique d’entre-soi
choisi, laissant entrevoir un mouvement de séparatisme social…
128
b- Les mécanismes du marché du foncier et de l’immobilier à Saint-Malo à corréler
avec le parcours résidentiel des habitants de la ZUS… Vers une sécession urbaine… ?
L’étude de requalification effectuée par l’OPAC Emeraude Habitation en 2002 fait état
« des tensions du marché local de l’habitat, un secteur privé onéreux et une absence de
d’accession sociale à la propriété à proximité du centre de l’agglomération » (OPAC, 2002).
Par ailleurs, l’orientation touristique de la commune entraîne « une rétention des logements à
l’année. Les propriétaires préférant louer au prix fort durant la saison estivale », les locations
saisonnières représentants environ ¼ du parc locatif privé total sur l’ensemble de la ville
(OPHLM, 1990).
Le rapport de présentation du PLU de Saint-Malo signale en outre que la commune
présente « 77 % de résidences principales, 18 % de résidences secondaires sur la côte,
principalement, et 5 % de logements vacants.» A l’échelle des quartiers si l’on compare deux
secteurs où la situation socio-économique de leurs habitants semblent être la plus contrastée :
La Découverte et la zone de Rothéneuf-Le Pont, les caractéristiques de leur parc de logements
les situent aux « antipodes » l’un de l’autre. Ainsi, à la Découverte nous trouvons « 95 % de
résidences principales et 0,80 % de résidences secondaires ». Dans le quartier de Rothéneuf
« 51 % de résidences et 45 % de résidences secondaires sont recensées ».
En Mars 2007, l’hebdomadaire le Pays malouin titre « Les chiffres records de
l’immobiler » à Saint-Malo appuyés par un dossier sur les prix de l’immobilier et le foncier
dans le Pays de Saint-Malo en pages centrales. L’ensemble des données ayant permis
l’élaboration du dossier proviennent de ces sources : Les Notaires de l’Ouest et Notaires de
France-Perval. Le premier constat qui ressort de ces articles est que « les prix moyens [de
l’immobilier] dans le pays de Saint-Malo dépasse allègrement la moyenne départementale et
régionale. » Si Dinard, la commune voisine, reste « la plus chère du département avec un prix
au mètre carré qui s’élève à 3463 euros » pour l’achat d’un appartement ancien12
, Saint-Malo
figure en bonne place avec dans le « classement » des villes « les plus chères du
département » avec un prix de 2685 euros au mètre carré pour le même type de bien.
12
le périodique qualifie de maisons et appartements anciens les biens « âgés de 5 ans et plus » et les maisons
doivent disposer « de 5 pièces » pour entrer dans cette catégorie
129
« Les Franciliens et les retraités représentent respectivement 20 % et 25 % des
acquéreurs d’appartements anciens dans le pays de Saint-Malo […] Les étrangers (4 %) des
acquéreurs disposent d’un budget très supérieur à celui d’un local : 278000 euros contre
146700 euros. » Ce qui viendrait appuyer la thèse formulée par un habitant de Saint-Malo
selon laquelle, nous citons : « les Malouins et les habitants des communes alentours seraient
dépossédés de leur ville. »
Le prix d’achat des appartements neufs semblent en recul (-1, 4%) mais cette situation
serait davantage due à « la situation des programmes de construction dans les terres qu’à un
réel fléchissement du marché. » D’après les données rapportées par la presse locale les
acquéreurs de maisons anciennes « proviennent d’un secteur extérieur, notamment de Paris »
pour 56 % d’entre eux. A ceci il faut ajouter que « les retraités investissent en masse en bord
de mer (20 % des acquéreurs) » et que « par contre les ouvriers n’ont que rarement les
moyens de s’offrir une maison sur le littoral (5 % des acquéreurs) ».
Enfin, ce fait signalé « un bien s’achète 198600 euros à la Madeleine contre 414300
euros sur le Sillon ou à Rothéneuf » nous montre les variations très sensibles, a priori, du prix
d’achat d’une maison ancienne selon les quartiers de Saint-Malo. Le prix du foncier dans le
Pays de Saint-Malo est également présenté comme « inaccessible » pour une « bonne part »
de la population locale avec « un terrain de 811 m² [qui] s’acquiert 107100 euros contre
53800 euros en Ille et Vilaine. » Enfin, la « flambée » des prix de l’immobilier depuis 2002
semble avoir définitivement destiné l’achat d’un bien dans le « secteur de Saint-Malo » aux
catégories sociales « très aisées ». Ainsi, si effectivement cette augmentation des prix du
logement touche l’ensemble du département avec une augmentation de 53 % en 4 ans pour
« le prix d’achat moyen d’un bien immobilier », dans le Pays de Saint-Malo elle prend des
allures de « surenchère ». En 2002, un « appartement 3 pièces » dans les quartiers d’Intra-
Muros ou de Saint-Servan à Saint-Malo pouvait s’acquérir à 100000 euros ; en 2006, il faut
investir près du double pour se procurer un tel bien. Cette situation touche cependant
l’ensemble du « Pays ». En 2002, il était possible d’acheter une maison de 3 pièces dans le
« secteur de Dol » pour 50000 euros. En 2006, ce prix couvre l’achat d’un studio à Château-
Malo, quartier résidentiel périphérique de la ville de Saint-Malo...
Aussi, cette situation nous renvoie à la problématique posée dans la première partie de
ce mémoire de recherche : est-ce l’usage du sol qui précède le prix du foncier et de
130
l’immobilier ou bien l’inverse ? Un élément de réponse nous est fourni dans l’observation -
rapide car impossible à étudier précisément dans le cadre de cette recherche du fait des
« contraintes » temps inhérente à une recherche de DEA/Master 2 d’une part, et des objectifs
fixés dans ce cadre : « questionner » et ouvrir des pistes de recherches futures pour le
« décryptage » d’éventuels phénomènes ségrégatifs sur l’espace étudié- des dynamiques de
peuplement des quartiers « historiques » de Saint-Malo (Cf partie II-4-a).
A la vue des prix de l’immobilier pratiqués dans le « secteur de Saint-Malo » comment
imaginer un parcours résidentiel « positif » -l’utilisation de ce terme n’ayant pas de
connotation ayant valeur de jugement mais répond plutôt à un « souhait » formulé par certains
habitants de Saint-Malo et notamment de ceux de la ZUS et pouvant se matérialiser par
l’accession à des formes de logements autre que celle du logement locatif social ou par la
« migration » vers d’autres secteurs de la ville ou de l’agglomération- pour les plus
« défavorisés » des habitants de Saint-Malo ?
Ce « souhait » a été formulé par un habitant de la Découverte de cette manière : « Je
veux partir d’ici. J’en ai marre, mais je n’ai pas les moyens de faire autrement » Les dires de
cette femme locataire d’un logement social à la Découverte illustre ce « choix » aussi par
défaut du quartier de la Découverte comme lieu de vie : « Je n’ai pas choisi…La Découverte
n’est pas recherché pour le logement…C’est le premier logement libre qu’on m’a donné…J’ai
pas eu le choix… » Cependant , d’autres avis divergents des propos ci-dessus ont été
également recueillis dans le cadre de cette enquête. Il ne s’agit donc pas de dire que « tous »
les habitants exècrent leur quartier et veulent le quitter, mais qu’il existe des personnes
aspirant à « autre chose » que le logement et le « cadre de vie » qui leur a été imposé…
Aussi, comment se positionne les acteurs institutionnels du « Pays de Saint-Malo »,
face à cette situation du logement ? Y-a-t-il une solution à l’échelon de l’intercommunalité
comme constituer des réserves foncières pour le logement locatif social ou l’accession sociale
à la propriété ? Mais comme le précise ce qui suit, le thème de l’ habitat « est l’objet d’enjeux
tellement antagonistes qu’il s’éloigne plus qu’il ne rapproche les communes » (Madoré, 2004)
La réponse à ce niveau, précisément au niveau de la Communauté d’agglomération du
Pays de Saint-Malo paraît en effet jusqu’à présent timorée…Le logement social représente
pour l’instant seulement « 0,8 % des dépenses d’investissement, contre 27,9 % pour les
131
déchets et l’environnement et 7,3 % pour les transports » à l’échelle de la Communauté
d’agglomération du Pays de Saint-Malo, qui regroupe 18 communes en 2007.
Le Plan Local de l’Habitat (PLH) dont l’élaboration s’achèvera à la fin de l’année
2007 se veut être la solution à « l’envolée » des prix du foncier à Saint-Malo et dans les
communes avoisinantes. René Couanau, président de Saint-Malo agglomération a pu déclaré
ainsi : « Ce n’est qu’un début. C’est l’amorce de notre politique en matière de logements, une
nouvelle compétence qui va se développer dans les années à venir avec la mise en œuvre du
Plan local de l’habitat » (Ouest-France, avril 2007).
Ce programme, qualifié de « sans précédent » par le maire de Saint-Malo inclura
l’opération de rénovation urbaine à la Découverte avec une « reconstitution de l’offre » en
matière de logement, se traduisant par des démolitions/reconstructions, permettant de
proposer 211 logements neufs avec environ 70 logements supplémentaires à l’intérieur du
« périmètre ANRU » (DAUF, 2006).
La plaquette de présentation du Projet de renouvellement urbain du quartier
Découverte-Espérance précise que les opérations de construction conduiront à faire une large
part à l’accession à la propriété : « 61 % des logements reconstruits » , « le locatif libre » et le
« locatif social » représentant respectivement 24 % et 15 % des logements construits. On
précise de plus que « en partie centrale, les nouvelles constructions, en accession, [donneront]
toutes sur le mail central vert, ce qui [augmentera] considérablement leur valeur
résidentielle… »
L’ objectif avoué du projet est donc « une densification du quartier qui répond à une
nécessaire mixité sociale »… (DAUF, 2006). Le Projet de renouvellement urbain s’annonce
déjà clairement comme la solution au « rééquilibrage nécessaire [ du taux de logements
sociaux entre les quartiers]… »
Bien que nous serions tentés d’affirmer que les ménages les plus modestes ont un
parcours résidentiel « limité », il semble exister toutefois un ensemble de faits mis en
évidence par des auteurs comme C. Bonvalet, Jacques Chevalier ou Daniel Pinson qui
contredise cette idée : « même les ménages les moins bien dotés en capital économique et
culturel ont une capacité[…] à développer des stratégies résidentielles »(Madoré, 2004)…
132
« Les modes d’habiter oscillent entre des formes de préservation et de repli communautaire
dont certaines ne sont pas subies mais au contraire souhaitées » (Ibid., 2004). Si le « repli
communautaire » dont il est question dans ces propos se conjugue sur un mode ethnique,
pourrait-il exister des stratégies d’agrégation à la Découverte reposant sur d’autres critères-
sachant que les « 1,2 % d’étrangers » recensés sur le quartier incite peu à penser, dans un
premier temps, l’existence d’un phénomène de type « regroupement ethnique »- mais c’est
surtout l’interdiction du « comptage ethnique » en France qui empêche finalement d’évaluer
par exemple le nombre de français issus de l’immigration « récente » qui seraient « tentés »
par une stratégie d’agrégation, reposant sur le sentiment d’appartenance à un même groupe
culturel. On perçoit ici toute l’ambiguïté voire le non-sens de l’expression « français issu de
l’immigration » à laquelle on se sent forcés d’ajouter le qualificatif « récente », au regard de
l’histoire du peuplement de la France faite de nombreuses invasions ou migrations, et la
difficulté d’essayer de mettre éventuellement en évidence des regroupement de type ethnique
ou communautaire sur le quartier objet de notre étude.
Par ailleurs, l’urbanisation de la commune longtemps contenu à l’Est à hauteur de
l’avenue du Général de Gaulle progresse surtout depuis deux décennies. Le phénomène de
périurbanisation que connaît la ville a aboutit à la création de nouvelles zones pavillonnaires
et de zones commerciales et d’activités bien au-delà de ce désormais ancien espace
périphérique qu’a pu constituer le quartier de la Découverte jusqu’aux années soixante-dix
environ. Si l’espace rural de la commune doit subir les pressions de ce mouvement
d’extension urbaine, la zone littoral est quant à elle soumise à une réglementation « sévère »
pour la protection des espaces naturels renforcée par les dispositions du (récent) PLU de
Saint-Malo, devant conduire à la création de « nouvelles zones naturelles, pour pérenniser les
coupures d’urbanisation [et] pour une protection accrue des éléments du paysage » (DAUF,
2006).
Cette « protection accrue de l’environnement » se traduit par la fermeture à
l’urbanisation de certains secteurs. En autres secteurs concernés par ces dispositions nous
citerons « l’ancienne zone d’urbanisation IINAEe entre Quelmer et le Bas Quelmer [qui est
désormais] classée en zone de protection du paysage NPp » ou bien encore le secteur de la
Montagne Saint-Joseph, limitrophe du quartier de la Découverte-Espérance « auparavant
classé en zone INA […] aujourd’hui désormais classé majoritairement en zone NPp de façon
à préserver cet élément naturel »(Ibid., 2006).
133
Sans vouloir remettre en cause la nécessité de « protéger » certains « sites
remarquables » de la commune, on peut se demander dans quelle mesure ces réglementations
pour une « meilleure prise en compte des périmètres de la ZPPAUP » dans sa dimension
« protection du patrimoine naturel », « surfant » sur cette vague environnementaliste évoquée
dans la première partie de ce mémoire affecteront le parcours résidentiel de certains habitants
de la commune, dans le sens où ces dispositions limitent les « possibilités » de construction de
logements dans certains secteurs ?
Quoiqu’il en soit les secteurs à haute valeur foncière à l’échelle de la commune de
Saint-Malo : Rothéneuf, Rochebonne, le Sillon par exemple, s’ils sont déjà presque
impossible à investir par les « classes moyennes » de la commune, semblent définitivement
hors d’atteinte des ménages de la ZUS et de la Découverte plus précisément…Cette question
surgit alors presque d’elle-même : peut-on loger les « plus démunis » sur des espaces à haute
valeur foncière ? Est ce que s’interroger sur cela à un sens par ailleurs, au vu de l’évolution
actuelle de certains mécanismes –celui du foncier en premier- qui semblent plus que jamais
tenir à distance certaines populations de territoires que l’on serait tentés de croire
définitivement acquis à un ou des « groupes de privilégiés »…
Mais nous pouvons aussi penser que « la conquête d’un lieu par un groupe social n’est
jamais définitivement acquise » du fait des « politiques de remodelage des quartiers »... « Les
classes dominantes elles-mêmes, alors qu’elles possèdent les atouts leur garantissant les
places les plus conformes à leur position sociale », ne sont pas à l’abri d’une remise en cause
de leurs choix en matière de localisation de leur lieu d’habitat. « Générée en leur sein, celle-ci
a sa source dans les concurrences et les contradictions qui opposent les unes aux autres les
différentes fractions des élites » (Magri in La ville : agrégation et ségrégation sociales,
L’Harmattan, 1996)…
c- Essai de représentation cartographique de la géographie socio-résidentielle de Saint-
Malo. Un approche par « secteur » à privilégier…
A partir des éléments présentés précédemment nous avons pu établir l’esquisse d’une
représentation des caractéristiques sociales des principaux secteurs de la ville de Saint-Malo.
Il ne s’agit pas ici de réaliser une carte définitive corrélant certains secteurs de la commune
134
avec le statut social de leurs habitants mais de simplement dégager à grands traits les
caractéristiques de ces zones d’habitat à partir des données fournies par recensement INSEE
RGP 1999, des « faits » mis en avant par notamment le rapport de présentation du PLU de
Saint-Malo et de la lecture historique des dynamiques de peuplement de la ville.
Encore une fois, précisons que vouloir constituer une géographie socio-résidentielle
demande une échelle d’analyse plus fine. L’homogénéité sociale des secteurs cartographiés
n’est, a priori, qu’ apparente…Nous avons, par ailleurs, privilégié une approche par
« secteur » -elle même discutable de toute évidence- plutôt que par quartier pour montrer dans
un premier temps d’analyse de la configuration socio-spatiale de la ville que les statuts
sociaux des habitants des quartiers sont beaucoup plus diversifiés par rapport à ce qu’ une
approche par quartier laisserait présumer. Cette dernière masquerait finalement la variété des
situations rencontrées à l’intérieur d’un tel périmètre, défini « artificiellement » pour les
besoins de certaines études statistiques…
Dans cette optique, quelques précisions sont sans doute bienvenues pour la « lecture »
de l’espace socio-résidentiel à Saint-Malo. Nous pouvons affirmer, par exemple, l’absence
d’un parc de logements HLM dans des secteurs comme celui de Rothéneuf ou du Sillon.
Néanmoins, par exemple un secteur comme celui de l’Intra-Muros que l’on serait tenté de
« catégoriser » comme un espace réservé aux classes sociales « supérieures » et « moyennes »
présente un « certain nombre » -le flou de cette dernière formulation est utilisé à escient- de
logements sociaux qui fait battre en brèche l’idée d’une zone d’habitat homogène
socialement…Il reste que la mise en évidence de micro-segmentations sociales dans chacun
des secteurs présentés ici se révèlerait être une tâche ardue car elle nécessite des « sources
originales » (Madoré, 2004), révélant d’autres réalités que celles présentées par l’approche
globale des méthodes statistiques classiques de recensement…
135
136
137
Erving Goffman, sociologue américain, dont l’œuvre est consacré à l’étude des interactions
entre les acteurs de la vie sociale qu’il considère comme des représentations théâtrales, définit
le stigmate ou plus précisément l’individu stigmatisé, comme un « acteur » disqualifié à cause
d’un attribut qu’il possède : « Cet attribut constitue un écart par rapport aux attentes
normatives des autres et de son identité ». Le stigmate peut être lié à l’appartenance
religieuse, ethnique, au genre ou à un groupe social. « L’acteur », selon Goffman, va alors
essayer de dissimuler sa « tare » en adoptant un comportement approprié à cet effet. Les
interactions entre « normaux » et « stigmatisés » sont alors appelées « contacts mixtes ».
Dans le cadre de notre étude, nous avons pu souligner que l’adjectif « stigmatisé » est
fréquemment utilisé dans les études relatives au quartier de la Découverte ; soit pour désigner
le quartier lui-même, soit à destination des individus-acteurs qui y résident. Ce mot, comme
d’autres, tels celui de « relégation », « disqualification », de « marginaux » sont d’un usage
courant dans les études relatives à notre objet d’étude. L’utilisation de ces termes participent à
la construction politico-médiatique de la ségrégation, même si ce dernier terme n’est jamais
mentionné explicitement dans le cas de la Découverte.
Un vocabulaire semblable et les idées sous-jacentes qui lui sont inhérentes sont alors
fréquemment réutilisés par certaines franges de la population ou disons plutôt par « des »
individus-car il n’y pas lieu de généraliser de l’existence de préjugés uniquement au sein de
classes sociales particulières- qui semblent se satisfaire d’un discours déjà construit autour de
la question des « quartiers sensibles », autre « expression-information » largement diffusée…
Si les mots ont un sens et ils ont aussi un « poids »… Ce « poids des mots » qui pèse
sur le quartier devient alors progressivement difficile à lester. En ce sens, l’utilisation
récurrente de toute cette sémantique dévalorisante et simplificatrice apposent des étiquettes
difficilement délébiles sur le front des habitants du quartier...
138
III- « Stigmate », « disqualification », « enclavement »… La Découverte : un quartier
largement « qualifié »... Relégation réelle ou réalité fantasmée ?
1-Conséquences du discours développé par les médias locaux sur le quartier sur « les
malouins » vivant hors ZUS : une ségrégation par la rumeur…
a- Un jugement sur le quartier à priori peu nuancé : la Découverte et la métaphore du
« petit Chicago » …
L’idée qui prévaut ou qui semble s’imposer implicitement, quand on interroge les
habitants des quartiers de classes moyennes, voire plutôt aisés de Saint-Malo et qui pourrait
sans doute être généralisée à d’autres villes possédant des quartiers de « grands ensembles »
est que, si finalement les cadres et les classes moyennes qui habitaient les « grands
ensembles » dans les années soixante et soixante-dix les ont quittés, c’est qu’ils en ont été
chassés par ceux qui y sont restés. Ce n’est pas une vue de l’esprit de dire que c’est ce
discours là qui a nuit à l’image des ensembles d’habitations collectives et que c’est ce même
discours qui continue à prévaloir aujourd’hui, même dans les « milieux cultivés et éclairés »
des quartiers bourgeois et même dans certains milieux relativement modestes qui s’estiment
mieux « lotis » simplement parce qu’il n’habitent pas le quartier de la ville à éviter à tout prix.
Nous sommes, avec ce type de propos tenus sur un type d’espace particulier, en
présence d’une prophétie auto-réalisatrice. Autrement dit, à force de préjugés, de jugements à
l’emporte pièce, tout un discours négatif s’est sédimenté autour de la question des « grands
ensembles ». Les habitants de ces quartiers fruits des politiques urbaines d’après-guerre,
doivent par conséquent gérer un « stigmate » : leur adresse. « Effet de territoire », « effet
d’adresse » autant d’expressions qui désignent une réalité : celle de la « relégation » des
populations des quartiers de « grands ensembles »...
Il est intéressant de noter comment certains journalistes ayant une audience régionale
participent à la formation d’un discours globalisant, homogénéisant, simplificateur et parfois
erroné sur le quartier. Ainsi, sur le site http://aline.mortamet.free.fr/reportages.html nous
pouvons lire, en guise de synopsis d’un reportage sur le quartier de la Découverte, produit par
France 3: « A Saint-Malo, le quartier HLM de la Découverte s'est créé au début des années
139
soixante-dix, à une époque où il fallait vite loger une population de plus en plus nombreuse.
Au début, ce quartier avait la réputation d'être un « petit Chicago », tant les problèmes de
violence étaient importants.»
C’est bien sûr la deuxième partie de cet extrait qui paraît surtout étonnante.On nous
parle de difficultés importantes à une époque où les logements sont neufs, où la population
qui a investi ces lieux est majoritairement salariée -les fameux thèmes de l’ « assistanat », du
« chômage de confort » n’ayant pas encore émergés dans la sphère politico-médiatique- et qui
plus est, relativement peu confrontée à des phénomènes de délinquance, d’alcoolisme ou de
violence généralisée.
Si le quartier a pu être le théâtre de tels phénomènes, ils n’apparaissent d’une part pas
avant le milieu des années quatre-vingt et sont ,somme toute à relativiser, comme nous avons
pu le voir. Aucun éléments ne semblent clairement montrer que le quartier de la Découverte
serait le lieu d’actes de délinquance, de violence « criminelle » plus que d’autres secteurs de
Saint-Malo.
L’expression « petit Chicago » fait écho à la métaphore du « ghetto », utilisée pour
désigner les « grands ensembles » d’habitations: « Le mot est doté d’un pouvoir mobilisateur
et il construit un véritable objet : la cité-ghetto […] artefact qui permet de faire comprendre
une réalité complexe » celle du malaise de notre civilisation, où « les quartiers
périphériques », comme le sida (?) sont un défi à l’ordre établi. Ils sont une figuration du
chaos qui traverse la modernité » (Vieillard-Baron, 1994 in Ségrégation et habitat social,
Madoré, 2004).
Si le terme de ghetto est « vaguement sociologique et accessoirement géographique »
« abusif, généralisant » et forcément « réducteur » (Madoré, 2004), l’expression de « petit
Chicago » appliquée au quartier de la Découverte est un non-sens absolu. Cette dernière
métaphore fait bien entendu référence à un pan de l’histoire de la ville de Chicago lié au crime
organisé, aux gangs et la corruption de certains fonctionnaires. Quoiqu’il en soit, de tels
écrits, pourraient prêter à sourire s’il n’avait pas vocation à informer les populations…Le
reportage auquel fait référence ces écrits s’inscrivant, par ailleurs, dans cette veine du
discours misérabiliste et simplificateur. Le reportage se focalise sur des individus, semblant
passer leurs journées, accoudés sur le rebord d’une fenêtre de leur appartement et fait fi du
dynamisme que l’on pourrait sans doute trouver chez bon nombre d’habitants du quartier.
140
En outre, nous terminerons cette « explication de texte », cette tentative de
« décodage », concernant la présentation de ce reportage sur le quartier de la Découverte en
notant que ce dernier est réduit à un « quartier HLM » et ignore donc d’une part la diversité
des formes de logements et d’autre part la présence d’un certain nombre d’équipements.
Reste à savoir si tels images qui frappent l’imagination sont le fait de certains médias
ou sont à l’inverse le fait des populations extérieures aux <<quartiers sensibles>> et dont le
discours aurait été récupéré par les journalistes.
Les reportages des journaux consacrés aux « grands ensembles » en général, auraient-
ils une fonction carthatique ? Provoquer l’ « horreur » (relative) et la pitié chez le
téléspectateur ou le lecteur pour exorciser ses peurs et, le conforter dans sa situation qui lui
semble plus enviable que celle qu’on lui décrit.
Il est frappant de constater, à la lumière des quelques entretiens réalisés avec des
habitants d’autres quartiers de Saint-Malo dans le cadre de cette recherche, combien les
habitants du quartier de la Découverte sont décrits avec une sémantique péjorative. Un fait
constaté est que, la plupart du temps, les individus résidant sur ce territoire sont décrits à
partir de mots appartenant pour une large part, au champ lexical de la violence et de ce que
nous pourrions aussi nommer au champ lexical de la « délinquance ». Le mot « violence »,
lui-même, est systématiquement utilisé par les interrogés. La sémantique utilisée tourne
invariablement autour des mots «agressions », « dangereux » ; il nous a même été possible
d’entendre le mot « coupe-gorge ». Mais les termes « alcool », « drogues », « cannabis »,
« trafics » (sous entendus illicites), « vols », « bruits insupportables » sont tout aussi présents
dans le discours sur la Découverte, des <<habitants>> vivant dans différents quartiers de
Saint-Malo.
Cet homme se présentant comme un cadre travaillant dans une entreprise privée de
l’agglomération malouine déclare : « La Découverte ? C’est un quartier pour les désœuvrés,
comme les autres du même genre construits dans les années quatre-vingt (sic). Il me semble
que ce qui s’y passe est comparable à ce qui arrive dans les cités HLM à Paris. Je peux vous
en parler j’y ai vécu… En tout état de cause, je n’y mettrai jamais les pieds. Tout cela c’est de
la faute à Mitterrand ! » ( ??? )
141
Nous avons observé que finalement, les jugements sur le quartier sont globalement du
même ordre, indépendamment du niveau de qualification ou de l’emploi occupé. Les préjugés
paraissent n’épargner aucune classe ou catégorie sociale…
Un autre individu interrogé parle de « personnes aux connaissances intellectuelles
limitées » et dissocie clairement ce jugement avec une éventuelle situation d’échec scolaire
qui serait subie par « certains » individus dans le quartier, relatif à une situation sociale voire
familiale peu propice à la réussite scolaire, avec laquelle on serait tenter de faire un
rapprochement. Autrement dit, pour la personne interrogée, il s’agissait de faire comprendre à
l’enquêteur que la « marginalité » de nombreux individus sur la quartier de la Découverte,
serait dû à l’innée et non pas à une situation liée à des acquis (contexte social et familial
défavorable pour l’ « ascension sociale »). Si ce genre de propos est marginal dans les
quelques paroles recueillies dans le cadre de cette étude, il fait pourtant écho à l’idée selon
laquelle la population résidant à la Découverte est de toute façon « particulière »,
« différente ».
Dans un registre moins stigmatisant, on peut entendre parler de « populations
démunis ».
Enfin, nous pourrions établir une corrélation, a priori, entre la nature des propos tenus
et la distance du lieu d’habitation des individus avec le quartier de la Découverte. En somme,
plus le lieu de résidence des personnes interrogées est éloigné géographiquement du quartier
de la Découverte, plus les propos tenus à l’égard de ce dernier et de ses habitants sont négatifs
et semblent s’éloigner de la réalité.
b- Des stratégies d’évitement mises en place par les résidents des autres quartiers…
Par l’éclairage fourni par des entretiens réalisés, pour cette recherche, avec des
individus vivant hors du périmètre de la ZUS, nous voyons clairement que le choix du
quartier de la Découverte comme territoire de vie est systématiquement écarté. Il y a une
unanimité quand il s’agit de citer le quartier de Saint-Malo dans lequel « on » n’aimerait pas
habiter. Le nom du quartier est automatiquement mentionné par les interrogés comme « le
quartier où il ne fait pas bon vivre ». Certes, il est bon de rappeler que le panel d’individus
sollicités pour cette enquête est assez restreint, et il ne s’agit pas d’aboutir à des conclusions
trop rapides et simplificatrices ; néanmoins, les quelques propos recueillis nous permettent
142
d’entrevoir la manière ont celui-ci est perçu : habiter à la Découverte est synonyme d’ « échec
social », vivre dans ce quartier c’est être resté bloqué dans « l’ascenseur social » au niveau
des étages inférieurs.
Au mieux, le quartier de la Découverte s’inscrit-il aujourd’hui encore, au début du
parcours résidentiel de quelques rares ménages mais la plupart du temps reste le territoire des
« assignés à résidence », un « purgatoire », un entre-deux mondes d’attente d’une improbable
sortie pour rejoindre la société des habitants de la « céleste cité » malouine…
Ajoutons cependant que, les quartiers de Bellevue ou de Marville, limitrophes au
quartier de la Découverte se situent en bonne place dans le classement des « non choix » des
quartiers à privilégier pour le choix de son lieu d’habitation. Mais, s’ils sont parfois cités par
les enquêtés, c’est toujours après le quartier de la Découverte, ce dernier étant invariablement
rejeté par un véritable « cri du cœur ».
Au-delà du rejet du quartier comme territoire d’élection pour le logement, la
Découverte n’est réellement fréquenté par les individus extérieurs au quartier que pour son
centre commercial, son centre culturel et d’animation (le centre Allende et la salle de
spectacle « l’omnibus ») et pour les services administratifs du centre Bougainville. Les
équipements culturels excentrés, par ailleurs, par rapport au quartier sont les seuls à drainer
une population exogène venant des autres quartiers de Saint-Malo et même au-delà en ce qui
concerne la salle de spectacle (CUCS, DAUF, 2006). Sans doute ces équipements sont-ils
d’ailleurs fréquentés par une grande part d’individus n’habitant pas à la Découverte. On peut
se demander ainsi s’ils ont encore une vocation d’équipements destinés au quartier. Le centre
commercial semble attirer une population plus diversifiée a fortiori en période estivale où il
connaît un large afflux de touristes. Mais, si effectivement le centre draine un public au-delà
du périmètre de la Découverte, ce public provient essentiellement de quartiers se situant à
proximité de la Découverte : Bellevue, Marville…Autrement dit, le centre commercial de la
Découverte, contrairement au centre commercial de la Madeleine et du centre Leclerc tous
deux situés à la sortie de la commune, n’a pas vocation semble-t-il à attirer une population
résidant dans les centres urbains « historiques » : Intra-muros, Saint-Servan, Paramé…selon
les enquêtes INSEE précédemment dans cet exposé.
143
La rue des Antilles qui traverse le quartier est le seul axe de circulation interne au
quartier réellement utilisé par les résidents des autres quartiers de Saint-Malo (DAUF, 2007).
Cet axe, qui traverse le quartier du Nord au Sud, a donc une fonction de jonction entre les
quartiers Nord et les quartiers Sud, mais est évidemment loin d’être le seul à jouer ce rôle
dans la commune. En outre, cet voie permet une traversée de la Découverte sans que les
individus qui l’empruntent n’aient à leur vue les secteurs du quartier les plus « délabrés ».
Cette idée nous inciterait à effectivement évaluer de manière plus précise par qui précisément
cet axe de circulation serait utilisé…
Certaines personnes interrogées travaillent en partie ou exclusivement sur le secteur de
la Découverte. Il est intéressant de noter que celles-ci occupent dans la plupart des cas des
postes dans le domaine des carrières sociales et paramédicales : assistante sociale, éducateur
spécialisé, aide médico-psychologique, infirmière à domicile. Ces individus possèdent donc, à
priori, une bonne connaissance du quartier et de ses habitants. Or, les propos tenus sur le
quartier reste assez semblables à ceux tenus par les individus n’ayant aucun liens quelqu’ils
soient avec le quartier ou ses habitants. On ne fréquente pas le quartier en dehors du temps de
travail pour « éviter de rencontrer ses patients » au centre commercial par exemple, ce qui
peut se comprendre et, ce comportement serait sans doute le même si le lieu de travail se
situait dans un autre secteur de la ville. Mais, ce qui est notable est que la perception du
quartier reste la même. A titre d’exemple les expressions telles que « quartier triste et
ennuyant », « cas sociaux », « alcoolisme très répandue » sont récurrentes pour qualifier ce
secteur de la ville et les gens qui y vivent.
Il est dit également par les interrogés que la Découverte « n’est pas un quartier
fréquentable la nuit »et sur le ton de « l’humour » qu’ « on ne va pas se fournir en drogues là-
bas »...
Ce qui ressort de cette enquête est finalement une « représentation très anxiogène du
logement social » par les quelques résidents interrogés vivant en dehors du périmètre du
quartier de la Découverte. Le logement social de type HLM, à Saint-Malo comme ailleurs
visiblement (Madoré, 2004) paraît associé « à la figure du pauvre, du délinquant »…
L’étude de la ségrégation socio-spatiale passe par une évaluation de la mobilité des individus
occupant l’espace qui fait l’objet de la dite étude. Le terme de mobilité pouvant être entendu
en tant que « mobilité résidentielle », nous précisons qu’ayant abordé le thème du « parcours
résidentiel », nous entendrons ici le mot mobilité, dans le sens de la capacité de chacun à se
144
mouvoir dans l’espace, à investir son quartier ou sa ville pour les déplacements, les activités
du « quotidien ». Ce thème de la mobilité, de l’inégale accès aux services et aux équipements
selon le lieu d’habitat peut se justifier d’être présent dans une étude sur la ségrégation car il
renvoie aux problématiques liées à l’enclavement de certains espaces, trop souvent abordées
comme nous l’avons dit sous l’angle des « coupures urbaines », de l’obstacle physique que
peuvent constituer certaines infrastructures pour les « habitants » résidant sur un espace
donné. Une recherche sur l’étude d’éventuels mécanismes ségrégatifs à l’œuvre sur un
territoire peut donc difficilement se dispenser d’aborder ce sujet de la mobilité.
Mais la mobilité est le fait d’enjeux encore plus capitaux et dépasse aussi le simple fait
de se mouvoir dans la ville. Parler de mobilité, c’est aussi et surtout essayer de mettre en
lumière l’existence ou non d’une « mise à l’écart » de certaines populations, d’essayer de
montrer s’il existe des espaces (publics) appropriés et totalement investis par certains groupes
d’individus dont seraient exclus les franges les plus pauvres de la population d’une ville…Ici
encore, plus que de répondre catégoriquement à une question qui nécessite, de toute évidence,
des investigations très approfondies et devant l’ampleur de la tâche, nous soulèverons
simplement les questions qui inciteraient à prolonger une recherche dans ce sens…
2-Les pratiques du quartier et de la ville par « les habitants » : entre soi contraint
généralisé ou réalité multiforme ?
a-Pertinence des critères retenus pour évaluer ces pratiques. Quels « habitants » pour
quelles pratiques ?
Pour évaluer la mobilité de la population d’un quartier nous sommes forcés et
contraints dans un premier temps d’utiliser des regroupements statistiques basés sur des
critères démographiques, de statuts économiques et sociaux –dans le cas des sources dont
nous disposons dans le cas présent - aboutissant à la formation de catégories pré-définies
administrativement et que l’on voudrait croire homogènes. Aussi, aborderons-nous le sujet de
la mobilité, faute de mieux, à travers le prisme de catégories telles que les « les jeunes » , « les
retraités » etc. Cependant, à certains moments les enquêtes statistiques pour l’étude de la
mobilité et des facteurs explicatifs liés à cette « problématique » ne font même pas cette
distinction, pourtant déjà homogénéisante, entre ces différentes « catégories »
145
d’ « habitants ». C’est justement ce dernier terme qui est employé, renvoyant l’étude des
« pratiques du quartier et de la ville » à une série de constats peu signifiants et négligeant la
diversité des « pratiques » indépendamment du contexte social ou du capital culturel des
individus, sans doute à prendre en compte dans la mesure ou ce dernier est significatif dans la
capacité de chacun à investir l’espace. En d’autres termes, un individu sans qualification à la
situation économique précaire-dont les ressources seraient issues de minima sociaux- peut par
exemple faire d’une bibliothèque municipale un lieu qu’il fréquente régulièrement ou aimer
aller à l’opéra. Aussi, le « stéréotype » récurrent à la lecture de certaines études, émanant de
catégorisations statistiques, qui voudraient que les « populations assistées » n’aient pas
« accès à la culture » se révélerait en partie inexacte. Mais, peut-on dire que parce qu’un seul
individu fait exception à « la règle » à laquelle il est « soumis », le constat « populations
démunis » égale « populations peu portées à accéder aux équipements culturels » est remis en
cause ? Assurément non. Mais, le fait qu’il existe même très marginalement des
comportements en porte-à-faux avec « ce qui est convenu » de dire, à « ce qui appartient au
sens commun des études chiffrés » portant sur des « masses » de populations doit-il être
exclu ? On se doit de répondre également par la négative. Cependant, seule une étude portant
sur de grandes échelles pourrait parvenir à faire ressortir ces « exceptions à la règle », ces
particularismes…Nous essaierons donc, parallèlement à la présentation de résultats d’études
diagnostics de proposer à la lecture les quelques propos recueillis lors de notre recherche qui
permettent –certes modestement- d’aller au-delà d’une approche globale statistique du thème
de la mobilité.
A propos des critères retenus pour « évaluer » la mobilité on évoquera successivement
« l’estime de soi » puis les « activités et le lien social ».
Le premier critère se révèle pertinent pour une telle étude, dans le sens où il révèle les
comportements des individus selon leur « état d’esprit » qui semble –dans le cadre de notre
étude en tout cas- « influencé » par « une » image de leur lieu de vie souvent peu flatteuse qui
leur est renvoyée. En d’autres termes, -et sans établir une thèse dont les fondements seraient
de toute manière peu solides- la « réputation » faite au quartier aurait « un impact »
sur l’estime que l’on porte à soi et ferait émerger « des » comportements qui se traduiraient
par des hésitations, voire un refus à « investir » un quartier déconsidéré et une gêne, une
« honte » à fréquenter des lieux à l’échelle de la commune. L’utilisation du conditionnel pour
justifier l’utilisation de ce critère est de rigueur dans le sens où cette « variable « estime de soi
» est assurément à modérer dans les conséquences qu’elle peut engendrer dans la capacité à
146
« être mobile ». Combien d’individus font fi de cette « image négative » de leur quartier ?
Cette « image du quartier » n’est, par ailleurs, assurément pas le seul facteur influençant
« l’image de soi »…
Le deuxième critère retenu semble lui moins « subjectif » , dans ses fondements, pour
une évaluation de la mobilité. Il semble tout à fait possible, de prime abord, de corréler la
nature et l’ampleur des activités sociales pratiquées avec la capacité de chacun à investir son
quartier ou sa ville. Dans un premier temps d’analyse, on serait alors tenter de dire que plus le
lien social est fort plus les activités sociales qui créent ce lien sont importantes et que par suite
la mobilité s’en trouve d’autant plus renforcée et inversement…En outre, cette dernière
analyse doit donc prendre en considération l’existence de certains paramètres comme le
niveau d’équipements du quartier par rapport à celui d’autres quartiers de la commune ;
« l’inégale accès aux équipements » renforçant « la hiérarchie socio-spatiale » (Madoré,
2004)…
Mais ne pas appartenir à une association, par exemple, est-elle révélatrice d’un réel
isolement ? « Le droit à la misanthropie » serait-il simplement réservé aux plus riches ?
Vouloir rester chez soi pour se consacrer à des activités qui ne nécessitent pas la création d’un
lien social relève-t-il de la « pathologie » ? Par ailleurs, peut-on imaginer que « les
populations les plus pauvres » aient simplement une tendance à trouver des façons de
« s’occuper » en dehors des opportunités offertes par les réseaux associatifs …
b- Réputation faite au quartier et image de soi : quelle(s) incidence(s) pour « investir »
le quartier et la ville ?
L’enquête menée en 2001 par l’Agence de sociologie pour l’action - OPAC Emeraude
Habitation intitulée « La situation de vie des habitants du quartier de la Découverte. Pré
diagnostic exploratoire dans le cadre du projet de requalification du quartier de la
Découverte » fait état d’entretiens difficiles à réaliser dans ce cadre, du fait des nombreuses
enquêtes faites sur le quartier entraînant « une lassitude » des « habitants » à répondre aux
questions qui leur sont posées. Ces enquêtes étant jugées comme « n’aboutissant à rien » de
très significatif pour « changer la vie des habitants du quartier ». Les enquêteurs ont
considéré que cet état de fait « témoigne d’une grande lassitude, d’un sentiment
147
d’impuissance fort » et s’explique aussi par « le repli sur le présent et la difficulté ou le refus à
envisager des projets d’avenir quelqu’ils soient ». L’ enquête conclut à « un manque d’énergie
collective et d’investissement » pour le quartier.« Les habitants » répugnent à « s’investir
durablement » pour « un quartier qui pâtit d’une mauvaise réputation […] que les habitants
reprennent à leur compte. L’image négative qui leur est renvoyée les blesse et plutôt que de
s’en défendre ou de la contrer , les habitants l’adaptent et s’en rendent responsables »(Le
Goaziou, 2001). Précisons cependant que l’étude, d’où ces propos sont tirés, s’est effectué sur
un laps de temps très court : 3 jours…Sans faire de procès d’intention aux responsables de
l’étude, on peut se demander néanmoins si dans de telles conditions, les conclusions qui en
ressortent émanent uniquement du discours des habitants ou bien si elles n’ont pas été
« enrichies » par des extrapolations à partir de stéréotypes préexistants… Un responsable de
l’OPAC interrogé cette fois pour les besoins de la présente recherche va dans le même sens de
ce qui a été dit précédemment : « l’image du quartier est négative[…] les habitants ont
l’impression d’être délaissés[…] cette image de quartier ‘pourri’ se ressent dans les écoles.
Les enfants reviennent avec la certitude que leur quartier est ‘pourri’ et qu’ils ne valent
finalement pas mieux .» Entre autres comportements qui illustrent cette « honte » d’habiter le
quartier : le fait que des enfants qui rentrent en bus de l’ école descendent aux arrêts avant que
celui-ci ne pénètre dans le quartier…
Globalement, on constate « une grande insatisfaction à tous les niveaux ». Par
conséquent, il n’existerait pas « de socle véritable sur lequel s’appuyer pour mener des actions
en vue d’améliorer la vie dans le quartier »(Le Goaziou, 2001). « Les habitants les plus actifs,
les plus ‘vitaux’, les ‘forces vives du quartier’ sur qui il faudrait s‘appuyer pour engendrer une
dynamique de changement sont ceux ‘qui veulent partir’ » (Ibid., 2001).
Si effectivement, à l’écoute des paroles entendues lors de nos entretiens avec quelques
habitants du quartier, certains individus semblent pâtir de cette image dévalorisante du
quartier au point d’avoir de réelles conséquences sur leurs « comportements », à l’instar de cet
homme habitant un logement social et se présentant comme un « invalide à
100% » : « l’image du quartier est négative […] en dehors du quartier je n’ai que de
mauvaises relations […] les gens savent d’où je viens. On se fout de moi… Avant je
sortais…plus maintenant », au regard d’autres entretiens, nous avons pu constater ici et là des
« états d’esprit » qui ne semblent pas conditionnés par cette « image du quartier ». Ainsi cette
retraitée habitante d’un immeuble situé face au centre Bougainville affirme : « j’ai déjà
148
entendu des tas de remarques au sujet du quartier. Mais les gens disent n’importe quoi. Ils ne
connaissent pas le quartier. Il y a la même chose ailleurs […] Je ne me sens pas du tout isolée
ici […] Il y a déjà beaucoup d’équipements ici…L’annexe de la mairie en bas à proximité
d’ici : c’est super ! »
L’exemple de cette femme, également retraitée, qui habite dans un HLM depuis 34 ans
dans le « secteur » de l’Ile Crozet -décrit dans les rapports diagnostics comme le « coin » du
quartier qui « cumule le plus de handicaps » tant « au niveau social que fonctionnel »- fait
taire certains a priori. Elle tient des propos laissant présumer que sa faible « mobilité », de
prime abord, ne serait, en aucun cas, liée à une mauvaise image du quartier à laquelle elle
s’identifierait. Aussi déclare-t-elle : « Je n’ai jamais entendu de remarques particulières sur le
quartier. Je ne sais pas comment les ‘autres’ jugent le quartier. Je ne sors pas du quartier car je
n’ai pas besoin de le faire. Ici, il y a le centre commercial, les médecins : ça suffit. »
Les entretiens réalisés avec des habitants de la zone pavillonnaire semblent appuyer
l’idée selon laquelle « cet espace ne souffre pas vraiment d’un déficit d’image » de l’avis des
différents acteurs intervenant sur le quartier. Suivant cette idée, nous serions amenés à penser
que « l’image du quartier » ne serait pas constitutive de « l’image de soi » pour ces personnes
interrogées et que celle-ci n’influencerait donc pas les « pratiques du quartier ou de la ville »
des résidents de cet espace.
Cependant, ce constat serait paraître paradoxal au vu des fait exposés plus loin (Cf
Partie III-3). En effet, les habitants du pavillonnaire interrogés semblent également parfois
souffrir de ce « problème d’ image du quartier » au même titre que les individus du « parc
social » ; les références au quartier de la Découverte –au vu des entretiens effectués avec des
habitants d’autres quartiers de la commune- se situant sur le mode d’un discours réduisant la
Découverte à « un parc HLM indésirable ». Aussi, entend-on de la part des personnes
rencontrées dans le « secteur » pavillonnaire que « c’est très bien ici », « qu’on ne tient pas
rigueur des critiques sur le quartier » et qu’ « on a tout à portée de la main, alors on sort très
peu du quartier ».
Finalement, on conjugue les deux modes : on reconnaît que le pavillonnaire à une
« bonne image » à l’intérieur du quartier : c’est comme cela que les acteurs agissant sur le
quartier le définissent, mais aussi on s’approprie les remarques désobligeantes sur le quartier
venant des « gens de l’extérieur ». Cependant, ce discours négatif sur le quartier est, a priori,
plus vigoureusement et fréquemment rejeté par le « monde pavillonnaire ». Ainsi, ce discours
149
peut être considéré comme participant peu à la construction de « l’image de soi » ; cette
dernière ne devant que peu influencer la mobilité des résidents des maisons
individuelles…Toutefois, en rédigeant ces lignes, nous prenons conscience de la faiblesse
d’une telle analyse…
Tenter d’évaluer dans quelle mesure « l’estime de soi » influence les « pratiques » des
espaces se révèle de toute manière difficile. Cerner la part de l’influence de « l’image du
quartier » sur l’image que les habitants ont d’eux-mêmes est une entreprise périlleuse qui tient
plus de la psychologie sociale, voire de la psychanalyse –individuelle par essence- et qui sort
du domaine de compétences du seul géographe (même social).
De plus, si l’ « image de soi » a une influence sur la mobilité, d’autres paramètres que
ceux liés aux « effets de réputation » entrent en jeu, à coup sûr, pour « construire » une
représentation de soi…
Enfin, si « l’estime de soi » est un critère qui « a du sens » pour évaluer les « pratiques
de la ville ou du quartier », celui-ci ne peut pas être exclusif. Aborder la question du « lien et
des activités sociales » en prenant en considération la densité des équipements sur le quartier
par rapport à d’autres espaces de la commune, permet d’aller plus loin dans l’analyse des
phénomènes de mobilité ou de non-mobilité. Mais est-ce suffisant ? Un quartier « bien
équipé » est-il forcément « bien investi » par exemple ? Et qu’est-ce qu’un quartier « bien
équipé » ? Tous les individus ont-ils nécessairement les mêmes besoins ? Une école, un
supermarché et un cabinet médical peuvent suffire à certains individus, alors que d’autres ne
se satisferont des équipements présents sur un espace que si ceux-ci leur apportent « l’accès à
la culture » ou des activités sportives par exemple…
c- Des activités sociales déterminantes pour « pratiquer » la ville ?
La sociabilité de voisinage à la Découverte
150
L’enquête menée en 2001 par l’Agence de sociologie pour l’action - OPAC Emeraude
Habitation, précédemment citée, pose le constat d’ « un lien social existant » à la Découverte :
« les tissus relationnels des habitants d’une part et les relations entre habitants d’autre part
semblent quasi-inexistants. » Le voisin est perçu comme « une source de nuisance
potentielle » et, « les habitants » considèrent qu’avoir « de bonnes relations avec les gens »
c’est « de ne pas avoir de problèmes avec eux ». Les relations entre « les gens » semblent
« teintées d’affects ». Celles-ci sont appréhendées sur le mode du jugement moral. Ainsi les
habitants ou voisins pourront être selon le cas « gentils » ou « méchants », on dira qu’ « ils
nous embêtent » ou « nous laissent tranquilles », qu’ils « nous en veulent » ou « nous aiment
bien »...Cette même enquête montre que les « ‘habitants’ établissent des distinctions entre eux
ou entre différents ‘secteurs’ du quartier ». A partir des propos recueillis par les chargés de
l’enquête, « une sorte de typologie des différents types d’habitants » a été établie une fois
l’enquête achevée. Cette « typologie » a pu être matérialisée ainsi :
- les « cas sociaux »
- les « gens biens »
- «ceux qui boivent » (les alcooliques)
- les « gens moraux »
Cette « catégorisation » des « types » d’habitants présents sur le quartier entraînerait « une
concurrence les uns par rapport aux autres » et pas de « coopération » entre les différents
résidents du quartier.
Les entretiens individuels effectués pour ce travail de recherche ont permis de
recueillir quelques avis qui corrèlent, en partie, les faits cités ci-dessus tout en les nuançant.
Aussi cette femme, retraité et résidante du quartier depuis 1979 déclare : « le voisin du
dessous est un ‘malade’, il est gênant avec ses chiens » avant d’ajouter : « mais j’ai de très
bons voisins de palier autrement : on s’entend très bien […] il m’arrive d’aller faire mes
courses au centre là à côté avec une de mes voisines »
Les enquêteurs de l’étude PCV, vie de quartier, extension à Saint-Malo : La
Découverte, Bellevue, la Madeleine. Sécurité, insécurité, lien social, vie associative, rapports
aux services de l’ INSEE de 2002 (Daniel, 2002) ont interrogé un panel d’environ 1000
ménages répartis dans trois quartiers de Saint-Malo (la Découverte, Bellevue, La Madeleine)
entre autres sur le thème de la « solitude et de l’ennui ». La question suivante leur a été
posée : « hier avez-vous eu l’impression d’être seul ? ». 9 % des habitants de Saint-Malo ont
151
répondu par l’affirmative contre 14,5 % des habitants interrogés vivant sur l’ensemble des
quartiers étudiés. « En cumulant solitude et ennui, c’est au total 15 % des habitants des trois
quartiers qui ont ressenti l’un ou l’autre de ces sentiments ».
Un autre paramètre a été pris en compte sur ce thème de « la solitude et de l’ennui » :
l’appartenance ou pas à un groupe d’amis. Ainsi, « parmi les habitants (de 15 ans et plus) de
ces trois quartiers, 29 % font partie d’un groupe d’amis ou d’une bande de copains ; c’est le
double si l’on considère les moins de 26 ans, et 15 % en se limitant aux 60 ans et plus ». Ces
constats établissant que « les élèves ou étudiants font plus souvent partie d’un groupe
d’amis » ou sur « la pauvreté des relations familiales » sont peu significatives quant à la
réalité existante dans un quartier ou dans un autre.
Les équipements du quartier et leur fréquentation et la participation associative
Etre membre d‘une association participe à la construction de liens sociaux (Daniel,
2002). A l’échelle des trois quartiers, l’enquête INSEE constate que « la participation
[associative] est plus importante pour ceux qui habitent le parc privé : 35 % contre 19 % dans
le parc HLM. » L’ampleur de la « participation associative » à la Découverte est illustrée par
ce chiffre de 17 %. Elle est plus importante dans le quartier de Bellevue limitrophe à celui de
la Découverte. Ainsi, ce sont 35 % des « habitants » de ce quartier qui fréquentent une
association (Ibid., 2002). L’enquête précise cependant que « pour trois quarts des adhérents l’
association est située en dehors du quartier…
Par ailleurs, chez certaines « catégories » d’individus la pratique associative est plus
répandue : « les personnes âgées », «les personnes seules ou faisant partie d’un couple sans
enfants ». A partir de l ‘indicateur CSP, on constate que les cadres et les professions
intermédiaires « sont plus fréquemment engagés dans une association » que les ouvriers
(Ibid., 2002). Mais ce constat à l’échelle de la Découverte n’a que peu de sens finalement au
regard de la surreprésentation de la « CSP ouvrier » dans la population du quartier…
Sur l’ensemble des quartiers des quartiers de la Découverte, Bellevue et la Madeleine,
on constate une « faible fréquentation » des centres socio-culturels, des maisons de quartier,
des maisons des jeunes ou des clubs du troisième âge (Daniel, 2002). 6 % fréquentent un
152
équipement sportif et 3 % une bibliothèque ou une médiathèque. En outre, 5 % des personnes
interrogés « pensent n’avoir aucun de ces équipements dans leur quartier » (Ibid., 2002).
Enfin, on nous dit que « ces résultats peuvent surprendre, car dans ces quartiers malouins, les
équipements sont plus présents qu’en moyenne au niveau national ou dans les autres ZUS de
France »(Ibid., 2002).
Mais, tenter de cerner les « pratiques du quartier » des « habitants » passe par le besoin
de faire l’état des lieux en matière de réseaux associatif, d’équipements présents. Mais aussi
connaître la densité en « équipements » dans les autres quartiers serait nécessaire pour une
approche comparative des niveaux d’ équipements. Cependant, cet état des lieux des
équipements présents dans d’autres secteurs de la ville n’est pas réalisé. Aussi, mettrons-nous
simplement en avant les éléments sans doute significatifs participant à la vie sociale du
quartier :
-la présence d’un collège et de deux groupes scolaires constitués chacun d’une école
maternelle et d’une école
-une ligne de bus passant par le rue de l’Arabie, c’est à dire dans la zone pavillonnaire
et une autre au niveau de la rue de l’Arkansas
-le centre Bougainville regroupant une antenne administrative et le centre social de la
ville
-un centre commercial rénové depuis 2002, autour duquel se sont implantées d’autres
enseignes de type magasins « discount »
- l’association Le Goëland composée d’une équipe d’éducateurs proposant en autre
des activités pour « les jeunes »
- un club de football : l’Association sportive de la Découverte (ASD) qui disposent
d’un terrain de football à proximité d’un terrain de jeu destiné à la Pétanque…
- un centre de loisirs pour « les jeunes »
- des associations caritatives : Secours populaire…
- des associations d’insertion par l’économique
- des associations de locataires : l’Amicale Emeraude Habitation…
- un comité de quartier
Les pouvoirs publics par le biais d’études réalisées sur le quartier affirment que le quartier de
la Découverte dispose d’une offre en « services » conséquente.
153
Sur la question des « manques du quartier » les habitants de la Découverte interrogés
répondent « rien du tout » à 40,6 % , « des activités pour les jeunes » à 32,8 % ». Il ne sont
que 3,1 % à déplorer l’absence de transports en commun et 0,4 % à désirer voir s’implanter
une nouvelle école ou un nouveau collège ou un lycée : « Les acteurs et les habitants
[reconnaissant] la qualité des structures scolaires » (Daniel, 2002)
Ces chiffres peuvent paraître paradoxaux. D’après les acteurs institutionnels l’offre
d’activités à la Découverte, en particulier pour les jeunes est pléthorique or c’est un sujet
d’insatisfaction pour les habitants. Face à cette contradiction, des éléments de réponses nous
sont fournis dans le projet de convention cadre du CUCS : « Les jeunes ne connaissent pas
vraiment l’offre dans ce domaine. [Il existe] un décalage entre une offre structurée et encadrée
et une partie des jeunes des quartiers prioritaires exprimant méfiance ou désintérêt vis à vis
d’une offre de loisirs jugée trop rigide. L’idéal reste ailleurs : lieux improvisés , activités en
libre service, équipements souples en termes d’accessibilité, refus de l’autorité propre aux
activités socio-culturelles ».
De plus, la mauvaise desserte en transports en commun est un constat affirmé par les
rédacteurs des diagnostics sur le quartier mais n’est visiblement pas un sujet de préoccupation
ou un problème pour les habitants. Du point de vue des « habitants » : « les transports
collectifs sont perçus comme positifs » mais sont insuffisants pour faire diminuer le sentiment
d’isolement selon les chargés de l’étude d’où sort ce constat (Le Goaziou, 2001). Deux lignes
de bus desservent le quartier, pourtant une personne interrogée nous a dit : « Je ne me sens pas
isolé grâce au bus ».
Si les « habitants » sont satisfaits de la desserte en transports en commun plusieurs cas
de figure s’imposent a priori : soit ils sortent peu du quartier pour des raisons sans doute
fortes diverses (le quartier est suffisamment doté en équipements : les habitants ne ressentent
donc pas le besoin de sortir en dehors de celui-ci ; soit ils répugnent à sortir de leur quartier
pour les raisons évoquées plus haut pouvons-nous penser (cf. : partie III-2-b)) ; soit ils
utilisent d’autres modes de transports...dernière hypothèse à mettre en perspective avec ce
chiffre de 40 % de ménages ne possédant pas véhicules (INSEE, 2002).
Ou bien, acceptons tout simplement le fait que la desserte en transports en commun est
tout simplement suffisante pour répondre aux « besoins » des habitants…Mais ce dernier
154
constat est-il acceptable pour les rédacteurs des projets urbains ? Pourquoi dire que l’offre en
transports en commun est insuffisante si les « habitants » du quartier s’en satisfont ? N’essaie-
t-on pas ici de « créer »un besoin ?
Certains diagnostics donnent l’impression de vouloir faire comprendre aux gens des
problèmes dont ils n’auraient pas conscience finalement, cachant une sorte de paternaliste que
l’on se croit en droit d’imposer à des populations dont on pense qu’elles sont dans l’incapacité
de raisonner par elles-mêmes et d’être suffisamment lucides pour analyser la situation dans
laquelle elles se trouvent…
d- Quelles mobilités pour quels « habitants » ?
Une étude fine de la mobilité des « habitants » d’un « quartier » passe par
l’observation précise de la manière dont ceux-ci se déplacent, des endroits qu’ils affectionnent
ou au contraire des endroits qu’ils considèrent comme « repoussants ». Les interactions entre
les individus, le regard porté sur « l’autre » semblent être des éléments à prendre en compte
pour évaluer les « pratiques » de la ville ou du quartier.
S’ils existent effectivement des inégalités entre individus de différents quartiers pour
l’accès à des ressources diverses ( équipements sportifs ou culturels, bassin d’emplois…)
déterminées par le lieu d’habitat alors on pourra se demander aussi dans quelle mesure les
« effets de quartier », les « effets d’adresse » conditionnent l’inégale accès aux services et aux
équipements…Les « barrières symboliques » comme le « sentiment d’être rejeté »,
« l’impression d’être indésirable » dans d’autres quartiers mais aussi les « barrières
physiques » : « coupures urbaines », transports en commun inadaptés en terme d’horaires, de
lieu de desserte, à l’intérieur du quartier et de destination ignorant les lieux extérieurs au
quartier affectionnés par les « habitants » et ceux dont la fréquentation à un caractère utilitaire
pour eux (lieu de travail, services administratifs ou médicaux), ou la faible motorisation
(difficulté « d’ accès » au permis de conduire) sont des paramètres à prendre en considération
si l’on veut réellement aborder les problématiques liées à l’éventuel l’isolement d’un espace et
ses occupants. Le diagnostic « enclavement d’un quartier » ne peut être satisfaisant si les
pratiques de la ville, le sujet de la mobilité des « habitants » n’ont pas été précisément
étudiés…
155
Appréhender les faits sociaux « sans induction ». S’intéresser de l’intérieur à la
manière dont les groupes sociaux investissent la ville, sans utiliser le plus « traditionnel »
regard extérieur pour décrire et évaluer les comportements des individus-acteurs est une piste
envisageable pour mener une recherche fine sur la mobilité. Autrement, éviter de « lire »
systématiquement la vie sociale en fonction de concepts établis par les disciplines des
différentes sciences humaines et sociales.
Raisonner sur un petit groupe d’individus en utilisant les « lois du grand nombre »
aboutit sûrement à des conclusions hasardeuses, au final. Aussi, dans le cadre d’une lecture
ethnométodologique de certaines actions banales quotidiennes : les ethnométhodes, ici la
mobilité, le groupe considéré pour l’étude, devrait être entre autre « observable », c’est à dire
à l’échelle du chercheur…
Observer in situ comment se font les contacts et évitements avec les autres. La
« production » de l’individu se faisant au contact d’autrui, les conduites s’élaborant en
fonction de l’autre, l’ individu devrait être approché à l’échelle « micro » ; l’échelle à
laquelle il est un acteur, parle seul et fait qu’il soit là…
Nous proposons ici à la lecture quelques « discours » d’habitants à propos de leurs
« conduites ». Nous avons retenu de ces paroles que, finalement, nous pouvons trouver des
comportements en termes de mobilité allant au-delà de la systématisation consistant à affecter
à une « catégorie » de population, définie statistiquement, une manière unique d’investir l’
espace.
Nous avons vu, de plus, que les espaces investis, fréquentés, ne sont pas forcément des
espaces proches du lieu de vie même pour les « plus démunis », et que par ailleurs le
paramètre «déficit d’offre de transports en commun » n’est pas systématiquement à invoquer
comme cause de la faible ou de l’absence de mobilité. Le « je ne veux pas sortir de ‘chez
moi’ » entendu lors d’un entretien est par exemple justifié par le fait que : « on est bien dans
le quartier, on a tout ce qu’il faut ici : l’école pour les enfants, les magasins, ‘le docteur’, la
pharmacie...et puis il y a les jeux pour les gamins en bas de l’immeuble. »
Cette femme, agent de service à la retraite et résidente du parc social –nous avons qualifié cet
individu à partir d’attributs liés à son statut social- assure qu’elle ne sent « pas du tout
isolée », qu’elle effectue de « nombreux déplacements dans la ville et en dehors. » « Je vais à
156
Intra [-Muros], à Saint-Servan quand j’ai des courses à faire mais aussi à Cancale, à Lanhélin
car mes enfants vivent là-bas […] Je n’ai pas besoin de voiture ni de prendre le bus car mes
enfants viennent me chercher dès que j’ai besoin de me déplacer.» Elle ajoute qu’ elle
fréquente le centre commercial « quotidiennement » et que « la maison médicale est à deux
pas » de chez elle, ce qui constitue « un grand avantage ».
Nous retrouvons cette même attitude dans les zones pavillonnaires du quartier comme
dans le parc social et qui consiste à dire que le quartier présente de « beaux avantages » en
termes d’offres de services, que « tout est à portée de mains » et que cela incite peu à sortir
du quartier par conséquent.
Si nous tenons compte de l’ensemble des entretiens réalisés pour cette recherche qui a
consisté, finalement, en une série d’approches par l ‘individu et qui n’a pas vocation à être
généralisé et encore moins à faire l’objet de différents « traitement mathématiques » qui
n’auraient aucun sens vu la faiblesse numérique de l’échantillon sur lequel nous avons
travaillé -ce qui nous ramènerait, de plus, à globaliser les comportements en termes de
mobilité- , nous avons pu constaté, qu’ à une exception près, les individus approchés ne se
reconnaissent pas dans ce qui semble être une prénotion : « l’isolement des habitants du
quartier de la Découverte », l’ « entre-soi contraint des habitants de la ZUS» de manière
générale mis en avant par les acteurs intervenants sur le quartier.
Par suite comment interpréter ces derniers constats ? Certes, d’un point de vue
statistique les objections ont nombreuses face aux résultats de notre enquête. A titre
d’exemple, une étude statistique n’est considérée comme « valable » que si elle porte sur un
« panel » d’individus d’au moins 1000 individus avec une égale répartition des différentes
catégories sociales à l’intérieur de la population étudiée. Mais justement, pour notre étude il
ne s’agissait pas de cela. Nous voulions simplement recueillir les propos de quelques
habitants pour « se faire une idée » de la réalité vécue par ces personnes indépendamment des
classifications qui produisent des « masses homogènes » et qui nient par essence les
particularités individuelles. Alors bien sûr, les « approches globales » sont un support, un outil
de décision politique sur lesquelles s’appuyer pour mettre en œuvre les actions jugées
nécessaires sur certains espaces à des niveaux d’échelle prédéfinis. Mais pourtant peut-on se
dispenser d’étudier les trajectoires individuelles, celles qui rompent avec le « sens commun »
157
pour agir efficacement sur les territoires ? Car nous pouvons difficilement douter qu’il
n’existe pas une réalité multiforme à l’échelle d’un quartier comme celui de la Découverte…
Enfin, au-delà de la « capacité » à se mouvoir dans l’espace urbain pour les
« déplacements du quotidien », les « habitants » du quartier de la Découverte ont-ils accès aux
mêmes lieux que les populations dites « aisées » de l’agglomération malouine ? En effet, en
quoi peuvent-être réellement significatifs, à eux seuls, les « taux » de fréquentation du
supermarché ou des associations du quartier de la Découverte?
La question à se poser serait plutôt : Y-a-t-il des « territoires de non-droits » pour les
habitants de la Découverte -pour reprendre à contre-sens une expression largement diffusée
par la sphère politico-médiatique- qui seraient réservés à une « élite malouine » ?
Autrement dit, certaines franges de la population malouine sont-elles exclues de
certains espaces appropriés par la « haute-société » locale ? Existent-ils à Saint-Malo
des mécanismes générant « l’appropriation privée de certaines parties de l’espace public » au
profit de cercles très fermés ? Pour cette entreprise, l’approche par l’individu ne semblerait
pas s’imposer naturellement puisque ici les enjeux de la « mobilité » se réfèrent à une lutte
des classes sociales pour s’approprier des territoires. Autrement dit, d’un point de vue
méthodologique, seule la dialectique marxiste paraît d’être à même de mettre en évidence
l’existence d’un tel phénomène…
Car c’est à ce niveau que semble se jouer les causes d’existence de phénomènes de
ségrégation-agrégation : la mise en évidence d’un hiatus entre des populations « démunis » et
une part de privilégiés qui seraient susceptibles de contrôler certains lieux. L’existence d’une
« main-mise » sur des espaces « naturelles » récréatifs, d’établissements scolaires, voire de
clubs sportifs dont l’admission du « public » est soumise au droit de regard des parents
d’élèves les plus fortunés ou à celui des adhérents les plus solvables dans le deuxième cas,
ou encore de comités de défense des beaux quartiers allant dans le sens d’une volonté
d’éviter certaines « présences inopportunes » dans des lieux « réservés » : autant d’éléments à
considérer permettant d’évaluer la réelle mobilité dans l’espace urbain des individus issus de
classes sociales « faibles » économiquement et de montrer ou non l’existence de phénomènes
ségrégatifs affirmés…
158
3-La Découverte-Espérance : un quartier qui laisse entrevoir des situations internes
différenciées…
a- Une dualité qui se dessine entre le « monde pavillonnaire » et l’ « univers » du
« grand ensemble »…
Un fait indéniable est qu’une grande majorité des habitants de la zone pavillonnaire sont
des résidents de longue date dans le quartier de la Découverte. Les personnes interrogées dans
ce secteur du quartier de la Découverte appartiennent à une classe d’âge allant de 65 à 85 ans.
Cette enquête ne prétendant pas à l’exhaustivité, nous ne généraliserons pas les faits
présentés. Cependant, les enquêtes INSEE déjà cités dans cette étude montrent que l’âge
moyen des individus dans le pavillonnaire est plus élevé que dans la zone des collectifs
d’habitation et que ces individus des maisons individuelles sont installés dans le quartier, le
plus souvent, depuis plus longtemps que les habitants du parc HLM.
Beaucoup d’habitants sont retraités (45% de la population de la zone pavillonnaire) et
peuvent être considérés comme les premiers habitants de ce secteur de la ville, les
« aborigènes » du secteur est de la ville en quelque sorte. Ces ménages constituent
véritablement la mémoire du quartier et sont les témoins de l’évolution de celui-ci depuis une
quarantaine d’années, pour certains d’entre eux. Un grand nombre parmi eux affirme avoir
choisi ce quartier pour l’opportunité qui leur était donnée de devenir propriétaire de leur
logement mais aussi pour faciliter la scolarisation de leurs enfants à l’époque où ils
s’installent sur cet espace. « Nous aurions aimé vivre dans le quartier de Paramé. Mais nous
avons fait le choix de la Découverte car on nous avait promis la construction d’une école dans
le quartier avant le quartier de Paramé, ce qui s’est effectivement passé ». Nous voyons ici
que la Découverte est finalement, au début des années soixante, un quartier attractif car il
bénéficie d’une politique volontariste pour l’installation d’équipements et de services publics.
D’ailleurs, les équipements et services du quartier : centre commercial, maison médicale,
services paramédicaux (pharmacie, cabinet de kinésithérapie) sont quasiment toujours cités
comme étant les « points forts » du quartier.
Cependant, la « belle époque » du quartier de la Découverte semble appartenir à un
passé définitivement révolu. Cette retraitée vivant rue de l’Arabie, évoque, avec nostalgie, la
période où les logements collectifs étaient encore peu présents dans le paysage urbain local :
159
« nous vivions en paix, avec des voisins charmants, les gamins jouaient ensemble à des jeux
d’enfants, pas comme maintenant avec toutes ces saloperies ( ?) qui traînent », « nous
n’étions pas au courant qu’autant d’immeubles allaient être construits dans le quartier. Au
début, il ne devait y avoir que des petites maisons. Depuis l’implantation des immeubles, tout
a beaucoup changé ici ».
Quand ces personnes abordent le sujet du projet de rénovation du quartier, elles
déclarent que « la ville a de l’argent à perdre » que « l’argent va toujours aux mêmes
personnes », qu’au mieux « ce serait peut-être un bien » mais qu’ils ne se sont pas
« informés » : « les articles dans les journaux sont confus », « on n’entend que des ragots »,
« nous comprenons mal [ce projet] » avant d’ajouter que de toute façon cela ne les concernent
pas…
Les résidents du secteur pavillonnaire refusent le plus souvent d’être considérés
comme des habitants du quartier de la Découverte. «La Découverte , c’est le long de la voie
express [l’avenue du Gal de Gaulle] », « la Découverte, ce sont les squares », « moi, je
n’habite pas à la Découverte mais à proximité du champ de course ». Ici « on est tranquille, le
quartier chaud c’est le long de l’avenue du général de Gaulle ». Le « monde » pavillonnaire
n’est pas assimilable à l’ « univers » constitué de « ces immeubles à l’architecture
désastreuse » à « toutes ces horreurs construites à la va-vite».
Plusieurs personnes interrogées avouent ne pas dire à qui le leur demande qu’elles
habitent le quartier de la Découverte. Elles usent alors de paraphrases dans lesquelles elles
décrivent la localisation de leur lieu d’habitation à proximité d’équipements ou d’espaces
« neutres » ne souffrant pas d’un déficit d’image. Ainsi, les paroles de ce retraité illustrent
cette situation : « Quand je travaillais je disais à mes collègues que j’habitais près de
l’hippodrome ». D’autres personnes résidantes dans le parc privé pavillonnaire n’hésitent pas
à dire qu’ils vivent « à deux pas du lycée Maupertuis », pourtant situé face à l’hôpital de
Saint-Malo et relativement éloigné du quartier de la Découverte à proprement parler. Cet
autre habitant tient à se désolidariser du « monde » du « grand ensemble » de la Découverte et
affirme: « je vis dans une maison qui m’appartient, situé dans une rue qui croise la rue de
Triquerville, menant à la route Rennes-Saint-Malo » et conclut « donc je n’habite pas à la
Découverte ». Cet individu veut donc se démarquer du territoire du « grand ensemble » d’une
part, en précisant clairement, son statut de propriétaire, et contredit implicitement l’idée
160
largement répandue dans le reste de la ville selon laquelle la Découverte est uniquement
un « quartier HLM » réservé à des populations peu ou pas solvables, donc essaie
inconsciemment de donner une autre image du quartier, et d’autre part, en vient presque à
faire sécession avec le « reste » du quartier, par la représentation mentale de son lieu de vie,
en s’excluant de l’espace dans lequel son lieu de résidence s’inscrit, par la description d’une
improbable localisation de son logement, sur un territoire sans nom, qui de toute façon laisse
entendre à qui sait comprendre, qu’il s’agit de la Découverte et que de ce fait cet individu nie,
son « identité » d’habitant de ce quartier.
Nous voyons bien que d’une manière générale, les ménages des secteurs
pavillonnaires, usent de circonlocutions pour masquer leur gêne d’habiter un quartier aussi
souvent dénigré. Autrement dit, les habitants la zone pavillonnaire, propriétaires de leur
logement pour une très large part, ne paraissent pas partager pas ce sentiment d’appartenance
au quartier de la Découverte avec les locataires des immeubles collectifs.
Pourtant, chaque allusion, chaque jugement négatif relatif au quartier où ils vivent
effectivement les interpellent. Si beaucoup de résidents des maisons individuelles du quartier
« refusent » d’habiter le quartier de la Découverte, ils sont souvent prompts à défendre celui-
ci dans sa globalité : « il n’y a jamais eu d’histoires dans le quartier », « la Découverte est un
quartier populaire, mais il n’y a pas de problèmes majeurs ici ». Les « gens » du secteur
pavillonnaire usent alors de comparaisons avec d’autres secteurs de la ville : « Bellevue, c’est
bien pire qu’ici sûrement », « l’Intra-Muros est peu fréquentable, on y va jamais ».
Assurément, le pire est ailleurs : « ici, il n’y a rien de comparable à ce qui peut se passer dans
certains coins de Rennes ».
Nous signalerons de plus, que les enfants de ces couples retraités ayant quitté le
domicile parental aujourd’hui, sont souvent des actifs présentant un niveau scolaire « élevé »,
souvent diplômés de l’enseignement supérieur et qui résident désormais dans des secteurs de
la ville présentant une population plus « aisée » qu’à la Découverte ou ont quitté la ville.
Citons cette femme qui déclare : « Mes filles ont réussit, l’une est magistrat, l’autre est
conseillère principale d’éducation » et cette autre qui parle de sa fille en terme élogieux : «
ma fille a toujours été douée en classe, elle était infirmière puis elle a obtenu un CAPES en
lettres et est maintenant professeur ». Elle continue en disant que sa fille a sûrement profité
d’ « un meilleur environnement pour sa réussite que si elle avait vécu en HLM…
161
b- Une micro-segmentation sociale à considérer pour une étude plus fine des réalités
sociales à la Découverte…La rue, l’îlot, l’immeuble, la cage d’escalier : des espaces
hétérogènes socialement…
A la vue des conclusions des différents rapports diagnostics relatifs au quartier,
laissant l’impression que celui-ci est finalement un espace socialement homogène, nous
sommes tentés d’interroger les faits qui nous sont présentés. En effet, « la tendance naturelle
du raisonnement statistique serait de considérer comme étant la plus pertinente l’échelle qui
fait apparaître les oppositions les plus tranchées » (Grafmeyer, 1991). Par suite, les entretiens
réalisés avec quelques habitants du quartier de la Découverte –certes insuffisants en nombre-
nous incitent à essayer d’observer la réalité sociale à d’autres niveaux d’échelles.
Si le quartier de la Découverte-Espérance apparaît dévalorisé socialement, existe-il des
espaces se dissociant de ce « marquage social dominant » ? Les études, à partir de l’échelle
des « quartiers INSEE » ayant pour but de dégager des caractéristiques types de certains
espaces semblent masquer une « mosaïque sociale » plus fine : « le changement d’échelle sur
un même objet géographique est productif d’un autre regard, source d‘enrichissement »
(Madoré, 2004). Mettre en évidence des micro-segmentations sociales à l’intérieur du
« quartier », qui plus est dans la ville, « renvoie donc à une question déterminante pour la
lecture et, a fortiori, la compréhension de la division sociale de la ville » (Madoré, 2004).
Cependant, quelles sources se révèleraient suffisamment discriminantes pour mettre en
évidence les faits évoqués ? Les recherches sur le centre historique de Nantes de Danielle
Rappetti ont pris en compte, à l’échelle de la rue, le profil fiscal moyen des ménages, « donc
de leur niveau d’aisance ou de pauvreté ». Les études de Yves Grafmeyer et Jean-Yves
Authier montrent dans le cas des secteurs centraux de Lyon « l’hétérogénéité du profil social
des segments de rue ». Yves Grafmeyer a pu, par exemple, mettre en relief « une opposition
entre les immeubles donnant sur la rue et ceux ouvrant sur une cour intérieure, les premiers
semblants plus valorisés que les seconds ». A contrario, J-Y Authier a pu souligner le fait que
dans un autre quartier de Lyon, nous étions face à un phénomène d’homogénéisation sociale :
les cadres ayant plutôt pour voisin des « professions intermédiaires » alors que les ouvriers
coexistent avec des employés.
162
Une question surgit alors : celle de « la représentation de ces micro-segmentations
sociales par la population ». Autrement dit, quel est le rôle de la variable localisation dans le
choix d’un logement ? Bien sûr, les études portant sur l’effectivité ou non de micro-
segmentations sur le quartier de la Découverte étant inexistantes, ces questions ne peuvent
obtenir de réponses qu’a posteriori ; c’est à dire à partir du moment où des recherches portant
sur d’éventuelles segmentations sociales dans le quartier seraient effectuées…
De plus –même si cette stratégie pourrait se révéler au final peu concluante sur
l’éventualité de l’existence d’une autre réalité sur le quartier- l’obligation se fait sentir de
faire l’effort de ne plus considérer les individus vivant sur le quartier comme « des habitants »
mais comme des acteurs qui s’exprime en leur nom et qui se « définissent » eux-mêmes et non
plus comme des individus qu’on a à l’avance « étiqueté » comme des « habitants du
quartier », « des chômeurs, » des « assistés » etc.
Le recensement INSEE montre qu’il existe bien des cadres et des professions
intermédiaires à la Découverte (cf. Partie II-2-f), même si ceux-ci ne constituent qu’une
frange très réduite de la population du quartier. A partir de ce constat, est-il possible de
dégager des particularismes en termes de « comportements » : sociabilité, mobilité etc. chez
ces « populations » ? L’idée d’une « tendance à l’homogénéisation sociale » à la Découverte
peut-elle être nuancée par l’étude de ces micro-segmentations au sein de la population du
quartier ?
Enfin, si nous tenons compte de l’ensemble des individus qui constituent la PSC
ouvrière ou les chômeurs dans leur ensemble est-il pertinent, d’une part, de les « définir »
seulement de cette façon et ,d’autre part, de mettre en lumière des éléments susceptibles de
les différencier pour ne pas tomber dans le travers de la « généralisation », de l’approche
réductrice qui consiste, finalement, à affecter, à chaque individu d’une « catégorie » de
population prédéfinie, un mode de vie identique ?
In fine, c’est la manière d’appréhender l’éventualité de la réalité de phénomènes
ségrégatifs à l’œuvre sur un espace qui est en jeu. Y a-t-il d’autres alternatives que l’approche
par la classe ou la catégorie sociale pour mener une étude sur la ségrégation ? En outre, cette
163
dernière notion est-elle la seule qui mérite d’être mobilisé pour éclairer les faits sociaux
existant sur un territoire ?
164
Conclusion :
Finalement, cette mise à l’épreuve de la question de la ségrégation socio-spatiale sur le
quartier de la Découverte faire surgir plus d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses
définitives. Au-delà des bilans urbano-architecturaux qui condamnent le plus souvent une
forme urbaine, née au sein d’un contexte socio-historique qui a disparu, des rapports
diagnostics généreux en chiffres statistiques sur l’emploi, l’éducation…, quelle est la réalité
dans ce quartier ? Est-il possible d’étudier le quartier du « grand ensemble » de la Découverte
en allant au-delà des stéréotypes existant sur ce type d’espace que l’on serait tenter de
s’approprier et d’apposer sur ce territoire sans tenir compte de ses singularités ?
Un autre questionnement auquel nous avons du faire face par rapport au thème de la
ségrégation est celle de la mesure. Comment pouvons-nous « mesurer » la ségrégation ? Est-
elle mesurable, par ailleurs, et surtout à partir de quand peut-on parler de ségrégation ? A quel
« niveau » doivent se positionner les indicateurs socio-économiques (si on a fait le choix
d’expérimenter par ce moyen) pour que nous puissions parler de ségrégation ? Quand passe-t-
on du territoire simplement différencié au territoire ségrégué ?
Force est d’admettre, qu’a priori, une « situation » de ségrégation n’existe que dans un
contexte particulier. Elle n’existe que si nous comparons la « situation », l’ « état » d’un
territoire par rapport à un autre. Autrement dit, il n’existe pas de référentiel immuable, un
espace auquel se référer et sur lequel il serait possible de s’appuyer pour effectuer une
comparaison avec l’espace considéré pour une étude. Aussi, la ségrégation peut paraître être
une notion très subjective. Elle dépendrait d’un contexte local…
De plus, l’objet de recherche de ce mémoire a pu, sinon se déplacer par instant, au
moins a nécessité de comprendre comment les diagnostics territoriaux posés sur un quartier
« sensible » comme la Découverte peuvent être orientés. Autrement dit, nous sommes en droit
de nous poser la question suivante : construit-on ou déconstruit-on les phénomènes
d’exclusion, de pauvreté selon les « besoins » ? De manière plus générale, nous pouvons donc
dire que l’on construit les « objets d’étude » et que l’on trouvera toujours des raisons pour
qu’ils existent mais ceux-ci resteront toujours le résultat d’un imaginaire particulier. Ils seront
165
réinterprétés. La « classe ouvrière », « les jeunes », « les délinquants » autant de constructions
pour aller dans le sens de ce que l’on désire montrer…Notons qu’aujourd’hui, l’abandon
totale de la notion de prolétariat dans les discours politiques, et l’avènement du « sociétal » au
détriment du social dans le débat public entraînent la création de catégories plus ou moins
pertinentes pour analyser les « faits sociaux ». Michel Clouscard montre bien dans son œuvre
(nous citerons « Néo-facisme et idéologie du désir. Mai 68 la contre-révolution libérale
libertaire ») que Mai 68 (dans sa dimension estudiantine) n’ a été que le cheval de Troie d’un
capitalisme rénové ayant permis l’évacuation de la scène politique du bipartisme issu du
Conseil National de la Résistance, i.e. le Gaullisme historique et le Parti Communiste
Français, laissant la voie (électorale, sociale culturelle) libre aux partis gauchistes non-
marxistes et à la droite libérale. Mai 68, soit la collusion du libertaire et du libéral…soit le
renoncement progressif au marxiste « à gauche » et la soumission au libéralisme-atlantiste « à
droite »...
L’appel à l’observation intérieure de la réalité sociale doit se faire entendre pour
faciliter et finalement faire état de la complexité et de la diversité de celle-ci. Mais doit-on
pour autant abandonner ou nier l’existence de classes sociales qu’elles soient conscientes ou
non pour décrire cette réalité ? Certainement non.
Nous avons ressenti à chaque fois que nous abordions un thème le besoin d’aller au
delà de l’analyse globalisante, somme toute relativement réductrice des réalités sociales
existantes sur le quartier. Une nécessité de descendre à l’échelle « micro » a semblé s’imposer
progressivement d’elle-même pour saisir la diversité des situations que l’on présume exister
sur le quartier. Cette notion de quartier, création administrative, nous a semblé insuffisante
pour poser un diagnostic très précis sur le quartier et, a fortiori, pour mener une étude sur la
ségrégation.
A partir de ce constat, si le quartier est une création plus ou moins artificielle (plutôt
plus que moins d’ailleurs) comment justifier une étude en choisissant un tel espace pour
appréhender la réalité sociale ? Si le quartier est une « construction », pourquoi s’étonner
ensuite, par exemple, que nombre d’habitants de cet espace ne partage pas un sentiment
d’appartenance à ce même lieu ?
166
Par ailleurs, cette étude « sur » la ségrégation dans ce contexte malouin intervient au
moment où le quartier de la Découverte-Espérance sera l’objet dans les années à venir d’une
profonde « restructuration » ; ce Projet de renouvellement urbain constituant donc le « dernier
né » des politiques de la ville.
Le Projet de renouvellement urbain du quartier Découverte-Espérance s’inscrit dans
« une démarche » visant « à favoriser un développement urbain plus équilibré et durable » par
le biais de l’exigence d’une « diversité des fonctions urbaines » et de l’objectif d’une plus
grande « mixité sociale » justement, avec en toile de fond le très en vogue principe de
« développement durable »…
On peut se demander, cependant, à quel niveau d’échelle a été portée « l’appréciation
sur le manque de mixité » ? Le quartier tout entier, visiblement, dans le cas de la Découverte,
puisqu’il n’existe, a priori, pas d’études démontrant l’existence ou non de segmentations
sociales à l’échelle de la rue, de l’immeuble, etc ; le quartier tendant vers une
« homogénéisation sociale » (Le Goaziou, 2001). Or qu’en est-il réellement de ce déficit de
« mixité sociale » sur des échelles plus grandes ?
De plus, si vraiment elle fait défaut au quartier, alors la « mixité », voulue dans le
cadre du projet urbain, sera-t-elle symbole d’échanges sur le quartier de la Découverte-
Espérance ? « La mixité construite artificiellement », selon un article Jean-Claude
Chamboredon et Madeleine Lemaire datant de 1970 peut « entraîner paradoxalement des
conflits de voisinage » et « qu’elle [est] en tout cas provisoire » puisque « les trajectoires
des ménages qui [cohabitent], pour un temps limité, dans le logement social [sont]
profondément divergentes. Les oppositions se situent entre les habitants en perte de statut et
ceux qui sont en phase promotionnelle. Autrement dit, c’est la manière dont les habitants se
représentent leur propre avenir et interprètent la place des autres qui déterminent les relations
d’alliance ou d’antagonisme » (Toubon, Tanter, 1999 in Les Banlieues : des singularités
françaises aux réalités mondiales, 2001, Hachette).
Signalons que les opérations de démolitions et reconstructions antérieures aux
« projets ANRU », s’ils avaient pour but d’ « améliorer la qualité urbaine » , ont presque
toujours été accompagnées d’un « ‘rééquilibrage social’, euphémisme qui signifie en clair
« attirer une clientèle solvable » (Vieillard-Baron, 2001).
167
Aussi, les concepts de « mixité sociale » à l’instar de celui de « développement
durable » seraient-ils au mieux des « palliatifs discursifs » cachant un « vide idéologique » ?
(Madoré, 2004 et Pelletier, Delfante, 2000)
L’ « usage contemporain du terme ségrégation » servirait à médiatiser un ensemble de
problèmes que « l’on assimile à tort, par une imprégnation d’une représentation organiciste de
la ville, à un état morbide du corps humain ». Par suite, « l’appel incantatoire à la mixité
sociale » pour lutter contre cette « pathologie » pourrait-il être autre chose qu’un « antidote
mystificateur » ? (Madoré, 2004).
Nous dirons que la question de la division sociale de l’espace ne devrait pas être
réduite à celle de l’habitat. Les travaux de Monique Pinçon-Charlot cités dans ce mémoire
mettent en évidence que finalement la configuration socio-spatiale des villes n’est pas
uniquement déterminée par la localisation résidentielle mais est également conditionnée par
d’autres facteurs se situant « hors de la sphère du logement » symbolisés par l’existence de
« clubs », de « cercles fermés », mais aussi parfois d’une « main mise » des parents d’élèves
les plus favorisés sur certains établissements scolaires, courtcircuitant l’échelon décisionnel
du chef d’établissement et démontrant cette « volonté systématique » des classes les plus
fortunées de demeurer entre elles…
L’isolement géographique ne serait au final qu’une donnée très relative. Ce qui
compterait avant tout serait la capacité de chacun à se mouvoir dans l’espace, à accéder à
certains lieux. En ce sens, nous pouvons dire que « la ségrégation rompt le contrat social
lorsque les lieux de consommation collective deviennent inaccessibles à certaines franges de
la population » (Madoré, 2004) ; soit parce qu’il existe un déficit ou une absence de mobilité
au sein de cette dernière, soit parce que certains espaces sont rendus inaccessibles du fait de
leur appropriation par des groupes restreints d’individus…
Enfin, cette notion même de ségrégation est-elle réellement la plus appropriée pour
appréhender les faits sociaux urbains ? Comment « parler autrement » des réalités sociales
dans la ville ? Le terme « ségrégation » est en effet, nous l’avons vu, porteur de sens forts
différents et de sens parfois très « forts ». Il est à signaler que nombre d’individus ignore,
d’ailleurs, son utilisation hors des « fameux » contextes sud-africains ou nord-américains.
168
De plus, son utilisation systématique pour désigner des situations différenciées sur des
espaces présentant « des difficultés » par rapport à d’autres plus « favorisés » ne revient-il pas
à accoler un mot de plus, un qualificatif « stigmatisant » supplémentaire sur des espaces qui
en sont déjà largement dotés ?
Ainsi, un nouvel enjeu se profile dans ce contexte d’opérations de renouvellement
urbain, menées sur l’ensemble du territoire français, à destination des quartiers dits
« sensibles » : évaluer, et de quelle manière, les effets sociaux de ces opérations ? Est-il
possible d’élaborer des critères multifactoriels pour « mesurer » les effets de ces opérations
brutales de démolitions et de reconstructions en termes de « mixité » et de « ségrégation » ?
Voilà un enjeu majeur pour comprendre les phénomènes existant dans l’espace urbain:
aller au-delà des mots, des qualificatifs, pour donner du sens à des « réalités » qui ne peuvent
être que plurielles…
169
Liste des sigles et acronymes :
AAH : Allocation adultes handicapés
AMSM : Archives municipales de Saint-Malo
ANAH : Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat
ANRU : Agence nationale de rénovation urbaine
API : Allocation personne isolée
CAF : Caisse d’allocations familiales
CCAS : Centre communale d’action sociale
CISPD : Conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance
CLPD : Contrat local de prévention de la délinquance
CSP : Catégorie socioprofessionnelle. Cette nomenclature a été utilisée par l’INSEE de 1950
à 1982. Elle comprend 9 grands groupes divisibles en 30 catégories socio-professionnelles.
CUCS : Contrat urbain de cohésion sociale. Les CUCS émanent d’une circulaire du 24 mai
2006 qui instaure le cadre de la nouvelle contractualisation des politiques de la ville
DATAR : Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, créée en 1963
DAUF : Direction de l’architecture, de l’urbanisme et du foncier de Saint-Malo
DIACT : Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires,
s’est substituée à la DATAR depuis le 1er janvier 2006
170
DIV : Délégation interministérielle à la ville, crée en 1988
Source: http://www.ville.gouv.fr/politique-de-la-ville/cadre-institutionnel.htm
DSQ : Développement social des quartiers, inscrit dans les contrats de plan Etat-Région dès
1988
HVS : opération Habitat et vie sociale, mise en place en 1977
ILM : Immeuble à loyer moyen
ILN : Immeuble à loyer normal
INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques
HBM : Habitation bon marché. En 1950, changement de terminologie : les HBM deviennent
HLM
HLM : Habitation à loyer modéré
HLMO : Habitation à loyer modéré ordinaire
LOV : Loi d’orientation pour la ville
LPN : Logement de première nécessité
OPAC : Office public d’aménagement et de construction.
OPAH : Opérations programmées d’amélioration de l’habitat, mises ne place en 1977
OPHLM : Office public de l’habitat à loyer modéré. Les Offices Publics (OPHLM et OPAC)
sont des établissements publics locaux relevant des dispositions de la loi du 2 mars 1982
relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. L'ordonnance
du 1er Février 2007 a intégré l'ensemble des OPHLM et OPAC dans un nouveau statut
unique: les Offices publics de l'habitat (http://www.offices-hlm.org)
OPIHLM : Office public intercommunal de l’habitat à loyer modéré
171
PAP : Programme d’aide à la personne
PDALPD : Plan départemental d’action pour le logement des plus défavorisés
PLR : Programme à loyers réduits
PLU : Plan local d’urbanisme, remplace le POS depuis la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbain du 13 décembre 2000
Les zonages issus des POS et PLU :
Les zones U (urbaines) sont considérées comme urbanisables car dotés en équipements
suffisants. Il en existe différents types. La vocation de chacune de ces zones est précisée par
une minuscule :
Ua = habitat dense ; Uc = habitat pavillonnaire etc…
PNRU : Programme national de rénovation urbaine, issu de la du 1er août 2003 dite loi
d’orientation pour la ville et la rénovation urbaine modifiée par la loi du 18 janvier 2005. Ce
programme vise en priorité les quartiers des ZUS dans le but de favoriser la « mixité sociale et
fonctionnelle » en les restructurant par des opérations d’aménagement lourdes : démolition,
construction, réhabilitation de logements et d’équipements collectifs par exemple. Les
procédures concernant le mode de financement des opérations, qui caractérisaient les anciens
contrats de villes sont abandonnées au profit de la création d’un guichet unique : l’ANRU
POS : Plan d’occupation des sols, crée en 1967
PRE : Programmes de réussite éducative, crées en 2005.
PSC : Profession et catégorie socioprofessionnelle. C’est la nomenclature adoptée par
l’INSEE depuis 1982 dans de rendre compte de manière plus approprié la réalité socio-
économique de la société française. Elle compte 8 groupes socioprofessionnels divisés en 42
catégories socioprofessionnelles. Dans la pratique, c’est l’acronyme CSP qui est toujours
fréquemment utilisé.
PSR : Programmes sociaux de relogement
RAR : Réseau ambition réussite. Mis ne place par le bulletin officiel du 6 avril 2006. Il s’agit
d’un plan de relance à l’éducation prioritaire pour favoriser l’égalité dans le souci d’une
meilleure concertation entre l’école et la famille notamment
RMI : Revenu minimum d’insertion, crée sous le ministère de Michel Rocard en 1988
SRU : Loi sur la solidarité et le renouvellement urbain du 13 décembre 2000
TCSP : Transport en commun en site propre
ZEP : Zone d’éducation prioritaire. Créées et définies en 1981 par l’Education nationale ; les
ZEP correspondent à des zones dans lesquelles sont localisés des établissements scolaires
cumulant des handicaps (taux d’échec scolaire élevé…) bénéficiant d’aides financières
supplémentaires par rapport à d’autres établissements
ZFU : Zone franche urbaine, créées par la loi du 1er janvier 1997
172
ZPPAUP : Zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager. Les ZPPAUP
crées en 1993 dans le cadre de la loi « Paysage », font suite aux ZPPAU issues des lois de
décentralisation de 1983. Les ZPPAUP élargissent les périmètres de protection des ZPPAU:
elles peuvent s’appliquer « autour de monuments historiques et dans les quartiers, sites et
espaces à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d’ordre esthétique, historique ou
culturel ». Il n’est pas nécessaire qu’il existe un monument ou un site classé ou inscrit au titre
de la loi de 1913 ou 1930.
ZRU : Zone de redynamisation urbaine
ZUP : Zone à Urbaniser en Priorité. Les ZUP ont été crées par le décret N°58-1364 du 31
décembre 1958, afin de répondre aux besoins en logements face à la croissance
démographique d’après guerre
ZUS : Zone Urbaine Sensible. Créés par la loi du 14 novembre 1996, elles correspondent à
des territoires infra-urbains sur lesquels sont axés les politiques prioritaires de la ville
Bibliographie :
173
Ouvrages :
ADEF (Association Des Etudes Foncières) ouvrage collectif, 2004, Les mécanismes fonciers
de la ségrégation, 275 p.
ALLAIN (R.), 2005, Morphologie urbaine : géographie, aménagement et architecture de la
ville, Armand Collin, coll. U, 247 p.
ASCHER (F.), 1995, Le logement en questions, L’aube, 309 p.
BACHMAN (C.), LE GUENNEC (N.), 1998, Violences urbaines, ascension et chute des
classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville, Albin Michel, 545 p.
BAUDIN (G.), GENESTIER (Ph.), 2002, Banlieues à problèmes : la construction d’un
problème social et d’un thème politique, La Documentation française, 252 p.
BEAUD (S.), WEBER (F.), 2003, Guide de l’enquête de terrain, La Découverte, 353 p.
BEAUD (S.), CONFAVREUX (J.), LINDGAARD (J.) (Sous la direction de), 2006, La
France invisible, La Découverte, 637 p.
BERTRAND (J-R), CHEVALIER (J.), 1998, Logement et habitat dans les villes
européennes, l’Harmattan, coll. géographie sociale, 241 p.
BONVALET (C.), BRUN (J.), SEGAUD (M.), 1998, Logement et habitat : l’état des savoirs,
La découverte, 420 p.
CENTRE SOCIAL DE LA DECOUVERTE, AMIDS, 2006, projet social 2006-2010
CENTRE D’ETUDES SUR LES RESEAUX , LES TRANSPORTS, L’URBANISME et LES
CONSTRUCTIONS PUBLIQUES (CERTU), 2006, dossier n° 176, Rénovation urbaine et
offre de mobilité : mieux intégrer les transports en commun en site propre aux projets de
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Ségrégation socio-spatiale, rénovation urbaine, classes scociales, urbanisme,
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centre, quartiers, banlieues, déterminisme social, pauvreté…