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UN NOUVEAU VASEDU PEINTRE SOPHILOS
PLANCHE VI
Dans son livre sur Douris 1 M. Edmond Pottier écrivait que « le
hasard seul des découvertes restreint ou augmente le nombre des
vases signés que nous plaçons sous le nom de tel ou tel artiste ».
C'est à une de ces chances heureuses que nous devons d'avoir ren-
contré, lors des sondages exécutés dans la région de Pharsale en
1931 2, les restes d'un vase qui porte la signature de Sophilos.Le vase trouvé à Pharsale est certes en médiocre état. Les
disgrâces qu'il a subies sont de date ancienne. Il avait été brisé et
recollé dès l'antiquité, car sur le plat de l'embouchure se voient
encore (fig. 1) les restes d'une agrafe en bronze, et le fragment qui
porte les sirènes (fig. 3) est percé d'un trou destiné à une autre
agrafe. Malgré d'attentives recherches dans les coins de la maison
ruinée où était apparu le premier tesson, il nous a été impossiblede retrouver tous les éléments qui composaient l'ensemble et qui en
eussent permis une reconstitution. Il a donc fallu nous résigner à
n'en recueillir que des fragments qui, recollés, se répartissent en
quatre groupes, d'un même vase, comme on le verra plus loin.
Le groupe le plus important, qui se compose de neuf fragments
1. Douris, Paris, s. d. [1904], p. 16.
2. Le 25 mai : Bulletin de correspondance hellénique, LV, 1931, Chronique, p. 453 et 492 ;
LVI, 1932, p. 98.
44 MONUMENTS ET MÉMOIRES
(fig. 1), appartient à la partie supérieure du vase 1. On y reconnaît
sans peine, outre le plat de l'embouchure 2 orné d'une bande d'ani-
maux et le bord décoré d'une bande de godrons noirs, blancs et
rouges, la scène principale qui orne le haut de l'épaule. Le
deuxième groupe (fig. 2) 3, de six fragments, figure trois bandes d'ani-
maux. Un troisième groupe (fig. 3) 4, de deux fragments, représente
deux sirènes affrontées. Un quatrième, enfin, ne comporte qu'un tesson
aux traits indistincts 5(fig. 5, au milieu, à droite), qui comprend la
partie inférieure d'une bande et la partie supérieure d'une autre.
Tous ces fragments sont de la même terre, d'une couleur brun
FIG. 1. —Fragment d'un vase de Sophilos trouvé à Pharsale (Musée national, Athènes).
1. Hauteur verticale : 52 millimètres ; épaisseur : 7 millimètres en haut de l'épaule, 9 milli-
mètres à la gauche du lion. .
2. Epaisseur : 1 millimètre bord intérieur.
3. Hauteur de la corde : 0m236 ; largeur maxima : 0m17; ; épaisseur : 9 millimètres à la bande
supérieure, 1 millimètre à la hauteur de la cassure entre le lion et le bouquetin à gauche, 7 mil-
limètres à la base.
4. Hauteur : 0m08 ; épaisseur, à droite : 9 millimètres, à gauche : 1 millimètre ; largeur.: 0m14.
5. Hauteur : 0m055 ; largeur : 0m051 ; épaisseur : 9 millimètres en haut et 0m01 en bas.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 45
rougeâtre, comme le révèlent les cassures. La face intérieure portele même vernis noir, la face extérieure un fond jaune orange.
La forme du vase peut être déterminée, encore que les quatregroupes de fragments ne puissent être recollés ensemble. Mais, si l'onconsidère l'épaisseur du vase et la courbure des éléments conservés,on obtient une reconstitution vraisemblable. Le premier groupe
porte à sa base, sous
la scène principale,une bande d'animaux.
Or l'épaisseur, me-
surée entre les pattesdu lion, est de 9 mil-
limètres, exactement
semblable à l'épais-seur de la bande su-
périeure du deuxième
groupe de fragments.Par conséquent la
bande supérieure du
deuxième groupe est
la même que la bande
inférieure du pre-mier groupe. Ces résultats sont confirmés par la comparaison de
la courbure de ces fragments, et le dessin (fîg. 4) que je dois à
l'obligeance de M. E. Gilliéron fils (auteur également des deux aqua-relles reproduites fîg. 5 et dans notre planche en couleurs) le montre
nettement. Le vase serait donc un dinos, un de ces vases très en
faveur au VIesiècle que l'on plaçait sur un haut pied. Il comportait une
bande décorative, puis trois bandes d'animaux. Sans doute sa base,
ronde, était-elle ornée de flammes. Sa hauteur totale devait atteindre
environ 30 centimètres, et le diamètre de l'embouchure était de
31 centimètres 1. Reste à situer le troisième groupe, celui des
1. On peut le comparer au vase 306 du Vatican, dont nous donnons une reproduction (fig. 6)
FIG. 2. —Fragments d'un vase de Sophilos trouvé à Pharsale
(Musée national, Athènes).
46 MONUMENTS ET MEMOIRES
sirènes : dans une bande
supérieure, on distingueles restes d'une fleur de
lotus ; or, d'après le pre-mier groupe, cet orne-
ment n'apparaît que sur
la deuxième bande ; de
plus l'épaisseur du frag-
ment, assez forte, est de
1 centimètre. Il n'y a
qu'une bande qui offre une épaisseur comparable, c'est la troisième
du vase, la deuxième du deuxième groupe, mesurée à la hauteur de
la tête de panthère à gauche.
Enfin, le trait de séparation des
bandes a la même teinte bistre
clair, et il se réduit de 3 milli-
mètres d'épaisseur à 1millimètre.
Donc les sirènes prendront placedans la troisième bande où elles
alternaient avec des lions et des
ânes. Pour le dernier fragment,à en juger d'après la courbure
et d'après son épaisseur (9 milli-
mètres), mesurée au trait de
séparation des bandes, il doit
appartenir à la troisième et à la
quatrième bandes du vase.
L'épaule (fig. 1) porte la si-
gnature du peintre, qui nous a
permis une identification cer-
FIG. 3. —Fragment d'un vase de Sophilos trouvé à Pharsale
(Musée national, Athènes).
FIG. 4. — Restitution du vase de Sophilos trouvé à Phar-
sale, montrant dans le haut et dans le bas l'emplacementdes deux premières séries de fragments.
d'après C. Albizzati, Vasi antichi dipinti -del Vaticano, Rome, s. d., fasc. III et IV, p. 102-105et pl. 29 et qui mesure 31 centimètres de haut. Cf. aussi le dinos E 874. du Louvre (Vasesant. du Louvre, t. II, p. 81-82, pl. 60 et Corpus vasorum antiquorum: Louvre, fasc. 3, pl. 15, 2,III, Hd, qui mesure 0m44 de haut.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 47
FIG. 5. —Fragments d'un vase de Sophilos trouvé à Pharsale (Musée national, Athènes),
D'après une aquarelle de M. E. Gilliéron fils.
48 MONUMENTS ET MEMOIRES
taine : IOOIAOI ; MEAPAOIEN. L'inscription, en lettres très lisibles,
hautes de 4 à 7 millimètres (fig. 7), est écrite de droite à gauche 1.
Elle rappelle la signature de l'un des fragments trouvés à l'Acropole
d'Athènes 2(fig. 10) et aussi celle du fragment de Ménidi, où elle
confirme la lecture que Wolters ne proposait qu'avec précaution 3.
Cette signature est placée au mi-
lieu de la composition (pl. VI) quidonne au vase tout son prix et dont
le sujet est l'un des épisodes des jeuxfunèbres célébrés en l'honneur de
Patrocle 4. Le peintre a pris soin de
l'indiquer par la légende :
TTATPO?AYI : ATAA 5.
Sur une estrade double, placéede profil et haute de huit degrés, on
voit, sur le côté gauche, dix person-
nages assis ou debout dont l'attention
est toute concentrée sur le qua-
drige qui, par la gauche, arrive au
grand galop. Les attitudes des spec-tateurs sont infiniment variées et
nous font oublier la gaucherie de leur
dessin. Peu importe que leur typeD'après Alhizzi, Vasi antichi...
FIG. 6. — Dinos (Musée du Vatican).
1. On y remarquera la forme du sigma; cf. P.
Kretschmer, Die griech. Vaseninschriften, Gütersloh, 1894, p. 181, § 158.
2. B. Graef, Die antiken Vasen von der Akropolis zu Athen, Berlin, 1909, I, pl. 26 et ici
fig. 10; et Klein, Griechische Vasen mit Meistersignaturen, Vienne, 1884, p. 217.
3. Jahrbuch des deutschen archäol. Instituts, XIII, 1898, p. 19 en bas : « Ich kehre deshalb
immer wieder zu der Vermutung zurück, dass ëypaqoev, allerdings mit irgend einem Schreibfehler,
da gestanden habe. »
4. Sur les jeux funèbres, cf. L. Malten, Röm. Mitt:, XXXVIII-XXXIX, 1923-24, p. 300-340.
5. Pour cette inscription je renvoie à Kretschmer, Die griech. Vaseninschriften, 1. c. : sur le
koppa, p. 100-101, § 82 ; pour le changement de 0 en u, p. 118, § 96 ; pour le changement du
0 en x, p. 154, § 136 ; pour le traitement de la diphtongue EUu, p. 137, § 119.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 49
général soit le même, qu'ils soient tous conçus comme des ombres au
corps peint en brun et en noir, tandis que les détails, cheveux, barbe
et yeux, sont indiqués par des incisions. C'était l'inconvénient de
ce style archaïque à figures noires. Sans doute encore leur visagetourné vers la gauche a une forme triangulaire 1, Toutes ces mal-
adresses dues moins à l'artiste qu'à son époque, nous les oublions
volontiers pour admirer la vie intense dont il a su animer ses petitsbonshommes. Tous, ils ont le regard fixé sur le char qui va gagnerla course; les uns sont demeurés assis, la tête penchée en avant;
d'autres, plus expansifs, allongent le bras pour encourager les
cochers, les « auriges ». Quel-
ques-uns enfin, plus agités en-
core, se sont dressés tout debout.
Au sommet de l'estrade un specta-
teur, qui attendait l'autre course,
s'est retourné, au bruit des che-
vaux ou aux cris du public, et
l'on croit entendre les appels
frénétiques, les acclamations qui
excitent les concurrents et qui
vont accueillir le vainqueur au moment décisif de 1arrivée.
Le sujet en lui-même n'est pas nouveau. C'est l'épisode bien
connu de l' Iliade, où, après avoir rendu à Patrocle les derniers
devoirs (Iliade, XXIII, 267), Achille célèbre en son honneur des jeuxfunèbres 2. L'une des épreuves est longuement racontée (vers 262-
624) : celle de la course de chars à laquelle prennent part Eumélos,
le fils d'Admète, Diomède, Ménélas, Antilochos, Mérionis. Elle a
souvent inspiré les artistes qui, a l'envi, ont rivalisé pour la repré-senter. .Mais, jusqu'alors, il était admis que, dans le domaine de la
céramique, c'était sur le Vase François que ce thème apparaissait
FIG. 7.—
Inscriptions figurant en divers points du vasede Sophilos trouvé à Pharsale (grandeur naturelle).
1. Même remarque pour les cinq personnages du côté droit. Cf. W. Deonna, Dédale, I, Paris,
1930, p. 283, avec références-bibliographiques.2. E. Bethe, Homer, Leipzig, 1914, I, p. 250, n. 2, le considère comme un morceau tardif.
TOME XXXIII. 7
50 MONUMENTS ET MÉMOIRES
pour la première fois 1. Peut-être le tableau y était-il plus complet
que sur le dinos de Sophilos, car on y voit cinq quadriges, puis
Achille qui reçoit les vainqueurs et se dispose à leur remettre le
trépied, prix de la course. Qui sait, pourtant, si sur notre vase la
scène n'était pas aussi détaillée? Nous en sommes réduits aux conjec-
tures, car il ne demeure que l'arrivée, par la gauche, du quadrige
vainqueur. Le nom même du conducteur nous échappe2 : deux
lettres, I et O, et un trait insignifiant d'une troisième ne suffisent pas
à l'assurer (fîg. 7) ; cependant j'y lirais volontiers, de droite à
gauche, le nom de Sthénélos (Iliade, XXIII, v. 511), l'écuyer de
Diomède, le vainqueur. A droite, en revanche, on lit nettement
(fig. 7) le nom d'Achille, A+i AEl 3.
Sur l'autre partie de l'estrade, symétrique de la première,
Achille devait décerner le trépied à un vainqueur. Il y aurait donc
eu, sur la partie manquante, toute une série de quadriges s'élançant
vers le but.
Il faut aussi noter dans cette scène un détail matériel curieux :
les gradins sur lesquels sont assis les spectateurs. Ils veulent figu-
rer un stade. Or on ne connaît que peu d'exemples de cette repré-
sentation. Citons d'abord une amphore dite « tyrrhénienne » au
Musée de Florence (n° 1786) 4. Trois chars s'avancent de gauche à
droite vers le but, une colonne dorique portant un trépied. Derrière
cette colonne, s'élève une estrade figurée par un damier, sur laquelle
sont assis les spectateurs, au nombre de six. Thiersch insistait
avec raison sur ce détail. Il y voyait « peut-être la plus ancienne
représentation d'un stade bâti en pierre ». Mais combien, comparés
aux personnages de Sophilos, ceux de Florence nous paraissent
1. K. Bulas, Les Illustrations antiques de l'Iliade, Lwow, 1909, Eos, suppl., vol. 3, p. 47 •
2. Je considère comme certain que le nom se rapportait au conducteur et non à l'un des chevaux,
l'inscription étant placée trop à gauche et trop haut pour autoriser cette dernière hypothèse.3. Sur ce + qui équivaut à X, cf. Kretschmer, 1. c, p. 101 et H. Payne, Necrocorinthia, Oxford,
1931, p. 160.
4. Perrot, Histoire de l'art dans l'antiquité, X, fig. 79; Pfuhl, Malerei und Zeichnung der
Griechen, Munich, 1923, III, pl. 48, n° 206; H. Thiersch. « Tyrrhenische » Amphoren (Beiträge
zür Kuntsgeschichte, Neue Folge, XXVII), Leipzig, 1899, n° 54, pl. IV, p. 53.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 51
falots ! Ils tendent eux aussi le bras dans la direction du char, mais
je ne sais pourquoi leur geste, que Thiersch jugeait très vivant 1,me semble au contraire timide et peu expressif. Quant au stade,le dessin en est très gauche. C'est bien plutôt un bloc divisé encarrés irréguliers qu'un édifice composé d'assises superposées, sirudimentaire soit-il 2.
Un autre document est plus récent. C'est un vase de Camiros,de la collection Salzmann,
qui a passé à la Biblio-
thèque Nationale 3(fig. 8).
Ce vase a surtout attiré
l'attention par la scène
d'équilibristes fréquem-ment reproduite 4. Mais
on a pris moins garde aux
spectateurs qui contem-
plent ces exercices de
voltige et qui sont assis
sur des gradins dont deux
sont colorés, l'un en noir
et l'autre en blanc, tan-
dis que le troisième est
réservé 3. Ils font, eux aussi, le geste du bras comparable à celui des
personnages de Sophilos, mais s'ils sont peints avec plus de détails
et plus d'adresse, leur attitude est moins pittoresque. La voltigeexcite moins la passion des foules ; aussi sont-ils peu nombreux, on
Phot. Giraudon.
FIG. 8. — Détail d'une amphore attique à figures noires provenant de
Camiros (Bibliothèque Nationale, Paris).
1. Thiersch, ibid., p. 63.
2. Je partage l'opinion de Pfuhl : 1. c, I, p. 249 : « eine primitiv angedeute und doch Wir-
kungsvolle Tribune voll Zuschauer », pour la première partie.3. A. de Ridder, Catalogue des vases peints de la Bibliothèque Nationale, Paris, Leroux, 1902,
n° 243, p. 150 et suiv., et surtout p. I5I-I52 ; Corpus vasorum antiq.: Bibliothèque Nationale,fasc. 2, pl. 88 et 89, avec bibliographie; Zervos, Rhodes capitale du Dodécanèse, p. 157, fig. 355,
pl. 16;. E. Norman Gardiner, Athletics of the ancient World, Oxford, 1930, fig. 205.
4. Cf. notamment Daremberg-Saglio-Pottier, Dict. des antiquités, s. v. Cernuus. fig. 1329.5. Ridder, 1. c, p. 151.
52 MONUMENTS ET MEMOIRES
les compte facilement et ce ne sont en réalité que quelques curieux
clans une baraque de foire.
Nous signalerons enfin une scène du même genre sur une fres-
que de Corneto, dans la Tomba delle Bighe ou « Tombe Stackelberg »,
datée de l'an 500 environ (fig. 9)1. Sur une plate-forme dont les
montants de bois sont visibles, un groupe d'hommes et de femmes
contemplent des jeux 2. Les ixpia sur lesquels étaient disposés les
sièges existaient dans les temps les plus anciens (Vitruve, V, 1). Il n'y
avait pas alors d'amphithéâtre et, comme pour les théâtres en Grèce,
on élevait une tribune de planches avant la cérémonie. Pareil usage
n'est pas disparu aujourd'hui. Cette peinture est donc peut-être inspirée
par un spectacle vu par l'artiste. Cependant je serais tenté d'y voir
l'influence de la céramique attique 3. En effet, l'attitude solennelle de
ces spectateurs rappelle davantage l'assemblée des Dieux à Delphes
ou encore celle de la frise du Parthénon ; cependant toute recher-
che du pittoresque n'en est point bannie : des spectateurs qui n'ont
pas trouvé place sur les gradins se sont allongés à terre sous les
D'après Weege, Jahrbuch des arch. Instituts, 1916, pl. VIII.
FIG. 9.— Fresque de la Tombe Stackelberg, à Corneto.
1. Cf. F. Weege, Etruskische Malerei, Halle, 1921, pl. II hors texte, et pl. 84; surtout:
Weege, Jahrbuch des kais. deutschen archäol. Instituts, XXXI, 1916, p. 121-123 et pl. VIII;
F. Poulsen, Etruscan Tomb paintings, Oxford, 1922, p. 24-25 et fig. 19.
2. La présence des femmes, interdite en Grèce aux jeux olympiques, était au contraire permiseselon les lois italiques, comme le suppose judicieusement Poulsen, 1. c, p. 25.
3. P. Ducati-Gigliogli, Arte etrusca, Milan, 1927, p. 60, y voit une imitation des vases à
figures rouges attiques ; même opinion de P. Ducati, Etruria antica, II, Turin, 1926, p. 79 ; sur
l'influence exercée en Etrurie par la Grèce, W. Deonna, Dédale, II, 1931, p. 289 et suivantes.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 53
sièges surélevés ; quelques-uns font de la main un geste d'encou-
ragement que nous connaissons 1.
Tous ces exemples, postérieurs à la date que l'on assigne à
Sophilos, montrent la fortune de cette représentation. Nous ne
croyons cependant pas que Sophilos l'ait vraiment inventée. Adéfaut de documents nous permettant de suivre l'histoire de cetélément décoratif, nous rappellerons que, plusieurs siècles aupa-ravant, à l'époque minoenne, les artistes s'étaient essayés à des
représentations d'un genre analogue. A Cnossos, dans le treizième
magasin, une fresque du Minoen moyen III2 représente une foule de
spectateurs, mais ils se tiennent debout. La grande fresque du
temple3 nous montre, comme le note spirituellement Evans, des
dames à leur loge de théâtre, d'où elles assistent à leur distraction
favorite, une sorte de corrida. Assurément nous voilà loin des guer-riers achéens et des jeux funèbres. La disposition des gradins est
aussi très différente, mais ce rapprochement s'imposait pour faire
comprendre combien ancienne est l'idée de peindre la foule au
théâtre ou au stade, encore que les peintures qui en subsistent soient
rares. Nous noterons enfin comment le sens du pittoresque si déve-
loppé à l'époque minoenne renaît à l'époque attique 4.
Le char qui s'avance à gauche ne mérite pas moins d'être consi-
déré de près. C'est un quadrige, dessiné de profil suivant une
convention fréquente 3. Aussi, pour faire voir les quatre chevaux,
l'artiste a-t-il recours à un subterfuge. Les chevaux sont figurésdeux à deux. Ceux du groupe de gauche restent en arrière du
bige de droite 6. Ils sont aussi placés plus près du char que ceux
1. Weege renvoie, 1. c, p. 125. pour des représentations de tribunes de la même provenanceet du même genre, à J. Martha, L'Art étrusque, Paris, 1889, p. 342, fig. 235: cippe de Chiusi,où il faudrait voir des juges couronnant des vainqueurs.
2. A. Evans, Palace of Gnossos, Londres, 1921 et suiv., I, p. 527, fig. 384 = III, p. 33, fig. 15B.
3. Ibid., III, pl. XVI et XVII, p. 46-62 et fig. 39 à 34-
4. E. Pottier, Monuments Piot, XVI, 1907, p. 119-120.5. W. Deonna, Genava, IX, 1931, p. 150: Le quadrige dans le dessin et dans le relief grec et romain.
6. Ailleurs (Corpus vasorum antiq. : Louvre, fasc. 3, pl. 15, n° 1), le peintre fait baisser la tête
aux chevaux de l'un des biges, tandis que ceux de l'autre la relèvent.
54 MONUMENTS ET MÉMOIRES
du bige droit et sur un plan différent, l'un des chevaux étant légè-
rement en arrière de l'autre. Même procédé pour ceux de droite :
le cheval de droite se tient en arrière de celui de gauche. Trois des
chevaux sont peints en noir avec des retouches d'un rouge violet 1,
et c'est là peut-être une influence corinthienne 2. Les têtes ont la
même attitude et les contours de chaque profil se répètent exacte-
ment 3. La crinière est divisée en grosses mèches et la tête est
courte. Les yeux sont formés d'un petit cercle et d'un trait court et
d'un trait long. Le cercle est surmonté d'un petit trait qui repré-sente l'arcade sourcilière. Le corps est très allongé et les pattesantérieures lui sont juxtaposées sans que le détail des muscles soit
indiqué. De là une apparence de raideur dans le mouvement. Les
éléments de l'attelage sont dessinés avec une grande précision 4.
Sur le cheval de droite (peint en blanc), on voit le collier 3; pour le
deuxième cheval (en noir) à partir de la droite, l'artiste, afin d'en
figurer le harnachement, a placé, par pure convention, le collier un
peu au-dessous des épaules. S'il l'avait placé au-dessus d'elles,
comme le voulait une position correcte, on l'eût mal distingué de
celui du cheval blanc. On reconnait aussi l'extrémité du joug, les
deux guides de chaque cheval 6 et enfin le frein 7.
Tous les traits sont reliés par une sorte de courroie en forme
de oo, destinée peut-être à les maintenir écartés et à éviter qu'ils ne
s'embrouillent. L'attitude incorrecte des animaux, qui redressent
leur encolure alors qu'ils sont en pleine course, est due à la dispo-
1. Des différences analogues se voient sur le Vase François.2. Comme le signale H. Payne, Necrocorinthia, p. 74, qui renvoie à Wrede, Athen. Mitt.,
1916, p. 296. Ce procédé n'est pas inconnu en Attique : Graef, 1. c, pl. 23, n° 591 ; 26, 27, n° 590,ou plus anciennement, pl. 13 : plus récemment, pl. 30-31, 34, 36.
3. Hauteur des chevaux : 8 millimètres.
4. Le commandant Lefebvre des Noëttes a bien voulu examiner une photographie du vase et jele remercie de ses utiles indications.
5. Lefebvre des Noëttes, L'attelage, le cheval de selle à travers les âges, Paris, 1931, t. I,
p: 12.
6. Ibid., I, p. 14.
7. Ibid,, I, p. 13.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 55,
sition défectueuse de l'appareil de traction 1. Le joug n'est employé
que pour deux des chevaux seulement. Ce sont ceux du centre, les
timoniers, qui tirent sur le joug. Auprès du joug, et formant avec lui
Un angle oblique, se détache sans doute le croisillon destiné à
écarter les timoniers des chevaux extérieurs du quadrige 2. Enfin la
ligne pointillée tracée au-dessus des guides figure l'étai en cuir ou
en corde qui, en vue de la stabilité, « reliait l'extrémité recourbée du
timon au sommet de la balustrade » 3. Tous ces détails montrent
de quel soin scrupuleuxl'artiste a fait preuve
pour rendre avec exac-
titude ce qu'il avait sous
les yeux.Les autres motifs de
décoration présententmoins d'intérêt. Le platde l'embouchure, largede 3cm6, est orné d'une
bande d'animaux « pas-sant ». De gauche à -
droite, un fragment de
sirène, puis une sirène
regardant vers la gau-
che, un lion regardant vers la droite, un bouquetin paissant, un
autre lion. Au-dessous, une bande de godrons, noirs et brun rouge,orne le haut de l'épaule. .....
Immédiatement au-dessous de la scène des jeux dont elle est
séparée par une ligne noire, vient une bande où les animaux alter-.
nent avec les fleurs de lotus. De ces fleurs il ne subsiste qu'un
fragment sur la figure I et un autre sur la figure 3. Mais leur type,
FIG. 10. —Fragments d'un vase de Sophilos trouvé sur l'Acropole
d'Athènes (Musée national, Athènes).
1. Ibid., I, p. 13.2. Ibid., I, p. 67.3. Ibid., I, p. 153.
56 MONUMENTS ET MÉMOIRES
emprunté à la céramique corinthienne 1, est bien connu. Cette fleur
de lotus est combinée avec la palmette, détail visible surtout sur le
vase de l'Acropole (fig. 10) que l'on comparera au dessin de Payne
(I. c, fig. 63, n° 13, p. 155). La présence d'un troisième pétale au
centre ne constitue pas une différence importante 2. A droite de
la palmette, l'avant-main d'un lion passant vers la gauche et tour-
nant la tête à droite, par dessein de rompre la symétrie 3. Le lion
n'est pas non plus un motif d'ornementation bien nouveau. Il pro-
cède de la céramique corinthienne où il est très en faveur, mais
sans qu'elle l'ait inventé. Car il a été emprunté aux Hittites, soit
directement (?), soit par l'intermédiaire des Cretois 4. Sur cette même
bande (cf. les fragments du vase, fig. 5), on aperçoit ensuite les
restes d'un quadrupède (bouquetin?). Sur la troisième bande,
d'abord la tête d'une panthère ; puis un âne paissant. Il tourne
le dos à un lion (ou panthère?), allant vers la droite, dont on
aperçoit les pattes postérieures. Les sirènes (fig. 3) prenaient place
dans cette bande. Elles sont affrontées. Cet animal fantastique est
extrêmement fréquent dans la céramique corinthienne par exemple,
et il se peut que ce ne soit qu'un emprunt direct de Sophilos 3.
Sur la quatrième bande (fig. 2 et 5), un reste de sirène allant
vers la gauche, et une arrière-main de lion. Dans le champ, une
rosette, élément de remplissage et souvenir de la céramique corin-
thienne 6.
Comme le fait voir cette description, ce dinos de Sophilos est
d'un grand intérêt, et combien nous paraît vieillie l'opinion de Per-
1. Payne, 1. c, p. 144 et 155.
2. Payne, 1. c, p. 198.3. Pour une intention analogue, Ch. Dugas, Revue archéologiqueIX, 1907, p. 389, qui ren-
voie à Pottier, Vases antiques du Louvre, E, 662, tome II, p. 62 (zone inférieure d'un vase de style
cyrénéen).4. Cf. Payne, 1. c, fig. 13; Ch. Dugas, Monuments Piot, XXVIII, 1926, p. 24, à propos d'un
plat rhodo-ionien trouvé à Délos, indique les origines probables de ce motif, certainement antérieur
à la céramique corinthienne.
5. Sur la sirène, G. Weicker, Der Seelenvogel in der alten Litteratur und Kunst, Leipzig, 1902,
p. 153 et suiv. et Payne, 1.1., p. 90, n° 3.
6. Payne, 1. c, pl. 36, 12, n° 1225, alabastre de New-York et fig. 68 A, p. 157.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 57
rot qui se bornait à citer le nom du peintre, ajoutant : « (artiste) de
second rang, dont l'existence ne nous est révélée que par une oeuvre
unique. Tel est le cas, par exemple, pour Sophilos... Sophilos a
signé, comme peintre, un vase dont quelques fragments ont été
retrouvés sur l'Acropole d'Athènes 1. » Ce jugement était incomplet
lorsqu'il était prononcé, puisque l'on connaissait aussi les fragmentsde Ménidi. Pour l'instant, l'oeuvre de Sophilos comprend : I° deux
séries 2 de fragmentstrouvés à Ménidi (fig.11 et 12)
3 et 2° les frag-ments d'un dinos trouvés
sur l'Acropole d'Athè-
nes 4(fig. 10) ; 3° un
fragment de lèbès pro-venant de Lindos sans
signature 5; 4° enfin le
vase de Pharsale.
Bien qu'ils repré-sentent des scènes dif-
férentes, tous ces vases
offrent entre eux des
ressemblances 6 suffi-
santes à déceler la main d'un même artiste, si les signatures nous
FIG. 11, — Fragment d'un vase de Sophilos trouvé à Ménidi
(Musée national, Athènes).
1. Perrot, Histoire de l'art, X, p. 198.2. Selon la judicieuse remarque de Payne, 1. c, p. 200, n. 1 et Beazley, Attic black-figure,
p. 14 et Journal of Hellenic Studies, 1931, p. 121 (haut, colonne de droite).3. Cf. Wolters, Jahrbuch des deutschen archäol. Instituts, XIII, 1898, pl. 1 et p. 13-28.
Corpus vasorum ant., Athènes, fasc. 1, pl. I, III, H, f, 1, 2 et texte p. 3, avec bibliographie incom-
plète ; G. Nicole, Suppl. au Catalogue des vases peints du Musée National d'Athènes, Paris, 1911,
p. 107. La reproduction de Hoppin, .4 Handbook of Greek black-figured Vases, Paris, 1924, p. 335
est mauvaise.
4. B. Graef, 1. c. ; Hoppin, 1. c, p. 337, où, le cliché ayant été inversé, la reproduction est
inexacte.
5. Blinkenberg, Lindiaka, III, Danske Videnskabernes Selskab ; Histor. filolog. Meddelelser,
Copenhague, XI, 4, 1926, p. 32-39 ; repris dans Blinkenberg, Lindos, texte, Berlin, I, 1931,n° 2629, pl. 126.
6. Bien mises en relief par Blinkenberg, 1. c, Lindiaka, p. 35.
TOME XXXIII. 8
58 MONUMENTS ET MÉMOIRES
faisaient défaut 1. Bien qu'ils se prêtent médiocrement à la compa-
raison, les personnages ont cependant un air de parenté qui frappera
l'oeil le moins prévenu. Le Poséidon ou l'Héra du vase de l'Acro-
pole ont un profil semblable à celui des spectateurs du dinos phar-
salien. Même manière, pour les hommes, de porter la chevelure.
Même forme de barbe, qui semble une pièce articulée et rapportée,
fixée aux joues par un artifice. Même nez pointu, même oeil figuré
soit par un cercle rond muni de deux traits horizontaux, soit par un
trait.
Pour les animaux, les points de comparaison sont plus faciles
encore à établir. Les animaux « passant» du dinos de Pharsale, du
vase de Lindos ou de celui de Ménidi, sortent de la même fabri-
que, j'allais dire de la même ménagerie. Les lions, debout, tournent
la tête de côté, tantôt à gauche (Pharsale), tantôt à droite (autre
fragment de Pharsale) et leur queue s'enroule en l'air. Aussi,
contrairement à l'hypothèse que Payne présentait avec de prudentes
réserves 2, le cotyle de Boston ne peut être de la main de Sophilos.La crinière des lions est traitée différemment sur le dinos de Phar-
sale, — les mèches y sont ondulées sur le cou —, tandis que sur le
cotyle de Boston elles sont à peine recourbées et se terminent en
pointes verticales, et elles sont plus abondantes. Enfin la queue n'y
est pas repliée de la même manière. Les sirènes, qu'elles regardent vers
la droite ou vers la gauche, ont le même aspect : la queue est tour-
née en l'air ; la chevelure a l'aspect d'une étoffe dentelée bordée de
franges, et elle se divise en quatre mèches qui retombent sur l'épaule 3.
Enfin il ne paraît, à Ménidi, à Lindos et à Pharsale qu'un seul
et même élément de remplissage: une sorte de rosace. Et toutes
les bandes sont limitées par des traits peints en brun plus ou moins
foncé, d'épaisseur variable 4.
1. Ce n'est le cas que pour le fragment de Lindos.2. Necrocorinthia, pl. 52, 2-3, p. 200.
3. Morin-Jean, Le Dessin des animaux en Grèce, Paris, 1911, p. 159-16o et fig. 185, y voit,à tort, une influence béotienne : cf. Louvre, dinos E 874.
4. Même sur un même vase. Sur le dinos de Pharsale, le trait.inférieur limitant la première
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 59
La technique n'est pas moins comparable. Tous ces vases sont de
la même terre rougeâtre que Sophilos recouvre d'un engobe orangésur lequel les dessins se détachent en noir. Cependant il fait un très
grand emploi de l'incision, pour tracer les contours des silhouettes,ainsi que le détail intérieur des figures (visage des personnages,crinière des animaux) 1. Il la néglige pourtant dans deux cas : par-fois — ceci est rare — le détail tracé sur le fond orange (par exempleles bras des spectateurssur le dinos de Pharsale)n'avait pas besoin d'être
soutenu par l'incision ;
puis, l'incision devient
inutile lorsque la cou-
leur blanche est em-
ployée, appliquée di-
rectement sur l'argile.Tel est le cas du cheval
blanc de la figure I.
Avec la couleur mauve, pas de règle fixe. Il n'est pas fait usage de
l'incision pour le cheval (fig. 1), ni pour le lion (fig. 2). Mais si elle
détermine les détails de la sirène (fig. 2), de la panthère (fig. 2),c'est qu'elle servait à guider la main du peintre 2. En dépit de cette
précaution, la couleur ne remplit pas exactement les contours ainsi
tracés. Elle est mal appliquée et j'oserais dire qu'elle fait songer
parfois à un coloris d'enfant : tantôt la couleur ne recouvre pas
l'espace délimité, tantôt elle en déborde 3.
FIG. 12. —Fragments d'un vase de Sophilos trouvé à Ménidi
(Musée national, Athènes).
bande a 0m002 d'épaisseur; le trait de la deuxième, de 0m001 à 0m003 ; celui de la troisième
a 0m004.
1. Mais le trait incisé n'est rempli d'aucune coloration, l'examen à la loupe me l'a assuré. Le
stylet avait simplement enlevé le vernis rouge et mis l'argile à nu. Cf. E. Pottier, Comptes rendus
de l'Académie des Inscriptions, 1982, p. 214-216.
2. On pourrait faire les mêmes remarques pour les fragments de l'Acropole ou pour ceux de
Ménidi.
3. Ces négligences seront sensibles pour l'âne de la figure 2 ou pour les sirènes de la figure 3-
60 MONUMENTS ET MÉMOIRES
Cependant, malgré ces caractères techniques communs, les
vases de Sophilos se distinguent aisément les uns des autres par le
soin qu'ils révèlent, par le choix plus ou moins heureux du sujet
représenté. Ainsi les fragments de Ménidi (fig. 11et 12) sont assu-
rément les plus médiocres ; le vase de Pharsale et le fragment de
Lindos 1témoignent d'une plus grande recherche, et le vase de
l'Acropole (fig. 10) est vraiment le plus réussi 2. Ce classement ne
prétend pas avoir une valeur chronologique. Qui sait si les frag-
ments de Ménidi n'ont pas été exécutés rapidement pour un client
qui cherchait un vase à bon marché, et s'il ne sont pas contemporains
du vase de l'Acropole destiné à un amateur disposé à « y mettre le
prix »?
J'irai plus loin : l'oeuvre de Sophilos occupe désormais une
place intéressante dans l'histoire de la céramique archaïque à figures
noires. Nous avons déjà eu l'occasion d'indiquer de nombreuses
survivances de la tradition corinthienne. Elles peuvent être aisément
précisées grâce à la belle étude de H. Payne, à laquelle nous
avons déjà renvoyé le lecteur. L'influence corinthienne se trahit,
dans la technique, par l'emploi développé de l'incision. Dans là
décoration, elle est plus nette encore : c'est à elle que Sophilos doit
sa division de la panse en zones d'animaux, son goût pour les ani-
maux fantastiques comme la sirène 3, pour les ornements floraux
comme la fleur de lotus ou la rosette, sa tendance à expliquer la
scène importante par de nombreuses légendes. Enfin, il a puisé
chez les peintres corinthiens les habitudes d'observation exacte dont
la peinture du char est un modèle accompli. On comprend main-
tenant pourquoi Payne a pu écrire que les vases de Sophilos étaient
1. Je ne le puis juger que par la photographie de Blinkenberg.2. Bien que la photographie soit tirée assez noire.
3. Les sirènes se répandent de bonne heure dans la Grèce orientale. De là elles passèrent dans
la céramique attique (Vourva) et dans celle de Vulci (Karo, Strena Helbigiana, p. 150 et suivantes)
par l'intermédiaire des artistes corinthiens (F. Johansen, Les vases sicyoniens. Paris-Copenhague,
1923, p. l32).
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 61
les produits types de la céramique « corinthianisante » en
Attiquel.Or il y a en Attique une catégorie de vases, presque contemporains
de ceux de Sophilos, avec lesquels on est naturellement amené
à faire des rapprochements 2. Ce sont les vases dits de Vourva.
Gomme on le sait, ils doivent leur nom à la nécropole attique dans
laquelle ils ont été découverts en majeure partie. Ils ont l'avantagede former un tout et ils
ont souvent été décrits
et étudiés. Selon le mot
très juste de Payne 3,
ils forment le noyau du
groupe attique et ils
datent presque de la
même époque que ceux
de Sophilos 4.
Ce qui les caracté-
rise avant tout, c'est
leur décoration en frises
d'animaux, dont les
bandes inférieures du
dinos de Pharsale offrent
un excellent modèle. Si l'on comparait la sirène et la panthère des
figures 2 et 3 avec le vase que reproduit la figure 13 (cf. Graef, 1. c,
n° 474, a) on verrait que la tête de la panthère est semblable sur
chacune d'elles. Entre les sirènes, qui tournent la tête de côté avec
le même geste, la ressemblance est plus grande encore. Dans
FIG. 13. —Fragments d'un dinos du style « de Vourva » trouvé
sur l'Acropole d'Athènes (Musée national, Athènes).
1. Payne, 1. c, p. 105. Toute la phrase serait à citer.
2. Déjà Wolters, 1. c, p. 13 et suiv., puis Blinkenberg, Lindiaka, III, 1. c, p. 34 avaient noté
quelques ressemblances.
3. L. c, p. 199.4. Payne, 1. c, p. 344, tableau chronologique. Pour ces vases, je me bornerai à renvoyer à
Nilsson, Jahrbuch des deutschen archäol. Instituts, XVIII, 1903, p. 124 et suiv. ; Perrot, Histoire
de l'art, VIII, 75-78 ; X, 67 ; Pfuhl, 1. I, I, p. 123 ; Graef, 1. I, I, n° 51-62.
62 MONUMENTS ET MÉMOIRES
ses grandes lignes, le dessin est le même. Ici comme là les sirènes
sont représentées avec une seule aile, placée de profil et très
recourbée 1. N'étaient quelques divergences dans la facture de l'oeil,
dans la frange de la chevelure ou dans le nombre des mèches, on
attribuerait ces oeuvres au même atelier. Mêmes traits de parenté
entre l'âne qui se penche sur le fragment de l'Acropole (fig. 14)2
et l'âne de Pharsale qui esquisse un mouvement analogue (fig. 2
et 5). Comme pour les sirènes, on noterait facilement des ana-
logies dans le dessin de la tête, de l'oeil par exemple. Dans toutes
ces peintures, enfin, l'incision est employée pour les détails inté-
rieurs, de même que la teinte mauve, aussi bien que le noir
brillant. Mais entre ces documents dits de Vourva et celui de
Pharsale, il y a une différence fondamentale et qui suffit à écarter
les oeuvres de Sophilos de cette catégorie: le peintre de Vourva ne
fait pas usage de la couleur blanche, et notamment dans la repré-
sentation des chevaux.
Loin de nous cependant la pensée de ne voir en notre artiste
que l'élève docile des céramistes corinthiens. S'il leur a emprunté
des procédés de technique ou des motifs d'ornementation, il ne s'est
point astreint à les copier servilement. Il aurait pu, bien avant La
Fontaine, revendiquer le mot fameux sur son imitation et se défendre
de jurer in verba magistri. Car il s'est vraiment montré original en
s'essayant à peindre les jeux funèbres de Patrocle. Ce thème sera
repris, comme on sait, par les peintres des sarcophages de Clazo-
mène 3, peut-être parce qu'ils songeaient au rôle des courses de
chars dans les jeux funèbres 4. Sophilos ne leur a pas seulement
fourni l'idée d'un thème, mais il leur a transmis ou enseigné plu-
1. Poulsen, Orient und frühgriechische Kunst, Berlin, 1912, p. 125.
2. Greef, 1. c, n° 483 a.
3. A. Joubin, De sarcophagiis Clazomeniis, Paris, 1901, et auparavant, Murray, Mon. Piot, IV,
1897, pl. 4- Voir aussi : Ch. Dugas, Bull, de corresp. hellénique, XXXIV, 1910, p. 469-477 ;Ch. Picard et A. Plassart, Bull, de corresp. hellénique, XXXVII, 1913, p. 378-417 ; Ch. Picard,Revue archéol., 1914, I, p. 223-226.
4. Perrot, Hist. de l'art, IX, p. 268.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 63
sieurs éléments de décoration. Ainsi, parmi les animaux, les lions
affrontés ou menaçant un bouquetin (Picard-Plassart, 1. c., p. 407)
apparaissent fréquemment, de même les bouquetins se faisant face ;
pour la technique, on retrouvera sur ces sarcophages l'emploi combiné
de l'incision avec les rehauts blancs (Picard-Plassart, 1. c, p. 396),les rehauts de blanc et de rouge pour les personnages. Enfin,
S. Reinach l'a signalé 1, G. Dennis avait insisté sur les rapprochements
que permettent les peintures de ces sarcophages et celles des camere
étrusques et l'on a vu
plus haut un élément
de décoration commun
à la Tombe Stackelberget au dinos de Sophilos.
On pourrait encore
trouver d'autres points
de comparaison avec le
vase de Sophilos. Dans
les vases cyrénéens2
qui commencent à être fabriqués vers le début
du vie s. les incisions sont nombreuses et fines, mais elles ne
cernent jamais que les figures noires et non les peintures rouges;dans les motifs de décoration, le lotus, la sirène tiennent une place
importante. J'en dirais autant des vases chalcidiens. H. R. W.
Smith 3 veut rapprocher le silène qui, sur le fragment de Lindos,
poursuit une nymphe de celui d'un vase chalcidien (Rumpf, Chalki-
dische Vasen, pl. 119). De même, l'Héraclès qui apparaît sur le
vase de Ménidi se retrouve sur une amphore de Paris 4. Notons
FIG.11.
—Fragments d'un vase du style « de Vourva » trouvé
sur l'Acropole d'Athènes (Musée national, Athènes).
1. Amalthée, III, Paris, 1931, p. 157 = Rev. des ét. grecques, VIII, 1895, p. 179 et sui-
vantes.
2. Ch. Dugas et R. Laurent, Essai sur les vases de style cyrénêen (Rev. arch., IVe série, IX,
1907, p. 377-409 et X, 1907, p. 36-58 ; ibid., XX, 1912, p. 88-105); et enfin Perrot, Histoire de
l'art, IX, p. 494 et suivantes.
3. The origine of Chalcidian Ware, Univ. of California, Class. Arch., I, n° 3, 1932, p. 122,n° 89.
4. Rumpf, Chalkidische Vasen, Berlin et Leipzig, 1927, p. 81, n° 3 et p. 143.
64 MONUMENTS ET MÉMOIRES
cependant que, après Pfuhl 1, Rumpf a judicieusement indiqué2
combien les rapports des vases chalcidiens étaient difficiles à établir
avec les vases attiques ou corinthiens.
Au vrai, les vases de Sophilos, et notamment le dinos trouvé
près, de Pharsale, se situent dans les vases attiques archaïques à
figures noires. Ils annoncent la série des vases « attico-corin-
thiens 3 ». Dans ces vases, comme dans ceux de Sophilos, la frise
d'animaux qui occupait la place principale sur les vases corinthiens,
est reléguée au second plan. Le « sujet » du vase, emprunté à des thèmes
légendaires, orne la partie supérieure de l'épaule. Enfin la décora-
tion révèle un esprit nouveau, elle se caractérise par beaucoup
moins de « remplissage », et elle n'est plus inspirée par cette « hor-
reur du vide » dont on a si souvent parlé.
Par là, Sophilos est le précurseur des peintres attiques comme
Klitias et Ergotimos, qui sont peut-être ses contemporains plus
jeunes. Nous ne pouvons affirmer si les détails d'architecture du
louterion de l'Acropole n'ont pas été copiés sur un modèle comme
le Vase François ou si au contraire ils ne l'ont pas inspiré 4. Ce qui
reste important, et l'on n'y saurait trop insister, c'est la place que
tient dans l' « imagerie homérique » le dinos de Pharsale. Tout
récemment, W. Zschietzschmann 5posait après Bulas 6 le principe
que le Vase François marquait vers 560 le début de cette prédilec-
tion des peintres attiques pour les légendes épiques. Il demeure
vraisemblable que la mode manifestée chez les peintres céramistes
1. L..C, t. 1, p. 201.
2. L. c.,p. 131 et suivantes.
3. J'emploie à dessein ce nom, qu'Edmond Pottier juge plus clair que celui de « tyrrhénien »
préféré par Pfuhl, 1. c, I, 248. Je crois au contraire, et le dinos de Sophilos le montre, que cette
épithète rend mieux compte de cette catégorie de vases à laquelle l'épithète de « tyrrhénienne »
fut appliquée par suite d'une fausse information sur leur origine. Cf. Pottier, Corpus vasorum ant.,fasc. 4 = Louvre, fasc. 3, III, H, d et Catal. des vases antiques du Louvre, t. II, p. 564;
4. Pottier, Calal, des vases antiques du Louvre, t. III, 640.
5. Jahrbuch des deutschen archäol. Instituts, XLVI, 1931, p. 50, Homer und die attische Bildkunst
um 560.
6 L. c, voy. ci-dessus.
UN NOUVEAU VASE DU PEINTRE SOPHILOS 60
attiques n'est pas sans rapport avec la révision pisistratide. Il est
exact aussi que la représentation de scènes homériques, à la fin du
VIIe siècle, par d'autres peintres que les attiques, repose sur une
connaissance directe ou non des poèmes d'Homère. En revanche,
conclure que pareilles scènes ne se rencontraient pas dans l'art attiqueentre 670 et 560 parce que les artistes ne connaissaient pas l'épo-
pée, à la fin du VIIe et au début du VIe siècle, c'était faire un dangereuxraisonnement ex silentio. Il est renversé par une découverte comme
celle de Pharsale et il risque de l'être encore par d'autres trouvail-
les heureuses. La révision pisistratide a incité les peintres à chercher
une source d'inspiration dans les légendes homériques de préférenceaux autres : nul ne le contestera. Mais voir là un terminus ante quem,
s'imaginer qu'auparavant les légendes épiques sont ignorées, c'est
fausser l'oeuvre de Pisistrate qui a probablement classé les ouvrages
homériques 1, mais qui ne les a pas révélés! Les artistes en avaient
une notion plus ou moins nette, en admettant, ce qui me paraît
inconcevable, qu'ils ne les eussent jamais entendu réciter par les
aèdes. Ils avaient certainement sous les yeux des modèles qui les
leur faisaient connaître. Les épisodes du cycle troyen ne, sont pas
rares sur les vases corinthiens et H. Payne2 a pu en dresser une
longue liste. Enfin la chronologie de Zschietzschmann n'est qu'une
hypothèse, qui ne sera pas accueillie sans discussion. Elle ne s'accorde
pas avec celle que propose Payne3
pour la céramique, ni avec celle
de Bérard, qui date la révision pisistratide4 de 550 environ. Elle
ne fait pas non plus la part des documents qui nous échappent.
Bref, si intéressante soit-elle, elle est trop absolue dans ses conclu-
sions pour nous satisfaire entièrement 0.
1. Schmid-Stählin, Geschichte der griech. Literatur, I, 1, Munich, 1929, p. 159 et suivantes.
2. L. c, p. 134-139.3. L. c, p. 344- '
4. La Résurrection d'Homère, Paris, I, 1930, p. 17 = L'Odyssée d'Homère, Paris, 1932,
p. 37.5. La question avait été traitée par E. Pottier, Monuments Piot, XVI, 1909, p. 100-101,
notamment.
TOME XXXIII. 9
66 MONUMENTS ET MÉMOIRES
J'en dirais autant des théories qui accusent ces artistes d'anachro-
nisme 1. Il semble probable que l'Iliade n'a connu que les chars à deux
chevaux 2, ce qui a fait suspecter le vers Il., XI, 699, et, notamment,
dans les jeux funèbres pour Patrocle il n'est point question de
quadrige. Ce type d'attelage n'a fait son apparition que vers 680
d'après Pausanias (V, 8, 7) 3. Or il paraît fréquemment, et c'est ici le
cas, sur des vases qui figurent des événements antérieurs au VIIe s., et
notre dessin montre qu'il est, au vrai, conçu comme un bige auquel
on a ajouté un cheval de part et d'autre. Mais nous ne ferons pas
grief à Sophilos de toute cette fantaisie. Elle montre que son inspi-
ration n'est pas purement livresque ou traditionnelle; elle savait à
l'occasion s'affranchir de toutes les entraves de l'atelier ou de l'école.
Peu soucieux des exigences de l'archéologie, l'artiste, alors comme
aujourd'hui, soulevait un pan du voile et montrait à ses contempo-rains un coin du monde qu'ils habitaient.
Dès lors, on voit comment ce vase de Pharsale nous fait mieux
connaître Sophilos : tout en ayant beaucoup appris chez les céra-
mistes corinthiens, il n'est pas leur élève docile. Il sait innover.
Il n'est pas à proprement parler un chef d'école ; d'aucuns peut-êtrele jugeront encore un artiste de « second rang ». Il est surtout un
peintre de transition. Ses oeuvres ont eu une influence certaine sur
la céramique attique du début du VIe siècle, qui cherche encore sa
voie, et il se fût contenté de cet éloge.
Y. BEQUIGNON
1. F. Johansen, 1. c, p. 152.
2. E. Norman Gardiner, 1. c, p. 21.
3. Ibid., p. 35.