dp un air de famille - atjv.be
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DossierPĂ©dagogique
14. - 24.01
DOSSIER RĂALISĂ PAR LâATELIER THĂĂTRE JEAN VILAR
Mise en scÚne : Olivier LeborgneAvec Marie-Line Lefebvre, Julien Lemonnier, Frédéric Lepers, Patrick Ridremont, Cécile Van Snick et Stéphanie Van VyveLumiÚres : Jacques Magrofuoco - Scénographie et costumes : Lionel Lesire
Une production de lâAtelier ThĂ©Ăątre Jean Vilar. Avec lâaide de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles. La piĂšce Un Air de famille dâAgnĂšs Jaoui et Jean-Pierre Bacri est reprĂ©sentĂ©e par lâagence DRAMA, Paris.Une collaboration avec le Centre culturel dâOttignies â Louvain-la-Neuve - www.poleculturel.be
saison 2019-2020
AGNĂS JAOUI & JEAN-PIERRE BACRI
Un Airfamillede
INDEX
SĂ©quence 1 p. 3 LâĂ©criture thĂ©Ăątrale - Jaoui et Bacri
Séquence 2 p. 7 Une comédie satirique - les thÚmes
Philippe a rĂ©ussi. MariĂ© Ă Yolande, il est cadre dans une entreprise qui emploie aussi sa sĆur Betty, une cĂ©libataire farouche. En compagnie de leur mĂšre, ils se rĂ©unissent un vendredi soir dans le triste bistrot tenu par Henri, le frĂšre aĂźnĂ©, pour cĂ©lĂ©brer l'anniversaire de Yolande. Mais les choses ne se passent pas tout Ă fait comme elles devraient se passer. Et quand Denis, le garçon de cafĂ©, se mĂȘle des histoires de famille, les rĂ©jouissances prennent des allures de rĂšglements de compte...
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Durée 1h25
sans entracte
Introduction
Un Air de famille est une piĂšce de thĂ©Ăątre dâAgnĂšs Jaoui et Jean-Pierre Bacri crĂ©Ă©e le 27 septembre 1994 au ThĂ©Ăątre de la Renaissance Ă Paris. Parmi la distribution figuraient Jean-Pierre Bacri, AgnĂšs Jaoui, Catherine Frot et Jean-Pierre Darroussin. La piĂšce obtient deux MoliĂšre en 1995. Dans la foulĂ©e, elle est adaptĂ©e au cinĂ©ma par CĂ©dric Klapisch et rafle trois CĂ©sars en 1997.
En juin 2013, la piÚce a été jouée à Londres sous le titre « A Family affair » par la compagnie Echange Theatre. Une nouvelle vie pour cette piÚce connue comme une véritable partition pour acteurs, reprise de nombreuses fois tant par des compagnies de théùtre amateur que dans des théùtres réputés.
Des dialogues justes, un humour implacable et une fine observation des relations familiales ont porté cette piÚce au rang de succÚs international.
Ce dossier pĂ©dagogique tente de donner aux enseignants la matiĂšre nĂ©cessaire pour tendre aux Ă©lĂšves quelques clefs de lecture, leur proposer des activitĂ©s, des pistes de rĂ©flexions, de dĂ©bats, ⊠avant dâĂȘtre, comme aprĂšs avoir Ă©tĂ© spectateur de Un Air de famille.
Pour vos Ă©lĂšves et vous, le simple fait dâassister Ă la reprĂ©sentation, dây prendre un minimum de plaisir ou de rebondir sur la reprĂ©sentation pour tenir en classe un Ă©change sur les enjeux et les thĂ©matiques du spectacle peut Ă©videmment suffire Ă rencontrer vos objectifs. Il est essentiel Ă nos yeux que la rencontre avec une oeuvre culturelle reste avant tout un plaisir.
Et ce spectacle, Un Air de famille, se prĂȘte tout particuliĂšrement Ă une approche du thĂ©Ăątre comme divertissement.
Nous vous proposons dans la suite de ce dossier une sĂ©rie de sĂ©quences. Pour chaque sĂ©quence, des activitĂ©s sont liĂ©es aux ressources. Celles-ci pourront ĂȘtre exploitĂ©es dans tout autre cadre que vous auriez imaginĂ©. Il va de soi quâil ne sâagit que dâexemples de sĂ©quences que vous pourrez Ă loisir adapter aux diffĂ©rentes rĂ©alitĂ©s de vos classes et de vos pratiques.
Les différentes activités sont clairement identifiées par le triangle ci-contre.
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SĂ©quence 1 / LâĂ©criture thĂ©Ăątrale - Jaoui et Bacri
1.1. Contextualisation
Cette sĂ©quence vous prĂ©sente quelques ressources afin dâaborder lâĂ©criture thĂ©Ăątrale et plus spĂ©cifiquement le style de Jaoui et Bacri. Une Ă©criture spontanĂ©e, un langage trĂšs oral, lâempreinte du cinĂ©ma, le thĂ©Ăątre de la conversation.
Les Ă©lĂšves auront lâoccasion dâaborder concrĂštement le genre en sâessayant Ă lâĂ©criture et Ă la mise en jeu.
1.2. Ressources
1.2.1. Les auteurs, AgnĂšs Jaoui et Jean-Pierre Bacri
1.2.1.1. Intentions.
« Ce qui nous a amusĂ©s et intĂ©ressĂ©s, câĂ©tait de voir que les gens reproduisaient ce que leurs parents leur avaient appris. Câest une des raisons pour lesquelles la science avance tant et les relations humaines si peu. La cellule familiale est un lieu privilĂ©giĂ© pour faire son apprentissage de lâinjustice, du sectarisme et du favoritisme. Il suffit quâil y ait deux enfants pour que lâun soit prĂ©fĂ©rĂ© Ă lâautre. Dans ces conditions, on apprend vite que, si la justice est un idĂ©al, câest avant tout un leurre. Les parents portent souvent leurs espoirs sur leur premier enfant. GĂ©nĂ©ralement déçus quand ils en ont un second, ils sâen occupent beaucoup moins. Ayant subi moins de pressions, le cadet est moins stressĂ© ; il se sent plus libre. RĂ©sultat : il est meilleur. LâaĂźnĂ© immanquablement va lâenvier et transmettre cette frustration Ă ses enfants. [âŠ] Au dĂ©part, un enfant, câest comme une bande magnĂ©tique vierge. Quâimprime-t-on dessus ? Si les parents sont gĂ©niaux, des trucs Ă peu prĂšs corrects. Si ce sont des cons, des conneries. [âŠ] Une fois endoctrinĂ©, est-ce quâon peut changer ? Ceux qui sont capables de dĂ©sapprendre se remettent en cause avec courage. Dâautres croient aveuglĂ©ment Ă leurs parents. Les miens par exemple (câest Jean-Pierre Bacri qui parle) me disaient toujours : « On est comme on est, on ne change jamais ». Si je ne me remets pas en questions, je vais transmettre ce fatalisme Ă mes enfants. »
1.2.1.2. LâĂ©criture en duo
Jean-Pierre Bacri avoue combien lâĂ©criture Ă deux est plus fructueuse : « Mes histoires manquaient cruellement de fond et de construction. Je me jetais trop rapidement sur les dialogues. Ma rencontre avec AgnĂšs fut dĂ©terminante par rapport Ă lâexigence, la rigueur, la construction, les motivations psychologiques de mes histoires. »
Leur travail mĂ»rit lentement. Ils dĂ©cident des thĂšmes en commun et aprĂšs de longues discussions, des Ă©changes dâidĂ©es, ils Ă©crivent sĂ©parĂ©ment, puis confrontent leurs versions. Ils se critiquent et, quelques fois, se censurent mutuellement. Ils cherchent alors la cohĂ©rence, la justesse de ton.
« Lâimportant, câest la prĂ©cision de la pensĂ©e. Nous avons le point commun de nous mĂ©fier de lâapproximation. A force de prĂ©ciser sa pensĂ©e, on en arrive Ă trĂšs peu de mots pour la dire. Jâaime beaucoup le dialogue, jâĂ©prouve un vrai plaisir Ă le faire, Ă trouver ce qui est le plus juste. La gageure Ă©tait dâĂ©crire trĂšs parlĂ© et de dire des choses », affirme Jean-Pierre Bacri.
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« Oui, nous voulions ĂȘtre prĂ©cis, ne pas dire autre chose que ce que nous voulions dire. CâĂ©tait un jeu de construction, au mot prĂšs. Mais finalement, les contraintes vous aident. Nous savions aussi que nous ne voulions pas ĂȘtre moralisateurs, ou exprimer des arguments. Par justice, par Ă©quitĂ©. Nous ne nous exprimons pas, mais les gens se doutent bien que nous avons notre petite idĂ©e », insiste AgnĂšs Jaoui.
« Avec AgnĂšs, ça fonctionne trĂšs bien. Quand on travaille, on nâa aucune complaisance lâun vis-Ă -vis de lâautre. Nous nous cherchons des poux Ă longueur de temps. Comme on sait que la personne en face est de bonne foi, on se laisse convaincre de lĂącher son os. Si AgnĂšs et moi Ă©crivons Ă la mĂȘme table, il y a des moments oĂč chacun doit sâisoler pour laisser libre cours Ă sa folie. Ensuite, on se retrouve ensemble pour Ă©laguer toutes les rĂ©pliques qui nous paraissent trop faciles. On ne veut pas faire rire pour faire rire. Il faut que ce que lâon raconte soit liĂ© Ă quelque chose de vrai. Sans cela, lâhumour tourne Ă la dĂ©connade. »
Au théùtre, ils ont écrit ensemble Cuisine et dépendances (1991) et Un Air de famille (1994), dont ils ont également écrit les scénarios pour leurs adaptations cinématographiques (1992 et 1996).
Pour le cinéma, ils ont produit les scénarios de Smoking/No Smoking (1993), On Connaßt la chanson (1997), Le Goût des autres (1999), Comme une image (2004), Parlez-moi de la pluie (2008), Au Bout du conte (2013) et Place publique (2018).
1.2.2. Un style Ă part Un Air de famille est inclassable. Câest un nouveau genre que lâon dĂ©couvre avec cette piĂšce : comique, mais sans ĂȘtre du thĂ©Ăątre de boulevard. Ă cela sâajoute une observation de lâĂąme humaine (voir thĂšmes de la sĂ©quence 2) qui confĂšre Ă cette oeuvre une place Ă part dans le thĂ©Ăątre français. Cette piĂšce, novatrice Ă lâĂ©poque, nâest pas sans rappeler le thĂ©Ăątre anglo-saxon.
Câest aussi une Ćuvre qui se transpose aisĂ©ment au cinĂ©ma. Peut-ĂȘtre AgnĂšs Jaoui et Jean-Pierre Bacri, comĂ©diens de cinĂ©ma expĂ©rimentĂ©s, ont-ils conservĂ© dans leur Ă©criture la marque du 7e art.
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1.2.2. Le thĂ©Ăątre de conversation Un Air de famille peut ĂȘtre assimilĂ© Ă ce que lâon nomme le thĂ©Ăątre de conversation. « On appelle ainsi des textes oĂč lâĂ©change verbal et les enjeux de la parole constituent Ă eux seuls lâessentiel ou la totalitĂ© de lâaction. Mimant la conversation et ses accidents dans un contexte oĂč la situation est mince, ou Ă peu prĂšs rĂ©duite Ă la parole, les dialogues sont construits Ă partir des enjeux quâimpose lâĂ©change verbal. LâidentitĂ© des personnages peut sây rĂ©duire Ă celle des sujets parlant et se construire Ă partir de ce quâils Ă©noncent. » 1
Les échanges entre les personnages relÚvent du langage oral, ce qui produit un rendu trÚs réaliste : ils parlent comme dans la vie. Les caractéristiques du langage oral sont les suivantes :
âą L'emploi d'interjections est abondant: Tiens, bon, et alors.., tu vois !
⹠Les procédés de mises en relief, reprise nominale par exemple, ou procédés qui permettent d'insister sur un point, sont souvent présents : La neige, elle tombe du ciel.
⹠Dans l'énonciation, les temps du discours sont, essentiellement, le présent et le passé composé.
⹠La syntaxe est caractérisée par phrases courtes, reprises, pauses...
⹠L'emploi des déictiques (présentatif, pronom démonstratif) est nécessaire car l'oral se réalise en situation : il y a, c'est.
âą On peut remarquer l'emploi du on.
âą La simplification dans l'oral, l'Ă©lision, est trĂšs commune : yâa au lieu de il y a.
⹠Dans la négation, ne n'est pas souvent utilisé.
⹠On retrouve des marques suprasegmentales, ainsi, l'interrogation se trouve dans l'intonation : tu viens ? ou formulée avec est-ce que ..?
RepĂ©rez dans lâextrait suivant les caractĂ©ristiques du langage oral.
DENIS - Elle veut quelque chose dâautre, la demoiselle ? (Elle fait « non » de la tĂȘte) ⊠Non ?... Elle veut pas encore un petit apĂ©ritif ?
BETTY - Non. Elle veut rien, merci.
DENIS - Câest vrai ?...
BETTY - Ben oui.
DENIS - Elle va bien reprendre une petite Suze, non ?
BETTY - Non, non, ça va aller, merci.
Un temps. DENIS - Elle est en colĂšre, la demoiselle, on diraitâŠ
RINGAER Jean-Pierre, Lire le théùtre contemporain.1
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BETTY - Oh, ça va, arrĂȘte, DenisâŠ
Un temps. DENIS - Tu fais la tĂȘte ?
BETTY - Pas du tout.
1.3. ActivitĂ© / Ăcriture dâune scĂšne
Les Ă©lĂšves se positionnent comme scĂ©naristes. Cette activitĂ© peut se concevoir aussi bien en aval quâen amont du spectacle. Les Ă©lĂšves se divisent en petits groupes. Chaque groupe tente de crĂ©er, dâabord par lâĂ©crit, une petite situation/scĂšne.
Etape 1 / CrĂ©ation des personnages Les personnages, au nombre maximum de quatre, sont les membres dâune mĂȘme famille, autour dâune table. Imaginez, tout dâabord, la carte dâidentitĂ© pour chacun des personnages.
Exemple :
Nom : Van Dessel PrĂ©nom : HervĂ© Surnom au sein de la famille : Vidi Ăge : 36 Lieu de vie : Tournai Situation familiale : CĂ©libataire ActivitĂ©s professionnelles : Disquaire CaractĂ©ristiques physiques : Grand barbu Composantes morales : MesurĂ©, susceptible, ne parle pas facilement de ses sentiments Ă sa famille,âŠ
Etape 2 / RĂ©daction des dialogues Les cartes dâidentitĂ© peuvent aussi ĂȘtre lĂ©guĂ©es Ă un autre groupe qui sâimaginera les Ă©changes parlĂ©s au sein de cette famille. La conversation prime ici sur les actions. Veillez Ă respecter les codes de lâĂ©criture thĂ©Ăątrale. Respecter le statut, le caractĂšre et le registre de langue des personnages choisis.
Etape 3 / Mise en jeu IdĂ©alement, les scĂšnes Ă©crites seront ensuite redistribuĂ©es Ă dâautres et jouĂ©es devant le groupe classe. La phase Ă©crite se trouve alors confrontĂ©e au jeu scĂ©nique. Riche de cette expĂ©rience, lâĂ©crit peut Ă©ventuellement ĂȘtre adaptĂ©, aprĂšs avoir observĂ© en groupe ce qui fonctionne en jeu, ou ce qui ne fonctionne pas/plus.
Partagez-nous le rĂ©sultat de vos travaux ! Nous pourrons alors les relayer Ă lâĂ©quipe qui a crĂ©Ă© le spectacle. >>> [email protected]
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Séquence 2 / Une comédie satirique - les thÚmes
2.1. Contextualisation
Cette seconde sĂ©quence a pour objectif dâaborder les thĂšmes qui traversent la comĂ©die satirique Un Air de famille, tout en donnant quelques repĂšres sur les personnages et lâintrigue qui les lie.
Les extraits seront un point de départ à quelques discussions à mener en classe, ou à tout autres découvertes.
2.2. Ressources
2.2.1. Lâargument
Chaque vendredi soir, la famille Mesnard se rĂ©unit au bar-restaurant de banlieue « Au pĂšre tranquille », tenu par lâun des fils, Henri. Ce soir-lĂ est particulier : Philippe, le second fils de la famille, vient de passer Ă la tĂ©lĂ©vision rĂ©gionale et son Ă©pouse Yolande fĂȘte son anniversaire. Betty, la sĆur cadette, vient quant Ă elle de dire ses quatre vĂ©ritĂ©s Ă son patron, qui est aussi celui de son frĂšre Philippe⊠Tous sâapprĂȘtent Ă poursuivre la soirĂ©e au restaurant. Ils nâattendent plus quâArlette, lâĂ©pouse dâHenri, mais elle tarde. Lorsquâelle se dĂ©cide Ă appeler, câest pour annoncer Ă Henri quâelle ne reviendra pas ce soir.
2.2.2. Constellation des personnages
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Betty Philippe
Yolande
Henri
[Arlette]
Denis
La mĂšre
patro
n
emplo
yé
2.2.3. Une comĂ©die satirique Une satire est un « Ă©crit dans lequel lâauteur fait ouvertement la critique dâune Ă©poque, dâune politique, dâune morale ou attaque certains personnages en sâen moquant ». Dans Un Air de famille, AgnĂšs Jaoui et Jean-Pierre Bacri soulignent les dysfonctionnements et hypocrisies des relations et de la communication interpersonnelles.
2.2.3.1. Les relations familiales
Un Air de famille prĂ©sente une famille moyenne dans un moment relativement quelconque de sa vie quotidienne. Le repas de famille devient le lieu de confrontation, de rĂ©vĂ©lation, dâĂ©clat de vĂ©ritĂ©. Lâimage paisible, convenue, de la famille cĂšde devant la difficultĂ© des relations.
à partir des extraits suivants, décrivez les relations entre les personnages dans Un Air de famille.
Extrait 1
HENRI - Tu parles comme un homme, tu bois comme un homme, ça ressemble Ă quoi, ça ? Câest pas comme ça que tu vas trouver quelquâun, je te le dis tout de suite⊠Moi, câest pour ton bien que je te dis ça, hein⊠On nâattrape pas les mouches avec du vinaigre⊠Tâas plus beaucoup de temps Ă perdre, je te signaleâŠ
BETTY - Merci, Henri, je pense que ça va beaucoup me servir, jâavais besoin de quelque chose de pas compliquĂ©, qui me remette sur la bonne voie, et tu as trouvĂ© exactement ce quâil fallait dire : « On nâattrape pas les mouches avec du vinaigre » !! Alors que moi, je croyais quâil fallait du vinaigre ! Tu mâaides beaucoup, câest incroyable ce quâun simple dicton peut faciliter la vie ! (Un temps. Elle se calme) ⊠Tu dis toujours que tu ne veux pas quâon te prenne pour un imbĂ©cile, Henri, mais il faut faire des efforts, toi aussi, de ton cĂŽtĂ©âŠ
Extrait 2
HENRI - (Ă Denis) Tiens, va voir un peu si elle est rentrĂ©e, tu montes, tu tapes, et tu lui dis que tout le monde lâattend, si elle est lĂ âŠ
DENIS - Et si elle est pas lĂ ?... Non, je plaisante, patron. (Il sort.)
LA MĂRE - Il prend beaucoup de libertĂ©s, celui-lĂ âŠ
PHILIPPE - Tu as mis ton beau gilet du vendredi, Riri, je voisâŠ
LA MĂRE - Il a une bonne planque, lui, ici⊠Il bouquine, il plaisante⊠Et il est logĂ© gratuitement⊠Il vit comme un prince, il a bien de la chance dâavoir un patron comme toi, tu sais⊠Tu ne le traumatises pas, hein⊠Il ne faudrait pas quâil se moque de toi non plusâŠ
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HENRI - Il est pas logĂ© gratuitement, il me paye un loyerâŠ
PHILIPPE - ArrĂȘte, Henri, je ne veux pas enfoncer le clou, mais tu sais bien que tu pourrais louer deux fois plus cher, câest un vrai deux piĂšces, ça se loue trois mille francs au bas mot, ce genre dâappartement, tu lui fais un Ă©norme cadeau⊠Tu perds mille cinq cents francs par mois, le calcul est simpleâŠ
LA MĂRE - Et avec ces mille cinq cents francs par mois, tu sais ce que tu pourrais faire ?
HENRI - Je sais, maman, changer la dĂ©coration, tout ça, je saisâŠ
LA MĂRE - Tu sais, mais tu ne le fais pas⊠Je crois voir ton pĂšre, tu as exactement le caractĂšre de ton pĂšre, quand il a achetĂ© ce cafĂ©, il nâa mĂȘme pas mis un coup de peinture, il aurait pu en faire quelque chose de bien, en se creusant un peu la tĂȘte, je ne sais pas, moi, un endroit accueillant, qui donne envie de rentrerâŠ
PHILIPPE - Tu vas nous raconter lâhistoire du pub, maman ?
LA MĂRE - Oui !! Oui !! Moi, je voyais un pub, en tout cas quelque chose de chaleureux, de distingué⊠Mais pour ça, Ă©videmment, il aurait fallu un peu dâambition⊠Pffff ! Tu penses, lâambition !! Il ne savait mĂȘme pas ce que ça voulait dire⊠Sa seule ambition, câĂ©tait « Au PĂšre Tranquille », voilĂ ce que câĂ©tait.
HENRI - Je sais tout ce que tu penses de papa, ce nâest pas la peine de me le rĂ©pĂ©ter, et lui aussi, il le savait, tu lui as dit mille fois, sur tous les tons, sâil Ă©tait pas mort, tu lui dirais encore, moi jâen suis trĂšs fier, de papa !... Et tant mieux si je lui ressemble !
BETTY - De toute façon, je ne vois pas ce que papa vient foutre là -dedans, on te parle pas de papa, là , on te parle de la décoration, là , on te dit simplement que tu pourrais faire un effort.
Extrait 3
BETTY - (glacée) Il y a certaines choses que je trouve bien plus choquantes que mon vocabulaire, moi.
LA MĂRE - Quoi, quâest-ce que ça veut dire, ça, quel rapport ?
BETTY - Ăa veut dire quâon peut ĂȘtre extrĂȘmement grossier sans dire un seul gros mot, voilĂ ce que ça veut direâŠ
LA MĂRE - Quâest-ce que tu me racontes ?...
BETTY - (nây tenant plus) Depuis le dĂ©but de la soirĂ©e tu ne tâinquiĂštes que des petits problĂšmes de Philippe, alors quâHenri se morfond dans son coin⊠Tu appelles ça comment, toi ?... De la dĂ©licatesse ? De la dĂ©cence, peut-ĂȘtre ?...
LA MĂRE - âŠ
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BETTY - Philippe par-ci Philippe par-lĂ !! Il est peut-ĂȘtre merveilleux, ton Philippe, nâempĂȘche quâil parle Ă sa femme comme Ă une sous-merde !! Ah ! tu me trouves grossiĂšre, lĂ , hein ? Eh bien moi, câest lui que je trouve grossier, alors tu vois⊠On nâest pas dâaccord !!... Et traiter Denis comme un chien, comme tu viens de le faire, lĂ Ă lâinstant, par exemple, ce nâest pas grossier ? Enfin je dis « comme un chien », je ne devrais pas, câest encore ce quâon traite de mieux, les chiens, dans la familleâŠ
La mĂšre reste interdite. Un temps. LA MĂRE - Eh bien dis donc⊠Je ne savais pas que jâĂ©tais un monstre pareil, pour toi⊠(Elle se met Ă pleurer.)
2.2.3.2. Le couple
Lâon retrouve trois couples en difficultĂ© dans Un Air de famille : Betty et Denis, Henri et Arlette, Philippe et Yolande.
Extrait 1
BETTY - [âŠ] On ne devait pas se voir mercredi ?
DENIS - Euh⊠Mercredi ?... On ne devait pas sâappeler ?
BETTY - Non, câest toi qui devais mâappeler.
DENIS - Moi ? Comment, moi ?
BETTY - âŠ
DENIS - Je tâai dit que jâappellerais, tu en es sĂ»re ?
BETTY - Oh, arrĂȘte, je tâen prieâŠ
DENIS - Mais attends !... Je ne mâen souviens pas : est-ce que jâai dit que jâappellerais, moi ?
BETTY - Bon, Ă©coute, je ne mâen souviens pas non plus, voilĂ !!... Ăa me dĂ©prime, cette conversationâŠ
Un temps. DENIS - Tu es sĂ»re quâon avait prĂ©cisĂ© les choses Ă ce point ?
BETTY - âŠ
DENIS - Alors, dans ce cas-lĂ , jâai complĂštement oubliĂ©. Câest bizarre.
BETTY - Ce nâest pas si bizarre que ça, ça arrive une fois sur deux.
Petit temps. DENIS - Mais pourquoi tu nâas pas appelĂ©, toi ?
BETTY - Bon. Euh⊠Denis. On va arrĂȘter cette⊠cette chose, lĂ , cette espĂšce de relation merdeuse, Ă la petite semaine, on va arrĂȘter de se voir et puis
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câest tout. Hein ? On va arrĂȘter tout ça. (Un temps) Ăa ne changera pas grand chose, mais ce sera clair, au moins.
DENIS - ⊠Cette relation « merdeuse », tu dis ?...
BETTY - Câest une image.
DENIS - Oui⊠Câest une image forte.
BETTY - Cette relation Ă la con, si tu prĂ©fĂšresâŠ
DENIS - Ben⊠oui, Ă la limite, je prĂ©fĂšre⊠(Denis encaisse) Bon⊠(Silence) ⊠Câest toi qui dĂ©cidesâŠ
BETTY - Comme dâhabitude.
Un temps. Denis est assis, son chiffon sur les genoux. Il est sonnĂ©. DENIS - Je ne comprends pas. On ne sâest jamais rien promis ?... Toi, tu⊠Tu attends autre chose ?
BETTY - Quoi ?! Quoi ?! Quâest-ce que tu veux que jâattende, je nâattends rien, je ne te demande pas de te marier, je suis comme toi, jâai ma vie, tu sais⊠Je te demande dâappeler quand tu dis que tu appelles !!...
Extrait 2
Le tĂ©lĂ©phone sonne. Henri dĂ©croche. HENRI - Oui, Le PĂšre Tranquille, jâĂ©coute (Philippe sort)⊠Ah ! Alors, tâes oĂč ?... Mais tu sais quelle heure il est ?... Ah bon ? Et pourquoi ?... Mouais⊠Ah bon⊠Mouais⊠Mmmmh⊠Et tu as besoin de partir chez ta copine pour rĂ©flĂ©chir, tu peux pas rĂ©flĂ©chir Ă la maison ?... Mais Ă quoi ? Ă quoi tu veux rĂ©flĂ©chir ?... Je comprends rien, je comprends pas ce que tu me dis⊠(SâĂ©nervant) Qui câest qui tâa foutu ces idĂ©es dans la tĂȘte, dâabord ?... Et tu choisis le vendredi soir, pour me faire ça ?... (Il tĂąche de se dominer) Bon. Ăcoute, Arlette, Ă©coute, je vais te proposer quelque chose : tu viens ce soir... Et tu commences Ă rĂ©flĂ©chir Ă partir de demain, par exemple⊠Bon, eh ben, prends-la ta semaine, prends quinze jours, prends toute la vie, si tu veux, jâen ai rien Ă foutre !!... Je te parle comme je te parle !!! (Et il raccroche brutalement. Un temps) ⊠« Câest pas la peine dâen faire un drame », il faudrait que je rigole, que je prenne ça calmement, tu vas voir si je vais prendre ça calmement, je vais aller lĂ -bas, je vais lui foutre mon poing dans la gueule Ă celle-lĂ !
DENIS - Ah oui, ça peut la toucher, çaâŠ
HENRI - Câest nouveau, ça, dâaller rĂ©flĂ©chir une semaine, rĂ©flĂ©chir Ă quoi ?... (Un petit temps) VoilĂ ! Quâest-ce que je vais leur raconter, maintenant, ils vont me dire « elle est oĂč, Arlette ? », je vais leur rĂ©pondre quoi, moi ? (Un temps. Il cogite) Elle est avec quelquâun, câest ça ?
DENIS - NooooonâŠ
HENRI - Câest quoi, alors ? (Un temps) Jâai pas de considĂ©ration, moi ?
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DENIS - ⊠Câest-Ă -dire⊠?
HENRI - De la considĂ©ration, je ne sais pas, je comprends mĂȘme pas ce que ça veut dire, il paraĂźt que jâai pas de considĂ©ration pour elle, quâest-ce que tu comprends, toi ?
DENIS - Je ne sais pas, que vous la traitez mal, non ?...
HENRI - Moi ?! Moi, je la traite mal ?!
DENIS - Câest ce quâelle ditâŠ
HENRI - Je la traite trĂšs bien !!!... De toute façon, on se voit jamais, je voudrais la traiter mal que jâaurais pas le temps⊠Je travaille treize heures, je mange, je dors, et voilà ⊠Câest tout ce que je fais !!...... (Un temps, il accuse le coup) ⊠Pfffffff⊠Je suis dĂ©goĂ»té⊠DĂ©goĂ»tĂ©âŠ
DENIS - Elle va revenir⊠Le temps de se remettre les idĂ©es en place, quoiâŠ
HENRI - Ouais⊠(Il en doute)
DENIS - Ăa fait du bien, de rĂ©flĂ©chirâŠ[âŠ]
HENRI - Si tu te mets Ă penser Ă tout, il y a toujours moyen de trouver quelque chose qui va pas, alors euh⊠On sâen sort plus !!... Il te dit quoi, le maire, quand tu te maries ?
DENIS - « Vous ĂȘtes unis par les liens du mariage. »
HENRI - Non !
DENIS - Ah si !
HENRI - Avant ! Il te dit quoi, avant ?
DENIS - Je ne sais pas, moi⊠« Vous vous devez fidélité »⊠?
HENRI - Non, non, non, il te dit : « Pour le meilleur et pour le pire » !⊠VoilĂ ce quâil te dit ! Il y a pas Ă rĂ©flĂ©chir, si ça va, tu es content, si ça va pas, tu patientes⊠Câest comme ça, la vie⊠Elle me connaĂźt, elle sait comment je suis ?... Bon, je vais pas changer maintenantâŠ
Extrait 3
YOLANDE - Câest trĂšs important, Betty, tu ne te rends pas compte⊠Câest lui qui a Ă©tĂ© choisi pour reprĂ©senter la boĂźte, alors quâil nâest que numĂ©ro 4⊠Il nâest que numĂ©ro 4, Philippe, on dit toujours « directeur », « directeur », mais en fait non, il est numĂ©ro 4⊠(Un petit temps) On devait partir huit jours, lĂ , on avait prĂ©vu ça depuis un an au moins, on a Ă©tĂ© obligĂ© dâannuler⊠Alors tu vois, câest important, hein⊠(Un temps) On devait partir huit jours, tranquilles, sans les enfants pour une fois, et puisâŠ
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2.2.3.3. La communication
Dans Un Air de famille, on parle beaucoup, mais lâon peut se demander si la parole est vecteur de communication, dâĂ©change.
Extrait
LA MĂRE - Tu Ă©tais trĂšs bien, Philippe, fais-moi confiance⊠moi, je tâai regardĂ© avec beaucoup dâattention, tu nâas absolument pas Ă tâen faire, câĂ©tait trĂšs court, ça a durĂ© deux minutes, tu as souri tout le temps, tu Ă©tais trĂšs sympathique, tu nâas aucun reproche Ă te faire, crois-moi.
HENRI - Vous voulez boire quelque chose ?
LA MĂRE - (Ă Betty) Tu as une tout petite mine, toi, dis-moiâŠ
BETTY - Ah bon ?
YOLANDE (Ă Philippe) - Tu te fais du souci ?
PHILIPPE - Hein ? Non, pas du tout.
HENRI - Vous buvez quelque chose ?
LA MĂRE (Ă Betty) - Tu es fatiguĂ©e ?
BETTY - Non, ça va trĂšs bien, tu me fais peur, lĂ âŠ
HENRI - EST-CE QUE VOUS BUVEZ QUELQUE CHOSE ?!!!
PHILIPPE - Quâest-ce qui te prend, de crier, comme ça ?
LA MĂRE - Tu mâas fait peur, imbĂ©cile !...
HENRI - Ăa fait trois fois que je demande !
PHILIPPE - Et alors ?... On ne tâa pas entendu, tu te doutes bien que si personne ne te rĂ©pond, câest que personne nâa entendu, non je ne veux rien boire, moiâŠ
LA MĂRE - Moi non plus, on nâa pas le temps, on va y aller, maintenant⊠OĂč est Arlette ?
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2.3. Activité / Discussions
Voici quelques pistes de discussions proposées, aprÚs avoir été spectateurs de Un Air de famille. Certaines permettent, au-delà du scénario propre à la piÚce, de nourrir un débat et faire retentir les thématiques dans le quotidien des élÚves, leurs familles, leurs relations.
- LâĂ©volution des personnages - La famille : type ou stĂ©rĂ©otype ? - La relation mĂšre / enfants - Les reprĂ©sentations du couple - Les images de la femme - Le rĂŽle des personnages absents (le pĂšre, Arlette, Benito) - La relation maĂźtre (Henri le patron) et valet (Denis le serveur) - Parler est-ce communiquer ? - LâĂȘtre et le paraĂźtre - Le mĂ©lange des genres : est-ce une comĂ©die ? Quels sont les enjeux du thĂ©Ăątre
contemporain ? - Les diffĂ©rentes formes de comique - Les codes de lâĂ©criture thĂ©Ăątrale (fiction, structureâŠ) - Lâadaptation cinĂ©matographique (par CĂ©dric Klapisch) : dâun code Ă lâautre, avec quels
enjeux ? - âŠ
Pour aller plus loin, dâautres pistes de rĂ©flexions, discutez les propositions suivantes.
« Parler est un besoin, écouter est un art » Goethe
« Il ne suffit pas de parler, il faut parler juste » William Shakespeare
« Savoir parler a toujours Ă©tĂ© savoir se taire, savoir quâil ne faut pas toujours parler » Octavio Paz
« Les auditoires ne se composent pas de gens qui écoutent, mais de gens qui attendent leur tour pour parler »
Alphonse Karr
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