droit des successions (année 2008...
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Droit des successions
(année 2008 – 2009)
Cours de Mme S. FERRE – ANDRE
Séance numéro 3 : Les droits du conjoint survivant
I.- Les droits du conjoint survivant après la loi du 3 décembre 2001
Documents : FERRE-ANDRE (Sylvie), « Des droits supplétifs et impératifs du conjoint survivant
dans la loi du 3 décembre 2001 (Analyse raisonnée de quelques difficultés) »,
Defrénois 2002, article 37572.
Tableau de synthèse.
Lectures : CASEY (Jérôme), « Droit des successions : commentaire de la loi du 3 décembre
2001 (2ème
partie) », Revue juridique Personnes et Familles février 2002, page 6.
GRIMALDI (Michel), « Les nouveaux droits du conjoint survivant », Actualité
Juridique Famille 2002, page 48.
HAUSER (Jean), « La loi du 3 décembre 2001 protège les époux négligents », Petites
Affiches 12 juillet 2002, page 76.
PIEDELIEVRE (Stéphane), « Réflexions sur la réforme des successions », Gazette du
Palais 5 et 6 juin 2002, page 2.
RENAUD (Benoît), « Droits du conjoint survivant : conséquences pratiques pour le
notariat de la loi du 3 décembre 2001 », Actualité Juridique Famille 2002, page 54.
II.- La vocation légale du conjoint survivant
Jurisprudence : Cass. Civ. 1ère
, 3 janvier 1980, Bulletin civil, I, numéro 4.
Cass. Civ. 1ère
, 25 avril 1984, Bulletin civil, I, numéro 136 ; Defrénois 1984, article
33353, observations MALAURIE.
Cass. Civ. 1ère
, 6 février 2001, Bulletin 2001 I N° 28 p. 18
Avis n° 006 0009 du 26 septembre 2006 de la Cour de cassation, à paraître au JO.
Document : MALAURIE (Philippe) et AYNES (Laurent), Cours de droit civil, Tome VII, Les
successions – Les libéralités, Cujas, 4ème
édition, 1998, numéro 104 : les droits du
conjoint survivant dans les principaux pays d’Europe.
Lectures : CATALA (Pierre), Jurisclasseur Civil, Vis Successions – Droits du conjoint
successible – Nature, montant, exercice, Fascicule 10.
CHEVRIER (Jérôme), « Les droits du conjoint survivant à travers l’Europe »,
Actualité Juridique Famille 2002, page 58.
FLOUR (Yvonne), « Les nouveaux droits ab intestat du conjoint survivant », Gazette
du Palais 2 et 3 octobre 2002, page 27.
MATHIEU (Michel), « La vocation légale du conjoint survivant en présence d’enfants
ou de descendants », J.C.P. 2002 éd. N., Pratique, numéro 11.
VIGNEAU (Daniel), « Les droits successoraux du conjoint survivant », Petites
Affiches 30 septembre 2002, page 11.
III.- Les droits sociaux du conjoint survivant
Jurisprudence : Trib. civ. Avesnes, 13 juillet 1894, Dalloz Périodique 1895, 2, page 201, note
PLANIOL.
Trib. civ. Nevers, 25 mai 1932, Gazette du Palais 1932, 1, page 362.
Cass. Civ. 1ère
, 1er
mars 1988, Bulletin civil, I, numéro 62 ; Dalloz 1988,
Jurisprudence, page 447, note J.M. ; Revue trimestrielle de droit civil 1989, page 117,
observations PATARIN.
Cass. Civ. 1ère
, 14 mai 1992, Defrénois 1992, article 35395, numéro 120, observations
MASSIP.
Cass. Civ. 1ère
, 9 mars 1994, Bulletin civil, I, numéro 88 ; Defrénois 1994, page 1437,
observations MASSIP ; J.C.P. 1995 éd. G., I, numéro 3876, observations LE
GUIDEC ; Dalloz 1995, Sommaires, page 44, observations GRIMALDI ; Revue
trimestrielle de droit civil 1995, page 404, observations PATARIN ; Petites Affiches
23 novembre 1994, observations MASSIP ; J.C.P. 1994 éd. N., II, page 349, note
DANGLEHART ; J.C.P. 1995 éd. N., II, page 1087, observations MONEGER.
Cass. Civ. 1ère
, 17 janvier 1995, Bulletin civil, I, numéro 30 ; Dalloz 1995, page 329,
observations GRIMALDI ; Petites Affiches 4 octobre 1995, observations MASSIP.
Lectures : BEIGNIER (Bernard), « La loi du 3 décembre 2001 : achèvement du statut du
logement familial », Droit de la famille mars 2002, page 4.
BREMOND (Vincent), « Les droits locatifs du conjoint survivant après la loi du 3
décembre 2001 », Gazette du Palais 30 juillet 2002, page 4.
CATALA (Pierre), Jurisclasseur Civil, Vis Successions – Droits du conjoint
successible – Des droits au logement, Fascicule 20.
DAGRENAT (Olivier), « Les droits au logement du conjoint survivant », Gazette du
Palais 2 octobre 2002, page 19.
GARCON (Jean-Pierre), « Le droit au logement du conjoint survivant en cas de
détention indirecte de la résidence principale », J.C.P. 2002 éd. N., page 1004.
LEVILLAIN (Nathalie), « Le droit viager au logement du conjoint survivant », J.C.P.
2002 éd. N., numéro 1043, page 101.
LEVILLAIN (Nathalie), « Le droit au logement temporaire du conjoint survivant »,
J.C.P. 2002 éd. N., numéro 1076.
SAUJOT (Colette), « Les héritiers des époux divorcés ou séparés de corps », J.C.P.
1976 éd. G., numéro 2776.
SAUVAGE (F.), « Le logement de la veuve », Droit et patrimoine janvier 2003, page
32.
SAVATIER (René), « Concours des héritiers du défunt avec les créanciers
alimentaires de la succession », Dalloz 1971, Chroniques, page 51.
IV.- Exercices
Cas pratiques en dernière page.
37572. DES DROITS SUPPLÉTIFS ET IMPÉRATIFS DU
CONJOINT SURVIVANT DANS LA LOI DU 3 DÉCEMBRE 2001 (1)
(Analyse raisonnée de quelques difficultés)
par Sylvie FERRÉ-ANDRÉ,
Directeur du DESS de droit notarial de la Faculté de droit
de l'Université Jean Moulin-Lyon III.
1. En consultant le plan d'un ouvrage classique de droit successoral ouvert au
hasard d'une recherche (2), on est surpris aujourd'hui de la position des droits du
conjoint survivant en dehors des divers ordres des successions. Ils figurent dans un
chapitre intitulé « des successions irrégulières », immédiatement après une section
I, elle-même disparue, consacrée aux « droits des frères et sœurs sur les biens des
enfants naturels » (3). Le conjoint survivant y est relégué au même rang que l'Etat,
dans une section II intitulée « des droits du conjoint survivant et de l'Etat ».
2. Que de chemin parcouru depuis 1804. Pourtant, dès 1891, l'initiative du
législateur avait été très novatrice et protectrice des intérêts du conjoint. Depuis
cette époque, la loi lui accordait un usufruit légal et, s'il était dans le besoin, une
pension alimentaire. Parfois, de façon plus résiduelle, le conjoint avait vocation à
recevoir la pleine propriété de la succession. Malgré cette avancée, les règles
françaises de dévolution successorale restaient empreintes du souci qui avait
présidé à leur élaboration : la conservation des biens dans la famille. Avec le
temps, seule l'autonomie de la volonté avait permis de compenser l'absence de
droits successoraux du conjoint survivant au moyen de libéralités. Légalement, la
France restait à la traîne des autres législations européennes.
3. Depuis le milieu du XXe siècle, la question de l'amélioration des droits du
conjoint survivant était devenue une question sociale récurrente (4), d'une
importance considérable. En statistique, ce ne sont pas moins de 240 000 couples
mariés qui sont concernés tous les ans par un décès. De plus en plus âgé, le
conjoint survivant a une espérance de vie qui ne cesse de croître (5). Face à ce
phénomène, les enquêtes étaient unanimes à démontrer que les familles
souhaitaient l'accroissement des droits du conjoint survivant, même au détriment
des enfants (6). Bien que les donations entre époux fussent très répandues, il était
souhaitable que le droit successoral légal intègre cette pratique notariale afin que
celle-ci bénéficie à tous.
Surtout, le droit français était devenu d'autant moins cohérent, depuis la
réforme du divorce opérée par la loi du 3 juillet 1975, que le conjoint divorcé
pouvait prétendre au maintien de ses conditions d'existence là où le conjoint
survivant ne pouvait se prévaloir impérativement que d'aliments. Une réforme
devait intervenir pour permettre également de rapprocher le droit français des
autres législations européennes qui accordaient déjà au conjoint survivant des
droits plus importants en usufruit (7) ou en propriété (8) et dont certaines, telles les
législations allemande ou belge, faisaient du conjoint survivant un héritier
réservataire.
La loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 « relative aux droits du conjoint
survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit
successoral » y est enfin parvenue. Le conjoint survivant est placé plus
favorablement dans l'ordre successoral. Si, jusqu'à présent, il ne primait pour la
propriété que les oncles, tantes et cousins, il vient, désormais, en concours avec les
héritiers réservataires, descendants ou, à leur défaut, ascendants. En principe, il
évince les frères et sœurs.
4. Portant le conjoint survivant au-devant de la scène successorale, la loi nouvelle
lui accorde la primeur sur bien des parents par le sang. En ce qu'elle améliore
considérablement le statut patrimonial du conjoint dans la succession, elle
symbolise la revanche de l'alliance sur le sang, la préférence du mariage sur le
lignage. Légalement, les liens du cœur priment désormais sur les liens du sang.
Dans son nouveau contenu, le droit français a fait le choix de ne pas appréhender
le conjoint comme un « simple passant dans la succession » (9). Il ne se contente
pas de lui assurer le maintien de ses conditions d'existence. Il modifie parfois la
transmission finale des biens en faveur du conjoint. On se départit de l'idée
historique de la place marginale du conjoint dans la dévolution. La réforme porte
une nouvelle image de la famille dont le conjoint fait enfin partie. Pour l'essentiel,
le conjoint devient le maître de la succession, un héritier de premier rang. C'en est
terminé de la famille-souche comme modèle successoral. Cette évolution traduit
également une revalorisation du mariage sur les concubinages. Contrairement au
concubinage libre ou au pacte civil de solidarité, le mariage est désormais
fondateur de droits forts pour les époux par-delà la mort.
5. Attendue depuis plus de dix ans, la réforme des droits du conjoint survivant
n'est cependant pas la refonte complète du droit successoral. Le texte voté le 3
décembre 2001 n'est qu'une réforme partielle, qui appelle un complément de
réforme technique sur d'autres points. Jamais, depuis 1804, le droit successoral n'a
fait l'objet d'une harmonisation d'ensemble. Aujourd'hui, elle est souhaitable. A cet
effet, la réflexion des professeurs Jean Carbonnier et Pierre Catala mise en œuvre
dans le projet de loi no 511 en 1988 sera essentielle (10).
6. Destinée au plus grand nombre, la loi nouvelle est porteuse d'idées simples.
Parce que les fortunes familiales ont, pour l'essentiel, disparu, la plupart des
couples a le souci légitime de transmettre au conjoint survivant un pécule et un
logement. Les attentes majoritaires des Français revêtent essentiellement un
caractère social (11). Pour les autres, la transmission des biens continue à relever
d'une stratégie familiale et patrimoniale d'ensemble, orchestrée par le notaire.
Face à ces données, la loi du 3 décembre 2001 joue son rôle normatif et
prend en compte l'attente sociale dominante. Sans sacrifier juridiquement
l'orphelin, elle traite généreusement la veuve (12). Accroissant très sensiblement
ses droits supplétifs (I), elle la dote parfois de droits impératifs (II).
I. LES DROITS SUPPLÉTIFS DU CONJOINT SURVIVANT
7. Jusqu'à présent, l'existence de descendants du défunt rendait la situation du
conjoint dans la succession légale très défavorable. Pourvu d'un usufruit du quart
dont la liquidation était complexe, il en était réduit à presque rien sauf la volonté
du défunt. Chacun reconnaissait l'insuffisance de ses droits et souhaitait une
amélioration. Mais la question de savoir comment les améliorer était délicate.
Sociologiquement, en effet, il n'est pas un type de conjoint mais des types de
conjoints survivants. Jeune ou âgé, riche ou pauvre, le conjoint survivant n'a pas
toujours les mêmes attentes. En réalité, la différence essentielle entre les conjoints
survivants naît de la présence (A) ou de l'absence d'enfants héritiers (B).
A. La place du conjoint survivant en présence d'enfants héritiers
8. La famille qui succède est très souvent composée d'un conjoint survivant et de
descendants. Pour l'essentiel, les descendants sont des enfants communs, même si
les familles recomposées se sont multipliées. Devant cette diversité des situations
familiales et patrimoniales, il était difficile de choisir une vocation légale unique
pour le conjoint, qui satisfasse en toutes circonstances. Les préoccupations des
familles et de leurs membres sont souvent contradictoires. Par exemple, selon que
l'on se préoccupe plutôt de l'allongement de la vie ou des familles recomposées, on
peut parvenir à des choix différents (13).
Trouver la solution n'était pas simple pour le législateur. Lui fallait-il
privilégier un droit d'usufruit universel au profit du conjoint survivant, afin de lui
assurer la maintenance de son cadre de vie, pas seulement conventionnellement
comme le faisait la donation entre époux, mais légalement, comme un dû, une
reconnaissance ? Lui fallait-il, au contraire, reconnaître des droits en pleine
propriété au conjoint, ce qui risquait d'accroître la pression fiscale sur les enfants
lors de son propre décès mais évitait de grever leur réserve d'un usufruit universel
? N'était-il pas préférable de laisser le choix au conjoint entre une vocation en
pleine propriété réduite ou la totalité en usufruit ?
Jusqu'alors, plusieurs propositions de réformes avaient vu le jour (14).
Elles préconisaient des choix variables et largement motivés. La loi nouvelle a
arrêté son choix dans le nouvel article 757 du Code civil. Selon ce texte, « si
l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant
recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du
quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété
du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des époux ».
9. La loi successorale prend en compte la pluralité des modèles familiaux. Elle met
en place un régime successoral différencié pour les familles composées seulement
d'enfants communs aux deux époux et celles dans lesquelles il existe des enfants
non-communs. Elle distingue la vocation du conjoint survivant dans la famille
traditionnelle et dans la famille recomposée.
De la modification des textes légaux naîtront peut-être de nouvelles
perspectives pour les libéralités entre époux.
1. L'option légale du conjoint survivant dans la famille traditionnelle
10. En présence de descendants communs uniquement, le conjoint survivant
recueille, à son choix, l'usufruit universel des biens existants ou la pleine propriété
du quart des biens.
Parce que le conjoint survivant est avant tout une personne âgée, on peut
penser qu'il va opter le plus souvent pour l'usufruit universel (15).
11. Généralement, les avantages de l'usufruit sont grands lorsqu'ils portent sur
l'ensemble des biens laissés par le défunt à son décès. Ils se placent dans la suite
des effets du mariage (16).
En l'absence d'importantes libéralités consenties par le de cujus, le conjoint
survivant conserve un cadre de vie aussi proche que possible de sa situation
antérieure. En principe, l'usufruit universel assure également au conjoint survivant
des revenus réguliers. Quant aux enfants, même si, dans un premier temps, ils ne
reçoivent leur réserve héréditaire qu'en nue-propriété seulement, ils sont assurés
que la transmission familiale à leur profit sera préservée.
12. Néanmoins, la composition du patrimoine laissé par le défunt peut parfois
porter à un autre choix, notamment lorsque le de cujus a consenti de nombreuses
libéralités. Dans cette situation, un usufruit universel portant sur « les biens
existants » pourrait s'avérer inapproprié pour préserver les intérêts du conjoint
survivant. L'assiette de l'usufruit universel semble alors trop réduite. En effet, en
concours avec des descendants, le conjoint survivant n'est pas un héritier
réservataire. Il semble alors qu'il ne puisse prétendre qu'aux biens dont le de cujus
n'a pas disposé à titre gratuit, même au moyen d'un legs (17). Tel était le cas
jusqu'alors, lorsque le conjoint survivant bénéficiait de l'usufruit légal du quart en
vertu des dispositions de l'ancien article 767 du Code civil (18). D'ailleurs, les
dispositions du nouvel article 758-5 du Code civil (19), qui reprennent, pour
l'essentiel, les dispositions de l'ancien article 767, distinguent les biens existants
des biens légués pour déterminer l'assiette des droits du conjoint en propriété. Les
droits légaux en propriété du conjoint survivant ne s'exercent que sur les biens
existants à la mort du de cujus, dont ne font pas partie les biens légués.
Certes, on pourrait retenir, à l'opposé de cette première analyse du
contenu des « biens existants » sur lesquels porte l'usufruit universel du conjoint
survivant, au sens de l'article 757 nouveau du Code civil, que les dispositions de
l'article 922 du même code retiennent une autre définition de la notion de « biens
existants ». Au sens de ce second texte, les « biens existants » comprennent les
biens légués, lorsqu'il s'agit de calculer le montant de la réserve et de la quotité
disponible. Dès lors, on pourrait être tenté de considérer qu'il y a lieu d'inclure
dans les « biens existants » sur lesquels porte l'usufruit universel du conjoint
survivant, les biens légués par le de cujus. Cependant, cette seconde analyse ne
semble pas satisfaisante à plusieurs chefs. D'abord, parce qu'elle pose des
difficultés techniques de mise en œuvre importantes (20). Ensuite, et surtout, parce
que l'objet du texte de l'article 922 n'est pas le même que celui des articles 757 et
758-5 nouveaux du Code civil. Si les dispositions des articles 757 et 758-5
nouveaux du Code civil portent sur les droits légaux du conjoint survivant, le texte
de l'article 922 du Code civil, en revanche, est relatif à la reconstitution du
patrimoine du défunt pour assurer la préservation des droits des héritiers
réservataires. Par conséquent, il nous paraît plus cohérent d'admettre une
définition uniforme des « biens existants », s'agissant de définir les droits du
conjoint survivant en usufruit et en propriété, au sein desquels ne figurent pas les
biens légués. Surtout, raisonner autrement conduirait à admettre une « quasi-
réserve » au profit du conjoint qui opte pour un usufruit universel, en lui
permettant notamment de bénéficier de la portion réductible des legs, voire du
rapport de certains legs. Or, le législateur ne semble pas l'avoir envisagé ; jusqu'à
présent on ne l'admettait pas.
13. Dans d'autres cas, le patrimoine successoral ne sera pas toujours approprié à un
démembrement de propriété, soit que l'assiette de usufruit universel ne soit pas
satisfaisante, soit que la dynamique de sa gestion s'en ressente.
Parce qu'il ne porte que sur les « biens existants » lors du décès et pas sur les «
rapports », on doute que l'usufruit universel satisfasse le conjoint survivant,
lorsque le de cujus a consenti antérieurement au décès de nombreuses donations,
même rapportables. Sur les biens donnés, le conjoint survivant n'a pas d'emprise.
Dans ces situations, son usufruit porte sur peu de biens. Mieux vaut alors que le
conjoint survivant opte pour un droit en pleine propriété du quart, ce qui lui
permet, une fois les biens existants vendus, de s'assurer une subsistance sur leur
prix.
De la même façon, la fiscalité moderne conduit parfois à privilégier, au
sein d'un patrimoine, des valeurs qui ne procurent aucun revenu. Sur ces biens, un
droit d'usufruit est sans intérêt ; là encore, mieux vaut les détenir en propriété
plutôt qu'en usufruit afin de pouvoir les aliéner et profiter du prix.
Enfin, parfois, l'allongement de la vie fait que le conjoint survivant très
âgé ne souhaite pas gérer un important patrimoine démembré, particulièrement s'il
se compose de biens de nature professionnelle.
Dans toutes ces situations plus marginales, une quote-part de la
succession en pleine propriété au profit du conjoint survivant préserve mieux ses
intérêts, sans rompre pour autant l'égalité entre les enfants.
14. Lorsque le conjoint survivant aura opté pour la pleine propriété du quart, les
modalités de calcul de ce nouveau droit (21) reprennent, pour l'essentiel, les
dispositions de l'article 767 ancien du Code civil, qui distinguent, d'une part, la
masse de calcul et, d'autre part, la masse d'exercice des droits. Les droits effectifs
du conjoint portent, comme par le passé, sur le plus petit des deux maxima ainsi
déterminés (22). Transposé à la pleine propriété, ce choix des modalités de calcul
des droits du conjoint, qui distingue masse de calcul, d'une part, et masse
d'exercice, d'autre part, peut surprendre a priori. Pourtant, il s'agissait du seul
choix raisonnable possible dès lors que l'on ne souhaitait pas que le conjoint
survivant puisse nuire par ses droits en pleine propriété aux droits des héritiers
réservataires ou à ceux des donataires.
15. L'option ouverte au conjoint survivant entre l'usufruit universel et la pleine
propriété du quart admet une certaine souplesse qui permet à la famille d'équilibrer
des intérêts éventuellement contradictoires. Bien sûr, seul le conjoint a le choix.
L'option n'est pas ouverte aux descendants. Les textes ne prévoient ni forme ni
délai pour que s'exprime sa volonté. En théorie, le conjoint devrait pouvoir
s'exprimer pendant trente ans. Cependant, pour des raisons pratiques, le législateur
l'a incité à faire connaître son choix plus tôt dans la mesure où l'article 758-1
nouveau du Code civil dispose que ses droits seront incessibles tant qu'il n'aura
pas opté. Par ailleurs, les descendants peuvent le contraindre à se décider. Ainsi,
tout héritier peut inviter par écrit le conjoint à exercer son option. Faute pour lui
d'avoir pris parti par écrit dans les trois mois, il est réputé avoir opté pour l'usufruit
(23). Il en va de même s'il décède sans avoir opté (24). Par défaut, le choix légal se
reporte sur l'usufruit, qui seul conserve le cadre de vie du conjoint sa vie durant.
Bien sûr, comme auparavant, l'usufruit légal (25) pourra faire l'objet d'une
conversion en rente viagère (26) à la demande des héritiers. Désormais, cette
faculté, qui est d'ordre public, s'ouvre même au conjoint, ce qui dénote encore une
faveur délibérée du législateur à son profit. Le texte propose, par ailleurs, une
faculté de conversion de l'usufruit en capital, de l'accord des héritiers et du
conjoint (27). Cette faculté n'existait pas jusqu'alors dans la loi. Mais, en pratique,
les notaires y recouraient parfois.
En revanche, pour assurer la maintenance du conjoint survivant dans le
logement de la famille, l'article 760 nouveau du Code civil dispose qu'il peut seul
autoriser la conversion de l'usufruit portant sur le logement qu'il occupe à titre de
résidence principale ainsi que du mobilier qui le garnit (28).
16. En présence d'une famille recomposée, lorsque tous les descendants du défunt
ne sont pas communs, la configuration familiale n'est pas systématiquement
adaptée à la présence d'un conjoint usufruitier universel. C'est pourquoi,
légalement, il n'était pas opportun de créer un démembrement de propriété entre
un « second » conjoint usufruitier et des enfants d'un autre lit nus-propriétaires.
2. Cantonnement des droits légaux du conjoint survivant
dans la famille recomposée
17. En présence de descendants qui ne sont pas issus des deux époux, laisser un
usufruit légal universel au choix du conjoint survivant aurait parfois réduit les
enfants du prémourant à la situation peu avantageuse de nus-propriétaires à vie
d'un second conjoint pas forcément plus âgé qu'eux. Il en serait résulté, dans les
faits, que seuls leurs propres enfants auraient pu prétendre un jour recevoir les
biens issus de la succession de leur grand-parent (29). Ce choix n'aurait
certainement pas conduit à des règlements successoraux harmonieux. D'abord,
parce que toutes les secondes familles ne sont pas reconstruites dans l'entente
mutuelle. Ensuite et surtout, parce que ce qu'une donation entre époux peut
accorder pour favoriser le conjoint, la loi ne pouvait pas l'imposer, même à titre de
droits supplétifs.
18. Ainsi, en présence d'enfants non communs, le législateur n'offre aucune option
légale au conjoint survivant. Il le cantonne au quart de la succession en pleine
propriété. Seule la volonté du de cujus de gratifier son conjoint survivant d'un
usufruit universel peut y suppléer.
19. Jusqu'à la loi du 3 décembre 2001, il était fréquent, dans les secondes familles,
que le de cujus instituât contractuellement son second conjoint usufruitier
universel, en application de l'article 1094-1 du Code civil. Le de cujus justifiait
alors son choix de n'attribuer qu'un usufruit universel à son second conjoint par sa
volonté de l'avantager par rapport à des droits légaux insuffisants (30) et par le
souhait de ne pas spolier définitivement ses descendants du premier lit, non-
héritiers du second conjoint.
Rarement, dans les familles recomposées, le de cujus laissait à son second
conjoint la triple option entre la quotité disponible ordinaire en propriété, variable
selon le nombre d'enfants, ou un quart en pleine propriété et trois quarts en
usufruit ou enfin l'usufruit universel seulement. Avec l'entrée en vigueur de la loi
nouvelle, le 1er juillet 2002, le de cujus peut vouloir continuer à gratifier son
conjoint survivant au moyen d'une libéralité en usufruit universel. La question est
alors de savoir ce que recevra exactement le conjoint.
20. En effet, si l'article 758-5 nouveau du Code civil a repris, pour l'essentiel, les
dispositions de l'article 767 actuel du Code civil en ce qui concerne les modalités
de calcul des droits légaux du conjoint en pleine propriété, ont néanmoins disparu
de la loi nouvelle, les dispositions de l'article 767, alinéa 6, du Code civil. Cet
alinéa traitait des modalités d'imputation des libéralités faites au conjoint survivant
par le de cujus sur ses droits légaux. Elles disposaient « Il [le conjoint] cessera de
l'exercer [son droit légal] dans le cas où il aurait reçu du défunt des libéralités,
même faites par préciput et hors part, dont le montant atteindrait celui des droits
que la présente loi lui attribue, et, si ce montant était inférieur, il ne pourrait
réclamer que le complément de son usufruit ». On peut s'interroger sur le point de
savoir si cette suppression relève d'un choix raisonné du législateur ou, au
contraire, d'un oubli de sa part. Quoi qu'il en soit, cette modification textuelle ne
manquera pas de produire un certain nombre d'effets bénéfiques pour le conjoint
survivant, mais pas toujours souhaités par le gratifiant défunt.
21. Depuis la loi de 1891, les droits ab intestat du conjoint survivant étaient
conçus comme un minimum légal. Par conséquent, il n'était pas utile que la loi se
préoccupât de l'avenir du conjoint survivant si le prédécédé y avait pourvu de
manière suffisante. Tel était le sens de la disposition de l'article 767, alinéa 6, du
Code civil. Avec la loi nouvelle, la disparition de cet alinéa permet de penser que,
sauf volonté contraire du défunt, les libéralités faites au conjoint survivant vont se
cumuler avec ses droits légaux au moins partiellement, dans le respect des droits
des réservataires.
22. Jusqu'alors, en présence d'enfant, le conjoint survivant bénéficiaire d'une
libéralité en usufruit universel ne recevait que sa libéralité. Il ne pouvait prétendre
à ses droits légaux en plus d'une libéralité qui les dépassait. Au contraire, à partir
du 1er juillet 2002, si l'on tient compte de la modification des textes, on est
conduit à une nouvelle approche des règles d'imputation des libéralités faites au
conjoint par rapport à ses droits légaux. Le conjoint survivant pourrait désormais
cumuler sa libéralité en usufruit avec ses droits légaux en propriété. Globalement,
dans notre exemple, le conjoint survivant recevrait un quart en pleine propriété au
titre de la loi (art. 757, C. civ.) et trois quarts en usufruit, soit le surplus, au titre de
sa libéralité (art. 1094-1, C. civ.). Il recevrait donc le montant de sa libéralité plus
ses droits légaux, dans la limite de l'actif existant. Or, précisément, dans les
familles recomposées, c'est souvent ce résultat global que l'on voulait éviter (31).
A l'avenir, pour cantonner le conjoint gratifié au montant de sa libéralité
en usufruit, sans cumul possible avec ses droits légaux en propriété, le de cujus
devra le priver de sa vocation légale en pleine propriété du quart.
23. Une seconde difficulté naît alors. Le support « donation entre époux », au
moyen duquel on gratifiait traditionnellement le conjoint survivant de biens à
venir, permet-il dans un même mouvement de priver le conjoint survivant de
certains de ses droits légaux et de le gratifier ? Autrement dit, l'institution
contractuelle, pacte sur succession future autorisé, au moyen de laquelle on admet
que le gratifiant désigne contractuellement un héritier, permet-elle de stipuler une
« destitution contractuelle » afin de priver le conjoint survivant de sa vocation
héréditaire ab intestat ? Jusqu'à présent, il ne semble pas que la question se soit
jamais posée dans ces termes. En pratique, la donation entre époux visait
uniquement à accroître la vocation du conjoint. Désormais, il convient de
s'interroger sur le contenu légalement envisageable de la donation entre époux.
Dans le doute, les praticiens notaires préféreront le support testament au support
donation, chaque fois que la libéralité consentie envisagera cumulativement la
privation d'un droit légal quelconque du conjoint (32). Cette attitude sera d'autant
préférable qu'alors même que l'on admettrait que l'institution contractuelle permet
de « destituer contractuellement » le conjoint survivant de ses droits ab intestat,
rien n'interdirait à ce dernier de refuser la donation pour préférer sa vocation
légale, empêchant ainsi l'exhérédation partielle de produire son plein effet.
De façon plus générale, au-delà de ces deux difficultés, la disparition de
l'article 767, alinéa 6, du Code civil, fait apparaître de nouvelles perspectives de
libéralités entre époux.
3. Perspectives de libéralités entre époux nées de la loi nouvelle
24. Alors que la quotité disponible spéciale entre époux n'a pas été accrue par la
loi du 3 décembre 2001, alors que l'article 1094-1 du Code civil n'a pas été
retouché, on peut se demander s'il n'est pas possible de considérer
qu'incidemment, la disparition de l'actuel article 767, alinéa 6, du Code civil, offre
aux époux de nouvelles perspectives de libéralités entre eux.
En effet, la combinaison offerte au conjoint survivant entre ses droits ab
intestat, d'une part, et les libéralités entre époux, d'autre part, ouvre des
perspectives dans certaines configurations familiales.
Par exemple, dans la famille traditionnelle, en présence d'enfants
communs seulement, le conjoint survivant bénéficie d'une première option, ab
intestat, entre un usufruit universel et un quart en pleine propriété. Bénéficiaire
d'une donation entre époux sur le modèle des dispositions de l'article 1094-1 du
Code civil, il bénéficie en plus d'une seconde option, triple cette fois-ci, entre la
quotité disponible ordinaire, variable selon le nombre d'enfants laissés par le
défunt, un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit ou, enfin, l'usufruit
universel. S'il opte, au titre de ses droits ab intestat, pour l'usufruit universel, et au
titre de la donation entre époux, pour la quotité disponible ordinaire, le conjoint
survivant semble en mesure de recevoir globalement la quotité disponible
ordinaire majorée de l'usufruit de la réserve. Donc, en présence d'un enfant, le
conjoint survivant pourrait prétendre à la moitié de la succession en pleine
propriété et l'autre moitié en usufruit ; en présence de deux enfants, il pourrait
prétendre à un tiers en pleine propriété et deux tiers en usufruit ; enfin, sa vocation
serait sans changement, en présence de trois enfants et plus, soit un quart en pleine
propriété et trois quarts en usufruit (33).
25. Globalement, dans cet exemple, le conjoint survivant recevrait parfois plus que
ce qu'il était à même de recevoir jusqu'alors. Grâce à ce cumul de vocations, il
pourrait prétendre à la totalité de ce dont, jusqu'à présent, le de cujus pouvait
disposer en faveur d'un tiers et de son conjoint, soit le disponible admis par la
jurisprudence dans l'hypothèse d'un concours de quotités disponibles (34). Cette
solution était d'ailleurs celle que retenait le projet de réforme no 1941, dit « projet
Méhaignerie », enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 8 février
1995, reprenant pour l'essentiel les dispositions du projet n° 2530 de 1991 (35).
26. Malgré l'accroissement des droits légaux du conjoint survivant, il semble bien
que les libéralités entre époux continueront, à l'avenir, à valoriser la place du
conjoint survivant dans la succession. Plus souvent qu'aujourd'hui, les descendants
seront réduits à leur part de réserve en nue-propriété. Mais il est vrai que l'âge de
la mortalité ayant augmenté, les héritiers réservataires sont, en principe, des
adultes en pleine force de l'âge. Ils ont souvent des ressources personnelles
suffisantes, là où, au contraire, le conjoint survivant est souvent une veuve âgée
qui dispose de maigres revenus.
27. La valorisation de la place du conjoint dans la succession ab intestat est encore
plus significative en l'absence d'enfants. Le resserrement de la famille autour du
couple et l'importance croissante des biens acquis durant le mariage au détriment
des biens personnels des époux ont conduit le législateur à reconsidérer la place
limitée que le conjoint survivant occupait en présence d'ascendants ou de
collatéraux du défunt.
Pour l'essentiel supplétives, ces nouvelles dispositions laissent place à
l'expression de l'autonomie de la volonté du de cujus.
B. La place du conjoint survivant en l'absence d'enfants héritiers
28. En l'absence de descendants du de cujus, le conjoint survivant est parfois en
présence d'autres parents par le sang du défunt, les représentants du deuxième
ordre, ses père et mère, frères et sœurs ou ceux du troisième ordre, ses grands-
parents, dont les droits sont modifiés par la loi du 3 décembre 2001. En revanche,
en présence d'autres collatéraux, rien ne change avec l'entrée en vigueur de la loi
nouvelle puisque, depuis la loi du 26 mars 1957, le conjoint survivant prime les
collatéraux ordinaires, cousins et oncles du défunt.
1. Concours en propriété du conjoint survivant avec les père et mère du défunt
29. En concours avec le deuxième ordre, pour toute succession ouverte à compter
du 1er juillet 2002, le conjoint survivant recueillera ab intestat la moitié de la
succession en pleine propriété lorsqu'il est en concours avec les père et mère du
défunt. Cette vocation nouvelle se substitue à une vocation en usufruit de même
montant. Le choix est équilibré. Il est certain que dans la plupart des situations de
ce type où les père et mère des époux sont vivants, la composition de la succession
est essentiellement d'acquêts. Rares sont les cas où le patrimoine du défunt
contient des biens de famille. Certes, des libéralités entre vifs ont pu être
consenties au de cujus. Toutefois, le notaire, en l'absence d'enfant du donataire,
assortit presque systématiquement la donation d'une clause résolutoire sous forme
de droit de retour conventionnel. Dès lors, il n'y a pas de biens de famille dans la
succession. Il paraît donc normal que la vocation du conjoint s'accroisse par
rapport à ce qu'elle était jusqu'à présent. Ainsi, outre sa quote-part matrimoniale, le
conjoint survivant recevra la moitié de la succession. Les père et mère, eux, restent
héritiers réservataires à hauteur d'un quart chacun en pleine propriété. Leur
vocation n'est pas modifiée. Mais, comme auparavant, si le de cujus préfère son
conjoint à ses parents, il a toujours la possibilité, au moyen d'une libéralité entre
époux, de réduire ses auteurs à un quart chacun en usufruit (36).
30. Mise à part la nature du droit du conjoint, qui n'est plus d'usufruit mais de
pleine propriété, rien d'autre n'est modifié par le nouvel article 757-1, alinéa 1er,
du Code civil, en cas de concours du conjoint avec les père et mère du défunt.
En revanche, la protection du conjoint est plus sûrement assurée dans
l'hypothèse où l'un des père et mère est décédé. C'est désormais au conjoint que
profite la part de l'auteur prédécédé, et non plus aux frères et sœurs du de cujus,
s'il en existe. Le conjoint recueille ainsi les trois quarts de la succession en pleine
propriété et le parent survivant un quart. Le choix du législateur s'est arrêté sur la
solution qui correspond aux vœux supposés d'une majorité. Dans les hypothèses
plus marginales selon les lois de la statistique, où le de cujus préférerait sa famille
par le sang à son conjoint, il lui reste possible d'aménager sa succession en
considération de ses attentes. En sens inverse, mais ce n'est pas nouveau, les époux
pourraient déjouer la loi successorale impérative relative à la réserve des
ascendants, en choisissant un régime matrimonial approprié (37).
En revanche, si le père et la mère sont morts et que la succession s'ouvre à
la survivance des frères et sœurs et du conjoint survivant, le législateur a fait
preuve de plus d'audace. Il affiche très ouvertement sa préférence pour le mariage
sur le lignage.
2. Primauté du mariage sur le lignage en présence de frères et sœurs du défunt
31. Selon les dispositions de l'article 757-2 du Code civil, « en l'absence d'enfant
du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la
succession». Légalement, la famille souche n'est plus le modèle successoral. La
fraternité est évincée du droit successoral au profit de la « matrimonialité ».
Pourtant, le modèle de la famille lignage connaît encore des poches de résistance
dans certains milieux ruraux, pour lesquels famille-souche et héritage familial
conservent leur importance. Pour ces familles, conserver une définition classique
du second ordre des héritiers, composé du père, de la mère, des frères et des sœurs,
avait son importance, malgré le bouleversement des vocations respectives
introduit par la loi nouvelle. Pour elles, même si la loi admet qu'en principe le
conjoint survivant prend désormais part dans la succession avant les frères et
sœurs, en raison de la composition ordinaire des patrimoines, il était essentiel de
faire un sort particulier aux biens de famille.
32. Pour ces familles bourguignonnes, champenoises, bordelaises ou
beauceronnes, attachées à leur patrimoine terrien et à l'histoire de leurs origines, la
primauté sans faille du conjoint dans la dévolution des biens de famille aurait été
perçue comme une seconde révolution.
Pour elles, l'instauration d'un nouveau droit de retour légal au profit des
frères et sœurs, en ce qui concerne les biens de famille, était politiquement
nécessaire. Ainsi, selon l'article 757-3 nouveau du Code civil, « par dérogation à
l'article 757-2, en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait
reçus d'eux par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la
succession sont, en l'absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et
sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents
prédécédés à l'origine de la transmission ». Ce nouveau droit de retour légal est
construit dans l'esprit de l'ancien article 766 du Code civil. Il semble bâti sur le
modèle de l'ancien droit de retour légal des frères et sœurs légitimes sur les biens
des enfants naturels, antérieur à la loi du 3 janvier 1972. Mais ses modalités
semblent plus proches de celles du droit de retour légal né de l'article 368-1 du
Code civil relatif à la succession anomale de l'enfant adopté simple décédé sans
postérité. Il met en œuvre un nouveau cas de succession anomale (38), fondé sur
l'origine des biens. Dans le même temps, il conserve une certaine idée de la fente
entre les frères et sœurs utérins et consanguins du défunt que les dispositions
générales de la loi ont, pour le reste, supprimée (39).
33. En retirant aux frères et sœurs du de cujus le droit ab intestat de venir à la
succession ordinaire en présence du conjoint survivant, le législateur leur accorde,
très classiquement, un droit de retour successoral (40). Ce droit de retour, qui nuit
au conjoint survivant dans la mesure où il ouvre en parallèle une succession
anomale sur laquelle le conjoint ne peut prétendre à aucune réserve, s'applique à la
moitié des biens que le défunt a reçus de ses père et mère, soit à titre de donation,
soit à titre de succession légale ou testamentaire.
L'objectif de ce droit de retour est de faire rentrer partiellement les biens
que le de cujus tient de son père ou de sa mère dans la famille de son auteur. Les
biens que l'enfant avait reçus de ses père et mère retournent ab intestat pour moitié
aux frères et sœurs issus de cet auteur. Ce droit de retour n'appartient qu'à la lignée
en cause. Si les frères et sœurs germains peuvent reprendre dans la succession la
moitié des biens provenant du père ou de la mère ; en revanche, les frères et sœurs
consanguins ne peuvent reprendre que les biens provenant du père et les frères et
sœurs utérins qui proviennent de leur mère.
Sur les biens de famille, le droit de retour conduit à ce que le conjoint ne
reçoive pas moins qu'en présence des père et mère, soit la moitié, tandis que les
frères et sœurs recevront autant que ce que leurs parents auraient reçu, soit l'autre
moitié.
34. Pour s'exercer, ce droit de retour légal est subordonné aux mêmes conditions
que celles prescrites à l'article 368-1 du Code civil. Il ne peut s'ouvrir qu'autant
que les biens donnés au de cujus, à lui légués ou par lui recueillis dans la
succession, se retrouvent en nature. Il ne peut donc s'agir que des biens initiaux
existant en nature, sans avoir été subrogés. Ainsi que l'exposent les auteurs (41), la
nécessité de retrouver les biens en nature dans la succession est l'illustration la
plus nette du fondement de la succession anomale. Une succession anomale est
dévolue à raison de l'origine des biens et en vue d'en assurer la conservation dans
la famille. Par conséquent, ce qui est pris en compte, ce sont les biens eux-mêmes,
non leur seule valeur pécuniaire seulement. Ainsi, la perte ou la destruction des
biens donnés fait obstacle au droit de retour, tout comme les aliénations, y compris
lorsque les biens qui entrent en principe dans la succession anomale sont légués.
Le légataire en est devenu propriétaire dès l'instant du décès.
35. Aussi, lorsque le de cujus aura préféré son conjoint à sa famille, libre à lui de
faire échec au droit de retour légal en instituant son conjoint survivant légataire
universel.
Succession à part entière, mais dévolue aux seules personnes qu'elle vise,
la succession anomale reste une institution fragile. Chapelle de verre abritant
l'héritage familial, elle peut être facilement brisée, soit que le de cujus y veille,
soit, au contraire, qu'il souhaite s'en départir parce qu'elle ne correspond pas à ses
choix, à ses priorités familiales. La technique retenue de la succession anomale est
une décision de mesure et d'équilibre législatif. Elle laisse à chaque famille la
possibilité d'aménager la dévolution de ces biens autrement. Bien sûr, lorsque les
conditions de mise en œuvre du droit de retour légal seront réunies au profit des
frères et sœurs, naîtra une indivision entre, d'une part, le conjoint survivant et,
d'autre part, la famille par le sang, dont les intérêts pourront diverger sensiblement,
ce qui ne manquera pas de soulever des difficultés. On pense particulièrement aux
hypothèses dans lesquelles le de cujus aura reçu de ses parents le terrain sur lequel
a été édifié le logement de la famille, éventuellement avec des deniers communs.
Ab intestat, par le jeu de l'accession, la construction elle-même sera appréhendée
pour moitié par le droit de retour. Mais pour éviter ce résultat, il suffira au de
cujus de léguer le bien au conjoint ou, en amont, que les époux changent de
régime matrimonial, pour qu'au moins ce bien soit ameubli.
36. A l'opposé, il est des biens de famille très sensibles affectivement pour le
lignage, la maison de famille, ou à forte valeur ajoutée, le vignoble, pour lesquels
les ascendants donateurs ou testateurs pourraient souhaiter assurer de façon plus
efficace le maintien dans la famille par le sang sans risque de les voir basculer
dans le patrimoine de l'alliance.
Dans ce but, il serait hasardeux de stipuler leur inaliénabilité pour la vie
de l'enfant donataire ou légataire. En effet, en doctrine, on hésite à considérer
qu'une telle clause stipule une inaliénabilité temporaire, seule admissible en droit
français des libéralités (42). Par ailleurs, au-delà de cet obstacle, à supposer même
que l'on admette le caractère légal de l'inaliénabilité dans un tel cas, ce qui est très
douteux (43), il n'est pas certain non plus que les biens ne puissent pas être légués,
interdisant ainsi le jeu du droit de retour légal.
Un droit de retour conventionnel ne serait pas plus efficace, dans la
mesure où il ne peut être stipulé « qu'au profit du donateur seul » et ne peut l'être
au profit de ses héritiers (44). Or seul le prédécès des deux parents du de cujus
ouvre le droit de retour légal au profit des frères et sœurs.
La solution permettant de conforter les droits du lignage sur les biens de
famille réside sans doute dans une technique ancestrale : le legs de residuo. Le
legs de residuo permet à ses auteurs de grever la libéralité faite au de cujus d'une
charge lui imposant de rendre à une personne déterminée, en l'occurrence les
frères et sœurs ou neveux et nièces, ce qui restera à sa mort, ce dont il n'aura pas
disposé (45). Le legs de residuo pourrait donc accroître l'assiette des biens qui
échapperont au conjoint survivant, en ce que ces biens seront dévolus par la
volonté du disposant initial, sans pour autant constituer une substitution prohibée.
Certes, en principe, le grevé demeure libre de disposer des biens qu'il a reçu, à titre
onéreux ou à titre gratuit par donation. Toutefois, la jurisprudence juge valable le
legs de residuo même lorsqu'il s'accompagne de l'interdiction faite au gratifié de
disposer entre vifs à titre gratuit (46). La faculté laissée au gratifié de disposer à
titre onéreux suffit à empêcher que le legs de residuo soit regardé comme une
substitution prohibée.
Ainsi, grâce au legs de residuo, l'objectif familial de maintien des biens
de famille dans le lignage serait atteint contre les intérêts du conjoint. Seuls peut-
être un changement de régime matrimonial du gratifié ou une vente entre époux
risqueraient de perturber ce « montage ».
37. On peut se demander, enfin, si le souhait contraire des frères et sœurs de
renoncer à leur droit de retour légal serait réalisable. Autrefois, les renonciations
au droit de retour légal furent nombreuses, en particulier à celui de l'ascendant
donateur, dans l'hypothèse des donations faites par un ascendant à l'un de ses
descendants à titre de constitution de dot. Ces renonciations étaient insérées dans
la convention dans l'intérêt du conjoint survivant de l'époux doté. Aujourd'hui, la
faculté de renoncer par anticipation à un droit de retour légal n'est plus
concevable, depuis que la Cour de cassation a annulé la clause dans le désormais
célèbre arrêt Roux-Menard (47). La Cour de cassation s'est alors fondée sur le
caractère successoral du retour, précisant qu'il n'était pas possible de renoncer de
manière anticipée à une succession. La solution est désormais acquise. Puisque le
retour légal est un droit de succession, il ne peut y être renoncé par avance, sauf à
encourir la nullité des pactes sur succession future.
En revanche, une fois la succession anomale ouverte, les frères et sœurs
peuvent exercer leur option successorale librement. Ils peuvent alors renoncer.
38. Délicat à mettre en œuvre parce que peu fréquent depuis 1972, le droit de
retour légal instauré au profit des frères et sœurs ne présentera que rarement une
véritable gêne pour le conjoint, lorsque la succession aura été préparée à son
profit. Rien dans la loi nouvelle, si ce n'est l'institution de la réserve, n'est érigé en
règle d'ordre public s'opposant à la protection du conjoint survivant. Bien au
contraire, la loi nouvelle impose parfois cette protection dans des termes
impératifs.
II. LES DROITS IMPÉRATIFS DU CONJOINT SURVIVANT
39. Le législateur, après bien des interrogations légitimes sur leur contenu, a choisi
d'assurer la promotion du conjoint survivant dans l'ordre des successibles en lui
ouvrant également des droits intangibles qui ne sont pas susceptibles
d'exhérédation. D'autres dispositions, bien que seulement supplétives -
essentiellement le droit viager au logement -, nécessiteront pour mettre en œuvre
la privation un formalisme rigoureux et une force psychologique hors du commun.
Incontestablement, le législateur a voulu rendre très difficile l'exhérédation du
droit viager au logement, même s'il n'a pas consacré son caractère impératif (48).
Ce qui nous permet de l'analyser comme un droit intangible « en fait » à la suite du
droit temporaire au logement dont il n'est, d'ailleurs, que le complément temporel.
40. Classiquement, depuis 1891, on ne reconnaissait qu'un droit impératif au
conjoint survivant : la pension alimentaire du conjoint dans le besoin contre la
succession. De l'article 207-1 du Code civil, cette institution mi-alimentaire et mi-
successorale bascule dans le nouvel article 767 du même code, sans être
bouleversée. Les autres droits impératifs du conjoint survivant sont d'une autre
envergure. Ils prennent la forme classique d'une réserve héréditaire, dans certains
cas (A), d'un droit à maintenance sur le logement que le conjoint successible
occupe effectivement à titre de résidence principale, dans la plupart des cas (B).
A. La réserve héréditaire du conjoint survivant
41. Les études réalisées préalablement au vote de la loi, depuis plus de dix ans,
ainsi que les projets de loi nos 2530 et 1941, rapportaient généralement que
l'opinion publique semblait favorable à un « minimum successoral garanti » au
profit du conjoint survivant. Pourtant, presque unanimement, l'idée d'une réserve
héréditaire classique, sous la forme d'une quote-part de la succession en propriété,
était jugée insatisfaisante (49). Au moins, la rigidité de l'institution ne permettait
pas de la généraliser. En présence de descendants, sauf à amoindrir la quotité
disponible et réduire la liberté de disposer à titre gratuit, il aurait fallu la partager
avec eux, ce qui était inconcevable, somme toute hérétique à l'héritage
révolutionnaire. En présence d'ascendants, on ne concevait pas de sacrifier les
auteurs sur l'autel de l'alliance. Aussi, le nouvel article 914-1 du Code civil
n'accorde-t-il au conjoint survivant qu'une réserve subsidiaire, à défaut d'autre
héritier réservataire. Le législateur français a refusé un concours entre héritiers
réservataires. Les vocations réservataires restent successives les unes par rapport
aux autres : d'abord les descendants, ensuite les ascendants, enfin, le conjoint
survivant.
Le choix, même si on ne l'approuve pas, semble équilibré. Il ne semble
pas soulever trop de difficultés.
42. Pourtant, une question vient à l'esprit à la lecture de l'article 914-1 du Code
civil. Ce dernier dispose : « Les libéralités par actes entre vifs ou par testament ne
pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendant et
d'ascendant, le défunt laisse un conjoint survivant, non divorcé, contre lequel
n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée et
qui n'est pas engagé dans une instance en divorce ou en séparation de corps ». On
s'interroge alors pour savoir ce qu'il faut entendre par « ascendant » dans le texte.
Faut-il notamment comprendre que la survivance d'un grand-parent dans la
succession exclut la possibilité pour le conjoint de se prévaloir de sa réserve ? Ce
serait d'autant plus surprenant que le texte de l'article 757-2 du Code civil, qui
traite, quant à lui, de la dévolution, dispose qu'en l'absence d'enfant ou de
descendant du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille la
totalité de la succession devant les grands-parents. On hésite à croire que cette
primauté du conjoint sur les ascendants ordinaires ne serait que de la part
héréditaire et non de la réserve héréditaire. Ce serait loin de l'esprit de promotion
du conjoint survivant affiché généralement par la loi.
43. Si le législateur a souhaité que la réserve du conjoint ne soit que de troisième
ordre, derrière celle des autres héritiers réservataires, descendants ou ascendants,
c'est seulement pour éviter un concours délicat entre héritiers réservataires. Or, la
présence d'un conjoint survivant et d'un ou des grands-parents dans la dévolution
n'engendre en rien ce risque puisque, pour faire valoir son droit à réserve, encore
faut-il venir en qualité d'héritier. Dès lors, les grands-parents n'ont droit à la
réserve des ascendants qu'autant qu'ils sont eux-mêmes appelés à succéder (50).
Or, tel n'est pas le cas ici, puisque le conjoint prime les grands-parents.
Il est vrai que réservataire ou non, le conjoint survivant recueillera ab
intestat la totalité de la succession.
44. Néanmoins, la qualité de réservataire devient décisive lorsque le défunt a
institué un tiers légataire universel. Dans un tel cas, la présence du grand-père fait-
elle perdre tout droit au conjoint ? Faute de réserve susceptible de s'exercer, le
légataire recevrait-il toute la succession, conjoint et grand-parent étant renvoyés
dos à dos ? C'est du moins le résultat auquel conduit l'analyse littérale de l'article
914-1 du Code civil. Toutefois, on peut sans doute analyser différemment le texte.
Ainsi, dans une seconde lecture du texte, on pourrait considérer que le
legs universel exhérédant indirectement ou directement le conjoint survivant, la
succession est alors dévolue aux ascendants ordinaires pour leur réserve qui
deviendrait effective, faute de conjoint pour les priver de la qualité d'héritier. Le
raisonnement n'est pas nouveau. Incontestablement, l'exhérédation produit des
effets, mais la question exacte est de savoir si c'est bien le titre d'héritier qui est
atteint par l'exhérédation ou bien seulement l'émolument.
En 1949, un auteur posait déjà le débat en ces termes (51). Dès lors, de
deux choses l'une : ou bien l'exhérédation atteint le titre même de l'héritier et, dans
ce cas, il n'a plus la qualité d'héritier, ou bien, le disposant n'a de pouvoir que sur
l'émolument disponible, sans qu'il soit possible d'atteindre le titre d'héritier qui
reste un titre nu pour celui-ci. Privé de ses droits, il reste alors héritier. C'est ce
qu'exprime un auteur dans l'adage « Deus solus heredes facere potest, non homo »
(52). Après quelques arrêts qui semblaient retenir l'exclusion définitive de
l'héritier exhérédé de la succession, la Cour de cassation, en 1932 (53), revint à la
permanence du titre de l'héritier exclu.
Ainsi, privé de son émolument, non de son titre, le conjoint survivant
resterait un héritier. En présence d'un legs universel au profit d'un tiers qui prive le
conjoint de ses droits, le grand-père ne vient pas à la succession pour sa réserve.
Comme dans la première approche, considérer que la présence du grand-père prive
le conjoint de toute réserve ferait profiter le tiers légataire de la totalité.
45. Sans doute, une troisième lecture de l'article 914-1 du Code civil serait plus
appropriée. Elle conduit à lire le texte hors de sa lettre, dans son esprit, pour
admettre que le conjoint survivant est héritier réservataire en présence d'ascendant
ne venant pas à la succession en rang utile. Dès lors, en présence d'un conjoint
survivant et d'un grand-père, le legs consenti à un tiers ne pourra pas s'exécuter
dans sa totalité, mais pour les trois quarts seulement, le conjoint survivant recevant
alors sa réserve.
L'esprit du texte est que le législateur a voulu éviter les concours de
réserve, non que la présence de grands-parents interdise la qualité d'héritier
réservataire au conjoint. Il semble raisonnable de lire le texte de l'article 914-1 du
Code civil comme visant le cas d'un concours de vocation entre conjoint et
ascendants. Les ascendants dont s'agit ne seraient que les ascendants privilégiés, le
père et la mère qui, en concours avec l'époux survivant, prennent leur réserve
héréditaire sans que le conjoint puisse y prétendre.
46. Mais pour prétendre à sa réserve, le conjoint survivant ne doit pas seulement
être héritier successible. Encore faut-il qu'il ne soit pas engagé dans une instance
en divorce ou en séparation de corps.
Refuser sa réserve au conjoint en cours d'instance en divorce est
compréhensible. Les époux ont en tête la disparition du lien qui les unit. Depuis
longtemps déjà, la pratique notariale, dans ces situations, préconisait de garder un
testament au dossier pour priver le conjoint de ses droits légaux dans l'hypothèse
d'un décès en cours d'instance (54).
En revanche, l'exclusion de la réserve en cours d'instance en séparation de
corps est plus surprenante dans la mesure où, d'une part, la séparation de corps ne
conduit qu'au relâchement du lien matrimonial, pas à sa rupture et, d'autre part et
surtout, que si la décision était passée en force de chose jugée, seul l'époux séparé
de corps « à ses torts » (55) en eût été privé de plein droit. Là encore, on pourrait
s'interroger sur la façon de lire le texte. Peut-être ne faudrait-il retenir l'exclusion
de la réserve qu'autant que l'instance en cours aurait été contentieuse et qu'elle
laisserait pour survivant l'époux assigné sur le fondement de la faute ou
demandeur pour rupture de la vie commune. Mais ce ne serait pas plus raisonnable
dans la mesure où l'on ne peut souvent pas diagnostiquer à l'avance le sort de
l'instance en cours.
47. Au-delà de ces polémiques interprétatives, très concrètement, l'exigence de la
réserve héréditaire au profit du conjoint ne sera pas sans soulever des difficultés en
présence d'entreprises familiales, particulièrement rurales, pour lesquelles, en
l'absence de descendant, il n'est pas rare qu'un collatéral privilégié, un neveu, le
plus souvent, soit pressenti comme repreneur par son oncle qui souhaite - pis
encore, a déjà - effectué en sa faveur une libéralité de l'entreprise familiale pour
l'installer à moindre coût. Le coût de l'installation au terme d'une libéralité est
toujours moins onéreux, malgré la fiscalité, que le paiement du prix.
Malheureusement, pour toutes les successions ouvertes à partir du 1er juillet 2002,
la réserve du conjoint dans ces situations risque de bloquer le processus. Lorsque
l'entreprise familiale est au centre de la fortune du de cujus, le neveu repreneur
encourra alors la réduction de sa libéralité. Bien sûr, la difficulté ne sera pas
majoritaire, elle restera marginale et les notaires adapteront leurs conseils aux
nouvelles dispositions. Cependant, on peut tout de même se poser la question de
savoir si autant de bouleversements étaient bien nécessaires, pour une réserve
héréditaire qui certainement ne satisfera personne, parce que trop faible pour les
uns et trop rigide pour les autres.
Sans doute, le nouveau droit temporaire au logement impératif, effet
direct du mariage, complété par un droit viager au logement de nature supplétive,
remplit-il mieux ce dessein de protection.
B. Les droits au logement du conjoint survivant
48. Les projets de loi nos 2530 et 1941 consacraient, après les premiers
développements du 72e Congrès des notaires de France en 1975, l'idée, pour le
conjoint survivant, d'un droit au maintien de ses conditions d'existence et de son
cadre de vie, mais ils le limitaient au cas où le conjoint avait été exhérédé en tout
ou en partie. La loi nouvelle va plus loin. Elle instaure, au profit du conjoint
survivant, deux types de droits au logement : l'un temporaire, l'autre
complémentaire, dans le sillage du premier, qui est viager. Ils portent tous deux
sur le logement que le conjoint survivant occupait effectivement à titre d'habitation
principale à l'époque du décès. Peu importe qu'il soit détenu par le de cujus à titre
personnel ou qu'il soit commun aux époux.
Le droit temporaire au logement est d'ordre public. Il s'est appliqué aux
successions ouvertes à compter de la publication de la loi au Journal officiel (56).
Par ailleurs, si le conjoint survivant en a manifesté la volonté, il bénéficie d'un
droit viager au logement applicable à toutes les successions ouvertes à compter du
1er juillet 2002. Il prend la suite du premier. Le de cujus ne peut en priver son
conjoint survivant qu'à des conditions strictes de forme.
1. Un droit temporaire au logement
49. Symboliquement, le droit temporaire au logement est une grande avancée pour
le statut du logement familial (57) en droit français. On peut sans doute considérer
que le nouvel article 763 du Code civil instaure une protection du logement du
conjoint survivant successible (58) qui s'apparente à un « régime matrimonial
primaire à cause de mort ».
Le texte dispose que, « si à l'époque du décès, le conjoint successible
occupe effectivement, à titre d'habitation principale, un logement appartenant aux
époux ou dépendant totalement de la succession, il a de plein droit, pendant une
année, la jouissance gratuite de ce logement, ainsi que du mobilier, compris dans
la succession, qui le garnit.
Si son habitation était assurée au moyen d'un bail à loyer, les loyers lui en
seront remboursés par la succession pendant l'année, au fur et à mesure de leur
acquittement.
Les droits prévus au présent article sont réputés effets directs du mariage
et non droits successoraux ».
50. Quant à son bénéficiaire, le droit temporaire au logement est acquis à tout
époux successible, quel que soit son régime matrimonial, sans tenir compte de sa
condition dans la succession. Dans l'esprit, ce texte paraît prolonger les
dispositions de l'article 215, alinéa 3, du Code civil, et pourrait s'appliquer dans les
mêmes conditions que lui à la résidence effective et principale du conjoint
survivant. Comme les dispositions du régime primaire, le droit temporaire au
logement est réputé effet direct du mariage et d'ordre public. Les époux ne peuvent
pas y faire obstacle par des dispositions à cause de mort. Ainsi, à supposer que le
de cujus ait légué le logement, le legs ne pourra pas nuire à l'exercice du droit
temporaire. Le légataire n'entrera en possession du bien qu'à l'expiration du droit
du conjoint.
51. Bien que d'ordre public, le droit temporaire au logement connaît néanmoins
des limites quant à son objet. Notamment, il semble que si le de cujus avait donné
la nue-propriété du bien, sans réversibilité d'usufruit sur la tête de son conjoint à
son décès, le droit temporaire au logement n'existe pas. Il n'a pas d'assiette pour
s'exercer. Le logement « n'appartient pas aux époux » comme le requiert la loi. Il «
ne dépend pas » non plus de la succession, dans la mesure où l'usufruit du de
cujus, simple droit viager, disparaît au décès de son titulaire. Le bien n'est pas dans
la succession. Juridiquement, dans cette situation, c'est en amont qu'il faudra
envisager la protection du conjoint survivant, par le jeu des dispositions de l'article
215, alinéa 3, du Code civil, puisque la jurisprudence considère qu'un époux ne
peut céder seul la nue-propriété du logement de la famille sans le consentement de
son conjoint et ne pas lui réserver l'usufruit jusqu'à son décès (59). A défaut,
même s'il s'agit d'un bien propre, la cession est entachée de nullité.
52. Lorsque le logement qu'occupe effectivement le conjoint survivant à l'époque
du décès n'appartient pas aux époux mais à une société, on pourrait douter
également que le droit temporaire au logement existe. Y a-t-il lieu, dans cette
situation, de faire prévaloir le droit matrimonial sur le droit des sociétés ? La
question s'est posée dans des termes très proches, du vivant des époux, pour la
mise en œuvre des dispositions de l'article 215, alinéa 3, du Code civil et la
jurisprudence a répondu dans le sens de la protection du logement de la famille par
le droit matrimonial (60). Bien sûr, on pourra rétorquer que la solution n'est pas
forcément transposable dans la mesure où l'article 215, alinéa 3, du Code civil vise
« les droits par lesquels est assuré le logement de la famille », ce qui permet d'y
voir des droits de toute nature, même des droits sociaux, tandis que l'article 763 du
Code civil ne vise qu'« un logement appartenant aux époux ». Il paraît ne retenir
que la détention directe d'un bien. Pourtant, l'esprit du texte est au « droit au
logement », comme l'indique l'intitulé du § III de la loi, indépendamment de toute
autre qualification (les articles 763 à 766 du Code civil sont remplacés par un
paragraphe 3 ainsi rédigé : « Paragraphe 3 : Du droit au logement temporaire et du
droit viager au logement ».). La qualification « droit au logement » admet la mise
en œuvre du droit temporaire lorsque toutes les parts sociales sont détenues en
propriété par les époux ou le prédécédé. En soit, le seul écran de la personnalité
morale ne paraît pas être un obstacle insurmontable à l'existence du droit
temporaire au logement (61). En revanche, la solution pourrait être différente
lorsque les parts de la société n'appartiennent pas seulement « aux époux », mais
également à des tiers, notamment les enfants des époux, parce qu'alors, non
seulement le bien n'appartient pas aux époux, mais en plus, il ne « dépend [pas] en
totalité de la succession ». On sort du cadre que pose la loi. Outre l'écran de la
personnalité morale, est en cause également le droit de propriété des tiers, plus
seulement le droit du mariage. D'ailleurs, la difficulté est la même lorsque le
logement est détenu par l'un ou les époux en indivision avec des tiers. Contre le
droit de propriété des tiers, le droit temporaire au logement pourrait être inefficace.
Il résultera immanquablement de ces situations un contentieux
d'interprétation des dispositions de l'article 763 nouveau du Code civil. Le tout
étant de savoir si le nouveau texte instaure un simple droit sur le logement ou au
contraire un véritable droit au logement au profit du conjoint survivant.
53. L'introduction des dispositions de l'article 763 nouveau du Code civil a conduit
logiquement à la disparition des gains de survie de l'article 1481 du même code.
En cas de dissolution de la communauté par décès, ce texte manifestait certains
égards vis-à-vis du conjoint survivant. Il lui accordait des droits de viduité.
Pendant les neuf mois suivant le décès, le conjoint commun en biens avait droit
aux frais de la communauté, à la nourriture, au logement, ainsi qu'aux frais de
deuil. Concrètement, les gains de survie accordaient au profit du seul conjoint
commun en biens une sorte de maintien temporaire des dépenses du ménage (62).
Le nouveau texte de l'article 763 du Code civil généralise à tous les époux les
droits de viduité reconnus jusqu'alors au profit d'un seul régime matrimonial (la
communauté) mais sur le seul logement et les meubles meublants qui le
garnissent. Le législateur méconnaît désormais, au titre des gains de survie, les
frais de deuil et de nourriture. En revanche, la protection qu'il confère n'est plus de
neuf mois seulement mais de un an à compter du décès.
54. Comme les gains de survie, même s'il confère au survivant la jouissance
gratuite de son logement et du mobilier meublant, le droit temporaire au logement
ne constitue en rien une libéralité. Au plan fiscal, il n'a pas à être taxé entre les
mains de son bénéficiaire. Au contraire, il semble constituer une charge
successorale déductible par prélèvement, dans la mesure où le texte dispose que «
si son habitation était assurée au moyen d'un bail à loyer, les loyers lui en seront
remboursés par la succession pendant l'année au fur et à mesure de leur
acquittement ». Légalement, le texte prévoit une déduction « au fur et à mesure ».
Il risque donc de se poser un problème pratique lors de l'établissement de la
déclaration de succession, qui doit être déposée auprès de l'administration fiscale
dans les six mois du décès, alors que la déduction s'opèrera sur un an. Pour régler
la difficulté, une solution consisterait à provisionner les douze mois de loyers,
quitte à déposer une déclaration de succession complémentaire si le conjoint
survivant ne profite pas de son droit de jouissance pendant l'année entière, soit
qu'il vienne à décéder, soit qu'il vienne à y renoncer ultérieurement.
Bien que le texte ne vise expressément que le sort des loyers, il est
légitime de se demander sur qui pèseront les charges accessoires du loyer, telles
que la quote-part de charges de copropriété recouvrable sur le locataire par le
propriétaire. La règle traditionnelle de droit civil veut que l'accessoire suive le
principal. Peut-être pourrait-on considérer que ces charges, qui peuvent être
raisonnablement qualifiées sur le plan civil d'accessoire, pourraient être à la charge
de la succession ?
55. S'agissant d'un droit de nature matrimoniale et non successorale, le droit
temporaire au logement bénéficie au conjoint survivant quelle que soit son option
dans la succession et alors même qu'il aurait été exhérédé. Pour cette même raison,
le droit temporaire au logement ne peut en rien être réduit pour cause d'excès.
Aucune action en réduction n'est possible à son encontre.
Qualifié effet direct du mariage, au même titre que le régime matrimonial
primaire, il semble que, comme lui, il puisse bénéficier, en droit international
privé, à tous les époux Français où qu'ils vivent ainsi qu'à tous les époux étrangers
qui vivent sur le territoire de la République, au titre des lois de police.
En revanche, le droit viager au logement, complément temporel du droit
temporaire au logement, est de nature successorale.
2. Un droit complémentaire viager au logement
56. Complément du droit temporaire, le droit viager au logement est de nature
successorale. Il est réglementé par les nouveaux articles 764 à 766 du Code civil.
Ainsi, « sauf volonté contraire du défunt exprimée dans les conditions de l'article
971 du Code civil, le conjoint successible qui occupait effectivement, à l'époque
du décès, à titre d'habitation principale, un logement appartenant aux époux ou
dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu'à son décès, un
droit d'habitation et un droit d'usage sur le mobilier, compris dans la succession, le
garnissant ». L'objet du droit viager au logement est d'assurer au conjoint
survivant une maintenance. Il s'agit pour lui, sa vie durant, de rester dans son cadre
de vie, de ne pas quitter la résidence conjugale et d'y vivre au milieu des meubles
familiers (63).
Mais, parce que l'article 764 du Code civil règle la dévolution des biens
dépendant de la succession, le conjoint survivant n'a pas de droit viager, au sens de
ce texte, sur le logement qui ne faisait l'objet que d'un bail à loyer. En présence
d'un bail assurant son habitation principale et effective, la prérogative successorale
légale du conjoint s'arrête à un simple droit d'usage sur le mobilier qui le garnit
(64). Le sort du bail dépend alors du droit des baux d'habitation, également
favorable au conjoint (65).
57. Dans son contenu, le droit viager au logement semble conférer au conjoint
survivant plus qu'un simple droit d'usage et d'habitation. Il se présente comme un
droit intermédiaire entre le droit d'usage et d'habitation et le droit d'usufruit. Il est
d'ailleurs présenté comme étant « d'habitation et d'usage ».
En effet, un simple droit d'usage et d'habitation, bien qu'étant un droit
réel, comme l'usufruit, présente la particularité de ne donner à son titulaire que le
droit d'user de la chose et d'en percevoir les fruits, dans la limite de ses besoins et
de ceux de sa famille (66). Il est conféré intuitu personae à l'usager ou à sa
famille. Particulièrement, le bien grevé d'un tel droit ne peut pas être loué (67). Tel
n'est pas le cas du droit viager au logement issu de l'article 764 nouveau du Code
civil.
Tout d'abord, le texte nouveau ne fait pas référence aux dispositions de
l'article 630 du Code civil. Il se réfère seulement aux dispositions des articles 627,
631, 634 et 635 de ce code. Il dispose par ailleurs : « par dérogation aux articles
631 et 634 du Code civil, lorsque la situation du conjoint fait que le logement
grevé du droit d'habitation n'est plus adapté à ses besoins, le conjoint ou son
représentant peut le louer à usage autre que commercial ou agricole afin de
dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d'hébergement ».
Ainsi, aucune autre condition que celle posée au texte ne semble requise pour
permettre au survivant de louer le bien. Il ne semble pas nécessaire qu'il ait besoin
de cet argent pour se reloger.
En revanche, seuls sont autorisés, sur le fondement de l'article 764 du
Code civil, les baux d'habitation ou professionnels, soit ceux que peut consentir un
usufruitier seul (68). Pour le reste, le droit viager au logement répond
essentiellement aux règles applicables à un droit d'usage et d'habitation. Son
titulaire doit en jouir « en bon père de famille » et en assurer les charges
d'entretien courant. En principe, il en jouit à titre personnel.
58. Pour revendiquer (69) son droit viager au logement, le conjoint survivant doit
avoir la qualité d'héritier. Il doit donc avoir accepté la succession, au moins sous
bénéfice d'inventaire. La manifestation de volonté doit intervenir dans l'année du
décès, au-delà, il est trop tard. Ainsi, lorsque les héritiers se présenteront
tardivement chez le notaire pour le règlement de la succession, il arrivera parfois
que le délai d'un an soit expiré. La question sera alors de savoir si le conjoint a ou
non exprimé sa volonté dans le délai. Bien sûr, la loi n'exige pas de forme
particulière pour la demande. Cependant, en raison de l'opposition d'intérêts entre
le conjoint et les autres héritiers, il sera difficile d'éviter toute controverse sur le
sens à donner au comportement du conjoint. Pour éviter toute difficulté, il sera
préférable de lui conseiller une manifestation de volonté expresse, dans l'acte de
notoriété par exemple, ou en dehors, dans un acte spécifique de déclaration
d'option.
59. L'analyse de la volonté du conjoint sera essentielle dans les situations
familiales conflictuelles lorsque le conjoint survivant ne recueille pas un droit à
l'universalité qui lui permette de prétendre, sur ce fondement, à son maintien dans
le logement. En cas de silence du conjoint pendant un an après le décès, il sera
réputé avoir renoncé à son droit viager et pourra être contraint de quitter son cadre
de vie. La simple occupation du logement pendant l'année qui suit le décès risque
de ne pas être considérée comme une manifestation de volonté implicite de
revendiquer le droit viager au logement, puisqu'elle résulte de la mise en œuvre
d'un autre droit, son droit matrimonial au logement. A moins que la jurisprudence,
par faveur pour le conjoint, retienne que le droit viager, n'étant qu'un droit
complémentaire au droit temporaire, le maintien dans les lieux suffit à caractériser
la manifestation de volonté requise par l'article 765-1 du Code civil.
En revanche, si le conjoint survivant peut prétendre à un usufruit
universel, aucune difficulté ne se pose lorsque le logement n'a pas été légué. Le
droit viager au logement se fond alors dans la vocation universelle du conjoint qui,
en principe, peut s'exprimer pendant trente ans. Mais la difficulté renaît si le
logement a été légué à un tiers. Alors, au bout d'un an, quand expire le droit
temporaire au logement, le legs s'exécute, faute pour le conjoint d'avoir revendiqué
son droit viager.
60. Une fois acquis le droit viager au logement, sa valeur s'impute sur la valeur des
droits successoraux du conjoint survivant, dans les conditions de l'article 765
nouveau du Code civil (70), de manière très favorable au conjoint. Dans les faits,
en droit civil, le conjoint survivant aura, sur le logement et les meubles meublants
dont il est garni, sa vie durant, presque autant de prérogatives qu'un usufruitier.
Sur le plan fiscal, la loi avantage encore le conjoint. Elle prévoit que le
droit viager sera évalué, pour la liquidation des droits de mutation à titre gratuit, à
60 % de la valeur de l'usufruit déterminée conformément à l'article 762 du Code
général des impôts (71). Ainsi, en suivant les courbes de mortalité des Français,
pour un conjoint survivant de 70 ans et plus, le droit viager correspondra à 6 % de
la valeur du bien. Il va sans dire que cette évaluation n'est que fiscale et donc sans
incidence pour la détermination de la valeur du droit dans la liquidation civile de
la succession qui suit, comme pour la détermination d'un usufruit civil, la loi des
parties. Mais rien n'empêchera, pour la liquidation civile, en pratique, de retenir 60
% de la valeur d'un usufruit économique.
61. Bien que complémentaire du droit temporaire, puisqu'il ne peut exister qu'à sa
suite, le droit viager n'est cependant ni impératif, ni systématique. La loi admet
que le de cujus puisse en exhéréder son conjoint survivant au moyen d'un
testament authentique.
Néanmoins, priver son conjoint du droit viager au logement est un acte
grave de conséquences, qui doit être fait en toute connaissance de cause pardevant
l'homme de l'art compétent. C'est d'autant plus vrai de ce texte que la technique de
mise en œuvre de l'exhérédation retenue est complexe. Selon les dispositions de
l'article 764, alinéa 2, du Code civil, « la privation de ces droits d'habitation et
d'usage exprimée par le défunt dans les conditions mentionnées au premier alinéa
est sans incidence sur les droits d'usufruit que le conjoint recueille en vertu de la
loi ou d'une libéralité qui continuent à obéir à leurs règles propres ». La tâche sera
ardue pour le notaire. Il devra s'assurer, au cas par cas, de quoi le testateur entend
exhéréder son conjoint. S'agit-il de tous droits dans la succession, de tous droits
sur le logement ou seulement du droit viager au logement ? Exhéréder du seul
droit viager au logement ne servira à rien si le conjoint détient par ailleurs un
usufruit universel. Plus encore, l'esprit du texte porte à penser qu'une exhérédation
indirecte au moyen d'un legs du logement de la famille au profit d'un tiers serait
sans effet sur le droit viager qui pourrait s'exécuter malgré tout. Pour priver son
conjoint survivant du droit viager au logement, il conviendra de le dire
expressément, surtout de l'assumer psychologiquement. Parce qu'il est souvent
plus difficile d'exhéréder que de donner, la générosité du législateur sera rarement
remise en cause, assurant ainsi au conjoint survivant une véritable maintenance de
son cadre de vie.
62. Plus que la réserve héréditaire proprement dite, issue de l'article 914-1
nouveau du Code civil, bien plus que toute autre nouveauté issue de la loi
nouvelle, la véritable innovation protectrice du conjoint survivant relève du droit
au logement. Parce que le logement de la famille est au cœur de la fortune de la
majorité des français, son attributaire devient le maître de la succession. Par son
droit au logement, le conjoint survivant est désormais, dans les faits, le premier
ordre des héritiers. Sorte d'attributaire anomal du logement de la famille, il prime,
par bien des côtés, tous les autres héritiers.
***
________________________________________________________
(1) Loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint
survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit
successoral ; Defrénois 2002, Lég., p. 3 et suiv., et pour un commentaire global
de la loi, v. M.-C. FORGEARD, B. GELOT et R. CRONE, La réforme des
successions, éd. Defrénois, avril 2002.
(2) Précis de droit civil, par G. BAUDRY-LACANTINERIE, 11e éd., par G.
CHENEAUX, t. 3, Sirey, 1914.
(3) Ancêtre lointain du nouveau droit de retour légal instauré par l'article 757-3
du Code civil, issu de la loi du 3 décembre 2001, au profit des frères et sœurs
du défunt, en ce qui concerne les biens de famille.
(4) Dès 1953, l'avant-projet de réforme du Code civil proposait de reconnaître
au conjoint survivant un droit égal à « une part d'enfant légitime le moins
prenant ».
(5) I. THERY, Rapport au ministre de l'emploi et de la solidarité, et au garde
des sceaux, ministre de la justice, « Couple, filiation et parenté aujourd'hui, le
droit face aux mutations de la famille et de la vie privée », La documentation
française, mai 1998.
(6) Rapport I. THERY, op. cit., p.148.
(7) La Belgique, par exemple.
(8) L'Allemagne, l'Italie ou encore la Suisse.
(9) Rapport de la Commission présidée par Mme F. DEKEUWER-DEFOSSEZ
au garde des sceaux, ministre de la justice, « Rénover le droit de la famille :
propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps
», septembre 1999, p. 168 et suiv.
(10) Projet de loi no 511, déposé le 21 décembre 1988 ; projet de loi no 2530,
enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 23 décembre 1991 ;
proposition de loi enregistrée à la présidence du Sénat le 22 mai 2002, doc.
Sénat, n° 309.
(11) V. le rapport de M. F. VIDALIES au nom de la commission des lois, doc.
Assemblée nationale no 2910, enregistré à la présidence de l'Assemblée
nationale le 1er février 2001, qui précisait qu'en France, les successions
moyennes s'élèvent à moins de 91 500 € (soit approximativement 600 000 F).
(12) P. CATALA, « Pour une réforme des successions », Defrénois, 1999, art.
36964, p. 449 et suiv.
(13) Rapport F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, préc., p.172.
(14) A titre d'exemples, le projet de loi relatif aux successions no 2530,
enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 23 décembre 1991, ou
encore le projet de loi modifiant le Code civil et relatif aux successions no
1941 enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 1995, ou
encore la lettre rectificative au projet no 1941 présentée par J. TOUBON.
(15) En premières noces, la statistique nous enseigne qu'au moment du
mariage, la différence d'âge entre époux est de deux ans en moyenne. Si l'on
ajoute à cela qu'actuellement l'espérance de vie des femmes est de 7 à 8 ans de
plus que celle des hommes, on constate que le conjoint survivant est
principalement une femme qui survivra à son mari une dizaine d'années.
(16) Rapport F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, préc., p.174.
(17) V. cependant les interrogations de M. GRIMALDI, « Droits du conjoint
survivant : brève analyse d'une loi transactionnelle », Actualité juridique
Famille, février 2002, p. 50 et 53.
(18) Ancien art. 767, al. 5, C. civ. : « L'époux survivant ne pourra exercer son
droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs, ni
par acte testamentaire ».
Les biens existants, au sens de l'article 767 ancien du Code civil,
s'entendaient de manière plus restrictive que les biens existants de l'article 922
du même code, qui permettent d'établir la masse de calcul de la réserve, mais
dont l'objectif est différent puisqu'il s'agit de recomposer le patrimoine du
défunt à l'effet d'assurer les droits des héritiers réservataires.
(19) Art. 758-5 nouv., C. civ. : « Le calcul du droit en toute propriété du
conjoint prévu aux articles 757 et 757-1 sera opéré sur une masse faite de tous
les biens existant au décès de son époux auxquels seront réunis fictivement
ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire,
au profit de successibles, sans dispense de rapport.
Le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le
prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et
sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour. »
(20) M. GRIMALDI, op. cit., p. 50.
(21) V. note 19.
(22) M. GRIMALDI, Droit civil, Successions, 6e éd. 2002, Litec nos 206 et
suiv. (Pour des applications et des calculs, v. spéc., no 211.)
Techniquement, pour déterminer ce droit légal du quart en pleine
propriété, il y a lieu de procéder en deux étapes.
D'abord, il convient de former la « masse de calcul ». Figurent dans cette
masse deux catégories de biens. La première catégorie comprend les biens dont
le de cujus était propriétaire au moment de sa mort, ce que la loi appelle les
biens existants au décès du de cujus. N'en font pas partie les biens qui font
l'objet d'un droit de retour. La seconde catégorie de biens figurant dans la
masse de calcul est composée des biens soumis au rapport (les libéralités
consenties en avancement d'hoirie). Les biens rapportables sont réunis
fictivement aux biens existants pour constituer la masse de calcul sur laquelle
se calcule le quart en pleine propriété. Est ainsi déterminée, lors de cette
première étape, l'assiette théorique des droits en pleine propriété du conjoint
survivant.
Ensuite, il convient de former la « masse d'exercice ». Dans la masse
d'exercice, il y a lieu de soustraire de la masse de calcul un certain nombre de
biens. En effet, il est des biens sur lesquels les droits légaux du conjoint ne
peuvent pas s'exercer, bien qu'ils fassent partie de la masse de calcul. Ainsi, on
va soustraire de la masse de calcul les biens objet du rapport puisque leur
réunion aux biens existants dans un premier temps n'était qu'une réunion
fictive, dans un but comptable. En effet, la volonté du législateur n'a pas été de
voir le conjoint survivant nuire aux successibles qui avaient été gratifiés en
avancement d'hoirie. Puis, on va retirer de la masse de calcul les biens qui font
partie de la réserve héréditaire. En effet, le législateur a souhaité que ces biens
parviennent aux héritiers réservataires sans contraintes pour eux (remarque
complémentaire : il va sans dire que lorsque le rapport s'impute sur la part de
réserve revenant à l'héritier qui le doit, il n'est pas déduit une deuxième fois de
la masse de calcul au titre du rapport).
Cette soustraction, à laquelle il est procédé pour déterminer la masse
d'exercice, ne supprime pas l'utilité qu'il y a eu dans un premier temps à
déterminer la masse de calcul. En effet, on ne va pas déterminer les droits
légaux du conjoint en pleine propriété en appliquant la quotité légale du quart à
la masse d'exercice.
La masse d'exercice ainsi déterminée va alors constituer un second
maximum que les droits légaux en pleine propriété du conjoint survivant ne
pourront pas dépasser.
Illustration :
Le de cujus laisse son conjoint survivant et deux enfants. Son patrimoine
se compose de 100 000 € en biens existants et 20 000 € en biens légués. Le
légataire est l'un des enfants. Le conjoint survivant opte pour le quart en pleine
propriété.
Masse de calcul : Biens existants 100.000
Rapport + 0
100.000
Quotité des droits en propriété : 1/4, soit 100 000 × 1/4 = 25 000 €.
A ce stade, on a déterminé la masse de calcul et les droits théoriques du
conjoint survivant. Lors de la seconde étape, il va falloir déterminer les droits
effectifs du conjoint survivant, qui ne peuvent dépasser ni les droits théoriques
initialement déterminés, ni la masse d'exercice.
Masse d’exercice : Masse de calcul 100.000
Réserve (art. 922, C. civ) - 80.000
Rapport - 0
Le plus petit maximum ainsi déterminé entre la masse de calcul affectée
du 1/4 en pleine propriété (25 000 €) et la masse d'exercice (20 000 €) n'est que
de 20 000 €.
Les droits en propriété du conjoint seront de ce montant (réévalués s'il y a
lieu en fonction de la valeur des biens au jour du partage).
(23) Art. 758-3 nouv., C. civ.
(24) Art. 758-4 nouv., C. civ.
(25) Désormais les règles de conversion sont unifiées concernant tous les
usufruits : légal, conventionnel, universel ou non.
(26) Art. 759 et suiv. nouv., C. civ.
(27) Art. 761 nouv., C. civ.
(28) Dans le même sens, selon le nouvel article 766 du Code civil, seule la
convention des parties, et donc, l'accord du conjoint survivant, permet la
conversion de ses droits d'habitation et d'usage en rente viagère ou en capital
(v. II, B, nos 56 et suiv.).
(29) De façon moins pessimiste, supposons une recomposition familiale qui
mette en présence le second conjoint, une veuve, et deux enfants issus d'un
premier mariage, mâles. Retenons une différence d'âge de 10 ans entre le de
cujus et son épouse plus jeune. Le défunt a eu ses enfants aux environs de 25
ans et il décède à l'âge de 75 ans. Sa veuve a donc 65 ans et ses enfants,
approximativement, 50 ans. Dans la mesure où la statistique nous enseigne que
les femmes vivent 8 ans de plus que les hommes, pourvue d'un usufruit légal
universel, on constate que si la veuve vit jusqu'à 83 ans, les enfants du premier
lit n'auraient jouit que très peu de temps de la reconstitution de la pleine
propriété des biens de leur auteur sur leur tête.
(30) Le quart en usufruit, art. 767 ancien, C. civ.
(31) Illustration :
Soit une succession composée d'une maison, d'une valeur de 100 000 €,
de mobilier pour 20 000 €, d'un compte bancaire pour 10 000 € et d'une voiture
pour 10 000 €. Il n'y a pas de passif. Le de cujus n'avait pas consenti de
donations antérieures de biens présents, il n'a pas non plus consenti de legs.
L'actif net successoral s'élève donc à 140 000 €.
La dévolution se fait au profit du conjoint survivant et de deux enfants
non-communs issus d'un premier mariage.
Le de cujus avait consenti une donation de biens à venir au profit de son
conjoint survivant. Elle porte sur l'usufruit universel des biens existants au
décès.
1re situation :
Si la succession est ouverte avant le 1er juillet 2002, le conjoint survivant
reçoit sa donation en usufruit seulement, soit une donation portant sur une
assiette de 140 000 €. Il ne reçoit rien au titre de ses droits légaux dans la
mesure où la donation lui accorde plus que sa vocation légale réduite du quart
en usufruit, calculée selon les dispositions de l'article 767 anc., C. civ (soit un
usufruit portant sur une assiette de 35 000 €).
2e situation :
A supposer que la succession s'ouvre à compter du 1er juillet 2002, le
conjoint survivant reçoit un usufruit portant sur 140 000 € au titre de sa
donation, comme dans la situation précédente, mais en plus, la disparition des
dispositions de l'article 767, al. 6, C. civ., conduit à considérer que le conjoint
survivant devra recevoir également la pleine propriété du quart, calculée selon
les dispositions du nouvel article 758-5, C. civ., soit 35 000 €.
Le conjoint survivant semble donc avoir droit globalement à 35 000 € en
pleine propriété et 105 000 € en usufruit.
(32) Parfois même, le recours au testament authentique sera obligatoire,
notamment lorsqu'il s'agira de priver le conjoint survivant de son droit viager
au logement (V. II, B).
(33) Tableau récapitulatif de l'exemple :
Droit d'usufruit universel légal (art. 757, C. civ.) et libéralité en pleine propriété (art.
1094-1, C. civ.) cumulés au profit du conjoint survivant dans la famille «
traditionnelle » en tenant compte de la disparition des dispositions de l'article 767,
al. 6, C. civ.
En présence d'un enfant : 1/2 en pleine propriété au
titre de la libéralité
1/2 en usufruit (surplus
des droits légaux)
En présence de deux
enfants :
1/3 en pleine propriété au
titre de la libéralité
2/3 en usufruit (surplus
des droits légaux)
En présence de trois
enfants et plus :
1/4 en pleine propriété au
titre de la libéralité
1/4 en usufruit (surplus
des droits légaux)
(34) Cass. civ. 1re, 26 avril 1984, Defrénois 1984, art. 33456, note G. MORIN
; RTD civ. 1985, 194, note J. PATARIN ; JCP éd. N 1986, II, 2, note J.-M.
ARRAULT ; Gaz. Pal. 1985, 2, 460, note D. SALLE de la MARNIERE ; M.
GRIMALDI, « La combinaison de la quotité disponible ordinaire et de la
quotité disponible entre époux : revirement de jurisprudence », Defrénois
1985, art. 33565, p. 881 et suiv.
(35) Projet de loi modifiant le Code civil et relatif aux successions no 1941,
enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 1995, mis en
distribution le 17 février 1995, spéc. art. 15, page 34, modifiant l'art. 1094 du
Code civil de la façon suivante : « Les libéralités entre époux ne peuvent
excéder la quotité disponible et l'usufruit de la réserve cumulés. Elles sont
réputées préciputaires, à moins que le disposant n'ait exprimé la volonté
contraire.
Les libéralités ayant pour objet la quotité disponible la plus étendue
s'entendent comme il est dit ci-dessus de la quotité disponible et de l'usufruit
de la réserve cumulés » ; projet de loi modifiant le Code civil et relatif aux
droits des héritiers, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 23
décembre 1991, spéc. art. 3, p. 19.
Autre illustration :
En présence d'un enfant d'un premier lit du de cujus, légalement, le
conjoint survivant n'aura droit qu'à un quart en pleine propriété ; cependant, le
cumul de ce droit légal et d'une donation entre époux portant sur un quart en
pleine propriété et trois quarts en usufruit dans les conditions de l'article 1094-
1, C. civ. conduira, là encore, à ce que le conjoint survivant puisse prétendre à
la moitié en pleine propriété et l'autre moitié en usufruit.
(36) Art. 1094 C. civ., non modifié.
(37) On songe au choix d'une communauté universelle avec attribution
intégrale au conjoint survivant et clause d'exclusion de reprise des propres.
(38) V. les hésitations de G. GOUBEAUX, « Réforme des successions :
l'inquiétant concours entre collatéraux privilégiés et conjoint survivant (à
propos de l'article 757-3 nouveau du Code civil), Defrénois 2002, art. 37519,
p. 427 et suiv.
(39) Art. 749 nouv., C. civ. : « Lorsque la succession est dévolue à des
collatéraux autres que les frères et sœurs ou leurs descendants, elle se divise
par moitié entre ceux de la branche paternelle et ceux de la branche
maternelle».
Par mesure de simplification, les dispositions de l'article 752, C. civ., ont
été supprimées.
(40) BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., 381, no 561.
(41) J. FLOUR et H. SOULEAU, Droit civil, les successions, 2e éd., par H.
SOULEAU, Armand Colin, no 147.
(42) Art. 901-1, C. civ. Pour des développements, v. M. GRIMALDI, Droit
civil, Libéralités, partages d'ascendants, Litec, 1re éd. 2001, no 1221.
(43) Cass. civ., 24 janvier 1899, DP 1900 I, 533 ; CA Paris, 1er juillet 1961, D.
1962, p. 13.
(44) En ce sens, Cass., req., 8 juin 1836, S. 1836, I, 463 ; CA Montpellier, 25
avril 1844, DP 1845, 2, p. 36.
(45) De eo quod supererit : de ce qui restera. BESNARD, « Le legs de residuo
», Rev. not. et enr. 1932, n° 24323 ; G. GOUBEAUX, « Réserve et legs de
residuo », Defrénois 1990, art. 34699, p. 193 et suiv. ; P. BUFFETEAU, «
Réflexions sur le “ legs de residuo ” », Defrénois 1993, art. 35626, p. 1153 et
suiv.
V. H. ROLAND et L. BOYER, Locutions latines du droit français, Litec
3e éd., p. 100.
Sur le plan fiscal, les biens dévolus au second gratifié sont évalués à la
date du décès du premier légataire et non pas à la date du décès du testateur. Le
legs de residuo est, en effet, analysé pour le second gratifié comme un legs
sous condition suspensive. Enfin, là encore, parce que le second gratifié tient
son droit directement du testateur, les droits de succession doivent être calculés
d'après le degré de parenté existant entre eux et non pas d'après le degré
existant entre les deux légataires. V. M. COZIAN, « Le mode de calcul des
droits de succession dus par le bénéficiaire du legs de residuo », JCP éd. N
1971, I, 2364.
(46) Cass., req., 11 février 1863, DP 1863, 1, 232 ; Cass., req., 31 mai 1865,
DP 1865, 1, 438 ; Cass., req., 8 mai 1899, D. 1900, 1, 68 ; CA Poitiers, 11 mai
1971, D. 1871, 621 ; RTD civ. 1972, 161 obs. R. SAVATIER.
(47) Cass., ch. réunies, 2 juillet 1903, D. 1903, 1, 353 ; S. 1904, 1, 65.
(48) Dans le même sens, S. PIEDELIEVRE, « Réflexions sur la réforme des
successions », Gaz. Pal., 5-6 avril 2002, no 29. Sur la vigueur des termes
nécessaires à la rédaction du testament authentique privant le conjoint
survivant de son droit viager au logement, v. M.-C. FORGEARD, R. CRONE
et B. GELOT, op. cit., p. 142 et suiv.
(49) V. 75e Congrès des notaires de France, Deauville, 1975, travaux de la
deuxième commission, p. 477 ; I. THERY, Couple, filiation et parenté
aujourd'hui, La documentation française, 1998 ; P. CATALA, art. préc. nos 17
et suiv. ; 95e Congrès des notaires de France, Demain la famille, Marseille
1999, travaux de la quatrième commission, p. 870 et suiv.
(50) V. J. FLOUR et H. SOULEAU, op cit., no 486.
(51) BARRERE, L'exhérédation et le fondement du droit successoral, Thèse
Toulouse, 1949, spéc. p. 345.
(52) Rancelf de GLAINVILLE, livre VII, cap. 1 : « Dieu seul peut faire un
héritier, non pas l'homme ».
(53) Cass., req., 8 novembre 1932, DH 1832. 585 ; S. 1933, 1, 281, G.
VIALLETTON : « attendu que si les héritiers non réservataires privés par des
légataires universels perdent l'émolument que la loi les appelait à recueillir
dans la succession, ils conservent néanmoins, tant qu'ils n'ont pas renoncé, le
titre que la loi leur confère et, avec lui, tous les droits inhérents à ce titre
notamment celui de prendre, sous le contrôle et avec l'autorisation du juge,
toutes mesures conservatoires, pour le cas où le testament viendrait à être
annulé ou reconnu caduc », cité par Y. BUFFELAN-LANORE, « L'autonomie
de la volonté en matière d'exhérédation », RTD civ. 1966, 456.
(54) Désormais, le nouveau droit que le conjoint tient de l'article 764 du du
Code civil sur le logement de la famille (cf. II, B, nos 56 et suiv.) conduira à
exiger la forme d'un testament authentique lorsqu'il s'agira de le priver de son
droit viager au logement.
(55) En effet, seul l'époux séparé de corps à ses torts exclusifs ou qui a obtenu
la séparation de corps pour rupture de la vie commune perd de plein droit sa
qualité d'héritier. Par conséquent, si la succession laisse pour survivant séparé
de corps l'époux innocent, par exemple, il reste héritier et a la qualité de
réservataire dans les conditions de l'article 914-1 du Code civil.
(56) Art. 25, II, 1o) : « L'article 763 du Code civil dans sa rédaction issue de
l'article 4 et de l'article 15 de la présente loi sera applicable aux successions
ouvertes à compter de la publication de celle-ci au Journal officiel de la
République française ».
(57) G. CREFF, Le logement familial en droit civil, Thèse Rennes, 1975 ; A.
PONSARD, « L'interprétation par la Cour de cassation de la loi du 13 juillet
1965 sur les régimes matrimoniaux », Etudes offertes à J. FLOUR, spéc. p.
389.
(58) Art. 732, nouv., C. civ. : « Est conjoint successible le conjoint survivant
non divorcé, contre lequel n'existe pas de séparation de corps ayant force de
chose jugée. ».
(59) T.G.I. Paris, 16 décembre 1970, Gaz. Pal. 1971, 1, 115 ; Cass. civ. 1re, 16
juin 1992, Bull. civ. I, no 185 ; Defrénois 1992, art. 35349, p. 1156, obs. G.
CHAMPENOIS ; JCP éd. N 1992, II, p.109 ; RTD civ. 1993, 636, obs. F.
LUCET et B. VAREILLE.
(60) Cass. civ. 1re, 11 mars 1986, Bull. civ. I, n° 62.
(61) En présence d'une société civile immobilière constituée entre les époux,
pour éviter tout contentieux d'interprétation de l'article 763 nouveau du Code
civil, il faudrait préconiser la signature d'un bail entre la société et les époux.
C'est alors au titre du remboursement des loyers que le conjoint serait protégé
par un droit au logement temporaire incontestable.
(62) J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, Les régimes matrimoniaux, Armand
Colin, 2e éd., no 488.
(63) En ce sens, v. P. CATALA, « Le problème du droit successoral », Dr.
famille, hors série, décembre 2000, p. 34 et suiv.
(64) Art. 765-2 nouv., C. civ. : « Lorsque le logement faisait l'objet d'un bail à
loyer, le conjoint successible qui, à l'époque du décès, occupait effectivement
les lieux à titre d'habitation principale bénéficie d'un droit d'usage sur le
mobilier compris dans la succession le garnissant. »
(65) Art. 14, L. 6 juillet 1989 ; art. 1751, C. civ.
(66) Art. 630, C. civ. : « Celui qui a l'usage des fruits d'un fonds, ne peut en
exiger qu'autant qu'il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille.
Il peut en exiger pour les besoins même des enfants qui lui sont survenus
depuis la concession de l'usage ».
(67) Cass. civ. 3e, 9 novembre 1988, Bull. civ. III, no 158 ; Defrénois, 1990,
art. 34686, p. 178, note M. VION ; RTD civ. 1990, 309, obs. F. ZENATI.
(68) Art. 595, al. 4, C. civ. : « L'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-
propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial,
industriel ou artisanal. »
(69) Art. 765-1, nouv., C. civ. : « Le conjoint dispose d'un an à partir du décès
pour manifester sa volonté de bénéficier de ces droits d'habitation et d'usage ».
(70) Art. 765 nouv., C. civ. : « La valeur des droits d'habitation et d'usage
s'impute sur la valeur des droits successoraux recueillis par le conjoint.
Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est inférieure à celle de ses
droits successoraux, le conjoint peut prendre le complément sur les biens
existants.
Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est supérieure à celle de ses
droits successoraux, le conjoint n'est pas tenu de récompenser la succession à
raison de l'excédent ».
(71) Art. 8, L. 3 décembre 2001.
____________________
Tableau de synthèse des droits du conjoint survivant dans la loi du 3 décembre 2001
Les droits supplétifs du conjoint survivant
Les droits impératifs du conjoint survivant
1.- En présence de descendants (article 757 du Code
civil)
1.- Réserve héréditaire (article 914-1 du Code civil)
A défaut de descendant, le conjoint survivant, non
divorcé, bénéficie d’une réserve égale au quart de la
succession en propriété Dans la famille
traditionnelle (les enfants
sont tous issus des deux
époux)
Usufruit de la totalité des
biens existant au décès ou
propriété du quart des
biens
Dans la famille
recomposée (les enfants
ne sont pas tous issus des
deux époux)
Propriété du quart des
biens
Droit viager d’habitation du logement et d’usage du mobilier
meublant
(article 764 du Code civil)
2.- En l’absence de descendants (articles 757-1 à 758
du Code civil)
2.- Droit au logement temporaire (article 763 du
Code civil)
En cas de concours avec
les père et mère du
défunt (article 757-1 du
Code civil)
Le conjoint survivant
recueille la moitié de la
succession si les père et
mère sont tous les deux
vivants, les trois quarts si
l’un d’eux est prédécédé
En cas de concours avec
des collatéraux ou des
ascendants ordinaires
(articles 757-2 et 757-3 du
Code civil)
Le conjoint survivant
recueille la totalité de la
succession à l’exception
des « biens de famille »,
dévolus pour moitié aux
seuls collatéraux
privilégiés dans les
conditions prévues par
l’article 757-3 du Code
civil
Cass. Civ. 1ère, 3 janvier 1980
Sur le moyen unique pris en ses deux branches ;
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt confirmatif attaqué, que
Larbi Bouazza s’est marié en Algérie en 1936, avec Zohra
Bendeddouche, et en a eu sept enfants ; qu’après s’être installé en
France avec sa famille et y avoir acquis des immeubles, il est
retourné en Algérie et y a épousé, conformément à son statut
personnel, Fauma Boumaza dont il a eu deux enfants ; que, Larbi
Bouazza étant décédé en 1974, la Cour d’appel a décidé que dame
Boumaza et ses deux enfants, de nationalité algérienne comme le
défunt lui-même, étaient en droit de venir à la succession des
immeubles situés en France en qualité d’épouse et d’enfants
légitimes, au même titre que dame Bendeddouche et ses sept
enfants, également de nationalité algérienne, et en concours avec
eux ;
Attendu qu’il est fait grief à la Cour d’appel d’avoir ainsi statué,
alors que, d’une part, la loi française, applicable à la dévolution
successorale des immeubles situés en France, ne reconnaît qu’une
épouse légitime et n’admet parmi les ayants droit du défunt que
cette épouse, de sorte que, selon le moyen, la seconde épouse ne
pouvait prétendre à aucune vocation successorale, quels que fussent
son statut personnel et la régularité de son statut matrimonial, et
alors que, d’autre part, lorsque, comme en l’espèce, la règle de
conflit du for désigne, pour résoudre la question d’état des
personnes, préalable à celle de la dévolution successorale, une loi
étrangère, en l’occurrence la loi algérienne, cette loi devrait être
écartée, au nom de la conception française de l’ordre public, en tant
qu’elle valide un mariage polygamique et reconnaît au second
conjoint et à ses enfants les qualités d’époux et d’enfants légitimes ;
Mais attendu que, d’une part, si la loi française régit la dévolution
successorale des immeubles sis en France, la qualité de conjoint et
l’établissement de la parenté nécessaire pour le jeu de la dévolution
successorale relèvent de la loi personnelle ainsi que l’a énoncé à bon
droit la Cour d’appel ;
Et attendu, d’autre part, que la réaction à l’encontre d’une disposition
de la loi étrangère contraire à la conception française de l’ordre public
n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à la création en France
d’une situation juridique prévue par cette loi ou qu’il s’agit seulement
de laisser acquérir en France des droits sur le fondement d’une
situation créée sans fraude à l’étranger en conformité avec la loi ayant
compétence en vertu du droit international privé français, et qu’en
particulier en cas de mariage polygamique régulièrement contracté à
l’étranger conformément à la loi personnelle des parties, le second
conjoint et ses enfants légitimes peuvent prétendre, en ces qualités,
concurremment avec le premier conjoint et ses propres enfants,
exercer les droits reconnus par la loi successorale française, soit au
conjoint survivant, soit aux enfants légitimes ;
Qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué est légalement justifié et que le
moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu
le 22 février 1978 par la Cour d’appel de Paris.
33353. SUCCESSION – Dévolution – Conjoint survivant –
Institution d’un légataire universel – Exhérédation corrélative du
conjoint.
Le conjoint survivant, s’il bénéficie, en vertu de l’article 767 du Code
civil, d’un usufruit légal, n’est pas un héritier réservataire. C’est donc à
bon droit qu’une cour d’appel, faisant application de l’article 767,
alinéa 5, du Code civil, a décidé que le de cujus, en disposant de la
totalité de sa succession au profit d’un tiers, avait, même en l’absence
d’une manifestation expresse de volonté, nécessairement privé son
conjoint survivant de son droit d’usufruit légal.
Cass. Civ. 1ère, 25 avril 1984
portant rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la cour de Paris (2ème
chambre B) du 26 novembre 1982 : « Sur le premier moyen : - Attendu,
selon les énonciations des juges du fond, que Raymond Chesnel est
décédé le 6 mai 1972, sans héritier réservataire, laissant Mme Marie-
Charlotte Hertweg, son épouse contractuellement séparée de biens, et en
l’état d’un testament olographe en date du 3 mai 1972, aux termes
duquel il a institué légataire universel son frère M. Paul Chesnel ; qu’au
cours de leur mariage, les époux Chesnel – Hertweg avaient acquis
conjointement et indivisément une propriété sise au Mesnil-Saint-Denis
(Yvelines) comprenant un pavillon d’habitation et des dépendances ;
qu’un jugement du 16 juin 1978 a ordonné les opérations de liquidation
et de partage de la succession de Raymond Chesnel et de l’indivision
conventionnelle existant entre les époux Chesnel – Hertweg et portant
sur la propriété du Mesnil-Saint-Denis, ordonné l’attribution
préférentielle de cette propriété à Mme veuve Chesnel et commis un
expert à l’effet de donner son avis sur la valeur de cette propriété et sur
le montant de l’indemnité d’occupation due par Mme veuve Chesnel ;
qu’un second jugement en date du 29 mai 1981, statuant après expertise,
a fixe la valeur d’attribution du pavillon ainsi que le montant de
l’indemnité d’occupation et a débouté Mme veuve Chesnel de sa
demande tendant à se voir reconnaître l’usufruit du conjoint survivant
sur la moitié indivise de la propriété dépendant de la succession de son
mari ; que l’arrêt attaqué a confirmé de ce dernier chef le jugement
entrepris et fixé le montant mensuel de l’indemnité d’occupation à 145
France pour le pavillon d’habitation et à 130 F pour les dépendances ;
« Attendu que Mme veuve Chesnel fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir
rejeté sa demande tendant à se voir reconnaître un usufruit sur la moitié
de la propriété du Mesnil-Saint-Denis dépendant de la succession de son
mari aux motifs que celui-ci, en disposant de la totalité des biens
composant sa succession par l’institution d’un légataire universel, avait
nécessairement privé son conjoint survivant de tout droit d’usufruit,
alors que la cour d’appel, en se bornant à relever l’existence d’un legs
universel consenti à un tiers, sans rechercher si le de cujus avait
manifesté sa volonté expresse de priver son conjoint survivant de son
usufruit légal, n’aurait pas donné de base légale à sa décision au regard
de l’article 767 du Code civil ;
« Mais attendu que le conjoint survivant, s’il bénéficie, en vertu de
l’article 767 du Code civil, d’un usufruit légal, n’est pas un héritier
réservataire et que c’est à bon droit que la cour d’appel, faisant
application de l’article 767, alinéa 5, du Code civil, a décidé que le
Raymond Chesnel, en disposant de la totalité de sa succession au profit
d’un tiers institué légataire universel, avait, même en l’absence d’une
manifestation expresse de volonté, nécessairement privé son conjoint
survivant de son droit d’usufruit légal ; d’où il suit que le moyenne peut
être accueilli (…) ».
PRESIDENT : M. Joubrel. – RAPPORTEUR : M. Barat. – PREMIER
AVOCAT GENERAL : M. Sadon. – AVOCATS : la S.C.P. Waquet et
la S.C.P. Lyon-Caen, Fabiani et Liard.
Note
L’arrêt rapporté applique une règle qui, aujourd’hui, n’est plus
discutée : instituer, c’est exclure. A première vue, il n’y a pas grand
chose à en dire si ce n’est rappeler le droit positif qui est incontestable
et rend oiseuses les controverses d’autrefois (I). A seconde vue, de
lege ferenda, il est peut-être opportun de débattre à nouveau de
l’exhérédation du conjoint survivant, car l’état du droit positif n’est
pas satisfaisant (II).
I. DROIT POSITIF. – 1. Lorsqu’un de cujus fait un legs universel
– à un non-successible ou à un cohéritier -, les héritiers qui ne sont
pas institués par le testament sont exclus – complètement s’il s’agit
d’héritiers non réservataires, à hauteur de la quotité disponible s’il
s’agit d’héritiers réservataires. Le legs universel qui n’est pas fait au
profit de tous les héritiers appelés constitue une forme d’exhérédation
(1). La règle n’est écartée que lorsque la loi prévoit – et de manière
très exceptionnelle – que les droits de l’héritier l’emportent sur ceux
du légataire : ainsi, à l’égard du droit de suite conféré aux artistes ou à
leurs héritiers par l’article 42 de la loi du 11 mars 1957 (2).
Sans doute, la justification littérale de la règle est flottante – ce qui
explique le silence du Code sur l’exhérédation. Aussi, habituellement,
la fonde-t-on sur une disposition générale – par exemple, l’article
1003 du Code civil, portant définition du legs universel. Souvent
aussi, la règle s’explique par la nature des choses : instituer c’est
nécessairement exclure ; subjectivement, l’intention du disposant et
objectivement l’étendue des droits du gratifié imposent l’une et
l’autre l’exhérédation.
Peu en importe le fondement : la règle s’applique sans trop de
difficultés. Elle n’appelle pas d’interprétation, sauf lorsque le legs
universel est caduc – par prédécès ou renonciation du légataire, où
l’on peut se demander si l’exhérédation survit à la disparition du legs.
Cette forme d’exhérédation est de beaucoup la plus pratiquée : on
l’appelle généralement l’exhérédation indirecte (certains aujourd’hui
la qualifient d’implicite) (3), par opposition à l’exhérédation directe,
où le testateur, au lieu de se borner à instituer un légataire universel,
écarte expressément l’héritier légal ; indirectement, il appelle du
même coup les autres héritiers. Les deux règles se complètent :
instituer c’est exclure, exclure c’est instituer. Tout le monde est
d’accord (4).
2. L’espèce est simple : le de cujus avait institué légataire universel
son frère : les juges décident que le conjoint survivant est privé de
l’usufruit que lui confère l’article 767, al. 1, du Code civil (5). La
solution s’impose et on peut se demander pourquoi avoir porté jusque
devant la Cour de cassation un procès perdu d’avance.
(1) Comme tout le monde, sauf Ed. LAMBERT, De l’exhérédation et des legs faits au
profit d’héritiers post mortem, 1895, n° 332-333 et R. SAVATIER (Rev. trim. dr. civ.
1951, n° 541), je crois qu’exhéréder, déshériter et exclure, c’est aujourd’hui devenu la
même chose – même si à Rome ce ne l’était pas.
(2) Civ. 1ère, 9 février 1972, D. 72, 289, concl. LINDON ; Rev. trim. dr. civ. 1972, 800,
note R. SAVATIER, aff. de la succession du peintre Monet ; cf. aussi Civ. 1ère, 19 octobre
1977, D. 77, 109, note H. DESBOIS, aff. De la succession du peintre Utrillo.
(3) GUINCHARD, in Jur.-cl. civ. 1981, art. 1002, n° 171.
(4) FLOUR et SOULEAU, Libéralités, 1982, n° 225-231 ; MAZEAUD et BRETON,
Leçons de droit civil, 4ème éd. 1982, n° 1005 ; TERRE et LEQUETTE, Successions et
libéralités 1983, n° 356.
(5) D’autres parlent, en visant la même disposition de l’article 767, al. 3, ou même de
l’article 767, al. 2, ou bien encore de l’article 767, § 1 (ou 2, ou 3) : la référence est
incertaine. A mon sens, les règles sont les suivantes : 1° Quand l’article d’une disposition
législative ou réglementaire ne comporte pas de numérotation intérieure, il est divisé en
alinéas et non en paragraphes. Ex. : il ne faut pas parler de l’article 767, § 3, mais de
l’article 767, al. 3, ni de l’article 1384, § 1 du Code civil (encore moins de l’article 1384
(préambule), mais de l’article 1384, al. 1 ; 2° Il y a alinéa chaque fois qu’une phrase est
achevée par un point et passe à la ligne : point à la ligne. Le premier alinéa de l’article
767 commence donc à « le conjoint survivant » et s’achève à « pendant le mariage ».
Que les lecteurs veuillent pardonner ces broutilles ; autant échapper à une confusion – les
autres suffisent.
3. Le commentaire pourrait s’arrêter là sauf à ajouter une remarque
rédactionnelle. Les juges n’ont pas fondé l’exhérédation du conjoint sur
une règle générale telle que : « instituer c’est exclure » ou l’effet du
legs universel, mais sur une disposition propre à l’usufruit successoral
du conjoint survivant, l’article 767, al. 3, ainsi rédigé : « Mais l’époux
survivant ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le
prédécédé n’aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte
testamentaire … ».
L’observation semble formelle : qu’il s’agisse d’un texte général ou
d’une disposition spéciale, le résultat est le même : le conjoint est
complètement exclu par un legs universel fait à un autre qu’à lui-
même, du moment qu’il n’a pas de réserve (6).
D’une donnée purement rédactionnelle, il est en général abusif de
tirer des conséquences. Pourtant, elle traduit, peut-être, le sentiment
que l’exhérédation de l’usufruit du conjoint survivant relève d’une
règle particulière qui pourrait être différente du droit commun et du
droit positif.
II. DE LEGE FERENDA. – 4. Je pense que l’article 767, al. 3, ne
traduit pas la volonté probable du conjoint, que sa rigidité n’est pas
opportune et qu’il doit être modifié. Aucun texte, aucun précédent,
aucune autorité doctrinale ne justifient cette opinion que corroborent
seulement les avis (verbaux) de certains juges et les réponses (en deux
degrés) des notaires que j’ai questionnés.
Question : Quel est l’effet du legs universel instituant un autre que
le conjoint lorsque le testament ne s’est pas prononcé sur l’usufruit de
ce dernier ?
Réponse au premier degré : la même que celle de l’arrêt : il n’y a
pas de doute : le conjoint est exclu.
Réponse au deuxième degré : il n’est pas sûr que le disposant ait
voulu cette exclusion. Lorsqu’il a fait son acte, il n’avait probablement
pas conscience de modifier la condition de son conjoint. Non
seulement instituer un légataire ce n’est pas nécessairement exclure un
usufruitier, mais, en outre, les époux perçoivent généralement mal
l’usufruit du conjoint survivant (7).
5. Aussi, je souhaite une réforme législative : que le conjoint ne
puisse perdre son usufruit successoral que par une exhérédation
expresse ; ce qui, non seulement traduirait peut-être mieux la volonté
du disposant que ne le fait le droit positif, mais permettrait aussi
d’améliorer un peu la condition successorale du conjoint survivant.
Actuellement, à ma connaissance, le plus grand nombre de
dispositions testamentaires ne comportent pas cette déclaration
expresse. Si cette pratique subsiste à la réforme que je préconise, le
conjoint survivant conservera son usufruit successoral même si le
prémourant a institué un légataire universel. Il ne le perdra que si le
testateur a eu la volonté forte de le lui retirer. Le doute profitera donc
au conjoint survivant, alors qu’aujourd’hui il lui nuit.
Cette proposition rapprochera peut-être ceux qui souhaitent et ceux
qui refusent que le conjoint survivant devienne un héritier réservataire.
Philippe MALAURIE,
Professeur à l’Université de droit,
d’économie et des sciences sociales de Paris-II.
(6) Ex. : PLANIOL et RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. IV, par MAURY
et VIALLETON, 2ème éd., 1958, n° 118.
(7) L’ « attitude des français à l’égard des successions », Sondages 1970, 56.
Les droits du conjoint survivant en concours avec des descendants dans les principaux pays
d’Europe (in Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, Cours de droit civil, Tome VII)
Régime matrimonial
légal
Vocation successorale
Quotité disponible
spéciale
Réserve
Allemagne
Participation aux
acquêts
¼ en pleine propriété
Q.D. ordinaire
½ vocation
Belgique
Communauté de
revenus et acquêts
Usufruit universel
Q.D. ordinaire +
usufruit sur le reste
½ vocation dont
usufruit sur le
logement sauf
mésentente
Espagne
Communauté
d’acquêts
1/3 usufruit
1/3 usufruit
Italie
Communauté
d’acquêts
Part d’enfants (min.
1/3) + droits habitation
sur logement
1/3 ou ½ réserve
descendants
¼ PP + droits
habitation sur logement
Pays-Bas
Communauté
universelle
Part d’enfant
Q.D. ordinaire
Non
Portugal
Communauté
d’acquêts
Part d’enfant
(minimum ¼)
2/3 succession +
aliments
Suisse
Participation aux
acquêts
½ succession
Q.D. ordinaire +
réserve enfants
communs
½ vocation dont
propriété du logement
Cour de Cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 6 février 2001 Cassation.
N° de pourvoi : 99-10845 Publié au bulletin
Président : M. Lemontey . Rapporteur : Mme Cassuto-Teytaud.
Avocat général : Mme Petit.
Avocats : M. Foussard, la SCP Waquet, Farge et Hazan.
Sur le moyen unique du pourvoi :
Vu l'article 767, alinéas 4 et 6, du Code civil ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que les libéralités consenties au conjoint survivant s'imputent sur l'usufruit légal
et non sur la valeur de biens en pleine propriété, fussent-ils l'assiette de l'usufruit ;
Attendu que pour ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de
Jacques Bazin, l'arrêt attaqué a dit que la libéralité consentie en toute propriété à Mme veuve Anne-Marie Bazin
s'imputera sur la valeur du capital sur lequel porte l'usufruit légal du conjoint survivant, dans la limite du double
maximum de la masse d'exercice et de la masse de calcul ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 1998, entre les parties, par la
cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit
arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.
Publication : Bulletin 2001 I N° 28 p. 18
La Semaine juridique, édition notariale et immobilière, 2001-06-22, n° 25 p. 1070, note N. DUCHANGE. Revue
trimestrielle de droit civil, juillet-septembre 2001, n° 3, p. 637-640, note Jean PATARIN.
Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 1998-11-24
Titrages et résumés SUCCESSION - Conjoint survivant - Usufruit légal - Libéralités consenties par le
prémourant - Imputation - Modalités .
Il résulte de l'article 767, alinéas 4 et 6, du Code civil que les libéralités consenties au conjoint survivant
s'imputent sur l'usufruit légal et non sur la valeur des biens en pleine propriété, fussent-ils l'assiette de l'usufruit.
1° SUCCESSION - Conjoint successible - Droits légaux de succession - Cumul avec une libéralité -
Possibilité - Conditions - Détermination
2° SUCCESSION - Conjoint successible - Droits légaux de succession - Cumul avec une libéralité -
Possibilité - Exclusion - Domaine d'application - Succession ouverte postérieurement au 1er
janvier 2007
1° S’agissant des successions ouvertes depuis le 1er
juillet 2002, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 ayant
abrogé la règle de l’imputation prescrite par l’article 767, alinéa 6, ancien du code civil, le conjoint survivant
peut cumuler les droits successoraux prévus aux articles 757, 757-1 et 757-2 du code civil avec une ou des
libéralités consenties en application de l’article 1094-1 du même code, sans toutefois porter atteinte à la réserve
héréditaire ni dépasser l’une des quotités disponibles spéciales permises entre époux.
2° S’agissant des successions ouvertes à compter du 1er
janvier 2007, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 ayant
réintroduit la règle de l’imputation en insérant un article 758-6 dans le code civil, le conjoint survivant ne peut
plus bénéficier d’un tel cumul.
LA COUR de CASSATION,
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire, L.151-1 et suivants du code de
l’organisation judiciaire dans leurs dispositions encore en vigueur et 1031-1 et suivants du nouveau code de
procédure civile ;
Vu la demande d’avis formulée le 2 mai 2006 par le tribunal de grande instance de Saintes, reçue le 14 juin
2006, dans une instance opposant MM. François et Etienne X... à Mme Françoise Y..., et ainsi libellée :
“1.- Depuis la loi du 3 décembre 2001, le conjoint survivant peut-il cumuler sa vocation successorale ab
intestat avec le bénéfice d’une libéralité lui octroyant un droit plus étendu ?
2.- Dans l’affirmative, ce cumul est-il absolu ou limité, notamment par les droits à réserve des cohéritiers ?
3.- En ce cas, la réserve peut-elle être atteinte par le droit en usufruit du conjoint survivant ?”
Sur le rapport de Monsieur le conseiller référendaire Chauvin et les conclusions de Monsieur l’avocat général
Sarcelet,
EST D'AVIS QUE :
1° S’agissant des successions ouvertes depuis le 1er juillet 2002, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 ayant
abrogé la règle de l’imputation prescrite par l’article 767, alinéa 6, ancien du code civil, le conjoint survivant
peut cumuler les droits successoraux prévus aux articles 757, 757-1 et 757-2 du code civil avec une ou des
libéralités consenties en application de l’article 1094 ou de l’article 1094-1 du même code, sans toutefois porter
atteinte à la nue-propriété de la réserve héréditaire ni dépasser l’une des quotités disponibles spéciales permises
entre époux.
2° S’agissant des successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 ayant
réintroduit la règle de l’imputation en insérant un article 758-6 dans le code civil, le conjoint survivant ne peut
plus bénéficier d’un tel cumul.
Dit que le présent avis sera publié au journal officiel de la République Française.
Fait à Paris, le 26 septembre 2006, au cours de la séance où étaient présents : M. Canivet, premier président,
MM. Cotte, Sargos, Weber, Ancel , Tricot et Mme Favre, présidents de chambre, M. Rivière, conseiller, M.
Chauvin, conseiller référendaire, rapporteur, assisté de Mme Lemoine, greffier en chef au service de
documentation et d’études, M. Sarcelet, avocat général, Mme Tardi, greffier en chef.
I.- Cas pratiques relatifs à la vocation légale du conjoint survivant
Déterminez sur quelle valeur ou quelle masse de biens s’exerceront les
droits du conjoint survivant dans les hypothèses suivantes.
1. Le défunt laisse deux enfants et son conjoint. Sa succession se
compose d’un appartement évalué à 120.000 euros, d’un terrain évalué à 80.000
euros et d’un portefeuille de valeurs mobilières évalué à 40.000 euros qu’il a légué
à l’un de ses enfants.
2. Le défunt laisse sa mère et son conjoint. Sa succession se compose d'un
appartement évalué à 120.000 euros, d'un terrain évalué à 80.000 euros, et d'une
villa évaluée à 300.000 euros. Celle-ci lui avait été donnée par sa mère.
3. Le défunt laisse son conjoint et deux enfants dont l'un n'est pas issu des
deux époux. Sa succession se compose d’un appartement évalué à 100.000 euros,
d’un terrain d'une valeur de 100.000 euros, et d’une villa évaluée à 400.000 euros.
En outre, le conjoint survivant a bénéficié d’une donation au dernier vivant ; elle
décide d'opter pour la quotité disponible ordinaire.
4. Le défunt laisse son conjoint survivant ; deux frères, A et B, issus du
premier mariage de sa mère aujourd’hui décédée ; une sœur, C, issue avec lui du
mariage de ses parents ; et deux sœurs, D et E, issues d’une relation adultère de
son père également décédé aujourd’hui.
Sa succession se compose d’un appartement évalué à 120.000 euros reçu
par donation de sa mère, d’un terrain évalué à 80.000 euros, d’une villa évaluée à
120.000 euros et d’un tableau de maître évalué à 24.000 euros.
N.B. : Lorsque le défunt laisse deux enfants, la réserve héréditaire est des
deux tiers et la quotité disponible du tiers. En l'absence de descendants, le conjoint
survivant dispose d'une réserve d'un quart.
Les donations sont présumées consenties sans dispense de rapport, tandis
que les legs sont en principe dispensés de rapport.
II.- Cas pratiques relatifs aux droits au logement du conjoint
survivant.
Premier cas
Déterminez si les droits au logement du conjoint survivant peuvent
s’exercer dans les hypothèses suivantes.
1. Le logement des époux appartenait en propre au défunt. Dans le cadre
d’une donation-partage, il a été attribué à l’un des enfants du couple, mais
seulement pour la nue propriété, le défunt s’en étant réservé l’usufruit.
2. Le logement appartenait aux deux époux qui l’avaient apporté à une
société civile immobilière dont ils étaient les seuls associés.
3. M. et Mme MOOREA ont construit à Papeete leur résidence principale
sur un terrain en indivision entre M. et les frères et sœurs de celui-ci ; suite au
décès de M., quid des droits au logement de Mme ?
Second cas
Monsieur DELAUNAY est décédé le 2 mars dernier, laissant pour lui
succéder sa mère, son frère germain et son épouse âgée de 64 ans, avec laquelle il
était marié sous le régime de la séparation de biens.
A son décès, le défunt était propriétaire d’une propriété située dans le
bordelais et d’une maison située à Tournus, constituant la résidence principale du
couple. Chacun de ces deux biens vaut 50.000 euros.
Par testament olographe, il a légué à l’un de ses amis d’enfance la maison
de Tournus.
Pour la liquidation civile de la succession, les ayants droit se sont
entendus pour évaluer le droit temporaire au logement à 3.000 euros et le droit
viager au logement à 12.000 euros.