du mÊme auteur - wordpress.com · creston ouvrit son tiroir, sortit un cendrier et craqua une...
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DUMÊMEAUTEURchezlemêmeéditeur
Etsic'étaitvrai...,2000Oùes-tu?,2001
Septjourspouruneéternité...,2003LaProchaineFois,2004
Vousrevoir,2005Mesamis,mesamours,2006LesEnfantsdelaliberté,2007
Toutesceschosesqu'onnes'estpasdites,2008LePremierJour,2009LaPremièreNuit,2009LeVoleurd'ombres,2010
L'ÉtrangeVoyagedeMonsieurDaldry,2011Sic'étaitàrefaire,2012
Unsentimentplusfortquelapeur,2013Uneautreidéedubonheur,2014
Retrouveztoutel'actualitédeMarcLevy
www.marclevy.info
www.facebook.com/marc.levy.fanpage
©Versilio,Paris,2015www.versilio.com
Encouverture:©EmmyLouVirginia/©PECPhoto/GettyImagesISBNnumérique:9782361321260
1.
Lapluieavaitrincélestoitsetlesfaçades,lesvoituresetlesbus,lestrottoirset les piétons, la pluie n'avait cesséde tomber surLondres depuis le début duprintemps.Miasortaitd'unrendez-vouschezsonagent.Crestonétaitdelavieilleécole,deceuxquiénoncenttoujourslavérité,mais
avecdistinction.Portantsonélégancejusquedansleverbe,ilétaitrespecté,souventcitédans
les dîners pour ses remarques cinglantes,mais jamais blessantes.Mia était saprotégée,cequi,dansl'universcrueletsouventgoujatducinéma,valait touteslesprérogativesdumonde.Ce jour-là, il était allé voir en projection privée le nouveau filmdeMia, et
comme il lui interdisait de l'accompagner dans ces circonstances, elle l'avaitattenduàsonbureau.Creston,aprèsavoirôtésonimperméable,s'était installédanssonfauteuilet
n'avaitpasprolongélesuspense.–De l'action,unzestederomantisme,unscénarioadroitement ficeléautour
d'uneintriguequinetientpaslaroute,maisquis'ensouciedenosjours?...Çaferauntabac,avait-ilassuré.MiaconnaissaittropCrestonpoursavoirqu'ils'entiendraitlà.Elle était magnifique, avait-il enchaîné, un peu trop souvent dénudée, il
faudraitêtrevigilant laprochainefoisetnepasmontrersonderrière toutes lestrois scènes, il yveillerait, pour lebiende sa carrière, on catalogue si vite lesgens.–Avouez-moifranchementcequevousenavezpensé,Creston.–Tujouesàlaperfection,ettonrôleétantcequ'ilest,cen'étaitpasunemince
affaire. Cela dit, on ne peut pas éternellement tourner des films où lespersonnages traversent l'automne entre deux trahisons, trois adultères et unetassedethé.C'estunfilmd'action,lacamérabougebeaucoup,lespersonnagesaussi...queveux-tuajouterd'autre?
–Lavérité,Creston!–C'est unemerde,ma chérie, une bellemerde qui fera son plein d'entrées,
puisquetonmariet toiypartagezl'affiche.Ensoi,c'estunévénement, leseul,d'ailleurs. La presse raffolera de votre complicité à l'écran, elle aimera encoreplus que tu lui voles la vedette, et ce n'est pas un compliment, mais uneévidence.–Auquotidien,c'estluilavedette,réponditMiad'unsourirepâle.Crestonfrottasabarbe,gestequichezluiendisaitlong.–Commentseportevotrecouple?–Ilneseporteplusvraiment.–Attention,Mia,pasdebêtises.–Quellesbêtises?–Tum'asparfaitementcompris.Celavasimalqueça?–Letournagenenousapasrapprochés.–Voilàexactementcequejeneveuxpasentendre,dumoinsjusqu'àlasortie
ensalle.L'avenirduchef-d'œuvrereposesurvotrebinôme,àl'écrancommeàlaville.–Vousavezdesscénariospourmoi?–J'enaiquelques-uns.–Creston,j'aimeraispartiràl'étranger,loindeLondresetdesagrisaille,jouer
unrôleintelligent,sensible,entendredeschosesquimetouchent,quimefassentrire,partagerunpeudetendresse,mêmedansuntoutpetitfilm.–Etmoi,j'aimeraisquemavieilleJaguarnetombejamaisenpanne,maisle
mécanicienquis'enoccupem'appelleparmonprénom,c'esttedire.Jemesuisbattupourteconstruireunecarrière,tuasunpublicimmenseenAngleterre,desfans qui paieraient pour t'entendre réciter l'annuaire, tu commences à êtreappréciée un peu partout sur le continent, tes cachets sont indécents par lestempsquicourentetsicefilmobtientlesuccèsquejesuppose,tuserasbientôtl'actrice la plus cotée de ta génération.Alors, un peu de patience, je t'en prie.Noussommesd'accord?Dansquelquessemaines lespropositionsaméricainestomberontcommecettepluie.Tuvasentrerdanslacourdesgrandes.–Desgrandesconnesquisourientalorsqu'ellessonttristes?Crestonseredressasursonfauteuilettoussota.–Celles-là, et d'autres qui sont heureuses. S'il te plaît, je ne veux plus voir
cettetêtechagrine,Mia,ajouta-t-ilenhaussantleton.Lesinterviewsdevraientvousrapprocher, tonmariet toi.Vousallezdevoir tellementsourirependant lapromotionquevousfinirezparvousprendreaujeu.
Miafitunpasverslabibliothèque,ouvritlecoffretàcigarettesquisetrouvaitsuruneétagèreetenpritune.–Tusaisquejedétestequel'onfumedansmonbureau.–Alors,pourquoigardercetteboîte?–Pourlescasd'urgence.MiafixaCrestonetserassit,lacigaretteéteinteauborddeslèvres.–Jepensequejesuiscocue.–D'une façon ou d'une autre, qui ne l'est pas de nos jours ? répondit-il en
consultantsoncourrier.–Çan'ariendedrôle.Crestonabandonnasalecture.– Cocue comment ? reprit-il. Je veux dire occasionnellement ou tout le
temps?–Çachangequelquechose?–Ettoi,tunel'asjamaistrompé...?–Non.Enfin, une fois, un baiser.Mon partenaire embrassait bien et j'avais
besoin qu'on m'embrasse. C'était pour la véracité de la scène, ce n'est pasvraimenttromper,n'est-cepas?–C'est l'intentionquicompte.Dansquelfilm? interrogeaCrestonenlevant
unsourcil.Miaregardaparlafenêtreetsonagentsoupira.–Bon, admettonsqu'il te trompe.Quelle importance si vousnevous aimez
plus?–C'estluiquinem'aimeplus,moi,jel'aime.Creston ouvrit son tiroir, sortit un cendrier et craqua une allumette. Mia
inspiraunelongueboufféeetilsedemandasic'étaitlafuméequiluipiquaitlesyeux,maisilsegardadeluiposerlaquestion.– Il était la star, et toi, une débutante. Il a joué au Pygmalion, et l'élève a
dépassélemaître.Cenedoitpasêtrefacileauquotidienpoursonego.Attentionàtacendre,jetiensbeaucoupàmontapis.–Neditespasça,cen'estpasvrai.–Biensûrquesi.Jenedispasqu'iln'estpasbonacteur,mais...–Maisquoi?–Cen'estpas lemoment,nousenreparleronsplus tard, j'aid'autresrendez-
vous.Creston fit le tourde sonbureau,ôtadélicatement lacigarettedesmainsde
Miaetl'écrasadanslecendrier.Illasaisitparl'épauleetl'entraînaverslaporte.
–Bientôt,tujouerasoùtuvoudras,àNewYork,àLosAngeles,àRome.Enattendant, ne fais pas d'idiotie. Unmois, c'est tout ce que je te demande, tonavenirendépend.Tumelepromets?
*
EnsortantdechezCreston,MiaavaitrejointOxfordStreetentaxi.Quandelleavaituncoupdeblues,etelleenavaiteuplusd'uncesdernièressemaines,elleallaitsepromenersurcetteartèrecommerçanteetpleinedevie.Parcourant lesalléesd'ungrandmagasin,elleavaitessayédejoindreDavid,
tombantdirectementsurmessagerie.Àquois'occupait-ilencettefind'après-midi?Oùétait-ildepuisdeuxjours?
Deux jours et deux nuits sans autre nouvelle qu'un message laissé sur lerépondeurdeleurappartement.Unmessagelaconiqueexpliquantqu'ilpartaitseressourcer à la campagne, qu'elle ne devait pas s'inquiéter. Elle faisait tout lecontraire.Deretourchezelle,Mias'étaitdécidéeàsereprendreenmain.LorsqueDavid
rentrerait,ilétaithorsdequestiondemontrerunquelconquedésarroi.Demeurerdigne,maîtredesoi,nepasluipermettred'envisageruninstantqu'elleauraitpusemorfondreensonabsence,etsurtoutneposeraucunequestion.Répondant à l'appel d'une copine qui l'avait suppliée de l'accompagner à
l'inaugurationd'unrestaurant,Miaavaitdécidédesefairebelle.Elleaussiétaitcapable de rendreDavid jaloux.Et puismieux valait être entourée d'inconnusquechezsoiàbroyerdunoir.
Lerestaurantétaitimmense,lamusiquetropforte,lasallebondée,impossible
deparleràquiconqueoudefaireunpassanssefrotterauxautres.Quipouvaitprendreduplaisirdanscegenredesoirée?pensa-t-elleens'apprêtantàaffrontercettemaréehumaine.Les flashscrépitèrentdans l'entrée.Voilàpourquoisacopine tenait tantàsa
compagnie.L'espoirdefigurerdanslespagespeopled'unmagazine.Sensationdecélébritéfugace.Bonsang,David,pourquoimelaisses-tutraînerseuledansdesendroitspareils?Jeteleferaipayeraucentuple«MonsieurJ'ai-besoin-de-me-ressourcer».Son téléphone sonna, un appel masqué, à cette heure, c'était sûrement lui.
Commentl'entendredanscebrouhaha.Sij'étaistireurd'élite,jedescendraisleDJ,songea-t-elle.Elle balaya l'horizon du regard, elle était à mi-chemin entre l'entrée et les
cuisines.Lafoulel'entraînaitverscelles-ci,maiselledécidad'avanceràcontre-courant.Elledécrochaethurla:–Nequittepas!Pourquelqu'unquis'étaitjurédenerienlaisserparaître,tu
commencesbien,mavieille.Se frayer un chemin, pousser la pimbêche perchée sur hauts talons et le
balourdquilacourtise.Écraserlespiedsdecettegrandeperchesquelettiquequise tortille telle une anguille, contourner le bellâtre qui la scrute comme uneproie, tuvas temarrer,monvieux, ellea l'aird'avoirde laconversation.Plusquedixpasjusqu'àlaporte.–Resteenligne,David!Maistais-toi,idiote.Supplierlevideurduregardpourqu'ill'aideàsortird'ici.Enfin dehors, l'air frais, le calme relatif de la rue. S'éloigner des gens
agglutinésquiattendentpourpénétrerdanscetenfer.–David?–Oùes-tu?–Dansunesoirée...Commentpeut-ilavoirletoupetdeposercettequestion?–Tut'amuses,monamour?–Hypocrite!Oui,c'estassezjoyeux...Oùes-tualléechercheruntrucpareil!–Ettoi,abruti,tuesoù...depuisdeuxjours?–Enrouteverslamaison.Turentresbientôt?–Jesuisdansuntaxi...Trouveruntaxi,viteuntaxi.–Jecroyaisquetuétaisàunesoirée?–J'ensortaisquandtum'asappelée.–Tu arriveras doncprobablement avantmoi, si tu es fatiguée, nem'attends
pas, il y a des embouteillages, même à cette heure-ci. Londres est vraimentdevenueimpossible!C'est toi qui es devenu impossible, comment oses-tu me dire de ne pas
t'attendre?Celafaitdeuxjoursquejenefaisqueça,t'attendre.–Jelaisseraiunelumièredanslachambre.–Merveilleux,jet'embrasse,àtoutàl'heure.Untrottoirmoiré,descouplessousdesparapluies......etmoi,seulecommeuneimbécile.Demain, filmoupas, jechangedevie.
Non,pasdemain,cesoir!
2.
Paris,lesurlendemain.–Pourquoi est-ce toujours la dernière clé du trousseau qui ouvre la porte ?
protestaMia.– Parce que la vie est mal faite, sans quoi la cage d'escalier ne serait pas
plongéedans lenoir, réponditDaisyenéclairant laserruredumieuxqu'elle lepouvaitavecsontéléphoneportable.–Jeneveuxplusjamaisaimerl'idéedequelqu'un,jeveuxuneréalitéquime
corresponde;jeveuxduprésent,seulementduprésent.–Etmoiunfuturmoinsincertain,soupiraDaisy.Enattendant,situn'yarrives
pas,rends-moimesclés,jen'aipresqueplusdebatterie.La dernière clé du trousseau fut, de fait, la bonne. En entrant dans
l'appartement,Daisyappuyasurl'interrupteur,sansrésultat.–L'immeubleentiersembleprivédelumière.–C'esttoutemaviequil'est,renchéritMia.–N'exagéronsrien.–Jenesaispasvivredanslemensonge,repritMiad'untonquiappelaitàla
compassion,maisDaisylaconnaissaitdepuistroplongtempspourentrerdanscepetitjeu.– Ne raconte pas n'importe quoi, tu es une actrice talentueuse, donc une
menteuse professionnelle... Je dois avoir des bougies quelque part, je devraispouvoirmettrelamaindessussilabatteriedemoniPhone...L'écrandutéléphones'éteignit.–Etsijeleurdisaisàtousd'allersefairefoutre?chuchotaMia.–Çanetetraverseraitpasl'espritdem'aiderunpeu?–Si,maisonn'yvoitvraimentrien.–Jesuisrassuréequetut'enrendescompte!Daisyavançaàtâtons.Samaineffleuralatable.Enlacontournantelleheurta
unechaise, râla,etatteignit leplande travail, justederrière.Toujoursà tâtons,
elles'approchade lagazinière, s'emparadesallumettesposéessur l'étagère, fittournerleboutond'unbrûleuretenflammalegaz.Unhalobleutééclairal'endroitoùellesetrouvait.Mias'assitàlatable.Daisyfouillalestiroirsunàun.Lesbougiesaromatiséesn'avaientpasdroitde
citéchezelle.Sapassionpourlagastronomieavaitdesexigences,riennedevaittroubler l'odeur d'un mets. Là où certains placardent sur la porte de leurrestaurant«Lamaisonn'acceptepaslescartesdecrédit»elleauraitvolontiersinscrit«Lamiennerefusel'accèsauxpersonnestropparfumées».Elle trouva les chandelles et les alluma. La clarté projetée par les flammes
sortitlapiècedel'obscurité.L'appartementdeDaisyserésumaitpourainsidireàsacuisine.Elleenétaitla
pièceàvivre,plusgrandeàelleseulequelesdeuxpetiteschambresattenantesséparéesparunesalledebains.Surlasurfacedetravails'élevaient,depotsenterre cuite serrés les uns contre les autres, des plants de thym, de laurier, deromarin, d'aneth, d'origan, demonarde et de piment d'Espelette. Cette cuisineétait le laboratoire de Daisy, son ivresse et son exutoire. Elle y élaborait sesrecettesavantd'enfaireprofiterlaclientèledesonpetitrestaurantperchésurlabutteMontmartreàdeuxpasdechezelle.Daisy n'avait pas fait ses classes dans une grande école, sonmétier, elle le
tenait de son clan et de sa terre natale, la Provence. Enfant, tandis que sescamaradesjouaientàl'ombredespinsetdesoliviers,elle,observaitsamère,etapprenaitàreproduiresesgestes.Dans le jardinquibordait leurmaison,elleavaitapprisà trier lesherbes,et
derrièrelefourneau,àlesaccommoder.Cuisinerétaitsavie.–Tuasfaim?demanda-t-elleàMia.–Oui,peut-être.Enfin,jenesaispas.Daisysortitduréfrigérateuruneassiettedegirolles,unbouquetdepersilplat
etarrachaunetêted'ailduchapeletquipendaitàsadroite.–L'ailestnécessaire?questionnaMia.– Tu comptes embrasser quelqu'un ce soir ? rétorqua Daisy en hachant le
persilaucouteau.Tumeracontescequis'estpassépendantquejecuisine?Miainspiraàfond.–Ilnes'estrienpassé.–Tusurgisàlafermeturedemonbistrotunsacdevoyageàlamain,avecla
mine de quelqu'un dont le monde se serait écroulé ; tu n'as pas cessé de teplaindredepuis.J'endéduisquetun'espasvenuemerendrevisiteparcequejete
manquais.–Monmondes'estvraimentécroulé.Daisyinterrompitsapréparation.– S'il te plaît, Mia ! Je suis prête à tout entendre, mais sans soupirs ni
jérémiades,iln'yapasdecamérasici.–Tuferaisunexcellentmetteurenscène!lâchaMia.–Peut-être.Jet'écoute.EtpendantqueDaisys'affairaitencuisine,Miasemitàtable.
*
Au moment où le courant fut rétabli, les deux amies sursautèrent. Daisyappuya sur le variateur pour tamiser l'éclairage, puis elle ouvrit les voletsélectriques,découvrantlavuequis'offraitsurParisdepuissonappartement.Mias'avançaàlafenêtre.–Tuasdescigarettes?–Surlatablebasse,jenesaispasquilesaoubliéeslà.–Tudois avoir beaucoupd'amants pour ignorer lequel oublie ses cigarettes
cheztoi?–Situtiensàfumer,vasurlaterrasse!–Tuviensavecmoi?–Ai-jelechoixsijeveuxconnaîtrelasuite?
*
– Et tu as laissé la lumière dans la chambre ? questionna Daisy en leurresservantduvin.–Oui,maispasdansledressing.Là,j'ailaissétraîneruntabouretpourqu'ilse
cogne.–Parcequevousavezundressing?interrogeaDaisy.Etensuite?–J'ai faitsemblantdedormir. Ils'estdéshabillédans lasalledebains, ilest
restélongtempssousladouche,etpuisilestvenusecoucheretaéteintlalampe.J'aiattenduqu'ilmemurmurequelquesmotsetm'embrasse.Iln'avaitpasdûseressourcersuffisamment,ils'estendormi.–Bon,tuveuxmonavis?Jevaisteledonnerdetoutefaçon.Tuesmariéeà
unsalaud.Lavraiequestion,etelleestassezsimple,estdesavoirsisesqualitésrendentsesdéfautsaimables.Non,lavraiequestionestdesavoirpourquoituesamoureusedeluis'ilterendsimalheureuse.Àmoinsquetunesoisamoureusedeluiprécisémentparcequ'ilterendmalheureuse.
–Ilm'arenduetrèsheureuse,audébut.– Je l'espère ! Si les débuts étaient moches, les princes charmants
disparaîtraientdela littératureet lescomédiesromantiquesseraientclasséesaurayonfilmsd'horreur.Nemedévisagepascommeça,Mia.Situveuxsavoirs'ilte trompe c'est à lui qu'il faut poser la question, pas à moi. Et repose cettecigarette,tufumestrop,c'estdutabac,pasdel'amour.DeslarmesruisselèrentsurlesjouesdeMia.Daisyvints'asseoirprèsd'ellepourlaprendredanssesbras.–Pleuretouttonsaoul,pleuresiçat'apaise.Leschagrinsd'amourfontunmal
dechien,maislevraimalheur,c'estquandlavieestundésert.Mia s'était juré de rester digne en toute circonstance,mais auprès deDaisy,
c'étaitdifférent.Uneamitiétellequelaleur,quiduredepuisaussilongtemps,estunefraternitéqu'onachoisie.–Pourquoiparles-tudedésert?reprit-elleens'essuyantlesjoues.–C'esttafaçondemedemanderenfincommentjevais?–Toiaussi,tutesensseule?Tucroisqu'onseraheureusesunjour?– J'ai l'impression que tu l'as pas mal été ces dernières années. Tu es une
actriceconnueet reconnue, tuempochesenunfilmceque jemettraisunevieentièreàgagner,etencore...ettuesmariée.Tuasvulejournaldusoir...onn'apasledroitdeseplaindre.–Pourquoi,qu'est-ilarrivé?–Aucuneidée,maiss'ilyavaiteuunebonnenouvelle,lesgensseraientdans
lesruespourfêterl'événement.Ellesétaientcomment,mesgirolles?–Tacuisineestlemeilleurantidépresseurdumonde.–Pourquoicrois-tuquej'aivouludevenirchef!Maintenant,aulit!Demain,
je téléphonerai à ton crétin demari, je lui annoncerai que tu es au courant detout,qu'ilatrahilafemmelaplusgénialequisoit,etquetulequittes,nonpourun autre, mais à cause de lui. Quand j'aurai raccroché, c'est lui qui seramalheureux.–Tunevaspasfaireça?–Non,c'esttoiquileferas.–Mêmesij'enaienvie,jenepeuxpas.–Pourquoi?Tuveuxtecomplairedansunmélodrameàdeuxballes?–Parcequenouspartageonsl'affiched'unfilmàgrosbudgetquisortdansun
mois.Jesuiscontraintedejoueraussilacomédieàlaville,unmagnifiquerôledefemmecomblée,lebonheurparfait.SionapprenaitlavéritésurDavidetmoi,quicroiraitànotrecoupleà l'écran?Lesproducteursneme lepardonneraient
pas,monagentnonplus.Etpuis jeveuxbienêtreunecocue lucide,maispasêtrehumiliéeenpublic.–Quandmême,ilfautêtreunesacréegarcepourréussiràjouerunrôlepareil.–Pourquoipenses-tuquejesuislà,jeneseraijamaiscapabledeleteniraussi
longtemps.Tudoismeplanquercheztoi.–Combiendetemps?–Tantquetumesupporteras.
3.
Arrivéportede laChapelle, lecabrioletSaabcoupa trois filesendiagonale,ignorantlesappelsdepharesdesconducteurs,etabandonnalepériphériquepours'engagersurl'autorouteA1endirectiondeRoissy-Charles-de-Gaulle.–Pourquoiest-ce toujoursmoiquivais lechercherà l'aéroport?Trenteans
d'amitiéetjejureraiqu'ilnem'ajamaisrendulapareille.Jesuistropgentil,voilàleproblème!Sansmoi,ilsneseraientmêmepasensemble.Unpetitmerci,çanevousdéchaussepas lesdents,maisnon, rien !marmonnaPaulense regardantdans le rétroviseur. Bon, d'accord, je suis le parrain de Jo, mais qui d'autreauraient-ilspuchoisir?Pilguez?Jamaisdelavie,etpuissafemmeestdéjàlamarraine.C'estbiencequejedis,jerendstoutletempsservice,jepassemavieàrendreservice.Jenedispasqueçanemeréjouitpas,maisçameferaitaussiplaisirqu'ons'occupeunpeudemoi.Lauren,parexemple,quandjevivaisàSanFrancisco, est-ce qu'ellem'aurait présenté à une interne ? Ce n'est pas ce quimanquedanssonhôpital,desexternesnonplus,d'ailleurs.Ehbiennon,jamais!Cela étant, elles ont des horaires impossibles. Si ce type derrièremoime faitencoreunappeldephares,jepile!Ilfautquej'arrêtedeparlertoutseul,Arthuravait de bonnes raisons, mais je vais vraiment passer pour un fou. Enmêmetemps, avec qui parler ?Avec les personnages demes romans ?Non, je doisarrêter, ça fait vieux.Les vieux parlent tout seuls.Enfin, quand ils sont seuls,sinon,ilsseparlententreeux,ouàleursenfants.Est-cequej'auraidesenfantsunjour?Moiaussijevaisvieillir.Ilseregardaànouveaudanslerétroviseur.La Saab s'immobilisa devant la borne automatique, Paul récupéra le ticket.
«Merci»,dit-ilenrefermantlavitre.LevolAF83 était affiché à l'heure sur le grandpanneaudes arrivées.Paul
trépignaitd'impatience.Lespremierspassagers commencèrent à sortir, unepetite grappe seulement,
probablementlespremièreclasse.
*
Aprèsavoirpubliésonpremierroman,Paulavaitdécidédemettresacarrièred'architecteentreparenthèses.Écrireluiavaitoffertunelibertéinsoupçonnable.Riendans sadémarchen'avait étéprémédité. Il avait simplementprisplaisir ànoircirdespages,prèsdetroiscentslorsqu'ilavaittapélemot«fin».Chaquesoir, il se sentait happé par son récit, ne sortait presque plus et dînait le plussouventdevantsonordinateur.La nuit, Paul rejoignait un monde imaginaire où il se sentait heureux en
compagnie de personnages devenus des amis. Sous sa plume, tout devenaitpossible.Unefoissontexteachevé,ill'avaitabandonnésursonbureau.Savieavaitbasculéquelquessemainesplustard,lorsd'unrepasoùArthuret
Lauren s'étaient invités chez lui. Au cours de la soirée, Lauren avait reçu unappeld'unadministrateurdel'hôpital.ElleavaitdemandéàPauldes'isolerdanssonbureau,leslaissant,Arthuretlui,discuterdanslesalon.Barbéeparlesproposdesoninterlocuteur,Laurenavaitrepérélemanuscritet
avaitcommencéd'en tourner lespages,captivéeaupointdeperdre le fildesaconversation.LorsqueleprofesseurKraussavaitenfinraccroché,Laurenavaitcontinuésa
lecture.Unebonneheure s'était écoulée avantquePaulglissa la têtedans sonbureauafindevérifiersitoutallaitbienetlasurprenne,unsourireauxlèvres.–Jetedérange?avait-illancé,lafaisantsursauter.–C'estformidable,tusais!–Tunecroispasquetuauraispumedemanderlapermissionavant?–Jepeuxl'emporterpourlefinir?–Lesgensnormauxnerépondentpasàunequestionparuneautrequestion!–C'estpourtantcequetuviensdefaire.Jepeux?–Çateplaîtvraiment?avaitenchaînéPaul,dubitatif.–Oui,vraiment,avaitrépliquéLaurenenregroupantlesfeuillets.Puiselleavaitprislemanuscritetétaitretournéeausalon,passantdevantPaul
sansajouterunmot.–Tum'asentendudireoui?avait-ilpoursuivienlarejoignant.Etilluiavaitchuchotéàl'oreilledenepasenparleràArthur.–Ouiàquoi?s'étaitinquiétécedernierenselevant.–Jenesaisplus,luiavaitréponduLauren.Onyva?Et avant que Paul n'ait eu le temps de réagir,Arthur et Lauren, déjà sur le
palier,l'avaientremerciépourcettesoirée.
*
D'autres voyageurs sortaient, en plus grand nombre, cette fois. Une bonnetrentaine,maistoujourspasceuxqu'ilétaitvenuchercher.–Qu'est-cequ'ilsfabriquent!Ilspassentl'aspirateurdansl'avion?Qu'est-ce
quim'aréellementmanquédepuisquejesuisàParis?LamaisondeCarmel...Ceque j'aimaisyaller leweek-end,êtreen leurcompagnie,descendreassisteraucoucherdusoleilsurlaplage.Bientôtseptans.Oùontfilécesannées?Cesonteuxquimemanquentleplus.Lesappelsvidéo,c'estmieuxquerien,maisprendrequelqu'unqu'onaimedanssesbras,sentirsaprésence,c'estautrechose.Tiens, il faudra que je parle àLauren demesmigraines à répétition, c'est sondomaine. Non, elle voudra me prescrire des examens, ce sont juste desmigraines,c'estridicule,touslesgensquiontmalàlatêten'ontpasunetumeuraucerveau.Enfin,jeverrai.Bon,ilsvontfinirparsortir?
*
Green Street était déserte. Après avoir garé le break Ford dans le parking,Arthur avait ouvert la portière de Lauren et ils avaient grimpé les marchesjusqu'au dernier étage de la petite maison victorienne où ils vivaient. Raresétaient les couples qui avaient partagé le même appartement avant de serencontrer,maiscela,c'estuneautrehistoire...Arthur devait achever des esquisses pour un client important. Il s'excusa
auprèsdeLaurenetl'embrassaavantdes'installeràsatabled'architecte.LaurennetardapasàseglissersouslesdrapsetsereplongeadanslemanuscritdePaul.Àplusieurs reprises,Arthur crut l'entendre rirede l'autre côtéde la cloison.
Chaquefois,ilregardaitsamontreetreprenaitsoncrayon.Plustarddanslanuit,percevant cette fois des sanglots, il se leva, ouvrit doucement la porte de lachambreetdécouvritsafemme,assisedansleurlit,enpleinelecture.–Qu'est-cequetuas?questionna-t-il,inquiet.–Rien,répondit-elleenrefermantlemanuscrit.Elleattrapaunmouchoirenpapiersurlatabledenuit,etseredressa.–Jepeuxsavoircequiterendtriste?–Jenesuispastriste.–Çaseprésentemalpourl'undetespatients?–Non,c'estplutôtexcellentpourlui.–Etçatefaitpleurer?–Tuvienstecoucher?–Pasavantquetum'aiesexpliquépourquoitunedorspas.
–J'ignoresij'enailedroit.ArthursecampadevantLauren,décidéàluiextorquerdesaveux.–C'estPaul,finit-elleparlâcher.–Ilestmalade?–Non,ilaécrit...–Ilaécritquoi?–Jedoisluidemandersapermissionavantde...–Pauletmoin'avonsaucunsecretl'unpourl'autre.–Ilsembleraitquesi.N'insistepas,viens,ilesttard.Lelendemainsoir,PaulreçutunappeldeLaurenàl'agence.–J'aiàteparler,jeterminemonservicedansunedemi-heure,retrouve-moià
lacafétériaenfacedel'hôpital.Perplexe, Paul enfila sa veste et quitta son bureau. Il croisa Arthur devant
l'ascenseur.–Oùvas-tu?–Cherchermafemmeàsontravail.–Jepeuxt'accompagner?–Tuesmalade,Paul?–Jet'expliqueraienroute,dépêche-toi,cequetupeuxêtrelent!Lorsque Lauren apparut sur le parking de l'hôpital, Paul se précipita à sa
rencontre et l'accapara.Arthur lesobservaun instant avantde sedécider à lesrejoindre.–Onseretrouveàlamaison,luidit-elle.Pauletmoidevonsdiscuter.IlslaissèrentArthurenplanetentrèrentdanslacafétéria.–Tuasfinidelire?s'enquitPaulaprèsavoircongédiélaserveuse.–Oui,hiersoir.–Ettuasaimé?–Beaucoup.J'aireconnupasmaldechosesmeconcernant.–Jesais,j'auraispeut-êtredûtedemandertonaccord.–Tuauraispu.–Detoutefaçon,personned'autrequetoineliracettehistoire.–C'estprécisémentdeceladontjevoulaisdiscuteravectoi.Tudoisl'envoyer
àunéditeur,tuseraspublié,j'ensuiscertaine.Paul ne voulait pas en entendre parler. D'abord il n'imaginait pas un seul
instant que son manuscrit puisse retenir l'attention d'une maison d'édition, etquandbienmême,ilneserésolvaitpasàl'idéequ'unétrangerlisecequ'ilavait
écrit.Lauren usa de tous les arguments possibles, mais Paul campa sur ses
positions.Enlequittant,Laurenluidemandal'autorisationdepartagerlesecretavecArthur,etPaulfitcommes'iln'avaitrienentendu.Deretourchezelle,elleconfialemanuscritàArthur.–Tiens,luidit-elle,onendiscuteraquandtul'auraslu.CefutautourdeLaurend'entendreArthurrireàplusieursreprises,guettant
dans le calme qui suivait l'émotion qui le gagnait à la lecture de certainspassages.Illarejoignitdanslesalontroisheuresplustard.–Alors?–C'esttrèsinspirédenotrehistoire,maisj'aibeaucoupaimé.–Jeluiaiconseillédel'envoyeràunéditeur,maisilneveutrienentendre.–Jepeuxlecomprendre.Fairepublier le récitdePauldevintuneobsessionpour la jeunedoctoresse.
Dèsqu'ellelecroisait,oudiscutaitavecluiautéléphone,elleluiposaitlamêmequestion.Avait-il envoyésonmanuscrit.Chaque fois,Paul lui répondaitpar lanégative,lapriantdeneplusinsister.
Un dimanche, en fin d'après-midi, le portable de Paul sonna.Ce n'était pas
Lauren,maisunéditeurdeSimonandSchuster.–Trèsdrôle,Arthur,avaitlâchéPauld'unevoixagacée.Surpris,soninterlocuteurrétorquaqu'ilvenaitd'acheverlalectured'unroman
quiluiavaitbeaucouppluetsouhaitaitenrencontrerl'auteur.Le quiproquo dura, Paul enchaînait les plaisanteries. D'abord amusé, puis
excédé,l'éditeurluisuggéradeluirendrevisitedèslelendemainàsonbureau,ilauraitainsilapreuvequ'ilnes'agissaitpasd'uneblague.Ledoutes'installadansl'espritdePaul.–Commentavez-vousobtenumonmanuscrit?–Unamimel'aremisdevotrepart.Et après lui avoir communiqué le lieu du rendez-vous, l'homme raccrocha.
Paulfitlescentpasdanssonappartement.Netenantplusenplace,ilsautadanssaSaabettraversalavillejusqu'auSanFranciscoMemorialHospital.Aux urgences, il demanda à voir Lauren sur-le-champ. L'infirmière lui fit
remarquer qu'il n'avait pas l'airmalade. Paul lui jeta unœil noir, les urgencesn'étaientpas toujoursd'ordremédicaldans lavie. Il luidonnaitdeuxsecondespourlabiperavantdeprovoquerunesclandre.L'infirmièrefitunsigneàl'agentdesécurité.Lepirefutévitéquand,voyantPaul,Laurenvintàsarencontre.
–Qu'est-cequetufichesici?–Tuasunamiéditeur?–Non,rétorqua-t-elleenfixantleboutdeseschaussures.–Arthuraunamiéditeur?–Nonplus,murmura-t-elle.–C'estencoreunedevosplaisanteries?–Pascettefois.–Qu'est-cequetuasfait?–Riendemal,ladécisiont'appartienttoujours.–Tuvasm'expliquer?–Undemesconfrèresaunamiéditeur,jeluiaiconfiélemanuscritpouravoir
unavisindépendant.–Tun'avaispasledroit.–End'autrestemps,tuasaussiagipourmoisansmonautorisation,ettuvois,
aujourd'huijet'ensuisreconnaissante.J'aiprovoquéunpeuledestin,etalors?Jetelerépète,ladécisiont'appartient.–Quelledécision?–Departageravecd'autrescequetuasécrit.Tun'espasHemingway,mais
tonhistoirepeutapporterunpeudebonheurauxgensquilaliront.Parlestempsquicourent,cen'estdéjàpasmal.Maintenant,j'aidutravail.Elleseretournaavantdefranchirlesportesdesurgences.–Surtout,nemeremerciepas.–Teremercierdequoi?–Vaàcerendez-vous,Paul,nesoispastêtu.Aufait,jen'aiencoreriendità
Arthur.Paulalla rencontrercetéditeurquiavaitappréciéson roman,et succombaà
ses propositions. Chaque fois qu'il l'entendait prononcer lemot « roman », ilavaitunmalfouàétablirlelienavecl'histoirequiavaitcomblésesnuitsàuneépoqueoùsavien'étaitpastrèsheureuse.Leromanfutpubliésixmoisplustard.Lelendemaindelasortieenlibrairie,
Paulseretrouvadansl'ascenseurdesesbureauxencompagniededeuxcollèguesarchitectes qui avaient son livre en main. Ils le félicitèrent et Paul, tétanisé,attendit qu'ils soient sortis pour rappuyer sur le bouton du rez-de-chaussée. Ilpartit s'installer dans le café où il prenait son petit déjeuner chaquematin.Laserveusevoulutqu'illuisignel'exemplairequ'elleavaitacheté.LamaindePaultrembla en ledédicaçant. Il régla lanote, rentra chez lui et semit à relire son
roman.Àchaquepagequ'iltournait,ils'enfonçaitunpeuplusdanssonfauteuil,souhaitants'yfondrepourneplusjamaisavoiràsortir.Ilavaitlivrédanscerécitunepartdelui,desonenfance,desesrêves,desesespoirs,deseséchecs.Sanss'en rendre compte, sans supposer qu'un jour des inconnus le liraient. Plusterribleencore,desgensqu'ilcôtoyait,aveclesquels il travaillait.Paul,dont labonhomie et les éclats de voixmasquaient une pudeurmaladive, demeura lesyeuxgrandsouverts et les brasballants, n'ayant pluspour seul souhait quededevenir,àl'imagedesonpersonnage,invisible.Luivintl'idéederachetertouslesexemplairesencirculation.Ilsejetasurle
téléphone,maisavantqu'ilaitpuparleràsonéditeurdeceprojet,cedernierlefélicitadel'articleparulematinmêmedansleSanFranciscoChronicle.Certes,lacritiquel'écorchaitunpeu,c'étaitdebonneguerre,pourtantdansl'ensemblelepapierferaitunebellepublicité.Paulluiraccrochaaunezetseruasurlepremierkiosque à journaux.L'article soulignait les erreurs d'unpremier roman, et pirepourPaul,félicitaitsonauteurdenepasavoircraintd'êtretaxédesensiblerie.Àuneépoqueoùlecynismeprimaitsurl'intelligence,ilfallaitpeut-êtrevoiriciunacte de résistance assez courageux, avait conclu le journaliste. Paul se sentitmourir. Pas d'unemort subite, ce qui l'aurait franchement soulagé,mais d'unelenteetsuffocanteagonie.Son portable ne cessait de sonner, des numéros inconnus apparaissaient sur
l'écran,chaquefois, il rejetait l'appel.Ilfinitparôter labatterieetdisparutdesécransradar.Ilneserenditpasaucocktailorganiséparsonéditeur,nemitpluslespiedsaubureaudelasemaine,restantchezlui.Unsoir,lelivreurdepizzasluiprésentaunexemplaireàluidédicacer,ajoutantqu'ilavaitreconnusaphotoau journal télévisé de la veille. Après cet incident qui se reproduisit avec lacaissière de l'épicerie, Paul hiberna. Jusqu'à ce qu'Arthur vienne frapper à saporte et le déloger de force de sa tanière. Au contraire de Paul, Arthur seréjouissaitpourlui,etilapportaitdebonnesnouvelles.L'originalité de son récit avait capté l'attention des médias. Maureen,
l'assistantedel'agence,avaitpréparéunerevuedepresseavecamour.Laplupartdeleursclientsavaientdéjàlulelivreetavaienttéléphonépourleféliciter.Unproducteurde filmsavaitcherchéà le joindreaubureauet,Arthuravait
gardé le meilleur pour la fin, le libraire du Barnes & Noble où il avait seshabitudesluiavaitindiquéqueleromansevendaitcommedespetitspains.LesuccèsdemeuraitcontenudanslaSiliconValley,maisàcetrain-là,ils'étendraitbientôtàtoutlepays,lelibraireenétaitconvaincu...ÀlaterrassedurestaurantoùilavaittraînéPaul,Arthurluifitremarquerqu'il
étaittempsdeseraser,deprendreunpeuplussoindesonapparence,derappelersonéditeurquiavaitlaissévingtmessagesaubureau,etsurtoutd'embrassercebonheurquelavieluioffrait,aulieudetirercettetêted'enterrement.Paul resta silencieuxun longmoment, prit une grande inspiration et songea
qu'un malaise en public aggraverait son cas. Lorsqu'une femme qui l'avaitreconnu interrompit leur déjeuner pour lui demander si son roman étaitautobiographique,cefutlecoupdegrâce.D'un tonsolennel,PauldéclaraàArthurqu'aprèsavoirbeaucoupréfléchiau
coursdecettesemaine,illuiconfiaitlecabinet.Àsontourdes'offriruneannéesabbatique.–Pourfairequoi?interrogeaArthur,secoué.Disparaître, pensaPaul.Pour s'épargnerune leçondemorale, il invoquaun
prétexte imparable : Écrire un deuxième roman, enfin essayer. Que pouvaitopposerArthuràcela?–Sic'estvraimentcequetusouhaites.Jen'aipasoubliéquelorsquej'allais
mal,jesuispartivivrequelquetempsàParis,ettuasprisnosaffairesenmain.Oùcomptes-tuterendre?Paulquin'enavaitaucuneidéeréponditsansréfléchir:–ÀParis.Tum'as tantvanté lesmerveillesde laVille lumière,sesbistrots,
sesponts,sesquartierspleinsdevieetsesParisiennes...quisait,avecunpeudechance,cetteravissantefleuristedonttumevantaisaussilescharmesserapeut-êtreencorelà?–Peut-être,rétorquaArthurlaconique,maistoutn'étaitpasaussimerveilleux
quejetelelaissaisentendre.– Parce que, à cette époque, tu n'étais pas aumieux de ta forme.Moi, j'ai
seulementbesoindechangerd'air...pourstimulermacréativité,tucomprends.–Sic'estpourstimulertacréativité!Etquandcomptes-tupartir?–Organisonsundînerchezvouscesoir,oninviteraPilguezetsafemme,la
bandeseraaucompletpourlesadieuxetzou,dèsdemain,àmoilaFranceetlabellevie!LeprojetdePaulattristaitArthurauplushautpoint, ilauraitvouluobjecter
que cette décision était précipitée, qu'il serait préférable pour l'agence qu'ilpatientequelquesmoisavantdemettresonplanàexécution,maissonsensdel'amitié prit le dessus. Si une telle chance s'offrait à lui, Paul ferait tout pourl'aider,illeluiavaitprouvéparlepassé.Quantauboulot,ils'arrangerait.AprèsavoirsaluéArthur,Paulrentrachezlui,dansunétatd'effroi total.Où
avait-ildénichéunetelleidée?S'installeràParis,etseul!
Arpentant sonappartement, il semit à chercherdes arguments en faveurdecetteéchappatoire,folleetimprobable.SiArthurl'avaitfait,pourquoipaslui.Ledeuxième argument, qui supplanta le premier, concernait les Parisiennes, letroisièmeétaitquefinalement,ilpourraitessayerd'écrireunautreroman...qu'ilnepublieraitpas...ouuniquementàl'étranger.Desortequ'illuisoitpossiblederevenir à San Francisco, dès que les choses se seraient tassées. Au boutdu compte, ces arguments ne firent plus qu'un : écrivain... américain...célibataire...àParis!
EtàParis,oùilvivaitmaintenantdepuisseptans,Paulavaitécritcinqautres
romans.Lasd'aventuresavecdesParisiennesdontleschangementsd'humeurluisemblaientimpossiblesàcomprendre,iloptapourlecélibat,àmoinsquecenefûtlecélibatquioptâtpourlui.Sescinqromansnerencontrèrentpaslesuccèsqu'ilavaitfiniparespérer,du
moins,pasenEuropeniauxÉtats-Unis,maispouruneraisonqu'ilignorait,seslivresfaisaientuntabacenAsie,plusparticulièrementenCorée.Depuis quelques années, Paul entretenait une liaison amoureuse avec sa
traductricecoréenne.Deuxfoisl'an,Kyongvenaitluirendrevisite,unesemaine,jamais davantage. Il était bien plus épris qu'il ne voulait le reconnaître. Seulproblème,faceàelle,ilnesavaitjamaistrouverlemotjuste.Kyongaimait lessilences,Paul lesavaitenhorreur.Ilsedemandaitsouvent
s'iln'avaitpaspris laplumepour les effacer, telsdesblancsque l'on recouvred'encre. Kyong et lui passaient ensemble quatorze journées et demie par an,allées et venues à l'aéroport comprises. Quand Kyong était là, il la regardaitpendantdesheures,sansdiscernersielleétaitvraimentbelleouseulementàsesyeux.Sonvisageétait si singulieret son regardsipénétrant lorsqu'ils faisaientl'amour, qu'il lui arrivait de se demander s'il ne couchait pas avec uneextraterrestre.Ils se voyaient peu, mais avaient leurs habitudes. Lors de ses escapades
parisiennes,elleaimaitfréquenterlecinémadelarueApollinaire,commesilasalleavaitplusd'importancequelefilmqu'onyprojetait,traverserlapasserelledesArts,mangeruneglacechezBerthillonmêmeaucreuxdel'hiver.Elleaimaitlirelesjournauxfrançais,traînerdansleslibrairies,sepromenerdansleMarais,parcourirlesvoiespiétonnesduquartierdesHallesetremonteràpiedlaruedeBelleville,alorsqu'ilauraitétéplussimpledeladescendre.ElleaimaitprendrelethéauxbeauxjoursdanslejardindumuséedelaVieromantique,rueChaptal,visiterlacollectionCamondo,ruedeMonceau,quePaulluioffredesfleurseten
fassedesbouquetsenrentrantchezlui.Elleaimaitchoisirdesfromagessurl'étalde Vannaut, un maître affineur qui tenait boutique en bas de chez Paul, elleaimaitqu'il la regardeet ladésire,elleaimaitmoinsses livres,mais ilsétaientlelienquilesavaitunis.Kyong occupait aussi l'esprit de Paul, quand elle n'était pas là, plus encore
peut-être.Pourquoiétait-ellesiattachanteàsesyeux,pourquoiluimanquait-elleautant?Dès qu'il avait achevé un manuscrit, elle débarquait chez lui. Ignorant la
fatigue qui accable toute personne normale ayant voyagé onze heures, elleresplendissait de fraîcheur. Après un déjeuner frugal, invariablement composéd'œufs mayo, d'une tartine et d'un panaché – ce qui était peut-être en soi unremède miracle contre le décalage horaire, idée à soumettre un jour à lascience–, déjeunerqu'elle souhaitait tout aussi invariablementprendredans lemêmecafé,à l'anglede laruedeBretagneetde la rueCharlot– il faudraitserenseignersurlaprovenancedespoulesquipondaientlesœufsmayoducaféLeMarché,aucasoùilfermeunjour–,ilsmontaientdansl'appartementdePaul.Kyong se douchait, avant de s'installer à sa table d'écriture pour le lire. Pauls'asseyait au pied du lit, face à elle, et l'observait. Perte de temps notoirepuisqu'elledemeuraitimpassiblependantsalecture.Illuisemblaitalorsquesonappréciationduromanallaitdéciderounonqu'ellelerejoigne.Danssoncas,le«etplussiaffinités»luiparaissaitdépendred'un«sij'aiaiméteschapitres».Pourcetteraison,plusqu'uncommentaireexplicitedelatraductriceàlaquelleildevait une partie substantielle de ses revenus, Paul vivant de ses royaltiescoréennes,ilguettaitlemomentoùelles'abandonneraitàleurintimité.Ilaimaitécrire,résideràl'étranger,ilaimaitlesvisitesbisannuellesdeKyong
et si le reste de l'année, une certaine solitude n'avait été la rançon de cetteexistence,ilauraittrouvésanouvelleviepresqueparfaite.
*
Lesportesvitréess'ouvrirentetPaul,soulagé,soupira.Arthur poussait un chariot à bagages pendant que Lauren faisait de grands
signes.
4.
Miaouvrit les yeux et s'étira. Il lui fallut quelques instants pour se resituer,géographiquement et sentimentalement. Elle sortit du lit, ouvrit la porte de lachambreetcherchaDaisy.L'appartementétaitvide.Unpetit déjeuner l'attendait sur le comptoir de la cuisine, accompagnéd'un
motposésurunevieilleassietteenfaïence.«Tuavaisbesoindesommeil,rejoins-moiaurestaurantquandtulepourras.»Miaallumalabouilloireélectriqueetavançajusqu'àlafenêtre.Dejour,lavue
était encore plus surprenante. Elle s'interrogea sur la manière d'occuper sajournée,etcellesquisuivraient.Elleregardal'heureàlapenduledufourettentad'imaginercequeDavidpouvaitbienfaire,s'ilétaitseulouprofitaitpleinementde son absence. Avait-elle eu raison de lui laisser le champ libre, d'espérerqu'elle finirait par luimanquer ?N'aurait-il pasmieux valu occuper le terrainpourtenterdelereconquérir?Quidétenaitlesclésdecegenred'énigme?Mianesavaitpascequ'ellevoulait,maisellesavaitcequ'ellenevoulaitplus.
Ledoute,l'attente,lesilence.Ellevoulaitdesprojetsimpossibles,maisquivousdonnentenviedevous lever lematin, retrouver l'appétitdevivreetneplus seréveillerl'estomacnoué.Lecielétaitvoilé,maisilnepleuvaitpas,c'étaitunbondébut.Ellen'iraitpas
rejoindreDaisy,ellepréféraitsepromenerdans lesruesdeMontmartre,chinerdanslesboutiquesetpourquoipassefairecroquerleportraitparuncaricaturistede la butte. C'était kitsch à souhait, mais c'était justement ce dont elle avaitenvie. Ici, au contraire de l'Angleterre, les gens ne la reconnaîtraient pas.Elleallaitprofiterdecettelibertépourfairecequiluipasseraitparlatête.Ellefouilladanssonsacdevoyage,cherchaunetenueetneputrésisteràla
curiosité d'explorer l'appartement de sa meilleure amie. Elle observa labibliothèquepeinteenblancetdontlesétagèrespliaientsouslepoidsdeslivres.Miachapardaunecigarettedanslepaquetoubliésurlatablebasse,cherchantlemoindreindicequirévéleraitl'identitédesonpropriétaire.Quelgenred'homme
était-il,était-ceunamiouunamantdeDaisy,sonpetitamipeut-être?LaseuleidéequeDaisypartagesavieavecquelqu'unravivaledésird'appelerDavid,deremonter le temps, avant ce tournage où une actrice de second rôle lui avaittournélatête;cen'étaitprobablementpaslapremièrefois,maissoussesyeux,l'expérience avait été cruelle à vivre. Sur la terrasse, elle alluma sa cigarettequ'elleregardaseconsumerentresesdoigts.Elleentradansleloftets'installaaubureaudeDaisy.Sonordinateurportable
étaitouvert,l'écranverrouillé.Elle prit son téléphone et commença une conversation par texto avec son
amie:–Quelesttonmotdepasse?J'aibesoindeliremesmails.–Tunepeuxpaslesliresurtonsmartphone?–Pasquandjesuisàl'étranger.–Radine!–C'estlemotdepasse?–Tulefaisexprès?–Benquoi?–Jetravaille.Ciboulette.–????–C'estmonmotdepasse.–Jetravailleciboulette?–Ciboulette,idiote!–C'estnul,commemotdepasse.–Non,etnefouillepasdansmesdossiers.–Cen'estpasmongenre.–C'esttoutàfaittongenre.Miareposaletéléphoneettapalesésame.Elleseconnectaàsaboîtemailet
nevitqu'unmessagedeCrestonquiluidemandaitoùelleétaitetpourquoielle
nerépondaitpasautéléphone.Unmagazinedemodeluiproposaitunreportagechezelle,ilavaitbesoindesonaccordauplusvite.Elleécrivit:
CherCreston,Jesuispartiequelquetemps,etjecomptesurvotrediscrétionpourneledireàpersonne,quandje
dispersonne,celaveutdirepersonne.Pourapprendre le rôlequevousmecontraignezà jouer, j'aibesoind'êtreseule,sansdirectivesd'unmetteurenscène,d'unphotographe,d'unedevosassistantes,oudevous-même.Désobéirestunechosequejen'aiguèreeuleloisirdefairedepuisdeuxans.Jeneposeraipaspourunmagazinedemode,carjen'enaipasenvie.Parmilalistedesrésolutionsquej'aiprises hier soir à bord de l'Eurostar, la première était de ne plusme soumettre. J'ai besoin demeprouver que j'en suis capable, quelques jours au moins. Il fait beau à Paris, je vais aller mepromener... je vous donnerai bientôt demes nouvelles et je serai discrète en toutes circonstances,soyeztranquille.
Bienàvous.Mia
Elleserelutetappuyasurlatouche«envoi».Unpetitongletenhautdel'écranéveillasacuriosité,ellecliquadessus.Elle
écarquillalesyeuxendécouvrantlapaged'accueild'unsitederencontre.Elle s'était engagée à ne pas fouiller dans les dossiers deDaisy,mais, en y
repensant,cen'étaitpasunepromesseexplicitementformulée,etpuisDaisyn'ensauraitrien.Elleconsultalesprofilsdeshommessélectionnésparsonamie,éclataderire
enlisantcertainsmessages,enrepéradeuxquiluiparurentintéressants.Tandisqu'un rayonde soleil entrait dans l'appartement, elle jugeaqu'il était tempsdequittercemondevirtuelqu'elle trouvaitdérangeantpourallerse frotteràceluiqui l'attendait dehors. Elle éteignit l'ordinateur et emprunta un manteau légeraccrochédansl'entrée.Ensortantdel'immeuble,elleremontalarueverslaplaceduTertre,s'arrêta
devantunegalerie,etcontinuasonchemin.Uncoupledetouristeslaregarda,lafemmelamontradudoigtetellel'entenditdireàsonmari:«Jet'assurequec'estelle,valeluidemander!»Mia accéléra le pas et entra dans le premier café venu.Le couple se planta
devantlavitrine,MiasecollaaucomptoiretcommandaunquartVittel,lesyeuxrivés sur le miroir du bar où se reflétait la rue. Elle attendit que le coupleindélicatselasse,payaetpartit.Arrivée place duTertre, elle observait les caricaturistes au travail quand un
jeunehommel'aborda.Ilavaitunsourirebienveillantetassezbellealluredanssonjeanetsaveste.–VousêtesMelissaBarlow,n'est-cepas?J'aivutousvosfilms,déclara-t-il
dansunanglaisparfait.MelissaBarlowétaitlenomdescènedeMiaGrinberg.–VoustournezunfilmàParisouvousêtesenvacances?poursuivit-il.Mialuisourit.–Jenesuispasici,maisàLondres.Vousavezcrumevoir,maiscen'estpas
moi,justeunefemmequimeressemble.–Jevousdemandepardon?rétorqua-t-il,circonspect.–C'estmoiquivousdemandepardon,cequejedisnedoitavoiraucunsens
pourvous,maispourmoi,si.Nem'envoulezpassijevousaidéçu.– Comment Melissa Barlow pourrait-elle me décevoir, puisqu'elle est en
Angleterre?Lejeunehommelasaluarespectueusement,fitquelquespasetseretourna.–Siparleplusgranddesbonheursvouslacroisiezunjourdanslesruesde
Londres, lemondeest si petit, pourriez-vous lui confierdemapart qu'elle estuneformidableactrice?–Jen'ymanqueraipas.Jesuiscertainequecelaluiferatrèsplaisir.Mialevits'éloigner.–Aurevoir,murmura-t-elle.Ellecherchases lunettesdesoleildanssonsac,marchaunpeuet repéraun
salon de coiffure. Elle pensa que Creston lui passerait certainement un savonmagistral et cette seule idée lui donna encore plus envie demettre son plan àexécution. Elle poussa la porte, s'installa sur un fauteuil et ressortit une heureplustard,bruneauxcheveuxcourts.
Résolueàtestersonstratagème,elles'assitsurlesmarchesduSacré-Cœuret
attendit.Lorsqu'uncardetouristesimmatriculéenGrande-Bretagnes'arrêtasurleparvis,Miasejoignitauxpassagersquiendescendaient,demandal'heureauguide en faisant face au groupe qu'il accompagnait. Soixante personnes et pasune pour la reconnaître. Elle bénit ce coiffeur qui lui avait offert un nouveauvisage. Elle était enfin une simple Anglaise en visite à Paris, une femmeanonyme.
*
Paulavait faitdeux fois le tourdupâtédemaisonset finitpar se rangerendoublefile.Ilseretournaverssesdeuxpassagers,ungrandsourireauxlèvres.–Alors,pastropdépaysés?–Partafaçondeconduire,non,réponditArthur.
–Tu lui as déjà raconté cette soirée où j'ai passé deux heures recroquevillésousunetabled'opérationàcausedelui?dit-ilens'adressantàLauren.–Vingtfois,rétorquaArthur,pourquoi?–Pourrien,voici lesclés,c'estaudernierétage,montezvosvalises, jevais
garerlavoitureauparking.LaurenetArthuravaientprispossessiondeleurchambreetdéfaisaientleurs
bagages.–C'estdommagequevousn'ayezpasemmenéJo,soupiraPaulenentrant.–C'estunlongvoyagepourunenfantdesonâge,expliquaLauren,ilestchez
samarraineetjecroisqueçaluiplaîtbeaucoup.–Ilauraitétébeaucoupplusheureuxchezsonparrain.–Nousrêvionsdevacancesenamoureux,intervintArthur.–Peut-être,maisilyalongtempsquevousêtesamoureux,alorsquemoi,je
nevoispassouventmonfilleul.–ReviensvivreàSanFrancisco,tuleverrastouslesjours.–Vousvoulezmangerquelque chose ?Oùai-je rangéce cake ?marmonna
Pauleninspectantsesplacardsdecuisine.Jesuiscertaind'avoirachetéuncake.LaurenetArthuréchangèrentunregard.Illeurservitducaféetdétaillaleprogrammequ'ilavaitétabli.Lesoleilétantaurendez-vous,lapremièrejournéeseraitconsacréeàlavisite
des lieux cultes parisiens, tour Eiffel,Arc de Triomphe, île de laCité, Sacré-Cœuret,siletempsvenaitàleurmanquer,ilscontinueraientlelendemain.–Enamoureux...,rappelaArthur.–Bienentendu,repritPaul,unpeugêné.Laurenavaitbesoinde se reposeravantd'entreprendreun telmarathon.Les
deuxcompèresdevaientavoirpleindechosesàseraconteretellelesinvitaitàdéjeunersanselle.Paulseproposad'emmenerArthurdansuncaféàquelquespasdechezlui,à
midi,laterrasseétaitenpleinsoleil.Arthurenfilaunechemisepropreetlesuivit.Attablés, les deux amis s'observèrent unmoment sans rien dire. Comme si
chacunguettaitceluidesdeuxquiparleraitlepremier.–Tuesheureux,ici?finitparlâcherArthur.–Oui,enfin,jecrois.–Tucrois?–Quipeutêtrecertaind'êtreheureux?
–C'estprobablementunephrased'écrivain,mais là,c'estmoiqui tepose laquestion.–Queveux-tuquejeteréponde?–Lavérité.– J'aime mon métier, même si j'ai toujours la sensation d'être parfois un
usurpateur,jen'aiécritquesixromanstusais.Ilparaîtquebeaucoupd'écrivainsressententcela,enfin,c'estcequem'ontconfiédesconfrères.–Tuenfréquentesbeaucoup?– Je me suis inscrit à un club d'écriture pas loin d'ici, j'y vais un soir par
semaine,nouspapotons,parlonsdenosblocages,etpuisnousallonsacheverlasoiréedansunebrasserie.C'estdrôle,enm'entendantteraconterça,jetrouveçasinistre.–Jenetecontrediraipas.–Ettoi,commentvas-tu?Lecabinetprospère?–Nousparlionsdetoi.–J'écris,c'estmaseuleoccupationenréalité.Jeparticipeàquelquessalonsdu
livre.Parfois,jefaisdessignaturesenlibrairie.L'andernierjemesuisrenduenAllemagneetenItalieoùmeslivressevendentunpeu.Jevaisdansunesalledesportdeuxfoisparsemaine,j'aihorreurdeça,maisaveccequejemange,c'estindispensable,etsinonj'écris,maisjemerépète,non?–Çam'al'airtrèsjoyeux,sifflaArthurd'untonironique.–Necroispasça, jesuisheureuxlanuit.J'yrejoinsmespersonnages,alors
oui,laviedevientjoyeuse.–Tuasquelqu'un?–Ouietnon.Ellen'estpassouventlà,pourtoutavouerjamais,maisjepense
àellesanscesse,tuasconnucela,n'est-cepas?–Quiest-ce?–Matraductricecoréenne,çat'épate,non?s'exclamaPaul,faussementjovial.
Ehoui,ilparaîtquejesuispopulaireenCorée.Jen'yaijamaismislespieds,tusaiscombienj'aihorreurdel'avion,jenemesuistoujourspasremisduvolquim'aamenéici.–C'étaitilyaseptans!–C'étaithier,onzeheuresdeturbulences.Uncalvaire.–Ilfaudrapourtantqueturepartesunjour.–Passûr,j'aiobtenumonpermisdeséjour.Oualorsparbateau.–Etcettetraductrice?–C'estunefemmeformidable,mêmesijelaconnaispeu,finalement.D'année
enannée,jemesuisattachéàelle.Lesrelationsàdistancenesontpasfaciles.–Tum'asl'airbienseul,Paul.–Cen'estpastoiquim'asdéclaréunjourquelasolitudeétaituneformede
compagnie?Bon,assezparlédemoi!Etvous?Montre-moidesphotosdeJo,ildoitavoirtellementgrandi.Unefemmeravissante,s'assitàunetablevoisinedelaleur.Paulneluiprêta
aucuneattention,cequiinquiétaArthur.–Nemeregardepasainsi,repritPaul;desaventures,j'enaiconnuplusquetu
nel'imagines,etpuisilyaeuKyong.Avecelle,c'estdifférent,j'ail'impressiond'êtremoi-même,deneplusjouerunrôle,jenemesenspasobligédeséduire.Elle a appris àme connaître dansmes bouquins, ce qui est un comble, car jecroisqu'ellenelesaimepas.–Personnenelaforceàtetraduire.–Elleenrajoutepeut-êtreunpeupourmefaireenrager,oupourmepousserà
progresser.–Maisenattendanttuvisseul!–Tuvaspenserquejepassemontempsàteparaphraser,maisquiadit:on
peutaimerquelqu'unetêtreseul.–Masituationétaitunpeuparticulière,tuenconviendras.–Lamienneaussi.–Toiquiécris,tudevraisrédigerlalistedeschosesquiterendraientheureux.–Maisjesuisheureux,bonsang!–Tum'enastoutl'air.–Merde,Arthur,necommencepasàm'analyser,j'aihorreurdeça,etpuistu
nesaisriendemavie.– Nous nous connaissons depuis l'adolescence, je n'ai pas besoin d'une
explicationdetextepourdevinercommenttuvas.Tutesouviensdecequedisaitmamère?–Elledisaitbeaucoupdechoses.Àpropos,j'aimeraismeservirdelamaison
de Carmel comme décor de mon prochain roman. Je ne m'y suis plus rendudepuisfortlongtemps.–Àquilafaute!–Cequimemanqueàencrever,repritPaul,cesontnosviréesauGhirardeli,
nosbaladesjusqu'àlapointedufort,nossoirées,nosengueuladesaubureau,lafaçonquenousavionsdenousprojeterdansl'aveniràchaqueconversationpouraboutirnullepart...nousdeux.–J'aicroiséOnega.
–Ellet'aparlédemoi?–Oui,jeluiaiconfiéquetuvivaisàParis.–Toujoursmariée?–Elleneportaitpasd'alliance.–Ellen'avait qu'àpasmequitter.Tu sais, ajoutaPaul en souriant, elle était
jalousedenotreamitié.
*
Mia observa les caricaturistes de la place du Tertre et trouva sympathique,voire plutôt bel homme, celui qui portait un pantalon de toile, une chemiseblancheetunevesteentweed.Elles'installasurlachaiseplianteenfacedeluietluidemandad'êtreleplusfidèlepossible.– « Le seul amour fidèle est l'amour-propre », disait Guitry, lança le
caricaturistedesavoixrauque.–Ilavaitbienraison.–Malheureuseenamour?–Pourquoimeposez-vouscettequestion?– Parce que vous êtes seule et que vous sortez de chez le coiffeur. On dit
souvent«nouvellecoupe,nouvellevie».Mialefixa,interloquée.–Vousvousexprimeztoujourspardescitations?–Celafaitvingt-cinqansquejecroquedesportraits,j'aiapprisàlirepasmal
de choses dansun regard.Levôtre est joli, intéressant, cependant, l'égayer unpeune lui ferait pas demal.Assez parlé, si vous voulez quemon crayon soitfidèleaumodèle,nebougezpas.Miaseredressa.–EnvacancesàParis?poursuivitlecaricaturisteentaillantsonfusain.–Ouietnon, jepassequelques jourschezuneamie,elle tientun restaurant
danslequartier.–Jedoislaconnaître,Montmartreestunvillage.–LaClamada.– Ah, votre amie est la petite Provençale ! C'est une fille courageuse. Sa
cuisine est inventive et pas chère. Contrairement à certains elle n'a pas étédraguer les touristes. Je vais de temps à autre déjeuner chez elle, elle a ducaractère.Miaobservalesmainsducaricaturisteetremarquasonalliance.–Vousavezdéjàdésiréuneautrefemmequelavôtre?
–Peut-être,letempsd'unregard,ouplutôtceluidesavoiràquelpointj'aimaislamienne.–Vousn'êtesplusensemble?–Si.–Alorspourquoil'imparfait?–Arrêtezdeparler,jesuisentraindedessinervotrebouche.Mialaissal'artisteàsatâche.Laséanceduraunpeupluslongtempsqu'ellene
l'avaitimaginé.Quandl'hommeeutachevésontravail,ill'invitaàvenirvoirlerésultat sur son chevalet. Mia sourit en découvrant un visage qu'elle nereconnaissaitpas.–Jeressemblevraimentàça?– Aujourd'hui, oui, dit le caricaturiste. J'espère que bientôt vous sourirez
commesurcedessin.Il sortit son téléphone de sa poche, prit une photo d'elle qu'il compara au
dessin.–C'estvraimentréussi,félicitaMia.Vouspourriezexécuterunportraitàpartir
d'unephotocommecelle-ci?–Jesuppose,sielleestnette.– Je vous en apporterai une de Daisy, je suis sûre qu'elle serait heureuse
d'avoirlesien,vousavezunjolicoupdecrayon.Lecaricaturistesepenchapourfouillerdansl'undescartonsàdessinsposés
contresonchevalet.IlenretiraunefeuilleCansonetlatenditàMia.–Elleestravissante,votreamierestauratrice,dit-il.Ellepassechaquematin
devantmoi.Jevousl'offre.Mia observa le visage deDaisy.Ce n'était pas une caricature,mais un vrai
portrait,reproduisantsonexpressionavecadresseetsensibilité.–Jevouslaisselemienenéchange,dit-elle,avantdesaluerlecaricaturiste.
*
Paul avaitmené la visite au pas de charge.Avec un culot dont il était seulcapable, ilavaitcoupé lafilequis'allongeaitaupiedde la tourEiffel,gagnantainsi une bonneheure sur le programme.Audernier étage, il eut le vertige ets'accrochaaugarde-corps,demeurantàbonnedistancedesbalustrades.IllaissaArthur et Lauren admirer la vue sans lui, jurant qu'il la connaissait par cœur.Après une descente en ascenseur les yeux fermés, il retrouva sa dignité etconduisitsesamisaujardindesTuileries.Lauren,envoyantdesenfants tourner sur lecarrousel, ressentit l'impérieuse
nécessitédetéléphoneràNathaliapourentendrelavoixdesonfils.ElleinvitaArthuràlarejoindresurlebancoùelles'étaitassise.Paulenprofitapouralleracheterdesfriandises.Laurenl'observadeloinpendantqu'ArthurdiscutaitavecJo.Sanslequitterdesyeux,ellerepritlecombiné,submergeasonpetitgarçonde
motsd'amour,luipromitdeluirapporteruncadeaudeParisetfutpresquedéçuedeconstaterqu'elleneluimanquaitpasplusquecela.Ils'amusaitbeaucoupchezsamarraine.Elle le couvrit de baisers et garda l'appareil collé à l'oreille alors que Paul
revenait,enayanttouteslespeinesdumondeàtenirtroisbarbesàpapadansuneseulemain.–Commentl'as-tutrouvé?chuchota-t-elle.–C'estàmoiquetuparlesouàJo?demandaArthur.–Joaraccroché.–Alorspourquoifais-tusemblantdetéléphoner?–PourquePaulsetienneàdistance.–Bien,jecroisqu'ilestheureux,réponditArthur.–Tunesaispasmentir.–Cen'estpasunreproche,j'espère?–Justeunconstat.Tuasremarquéqu'ilmarmonnesanscesse?–Ilesttrèsseuletilneveutpassel'avouer.–Iln'apersonnedanssavie?–J'aivécuquatreansàParisenétantcélibataire.–Maistuétaistrèsamoureuxdemoi.Ettun'aspaseuunepetitehistoireavec
uneravissantefleuriste?interrogeaLauren.–Luiaussiseraitamoureux.EllevitenCorée.Ilpensemêmes'installeravec
elle.Seslivresauraientunsuccèsénorme,là-bas.–EnCorée?–Oui,mêmesijepensequecen'estpasvraietquesonprojetestabsurde.–Pourquoi,s'ilaimevraimentcettefemme?–Jen'aipasl'impressionqu'ellel'aimeautantquelui.Ilaunepeurpaniquede
l'avion,s'ilpart,ilrisquedenejamaisrevenir.Tulevoisvivreseul,enCorée?ParisestsuffisammentloindeSanFranciscocommeça.–Tun'aspasledroitdel'enempêcher,sic'estcequ'ilsouhaite.–J'ailedroitd'essayerdeleconvaincre.–NousparlonsdumêmePaul?Paul,quienavaitassezdepatienter,arrivaverseuxd'unpasdécidé.
–Jepeuxparleràmonfilleul?–Ilvientderaccrocher,répliquaLauren,confuse.Ellerangeasonportableetluiadressaungrandsourire.–Qu'est-cequevouscomplotiez,touslesdeux?–Absolumentrien,réponditArthur.–Nevousinquiétezpas,jenevaispasvouscollerpendanttoutvotreséjour.
J'aienviedeprofiterdevous,maisjevouslaisseraitranquillestrèsvite.– Mais nous aussi, nous avons envie de profiter de toi, sinon, pourquoi
serions-nousvenusàParis?Paulrestasongeur,lesproposdeLaurenavaientdusens.–J'aivraimentcruquevouscomplotiez.Dequoiparliez-vousalors?–D'unrestaurantoùj'aimeraisvousemmenertouslesdeuxcesoir, j'yavais
meshabitudes quand je vivais àParis.À conditionque tu nous laisses rentrernousreposer,nousn'enpouvonsplusdejouerlestouristes,avouaArthur.Paul accepta l'invitation. Les trois amis empruntèrent l'allée de Castiglione
jusqu'àlaruedeRivoli.– Il y aune stationde taxispas loin,ditPaul en s'engageant sur lepassage
piéton.LefeuviraauvertetArthuretLaurenn'eurentpasletempsdelesuivre.Le flot de la circulation les séparait. Un autobus passa devant eux. Lauren
remarqualepanneaupublicitairesursonflanc:« Vous pourriez rencontrer la femme de votre vie dans ce bus, sauf si elle
prendlemétro»......annonçaitunsitederencontressurInternet.LaurendonnauncoupdecoudeàArthuretilssuivirentlebusdesyeux,avant
deseregardertousdeux.–Tun'ypensespas?chuchotaArthur.–Jedoutequ'ilnousentendedel'autrecôtédel'avenue.–Jamaisilnes'inscrirasurcegenredesite.–Qui a dit que c'était à lui de le faire ? lâcha-t-elle, goguenarde.Quand le
destinabesoind'unpetitcoupdepouce,l'amitiéexigequ'onluitendelamain...çaneterappellerien?EtelletraversasansattendreArthur.
*
Miamitlapairedelunettesenécailleachetéechezunantiquaireaucoursdel'après-midi.Aveccesverresépais,ellenevoyaitpasgrand-chose.Ellepoussala
portedurestaurant.Depuislasallecomble,parunegrandefenêtreouvertedanslemur,lesclients
attabléspouvaient voirDaisyœuvrer en cuisine.Son cuistot paraissait neplussavoiroùdonnerde la tête.Daisyemportadesassiettesetdisparut.Uneportes'ouvritetelleréapparut,sedirigeantversunetabledequatrepersonnes.Ellelesservitet repartit aussivite, frôlantMiasans luiprêterattention. Justeavantderentrerdanssacuisine,ellereculadetroispas.–Jesuisdésolée,annonça-t-elle,noussommescomplets.Mia,queseslunettesfaisaientloucher,insista.–Mêmepasunepetiteplace?Jepeuxattendre,dit-elleendéguisantsavoix.Daisyfituntourd'horizon,lamouedépitée.– Les gens, là-bas, ont demandé l'addition, mais bavards comme ils sont...
Vousêtesseule?Siuneplaceaucomptoirvousconvient,suggéra-t-elleenluidésignantlecoinbar.Miaacceptaetallas'installersuruntabouret.ElleattenditquelquesminutesavantqueDaisynerevienne,passederrièrele
comptoir,mettesoncouvertetseretournepourattraperunverreàpiedaccrochéà un rack.Elle lui tendit unmenu et annonça qu'elle n'avait plus de coquillesSaint-Jacques.Lamaisonneservaitquedesproduitsfrais,elleavaittoutvendu.–C'estdommage, jesuisvenueexprèsdeLondrespourvoscoquillesSaint-
Jacques.Daisylascruta,dubitative,avantdesursauter.– La vache ! s'exclama-t-elle. Heureusement que je n'avais pas les mains
pleines,j'auraistoutlâché.Tuesdingue!–Tunem'avaispasreconnue?–Jenet'avaispasvraimentregardée,maisqu'est-cequit'apris?–Tun'aimespas?–Jen'aipas le temps,maserveusem'a laisséeenplan,cen'étaitpas lesoir
pourça.Situasfaim,jetepréparequelquechose,sinon...–Tuasbesoind'uncoupdemain?–MelissaBarlow,serveuse,etpuisquoiencore?–JenevoisqueMia,ici,etparlemoinsfort!Daisylatoisadepiedencap.–Tusauraisteniruneassiettesanslarenverser?– J'ai joué un rôle de serveuse, et tu connaismon sens de la perfection, je
m'étaisentraînée.Daisyhésita.Elleentenditlasonnettequefaisaittintersonaide-cuisinier,les
clientss'impatientaient,ilavaitbesoinderenforts.–Ôtecesbesiclesridiculesetsuis-moi!Mial'accompagnajusqu'auxcuisines.Daisyluipassauntablieretluimontra
sixassiettesquiattendaientsousleslampesàréchauffer.–C'estpourla8.–La8?questionnaMia.–Àdroitedel'entrée,latableavecletypequiparlefort,soisaimableaveclui,
c'estunrégulier.–Unrégulier,repritMiaenprenantlesassiettes.–Pasplusdequatreàlafoispourtonpremiertourdesalle,s'ilteplaît.–Àvosordres,réponditMiaens'emparantdesplats.Elleaccomplitsamissionetrevintaussitôtcherchercequ'ilrestaitàservir.Libéréeduservice,Daisy redonnaàsacuisine le rythmequiconvenait.Les
préparations achevées, la sonnette tintait, etMia se précipitait. Quand elle neservait pas, elle débarrassait, collectait les additions, et revenait prendre sesinstructionssousl'œilamusédeDaisy.Vers23heures,lerestaurantcommençaàsevider.–Uneurocinquantedepourboire,c'estcequem'alaisséton«régulier».–Jen'aipasditqu'ilétaitgénéreux!–Etilm'aregardéeenattendantquejeleremercie.–Cequetuasfait,j'espère?–Etpuisquoiencore!–Jepeuxsavoirquandt'estvenuecetteétrangeidéedechangerdetête?–Dès que j'ai su que tu aurais besoin d'une remplaçante. Donc, tu n'aimes
pas!–Cen'estplustoi,jedoism'yhabituer.–Tunevasplusvoirmesfilmsdepuislongtemps,maisj'aieudestêtespires
quecelle-là.–Jetravailletroppouralleraucinéma,nem'enveuxpas.Tupeuxallerservir
cesdesserts?J'aimeraisbeaucouppouvoirfermeretallermecoucher.Miatintsonrôleàlaperfectionjusqu'auboutdelasoirée,gagnantenestime
auprèsd'uneamiequil'auraitcruebienincapabled'unetelleprouesse.Àminuit, les derniers clients quittèrent l'établissement.Daisy et son cuistot
rangèrentlescuisinestandisqueMiaremettaitlasalleenordre.Lerideaubaissé,ellespartirentàpiedàtraverslesruesdeMontmartre.–C'estcommeçatouslessoirs?demandaMia.
–Sixjoursparsemaine.C'estépuisant,maisjen'échangeraismonmétierpouraucunautre. J'aide lachance, je suischezmoi,mêmesi les finsdemoissontterrifiantes.–C'étaitpleinàcraquer.–C'étaitunbonsoir.–Àquoioccupes-tutesdimanches?–Jedors.–Ettaviesentimentale?–Tuveuxquejelametteoù,maviesentimentale,entremachambrefroideet
macuisine?–Tun'asrencontrépersonnedepuisquetuasmontécerestaurant?– J'ai connu quelques hommes, mais pas un n'a résisté à mes horaires. Tu
partages ta vie avec quelqu'un qui exerce le même métier que toi. Combiend'hommestoléreraienttesabsencesquandtuparsentournage?–Jenepartageplusgrand-chose.Leurspasrésonnaientdanslesruesdésertes.–Peut-êtrequenousfinironsvieillesfillestouteslesdeux,ditDaisy.–Toipeut-être,pasmoi.–Salope!–J'aimeraisbien.–Quit'enempêche?–Ettoi,quit'enempêche?D'ailleurs,oùlesas-turencontrés,ceshommes?
Desclients?– Je ne mélange jamais amour et travail, répondit Daisy. Sauf une fois. Il
venait très souvent, trop souvent, alors j'ai fini par comprendre au bout d'unmomentquecen'étaitpasquepourmacuisine.–Commentétait-il?questionnaMia,intriguée.–Pasmal,pasmaldutout,même.Elles arrivèrent au bas de l'immeuble, Daisy composa le code et alluma la
lumièreavantdegrimperl'escalier.–Pasmalcomment?–Ducharme.–Maisencore?–Queveux-tusavoir?–Tout!Commentilt'aséduite,tapremièrenuitaveclui,combiendetempsa
durévotrehistoireetcommentelles'estfinie.–Situleveuxbien,nousattendronsd'êtreaudernierétage.
Enentrantdansl'appartement,Daisyselaissatomberdanssoncanapé.– Je suis exténuée, tu nous préparerais un thé ? Il paraît que c'est la seule
chosequelesAnglaissaventfairedansunecuisine.Mia fit un bras d'honneur et passa derrière le comptoir. Elle remplit la
bouilloireetattenditqueDaisytiennesapromesse.–C'étaitunsoirdedébutjuillet,l'andernier.Lerestaurantétaitpresquevide,
j'étaissurlepointd'éteindremesfourneauxquandilestentré.J'aihésité,etpuisqueveux-tu,devoirprofessionneloblige.J'ailibérémoncuistotetmaserveuse.Pourunclient, jepouvaismedébrouillerseule.Je luiaiprésenté lemenu, ilasaisimamainetm'ademandédechoisircequejevoulais,ilétaitreconnaissantquejesoisrestéepourlui.Etmoi,commeunecrétine,j'aitrouvécelacharmant.–Pourquoicommeunecrétine?–Jemesuis installéeen facede luipendantqu'ildînait, j'aimêmegrignoté
quelque chose avec lui. Il était drôle, plein d'entrain. Il a tenu à m'aider àdébarrasser, ça m'amusait, je l'ai laissé faire. Quand nous avons fermé lerestaurant, il m'a proposé de boire un verre. J'ai dit oui. Nous avons marchéjusqu'à la terrasse d'un café. Nous y avons refait le monde, et c'était un jolimonde.Ilétaitpassionnédecuisine,etilnebluffaitpas.Autantt'avouerquej'aicruaumiracle.Ilm'araccompagnéejusqu'enbasdechezmoi,iln'apasessayédemonter,nousavonsjusteéchangéunbaiser.J'avaisrencontrél'hommeparfait.Onnesequittaitplus,ilvenaitmerejoindreenfindesoirée,m'aidaitàfairelafermeture,jepassaismesdimanchesaveclui,enfin,jusqu'àlafindel'été,après,ilm'aditqu'ilnepouvaitpluscontinuer.–Pourquoi?–Parcequesafemmeetsesenfantsétaient rentrésdevacances.Je teserais
reconnaissantedet'abstenirdetoutcommentaire.Maintenant,jevaisprendreunbainetdormir,conclutDaisyavantderefermerlaportedesachambre.
*
En sortant de chez L'Ami Louis, Lauren s'arrêta pour admirer les vieillesfaçadesdelarueduVertbois.–TusuccombesauxcharmesdeParis?demandaPaul.–Àceuxdurepasgargantuesquequenousvenonsd'avaler,sansaucundoute,
dit-elle.Un taxi les reconduisit.Une fois chez lui, Paul salua ses amis et s'enferma
danssonbureaupourécrire.Laurens'installadanslelit,etcommençaàpianotersursonMac.Arthursortit
dixminutesplustarddelasalledebainsetsefaufilasouslesdraps.–Tulistesmailsàcetteheure-ci?s'étonna-t-il.Elleposa l'ordinateursursesgenouxetpendantqu'Arthurdécouvrait,ébahi,
cequ'ellevenaitd'entreprendre,ellesemitàrireàgorgedéployée.Ils'obligeaàrelirelespremièreslignesdutexterédigéparLauren:Romancier,célibataire,épicurientravaillantsouventlesoir,aimantl'humour,
lavieetlehasard...–Jecroisquetuasbutropdevincesoir.Et en refermant l'écran, il appuya sans le vouloir sur la touche qui validait
l'inscriptiondePaulsurlesitederencontres.–Ilnenouspardonneraitjamaisdeluijoueruntourpareil.–Alors,tuvasdevoirluiprésentertesexcusesauplusvite,carj'aibienpeur
quelepetitbipquenousavonsentendu...Arthurrouvritprécipitammentl'ordinateur,effondréparsabévue.– Ne fais pas cette tête, nous seuls avons accès à ce compte, et l'idée de
chamboulersonquotidienn'estpaspourmedéplaire.–Jenem'yrisqueraispasaveclui,répliquaArthur.– Veux-tu que je te rappelle ce qu'il a risqué pour nous ? répondit-elle en
éteignantlalumière.Arthur demeura un longmoment les yeux grands ouverts dans le noir. Lui
revinrentenmémoiremilleetunsouvenirsdefollesescapadesetcoupstordus.Paul était allé jusqu'à risquer la prison pour lui. Arthur devait son bonheurd'aujourd'huiauculotdontsonamiavaitfaitpreuve.Parisluirappelaitdesheurestristes,desannéesdegrandesolitude.Paulvivait
celaàsontour,etArthursavaitcombiencettesolitudepouvaitpeser.Maisilyavait forcément d'autres moyens pour l'en sortir que de passer par un site derencontres.–Dors,luimurmuraLauren,nousverronsbiensiquelquechosed'intéressant
seproduit.Arthurseblottitcontresafemmeets'endormit.
*
Elle s'était retournéecent foisdans son lit sans rencontrer le sommeil, avaitressassé ses dernières semaines sans y trouver la moindre joie. La journéeécouléeavaitétédeloinlameilleurequ'elleaitpasséedepuislongtemps,mêmesilemanquedel'autrenel'avaitpasquittée.Elleserhabilla,etsortitdel'appartementsansbruit.
Dehors,uncrachinavaitmouillélepavédesruesnoires.ElleremontalaButtejusqu'àlaplaceduTertre.Lecaricaturisterangeaitsonchevalet.Ilrelevalatêtepourlavoirprendreplacesurunbanc.–Peinedenuit?lança-t-ilens'asseyantprèsdeMia.–Insomnie,reprit-elle.–Jeconnaisça,jen'arrivejamaisàfermerl'œilavant2heuresdumatin.–Etvotrefemme,ellevousattendtouslessoirs?–J'espèrequ'ellem'attendtoutcourt,répondit-ildesavoixrauque.–Jenecomprendspas.–Vousavezremissonportraitàvotreamie?–L'occasionnes'estpasencoreprésentée,jeleluidonneraidemain.– Puis-je solliciter une faveur ? Ne lui dites pas qu'il vient de moi. J'aime
déjeuner chez elle et je ne sais pas pourquoi,mais jeme sentirai gêné si ellel'apprenait.–Pourquoi?–Parcequec'estunpeuintrusifdedessinerlevisagedequelqu'unsanslelui
avoirdemandé.–Maisvousl'avezdessinéquandmême.– J'aime la voir passer lematin devantmon chevalet, alors j'ai eu envie de
saisircevisagequimemetdebonnehumeur.–Jepourraisposermatêtesurvotreépaule,sanslemoindremalentendu?–Allez-y,monépauleestsourde.Ensembleetensilence,ilscontemplèrentlaluneàpeinevoiléedanslecielde
Paris.À2heuresdumatin,lecaricaturistetoussota.–Jenedormaispas,ditMia.–Moinonplus.Miaseredressa.–Ilestpeut-êtretempsdesedireaurevoir,suggéra-t-elle.–Bonsoir,ditlecaricaturisteenselevant.IlsseséparèrentsurlaplaceduTertre.
5.
Daisyaimaitsepromenerdanslesruescalmesàl'heureoùlesoleilcrèvelaligned'horizon.Lepavésentaitlematinfrais.Elles'arrêtaplaceduTertre,fixaunbancvideetsecoualatêteavantdepoursuivresonchemin.
Mias'éveillauneheureplustard.Ellesepréparaunthéets'installafaceàla
baievitrée.Elleportalatasseàseslèvreset,intriguéeparl'ordinateurdesonamie,s'assit
aubureau.Premièregorgée.Elleaccédaàsaboîtemail,parcourutsanslesliretousceux
qui la rappelaient à ses obligations professionnelles. Deuxième gorgée. Netrouvantpascequ'elleespérait,ellerefermal'écran.Troisième gorgée. Elle se retourna pour observer la rue en contrebas et
repensaàsaviréenocturne.Quatrième gorgée. Elle rouvrit l'écran et la page d'accueil du site de
rencontres.Cinquièmegorgée.Mialutattentivementlesinstructionspourcréerunprofil.Sixièmegorgée.Elleposasatasseetsemitàl'ouvrage.
CréationduprofilÊtes-vousprêteàvousengagerdansunerelation?C'estmonsouhait,pasdutout,laissonsfairele
hasard.Oui,laissons-lefaire.
Votrestatutmarital:jamaismariée,séparée,divorcée,veuve,mariée.Séparée.
Avez-vousdesenfants?Non.
Votre personnalité : attentionnée, aventureuse, calme, conciliante, drôle, exigeante, fière,
généreuse,réservée,sensible,sociable,spontanée,timide,fiable,autre.Toutça.
Vousnepouvezfairequ'unseulchoix.Conciliante.
Couleurdevosyeux.Nousaurionstoutpourêtreheureux,maisaveclacouleurdevosyeux,çanevapasêtrepossible.«Aveugle»meconviendraitlemieux.
Votresilhouette:normale,sportive,mince,quelqueskilosentrop,ronde,trapue.Ondiraitunformulairepourunefoireàbestiaux.Normale.
Votretaille.Encentimètres,aucuneidée.Disons175,après,çafaitgirafe.
Votrenationalité.Britannique : mauvaise idée, depuis Waterloo les Français ne nous ont pas à la bonne.
Américaine : ils ont aussi plein de préjugés sur les Américains. Macédonienne... ça fait salade.Mexicaine,jeneparlepasl'espagnol.Micronésienne,c'estjoli,maisaucuneidéedel'endroitoùsesituelaMicronésie.Moldave,trèssexy,maisnepoussonspaslebouchon.Mozambicaine,exotique,maisaveclaminequej'aiencemoment,çanetientpaslaroute.Irlandaise,mamèremetuesielleapprend ça. Islandaise, ils vont s'attendre à ce que je fredonne du Björk à longueur de journée.Lettone,çarimebien,maisjen'auraipasletempsdememettreauletton,celadit,çapourraitêtredrôle de s'inventer un accent et de parler une langue imaginaire, d'autant que la probabilité derencontrerunLettonestassezfaible.Thaïlandaise,nerêvonspas.Néo-Zélandaise,avecmonaccent,çapeutcoller!
Votreorigineethnique.LaSecondeGuerremondialeneleurapassuffi?Qu'est-cequec'estquecegenredequestion?
Votrevisionetvosvaleurs:religion.Parcequ'iln'yaque la religionquidéfinissevotrevisionet vosvaleurs?Agnostique, ça leur
apprendra!
Votrevisiondumariage.Floue!
Voulez-vousdesenfants?Jepréférerais rencontrerunhommequiauraenvied'unenfantdemoi,etnond'unenfant tout
court.
Votreniveaud'études.Triplemerdouille!Mensongepourmensonge,bac+5...non,jevaistombersurdestypeshyper
savantsquivontm'ennuyeràmourir,bac+2,c'estdanslamoyenne.
Votreprofession.Actrice, mais on ne va pas jouer avec le feu. Agent d'assurances, non, de voyages, non plus,
hospitalier, encore moins, militaire, toujours pas, kiné, ils vont me demander de les masser,musicienne,jechantefaux,restaurateur...commeDaisy,trèsbonneidée.
Décrivezvotremétier.Jecuisine...
Assezgonflépourquelqu'unquinesaitpasfaireuneomelette,maisonestlàpours'amuser.
Vosactivitéssportives:natation,randonnée,jogging,billardetfléchettes...Fléchettesc'estunsport?
...Yoga,sportsdecombat,golfetvoile,bowling,football,boxe...Ilyavraimentdesfemmesquirépondent«boxe»?
Vousfumez?Occasionnellement.Mieuxvautêtresincèrepournepastombersurunayatollahdelacigarette.
Vosanimauxdecompagnie.Monfuturex-mari.
Voscentresd'intérêt:musique,sport,cuisine,shopping...Shopping, ça transpire l'intelligence, bricolage, si j'avais choisi boxe ça irait bien ensemble,
danse, ils vont s'attendre à une fille avec un corps de ballerine, ne créons pas de déception,écriture...c'estbienl'écriture,lalectureaussi,cinéma,non,surtoutpas,ilnemanqueraitplusquejetombesuruncinéphile,expositionsmusées,çadépend,animaux,pasenviedepassermesweek-endsdansdeszoos,jeuxvidéo,pêcheetchasse,berk,loisirscréatifs,aucuneidéedecequeçaveutdire...
Vossorties.Cinéma...Oui,maisnon.
Restaurant.Oui.
Soiréesentreamis.Pastoutdesuite.
Famille.Lemoinspossible.
Bar/Pub.Çaoui.
Discothèque.Çanon.
Événementssportifs.Surtoutpas.
Vosgoûtsenmatièredemusiqueetdecinéma.Maisc'estuneinquisition!
CequevousrecherchezchezunhommeSatailleetsasilhouette:normale,sportive,mince,quelqueskilosentrop.Jemefichedesasilhouette!
Sonstatutmarital:jamaismarié,veuf,célibataire.Lestrois.
Iladesenfants.Çaleregarde.
Ilveutdesenfants.Onaletemps.
Sapersonnalité.Enfin!
Attentionné,aventureux,calme,conciliant,drôle,généreux,réservé,sensible,sociable,spontané,
fiable.Tout!
Décrivez-vous
Mia,lesdoigtssurleclavier,futincapabledetaperlemoindremot.Ellerevintsurlapaged'accueil,entralepseudodeDaisy,sonmotdepasseetlutsonprofil.
Jeunefemmeaimantlavie,etrire,maisayantdeshorairesdifficiles,chefcuisinière,passionnée
parsonmétier...Ellefituncopier-collerduprofildesonamie,etvalidasoninscription.Daisyouvritlaportedel'appartement.Miarabattitl'écrandel'ordinateuretse
levad'unbond.–Quefaisais-tu?–Rien,jelisaismoncourrier.Oùétais-tu,ilesttôt?–Ilest9heures,etjereviensdumarché.Habille-toi,j'aibesoind'uncoupde
mainaurestaurant.Miacompritàsontonqu'iln'yavaitpasmatièreàdiscuter.Aprèsavoirdéchargé lescageotsde la camionnette,Daisy sollicita l'aidede
sonamiepourenfairel'inventaire.EllenotaitsesachatsdanssoncarnettandisqueMia,obéissantauxordres,rangeaitlesdenrées.–Tu ne serais pas en train dem'exploiter un peu, dit-elle en se frottant les
reins.– Je fais ça toute seule tous les jours,ma vieille, pour une fois que j'ai de
l'aide.Tuesressortiehiersoir?–Jen'arrivaispasàdormir.–Revienstravaillercesoiraurestaurant,turetrouverasvitelesommeil,crois-
moi.
Mia entrait dans la chambre froide, portant un carton d'aubergines quandDaisylarappelaàl'ordre.– Pour que les légumes conservent leur goût, on les laisse à température
ambiante.–J'enaimarre!–Lespoissons,eux,vontdansleréfrigérateur.–JemedemandesiCateBlanchett rangeraitdespoissonsdans lefrigod'un
restaurant?–LejouroùtuaurasunOscar,nousenreparlerons.Miasortitunemottedebeurre,attrapaunebaguettedanslapanetièreets'assit
surlecomptoir.Daisyemportalerestedesvictuaillesetterminadelesdisposerenbonneplace.–Jesuisaccidentellementtombéesurundrôledetrucenlisantmesmails,dit
Mia,labouchepleine.–Queltruc?–Unsitederencontres.–Accidentellement?–Jurécraché,affirmaMiaenlevantlamaindroite.–Jet'avaisditdenepasfouillerdansmesdossiers.–Tuasdéjàrencontrédeshommesdecettefaçon?–Neprendspascetairoffusqué,jecroisvoirmamère!Cen'estpasunsite
pornoquejesache.–Non,maisquandmême!–Quandmêmequoi ? Il t'arrivedeprendre le busou lemétro, demarcher
danslesrues?Lesgenspassentplusdetempslesyeuxrivéssurleursportablesqu'àregardercequisepasseautourd'eux.Leseulmoyend'attirerl'attentiondenosjours,c'estensouriantsurunécrandesmartphone,cen'estpasdemafaute,maisc'estainsi.–Tunem'aspasrépondu,insistaMia.Çamarcheréellement?–Jenesuispasactrice,jen'aipasd'agent,pasdefans,jenefoulepaslestapis
rougesetiln'yapasdephotosdemoiencouverturedesmagazines.Depuismacuisine, jen'aipas leprofil idéalde la femmedésirable.Alorsoui, jeme suisinscritesurunsite,etoui,j'airencontrédeshommesparcebiais.–Deshommesbien?–Ça,c'estplusrare,maisInternetn'yestpourrien.–Commenttuasfait?–Faitquoi?
–Parexemple,lepremierrendez-vous,commentçasepasse?–Delamêmefaçonques'ilt'avaitabordéedansuncafé,saufquetuensais
unpeuplussurlui.–Oudecequ'ilabienvoulutedire.–Situapprendsàdécrypterunprofil,tuparviensassezviteàfairelapartdes
choses.–Etcommentonapprendàdécrypterunprofil?–Enquoiçat'intéresse?Miaréfléchitàlaquestion.–Àl'occasion,pourunrôle,dit-elled'untonévasif.–Pourunrôle,évidemment,marmonnaDaisy.Ellesoupiraetvints'asseoiràcôtédeMia.– Le pseudo en raconte déjà pas mal sur la personnalité de l'individu.
«Maman, je te présenteDoudou21, qui est beaucoup plus gentil queRoro lamalicequetuavaispourtantadoré».Misterbig,élégantnon?ElBello,onsenttoutdesuitelamodestie...J'aiétécontactéeparundénomméGaspacho2000.TutevoisembrasserunGaspacho?Miapartitdansunéclatderire.–Ensuite,ilyacequ'ilsdisentd'euxettun'imaginespascequel'onpeutlire
entrelesfautesd'orthographe,c'estsouventpathétique.–Àcepoint?–Moncuistotn'arrivequedansuneheure,rentrons,jevaistemontrer.Deretouràl'appartement,Daisyseconnectasurlesitederencontresetfitune
démonstrationàMia.–Regardecequ'écritcelui-là:Bonjour, es-tu belle et drôle ? Si oui, je suis là pour toi, drôle aussi, mais
charmeuretpassionné...Ehbiennon,Hervé51,désolée,jesuismocheettriste...Mais franchement, où est-ce qu'ils vont chercher des trucs pareils ? Là,poursuivit-elle,encliquantsurunecase,cesontceuxquisontvenusvisitertonprofil.Une nouvelle fenêtre s'ouvrit, Daisy fit défiler les fiches des candidats au
bonheur.–Celui-cisedéfinitcommeétantcalme,onveutbienlecroire,ondiraitqu'ila
fumé trois pétards avant de se prendre enphoto et dansun cybercafé enplus,c'esttrèsrassurant.Etlui:Jecherchequelqu'unpourmeposer...çasedispensedetoutcommentaire,non?
Ellepassaàlafichesuivante.–Ilal'airpasmal,ditMia.Jamaismarié,aventureux,cadre,aimelamusique,
alleraurestaurant...–Tuvastropvite,ilfautprêterattentionàtoutcequ'ilaécrit,réponditDaisy
enpointantune ligne :Je teparieunpaquetdeSchoko-bonsque tu lirasmonannoncejusqu'aubout.GardesurtouttesSchoko-bons,Dandy26.–Etlà,qu'est-cequec'est?enchaînaMia.–Ledossierdesprofils sélectionnéspar lesite.Enfonctiondeceque tuas
dévoilédetoi,desalgorithmesdecompatibilitéproposentdesrencontres.C'estlaversioninformatiséeduhasard.–Montre-moi!D'autres profils s'affichèrent, dont certains provoquèrent de grands éclats de
rire.Mias'arrêtasurl'und'entreeux.–Attends,celui-ciestintéressant,regarde!Miasepenchasurl'écran.–Mouais.–Qu'est-cequinevapasaveclui?–Romancier...–Etalors,cen'estpasundéfaut.–Encorefaudrait-ilsavoircequ'ilapublié.Lestypesquiprétendentécrireet
ensontencoreàtaperlapremièrepagedeleurromanenpassantleursjournéesdans un café, ceux qui ont suivi dix cours de comédie et se croient sortis del'Actor's Studio ou ceux qui grattent une guitare et se prennent pour Lennon,recherchenttouslabonnepoireaucrochetdelaquelleilspourrontvivrependantqu'ilsréfléchissentàleurcarrièred'artiste...etilssontnombreux.–Tuvoislemalpartout, jetetrouvetrèsdure,etpourtagouvernej'aisuivi
descoursdecomédie.–Peut-être,maismoij'aifréquentéquelques-unsdecesloustics.Quoique,je
leconcède,tonécrivainal'airsympathiquesurcettephoto,avecsestroisbarbesàpapadanslamain...Ildoitavoirtroisenfants!–Ouilesttrèsgourmand!– Tout ça ne visant qu'à préparer un rôle hypothétique, je retourne au
restaurant.Jedoispréparerleservicedemidi.–Attendsencoreune seconde.Lapetite enveloppeet lapetitebulle sous la
photo,àquoiservent-elles?– L'une contient le courrier qu'il t'envoie, l'autre, si elle est verte, t'invite à
converserdirectementaveclui.Maisnet'amusepasàcela,surtoutdepuismon
ordinateur.Làaussi,ilyadescodesetdesusagesàrespecter.–Lesquels?–S'iltedonnerendez-vousdansuncafélesoir,c'estqu'ilespèrecoucheravec
toietdînerensuite.Dansunrestaurant,c'estmeilleursigne,mais il fautsavoirtrèsviteoù il habite.Àmoinsde cinqcentsmètresdu lieuoùvousvous êtesretrouvés,celaenditlongsursesintentions.S'ilneprendpasd'entrée,c'estunradin,s'ilcommandepourtoi,unsuperradin,s'ilneparlequedeluipendantlepremierquartd'heure,prends tes jambesà toncou,s'ilparledesonexdans lapremièredemi-heure, ilestenconvalescence,mêmepunition,s'il teposepleinde questions sur ton passé, c'est un jaloux, s'il te questionne sur tes projets àcourtterme,ilveutsavoirsitucoucherasavecluilesoirmême.S'ilconsultesonportable,ilestsurplusieurscoupsàlafois.S'ilteparledesonmaldevivre,ilcherchesamère,s'iltefaitremarquerqu'ilacommandéuntrèsgrandvin,c'estunfrimeur,s'ilveutpartagerl'addition,tuestombéesurunvraigentleman,ets'ilaoubliésacartedecrédit,unpique-assiette.–Etnous,qu'est-cequenousdevonsfaire,direounepasdire?–Nous?–Toi!–Mia,j'aidutravail,NOUSenreparleronsplustard.Daisyselevaets'éloigna.–Pasdeconneriesavecmonordinateur,hein,cen'estpasunjeu.–L'idéenem'avaitpaseffleurél'esprit.–Finalement,tumensmal.Laportedel'appartementsereferma.
6.
Sonéditeur luiavait téléphonéausautdu litpour l'entretenird'unenouvelleimportante.Refusantd'endireplus,ilexigeaitdelevoirauplusvite.GaetanoCristonelin'avaitjamaisproposéàPauldeprendreunpetitdéjeuner
aveclui,etencoremoinsqu'ilsserencontrentavant10heuresdumatin.Gaetano était un éditeur aussi rare qu'original.Unhomme érudit, passionné
par son métier et qui, bien qu'italien, avait jeté son dévolu sur les lettresfrançaises.À la fin de son adolescence, si tant est qu'elle eût pris fin un jour,alors qu'il était en vacances à Menton, la lecture de La Promesse de l'aube,dénichéedanslabibliothèquedelamaisonquelouaitsamère,avaitdécidéducoursde savie.Gaetano entretenait des rapportsplusque conflictuels avec samère et ce roman avait été pour lui commeune planche de salut. La dernièrepage tournée, tout fut clair pour lui, sauf sa vue, troublée des larmes qu'avaitprovoquéeslasupercherieaimantedelamèredeGary.Gaetanoconsacreraitsonexistence à la lecture et il n'habiterait nullepart ailleursqu'enFrance.Étrangeclin d'œil du destin, les cendres deRomainGary furent dispersées des annéesplustard,àl'endroitmêmeoùGaetanotombaitamoureuxdeslivres.Luiyvoyaitunsigneindéfectibledelajustessedeseschoix.Entré comme stagiaire dans une maison d'édition parisienne, il vécut
fastueusement,carsouslacouped'unefemmericheetdedixanssonaînée.Elleavait fait de lui son amant. De nombreuses conquêtes lui succédèrent, toutesaussifortunées,maisd'unécartd'âgemoindreaufuretàmesurequepassaientles années.Gaetanoplaisait aux femmes, son éruditionn'y était pas étrangère,mais peut-être également le fait qu'il ressemblait de façon troublante àMastroianni, cequi, l'onenconviendra, étaitunatoutconsidérabledans laviesexuelle d'un jeune homme. Original et érudit, donc, et il fallait beaucoupd'originalité et de talent pour être italien et publier en France un auteuraméricain.Entre autres singularités, si Gaetano lisait en français avec la même acuité
d'espritquedanssalanguenatale,s'ilétaitcapablederepérerunecoquilleisoléedans unmanuscrit de cinq cents pages, à l'oral, il avait unmal fou à ne pasmélangerlesmots,parfoismêmeàs'interdired'eninventer.D'aprèssonanalyste,c'étaitenfaitlefruitd'uncerveaupensantplusvitequelaparole,cequeGaetanoavaitaccueillicommeuneLégiond'honneurdécernéeparDieu.
À 9 h 30,GaetanoCristoneli attendait Paul, auxDeuxMagots, devant une
assiettedecroissants.–Riendegrave?s'inquiétaPaulenprenantplace.Leserveurluiapportauncafécommandéparsonéditeur.–C'est-à-dire,moncherami,ditGaetanoenouvrantgrandlesbras,quej'aieu
cematinàl'aubeunappeltoutàfaitextraordinaire.Gaetanoavaitajoutétantdeoà«extraordinaire»,quePauleut le tempsde
boiresonespressoavantqu'ilaitachevédeprononcerlemot.–Vousenvoulezpeut-êtreunautre?ajoutal'éditeur,étonné.Voussavezque
chez nous, le café se boit en deux, voire trois gorgées, même le ristretto. Lemeilleurestaufonddelatasse,maisrevenonsàcequivousconcerne,moncherPaolo.–Paul.– C'est ce que je viens de dire. Donc, nous avons reçu ce matin un appel
fooooooooooormidable.–J'ensuisheureuxpourvous.–Nousavonsvendu,enfin,ilsontvendutroiscentmilleexemplairesdevotre
romansurlestribulationsd'unAméricainàParis.C'estre-mar-quable!–EnFrance?–Ahnon,ici,nousensommesàseptcentcinquanteexemplaires,maisc'est
toutaussimagestique.–EnItalie?–Vunosscores,ilsn'ontpasencorevoululepublier,maisnevousinquiétez
pas,cesimbécilesfinirontparchangerd'avis.–EnAllemagne,alors?Gaetanorestasilencieux.–L'Espagne?–Lemarchéespagnolsubitlacrisedepleinfouet.–Alorsoù?–Ehbien,àSéoul,enfinenCorée,voussavez,justeendessousdelaChine.
Votre succès là-bas ne cesse de grandir. Vous vous rendez compte, trois cent
milleexemplaires,c'estabsolumentdétonant.Nousallonsimprimerunbandeauicipourinformerleslecteurs,etleslibrairesnaturellement.–Parcequevouspensezquecelachangeraladonne?–Non,maisçanepeutpasfairedemal.–Vousauriezpum'annoncercelaautéléphone.–J'auraispueneffet,maisc'estqu'ilyaautrechosedetoutàfaitrapatant,et
là,jevoulaisvousvoirenpersonne.–J'aieuleprixdeFlorecoréen?–Maisnon!LecafédeFloreaouvertenCorée?Commec'estoriginal.–UnbonpapierdansleEllecoréen?– Peut-être,mais je ne lis pas le coréen, de sorte que je ne peux pas vous
renseigner.–Bon,Gaetano,quelleestcetteautrenouvellerapatante?–VousêtesinvitéauSalondulivredeSéoul.–EnCorée?–Ehoui,enfin,oùvoulez-vousqueSéoulsetrouve?–Àtreizeheuresd'aviond'ici?–N'exagérezpas,àpeinedouze.–C'esttrèsgentil,maisçanevapasêtrepossible.–Etpourquoicela?rétorquaGaetanoenagitantànouveaulesbras.Paulsedemandasicequil'effrayaitleplusétaitl'avionoul'idéederetrouver
Kyong sur son territoire. Ils ne s'étaient jamais vus ailleurs qu'à Paris où ilsavaientleursrepères.Queferait-ildansunpaysdontilneparlaitpaslalangue,neconnaissaitrienauxusages,commentréagirait-ellefaceàsonignorance?Uneautreraisonétaitqueleprojetd'allerunjourvivrelà-basavecellefaisait
figure d'ultime refuge. Refuge ou peut-être chimère, mais c'était justement cequ'ilnesouhaitaitpaséclaircir.Fallait-ilconfrontersesrêvesàlaréalité,aurisquedelesvoiranéantis?–Kyongestunocéandansmavieetmoiunhommequiapeurdenager,c'est
grotesque,n'est-cepas?–Ah,non,pasdutout,c'estunetrèsjoliephrase,mêmesijen'aiaucuneidée
de ce qu'elle signifie. Vous pourriez commencer un roman ainsi. C'est trèsintrigant,onaimmédiatementenviededécouvrirlasuite.–Jenesuispassûrqu'ellesoitdemoi,jel'aipeut-êtreluequelquepart.–Ah,danscecas!Revenonsànoschersamiscoréens, j'aipuvousobtenir
uneécopremium.Delaplacepourlesjambesetunsiègeinclinable.–Justement,enavion,cesontlesinclinaisonsquejedéteste.
– Qui aime ça, je vous pose la question ?Mais c'est quand même le seulmoyendes'yrendre.–Jen'iraipas.–Moncherauteur,etvoussavezcombienvousm'êtescheraveclesavances
quejevousverse,cenesontpasdevosroyaltieseuropéennesquenousallonsvivre.Sivousvoulezquejepublievotreprochainchef-d'œuvre, ilfautm'aiderunpeu.–EnallantenCorée?– En allant à la rencontre des lecteurs qui vous lisent. Vous serez accueilli
commeunestar,ceseramaginifique.–Maginifiqueourapatant,çaneseditpas!–Maissi,puisquejeviensdeledire!–Jenevoisqu'unseulmoyen,soupiraPaul.Jeprendsunsomnifèredansle
salond'attente, vousmepoussez en fauteuil roulant jusqu'àmon siège et vousmeréveillezàl'aéroportdeSéoul.– Je ne crois pas que les éco premium aient accès au salon d'attente, et de
toutefaçon,jenepeuxpasveniravecvous.–Vousvoulezm'yenvoyerseul?–J'aidesrendez-vousàcesdates-là.–Quellesdates?–Danstroissemaines,vousaveztoutàfaitletempsdevouspréparer.–Impossible,répliquaPaulenopinantdelatête.Bienque les tablesvoisines fussent inoccupées,Gaetanosepenchaversson
auteuretsemitàchuchoter.–Votreavenirsejouelà-bas.SivousconfirmezvotretriompheenCorée,c'est
toutel'Asiequenousseronsenmesured'intéresseràvosécrits.PensezauJapon,à la Chine, et si nous nous débrouillons correctement, nous pourrions mêmeconvaincre votre éditeur américain de surfer sur la vague. Une fois que vousaurezvraimentpercéauxÉtats-Unis,vousferezuntabacenFrance,lescritiquesvousadoreront.–Maisj'aipercéauxÉtats-Unis!–Avecvotrepremierroman,cependant,depuis...– Je réside en France ! Pourquoi devrais-je passer par l'Asie et l'Amérique
pourqu'onlisemeslivresàNoirmoutierouàCaen?–Entrevousetmoi, jen'enaipas lamoindre idée,pourtantc'estainsi.Nul
n'estprophèteensonpays,etencoremoinsunétranger.Paulpritsatêteentrelesmains.IlsongeaauvisagedeKyong,souriantàson
arrivée à l'aéroport, se vit avancer vers elle avec la désinvolture du voyageuraccompli. Il imagina son appartement, sa chambre, son lit, se remémora lesgestes qu'elle faisait en se dévêtant, l'odeur de sa peau, rêvant à quelquestendressesentreeux.Etd'uncoupd'unseul,levisagedeKyongserecouvritducalot d'une hôtesse de l'air annonçant des turbulences pendant la durée duparcours.Ilrouvritlesyeuxetfrissonna.–Toutvabien?demandasonéditeur.–Oui,grommelaPaul. Jevaisy réfléchir. Jevousdonneraima réponsedès
quepossible.–Voicivotrebillet, lâchaGaetanoen lui tendantuneenveloppe.Etpuisqui
sait si là-bas, vous ne trouverez pas matière à un formidable roman. Vousrencontrerezdeslecteursparcentaines,ilsvousdirontcombienilsontadorévoslivres, ce sera une expérience encore plus époustiflante que la sortie de votrepremierroman.–Monéditeurfrançaisest italien, jesuisunécrivainaméricainvenuvivreà
ParisetmonprincipallectoratsetrouveenCorée.Qu'est-cequirendmaviesicompliquée?–Vous,mon cher. Prenez cet avion et ne faites pas l'enfant gâté.Tousmes
auteursrêveraientd'êtreàvotreplace.Gaetanoréglal'additionetlaissaPaulseulàlatable.
*
ArthuretLauren le retrouvèrent sur leparvisde l'égliseSaint-Germain-des-Prés,unedemi-heureaprèsqu'illeseutappelés.–Qu'est-cequ'ilyadesiurgent?interrogeaArthur.–J'aienfinlapreuvequeledestinadel'humour,réponditPaul,laminegrave.IlentenditLaurenpoufferderrièresondosetseretourna.Ellepritunairtrès
concerné.–J'aiditquelquechosededrôle?–Non,j'attendaislasuite.–Àmoinsqu'ilnesoitcruel,enchaînaPaul,résigné.EtLaurenpouffadeplusbelle.–Tupourraissignaleràtafemmequ'ellem'agace,grognaPaulensetournant
versArthur.Il s'éloigna vers le square et se posa sur un banc. Arthur et Lauren le
rejoignirent,s'asseyantchacunàcôtédelui.–C'estsigrave?demandaLauren.
–Ensoi,non,concéda-t-il.Etilfitlerécitdesaconversationavecsonéditeur.ArthuretLaurenéchangèrentunregardpar-dessussonépaule.–Situnelesenspas,n'yvapas,ditArthur.–Ehbien,jenelesenspas,maisalorspasdutout.–Donc,c'estuneaffaireréglée,conclutArthur.–Certainementpas!s'exclamaLauren.–Ahbon?renchérirentlesdeuxhommesenchœur.–Àquoi penses-tu quand tu veux te faire plaisir ?Àunevirée à la laverie
automatique, à une assiette de fromages avec un verre de vin devant la télé ?C'est ça, la vie d'un grand écrivain ? s'emporta Lauren. Comment peux-turenoncer sansmême avoir essayé ? Tu prends plaisir à te décevoir, c'est plusfacileainsi?Àmoinsquequelquechosedeplusimportantnet'arrived'icilà,tuvasmonterdanscet avion.Tu tedonnerasenfin lemoyende savoir ceque turessensréellementpourcettefemmeetcequ'elleéprouvepourtoi.Aumoins,situreviensseul,tun'auraspasàfaireledeuild'unerelationquin'enétaitpasune.– Et toi, tu viendras me consoler dans ma laverie avec un sandwich au
reblochon?ditPaulenricanant.–Tuveuxlavérité,Paul?enchaînaLauren.Arthuraencoreplus la trouille
quetoiquetuparteslà-bas,parcequeladistancequis'estinstalléeentrevousluipèseplusquen'importequoi,parcequetuluimanques,tunousmanques.Maiscomme c'est ton ami, il va te conseiller d'y aller. S'il y a une chance que tonbonheursetrouvesurcetteroute,tudoislasaisir.Paul se tourna versArthur qui,manifestement à contrecœur, acquiesça d'un
mouvementdetête.– Trois centmille exemplaires d'un seul demes romans, c'est quandmême
quelque chose, n'est-ce pas ? siffla Paul en lorgnant deux pigeons quil'observaientd'undrôled'air.Rapatant!commediraitmonéditeur.
*
Elleétaitassisesurunbanc,lesyeuxrivéssurl'écrandesontéléphonedepuisqu'ilavaitsonnéunedemi-heureplustôt.Ellen'avaitpasprisl'appel.Lecaricaturisteabandonnasachaiseetvints'asseoirprèsd'elle.–Cequiestimportant,c'estdeprendreunedécision,affirma-t-il.–Quelledécision?–Cellequivouspermettradevivreauprésentau lieudevousdemanderde
quoiseraconstituél'avenir.
–Ah,oui, jevois...vosgrandes théories ! Jesaisquevoussouhaitezm'êtreagréable, et c'est trèsgénéreuxdevotrepart,maiscen'estpas lemoment. J'aibesoinderéfléchir.–Sijevousinformaisquedansuneheurevotrecœurs'arrêteraitdebattreet,
jevousenprie,prenezcequejevousdistrèsausérieux,queferiez-vous?–Vousêtesvoyant?–Répondezàmaquestion !ordonna lecaricaturisted'un tonautoritairequi
terrifiaMia.– Je téléphonerais à David pour lui dire que c'est un sale con, qu'il a tout
gâché,queplusrienneseracommeavant,quejeneveuxpluslerevoir,mêmesijel'aimeetquejevoulaisqu'ilsacheçaavantquejenemeure.–Vous voyez, enchaîna le caricaturiste d'une voix adoucie, ce n'était pas si
difficile.Appelez-le,répétez-luiexactementcequevousvenezd'exprimer,saufladernièrephrase...parcequejen'aiaucundondevoyance.Etsurcesmots,lecaricaturisteretournaàsonchevalet.Mialuicourutaprès.– Et s'il changeait, s'il redevenait l'homme que j'ai connu quand nous nous
sommesrencontrés?–Vousallezcontinueràlefuiretàsouffrirensilence?Jusqu'àquand?–Jel'ignore.–Celavousplaît,devousmettreenscène,n'est-cepas?–Qu'est-cequevousentendezparlà?–Vousm'aveztrèsbiencompris,etneparlezpassifort,vousallezrepousser
mesclients.–Iln'yapersonneàpartnous!hurlaMia.Lecaricaturistebalayalaplaceduregard.Iln'yavaitpasgrandmonde.Ilfit
signeàMiadeserapprocher.–Cetypenevousméritepas!chuchota-t-il.–Qu'est-cequevousensavez,jesuispeut-êtreinvivable.–Pourquoi les filles tombent-elles raidesamoureusesd'hommesqui les font
souffrir et traitent avec indifférence ceuxqui seraient prêts à leurdécrocher lalune?–Ah,jevois...parcequevous,vousêtesdugenreamiPierrot.–Non,maisparcequemafemmeétaitcommevousquandjel'airencontrée.
Éperdued'unbellâtrequi lui tordait lecœur.Parcequ'il luiaurafalludeuxanspourlecomprendreetcesdeuxannéesperduesmerendentencorefouderage,carnousaurionspulesvivreensemble.–Etalors,cen'estpassigrave,deuxans.Quelleimportance,puisquel'histoire
s'estbienfinie.–Posez-lui la question, vousn'avezqu'à descendre la rueLepic, elle est au
cimetièredeMontmartre,c'estjusteenbasdelaButte.–Pardon?–Unebelle journée,commecelle-ci, jusqu'aumomentoùuncamionnousa
coupélaroute,nousétionsàmoto.–Jesuisdésolée,murmuraMiaenbaissantlesyeux.–Nelesoyezpas,cen'estpasvousquiconduisiez.Miahochalatête,reculaetrepartitverssonbanc.–Mademoiselle!–Oui,dit-elleenseretournant.–Chaquejournéecompte.Elle descendit une ruelle en escalier, s'assit sur une marche, composa le
numérodeDavidetobtintsamessagerie.– C'est fini, David, je ne veux plus te revoir parce que... qu'est-ce que je
t'aime...merde,c'étaittellementmieuxsurlebanc,lesmotsvenaienttoutseuls...Cesilenceestgrotesque,tut'eslancée,enchaîneidiote...parcequetumerendsmalheureuse, tu as tout gâché, et je voulais que tu le saches avant que...maisqu'est-cequejet'aime...Elle raccrocha, se demanda si on pouvait effacer un message à distance,
inspiraungrandcoupetrappela.– Bientôt je rencontrerai un Pierrot, ce que je raconte n'a aucun sens...
Seigneur, je n'ai pas dit ça à voix haute ?... Un homme qui aura envie dedécrocherlalunepourmoietjenenousferaipasperdreuneminuteàcausedemes sentiments pour toi.D'ailleurs, je vais les effacer, comme tu effaceras cemessage...arrête,là,tudevienspathétique...nemerappellepas...oualorsdanslescinqminutespourmedirequetuaschangéetquetuarrivesparlepremiertrain... non, par pitié ne me rappelle pas... Nous nous reverrons à l'avant-première,chacun jouerason rôle,après tout,c'estnotremétier...ça,c'estbien,professionnelle et déterminée. Stop, n'ajoute rien, c'était parfait... bon, je vaisraccrochermaintenant, totalement inutiled'avoirajouté ça...Aurevoir,David.C'étaitMia...
Elleattenditdixminutes,avantdeserésigneràrangersontéléphonedansla
pochedesonimperméable.Le restaurant était situé à quelques rues.En chemin, et le cœur lourd, il lui
semblaquesespass'allégeaient.
*
–Le jouroù jepourraim'offrirunséjouràLondres,necomptepassurmoipourperdremontempssurunplateaudetournage,lançaDaisyenvoyantentrerMia.Qu'est-cequetufichesici?tuferaismieuxd'allertepromener!–Tuasbesoind'uneserveuse,àmidi?Sansluirépondre,Miaserenditencuisine,Daisyluiôtadesmainsletablier
qu'ellenouaitautourdesataille.–Tuveuxqu'onparle?–Pasmaintenant.Daisyrepritplacederrièresesfourneauxet tendit lesassiettesàMia.Ilétait
inutiledeluiindiquercommentaccomplirsatâche,uneseuletableétaitoccupée.
*
Aprèsledéjeuner,PaullaissaArthuretLaurenflânerdansParis.Ilfaisaitunelecture dans une librairie du IXe en début de soirée et avait refusé de leurindiquerlaquelledepeurqu'ilsviennentlesurprendre.Il leurconfiaundoubledesclésdesonappartementetleurdonnarendez-vouslelendemain.Arthur conduisit Lauren dans le quartier où il avait vécu et lui montra en
chemin la fenêtrede sonancienstudio. Ilsprirentuncafédans lebistrotoù ilavaitsisouventpenséàelleavantquelavienelesréunisse.Leurpromenadesepoursuivitlelongdesberges.Enfin,ilsrentrèrentchezPaul.Lauren, épuisée, s'endormit sans manger. Arthur l'observa un moment, et
empruntasonordinateur.Aprèsavoirlusoncourrier,ilréfléchitlonguementauxpropos que Paul et Lauren avaient échangés dans le petit square de Saint-Germain-des-Prés.Sansnuldoute,lebonheurdesonamid'enfancecomptaitplusquen'importe
quoid'autre,sansnuldoute,ilétaitprêt,pourlui,àtouslessacrifices,ycomprisdelevoirpartirauboutdumonde.MaiscetteKyongn'étaitcertainementpaslaseule à être capable de le rendre heureux. Une rencontre imprévue contre unocéan,voilàquivalaitpeut-êtrelapeined'enappeleràlachance.Luirevintenmémoire l'histoire d'un vieillard entrant un jour dans une église pour blâmerDieudenel'avoirjamaisaidéàgagnerauLoto,paslemoindrepetitgainalorsqu'il était sur le point de fêter ses quatre-vingt-dix-sept ans, quand, surgissantd'unraidelumièrecéleste,lavoixdeDieuluirépondit:«Achèteaumoinsunefoisunbilletetnousenreparlerons.»
Cequisuivitfutprobablementlaplusgrossefacétiequ'ArthuraitjouéeàPaulentrenteannéesd'amitiéindéfectible,maisellenefutguidéequepardebonnesintentions.
7.
Daisyn'avaitaucuneidéedel'heureàlaquelleelles'étaitendormie,maiselleétaitcertainequelajournéeseraitlongue.Elleessayadesesouvenirdecequ'ilrestaitdanslachambrefroidedurestaurant,pourestimers'il luifallaitallerounon faire lemarché et décida que dans son état, seul un rabe de sommeil luipermettraitdesurvivre.À10heures,ellerouvritunœil,juraausautdulit,juraenselavant,juraens'habillant.Ellejuraittoujoursenquittantsonappartementet lesvoisins l'entendirentencorejurer tandisqu'elleremontait larueàcloche-piedtoutenenfilantseschaussures.Laveilleausoir,Miaavaitétéintarissable.ElleavaitretracésonhistoireavecDavid,depuislejourdeleurrencontrejusqu'àl'appeltéléphoniquequiyavaitmisunterme.Mias'éveillasouscettepluiedejuronsetn'osaapparaîtrequ'unefoisl'orage
passé.Elletraînadansl'appartement,allumal'ordinateur,renonçaàliresesmails,le
fit quandmêmeetdécouvrituncourrieldeCreston.Courrieldesplus simplesquilasuppliaitdeluidonnerdesesnouvelles.Par jeu et uniquement par jeu, elle se rendit sur le site de rencontres. N'y
voyant riend'amusant, juste avantde sedéconnecter, elle consulta cedrôlededossieroùlesmathématiquessuppléaientauhasard.Lafiched'unseulcandidatapparutetMiafutpresquecertained'avoirdéjàvusonvisage.L'avait-elledéjàcroisé dans le quartier ? Il ne s'était affublé d'aucun pseudonyme vulgaire ouprétendumentdrôle.Elle se surprit à trouver sonvisage agréable et fut encoreplus étonnée de voir clignoter la petite enveloppe sous sa photographie. Lemessagequi luiétaitdestinéne ressemblaiten rienàceuxqu'elleavaitpu lirequandDaisyl'avaitinitiée.Letexte,simpleetcourtois,lafitmêmesourire.
J'étaisunarchitectevivantàSanFrancisco,j'aieulafolleidéed'écrireunromanquifutpublié.Je
suisaméricain,nuln'estparfait,vivantdésormaisàParis.Jecontinued'écrire.Jenem'étais jamaisinscrit surunsitede rencontreset j'ignore toutdecequ'il fautdireounepasdire.Vousêteschefcuisinière,c'estun jolimétier,nousavonsencommundepassernos joursetnosnuitsà l'ouvragepourpartagerlefruitdenotretravail.Qu'est-cequinouspousseàcela, jen'ensaisrien,maisquel
bonheurd'essayerdereleverceparifoud'œuvrersansrelâchepourleplaisirdesautres.Jenesaispasnon plus quelle sorte d'audace m'incite à vous écrire, ni si vous me répondrez. Pourquoi lespersonnagesderomansauraientplusdecouragequenous?Pourquoiosent-ilstoutetnoussipeudechoses?Est-ce leur libertéquiestà la sourcede leuraccomplissement?Cesoir, j'iraidînerchezUma, un restaurant rue du 29 Juillet. J'ai lu que le chef y préparait une daurade cuite au four etparfuméed'herbesduboutdumondeauxsaveursinouïes,etpuisj'aimebienlaruedu29Juillet,ilyfait souvent beau. Si l'expérience culinaire vous tente, vous êtes mon invitée, en tout bien touthonneur.
Cordialement.Paul
Mia referma le courrier, comme s'il lui avait brûlé les yeux qu'elle gardait
pourtant rivés sur l'écran.Elle se retint,presque frappéed'interdit,maisneputrésisterlongtempsaudésirdelerelire.Sisamèreapprenaitunjourqu'elleavaitneserait-cequesongéàserendreàuneblinddate,ellelacrucifierait,etCrestonsejoindraitàellepourastiquerlesclous.Pourquoilespersonnagesderomanauraientplusdecouragequenous?Combienderôlesavait-elleinterprétésenrêvantàlalibertéqu'ilsluioffraient.
CombiendefoisDavidluiavait-ilrappeléquelepublicnes'éprenaitpasd'ellemaisdesonpersonnage,ajoutantquesi lesgens la fréquentaientdans lavraievie,ilsdéchanteraient.Pourquoiosent-ilstoutetnoussipeudechoses?Elle imprima la lettre et la plia en quatre. Chaque fois qu'elle viendrait à
douterouàmanquerdecouragepourdireoufairecedontelleavaitenvie,elleréciteraitceslignes.Est-celeurlibertéquiestàlasourcedeleuraccomplissement?Cethommeavaitraison...etpourquoipas!Sesdoigtsseposèrentsurleclavier.
CherPaulJ'aibeaucoupaimévotrelettre.Moinonplus,jen'avaisjamais,jusqu'àcesderniersjours,visité
cegenredesite.Jecroismêmequejemeseraismoquéed'uneamiesiellem'avaitconfiéavoirparcebiaisacceptédedîneravecuninconnu.Vousaveztouchédudoigtquelquechosedesivrai.Est-celaliberté que s'accordent les personnages de fiction qui nous fait tant rêver, ou la façon dont cettelibertélestransforme,pourquoiosent-ilstoutetnoussipeudechoses?(Pardonpourlarépétition,jenesuispasécrivain.)
Àdéfautdelescôtoyerdanslaréalité, jeseraisheureusedediscuteravecl'undeceuxqui leurdonnentvie.Vousdevezprendreunplaisirfouàleurfaireaccomplirtoutcequebonvoussemble.Àmoins que de temps à autre, ce ne soient eux qui vous imposent leur loi ?Vous êtes sans douteoccupé,autants'entretenirdeceladevivevoix.
Àcesoir,entoutbientouthonneur.MiaPS:Jesuisanglaise,etloind'êtreparfaite.
*
–Alorslà,tum'asscotchée!s'exclamaLauren.Elleattenditqueleserveurs'éloigne,butsalimonaded'untraitets'essuyala
bouchedureversdelamain.–Malettren'étaitpasmaltournée,n'est-cepas?– Suffisamment pour qu'elle y réponde. Tu es vraiment prêt à tout pour
l'empêcherdepartirenCorée,maistuastort.–C'esttoiquiesàl'initiativedecepetitjeu.–Maisc'étaitavantlerendez-vousavecsonéditeur...–Qu'ilyailleàsonSalondulivre,cequejeveux,c'estqu'ilenrevienne.–...avantqu'ilnousparledel'autreraisondecevoyage.–Raisondeplus!–Etcommentcomptes-tuleconvaincredeserendredanscerestaurant?–C'estlàquej'aibesoindetoi.–Tuastoujoursbesoindemoi.– Je vais inventer un dîner avec une cliente importante et lui demander de
venirenrenfort.–Iln'exerceplusdepuisseptans,enquoipourrait-ilt'êtreutile?–Lalangue,peut-être?–Tuparleslefrançaisaussibienquelui,sicen'estmieux.–Paris,ilconnaîtbienleterrain.–Etpourquelprojet?–Bonnequestion,autantnepasêtreprisaudépourvuquandilmelaposera.–Tun'asqu'àdirequec'estunrestaurant.–Pasassezimportantpourintéressernotreagenceàunetelledistance.–Untrèsgrandrestaurant?–Non,maispourquoipasuneenseigneaméricainequis'implanteraitàParis.–C'estcrédible?–Jesais!LeSimbadauraitdécidéd'ouvririci,c'estsonrestaurantpréféréà
SanFrancisco.–Etquelseramonrôledanscettehistoire?–Sijevaisseulaufront,ilrisqued'avoirdesdoutes,ouderefuser,maissitu
insistes,alorspourtoi,ilacceptera.–Unvraicouptorduetunesérieuseingérencedanssavie.–Peut-être,maisc'estpoursonbien,etenmatièred'ingérence, j'aiducrédit
avecvousdeux,situvoisàquoijefaisallusion.–Tunevaspasnousreprocherdet'avoirsauvélavie?
–Ehbien,moiaussi,jevaisluisauverlavie,iln'auraaucuneraisondemelereprocher.–Ohsi,àlasecondeoùilserendracomptequetul'asmenéenbateau.Etle
restedelasoiréeseraunenfer.Qu'est-cequ'onsediraàtable?–Nous,rien,puisquenousn'yseronspas!–Tucomptesl'envoyerdînerseulavecuneinconnuequiaacceptéunrendez-
vous sur un site de rencontres, quand lui croira parler architecture avec unecliente?Laurenéclataderire.–J'aimeraistellementvoirça,dit-elle.–Moiaussi,maisnepoussonspaslebouchon.– Ça nemarchera jamais, ils comprendront avant que les entrées ne soient
servies.– Peut-être.Mais s'il y avait une chance que ça fonctionne,même infime ?
Combiendefoisas-tutentél'impossibleaublocopératoire,làoùtoutlemondetepressaitderenoncer?– N'essaie pas de me prendre par les sentiments. J'ignore si ce que nous
sommesentraindefaireestdégueulasseouhilarant.–Probablementlesdeux!Saufsiçafonctionne.Laurendemandal'additionauserveur.–Oùva-t-on?repritArthur.–Boucler nos valises et chercher un hôtel, je crains que demain il ne nous
metteàlaporte.– Très bonne idée. Levons le camp dès ce soir, je t'emmène visiter la
Normandie.
*
Paultrouvaunpeucavalierqu'Arthuraitréservésoussonnom,ettrèsagaçantd'êtrelepremierarrivé.Laserveusel'installaàunetabledequatreoùseulementdeux couverts étaient dressés. Il en fit la remarque à la jeune femme quis'éclipsa.Miaarrivapresqueàl'heure,ellesaluaPaulets'assitsurlabanquetteenface
delui.–Jecroyaisquetouslesécrivainsétaientvieux,dit-elleensouriant.–Jesupposequeceuxquinemeurentpasjeunesfinissentparledevenir.–C'étaitunerépliquedeHollyGolightly.–BreakfastatTiffany's.
–Undemesfilmspréférés.–TrumanCapote,jelevénèreetledéteste,lâchaPaul.–Pourquoicela?–Autantdetalentpourunseulhomme,ilyadequoivousrendrejaloux.Il
auraitpupartagerunpeuaveclesautres,vousnetrouvezpas?–Si,peut-être.–Jesuisdésolé,iln'estjamaisenretard.–Cinqminutes,cen'estpasêtreenretardpourunefemme,réponditMia.–Jeneparlaispasdevous, jeneme le seraispaspermis. Jenesaispasce
qu'ilsfont,ilsdevraientêtrelà.–Sivousledites...–Pardonnez-moi,jenemesuispasprésenté,Pauletvousvousdevezêtre...–Mia,forcément.– Je préfère les attendre pour commencer les discussions, ce qui ne nous
empêchepasdeparlerd'autrechose.Vousavezunaccent,vousêtesanglaise?–C'estindéniable.Jevousl'avaisécritenpost-scriptum.–Ah,ilnemel'apasdit!Etmoi,américain,maisnouspouvonscontinuerà
converserdanslalanguedeMolière,lesFrançaisonthorreurqu'onparleanglaischezeux.–Alorsparlonsfrançais.–Loindemoil'idéedevouseffrayerendisantcela, lesFrançaisadorentles
restaurantsétrangers.Etc'estuneexcellenteidéed'enouvrirunàParis.–Macuisineestplutôtprovençale,répliquaMiaenchaussantlessouliersde
Daisy.–Vousnecomptezpasresterfidèleàl'original?–Vousn'imaginezpascombienjesuisattachéeàlafidélité.Maisonpeutêtre
fidèleetoriginaleàlafois.–Jesupposequeoui,réponditPaul,perplexe.–Qu'est-cequevousécrivez?–Ilvousenaparlé?Iln'auraitpasdû.Desromans,maiscelanem'empêche
pasdecontinuerd'exercer.–L'architecture,c'estbiencela?– Sinon, que ferais-je ici ? répondit Paul, suscitant un certain trouble chez
Mia.Qu'est-cequ'ilvousaracontéd'autre?–Ilparledeluiàlatroisièmepersonne,ilfallaitqueçatombesurmoi!–Vousdisiezquelquechose,maisjen'aipasentendu,repritPaul.–Rien,désolée,celam'arriveparfois,jeparletouteseule.
Paulluiadressaunlargesourire.–Jepeuxvousfaireuneconfidence?–Sivousytenez.–Moiaussi,ilparaîtquejeparletoutseul,ilsmel'ontfaitremarquer.Demon
côté,jepeuxvousassurerquejenemanqueraipasdeleurfaireremarquerleurretard.Jesuisvraimentconfus.–Pasautantquemoi,affirmaMia.– Quel manque de professionnalisme, je vous assure que cela ne leur
ressemblepas.–Etilestfouenplus...maisqu'est-cequejefaislà?–Elleradote,c'esteffrayant,jevaistuerArthuretledécouperenmorceaux,
jesuistropbon,çameperdra.Maisqu'est-cequ'ilsfont,bonsang?–Vousaussi,vousvenezdemurmurer,ditMia.–Non,jenecroispas,vousenrevanche...– Ce n'était peut-être pas une bonne idée, comme je vous l'ai dit, c'est la
premièrefoisetc'estbienplusgênantquejenelepensais.–C'estvotrepremier séjouràParis?Vousvousexprimezvraimentbienen
français,oùl'avez-vousappris?– Je ne parlais pas de ça. Ce n'est pas du tout mon premier séjour, ma
meilleure amie est française, nous nous sommes connues enfants, elle venaitdansma familleapprendre l'anglais, etpuisce futmon tourd'allerpassermesvacanceschezelle,enProvence.–D'oùlacuisineprovençale?–Voilà.Unsilences'installa,quelquesminutesàpeine,maisquileursemblèrentune
éternité.Laserveuserevintaveclesmenus.– Si ça continue, nous allons commander sans eux, s'exclama Paul, ça leur
apprendra.–Jecroisquejen'aiplustrèsfaim,ditMiaenreposantlacarte.–C'estdommage,lacuisineestdélicieuse,j'ailudetrèsbonnescritiquessur
cetendroit.–Unedauradecuiteaufeuavecdesherbesduboutdumonde,vousmel'avez
écrit.–Quandvousai-jeécritcela?demandaPaulenécarquillantlesyeux.–Vousprenezdesmédicaments?–Non,pourquoi,etvous?–Jecomprends,soupiraMia,c'estunnuméropourmefairerireouessayerde
medétendre,maisnevousdonnezpascettepeine,parcequecelanemarchepasetcelam'effraieplutôt.Maintenantque j'aicompris,çavaaller,mais s'ilvousplaît,arrêtez.–Jen'essayaispasdevousfairerire...Enquoivousai-jefaitpeur?–Bon, ce type est totalement barré.On ne va pas le contrarier, au pire je
commandeuneentréeetdansunquartd'heure,jesuispartie.Vousavezraison,nelesattendonsplus,ilsn'avaientqu'àêtrelà.–Parfait!Commandons,etensuite,vousmeparlerezdevotreprojet.–Quelprojet?–Votrerestaurant!–Jevousl'aidit,cuisineduSud,niçoisepourêtreprécise.–Ah,Nice,quej'aimecetteville,j'yaiétéinvitéàl'occasionduSalondulivre
en juin dernier, il faisait une chaleur terrible, mais les gens étaient trèsaccueillants.Enfin,lesquelques-unsàêtrevenusmefairesignerleurslivres,pastrèsnombreuxpourêtrehonnête.–Vousavezécritcombienderomans?–Six,encomptantlepremier,biensûr.–Pourquoinel'auriez-vouspascompté?– Pour rien, enfin si, je ne savais pas que j'étais en train de l'écrire en
l'écrivant.– Il commence à me faire sérieusement chier avec sa conversation débile.
Vouspensiezêtreentraindefairequoi,alors,despâtéssurlaplage?–Elleesttotalementidioteouellemeprendpourunimbécile?Non,cequeje
voulaisdire,c'estquejen'imaginaispasqu'ilseraitpublié,jen'avaismêmepasentêtedel'envoyeràunéditeur.–Maisilaétépublié?– Oui, Lauren l'a envoyé à ma place, sans m'en demander la permission
d'ailleurs,cequiestuncomble,maisbon,jenepeuxpasleluireprocher.Mêmesijel'aiplutôtmalvécuaudébut,c'estàellequejedoisdevivreici.–Jepeuxvousposerunequestionquirisquedevousparaîtreindiscrète?–Allez-y,jenesuispasobligéderépondre.–Vousvivezloind'ici?–DansleIIIearrondissement.–C'estàplusdecinqcentsmètresdecerestaurant?–NoussommesdansleIerarrondissement,c'esteneffetassezloin,pourquoi?–Pourrien.–Etvous?
–ÀMontmartre.–C'estuntrèsbeauquartier.Bon,cettefoisc'estdécidé,oncommande.Paulappelalaserveuse.–Vapourladaurade?proposaPaulenregardantMia.–C'esttrèslongàcuire,unedaurade?s'enquit-elleauprèsdelaserveuse.Celle-cifitnondelatêteets'enalla.PaulsepenchaversMia,l'airgoguenard.–Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeconcernepasmaissivouscomptez
ouvrirun restaurantdepoissons,vousdevriezvous renseigner sur le tempsdecuissond'unedaurade,reprit-ilenricanant.Cettefois, lesilenceduraunpeuplus longtemps.PaulobservaitMiaetMia
observaitPaul.–Ainsi,vousaimezSanFrancisco,vousyavezvécu?questionnaPaul.–Non,jem'ysuisrendueplusieursfoisdanslecadredemontravail,c'esten
effetunetrèsbelleville,lalumièreyestmagnifique.–Jecroisavoirdeviné!VousavezfaitvosclasseschezSimbadetvousavez
décidéd'importerleurconceptici.–QuiestceSimbad?–Jevaisletuer,jevaislestuertouslesdeux,marmonnaPaul,cettefoishélas
defaçonsuffisammentaudiblepourqueMial'entende.Franchement,etpardondevousdireçaàvous,maisilauraitpuaumoinsêtreprécis.–Cedoublemeurtre,c'étaitausensfiguré,n'est-cepas?–Elleestsotteàsebuter.Qu'est-cequejefaislà,maisqu'est-cequejefaislà
aulieud'êtrechezmoi?Jevousrassure,jen'ail'intentiond'assassinerpersonne,mais avouez que c'est un comble ! Je passe pour qui en face de vous ? Unincompétentquineconnaîtmêmepassondossier?–Parcequejesuisundossier?–Vous le faites exprès ? Pas vous en tant que personne,mais ce qui nous
amèneicitouslesdeux.–Bien,ditMiad'untonfermeenposantsesdeuxmainssurlatable,jepense
que nous nous sommes dit l'essentiel et comme je n'ai pas faim... je crève defaim...vouspourrezdégustercettedauradesansmoi.– Jevousenprie, réponditPaul, confus. J'ai étémaladroit, jevousprésente
encoremesexcuses.Àmadécharge,ilyasilongtempsquejen'aiplusfaitcegenredechoses, ilfautcroirequej'aiperdulamain.Jeluiavaisditquejen'yarriveraispas,j'auraisdûrefuser,etluin'auraitjamaisdûmelaisserseulcommeça,cen'estvraimentpashonnêtedesapart,deleurpartàtouslesdeux.– Vous vivez avec des fantômes ou ces gens dont vous parlez existent
vraiment?–Une timbrée ! Jepasse la soiréeavecuneAnglaisequidébloque, iln'ya
qu'àmoiqu'arrivecegenredechoses.–Vousmurmuriezencore...–Jepensaisàmonex-associé,Arthur,etàsafemmeLauren.Vouscomptiez
bienluiconfierlaconceptiondevotrenouveaurestaurant?–Jenecroispas,répondit-elled'untoncirconspect.– Je peux le comprendre... Je voulais dire, avant ce rendez-vous
catastrophique.–Nonplus.–Maisalors,qu'est-cequevousfaiteslà?–Jusqu'àprésent,j'avaisencoreundoute,maismaintenant,c'estunecertitude,
vousêtesfou.Daisym'avaitprévenue,j'auraisdûl'écouter.–Charmant!JenevoispascommentvotreDaisyauraitpupenserquejesuis
fou,car jeneconnaispasdeDaisy,enfinsi,une,maisc'étaituneambulance1.Oubliez ce que je viens de dire, c'est une trop longue histoire. Qui est cetteDaisy?Paulmarquaunepause,Mian'attendaitplusquelaserveusepourpartir.Ensa
présence,ceténergumènen'oseraitpaslasuivre.Unefoisdébarrasséedelui,ellerentreraitàMontmartre,seprécipiteraitsur l'ordinateur,effaceraitsonprofildece site demalheur et tout rentrerait dans l'ordre. Ensuite, elle irait dîner à LaClamada,parcequ'ellemouraitdefaim.–Pourquoipensez-vousquejesuisfou?interrogeaPaul.–Écoutez,çanemarcherapas,c'étaitunjeu,jeleregrette.Paulpoussaunlongsoupirdesoulagement.– Évidemment ! J'aurais dûm'en douter. Vousme faitesmarcher depuis le
début, vous étiez de mèche ! Alors là, bravo, dit-il en applaudissant. Je suistombédans lepanneau. Ilssontcachésquelquepart,c'estça?Bon, faites-leursigne,jesaisêtrebeaujoueur,vousm'aveztousbieneu.Paul fit un large sourire et se retourna pour scruter la salle à la recherche
d'Arthur et de Lauren, tandis que Mia semblait consternée. Elle se demandacombien de temps elle devrait encore patienter avant que n'arrive ce satanépoisson.–Vousêtesvraimentécrivain?–Oui,dit-ilenluifaisantànouveauface.–Ceci explique peut-être cela. Les personnages qui prennent possession de
l'auteuretfinissentparentrerdanssavie.Jenevousenblâmepas,ilyamême
unpeudepoésiedanscettefoliedouce.D'ailleurs,cequevousm'avezécritétaitcharmant.Maintenant, si vous le voulez bien, je vais vous laisser avec eux etrentrerchezmoi.–Qu'est-cequejevousaiencoreécrit?Miasortitlafeuilledepapierdesapoche,ladépliaetlatenditàPaul.–Vousêtesbienl'auteurdeceslignes?PaullutattentivementletexteetregardaMiaperplexe.–Jereconnaisavoirbeaucoupdepointscommunsaveclui,jepourraismême
avoir rédigéàquelquesmotsprèsceque jeviensde lire,mais jepenseque laplaisanterieaassezduré.–JeneplaisantepasetjeneconnaisnivotreArthurnisafemme!–Jecrainsalorsqu'ilnes'agissed'unecoïncidencetroublante.Aprèstout, je
nesuispasleseulécrivainàParis.Jesupposequevotrerendez-voussetrouvequelquepartdanscettesalle,etmoi,j'aidûmetromperd'endroit,réponditPauld'untonsarcastique.–Maissurlafiche,c'étaitbienvotrephoto!–Quellefiche?–Çasuffit,jevousenprie,c'estassezpéniblecommeça.Cellequevousavez
publiéesurlesitederencontres.–Jen'aijamaisétésurunsitederencontres,qu'est-cequevousmeracontez?
La seule explication possible est que nous ayons chacun rendez-vous avecquelqu'und'autre.–Regardezautourdevous,jenevoispasvotresosie!–Nousnoussommespeut-êtretouslesdeuxtrompésd'adresse?ditPaulense
rendantcomptedel'absurditédecequ'ilvenaitdesuggérer.–Àmoinsquel'hommeavecquij'avaisrendez-vous,nem'ayantpastrouvéeà
songoût,sesoitmoquédemoi,enprétendantêtrequelqu'und'autre?–Impossible,ilfaudraitêtreaveuglepouragirainsi.– Vous êtes courtois, j'avais aimé la franchise de vos mots, vos paroles
auraientpul'êtreaussi.Miaseleva,Paull'imitaetluiattrapalamain.–Rasseyez-vous,jevousenprie.Ildoityavoiruneexplicationlogiqueàtout
cela. J'ignore les raisons de cet imbroglio... ou alors... non, je ne peux pasimaginerqu'ilsaientmontéuncoupaussitordu.–Vosamisinvisibles?–Vousnesauriezpassibiendire,Laurenaunesortededonpourserendre
invisible, àmoinsquecene soitune fatalitéqui lapoursuive.Etcroyez-le, ce
n'estpaslapremièrefoisquej'enferailesfrais.–Puisquevousledites!Maintenant,jevaispartiretvous,promettez-moide
nepasmesuivre.–Pourquoivoussuivrais-je?Mia haussa les épaules. Elle s'apprêtait à quitter la table quand la serveuse
apparut.Ladauradeétaitsublimeetl'estomacdeMiasemitàgargouillersifortquelaserveusesouritenposantleplatdevanteux.–Ilétaittempsquej'arrive!Bonappétit,dit-elleenseretirant.Paulpréparalesfiletsetendisposadeuxdansl'assiettedeMia.Sontéléphone
avaitreçuunmessage,qu'ilmitunpetitmomentàlire.–Cette fois, je vous présente toutesmes excuses, et le plus sincèrement du
monde,déclara-t-ilenleposantsurlatable.–Jelesacceptevolontiers,maisaussitôtcerepasterminé,jem'enirai.–Vousnevoulezpassavoirpourquoijem'excuse?–Pasvraiment,maissivousytenez.–Je reconnaisvousavoirprisepourunefolle, j'aimaintenant lapreuveque
vousnel'êtespas.–Voilàquimeréjouit,bienqu'encequivousconcerne...PaultenditsontéléphoneàMia.MonPaul,Nousavonsvouluprovoquerunpeuledestinet,tul'aurasdeviné,noust'avonsjouéunsacrétour.
J'espèrequetupassesnéanmoinsunebonnesoirée.Jedoist'avouerquelanôtrefutundouxmélangedeculpabilitéetdefousrires.N'espèrepastevengerenrentrantcheztoicarnoussommespartisàHonfleur en fin d'après-midi. Je t'écris d'ailleurs du restaurant où nous dînons. Le poisson estexcellent,leportunvraidécordecartepostalequiaenchantéLauren,etl'aubergeoùnousdormonscesoiral'airtoutaussicharmante.Nousrentreronsdansdeuxjours,peut-êtreplus,selonletempsqu'iltefaudrapournouspardonner.Tudoisfulminer,maisdansquelquesannées,nousrironsdeboncœurensembleenyrepensant,etquisait?SicetteMiadevenaitlafemmedetavie,tunousseraiséternellementreconnaissant.
Ensouvenirdetouteslesblaguesquetum'asfaites,nousvoilàquittes,enfinpresque...Noust'embrassons,ArthuretLaurenMiaabandonnaletéléphonesurlatable,etbutsonverredevind'untrait,ce
quinemanquapasd'étonnerPaul,maisiln'enétaitplusàunesurpriseprès.–Bien,reprit-elle,leboncôtédeschoses,c'estqu'aumoins,jenedînepasen
compagnied'undétraqué.–Etlemauvais?rétorquaPaul.– Vos amis ont un humour des plus douteux, surtout pour les victimes
collatéralesdeleursplaisanteries,toutçaestassezhumiliantpourmoi.
–Si jepeuxmepermettre,celuidenousdeuxquipassepourunvraicrétin,c'estmoi!–Vousaumoins,vousnevousêtespasinscritsurunsitederencontres.Jeme
senspathétique.–J'yaiparfoissongé,confiaPaul.Jevousassurequec'estvrai,jenedispas
celaparcourtoisie,j'auraistrèsbienpulefaire.–Maisvousnel'avezpasfait.–C'estl'intentionquicompte,non?PaulremplitleverredeMiaetluiproposadeporteruntoast.–Etjepeuxsavoiràquoivousvouleztrinquer?–À un dîner que ni vous nimoi ne pourrons jamais raconter. C'est en soi
suffisamment original. J'ai une proposition à vous faire, en tout bien touthonneur.– Si c'est un dessert, je ne suis pas contre, confidence pour confidence, je
meursdefaimetcepoissonétaitassezléger.–Undessertaussi!–Vousaviezautrechoseentête?–Pourriez-vousmeremontrer la lettreque j'auraispuvousécrire, j'aimerais
enrelireunpassage.Mialaluiconfia.– Voilà, c'est exactement cela ! Prouvons-nous que nous sommes plus
courageuxquedespersonnagesdefiction,aumoinsayonsceluidenepasquittercettetableenayantlesentimentd'avoirétéhumiliésl'unetl'autre.Gommonscequivientdesepasser,toutcequenousnoussommesditjusque-là.C'estfacile,ilsuffitpourcelad'appuyersurunetoucheduclavieretletextes'efface.Récrivonslascèneensembleàpartirdumomentoùvousêtesentréedanscerestaurant.Miasouritàl'énoncédelapropositiondePaul.–Vousêtesvraimentécrivain!–Joliephrasepourundébutdechapitre,nouspourrionsenchaîneravecvotre
citationdeTrumanCapote.–Jecroyaisquetouslesécrivainsétaientvieux,répéta-t-elle.–Jesupposequeceuxquinemeurentpasjeunesfinissentparledevenir.–C'étaitunerépliquedeHollyGolightly.–BreakfastatTiffany's.–Undemesfilmspréférés.–TrumanCapote,jelevénèreetledéteste.–Pourquoicela?
–Autantdetalentpourunseulhomme,ilyadequoivousrendrejaloux.Ilauraitpupartagerunpeuaveclesautres,non?–Si,peut-être.–Vousavezaimélecourrierquejevousaiécrit?–Jeluiaitrouvédesqualités,suffisammentpourêtreicicesoir.– J'ai passé des heures devant mon écran pour accoucher de ces quelques
lignes.–Etmoi,sûrementtoutautantpourvousrépondre.–J'auraigrandplaisiràrelirelemessagequevousm'avezlaissé.Ainsi,vous
avezunrestaurantdecuisineprovençale?C'estoriginalpouruneAnglaise.– J'ai passé tousmes étés enProvence, les souvenirs d'enfance forment nos
goûtsetnosenvies,enfinjelecrois.Etvous,oùavez-vousgrandi?–ÀSanFrancisco.–Commentunécrivainaméricaindevient-ilparisien?–C'estunelonguehistoire,jen'aimepasparlerdemoi,c'estennuyeux.–Moinonplus,jen'aimepasbeaucoupparlerdemoi.–Alorsnousrisquonsd'êtreconfrontésausyndromedelapageblanche.–Vousvoulezquenousdécrivionsleslieux?Combiendepagescelapourrait
donner.–Deux-troisdétailssuffisentàplanterledécor,l'ambianceàlarigueur,mais
aprèslelecteurs'ennuie.–Jecroyaisqu'iln'yavaitaucunerecettepourécrire?–Cen'étaitpas l'écrivainmais le lecteurquiparlait.Vousaimezles longues
descriptions,vous?–Non, je vous l'accorde, elles sont souvent fastidieuses.Alors qu'écrivons-
nousensuite?Quefontlesdeuxprotagonistesdecedîner?–Ilscommandentundessert?–Unseul?–Deux,jevousrappellequec'estunpremierdîner,ilfautmaintenirentreeux
unecertaineréserve.–Entantquecoauteur,permettez-moidesoulignerqu'elleaimeraitbeaucoup
qu'illaresservedevin.– Très bonne idée, il aurait d'ailleurs dû s'en préoccuper avant qu'elle le
suggère.–Non,elleauraitpupenserqu'ildésiraitl'enivrer.–J'oubliaisqu'elleestanglaise.–Àpartcela,qu'est-cequevousnesupportezpaschezunefemme?
–Sijepeuxmepermettre,pourquoinepastournerlaquestiondefaçonpluspositive;parexemple,qu'est-cequevousappréciezchezunefemme?– Jene suispasd'accord, çan'estpas lamêmechose, etpuis si laquestion
étaitposéeainsi,onpourraitcroirequ'elleestdanslaséduction.–Çasediscute,mais jevous l'accorde. Je répondrai : lemensonge.Mais si
l'onavaitemployémaformulation,j'auraisdit:lafranchise.Mialeregardalonguementavantdelâcher:–Jen'aipasenviedecoucheravecvous.–Jevousdemandepardon?–C'étaitfranc,non?–Brutal,maisfranc.Etvous,qu'est-cequevousappréciezchezunhomme?–Lasincérité.–Jen'avaispasl'intentiondecoucheravecvous.–Vousmetrouvezmoche?–Vousêtesravissante,dois-jeendéduirequevousmetrouvezlaid?–Non,vousêtesgauche,vousl'assumez,c'estassezrareetplutôttouchant.Je
ne suis pas venue à ce dîner en rêvant à un nouveau départ dans la vie,maisplutôtpourtireruntraitsurlepassé.–Moi,c'estlapeurdel'avionquim'aamenéici.–Jenevoispaslerapport.–C'étaituneellipse,unesorted'énigmequevouscomprendrezdansunautre
chapitre.–Parcequ'ilyaurad'autreschapitres?–Puisquenoussavonsl'unetl'autrequenousn'avonspasenviedepartagerle
mêmelit,riennenousinterditd'essayerd'êtreamis.–C'esttrèsoriginal.D'ordinaire,lespersonnagesfontcegenrededéclaration
aumomentdelarupture,«restonsamis».–Jepensemêmequec'estformidablementoriginal!s'exclamaPaul.–Enlevez«formidablement».–Pourquoicela?–Lesadverbessontinélégants.Jeleurpréfèrelesadjectifs,maisjamaisplus
d'undanslamêmephrase.«C'estmêmetrèsoriginal»,seraitplusjoli,non?Enanglais,nousdirions,c'estassezoriginal,non?Cequiestencoreplusdélicat.–Soit,jerecommence...Puisquejenesuispasvotregenred'homme,croyez-
vousquejepuisseêtrevotregenred'ami?–ÀlaconditionquevotrevrainomnesoitpasGaspacho2000.–Nemeditespasquec'estlepseudonymedontilsm'ontaffublé?
–Non,ditMiaenriant,jevousfaisaismarcher.C'estquelquechosequel'onpeutsepermettreentreamis,n'est-cepas?–Jecrois,répliquaPaul.–Sijedevaislirel'undevoslivres,lequelmeconseilleriez-vous?–Celuid'unautreauteur.–Répondezàmaquestion.–Celuidontlerésumévousdonneraitenviederencontrerlespersonnages.–Jecommenceraisparlepremier.–Surtoutpascelui-là.–Pourquoi?– Parce que c'est le premier.Voudriez-vous que les gens qui viennent dans
votrerestaurantvousjugentsurletoutpremierplatquevousavezcuisiné?–Onnedoitjamaisjugerunami,onapprendjusteàleconnaîtredemieuxen
mieux.Laserveuseleurapportadeuxdesserts.–Éclairà la lucumaetaukalamansi,et tarteauxfiguesaccompagnéed'une
glaceaufromageblanc.Cadeauduchef,annonça-t-elle.Etelles'éclipsaaussivitequ'elleétaitarrivée.–Vousavezuneidéedecequesontlalucumaetlekalamansi?– L'un est un fruit péruvien, expliqua Paul, l'autre un agrume, entre la
tangerineetlekumquat.–Là,vousm'impressionnez!–C'estvousquidevriezlesavoir,vousêteschef,non?–Ehbien,jel'ignorais.–Jel'ailuenvousattendanttoutàl'heure,c'estinscritsurlemenu.Mialevalesyeuxauciel.–Vousauriezpuêtreactrice,repritPaul.–Pourquoidites-vouscela?–Parcequevotrevisageesttrèsexpressifquandvousparlez.–Vousaimezlecinéma?–Oui,maisjen'yvaisjamais.C'estterrible,jen'aipasvuunfilmdepuisque
jesuisàParis.J'écrislesoir,etpuislecinéma,seul,cen'estpasagréable.– Moi, j'aime aller seule au cinéma, me fondre au milieu des spectateurs,
observerlasalle.–Vousêtesseuledepuislongtemps?–Hier.–En effet, c'est assez récent.Donc, vous n'étiez pas célibataire quandvous
vousêtesinscritesurcesite?–Jecroyaisquecettepartiedutexteavaitétéjetéeàlacorbeille?Etpuisje
voulaisdire,officiellement.J'étaisseuledepuisplusieursmois.Etvous?– Non, enfin pas officiellement. La femme que j'aime vit à l'autre bout du
monde, jene saisd'ailleursplusvraiment cequenouspartageons.Donc, pourrépondreàvotrequestion,jesuisseuldepuissadernièrevisite,ilyasixmois.–Vousneluirendezjamaisvisite?–J'aipeurdel'avion.–L'amourdonnedesailes,non?–Unpeuconvenu,sivousmelepermettez.–Quefait-elledanslavie?–Elleesttraductrice,elleestmêmematraductrice,bienqu'encedomaineje
doutequ'ellemesoitfidèle.Etvotrecompagnon,quelmétierfait-il?–Chef,commemoi,enfin,encequileconcerneplutôtsous-chef.–Voustravailliezensemble?–Çanousestarrivé.Trèsmauvaiseidée.–Pourquoi?–Ilafiniparcoucheraveclafillequiétaitàlaplonge.–Quelmanquedetact!–Vousaveztoujoursétéfidèleàvotretraductrice?Laserveuseapportal'addition.Pauls'enempara.–Non,nousdevonspartager,protestaMia,c'estundînerd'amis.–Vousavezeuvotrecompted'indélicatesses,etnem'enveuillezpas,jesuis
gaucheetvieuxjeu.
*
PaulaccompagnaMiajusqu'àlastationdetaxis.–J'espèrequecettesoiréen'aurapasétésipéniblequecela.–Jepeuxvousposerunequestion?réponditMia.–Vousvenezdelefaire.–Vouscroyezqu'unefemmeetunhommepeuventdeveniramissansqu'ily
aitentreeuxlamoindreambiguïté?–Sil'unesortàpeined'unehistoireetquelecœurdel'autreestpris,jepense
queoui...Entoutcas,racontersavieàuneinconnuesanscraindred'êtrejugéestagréable.Ellebaissalesyeuxetajouta:–Jecroisqu'encemoment,j'auraisbienbesoind'unami.
–Jevousproposeunechose,ditPaul.Sid'iciquelquesjoursnousavonsenviede nous revoir, entre amis, contactons-nous. Mais seulement si l'envie est là.Aucuneobligation.–D'accord, lâchaMia, enmontant à borddu taxi.Vousvoulezque je vous
déposequelquepart?–Ma voiture est garée près d'ici, j'aurais pu vous proposer lamême chose,
maisjecroisqu'ilesttroptard.–Alors,peut-êtreàbientôt,conclutMiaenrefermantlaportière.
*
–RuePoulbot,àMontmartre,ditMiaauchauffeur.Paul regarda le taxi s'éloigner. Il remonta la rue du 29 Juillet, la nuit était
claire,sonhumeurjoyeuseetsavoitureàlafourrière.
*
–D'accord,lasoirées'estmieuxterminéequ'ellen'avaitcommencé,maistutetiensàtesrésolutions.AussitôtrentréechezDaisy,tueffacestonprofiletfinilesrencontresavecdesinconnus.Aumoins,celateserviradeleçon.–Çafaitvingtansquejefaiscemétier,pasbesoindemarmonnerl'itinéraire,
mademoiselle,ditlechauffeur.–D'accord,iln'étaitpasfou,maisilauraittrèsbienpul'être.Qu'est-cequetu
auraisfaitdanscecas?Etsiquelqu'unt'avaitreconnuedanscerestaurant?Nedramatisepas,personnen'auraitputereconnaître...Nejamaisracontercequis'estpassécesoir,pasmêmeàDaisy...surtoutpasàDaisy,ellemetuerait...àpersonne... voilà, ce sera ton secret à toi, une histoire que tu révéleras à tespetits-enfantsquandtuserasunevieillegrand-mère,maisalorstrèsvieille.
*
– Pourquoi n'y a-t-il jamais de taxi dans cette ville ? ronchonnait Paul enparcourantlaruedeRivoli.Queldîner!J'aivraimentpenséqu'elleétaitdingue,enfin,ilfallaitl'êtreunpeupourallersurunsitederencontres...Àcesujet,ilyenadeuxquiontdûfranchementsemarrercesoir,etilsdoiventencorerigolerdansleuraubergeàHonfleur,maisattendez,àmontourderigoleràvosdépens.Situpensesqu'onestquittes,monvieux,c'estquetumeconnaismoinsbienquetune lecrois.Jesaisque lavengeanceestunplatquisemangefroid,moi, jevaisladégustertiède.Nonmaisdequoijememêle,parcequevouspensezquej'aibesoindevouspourrencontrerquelqu'un?Jerencontrequijeveux,quand
je veux ! Vousm'avez pris pour qui ?Elle était quandmême un peu timbrée,non?Enfin,nesoyonspasinjuste,jedisçaparcequejesuisencolère,maisellen'y est pour rien. De toute façon, elle ne me rappellera jamais et je ne larappellerai pas. Après ce qui s'est passé, ce serait tellement gênant. Et mavoiture...lesrouesavantmordaientàpeinesurlepassagepiéton.Ilsnousfontvraiment chier dans cette ville.Ah tout demême, il était temps... Taxi ! hurlaPaulenagitantlebras.
*
Elle se fit déposer à l'angle de la rue Poulbot, régla la course et entra dansl'immeuble.–Detoutefaçon,jen'aipassonnuméroetiln'apaslemien,murmura-t-elle
enmontant l'escalier... il nemanquerait plus que celaqu'il aitmon téléphone,pensa Mia en cherchant ses clés dans son sac. Sa main rencontra un objetinconnu,ellelesortit:Merde,j'aisontéléphone!Enentrantdansl'appartement,elletrouvaDaisyassiseàlatabledelacuisine,
unstyloenmain.–Tuesdéjàlà?demandaMia.–Ilestquandmêmeminuitetdemi,réponditDaisy,lesyeuxrivésàuncahier.
Ilétaitdrôlementlong,tonfilm.– Oui... enfin non, j'ai raté la séance de 20 heures, alors j'ai assisté à la
suivante.–C'étaitbien,aumoins?–Unpeuétrangeaudébut,mieuxensuite.–Qu'est-cequeçaracontait?–Undîneravecdesgensquineseconnaissentpas.–Tuesalléevoirunfilmsuédois?–Qu'est-cequetufais?–Mescomptes.Tuasl'airbizarre,poursuivitDaisyenrelevantlatête.Miaévitadecroisersonregard,elles'éclipsaenbâillantverssachambre.
*
Unefoischezlui,Pauls'installaàsonbureauetallumasonordinateurpoursemettre au travail. Il découvrit un post-it collé sur l'écran et reconnut l'écritured'Arthurquiavaiteuladélicatessedeluicommuniquerl'identifiantetlemotdepassequ'ilavaitutiliséspourl'inscriresurlesitederencontres.
1.DansleromanEtsic'étaitvrai...,ArthuretPaultransportentLaureninaniméedeSanFranciscoàCarmelàbordd'unevieilleambulancebaptiséeDaisy.
8.
Aprèslepetitdéjeuner,Paulserenditcomptequ'ilavaitégarésontéléphoneportable.Ilretournalespochesdesonveston,soulevalesnombreuxpapiersquiencombraient son bureau, parcourut du regard les étagères de sa bibliothèque,vérifiaqu'iln'étaitpasdanslasalledebainsettentadeseremémorerladernièrefoisqu'ils'enétaitservi.Ilsesouvintd'avoirfaitlirelemessaged'ArthuràMia.Ilenétaitmaintenantcertain,ill'avaitoubliésurlatabledurestaurant.Furieux,il téléphona chez Uma et tomba sur le répondeur. L'établissement n'était pasencoreouvert.Silaserveusel'avaittrouvé,ellel'avaitpeut-êtreemportéavecelle,aprèstout,
il lui avait laissé un généreux pourboire... il composa son propre numéro, onn'étaitjamaisàl'abrid'uncoupdebol.
*
MiaprenaitsonpetitdéjeunerencompagniedeDaisyquandlavoixdeGloriaGaynorentonna«IWillSurvive»prèsdelabaievitrée.L'uneetl'autreprirentunairétonné.–Jecroisqueçavientducanapé,lâchaDaisy,d'untondétaché.–Tuasuncanapémusical,commec'estétrange?–Ondiraitplutôtquetonsacfaitsesvocalisesmatinales.Miaécarquilla lesyeuxet seprécipitavers l'objetdudélit.Elleplongeait la
mainàl'intérieurdusacquandlavoixs'interrompit.– Gloria a un coup de pompe ? ironisa nonchalamment Daisy depuis la
cuisine.Lachansonrepritdeplusbelle.–Ahnon,enchaîna-t-elle,elleseréservaitpourunbis.SacréeGloria,ellesait
commentchaufferunesalle!Cettefois,Miaattrapaletéléphoneàtempsetdécrocha.–Oui,murmura-t-elle.Non, jenesuispaslaserveuse...oui,c'estmoi, jene
pensais pas que vous rappelleriez si tôt... j'ai bien compris, je vous faisaismarcher... Oui, je peux... où ça ?... Je n'en ai aucune idée... devant le palaisGarnierà13heures...c'estentendu,àtoutàl'heure...oui,aurevoir...biensûr,jevousenprie...aurevoir.Miaremitletéléphonedanssonsacetretournaàtable.Daisyluiresservitune
tassedethéetlafixaduregard.–L'ouvreuraussiétaitsuédois?–Quoi?–GloriaGaynor,c'étaitqui?– Quelqu'un qui a oublié son téléphone au cinéma, je l'ai trouvé et il m'a
appeléepourquejeleluirende.–Vous êtes drôlement civilisés, lesAnglais... tu vas aller au palaisGarnier
pourrestituersonportableàuninconnu!–Cesontdeschosesquise font,non?Sic'était lemien, jeseraisheureuse
quequelqu'undecourtoisl'aittrouvé.–Etlaserveuse?–Quelleserveuse?–Passons,jepréfèreneriensavoirplutôtquedepenserquetumeprendspour
uneidiote.–D'accord,concédaMiaquicherchaitcommentsesortirdecemauvaispas.
Le filmétait ennuyeux, je suis sortie de la salle,monvoisinde fauteuil aussi,nousnoussommescroiséssurletrottoiretnousavonsprisunverreàlaterrassed'uncafé.Ilestpartienoubliantsontéléphone, jel'airécupéréet jevaisleluirendre.Tusaistoutmaintenant,tuescontente?–Ilétaitcomment,cevoisindefauteuil?–Rien,enfinjeveuxdirequelconque,sympathique.–Quelconqueetsympathique!–Arrête,Daisy,nousavonsprisunverre,riendeplus.–C'estmarrantquetunem'aiespasracontéçaenrentranthiersoir,laveilletu
étaisbeaucoupplusbavarde.– Jem'étais ennuyée àmourir, j'avais envie deprendreunverre, neva rien
imaginer de plus car il n'y a rien à imaginer. Je lui remets son portable et ças'arrêtelà.–Puisquetuledis.Tuviendraismedonneruncoupdemainaurestaurant,ce
soir?–Oui,pourquoipas?–Tuavaispeut-êtreenviederetourneraucinéma.
Mia se leva, déposa son assiette dans le lave-vaisselle et partit se doucher,sansajouterunmot.
*
PaulattendaitsurleparvisdupalaisGarnieraumilieudelafoule.Ilreconnutson visage parmi ceux qui sortaient de la bouche de métro. Elle portait deslunettesdesoleil,unfoulardsurlatêteetsonsacàmainàl'avant-bras.Illuifitunsigne,elleluiréponditd'unsouriretimideetvintverslui.–Neme demandez pas pourquoi, je n'en sais rien, lâcha-t-elle en guise de
bonjour.–Pourquoiquoi?répliquaPaul.–Justement,jen'ensaisrien,jesupposequ'iladûglisser.–Ilesttroptôtpourimaginerquevousayezbu.–Attendezuneseconde,poursuivit-elleenplongeantlamaindanssonsac.Ellefouillaenvain, levaune jambepour leposersursongenouetcontinua
sesrecherchesdansunéquilibreprécaire.–Unflamantrose?Avecunairdereproche,ellesortittriomphalementletéléphone.–Jenesuispasunevoleuse,j'ignorecommentilaatterridansmonsac.–L'idéenem'avaitpaseffleurél'esprit.–Noussommesd'accordquecerendez-vousnecomptepas.–Necomptepaspourquoi?–Vousnem'avezpasappeléeparcequevousenaviezenvieetjenesuispas
venue vous rejoindre parce que j'en avais envie, votre téléphone, est la seuleraisondecerendez-vous.–D'accord,çanecomptepas.Vousmelerendezmaintenant?Elleluitenditl'appareil.–Pourquoil'Opéra?PaulseretournaverslepalaisGarnier.–C'estledécordemonprochainroman.–Jevois.–Jedoutequevousvoyiezgrand-chose,l'histoiresedérouleprincipalementà
l'intérieur.–Si,si,jevois.–Cequevousêtestêtue!Vousyêtesdéjàallée,aumoins?–Etvous?–Desdizainesdefois,ycomprisquandilestferméaupublic.
–Frimeur!–Pasdutout,jemesuisliéd'amitiéavecledirecteur.–Etquesepasse-t-ildanscetOpéra?–Vousvoyezbienquevousnevoyezrien.Monhéroïneestunecantatricequi
aperdulavoixetvienthantercelieu.–Ah!–Quoi«Ah»?–Rien.–Vousn'allezpaspartirenmelaissanticiavecun«Ah»etun«Rien»!–Qu'est-cequevousvoulezquejefasse?–Aucuneidée,maisilfauttrouverquelquechose.–Onpourraitadmirerlafaçadeensemblependantquelquesminutes?–Allez-y,moquez-vous!C'estfragile, l'écriture,vousn'imaginezpasàquel
point.Votre«Ah»peutmecollertroisjoursdepageblanche.–Mon«Ah»auraituntelpouvoir?Jevousassurequec'étaitun«Ah»très
anodin.–Vouscroyezqu'unequatrièmedecouvertureestanodine?Elleapouvoirde
vieoudemortsurledestindulivre.–Qu'est-cequ'unequatrièmedecouverture?–Lerésuméimpriméaudos...delacouverture.–Rassurez-moi,cequevousm'avezracontén'étaitpaslerésumé?– De mieux en mieux, on est au moins à une semaine de page blanche
maintenant!–Ilvaudraitmieuxquejemetaise,alors!–Troptard,lemalestfait.–Vousmefaitesmarcher.–Pas du tout !Onpense que c'est unmétier facile, et par certains côtés, il
l'est.Pasdecontrainteshoraires,pasdesupérieurhiérarchique,pasdestructure,mais justement, travailler sans structure revient à naviguer sur une barque aumilieu de l'océan. La moindre vague que l'on n'a pas vue venir et plouf, ondessale. Demandez à un acteur si quelqu'un qui tousse pendant unereprésentationrisquedeluifaireperdrelefildesontexte.Vousnepouvezpascomprendre.– Non, probablement pas, réponditMia d'un ton cassant. Vousm'en voyez
désolée,jenevoulaispasquemon«Ah»vousdésarçonneàcepoint.–Pardon,jesuisdemauvaispoil.Jen'aipasponduuneligneenrentranthier,
etj'aipourtantveilléjusquetarddanslanuit.
–Àcausedenotredîner?–Cen'estpascequejevoulaissous-entendre.MiaobservaPaulattentivement.–Ilyatropdemondeici,s'exclama-t-elle.EtcommePaulsemblaitperplexe,ellelepritparlamainetl'entraînaversles
marchesdupalaisGarnier.–Asseyez-vous là,ordonna-t-elle, avantde s'installerdeuxmarchesderrière
lui.Qu'est-cequiluiarrive,àvotrehéroïne?–Celavousintéressevraiment?–Puisquejevousledemande.–Personnenecomprendd'oùprovientsoninfirmité,ellenesouffred'aucune
maladie. Ruinée par des traitements sans effets, elle vit recluse dans sonappartement. Parce que l'Opéra était toute sa vie, et qu'elle n'amême plus lesmoyensd'yaccéderenspectatrice,ellesefaitembauchercommeouvreuse.Ceuxquijadispayaientunefortunepourvenirl'entendrechantersontlesmêmesàluidonnerdésormaisunpourboire lorsqu'elle les installeà leurplace.Un jour,uncritiquemusical,troubléparsonvisage,estconvaincudel'avoirreconnue.–Jolirôle.C'estprometteur.Etensuite?–Lasuite,jenel'aipasencoreécrite.–Çafinitbien?–Commentvoulez-vousquejelesache.–Ah,soyonsclairs,çafinitbien!–Arrêtezavecvos«Ah»,jen'aiencoreriendécidé.–Voustrouvezqu'iln'yapasassezdedramesdanslavraievie,quelesgens
nesontpassuffisammentaccablésdemalheurs,demensonges,delâchetésetdemesquineries, vous voulez en rajouter ? Perdre leur temps à leur raconter deshistoiresquifinissentmal?–Lesromanssedoiventdecolleràunecertaineréalité,aurisquedeparaître
fleurbleue.–Mais on leur dit merde, à ceux qui n'aiment pas les histoires heureuses,
qu'ilsaillentpataugerdans leursinistrose, ilsnousfontdéjàassezsuercommeça,onnevapasenplusleurlaisserlemotdelafin.–C'estunpointdevue.–Non,c'estunequestiondebonsensetdecourage.Àquoicelasertdejouer,
d'écrire, de peindre ou de sculpter, de prendre de tels risques si ce n'est pourapporterdubonheurauxautres?Àfairepleurerdansleschaumières,parcequec'estplusvalorisant?Voussavezcequ'il fautpourdécrocherunOscardenos
jours?Avoirperdusesbrasousesjambes,sonpèreousamère,lesquatreseraitencore mieux. Une bonne dose de misère, de sordide, de bassesses à vousarracher des larmes et on crie au génie, mais faire rire et rêver n'est pasconsidéré.J'enaiassezdel'hégémonieculturelledumarasme.Alorsvotreromanfinirabien,unpointc'esttout!–C'estentendu,réponditPaultimidement.Troublédelavoirémue,ilnevoulaitenaucuncaslacontrarier.–Etellevaretrouversavoix,n'est-cepas?repritMia.–Nousverrons.–Ilvaudraitmieux,sinonjenel'achèteraipas.–Jevousl'offrirai.–Jeneleliraipas.–D'accord,jevaistravaillerdanscesens-là.– Je compte sur vous. Maintenant, allons prendre un café et vous me
raconterezcequevafairececritiquequandill'aurareconnue.D'ailleurs,c'estunchictypeouunsalaud?EtavantquePauln'aiteu le tempsderépondre,ellecontinuaavec lamême
fougue.–Cequiseraitformidable,c'estqu'ilsoitunsalaudaudébutetqu'ildevienne
untypebiengrâceàelle,etelle,retrouveraitsavoixgrâceàlui.Ceneseraitpasunemerveilleuseidée?PaultiraunstylodesapocheetletenditàMia.–Enroutepourcecafé,vousécrirezmonromanet,pendantce temps, j'irai
cuisinerunebouillabaisse.–Vousn'auriezpasmauvaiscaractère,parhasard?–Jenecroispasnon.–Parcequejen'aipasdutoutenviedeprendreuncaféavecquelqu'unquia
mauvaiscaractère.–Puisquejevousaffirmequecen'estpaslecas.–D'accord,maisçanecomptetoujourspas.–Ilsdoivents'amuser,dansvotrecuisine,avecunchefcommevous.–C'étaituncomplimentouunsarcasme?–Attention,vousallezvousfaireécraser,s'exclama-t-ilen laretenantpar le
brastandisqu'elles'élançaitsurlachaussée.OnestàParisici,pasàLondres,lesvoituresviennentdel'autrecôté.
Ilss'installèrentàlaterrasseduCafédelaPaix.
–J'aifaim,déclaraMia.Paulluitenditlemenu.–Votrerestaurantestferméàl'heuredudéjeuner?–Non.–Quis'enoccupe?–Monassociée,réponditMiaenbaissantlesyeux.– C'est pratique d'avoir une associée, dans mon métier, hélas, ce serait
difficile.–Votretraductricel'estunpeuàsafaçon.– Elle n'écrit pas mes romans quand je m'absente. Pourquoi avoir quitté
l'AngleterreetêtrevenueenFrance?–Jen'aieuqu'àtraverserlaManche,pasunocéan.Etvous?–J'aiposélaquestionenpremier.–Uneenvied'ailleurs,jesuppose,unbesoindechangerdevie.– À cause de votre ex-petit ami ? Votre arrivée ne date pas d'hier tout de
même?– Je préférerais ne pas en parler, expliquez-moi plutôt pourquoi vous avez
quittéSanFrancisco.–Aprèsavoircommandé.Moiaussi,j'aifaim,finalement.Dès que le serveur les laissa, Paul lui fit le récit de l'épisode qui suivit la
publicationdesonpremierroman,illuiparladecettepetitenotoriétéquil'avaitmisàrudeépreuve.–Vousavezététerrasséparlacélébrité?questionnaMia,amusée.–N'exagéronsrien,unécrivainneconnaîtrajamaiscelled'unchanteurderock
oud'unestardecinéma,maismoi,jenejouaispasunrôle,c'étaientmestripesque j'avais couchées sur le papier, façon de parler bien sûr, et je suis d'unepudeurmaladive,c'estainsi.Aucollège,jeprenaismadoucheencaleçon,c'estvousdire.– Votre photo est en première page du journal et le lendemain, le même
journal sert à emballer des Fishs & Chips. Voilà à quoi peut se résumer lanotoriété,ditMia.–VousavezservibeaucoupdeFish&Chips?–C'est redevenu trèsà lamode, rétorqua-t-elleensouriant.C'est idiot,vous
m'enavezdonnéenvie.–Lemaldupays?–Non,dececôté-là,aucunmal.–Ilvousafaitsouffriràcepoint?
–Jesuistombéedehaut,j'étaislaseuleànepasvoircequicrevaitl'écran.–Quelécran?–C'estaussiunefaçondeparler.–L'amourrendaveugle.–Jesupposeque,dansmoncas,cettebanalitéaffligeanteaduvrai.Qu'est-ce
qui vous retient vraiment d'aller rejoindre votre traductrice ?Un écrivain peuttravaillern'importeoù,n'est-cepas?– Je ne sais pas si elle le souhaite. Si elle en avait eu l'envie, ellem'aurait
envoyéunsignal.–Passûr.Vouscommuniquezbeaucoup?–NousSkyponsunefoisparweek-end,etéchangeonsdesmailsdetempsà
autre. Je ne connais qu'un petit bout de son appartement, celui qui se dévoiledansl'écrandemonordinateur,lereste,jel'imagine.– À vingt ans, je m'étais amourachée d'un New-Yorkais, je crois que la
distance décuplait mes sentiments pour lui. L'impossibilité de se voir, de setoucher, tout relevait du domaine de l'imaginaire. Un jour, j'ai rassemblémeséconomiesetj'aiprisl'avion.J'aipassél'unedesplusbellessemainesdemavie.Je suis rentrée enivrée par ce voyage, pleine d'espoir et décidée à trouver unmoyenderetournervivrelà-bas.–Vousavezréussi?–Non, dès que je l'ai informé de ce projet, tout a changé. Ses appels sont
devenusplusdistants,notrerelations'estétioléeàl'approchedel'hiver.J'aimisuntempsfouàl'oublier,maisjen'aijamaisregrettéd'avoirvécucetteaventure.–C'estpeut-êtrepourcelaquejeresteici...letempsfouàoublier.–Donclapeurdel'avionn'yestpourrien?–Ah si, il faut un bon prétexte pour se voiler la face. Et vous, quel est le
vôtre?Miarepoussasonassiette,butsonverred'eaud'untraitetlereposa.–Quelprétextepourrait-ontrouverànotreprochainerencontre?demanda-t-
elle,lesourireauxlèvres.–Ilenfautun?– Sauf si vous acceptez d'être le premier des deux à avoir envie d'appeler
l'autre.– Non, non, non, c'est trop facile. Aucune loi ne stipule qu'en amitié les
hommesaientà faire lepremierpas, je trouved'ailleursqu'aunomde l'égalitédessexes,celadevraitêtreauxfemmesdes'encharger.–Jenepartagepasdutoutvotreavis.
–Évidemment,puisqueçanevousarrangepas.Ilsrestèrentquelquesinstantssilencieux,observantlespassants.–Çavousamuseraitdevisiterl'Opérapendantlesheuresdefermeture?reprit
Paul.–C'estvraiqu'ilyaunlacsouterrain?–Etdesruchessurletoit.–Jecroisquej'aimeraisbeaucoupça.–Trèsbien, jem'enoccupe, jevousappelleraipourvousdirequandcesera
possible.–Ilfaudraitd'abordquejevousdonnemonnuméro.Paulpritsonstyloetouvritsoncarnet.–Jevousécoute?–Vousnemel'avezpasdemandé.Etnemeregardezpascommeça,c'estbien
qu'enamitiéonmetteaussilesformes.–Puis-jevousdemandervotrenumérodetéléphone?soupiraPaul.Mias'emparadesonstyloetgriffonnasurunepageducarnet.Pauls'étonna.–Vousavezgardévotreligneanglaise?–Oui,avoua-t-elle,confuse.–Vousreconnaîtrezquevousêtescompliquées.–Moi,oulesfemmesengénéral?–Lesfemmesengénéral,grommelaPaul.–Vousvousennuierieztellementsinousnel'étionspas.Cettefois,c'estmoi
quipaieetnediscutezpas.–Çam'étonneraitquelegarçonaccepte.Jedéjeuneiciunjoursurdeux.Ilest
auxordresavecmoi,etpuispourpeuquevotrecartedecréditsoitanglaiseelleaussi...Miafutbienobligéed'accepter.–Alors,àbientôt,luidit-elleenluitendantlamain.–Àbientôt,réponditPaul.Illaregardadisparaîtredanslabouchedemétro.
9.
ArthurattendaitPaulsurlepalier.–J'aipeurd'avoirégarétondoubledeclés,dit-il.– De mieux en mieux, répondit Paul en ouvrant la porte. C'était bien,
Honfleur?–Charmant.Paulentradansl'appartementsansajouterunmot.–Tum'enveuxàcepoint?Cen'étaitqu'uneplaisanterie.–Oùesttafemme?– Elle est allée rendre visite à un confrère qui fait un stage à l'Hôpital
américain.–Vousavezquelquechosedeprévu,cesoir?demandaPaulenpréparantun
café.–Tunevaspasenparler,c'estçatavengeance?–Situcroisquej'aidutempsàperdre,monvieux,grandisunpeu.–C'étaitsicatastrophiquequeça?–Tuveuxdirependantlademi-heureoùcettefemmeacrudîneravecunfou
ouquandj'aiprisconscienceduridiculedanslequeltum'avaisplongé?–Elleavaitl'airsympathique,vousauriezpupasserunebonnesoirée.Paulserapprochad'Arthuretluimitdeforceunetassedecafédanslesmains.–Commentaurait-ellepupasserunebonnesoiréealorsquelemeilleuramide
l'hommeavecquielledînaits'estmoquéd'ellecommeaucunhommen'aledroitdesemoquerd'unefemme.–Ellet'aplu!soufflaArthur.Maisoui,pourquetuprennessadéfense,c'est
qu'ellet'aplu!Ilapplaudit,sedirigeaverslebureaudePaulets'installasursachaise.–Surtout,faiscommecheztoi.–Bon,tutevengeras,jenesaisencoreniquandnicomment,maisjesaisque
jelepaieraicher.Maintenant,mettonsceladecôtéetraconte-moi.
–Jen'airienàteraconter,lafarceadurédixminutes.Tucroyaisqu'ilfaudraitcombien de temps à deux personnes douées d'une intelligence normale pourcomprendrequ'onleuravaitjouéuntourodieux?Jemesuisexcuséentonnom,jeluiaiexpliquéquemonmeilleuramiétaittrèsgentilmaisparfaitementidiotetnousnoussommessalués.Jenemesouviensmêmeplusdesonprénom.–C'esttout?–Oui,c'esttout!–Bon,riendegrave,enfait.–Non,riendegrave,maistuasraisonsurunpoint,jemevengerai.
*
Ensortantdumétro,Miasedirigeaversune librairie.Elle flâna le longdestableset,netrouvantpascequ'ellecherchait,elleinterrogealelibraire.Ilpianotasursonordinateurets'approchad'unrayonnage.–Jecroisenavoirunenstock,assura-t-ilensemettantsurlapointedespieds.
Tenez,levoilà,c'estleseultitrequej'aidelui.–Vouspourriezmecommanderlesautres?– Oui, bien sûr. Mais j'ai aussi d'autres écrivains à vous proposer si vous
aimezlire.–Pourquoi?Cetauteurn'estpaspourlesgensquiaimentlire?–Si,maisdisonsqu'ilyapluslittéraire.–Vousavezdéjàluundesesromans?–Hélas,jenepeuxpastoutlire,ditlelibraire.–Commentpouvez-vousdoncjugersonécriture?Lelibrairelatoisaetretournaderrièresoncomptoir.–Vousvoulezquejevousencommanded'autres?enchaîna-t-ilenencaissant
l'ouvragequ'elleemportait.–Non,réponditMia,jevaiscommencerparcelui-cietcommanderlesautres
dansunelibrairiemoinslittéraire.–Jenevoulaispasêtredésobligeant,c'estunauteuraméricain,c'estsouvent
moinsbienquandc'esttraduit.–Jesuistraductrice,ditMia,poingssurleshanches.Lelibrairerestaquelquessecondesbouchebée.–Bien,alorsàceniveaudemaladresse,jevousfaisuneremise!Miamarchaitdanslarueenfeuilletantleroman,elleleretournapourlirele
résuméetsouritenvoyantlaphotodePaul.C'étaitlapremièrefoisqu'elletenaitentresesmainsun livreécritparquelqu'unqu'elleconnaissait,mêmesielle le
connaissait à peine. Elle repensa à son échange demots avec le libraire et sedemandaquellemouchel'avaitpiquéepourqu'elleluitiennetêtedelasorte.Çaneluiressemblaitpas,maiselleétaitheureused'avoirexprimécequ'ellepensait.Quelquechoseenelleétaitentraindechanger,elleaimaitcettevoixintérieurequilapoussaitàs'affirmer.EllehélauntaxietprialechauffeurdeladéposerruedeRivoli,devantlalibrairieanglaise.Elle en ressortit quelquesminutes plus tard, avec le premier roman dePaul
dans son édition originale américaine. Elle en commença la lecture durant letrajetversMontmartre,lapoursuivitenremontantlarueLepicets'installasurunbancdelaplaceduTertrepourlapoursuivreencore.Lecaricaturisteétaitderrièresonchevalet,illuiadressaunsourirequ'ellene
vitpas.
*
Elle se présenta au restaurant en fin d'après-midi. Daisy était déjà à sesfourneaux. Elle confia ses casseroles à Robert, son cuistot, et entraînaMia àl'écart,prèsdubar.–Jesaisquetun'aspasleCVpourcegenred'emploi,maismaserveusene
reviendrapasetilvamefalloirquelquesjoursavantdelaremplacer.Tut'enestrèsbiensortiel'autresoir,jesaisquec'estbeaucouptedemander,mais...–Oui,acquiesçaMiaavantqu'ellen'aitfinisaphrase.–Tuacceptes?–Jeviensdeteledire.–EtCateBlanchettnevapasrâler?–Ellen'aurapasledroitàlaparole,d'ailleurs,sij'étaiselle,j'investiraisdans
un restaurant. Tu as des problèmes d'argent,moi pas, on pourrait rafraîchir lasalle,embaucheruneserveusefiablequetupaieraisassezpourqu'ellelereste...–Masalleesttrèsbiencommeelleest, interrompitDaisy.Pourl'instant, j'ai
justebesoind'uncoupdemain.–Tun'espasobligéederépondremaintenant,réfléchisàmaproposition.–C'étaitcomment,l'Opéra?–Jeluiairendusontéléphoneetjesuisrepartie.–Riend'autre?–Rien.–Ilesthomosexuel?–Jeneleluiaipasdemandé.–TutraversesParispourluirendresontéléphoneetilsecontented'unmerci
etd'unaurevoir?Ilétaitpeut-êtrevraimentsuédois,maisalorstrèsaunorddelaSuède.–Tuvoislemalpartout.–Quit'alaisséeentendrequejepensaisàmal?Mia s'abstint de répondre, elle passa son tablier et commença à mettre le
couvert.
*
Paulavaitdînéencompagnied'ArthuretdeLaurendansunbistrotdelaruedeBourgogne.Levin avait coulé et la plaisanteriedont il avait été la victimeremisée au rang des souvenirs. Le lendemain, ses amis partiraient visiter laProvence,etilsouhaitaitprofiterdeleurprésence.–Jecroisqu'ellearaison,lâchaPaultandisqu'ilsarrivaientsurl'esplanadedes
Invalides.–Qui?demandaLauren.–Monéditeur.–Jecroyaisquec'étaitunhomme?objectaArthur.–Biensûrquec'estunhomme,poursuivitPaul.–Etenquoia-t-ilraison?repritLauren.–JedoismerendreenCoréeetenavoirlecœurnet.Cettepeurdel'avionest
ridicule.–TupourraissurfersurcebelélandecouragepourrentreràSanFrancisco,
suggéraArthur.– Laisse-le tranquille, intervint Lauren, s'il veut aller à Séoul, on doit l'y
encourager.ArthurpritPaulparl'épaule.– Si ton bonheur est là-bas, ce ne seront pas une dizaine de milliers de
kilomètresenplusquinouséloigneront.–Loindemoil'idéequetusoisnulengéographie,maisas-tudéjàsongéque,
parl'Ouest,nousnousrapprocherons.Neleconfieàpersonne,maislaTerreestronde!
De retour à l'appartement, Paul s'installa sans inspiration à son ordinateur.
Vers1heuredumatin,ilécrivituncourriel.
Kyong,J'auraisdûterejoindredepuislongtempssanstedemandertonavis.Jepenseàtoienmelevant,
toutau longde la journée, tard lesoir,sansque jamaiscespenséesnes'annoncent. Ilmesuffitde
fermerlesyeuxpourtevoirapparaître.Tueslà,penchéeàmonbureau,tumelisetmetraduisenmêmetempsenpensée,sansriendire.Tusaisquejet'observeetnelaisserienvoir.Unécrivainetunetraductricequienlacentlesilence,oncroiraitunescènesortied'unfilmdesMarxBrothers.
Siseulementlesmauxducœurétaientcontagieux,tum'aimeraisautantquejet'aime.Lorsquenossentimentsneressemblentàrien,onal'espoirqu'ilsprennentformeengrandissant.
Lesmienssontdevenusadultes,maisilss'acharnentàneressembleràrien.Onpeuttoutfaireavecdesmots,ycomprisécriredebelleshistoires,pourquoiest-cesicompliquédanslavie?
Jevaisvenir,paspourceSalondulivre,maisverstoi,etsituleveuxbien,nousferonsquelquespas ensemble, tum'apprendras à connaître ta ville, tes amis, ou bien jememettrai simplement àécrireetcettefois,ceseratoiquimeregarderas.
Àtrèsvite,mêmesiquandonespèrel'autre,letempssemblevieilliretmarcheràpaslents.Paul
Enterminantcettelettre,ilsongeaqueKyongétaitdéjàlevée.Àquelmoment
de sa journée lirait-elle les mots qu'il venait de lui envoyer ? Cette questionchassalesommeilloindanssanuit.
*
Arthur avait posé l'ordinateur sur ses genoux. Il se connecta au site derencontres,entraidentifiantetmotdepasse,etaccédaàlafichequ'ilavaitcrééedansleseulbutdel'effacer.Unepetiteenveloppeclignotaitsouslaphotodesonmeilleur ami. Arthur se tourna vers Lauren, elle dormait. Il hésita, deuxsecondes,peut-êtreunpeumoins,etcliquasurl'enveloppe.
CherPaulNousavionsparlédutéléphone,maispasdesmails,donc,ilsnecomptentpas.Voustrouvereznéanmoinslemienàlafindecepetitmotcarsinouspouvionscommuniquerpar
unautremoyenquecesite,ceseraituneagréablefaçondenepasavoiràseremémorerdesminuteshumiliantes.
Jevoulaisvousremercierpourcedéjeunerimprévu,vousdiredenesurtoutpasvoussoucierdemon«Ah». J'ai repenséàvotrehistoireetvousm'avezdonnéenvied'enconnaître la suite,alorsoubliezlespagesblanches,ouplutôt,noircissez-lesauplusvite.
Jeme réjouis à l'idée devisiter cetOpéra, surtout auxheures où il est interdit aux autres.Lesinterditsontdupiquant.
Lasoiréeaurestaurantfutéprouvante,beaucoupdemonde,presquetrop,maisc'estlarançondusuccès,macuisineestirrésistible.
Jevoussouhaiteunebonnenuit.Àbientôt,Mia
*
–Jepeuxrécupérermonordinateur?demandaDaisyenpassantlatêteparlaportedelachambredeMia.–Jeviensdefinir.
–Àquiécrivais-tu?Jet'aientenduepianotercommeuneforcenée.–J'aidumalavecvosclaviersfrançais,leslettresnesontpasàlamêmeplace.–Àqui?insistaDaisyens'asseyantaupieddulit.–ÀCreston,jeluidonnaisdemesnouvelles.–Etlesnouvellessontbonnes?–J'aimebienmavieparisienne,etmêmemonboulotaurestaurant.–Iln'yavaitpasgrandmonde,cesoir,siçacontinuejevaisêtreobligéede
mettrelaclésouslaporte.Miaposal'ordinateurpouraccordertoutesonattentionàDaisy.–C'estjusteunemauvaisepasse,lesgensn'ontpasd'argent,lacrisenedurera
paséternellement.–Moinonplus,jen'aipasd'argent,etàcetrain,monrestaurantnonplusne
durerapaséternellement.–Situneveuxpasdemoicommeassociée,laisse-moiaumoinst'enprêter.–Mercimaisnon.Jesuissanslesou,maisj'aimadignité.Daisys'allongeaàcôtédeMia.Quelquechosesousl'oreillerlagênait,elley
passalamainetensortitunlivre.Elleleretournapourlirelerésumé.–Pourquoicevisagenem'est-ilpasétranger?déclara-t-elleenregardant la
photodel'auteur.–C'estunAméricaintrèscélèbre.–Jen'aijamaisletempsdelire.Pourtant,satêtenem'estpasinconnue.Ilest
peut-êtrevenuaurestaurant.–Quisait?réponditMiaenpiquantunfard.–Tul'asachetéaujourd'hui?Çaparledequoi?–Jenel'aipasencorecommencé.–Tul'asachetésanssavoirdequoiçaparle?–Lelibrairemel'arecommandé.–Bon,jetelaisseàtalecture,jevaismecoucher,jesuisanéantie.Daisyselevaetsedirigeaverslaporte.–Lelivre?réclamatimidementMia.Daisyl'avaitgardé,elleregardaencoreunefoislaphotoetlelançasurlelit.–Àdemain.Ellerefermalaportepourlarouvrirpresqueaussitôt.–Tuasl'airbizarre.–Bizarrecomment?–Jenesaispas.C'estl'inconnudutéléphonequit'aoffertcebouquin?–Tuvoisbienquecen'estpasécritensuédoisdunorddelaSuède!
DaisyobservaMiaavantdequittersachambre.–Jet'assurequetuesbizarre,l'entendit-ellegrommelerderrièrelaporte.
10.
Le réveille-matin retentit,Lauren s'étirade tout son longet seblottit contreArthur.–Biendormi?questionna-t-elleenl'embrassant.–Onnepeutmieux.–Qu'est-cequitemetdesibonnehumeur?–Ilfautquejetemontrequelquechose,dit-ilamuséenseredressant.Ilrécupéral'ordinateursouslelitetl'ouvrit.–Pourundînerquin'aduréquedixminutes,celamesembleplutôtpasmal
commelettre!Laurenlevalesyeuxauciel.– Ils ont sympathisé, tantmieux, parce que ta blague était du plusmauvais
goût.Nevapasentirerdesconclusionshâtives.–Jemecontentedelireetdeconstater,c'esttout.–Ilestamoureuxdesatraductricecoréenneetjedoutequecetteinconnuey
changequoiquecesoit,nimêmequ'elleenaitl'intention.–Enattendant,jevaisimprimerçaetleplacerenévidencesursonbureau.–Pourquoifaire?–Luimontrerquejenesuispasstupide.Laurenrelutletexte.–Ellejouesurlacordedel'amitié.–Qu'est-cequetuensais?–Parcequejesuisunefemme,etquec'estécritnoirsurblanc,Lesmailsne
comptent pas, traduit en langage féminin : Je ne suis pas dans la séduction.Ensuite,elleseréfèreàcedîneroùelles'étaitrenduepourrencontrerquelqu'un.LafaçondontelleenparlemontrequePauln'estpascethomme-là.–Et,Lesinterditsontdupiquant,cen'estpasaguicheur,ça?–Tuverrais l'étéendécembrepourquePaulnequittepasParis.Si tuveux
monavis,cettefemmesortd'unehistoire.Ellecherchevraimentunamietrien
deplus.–Tuauraisdûchoisirpsychoaulieudeneurochirurgie!–Jenerelèveraipascettepetitevanneàdeuxballes,maisimaginonsqu'ily
aituneonced'ambiguïtédanssonmessage,situsouhaitesquePauls'intéresseàelle,neluienparlepas.–Tucrois?–Parmoments,j'ail'impressiondeconnaîtretonmeilleuramimieuxquetoi,
entoutcas,lafaçondontilfonctionne!Surcesmots,Laurenpartitpréparerunpetitdéjeuner.Enentrantdanslesalon,elleaperçutPaulquidormaitsurlecanapé.Àsavue,
ilbâillaetsereleva.–Tun'aspasréussiàatteindretonlit?–J'ai travaillétard,jevoulaisfaireunepausemaisj'aibienl'impressionque
manuityestpassée.–Tutravaillestoujoursaussitard,monPaul?–Souvent,oui.–Tuasuneminedepapiermâché.Ilfautquetuteménagesunpeu.–C'estlatoubibquiparle?–C'esttonamie.Pendant que Lauren lui servait un café, Paul consulta ses mails, même s'il
savaitqueKyongneluirépondaitjamaisdansl'instant.L'airdépité,ilretournadanssachambre.Arthurentradanslapièce.Laurenluifitsignedes'approcher.–Quoi?chuchota-t-il.–Nousdevrionspeut-êtreretardernotredépart.–Qu'est-cequ'ila?–Demande-moiplutôtcequ'iln'apas:lemoral.–Ilavaitl'airplutôtenforme,hiersoir.–C'étaithiersoir.–Monmoral va très bien, cria Paul depuis sa chambre, et je vous entends
aussi très bien, ajouta-t-il en les rejoignant. Arthur et Lauren restèrent unmomentsilencieux.–Pourquoineviendrais-tupasavecnousquelquesjoursdansleSud?proposa
Arthur.–Parcequej'écrisunroman.Ilmerestetroissemainesavantmondépart.Je
veuxavoiraumoinscentpagesàdonneràlireàKyong,etsurtoutquecespages
luiplaisent,etquecettefois,elleensoitfière.–Sorsdetesbouquinsetentredanslavie,rencontredesgens,autresquetes
copainsécrivains.–Jerencontrepleindelecteursdurantmessignatures.–Etàpart«Bonjourmadame»,«Mercimonsieur»,«Aurevoirmadame»,
tuleurdisquoi?Tuleurtéléphonesquandtutesensseul?protestaArthur.–Non,pour ça, je t'ai, toi,même si le décalagehorairen'aidepas toujours.
Cessezdevousinquiéteràmonsujet,àvousentendre,jefiniraisparcroirequej'aiunproblème.Jen'enaipas.J'aimemavieetmontravail,j'aimepassermesnuitsdansmeshistoires, jem'ysensbien,commetoi,Lauren,tuaimesparfoispasserlestiennesaublocopératoire.–Moi,beaucoupmoins,soupiraArthur.–Maisc'estsafaçondevivreettun'essaiespasdel'enéloigner,parcequetu
l'aimes telle qu'elle est, lui répondit Paul, nous ne sommes pas si différents.Profitezdecevoyageenamoureux, et simonpériplecoréenmeguéritdemaphobiedesavions,jeviendraivousvoiràl'automneàSanFrancisco.Tiens,çaseraitunjolititrepourunroman«UnautomneàSanFrancisco».–Encoreplusbeausituenétaislepersonnageprincipal.ArthuretLaurenpréparèrent leursvalises.Paul lesaccompagnaà lagareet
quandletraindisparutduquai,quoiqu'ilaitpuleurraconter,lasolitudepesasursesépaules.Ildemeuraquelques instants à l'endroitmêmeoù il avaitdit au revoir à ses
amis,puisilfitdemi-tour,mainsdanslespoches.Il récupéra sa voiture au parking et découvrit un petit mot sur le siège
passager.Si tu t'installes à Séoul, c'estmoi qui viendrais te voir à l'automne, je te le
promets.UnAutomneàSéoulpourraitaussidevenirunjolititre.Tuvasmemanquer,monvieux.Arthur.Ilrelutlepetitmotdeuxfois,leglissadanssonportefeuille.Ilcherchacommentégayersamatinéeetdécidad'allerà l'Opéra.Ilavaitun
serviceàdemanderaudirecteur.
*
Mia était assise sur son banc, place du Tertre. Le caricaturiste l'observait.Quand il la vit ouvrir son sac pour prendre un mouchoir, il abandonna sonchevaletetvints'asseoiràcôtéd'elle.–Unmauvaisjour?dit-il.–Non,unbonlivre.–Ilestsitristequecela?–Jusque-là,ilétaitplutôtdrôle,maislepersonnageprincipalreçoitunelettre
desamèreaprèssamort.Jesuisridicule,maissesmotsm'onttouchée.–Iln'yarienderidiculeàexprimercequel'onressent.Vousavezperduvotre
mère?– Elle est tout ce qu'il y a de plus vivante,mais j'aurais aimé qu'ellem'en
écriveunecommecelle-ci.–Elleleferapeut-êtreunjour.–Vunosrelations,çam'étonnerait.–Vousavezdesenfants?–Non.–Alorsattendezd'êtremèreàvotre tour,vousverrezvotreenfancesousun
autreangleetleregardquevousportezsurvotremèrechangeradutoutautout.–Jenevoisvraimentpascomment.–Lesparentsparfaitsn'existentpas,lesenfantsparfaitsnonplus.Jedoisvous
quitter,untouristerôdeautourdemesdessins.Aufait,qu'apensévotreamiedesonportrait?– Jene le lui ai pas encoredonné, pardonnez-moi, j'ai oublié, je le ferai ce
soir.–Ilestrestédesmoisdansmescartons,riennepresse.Lecaricaturisteretournaàsonchevalet.
*
Paulsefaufilaparl'entréedesartistes.Desmanutentionnairescharriaientdesélémentsdedécor.Illescontourna,grimpal'escalieretallafrapperàlaportedudirecteur.–Nousavionsrendez-vous?– Non, je n'en ai que pour une minute, juste une petite faveur à vous
demander.–Encoreune?–Oui,maiscettefoisvraimenttoutepetite.Paul l'informa de sa requête, le directeur refusa. Il avait fait une exception
pourluietpourluiseul.L'Opéraservantdedécoràsonroman,iltenaitàcequeleschosessoientdécrites tellesqu'ellesétaientetnoncommeonles imaginait.Lespartiesinterditesaupublicdevaientlerester.–Jecomprends,ditPaul,maisc'estmonassistante.–L'était-ellequandvousêtesentrédansmonbureau?–Évidemment,jenel'aipasembauchéeentrelaporteetcefauteuil.–Vousaviezdit«uneamie»!–Uneamieassistante,lesdeuxnesontpasincompatibles.Ledirecteurregardaleplafondpourréfléchir.–Non,jesuisdésolé,n'insistezpas.–Nevenezpasmereprocherd'avoirmaldécritvotreOpéra, jenepeuxpas
êtresurtouslesfronts.– Vous n'avez qu'à prendre plus de temps pour vos recherches.Maintenant
laissez-moi,j'aidutravail.Paul repartit, bien décidé à ne pas en rester là. Une promesse était une
promesse et il avait bravé dans sa vie des interdits beaucoup plus complexes.Ilserenditauguichet,achetadeuxplacespourlareprésentationdusoirets'enallamûrirsonplan.Dèsqu'ilfutsurleparvis,ilcomposalenumérodeMia,seravisaetchoisitde
luienvoyeruntexto:Notre visite à l'Opéra aura lieu ce soir. Prenez un pull, un imperméable et, surtout, pas de
chaussuresàtalons,bienquejenevousaiepasvueenporterjusque-là.Vouscomprendrezsurplace,jenevousendispasplus,c'estunesurprise.
20h30surlacinquièmemarche.PaulPS:LesSMSnecomptentpas.LeportabledeMiavibra,ellelutlemessageetsourit,puisellesesouvintde
lapromessefaiteàDaisyetsonsourires'effaça.
*
GaetanoCristoneliattendaitPaulàlaterrasseducaféBonaparte.–Vousêtesenretard!–Contrairement auvôtre,monbureaun'est pas juste à côté, jeme suis fait
surprendreparlesembouteillages.–Cequiauraitdûvoussurprendre,c'estqu'iln'yenaitpas.Vousm'avezparlé
dequelquechosed'urgentautéléphone,vousavezunproblème?– C'est unemode, en cemoment, de penser que j'ai des problèmes ?Vous
n'allezpasvousymettrevousaussi.–Alors,quevouliez-vousm'annoncer?–J'acceptedemerendreàceSalondulivreauboutdumonde.– Voilà une excellente nouvelle. De toute façon, vous n'aviez pas d'autre
choix.–Ona toujours le choix et je peux encore changerd'avis.À cepropos, j'ai
quelquechoseàvousdemanderd'assezpersonnel.Sijedécidaisdepasserunanou deux à Séoul, accepteriez-vous de me faire une petite avance, de quoim'installer?JeneveuxpasmeséparerdemonappartementàParisavantd'êtresûr.–Sûrdequoi?–Deresterlà-bas,justement.– Pourquoi iriez-vous vous vivre en Corée, vous ne parlez même pas la
langue?– C'est une difficulté à laquelle je n'avais pas songé. Je suppose qu'il me
faudral'apprendre.–Vousallezvousmettreaucoréen?–Nanniganaiepalkarakeulparajmdoultaiganomoudjoa?–Qu'est-cequec'estquececharabia?–Çasignifie«J'aimebienquandtumesuceslesorteils»,encoréen.–Çayest,vousêtesdevenufou,vousdébloquezcomplètement!–Jenevousdemandepasuneconsultationpsychanalytique,maisuneavance
surmesdroitsd'auteur.–Vousêtessérieux?–Vousm'avezbienditquemonsuccèslà-basrebondiraitauxÉtats-Unis,puis
enEurope.Sijevousaibiencompris,jeprendsl'avionetnousfaisonsfortune.Alors,selonvotreraisonnement,cen'estpasunepetiteavancequivousposeraunproblème.–J'aiémisunehypothèse...l'avenirlaconfirmeraoupas.PuisCristonelipritunairpensif,avantdepoursuivre:–Enmêmetemps,sivousannonciezauxmédiascoréensvouloiradopterleur
pays,cela seraitduplusbeleffet.Sivotreéditeurvousa sous lamain, il seraplusenclinàmettrelesbouchéesdoublespourpromouvoirvosouvrages.–Cecietcela,soupiraPaul.Alors,c'estd'accord?– À une condition ! Quoi qu'il arrive là-bas, je demeure votre éditeur
principal,jeneveuxpasentendreparlerd'uncontratsignédirectemententrelesCoréensetvous,noussommesbienclairs!C'estmoiquivousaiportéàboutde
bras,jusqueici!–Oui,enfin,onnepeutpasdirequevousm'ayezportétrèshaut.–Quelleingratitude!Vouslavoulezoupas,cetteavance?Pauls'entintlà.Ilgriffonnasurlaservietteenpapierlasommequ'ilespérait
soutireràCristoneli.Celui-cilevalesyeuxauciel,barralenombreetledivisaendeux.Ilsseserrèrentlamain,cequidanscemilieuvalaitbienuncontrat.–Jevousremettraiunchèqueenvousaccompagnantàl'aéroport,histoirede
m'assurerquevousprenezl'avion.PaullaissalesoinàCristonelideréglerl'addition.
*
De retour chez elle après le service du déjeuner, Daisy découvrit Mia enpeignoirdebain, allongéesur lecanapé,uneboîtedeKleenexenmainetuneserviettehumidesurlesyeux.–Çanevapas?–Unemigraineophtalmique,j'ailatêtequivaexploser,réponditMia.–Tuveuxquej'appelleunmédecin?– Inutile, j'ai déjà connu ça, ça dure en général une dizaine d'heures et ça
passe.–Etçat'aprisquand?–Aumilieudel'après-midi.Daisyregardatouràtoursamontreetsonamie.–Bon,tunepeuxpastravaillerdanscetétat.Onoublielerestaurantpource
soir,tum'aiderasdemain.–Maisnon,protestaMia,j'yarriverai.Etayantprononcécesmots,ellepritsatêteentresesmainsetpoussaunpetit
gémissement.–Aveccettemine?Tuferaisfuirlesclients!Vat'allongerdanstachambre.–Non,jevaisvenir,renchéritMiatoujoursallongée,lebrasballantlelongdu
canapé,jenepeuxpastelaissertomber.–Robert se débrouillera en cuisine pendant que j'assurerai le service, ce ne
serapaslapremièrefois.Filetereposer,c'estunordre.MiaattrapalaboîtedeKleenexetpartit,laserviettesurlesyeux,àtâtonsvers
sachambre.ElleenressortitdèsqueDaisyeutquittél'appartement.Ellecollasonoreilleà
la porte d'entrée pour entendre les bruits de pas s'amenuiser dans la caged'escalier.Puisellefonçaàlabaievitrée,etlasuivitduregardjusqu'àcequ'elledisparaisseaucoindelarue.Elleseprécipitadanslasalledebains,lavasonvisageàl'eaufraîchepourle
débarrasserdutalcqu'elles'étaitappliquéetfitdemêmeavecletraitdecrayonsursapaupièreinférieure.S'ilyavaitunechoseutilequ'elleavaitapprisedanssonmétier,c'étaitàseservirdumaquillagepoursoutenirsonjeu.Elles'étonna,encherchantun imperméabledans lapenderiedeDaisy,den'éprouveraucuneculpabilité. Elle se sentait même d'une humeur joyeuse, et cela faisait troplongtempsqu'ellen'avaitpasvécucelapournepasenprofiterpleinement.Elleoptapourunepairedebasketsets'interrogeasoudainsurlesraisonsd'un
telaccoutrementpourunesoiréeàl'Opéra.EnAngleterre,onyallaitplutôttrophabilléquepasassez.Elle se détailla dans lemiroir, se trouva un petit côtéAudreyHepburn qui
n'étaitpaspourluidéplaire,hésitaàajouterdeslunettesdesoleilàlapanoplie,lesjetadanssonsacets'enalla.Elleentrebâillalaportecochère,s'assuraquelavoieétaitlibreetmarchad'un
paspresséversletaxigarésurletrottoird'enface.
*
PaulattendaitsurlacinquièmemarchedupalaisGarnier.–Ondiraitl'inspecteurClouzot,dit-ilenaccueillantMiaquiavançaitverslui.– Un vrai gentleman ! Vous m'aviez dit de porter un imperméable et des
chaussuresplates.Paull'examina.–Vousêtesravissante,suivez-moi.Ils se joignirent aupublicqui entrait dans l'Opéra.Après avoir traverséune
enfiladedevestibules,Mias'arrêtaenadmirationdevant legrandescalier.Elleinsistapours'approcherdubassindelaPythie.–Qu'est-cequ'elleestbelle!s'exclama-t-elle.–Charmante,maisdépêchons-nousmaintenant,suppliaPaul.–J'ail'airgrotesquevêtueainsiaumilieudetantdebeauté,j'auraidûmettre
unerobe.–Surtoutpas!Allons-y.– Je ne comprendspas, vous deviezme faire visiter cet endroit pendant les
heuresdefermeture...nousallonsassisteràlareprésentation?–Vouscomprendrezplustard.
Arrivésàl'entresol,ilsempruntèrentlagaleriedel'orchestre.– Qu'est-ce qu'on joue ce soir ? s'enquit Mia tandis qu'ils approchaient de
l'entréedelasalle.–Aucuneidée.Bonjour,dit-ilenpassantdevantdeuxstatues.–Quisaluez-vous?chuchotaMia.–BachetHaydn,jelesécouteenécrivant,c'estlamoindredeschoses,non?– Je peux savoir où nous allons ? reprit Mia alors que Paul continuait
d'avancer.–Nousasseoirànosplaces.En guise de places, l'ouvreuse les installa sur des strapontins. Paul offrit le
premieràMiaetseposasurceluiderrièreelle.L'assise était dure, on ne voyait que le côté droit de la scène. Voilà qui
détonnaitaveclessoirsd'avant-premièreoùMiasiégeaitaumeilleurrang.Pourtant,iln'avaitpasl'airradin,pensa-t-ellealorsquelerideauselevait.Paullaissapasserlesdixpremièresminutes.Miasetortillaitsursonfauteuil,
enquêted'unsemblantdeconfort.Illuitapotal'épaule.–Jesuisdésoléesijebougetoutletemps,maisj'aimalauxfesses,chuchota-
t-elle.Paulseretintderireetsepenchaàsonoreille.–Vousprésenterezmessincèresexcusesàvotrepostérieur,suivez-moi,ony
va.Ilmarchacourbé jusqu'à la sortiede secoursqui se situait justedevant eux.
Mialeregardainterloquée.Ouilestvraimentfou...–Vousvenez!murmuraPaul,toujourspliéendeuxdevantlaporte.Miaobéit,secourbantelleaussipourrejoindrePaul.Ilpoussadoucementlaporteetl'entraînadansuncouloir.–Onvaresterlongtempsàjouerauxcanards?demandaMia.–Jouezàcequevousvoulez,maisensilence.Paul s'engagea dans le corridor, saisissant Mia par la main. Et plus ils
progressaientdanscedédale,pluselles'interrogeait.Au bout d'une autre coursive, ils gagnèrent un escalier en colimaçon. Paul
invita Mia à s'y engager la première, au cas où elle trébucherait, tout en luisuggérantd'éviterdelefaire.–Oùsommes-nous?soufflaMiaquicommençaitàseprendreaujeu.–Nousallonsempruntercettepasserelledevantvous.Jevousensupplie,pas
debruit,nousallonspasserau-dessusdelascène.Cettefois,j'ouvrelamarche.
Paul se signa et, comme Mia s'en étonnait, il lui confia dans le creux del'oreillequ'ilavaitlevertige.QuandPaularrivadel'autrecôté,ilseretournaetlavit,arrêtéeaumilieudela
passerelle,lesyeuxrivéssurlasalle.Illuisemblaentrevoirsonvisaged'enfant;mêmesonimperméablesemblaitsoudaintropgrand.Ellen'étaitpluslafemmequ'il avait retrouvée sur les marches du palais Garnier, mais une petite fillesuspenduedanslesairs,émerveilléeparunspectacleféerique.Ilattenditquelquesinstantsetserisquaàémettreunpetittoussotementpour
attirersonattention.Mialuifitungrandsourireetlerejoignit.–C'étaitincroyable,chuchota-t-elle.–Jesais,etvousn'avezencorerienvu.Il lui reprit la main et l'emmena vers une porte qui s'ouvrait sur un autre
escalier.–Nousallonsvoirlelac?–VousêtesquandmêmebizarresenAngleterre.Vouscroyezqu'ilsontmisle
lacaudernierétage?–Nousaurionstrèsbienpuredescendrecesmarches!– Eh bien non, nous allons les monter. Le lac n'existe pas, ce n'est qu'un
réservoird'eaudansuncuvelageenbéton,sinonj'auraisemportémespalmesetmontuba.–L'imperméable,c'étaitpourquoi,alors?demandaMia,agacée.–Vousverrez!Alorsqu'ilsmontaientunvieil escalierenbois, ilsentendirentun roulement
terrifiant.Mias'arrêta,tétanisée.–Cesontlesmécanismesdudécor,nevousinquiétezpas,larassuraPaul.IlsavaientatteintledernierpalierquandPaulappuyasurlabarred'ouverture
d'uneporteenferetinvitaMiaàlafranchir.Elle avança sur le zinc des toits de l'Opéra Garnier, découvrant une vue
magistraledeParis.EllejuraenanglaisetsetournaversPaul.–Vouspouvezyaller,c'estsansdanger,luiassura-t-il.–Vousnevenezpas?–Si,si,j'arrive.–Pourquoim'avoirconduiteicisivousavezlevertige?–Parcequevous,vousn'ensouffrezpas.Cepanoramaestuniqueaumonde.
Continuez,jevousattendslà.Emplissezvosyeux,ceuxquionteulachancede
découvrir ainsi la Ville des lumières se comptent sur les doigts d'une main,disonsdequelquesmains.Avancez,neratezrienduspectacle.Unsoird'hiver,devant la cheminée d'un vieuxmanoir anglais, vous raconterez à vos arrière-petits-lords l'histoire d'un autre soir où vous admiriez Paris depuis les toits del'Opéra.Vousserezsiâgéequevousaurezoubliémonprénom,maisvousvoussouviendrezd'avoireuunamiàParis.MiaobservaPaulquisecramponnaitàlapoignéedelaporte.Elleavançasur
les toits. Depuis sa position, elle distinguait l'église de la Madeleine, la tourEiffeldontlefaisceausillonnaitleciel,uncielqueMiaobservaitaveclesyeuxd'uneenfantquicomptelesétoiles,convaincuequ'elleréussiraàlesdénombrer.PuissonregardseportaverslestoursduquartierdeBeaugrenelle.Combiendegensdînaient,riaientoupleuraientderrièrecesfenêtresàpeineplusgrandesqueles étoiles scintillant dans le firmament ? Se retournant, elle aperçut le Sacré-Cœur perché sur la colline deMontmartre et elle eut une pensée pour Daisy.Paristoutentiers'offraitàelleetellen'avaitjamaisrienvud'aussibeau.–Vousnepouvezpasraterça.–Jenepeuxvraimentpas.Elle revint vers lui, enleva son foulard et le lui noua sur les yeux. Puis, le
prenant par la main, elle le guida sur le zinc. Paul progressait comme unéquilibriste,maisilselaissafaire.– C'est égoïste, dit-elle en lui rendant la vue, mais comment pourrais-je
raconter ce moment à mes petits-lords sans l'avoir partagé avec mon amiparisien.PauletMias'assirentsurlefaîtage,etadmirèrentlaville.Unepluiefinesemitàtomber.Miaôtasonimperméableetleposasurleurs
épaules.–Vouspenseztoujoursàtout?– Ça m'arrive. Vous me ramenez maintenant ? dit-il en lui montrant son
foulard.
*
Aubas de l'escalier, ils furent accueillis par deux agents de sécurité qui lesescortèrent jusqu'au bureau du directeur où trois gardiens de la paix lesattendaient.– Je sais, j'ai enfreint votre interdiction, mais nous n'avons fait de mal à
personne,ditPaulaudirecteur.–Vousconnaissezcemonsieur?interrogeal'agentMoulard.
–Non,plusmaintenant,vouspouvezlesembarquer.L'agent Moulard fit signe à ses collègues qui sortirent deux paires de
menottes.–Cen'estpeut-êtrepasnécessairedepousser lebouchon jusque-là,protesta
Paul.– Je crois que si, ajouta le directeur, ces individus m'ont tout l'air d'être
incontrôlables.Miatenditsespoignetsaupolicier,ellejetauncoupd'œilàsamontre,etprit
peurenvoyantl'heure.
*
L'inspecteurdepolicerecueillitleurdéposition.Paulreconnutlesfaitsquiluiétaientreprochés,ens'enattribuantl'entièreresponsabilitéetenminimisantleurgravité. Il promit sur tous les saints de ne plus recommencer si on les laissaitsortir.Ilsn'allaientquandmêmepaspasserlanuitauposte?L'inspecteursoupira.–Vousêtesdesressortissantsétrangers.Tantquejen'auraipaspujoindrevos
consulats respectifsetvérifiervos identités, ilm'est impossibledevous laissersortir.– J'ai une carte de séjour, je l'ai oubliée chez moi, mais je suis résident
français,juraPaul.–Ça,c'estvousquiledites.–Monassociéevametuer,murmuraMia.–Quelqu'unvousmenace,mademoiselle?questionnal'inspecteur.–Non,c'étaitunefaçondeparler.–Alors,surveillezvotrevocabulaire,noussommesdansuncommissariat.–Pourquoivoustuerait-elle?demandaPaulensepenchantversMia.–Qu'est-cequejeviensdedire?repritl'inspecteur.–C'estbon,onn'estpasàl'école!Apparemment,cettesituationplongemon
amie dans un embarras professionnel inextricable, vous pourriez faire preuved'unpeudesouplesse.– Il fallait y songer avant de commettre une effraction dans un bâtiment
public.–Ahmais nous n'avons commis aucune effraction, toutes les portes étaient
ouvertes,ycompriscelledonnantsurletoit.–Parcequeselonvous,vousypromenern'enestpasune?Vous trouveriez
normalquejeviennefairelamêmechosedansvotrepays?
–Silecœurvousendit,inspecteur,moi,çanemedérangeabsolumentpas.Jepeuxmêmevousrecommanderdeux-troisendroitsoùlavueestsublime.– Bon, soupira le policier, mettez-moi ces deux zozos en cellule et faites
passerlecomiqueenpremier.– Attendez ! supplia Paul. Si un citoyen français venait témoigner demon
identité,vousenapportaitlapreuve,vousnouspermettriezdepartir?–S'ilvientdansl'heure,jepeuxyréfléchir,au-delà,jeterminemonserviceet
vousdevrezattendredemainmatin.–Jepeuxtéléphoner?L'inspecteurretournal'appareilposésursonbureauetl'avançaversPaul.
*
–Vousn'êtespassérieux?–Bensi.–Àcetteheure?–Onnechoisitpaslemomentdanscegenredecirconstances.–Etjepeuxsavoirpourquoi?– Écoutez-moi, Cristoneli, parce que le temps presse. Vous foncez à votre
bureau, vous y prenez une copie de tous mes papiers et vous arrivez aucommissariatduIXedansmoinsd'uneheure,sinon,jesignemonprochainlivreavecTchiungChanVoo.–QuiestceTchiungChanVoo?–Jen'enaiaucuneidée,maisildoitbienyenavoirquis'appellecommeça
chezmonéditeurcoréen!hurlaPaul.Cristoneliluiraccrochaaunez.–Ilvavenir?demandaMiad'unevoixsuppliante.–Toutestpossibleaveclui,réponditPaulcirconspectenreposantlecombiné
sursonsocle.–Bien,repritl'inspecteurenselevant,sicemonsieursurlequelvoushurliez
estassezstupidepourvousrendreservice,vousdormirezchezvous,danslecascontraire,nousavonsdescouvertures.LaFranceestunpayscivilisé.PauletMiafurentescortésverslescellules.Parcourtoisie,onleurévitacelle
oùdeuxpochardsdégrisaient.La porte se referma sur eux.Mia s'assit sur le banc et prit sa tête entre ses
mains.–Ellenemelepardonnerajamais.– Nous n'avons quand même pas écrasé une petite vieille. Pourquoi vous
inquiéter?Ellen'aaucunmoyend'apprendrequenoussommesici.–Nous partageons lemême appartement, quand elle rentrera du restaurant,
elleverrabienquejen'ysuispas,etdemainmatinnonplus.– À votre âge, vous avez le droit de découcher, non ? Elle est juste votre
associéeou...?–Ouquoi?–Non,rien.–Jemesuis inventéunemigrainepournepastravaillercesoiralorsqu'elle
avaitbesoindemoi.–Jereconnaisquec'estmoche.–Mercideremuerlecouteaudanslaplaie.Pauls'assitàcôtéd'elleetgardalesilence.–Uneidée,maiscen'estqu'uneidée,finit-ilpardéclarer.L'interpellation,les
menottesetlecommissariat,cen'estpeut-êtrepaslapeinederaconterçaàvospetits-lords.– Vous plaisantez, c'est sans aucun doute la partie de la soirée qu'ils
préféreront.Grannyquiapassélanuitauposte!Ilsentendirentuntourdeclédanslaserrure.Laportedeleurcellules'ouvritet
unpolicierleurordonnadesortir.Illesconduisitjusqu'aubureaudel'inspecteuroùCristoneli,aprèsavoirprésentéunephotocopiedelacartedeséjourdePaul,signaitunchèquepourréglerl'amende.–Parfait,ditl'inspecteur.Vouspouvezrepartiraveclui.Se retournant, Cristoneli découvrit la présence de Mia et fustigea Paul du
regard.–Comment ça, reprit-il outré à l'inspecteur, pour ce prix-là, je ne peux pas
avoirlesdeux?–Madamen'apassespapiers!–Madameestmanièce!assuraCristoneli,jel'affirmesurl'honneur.–Vous êtes italien et votre nièce anglaise ?Dites-moi, c'est l'internationale
chezvous!– Je suis naturalisé français,monsieur l'inspecteur ! ripostaCristoneli, et en
effet, dans ma famille, nous sommes européens depuis trois générations,métèquesouavant-gardistes,selonvotreouvertured'esprit.–Fichez-moitouslecamp,etvous,mademoiselle,jeveuxvousrevoirdemain
après-midiavecvotrepasseport,c'estclair?Miaacquiesçadelatête.
*
À l'extérieur du commissariat, Mia remercia Cristoneli qui la saluarespectueusement.– C'était un plaisir, mademoiselle. C'est étrange, mais j'ai l'impression que
nousnoussommesdéjàrencontrés,votrevisagem'estfamilier.– J'en doute, répondit Mia en rougissant. Peut-être quelqu'un qui me
ressemble?–Probablement,pourtant,j'auraisjuré...–Pathétique!soufflaPaul.–Qu'est-cequevousavez,vous?ditCristonelienluifaisantface.–C'estaveccesvieuxtrucséculésquevousabordezlesfemmes?«Jesuis
sûrquenousnoussommesdéjàvusquelquepart»,répéta-t-ilenesquissantunemimiquedisgracieuse.Lamentable!–Vous êtes totalement abruti,mon cher, j'étais parfaitement sincère, je suis
certaind'avoirdéjàcroisémademoiselle.–Ehbien,ons'enfiche,noussommespressés,lecarrossedeMademoiselleva
bientôtsetransformerencitrouille,nouséchangeronsdescivilitésunautresoir.–Merciquandmême!grommelaCristoneli.–Celavadesoi,mercibeaucoup,etmaintenantaurevoir.–Ilvaégalementdesoiquecetteamendeseradéduitedevotreavance...
*
– Vous avez l'air de former un vieux couple, lâcha Mia, amusée, lorsqueCristoneliremontaàborddesoncoupé.– C'est surtout lui qui est vieux. Dépêchons-nous. À quelle heure votre
associéerentredurestaurant?–Engénéralentre23h30etminuit.–Celanouslaissevingtminutesaupireetcinquanteaumieux,venez!IlentraînaMiadansunecoursefollejusqu'àsavoiture.Aprèsluiavoirouvertlaportièreetordonnédebouclersaceinture,ildémarra
entrombe.–Oùhabitez-vous?–RuePoulbot,àMontmartre.Et la Saab traversa Paris à vive allure. Paul emprunta les couloirs de bus,
zigzagua entre les taxis, se fit copieusement insulter par unmotard qu'il avaitfrôléplacedeClichy,pardespiétonspourêtrepasséà l'orangeplusquefoncérueCaulaincourtetbifurquarueJoseph-de-Maistresurleschapeauxderoues.
–Nous avons eu notre compte avec la police ce soir, vous devriez lever lepied,suggéraMia.–Etsinousarrivonsaprèsleretourdevotreassociée?–OK...foncez!Lavoitures'élançadanslarueLepic.RueNorvins,Miasetassasursonsiège.–Lerestaurantestlà?–Nousvenonsdepasserdevant,chuchota-t-elle.DerniervirageruePoulbot.Miamontraunimmeubledudoigt.Paulpila.–Dépêchez-vous,dit-il,onsediraaurevoiruneautrefois.Ils échangèrent un regard et Mia se précipita vers la porte cochère. Paul
attenditqu'elle soit entrée, il attenditmêmeunpeuplus longtemps,observa lafaçadedel'immeubleetsouritenvoyantlesfenêtresdudernierétages'allumerbrièvementavantdes'éteindre.Ilétaitsurlepointdedémarrerquandilaperçutune femme remonter la rue et entrer dans l'immeuble. Il klaxonna à troisreprises,etseremitenroute.
*
Daisyentradansl'appartement,éreintée,lesalonétaitplongédansl'obscurité.Elle alluma la lumière et se vautra directement sur son canapé. Son regard seporta vers la table basse, puis sur un livre. Elle s'en empara et examina ànouveaulaphotodel'auteur.ElleallagratteràlaportedelachambredeMiaetl'entrouvrit.Miafitsemblantdeseréveiller.–Commenttesens-tu?–Mieux,jeseraid'attaquedemain.–Tum'envoisravie.–Cen'étaitpastropduraurestaurantcesoir?–Ilyaeudumonde,malgrélapluie.–Ilabeaucoupplu?–Ilfautcroire.Etdansl'appartement,ilapluaussi?–Maisnon,quelleidée,pourquoi?–Pourrien.Daisyrefermalaportesansautrecommentaire.
*
Paulgarasavoitureetmontachezlui.Ils'installaàsonbureaupourattaquerunnouveauchapitreoùsacantatricemuettes'aventuraitsurlestoitsdel'Opéra,
quandl'écrandesonportables'illumina.–Mes petits Lords se joignent à moi pour vous dire que leur future grand-mère a passé une
merveilleusesoirée.–Vousêtesrentréeàtemps?–Àdeuxminutesprès,j'étaiscuite.–J'aiklaxonnépourvousprévenir.–J'aientendu.–Votreroommaten'ariensuspecté?–Jecroisqu'elleavumonimperméablequidépassaitdelacouette.–Vousdormezenimperméable?–Paseuletempsdel'enlever.–Jesuisvraimentdésolépourlecommissariat...–Onpartagel'amende?J'ytiens.–Non,vousêtesmoninvitée.–Vousm'emmenezvisiterlescatacombeslasemaineprochaine?–Çacompteouçanecomptepas?–Çanecomptepas.–Jenevoispaspourquoi.–Parceque!–Eneffet,c'estunetrèsbonneraison.–Alors,c'estd'accord?–VousnepréféreriezpasuneexpoauGrandPalais,ilyamoinsdemorts.–Quelleexpo?–Attendezjeregarde.–J'attends.
–LesTudors.–Jen'enpeuxplusdesTudors...–Lemuséed'Orsay?–LejardinduLuxembourg?–D'accord.–Voustravaillez?–J'essaie.–Alors,jevouslaisse.Après-demain,quinzeheures?–Devantl'entrée,rueGuynemer.L'écran s'éteignit et Paul retourna à l'écriture de son roman. La cantatrice
avançaitsurletoitquandl'écrans'illuminaànouveau.–Jemeursdefaim.–Moiaussi.–Maismoi,jesuiscoincéedansmachambre.–Enlevezvotreimperettentezunedescenteendoucedanslefrigo.–Bonneidée...Maintenant,jevouslaissevraimenttravailler.–Merci.Paulposaletéléphonesursonbureau.Sonregardnecessaitdesedétourner
del'écranpouryrevenir.Déçu,illerangeadansuntiroirqu'ilgardanéanmoinsentrouvert.
*
Miasedéshabilla sansbruit, elle enfilaunpeignoirdebainet entrebâilla laportedesachambre.Daisy,allongéesur lecanapédusalon, lisait leromandePaul. Mia regagna son lit et passa l'heure suivante à écouter son estomacgargouiller.
11.
Ilsesentaitcoupabledenepasavoirécritsuffisammentcesderniersjours.Etlasoiréen'avaitrienarrangé.Ilvoulaitretravaillersespremierschapitres,qu'ilsplaisent à Kyong, même si elle ne lui avait toujours pas répondu, ce qui lepréoccupaitbeaucoup.Il tira les rideaux pour plonger la pièce dans le noir, alluma sa lampe de
bureauets'assitderrièresonécran.La journée fut prolifique, dix pages, cinq cafés, deux litres d'eau et trois
paquetsdechipsenseptheures.Maintenant, il avait faim, une faim de loup et il pensa qu'il était temps
d'abandonnersontravailpourserendreaucaféenbasdechezlui.Cen'étaitpasla meilleure table de l'arrondissement mais au moins il ne dînerait pas seul.Lorsqu'il s'installaitaucomptoir, lecafetier lui faisait toujours laconversation.C'était lui qui l'informait des nouvelles du quartier. Quel voisin était mort ouavaitdivorcé,quelautreavaitemménagé,quelcommerceavaitouvertoufermé,les changements de temps, mais aussi les scandales politiques, tous lesbruissementsde laville etde lavie luiparvenaientpar lavoixdeMoustache,puisquec'estainsiquePaulappelaitsoncafetier.Deretourchezlui,ilouvritsesrideauxpourvoirtomberlesoiretrallumason
écran.Ilconsultasaboîtemail,n'ydécouvritaucunenouvelledeKyongmaisunautremessage.
CherPaul,J'espèrequetoutvabien.NotreséjourdansleSudétaitmagique,jemedemandeencorepourquoi
j'aivécuquatreansàParisaulieudem'installerenProvence.Entrelagentillessedesgens,labeautédespaysages,lesmarchésàcielouvertetletempsqu'ilfait...bref,tudevraispeut-êtreysonger.Lebonheursetrouvesouventplusprèsdenousqu'onnel'imagine.
Tu nous as beaucoup manqué. Nous sommes pour quelques jours en Italie, où nous venonsd'arriver.Portofinoestl'unedesplusjoliesvillesquejeconnaisse,toutelaLigurieestravissante.
Nous avons décidé de nous rendre ensuite àRome et de là nous rentrerons directement à SanFrancisco.
Jet'appelleraidèsnotreretouràlamaison.Donne-moidetesnouvelles,quoideneufdanstavie?Laurent'embrasse,moiaussi.Arthur
Lemail avait été envoyéquelquesminutes auparavant, il supposaqu'Arthur
étaitencoreconnectéetréponditsansattendre.
Chèrevieillebranche,Raviquevotreséjoursedérouleaumieux.Vousdevriezleprolonger,surtoutquejesuistombé
par leplusgranddeshasardssurunsitede locations immobilièresdecourtesdurées. J'aivoulu letestercaronm'enavaitditleplusgrandbien,etvotreappartementyafaitsensation.
Jemesuisoccupédetout.Voslocataires,quej'aitriéssurlevolet,uncouplecharmantavecleursquatreenfants,yresteront jusqu'à lafindumois.Leloyerseraversédirectementsur lecomptedel'agence,iltesuffiradepasserchercherlechèque.Voilàqui,jel'espère,contribueraàfinancervotrevoyageenItalie.
Etmaintenant,noussommesquittes!Sinon,riendeparticulierdansmavie,puisquecelat'intéresse,saufquej'écrisbeaucoupetquela
datedemondépartpourSéoulserapprocheàgrandspas.EmbrasseLaurenpourmoi.Paul
Apparutaussitôtàl'écran:
Tun'aspasfaitça?!!!Savourantsavengeance,PaulhésitaàfairemarinerArthur,maissachantque
celui-cileharcèlerait,ilpréféraluirépondreavantdeseremettreautravail.
Arthur,Si je n'avais pas eu peur quemon filleul passe plus de temps qu'il n'en faut chez samarraine,
j'auraisosésanshésiter,maisjesuistropbon,çameperdra.Celaétant,tuneperdsrienpourattendre.Jet'embrasse.Paul
Surce,ilselaissahapperparlanuitqu'ilconsacratoutentièreàl'écritured'un
nouveauchapitre.
*
–Commentl'as-turencontré?–Qui?–Lui,réponditDaisyenfaisantglisserlelivresurlecomptoirdubar.–Tunemecroiraispas.–Quandtuasdébarquéchezmoiavectonbaluchon,quandtum'asdemandé
de t'héberger, quand tu as pleuré toute une nuit dansmes bras sur le sort queDavidt'avaitréservé,enluidonnanttouslestorts,est-cequejet'aicrue?–Surtonsitederencontres,avouaMiaenbaissantlesyeux.– Je savais bien que j'avais vu son visage quelque part, pestaDaisy. Tu as
vraimentundecesculots!–Cen'estpascequetucrois,jetelejure.–Jet'enprie,nejurepas,c'estsacré.DaisypassadevantMiaetallapréparerlasalleàmanger.–Laisse,ditMiaenlarejoignant,c'estàmoidem'occuperdeça,tuasassez
detravailencuisine.–Jevaissurtoutfairecequejeveuxdansmonrestaurant.–Jesuisvirée?–Tuesamoureuse?–Maispasdutout,protestaMia,véhémente,c'estjusteunami.–Unamicomment?–Quelqu'unavecquijeparle,sanslamoindreambiguïté.–Detoncôtéoudusien?–Desdeux,nousnoussommesmisd'accorddèslepremierdîner.–Parcequevousavezdînéensemble?Quand?Lesoiroùtudormaisavec
tonimperméableparcequetuavaisunemigraineophtalmique?–Non,cesoir-là,nousétionsàl'Opéra.–Demieuxenmieux!–Quandjet'airacontéquej'étaisaucinéma.–LeSuédois!Etduranttoutcetemps,tum'asmenti?–C'esttoiquiasditqu'ilétaitsuédois.–Etleportable?–Ça,c'étaitvrai,ill'avaitoublié.–Ettamigraine?–Passagère...–Jevois!– Ce n'est qu'un ami, Daisy, que je pourrais d'ailleurs te présenter, je suis
certainequevousvousplairiez.–Etpuisquoiencore!–Iltravaillelanuit,commetoi,ilestunpeugauchemaistrèsdrôle,comme
toi,ilestaméricain,ilvitàParisetilestseul,commetoi.–Etilneteplaîtpasàtoi?–Presqueseul.
– Oublie-moi, veux-tu, j'ai eu mon compte de plans foireux avec des fauxcélibataires.Bon,tumetslecouvertouturepeinsleplafond?Mianesefitpasprierets'emparad'unepiled'assiettesqu'elledisposasurles
tables.Daisyentradanssacuisineetcommençad'éplucherdeslégumes.–Tudevraisaumoinslerencontrer,ditMia.–Non!–Maispourquoi?–D'abordparce que ça nemarche jamais commeça, ensuite parce qu'il est
«presque»seul,etsurtoutparcequ'ilteplaîtplusquetunel'avoues.MiaseretournaversDaisy,mainscampéessurleshanches.–Jesaisquandmêmecequejeressens!–Ahoui?Depuisquand?TutraversesParispourluirendresontéléphone,tu
menscommeunecollégienne,tuvasàl'Opéra...–Non,pasàl'Opéra,surl'Opéra!–Pardon?–Nousn'avonspasassistéàunereprésentation,ilm'aemmenéesurlestoits,
voirParisdenuit.–Soittuesvraimentingénue,soittutemensàtoi-même,danslesdeuxcas,
gardetonécrivainetfiche-moilapaix.Miafronçalessourcilsetdemeurasongeuse.–Auboulot,lesclientsnevontplustarder!criaDaisy.
*
À 2 heures du matin, Paul trébuchait encore sur la dernière ligne de sonparagraphe.Ilétaitpréférabled'enrester làpourcesoir.IlconsultaencoreunefoissaboîtemailettrouvaenfinuneréponsedeKyongqu'ilimprima.Ilaimaitdécouvrir ses mots couchés sur du papier, cela la rendait moins virtuelle. Ilattrapalafeuilledanslebacdel'imprimanteetattenditd'êtresoussesdrapspourlalire.Quelquesinstantsplustard,iléteignitetenserrasonoreiller.
*
À3heuresdumatin,Miafutréveilléeparlesvibrationsdesontéléphone.Ellel'attrapasurlatabledenuit.LeprénomdeDavidclignotaitsurl'écran.Son cœur se mit à battre la chamade. Elle le reposa en bonne place, se
rallongeaetenserrasonoreiller.
12.
MiaseprésentaenretarddevantlesgrillesduLuxembourg.EllecherchaPauletpritsontéléphonepourluienvoyerunmessage.
–Oùêtes-vous?–Surunbanc.–Quelbanc?–J'aimisunciréjaunepourquevousmereconnaissiez.–Pourdevrai?–Non!Paulselevaenlavoyantarriveretluifitunsignedelamain.–Tiens,aujourd'hui,c'estvousquiavezmisunimperméable,dit-elle,pourtant
ilnepleutpas.–Çaresteàvoir,répondit-ilensemettantàmarcher,mainsdansledos.Mialesuivit.–Lanuitétaittouteenpagesblanches?–Non,j'aimêmefiniunchapitre,j'encommenceraiunautrecesoir.– Vous voulez faire une partie ? proposa-t-elle en désignant les joueurs de
pétanque.–Voussavezjouer?–Çanedoitpasêtretrèscompliqué.–Si,c'esttrèscompliqué,toutestcompliquédanslavie.–Vousêtesdemauvaisehumeur?–Sijegagne,vousmepréparezàdîner!–Etsivousperdez?– Ce serait malhonnête de vous le laisser espérer... je suis devenu
professionnelàcejeuidiot.
– Je vais quandmême tenterma chance, répliquaMia en avançant vers leboulodrome.Elle demanda à deux joueurs qui conversaient sur des chaises s'ils
accepteraientdeleurprêterleurmatérielet,devantleurréticence,ellesepenchaversleplusâgépourluichuchoterquelquesmotsàl'oreille.L'hommesemitàsourireetluimontraleterrainoùdormaientboulesetcochonnet.–Onyva?dit-elleàPaul.Paul commença la première mène et lança le cochonnet. Il attendit qu'il
s'immobilise,sepenchaenbalançantlebrasettira.Sabouledécrivitunarcdecercleenl'airavantderoulersurleterrainetdes'arrêtercontrelebut.–Difficiledefaireplusprès,siffla-t-il.Àvous.Mia se mit en position sous l'œil amusé des deux grands-pères qui
s'intéressaientàlapartie.Saboules'élevamoinshautquecelledePauletvintseplacerquelquescentimètresderrièreelle.–Pasmal,maisinsuffisant,seréjouitPaul.Ilappuyasondeuxièmelancerd'unlégermouvementderotationdupoignet.
Laboulecontourna lentement lesdeuxqui se trouvaient sur lapiste etvint secolleraubut.–Etvoilà,exultaPaul,triomphal.Mia semit en position, plissa les yeux, et pointa. Les deux boules de Paul
furentpropulséesauloin,tandisquecellesdeMiasemblaientépouserlesformesducochonnet.–Ohleputaindecarreau!crial'undesdeuxpapystandisquel'autreéclatait
derire.–Etvoilà,déclaraMia.Paullaregarda,abasourdi,ets'éloigna.Miasalualesdeuxhommesquil'applaudissaientetcourutversPaul.–C'estpasbeaud'êtremauvaisjoueur!dit-elleenlerejoignant.–Parcequevous allezme faire croire que c'était la première fois quevous
jouiez?–TousmesétésenProvence...vousn'écoutezjamaislesfemmesquandelles
vousparlent.–Si,jevousécoutais,protestaPaul.J'avaislatêteunpeuàl'enverscesoir-là,
aurisquedevousrappelerlescirconstancesdenotrerencontre.–Qu'est-cequinevapas?Paulsortitunefeuilledepapieretlaluitendit.–Jel'aireçuhiersoir,grommela-t-il.
Mias'arrêtapourlire.
CherPaul,Jesuisheureuseque tuviennesàSéoul,mêmesinousn'auronspas le loisirdeprofiter l'unde
l'autre autant que je l'aurais souhaité. Le Salon du livre me contraint à des obligationsprofessionnelles auxquelles je ne peux déroger. Tu seras agréablement surpris de l'accueil que teréserveront tes lecteurs et bien plus sollicité que moi. Tu es célèbre ici, les gens t'attendentimpatiemment.Prépare-toiàdonnerbeaucoupde tapersonne.Demoncôté, jeme libéreraiautantquepossibleetteferaivisitermaville...sitonéditeurnousenaccordeletemps.
J'auraisaiméterecevoirchezmoi,maiscelaestimpossible.Mafamillevitdansmonimmeubleetmon père est très strict. Qu'un homme dorme chez sa fille serait un manquement aux règles debienséancequ'ilnetoléreraitpas.Jedevinetadéceptionetlapartage,maistudoiscomprendrequelesmœursetusagesnesontpascheznouslesmêmesqu'àParis.
Jemeréjouisdetevoirbientôt.Faisbonvoyage.Tatraductricepréférée.Kyong
–C'estunpeufroid,concédaMiaenluirendantlafeuilledepapier.–Glacial,oui!– Ilne faut rienexagéreret savoir lireentre les lignes. Jevoisbeaucoupde
pudeurdanssonmessage.–QuandellevientàParis,cen'estpaslapudeurquilacaractérise.–Maislà,vousserezchezelle,cen'estpaslamêmechose.–Vousqui êtesune femme,vousdevez savoirmieuxquemoi lire entre les
lignes.Ellem'aimeouellenem'aimepas?–Jesuissûrequ'ellevousaime.–Pourquoinel'écrit-ellepas,c'estsidifficileàavouer?–Quandonestpudique,oui.–Quandvousaimezunhomme,vousneleluiditespas?–Pasforcément.–Qu'est-cequivousenempêche?–Lapeur,réponditMia.–Lapeurdequoi?–Lapeurdefairepeur.–Qu'est-cequec'estcompliquétoutça!Alorsquefaut-ilfaire,direounepas
dire,quandonaimequelqu'un.–Ilfautattendreunpeu.–Attendrequoi,qu'ilsoittroptard?–Qu'ilnesoitpastroptôt.–Etcommentsait-onquelemomentestvenuderévélerlavérité?
–Quandonsesentrassuré,jesuppose.–Vousvousêtesdéjàsentierassurée?–Oui,çam'estarrivé.–Etvousluiavezconfiéquevousl'aimiez.–Aussi.–Etlui,ilvousaditqu'ilvousaimait?–Oui.LevisagedeMias'assombritetPauls'enaperçut.–Vousvenezdevoussépareretmoijeviensremuervotrechagrinavecmes
grossabots,c'étaitégoïstedemapart.– Non, c'était plutôt touchant. Si tous les hommes avaient le courage de
montrerqu'euxaussisaventêtrefragiles,celachangeraittellementdechoses.–Vouscroyezquejedoisluirépondre?–Jecroisquevousallezbientôtlarevoiretquandvousserezavecelle,elle
succomberaàvotrecharme.–Vousvousmoquezdemoi,n'est-cepas?Jesais,jesuisridicule.–Paslemoinsdumonde,vousêtessincère,nechangezsurtoutpas.–UnegaufreauNutella,çavousplairait?–Pourquoipas,soupiraMia.Paull'entraînaverslabuvette.Ilyachetadeuxgaufresetoffritlapremièreà
Mia.– S'il revenait, dit-il la bouche pleine, s'il vous demandait pardon, vous lui
donneriezunesecondechance?–Jen'ensaisrien.–Ilnevousapasrappeléedepuis...–Non,l'interrompitMia.–Bon, là-bas, lebassinoù lesenfants fontnaviguerdespetitsvoiliersmais
nousn'avonspasd'enfant,dececôté-ci,lespromenadesàdosd'âne...çanevoustentepas?–Pasvraiment,non.–Parfait,desânesj'envoisassezcommeça.Danscettedirection,lestennis,
nousnejouonspasautennis,jecroisqu'onafaitletour!Allons-y,j'enaimarredecejardinetdecescouplesquisebécotent.MiasuivitPaulverslaportedeVaugirard.IlsdescendirentlarueBonaparte,
longèrentlaplaceSaint-Sulpiceoùsetenaitunebrocante.Ilsensillonnèrentlesalléesets'arrêtèrentdevantunstand.–Elleestjolie,repritMia,enregardantunemontreancienne.
–Oui,mais jesuis tropsuperstitieuxpourporterunobjetayantappartenuàquelqu'un.Oualors,ilfaudraitquejesachesicettepersonneétaitheureuse.Nevous fichezpasdemoi,mais je crois à lamémoiredesobjets. Ils émettentdebonnesoudemauvaisesondes.–Vraiment?–Ilyaquelquesannées,j'avaisachetédansunebrocantecommecelle-ciun
presse-papiersencristal.Levendeurm'avaitassuréqu'ildataitduXIXesiècle.Jenel'aipascruuninstant,maisilyavaitunvisagedefemmegravéàl'intérieurque je trouvais joli. Du jour où j'en ai fait l'acquisition, je n'ai eu que desemmerdes.–Quelgenred'emmerdes?–Çavousvabiendediredesgrosmotsdetempsentemps.–Commentça?–Jenesaispas,avecvotreaccent,çavousdonneunpetitcôtésexy.Oùen
étais-je?–Àvosemmerdes.– Franchement, ça vous va bien ! Ça a commencé par une fuite d'eau, le
lendemainmonordinateuresttombéenpanne,lesurlendemainmavoitureétaitàlafourrière,leweek-endunegrippecarabinée,lelundi,monvoisindudessousa faitun infarctus, etpuisdèsque jeposaisune tasse surmonbureauprèsdupresse-papiers,jelarenversais.Unjour,l'anses'estmêmecassée,j'aibienfaillim'ébouillanter lescuisses.C'estd'ailleurs làque j'aicommencéàsuspectersespouvoirsmaléfiques.Moiquivousparlaisdusyndromedelapageblanche,cefut blanc, du blanc et rien que du blanc, comme si j'écrivais sur les flancs duKilimandjaro. Je me suis aussi pris les pieds dans le tapis, cassé le nez enatterrissant ventre à terre, vousm'auriez vu, pissant le sang, la tête en arrière,hurlantdansmonappartement.Après,jemesuisévanoui.Heureusement,l'undemescollèguesécrivainsadesdonsdevoyance.Touteslesdeuxsemaines,jedîneavecdesconfrèresdansunbistrot,onseracontenoshistoires.Jevaiscesserd'yallerd'ailleurs,cesdînerssontsinistres.Medécouvrantavecmonpansementsurlenez,ils'estinquiétédemonsort,jeluiairacontécequim'arrivaitdepuisquej'avaisachetécepresse-papiers.Ilafermélesyeuxetm'ademandésiunvisageétaitincrustédansleverre.–Vousneleluiaviezpasprécisé?–Peut-être,jenem'ensouvienspas.Bref,ilm'asuggérédem'endébarrasser
auplusvite,maisenveillantànesurtoutpas lecasser,pournepas libérer lespuissancesmaléfiques,cequicoulaitdesource,évidemment.
–Vousl'avezmisàlapoubelle?questionnaMiaenserrantleslèvres.–Mieuxqueça.Jel'aiemballédansungroschiffonetbienficelé.J'airepris
mavoiture,j'airouléjusqu'aupontdel'Almaetplouf,danslaSeine.Mianeputsecontenirpluslongtempsetéclataderire.–Surtoutnechangezpas,dit-elle,lesyeuxhumides.Jevousadore.Paullaregarda,interloqué,etseremitenmarche.–C'estunemanie,chezvous,devousmoquerdemoi.– Je vous jure que non... Et vos ennuis ont cessé quand vous avez noyé ce
presse-papiers?–Ehbienoui,figurez-vous.Toutestrentrédansl'ordre.Miaritdeplusbelleets'accrochaàsonbrasquandPaulaccéléralepas.Ils passèrent devant une librairie spécialisée enmanuscrits anciens.Dans la
vitrinetrônaientunelettredeVictorHugoetunpoèmedeRimbaudgriffonnésurunefeuilledecahier.Mialesregarda,émue.–Unpoèmeouunebellelettrenepeuventpasportermalheur,n'est-cepas?–Non,jenepensepas,repritPaul.Ellepoussalaportedumagasin.–C'estsibeaudetenirentresesmainsunelettred'unécrivainillustre,c'estun
peucommeentrerdanssonintimité,devenirsonconfident.Dansunsiècle,desgens comme nous s'émerveilleront en découvrant celles que vous adressiez àvotretraductrice.Elleseradevenuevotrefemmeetceslettresaurontmarquéledébutd'unecorrespondanceprécieuse.–Jenesuispasunécrivainillustre,jeneleseraijamais.–Jenepartagepasvotreavis.–Vousavezluundemesromans?–Deux.Etleslettresdelamèredanslepremierm'ontfaitpleurer.–C'estvrai?–Jenepeuxpascracher ici,ceseraitduplusmauvaiseffet, ilvafalloirme
croiresurparole.–Jesuisdésolédevousavoirfaitpleurer.– Vous n'en avez pas l'air, c'est la première fois que je vous vois sourire
aujourd'hui.– J'avoue être content, pas que vous ayez pleuré... si, un peu quandmême.
Pourfêterça,jevousemmènedégusterunepâtisseriechezLadurée.C'estàdeuxpasetsivousn'avezjamaisgoûtéleursmacaronsvousn'avezpasencoreconnulavoluptéabsolue.Enfin,peut-êtrequevoussi,puisquevousêteschef.
–D'accord,maisensuiteilfaudraquejeretourneaurestaurant,macuisinenesauraitêtrevoluptueusesijenesuispasàmesfourneaux.Ilsprirentplaceàunetabled'angleetcommandèrentunchocolatchaudpour
Mia,uncafépourPauletunassortimentdemacarons.Laserveuse,enpréparantleurplateau,ne lesquittaitpasdesyeux ;PauletMia lasurprirenten traindechuchoteravecsacollèguetoutenlesregardant.Merde,ellem'areconnue.Oùsontlestoilettes?Non,paslestoilettes,elleva
luiparlerenmonabsence.Sielleraconteàquiquecesoitm'avoirvue iciencompagnied'unhomme,Crestonme tue.Luiaffirmerqu'ellemeconfondavecquelqu'und'autre,etêtreconvaincante,c'estlaseulechoseàfaire.Laserveuserevintquelquesinstantplustardet,disposantlestasses,demanda
d'unevoixtimide:–Excusez-moi,maisc'estfoucequevousressemblezà...– Je ne ressemble à personne, rétorqua Paul d'un ton autoritaire, je ne suis
personne!Fortgênée,lajeunefemmes'éloignaaprèss'êtreexcusée.Mia,dontlevisages'étaitempourpré,mitseslunettesdesoleiletseretourna
versPaul.–Jesuisdésolé,s'excusa-t-il,celam'arrivedetempsàautre.–Jecomprends,réponditMiadontlecœurbattaitàcentàl'heure.Iln'yapas
qu'àSéoulquevousêtescélèbre.–Danscequartier,peut-êtreunpeu,maispasau-delà.Croyez-moi, jepeux
passer deux heures dans une Fnac sans qu'un libraire me reconnaisse, et tantmieuxd'ailleurs.C'estunelectrice,jen'auraispasdûréagirainsi,jesuistimide,jevousl'aidit,non?–Tonegovientdemesauver lavie !Cen'estpasgrave.Laprochaine fois,
apportez-luiundevoslivresdédicacés,çaluiferasûrementplaisir.–C'estuneexcellenteidée.–Aufait,oùenestvotrecantatrice?–Lecritiquel'asuivieenbasdechezelle.Ill'aabordée,sansluirévélerses
soupçons. Il se présente comme écrivain, prétend qu'elle ressemble aupersonnagedesonroman.Jecroisqu'ilcommenceàéprouverdessentimentsquiletroublent.–Etelle?– Je l'ignore, il est trop tôt pour le dire. Elle ne lui avoue pas qu'elle a
remarquésaprésencedepuis longtemps,elleapeur,etenmêmetemps,ellesesentmoinsseule.
–Qu'est-cequ'ellevadécider?–Defuirjepense,pourpréserversonsecret.Ellenepeutêtresincèreaveclui
et lui mentir sur sa véritable identité. J'imaginais faire intervenir son ancienimprésario.Qu'enpensez-vous?–Jenesaispas,ilfaudraitd'abordquejeliseavantdevousdonnerunavis.–Çavousplairaitdedécouvrirmespremierschapitres?–Sivouslesouhaitez,j'enseraistrèsheureuse.–Jen'aijamaisdonnéàlireundemesmanuscritsavantqu'ilnesoitterminé,
saufàKyong.Maisvotreopinionpourraitbeaucoupcompter.–Parfait,quandvousvoussentirezprêt,jeseraivotrepremièrelectrice,etje
vousprometsd'êtrefrancheavecvous.–Demoncôté,j'aimeraisvenirunsoirgoûteràvotrecuisine.–Non,jen'ytienspas.Unchefn'estjamaistrèsfréquentableenpleinservice.
Beaucoupd'agitation,desueur...nem'envoulezpas,maisvraimentjenepréfèrepas.–Jecomprends,ditPaul.Ils se séparèrent devant la station de métro Saint-Germain-des-Prés. Paul
passaenbasdechezsonéditeuretcrutl'apercevoiràlafenêtredesonbureau.Ilcontinuasoncheminetrentrachezlui.Ilconsacralasoiréeàsonmanuscrit,tentantd'imaginercequ'allaitdevenirsa
cantatricedéchue.Plus il avançaitdans sonhistoire etplus elle empruntait lesexpressions deMia, sa façon demarcher, de répondre à une question par uneautrequestion, son sourire fragilequandelle était émue, ses éclatsde rire, sesregardsabsents,sonélégancediscrète.Ilsemitaulitalorsquelejourselevait.
*
Paulfutréveilléparunappeldesonéditeurendébutd'après-midi.Cristonelil'attendait à son bureau. En chemin, il s'arrêta pour s'acheter un croissant, lemangeaauvolantdesaSaabetarrivaavecseulementunedemi-heurederetard.Cristonelil'accueillitàbrasouvertsetPaulredoutauncoupfourré.–J'aideuxbonnesnouvelles,s'exclamal'éditeur,toutàfaitrapatantes.–Commencezparlamauvaise!Cristonelil'observa,étonné.–J'aireçuunmessagedesCoréens,vousêtesinvitéaujournaldusoirquisera
suivid'unegrandeémissionlittéraire.–Etlabonne?
–Maisenfin,jeviensdevousladonner!– J'ai un trac à défaillir quand je fais une signature où il y a plus de vingt
personnes,commentvoulez-vousquejepasseàlatélé?Vousavezenviequejetournedel'œilendirect?–Vousneserezquetouslesdeuxsurleplateau,aucuneraisond'avoirletrac.–Touslesdeux?–Murakamiestl'invitéprincipal.Vousrendez-vouscomptedelachanceque
vousavez?– De mieux en mieux, je serai à l'antenne avec Murakami. Avant de
m'évanouir,jevaispeut-êtrevomirsurleschaussuresduprésentateur,ceseraduplusbeleffet.–Trèsbonneidée,celaferaitprobablementvendredestonnesdelivresdèsle
lendemain.–Vousentendezcequejevousdis?Jesuisincapabledepasseràlatélé,je
vaissuffoquer,jesuffoquedéjà,jevaismourirenCoréedevantdesmillionsdetéléspectateurs,vousaurezétécompliced'unmeurtre.– Arrêtez votre cinéma, vous n'aurez qu'à prendre un bon cognac avant
d'entrerenscèneettoutirabien.–Bourréàl'antenne,jevaisêtrerapatant!–Fumezunpetittruc.–J'aifuméunpetittrucunefoisdansmavieetpendantdeuxjours,j'aivudes
nidsdevachesauplafonddemachambre.– Écoutez, mon cher Paul, vous prendrez sur vous et tout se déroulera à
merveille.–Vousaviezditdeuxnouvelles,quelleétaitl'autre?–Enraisondeceprogrammedepressequinecessedeseremplir,votredépart
estavancé.Paul partit sans saluer son éditeur.Avant de quitter les lieux, il emporta un
exemplairedesondernierromanquitraînaitsurunetabledansl'entrée.Il descendit la rue Bonaparte et s'arrêta devant la vitrine de la librairie de
livresanciens.Ilentraàl'intérieuretenressortitunquartd'heureplustardaprèsavoir âprement négocié un petit bristol rédigé de la main de Jane Austen,payableentroismensualités.Poursuivantsonchemin,ilfithaltedanslapâtisserie,repéralaserveuseetlui
demandasonprénom.–Isabelle,répondit-elle,étonnée.
Paulouvritl'exemplairedesonromanetécrivitsurlapremièrepage.ÀIsabelle,fidèlelectrice,avecmesremerciementsetmesexcusespourhier.Bienamicalement.PaulBartonIlluitenditl'ouvrage,ellelutladédicacesansrienycomprendre.La politesse prenant le dessus, elle le remercia, abandonna le livre sur le
comptoiretrepritsontravail.
*
Ileutenvied'appelerArthur,mais ilnesavaitplussisonamiétaitencoreàRomeoudéjàdansl'avionquileramenaitenCalifornie.RueJacob, ilauraitaimétrouverunmagasinoùpouvoiracheterunfrèreou
unesœur,àdéfautenlouerunquelquesheures.Ilsevoyaitdéjàseuldanssonappartement, enproie àunecrisedepanique. Il récupéra savoiturequ'il avaitgaréedevantl'hôtelBelAmi,ritjauneenregardantlefrontispice,etfonçaversMontmartre.
*
–Pourunefoisquej'aidelachance,marmonna-t-ilendénichantuneplacedestationnementrueNorvins.Ilsegaraetremontalarueàpied.–Ellem'a interditdevenirdînerdans son restaurantmaispasde lui rendre
visite.C'estdélicatou indélicat ? Je risquede ladéranger, enmême temps, jen'enaipaspourlongtemps,jeluidonnesonpetitcadeau,lespremierschapitresdemonroman,etjem'envais.Non,paslespagesduromanaveclecadeau,ellepourrait croire que les deux intentions sont liées. J'entre, je le lui offre et jeressors.Oui,c'estbiencommeça,c'estmêmeparfaitcommeça.Paul rebroussa chemin, rangea son manuscrit dans le coffre de la Saab et
garda sur lui la belle enveloppe enrubannéequi contenait le petitmot de JaneAusten.Quelquesinstantsplustard,ilpassadevantLaClamada,jetaunœilàtravers
lavitrineets'immobilisanet.Mia,vêtued'ungrandtablierparme,dressaitlecouvert.Daisy, que l'on apercevait dans sa cuisine au fond de la salle, semblait lui
donnerdesordres.Paulobservalascèneetpressalepas,dissimulantsonvisagederrièresamain.
Dèsqu'ileutdépassélerestaurant,ilaccéléraencore,jusqu'àlaplaceduTertre.
–Pourquoicemensonge,quelleimportancequ'ellesoitserveuseoupatronned'un restaurant ? Et on raille l'ego des hommes... alors là ! Qu'est-ce qu'ellepensait?Quejenevoudraispasêtreamiavecuneserveuse?Ellem'aprispourqui ? D'accord, je n'ai pas été très aimable avec celle de Ladurée, mais sonbobard avait commencé bien avant. Je t'en ficherais des « ma cuisine estvoluptueuse » ! En même temps, ce n'est pas très très grave. En d'autrescirconstances,jemesuisaussifaitpasserpourunautre.Réfléchissons,soitjelaconfonds...ceseraitjouissifmaisméchant,soitjenedisrienetjeluitendsuneperchepourqu'elleavouelavérité.Ceseraitplusélégant.
Ils'installasurunbanc,pritsonportableetenvoyauntextoàMia.–Toutvabien?Miasentitvibrersontéléphonedanslapochedesontablier.Lanuitdernière,
Davidluiavaitadressétroismessages,lasuppliantdelerappeler.Jusque-là,elleavait tenubon,ellen'allaitpascraquermaintenant.Ellearrangealesserviettes,enlorgnantdanslapochekangouroudesontablier.–Turegardessitonnombrilesttoujourslà?demandaDaisy.–Non!–Davidinsisteencore?–Jepense.–Coupeceportableoulissonmessage,tuvasmecasserdelavaisselle.Miasortitsontéléphoneet,souriant,pianotasurleclavier.–Oui,etvous?–Vousauriezunpetitmomentàmeconsacrer?–Jesuisencuisine.–Jen'enauraipaspourlongtemps.–Jeveuxbienvousappeler,maispuisquec'estvousquimeledemandez,n'espérezpasqueçacompte!–Jesuissurunbanc,placeduTertre,sansmoncirécettefois.–Toutvabien?–Oui.Vousvenez?–Donnez-moicinqminutes.
Daisy,uneloucheàlamain,observaitMia.–Tum'excuses,lançaMia.J'aiunecourseàfaire.Tun'asbesoinderien?–Sicen'estdequelqu'unpours'occuperdelasalle,non!– Le couvert est mis et la salle est vide. Je reviens dans un quart d'heure,
réponditMiaenôtantsontablier.Elleseregardadanslemiroirau-dessusdubar,arrangeasacoiffure,pritson
sacetchaussaseslunettesdesoleil.–TumerapportesdesKrisprolls,ditDaisy.Miahaussalesépaules.–Jevaisjustefaireunepetitecourse.Elleaccéléra lepas,passadevant lecaricaturistesans lesalueretchercha le
bancoùPaulétaitassis.–Qu'est-cequevousfaitesici?s'enquit-elleens'asseyantprèsdelui.–J'étaisvenuvousapportermespremierschapitresetcommejesuisunidiot
fini,jelesaioubliéschezmoi.J'auraistrouvébêtederepartirsansvousvoir.–C'estgentil.–Vousn'avezpasl'airdansvotreassiette...sansmauvaisjeudemots.–Jen'aipasbeaucoupdormi.J'aifaituncauchemar,cettenuit.–Uncauchemar,c'estunrêvequiamalvieilli.Mialeregardalonguement.–Pourquoimefixez-vouscommeça?repritPaul.–Pour avoir dit cela, j'aurais envie de vous embrasser maintenant... Pour
rien.–Unangepassa.–Puisquevousavezoubliévoschapitres,donnez-moiaumoinsdesnouvelles
denotrecantatrice.–Ellevabien.Enfaitnon,elleaunproblème.–Grave?– Elle aimerait se lier d'amitié avec le critique. Il est vrai qu'il redouble
d'attentionsàsonégard.–Qu'est-cequil'enempêche?– Peut-être le fait de ne pas lui avoir révélé la vérité à son sujet. Peut-être
qu'ellen'assumepaslefaitd'êtreunesimpleouvreuse.–Quelleimportance?–Jemeledemande,justement.
–Cegenredepréjugéestdépassé.–Depuisquand?–S'ilenestencorelà,ilnelaméritepas.–Jesuisbiend'accordavecvous.–Non,çanetientpaslaroute.Vousdevezluitrouverunautreproblème.–Lecritiquen'aplusdedoutesursavéritableidentité.–Maisellel'ignore.–Certes,maiscommentpeut-elleêtresincèreaveclui,sielleluiment?MiafixaPaulduregardetfitglisserseslunettesdesoleilsurleboutdeson
nez.–Vousveniezd'oùquandvousm'avezappelée?–DeSaint-Germain,pourquoi?–Vousavezoffertvotrelivreàlaserveused'hier?–C'estdrôlequevousmeposiezcettequestion,parcequelaréponseestoui.Miasentitsoncœurs'emballer.–Quevousa-t-elledit?–Àpeineunmerciduboutdeslèvres.Elledoitêtrerancunière.–Riend'autre?–Non,ilyavaitbeaucoupdemonde,elleareprissontravail,etjesuisreparti
demoncôté.Miaremitseslunettes,soulagée.– Je ne vais pas pouvoir rester longtemps, dit-elle. Vous vouliez me dire
quelque chose de particulier ?Vous non plus, vous n'avez pas l'air dans votreassiette.–JemesuisrenduàSaint-Germainparcequemonéditeurm'avaitconvoqué.
MonvoyageenCoréeestavancé.–C'estuneexcellentenouvelle,vousreverrezvotreamieplustôt.– Lamauvaise nouvelle c'est ce quim'amène à avancer ce voyage. Je suis
invitéàuneémissiondetélévision.–C'estformidable!–Cequiestformidable,c'estquejefaisdelatachycardiedepuisqu'ilmel'a
appris.Qu'est-cequejevaisbienpouvoirdireouraconterdanscetteémission,c'estterrifiant!–Faceauxcaméras,cenesontpaslesmotsquicomptentmaisleurmusique.
Vosproposn'aurontquepeud'importancedumomentquevous souriez ; et sivousavezletrac,lestéléspectateurstrouverontcelacharmant.–Vousyconnaissezquoi,encaméras?Vousn'avezjamaisétésurunplateau
detélé.Bon,alors!–Non,eneffet,répliquaMiaentoussotant,etsicelam'arrivaitjeseraisaussi
terroriséequevous.Jeparlaisentantquespectatrice.–Tenez, dit Paul en sortant de sa poche l'enveloppe enrubannée, c'est pour
vous.–Qu'est-cequec'est?–Ouvrez,vousverrez.Attention,c'estfragile.Miapritlepetitmotcontenudansl'enveloppeetlelut.– « Trois livres de carottes, une livre de farine, un paquet de sucre, une
douzaine d'œufs, une pinte de lait... », récitaMia.C'est très gentil dem'offrircela,vousvoulezquejefassevoscourses?–Regardezlasignatureenbas,soupiraPaul.–JaneAusten!s'exclamaMia.–Enpersonne ! Je reconnaisquecen'estpas saprose laplus illustre,mais
vousvouliezquelquechosed'intime.Lesgens illustresdoivent senourrir, euxaussi.Sansréfléchir,MiaposaunbaisersurlajouedePaul.–C'estsidélicatdevotrepart,jenesaispasquoidire.–Neditesrien.Miatenaitlapetiteficheentresesmains,caressantl'encreduboutdel'index.–Onnesaitjamais,repritPaul,cettenotevousinspirerapeut-êtreunerecette.
J'aiimaginéquevouspourriezl'encadreretl'accrocherdansvotrecuisine.D'unecertaine façon, Jane Austen sera auprès de vous quand vous êtes à vosfourneaux.–Onnem'avaitjamaisrienoffertdepareil.–Cen'estqu'unpetitmorceaudeBristol.–Rédigéetsignédelamaind'unedesplusgrandesécrivainesanglaises.–Celavousplaîtvraiment?–Jenem'ensépareraijamais!–J'ensuisheureux.Filez,vousavezprobablementquelquechosesurlefeu,je
nevoudraispasqueleplatdujoursoittropcuitàcausedemoi.–Vousm'avezfaitunemerveilleusesurprise.–Noussommesd'accordquecettevisiteétaitimprévue?–Oui,pourquoi?–Donc,çanecomptepas!–Non,çanecomptepas.MiaselevaetembrassaànouveauPaulsurlajoueavantderepartir.
Lecaricaturisten'avaitrienperdudelascène.Pauletluilavirentdescendrelarue.
*
QuandellearrivadevantLaClamada,sontéléphonevibraencore.–Votrerestaurantestferméledimanche?–Oui.–Voussavezcequimeferaitplaisir?–Non.–Découvrirvotrecuisine.Miasemorditlalèvre.–Nouspourrionsdéjeunerchezvous,entoutbientouthonneur.MiaregardaDaisyàtraverslavitrine.–Macolocataireseralà.–Vouscuisinerezpourtrois.Ellepoussalaportedurestaurant.–Alorsàdimanche,vousconnaissezl'adresse,c'estaudernierétage.–Àdimanche.–Merci,signéMiaAusten☺–Tuastrouvécequetucherchais?questionnaDaisyensortantdesacuisine.–Ilfautquejeteparle.–Enfin!
*
DaisyrefusacatégoriquementdeparticiperauprojetdeMia.–Tunepeuxpasme laisser tomber,etmoi jenepeuxpas le recevoirseule
cheztoi.–Etpourquoipas?
–Ceseraitambigu.–Parcequelà,çanel'estpas?–Non,iln'arienditoufaitquipuisseprêteràconfusion.–Jeneparlaispasdeluimaisdetoi.–Jetelerépète,entrenous,c'estledébutd'uneamitié.Jenesuispasguérie
deDavid.–Tun'avaispasbesoindemelepréciser,ilsuffitderegardertatêtequandton
portablevibre.Iln'empêchequetujouesàunjeudangereux.– Je ne joue pas, je vis. Il est drôle, il ne cherche pas à me séduire. Il a
quelqu'un,elleestloin,nousnefaisonsriendemal,nousluttonschacuncontrenotresolitude.–Ehbien,demainmidi,vousallezcontinuerdeluttersansmoi.–Jenesaismêmepasprépareruneomelette!–Ilsuffitdecasserdesœufsetdebattreavecunpeudecrème.–Paslapeined'êtreméchante,jetedemandaisunservice,riendeplus.–Jenesuispasméchante,jeneveuxpasêtrecompliced'unfiasco.–Pourquoituvoistoujourstoutennoir?–Jenepeuxpascroirequecesoittoiquimedisesça.Tucomptesluirévéler
un jour la vérité à ton ami ? Tu t'identifies à ton rôle de serveuse au pointd'oublierquitues?Queferas-tuquandtonfilmsortiraensalle,quandtuserasenpromotion?–PaulpartbientôtenCorée,ilvaprobablements'yinstaller.Lemomentvenu,
jeluiécriraietluiavouerailavérité.Entre-temps,ilauraretrouvésatraductriceetilseraheureux.–Tuvoislaviecommeunscénario.–Trèsbien,jevaisannuler.–Tunevasrienannuler,ceseraitgrossier.Tuvasjouertonrôlejusqu'aubout,
aurisquedet'enmordrelesdoigts.–Pourquoitumefaisça?– Parce que ! râla Daisy avant d'aller accueillir des clients qui venaient
d'entrer.
13.
Mia venait de jeter à la poubelle sa troisième omelette. La première avaitbrûlé,ladeuxièmeétaitpâteuse,latroisièmeressemblaitvaguementàdesœufsbrouillés.La table, elle, était plaisante. Trois couverts étaient dressés –Mia préférant
annoncerun fauxbonddeDaisy à la dernièreminutequededevoir expliquersonabsence–,unbouquetdefleursdisposéaucentreainsiqu'unecorbeilledeviennoiseries.Aumoins, ilyauraitquelquechosedecomestible.Sonportablevibra,elleselavalesmainsetlesavant-brasmaculésdejaunesd'œufs,rouvritleréfrigérateur pour la dixième fois et pria pour que Paul lui annonce qu'il nepouvaitpasvenir.
–Jesuisenbas.–Montez.Ellejetaunultimecoupd'œilàlapièceetcourutouvrirlafenêtre.Lemanche
en bakélite d'une casserole où elle avait voulu tiédir une compote de pommesachetéeàl'épicerieavaitprisuncoupdechaud,dégageantuneodeurâcre.Onsonna.Paulentra,unpetitpaquetàlamain.–C'estadorable,qu'est-cequec'est?questionnaMia.–Unebougieparfumée.–Onva l'allumer immédiatement,dit-elle, avecunepenséevenimeusepour
Daisy.–Bonneidée.Çaneserapasduluxe,ondiraitqu'elleacuisinéungratinde
pneus.–Vousdisiezquelquechose?–Non,jetrouvaisl'appartementcharmantetquellevuesublime.Elleestmal
àl'aise,jen'auraispasdûm'inviter.Jepourraisluiproposerd'allers'installeràlaterrassed'unrestaurant,ilfaituntempsmagnifique.Non,elles'estdonnéun
maldechien,ceseraitencorepire.– On va commencer par les croissants. Voilà, très bonne idée, je vais le
bourrerdecroissantsetdepetitspainsauchocolat jusqu'àcequ'ilexplose,etaprèsjepasserail'aspirateur.– C'est votre seul jour de congé et je vous force à faire la cuisine, c'est
maladroit, jen'auraispasdûm'imposerainsi.Quediriez-vousd'uneterrasseausoleil?–Siçavoustente...Dieuexiste!Pardon,Seigneur,d'avoirparfoisdoutéde
toi,demain,c'estpromis,j'iraiallumerunciergeàl'église.– Enfin, je vous propose ça mais vous vous êtes donné du mal et je ne
voudraispasparaîtreindélicat,c'étaitmêmepournepasl'êtrequejevousoffraisdesortir.–Dixcierges!Vingt,situveux!–Vraiment,soyezàl'aise,c'estcommevousvoulez.– C'est vrai qu'il fait beau aujourd'hui, j'aurais dû installer la table sur le
balcon...Maistuesconneouquoideproposerça?–Vousvoulezquejemettelecouvertdehors?–Àquelleterrassedecafépensiez-vous?s'enquitMiad'unevoixfébrile.–Aucuneenparticulier.Jemeursdefaim.–Tuattrapestonsacavantqu'ilnechanged'avis,tuluidisquec'estuneidée
génialeettucoursdansl'escalier.Laportede l'appartements'ouvrit. Ils se retournèrent tousdeux.Daisyentra
avecdeuxgrandscabas.–Tuauraispuaumoinsenprendreun,dit-elleenlesposantsurlecomptoir.Ellesortittroisgrandsplatsrecouvertsdepapieraluminium.– Bonjour, je suis Daisy, l'associée de Mia, et vous, vous êtes l'écrivain
suédois?–Oui,maisnon...américain.–C'estcequejevoulaisdire.–Qu'est-cequec'est?demandaPaulenlorgnantlecomptoir.– Le brunch !Mon associée est un cordon-bleu,mais pour le service, c'est
toujoursmoiquim'ycolle,mêmeledimanche,jetrouveceladétestable.–Tu charries, protestaMia, ce n'était pas tout à fait cuit, il fallait bien que
quelqu'unmettelatable.DaisypassadevantMiaenluimarchantsurlespieds.– Voyons ce que tu nous as préparé, reprit Daisy en ôtant les feuilles
d'aluminium.Unepissaladière,unetourtedeblettes,etdespetitsfarcis.Siona
faimaprèscela,iln'yauraplusqu'àchangerdecuisinière!–Çasenttrèsbon,complimentaPaulens'adressantàMia.Daisysemitàrenifler,unefois,deuxfois,àlatroisièmeelleavançaversla
table,repéralabougieparfumée,fitunegrimaceensoufflantsurlaflamme,etallalajeterdirectementdanslapoubelle,sansmanquerdesourireenvoyantsoncontenu.–Ehbiença,c'estfait,déclaraPaul,unpeusurpris.D'ungestecomplice,Mialuilaissaentendrequesonassociéeavaitparfoisdes
comportementsbizarres.Échangequin'échappapasàDaisy.–Onpasseàtable!ordonna-t-elleavecuntonpince-sans-rire.
*
Paul souhaitait savoir comment elles étaient devenues amies.Mia se mit àraconter le premier voyage en Angleterre de Daisy. Daisy l'interrompit pourraconterceluideMiaenProvence,lapeurqu'elleavaitdescigales.Elledécrivitleursescapadesnocturnes,leursmilleetuncoupspendables.Paull'écoutad'uneoreilledistante,pensantsanscesseàsonadolescenceavecArthur,àlapensionoùilss'étaientconnus,àlamaisondeCarmel.Aumomentducafé,Pauldutrépondreàsontourauxmultiplesquestionsde
Daisy. Pourquoi vivait-il à Paris, qu'est-ce qui lui avait donné envie d'écrire,quelsétaientsesmaîtresàpenseretsourcesd'inspiration,safaçondetravailler.Paul se prêta au jeu et lui répondit de bonne grâce. Le déjeuner fila sans lemoindresilence,saufpourMiaquisetaisaitetlesobservait.Elleselevapourdébarrasserlesassiettesetpassaderrièrelecomptoir.Unpeu
plustard,Paulcherchaàattirersonattention,maiselledemeuraconcentréesurlavaisselle.Endébutd'après-midi,iltirasarévérence,lesremerciatoutesdeuxdel'avoir
accueilli et félicitaMia pour cet excellent repas. Il ne s'était pas régalé ainsidepuis longtemps. En partant, il promit à Daisy de mettre la Provence àl'honneur dans l'un de ses chapitres. C'est elle qui le raccompagna jusqu'aupalier.Miaessuyaitlesplats,ellelesaluadelamain.Illevalesyeuxauciel,etpartit.Daisyrefermalaporteetattendituninstant.–Ilestbeaucoupmieuxenvraiquesurlaphotodulivre,dit-elleenbâillant.
Jevaisfaireunesieste,jesuiscrevée.C'étaitbon,n'est-cepas?Entoutcas,ilaeul'aird'appréciermacuisine...enfin,tacuisine.Sur cesmots,Daisy entra dans sa chambre,Mia dans la sienne et les deux
amiesneseparlèrentplusdelajournée.
*
Allongéesursonlit,MiapritsonportableetreluttouslesmessagesdeDavid.Endébutdesoirée,elleenfilaunjean,unpull-overlégeretclaqualaporteen
sortant.
*
Letaxiladéposaplacedel'Alma.Elles'installaàlaterrassed'unebrasserie,commandaunecoupedechampagne roséqu'ellebutd'un trait, unœil sur sonportable. Elle demandait au garçon de lui en servir une autre quand l'écrans'illumina.Cettefoispasdetextomaisunappel.Ellehésitaavantdedécrocher.–Qu'est-cequec'étaitquecedéjeuner?questionnaPaul.–Unbrunchniçois!–D'accord,jouonsauximbéciles.–Jemedemandequiétaitl'imbécile!–Oùêtes-vous?–Àl'Alma.–Quefaites-vousàl'Alma?–Jecontemplelepont.–Ahbon?Maispourquoi?–Parcequejel'aime,j'ailedroit?–Etd'oùlecontemplez-vous?–DepuislaterrassedeChezFrancis.–J'arrive.Paularrivaquatrecoupesdechampagneplustard.Ilabandonnasavoitureen
doublefileetrejoignitMia.–Vousavezbiendigéré?questionna-t-elle.–Jememoquequevousnesachiezpascuisineretencoreplusquevoussoyez
serveuseoupatronne,maiscequejen'acceptepas,c'estquevousayezmontécestratagèmepourmeprésentervotreamie.Miaaccusalecoup.–Ellet'aplu,oupas?–Onsetutoie,maintenant?–Non,onsevouvoie,c'estplusapproprié,n'est-cepas?–Daisyestravissante,pétillanteetfincordon-bleu,concédaPaulenélevantla
voix,mais c'est àmoi seul de décider qui je veux ou ne veux pas rencontrer.J'interdisàmesvieuxamisd'interférerdansmavieprivée,alorstoi,enfinvous.–Vousvoulezlarevoir?renchéritMiaenparlantencoreplusfortquePaul.Ettandisqu'ilssedisputaient,leursvisagesserapprochaientpeuàpeu,tantet
sibienqueleurslèvressefrôlèrent.Ilsenrestèrenttousdeuxmuets,stupéfaitsavantdesereprendre.–J'aidétestécemomentchezvous,ditPauld'unevoixcalme.–Moiaussi.–Nousétionsloin.–Oui,nousl'étions.–Cettenuit, j'écriraiunescènededisputeetderéconciliation.J'aimatièreà
noircirdespagesetdespages.–Alorscedéjeunern'étaitpastotalementinutile.Sivousvoulezmonavis,ce
seraitbienqu'ils'excuseetluidisequ'ilavaittort.Pauls'emparaduverredeMiaetlevidad'untrait.–Vousavezassezbucommeçaetj'avaissoif.Nemeregardezpasaveccetair
desaintenitouche,vosyeuxbrillentetvoustrahissent.Jevousreconduis.–Non,jevaisrentrerentaxi.Paulpritl'additionsurlatable.–Ahoui,sixcoupestoutdemême!–Mêmepasbourrée!–Cessezdemecontrediretoutletemps.Jevousraccompagne,c'estunordre.IlentraînaMiaverslavoiture.Ellechancelaunpeusurletrottoir,ill'installa
danslaSaabavantdesemettreauvolant.Ils roulèrent en silence jusqu'à la rue Poulbot. Paul se rangea devant
l'immeubleetdescendit.–Çavaaller?s'inquiéta-t-ilenluiouvrantlaportière.–C'estunpeutendulà-haut,maisnousavonsdéjàeudesmots,çapassera.–Jeparlaisdelamontéed'escalier.–J'aibuunpeudechampagne,jenesuispasuneivrogne!–JequitteParisàlafindelasemaine,annonça-t-ilenbaissantlesyeux.–Déjà?– Je vous avais dit quemon départ était avancé, vous n'écoutez jamais les
hommesquandilsvousparlent.Mialuibalançauncoupdecoude.–Onnepeutpasenresteràcedéjeuner,repritPaul.–Quand,àlafindelasemaine?
–Vendredimatin.–Àquelleheure?–Monaviondécolleà13h30.Nousaurionspudînerensembleavant,mais
voustravaillez...–Laveilledudépart,ceseraitunpeutriste.Mercredi,alors?–Oui,mercredi,ceseraitbien.Quelrestaurantvousferaitplaisir?–Chezvous,20heures.MiaembrassaPaulsurlajoue,poussalaportecochère,seretourna,luisourit
etdisparutdansl'immeuble.
*
L'appartement était plongé dans le noir. Mia jura en se cognant contre unfauteuil,évitalatablebassedejustesse,entradansunplacardpourenressortiraussitôt et réussit enfin à gagner sa chambre. Elle se glissa dans ses draps ets'endormit.Paulaussi,enrentrantchezlui,ouvritunplacard.Ilhésitaentredeuxvalises,
choisitlapluspetiteetlaposaaupieddesonlit.Durantunegrandepartiedelanuit,ilcherchasesmotsdevantsonordinateur.Vers3heuresdumatin,ilenvoyaunmailàKyong,luirappelantlenumérodesonvoletsonheured'arrivée.Puis,ilallasecoucher.
*
Daisyétaitassiseàlatabledupetitdéjeuner.QuandMiasortitdesachambre,elleluiservitunthéetl'encourageaàvenirs'asseoirenfaced'elle.–Qu'est-cequit'apris,hier?–J'allaisteposerlamêmequestion.–Tuveuxsavoirpourquoi je suisvenueà tonsecours,pourquoi j'aicuisiné
tout mon dimanche matin pour que tu puisses être, une fois de plus, lamerveilleuse,l'extraordinaireMia,cellequiréussittout?–Jet'enprie,nesoispashypocrite,tufaisaisunnumérodeséductioncomme
jet'airarementvueenjouer.–Venantd'uneactriceaussi talentueuse, jeprendscelapouruncompliment.
Etpuistunevoulaispasmeleprésenter?–Si,maispaspourquetufassestonaguicheuse.J'avaisvraimentl'impression
d'êtredetrop.–Jemedemandesiàforcedetournerdansdesfilms,tunefinispasparcroire
quec'estlemondequitourneautourdetoi.
–C'est ça, prends-le sur ce ton. Tu as raison, de toute façon tu as toujoursraison.–Aumoins,j'avaisraisonsurunechose.Tuesloind'êtreaussiinnocenteque
tuleprétendsdanscepetitjeu.Ettuyasprisgoût.–Tum'emmerdes,Daisy.–Toiaussi,tum'emmerdes,Mia.–D'accord,ons'emmerdemutuellement,jevaisbouclermonsac,j'iraidormir
àl'hôtel.–Quandvas-tutedécideràgrandir?–Lorsquejeseraiaussivieillequetoi!–Davidm'atéléphoné.–Quoi?–Jesuisplusvieillequetoidetroismois,maisc'esttoiquiessourde.–Ilt'aappeléequand?–HiermatinpendantquejepréparaisunetourteauxblettespourtonSuédois.–Arrêteavecça!Qu'est-cequ'iltevoulait?– Que je te convainque de répondre à ses messages et de lui donner une
chance.–Qu'est-cequetuluiasrépondu?– Que je n'étais pas le facteur. Qu'il t'avait fait beaucoup de mal, et qu'il
faudraitqu'ilsoittrèscréatifpourtereconquérir.–Pourquoidevrais-jeluidonneruneautrechance?–Parcequ'ilesttonmari.«JenesuispasguériedeDavid»,cesontbientes
motslorsquetut'épanchaissurmonépaulel'autresoir,n'est-cepas?D'accord,David a eu une aventure, une passade, mais c'est toi qu'il aime.Mia, tu doisremettre de l'ordre dans tes idées. Le jour où tu as débarqué chez moi, tuprétendaisvouloirunprésentrienqu'àtoi.Tul'aseuceprésent.Seulement,dansquelquesjours,tonamiaméricainpartiraretrouversacopineenCoréeettoi,tuferas quoi ? Serveuse dans un bistrot àMontmartre pour continuer de fuir tavie?Combiendetemps?–JeneveuxpasrentreràLondres,pasmaintenant,jenemesenspasprête.– Soit,mais réfléchis bien. Si tu veux sauver ton couple, n'attends pas que
David tourne la page. Prends garde, la solitude et toi n'avez jamais fait bonménage. Je te connais depuis trop longtemps pour que tu me prétendes lecontraire.Quetusouffresparlafauted'unautre,çajen'ypeuxrien,maisjeneveuxpastevoirsouffrirpartafauteàtoi.Jesuistonamieetsijemetaisais,jem'ensentiraisresponsable.
–Allonsouvrirlerestaurant,tut'installerasencuisineetmoijemettrailasalleenordre.Nousparleronsdenosvacances,onpourraitpartirquelques joursenGrèce,touteslesdeux,enseptembre...– Septembre est encore loin, en attendant, profitons de ces deux dernières
journéessanssedisputer.–Cesdeuxdernièresjournées?–J'aiembauchéuneserveuse,ellecommencemercredi.–Pourquoituasfaitça?–Pourtoi.
14.
L'avant-veilledesondépart,Pauls'étaitcouchéversminuitetavaitmissonréveil.À9heures,ilsortitdechezlui,s'arrêtaprendreuncafé,saluaMoustacheet partit faire son marché. Première escale chez le primeur dont l'étalagerayonnaitdecouleurs.Ilfilaensuitechezsonboucher,fithalteàlapoissonnerie,puischezlefromager,pourterminersonpéripleàlapâtisserie.Parvenuenbasdesonimmeuble,ilfitdemi-tour,directionlecaviste.Ilychoisitdeuxbouteillesd'ungrandbordeaux,vérifiasalistedecoursesetrentraenfinchezlui.Ilconsacralerestedesontempsencuisine,mitlecouvertvers16heures,prit
unbainà17,s'habillaà18ets'installadanssoncanapé,essayantderelired'unœilsesdernierschapitres,l'autreétantoccupéàsurveillersamontre.
*
Mia s'était octroyé une grassematinée.La veille, elle avait fêté son dernierserviceensalleavecDaisyd'unsoupercopieusementarrosé.Fortéméchées,lesdeuxamiesétaientpartieschercherlegrandairplaceduTertrepourtenterdesedégriser.Assisessurunbanc,ellesyavaient refait lemondesansarrivernullepart.MiaavaitnéanmoinsréussiàarracheràDaisylapromessequ'ellefermeraitLaClamadaauxderniersjoursdeseptembre,pourlespasseravecelleenGrèce.Àmidi,Miaallasepromener,remontaplaceduTertreetsalualecaricaturiste.
Ellepetit-déjeunaà la terrassed'uncafé,etse renditchez lecoiffeur.Puiselles'arrêtadansunmagasinetenressortitavecunejolierobeprintanière.Ellerentraàl'appartementvers17heuresetsefitcoulerungrandbain.
*
À19h30,Paulvérifialatempératuredufour,fitrissolerlesécrevisses,hachale bouquet d'herbes fraîches avant de lesmélanger à sa salade, para ses côtesd'agneaud'unecroûtedeparmesan,retournavérifierqu'ilnemanquaitriensurlatable,débouchalevinpourlelaissers'aérer,retournalireausalon,revintquinze
minutes plus tard en cuisine pour enfourner le carré d'agneau, repartit vers lesalon, jeta unœil à la fenêtre, se regarda dans lemiroir, remit les pans de sachemisedanssonpantalon,lesressortitaussitôt,abaissalatempératuredufour,jetaunnouveaucoupd'œilàlafenêtre,sepenchantcettefoispourmieuxvoirlarue, décida d'aérer la pièce, sortit le carré d'agneau du four, se rassit dans lecanapé, vérifia l'heure à samontre, envoya un premier SMS, reprit sa lecture,envoya un deuxième SMS à 21 heures, souffla les bougies du chandelier à21h30etenvoyauntroisièmeSMSà22heures.
*
–Pourquoisurveilles-tusansarrêttonportable?–Pourrien,c'estunehabitude.–Mia,regarde-moidanslesyeux,j'aitraversélaManchepourteretrouver.–Jeteregardedanslesyeux,David.–Oùallais-tuquandj'aisonnéchezDaisy?–Nullepart.–Tuétaismaquillée,coiffée,d'ailleurs,qu'est-cequit'aprisdetecouperles
cheveuxcommeça?–L'enviedechangerdetête.–Tunem'aspasrépondu,tuavaisrendez-vousavecquelqu'un?–J'allaissautermonamant,sic'estcequetuveuxm'entendredire.Etlà,nous
serionsquittes.–Jesuisvenupourqu'onseréconcilie.–Tul'asrevue?–Non,jetelerépète,jesuisseulàLondresdepuistondépartetjen'aipensé
qu'àtoi.Jet'aienvoyédesdizainesdemessages,tunem'asjamaisrépondu,alorsmevoilà...Jet'aime,j'aifaituneconnerie,jenemelepardonnepas.–Maistuvoudraisquemoi,jetepardonne.– Je voudrais que tu donnes une seconde chance à notre mariage, que tu
comprennesquecetécartétaitsansconséquences.–Pourtoi,peut-être.–J'étaismaldansmapeau,cetournagenousavaitmisàrudeépreuve,tuétais
inaccessible.J'aiétéfaibleetjeseraisprêtàtoutpourquetumepardonnes.Jeneteferaiplusjamaissouffrir,tuasmaparole.Situacceptaisdetireruntraitsurcetteerreur,d'oubliersonexistence...–Poserledoigtsurlatouched'unclavieretregarderlepassés'effacercomme
lespagesd'unmanuscrit...,murmuraMia.
–Qu'est-cequeturacontes?–Rien.DavidsaisitlamaindeMiaetl'embrassa.Ellel'observa,lagorgenouée.Pourquoi me fais-tu cet effet, pourquoi ne suis-je plus moi-même en ta
présence?–Àquoipenses-tu?–Ànous.–Tuveuxbiennousdonnercettechance.Tutesouviensdecethôtel?Nousy
avionsdormilorsdenotrepremièreescapadeàParis,onvenaitdeserencontrer.MiaexaminalasuiteréservéeparDavid.LesecrétaireLouisXVI,sachaise
Lyreetlabergèrequimeublaientlepetitsalon,etdanslachambre,legrandlitàlapolonaisesurmontédesondais.–Àl'époque,nousdormionsdansunepetitechambre.–Nousavonsfaitduchemindepuis,poursuivitDavidenlaprenantdansses
bras.Demain,nouspourrionsànouveaujouerlestouristes,nousremonterionslaSeineenbateau-mouche,nousirionsmêmemangerdesglacessurl'îledelaCité,jenemesouviensplusdunomdecetendroit,maistuavaisadoré.–C'étaitsurl'îleSaint-Louis.–Alorsvapourl'îleSaint-Louis.Jet'enprie,Mia,resteavecmoicesoir.–Jen'aiprisaucunesaffaires.David entraînaMia vers la penderie. Sur les cintres, pendaient trois robes,
deuxjupes,deuxhauts,deuxpantalonsdetoile,deuxpull-oversenV.Ilouvritlestiroirsoùétaientrangéesquatreparuresdelingerie.Puisill'emmenaverslasalledebainsauxmarbresrutilants.Surlavasqueétaientposéesunetroussedemaquillageetunebrosseàdents.– Je suis arrivé cematin par le premier avion et j'ai consacréma journée à
fairedushoppingenpensantàtoi.–Jesuisfatiguée,allonsnouscoucher,dit-elle.–Tun'aspas touché tonassietteau restaurant, tuveuxque je tecommande
quelquechoseauprèsduroomservice?–Non,jen'aipasfaim,jeveuxjustedormir,etréfléchir.–C'esttoutréfléchi,conclutDavidenlaprenantdanssesbras.Nousrestons
ensemblecettenuitetdemainnousrepartonsdezéro.Mia le repoussa doucement vers la chambre et referma à clé la porte de la
salledebains.Elle ouvrit les robinets, prit son portable et fit défiler les messages qu'elle
avaitreçusaucoursdelasoirée.
–Toutestprêt,dépêche-toi.–Qu'est-cequetufais?çavaêtretropcuit.–Situesretenueaurestaurant,cen'estpasgrave,jecomprends.Dis-moijustequetoutvabien.EllerelisaitpourlatroisièmefoiscederniermessagedePaulquandl'appareil
vibradanslecreuxdesamain.–Jevaisécrire.Jecoupemonportable.Onseparlerademain,oupas.Ilétaitpresqueminuit,Miaéteignitsontéléphone,ôtasesvêtementsetentra
dansladouche.
*
Paul dévala les escaliers, poussa la porte cochère et inspira l'air du soir àpleinspoumons.Moustachebaissaitlerideaudeferdesoncafé.Ilentenditdespasetseretourna.–Qu'est-cequevousfaiteslà,monsieurPaul,àtraînersurletrottoircomme
uneâmeenpeine?–Jepromènemonchien.–Vousavezunchien,maintenant?Ilestoù,ilestparticourirlagueuse?–Vousavezfaim,Moustache?–J'aitoujoursunpetitcreux,maislà,macuisineestfermée.–Paslamienne.Venez.Enentrantdansl'appartementdePaul,Moustaches'étonnad'ydécouvrirune
table nappée d'un coton blanc, où trônait un chandelier au centre d'un couvertélégammentdressé.–Saladeprintanièreauxécrevisses,carréd'agneauencroûtedeparmesanet
unsaint-honoréendessert...ah,j'oubliais,untrèsbeauplateaudefromagesetunSargetdeGruaud-Larose2009pouraccompagnerletout,çavousira?demandaPaul.– Faudrait être difficile,mais ôtez-moi d'un doute, ce dîner aux chandelles,
c'estpaspourmoiquevousl'avezpréparé,monsieurPaul?Parceque...–Non,Moustache,cen'étaitpaspourvous,d'ailleurs lecarréd'agneausera
tropcuit.–Jecomprends,réponditMoustacheendépliantsaserviette.Lesdeuxhommessoupèrentjusquetarddanslanuit.Moustacheparladeson
Auvergne natale qu'il avait quittée à vingt ans pour devenir louchébem. Ilracontasonmariage,sondivorce,l'acquisitiondesonpremiercaféàlaBastilleavant que les Bobos n'envahissent l'arrondissement – il n'aurait jamais dû levendre –, puis du suivant à Belleville avant que les mêmes Bobos ne s'yinstallent,etsondéménagementdansunquartierdontledevenirnefaisaitaucundoute.Paulneracontarien,ilécoutasoninvité,perdudanssespensées.À2heuresdumatin,Moustache tira sa révérence en félicitantPaul pour la
qualitédesacuisine.Surlepasdelaporte,illuitapotal'épauleetsoupira.–Vousêtesunchic type,monsieurPaul.J'ai jamais luvos livres, la lecture,
c'est pasmon truc,mais les gens du quartierm'en ont dit le plus grand bien.Quandvousreviendrezdelà-bas,jevousemmèneraidînerdansunendroitoùseretrouventlestravailleursdelanuit.Celistrobemn'estpasdanslesguides,maissonlatronpucheestunsacrécuistot,vousm'endirezdesnouvelles.Paulluiconfiaundoubledesesclésenluiavouantqu'ilnesavaitpasquandil
reviendrait.Moustacheglissaletrousseaudanssapocheetsortitsansunmot.
15.
Il faisait frais ce jeudi-là. Naviguant sur la Seine, David évoqua quelquesanecdotesde leurpremier séjour àParis.Mais revenir sur lagrèvene fait paspourautantremonterlamarée.Ilspartagèrentuneglacesurl'îleSaint-Louis,etretournèrentàl'hôtel.Ilsyfirentl'amourettraînèrentunpeuaulit.En milieu d'après-midi, David appela le concierge afin qu'il réserve deux
places pour la meilleure pièce de théâtre du moment, ainsi que deux billetsd'avion pour Londres le lendemain. En raccrochant, il annonça à Mia que lemoment était venu de rentrer chez eux. Il lui proposa de l'accompagner pourrécupérersesaffairesàMontmartre.Mia répondit qu'ellepréférerait préparer savalise seule.Elle irait embrasser
Daisyavantdelerejoindre.Elleluipromitd'êtreàl'heureetquittalasuite.La voiture de maître la déposa rue Poulbot. Mia pria le chauffeur de bien
vouloirl'attendre.Ellemontaàl'appartement,laissantsamainglisserlentementsurlarambardedel'escalier.Savalisebouclée,ellesortitduplacard leportraitdeDaisy,avantdequitter
l'appartement.
*
Paul imprima ses chapitres, rangea les feuillets dans un dossier qu'il glissadanssavalise.Il vida le contenu du réfrigérateur, ferma les volets et vérifia les robinets.
Enfin,ilfitletourdesonappartement,descenditlespoubellesetpartitrejoindresonéditeur.
*
En quittant Montmartre, Mia demanda au chauffeur de la conduire rue deBretagne.
–Vouspouvezvousarrêterlàuninstant?dit-elledevantlenuméro38.Elle baissa la vitre et y passa la tête. Les volets du quatrième étage étaient
clos.Quand la voiture redémarra, elle prit son portable pour relire le message
qu'elleavaitreçuenfindematinée.Mia,Jesuisencolèremaisjeneveuxpasquetulesaches.Cettenuit,j'aipoussémacantatricesousunbus,ellen'avaitqu'àfaireattentionentraversant.J'aiappelélerestaurant,Daisym'aditqu'ilnet'étaitrienarrivédegrave,c'estl'essentiel.Jecomprendstonsilence,c'estpeut-êtremieuxainsi,lesaurevoirn'ontaucunsens.Mercipourcesmomentsprécieux.Prendssoindetoi,mêmesicettephrasen'aaucunsens.PaulEnarrivantà l'hôtel,Mias'inventaunemigraine.Davidprévint leconcierge
delibérerlesplacesdethéâtreetfitmonterleurrepasdanslasuite.
*
À 23 heures, Daisy salua ses derniers clients. En rentrant dans sonappartement elle découvrit un portrait d'elle accompagné d'un petitmot sur lecomptoirdelacuisine.
MaDaisy,JereparsenAngleterre.Jen'aipaseulecouragedepasseraurestaurant.Jesuisjalousedeta
nouvelleserveuse.Lavérité,c'estqu'entevoyant,j'auraisprobablementchangéd'avis.Cesjournéesquetum'asoffertesàParism'ontdessinéunenouvellevie,uneviequejem'étaismiseàaimer.Maisj'aientendutesconseils,alors,jeretourneàlamienneettelaisseàlatienne.JetetéléphoneraideLondresd'iciquelquesjours,quandj'auraireprismesmarques.J'ignoresi
tusavaisqueDavidallaitvenirmechercher,tuasbienfaitdenepasm'enavertir.Jenesauraijamaiscommentteremercierd'êtremonamie,d'êtretoujourslàquandj'aibesoinde
toi,demetenirtête,deprendrelerisquequel'onsefâcheneserait-cequ'unsoir,pournejamaismementir.Moi,jet'aimenti,tusaisàquelsujet,etjem'enexcuse.Cedessindetoi,c'estuncaricaturistedelaplacequil'aréalisé.Tulereconnaîtrasfacilement,il
estassezbelhomme,presqueaussibeauqueleregardqu'ilportesurtoi.Tumemanquesdéjà.Tonamiequit'aimecommeunesœur.MiaPS:N'oubliepastapromesse.Finseptembre,laGrèceseraànousetànousseules.Jem'occupe
detout.Daisy se précipita sur son téléphone. N'arrivant pas à joindreMia, elle lui
textaunmessage.J'espèrequejevaistemanquerautantquetumemanques.Manouvelleserveuseestunecruche,
elleadupoilsouslesbrasetacassédeuxassiettes.Tuasintérêtàmetéléphonertrèsvite.Sois folle, mais pas au point d'écoutermes conseils. Je t'en supplie, ne le fais jamais. Sauf en
cuisine,tameilleureamieestnulleentoutetparticulièrementencequiconcernelavie.Moiaussijet'aimecommeunesœur.
*
Le chauffeur emprunta la bretelle quimenait vers l'aéroport. Il se rangea lelongdutrottoir.Davidouvritlaportière,ettenditlamainàMia.Elleallaitsortirdelavoiturequandlesportesduterminals'ouvrirent.Miaavaitsuffisammentdemétier pour reconnaître des paparazzi, surtout quand ces derniers ne prenaientmêmepas lapeinedesecacher.Elleen repéradeuxplantésdevant lesbornesd'enregistrement.Salaud!Quid'autrequetoipouvaitlesavoirprévenus?TavisiteàParis,ton
numéro de charme, c'était pour qu'on nous voie ensemble. Sur le bateau-mouche, tu te serais trahi,maisà l'aéroport, c'est le hasard, bien sûr.Etmoi,commeuneconne,jet'aicru...–Tuviens?s'impatientaDavid.–Attends-moi à l'intérieur, je voudrais appelerDaisy, un truc de fille à lui
dire.–Jem'occupedesvalises?–Non,vas-y,lechauffeurs'enchargera,onterejointdanscinqminutes.–D'accord,jevaisacheterdesjournaux,maisnetardepas.Dès que David s'éloigna, Mia referma la portière et se pencha vers le
chauffeur.–Quelestvotreprénom?–Maurice,madame.–Maurice,vousconnaissezbiencetaéroport?–J'yconduisdespassagersenmoyennequatreàsixfoisparjour.–Voussavezd'oùpartentlesvolspourl'Asie?–Duterminal2E.–AlorsMaurice,levoldeSéouldécolledansquarante-cinqminutes,sivous
m'yamenezdanslescinqminutes,vousaurezunénormepourboire,promit-elleenfouillantsonsac.Lechauffeurdémarrasurleschapeauxderoues.–Vousacceptezlescartesdecrédit?repritMiaconfuse.Jen'aipasdeliquide
surmoi.–Vousallezleprendre,cetavion?–Jevaisessayer.
–Oubliezlepourboire,dit-ilenslalomantentreuntaxietunbus.Jetrouvecetypeimbuvable.Lavoiture roula à touteberzingue et, troisminutesplus tard, elle se rangea
devantleterminal2E.Lechauffeurseprécipitapourouvrirlecoffre,ensortitlavalisedeMiaetla
posasurletrottoir.–Qu'est-cequejefaisdelasienne?–Vousvenezd'hériterd'unecollectiondepullsencachemire,etdechemises
ensoie.Merci,Maurice.Miaattrapasonbagageetsehâtaverslazoned'enregistrement.Ilnerestaitqu'uneseulehôtessederrièrelescomptoirs.–Bonjour,jedoispartiràSéoul,c'esturgent.L'hôtesseesquissaunemouedubitative.–J'étaisentraindefermerlevoletjecrainsquetoutsoitcomplet.–Jesuisprêteàvoyagerdanslestoilettess'illefaut.–Pendantonzeheures? renchérit l'hôtesseen relevant la tête. Jepeuxvous
mettresurlevoldedemain.–S'ilvousplaît,imploraMiaenôtantseslunettes.L'hôtessel'observaetsonvisages'éclaira.–Vousêtes...?–Oui,jesuis!Vouspouvezm'obtenirunsiège?–Vousauriezdûmeledireplustôt,ilm'enresteunenpremière,maisc'estdu
pleintarif.Miaposasacartedecréditsurlecomptoir.–Quelledatepourleretour?s'enquitl'hôtesse.–Jen'enaiaucuneidée.–Ilm'enfautune.–Danshuitjours,oudansdix,ouquinze...–Huit,dixouquinze?–Quinze!S'ilvousplaît,dépêchez-vous.L'hôtessesemitàtaperàtoutevitessesursonclavier.–Votrevalise!Ilesttroptardpourl'enregistrer...Mias'agenouillapourouvrirsonbagage,pritsatroussedetoiletteetquelques
affairesqu'ellefourradanssonsac.–Jevousoffrelereste!– Mais non, je ne peux pas, dit l'hôtesse en se penchant par-dessus son
comptoir.–Maissi,vouspouvez.–Dansquelhôteldescendez-vous?–Jen'ensaisrien.L'hôtesse, qui n'en était plus à une surprise près, tendit à Mia sa carte
d'embarquement.–Maintenantcourez,jeprévienslechefdepasserellederetarderlafermeture
desportes.Mia prit son billet, ôta ses escarpins et se précipita vers la sécurité, ses
chaussuresàlamain.Elle arrivahorsd'haleinedans la coursive, repéra laporte, hurlapourqu'on
l'attendeetneralentitlepasqu'unefoislapasserellegagnée.Avant d'entrer dans l'avion, elle essaya de retrouver un semblant de
contenanceettenditsacarted'embarquementaustewardquil'accueillitavecungrandsourire.–C'étaitmoinsune,vousêtesassiseau2A,dit-ilenluidésignantsonsiège.Miapassadevantlefauteuilsanss'yarrêteretremontalatravée.Lestewardeutbeaul'appeler,ellepoursuivitsonchemin.Elles'arrêtadevantunerangée,tenditsacarted'embarquementàunpassager
etluiannonçaqu'ilvenaitd'êtresurclasséenpremière.L'hommeneselefitpasdiredeuxfoisetcédasaplace.Mia ouvrit le compartiment à bagages, réussit à y loger son sac entre deux
valisescabinesets'abandonnasursonsiègeenpoussantungrandsoupir.Paulnerelevapaslatêtedujournalqu'ilfeuilletait.Le steward annonça aumicro la fermeture des portes.Les passagers étaient
priésdebouclerleurceintureetdecouperleursappareilsélectroniques.Paulrangeasonmagazinedanslapochettedevantluietfermalesyeux.–Onenparleouonsefaitlagueulependantonzeheures?lâchaMia.–Pourl'instant,onsetaitetonmeurt.Unsuppositoiredetroiscentstonnesva
essayerdequitterleplancherdesvaches,etquoiqu'ondise,c'estcontrenature.Alors jusqu'à ce qu'il soit en haut, on respire, on se calme, et on ne fait riend'autre.–D'accord,réponditMia.–Lebilletenpremière,çavousacoûtécombien?–Jecroyaisqu'onsetaisait?–Vousn'auriezpasunanesthésiantsurvous?–Non.
–UnValium?–Nonplus.– Une batte de baseball, alors ? Si vous pouviez avoir l'obligeance de
m'assommeretdenemeranimerqu'unefoisarrivés.–Calmez-vous,toutvabiensepasser.–Vousêtespilote?–Donnez-moivotremain.–Jenepréfèrepas,elleestmoite.MiaposalasiennesurlepoignetdePaul.–Qu'est-cequevousaviezpréparéàdîner?–Vouspouveztoujourscourirpourlesavoir!–Vousnemedemandezpaspourquoijenesuispasvenue?–Non.C'estnormal,cebruit?–Cesontlesréacteurs.–Etc'estnormalqu'ilsfassentautantdebruit?–Sivousvoulezqu'ondécolle,oui.–Alors,est-cequ'ilsfontassezdebruit?–Ilsfontexactementlebruitqu'ilfaut.–Leboum-boumquej'entends,c'estquoi?–Votrecœur.
*
L'avion s'éleva dans les airs. Peu après le décollage quelques turbulencessecouèrentlacarlingue.Paulserralesdents,sonfrontruisselait.–Vousn'avezaucuneraisond'avoirpeur,lerassuraMia.–Iln'estpasnécessaired'avoirdesraisonspouravoirpeur,réponditPaul.IlregrettaitdenepasavoirgoûtéaupetitcadeauqueCristoneliluiavaitoffert
enl'accompagnantàl'aéroport.Untabacàpriserdesacompositionquil'aurait,selon lui, soulagé de toute inquiétude pendant quelques heures. Paul,hypocondriaque au point d'hésiter à prendre de l'aspirine quand il avait unemigraine de crainte de faire une hémorragie, avait choisi de ne pas rajouterd'angoisseàsesangoisses.L'appareil atteignit son altitude de croisière et le personnel navigant
commençaàcirculerdanslesallées.–Ilssesontdétachés,c'estbonsigne!S'ilsselèvent,c'estquetoutvabien,
non?–Toutvabiendepuisledécollageettoutirabienjusqu'àl'atterrissage,maissi
vous restez cramponné aux accoudoirs pendant onze heures, je crains qu'il nefailleutiliserdesforcepsàl'arrivéepourvouslibérer.Paulexaminasesmainsblanchiesetdesserralesdoigts.L'hôtesse leurproposadesboissons,Mia s'étonnaquePaul se contented'un
verred'eau.–J'aientendudirequel'alcoolnefaisaitpasbonménageavecl'altitude.Miaoptapourunedoublerasadedegin.–Cen'estpeut-êtrepasvraipourlesAnglais,remarquaPaulenlaregardant
vidersonverred'untrait.Miafermalesyeuxetinspiraprofondément.Paull'observaitensilence.– Jecroyaisquenousavionsdécidédenepasenparler, enchaîna-t-elle, les
yeuxtoujoursclos.Paulrepritlalecturedesonmagazine.–J'aibeaucouptravaillécesdeuxdernièresnuits.Macantatriceavécuplein
d'aventures. Figurez-vous que son ex a refait surface et elle, évidemment, areplongé. Maintenant, reste à savoir si là, ça compte ou pas, poursuivit-il entournantnonchalammentunepage.D'ailleurs,jeneveuxpaslesavoir,çanemeregarde pas, j'avais juste envie de poser la question, c'est fait, maintenant,parlonsd'autrechose.–Qu'est-cequivousainspiréunetelleidée?–Jesuisromancier,quevoulez-vous,jegamberge.Paulrefermasonmagazine.– C'est de la voir malheureuse qui me chagrine. Je ne sais pas pourquoi,
pourtantc'estainsi.Lestewardlesinterrompitpourleurproposerunplateau-repas.Paulrefusale
sienetannonçaqueMian'avaitpasfaim.Ellevoulutprotester,maislestewardavançaitdéjàverslerangsuivant.–Enfin,dequoijememêle,jesuisaffamée!s'écria-t-elle.–Ah,maismoiaussi jemeursdefaim.Seulement,cespetitesbarquettesne
sont pas faites pour nous nourrir mais pour nous distraire, le jeu consiste àessayerdedevinercequ'ellescontiennent.Pauldéfit saceinturepourattrapersonsacdans lecompartimentàbagages.
Aussitôtrevenuàsaplace,ilensortitdixpetitesboîteshermétiques,etlesposasurlatablettedeMia.–Qu'est-cequec'est?demanda-t-elle.–Çavousintéressedesavoircequej'aipréparé,cettefois?Miasoulevalescouverclesetdécouvritquatrepetitssandwichsdepaindemie
ausaumonfumé,deuxtranchesdeterrinedelégumes,deuxpetitsblocsdefoiegras,deuxsaladesdepommesde terreaux truffesnoireset,dans lesdernièresboîtes,deuxéclairsaucafé.ElleregardaPaul,étonnée.–Ehbienoui,pendantquejefaisaismavalise,j'aisongéquequitteàmourir
enl'airautantquecesoitenbeauté.–Etvousmangeztoujourspourdeux?–Jen'allaispasfestoyerpendantquemonvoisindesiège lorgneraitsurson
plateau-repasauborddusuicide,çam'auraitgâchéleplaisir.–Vouspensezvraimentàtout.–Seulementàl'essentiel,maisçam'occupedéjàbeaucoup.–Votretraductricevousattendàl'aéroport?–Jel'espère,réponditPaul,pourquoi?– Pour rien, enfin si... nous n'aurons qu'à prétendre que je suis votre
accompagnatrice,détachéeparvotremaisond'édition.–Non,nousn'auronsqu'àdirequenoussommesamis.–Sivousvoulez.– Et puisque nous sommes amis, si vousm'expliquiez ce que vous faites à
borddecetavionaulieud'êtredansvotrerestaurant.–Ilestdrôlementbon,cefoiegras,vousl'avezachetéoù?–Jevousprieraisdenepasmepiquermesrépliques.–J'avaisbesoindem'éloigner.–Dequoi?–Demoi.–Ilestdoncrevenu?–Disonsqu'elleaplongé,maiselleatrèsvitemanquéd'air,réponditMia.–Jesuiscontentquevoussoyezlà.–C'estvrai?–Non,jedisaisçapourêtrepoli.– Moi aussi, je suis contente d'être là. Depuis le temps que je rêvais de
découvrirSéoul.–Vraiment?–Non,jedisaisçapourêtrepolie.Àlafindurepas,Paulrangealesbarquettesdanslesacetseleva.–Vousallezoù?–Fairelavaisselle.–Vousplaisantez?
– Absolument pas, je ne vais pas leur laisser mes Tupperware, j'en auraibesoinauretour.–VousnecomptezplusvousinstallerenCorée?–Nousverronsbien.Ils consultèrent le programme des divertissements. Mia opta pour une
comédieromantiqueetPaulpourunthriller.Dixminutesplustard,Paulsuivaitle film qui défilait sur l'écran de Mia et Mia celui sur l'écran de Paul. Ilséchangèrentd'abordunregard,puisleursécouteurs,etenfinleursiège.
*
Paulfinitpars'endormiretMiaveillaàcequ'onne leréveillepasdurant ladescente.Ilrouvritlesyeuxlorsquelesrouesdel'appareiltouchèrentlesoletseraidittandisquelepiloteinversaitlapousséedesréacteurs.Mialerassura,soncauchemartouchaitàsafin,dansquelquesinstantsilsdébarqueraient.
*
Aprèslecontrôledespasseports,Paulrécupérasavalisesurletapisàbagagesetlaposasurunchariot.–Lavôtren'estpasencoresortie?s'inquiéta-t-il.–Jen'aiqueça,dit-elleenmontrantlabesacequ'elleportaitàl'épaule.Paul s'abstint de tout commentaire. Il contemplait les portes coulissantes
devant lui, essayant de réfléchir à la façon dont il se comporterait en lesfranchissant.
Un groupe d'une trentaine de lecteurs avait déployé une banderole où était
inscrit:«BienvenuePaulBarton».Miamitseslunettesnoires.–Aller jusqu'à recruterdes figurants, jedois reconnaîtrequ'ilsont l'artet la
manièrederecevoir,sifflaPaulàMiaenscrutantcesvisages,àlarecherchedeKyong.Iljetaunœilpar-dessussonépaule,Miaavaitdisparu.Ilcrutlavoirfranchir
leportillonetsefondredanslafoulequiattendaitlespassagers.Legroupeseprécipitaverslui,carnetsetstylosenmain,lesuppliantdesigner
desautographes.D'abordgêné,Paulsepliadebonnegrâceaujeudessignaturesjusqu'àcequesonéditeurcoréenviennedissipercepetitmondeetluitendeunemainchaleureuse.
–BienvenueàSéoul,monsieurBarton,c'estunhonneurdevousrecevoir.–Toutl'honneurestpourmoi,répliquaPaulencontinuantdescruterlafoule.
Ilnefallaitpas.–Ilnefallaitpasquoi?questionnal'éditeur.–Cesgens...–Nousavonsessayédelescontenir,maisvousêtestrèspopulaireicietvous
étiezattendu.Ilspatiententdepuisplusdetroisheures,voussavez.–Maispourquoi?– Pour vous voir, bien sûr, précisa l'éditeur. Allons-y, une voiture va nous
conduirejusqu'àvotrehôtel,vousdevezêtreépuiséaprèscelongvoyage.Mialesrejoignitàl'extérieurduterminal.–Madameestavecvous?s'enquitl'éditeur.Miaseprésenta.–MademoiselleGrinberg,jesuisl'assistantedeM.Barton.–Enchanté,mademoiselle,réponditl'éditeur,M.Cristonelinenousavaitpas
informédevotreprésence.– Le bureau de M. Barton s'est occupé directement de mon voyage, ceci
expliquecela.Paul en resta coi. L'éditeur les invita à prendre place dans la berline. Il
s'installaà l'avant,MiaetPaulà l'arrière,aprèsqu'ileut jetéundernier regardversletrottoir.Lavoituredémarraetsedirigeaverslecentreville.Paul,l'airabsent,observaitlepaysagedebanlieuedéfilerderrièrelavitre.– Ce soir, nous dînerons en petit comité, déclara l'éditeur. Quelques
collaborateursdelamaison,dontnotredirecteurdumarketing,MlleBak,votreattachéedepresse, ledirecteurde la librairie,oùvous ferezvos signatures, sejoindrontànous.Nevousinquiétezpas,celanedurerapastroplongtemps.Vousaurez besoin de repos, les journées à venir seront chargées. Voici votreprogramme, annonça-t-il en tendant une enveloppe à Mia. MademoiselleGrinberg,vousêteslogéedanslemêmeétablissementqueM.Barton?–Absolument,réponditMiaenregardantPaul.Paulneprêtaitaucuneattentionàlaconversation.Kyongn'étaitpasvenueà
l'aéroport. Il pensa que la présence de son patron l'en avait probablementempêchée.Mialuitapotalegenoupourlerappeleràl'ordre.– Paul, intervint-elle, votre éditeur vous demande si vous avez fait bon
voyage.
–Jesuppose.Jesuisrestéentrelesailesettouts'estbienpassé.–Nous comptons beaucoup sur cette émissionde télévision à laquelle vous
participerezdemain.Autreévénementconsidérable,l'ambassadeurorganiseuneréception lundienvotrehonneur.Yont étéconviésquelques journalistesainsiquedesmembreséminentsdelafacultédeSéoul.Jepréviendrailesecrétariatdel'ambassadeurdelaprésencedevotrecollaboratrice.–N'enfaitesrien,ditMia,M.Bartonpeuts'yrendresansmoi.–C'esthorsdequestion,nousseronsravisdevouscompterparminous,n'est-
cepas,monsieurBarton?Paul, le visage collé à la vitre, ne répondit pas. Comment Kyong se
comporterait-elle audîner ?Devait-il adopterunecertaine réserveà sonégardpournepasl'indisposerdevantsonemployeur?Mialuidonnauncoupdecoudediscret.–Oui?questionnaPaul.Devinantlafatiguequisemblaitaccablersonauteur,l'éditeurgardalesilence
jusqu'àl'hôtel.Lavoitureserangeasousl'auvent.Unejeunefemmevintàleurrencontre.– Mlle Bak vous assistera pour vos formalités d'enregistrement et vous
accompagnera au restaurant où je vous retrouverai ce soir. De mon côté, j'aiencore beaucoup à faire avant l'inauguration du Salon. D'ici là, reprenez desforces,jevoussalueetvousdisàtoutàl'heure.L'éditeurremontaàborddelavoiturequis'éloigna.MlleBakpriaPauletMiadebienvouloirluiremettreleurspasseportsetdela
suivrejusqu'àlaréception.Unchasseurs'emparadubagagedePaul.LeréceptionnisterougitenvoyantPaul.–C'estungrandhonneur,monsieurBarton.J'ailutousvoslivres,chuchota-t-
il.–C'esttrèsgentilàvous,réponditPaul.– Mademoiselle Grinberg, je ne trouve pas votre réservation, reprit-il, l'air
contrit,auriez-vousvotreconfirmation?–Non,jenel'aipas,ditMia.Le réceptionniste se remit à chercher dans l'ordinateur, plus gêné encore
lorsqueMlleBakluifitremarquerqueM.Bartonavaiteffectuéunlongvoyageetqu'illeurfaisaitperdredutemps.Paulrecouvrasesespritsetsepenchasurlecomptoir.–Ilyaprobablementuneerreur,dit-il,celaarriveàtoutlemonde;donnez-
nousuneautrechambre.–MaismonsieurBarton, l'hôtel est plein, je peux essayer auprès d'un autre
établissement, hélas avec le Salon du livre, je crains fort que tous n'affichentcomplet.Miaregardaitailleurs.–Bien,repritPaulsuruntonjovial,cen'estpasgrave.MlleGrinbergetmoi
travaillonsensembledepuistantd'années,unechambreàdeuxlitsferal'affaire.–Jen'enaiplusaucune,nousvousavionssurclassédansunesuite,maiselle
necomprendqu'unlit,trèsgranddureste,unKingSize!MlleBakétaitàdeuxdoigtsdedéfaillir.Paull'attiraàl'écart.–Vousavezdéjàprisl'avion,mademoiselleBak?–Non,jamaismonsieurBarton,pourquoi?–Parcequemoisi,etcroyez-moi,aprèsavoirpasséonzeheuresàdixmille
mètres d'altitude, séparé des nuages par une simple cloison et un petit hublot,plusrienencebasmondenepeutm'inquiéter.Nousallonspartagercettesuite,vousn'endirezrienàvotrepatron,niàpersonned'ailleurs,vousveillerezàcequecejeunehommeoubliejusqu'àlaprésencedeMlleGrinberg,etceciresteranotrepetitsecret.MlleBakdéglutitetsonvisagesemblaretrouversescouleurs.– Deux clés, dit Paul au réceptionniste en revenant vers lui. On y va,
mademoiselleGrinberg?ordonnaPaul,ironique,ensetournantversMia.Pasunmotnefutéchangédansl'ascenseur,nidanslelongcouloirquimenait
àlachambre,ettoujoursrienjusqu'àcequelechasseuraitdéposélavalisedePauletsesoitretiré.–Jesuisdésolée,ditMia,jen'avaispaspenséuneseconde...Paul s'allongea sur le canapé, ses jambes dépassaient de l'accoudoir à partir
desgenoux.–Çanevapasêtrepossible,soupira-t-ilenseredressant.Ilprituncoussin,leposasurlamoquetteets'allongea.–Çanonplus,enchaîna-t-il,ensefrottantlebasdudos.Ilouvritlapenderie,sehissasurlapointedespieds,attrapadeuxpolochonset
lesjuxtaposapourséparerlelitendeux.–Gaucheoudroite?demanda-t-il.– Il doit bien y avoir dans tout Séoul un Bed and Breakfast qui ait une
chambrelibre?s'exclamaMia–Bien sûr, et vous allez faire les petites annonces en coréen ?Nous allons
justeétablirquelquesrègles.Vousprendrezlasalledebainsenpremierlematin
etmoienpremier lesoir.Pour lechoixdesprogrammesde télévision, jevouslaisse la télécommande,mais pas de sport.Avant de dormir, vousmettrez desbouchons dans vos oreilles, je ne ronfle pas, mais au cas où, je tiens à madignité. Si d'aventure je parlais dansmon sommeil, rien de ce qui sera dit nepourra être retenucontremoi.Sousces conditions, je croisquenouspourronsnous accommoder de cette situation. J'ai assez demotifs de stress comme çapournepasenrajouter.Etpuisquelleidéevousaprisderaconterquevousétiezmonassistante?Franchement,j'aiunetêteàavoiruneassistante?–Jenecroispasqu'ilyaitdetêteparticulièrepouravoiruneassistante.–Vousenavezdéjàeu?Non?Bon!Vousavezaumoinsunebrosseàdents
dansvotresacparcequeça,jenepartagepas.Ledentifricejeveuxbien,maispaslabrosse,grommelaPaulenarpentantlachambre.–Nesoyezpassinerveux,vouslaverrezaudîner.– Devant quinze personnes ! Ce voyage commence sous les meilleurs
auspices. Jevaisdevoir appeleruneamiepar sonnomde famille et la femmeque j'aime en lui servant du Mlle Kyong. Rapatant comme dirait monmerveilleuxéditeur.–Merci,rétorquaMiaens'allongeantsurlelit.–Dequoi?–Votreamie...celametouchebeaucoup.Elleavaitplacésesmainssoussanuqueetfixaitleplafond.Paull'observa.–Vousavezchoisidedormircôtégauche?Miaenjambalescoussins,sautaàplusieursreprisessurlapartiedroitedulit
avantderevenirdel'autrecôté.–Finalement,jepréfèreàgauche.–Vousn'étiezpasobligéededéfoncertoutlelit.–Non,maisçamefaisaitplaisir.Puisquec'estl'après-midi,ontirelasallede
bainsàlacourtepaille?Paul haussa les épaules, pour lui signifier qu'elle pouvait en disposer. Il en
profitapourdéfairesavaliseet rangersesvêtementsdans lapenderie,cachantcaleçonsetchaussettessousunepiledechemises.Mia réapparut une demi-heure plus tard, en peignoir, une serviette nouée
autourdelatête.–Vouscomptiezlescarrelagesdeladouche?ironisaPaul.Enentrantdanssonbain,ilentenditMialuiparlerdepuislachambre.– Départ de l'hôtel à 11 heures, inauguration à midi, signature dédicace à
13heures,pausedéjeunerde14h15à14h30,signaturedédicacede14h30à
17 heures, retour à l'hôtel, redépart pour les studios de télévision à 18 h 30,maquillageà19heures,enplateauà19h30,findel'émissionà21heures,dîneret fin...Quand je pense que je me plains de mes plannings quand je fais lapromotiond'unfilm.–Qu'est-cequevousracontez?criaPaul.–Enbonneassistante,jevouslisaisvotreemploidutempsdedemain.Paulbondithorsdelasalledebains,emmitouflédansdesserviettes.Miaéclataderire.–Jenevoispascequ'ilyadedrôle!–Vousavezl'aird'unfakir.–Ai-jeentenduunquartd'heurepourdéjeuner?Ilsm'ontprispourqui?–Pourunecélébrité.L'accueilàl'aéroportétaitimpressionnant,sansparlerdu
réceptionniste,jesuistrèsfièredevous.–Ilyavaitplusdemondequim'attendaitàlasortiedecetavionquelorsque
jefaisdessignaturesenlibrairie;jesuiscertainquecesgensétaientpayéspourêtrelà.–Nesoyezpassimodesteet,jevousensupplie,allezvoushabiller,lepagne
nevousavantagepas.Paulouvritlaportedudressingetseregardadanslemiroir.– Je ne suis pas d'accord, ça me va plutôt bien, je devrais peut-être faire
l'émissiondanscettetenue.Çayest,j'ailetrac.Mia s'approcha de Paul, détailla le contenu de la penderie, décrocha un
pantalongris,unevestenoireetpritunechemiseblanchesurl'étagère.–Tenez,dit-elleenlesluitendant,voussereztrèsbiencommeça.–Vousêtessûrequelableueneseraitpasmieux?–Non,pasavecvotremine,ilestpréférablequelachemisesoitpluspâleque
votre visage ; après une ou deux nuits de repos nous verrons si le bleu vousconvient.Elle ouvrit son sac et constata que le peu de tenues qu'elle avait emportées
étaientfroissées.– Je vais rester là et commander un repas dans la chambre, soupira-t-elle,
abandonnanttoutparterre.– De combien de temps disposons-nous, mademoiselle Grinberg, avant ce
dîner?interrogeaPaulenempruntantuntonprécieux.–Deuxheures,monsieurBarton,etneprenezpasgoûtàcepetitjeucarvous
pourriezavoirmadémissionavantdel'avoircommencé.–Habillez-vousetjevousprieraisd'êtreunpeuplusrespectueuseenversvotre
employeur.–Oùallons-nous?–VisiterSéoul, c'est la seule chosequimevienneà l'esprit pournous tenir
éveillésjusqu'àcefoutudîner.Ils redescendirentdans lehall.En lesvoyant sortirde l'ascenseur,MlleBak
bonditetsemitaugarde-à-vous.Paul lui expliqua à l'oreille ce qu'il avait en tête. Elle s'inclina et ouvrit le
chemin.Mias'étonnadedevoirparcouriràpiedunboulevardquineprésentaitaucun
attrait touristique et son étonnement redoubla quand Mlle Bak entra dans uncentrecommercial.Paul,docile,suivaitleguideets'engageasurlesescalators.–Jepeuxsavoircequ'onfaitici?demandaMia.–Non,réponditPaul.Au troisième étage, Mlle Bak désigna une vitrine. Elle resta à l'entrée du
magasinetpriaPauldefaireappelàelles'ilavaitbesoindesesservices.Pauls'aventuraàl'intérieur,Mialuiemboîtalepas.– Offrir une robe à Kyong est une attention délicate, mais elle aurait
certainementpréféréqu'elleviennedeParis.–Jesais,jen'yavaispaspensé!–Nousallons tenterde réparercetteerreur,vousconnaissez sa tailleou ses
mensurations?–Sensiblementidentiquesauxvôtres.–Ahoui?Jel'imaginaispluspetitequemoi,etunpeugrosseaussi.Miafituntourd'horizonetsedirigeaversunrayonnage.–Tenez,cettejupeesttrèsjolie,cepantalonaussi,cehautestravissant,celui-
làégalement,cestroispullssontparfaits,etcetterobedusoir,duplusbeleffet.–Vousavezétécostumièredansuneautrevie?questionnaPaul,étonnéparla
rapiditéaveclaquelleMiaavaitsélectionnécesvêtements.–Non,répliqua-t-elle,j'aisimplementdugoût.Pauls'emparadetoutes lespiècesqueMiaavaitchoisiesavantdesediriger
versunecabined'essayage.–Siçanevousdérangepas...,reprit-ilentirantlerideau.– Que ne ferait pas une bonne assistante ! lâcha Mia en s'emparant des
vêtements.Elle entradans la cabine referma le rideaupour le rouvrir quelques instants
plus tard vêtue d'un premier ensemble. Elle pivota sur elle-même jouant aumannequin,lesourireforcé.
–Parfait,ditPaul,onessaielasuivante.Mias'exécutaàcontrecœur.Devantl'airperplexedePaul,Miafitdemi-touretréapparutvêtued'unautre
pull. Il alladécrocherune robenoirequi luiplaisait beaucoupet lapassapar-dessuslerideau.–Unpeutropmoulante,non?s'enquitMia.–Essayez-la,nousverronsbien.–Elleestmagnifique,avouaMiaenressortantdelacabine.–Jesais,j'aidugoût.Nouvelessai,Paultrouvalatenueparfaite.PendantqueMiaserhabillait,ilse
rendit à lacaisse régler sesachatset retrouvaMlleBakà l'entréedumagasin.Miaressortitdelacabineetlesobservaauloin.–Maisilseprendpourqui?Unepetitepoignéedefansàl'aéroportetçalui
monteàlatête.Situveuxjoueràlastar,tunesaispasàquituasaffaire,mongrand,ruminait-elleenlesrejoignant.–Onrentreàl'hôtel?–Unmerci,çavousarracheraitlalangue?–Merci,ditPaulenempruntantlesescalators.–Vousespérezfairesuccombervotretraductriceavecdeuxrobes?lâchaMia.–Etunejupe,troispulls,deuxpantalonsetdeuxhauts.–UnetourEiffelminiatureauraitsuffi,entoutcas,ça luiauraitprouvéque
vousn'aviezpaspenséàelleauderniermoment.Ilsregagnèrentleurchambresanss'êtreadressélaparole.Pauls'allongeaàla
droitedulit,lesmainsderrièrelanuque.–Voschaussures!s'exclamaMia.–Ellesnefrôlentmêmepaslacouette.–Ôtez-lesquandmême.–Àquelleheureviennent-ilsnouschercher?–Vousn'avezqu'àvousleveretconsultervotrefeuillederoute.–C'estmarrantquevousemployiezceterme,c'estcommeçaqu'onnommeun
planningdepromo.–Etçavousétonnequ'uneserveuseaitduvocabulaire!–C'estmoiquisuiscenséêtrenerveux,pasvous.–Moi,moi,moi, il n'y a que vous depuis que nous sommes arrivés. Soyez
nerveuxtoutseuletallezdînertoutseul,aussi.Detoutefaçon,jen'airienàmemettre.–Vousn'avezquel'embarrasduchoix,touscespaquetssontpourvous.Vous
avez vraiment imaginé que je comptais séduire Kyong en la couvrant decadeaux?C'estd'unvulgaire,vousm'avezprispourqui?–PourDavid...C'esttrèsgentildevotrepart,maisiln'enestpasquestion,il
n'yaaucuneraison...–Si,etvousvenezdelanommer,vosaffairessontrestéesàParis.Vousn'allez
pasporterlesmêmesvêtementspendanttoutleséjour.–J'iraim'enacheterdemain.–Vousavezdéjà faitune folieaveccebilletd'avion.C'était lamoindredes
chosesquejevousaideàmontour,vousm'aveztenulamain,unemainmoite,vousm'avezsoutenudanslavoiturefaceàcetéditeurquinecessaitdeparler,etsivousn'étiezpaslà, jeseraisenmiettesaumilieudecettesuitesinistre,danscethôtelsinistre,etdanscettevilleauboutdumonde.Alors,entoutbientouthonneur, nous allons suspendre ces vêtements dans la penderie, et je vousproposederéserverlarobenoirepourlasoiréechezl'ambassadeur.–Jetiensàvousrembourser,vousenavezeupourunefortune.–Moinon,Cristonelienrevanche...Jeluiaisoutiréuneavanceastronomique
avantd'acceptercevoyage.Miaemportaundessacsverslasalledebains.–Jevouslaisserangerlereste,jedoismepréparer.Lorsqu'elleenressortit,unedemi-heureplus tard,Paul la trouvaencoreplus
bellequelorsdesessayages,etelleétaitpourtantàpeinemaquillée.–Alors?dit-elle.–Renversante!...Pasmal,çavousvatrèsbien.–Lajupen'estpastropcourte?...Commentça,pasmal?–Vousêtessublime!...Non,jepensequ'elleestàlabonnetaille.–Tu sais combien d'hommes se damneraient pour être avecmoi dans cette
suite,ettoitumetrouvesjuste«pasmal»?...Etlehaut,pastropdécolleté?–Uncentimètredeplusetvousdéclencheriezuneémeutedanslerestaurant...
Non, juste ce qu'il faut, vraiment je vous assure, cette tenue vous vaparfaitement.–Attendsdevoirlatêtequeferatatraductriceenmevoyantettum'endiras
des«pasmal»...Puisquevousledites,jevousfaisconfiance.–Qu'est-cequit'arrive,monvieux?–Vousdisiezquelquechose?–Non,rien.Paullevalepouceetseretirapourallersepréparer.
*
En entrant dans le restaurant, Paul sentit les battements de son cœurs'accélérer.Avantdequitterl'hôtel,Mialuiavaitprodiguéquelquesconseilssurle comportement à adopter en de telles circonstances.Ne rien faire qui puisseindisposer Kyong devant ses employeurs, la laisser agir et attendre le bonmomentpour semanifester.S'ils étaient assis côte à côte, à défaut depouvoireffleurersamain,unfrôlementdegenouxseraitsuffisantpourlarassurer.Et au cas où il ne pourrait l'approcher sans éveiller de soupçons,Paul avait
confiéunpetitmotàMiapourqu'elleleremetteàKyongàlafindurepas.Quand tous les convives eurent pris place autour de la table, Paul et Mia
échangèrentunregard,Kyongn'avaitpasétéinvitée.Paul était célébré, les toasts en sonhonneur se succédaient.Ledirecteur du
marketingdesamaisond'éditioncoréenneenvisageaitderegroupersesouvragesau sein d'une collection destinée aux étudiants. Il voulut savoir si Paulaccepteraitd'yajouterunepréfaceoùilexpliqueraitpourquoiilavaitvouésonœuvre à une cause si difficile. Paul se demanda s'il se foutait de lui, maisl'anglaisdesoninterlocuteurétantloind'êtreparfait,ilpréféranerienrépondre.Lechefdelapublicitéluiprésentalacouverturedesondernierroman,montrantfièrement le bandeau qui mentionnait en caractères rouges :500 000 exemplaires. Chiffre tout à fait exemplaire pour un auteur étranger,ajouta l'éditeur. Le directeur de la librairie confirma qu'il ne s'écoulait pas unjoursansqu'onneleluiréclamel'ouvrageplusieursfois.MlleBakattenditsontour pour communiquer la liste des interviews auxquelles Paul devrait sesoumettre.Lejournaltéléviséavaitnégociéuneexclusivitéjusqu'àsonpassage,mais aussitôt libéréde cetteobligation, il aurait un entretien avec lequotidienChosun, un autre avec le magazine Elle coréen, une heure d'antenne sur lesondesdelaradioKBS,untête-à-têteavecunjournalistedeMovieWeeketunerencontre plus délicate avec le quotidienHankyoreh, connu pour ses positionsnonconservatricesetseulorganedepresseàsoutenirlapolitiqued'ouverturedugouvernement avec la Corée du Nord. Quand Paul demanda pourquoi leHankyoreh souhaitait l'interviewer, toute la tablée ritdeboncœur.Pauln'avaitpas lecœuràrireetsonhébétudecontrastaitavecl'entraindesesvoisins.Miavintàsarescousse,etposatouteunesériedequestionssurSéoul,letempsqu'ilyfaisaitaucoursdessaisons,leslieuxàvisiter,elleentamauneconversationsurlecinémacoréenavecl'éditeurdePaulquifutimpressionnéparsonéruditionenlamatière. Elle profita de ce rapprochement pour lui suggérer à l'oreille qu'il
seraitbond'écourterlasoirée,M.Bartonétantépuisé.Deretouràl'hôtel,Paulalladirectementsecoucher.Ilajustalepolochonqui
leséparaitdeMiaetéteignitsalampedechevetavantqu'ellenesoitsortiedelasalledebains.Mias'installasouslesdrapsetattenditquelquesinstants.–Vousdormez?–Non,j'attendaisquevousmeposiezlaquestionpourdormir.–Ellevousappellerademain,j'ensuiscertaine.–Commentpourriez-vousl'être,ellenem'amêmepasdéposéunmessageà
l'hôtel.–Ellevousavaitprévenudanssonmailqu'elleseraitdébordée.Ilarriveque
votretravailvousaccapareaupointquevousnepuissiezrienfaired'autre.Paulseredressaetpassalatêteau-dessusdupolochon.–Unpetitmessage,c'est tropdemander?Elleaéténomméeministrede la
Culture?Etpuispourquoiluicherchez-vousdesexcuses?– Parce que ça me chagrine de vous voir malheureux et je ne sais pas
pourquoi,pourtantc'estcommeça,réponditMiaenseredressantelleaussi.–Çadevientunemaniechezvousdemepiquermesrépliques.–Taisez-vous.Dans le silence, leurs visages se rapprochèrent et ce qui suivit fut d'une
tendresseinfinie.
*
–Vousnem'avezpasembrasséparpitié?interrogeaPaul.–Vousavezdéjàprisunegiflejusteaprèsunbaiser?–Non,pasencore.Miaposaseslèvressurlessiennesetluisouhaitabonnenuit.Puiselleajusta
lepolochonetéteignitsalampedechevet.–Çacomptaitoupas?demandaPauldanslenoir.–Dormez!réponditMia.
16.
Mias'amusaitbeaucoupàjouerlaparfaiteassistante,exagérantàoutrancesafaçond'appelerPaul«monsieurBarton»chaquefoisqu'elles'adressaitàlui.Et,chaquefois,Paulluilançaitunregardincendiaire.Durantl'inaugurationduSalon,tandisquelesflashscrépitaient,ellesetinten
retrait.LaséancededédicacemarquauneétapedanslaviedePaul.Troiscentspersonnesformaientunefilequis'étiraitbienau-delàdesportesde
la librairie. En découvrant l'ampleur de cet accueil, Mia songea à sa proprecarrièreetàCrestonqu'elleauraitdûappelerdepuislongtemps.Ildevaitsefaireunsangd'encre.Ellecherchaquelmensongeinventerpournepasluirévéleroùelleétait.Desoncôté,Paul,assisderrièreunbureau,continuaitd'enchaînerbonjourset
sourires,aveclaplusgrandedifficultéàorthographieroumêmecomprendrelenomdeslecteursquiseprésentaientàlui.Lelibrairesepenchaàsonoreillepourluiprésentersesexcuses.Ilétaitregrettablequesatraductricesoitsouffranteetn'aitpuvenir.–Kyongestmalade?luichuchotaPaul.–Non,c'estvotretraductricequiestmalade.–C'estcequejeviensdedire.–VotretraductriceseprénommeEun-Jeong.Unebousculadesoudainemituntermeàleurconversation,l'agentdesécurité
éconduisit quelques fans et ordonna au public de reformer une file devantl'estrade.
LapausedéjeunerfutprolongéesurordredeMia.M.Bartonavaitbesoinde
souffler. Paul fut escorté vers la cafétéria de l'établissement qui lui avait étéentièrement réservée. Il passa son temps à chercher des yeux le libraire, sansrésultat.–Vousavezl'airsoucieux?demandaMia.
–Jen'aipasl'habitudequ'ilyaitautantdemonde,j'ailetracetjesuisépuisé.–Onleseraitàmoins.Vousn'avezpastouchéàvotreassiette.Mangez,vous
aurezbesoindeforcepourlesecondround.C'estmerveilleuxcequivousarrive,voslecteurssontsiheureuxdevousvoir,c'estbouleversant,émouvant,n'est-cepas?Jesais,c'estfatigant,maisfaitesuneffortetsouriezunpeuplus.C'estlaplusbelledesrécompensesqued'êtreaimédesonpublic.Celadonneunsensànotretravail,ànotreexistence,àtoutcequ'onoffreauxautres.Quelplusgrandbonheurquedepartagercettejoieaveceux?–Vousenavezfaitbeaucoupdesignaturesdansvotrevie?–Cen'estpascequejevoulaisdire.–Entoutcas,moi,jen'enavaisjamaisconnudepareilleàcelle-ci.–Vousdevrezvousyhabituer.–Jenepensepas,cen'estpasmontruc.Jen'aipasquittélaCaliforniepour
vivreçaà l'étranger.Jenedispasquecenesoitpasplaisantet jesuis touché,maisjen'aipasl'étoffed'unestar.–Cetteétoffevouscolleraviteàlapeau,etvousyprendrezgoût,croyez-moi.–Jesuispersuadéducontraire,réponditPauld'untonrenfrogné.–Toujourssansnouvelles?demandaMiasuruntondétaché.–Toujours.–Ellevousendonnerabientôt.Paulrelevalatête.–Àproposd'hiersoir...–Ilesttempsderejoindrevotrepublicquis'impatiente,l'interrompitMiaen
selevant.Les agents de sécurité raccompagnèrent Paul à sa table de signature. Mia
demeuraàlacafétéria.Dèsqu'ellerouvrit,unejeunefanseprécipitaetchapardaleverredanslequelPaulavaitbu.Tuasl'airsidésarméfaceàcesuccès,tuasl'airsisincèrequandtuaffirmes
nepasvouloirdelacélébrité,etilfallaitquetumerencontres,moi...peut-êtrequenousnesommespascompatibles...,pensaMia.
*
Peuàpeu, la librairie sevidait.Ledernier lecteur fit un énième selfie avecPaulquiluioffritsonultimesouriredelajournée.Ilétaitexténuéeteutpresquedumalàseleverdesachaise.–C'estlarançondelagloire,ditlelibraireenvenantleremercier.Mial'attendaitprèsdelasortieencompagniedeMlleBak.
–QuiestcetteMmeJonquedontvousm'avezparlétoutàl'heure?demandaPaul.–Eun-Jeong,corrigea le libraire.Jevous l'aidéjàdit,elle traduitvos livres,
vousluidevezunpeudevotresuccès.Jenel'aijamaisrencontrée,maisondoitluireconnaîtreuneplumeremarquable.–Kyong !ma traductrice seprénommeKyong, je saisceque jedis toutde
même,protestaPaul.– On vous aura mal orthographié son prénom en anglais, notre langue est
pleine de subtilités,mais je vous assure qu'elle se prénommeEun-Jeong, c'estd'ailleursécritsurlacouverturedechacundevoslivres,encoréenbiensûr.Jeregrettequ'ellen'aitpuêtreprésenteaujourd'hui,elleauraitétéfièred'êtreàvoscôtés.–Qu'est-cequ'ellea?–Unemauvaisegrippe,jecrois.Ilesttempsdepartir,votrejournéeestloin
d'êtrefinieetvotreéditeurm'envoudraitdevousretenirpluslongtemps.
*
Unelimousinelesramenaàl'hôtel.MlleBaks'étaitinstalléeàl'avant.PaulnepipaitmotetMias'eninquiéta.–Vousallezm'expliquercequ'ilya,chuchotaMia.Paul appuya sur un bouton et la vitre qui les séparait du chauffeur et de
MlleBakremonta.–Ça,voyez-vous,jepourraisyprendregoût.–Paul!–Elleestmalade,unesalegrippeàcequ'ilparaît.– En soi, c'est plutôt une bonne nouvelle. Enfin, pas pour elle, mais cela
expliquesadésertionetsonsilence.Réfléchissons,unesalegrippedurequoi?Huitjoursauplus?Quandest-elletombéemalade?–Commentvoulez-vousquejelesache?–Vousauriezpuvousen inquiéter,vousvousêtesbien inquiétéd'ellepour
savoirqu'elleétaitsouffrante.– Pas du tout, c'est le libraire qui m'en a informé, elle aurait dû être là
aujourd'hui.–Etquevousa-t-ilditd'autre?–Rien,absolumentrien.–Alorssoyonsoptimistesetespéronsqued'iciquelquesjoursellesoitremise
surpieds...Elleapeut-êtredesgrandspieds,d'ailleurs,despiedsimmenses...
–Vousmurmurez!–Jenemurmurejamais,lemurmurem'estétranger.Miasetournaverslavitreetregardalepaysage.–OubliezvotreKyong,aumoinsjusqu'àcesoir...oubliez-latoutcourt,même.
Vousavezuneémissionimportantequivousattendetilfautvousconcentrer.–Jeneveuxpasyaller,j'enaimarre,jeveuxrentreràl'hôtel,commanderun
plateau-repasetmecoucher!– Et moi donc... Ne faites pas l'enfant, votre carrière est en jeu, soyez
professionneletprenezsurvous.–Onavaitditjoueràl'assistante,pasautyran.–Parcequevouscroyezquejejoue?s'offusquaMiaenluifaisantface.–Pardon,c'estcetrac,jeraconten'importequoi,jeferaismieuxdemetaire.–Voussavezcequ'adéclaréunjourSarahBernhardtàunejeuneactricequi
sevantaitdenepasconnaîtreletrac?«Net'inquiètepasmapetite, ilviendraavecletalent.»–Jedoisprendreçapouruncompliment?–Prenez-lecommevousvoudrez.Nousarrivonsàl'hôtel,unbainvousferale
plusgrandbien.Ensuite,vousvouschangerezetvousnepenserezplusqu'àvospersonnages, à vos amis, à des choses qui vous rassurent. Ce trac, vous nepourrezpasl'ignorer,maisvouspouvezlesurmonter.Dèsquevousentrerezenscène,ildisparaîtra.– Et comment savez-vous tout ça ? souffla Paul avec la voix d'un homme
perdu.–Jelesais,c'esttout.Ayezconfianceenmoi.
*
Paulseprélassaunlongmomentdansl'eaumoussante.Ilenfilalecostumeetla chemise blanche choisis parMia. Les caméras avaient horreur du bleu, luiavait-elle confié, ajoutant aussitôt qu'en bleu, les hommes avaient moins deprestanceàlatélévision.Toutlemondesavaitcela.Ellecommandaunecollationvers18heures.Paul se forçaàmanger.Elle lui fit ensuiteapprendreparcœurune courte introduction destinée à remercier ses lecteurs coréens, à leur direcombien il était sensible à leur accueil, que Séoul était une ville magnifique,mêmes'iln'avaitpasencoreeuletempsdelavisiteretqu'ilétaitheureuxd'êtrelà.Paulrécitasaleçon,lesyeuxrivéssurlapenduledelatélévisionquiégrenaitles minutes. Et plus les minutes s'écoulaient, plus l'angoisse qui l'étreignaitgrandissait,jusqu'àluitordreleventre.
*
Respectantleplanning,ilsétaientàborddelalimousineà18h30pile.Àmi-chemin,Paul cognabrusquement à lavitrede séparation et supplia le
chauffeurdes'arrêter.Il se précipita au-dehors de la voiture pour régurgiter sa collation. Mia le
soutint par les épaules et quand les spasmes se calmèrent, elle lui tendit unmouchoiretunchewing-gum.– Rapatant, lança Paul en se redressant. Mains moites dans l'avion et
vomissuressurletrottoir,leparfaitsuperhéros.Vousaveztirélegroslotpourvoussortirdevotrequotidien.–Laseulechosequicompteestquevotrecostumenesoitpas taché.Çava
mieux?–Jenemesuisjamaissentiaussibien!–Vousn'avezpasperduvotrehumour,c'estl'essentiel.Onyva?–Oui,ilnefaudraitsurtoutpasarriverenretardàl'abattoir.–Regardez-moidanslesyeux...j'aiditdanslesyeux!Est-cequevotremère
suitlatélévisioncoréenne?–Elleestmorte.–Désolée.Votresœur?–Jesuisfilsunique.–Vousavezdesamiscoréens?–Non,pasquejesache.– Parfait !VotreKyong est clouée au lit avec une grippe, et quand on a la
grippe, la lueurd'uneveilleuse suffit à amplifiervotremigraine.Aucun risquequ'elleregardelatélécesoir,nipersonned'autrequevousaimezouconnaissez.Alors, on n'en a rien à faire de cette émission, et on se contrefiche que voussoyezbrillantounul,voussereztraduitenplus!–Alorspourquoionyva?–Pourleshow,pourvoslecteurs,pourquevousracontiezçaunjourdansun
de vos livres. Pensez, en entrant sur le plateau, que vous êtes l'un de vospersonnages,tâchezdeleurressembleretvousserezparfait.PaulobservalonguementMia.–Etvous,vousmeregarderez?–Non!–Menteuse.–Crachezcechewing-gum,noussommesarrivés.
*
MiarestaauprèsdePauldurantlemaquillage,intervenantdeuxfoispourquelamaquilleusenemasquepassespetitesridulesautourdesyeux.Lorsquelerégisseurvintlechercher,ellelessuivitdanslescoulisseset,juste
avantqu'iln'entresurleplateau,elleluiprodiguasondernierconseil.–N'oubliezpas,cen'estpascequevousditesquicomptera leplus,mais la
façondontvous ledirez.Àla télé, lamusicalitéprimesur lesmots,croyez-enunefandetalk-show.Lesrampesdeprojecteurss'illuminèrent,lerégisseurpoussaPauletilavança
surlascène,ébloui.Le présentateur l'invita à prendre place dans le fauteuil face à lui, un
techniciens'approchapourluiposeruneoreillette.LamanipulationchatouillaitPaul,etcommeilgigotaitenrigolant,l'opérateurdusons'yrepritàtroisfois.– C'est gagné, soupiraMia depuis les coulisses, en le voyant retrouver des
couleurs.Paulentendit lavoixde son interprète seprésenterà luidans l'oreillette.La
traductionseraitsimultanée,illepriadefairedesphrasescourtes,séparéesd'untempsdepause.Paulacquiesçadelatête,signequeleprésentateursurleplateaupritpourunbonjour,sesentantobligédeluiretournersonsalut.–Onvabientôtcommencer,chuchotal'interprètedepuislarégie,vousneme
voyezpas,maismoi,jevousvoissurmonécrandecontrôle.–D'accord,acquiesçaPaul,lecœurbattant.–Neme répondezpasàmoi,monsieurBarton,maisuniquementàM.Tae-
Hoon, suivez ses lèvres et n'écoutez que ma voix. Les téléspectateursn'entendrontpaslavôtre.–QuiestM.Tae-Hoon?–Leprésentateur.–D'accord.–C'estvotrepremièretélé?NouveauhochementdetêteimmédiatementcopiéparTae-Hoon.–Noussommesàl'antenne,maintenant.PaulseconcentrasurlevisagedeTae-Hoon.– Bonsoir, nous sommes heureux d'accueillir sur notre plateau l'écrivain
américain Paul Barton. À notre grand regret, M. Murakami, souffrant d'unegrippe, ne sera pas présent ce soir. Nous lui souhaitons un promptrétablissement.–Normal,touslesgensimportantspourmoiattrapentlagrippeencemoment,
netraduisezpasças'ilvousplaît,enchaînaPaul.Miaôtal'oreillettedontelles'étaitéquipéeetquittalescoulisses.Ellesollicita
lerégisseurpourqu'onl'accompagnejusqu'àlalogedeM.Barton.– Monsieur Barton, reprit le présentateur après un temps d'hésitation, vos
livresrencontrentungrandsuccèscheznous.Pouvez-vousnousexpliquercequivousapousséàembrasserlacausedupeupledelaCoréeduNord?–Jevousdemandepardon?–Vousn'avezpascomprismatraduction?s'enquitlavoixdansl'oreillette.–Si, j'ai trèsbiencompris la traduction,maispas laquestionqu'onvientde
meposer.Leprésentateurtoussotaetpoursuivit.–Votredernierouvrageestbouleversant,vousydécrivezlavied'unefamille
souslejougdeladictature,tentantdesurvivreàlarépressionorchestréeparlerégime de Kim Jong-un, et tout cela avec une justesse surprenante pour unécrivainétranger.Commentvousêtes-vousdocumenté?– Je pense que nous avons un problème,murmuraPaul à l'intention de son
interprète.–Quelproblème?–Jen'aipaseuleloisirdelireledernierMurakami,maisjepensequevotre
M.Tae-Hoonsetromped'auteur,netraduisezpascelanonplus.–Jen'enavaispasl'intentionetjenecomprendspascequevousmedites.– Je n'ai jamais rien écrit sur la dictature nord-coréenne, bon sang ! souffla
Paulenconservantunsouriredefaçade.Leprésentateurnerecevantaucunretourdesondanssonoreillettes'épongea
lefrontetannonçaqu'ilyavaitunpetitincidenttechniquequiseraitviterésolu,ils'enexcusa.–Cen'estnilelieunilemomentdefairedesplaisanteries,monsieurBarton,
reprit l'interprète, nous sommes en direct. Je vous supplie de répondre auxquestionsavecplusdesérieux,monposteestenjeu,vousallezmefairevirersivouscontinuezàvouscomporterde la sorte. Jedois enclenchermonmicroetdirequelquechoseàM.Tae-Hoon.–Ehbien,commencezparluidirebonjourdemapartetprévenez-ledeson
erreur,c'estlaseulechoseàfaire.–Jesuisundevosfidèleslecteursetjenepeuxm'expliquervotreattitude.–J'aicompris,c'estpourlacaméracachée!–Lacaméraestjusteenfacedevous...vousavezbu?Paulfixal'objectifau-dessusduquelclignotaitunedioderouge.M.Tae-Hoon
semblaitperdrepatience.– Je remercie mes lecteurs coréens, enchaîna Paul, et je tiens à leur dire
combienjesuissensibleàleuraccueil.Séoulestunevillemagnifique,mêmesijen'aipasencoreeuletempsdelavisiter.Jesuisheureuxd'êtrelà.Paul entendit le soupir de soulagement de son interprète qui traduisit ses
parolessansattendre.–Merveilleux,repritTae-Hoon,jecroisquenousavonsrésoluceproblèmede
son.Jevaisdoncreposermesdeuxpremièresquestionsànotreauteurqui,cettefois,vanousrépondre.Etpendantqueleprésentateurparlait,Paulmurmuraàsoninterprète:–Commejenecomprendsrienàcequ'ilmedit,etquevousêtesunlecteur
fidèle de mon œuvre, je vais vous réciter la recette du pot-au-feu de monboucherparisienetvous,vous répondrezauxquestionsdeM.Tae-Hoonàmaplace.– Il m'est impossible de faire une chose pareille, chuchota l'interprète dans
l'oreillette.–Vous tenezàvotre joboupas? Ilparaîtqu'à la télé, lamusicalitécompte
plusquelesmots,nevousinquiétezpas,jevaism'efforcerdesourire.Et l'émission se déroula ainsi.L'interprète traduisait àPaul les questions du
présentateur,pendantquecederniers'acharnaitàl'interrogersurdeslivresqu'iln'avaitpasécritsetdontlesujettournaitobsessionnellementsurlaconditiondescitoyensdelaCoréeduNord,Paul,sansjamaissedépartird'unsourire,disaitcequiluipassaitparlatête,neformulantquedesphrasescourtesenmarquantunepause à chaque fois. L'interprète, à défaut de pouvoir traduire des proposintelligibles,devintl'auteurd'unsoir,répondantbrillammentàlaplacedePaul.Lecauchemardurasoixanteminutes,maisonn'yvitquedufeu.Ensortantduplateau,PaulcherchaMia.Lerégisseurleguidajusqu'àlaloge.–Vousétiezformidable,assura-t-elle.–Sansaucundoute,mercid'avoirtenuvotrepromesse.–Laquelle?–Denepasregarderl'émission.–Délicieuse,votrepetiteremarquesurlagrippe,etdésoléepourMurakami,je
saisquevousvousfaisiezunejoiedelerencontrer.–Jenepensaispascequejedisais.–On rentre ? Il n'y a pas que vous que cette journée ait épuisé, dit-elle en
quittantlaloge,demainjerendsmontablier.
Paulseprécipitaderrièreelleetlaretintparlebras.–Jen'enpensaispasunmot.–Maisvousl'avezditquandmême.–Eh bien, j'ai dit une connerie, et croyez-moi, ce soir, c'en était une parmi
d'autres.–Vousavezsûrementétéexcellent.–Sij'aisurvécu,c'estàvousquejeledois.Dufondducœur,merci,etcene
sontpasdesparolesenl'air.–Derien.Miaselibéradesonempriseetmarchad'unpasdécidéjusqu'àlasortie.
*
De retour à l'hôtel,Mia s'endormit sans tarder.De l'autre côté dupolochon,Paul,lesyeuxgrandsouverts,cherchaituneexplicationauxdeuxanomaliesquiavaient marqué sa journée. N'en trouvant aucune, il s'inquiéta de ce que lelendemainluiréserverait.
17.
Mia fut réveillée par un grincement de porte. Elle ouvrit les yeux. Paul,poussaitunetableroulante.Ils'approchadulitetluisouhaitabonjour.–Café,orangepressée,corbeilledeviennoiseries,œufsàlacoqueetcéréales,
Madameestservie,dit-ilenremplissantsatasse.Mias'assitetarrangealesoreillersdanssondos.–Quemevauttantd'attentiondesibonmatin?– J'ai viré mon assistante hier, alors il faut bien que je m'occupe de tout,
réponditPaul.–Commec'estétrange,j'avaisentendudirequ'elleavaitdémissionné.–Siellel'afait,nosintentionssesontcroisées,jepréfèredeloinperdreune
collaboratriceetretrouveruneamie.Sucre?–Un,s'ilvousplaît.–Et puisque jem'assiste tout seul, j'ai pris quelques initiatives pendant que
vous dormiez. Les rendez-vous de la journée sont annulés. Notre seuleobligation sera cette réception chez l'ambassadeur, pour le reste, nous avonsquartierlibre.Séoulestànousjusqu'àcesoiretnousallonsenprofiter.–Vousavezannulétousvosrendez-vous?–Reportésàdemain,j'aiprétenduquejecouvaisquelquechose.Jen'allaispas
laisserlemonopoledelagrippeàMurakami,questiondestanding.Miaregardalejournalpliésurlatabledupetitdéjeuneretl'attrapad'ungeste
vif.–Votrephotoestenpremièrepage!–Oui,pastrèsavantageused'ailleurs, jemetrouvemocheet j'ai l'aird'avoir
troiskilosdeplus.–Non,vousêtesbien.Vousavezappelévotreattachéedepressepourqu'elle
voustraduisel'article?Unephotoenpremièrepage,c'esttrèsimportant.–Jereconnaisqu'encoréen,difficiledesavoirs'ilsdisentdubienoudumal,
mais àmon avis, le journaliste qui a pondu ce papier a dû y faire l'éloge du
dernierromandeMurakami.–Vousn'auriezpasuneobsessionmurakamienneplutôtquelagrippe?Vous
venezdeleciterdeuxfoisenquelquesminutes.–Paslemoinsdumonde,etenmêmetemps,aprèscequis'estpasséhiersoir,
j'enauraisledroit.–Ques'est-ilpassé?– J'ai vécu le moment le plus ubuesque de ma vie. Il m'est arrivé souvent
d'êtreinterviewépardesjournalistesquin'avaientpasouvertmonlivre,maisparquelqu'unquialuceluid'unautre,ça,c'étaitunegrandepremière.–Dequoiparlez-vous?–Dufiascod'hier!Cetabrutinecessaitdemeposerdesquestionsdestinées
à...Jeneprononcepassonnom,vousm'accuseriezencoredefaireunefixette,mais vous avez compris de qui je parle. Grand moment de solitude sur ceplateau, faceauprésentateur.Qu'est-cequivousaconduitàvous intéresserausort du peuple nord-coréen ? Par quelles sources avez-vous obtenu tantd'informations sur la vie des gens opprimés par le régime de Kim Jong-un ?Pourquoi un tel engagement politique ? Pensez-vous que les jours de cettedictaturesoientcomptés?Selonvous,KimJong-unest-ilundirigeantdefaçademisenplaceparunsystèmeoligarchiqueouest-ilréellementauxcommandes?Est-ce que vos personnages sont inspirés de la réalité ou les avez-vousinventés?...etcetera,etcetera.– Vous n'êtes pas sérieux ? demanda Mia, hésitant entre amusement et
compassion.– J'ai posé lamême question à l'interprète quime parlait dans cette foutue
oreillette.Çagratte terriblement,ces trucs-là.Pourtoutvousavouer, j'aimêmecruàunecaméracachée.Commeilsnereculentdevantrien,j'aipenséquec'étaitcequ'ilyavaitdepluslogiqueetquejen'allaispasmelaisserprendreaupiègeaussi facilement.Au bout de vingtminutes, j'ai commencé à trouver le tempslongetlaplaisanterieunpeulourde.Saufquecen'enétaitpasune.Cesabrutissesont trompésd'auteuretdebouquin,et l'interprèteavait la trouillede leseninformer.– C'est dément, répliqua Mia en mettant la main devant sa bouche pour
masquersonenviederire.–Nevousprivezsurtoutpas,moquezvousdemapommeentouteliberté,je
suislepremieràlefairedepuisquenoussommesrentréshiersoir.Iln'yaqu'àmoiquecegenredechosearrive.–Maiscommentont-ilspucommettreunetelleerreur?
–Silaconnerieavaitdeslimites,çasesauraitdepuislongtemps.Bon,onnevapaspasserlajournéelà-dessus,enchaînaPaulenôtantlejournaldesmainsdeMiapourlejeterauboutdelapièce.Prenezvotrepetitdéjeuneretpartonsnouspromener.–Vousêtessûrqueçava?–Maisoui,çavatrèsbien,j'aifaitfigured'imbéciledevantdescentainesde
milliersdetéléspectateurs, jesupposequecertainsd'entreeuxontdûavertir lachaîne,c'estcequidoitêtreécritdanscetarticle.Àcepropos,sinouscroisonsdes gens dans la rue qui rigolent à mon passage, restons dignes et agissonscommesiderienn'était.–Jesuisvraimentdésolée,Paul.–Nelesoyezpas,etn'enparlonsplus.Vousmel'avezditvous-même,onse
fichedecetteémission,etpuisletempsestmagnifique!PaulconvainquitMiadequitter l'hôtelpar lesparkings,aucasoùMlleBak
feraitleguetdanslehall.Ilvoulaitpassercettejournéeensaseulecompagnieetnesurtoutpass'embarrasserd'unguide.Le matin, ils visitèrent le palais de Changgyeonggung. En franchissant la
portedeHonghwamun,Pauls'amusaàessayerdeprononcerlesnomsdeslieuxet ses exagérations gutturales amusèrent beaucoup Mia. Depuis le pontOkcheonggyo,elleadmiralebassinetlabeautédecepalaischargéd'histoire.– Là, c'est Myeongjeongjeon, le bureau du Roi, dit Paul en désignant un
bâtiment, il fut inauguré en 1418. Toutes les maisons que vous voyez sonttournées vers le sud, car les sanctuaires des anciens rois sont au sud.Myeongjeongjeon fait face à l'est, afin de ne pas respecter la traditionconfucéenne.–C'estKyongquivousaappristoutcela?–Laissez-laoùelleest,j'aijustepiquéunebrochureenachetantnosbillets,je
l'aiparcourupendantquevousobserviezl'étang,jevoulaisvousimpressionner.Vousaimeriezvoirlejardinbotanique?
*
Ils quittèrent le palais pour se rendre dans le quartier d'Insa-dong. Ils enarpentèrent les galeries d'art, s'arrêtèrent pour déguster un pajeon, une crêpecoréenne très prisée, et passèrent le reste de l'après-midi à chiner chez lesantiquaires.MiasouhaitaitoffriruncadeauàDaisy,ellehésitaitentreunevieilleboîteàépicesetunravissantcollier.PaulconseillaàMiad'opterpourlecollier,
signifiadiscrètementàl'antiquaired'emballerlaboîteàépicesetsetournaverssonamie.–Vousl'offrirezàDaisydemapart,déclara-t-ilenlaluiconfiant.Ilsrentrèrentjusteàtempspoursepréparer.MlleBakattendaittoujoursdans
le hall de l'hôtel. En la voyant,Mia poussa Paul derrière une colonne. Ils sefaufilèrent jusqu'à la suivante, puis la suivante et profitèrent du passage d'ungroometdesonchariotàbagagespouratteindrelesascenseurs,incognito.
À 19 heures,Mia enfilait sa robe et Paul se sentit très fier de la lui avoir
achetée.– Si vousme dites encore « pasmal », je ne bouge pas de cette chambre,
annonçaMiaenseregardantdanslemiroir.–Bon,jemetais.–Paul!–Vousêtes...–Non,neditesrien!l'interrompitMia.–...magnifique.–Çava,j'acceptelecompliment.Lalimousinelesdéposadevantlarésidencedel'ambassadeurdesÉtats-Unis
unedemi-heureplustard.L'ambassadeurattendait ses invitésdans levestibule.PauletMiaétaient les
premiersarrivés.– Monsieur Barton, c'est un honneur et un plaisir de vous recevoir à la
résidence,commençal'ambassadeur.–Toutl'honneurestpourmoi,réponditPaul,enprésentantMia.L'ambassadeursepenchapourluibaiserlamain.–Quefaites-vousdanslavie,mademoiselle?demanda-t-il.–MiatientunrestaurantàParis,répliquaPaulàsaplace.L'ambassadeurlesaccompagnajusqu'augrandsalon.–Jen'aipasencoreeuleloisirdelirevotredernierouvrage,luiconfia-t-ilà
l'oreille. Je pratique un peu le coréen, mais pas suffisamment, hélas, pourpouvoir apprécier une lecture. En revanche, vous avez fait pleurer moncompagnonàchaudeslarmes.Depuisunesemaine,ilnemeparlequedevous,vousl'avezbouleversé.UnepartiedesafamillevitenCoréeduNordet ilm'aconfié que votre récit était d'une justesse irréprochable. Comme j'envie votre
libertéd'écrivain.Vousaumoins,vouspouvezexprimersansréservecequenosobligations diplomatiques nous contraignent à taire. Mais, permettez-moi devousledire,vousavezportédansceroman,quedis-je,cedocument,lapenséedel'Amérique!Paul,dubitatif,observalonguementl'ambassadeur.–Vouspourriezm'endireunpeuplus?suggéra-t-iltoutenretenue.– Mon compagnon est coréen, je le répète, et... tiens, le voilà ! Il sera
beaucouppluséloquentquemoi.Jevousabandonneensacompagnie,ilrêvedes'entretenir avec vous. Pendant ce temps, je vais accueillir nos autres invités.Pourm'aider dans cette tâche, je kidnappe votre ravissante amie. Vous n'avezrienàcraindreavecmoi,ajoutal'ambassadeurgoguenard.MialançaunregardsuppliantàPaul,envain,l'hôtedeslieuxl'entraînaitdéjà.Pauleutàpeineletempsdereprendresesespritsqu'unhommeàl'allurefine
etd'unerareéléganceleserraitdanssesbrasetposaitsatêtesursonépaule.–Merci,merci,merci,dit-il.Jesuissiémudevousrencontrer.– Moi aussi, répondit Paul en essayant de se libérer de son étreinte. Mais
mercidequoi?–Detout!D'êtrequivousêtes,devosmots,devousêtreintéresséausortdes
miens. Qui s'en soucie de nos jours ? Vous n'imaginez pas ce que vousreprésentezàmesyeux.–Non, en effet, je n'imagine rien.Vous n'avez pasmonté un collectif pour
vousfoutretousdemagueule?demandaPaul.–Jenecomprendspas?–Moinonplus,jenecomprendspas!rétorqua-t-il,exaspéré.Lesdeuxhommessejaugèrent.– J'espèrequecen'estpas le couplequenous formonsavecHenriquivous
choque,monsieurBarton?Nousnousaimonsd'unamoursincèredepuisdixans,nous avons même adopté un enfant, un petit garçon que nous chérissonstendrement.–Jevousenprie!J'aigrandiàSanFranciscoetjesuisdémocrate.Aimezqui
vous voulez, dumoment que vous êtes aimé en retour, j'en suis ravi. Je vousparledevospropossurmonlivre.–J'aiditquelquechosequivousablessé?Sic'estlecas,jem'enexcuse,votre
romancomptetantpourmoi.–Monroman?Monromanàmoi?Celuiquej'aiécrit?–Évidemmentlevôtre,réponditl'hommeenmontrantl'ouvragequ'iltenaiten
main.
SiPaulnesavaitdécrypterlescaractèreshangul,ilétaitcapabledereconnaîtresaphotoaudosdelacouverturequeluiavaitprésentéesonéditeurl'avant-veille.Face à l'incompréhensionmanifeste de son interlocuteur, Paul fut envahi d'undoute, et ce doute, en grandissant, devint vertigineux, jusqu'à lui donnerl'impressionquelesolsedérobaitsoussespieds.– Vous accepteriez de me le dédicacer ? supplia le compagnon de
l'ambassadeur.JemeprénommeShin.Paullepritparlebras.–Mon cher Shin, y aurait-il, près d'ici, une pièce où nous pourrions nous
entretenirquelquesinstants,seulàseul.ShinconduisitPaulàtraversuncouloiretl'invitaàentrerdansunbureau.–Icinousseronstranquilles,assura-t-ilendésignantunfauteuilàPaul.Paulinspiralonguement,cherchantsesmots.–Vousmaîtrisezparfaitementl'anglaisetparlezcourammentlecoréen?–Biensûr,jesuiscoréen,réponditShinens'asseyantdanslefauteuilenface
dePaul.–Trèsbien,etdoncvousavezlumonlivre?–Deuxfoistantilm'abouleversé,j'enrelisd'ailleurschaquesoirunpassage
avantdem'endormir.–Encoremieux.Shin,j'aiunpetitserviceàvousdemander.–Toutcequevousvoudrez.–Nevousinquiétezpas,vraimenttoutpetit.–Quepuis-jefairepourvous,monsieurBarton?–Meracontermonlivre.–Excusez-moi?–Vousm'avezparfaitementcompris.Sivousne savezpascommentvousy
prendre,résumez-moilespremierschapitres,pourcommencer.–Vousêtessûr?Maispourquoi?– Il est impossible pour un écrivain de juger de la fidélité d'une traduction
dans une langue qu'il ne connaît pas ; vous êtes bilingue, l'exercice sera doncaisépourvous.
Shin se plia à la requête de Paul. Il lui raconta son roman, chapitre après
chapitre.Danslepremier,Paulfit laconnaissanced'uneenfantayantgrandienCorée
du Nord. Sa famille vivait dans une misère indescriptible, ainsi que tous les
habitants de son village. La dictature, imposée par une dynastie cruelle,contraignait une population entière à l'esclavage. Les jours de repos étaientconsacrésaucultedesdirigeants.L'écoleàlaquellepeud'enfantsavaientdroit,laplupartdevanttravaillerdansleschamps,n'étaitqu'unoutildepropagandeoùles cerveaux immaculés apprenaient à apparenter leurs tortionnaires à desdivinitéssuprêmes.Dans le deuxième chapitre, Paul rencontra le père de la narratrice. Un
professeurdelettres.Lesoir,ilenseignaitencachettelalittératureanglaiseàsesmeilleursélèves, imposant ledifficileetpérilleuxexercicede leurapprendreàpenserpar eux-mêmes, tentantde leur inculquer lesvertusmerveilleusesde laliberté.Au chapitre trois, le père de la narratrice était dénoncé aux autorités par la
mère d'un de ses protégés. Après avoir été torturé, il était exécuté devant lessiens.Soncorpstraînéparuncheval,commeceuxdechacundesesélèvesquiavaientsubilemêmesort.Seulceluidontlesparentsl'avaienttrahiéchappaitàlamort,pourêtreinternédansuncampetcondamnéauxtravauxforcésjusqu'àlafindesesjours.Au chapitre suivant, l'héroïne du roman racontait comment son frère, parce
qu'ilavaitvoléquelquesgrainsdemaïs,avaitétébattuetenfermédansunecageoùilétaitimpossibledesetenirdeboutoucouché.Sestortionnairesluiavaientbrûlélapeau.Unanplustard,satante,ayantaccidentellementendommagéunemachine à coudre, se voyait infliger par son employeur le supplice d'avoir lesdeuxpoucessectionnés.Auchapitresix,l'héroïneavaitdix-septans.Lesoirdesonanniversaire,elle
quittaitlessiensets'enfuyait.Traversantvalléesetrivièresàpied,secachantlejouretmarchantlanuit,nesenourrissantquederacinesetd'herbesfolles,elleavait réussià tromper lavigilancedespoliciersquipatrouillaient le longde lafrontièreetgagnaitlaCoréeduSud,terrederésilience.Shin fitunepause,voyantque l'auteurdu romandont il faisait le récit était
aussibouleversésinonplusquelui-même.Paul trouvasoudainsapropreproseinsignifiante.–Lasuite,racontez-moilasuite,suppliaPaul.–Maisvouslaconnaissez!réponditShin.–Continuez,jevousenprie,insista-t-ild'unevoiximplorante.–VotrehéroïneestrecueillieàSéoulparunvieilamidesonpère,lui-même
transfugedurégime.Ils'occuped'ellecommedesaproprefilleetpourvoitàsonéducation.Aprèslafaculté,elleobtientuntravailetconsacresontempslibreà
animerdesréseauxd'informationsurlasituationdesescompatriotes.–Quelgenredetravail?–D'abordassistante,elleestpromueaurangdecorrectricedansunemaison
d'éditionetendeviendraéditriceenchef.–Poursuivez,ditPaulenserrantlesdents.–L'argentqu'ellegagnesertàpayerdespasseurs,àfinancerdesmouvements
d'oppositionqui,depuisl'étranger,ontpourmissiondesensibiliserlespoliticiensoccidentaux et de les pousser à agir enfin contre le régime de Kim Jong-un.Deuxfoisl'an,ellevoyagepourallerlesrencontrersecrètement.Safamilleresteprisonnièred'unedictatureimpitoyable,sil'onvenaitàfairelelienavecelle,samère,sonfrèreetsurtoutl'hommequ'elleaimeenpayeraientleprix.–Jecroisenavoirassezentendu,interrompitPaul,enbaissantlesyeux.–MonsieurBarton,toutvabien?–Jen'ensaisrien.–Puis-jevousaider?demandaShinenluitendantunmouchoir.– Mon héroïne, enchaîna Paul en s'essuyant les yeux, elle se prénomme
Kyong,n'est-cepas?–Oui,réponditlecompagnondel'ambassadeur.
*
PaulretrouvaMiadanslegrandsalon.Endécouvrantsonteintblafardetsaminedéfaite,ellereposasacoupedechampagne,s'excusaauprèsdel'invitéaveclequelelleconversaitetavançaverslui.–Qu'ya-t-il?questionna-t-elle,inquiète.–Vouscroyezqu'ilexisteunesortiedesecoursdanscetterésidence,oupeut-
êtremêmedanslavieengénéral.–Vousêtespâlecommeunlinge.–J'aibesoind'unverred'alcool,quelquechosedetrèsfort.Miaattrapaunmartiniauvolsurleplateaud'unmaîtred'hôteletleluitendit.
Paullevidad'untrait.–Mettons-nousàl'écartetvousalleztoutm'expliquer.– Pas maintenant, répliqua Paul, la mâchoire crispée. Je risquerais de
m'écrouleretjecrainsquel'ambassadeurnecommencesondiscours.
*
Au cours du repas, Paul ne pouvait s'empêcher de penser à une famille quicrevaitdefaimàseulementquelquescentainesdekilomètresdecesalonoùl'on
servaitàprofusionpetits-fourset toastsaufoiegras.Deuxmondesséparésparunefrontière...Lesienavaitcesséd'existeruneheureplustôt.Mialecherchaitduregard,maisPaulnelavoyaitpas.Quandilquitta la table,Mialesuivit. Ilremercial'ambassadeurets'excusadelafatiguequil'obligeaitàpartir.Shin les raccompagna jusqu'à laporte. Il serra longuement lamaindePaul,
sur leperronde larésidenceetdans lesouriredouxet tristequ'il luiadressait,Paulfutcertainqu'ilavaittoutcompris.
–Qu'est-ilarrivéàKyongpourquevoussoyezdansunétatpareil?demanda
Miadèsquelalimousinedémarra.–C'estàKyongetàmoiqu'ilestarrivéquelquechose.MonsuccèsenCorée
n'ajamaisexisté,pasplusquemesromansetKyongn'étaitpasquetraductrice.DevantlaminestupéfaitedeMia,Paulpoursuivit.– Elle s'est servie de mon nom, elle n'a d'ailleurs gardé que ça, sur la
couverture demes livres. Et sous ces couvertures, elle publiait ses textes, sonhistoire, ses combats. Le présentateur d'hier n'était pas un incompétent,l'interprètenonplus, il faudraque jepenseà leurprésentermesexcuses.Si levéritable sujet de mes romans coréens n'était pas aussi dramatique, tout celaseraitunegigantesquefarce.Etdirequedepuisdesannéesjevisdesroyaltiesdelivres que je n'ai pas écrits. Vous avez bien fait de démissionner, vous aurieztravaillépourunimposteur.Maseuleexcuseestd'avoirtoutignoréjusque-là.Miaprialechauffeurdestopperlavoiture.–Venez,dit-elleàPaul,vousavezbesoind'airfrais.Ilsmarchèrentcôteàcôteetensilence,jusqu'àcePaulseremetteàparler.–Jedevrais lahaïr,mais sa trahisonestadmirable.Sielleavaitpublié sous
sonnom,elleauraitcondamnélessiens.–Quecomptez-vousfaire?–Jen'ensaisrien,jedoisréfléchir,jen'aicesséd'ysongerduranttoutledîner.
Jouerlejeu,jesuppose,tantquejesuisici.Sinon,jerisquedelacompromettre.DeretouràParis, je luienverraisonargentet jedénonceraimoncontrat.C'estCristoneliquivaêtrecontent,jelevoisdéjà,effondréauxDeuxMagots.Etpuisjechercheraidequoivivre.– Rien ne vous y oblige. Cet argent, c'est celui de la maison d'édition
coréenne,ilsontdûengagnerbeaucoupavecvoslivres.–Paslesmiens,ceuxdeKyong.–Sivousagissezainsi,vousserezobligéd'endonnerlesraisons.– Nous verrons. En tout cas, je comprends mieux maintenant celle de sa
disparition. Il faut que je la retrouve et que nous ayons une explication, je nepeuxpasrepartirsansl'avoirvue.–Vousl'aimez,n'est-cepas?Pauls'arrêtaethaussalesépaules.–Rentrons,j'aifroid.Quelleétrangesoirée,n'est-cepas?
*
Dansl'ascenseurquilesmenaitversl'étagedeleursuite,MiasecampafaceàPaul.Ellepassadélicatementlamainsursonvisageetlegifla.Paulsortitdesatorpeur.Mialeplaquaverslefonddelacabineetl'embrassa.
Lebaiserduraitencorequandlesportesserouvrirentetduraitencoredansle
couloir, tant et si bien qu'ils avançaient, dos collé au mur, de porte en portejusqu'àcequ'ilsatteignentleurchambre.
Lebaisersepoursuivittandisqu'ilssedéshabillaientetsepoursuivaittoujours
lorsqu'ilsbasculèrentsurlelit.Miachuchota:–Çanecomptepas,plusriennecompte,seulementleprésent.Etleursbaisersreprirent.Surleursjoues,bouchesetnuques,sursontorseet
sesseins,sursonventreetseshanches,sursesjambesetsescuisses,surleurspeaux mêlées. À l'étreinte furieuse se mêlaient aussi leurs souffles exaltés,jusqu'àcequelesforcesleurmanquentetqu'ilss'endormentdanslamoiteurdesdraps.
18.
PauletMiafurenttirésdulitparlasonneriedutéléphone.– Fuck ! cria-t-il en regardant la pendule de la télévision qui affichait
10heures.Mlle Bak était confuse, mais le premier entretien de la journée aurait dû
commencerdepuisunedemi-heure...Paulramassasoncaleçonaupieddesrideaux....lejournalisteduquotidienChosunl'attendait...Ilattrapasonpantalonsurlefauteuil,etl'enfilaenprogressantàcloche-pied
verslacommode....dansunsalonetilcommençaitàtrouverletempslong.La chemise était déchirée,Mia se rua vers la penderie et lui en lança une
propre....saconsœurd'Ellecoréenvenaitd'arriver...–Elleestbleue!chuchotaPaul....etilfaudraitpartiràtempspourrejoindrelesstudiosdelaradioKBS...–Pourlapresseçairatrèsbien!murmuraMia....MlleBakavaitréussiàdécalerletête-à-têteaveclechroniqueurdeMovie
WeekaprèslarencontreaveclequotidienHankyoreh...Paulboutonnaitsachemise....celuiquiétaitconnupoursoutenirlapolitiqued'ouverturedugouvernement
aveclaCoréeduNord.Mialadéboutonnaitetremettaitlesboutonsdanslesbonnesboutonnières....etpuis,ilyauraitunerencontreenpublic...–Oùsontmeschaussures?–Unesouslacommode,l'autredansl'entrée!...avecdesétudiantssurlagrandescèneduSalondulivre.MlleBak avait réussi à énoncer le programmede cette longue journée sans
avoirjamaisreprissonsouffle.
–Calmez-vous,jesuisdéjàdansl'ascenseur!–Menteur,file,jeterejoinstoutàl'heure.–Où?–Justeavantquetupartesàlaradio.Laportedelasuitesereferma.Onentenditunfracasterribledanslecouloiret
lavoixdePaulquijuraitàtout-va.Mia passa la tête et découvrit une table roulante en travers du couloir, son
contenurenverséausol.–Sérieusement?dit-elleenvoyantPaulserelever.–Toutvabien,jenesuispastaché,etjenemesuispresquepasfaitmal.–File!ordonna-t-elle.Deretourdanslachambre,elleavançaàlafenêtreetcontemplalavillesous
un ciel gris. Elle saisit son portable dans son sac et l'alluma.Treizemessagesapparurent sur l'écran. Huit de Creston, quatre de David et un de Daisy.Mialança le téléphonesur le lit et commandaunpetitdéjeuner,prévenant le roomservicequ'ilyavaitunpeudeménageàfairedanslecouloir.
*
Depuislehall,MlleBakmenaPaulaupasdechargeversunesalleattenante.–Uncafé?supplia-t-il.– Ilvousattendsurvotre table,monsieurBarton,vousnem'envoudrezpas
s'ilesttiède.–Quelquechoseàmanger?–Vousnepourrezpasparlerlabouchepleine,ceseraitinconvenant!Ellelefitentrerdanslapièce.Pauls'excusaauprèsdujournaliste.L'entretien
commença.Il ressentit un étrange sentiment en s'appropriant l'histoire de Kyong. Plus
étrange encore, les souliers qu'il venait de chausser le portaient comme desbottes demille lieues. Il répondait à chaque question avec une aisance qui lesurprenaitlui-même,émaillaitsonrécitderéflexionsprofondesetsincères,tantet si bien que son interlocuteur ne put s'empêcher de lui dire combien cetterencontrel'avaittouché.EtilenfutdemêmeaveclajournalisteduElleCorée.Paul se soumit ensuite à une séance de photos, obéissant au photographe quil'avait déjà mitraillé pendant l'interview. On lui demanda de s'asseoir sur unetable,decroiserlesbras,delesdécroiser,demettrelamainsouslementon,desourire,deneplussourire,deregarderenl'air,àdroite,àgauche.MlleBakle
tirad'affaireenannonçantqued'autresrendez-vouslesattendaient.L'attachéedepresselepressaitverslalimousine,quandPaulluiéchappaetse
ruaverslaréception.–Appelezmachambre,s'ilvousplaît,demanda-t-ilauconcierge.–MonsieurBarton,Mademoiselle a laissé unmessage pour vous.Elle s'est
rendormieaprèsvotredépartet...Paulsepenchasurlecomptoiretpointadudoigtlestandardtéléphonique.–Maintenant,appelez-lamaintenant!MlleBaktrépignaitetMianedécrochaittoujourspas.–Mademoiselleestdanssonbain,reprit leconcierge,ellevousrejoindraun
peu plus tard au Salon du livre. Je dois lui communiquer l'horaire de votreconférence.L'attachée de presse lui promit de faire le nécessaire. Elle enverrait une
voiturecherchersacollaboratrice,ettoussotaenprononçantcemot.Paul reposa le combiné sur le socle et suivitMlleBak, lamort dans l'âme.
Soudain,ilfitdemi-tour,plongealamaindanslacoupedefriandisesposéesurlecomptoiretenremplitsespoches.
L'heure qu'il passa dans les studios de laKBS lui parut durer une éternité,
mais il gagna en assurance durant l'interview. Ses réponses étaient pluséloquentes, l'émotion qu'il suscitait en racontant la vie des personnages duroman,plusperceptiblechezsesinterlocuteurs.MêmeMlleBakversasapetitelarme.–Vous avez été parfait, le rassura-t-elle en sortant de l'immeuble, avant de
l'inviteràentrerdanslalimousine.On l'escorta, depuis l'entrée du Palais des Congrès jusqu'à l'estrade devant
laquelledeuxcentschaisesétaientoccupéesparlesétudiantsvenusl'écouter.Quand l'animateur présenta Paul à son public, la standingovation qu'on lui
réservaleplongeadansunprofonddésarroi.IlguettaitMia,sesyeuxvoguantderangéeenrangéequand lespremièresquestionsde l'assistance le rappelèrentàsonrôle.Paul joua ce rôle avec une ferveur devenue presquemilitante. Il dénonçait,
incriminait,accablaitlesmonstresdurégimetotalitaire,condamnaitl'inertiedesdémocraties.Ilfutapplaudiàplusieursreprises.Unefièvreoratoirel'entraînaitdansdesélansincontrôlables,quand,soudain,
ils'interrompitaumilieud'unephrase.Sonregardvenaitdecroiserceluid'Eun-Jeong,aliasKyong.Assiseaudernierrang,elleluiadressaunsourirequiluifit
perdrelefildesapensée.Enretraitderrièreunecolonne,Miasouriaitaussi,tendreetpaisible.EllenequittapasPauldesyeux,s'émutquandlepublicl'acclamaetleperdit
devuelorsquelesétudiantsseprécipitèrentpourobtenirsasignature.Pour l'avoir vécue à de nombreuses reprises, elle devinait l'euphorie qu'il
devaitressentiraumilieudecettefoule.Kyongfutladernièreàs'approcherdel'estrade.
*
– Mia n'est toujours pas arrivée ? s'enquit Paul auprès de Mlle Bak quil'attendaitdevantlaportedupetitsalonoùils'étaitretranché.– Votre collaboratrice a assisté à la conférence, répondit-elle en désignant
l'endroitoùs'étaittenueMia,maiselleasouhaitéqu'onlaraccompagneàl'hôtel.–Quand?– Ilyaunpeuplusd'uneheure jecrois,pendantquevousvousentreteniez
avecMlleEun-Jeong.Cettefois,cefutPaulquimenasonattachéedepresseaupasdechargeversla
limousine.Il se rua à travers le hall de l'hôtel, courut vers les ascenseurs, puis dans le
couloir,s'arrêtanetdevantlasuitepourarrangersesvêtements,remettreunpeud'ordredanssescheveux,etouvritlaporte.–Mia?Ilavançajusqu'àlasalledebains.LabrosseàdentsdeMian'étaitplusdansle
verre,nisatroussedetoilettesurlavasque.Paulretournadanslachambreettrouvaunmotposésurlepolochon.
Paul,Mercid'avoirétélà,mercidetonhumeurjoyeuse,detesmomentsdefolie,decevoyageimprévu
quicommençaparunepromenadesurlestoitsdeParis.Mercid'avoirréussi l'improbableparidemefairerireetdem'avoiroffertdenouveauxsouvenirs.Nosroutesseséparentcesoir,cesquelquesjoursentacompagniefurentunenchantement.Jecomprendsledilemmeauqueltudoisteconfronteretcequeturessens.Vivreuneautrevieque
lasienne,aimerl'idéedubonheuraulieudel'embrasser,neplussavoirquionest.Maistoi,tun'esenriencoupabledecetteusurpation,etmoi, jenesaisquelconseil tedonner.Puisque tu l'aimes,puisquesatrahisonestmagnifiquepournepasdirehéroïque,tudoisluipardonner.C'estpeut-êtrecela,finalement,aimervraiment.Apprendreàpardonner,sansréserveetsurtoutsansregrets.Poserson doigt sur la touche d'un clavier, effacer les pages grises pour tout récrire en couleur.Mieuxencore,sebattrepourquetoutfinissebien.Prendssoinde toi,mêmesicettephraseneveutpasdiregrand-chose,sinonquenosmoments
complicesmemanqueront.Je suis impatiente de lire ce qu'il adviendra de notre cantatrice. Dépêche-toi de publier son
histoire.Quetaviesoitbelle,tulemérites.Tonamie,MiaPS:Pourhieretcequiestàvenir,net'inquiètepas,çanecomptepas.
– Tu n'as rien compris, c'est elle qui ne compte plus, murmura Paul en
refermantlemot.Ilsehâtadanslecouloiretregagnalaréception.–Quandest-ellepartie?supplia-t-il,haletant,leconcierge.–Jenesauraisvousledireprécisément,réponditcelui-ci.Mademoisellenous
ademandéunevoiture.–Pouralleroù?–Àl'aéroport.–Quelvol?–Jel'ignore,monsieur.Nousnenoussommespasoccupésdelaréservation.Paul se tourna vers les portes vitrées. Sous l'auvent,Mlle Bak s'apprêtait à
monterdanslalimousine.Ilseruadehors,l'écartaetpritsaplace.–Àl'aéroport,lesdépartsinternationaux,vousaurezleplusbeaupourboirede
votreviesivousfoncez.Le chauffeur démarra en trombe et Mlle Bak qui cognait à la vitre vit la
limousines'éloignersurl'avenue.C'estmoiquiteferailasurprised'arriverdansl'avion,etsitonvoisinneveut
pasmecédersonsiège,jelebâillonneraietlecolleraidanslecoffreàbagages.Je n'aurai plus peur,même pendant le décollage, nous nous contenterons desplateaux-repas, je te laisserai lemien si tu as très faim. Nous regarderons lemême film et cette fois ça comptera. Cela comptera bien plus que tous lesromansquejen'aipasécrits.
Le chauffeur se faufilait dans la circulation,mais plus la voiture s'enfonçait
danslabanlieueetpluslavoierapideétaitencombrée.–C'estlapireheure,dit-il.Jepeuxtenterunautreitinérairemaisc'estquitte
oudouble.Paullepriadefaireaumieux.Ballottéà l'arrièrede la limousine, il répétaitcequ'il raconteraitàMiaenla
retrouvant : les résolutions qu'il avait prises, ce qu'il avait dit à Kyong, quis'appelait en réalité Eun-Jeong, et qui, bien plus qu'une traductrice, était savéritableéditricecoréenne.
*
Quatre-vingt-dixminutesplustard,Paulpayasondûauchauffeur.Il entra dans le terminal et regarda le tableau des départs. Aucun vol pour
Parisn'yétaitaffiché.Aucomptoird'AirFrance,l'hôtessel'informaqu'ilavaitdécollétrenteminutes
plustôt.Ilrestaitencoreunsiègedelibresurceluidulendemain.
19.
Dèsquelesroueseurenttouchélapiste,PaulrallumasonportableettentadejoindreMia. Il tombaà trois reprises sur saboîtevocaleet raccrocha.Cequ'ilavaitàluidire,illeluidiraitdevivevoix.
UntaxiledéposaruedeBretagne.Ilrécupéralesclésdesonappartementau
caféduMarché,abandonnasavalisechez luietnepritni le tempsde liresoncourrier, ni celui de rappeler Cristoneli qui lui avait pourtant laissé plusieursmessages.Douché, vêtu de propre, il roula vers Montmartre, se gara rue Norvins et
marchajusqu'àLaClamada.Enlevoyant,Daisyabandonnasesfourneauxetvintàsarencontre.–Oùest-elle?questionnaPaul.– Asseyez-vous, il faut qu'on parle, répondit Daisy en passant derrière le
comptoirdubar.–Elleestchezvous?–Vousvoulezuncafé?Ouunverredevin?–JepréféreraisallervoirMiamaintenant.–Ellen'estpasà lamaisonet jene saispasoùelle se trouve.Enfin, si, en
Angleterre,jesuppose.Elleyestrepartielasemainedernière,maisjen'aiplusaucunenouvelled'elledepuis.Paulregardapar-dessusl'épauledeDaisy.Ellesuivitleregardquiseposasur
unevieilleboîteàépices,prèsdupercolateur.–D'accord,lâcha-t-elle.Miaestvenuehiermatin,maisencoupdevent.C'est
vraimentvousquim'avezfaitcecadeau?Paulacquiesçad'unsignedetête.–Elleestbelle,çametouchebeaucoup.Jepeuxvousdemandercequ'ilyaeu
entrevousdeux?–Non,réponditPaul.Daisyn'insistapasetluiservituncafé.
– Sa vie est plus compliquée qu'il n'y paraît ; elle aussi est souvent pluscompliquéequ'elleneveutl'admettre.Maisjel'aimetellequ'elleest.Elleestmameilleureamie,elleaenfinpris ladécisiond'être raisonnable,et il fautqu'elles'ytienne.Puisquevousaussiêtessonami,laissez-latranquille.–ElleestrepartievivreàLondresouvivreavecsonex?–Bon,j'aidumondeetmacuisinenetournepastouteseule.Venezmevoirce
soir,après22heures,ceserapluscalme.Jevousferaiàdîner,etnousparlerons.J'ailuundevosromansvoussavez,etjemesuisrégalée.–Lequel?–Lepremier,jecrois,Miamel'avaitoffert.Paul saluaDaisy et quitta le restaurant.Cristoneli avait encore cherché à le
joindre.IlfitrouteversSaint-Germain-des-Prés.
*
Cristonelisortitdesonbureaupourl'accueilliràbrasouverts.–MaStar ! s'exclama-t-il en le serrantcontre lui.Alors,quiavait raisonde
vouspousseràentreprendrecevoyage?–Vousm'étouffez,Gaetano!Cristonelireculad'unpasetrajustalavestedePaul.– Mon confrère coréen m'a envoyé un mail, avec toutes les coupures de
presse,etilyenaunsacrépaquetage!Ellesnesontpastraduites,maisilparaîtquelescritiquessontfaramineuses,vousavezfaitunvéritablebar-tabac.–Ilfautqu'ondiscute,grommelaPaul.–Évidemmentqu'ilfautqu'ondiscute...pasd'unenouvelleavance,j'espère?
Quelsacrécachottier,repritCristoneli,jovial,enluitapantsurl'épaule.–Cen'estpascequevouscroyez,enfin,c'estpluscompliquéquecela.–Maiscen'estjamaissimpleaveclesfemmes,etquandjedislesfemmes,je
parledecellesquel'oncroisechaquejour.Là,jedoisreconnaîtrequevous,vousn'yêtespasalléavecledosdelafourchette!–Onditdelacuillère!–Jenevoispasladifférence,enfinsivousytenez,jenevouscontrarieraipas
aujourd'hui.Venez,allonsprendreunverreetfêterça...SacréPaul!–Vous avez peut-être déjà assez bu, non ?Vousm'avez l'air d'être dans un
drôled'état.–C'estmoi qui suis dans undrôle d'état ?Vousplaisantez ?C'est vous qui
devezêtredanstousvosétats!Etonleseraitàmoindre...SacréPaul!–Vouscommencezàm'agaceravecvos«sacréPaul»!Eun-Jeongvousadit
quoi,aujuste?–Eunqui?–Monéditricecoréenne,dequivoulez-vousquejevousparle?–Dites-moimonpetitPaul,quandmeslèvresbougent,vousentendezlessons
qui sortent demabouche ou vous avez perdu l'ouïe dans cet avion ? Il paraîtqu'avecladécompression,cesontdeschosesquiseproduisent.Moi,j'aihorreurdel'avion,jeleprendslemoinspossible,d'ailleurs.QuandjevaisàMilan,c'estentrain,unpeulong,certes,maisaumoinsonn'apasàpasserunscanneravantdemonteràbord.Bon,onsel'offrecepetitverre?SacréPaul!
Ils s'installèrentàune tabledesDeuxMagots.Paul remarqua ledossierque
Cristoneliavaitposésurlabanquette.– Si c'est le contrat pour mon prochain roman, il faut d'abord que je vous
parle.–Nousnesommesplussouscontrat?Tiensdonc,j'étaiscertainducontraire.
Jemedemandevraiment ceque fichemonassistante.Etpuisvousn'allezpasprofiter de cette situation, depuis le temps que je vous soutiens ! Vous meraconterezlesujetdevotreprochainchef-d'œuvreunautrejour,pourl'instant,jeveux tous les détails et vous comptez surmadiscrétion, je suis une sépulture,motifetbouchecousue!chuchotaCristonelienposantsonindexsurseslèvres.–Vousavezfumé?demandaPaul,décontenancé.–Maisnon,enfin!–VousavezparléàEun-Jeong,ouiounon?–Pourquoil'aurais-jefait?Jevousl'aidit,j'ailusonmailetmesuisréjouide
l'accueilquivousaétéréservéàSéoul.Jevousl'avaisprédit,n'est-cepas?Leschiffres sont excellents, je vais contacter des maisons d'édition chinoises,informervotreéditeuraméricain,etnoussuivronsmonplanàlalettre.–Sil'onsuitvotreplanàlalettre,jepeuxsavoircequivousmetdansuntel
étatd'excitation?CristoneliconsidéraPaulaveclaplusgrandeattention.–Jecroyaisêtrevotreamietquevousm'auriezaccordévotreconfiance,jene
vouscachepasmadéceptiondel'avoirapprisainsi,commetoutlemonde.– Je ne comprends pas un mot de ce que vous me racontez, et vous
commencez sérieusement àm'agacer,mais je vaismettre ça sur le compte dudécalagehoraire,grommelaPaul.Cristonelisemitàfredonnerunairdebelcantoavantdeposerledossiersur
la table. Il l'entrouvrit, poursuivit sa chansonnette, le referma et le rentrouvrit,
jusqu'àcequePaul,auborddugaz,leluiarrachedesmains.Envoyantlescouverturesdesmagazinespeoplequisetrouvaientàl'intérieur,
ilécarquillalesyeuxetvintàmanquerd'air.–Jesavaisbienquejel'avaisdéjàvuequelquepartlorsquejesuisvenuvous
chercheraucommissariat,murmuraCristoneli.MelissaBarlow,rienqueça!Jesuisépoustiflé!DesphotosdeMiaetPauls'étalaientencouverturecommedanslespremières
pages.Desphotosd'euxmarchantcôteàcôte,entrantdansl'hôtel,danslehall,devant les ascenseurs, d'autres photos de lui penché au-dessus d'un caniveautandisqueMialesoutenait,d'autresencoreoùonlevoyait tenir laported'unelimousineoùMiaprenaitplace.Etchaquefois,deslégendesquiracontaientlafolleidylledeMelissaBarlow.DansledeuxièmemagazinequePaulfeuilletaitlesmainstremblantes,onpouvaitliresousunephotodeMiaauSalondulivre:Àquelquesjoursdelasortiedufilmdontellepartagel'afficheavecsonmari,
Melissa Barlow joue une tout autre comédie romantique en compagnie del'écrivainaméricainPaulBarton.
–Unpeuintrusif,jeleconcède,maispourlesventes,c'estplusquerapatant!
SacréPaul!Ehbien,vousfaitesunedecestêtes?s'étonnaCristoneli.Pauleutunhaut-le-cœuretseruaàl'extérieurducafé.Quelquesinstantsplustard,pliéendeuxsurle trottoir, ilvitapparaîtredans
sonchampdevisionunmouchoirquis'agitait.Cristonelisetenaitderrièrelui,lebrastendu.–C'estimmonde,etquandjepensequec'estmoiqu'onaccused'avoirbu!Pauls'essuyalaboucheetCristonelil'accompagnajusqu'àunbanc.–Çanevapas?–Si,vousvoyezbien,jen'aijamaisétéaussienforme.–Cesontcesphotosquivousmettentdanscetétat?Vousdeviezbienvous
douter que cela finirait par arriver. Vous fréquentez une étoile montante duseptièmeart,qu'escomptiez-vous?–Vousavezdéjàeul'impressionquelemondedisparaissaitsousvospieds?–Ohoui,réponditsonéditeur.Àlamortdemamèrepourcommencer,ensuite
quandma première femmem'a quitté et enfin quand jeme suis séparé demadeuxièmeépouse.Latroisième,c'étaitdifférent,nousavonsrompud'uncommunaccord.–Ehbienvousvoyez,quandon tombeau fonddugouffre, il faut faire très
attention,parcequ'endessous ilyenaunautre,encoreplusprofond,et jeme
demandeoùças'arrête.
*
Paulrentrachezluietdormitjusqu'ausoir.Vers20heures,ilsemitàsatabledetravail.Ilconsultasesmails,nelutquelesintitulésetéteignitsonordinateur.Unpeuplustard,ilappelauntaxietsefitdéposeràMontmartre.Ilétaitpresque23heuresquandilentraàLaClamada.Daisydébarrassaitles
couvertsdesderniersconvivesquivenaientdequittersonétablissement.–Jepensaisquevousneviendriezplus.Vousavezfaim?–Jen'ensaisrien.–Laissez-moitentermachance.Elle le laissa choisir une table et gagna sa cuisine pour en revenir quelques
instants plus tard, une assiette en main. Elle s'installa en face de Paul et luiordonna de goûter à son plat du jour. Ils parleraient quand il aurait le ventreplein.Elleluiservitunverredevinetleregardadîner.–Voussaviez,jesuppose?demanda-t-il.–Qu'ellen'étaitpasserveuse?Jevousaiditquesavieétaitpluscompliquée
qu'iln'yparaissait.– Et vous, vous êtes vraiment chef ou vous travaillez pour les services
secrets?Vouspouveztoutmedire,jenesuisplusàunesurpriseprès.–Vousn'êtespasécrivainpourrien,ritDaisydeboncœur.Aucoursdelasoirée,elleluiracontasavieetPaulseréjouitdel'entendrelui
confierànouveausessouvenirsd'adolescenceencompagniedeMia.Àminuit,ilraccompagnaDaisyjusqu'aubasdesonimmeuble.Paulrelevala
têtepourobserverlesfenêtres.– Si elle vous donne de ses nouvelles, promettez-moi de lui demander de
m'appeler.–Non,jenevousleprometspas.–Jevousjurequejenesuispasunsaletype.– Justement, c'est pour ça que je ne veux rien vous promettre.Croyez-moi,
vousn'êtespasfaitsl'unpourl'autre.–Maisc'estl'amiequimemanque.–Vousmentezaussimalqu'elle.Lespremiersjourssontlesplusdurs,après
cela s'adoucit. Il y aura toujours une table pour vous dans mon restaurant, àn'importequelleheure.Bonsoir,Paul.Daisypoussalaportecochèreetdisparut.
*
Trois semaines s'écoulèrent, durant lesquelles Paul ne cessa d'écrire. Il nequittait pas sa table de travail, sauf pour aller déjeuner chezMoustache, et ledimanchebruncheravecDaisy.Unsoir,surlecoupde20heures,ilreçutunappeldeCristoneli.–Vousécriviez?–Non.–Vousregardezlatélévision?poursuivitsonéditeur.–Nonplus.–Parfait,continuezcommecela.–Vousm'appeliezjustepourconnaîtremonemploidutemps?– Pas du tout, je voulais prendre de vos nouvelles, savoir si votre roman
avançait.–J'aiabandonnéleprécédentpourenécrireunautre.–Formidable.–Ilseratrèsdifférent.–Ahbon?Ilfaudram'enraconterlesujet.–Jenecroispasqueçavousplaira.–Taratata,vousditesçapourégayermacuriosité.–Non,jelepensevraiment.–Unthriller,cettefois?–Nousendiscuteronsd'iciquelquessemaines...–Unpolar?–Quandj'auraiterminélepremierjet.–Unromanérotique!–Gaetano,vousaviezquelquechosedeparticulieràmedire?–Non...Vousallezbien?–Oui,jevaisbien,trèsbienmême.Puisquemavievouspassionne,j'aifaitun
peudeménagecematin,puisj'aidéjeunéaucaféenbasdechezmoi,j'ailuunebonnepartiedel'après-midi,cesoir,jemesuisréchaufféunplatdelentillesquiesten trainde refroidir, etensuite, j'écriraiavantd'allermecoucher,vousêtesrassuré?–Leslentilles,c'estunpeulourd,lesoir,non?–Bonnenuit,Gaetano.Paulraccrochaensecouantlatêteetseremitàsonordinateur.Enattaquantun
nouveauparagraphe,ilrepensaàlaconversationdesonéditeurquin'avaitaucunsens.
Pris d'un doute, il attrapa la télécommande de la télévision. Il tomba sur lejournal télévisédeTF1,passasurceluideFrance2,continuadezapper,revintenarrièreets'arrêtadenouveausurlachaînepublique.Labandeannonced'unfilmyétaitdiffusée.Paul vit une femme, en robe du soir, embrasser son partenaire.L'homme la
prenaitdanssesbrasetlaposaitsurunlitavantdeladévêtir.Ilembrassaitsesseins,ellegémissait.Gros plan sur les visages des acteurs... arrêt sur image et retour en plateau,
aveclesdeuxcomédiens,cettefoisenchairetenos.– L'Étrange Voyage d'Alice sort en salle demain. Nous lui souhaitons un
énorme succès, mais l'événement le plus attendu de ce film est de vous yretrouverensemble,à l'écrancommeà laville,si jepuisdire.MelissaBarlow,David Babkins, merci d'avoir accepté notre invitation ce soir, annonça leprésentateur.Lacaméralescadratousdeux,côteàcôte.–Mercidenousaccueillir,monsieurDelahousse,répondirent-ilsenchœur.– J'aimerais savoir, comme bon nombre de nos téléspectateurs, si c'est un
exercicefacileouaucontrairedifficilequed'avoirpourpartenairesonconjoint?MialaissalaparoleàDavidquiexpliquaqueceladépendaitdesscènes.–Évidemment,dit-il,chaquefoisqueMelissafaisaitunecascade,jetremblais
pour elle, et réciproquement, bien sûr. Ne croyez pas que les scènes intimessoientplus aisées à jouer, certesnousnous connaissonsmieuxquequiconque,mais la présence des techniciens est troublante. Nous n'avons pas l'habitudequ'ils entrent dans notre chambre à coucher, ajouta-t-il en riant de son motd'humour.– Monsieur Babkins, puisque vous parlez d'intimité, permettez-moi de
m'adresseràMelissaBarlowetdel'interrogersurlesphotosparuesrécemmentdans des magazines people. À vous voir tous deux ce soir, devons-nous enconclurequetoutcelan'étaitquemauvaisepresseetragots?Quiestpourvouscetécrivain,uncertainPaulBarton,sijenem'abuse?–Unami,réponditMia,laconique.Unamitrèscher.–Dontvousappréciezleslivres?–Leslivresetl'amitiéquinouslie.Lerestenecomptepas.Pauléteignitlatélévisionavantquelatélécommandeneluitombedesmains.Dans l'heure qui suivit, il fut incapable d'écrire une ligne. Vers minuit, il
décrochasontéléphone.
*
Laberlineauxvitres teintéesentradans leparkingde l'hôtel.Davidposa lamainsurlapoignéedelaportièreetseretournaversMia.–Tuescertainequec'estcequetusouhaites?–Aurevoir,David.–Pourquoinepasessayerdenousréconcilier.Tuaseutarevanche,etonne
peutpasdirequetoi,tuaiesdonnédansladiscrétion.–Jenecherchaispasàmecacher.Maismaintenantques'achèvecettesordide
comédiedubonheur,c'estceque jevaisfaire,ycomprisdemoi-même.Jemesenssale,etc'estunsentimentpirequed'êtreseule.Unedernièrechose,signelespapiersqueCrestont'aenvoyés,situneveuxpasquejemecontredisedanslapresseetrévèlequituesvraiment.Davidlacontemplaavecméprisetsortitenclaquantlaportière.Le chauffeur demanda à Mia où elle souhaitait se rendre. Elle le pria
d'emprunterl'autorouteduSud.PuisellepritsonportablepourappelerCreston.–Jesuisdésolé,Mia,j'auraisdûêtrelàpourvotrederniersoirdepromotion,
mais avec cette sciatique, je peux à peine marcher. Vous devez vous sentirlibérée?–Delui,devousaussi,pourlereste,jenediraispascela,non.–J'aiagidemonmieuxpourvousprotéger,maisvousm'avezrendulatâche
impossible.–Jesais,Creston,jenevousenveuxpas,cequiestfaitestfait.–Oùallez-vous?–EnSuède,depuisletempsqueDaisym'enparle.– Couvrez-vous, le froid est mordant là-bas. Vous me donnerez de vos
nouvelles,j'ycompte.–Plustard,Creston,paspourl'instant.– Reposez-vous, reprenez des forces. Dans quelques semaines, tout cela
appartiendraaupassé.Unmerveilleuxavenirvousattend.– Si l'on pouvait appuyer sur une touche et effacer nos erreurs, ce serait
formidable, n'est-ce pas ? Mais cela n'existe que dans les livres. Au revoirCreston,guérissezvite.Miaraccrocha.Elleouvritlavitreetjetasonportable.
20.
–Qu'est-cequetuasfaitaprèsavoirvucetteémission?–J'aitournéenronddansmonappartementetàminuit,n'enpouvantplus,je
t'aiappelé.Jenepensaispasquetusonneraisàmaportelelendemain,maisjesuissiheureuxdetevoir.–Jesuisvenuauplusvite.Autrefois,tuasfaitpareilpourmoi.–Oui,maisjen'avaiseuqu'àtraverserlaville.–Tuasunesalemine.–TuesseulouLaurenestcachéedansleplacard?–Prépare-moiuncaféaulieudediren'importequoi.Arthur demeura dix jours auprès de Paul, au cours desquels leur amitié fit
renaîtreunsemblantdebonheur.Lematin, ils s'attablaientchezMoustacheetdiscutaient.L'après-midi, ils se
promenaient dans Paris. Paul achetait toutes sortes de choses inutiles, desustensilesdecuisine,desbibelots,desvêtementsqu'ilneporteraitpas,deslivresqu'ilneliraitjamaisetdescadeauxpoursonfilleul.Arthuressayaitderefrénersesardeurs,envain.Deuxsoirsdesuite,ilsdînèrentàLaClamada.Arthurtrouvalacuisinedélicieuse,etDaisypleinedecharme.Au cours d'un de ces repas, Paul lui expliqua le projet, insolite et fou, qui
l'accaparaitentièrement.Arthurl'avertitdesdangersauxquelsils'exposait.Paulen imaginait bien les conséquences,mais c'était pour lui le seulmoyen de seréconcilieravecsonmétieretavecsaconscience.– Le jour où Eun-Jeong et moi nous sommes revus au Salon du livre,
expliqua-t-il,noussommesrestésunlongmomentsansrienpouvoirnousdire.Etpuisellea tenuàse justifier.Cequ'elleavait faitnem'avaitportéetnemeporterait aucun préjudice. J'avais, grâce à elle, goûté à la célébrité, perçu desroyalties et elle, s'était servie de mon nom pour raconter son histoire. Unehistoirequineseraitjamaisluepar-delàlesfrontières,parcequepersonne,iciou
là, ne s'intéresse au sort de son peuple. Finalement, chacun avait trouvé soncompte. Pourtant, l'idée d'avoir vécu de son travailm'était insupportable. Plusimportantquel'argent, jedoist'avouerquesoncourageetsadéterminationmefascinaient.Ellem'avoua tout.La façondontelleavaitprofitédesesséjoursàParispourrendrevisiteàsesréseaux.Ellem'ajuréavoiréprouvédessentimentssincères pour moi, bien qu'elle aime un autre homme, prisonnier du régimequ'ellecombat.Tudoispenserque j'auraisdû la remettreà saplace,maiselleétaitmagnifique.Etsurtout,pourlapremièrefoisdepuisdesmois,jemesentaislibre.Jenel'aimaisplus.Cenefutnidelarevoirnicequej'avaisdécouvertquimel'afaitcomprendre,uniquementMia.Tupeuxtemoquerdemoi,maisd'unecertaine façon je t'ai rejoint, nous avons tous les deux eu un talent fou pourséduire des fantômes. Pardon, ce n'est pas très gentil, ce que je viens dire.Lauren,elle,n'yétaitpourrien.Quandnousnoussommesditadieu,jemesuisjuréderécrirel'histoiredeKyong,pourlarévéleraumonde,peut-êtreaussipourmeprouverquej'étaiscapabledelaracontermieuxqu'elle.Monéditeurn'ensaitencorerien,etj'imaginelatêtequ'ilferaenlisantmonmanuscrit.Jemebattrais'illefautpourqu'illepublie.–Tucomptesluiavouerlavérité?–Non, ni à lui ni à personne. Tu es le seul dans la confidence.N'en parle
mêmepasàLauren.Àlafindurepas,Daisysejoignitàeux.Ilstrinquèrentàlavie,àl'amitiéetà
lapromessedesbonheursàvenir.ArthurrentraàSanFrancisco.Paulleraccompagnaàl'aéroportetluijurade
lafaçonlaplussolennelle,maintenantqu'iln'avaitpresquepluspeurenavion,qu'ilviendraitvoirsonfilleul,dèsqu'ilauraitfinid'écrire.Arthurlequitta,rassuré.Paulétaitenverveetplusriennecomptaitqueson
roman.
*
Pauls'yattelasansrelâche.Lesseulsmomentsderépitqu'ils'accordait,illespassaitencompagniedeMoustache,etdetempsàautreàLaClamada.
Un soir, tandis qu'il discutait avec Daisy sur un banc, un caricaturiste
s'approchaavecundessin.Paull'observalonguement,onyvoyaituncouplededos,surcemêmebanc.–Ildatedel'étédernier.C'estvous,àdroite,déclaralecaricaturiste.Lesfêtes
approchent,c'estmoncadeau.Paul remarquaqu'en s'enallant, le caricaturiste effleura lamaindeDaisyet
qu'elleluisouritmalicieusement.
*
Deuxmoisplustard,alorsqu'ilétaitentrainderédigerlesdernièreslignesdesonroman,Paul reçut tard lesoirunappeldeDaisy.Elle lepressadevenir larejoindreauplusvite.Paulavaitdécelédanssavoixuneexcitationqui lui laissaitentendrequ'elle
avaiteudesnouvellesdeMia.Il prit le métro, par peur des embouteillages, et remonta la rue Lepic en
courant. Il passa devant LeMoulin de la Galette, le souffle court et le corpsbrûlantalorsqu'ilfaisaitunfroiddeloup.IlentraàLaClamada,lespoumonsenfeu,exultant,certainqu'elleseraitlà.IlnedécouvritqueDaisy,derrièresoncomptoir.–Qu'est-cequ'ilya?s'enquit-ilens'asseyantsuruntabouret.Daisycontinuad'essuyersesverres.–Jenevaispastedirequejeluiaiparlérécemment,parcequeceneserait
pasvrai.–Jenecomprendspas.– Si tu te tais, je pourrai te raconter ce que je sais.Mais avant, je vais te
préparerunpetitcocktail,untrucquirequinque.Daisyprenaitsontemps.Elleattendaitqu'ilaitbu.Lebreuvageétaitassezfort
pourquePaulressenteunesorted'ivresseinstantanée.–C'estdusérieux,toussota-t-il.– C'est un alcool que l'on donnait aux montagnards égarés dans les Alpes
quandon les retrouvaitdans lanuit.Quelquechosequi les arrachait à lamortpourlesrejeterdanslesbrasdelavie.–Qu'est-cequetusais,Daisy?–Pasgrand-chose,maistoutdemême...Ellesedirigeaverssontiroir-caisseetensortituneenveloppeenpapierkraft
qu'elleposasurlecomptoir.Pauls'apprêtaitàs'enemparerquandelleluisaisitlamain.–Attends,ilfautquejeteparleavant.TusaisquiestCreston?Paulsesouvenaitd'avoirentenduMiaprononcersonnomàSéoul,parlantde
lui comme d'un ami proche, sans jamais, bien sûr, révéler son vrai rôle. Il enavaitmêmeéprouvéunepetitepointedejalousie.
– C'est son agent, enfin il l'était, reprit-elle. Nous avons quelque chose encommun, lui et moi, ça doit rester un secret, au cas où, un jour, les chosesfinissentpars'arranger.–Quelleschoses?–Tais-toietlaisse-moifinir.Tuvois,depuisqu'elleadisparu,nouspartageons
levidequ'alaissésonabsence.Audébut,jecroyaisquec'étaitpoursesfinancesqu'ilétaitenpeine,maisc'étaitavant.–Avantquoi?–Ilestvenuhiersoir.C'esttoujoursassezdrôledefinirparmettreunvisage
sur un nom. Je ne l'imaginais absolument pas comme ça. Je croyais qu'ilressemblait à un de ces vieux machins anglais avec un chapeau melon et unparapluie,mais les clichés nous tueront.Bref,Creston est tout le contraire, lacinquantaine,unevraiebellegueuleavecunepoignéedemainàvousbriserlesphalanges. J'aime leshommesquiont lamain franche, çaenditbeaucoup sureux.Toiaussi,tuascettequalité,çam'avaitimmédiatementplu.Donc,hiersoir,iladînéseulàunetable.Ilaattendud'avoirréglél'addition,etquelasallesoitvidepours'adresseràmoi.C'étaitélégantdesapart,sij'avaissu,jenel'auraisjamaislaissépayer.D'ailleurs,c'estmoiquisuisalléeverslui,peut-êtrequesanscela,ilseraitpartisansmêmeseprésenter.Commeilétaitmondernierclient,jemesuisapprochéepourluidemanders'ilavaitbienmangé.Aprèsunmomentdesilence,ilm'adéclaré:«VoscoquillesSaint-Jacquessontexcellentes,onm'enavaitditleplusgrandbien,etjecomprendsmaintenantpourquoielleaimaittantcetendroit.»Ilm'atenducetteenveloppe,etenl'ouvrantj'aicomprisquiilétait.Luiaussi est sansnouvellesdeMiadepuisdesmois.Ellene l'aappeléqu'unefois,elledésiraitqu'ilvendesonappartementettoutcequ'ilcontenait,sansluirévéler où elle se trouvait. Creston avait vu les camions de déménagementemporter ses affaires et m'a confié s'être rendu en salle des ventes pour lesracheter.Chaquefoisquelemarteauducommissaire-priseurretombait,c'estluiquiavaitenchéri.Elleétaitsaprotégée.Ilnesupportaitpasl'idéequ'unétrangers'asseyeàsonbureau,oudormedanssonlit.LesmeublesetbibelotsdeMiasontdansungarde-meubledelabanlieuedeLondres.–Qu'est-cequ'ilyadanscetteenveloppe?insistaPaul,fébrile.–Soispatient. Il était àParispourpasserune soiréedansunendroitqu'elle
aimait. Je ne peux pas le lui reprocher ; si tu savais le nombre de fois où j'airegardéla tableoùnousdînions,ousonbancplaceduTertre.Jevaismêmeteconfierautrechose,notretable,jeneladonneàdesclientsquelorsquelasalleest archipleine. Il m'est même arrivé de refuser du monde en la laissant
inoccupée, parce que chaque soir depuis son départ, je rêve qu'elle franchissecetteporteetmedemandesij'aidescoquillesSaint-Jacquesaumenu.Paul n'attendit pas plus longtemps la permission de Daisy et décacheta
l'enveloppe.Ellecontenaittroisphotos.Ellesavaientétéprisesdeloin,probablementdepuislaterrassedurestaurant
quilongeleCarrouselduLouvre.Onyvoyaitdesgensfairelaqueuedevantlapyramide.Daisypointadudoigtunvisageparmid'autres.–Elle sait changerde tête aupointd'êtreméconnaissable, cen'estpas à toi
quejevaisl'apprendre,maisCrestonn'aaucundoute:cettefemmeaumilieudelafoule,c'estelle.Lecœurtremblant,Paulsepenchasurlaphoto.Daisyavaitraison,personne
nel'auraitreconnue,maistousdeuxsavaientqu'ils'agissaitbiendeMia.Paulressentitungrandsoulagement.Àcausedesfossettesqu'ilvoyaitsurses
joues.QuandilsétaientàSéoul,illesavaitvuesapparaître,chaquefoisqu'elleétait joyeuse. IlquestionnaDaisysur lamanièredontCrestonavaitobtenucesphotos.– Creston a des accointances chez les paparazzi, il lui était arrivé de leur
racheter des négatifs à un prix plus élevé que ce qu'ils auraient obtenu desjournaux.PourSéoul,c'était troptard, iln'avaitrienpucontrôler.Bref, ilavaitinformé tous ceux qu'il connaissait, et il en connaissait quelques-uns, qu'ilpaierait leprix fortpourunephotodeMia,oùqu'elleaitétéprisedumomentqu'ellesoitdatée.Etpourtant,celles-ciluiavaientétéenvoyéesgracieusement.Pauls'apprêtaitàdemanderàDaisys'ilpouvaitenavoirune,quandelleleslui
offrit.–Elleadûrefairesavie,ditPaul.–Tu lavoisaccompagnéesurcettephoto?Non.Doncpourquoi te fairedu
mal?–Parcequecequifaitleplussouffrir,c'estl'espoir.–Andouille,c'estdeneplusenavoirquirendmalheureux.ElleétaitàPariset
elle n'est pas venue me voir. Crois-moi, elle était seule, en train de sereconstruire.Jelesais,parcequ'elleestcommemasœur.Crestonavaitreçucesphotosunesemaineplustôt.C'estcequil'adécidéàpartirsursestraces.Avantdedébarquerchezmoi,ilavaitpassédeuxjoursàsepromenerdansParis,avecla folle idéeque lehasard joueraitensa faveur,qu'il lacroiseraitaumilieudedeuxmillionsd'habitants.LesAnglais sont fous !Mais nous, nousvivons ici,alorsquisait...avecunpeudechance...–Quinousprouvequ'elleyestencore?
–Fie-toiàtoninstinct,situl'aimesvraiment,tusaisoùellerespire.
*
Daisy avait dit vrai. Paul ignorait si c'était le fruit de son imagination ousimplementcetespoir,auquelilrefusaitdes'accrocher,maisilluiarrivadanslessemainesquisuivirentdesentirleparfumdeMiaaudétourd'unerue,commesisespasavaientprécédé lessiens,desongerqu'il l'avaitmanquéedepeu. Il luiarrivamêmedepresserlepassuruntrottoir,convaincudelacroiserauprochaincarrefour. Il lui arriva également d'interpeller des passantes sans nom, demarcherdanslanuit,dereleverlatêteversdesfenêtreséclairéesenimaginantqu'ellevivaitderrière.
*
Son roman fut publié. Enfin, l'histoire de Kyong qu'il avait entièrementrécrite. C'était la première fois qu'il s'aventurait hors du registre de la fiction.Chaquesoirdevantsafeuille,iln'avaitcessédes'interroger.Enétait-cedevenuune sous sa plume ? Avait-il trop embelli ou dramatisé son récit ? Il étaitconscientd'avoirdonnéchair et âmeauxpersonnagesd'Eun-Jeong.Làoùelles'étaitcontentéed'énoncerleursvicissitudes,aussitragiquesqu'ellessoient,Paulavaitracontéleursvies,dépeintleurssouffrancesetleursémois.Ilavaitfaitcequedoitfaireunécrivainquandils'empared'unehistoirequ'iln'apasinventée.Lapresseaussis'emparadulivre.Dèssasortie,cefutuntourbillondontPaul
necompritpaslescauses.Peut-êtreétait-ilsimplementdansl'airdutemps.En cette époque où chacun voulait encore croire aux vertus des libertés
individuelles,fermant lesyeuxsur l'étauquiseresserraitderrière lesfrontièresdel'Est,surl'emprisegrandissantededictateursabritésderrièrelapuissancedeséconomies sur lesquelles ils avaient fait main basse, ce récit dénonçant unedictatureincontestabletombaitàpointnommé,etprovoquaituncertainéveildesconsciences. Paul acceptait cette idée d'autant plus sereinement qu'il ne s'enattribuait pas le crédit.Lemérite revenait entièrement, à ses yeux, au couraged'Eun-Jeong.Les critiques étaient dithyrambiques, les propositions d'interviews se
succédaientsurlebureaudeCristoneli,Paullesrefusaittoutes.Trèsvite,cefutautourdeslibrairesdefairel'élogedesontexte.Paulvoyait
pourlapremièrefoissonlivreprendreplacesurlestablesdesmeilleuresventes,illedécouvritmêmedanslestemplesautodéclarésdelapenséeàlamode.Puislemurmured'unprixlittérairecommençaàbruisserdanslescouloirsde
samaisond'édition.Cristoneli l'invitait de plus en plus souvent à déjeuner. Il lui parlait de
mondanitésparisiennes,ouvraitsonagendaenmoleskineetprenaitunairgraveendressantl'inventairedescocktailsetsoiréesoùilétaitimportantquePaulsemontre.Illesmanquatous,etcessamêmed'écoutersonrépondeur.Touscesbruitsautourdeluirésonnaientcommedansunappartementvide.Sixsemainesavaientpassélorsqu'il retrouvaCristoneli,cettefoisaucaféde
Flore.Onleregardait, ileutdroitàunflorilègedesourires,admiratifsouhaineux,
maiscesoir-là,Cristoneliavaitcommandéduchampagneavantdeluiannoncerqu'unetrentained'éditeursétrangersavaientacquislesdroitsdesonroman.Quelleironie,l'histoiredesatraductriceallaitêtretraduiteentrentelangues.
Paul ne put s'empêcher, alors que Cristoneli trinquait à ce triomphe, de sedemandercequ'Eun-Jeongenpenserait.Iln'avaitplusjamaiscommuniquéavecelle.
C'étaitunsoirdefêteetPaulavaitl'espritailleurs.Pourtant,ilallaitdevoirs'y
préparer,carlafêtenefaisaitquecommencer.
21.
Un jourd'automne,Paul futdérangéversmidipar la sonnerie incessantedesontéléphone.Deguerrelasse,ilfinitpardécrocher.CristonelibégayaitetPaull'entenditvaguementprononcer:–LaMédi...–Quoi?–LeMédit...–Laméditation?demandaPaul.–Maisnon,enfin,pourquoivoudriez-vousquejemédite?Dépêchez-vous,La
Méditerranée,toutlemondevousattend!– Bon, Gaetano, vous êtes très gentil, mais qu'est-ce que vous voulez que
j'aillefairesurlaMéditerranée?– Paul, taisez-vous et écoutez-moi avec attention, je vous prie. Vous avez
obtenu le prix Médicis étranger, la presse vous attend au restaurantLaMéditerranée,placedel'Odéon.Untaxiestenbasdechezvous,est-ceclair?hurlaCristoneli.Àpartirdecemoment,plusriennesemblaclairdansl'espritdePauloùles
penséessebousculaient.–Merde!grommela-t-il.–Commentça,merde?–Merde,merdeetmerde.–Mais c'est fini d'être grossier, oui ? Qu'est-ce qui vous prend deme dire
merdecommeça?–Cen'estpasàvousquejeledisaismaisàmoi.–Iln'empêchequevousêtesgrossier.–Cen'estpaspossible,lâchaPaul,empêchez-les.–Dequoi?–Demedonnercetterécompense,jenepeuxpasl'accepter.–Paul,permettez-moidevousdirequevouscommencezsérieusementàme
courir sur l'artichaut.Onne refusepas leMédicis, alors, vousmontezdans cetaxietdépêchez-vous,sinon,c'estmoiquivaisvousdiremerde.Tiens,d'ailleursjevousledis,merde,merdeetmerde!Ilsvontannoncerlesnomsdeslauréatsdansquinzeminutes,jesuisdéjàsurplace,c'estuntriomphe,monami!Paul raccrocha et sentit venir une crise de tachycardie monumentale. Il
s'allongea sur son parquet, bras en croix et commença une série d'exercicesrespiratoires.Letéléphonesonnaencore,etencore.Etilenfutainsijusqu'àcequeletaxile
déposeplacedel'Odéon.Cristonelil'attendaitdevantlerestaurant,lesflashscrépitèrentetPauleutune
impressiondedéjà-vuquiluiglaçalesang.Pourtoutdiscours,ilbafouillaunmerci,relevalatêteavecunsouriredestiné
auxphotographeschaquefoisquesonéditeurluidonnaituncoupdecoude,etneréponditquasimentàaucunequestion,toutdumoinspasdefaçonintelligible.À15heures,tandisqueCristoneliseprécipitaitàsonbureaupourdonnerles
consignesderéimpressionetvaliderlebandeauquiseraitposésurlacouverture,Paulrentrachezluiets'yenferma.
Daisy l'appela en fin d'après-midi pour le féliciter, elle avait entendu la
nouvelle à la radio en coupant des radis et le remercia : elle s'était entaillé ledoigtàcausedelui.Elleajoutaqu'ilavait intérêtàvenirfêtersonsuccèsàLaClamadadèsquepossible,s'ilnevoulaitpasfigurersursalistenoire.À20heures, il faisait toujours les centpasdans son appartement, attendant
qu'Arthurlerappelle.C'estLaurenquilefit.ArthurétaitauNouveau-Mexiqueavecdesclients.Ils
eurentunelongueconversation,etàdistance,avantqu'uneurgencenelaforceàraccrocher,ellel'aidaàtrouverlemoyendesecalmer.Paul s'assit face à son écran et ouvrit le fichier d'un manuscrit qu'il avait
délaissédepuislongtemps.Laurenavaiteutraisondelepousseràrenoueravecsacantatrice,elleluiapportatrèsviteleréconfortdontilavaitbesoin.Quelques feuillets plus tard, Paul sentit l'étau autour de sa poitrine se
desserrer, et il passa le reste de la nuit à écrire, avec une merveilleuseinsouciance.
Aupetitmatin,Paulpritunedécisionetsepromitdes'ytenir,quelqu'ensoit
leprixàpayer.Sonmeilleuramiseraitheureux.Letempsétaitvenuderentrer
aupays.
*
Le lendemain, Paul se rendit chez son éditeur. Il écoutait Cristoneli d'uneoreilledistraite,secontentantderefuser touteslespropositionsd'interviewquecedernierluisoumettait.Cristoneli s'efforçait de demeurer calme. À vingt reprises, il avait entendu
Paulluidirenon.Tantetsibienquelorsqu'illuilâchaun«oui»,iln'yprêtapasattention et continua de lui citer les noms des journalistes qui souhaitaient luiparler.–Jeviensdevousdireoui,soupiraPaul.–Ahbon,maisàquoi?– « La Grande Bibliothèque », ce sera la seule émission à laquelle je
participerai.– D'accord, répondit Cristoneli au bord de la dépression. Je les préviens
immédiatement,l'émissionalieudemainsoir,endirect.
*
Pauloccupasadernièrejournéeàmettredel'ordredanssesaffaires.Àmidi,ilpartitdéjeunerchezDaisy.Aumomentdeseséparer,ilstombèrentdanslesbrasl'undel'autreetDaisyeuttouteslespeinesdumondeàretenirseslarmes.En fin d'après-midi, il fit ses adieux àMoustache et lui confia ses clés. Le
cafetierluipromitdesurveillersondéménagementcommes'ils'agissaitdusien.À20heures,Cristonelipassaleprendre.Paulmitsavalisedanslecoffredu
taxietilssedirigèrentverslesstudiosdeFranceTélévisions.Paulrestasilencieuxdurantlemaquillage,ildemandasimplementàcequ'on
ne cache pas ses petites ridules autour des yeux. Lorsque le régisseur vint lechercher,ilpriaCristonelidel'attendredanssaloge.Ilpourraitsuivrel'émissionsurl'écrandetélévisionquis'ytrouvait.FrançoisDutertre, l'animateur, l'accueillit dans les coulisses et luimontra le
fauteuilsurlequelildevaitprendreplaceparmiquatreautresromanciers.Paulsaluasesconfrères,etinspiraprofondément.Quelquesinstantsplustard,
ledirectdébutait.–Bonsoiràtous,bienvenuesurleplateaude«LaGrandeBibliothèque».Ce
soir,ilseraquestiondeprixlittéraires,maisaussidelittératureétrangère,etnouscommencerons cette émission en compagnie d'un auteur inconnu du grand
public,entoutcasill'étaitenFranceencorehier,jusqu'àcequeluisoitattribuéleprixMédicisduromanétranger.PaulBarton,mercid'êtreparminous.À l'écran, défila un portrait de Paul.Une voix off évoquait sa carrière, son
passéd'architecte,parlaitdesonchoixdevenirvivreenFrance.Onprésentasessixromanset,àlafindececourtreportage,FrançoisDutertres'adressaàlui.–PaulBarton,c'estunromantrèsdifférentdevosprécédentsécritsquivousa
valuceMédicis,unromanpoignant,surprenant,bouleversant,édifiant,pourrais-jedire.Unromanindispensable.Dutertreenpoursuivitl'éloge,avantdedemanderàPaulcequil'avaitincitéà
écrirecerécit.Paulfixalacaméra.–Jenel'aipasécrit.Jemesuiscontentédeletraduire.FrançoisDutertreécarquillalesyeux,retenantsarespiration.–Ai-jebienentendu?Vousn'avezpasécritceroman?–Non,cettehistoire,vraiedelapremièreàladernièreligne,nem'appartient
pas.C'estunefemmequienestl'auteur.Illuiétaitimpossibledelapubliersoussonnom.Sesparents,safamille,etsurtoutl'hommequ'elleaimeviventenCoréeduNord,ilsenauraientpayéleprixdeleurvie.Pourcetteraison,jenerévéleraijamaissonidentité,maisjenepeuxm'appropriersontravail.– Jenecomprendspas, s'exclamaDutertre,vous l'avezpourtantpublié sous
votrenom?–J'aiservideprête-nom,d'uncommunaccord.LavraieKyongn'avaitqu'un
seulrêve,quel'histoiredessienssoitconnueduplusgrandnombre,quelesgenssoientenfinsensiblesausortquileurestréservé.Iln'yapasdepétroleenCoréedu Nord, alors le monde occidental ne fait que peu de cas d'une des plusépouvantablesdictaturesqui soient. J'aipasséde longsmoisàm'imprégnerdeson texte, à donner vie à ses personnages, pourtant, je vous le répète, cettehistoireluiappartientetc'estàelle,etàelleseulequerevientleprixquim'aétéremishier.Jesuisvenucesoirdansvotreémissionpourdirelavérité,pourvousdireégalementquesiunjourlerégimequiopprimecettepopulationtombe,jerévéleraisonnomdèsqu'ellem'autoriseraà lefaire.Quantauxdroitsd'auteur,qu'elle m'avait offerts, je les ai cédés à Amnesty International et à différentsmouvementsd'oppositionàcerégimeabominable.Jeprésentemesexcuses lesplus sincères à mon éditeur, qui ignorait tout jusqu'à ce soir, ainsi qu'auxmembresdujuryduMédicis.Maisaprèstout,c'estunromanqu'ilsontcouronnébienplusquel'auteurdont lenomapparaîtsur lacouverture.Et laseulechosequi compte, c'est le témoignagequ'il nous livre.À tous ceuxqui suivent cette
émission,jevoussuppliedelelire,aunomdelalibertéetdel'espoir.Mercietpardon.Paulseleva,serralamaindeDutertreetdesautresinvitésavantdequitterle
plateau.
*
Cristoneli l'attendaitdans lescoulisses. Ilsmarchèrentcôteàcôteensilencejusqu'àcequ'ilsarriventdanslehall.Quandilsfurentseuls,CristoneliregardaPauletluitenditlamain.– Je suis très fier d'être votre éditeur,même si j'ai une envie folle de vous
étrangler.C'estuntrèsbeaulivre,etiln'yapasdegrandlivrepubliéàl'étrangersansl'œuvred'ungrandtraducteur.Jecomprendsmieuxvotredécisiondepartirquelque temps pour San Francisco. Sachez que j'attendrai avec impatience lasuitedesaventuresdevotrecantatrice.J'aibeaucoupaimélespremierschapitresquevousm'avezautoriséàlireetj'aihâtedelepublier.–MerciGaetano,maisriennevousyoblige.Jecrainsd'avoirperducesoir
l'ensembledemeslecteurs.–Jecroisquec'esttoutlecontraire.Seull'avenirnousledira.
22.
Paul et son éditeur descendirent ensemble lesmarches.Quand ils arrivèrentsur le trottoirdésert,un jeunehommesortitde l'ombreet s'approchad'eux,unpapierenmain.–Vousvoyez,vousavezencoreaumoinsunfan,ditCristoneli.–C'estpeut-êtreunagentdeKimJong-unquiestvenumedescendre,ricana
Paul.Plaisanteriequin'arrachapasunsourireàsonéditeur.–C'estpourvous,ditlejeunehommeentendantunepetiteenveloppeàPaul.Illadécachetaetdécouvritunepetitenoteétrange,surlaquelleétaitécritàla
main:Troislivresdecarottes,unelivredefarine,unpaquetdesucre,unedouzaine
d'œufsetunepintedelait.–Quivousl'aremis?demandaPaulaujeunehomme.Cedernierdésignaunesilhouettesurletrottoird'enfaceavantdes'enaller.Unefemmetraversalarueetvintàsarencontre.–Jen'aipastenumapromesse,ditMia,j'airegardél'émission.–Tunem'avaisrienpromis,réponditPaul.–Tusaispourquoijesuistombéesiviteamoureusedetoi?–Non,jen'enaiaucuneidée.–Parcequetuesincapabledefairesemblant.–Etc'estunequalité?–C'enestunemerveilleuse.–Tunepeuxpasimaginercequetum'asmanqué,Mia.Tum'asmanquéàen
crever.–Pourdevrai?–Jesuisincapabledefairesemblant,non?–Tuvoudraisbiennerienajouterd'autreetm'embrasser?–Oui.
Ilss'enlacèrentdanslarue.Cristoneli attendit quelques instants, jeta un coup d'œil à sa montre et
s'approchaentoussotant.–Puisquevousnesemblezpaspressés,vousneverriezpasd'inconvénientà
cequejevousempruntevotretaxi?Lemienestenretard,vousn'aurezqu'àleprendre.Cristonelisedébarrassadelavalisequ'ilavaitàlamainetlatenditàPaul.Il salua respectueusement Mia, referma la portière, baissa la vitre et cria
«SacréPaul»tandisquelavoituredémarrait.–Oùvas-tu?repritMia.–DormiràRoissy,jeparsàl'aubeàSanFrancisco.–Pourlongtemps?–Oui.–Jepourraitetéléphoner?–Non,maissituleveuxbien,onpeutpoussermonvoisindesiège.J'aides
merveillesàdégusterdanscettevalise.PaulposasonbagageetembrassaMia.Leurbaiserdurajusqu'àcequ'untaxilesfassesursauterd'uncoupdeklaxon.IlfitentrerMialapremièreets'installaàsescôtés.Avantd'indiquer leurdestinationauchauffeur, il se tournaversellepour lui
poserunequestion:–Etmaintenant,çacompteouçanecomptepas?–Oui,çacompte.
Mercià
Pauline,LouisetGeorges.Raymond,DanièleetLorraine.SusannaLea.EmmanuelleHardouin.CécileBoyer-Runge,AntoineCaro.Élisabeth Villeneuve, Caroline Babulle, Arié Sberro, Sylvie Bardeau, Lydie
Leroy,JoëlRenaudat,CélineChiflet,Anne-MarieLenfant,toutesleséquipesdesÉditionsRobertLaffont.PaulineNormand,Marie-ÈveProvost.LéonardAnthony,SébastienCanot,DanielleMelconian,NajaBaldwin,Mark
Kessler,StéphanieCharrier,JulienSaltetdeSabletd'Estières,AlineGrond.KatrinHodapp,LauraMamelok,KerryGlencorse,JuliaWagner.BrigitteetSarahForissier.
www.marclevy.infowww.laffont.fr
www.versilio.com
TABLEDumêmeauteur
Titre
Copyright
Dédicace
Exergue
Chapitre1
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18